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Décentralisation et mise en Å“uvre des stratégies de développement local: analyse du système de gouvernance territoriale du cas de Croix-des-Bouquets

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par Edy FILS-AIME
Université d'état d'Haà¯ti département des sciences du développement - Maitrise en sciences du développement 2012
  

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CONCLUSION

Les années 70 ont marqué le début du déferlement de la vague de démocratisation sur le monde, c'est-à-dire le passage de diverses formes de régimes autoritaires à la démocratie. Ce processus est d'autant en plus accentué avec l'écroulement du rideau de fer, du mur de Berlin en 1989. Cet événement a facilité la propagation de la démocratie un peu partout dans le monde, en Europe, en Amérique Latine, en Afrique, etc. Haïti n'a pas échappé à cette vague de démocratisation. En effet, en 1990, Haïti a organisé en grande pourpre ses premières élections dites démocratiques. Cependant, la transition démocratique en Haïti a une double explication.

Premièrement, ce passage du mode de gouvernance autoritaire à un mode de gouvernance démocratique traduit les desiderata du peuple haïtien de rompre avec la dictature et les pratiques sanguinaires dont il est victime, particulièrement sous les Duvalier. Cette volonté ferme d'y mettre fin s'explique indubitablement à partir des événements de février 1986 qui ont abouti au changement de régime politique. La dynastie duvalierienne a pris fin et fait place à un régime démocratisant. Ce moment historique propre aux haïtiens a suscité le besoin et la volonté de casser le jeu politique pour le réorganiser de manière ouverte et démocratique.

Secondement, Haïti- étant le pays le plus pauvre de son hémisphère, et vivant donc en grande partie de l'aide internationale- ne pouvait pas se soustraire de la vague de démocratisation. En effet, depuis les années 80, à l'instar des pays africains, devant les crises sociopolitiques et économiques que traversait Haïti, les principaux bailleurs du monde ont réévalué le fondement et les mécanismes de l'aide au développement en l'axant sur la démocratisation comme nouvel fondement et conditionnalité. L'injonction était faite désormais à Haïti, comme aux autres pays bénéficiaires, d'accepter l'idée selon laquelle `'la démocratie apporte le développement». Ils devaient donc s'approprier de la démocratie comme cadre politique de l'État de droit et de la protection des droits de l'Homme afin de se retirer de la misère ou mieux de s'attirer le maximum d'aides internationales possibles.

Sous l'effet conjugué de ces deux (2) forces à la fois interne et externe, Haïti a engagé à travers la Constitution de 1987 une reforme ou du moins une modernisation de l'État qui a fait de la décentralisation l'une des pièces maitresses pour amorcer le développement à la base. On a assisté donc à un changement de paradigme de développement en Haïti. Le schéma de développement de haut de l'État, pour s'optimaliser, devrait cette fois-ci intégrer la dynamique de bas qui lui donne son assise et légitimité.

Ans le cadre de la recherche, ont été revisités dans une perspective critique les grands courants en théories et stratégies de développement telles que les théories évolutionnistes, les théories marxistes et les théories historico-systémiques.

Les théories évolutionnistes posent le développement comme un processus naturel à la fois inévitable et irréversible. Le sous-développement ne serait qu'un simple retard qu'un changement culturel (au plan mental et technologique) pourrait aider à accélérer. Ce courant libéral a contribué largement à la propagation de l'idéologie de la modernisation, du pluralisme intégré, et de l'efficacité novatrice comme préalables au développement.

Les dependistas, du courant marxiste, n'ont pas dépassé la modernisation, cependant ils ont eu le mérite de mettre en évidence les contradictions, la polarisation des groupes sociopolitiques de la modernisation. Les confusions et les divergences entre les dependistas euxmêmes ont forcé de regarder vers d'autres horizons pour chercher à comprendre davantage le phénomène du développement.

C'est ainsi que l'approche historico-systémique du développement a été introduit. Si les théories évolutionnistes ont permis de saisir le contexte de l'avènement officiel du développement, si les dependistas ont attiré l'attention sur bien des faiblesses des théoriciens libéraux, c'est surtout l'approche historico-système qui a permis d'apprécier la trajectoire du

développement au développement local. Avec les historiens systémiques surtout, on a revu la genèse et la phylogenèse du capitalisme dont la globalisation constitue l'étape la plus décisive. C'est justement en réaction à cette étape charnière du capitalisme, que la pensée localiste du développement va prendre forme.

Le passage en revue des principales stratégies du développement local ont permis de faire valoir l'hétérogénéité et la complexité de la pensée localiste du développement. Dans un continuum partagé entre les politiques de droite et de gauche, le développement local se fonde respectivement sur la compétitivité économique, la notion de territoire, l'identité culturelle, etc. Les différentes stratégies du développement local, aussi contradictoires qu'elles paraissent, possèdent un dénominateur commun : La nécessité de reformer tout État centralisateur afin d'encourager la participation et la responsabilisation des citoyen (nes), des membres de la société civile ou du secteur privé. En ce sens, on est en droit d'avancer qu'aucune stratégie de développement local ne puisse se concevoir sans un certain degré de décentralisation de l'État. Étant un élément constitutif et instrumental de la gouvernance territoriale, la décentralisation a été comprise dans la perspective de ses théories normatives et de ses théories descriptives.

Transposée dans le contexte haïtien, la problématique de la décentralisation et la mise en oeuvre des stratégies de développement local ont offert l'opportunité de scruter la culture politique haïtienne, le cadre institutionnel de la décentralisation et du développement local dans le pays, et l'étude du cas précis de la Commune de Croix-des-Bouquets.

Dans le cadre de la recherche, ont été notammnet démontrés :

(i) la necessité de la responsabilisation et la participation des citoyens et citoyennes dans la fabrication et la coordination de l'action de développement : La faible capacité des cruciens et cruciennes à influencer les décisions a occasionné une non maitrise de leur part des ressources de leur communauté. Ils ne sont donc pas en mesure de s'impliquer valablement dans le processus du développement. Leurs rapports avec l'État, les

institutions locales et autres institutions sont défaillants. Étant irremplaçable dans la chaine de fabrication et de coordination de l'action de développement, l'engagement des citoyens et citoyennes laisse un vide qui contribue à perpétuer le sous-développement de la Commune de Croix-des-Bouquets.

(ii) la nécessité de la disponibilité des autorités et des cadres formés et motivés pour impulser le développement local : La Mairie de Croix-des-Bouquets, étant l'institution maitre d'ouvrage du développement de la Commune, ne possède pas une batterie de professionnels imbus de leurs fonctions et motivés à desservir la population locale. Cette institution est regorgée des agents qui y sont faute de mieux. Ce sont des agents relativement livrés à eux-mêmes sans obligation de résultats. Le rôle de leader de cette institution à impulser le développement- en incitant les acteurs, en coordonnant les actions, en mobilisant et distribuant les ressources- se trouve nettement atrophié. Ceci donne à la Commune l'air d'être navire sans capitaine et dont l'équipage est en désarroi.

(iii) l'impact éventuel de la gestion saine des services publics sur le développement local : L'incapacité des autorités locales à gérer efficacement les affaires de la Commune a renforcé le degré d'innaccessibilité des services sociaux de base. La seule façon d'accéder à certains services semble de passer par la corruption comme une voie rapide. La corruption ne cesse de répandre ses effets malsains sur tout le processus de développement de Croix- des-Bouquets. Les recettes propres de la Commune se voient volatilisées. Les petites et moyennes entreprises se trouvent découragées à la fois par la corruption (taxes surélevées, difficultés d'acquérir des documents administratifs) et l'insécurité (vols organisés, etc.). La corruption- affectant l'économie locale et se répandant essentiellement dans les secteurs sociaux- contribue à baisser continuellement la compétitivité de la Commune.

Toutes les démonstrations ci-dessous ont conduit au fait que le système de gouvernance du territoire de Croix-des-Bouquets est foncièrement désarticulé et incohérent. la Commune de Croix-des-Bouquets souffre d'un manque sévère de leadership. La Mairie n'a pas la capacité de jouer son rôle de maitre d'ouvrage qu'elle est censée jouer dans le processus du développement. La Société Civile non plus n'est organisée de manière à pousser les autorités municipales à prendre ses responsabilités. Par conséquent, il n'existe pas une vision à long terme du développement de la Commune. Des stratégies de développement de plus en plus contradictoires, ayant même des effets négatif, sont mises en oeuvre dans la Commune en dehors de tout schéma d'aménagement de territoire, d'urbanisme ou de plan de développement. Il va de soi que la pratique de la décentralisation déjà fictive et précaire dans la Commune ne peut avoir aucun impact majeur sur le développement.

Les démonstrations ont conséquemment permis d'avancer que la responsabilisation et la participation des citoyens et citoyennes, une bonne allocation et gestion des ressources, permettrons aux autorités locales d'exercer mieux leur leadership, les compétences administratives et politiques transférés de l'échelon central au niveau Communal. Ceci a permis de confirmer avec certaines réserves l'hypothèse de départ selon laquelle la décentralisation- étant fondée sur le partage des responsabiités et des ressources, et la participation citoyenne- ne favorise le développement local que dans la mesure où elle est pratiquée dans un système de gouvernance territoriale cohérent.

Car il appartient toujours aux autorités comme premier chef d'oeuvrer pour fabriquer ou faciliter la cohérence de la gouvernance du territoire. Quand les institutions locales sont défaillantes, et que les citoyens et citoyennes sont marginalisés, la décentralisation devient coquille vide sans impacts réél sur le développement local.

Théoriquement, s'est renforcé l'évidence de la relation directe décentralisation et développement local. Pour être efficace, entre décentralisation et développement local, il est démontré qu'il doit y avoir une harmonisation, une articulation, une intégration même minimale.

Notre recherche a amené à des trouvailles permettant de renforcer certaines idées déjà en circulation dans le milieu et d'autres projetant des horizons contraires. Aussi vrai que la décentralisation est foncièrement inscrite dans la loi fondamentale du pays, la décentralisation demeure dans le pays un processus précaire dans le sens fort du terme, c'est-à-dire elle n'a rien de stable, d'assuré, tout le processus en cours depuis 1987 reste incertain, provisoire, et fragile. Cette précarité s'origine dans la Constitution même du pays qui ne reconnait pas un statut égalitaire des Collectivités Territoriales. Les Départements sont reconnus comme des personnes morales, les Communes ne jouissent pas de personnalité morale, elles ne jouissent que de l'autonomie administrative et financière, et le statut des Sections Communales est tout simplement absent dans la Constitution.

Compte tenu du statut des Communes et des Sections Communales, on aurait pu nommer les autorités à la tête des Communes et des Sections Communales. Mais la confusion est à son comble quand cette Constitution exige le même mécanisme (suffrage universel) pour faire élire les dirigeants des trois (3) niveaux de CT. Même si les statuts différenciés des CT font croire que les départements sont plus importants que les autres CT, les autorités des CT sont toutes des élus au suffrage universel. Ceci crée une sacrée contradiction dont les autorités centrales peuvent à tout moment résoudre en nommant des autorités à la tête des Communes et des Sections Communales conformément à leur statut Constitutionnelle, car du point de vue statutaire seules les autorités départements devraient être élus au suffrage universel.

Cependant toute éventuelle décision pour faire nommer au lieu d'élire les Maires, les Casec, Asec, etc. serait un accroc majeur au processus de la décentralisation en Haïti. Ce serait le retour en force des temps anciens. Cette épée de Damoclès placée sur le processus de décentralisation en Haïti est d'autres en plus renforcé par l'absence de vision stratégique et le manque de volonté politique de l'État dont les tentations recentralisatrices sont omniprésentes. Le manque de velléités pour doter le pays d'un cadre légal cohérents sur la décentralisation est le signe d'une volonté manifeste de rétention de pouvoirs et de ressource au niveau central. D'ailleurs, on a vu que le vocable décentralisation est dévidé de tout son contenu d'après 1986,

il est devenu un concept valise, un mot de passe, qui ne charrie plus rien des revendications antimacoutistes, anti-autoritatrisme, et anti-impérialistes qui ont dessiné le contexte socio-historique et politique de l'adoption de la Constitution de 1987.

Des deux (2) contraintes qui ont vu l'avènement de la décentralisation en Haïti, il ne subsiste qu'une seule qui soit encore de mise, voire renforcée : la conditionnalité internationale, la poursuite de la vague de démocratisation à l'occidental. La décentralisation est devenue entre les mains de l'État haïtien un vil instrument de démagogie et de manipulation politique. L'État haïtien se transforme en une vaste ONG étatique qui amasse des sous l'étiquette de la décentralisation. Ayant été un cheval de bataille dans les années 80, la décentralisation est désormais un pot au beurre dans toute la société haïtienne. N'étant pas une valeur ancrée dans la société haïtienne, un simple changement de contexte international- par exemple, l'élimination de certaines conditionnalités par les bailleurs ou la non-disponibilité des fonds pour les projets de décentralisation- peut occasionner le retour au grand jour du centralisme exacerbé qui a toujours marqué la culture politique du pays.

En effet, environ un quart de siècle depuis l'adoption de la Constitution de 1987 qui consacre la décentralisation comme un des piliers stratégiques de l'État, le mode de gouvernance d'Haïti n'a pas permis de tenir les promesses de la modernisation de l'État, ni l'amélioration des conditions de vie de la population. Haïti s'enfonce davantage dans le processus de décapitalisation et de l'effritement des ressources. La situation de la Commune de Croix-desBouquets en est un exemple patent. Cette Commune n'a pas la capacité à planifier, budgétiser, passer des marchés de réalisation d'infrastructures et de fourniture de services, contrôler l'exécution, ni assurer la bonne gestion. Ce n'est pas le processus de décentralisation qui, tout précaire qu'il est, peut automatiquement inverser cette tendance perverse de la Commune de Croix-des-Bouquets. Car tous les structures et mécanismes, y compris les acteurs de la gestion de la chose publique de la Commune semblent entrer dans une logique contradictoire qui a pour effet la désorganisation et la déstructuration du système de gouvernance pour le développement.

Comme apports de la recherche, il faut souligner:

· Du point de vue théorique, la réaffirmation de la dépendance du développement local du processus de la décentralisation.

En Haïti, à l'instar d'autres pays en voie de développement, des institutions nationales et de la coopération internationale- impliquées dans la construction du développement local- oeuvrent indépendamment des élus locaux et du cadre normatif des actions locales. Elles érigent, par exemple, des écoles, des centres de santé partout et n'importe où sans se soucier de la stratégie d'ensemble du milieu. Leurs efforts se conjuguent davantage vers le renforcement des petites infrastructures physiques et des séances de formation à impacts quasiment nuls sur les conditions de vie de la population. Contrairement à ces idées et pratiques, même trop répandues à la Commune de Croix-des-Bouquets, qui court-circuitent l'État au niveau local, l'appui de ces institutions devrait être dirigé, entre autres priorités, vers le renforcement de la capacité des élus locaux, de la Société Civile, de rendre effective le processus de la décentralisation dont les dysfonctionnements ont pour effet automatique de freiner la dynamique de développement local.

· La confirmation d'un `'système de gouvernance cohérent» comme préalable au développement local.

En plus de la dépendance du développement local du processus de la décentralisation, la recherche à la Commune de Croix-des-Bouquets a permis de confirmer que le processus du développement local nécessite, comme avancé par les fonctionnalistes, que le secteur public, le secteur privé et la Société Civile agissent en synergie à partir d'une vision à long terme de développement. La désarticulation du mode de construire ensemble entraine la désintégration des forces et des actions sur le territoire. Les conclusions sur la situation de la Commune de Croix-de-Bouquets en reste un exemple patent.

É La mise en évidence de la précarité de la décentralisation en Haïti.

Contrairement à une idée courante selon laquelle le pays a fait des avancées considérables dans le domaine de la décentralisation, cette recherche a le mérite de démontrer que la décentralisation haïtienne est encore très fragile et que les démons du centralisme hantent encore ce processus de décentralisation dont la grande dépendance internationale accroit la vulnérabilité.

A ce tournant, il importe de signaler les faiblesses méthodologiques et théoriques que recèle la recherche. Tout d'abord, il faut mentionner le caractère non extrapolable des résultats. D'autres chercheurs devront approfondir les investigations entamées. En second lieu, on mentionnera l'absence de représentation des acteurs tels que les Maires, les Casecs, les techniciens des institutions locales et déconcentrés dont la consultation aurait probablement modifié les conclusions de la recherche.

Toutefois, cette recherche ne manquera pas de fournir des pistes pour le moins fiables à d'autres chercheurs engagés dans le même domaine ou préoccupés par des problématiques similaires. Comme réflexions sur les retombées pratiques de cette recherche, on mentionnera : (i) qu'il y a lieu de mener une réflexion plus en profondeur sur la Constitution de 1987 par rapport au cadre de la décentralisation en générale, et par rapport au statut des CT, du mode de désignation des autorités locales en particulier, et de leur pouvoir à exercer effectivement les compétences octroyées sans être à la merci d'autres autorités mieux loties. (ii) la mise en place des structures et mécanismes d'autonomisation des citoyen (ne)s afin de pallier au maximum à leur déficit de capacités. Ainsi, on facilitera la démarginalisation de leur participation, leur responsabilisation dans le système de la gouvernance de leur territoire. Tout ceci aurait pour vertu de permettre une appropriation locale du processus de développement.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore