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Le pouvoir de la population sur son environnement! Cas du Plateau de Millevaches

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par Julien Dupoux
Université Paris Sorbonne IV - Master 2 2012
  

Disponible en mode multipage

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Le pouvoir de la population

sur son environnement

Cas du Plateau de Millevaches

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Sommaire

Introduction p.7

I) Les marqueurs spatiaux du pouvoir p.21

1. Le territoire abordé ... p.21

2. L'environnement : indicateur des pouvoirs p.27

II) Relations et formes de pouvoir des acteurs locaux p.59

1. L'approche de la population p.59

2. Les acteurs : relations, perceptions du pouvoir et actions sur

l'environnement p.65

3. Différents leviers de pouvoir de la population sur le Plateau de

Millevaches p.83

III) Au-delà du Plateau, des leviers de pouvoir en débat p.99

1. D'autres delà. Des comparaisons avec le Plateau de Millevaches sur le

pouvoir des habitants p.99

2. Le pouvoir comme question d'organisation de la démocratie et question

d'échelle p.106

3. Débats sur le pouvoir des habitants p.111

Conclusion . p.125

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« La grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se connaît misérable. »

Pascal, Pensées, III.1.255

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Introduction

Tout finit dans l'âtre du salon. Les verbes au feu et les pensées en cendres ne dégagent qu'un cône de fumée qui fendra la neige, annonçant au voyageur une maison encore habitée, un hiver de froid combattu. Quelle valeur que d'avoir beaucoup de choses à dire, ces choses-ci ou d'autres : mieux vaut que l'estimable résultat ne soit qu'une lanterne fatiguée parcouru des salves du vent.

Avant le départ, j'envisageai un voyage en Equateur pour parler de mon sujet. On cherche pour vivre, davantage que le contraire. Alors qu'importera l'idée rapportée au creux des mains. Je savais ce que je trouverai là-bas, la force ou la faiblesse déjà aperçue, la volonté entrevue de la population d'être son maître. On se figure quelque aventure à raconter ; cela ne l'ai-je pas déjà fait ? Il n'est pas si simple de tomber dans l'émerveillement du voyage, de lui consacrer sa passion ou sa lucidité, pas si simple de vivre. Et l'envie, ma reine, m'a porté au pied de chez moi, je veux dire de ma région natale : c'était facilité et c'était, aussi, une certaine pré-connaissance, des interrogations qui me passaient par les oreilles quand je me reposais en Creuse et que j'avais envie de rencontrer. Bonjour, très cher doute, comment allez-vous ?

C'est donc plein d'erreurs que j'avancerai dans mes recherches puisque j'ai déjà parcouru la région. Mes yeux ne voient certainement pas ce qui choquerait l'observateur extérieur, ils ne possèdent pas la simplicité nécessaire pour aborder les faits les plus évidents. Ce qui me pousse à choisir le plateau de Millevaches comme lieu d'études est aussi ce que je dois oublier. Que je trouve où je vais mon propre visage, cela semble pourtant inexorable. Il ne faut pas chercher mais vivre pour devenir enfin un autre que soi. Si j'aime et si je suis ce qui m'entoure, je n'ai plus besoin de ma blessante identité.

Alors l'envie, c'est certainement la réputation anarchiste du Plateau, c'est l'écho d'originalité du plateau qui me pousse vers lui, la pensée que je puisse trouver des initiatives à raconter, et qu'à partir de ces initiatives, je puisse souffler la notion de pouvoir, la faire exploser comme un atome qui livre ses quarks. Et c'est plein de mon attachement au courant altermondialiste que je m'y rends : la subjectivité est déjà dans le choix du sujet. Et je ne peux que faire l'erreur de lire les discours et les faits en rapport avec mes positions. Puisque, d'une certaine façon, c'est elle j'interroge par ma recherche.

Mais un autre constat me pousse là-bas : celui de la présence étouffante des bois de « sapins » : c'est déjà un paradoxe pour mon étude et mieux m'aurait valu traverser l'océan pour éviter une contradiction. Car comment peut-on trouver du pouvoir à la population, quelle

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influence lui trouver sur son environnement quand la première piste écologique ne révèle qu'un paysage à la santé déclinante ? Mais ces résineux m'ont aussi poussé sur le plateau de Millevaches parce que je n'aimerais pas les voir autour de chez moi, envahir les Combrailles comme ils envahissent le sud creusois et la haute Corrèze. Le conifère est un arbre planté de force, une intrusion humaine sous perfusion dont la culture intensive laisse amer autant l'homme qui contemple l'horizon que le sol sur lequel il repose.

Je n'ai donc, au final, pas choisi un terrain où le contexte dénote le pouvoir des habitants. La profondeur de la démocratie voudrait que ce soit eux qui décident. Voici tout mon souci. Quels sont les leviers de pouvoir de la population sur son environnement ?

C'est donc sur ces formes de pouvoir qui peuvent venir de la population locale que j'entends me concentrer. Vanité de la recherche... ou vanité de l'homme qui veut trop croire qu'il peut. Et que cette croyance pourra égaler en pouvoir l'argent ou la hiérarchie : c'est le même élan, certainement.

Le sujet

Pouvoir et Environnement sont des notions bien vagues et peuvent être définies de diverses manières. Ce vague, je ne veux pourtant pas le perdre car ce sont ses formes que je veux approcher, distinguer. Je ne veux pas le perdre car j'aurai l'impression d'être un ouvrier spécialisé, à la chaîne, à qui l'on ne demande qu'une seule tâche et qui perd l'image et les objectifs de sa réalisation. Néanmoins, il faut mieux s'entendre directement sur les termes et la compréhension que j'en aurai orientera inévitablement l'étude. Je voudrais les comprendre comme les gens les comprennent et comprendre comment ils les comprennent.

C'est aussi, généralement, ce que les dictionnaires essaient de faire, à ceci près qu'ils résument au lieu de décomposer. J'ai choisi deux dictionnaires de géographie pour présenter les acceptations d'Environnement puis de Pouvoir.

De l'environnement, il nous est dit que le terme « est appliqué aujourd'hui à l'observation des effets des activités humaines de tous ordres sur leur entourage par un renversement de l'application du terme, qui dans les sciences de la nature procède de l'étude de l'action du milieu. » [Georges & Verger, 2000] et, dans l'autre dictionnaire [Lévy & Lussault, 2003] qu'il s'agit de « l'ensemble des réalités extérieures à un système [...] conditionnant son existence et interagissant avec lui. Spécialement, les réalités biophysiques comme environnement des sociétés. », il cite aussi Paul Vidal de la Blache qui stipulait que « l'environnement est moins ce qui entoure que ce qui inclut », « ce qui entoure » étant la définition répandue des Larousse et Robert. Si j'ai choisi ce terme d'environnement, c'est

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parce qu'on le relie principalement à la nature et qu'il permet d'étudier davantage que les effets (comme le dit la première définition) mais étudie aussi les interactions de l'être humain avec la nature. L'être humain étant une composante de la nature, les autres êtres humains étant des éléments de l'entourage naturel d'un être humain, il est également question des relations entre les sapiens sapiens. Le paysage dans lequel l'Homme évolue, le paysage utilisé comme ressource pour soi mais aussi comme média pour parler aux autres, c'est-à-dire l'occupation du sol, par la verdure, le bâti, par la présence, l'occupation de l'espace par la culture font partie de l'environnement. Quand on parle de l'environnement d'une population, on peut aussi comprendre « territoire », sauf qu'il ne s'agit pas de partir de limites territoriales pour regarder comment bouillonne l'humanité à l'intérieur mais de regarder l'espace d'ébullition de cette population, et puisqu'il faut partir d'elle, pour parler de son espace, il me semble plus juste d'employer le terme d' « Environnement ». D'autant plus que je tiens à la connotation écologique dont il est très souvent teinté, au-delà de la définition littérale.

Quant au pouvoir, l'objet de l'étude est d'en extraire certaines composantes et canaliser trop tôt la définition serait trop vite conclure. Les premières précisions, ne feront donc que traduire les hypothèses avec lesquelles je pars.

Littéralement (et selon le Larousse), le pouvoir est « la capacité de faire », le dictionnaire géographique [Lévy & Lussault, 2003] précise : « la capacité à agir sur une situation de manière à en modifier le contenu ou le devenir », un « type de rapport de quelqu'un (ou d'un groupe) à quelqu'un d'autre par la médiation d'une force ou d'une mainmise sur les choses. ».

Je pars surtout des définitions littérales. En ce qui concerne le pouvoir, ce sont les manifestations de cette capacité à agir que je veux préciser. Et pour mon étude, le rapport ne sera pas uniquement d'un groupe à un autre groupe mais à tout ce qui entoure le premier groupe, pas seulement les hommes (ou groupes d'hommes) mais aussi ce qui se passe entre les hommes. Car on peut agir sur les liens entre les hommes.

J'ai donc préjugé du constat que l'environnement physique était noyé de résineux et ne reflétait pas forcément la mainmise de la population locale, ni son souhait, si l'on ajoute à ça que le pouvoir est souvent compris comme l'autorité exercée du fait des institutions, de la voie hiérarchique, comment donc peut se manifester la volonté « des habitants d'un territoire défini par des limites administratives ou politique ou géographique 1» ?

1 Définition de « population » [George & Verger, 2000]

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Parce que j'ai déjà traversé le plateau de Millevaches, j'ai supposé que le pouvoir de la population, la revendication « démocratique » pouvait aussi passer par la culture, que la culture était un moyen, trouvé par la population, d'impacter son environnement. En tout cas, cela va obliger à présenter des formes de pouvoir qui seraient autre chose que la domination ou la conquête physique du terrain, à penser différemment le pouvoir.

« En géographie, le mot « pouvoir » a longtemps été tenu à l'écart au titre du rejet du politique » et « les géographes ont eu du mal à penser la notion de pouvoir car ils entretenaient avec les pouvoirs institués une relation de sujétion qui les a conduits, sans parfois qu'ils en aient conscience, à garder le silence » relate encore le dictionnaire [Lévy & Lussault, 2003]. L'espace est pourtant la division de parcelles où l'on aime à planter son drapeau, tel Armstrong sur le satellite, c'est un moyen de peser sur l'organisation d'une société par l'agencement de l'environnement et c'est ainsi que Paul Claval peut introduire la notion de pouvoir dans Espace et pouvoir [Claval, 1978]. Déjà, il parlait de l'écologie comme politique comprenant la traduction d'inégalités sociales par la pollution de l'environnement. L'axe géographique, puisqu'il s'intéresse aux lieux, relie facilement l'étude du pouvoir à l'environnement. C'est parce que le besoin des rapports humains est patent que ce concept d'environnement, en géographie sociale, ne peut être étudié comme une somme de composantes naturelles et que l'on peut s'appuyer sur le holisme1, en écologie, pour interroger les pratiques du pouvoir [Atkison,1991]. L'homme n'est plus le centre ni le sommet de la pyramide, il est en interdépendance avec la nature. La remise en cause de la hiérarchie interspécifique en remet en cause une autre : la hiérarchie intraspécifique, construite entre les hommes. Si c'est la démocratie que l'on cherche, on peut alors, à l'image du sociologue Pierre Bourdieu, condamner la reproduction de la domination par la hiérarchie, domination qui peut aussi passer par la confiscation de la culture et de la connaissance [Bourdieu, 2002]. La sociologie ajoute à la géographie et à l'approche du pouvoir par les relations entre les hommes et leur espace, sa compréhension par les relations des hommes entre eux.

La façon dont le citoyen peut décider des lois qui vont conditionner son environnement, sa qualité de vie et l'étude des formes institutionnalisées remontent plus généralement à Aristote et on cherche encore actuellement, dans les études politiques, des moyens de rendre la démocratie plus participative, à lier plus directement le citoyen aux choix politiques, à rendre le citoyen maître [Aristote, 1971][Bacque & Sintomer, 2011].

1Holisme : concept qui veut que le tout soit davantage que la somme des parties et qui conduits généralement à donner une valeur aux systèmes naturels (à la manière d'Aldo Léopold par exemple) plutôt qu'aux individus.

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Ce n'est pas à la notion de pouvoir que j'avais d'abord donné ma priorité mais, me semble-t-il, à celle de l'environnement parce que je constatai que les décisions prises par de simples paysans sans science pouvaient être beaucoup plus pertinentes écologiquement que de grands projets étatiques, pensés à grande échelle et aliénés aux besoins économiques ou au mythe de la croissance du Produit Intérieur Brut. Il s'agissait donc pour moi de me familiariser avec l'évolution des conceptions de la Nature, les problèmes environnementaux majeurs et ceux d'aménagement du territoire. La conception des réserves naturelles n'est pas inutile à rappeler (pas seulement parce qu'il Existe un Parc Naturel Régional de Millevaches mais pour leur mode de fonctionnement). Conçues à l'origine comme des espaces de tourisme pour les plus fortunés, quitte à exclure par le déplacement les personnes vivant sur les lieux, les Parcs Naturels vont lentement faire leur mea culpa, et à l'aide de la remise en cause de la dualité Homme/Nature, s'enquérir de la conciliation des activités humaines et de la permanence d'un environnement prétendument sauvage [Arnould & Simon, 2007]. L'environnement devient une cause planétaire et si la biodiversité fait son apparition au sommet de la Terre à Rio en 1992, c'est parce que le maintien d'une saine hygiène de vie pour l'espèce humaine lui est corrélée. Les philosophes Catherine et Raphaël Larrère vont insister sur la nécessité d'une éthique de la nature, éthique qu'ils font dépendre d'un passage de l'anthropocentrisme à l'écocentrisme [Larrère, 1997]. Avec ce passage, selon eux, doit s'opérer la substitution de l'économie par l'écologie en politique environnementale. Je pense donc, et c'est peut-être ce pourquoi j'ai retenu leur ouvrage, qu'on ne situe plus dans le simple discours du développement durable. Lorsque je suis allé aux « nuits du 4 août », l'été dernier, à Peyrelevade, un atelier était organisé sur la façon dont les mots sont atténués pour masquer leur sens, on proposait de les retraduire et, de la même manière qu' « agent d'entretien » était le nouveau terme pour « balayeur », des participants ont dit que « développement durable » était celui pour « capitalisme ». Parce qu'il y a toujours cette priorité au progrès du profit monétaire. Je ne m'intéresse pas, pour ma part, à la persistance du simple progrès économique mais à celle du progrès des conditions de vie. Les buts et principes dudit « développement durable » seront ainsi critiqués dans un article de la revue Débats [Le Goff, 2009].

L'histoire des parcs et réserves, quant à elle, semble s'être arrêtée non pas à la conciliation des activités humaines avec la sauvegarde de la biodiversité mais à celle des profits générés par ces activités avec la permanence d'une nature idéalisée, touristique et alors patrimonialisée. Ce qui engendre la possibilité d'oublier que la nature est un fait culturel [Berque, 1995] et que son érection en symbole n'est pas indépendante des stratégies et volontés de pouvoir. Certes, on voit cependant se développer, dans certains espaces protégés,

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le souci de faire participer la population, que celle-ci puisse s'approprier l'environnement et ce sera l'un de mes points d'études, mais les fonctionnements institutionnels de moult réserves (comme ceux des Etats d'ailleurs) ne font pas apparaître la population comme un organe directement décisionnel.

Les questions d'aménagement du territoire vont cependant soulever certains conflits, et à travers eux, certaines attentes de la population, certaines conceptions du pouvoir en matière d'environnement. Des grands travaux routiers, de la pose du réseau téléphonique, électrique, des circuits de gaz, d'eau courante, à l'établissement de barrages, de lignes à grandes vitesse, le développement du territoire a connu, après la deuxième guerre mondiale, une recrudescence des projets d'aménagement frappés du sceau de l'intérêt général. Intérêt général, semble-t-il, de plus en plus discuté et critiqué, notamment par de nombreuses associations environnementales (c'est le cas du projet d'aéroport à Notre-Dame des Landes aujourd'hui), d'autant plus critiqué que, localement, le mot intérêt est souvent un non-sens, quand il ne l'est pas, de surcroît, à échelle plus large. La prise en compte de la voix locale devient donc une obligation. Et nombre d'études (géographiques en particulier) de s'attacher à ce dialogue entre aménageurs et aménagés. On cherche la force décisionnelle des habitants dans le consensus, la concertation [Mermet & Berlan-Darqué, 2009] mais c'est encore, à mon sens, une peur de certains auteurs d'entrer dans la démocratie et reconnaître une légitimité à un projet d'aménagement qu'on cherche, de toute façon, à réaliser, et dont les arguments principaux sont des retombées économiques. Retombées qui ne riment pas particulièrement avec qualité de vie de la population concernée, surtout lorsqu'elles ne la concernent pas. Un ouvrage comme Ecotourisme et gouvernance participative [Lequin M, 2001] s'avère beaucoup plus critique quand au potentiel démocratique des concertations et autres consensus et nous montre que le pouvoir potentiel de la population n'est pas forcément à lire autour d'une table lors d'un projet d'aménagement.

Si je cite ces études autour de tels projets, c'est qu'elles sont nombreuses et qu'elles constituent souvent l'ossature des rencontres entre Pouvoir et Environnement, l'émergence de tensions à propos de ce qu'il faut faire d'un espace. Mais, il n'y pas à proprement parler de projet d'aménagement en cours sur mon lieu d'étude et ce ne sont pas les débats autour d'un projet que je compte autopsier. Ces débats, qui existent ailleurs, pourront simplement me servir d'outils de comparaison avec mon cas : le plateau de Millevaches. Comment une institution donne un droit de décision à la population sur la constitution de son environnement m'intéresse moins que les façons par lesquelles, au quotidien, les habitants pourraient revendiquer le choix de leur environnement.

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Cela m'amène, magnétiquement, à considérer l'environnement comme un espace vécu. Les travaux de l'école de Berkeley et de Carl Sauer, refusant le déterminisme géographique, considéraient déjà un espace (espace souvent urbain par ailleurs) comme un lieu de vie et d'interactions. Les activités culturelles sont alors reconnues comme ayant une influence sur le paysage, l'organisation de l'espace. Ceci amène Carl Sauer à réfléchir à l'éthique de cette « mise en valeur » de l'espace sociétal [Sauer, 1956] et à une réflexion politique et culturelle de l'écologie. Avec l'apport d'une dimension psychologique, Armand Frémont va formaliser la région comme espace vécu [Frémont, 1999] ainsi que ruraliser les jeux d'acteurs et l'influence des échanges culturels. La combinaison régionale est pour lui un ensemble (écologie-économie-population-paysage) et il sera davantage question d'étudier les relations entre les composantes de l'espace plutôt que les composantes elles-mêmes. Si on conçoit l'espace comme vécu, on s'occupe alors de la manière dont les hommes évoluent dans cet espace, la manière dont ils l'intériorisent, le perçoivent, la manière dont ils font « leur » un environnement. Cette appropriation sensitive des hommes est aussi le sujet d'étude d'Yves Lüginbuhl chez lequel on peut dénoter le souci que l'agencement du paysage soit affaire de démocratie locale puisque les impacts environnementaux concerneront directement la population locale [Lüginbuhl, 1981]. Armand Frémont présentera aussi les révolutions sociales comme évènements permettant de rendre l'espace vécu.

Chez ce dernier, le monde sera abordé par sphères de connaissance : le départ de l'étude est l'habitant. Si ce ne peut être tout à fait celui de ma recherche, puisque nous commençons, quoiqu'on veuille, de notre point de vue extérieur et subjectif, avec d'emblée quelques préjugés, l'habitant est toutefois le départ de la réflexion de l'espace. Ce dernier étant compris comme « les zones d'impact d'une population ».

Evidemment, cette connaissance du monde se tisse à diverses échelles. Frémont avance que la région, espace « intermédiaire entre les lieux de l'immédiate quotidienneté et les territoires les plus lointains » est l'espace le plus intériorisé des hommes. Et le pouvoir qu'aurait la population pourrait se diffuser au travers de ces diverses échelles. Il me semble que mon échelle d'étude, le plateau de Millevaches, soit inférieure à la région de Frémont qui est organisée par le maillage des grandes villes. Il m'aurait fallu davantage étudier les déplacements vers les préfectures, vers Limoges, inclure ce maillage dans mon champ d'études pour obtenir cet espace vécu. Pour obtenir davantage de précisions sur les déclinaisons, par la population, du Pouvoir, pour pouvoir sillonner raisonnablement le terrain pendant deux à trois mois et l'aborder de façon plus complète, il me fallait concentrer sur une zone moins étendue. D'autant moins étendue que les notions que j'ai choisi d'aborder :

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l'environnement et le pouvoir, sont suffisamment vastes pour ne pas ajouter à leurs déclinaisons de trop grandes disparités intra-régionale.

Il n'empêche que le plateau de Millevaches ne se pense pas comme rattaché à des grandes villes mais comme une entité parsemée de villages, comme un centre qui ne serait pas un point mais un plan, comme un tout sans capitale, bien qu'entouré de petites villes. Ce fait n'est pas mon seul point de vue (ou celui d'habitants qui voudraient rejeter la ville), il est également souligné par Agnès Bonnaud dans sa thèse [Bonnaud, 1998]. Pour moi, il peut donc tout à fait être un espace vécu au sens d'Armand Frémont.

Sur le plateau de Millevaches (si l'on consulte le catalogue SUDOC), on trouve surtout des thèses de géographie physique qui étudient la composition du sol et du sous-sol, le granit, mais aussi quelques études, assez récentes, qui s'occupent de problème sociétaux, notamment à travers la place de la forêt dans le paysage. Parfois le penchant et le souci se tourne davantage vers le développement économique (dans Forêt et société de la montagne limousine [Beynel, 1998]) et la forêt est surtout considérée comme ressource, parfois cet espace boisé est davantage compris comme un lieu de vie que la logique industrielle peut défigurer (Le paysage, vecteur d'hybridation économique et culturelle d'un territoire [Terracol, 2009]) ou comme espace perçu différemment selon les populations -extérieures et locales, entre autres- (Perception et appréciation de l'espace forestier Le cas du plateau de Millevaches [Nasr, 2005]). Bien qu'elles se concentrent énormément sur la forêt, ces études sont les principaux travaux universitaires sur lesquels j'ai pu m'appuyer, et dont j'ai pu me servir pour compléter mes investigations.

Le plateau de Millevaches est pourtant loin d'être sous-étudié puisque les associations présentes reçoivent souvent du monde, journalistes, étudiants ou laboratoires universitaires1. Mais les résultats de ces études ne font pas forcément l'objet d'un référencement ou d'une publication accessible. Si les thèses que j'ai citées étaient bien référencées, certaines pouvaient se consulter uniquement sur place (l'une d'elles m'a été envoyée par l'auteur par la poste), ce qui, à mon sens, et quand on veut parler de pouvoir et de démocratie, représente une certaine confiscation des travaux scientifiques et pose le problème de leur accès... et de leur utilité ? On peut espérer que le développement du numérique puisse y répondre en partie.

Les journaux et autres médias locaux constitueront néanmoins de bonnes sources d'informations qui, elles aussi, pourront compléter le travail d'enquête et fournir des points de

1 Par exemple par le GEOLAB de Limoges, voir article (pp. 12-13) sur IPNS n°37 en annexe 1. Et la page 14 par-dessus le marché n'est pas du luxe !

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vue qui dépasseront le cadre forestier. Agnès Bonnaud les citera par exemple comme source de première main dans sa méthodologie.

Méthodologie et plan

Sur Millevaches, les chercheuses qui décrivent le plus leur méthodologie sont Agnès Bonnaud et Tania Nasr. Toutes deux proposent des études qualitatives parce que leur sujet s'y prête mais aussi par goût personnel et ce sera aussi mon approche. Elles ne croient pas à la possibilité de chiffrer les résultats de leurs rencontres ni à la pertinence de statistiques obtenues et prétendument objectives. Les conclusions codifiées d'une étude locale sur la gentrification par le Geolab de Limoges ont été critiquées en ce sens dans le journal local1. En particulier, parce que les sondés étaient sélectionnés et que cette sélection aurait dû apparaître comme une limite au regard de laquelle l'étude aurait pu se tourner. Selon le journal, les présupposés de l'étude, et donc le côté subjectif de l'approche, avaient été éludés. Je tâcherai d'afficher toute la partialité de mon jugement et toutes les limites de mon approche.

Agnès Bonnaud avait procédé par entretiens semi-directifs, et Tania Nasr par entretiens, ou plutôt par rencontres, non directives, sans afficher son but et laissant les gens parler. En ce qui concerne l'approche de la population, même si celle de Tania Nasr me plaît, j'ai prévu d'avance une série de questions à aborder avec chaque personne rencontrée mais sans m'obliger à ranger les propos recueillis dans une grille directive. Plutôt que de construire un échantillon représentatif de la population, j'essaie d'obtenir des discours variés, pouvant provenir d'un panel différencié d'habitants (élus, membres associatifs, retraités, chasseurs, pêcheurs, agriculteurs,...) et d'analyser les messages obtenus. Evidemment, il y a des personnes qui sont plus faciles à rencontrer que d'autres (les membres associatifs par exemple) ne serait-ce que parce qu'ils sont installés dans un local tandis qu'un agriculteur, par exemple, sera souvent aux champs. Si j'avais du faire un sondage (ou un questionnaire représentatif), il est probable que j'aurais eu toutes les difficultés à obtenir en un ou deux mois un échantillon significatif et représentatif de la population locale. Sans parler que ne vous répondent les seuls individus qui le désirent et que certains sont plus loquaces que d'autres. Et que les propos qui vous font le plus réfléchir, qui peuvent faire sauter un peu votre étude, la faire dévier, l'enrichir, ne se rangent pas forcément dans une grille et ne se résument pas. Il est même possible que je ne sache comment les utiliser dans l'étude et que j'omette de les

1 IPNS n°37, p. 14. (annexe 1) A lire sans détours.

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présenter ! Après tout, si la recherche ne peut se passer de la vie, le vécu peut se passer de la recherche...

De plus, je peux déjà m'appuyer sur nombre de données statistiques, présentes via le référencement (de l'INSEE) ou obtenues dans certains ouvrages (par exemple par la consultation de cadastres), dans celui de Christian Beynel en particulier. Bien que certaines données puissent dater de dix ans (ce qui est encore raisonnablement jeune), je préfère les utiliser et me concentrer ensuite sur mes propres observations et entretiens plutôt que de chercher à les réactualiser ou à les compléter par certains détails. Les statistiques de l'INSEE fournissent un abordage complet de la population qui me permettra certainement de la mieux caractériser que si je voulais fabriquer mon propre catalogue. Il me semble que les données chiffrées sont suffisamment présentes sans que j'aie besoin de vouloir construire les miennes à tout prix.

Les personnes rencontrées relèveront à la fois de la sélection et du hasard. La sélection pour m'assurer d'avoir des personnes de plusieurs horizons, d'associations me semblant s'enquérir de l'expression locale (parce que j'ai supposé que l'action culturelle n'était pas neutre quant au pouvoir) , et le hasard pour me permettre d'être surpris et de recueillir la parole de n'importe quel habitant croisé. S'il y a une grande utilité à avoir prévu cela ? Je ne sais pas. D'ailleurs, je m'évertuerai à mettre à mal la prévision autant que possible, en frappant aux portes (y compris d'associations) sans spécialement de rendez-vous mais parce que cela se présente en parcourant le territoire. Il se trouve que je passe par là, voyez-vous, je me suis arrêté pour vous dire bonjour. Cela peut autant laisser les personnes sans grand-chose à vous dire que leur permettre de s'exprimer sans se sentir le besoin d'une préparation à l'entretien ou d'un calcul. Battre la campagne et s'arrêter devant un étang pour casser la croûte, c'est probablement toute la base scientifique de mes propres recherches. Je pense que la méthodologie ne se construit pas spécialement dans la planification de son programme mais surtout dans l'organisation des observations, dans les projections que l'on peut tirer de certaines observations. La méthode d'Andrew Wiles pour résoudre le théorème de Fermat ne semble avoir été que l'acharnement. S'il est un protocole qui serait soi-disant la marque de la science avec ses piliers : hypothèse, expérience, conclusion, il est davantage dans la construction mentale du discours rendu, dans l'organisation de sa pensée que dans la manière de trouver des résultats. Je me garde donc bien de croire complètement à ma méthodologie. Elle est aussi la norme que la science attend.

Dans la mesure du possible, j'essaierai de joindre le regard de la population, des personnes interrogées sur mon propre discours à ce dernier. D'une part parce que mon étude

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s'adresse à elles et que si mon souci est celui que la population puisse décider de son environnement, je me dois de relater mon activité, de ne pas simplement repartir avec mon paquet sous le bras comme si les interrogés vivaient dans un zoo d'étude, d'autre part parce que cette réflexivité peut corriger ou compléter mes propos, ou leur apporter une approche plus sensible. Bien sûr, on peut continuer longtemps dans la réflexivité avec à nouveau mon regard sur leur propos et cætera et dans le rendu d'un écrit, la réflexivité aura une limite temporelle. Elle aura aussi celui du bon-vouloir des personnes à vouloir faire des commentaires. Je n'aurai donc pas tout le monde pour commenter, ni certainement le temps de chercher suffisamment de monde, puisque cela aura nécessité que je développe d'abord un discours (donc que j'aie vu au préalable beaucoup de personnes) pour pouvoir le présenter.

Il y a aussi une réflexivité induite qui se tisse entre moi et les personnes que je rencontre du simple fait de ma présence, parce que je dis quel est le sujet de mon étude, et que je croise les personnes plusieurs fois. Mon comportement comme le leur se trouve modifié par nos rencontres, mes questions comme leurs réponses, et leurs questions comme mes réponses. Puisque quand on me demande « où j'en suis », j'essaie de parler de mon plan. Dans le discours que je veux donner de la population, il y a aussi, sous une forme implicite ma propre voix, et peut-être déjà mes propres préjugés.

De plus, j'utilise le discours des médias locaux et je suis potentiellement orienté par eux, ils sont une source de données, une source d'influence, d'autant que je peux les apprécier et qu'eux aussi intègrent mon étude dans leur discours1. Cela peut rendre mes propos autant intérieur qu'extérieur au terrain, c'est non seulement l'environnement que la population vit, mais l'environnement que je vis et que je change potentiellement à mes propres yeux du fait de mon regard sur lui. La catégorisation de la méthode n'en est que plus difficile. Mais c'est parce que j'ai choisi l'erreur de me départir de l'appréhension objective plutôt que celle de me départir de l'appréhension subjective. Ou bien je n'ai pas su trouver le beurre et l'argent du beurre sur la même table. Ce qui arrive pourtant puisqu'il nous faut être raisonnables et exiger l'impossible. Dans ce cas la possession, du beurre comme de son argent, devient bien désuète...

Si j'ai pu citer, comme sources d'informations les personnes et les écrits (locaux en particulier), c'est-à-dire ce qui relève plus ou moins de la parole, du message, et s'ils forment probablement le coeur de mon étude, je ne me concentrerai pas uniquement sur leur décryptage. Les réalisations humaines, ou ce qui peut-être compris comme le résultat des

1 Ainsi j'ai pu présenter mes études et proposer un article dans IPNS. Je fais momentanément partie de mon sujet d'étude.

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actions, tout ce qui peut aussi servir à mesurer une sorte de pouvoir local, sera intégré dans mes sources. Cela sera surtout le résultat de l'observation des lieux et de la vie dans les lieux. Le paysage, par sa lecture, fournit des informations, il donne des indications sur certaines moeurs, une certaine façon de vivre, une façon dont les hommes se le sont (ou non) approprié. Cette lecture peut se faire dans la globalité comme dans les détails, dans le résultat de la composition générale du paysage : la sensation d'un environnement, ou bien dans certains indices trouvés chacun à part et qui permettent de déduire certaines formes de pouvoir.

L'immersion dans l'environnement, son parcours est souvent le premier moyen dont le visiteur appréhende le lieu (et c'est pour cela que je choisirai de commencer mon propos par ce parcours), c'est lui qui m'a fourni mes premières impressions du plateau de Millevaches, bien avant que je rencontre les habitants. Ayant souvent traversé les lieux et les connaissant avant que de vouloir faire ressortir d'eux une démonstration particulière, il est fort possible que je perde de vue ce qui fait leur originalité, les particularités qu'on pourrait trouver sur le Plateau, et lorsque je m'attache à certains détails, que je retienne surtout ceux qui tranchent avec le reste de la région (au sens large : la Creuse, la Corrèze, le Massif Central). Je m'attacherai à certains points de cassure dans le paysage, à certains éléments qui changent la statique, ou pourrait-on dire : à certains éléments dynamiques. Parce qu'ils me surprennent et parce qu'ils sont la note de certaines actions, la marque d'une culture, ils sont une modernité.

Je complèterai ma propre appréhension, mes propres préjugés par ceux d'autres personnes qui n'auraient pas forcément l'envie d'écrire un mémoire sur le Plateau de Millevaches et qui voient potentiellement les lieux d'un oeil différent. Mais que je ne me mente pas trop : c'est bien de ma petite envie que je vais partir, c'est elle que je vais retenir en priorité, piètre vision individualiste, vision tempérée par le fait que l'individu se dissout toujours dans son environnement et qu'il n'est probablement plus à chercher sur sa peau.

Si des chemins empruntés au hasard me feront bien sûr traverser des lieux, mes trajets relèveront surtout de l'utilisation des cartes IGN, ne serait-ce que pour repérer les hameaux, les tourbières, les sommets. La signalisation me poussera aussi dans certaines directions plutôt que dans d'autres (parce qu'une ferme est mentionnée sur un panneau, une chapelle, un point de vue...) : ce dernier chemin pris (contrairement au pointage sur carte) est déjà dépendant d'un discours qu'on veut servir par panneaux (à l'habitant, au touriste) et donc d'une appropriation de l'espace. Tout comme les sentiers de randonnées, balisés, que j'ai empruntés (avant et pendant l'étude) reflètent déjà une orientation. Le choix d'une destination d'après la carte IGN peut donc être soumise à davantage de hasard que la libre promenade (dont la curiosité se trouve potentiellement guidée) et la complète de manière nécessaire. Moins cadré

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(par les explications d'un prospectus, par exemple), je suis davantage porté à faire attention à ce qui m'intrigue qu'à ce que j'attends. Et il n'est pas si simple de se départir d'une valorisation de l'environnement mise en place ou par les habitants, ou par des admirateurs (ou dépréciateurs d'ailleurs) extérieurs.

Je me déplacerai aussi de trois façons différentes : à pied, en vélo, en voiture. Et selon le mode de transport choisi, le regard sur l'environnement n'est pas forcément le même, l'échelle sensible n'est pas la même. Le vécu est différent.

Comme je l'ai signalé, la progression (vécue) de l'étude commence d'abord par l'appréhension de l'environnement. C'est donc ainsi que je débuterai mon plan. Une description des lieux, mais relative à la recherche de modes de pouvoir, me semble aussi préférable pour comprendre la suite du discours. Car certains propos sont relatifs à l'environnement actuel et se comprennent mieux, à mon sens, si on a déjà une idée du territoire dans lequel on évolue. J'ai dit plus haut que le pouvoir de la population partait des personnes, que c'était elles qui appréhendaient l'environnement, leur vision qui en formait les limites ; une logique aurait très bien pu me conduire à présenter d'abord leurs discours pour ensuite me porter sur sa matérialisation. Mais j'ai choisi la logique avec laquelle j'aborde moi-même l'environnement du Plateau. Parce que les dérivations du pouvoir (perçu et vécu) sont mon objectif, il me paraît, dans le déroulement de mes propos, plus indiqué de terminer avec elles. Certes, l'ordre basique lieux-acteurs-concepts de mon plan est un peu rétrograde, surtout pour qui n'est pas un grand partisan de la norme ni ne reconnaît son existence, mais je gage que l'originalité peut se trouver parfois dans l'utilisation du classique. En tout cas, cet ordre me paraît un cheminement assez ordonné et permet de présenter les éléments du dossier de manière lisible pour la compréhension.

La première partie sera donc consacrée aux marqueurs spatiaux du pouvoir, celui qui pourrait consister en une force de domination sur la population et celui qui relève d'une action de la population. Il n'est pas inutile d'introduire un pouvoir sur l'environnement qui serait extérieur à la population pour comprendre celui qui vient des habitants. Cette première partie peut donc constituer une explicitation de la notion d'environnement, en explorer (par le biais des marqueurs spatiaux) les divers volets : paysage, nature, patrimoine, culture.

En regard, la seconde partie s'attachera, quant à elle, à décliner la notion de « pouvoir de la population ». Elle sera composée des caractéristiques des différents acteurs parmi la population, de leurs relations, de leur perception du pouvoir et de leurs formes d'actions.

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Dans la dernière, je replacerai mon étude par rapport à d'autres cas et par rapport à certains écrits sur le sujet (dont plusieurs ont été déjà cités). Cela pour poser d'autres limites à mon cas d'études et aux leviers de pouvoir que j'aurais pu présenter dans un contexte particulier. Ce sera aussi pour moi l'occasion de placer ma position parmi d'autres pour trouver une conclusion à cette étude.

Deux-mois et demi. De fin février à fin avril deux mille douze: c'est la période où je serai sur les lieux. Ce n'est pas tout à fait innocent. Outre le dernier immobilisme de l'hiver, le réveil des bourgeons avec celui de la couleur sur les joues des jeunes filles, des jeux de tous ordres qui se cherchent, c'est surtout une période de faible tourisme. Ou plutôt d'un retour estival qui ne s'est pas encore accompli. Le tourisme n'est pas une grande industrie ici. Mais je pense éviter les quelques perturbations qui lui sont dues. J'évite d'être davantage considéré comme touriste que je ne peux l'être dans mon département d'enfance.

L'espace sera celui de ceux qui restent toute l'année. Ou celui de ceux qui ne sont plus là. Les deux seront visibles : je parle au premier et le second me répond. Et on peut encore dire, que par la manipulation dont l'auteur peut user, je vais d'abord faire répondre le second, l'espace de ceux qui ne sont plus (là) pour écrire l'écho des voix qui m'ont parlé, et parmi ces voix, la mienne, quelque part, perdu dans le flou des autres et dont cette perte n'est qu'une fierté. De plus et toujours de trop.

Dans le drap blanc qu'étale la neige sur le paysage, on aimerait effacer ses empreintes et marcher toujours sans chemin. Ne rien voir, aucune indication, surtout ne pas être coupable d'avoir attenté à la beauté, cette harmonie des cristaux, comme on serait coupable de ne pas savoir répondre à regard intriguant. Et pour connaître la douceur du crime, il faut marcher avant que tout ne fonde. Alors à ce rythme, pourquoi ne pas courir ? Et se couvrir pour échapper aux languissants effluves de la douceur dans lesquels se confondent rêves et insomnies, chemin et cheminant. On va vous dire ce qu'il vous reste quand vous aurez atteint et touché cet arbre qui est votre but.

Et celle que vous voulez, elle s'engage.

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I - Les marqueurs spatiaux du pouvoir

Avant de faire un tour d'observation des éléments physiques de l'environnement, je vais déjà situer les lieux étudiés et dire de quelle façon je les ai abordés. Le territoire abordé est d'abord un territoire nommé, où je peux me rendre en demandant le nom « Plateau de Millevaches » et c'est aussi un territoire que, comme d'autres, j'appréhende, un nom qui possède ses mythes vécus.

1 - Le territoire abordé

1.1 - Un territoire nommé

Si le mot « Millevaches » a une consonance bovine, l'hypothèse la plus avancée est que le terme signifierait « mille sources », de par son origine celte batz (puis vaccas) se rapportant à cette eau qui jaillit. D'autres, en invoquant Melo vacua (moins probable), le rapportent à un lieu élevé et vide. Toujours est-il que le plateau de Millevaches est actuellement très peu peuplé (moins de 10 habitants/km2) et que moult rivières y prennent leurs sources (Vienne, Vézère, Gartempe, Corrèze, Creuse, Luzège, ...) et alimentent les bassins de la Loire et de la Dordogne.

Le plateau de Millevaches n'a évidemment pas de frontières et les délimitations varient selon l'entendement des individus. Ce n'est pas un territoire administratif et ses contours sont assez flous [Bonnaud, 1998] ; il se situe néanmoins au coeur du Limousin dont c'est le lieu le plus élevé, avec une dominante en Corrèze, une partie (la plus sujette à interprétations peut-être) dans le sud de la Creuse, et une petite extension en Haute-Vienne.

Il peut être identifié, aujourd'hui, à l'entité qui a pris son nom en 2005 : le Parc Naturel Régional (PNR) de Millevaches. Il regroupe 113 communes (aujourd'hui) et dépasse légèrement, en superficie, la moitié d'un département (=0.56 fois la Creuse). C'est une délimitation large du plateau. Elle regroupe néanmoins des communes aux caractéristiques semblables : faible démographie, altitude relative, sol plutôt pauvre. C'est un espace sans grande ville. Les trois principales du PNR sont Felletin (Creuse, 1855 hab.), Eymoutiers (Haute-Vienne, 2033 hab.) et Meymac (Corrèze, 2579 hab.)1, Meymac n'étant que la 33ème ville du Limousin. Ces trois cités se situent aux abords du PNR et ne sont absolument pas centrales au Plateau.

1 Chiffres INSEE 2009

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L'entité « Plateau de Millevaches » dans la bouche des habitants correspondrait davantage au découpage de la Direction Régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement (DREAL) du Limousin (carte 4 parmi les cartes de situation), c'est-à-dire la zone plane qui passe les 800 mètres d'altitude. Mais cette dénomination orale peut s'élargir et comprendre facilement le plateau de Gentioux, voire celui de La Courtine. Une étude en cours du Parc Naturel Régional tend, quant à elle, à découper le Parc en unités territoriales vécues, plus petites (donc plus nombreuses) que celles de la DREAL.

Comment, pour ma part, je me rends compte d'arriver sur le Plateau ? La route commence à s'élever, naissent les premiers virons, et la neige donne le ton blanchi à la voie pendant l'hiver. Fin février, la présence de neige au bord des routes pouvait être un bon indicateur : c'était la limite ressentie du Plateau. Ensuite, il y a tous les marqueurs spatiaux (ceux qui seront décrits par la suite) qui confirmeront cette impression. Il y a peut-être un coeur géophysique du Plateau, entre Bugeat, Peyrelevade et évidemment la commune de Millevaches mais les déplacements des personnes, les discours, obligent à prendre en compte une zone plus large qui tient davantage aux limites du PNR.

C'est cette région que je vais considérer pour mon étude. Mais elle reste vaste, difficile à appréhender complètement pour mes trois petits mois d'investigations et j'ai donc choisi de centrer mon étude sur quelques communes témoins situées à la limite des trois départements1 et qui peuvent être identifiées comme le coeur culturel du plateau de Millevaches. Ces communes sont celles de Gentioux-Pigerolles, Faux-la-Montagne, La Villedieu, Royère-de-Vassivière en Creuse, Tarnac et Peyrelevade en Corrèze, Nedde et Rempnat en Haute-Vienne (carte 1). Nombre d'entre elles se rattacheraient physiquement davantage au plateau de Gentioux qu'au plateau de Millevaches. Quand je demandais à des habitants de Gentioux ou de Rempnat s'ils se trouvaient sur le Plateau de Millevaches, ils répondaient « pas vraiment ». Le plateau de Millevaches, c'était plus haut, là où le maraîchage devient difficile. Mais je n'ai pas constaté d'existence orale au plateau de Gentioux, seulement au « Plateau » tout court qui sans l'adjonction de « Millevaches » peut permettre une identité plus large et, peut-être, plus culturelle que physique.

J'ai choisi ces communes pour leur activité associative reconnue. Faux-la-Montagne, en particulier est le siège de plusieurs mouvements alternatifs à la société de consommation. Un homme à Royère, m'a néanmoins dit que tout avait commencé sur cette dernière commune avant de se déplacer vers le sud : Faux, Gentioux ou Peyrelevade. « Tout » cela

1 Et aussi à la croisée des anciens parlers : auvergnats, bas-limousin, haut-limousin [Boudy, Caunet, Vignaud, 2009] p.18.

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signifie le dynamisme, des groupes de personnes avec la volonté pratique de sortir de la société de consommation. Ce pouvait être des soixante-huitards, mais pas seulement. Il y a donc une dénomination « Plateau » qui tient compte de la population, de son activité culturelle.

Mais que je ne me mente pas, j'ai surtout choisi ces communes parce que je les ai déjà traversées, ne serait-ce que pour me rendre chez mon oncle, parce que j'en avais déjà un aperçu, parce que je les connaissais déjà de manière lointaine et légèrement imagée. Ce sont des préjugés, une curiosité orientée, qui m'ont dirigé vers elles.

1.2 - Un territoire attendu (les préjugés et les mythes derrière le nom)

De la succession des virages, je me souviens. Leur nombre sur une petite route et l'arrêt qu'on s'octroyait parfois à la rigole du Diable. Le sud de la Creuse était cette région où l'on ne voyait ni l'horizon, ni les villages. Mais les distances doivent sembler aux enfants plus longues. L'isolement était l'une de mes impressions. Et puis les bois : c'est une région où l'on fait des planches, pensai-je. Le papier ne me venait pas en tête à cet âge. Par contre, on y ramassait bien les champignons : ça se savait de loin.

En allant sur La Courtine, je pouvais aussi remarquer la fraîcheur de l'altitude : une région hostile pour les paysans des bocages agricoles d'où je venais. On ne fait d'ailleurs pas un secret que la terre n'est pas riche là-bas. Puis j'ai su que le pays pouvait être plus joli, plutôt côté Corrèze, avec la présence des bruyères et des espèces que nous n'avions pas.

Peu de choses attractives sur le Plateau de Millevaches dans mes premières représentations ; les échos des cultures solidaires « anarchistes » ne m'ont atteint qu'ensuite. Puis j'ai constaté que le marché de Felletin, le vendredi, reste dynamique (comparativement à ceux des Combrailles creusoises -et même à celui de la proche Aubusson pourtant plus importante) et qu'on y trouve beaucoup de petits producteurs, dont plusieurs en agriculture biologique, qui viennent du Plateau.

Un paysage peu accueillant, noir de sapins, « mort » comme on dit, face à un esprit critique affiché, pouvant gêner les élus départementaux ou régionaux : voilà le premier constat, à l'état de préjugé, qui m'est venu. Cela reste mon point de vue particulier ; j'ai voulu savoir quels pouvaient être les préjugés des autres personnes qui n'habitaient pas ledit Plateau. Pour cela j'ai interrogé quelques habitants parisiens (161 dont 72 connaissaient de nom le Plateau) et quelques habitants creusois (71). Le nombre de personnes interrogées est insuffisant pour prétendre représenter un échantillon de la population bien que j'aie essayé

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d'avoir des hommes et des femmes, des plus jeunes et des moins jeunes en parts équivalentes. On trouvera les questions posées et les résultats obtenus en annexe 10. Les questions portaient sur ce qu'évoquaient le Plateau de Millevaches aux gens, si le lieu était mythifié d'une quelconque façon et si les gens qui y étaient allés, comme moi, trouvaient le plateau plutôt laid à cause des sapins. Mais non. Très peu m'ont parlé des sapins. C'est la nature, c'est calme, c'est peu peuplé donc, pour les gens de passage, c'est beau. Les creusois, et pas seulement les guéretois1, citent la beauté de la nature. Certains qui vivent en campagne, ne renâcleraient pas à habiter le Plateau (pour la tranquillité) mais pour beaucoup c'est un lieu trop isolé où ils pensent être loin des services ou s'ennuyer (tableaux R5 et R6). Mes propres préjugés sont sûrement davantage ceux de quelqu'un soucieux d'écologie et qui s'intéresse aux initiatives originales.

Les parisiens ne répondent pas tous de manière sincère quand je leur demande s'ils connaissent de nom le Plateau de Millevaches et à certaines réponses erronées (sur la situation géographique ou trop associé au nom du type : « oui, je connais, c'est un plateau avec des vaches », j'ai préféré ranger leur prétendue connaissance en « non-connaissance ». Ma grille ne pouvait pas caser les entourloupes.

J'ai trié les évocations selon qu'elles se rattachaient à la nature (paysages, rivières...), à la faible densité humaine et l'isolement (coin perdu, désert...), au mythe écolo-anarchiste, à la présence culturelle ou au patrimoine bâti. J'aurais aussi pu demander à chaque enquêté s'il pensait, pour chacun de ces thèmes parmi d'autres, s'il pensait ce thème prégnant sur le Plateau. J'ai gardé la première évocation. Si quelqu'un me parle de la nature, ce n'est pas pour autant qu'il ne connaît pas les activités culturelles du Plateau. Mais, en général, les évocations n'étaient pas multiples. Ce sont les éléments naturels, la verdure, les rivières, les landes qui sont les plus évoquées. Les creusois parlent ensuite d'un coin perdu (17%) et les parisiens de la culture alternative à la société de consommation, écologiste ou libertaire (19%), puis arrive le coin perdu pour les parisiens (10%) et la culture alternative pour les creusois (7%) (tableaux R3 et R4). La proximité du Plateau n'engendre pas une mise en avant de la culture alternative, bien au contraire. D'autant plus que l'évocation de cette culture chez les parisiens résulte pour 93% de la part de personnes qui n'y sont pas allées (le plus fort taux parmi les évocations ; tableau R7). D'après ces résultats, à prendre avec beaucoup de relativité, on pourrait penser que les activités écologiques ou culturelles du Plateau sont surtout un mythe. Les creusois, qui connaissent à priori mieux le Plateau, en parlent davantage en termes

1 J'ai fais mon enquête à Guérêt en Creuse (donc en ville et l'opposition ville/campagne est présente) mais plusieurs enquétés n'habitaient pas Guérêt. Je suis ensuite allé dans le village de Sardent.

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physiques. Parce que, pour eux, plus que pour les parisiens le Plateau est un lieu sauvage, le plus sauvage, le plus faiblement peuplé, le plus isolé du Limousin tandis que le Limousin se rapporte déjà au sauvage pour les parisiens. Les limites du « coin perdu » seraient toujours repoussées plus loin ?

Les résultats (tableau R7) laissent également supposer que les jeunes penseraient plus facilement la une culture alternative du Plateau (parmi ceux qui connaissent le Plateau, 27% des parisiens et 10% des creusois de moins de 40 ans contre 10% et 5% des plus de 40 ans), qu'ils en ont peut-être davantage entendu parler. Mais ces taux sont aussi à mettre au regard du fait que l'échantillon des jeunes parisiens connaissant le Plateau est plus faible que celui des plus de 40 ans (tableau R2). Les projets écologiques pouvant exister sur le Plateau ont rarement plus de 40 ans et les jeunes ont probablement davantage l'écho de la tenue de festivals ou autres manifestations. Si la culture alternative du Plateau n'est pas méconnue, elle ne semble pas être le marqueur principal du lieu. Le Plateau est plutôt considéré ou pensé comme un espace naturel protégé. Ce qui, pour le coup, est peut-être un mythe plus grand. Ce que mon étude devra prouver, d'autant plus que mes préjugés personnels ne sont pas ceux de tous.

Je signale deux parisiens qui m'ont parlé du court-métrage (que je ne connaissais pas) de Pierre Vinour, Millevaches [Expérience] (nommé aux César 2002). Le film raconte le retour d'un homme sur le Plateau, un homme qui veut échapper à son costume, sa cravate, à un rythme de vie insupportable, aux impératifs de son entreprise, par une fusion avec la nature. Que reste-t-il de toute cette énergie : rien. Le film pourrait bien participer au mythe de la nature sauvage et d'un lieu alternatif. On voit le monument aux morts de Gentioux, plusieurs noms de villages. Dont Tarnac. Tarnac est, de nom, le site le plus connu du Plateau chez ceux pour qui Millevaches n'évoque rien. Cela en raison de la médiatisation de ce qu'on appelle « l'affaire de Tarnac »1 considérée par beaucoup comme un scandale d'Etat et une bavure judiciaire. L'affaire renforce évidemment le mythe autogestionnaire du Plateau.

Ces suppositions, ou mythes, du Plateau, renvoient à certains discours, à certaines constructions ou à certaines perceptions vécues. Les miennes comme celles des gens que j'ai

1 Arrestations arbitraires le matin du 11/11/2008 de jeunes anarchistes supposés avoir saboté une caténaire de ligne TGV. Aucune preuve n'a été fournie. Avancés comme preuves, la rédaction d'un ouvrage attribué aux jeunes anarchistes L'insurrection qui vient [Comité invisible, 2011] et leur présence à proximité des lieux. Trop partial, « à charge », le juge s'est dessaisi du dossier en avril 2012. Arrêtés comme « terroristes » les jeunes incarcérés ont été relâchés en attendant la fin de l'enquête. Le soutien local aux inculpés avait été conséquent est s'est organisé.

Un récent ouvrage est sorti à ce sujet : David Dufresne, 2012, Magasin général, Tarnac, Calmann-Lévy, 488p. On peut lire l'interview de certains soutiens aux inculpés sur http://nopasaran.samizdat.net/spip.php?article1652 (janvier-fevrier 2009) consulté en 2012.

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rencontrés. Mais dans mon étude, il y aura surtout de mon propre constat, la mise en contradiction de certaines suppositions et l'approfondissement d'autres.

1.3 - Un territoire aménagé

Si certains vont dire qu'il s'agit d'un « coin perdu », voire hostile à l'activité humaine, il n'en reste pas moins aménagé pour autant. Puisque je parle de pouvoir des habitants sur leur environnement, un encart dans la façon dont les hommes ont pu faire de cet environnement un habitat ne me semble pas inutile. Avant de prétendre décider de son environnement, il faut ne pas le subir. Ainsi, l'hiver on peut voir certains piquets rouges d'au moins deux mètres sur le bord des routes pour continuer à être capable de circuler pendant l'hiver, pour ne pas perdre le tracé des routes. Le citadin peut avoir la peur d'être incapable d'agir face à l'isolement, de seulement subir le climat mais certains indices rappellent qu'ici aussi, s'il le veut, l'homme peut aménager son environnement en vue de ses besoins. Cette adaptation peut parfois aller jusqu'à une démonstration de domination de l'homme sur le climat, montrant qu'il peut tout braver, en arrosant un Las Vegas par exemple ou des champs de maïs dans le désert. Si ce total affranchissement à l'environnement peut faire retomber l'Homme en position de soumission et dénote, par cette guerre contre le climat, davantage une façon de le subir que de l'habiter (puisqu'il faut lutter contre), il n'en reste pas moins qu'il donne un ordre à son espace en l'aménageant. Et qu'il utilise son environnement.

On trouve aussi, sur le Plateau, de nombreux lacs de barrages qui montrent que les rivières sont utilisées (dans un cadre dépassant d'ailleurs le territoire local) ainsi que moult retenues d'eau ou étangs qui sont les témoins d'aménagement pouvant être plus anciens. Les aménagements électriques peuvent prendre la forme des lignes à très haute tension, perchées sur de monstrueux pylônes et ouvrant de véritables voies au travers des bois, sur les collines. Plus récemment, six éoliennes ont été montées à Neuvialle (Commune de Peyrelevade).

Les maires des communes, quand on leur parle de pouvoir sur l'environnement, citent d'ailleurs souvent leurs actions quant à la réfection des routes, le goudronnage de certains chemins menant à des hameaux, l'acheminement et l'épuration des eaux. « C'est lui qui a fait goudronner la route et venir l'électricité au village » dit un habitant de l'ancien maire de Tarnac.

Certaines pratiques paysannes, ne serait-ce que le pâturage des landes par les troupeaux, reflètent, sinon la volonté d'une vie plus confortable, le souci d'accorder son environnement à ses pratiques. Toutes ces actions peuvent être vues comme des nécessités

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pour habiter son espace avec une aise relative, c'est-à-dire pour ne pas subir la géographie. Avec les pratiques agricoles, on approche de l'écologie car si l'on peut considérer comme nécessaires certaines pratiques, elles peuvent n'être ou ne devenir que des choix. Le pouvoir de décision sur son espace, de la façon dont on veut l'aménager nous montre qu'un environnement physique est aussi un environnement culturel. A une échelle dépassant celle de la ferme, on peut appeler cela de la politique car l'espace devient une construction commune que peut refléter -ou non- les choix de la population, qui peut être marqué par les différentes formes des volontés et des pouvoirs humains. C'est donc maintenant au regard des rapports de pouvoir que je vais lire et décrire l'espace du plateau de Millevaches.

2 - L'environnement : indicateur des pouvoirs

Par l'observation du paysage, je peux chercher quel est le pouvoir de la population sur l'environnement, compléter ou évincer mes préjugés et arriver à des premières déductions. Arrivant sur les lieux, comme un touriste, mon attention se porte sur la composition physique du paysage, sur les constructions humaines (les villages) et sur les activités humaines qui s'y déroulent. Que demande-t-on à un office du tourisme : s'il y a de beaux endroits à visiter, des beaux villages, quelques fêtes ? Mais sans trop de conseils, visitons.

2.1- La composition du paysage

C'est un premier point qui retiendra mon attention car sujet à polémiques, discours oraux comme écrits.

Peinture 1 : Vue de Rempnat, huile sur toile, Maryse Dupont

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En voiture, on s'enfonce. La route paraît noire à cause des résineux, serrés sur les chaussées. Peu de points de vue me sont offert, surtout si je conduis et que je me concentre sur les virages. Seules les pelouses blanches de l'hiver peuvent donner l'impression de sortir de l'ombre. Les habitants n'hésitent pas à condamner les sapins qui permettent au gel de tenir sur la route. Sur les espaces plans, quelques ouvertures sur les landes se dégagent mais on n'a que peu de temps pour les apprécier ; ce n'est pas la même chose en vélo. Je me plais à ralentir devant les champs, les tourbières, je me rends davantage compte de la diversité des parcelles et des herbes dans ces parcelles, de l'espace dont moutons ou vaches limousines disposent pour pâturer. Le temps passé au travers des espaces ouverts semble plus important que celui mis à trouer les plantations de conifères. Et puis, dans les montées boisées, je me concentre sur l'effort ; les descentes passent vite. Le paysage m'a certainement paru plus beau sur une selle, peut-être à cause du vent dans mon dos.

A pied, le parcours est plus lent. Les bois sont longs à franchir et on a parfois hâte d'en sortir pour découvrir un peu d'horizon. Il faut sélectionner ses sentiers si on veut avoir de la vue ; comme le font certains chemins balisés, potentiellement touristiques. Encore que ces derniers restent parfois bien enfermés dans les sapins. Au moins, fait-on attention aux détails : aux espèces de crocus qui sortent, au type de clôtures, aux tracés sinueux des rivières au fond des tourbières, à la nature des ponts et surtout à l'état des chemins. Cet état correspond rarement à celui des cartes IGN1 au 1/25000ème pour cause que nombre de chemins signalés se sont enfrichés, que d'autres sont devenues des pistes goudronnées et que certains ont été ouverts (donc n'existent pas sur les cartes) car ils appartiennent à des itinéraires balisés.

Le déplacement sur le Plateau de Millevaches a souvent provoqué chez moi l'attente des espaces ouverts, attente que vous deviniez peu, stationnés que vous étiez devant un cadre (Tableau 1) où la vue est dégagée et où la contemplation permet à l'intellect de magnifier la nature, de croire peut-être au règne du sauvage. Sur la Vue de Rempnat, les résineux ne sont pourtant pas sans apparaître sur tout l'arrière plan et dénotent, comme le maintien des prés ou de certains chemins, des actions et des volontés humaines. Et sûrement des luttes de pouvoir.

Pour dépasser ma simple perception quand à l'appréhension générale du paysage, je vais m'appuyer sur des visions cartographiques, issues de photographies aériennes. L'occupation des sols (carte 5) permet d'avoir une idée des principaux éléments du plateau de Millevaches. Je l'ai divisé en trois grands types : résineux, feuillus, espaces ouverts. On voit

1 Toutes mes cartes affichent une révision en 2000 (mais on peut se demander si certaines tracés ne datent pas encore de l'année d'édition : 1964). De par le taux de broussailles et arbres dans certains chemins, la non-mention de certaines parcelles forestières, on peut certifier que la révision de 2000 est très incomplète. Ce qui sera à prendre en compte pour relativiser les résultats du prochain comptage.

 

Carte 5 : Occupation des sols du PNR Millevaches en Limousin

Carte 6 : Occupations des sols des communes témoins

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que, dans le Limousin, le PNR reste un espace fortement boisé, qui concentre presque tous les résineux régionaux. On distingue cependant une zone centrale au PNR en blanc sur la carte 5 : ce sont les hautes tourbières du Plateau et les espaces de landes sèches qui arrivent à percer un peu depuis une vue aérienne à grande échelle.

L'échelle communale (carte 6) confirme le fort enrésinement mais offre une réalité plus morcelée. Si certains massifs continus de conifères existent, on voit aussi beaucoup de petites parcelles de bois et des landes présentes en proportions diverses selon les communes (Peyrelevade semble en posséder beaucoup tandis que le nord de la commune de Gentioux et la commune de Royère affichent force conifères).

Notons que, selon Françoise Burel et Jaques Baudry, la fragmentation pour les bois est un des trois facteurs importants de biodiversité car permettant aux espèces généralistes (par exemple le blaireau) comme aux espèces spécialistes à un type d'élément (les bosquets pour la martre ou l'écureuil) de trouver leur place [Baudry, Burel, 1999]. Les deux autres facteurs cités sont la connectivité des espaces (en particulier arborés), satisfaisante sur le Plateau en l'absence de grandes voies de circulation (Eymoutiers-Meymac et Felletin-Meymac sont les plus roulantes et les plus larges) et l'hétérogénéité du paysage. Cette dernière est supposable selon les vues aériennes mais les plantations résineuses offriront une autre réalité.

On remarquera aussi sur la carte 6 de vastes étendues d'eau : ce sont les lacs de barrages.

L'habitant du Plateau comme le touriste n'aura cependant pas recours à l'avion pour apprécier la composition globale du paysage. On cherche plutôt pour cela à se hisser sur les sommets, en particulier les plus centraux à la région (c'est le cas du mont Audouze, commune de Peyrelevade) ou les plus élevé (Mont Bessou, commune de Meymac, sommet du Limousin avec ses 976 mètres d'altitude). Or les deux monts que je viens de citer n'offrent pas des points de vues extraordinaires (dessins 1 et 2). Le sommet du mont Audouze est réquisitionné pour un bâtiment militaire et tout le flanc nord est jonché de conifères, ce qui laisse à peine un horizon. Je me suis hissé sur la tour panoramique du mont Bessou, pensant qu'elle était destinée à dépasser les Douglas, mais son but n'est que d'atteindre le chiffre symbolique de 1000 mètres d'altitude et 50% du panorama reste masqué. Sur les angles de vue des deux monts, on remarque toutefois que les premiers plans sont dominés par les conifères, ce qui est de moins en moins net au fur et à mesure que l'on s'éloigne...et qu'on sort du plateau de Millevaches. Le paysage apparaît vallonné, composé de nombreuses buttes. Elles semblent, comme lorsqu'on se déplace à travers le plateau, fortement enrésinées.

Dessin 1 : Panorama depuis le mont Bessou

Dessin 2 : Panorama depuis le mont Audouze

31

32

Le comptage sur 4 cartes IGN1 confirme, sur une étendue plus grande, ces observations (tableau 1). Il a été effectué sur les sommets dépassant 800 mètres. Pour des sommets mitoyens, sur la même butte, le plus élevé a souvent été seul sélectionné.

Cartes

Gentioux (2231E)
Royère (2231O)

Peyrelevade (2232E)
Bugeat (2232O)

 

Nombre /99

%

Nombre/180

%

Sommets 100% boisés

40

40

97

53

Sommets >50% boisés

22

22

28

16

Présence de conifères

52

52

121

67

Présence de feuillus

9

9

82

45

Nombre de lignes de niveau boisées en moyenne2

4,47

 

3,81

 

Sommets 0% boisés

24

24

31

17

Sommets <50% boisés

13

13

24

13

Nombre de lignes de niveau non-boisées en
moyenne2

2,61

 

2,33

 

Tableau 1 : Composition des sommets dépassant 800 mètres d'altitude

J'avais séparé les groupes de cartes IGN, pensant que les landes pouvaient être plus nombreuses sur le nord Corrèze (Bugeat, Peyrelevade) qu'au sud Creuse (Royère, Gentioux) au vu des étendues de tourbières mais celles-ci restent cantonnées dans les lits de rivières quoique les pentes puissent être moins enrésinées. Dans tous les cas, les points de vue sont mangés par les bois, essentiellement des résineux (bien que la carte donne aussi une importante présence de feuillus côté corrézien ; les forêts étaient pourtant loin de me sembler mixtes). La vue d'ensemble du sommet, autrefois outil de défense stratégique, aujourd'hui source de méditation pour le promeneur, source de repérage des troupeaux pour le paysan, échappe à la population. Que les sommets, voire souvent les buttes entières (regardez le nombre de lignes de niveau boisées), soient majoritairement enrésinées n'est pas anodin quant aux oppositions de pouvoir. Le sommet est, sinon un lieu où l'on aime se rendre, un lieu où l'on aime emmener ses proches pour leur faire découvrir la région. C'est un choix paysager qui est déjà confisqué aux habitants du Plateau. De descendre d'échelle pour entrer dans les principaux milieux : fermés (bois) et ouverts (pré, landes, tourbières) va nous permettre d'affiner ces oppositions.

1 Cf note précédante

2 Ecart des lignes de niveau : 10 mètres. Les moyennes multipliées par 10 donnent une idée de la longueur de bois ou de landes sur la pente mais les buttes pouvant être de hauteur variable, elles valent surtout par leur comparaison.

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Les forêts : essentiellement des plantations de résineux.

Sur le Plateau, les bois de feuillus résultent beaucoup de la déprise agricole (abandon des parcelles) mais sont utilisés par les particuliers pour le chauffage. Nombre d'habitations comportent une cheminée. C'est un moyen encore économique de chauffage. Mais ces feuillus : hêtres, chênes et bouleaux pour l'essentiel, qui sont les colonisateurs adaptés, « naturels », du paysage sont peau de chagrin sur le Plateau. La carte du Limousin (carte 7) donnant la proportion de résineux dans l'espace boisé fait ressortir une zone à plus de 60%, voire 80% de résineux : le plateau de Millevaches.

Carte 7 : Part des résineux dans l'espace boisé1

Les chiffres brut2 sur le PNR donnent 52% du territoire couvert de bois dont 56% de résineux (les périphéries du parc abaissant cette part) et, parmi eux, 38% sont des Douglas (Pseudostuga menziesi). Les Epicéas communs (Picea excelsa) et les Pins sylvestre (Pinus sylvestris) sont très présents également. Les plans de reboisement des montagnes datent de

1 Extraite de Le Limousin coté nature, Espaces naturels du Limousin, 2000.

2 Brochure du PNR : Forêt : essence (s) d'un enjeu, février 2012.

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1860 et visaient, entre autres, à empêcher des crues en aval. Les résineux, en particulier, absorbent beaucoup d'eau. Mais la population paysanne, suffisamment nombreuse, s'était toujours opposée au boisement etcelui n'a pu s'opérer avant le milieu du vingtième siècle et l'exode rural massif. Les contestations des années 1970 (coupes ou mises à feu de jeunes plants, prégnantes sur la commune de La Villedieu) n'ont pas empêché l'enrésinement. La forêt, privée à 95%, cristallise aujourd'hui de nombreuses tensions et c'est pourquoi on retrouve plusieurs thèses qui lui sont consacrée. Pascal Terracol évoque la privatisation d'une économie forestière publique à travers Didolot qui décrit « les offensives de l'ONF qui manoeuvrent les communes pour faire disparaître les sections » (p.244) [Terracol, 2009]. Si cette forêt de résineux compte de nombreux petits propriétaires, elle appartient pour l'essentiel à des non-résidents (par héritage), souvent parisiens, ou tout du moins citadins [Beynel, 1998]. Sur les communes de Gentioux et Peyrelevade, les résidents ne possèdent qu'entre 30 et 50% de la forêt, et seulement entre 15 et 30% pour ceux des communes de Faux et Tarnac1. Le pouvoir des habitants sur leurs forêts paraît donc assez limité. La progression du Douglas dénote la mainmise des groupements forestiers : l'essence pousse vite et fournit un bois de qualité acceptable (loin d'égaler pourtant celle des bois scandinaves ou polonais qui sont utilisés pour les charpentes), bref elle est actuellement rentable pour les coopératives forestières. L'Epicea demeure parfois (et parfois comme contrainte) dans la réflexion de certains forestiers car étant un bon pourvoyeur de cèpes : certains utilisateurs locaux de la forêt (chasseurs, paysans,...) verraient donc d'un mauvais oeil sa disparition au profit du Douglas. Il est possible que l'épicéa demeure uniquement dans la réflexion. Le pin sylvestre, cité plus haut, est surtout une espèce pionnière de reconquête des landes, moins rentable, mais il peut intéresser les forestiers car souffrant moins des sécheresses. On est loin d'une situation, voulue par Marius Vazeilles2 ou les paysans décident leur paysage forestier en possédant chacun quelques hectares qui leur permettraient de faire face aux forces qui les exploitent. Les héritiers non résidents, telle cette habitante de Limoges que j'ai interrogée, peuvent déléguer la gestion de leurs bois aux coopératives forestières : elle ne connaissait pas les essences qu'elle possédait et quand je lui demande si elle a un pouvoir de décision sur ses bois, elle me dit que oui, qu'elle va voir sur place avec les experts forestiers et qu'elle s'en remet toujours à leurs conseils puisqu' « ils savent ». Un enrésinement massif est pourtant

1 Chiffres de la carte n°24 [Beynel, 1998]

2 Forestier communiste du début du XXème siècle. Il a milité pour introduire une forêt paysanne sur le Plateau à l'aide des résineux qui pourraient pousser sur les parcelles incultes. Il se détournera de la forêt, constatant peut-être l'échec de sa vision et un enrésinement échappant aux plus modestes, pour se tourner vers l'archéologie. Un musée porte son nom à Meymac.

Cliché personnel. Faux-la-Monatgne

 

Photo 3 : Nouvelle plantation derrière coupe rase (02/2012)

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loin d'être écologiquement supportable par les sols. Les résineux acidifient en effet davantage les sols que les feuillus [Augusto, 1999] (p.55) et altèrent la vie du sol : on trouve moins de minéraux et de vers de terre sous les résineux. Cette mainmise d'experts forestiers, avec leur volonté de maintenir les résineux, est loin d'être la plus pertinente pour l'environnement.

Des chasseurs m'ont relaté que le petit gibier a périclité, faute notamment de bosquets feuillus et que le gros gibier (chevreuils, sangliers) n'utilise presque pas les forêts de résineux où il ne trouve pas sa nourriture : « L'automne a ses quartiers permanents sous la futaie de résineux. Nulle vie ne subsiste sous ces voûtes rousses qu'on croirait hypogées. Les bêtes fuient la litière stérile d'aiguilles » Miette (p.64)[Bergounioux, 1995]. Quant aux jardiniers, ils remarquent que les fruitiers ne grandissent pas en bordure des résineux.

Mais descendons à l'échelle de la parcelle pour voir ce qu'il en est de la gestion forestière. Le visage des parcelles est tout aussi condamnable d'un point de vue écologique que la composition des bois. On voit des arbres serrés, alignés (photo 1), de la même essence et du même âge sous lesquels, en effet, rien n'a la place de pousser. Seule l'odeur de résine

Cliché personnel. Faux-la-Monatgne

Cliché personnel. Faux-la-Monatgne

Photo 1 : Plantation résineuse (02/2012) Photo 2 : Désouchage après coupe rase (02/2102)

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printanière pourrait être agréable mais on se rend compte de la pauvreté des senteurs dans les plantations de conifères lorsqu'on arrive sous les feuillus. Les arbres sont coupés à une quarantaine d'années car chaque génération veut récolter le pécule de l'ensemble de sa parcelle : s'ils ne grandissent que peu, ils pourraient pourtant grossir encore et fournir un bois de meilleure qualité. Au lieu de ça, on observe des hectares lunaires après coupe rase. Pierre Bergounioux a écrit plusieurs lignes sur la forêt dans Un peu de bleu dans le paysage dont celles-ci : « Quelque chose d'intemporel plane sur les coupes jonchées d'andains, de grumes balafrées, saignantes, de sifflets de Douglas pareils à des tranches de pastèque, sur le sol défoncés » [Bergounioux, 2001]. Les souches sont arrachées (photo 2), ce qui implique le retournement profond d'un sol déjà affaibli par la monoculture et on replante encore des résineux derrière (photo3) selon les mêmes procédés. Le critère d'hétérogénéité de Françoise Burel et Jacques Baudry n'est donc pas vraiment satisfait1.

Ce paysage boisé n'est pas seulement d'une laideur affligeante et crument ressentie en ce moment où les arbres arrivent à la quarantaine (donc à l'âge des coupes rases) mais il est des plus nuisibles aux sols. Ces résineux en rangs d'oignons se sont abattus comme des dominos lors de la tempête de 1999, dans un rapport de 2,33 résineux touchés pour 1 feuillu2, montrant une certaine faillite de la gestion forestière mise en place par les coopératives qui perdure pourtant. Ces plantations intensives entraînent aussi toute l'armada de gros camions et de grosses pistes qui les suivent. Certaines fois, de longs camions en chargement -d'un tonnage qui excède souvent la loi selon le maire de Nedde- peuvent boucher des routes, entravant donc la circulation des habitants. Les pistes forestières, quant à elles, ont pu détruire des sentiers pédestres. Des panneaux stipulent parfois le danger de pénétrer les plantations résineuses, soustrayant des hectares entiers à l'accès des habitants. J'ai aussi vu, au nord de Plazanet (commune de Faux), une grande plantation, entièrement bordée de grillage et constellée de pancartes rouges stipulant : « Propriété privée / Chasse gardée / Sous peine de poursuites / Cueillette & ramassage interdits (bois, champignons, fleurs, fruits...) ». Les hectares de résineux sont surtout confisqués aux habitants. Si certains paysans retraités déclarent acceptable la présence des « sapins » sur les pentes, où rien d'autre ne pousse, presque tous les habitants que j'ai rencontré condamnent leur présence intrusive. Plusieurs citent pour exemple le bourg de Gentioux puisqu'on a planté jusqu'au portes. Le village est, en effet, entouré de sapins. L'entrée dans Tarnac depuis la route de Peyrelevade se fait aussi sous les

1 Se rappeler de la page 23.

2 Rapport calculé d'après les chiffres extraits de Forêt Limousin n°25 (2000) par Myriam Guillabot pour sa thèse [Guillabot, 2008] p 149.

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aiguilles et de nombreux autres hameaux tutoient les bois. Eu égard au matériel et au personnel qu'il faut mobiliser pour une coupe, les revenus des plantations sont à relativiser, surtout pour les petits propriétaires. Je cite un habitant interrogé par Tania Nasr : « Une forêt comme les nôtres, c'est bien le bout du monde si ça fait 2%, alors c'est pas mieux que la banque, il faut pas imaginer qu'avec des arbres vous êtes nanti.»(p.139) [Nasr, 2005]. L'argent va surtout aux dirigeants des coopératives forestières ou aux gros propriétaires, extérieurs au Plateau.

L'exploitation des résineux se pratique selon un mode colonial. La population recevant très peu de bénéfices de cette activité mais subissant la dégradation environnementale qui l'accompagne. Un habitant de Faux l'a comparé pour cela au passage d'une autoroute. Si l'on ajoute encore la volonté des coopératives forestières d'augmenter les surfaces de Douglas, le secteur pourrait subir d'ici quelques années le syndrome hollandais avec une dépendance accrue au cours monétaire du bois de cette essence. Si la filière argue des emplois qu'elle apporte (de moins en moins nombreux avec la mécanisation et pour beaucoup situés dans les villes périphériques du Plateau avec le grossissement des structures), elle empêche aussi la reconquête d'activités agricoles car les Douglas disputent les bonnes terres aux champs. Voyons justement ce qu'il en est des espaces ouverts.

Les prés, les landes et les tourbières

Les espaces ouverts se situent surtout dans les vallées, sur les plateaux d'altitude autour de Millevaches et Peyrelevade, le long des ruisseaux. Si certains occupent des sommets, la comparaison entre nombre moyen de lignes de niveau boisées et non-boisées (Tableau 1, p.24), rappellent qu'ils sont très absents des pentes. Ce ne fut pas le cas au début du siècle où des buttes entières étaient dénudées et où les landes représentaient l'essentiel du paysage du Plateau. Tarnac en comptait plus de 60% au début du XIXème siècle, Gentioux et Royère plus de 50%1. Si l'on veut se faire une idée de la composition plus ancienne du paysage, on peut se référer à l'étymologie des villages (voire annexe 2) : on remarquera l'importance des noms liés aux feuillus (Faux, Royère, les Vergnes) ainsi que la présence de noms évoquant des activités pastorales (La Nouaille, les Jarousses, Vassivière) et des noms évoquant les milieux humides (Rozeille, la Gane, Longeyroux). La tradition, la mémoire, le patrimoine paysan, se rattache, sur le Plateau, à la lande où pacageaient les brebis et aux

1 Source : carte n°2 [Beynel, 1998]

Cliché personnel. Chavanac.

Photo 4 : Tourbière du Longeyroux (03/2012)

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Graphique 1 : Part des diverses activités agricoles

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tourbes qui servaient au chauffage. Les espaces ouverts revendiquent une autorité historique, à plus ou moins juste titre selon l'éloignement du passé considéré.

Il est vrai que leur beauté surprend. Peut-être parce que landes sèches et tourbières sont rares dans la région et qu'on est peu habitué à ces milieux. Mon esprit se plait à voyager entre les bruyères ou au-dessus des touffes de molinie (photo 4). La descente sur Orliac depuis la route de Faux offre, l'espace d'un instant un point de vue imprenable sur le lac du Chamet, les landes et les prés qui l'environnent. Entre Pigerolles et Peyrelevade, les espaces ouverts conquièrent les vallonnements et l'impression d'ouverture, d'espace, est enfin sensible.

Tourbières et landes font aujourd'hui l'objet de protection (Natura 2000 en particulier) et nombre de ces milieux ont été conciliés avec l'élevage et sont pacagés durant l'été. Ils offrent un complément d'herbe appréciable pour les éleveurs en recherche d'hectares. La protection et le maintien de troupeaux sur espaces diminue fortement la menace d'enfrichement et d'emboisement. Ils témoignent aussi d'un pouvoir de groupes écologistes internationaux devenu pouvoir institutionnel qui ont voulu les conserver pour sauvegarder leurs espèces endémiques1 et donc leurs apports à la biodiversité.

Les champs, quant à eux, sont quasiment tous des prairies. On ne cultive presque plus de blé sur le Plateau. L'animal le plus présent est la vache limousine (graphique 1) pour l'élevage de broutards ou de veaux de lait sous la mère. Les ovins n'arrivent plus qu'en seconde position, contrairement au début du XXème siècle. Cela résulte autant, sinon plus, d'une adaptation au marché (la limousine se vend bien : il suffit de regarder les boucheries parisiennes) qu'à l'environnement et les nombreux éleveurs qui ne font que du veau sous la mère ou des broutards restent les plus dépendants des cours. Les ovins sont eux aussi davantage utilisés pour la viande que pour le lait ou la laine. Pour une zone de montagne, on trouve relativement peu de fromages locaux dans les commerces ou sur les marchés alors qu'il y a de très bonnes tomes de brebis aux artisous. Le Nouaille, par exemple, revendique sur étiquette sa provenance du plateau de Millevaches. La faible diversité du secteur agricole peut souligner un manque de pouvoir en ce qui concerne l'accès direct à plusieurs ressources pour les producteurs comme pour nombre d'habitants (voisins, amis...) qui pourraient leur être liés. « Les investissements sont lourds pour changer de production » commente un paysan.

1 Espèces propres à milieu, souvent rares.

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L'occupation des sols reflète un conflit entre le pouvoir des habitants locaux et celui des propriétaires extérieurs. Suite à l'exode rural, le fort taux de plantations résineuses possédées par des citadins extérieurs au Plateau et le fait que celui-ci soit décrié par de nombreux habitants, dont les agriculteurs, indique que la population ne choisit plus son paysage, qu'elle manque de pouvoir sur cette composante naturelle et des plus visibles de l'environnement qu'est l'horizon physique. La tension locale sur l'occupation des sols est illustrée par le fait que certains se battent encore pour récupérer des terrains en herbe, pour les soustraire à la friche ou à l'enrésinement. Tania Nasr a relevé un propos caractéristique : « Maintenant c'est... un peu la guerre. Les terrains que j'ai pris à Angioux, c'était pour couper court à des plantations, les agriculteurs de Pigerolles avaient décidé qu'on ne les planterait pas.» (p. 200)[Nasr, 2005]. Dans le même sens, j'ai rencontré un propriétaire passant environ sept mois de l'année sur Faux dont la volonté de louer ses terres à un agriculteur pour que le paysage soit entretenu, ouvert, était explicite. Un couple de retraités a, dans le même esprit, racheté une ferme (inoccupée depuis 1910) au Bois Jambret pour remettre le bâtiment sur pieds et transformer les friches annexes en pâtures, entretenues par les chevaux. La reconquête des champs n'était pas leur seul souci mais également la reprise et la réhabilitation du bâti. Car les oppositions de pouvoir qui valent pour les parcelles cadastrées valent aussi pour les habitations.

2.2 - Les maisons, le patrimoine bâti et historique

Les maisons

Si la beauté de l'environnement végétal ne m'a pas sauté aux yeux, je me suis en revanche plu à contempler les villages que j'ai traversés, en particulier les petits hameaux. Tous affichent leurs façades de granit apparent, aux ouvertures encadrées de linteaux et de massives pierres de taille (photo 5 et 6), typiques des constructions de maçons creusois. On croirait les villages sortis du sol tant la pierre est présente. La répétition, le nombre de hameaux de caractère impressionnent davantage que la traversée d'un seul d'entre eux, fusse-t-il le plus beau. Peu de murs sont aujourd'hui crépis. Dans certains villages, les habitants m'ont d'ailleurs dit qu'ils ne l'avaient jamais été ; dans d'autres, les propriétaires l'ont retiré pour faire valoir la superposition des pierres, souvent très bien taillées. A l'intérieur des maisons, les hauts plafonds affichent encore leurs larges poutres et les salons leur table de bois.

Cliché personnel. Sur la commune de Rempnat

Cliché personnel. Peyrelevade.

Photo 5 : Maison joints brossés (03/2012) Photo 6 : Maison joints de fer (02/2012)

Cliché personnel. Commune de Tarnac

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Peinture 2 : Fasenat, pastel sur toile, Remy Feinte Photo 7 : Le facteur n'est pas passé (03/2012)

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Beaucoup de bâtisses sont très bien entretenues. Beaucoup d'habitants font part de toute l'attention qu'ils portent à l'entretien de leurs granges, de leurs maisons, voire de leurs

villages. Et nombre d'entre eux disent l'avoir fait seul, sans aide. Même s'il existe de nombreuses aides pour la restauration du bâti, venant de diverses sources (PNR, fonds

associatifs, ...), elles ne suffiraient pas, sans la volonté et l'attachement des habitants, à maintenir un tel nombre de maisons de pierre en remarquable état.

Cette volonté ne date pas d'aujourd'hui puisque, à l'époque des saisons parisiennes ou lyonnaises, Anne Stamm raconte que « Les gains des migrants hommes ont été le plus souvent utilisés à arrondir ou à reconstituer la propriété. » (p.112)[Stamm, 1983]. Un maçon m'a raconté que 90% de son travail consistait encore en la réfection de ces maisons de pierre, qui datent pour la plupart de la fin du XIXème ou du début du vingtième. Aujourd'hui, les joints brossés, blanc et plus lumineux, mettant mieux en valeur la pierre (photo 5) sont les plus demandés et on fait moins de joints de fer (photo 6) au ciment. La nouvelle modernité est de mettre en avant le passé, le travail des anciens. C'est un pouvoir apparent que celui de donner de la poésie à ses maisons, et cela même jusque dans l'abandon, par la toile (Peinture 2).

Il est vrai que la mort et l'abandon peuvent aussi donner du charme. Les églantiers et les bouleaux se conjuguent aux fenêtres, percent les tuiles dans une image romantique. Les ronces menacent de reprendre quelques granges et quelques fermes. Mais le silence, l'impression d'abandon vient davantage du nombre de logements vacants, de volets fermés, de cheminées éteintes que de l'écroulement des murs. Car, sur le plateau de Millevaches, les logements vacants et les résidences secondaires dominent les bourgs.

Commune (département)

% résidences principales sur la commune

% résidences principales du département (comparaison)

Tarnac (19)

40,1

75,6

Peyrelevade (19)

54,2

75,6

Royère-de-Vassivière (23)

35,8

67,3

Gentioux-Pigerolles (23)

45,1

67,3

Faux-la-montagne (23)

40,2

67,3

La Villedieu (23)

43,9

67,3

Rempnat (87)

51,8

84,7

Nedde (87)

47,8

84,7

Source : INSEE (2008)

Tableau 2 : part des résidences principales sur les communes témoins

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Dans moult hameaux (Les maisons, commune de Tarnac, par exemple), ne demeure qu'un seul résident qui peut avoir les clefs de tout le village.

La part des résidences principales peine à atteindre les 50% et reste très inférieure sur le Plateau aux moyennes départementales comme en attestent les dernières données de l'INSEE sur le Tableau 2.

L'annuaire en attente à la porte et les feuilles mortes sur le pallier (photo 7) caractérisent l'utilisation très partielle des bâtiments. Quant au titre de cette photo, il n'a rien d'usurpé puisque c'est la délégation du dépôt des bottins à une compagnie privée qui va permettre à celui-ci de demeurer des mois suspendu à une poignée.

Autant dire que la population qui habite sur place toute l'année ne possède pas les lieux et doit faire face à la confiscation du bâti vacant (en indivis) ou saisonnier. A l'arrivée du soleil, la population peut doubler de volume. Un habitant d'un hameau de La Nouaille, s'il mentionne la bonne entente dans tout le village, y compris avec les estivants, relate les conflits dus à leur retour temporaire : on ne peut presque plus se garer dans le village, ni faire tourner un moteur (de tronçonneuse) car le moindre bruit gêne les citadins et comme « ils sont les plus nombreux, ils font ce qu'ils veulent ».

L'habitat est un terrible élément sur lequel la population semble dénuée de pouvoir direct. Dans une région autant désertée que le Plateau de Millevaches, avec tant de maisons inoccupées, les nouveaux arrivants (le solde migratoire est positif) peinent à trouver à se loger. On se trouve même forcé de construire pour accueillir et un certain mitage peut poindre, comme dans le bourg de Gentioux. Cela peut laisser amers bien des anciens habitants qui trouvent l'image de leur paysage changée Yves Luginbühl parle en ces termes du problème du mitage dans sa thèse : « Il faut reconnaître que le problème est de taille, car le développement de l'habitat est sans nul doute la transformation la plus visible dans le paysage » (p.100) [Luginbühl, 1981]. Car le mitage consomme de l'espace rural et n'obéit plus à l'architecture traditionnelle locale.

Je peux tirer ici une première conclusion dans la première partie pour dire que ce qui relève du foncier, terrains comme habitations, dans l'environnement, n'appartient pas à la population et, de plus, est une source de mécontentement pour les habitants permanents. La population se trouve sans pouvoir direct sur la nature physique de son environnement, nature qui lui est imposée par l'extérieur, sans son avis, que ce soit du fait de l'exploitation forestière ou de la confiscation du bâti qui entraîne le mitage des villages. Si la population ne veut pas subir complètement un environnement imposé, elle doit donc trouver d'autres sources de

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pouvoir que le foncier. Toutefois on peut également considérer que la réfection de l'habitat par les propriétaires saisonniers, attachés à leurs racines, participe à maintenir vivace, par la pierre, la mémoire des lieux et sauve de l'écroulement plusieurs fermes et granges que les habitants n'auraient pas le pouvoir financier d'entretenir. Donc qu'un pouvoir d'attraction est rendu aux villages et à leurs habitants par la reconnaissance de l'histoire, la mémoire des bâtisseurs. Les maisons ne sont d'ailleurs pas la seule composante du patrimoine, en particulier bâti, à être valorisée.

Le petit patrimoine historique

Il me semble impossible de parler du Plateau sans mentionner l'abondante présence de ce qu'on appelle parfois le petit patrimoine bâti et dont les figures qui lui sont les plus associées sont les fontaines, lavoirs, croix, et autres chapelles, fours à pain voire pierres d'éviers (comme en peut en voir sous les fenêtres de la Peinture 2 et de la Photo 7). Si ce patrimoine est marqué par un pouvoir de la population ? Il se pourrait.

Les églises, les chapelles, les croix aux intersections reflétaient certainement, lors de leur édification, le quadrillage du pouvoir de la religion catholique. Mais celles-ci, surtout les croix, sont davantage objets de musée en plein air qu'objets de culte. Les croix en pierre (un exemple en photo 10) sont très nombreuses sur le Plateau. Le granit a continué d'être préféré au fer forgé ou à la fonte et dans leur contemplation, on admire également les durs coups de burin des tailleurs. Ce matériau, ainsi que le bon état, tout juste un peu passé, un peu attrapé par l'érosion ou la mousse, donne un charme particulier à ses croix. Certaines ont leur originalité. On voit une belle croix cerclée à l'entrée nord de Royère. Au pied de l'église de Gentioux, une haute croix de granit porte son Christ et derrière lui, à l'ombre du clocher, crucifiée avec lui, elle porte une vierge en train de prier1. La population, malgré ce qu'en dit Anne Stamm, n'est plus franchement empreinte de religion [Stamm, 1983-et même un autre ouvrage de 1997]. C'est la valeur patrimoniale, culturelle, des petites croix, comme celle des fontaines, des ponts, de touts les petits édifices de pierre qui est reconnue et valorisée.

De nombreux panneaux routiers indiquent leur présence, font converger le passant vers eux, le font s'arrêter sur le Plateau. Une tombe sculptée (dont on peut admirer la finesse des détails sur la photo 8) au cimetière de Gentioux, une croix à Villemoneix, une croix du

1 Ce type et cette abondance de croix me semble relativement rare, surtout en Limousin, mais n'est pas spécifique à la région. Le granit est présent dans toutes les zones d'altitude du Massif Central et j'ai aussi constaté la présence de la vierge sur une croix jouxtant l'église de Chavagnac dans le Cantal.

Photo 9 : Pont-planche de la Gane (Faux) (03/2012)

Cliché personnel. Gentioux

Cliché personnel. Faux-la-Monatgne

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Photo 8 : Tombe sculptée à Gentioux (03/2012)

Cliché personnel. Commune de Gentioux

Photo 10 : Croix à Villemoneix (Gentioux) (03/2012)

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mouton à Peyrelevade, le pont de Senoueix1, la fontaine du Longy mais aussi des rochers (Clamouzat) sont ainsi indiqués. Le patrimoine semble dégorger de partout quand on empreinte les routes d'une commune comme Gentioux-Pigerolles. Ce patrimoine n'a pas besoin d'être spectaculaire pour être considéré et figurer dans les guides (ou fiches communales) comme c'est le cas du pont en pierre plate de la Gane (Photo 9) à Faux. Ce type de pont est parfois mentionné sous le nom de pont-planche. La mise en relief accentuée de ce patrimoine est souvent le fait des communes. On peut considérer qu'il montre une espérance (et une forme de soumission) au tourisme ou une volonté de conservation par la lumière que des habitants peuvent lui donner via les institutions.

Mais son entretien est aussi le fait d'habitants qui y sont attachés. Des habitants prennent l'initiative de retaper leurs lavoirs dans certains hameaux. Des associations se sont montées comme l'A.R.H.A de Tarnac, « Eclats de Rives » à Saint-Martin-le Château ou « la pierre levée » à Peyrelevade pour entretenir fontaines, ponts, chemins, et murets de pierres bordant les chemins. La mémoire n'est pas qu'une volonté de spectacle. La mention du passé peut indiquer un pouvoir, surtout quand il dénote un certain état d'esprit, de résistance, de la population. Il devient un facteur de culture qui rappelle qu'on a un rôle, non neutre, à jouer quant au pouvoir. Il en va ainsi par le rappel des guerres, et de leur refus, sur le plateau de Millevaches.

Quand l'histoire glorifie le pouvoir de résister et de refuser la guerre

La conservation du patrimoine prend un tour beaucoup moins anodin quand on sait que la mémoire de la résistance, très active sur Plateau, notamment du fait de la forte implantation du communisme sur moult communes, est entretenue par diverses stèles et plaques et que le souvenir des guerres est décorée par sa condamnation ou par la paix (photos 11, 12, 13). Le monument de Gentioux est le symbole de la non-allégeance aux armes, au refus d'un pouvoir imposé sous le couvert de la Patrie. Le sud creusois avait été très touché par la première guerre mondiale. En nombre de morts, sur les 25 cantons, ceux du Plateau : La Courtine, Gentioux et Royère, figurent dans les 5 premiers. La mutinerie des soldats russes du camp de La Courtine en 19172, isolés sur le Plateau par crainte de la contamination des idées révolutionnaires et démobilisatrices. Ces soldats, avant d'être sommés par les armes de se rendre, avaient pu se mêler à la population pour aider aux travaux des champs. Lors de l'ainsi

1 Qui est devenu la carte postale typique de la Creuse.

2 Ce furent 16000 soldats russes, envoyés en France par Nicolas II et désirant regagner leur pays à la révolution, qui furent envoyés à La Courtine.

Photo 11 : Plaque à La Villedieu (03/2012)

Cliché personnel. La Villedieu

Cliché personnel. Limite des communes de Gentioux-Pigerolles et Peyrelevade

Photo 12 : Croix blanche vers Neuvialle (03/2012)

Cliché issu de la-feuille-de-chou.fr consulté en avril 2012

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Photo 13 : Monument aux morts de Gentioux

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nommée « seconde guerre mondiale », le communiste Georges Guingouin entre en résistance, avec l'appel du 18 juin du général De Gaulle, avant son parti. Il est souvent appelé « premier maquisard de France ».

En 1956, en partance pour la guerre d'Algérie, un camion de soldats exprimant leur opposition à la guerre, fait étape à La Villedieu. Des habitants, les soutenant, organiseront une manifestation pacifiste pour s'opposer à leur départ. Pour cette action, René Romanet, maire de La Villedieu, Gaston Fanton, instituteur à Faux et Antoine Meunier seront condamnés par le tribunal militaire de Bordeaux, notamment à des peines d'emprisonnement et à la privation de leurs droits civiques.

C'est pour se rappeler de ces faits, s'opposer aux guerres coloniales et à la répression de ceux qui refusent la guerre que l'association Mémoire à vif s'est crée à La Villedieu en 2001.

C'est une association à portée nationale. Quant à Guingouin, son nom est tagué sur des murs d'Eymoutiers pour stipuler qu'il faut toujours résister même si le personnage est loin d'être porté aux nues par les habitants. Ceux-ci peuvent, par exemple, rappeler son autorité un peu trop marquée. Enfin, le monument de Gentioux est le rendez-vous annuel d'une manifestation pacifiste, dénonçant la guerre (voir coupures de presses de l'Annexe 3). Le rayon d'attraction de cette manifestation est assez large. Le refus de la guerre et, avec lui, le refus de la soumission, sont donc encrés dans le paysage du plateau de Millevaches, et reconnus depuis l'extérieur du Plateau.

La mémoire joue un rôle non négligeable comme élément de l'environnement et son maintien montre, malgré la désertification des bourgs, une volonté de ne pas détruire les actions passées. Si le maintien des petits édifices montre plutôt une volonté de mainmise sur son patrimoine qu'une revendication, les monuments, plaques et mouvements qui condamnent la guerre et l'obéissance aux ordres sont autant d'éléments culturels sur le Plateau qui signent une démarcation de la population face à un pouvoir ne prétendant qu'une légitimité hiérarchique et institutionnelle pour se faire valoir. Puisque l'histoire fait partie de la culture, voyons comment celle-ci s'insère dans l'environnement local.

2.3 - Un pouvoir d'habitants indépendants à travers le marquage culturel

Le plateau de Millevaches est un terrain d'exercice pour la culture, un terrain, certes peu peuplé, mais où sont proposées de nombreuses activités. Trois centres d'arts sont situés sur le Plateau à Eymoutiers, Vassivière -qui prête des oeuvres aux particuliers- et Meymac. On trouve également de petits musées. Plusieurs pièces de théâtre sont annoncés par affichage

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(récemment1 Résistances- paroles de femmes à Faux) ainsi que de régulier concerts, en particulier au bar de Royère (L'Atelier). A Tarnac, je suis aussi allé à un concert un lundi soir. Une association à également organisé, plusieurs années consécutives, le festival (bien annoncé) des bistrots d'hiver qui conjugue apéro-débat (j'ai assisté à l'un d'eux sur la gestion forestière et à un sur la réappropriation possible des sectionnaux), déjeuner et concert. 13 lieux recevaient cette saison et parmi les débats, de nombreux thèmes abordaient des sujets environnementaux, ou mettaient en avant les filières courtes de production.

Le nombre d'activités culturelles visibles (ne serait-ce que par les affiches) sur un territoire aussi peu densément peuplé dénote un certain investissement des habitants sur leur territoire. Les sujets abordés sont révélateurs de la volonté de maintenir présent un esprit critique sur ce Plateau. La nature de certaines manifestations y corrobore. C'était le cas des « nuits du 4 août » l'été dernier à Peyrelevade, fête anarchiste avec débats, projections et concerts sur 3 jours et dont l'affiche (copie en annexe 4) revendique l'esprit d'insubordination. Et c'est le cas également du festival Bobines Rebelles (projections) qui se tient en juin à Royère et qui programme beaucoup de documentaires libertaires. Le prix en est volontairement libre pour, comme le précise un des organisateurs, que chacun puisse venir, et donner selon ses ressources. Et le festival dégage chaque année de quoi continuer l'an prochain. Le mythe du Plateau lu comme territoire anarchiste trouve donc une résonance dans l'activité culturelle qu'on peut y trouver en y séjournant. Dans la prise en charge culturelle du territoire par les spectacles engagés, peut se deviner un pouvoir local d'habitants prônant leur autogestion.

La marque de la culture libertaire ne se trouve pas seulement dans l'affichage évènementiel mais également dans les inscriptions au bord des routes, sur des panneaux ou des transformateurs E.D.F. Lorsqu'on arrive sur Gentioux depuis la route de Felletin, on peut trouver deux déclarations comme quoi on ne se laissera pas faire (Photo 14 et 15).

Le slogan « Toujours insoumis », depuis plusieurs années sur le panneau du Parc Naturel régional semble marquer la porte d'entrée du Plateau tant il est immanquable. On trouve le même adjectif, en voie d'effacement, sur le goudron de la route entre Peyrelevade et Tarnac.

1 Et je dis ça le 14 avril 2012.

Photo 14 : Panneau routier du PNR (02/2012) Photo 15 : Transformateur électrique (03/2012)

Cliché personnel. Sur la D992. Vers La Nouaille

 
 

Cliché personnel. Sur la D992. Vers Saint-Quentin-la-Chabanne

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La reprise, tournée en dérision, du zoologique « Prière de ne pas nourrir les habitants » avec la signature du Parc rappelle par sa simple présence que la population de céans n'est pas à mettre dans une cage. Je peux aussi l'interpréter de la manière suivante : « les habitants n'ont pas besoin qu'on leur impose une nourriture extérieure »... enfin, chacun peut y lire sa petite cocasserie. Le fait qu'il soit signé « Le Parc » avertit aussi que l'étiquette PNR ne va ni ranger, ni dompter les esprits. Les bêtes restent sauvages.

Ces deux inscriptions sont loin d'être les seuls. Autour de Nedde, plusieurs transformateurs électriques sont tagués d'avertissements insurrectionnels suite aux arrestations à Tarnac, l'entrée au bourg de La Villedieu se fait sous la mention « Police partout, justice nulle part » : on n'est pas spécialement habitué à ce balisage rebelle dans les campagnes limousines. Les graffitis contre le nucléaire ont aussi fleuri -surtout après Fukushima- : on en trouve jusque Felletin, Meymac ou Eymoutiers. La contestation du nucléaire vise aussi le passé d'extraction de l'uranium sur le Plateau et l'omerta qui règne autour de l'ex usine de traitement des déchets nucléaires de Bessines-sur-Gartempe1 au nord de Limoges.

1 Une pollution de la Gartempe en aval de l'usine a été relevée par la Commission de Recherche et d'Informations Indépendantes sur la RADioactivité (CRIIRAD) en 1994. Une opposante au nucléaire relate qu'elle se trouvait peu de pouvoir sur le sujet, au regard de la possibilité des lobbies nucléaires d'acheter le silence des Bessinauds et de leurs élus. Silence qui leur aurait valu une belle place... et un musée de la mine d'uranium pour vanter la science nucléaire qui doit bientôt ouvrir ses portes.

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En sillonnant les bourgs, j'ai pu remarquer le déploiement de banderoles dénonçant des fermetures de classes dans plusieurs communes : à Felletin et à Nedde par exemple. Plusieurs habitants m'auront cité ces menaces de fermeture pour imager la faiblesse de leur pouvoir. Si ces dernières inscriptions sont le signe d'un pouvoir étatique ou industriel capable de maltraiter le territoire, donc subi par les habitants, elles montrent aussi que ce pouvoir n'est pas reconnu comme légitime et qu'il trouvera une opposition parmi la population. Opposition qui fait partie de cette culture de la résistance pouvant irriguer l'environnement et que peut résumer ce diction dit ironiquement « creusois » dans le dernier Communard1 : « Qui se laisse gouverner, doit accepter d'être irradié ».

Dans le paysage culturel du Plateau, comptent justement deux journaux : Le Communard, saisonnier, sous-titré « un peu de cassis et beaucoup de rouge » à teinte communiste et libertaire, et IPNS, paraissant tous les trois mois depuis 10 ans, qui traite avec un oeil critique des sujets locaux, sous-titré pour sa part « Journal d'information et de débat du plateau de Millevaches ». A ceux-là, s'ajoutent la présence de deux autres journaux saisonniers et anarchistes : La vache qui rugit (centré sur Limoges) et Creuse-Citron (dont les origines se situent du côté de Royère). C'est une présence importante sur une zone si faiblement peuplée.

Télé Millevaches, qui a aujourd'hui son siège à Faux existe depuis 1986. Avant d'entrer dans les critiques, son but est de donner la parole aux habitants du Plateau. Ne disposant pas d'un canal, le magazine -gratuit- était enregistré sur casettes vidéo disponibles dans les mairies ou autres points dépôts. Des projections publiques permettaient des contacts et débats autour des émissions. Le principe a changé de support et utilise disques compact et internet et, aujourd'hui, quelques canaux.

Cette activité culturelle n'est pas uniforme sur tout le plateau de Millevaches. Elle est surtout intense sur le sud de la Creuse, et en particulier sur les communes témoins de cette étude. La forte imprégnation culturelle sur cette zone est d'ailleurs l'un des facteurs qui a orienté ma sélection. Certains nouveaux habitants citent d'ailleurs ce dynamisme culturel comme leur facteur principal de choix d'installation autour de Gentioux. Un couple de Haute-Corrèze (du coeur du plateau de Millevaches peut-on dire) a choisi le plateau de Gentioux pour cela. Et a conclu que la Haute-Corrèze n'était pas dans la même dynamique, ne serait-ce que démographiquement. Mais elle reste irriguée par les médias locaux : Le communard, IPNS et Télé-Millevaches.

1 Se référer à l'avant-dernière note.

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Il n'est pas que les inscriptions et l'affichage qui marquent culturellement et physiquement le paysage puisque les journaux sont visibles dans les kiosques ou bistrots et que les secrétariats de mairie disposent du magazine de Télé Millevaches sur le comptoir. La forte présence de la culture et les manifestations d'un esprit critique face au pouvoir institutionnalisé supposent un mode et un rythme de vie qui diffère de la soirée individuelle devant sa télévision. Des habitants veulent créer et avoir accès à la culture, avoir un rôle actif dans leur environnement intellectuel.

Le dynamisme local peut aussi se constater physiquement par les changements dans le paysage, c'est-à-dire les éléments qui peuvent constituer une cassure dans le paysage.

Je rappelle ici la définition du pouvoir que j'ai choisi en introduction : « la capacité à agir sur une situation de manière à en modifier le contenu ou le devenir ».

2.4 - Les cassures dans le paysage

Le bourg de Gentioux est en grands travaux. La moitié de la route est coupée et défoncée par les engins. Des camions de travaux manoeuvrent sur la place principale et le long des trottoirs. On ne traverse le bourg, en voiture, que difficilement. Des tuyaux apparaissent parfois avant d'être recouverts. Il se construit un réseau de chaleur au bois. Les habitations du bourg pourront être raccordées à ce réseau collectif de chauffage. Ce système est souvent utilisé pour les bâtiments publics (mairie ou école) comme à Peyrelevade ; il sera proposé également aux particuliers à Gentioux. Le bois est une énergie localement disponible sur le Plateau et ce type de réseau peut aussi utiliser le bois des résineux. Ce n'est à priori pas un pouvoir aussi direct que le chauffage au bois par sa cheminée, très répandu, mais pour ceux dont la cheminée aurait du mal à chauffer toutes les pièces ou pour ceux qui n'en disposeraient pas, ce sera peut-être la capacité d'avoir chaud à l'aide d'une énergie locale (normalement moins chère puisque collectivisée...ça reste à voir). Pour la commune, qui a décidé ce système, c'est un moyen d'indépendance vis-à-vis d'autres sources d'énergies non locales et dont le coût augmente et risque de continuer à augmenter. C'est un signe qu'elle est prête à se lancer dans les innovations.

Soulignant une indépendance beaucoup moins discutable, c'est une absence qui surprendra à La Villedieu : celle des compteurs d'eau. Les sources sont captées directement et fournissent l'eau potable gratuitement aux habitants et sans traitement. Cette gratuité, n'étant profitable qu'aux habitants, n'avait pas forcément reçu une appréciation bienveillante de l'administration régionale et le maire a dû insister plus ou moins selon les interlocuteurs pour

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la faire admettre. L'accès à l'eau potable ne nécessitant parfois qu'un simple captage (et une attention portée quant à l'utilisation des sols), ne devrait-il pas être un des droits les plus primordiaux ? ...

C'est essentiellement par le bâti que j'ai repéré ces cassures. Peut-être suis-je trop habitué à la région pour remarquer des changements dans l'occupation des sols. Certaines parcelles, anciennement boisées se couvrent de genêts : peut-être ne seront-elles pas replantées et il est possible que certains troupeaux de moutons reviennent à des endroits où ils n'allaient plus. Leur rôle d'entretien des landes est reconnu. Mais revenons à l'habitat.

J'ai vu plusieurs maisons, d'aspect neuf, construites en bois. Elles dénotent de moins en moins dans le paysage. Elles sont souvent construites à la périphérie des villages mais certains ajouts de bois peuvent compléter des maisons de pierre au centre des hameaux. Elles montrent une préférence du bois par rapport au parpaing mais également le besoin de logements et probablement la difficulté d'accès au foncier ancien. Le choix du bois est présent aussi pour les yourtes. On en trouve quelques unes à Lachaud, sur la commune de Gentioux. S'il est possible que leur existence relève d'un faible pouvoir d'achat, elles sont également le signe d'un autre rapport à l'environnement, à rapprocher de celui de la cabane d'Henry Thoreau qu'on peut lire dans Walden [Thoreau, 1947]. C'est une recherche de simplicité et d'intégration à la nature. Les yourtes servent -entre autres- à accueillir des jeunes, pour des chantiers d'été par exemple. Il est donc possible d'en déduire une activité des jeunes en rapport à l'environnement (qui se vérifie à Lachaud), le pouvoir d'une vie sans exploitation intensive de l'environnement.

Je vais prendre un dernier exemple quelque peu différent. Quand je suis arrivé au village de Variéras (commune de Pérols-sur-Vézère) et que j'ai fait part de mon sujet d'études à un artisan qui travaillait sur les lieux, il m'a tout de suite dit que j'étais bien tombé.

Son père, Maurice Gorsse, avait construit un toit de chaume pour sa maison. Charmé, d'autres habitants lui ont commandé leurs chaumières. Il en a ensuite construit quelques unes dans le village, sans aide d'aucune sorte hormis celles d'amis (puisque les aides lui étaient refusées, entre autres par la municipalité) mais pariant qu'elles allaient plaire, être achetées et habitées. Ce qui fut le cas. Suite au succès, le hameau s'est agrandi et des chaumières sont également commandées dans d'autres villages.

Cliché personnel. Commune de Pérols-sur-Vézère

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Photo 16 : Chaumières à Variéras (03/2012)

L'artisan m'a précisé que les chaumières devaient être peu chères et que, lors des ventes, étaient privilégiés les habitants qui y vivraient à l'année (il y a donc pas mal de résidences principales) et les jeunes (ou les familles). Variéras est aujourd'hui le plus gros hameau de la commune et a donc un poids démographique significatif. Plusieurs habitants sont conseillers municipaux. C'est un pouvoir pris à l'intérieur de la commune.

Ces habitants qui ont agrandi le village en chaumières ont, pour leur part, eu le pouvoir sur sa composition visuelle et sociale. Les chaumières individuelles sont disposées de manières à garder une sensation d'espaces et de nature, voire de vacances pour les habitants (photo 16). Mais ces chaumières (dont les murs restent en parpaing : question de coût) pourraient aussi s'apparenter au mitage de la campagne. La disposition, si elle semble esthétique, me donne aussi l'impression d'un manque de cohésion, d'une recherche de son carré individuel exagérée. Il n'y a pas (encore) de bar où les gens se rencontreraient, ni de lieu culturel où la collectivité prendrait un sens. J'aurai la sensation du manque de la possibilité de liens en m'installant là-bas, d'un manque de désordre, d'animation, de vie peut-être tout simplement. Je finirai d'ailleurs cette partie avec la vie sur le Plateau, pour annoncer les activités humaines que l'on peut y rencontrer avant de me tourner précisément vers les modes de pouvoir de la population. Mais je me permets, pour cette première partie, une conclusion avant la lettre.

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Conclusion sur les marqueurs spatiaux du pouvoir

On peut se faire une image de nature du plateau de Millevaches, d'une nature qui nous ferait gagner beaucoup quant à notre qualité de vie mais où l'on se sentirait isolée. Cette image est contrebalancée par l'activité militante « anarchiste » du Plateau qui a pu nous arriver aux oreilles mais aussi par les premières ballades sur place. On rencontre des forêts loin de l'état sauvage : plutôt des plantations. L'impression de vide peut être confortée par le peu de gros bourgs et par le nombre de maisons inhabitées. L'espace physique ne plaide en effet pas en faveur d'un pouvoir qui viendrait des habitants. La composition du paysage est fruit de l'exode rural et de la propriété foncière héritée, aujourd'hui aux mains de non-résidents. La population semble pourtant ne pas se résoudre à ce constat. L'activité culturelle et politique montre, contrairement aux premiers préjugés, un réel dynamisme sur le plateau de Millevaches, et en particulier sur les communes que j'ai retenues comme centrales pour mon étude. Si certains peuvent rechercher l'isolement familial, plusieurs habitants s'investissent dans la vie sociale du territoire. Parce qu'ils veulent avoir leur part de décision quand à la marche de ce pays. Pays au sens local, mais plus largement aussi, au sens national. L'esprit critique, manifeste sur le Plateau, signale une volonté de ne pas se soumettre à des décisions autoritaires et une volonté d'avoir du pouvoir sur sa propre vie.

2.5 - Tranches de vie sur le Plateau

C'est vrai que, me promenant en vélo, je n'ai pas eu à subir un fort trafic sur les routes. Les heures de pointes, celles où les gens se rendraient au travail ou rendraient le travail, ne m'ont pas sauté aux yeux. Le travail rythmé ne doit pas être de si grand poids ici. Il faut dire que les retraités figurent en nombre. Ils s'attardent parfois, le matin au bistrot, reviennent sur leur pas et s'occupent au champ comme des agriculteurs. Quelques camionnettes passent dans les villages pour livrer le pain ou la viande. Dans les bourgs communaux, on arrive parfois à trouver quelques commerces ou pharmacies, des médecins à Faux-la-Montagne. Parmi mes communes-témoins, Peyrelevade est le plus gros bourg et le mieux desservi. Pas vraiment de vie alors ? Mais de l'activité. La solidarité fonctionne encore puisqu'on va vers les villages isolés, les vieux ou les enfants. Car on trouve aussi plusieurs bornes qui indiquent les points de ramassage scolaire dans les hameaux. De biens des façons, la région ou les habitants eux-mêmes font en sorte que l'isolement physique ne soit pas un

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effacement social. Plusieurs habitants entrevoient leur région comme dynamique. Et comme suscitant l'intérêt extérieur : la preuve en est ces étudiants qui viennent brosser leur sujet sur le plateau de Millevaches.

Les initiatives, les travaux entrepris dans les bourgs (comme à Gentioux), les maçons ou électriciens que l'on croise en train de rénover une maison dans un petit hameau, les jeunes qui sortent pour manger, le midi, à Faux et les cantonniers qui viennent se faire une facture dans les restaurants montre que le pays, faute d'être foisonnant comme au début du XXème siècle, n'est pas totalement éteint.

J'ai déjà mentionné les initiatives culturelles et politiques qui fermentent sur le Plateau et l'animent jusque sur des affiches et journaux. On trouve de nombreux bals traditionnels où -curieusement ne serait-ce que par rapport au sud de la Corrèze- viennent danser beaucoup de jeunes. La soirée, bien qu'on soit à la campagne, reste un moment de possible sortie.

A ce que beaucoup disent, les festivités sont souvent animées, sur le Plateau, par des migrants qui s'appellent entre eux « néo-ruraux », le nom que certaines études leur avaient donné. Ce sont majoritairement eux qui se déplacent aux fêtes et animations. Certains ont apporté leurs rites culturels de la ville (débats, concerts, spectacles...) et se sont investis pour les implanter avec un vrai succès puisqu'ils demeurent. Comme d'autres, chauffeurs de taxi ou maçons, avaient pu, autrefois, rapporter la culture politique depuis Paris. C'est-à-dire : le communisme et ses réunions syndicales et politiques. Le plateau de Millevaches, depuis un siècle vit donc sous l'effervescence des dernières pensées politiques : que ce puisse être l'écologie et la décroissance aujourd'hui ou, hier, le communisme, voire un capitalisme financier (sur pied, par les conifères et les masures) d'après-guerre.

Ce n'est pas pour autant que les influences se croisent et les gens « du cru », qui sont toujours restés sur le Plateau ne participent apparemment que peu aux animations et sorties. Leurs enfants ne se mêlent à ceux des migrants qu'à la petite école car, apparemment toujours et selon plusieurs témoignages de migrants, ils arrêteraient leurs études plus tôt ou choisiraient de filières plus professionnelles. Ces derniers préféreraient les boîtes de nuit aux bals.

Le peu de mélange aux animations et soirées provient aussi de rythmes de vie différents : les migrants donnent davantage d'importance au temps libre et veulent se permettre des loisirs ou des activités associatives. Les gens « du cru » attachent plus de valeurs au salaire dû à l'effort ou la sueur, ce que relatait déjà Jean-François Pressicaud dans son mémoire [Pressicaud, 1980]. La catégorisation peut sembler formelle, cette division dichotomique, mais elle provient des discours des habitants, notamment des dits « néo-ruraux » (mais qui pour la plupart ne sont pas si nouveaux et pour une autre part n'ont jamais été citadins) qui ont peut-

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être eu l'impression de devoir batailler sur un terrain politique pour que leurs idées et leurs actions puissent exister dans le paysage. Cependant, il en est de nombreux pour relater le bon accueil que leur ont fait des voisins contents de voir se remplir leur village. Les anciens, bien que se sentant peu concernés par les manifestations culturelles, reconnaissent aussi le rajeunissement qu'ont apporté les migrants. Mais très prudents, ils savent qu'il faudrait davantage de monde, de jeunes, d'emplois disent-ils aussi, pour prolonger ce réveil du Plateau.

Originaire de Creuse ayant migré sur la capitale, je ne sais même pas si j'ai des palmes dans les deux mares et mes positions reflèteront certainement surtout la fréquentation des activités associatives, culturelles et militantes du Plateau. Cette division entre « néo-ruraux » et « gens du cru » pourra être un des facteurs du choix de certains leviers de pouvoir sur l'environnement mais mon étude de la population partira d'abord des diverses façons de se grouper pour peser sur la vie locale, de la nature des acteurs au regard des pouvoirs plutôt que d'une sériation des individus.

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II - Relations et formes de pouvoir des acteurs locaux

Mais je tâcherais de donner les principales caractéristiques de la population. Puis je la découperai en acteurs : groupes institutionnels, groupes associatifs et autres habitants. Des relations entre ces groupes naissent des stratégies différentes de pouvoir, des actions diverses sur l'environnement. Elles permettent d'appréhender les limites des pouvoirs de chacun et de dégager les différents leviers de pouvoir que peuvent utiliser les habitants pour décider de leur environnement.

Avant cela, je vais rappeler de quelle façon j'ai interrogé les habitants et compléter les propos de mon introduction. Cette manière d'intervention comporte, comme d'autres, ses limites et ses sources d'erreur. On reçoit aussi les témoignages qu'on provoque.

1 - L'approche de la population

-Les abeilles savent que tu les regardes, elles s'habituent à toi, à ton odeur et ça agit sur leur comportement, de même leur présence modifie ton comportement, se comparait un apiculteur à un anthropologue, se souvenant de ces études de sociologie.

1.1 - Mes choix méthodologiques

Cela me ferait peut-être drôle, de lire un tel sujet sur le territoire où je vis, d'être un élément de cette population qu'on approche, qu'on ausculte, qu'on étudie avec un parfum de zoologie, d'être un des acteurs décrits. J'en deviens pourtant un dans le bref moment où je fais mes recherches. Si je ne suis pas un habitant du lieu considéré, je deviens aussi une bête d'étude. Egoïstement : la seule peut-être. Puisque je ne peux pas me retirer pour faire mon étude. Et si les leviers de pouvoir peuvent se passer de moi puisqu'ils existent sans moi, avant moi (puisque c'est pour les décrire que je viens !), le tableau que je vais brosser (mon mémoire) ne peut se passer d'eux. Comment procède-je alors ? Puisque le processus est en quelque sorte mon procès. Et il faut que je jure de dire toute la vérité ? Ou toutes les erreurs, puisque ce sont peut-être les seules choses auxquelles j'ai accès.

Comme je l'annonçais en introduction, je n'ai pas cherché à sérier mes entretiens. J'ai donc posé des questions très ouvertes, essayé de recueillir l'opinion des gens sans le besoin préalable de ranger leurs propos dans une case. Je ne pense pas que mon sujet se prête à la statistique. Au final, il y aura pourtant ces formes de cases que sont les chapitres.

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J'ai consigné dans mes notes 97 résultats d'entretiens. Les personnes que j'ai interrogées étant parfois en couple, ou en groupe, je pense qu'il faut doubler ce chiffre pour obtenir celui du nombre de personnes dont j'ai relevé les discours. Il y a aussi des personnes que j'ai rencontrées, dont les propos ont servi ma réflexion, mais que je n'ai pas intégrés dans mes notes. Je commençais, à la fin, à retomber très souvent sur des discours obtenus et c'est pourquoi, avec le fait que j'avais interrogé des acteurs de nature différente, je n'ai pas réalisé davantage d'entretiens. Et c'est aussi une question de temps, de calendrier que je me suis fixé. Sinon, en retrouvant les mêmes discours, je pourrais continuer longtemps.

De longueur les entretiens étaient diverses, certains ne durant qu'un quart d'heure, d'autres dépassant l'heure, selon les personnes, la moyenne étant plutôt de l'ordre de la demi-heure. Le fait d'être autour d'une table, par exemple, incite à prendre du temps. Ou le beau temps dehors ! J'ai posé une série de questions identiques dans mes entretiens. D'abord

« Pensez-vous avoir du pouvoir sur votre environnement ? », question vaste que j'explicitai, pour commencer, le moins possible, dans le but de savoir comment la personne comprenait le pouvoir. En revanche, je pouvais préciser « environnement » par « territoire », « lieu de vie », ou tout simplement « ici, sur le Plateau ». Ensuite j'ai demandé comment la personne agissait sur son environnement : la formulation de cette question dépendant de l'interlocuteur. Si la personne est dans une association : « qu'a fait concrètement l'association ? », si c'est un agriculteur, ça peut prendre la forme de questions relatives à son travail... mais souvent, je n'avais pas besoin de poser cette question puisque les gens en parlaient d'eux-mêmes, suite à la première question. Et puis je demandai s'ils avaient des relations avec les autres habitants, associations, PNR ou institutions, et la nature de ces éventuelles relations. En bref, les questions que je me posais moi-même. Je me permettais aussi de faire parler les gens sur l'avancée de mes travaux, c'est-à-dire sur d'autres discours déjà reçus ou, sur les leviers de pouvoir que j'étais en train de mettre en relief. Je pouvais ainsi préciser mes définitions, les compléter. Mais c'était aussi parce que j'avais envie de donner mon avis ou d'expliquer pourquoi j'avais choisi ce sujet. D'ailleurs on me le demandait parfois. Il y a des personnes que j'avais déjà rencontrées avant de les interroger et leurs réponses ont aussi pu être orientées du fait qu'ils connaissaient déjà mon sujet d'études et qu'ils savaient pourquoi j'étais là. Mais comme leurs réponses ne sont pas enregistrées pour un sondage, elles n'ont pas le besoin d'être spontanées ou dégagées d'influence. Les influences, que ça soit celles des personnes sur mon sujet ou le fait que je relate mon sujet d'étude aux personnes, permettent aussi de préciser nos pensées. Qui regarde qui ? Et qui butine les fleurs ? ...

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Je ne prenais pas de notes (et certains en ont été surpris) : le grand désavantage de cela est que je devais mémoriser au maximum les propos et que je ne peux majoritairement rapporter que des discours indirects. Mais les désavantages de la prise de notes (ou de l'enregistrement) me semblaient plus dérangeants. Déjà, en terme de présentation, je ne suis pas sûr que ce soit toujours très poli d'arriver avec son calepin, de ne pas regarder les gens et ce rapport fait aussi qu'on ne dit pas forcément les mêmes choses à quelqu'un qui note qu'à quelqu'un qui écoute. Sans compter qu'on ne note pas assez vite, que les personnes sont obligées de s'arrêter et peuvent perdre le fil (ou l'envie) de ce qu'elles voulaient dire. L'enregistrement audio peut provoquer une méfiance : celle que tout ce qui va être dit pourra être retenu contre nous. C'est pourtant vrai aussi sans enregistrement !

Pour palier au manque de propos directs, j'ai enregistré un entretien avec Marc de « Nature sur un Plateau » (annexe 7), acteur à la croisée des thématiques du Pouvoir et de l'Environnement, que je pourrai citer plus longuement.

Comment je suis allé voir les gens n'est pas indépendant non plus de mon panel de discours obtenus. Hormis pour certains maires ou certaines associations, je me suis présenté directement chez les gens, ou dans les bureaux sans rendez-vous. Je me suis arrêté, en vélo souvent, dans les hameaux et j'interrogeais les gens rencontrés au hasard. J'ai aussi sonné à des portes au hasard. En procédant ainsi, et comme je me déplaçais dans la journée, j'ai évidemment rencontré beaucoup de retraités ou d'agriculteurs qui travaillaient dehors, autour de chez eux. Il faut dire aussi qu'ils représentent une part importante de la population et que j'avais de grandes chances, au hasard, de tomber sur eux. Mes résultats d'entretiens peuvent donc manquer, par rapport à la population, de salariés (quoique les associations représentent pas mal d'emplois salariés) ou d'ouvriers. J'ai surtout essayé de rencontrer des personnes dont l'occupation laisse présupposer un rapport privilégié à l'environnement ou une insertion dans la nature : paysans, chasseurs, pêcheurs.

Pour être plus complet, il faudrait prendre en compte davantage de témoignages de personnes travaillant hors des communes d'habitations et rentrant chez eux le soir. Pour cela, il ne m'aurait pas été inutile d'allonger ma période d'entretiens car ces personnes sont plus difficiles à croiser. La part des personnes travaillant dans leur commune d'habitation reste cependant forte : 55,6%, 60,1%, 68,7%1 pour prendre les exemples respectifs de Faux, Gentioux et Peyrelevade. En ce qui concerne les emplois par catégories socioprofessionnelles pour les communes-témoins, les dossiers INSEE ne signalent que des données indisponibles.

1 Source : INSEE 2008

62

Les sites des mairies proposent toutefois des chiffres issus de l'INSEE1 qui donnent de très fort taux d'emplois agricoles. Je vais donc donner quelques caractéristiques de la population du Plateau en rappelant que je me suis d'abord attaché à m'entretenir avec une proportion significative d'acteurs : maires (ou conseillers municipaux), chargés de mission du PNR, membres associatifs, et habitants ne faisant pas partie de collectifs.

1.2 - Caractéristiques de la population

D'abord, il convient de remarquer que la population du Plateau est peu nombreuse. Les centres-bourgs sont petits et les villages pour beaucoup désertés. On trouve des densités de population très faible sur les communes témoins (Tableau 3).

Commune

Gentioux

Faux

La Villedieu

Royère

Nedde

Rempnat

Peyrelevade

Tarnac

Densité
(hab/km2)

4,8

7,6

8

7,6

10,1

7,9

12,4

4,8

Source : INSEE 2008

Tableau 3 : Densités de population des communes témoins

Ces chiffres sont bien en deçà de la moyenne du département le plus rural du Limousin (la Creuse avec 22,3 hab/km2) et les communes de faible étendue comme La Villedieu ou Rempnat n'affichent pas un meilleur score.

Cette faible démographie est loin d'être indépendante quant au pouvoir. En particulier lorsqu'on sait qu'elle entre dans le choix d'installation sur le Plateau pour certains. Puisqu'il y a moins de monde, chacun peut penser avoir plus de poids sur son territoire et c'est ce que plusieurs personnes m'ont affirmé. La faible démographie, pour elles, est un facteur qui fait qu'on peut davantage s'exprimer ici qu'ailleurs. Un couple de vacanciers réguliers avaient d'ailleurs choisi La Nouaille comme commune électorale parce leur avis compte plus dans cette petite commune que dans la grande ville où ils travaillent. Le fait que l'espace soit faiblement peuplé entre pour certains dans la remarquable qualité de vie qu'ils adjoignent au plateau de Millevaches.

Pour d'autres, en particulier les vieux qui ont vu se vider les villages, la chute démographique a représenté une baisse de leur qualité de vie. Une habitante de Plazanet (Faux) me signale

1 Le réseau de sites www.annuaire-mairie donne 22% pour Nedde et Gentioux, par exemple, qui sont des communes médianes parmi les communes témoins -mais tous les emplois ont-ils été répertoriés ?- quand la part des emplois d'agriculteurs d'un département très agricole comme la Creuse est de 5,8% (part qui tient compte de la soustraction des chômeurs).

63

qu'elle n'a plus personne avec qui discuter dans le village, plus personne chez qui prendre le thé en franchissant simplement la rue.

D'autres personnes attribuent à la faible démographie leur absence de pouvoir sur l'environnement : ils ne sont plus assez nombreux pour peser. Et en effet, ils contrôlent beaucoup moins le foncier comme on l'a vu en première partie. Les habitants ne représentent plus un poids démographique (donc électoral et financier) pour être considérés depuis l'extérieur. Mais paradoxalement, ils ont aussi davantage de pouvoir car ils sont moins contrôlables. Mais ce pouvoir constitue plutôt une liberté individuelle sur son espace qu'un poids décisionnel sur ce même espace.

A ces faibles densités, il faut ajouter le nombre important de personnes âgées. Ce nombre n'est pas dû au simple vieillissement mais au fait que beaucoup reviennent s'installer dans la maison familiale pour leur retraite (et j'en ai rencontrées). Des maisons sont mêmes achetées plusieurs années à l'avance dans l'optique de la retraite. Les communes de Tarnac, Rempnat et La Villedieu affichent plus de 40% d'hommes comme de femmes de plus de 60 ans et les communes de Nedde et de Royère s'en approchent. Faux, Gentioux et Peyrelevade restant proche des moyennes creusoises de 29,9% d'hommes et 36,4 % de femmes de plus de 60 ans1. Moyennes d'environ 4 points supérieures aux régionales mais d'environ 10 points supérieures aux nationales. Si j'ai interrogé, au gré de mes visites de hameaux, beaucoup de retraités, c'est aussi parce que le Plateau en compte beaucoup. La retraite sera pour certains le signe de l'âge et ils diront n'être plus concernés quant aux questions de pouvoir ; pour d'autres, c'est un gain de pouvoir par le gain de temps libre à consacrer à des activités associatives par exemple. La retraite est surtout le reflet des aspirations qu'on pouvait avoir précédemment. Du point de vue du dynamisme, ce n'est pas spécialement un frein : de nombreux retraités participent aux débats ou réunions d'associations, vont voir des spectacles. Mais, ce ne sont plus eux qui remplissent les écoles ou qui créent des emplois salariés. Dans toutes les communes témoins, le solde naturel est négatif entre 1999 et 2008 (six de ces communes affichent une variation négative supérieure à celle de la Creuse qui est de -0,7%). La population se renouvèle par les nouveaux arrivants (à l'exception de Faux, les soldes migratoires 1999-2008 sont tous positifs). Ces migrants peuvent être des retraités mais aussi des jeunes. Le nombre de jeunes (ou jeunes couples) venant s'installer n'est pas négligeable : j'ai pu en rencontrer plusieurs. Depuis les années 1970, le Plateau, en particulier cette partie interdépartementale, a accueilli des migrants -dont des citadins- qui sont fréquemment

1 Source : INSEE 2008

64

nommés « néo-ruraux ». Certaines communes se sont donc recomposées. Le mouvement continue toujours. Si on regarde la part de personnes résidant 5 ans auparavant dans une autre région, hormis pour Royère et Rempnat dont les pourcentages sont faibles, elle s'échelonne entre 9,7% pour Peyrelevade et 12,6% pour Faux. Ce qui reste supérieur à la moyenne régionale (8,4%) et nationale (6,2%)1. Les personnes âgées cherchant parfois à se rapprocher des centres-villes et des services, elles ne sont pas les seules à être la cause de ces fortes arrivées sur le Plateau par rapport à la France.

Le faible peuplement du plateau de Millevaches, le fort taux de personnes âgées mais aussi les faibles revenus (ils sont beaucoup à dire que les gens du Plateau ne sont pas riches2) ne concourent à priori pas à rendre le lieu vivant, à maintenir les écoles et les possibilités de rester et travailler sur place, ils laissent un champ libre à une domination de l'environnement local par l'extérieur. Les densités faibles font aussi que ceux qui veulent s'impliquer dans la vie sociale se sentent un champ d'action plus large. Des modes de vie divers existent entre gens « du cru » et « néo-ruraux » ainsi qu'un clivage quant à l'insertion dans la société de consommation (déjà présent en 1980 [Pressicaud, 1980]). S'il y a un clivage politique, il se fait à gauche car toutes les communes témoins sont fortement marquées à gauche : on peut prendre pour exemple le résultat du 1er tour des élections régionales de 2010 (Tableau 4).

Communes

1er

2nd

3ème

Faux (23)

Verts : 39%

PS : 31%

FG : 16%

Gentioux (23)

PS : 35%

Verts : 20%

FG : 18%

Royère (23)

PS : 39%

UMP : 26%

Verts : 12%

La Villedieu (23)

Verts : 31%

FG : 31%

PS : 22%

Peyrelevade (19)

PS : 34%

FG : 30%

UMP : 18%

Tarnac (19)

FG : 40%

UMP : 31%

PS : 14%

Rempnat (87)

FG : 38%

PS : 25%

UMP : 24%

Nedde (87)

FG : 39%

PS : 34%

UMP : 12%

FRANCE

PS : 29%

UMP : 26%

Verts : 12%

Source : www.annuaire-mairie.fr

Sigles : Gauche : PS (Parti Socialiste), Verts (Europe-Ecologie-les-Verts), FG (Front de Gauche) ;

Droite : UMP (Union pour un Mouvement Populaire)

Tableau 4 : Résultats du 1er tour des élections régionales de 2010

1 Source : INSEE 2008

2 Et les relevés 2008 de l'INSEE leur donnent raison. Par exemple pour Faux-la-Montagne, le revenu moyen net par foyer fiscal est de 14078 € contre 20041€ pour la région Limousin.

65

Dans les communes creusoises, le vote écologiste était manifeste et pouvait concurrencer le vote socialiste, quand celui-ci ne l'était pas par le Front de Gauche (qui a ingéré le Parti Communiste). Ces différences avec les résultats nationaux sont dues à l'implantation communiste de longue date et à l'arrivée de migrants en rupture avec le capitalisme.

Bien qu'elles puissent souligner des rapports de pouvoir entre des franges de la population, les divisions selon les opinions politiques ou entre gens « du cru » et migrants ne me paraissent pas permettre d'appréhender les différentes façons par lesquelles un habitant peut essayer d'avoir du pouvoir sur son environnement. Car, en termes de pouvoir spatial, le contraste le plus évident est celui entre personnes extérieures qui possèdent une grande part du foncier et habitants qui veulent maintenir leur région vivante. Comment procèdent ces habitants ? C'est ce que je veux conter.

Pour cela, on peut se baser sur les diverses légitimités qui s'expriment quant aux décisions territoriales. Un membre de la Société Coopérative d'Intérêt Collectif (SCIC) ARBAN me présentait 3 légitimités à prendre en compte sur les projets qu'il menait : celle des élus, celles des experts et celle des habitants (le voisinage). Pierre Lascoumes identifie les mêmes acteurs sous les noms de : politiques, société civile et scientifiques [Lascoumes, 1994].

Comme je me tourne ici vers la population locale, les experts sont peu nombreux parmi les habitants et sont plutôt dans les universités : cette division sied donc mal à mon étude. Toutefois, certains membres d'associations ou les chargés de mission du Parc peuvent tenir ce rôle de relayeur de science. Mais ils font alors soit parti d'un organisme institutionnel (PNR), soit d'un collectif d'habitants. Et c'est par ces modes de réunions qu'ils veulent participer aux décisions locales.

2 - Les acteurs : relations, perception du pouvoir et actions sur l'environnement.

J'ai choisi trois grands types d'acteurs de manière à diviser les difficultés quant à la compréhension des stratégies de pouvoir sur l'environnement. Le découpage des relations est inspiré de ceux présents dans Les lois de la géopolitique des populations [Dumont, 2007], notamment en ce qui concerne la prise en compte du nombre brut d'individus par type d'acteurs (ça sera patent pour les associations), leurs caractéristiques et leurs relations avec les autres. Les schémas 1 et 2 expliquent ce découpage des relations. Ces relations pouvant résulter du positionnement d'un acteur envers un autre ou d'un point commun d'intérêt (ou de conflit), elles peuvent être simples ou double. Pour repère, elles seront numérotées comme

Schéma 1 : Relations simples entre acteurs

9 2 8

Collectifs

1

Institutions

5

6

Reste des habitants

7

3 4

Les relations du schéma 1 sont simples : elles peuvent la perception de l'autre (approbation, désaccord), un rapport (service, financement, ...), une action vers l'autre (information,...).

Les relations doubles existent aussi : appartenance double, actions communes voire conflits.

Collectifs

99

Institutions

88

12

56 34

Reste des habitants

77

66

Schéma 2 : Relations doubles entre acteurs

Les collectifs et les institutions sont aussi composés d'habitants, ce qui limite l'existence de relations triples (comme des relations 56 et 34) car ceux-ci agissent alors en tant que membres associatifs ou institutionnels. Il peut toutefois exister des actions menées conjointement par tous les acteurs. Elles ne seront pas numérotées.

67

précisé sur les schémas.

Pour que l'étude des relations de pouvoir soit très complète, il aurait fallu ajouter les non-habitants et j'aurai alors été entrainé dans les jeux d'échelles géographiques. Je toucherai un mot de ces jeux d'échelles dans la troisième partie mais mon sujet s'occupe essentiellement des actions provenant des habitants du plateau de Millevaches.

Le découpage puis le recoupement des pouvoirs perçus à travers ces relations permet de dégager certains leviers de pouvoir sur l'environnement humain et de se faire une idée de leur efficacité. Rappelons avant de parler de chacune des catégories qu'aucune n'est homogène et que je tâcherai de donner la décomposition de chacune de manière à obtenir assez d'indices sur les différentes formes de pouvoir utilisées par la population.

2.1 - Les acteurs institutionnels

Sur le plateau de Millevaches, il n'y a pas de ville qui soit sous-préfecture et les habitants-élus qui défendent le Plateau sont essentiellement les maires. Le Parc Naturel Régional (PNR) de Millevaches en Limousin leur est très lié de par ses instances électives : c'est aussi un acteur institutionnel.

Composition et relation 88 de double-appartenance

Des communes-témoins, j'ai rencontré les maires de Faux, Gentioux, La Villedieu, Peyrelevade, Nedde, Rempnat. Celui de Tarnac (résident parisien) n'était pas là ; un conseiller municipal m'a reçu. Je ne suis pas allé à la mairie de Royère. J'ai aussi rencontré des personnes faisant partie des conseils municipaux au cours de mes entretiens. Les maires de La Villedieu et Gentioux sont également agriculteurs. Celui de Nedde n'habite pas le Plateau mais une petite ville assez proche en Haute-Vienne. Seul l'actuel maire de Tarnac est rangé à droite.

La Communauté de Communes du Plateau de Gentioux1 (en Creuse), fait singulier, comprend la commune de Peyrelevade (en Corrèze). L'adhésion de Peyrelevade était due à un partage de projets et d'idées, en particulier en ce qui concerne la volonté d'accueil et l'écologie. Les maires (ou anciens maires) de ces communes se sont beaucoup impliqués dans la création du PNR. Celui de Peyrelevade est vice-président du PNR et s'occupe en particulier du volet environnement-nature.

1 Dont font partie Gentioux, Faux et La Villedieu.

68

Les contours du Parc ont été dessinés par les adhésions votées par les conseils municipaux. Si certains « trous » apparaissent, c'est parce que les communes ont refusé d'adhérer. J'ai rencontré un conseiller municipal de Saint-Martin-le-Château, commune à l'ouest de Royère hors du PNR, qui a analysé ce refus comme la méfiance des nombreux chasseurs qui composaient le conseil de se voir imposer des normes et d'être privés de certaines libertés. Il est possible que lors de la prochaine proposition d'adhésion (prévue bientôt), la commune accepte son entrée dans le Parc.

Les élus territoriaux (dont 113 maires ou conseillers sur 155 et des élus départementaux et régionaux) forment le Syndicat Mixte de Gestion du PNR qui élit un bureau de 24 membres. S'y joignent 12 membres consultatifs qui proviennent du Conseil de Valorisation qui sont les représentants des tissus économiques de la région, dont le Centre Régional de la Propriété Forestière (CRPF). Les sièges du PNR ne sont donc pas uniquement décernés aux locaux et des types d'intérêts divergents s'y côtoient ; sa création, en 2004, après une longue campagne, a cependant reflété une volonté de décentraliser le pouvoir. Voilà ce qu'écrivait Agnés Bonnaud : « Le réel enjeu des actions menées n'est pas tant le développement du territoire que la quête du pouvoir sur ce même territoire, un pouvoir territorial qui n'est pas divisible en domaines de compétence ou d'action, mais qui est global. Pour la région il s'agit de maîtriser un territoire qui lui est politiquement défavorable, au-delà du pouvoir des départements. Pour les départements (surtout la Creuse et la Corrèze), il s'agit de préserver un pouvoir dont le centre est ailleurs. Pour les élus locaux enfin, il s'agit de créer le lieu d'un nouveau pouvoir, échappant tant aux départements qu'à la région, une nouvelle territorialité » [Bonnaud, 1998]. Le président du Parc, Christian Audoin, fait en effet partie du Front de Gauche tandis que la région est socialiste. Et le département de la Haute-Vienne, trouvant que le Parc lui coûtait trop cher, a décidé de lui retirer ses financements. Parmi les élus locaux des communes témoins, nombreux sont donc ceux qui soutiennent le Parc et qui le poussent à avoir une voix audible, propre à lui-même. Les maires étant dans l'instance élective du Parc, les actions communes sont naturellement nombreuses.

Le PNR fonctionne aussi avec une vingtaine de chargés de mission, qui sont en grande majorité assez jeunes et qui ont une certaine connaissance de l'écologie, même s'ils renient le titre d'experts.

Relation 8.

Entre d'une part les élus dans leur rôle et d'autre part les membres du PNR, il y a une reconnaissance et une appréciation mutuelle bien que certains chargés de mission (voire certains maires) peuvent être assez critiques quant à l'implication de tous les maires dans le

69

PNR, leur écoute, ou certaines actions menées (ou non-menées) : l'accord de permis de construire qui conduit au mitage par exemple. Plusieurs chargés de mission trouvent leurs projets trop soumis à l'approbation des mêmes maires. L'une d'elles déclare aussi qu'ils acceptent sans trop de difficultés leurs conclusions car ils ne s'y connaissent pas forcément assez sur les points de vue scientifiques ou techniques. Si les arguments des chargés de mission sont reconnus, ce n'est pas pour autant que ces derniers disposent d'une totale indépendance dans leurs actions.

Relation 2 et 12.

Les élus comme les chargés de mission du Parc perçoivent l'activité associative comme essentielle au Plateau et les associations sont pour eux un point d'appui primordial, un échelon de la démocratie. Le PNR passe en grande partie par les associations (en particulier dans le domaine culturel) pour contacter les habitants. Il soutient donc plusieurs projets associatifs dont les associations lui passent commande : il apporte son concours financier. Il peut quelquefois proposer ses propres actions (à but culturel ou éducatif notamment) et les mener conjointement avec les associations.

Les élus ne sont pas spécialement des membres actifs des associations. Le maire de La Villedieu s'est impliqué dans la création du comité de soutien aux inculpés de Tarnac et dans son suivi mais les autres maires trouvent peu le temps pour cette activité associative ou, comme le précise la maire de Faux, s'en éloignent pour éviter le conflit d'intérêt.

Parmi les chargés de mission du Parc, un seul déclarait appartenir à une association. S'ils ne font pas parti des associations ou collectifs, ils les connaissent toutefois très bien et s'intéressent à leurs actions.

Relation 4.

Les maires connaissent généralement bien les habitants de leurs communes (surtout quand ils habitent sur place). Ils déclarent aller les voir, les informer (par exemple, à Saint-Martin-le-Château, un panneau d'information de la municipalité a été installé dans chaque hameau), faire des réunions publiques (à Rempnat) être l'échelon direct (et parfois le seul) de la démocratie institutionnelle auquel les habitants peuvent avoir accès. Le maire de Peyrelevade s'inquiète d'ailleurs de l'élargissement des entités administratives géographiques (Communautés de Communes, réforme des collectivités territoriale) et d'une pression de l'Etat central pour amoindrir l'échelon communal. Le maire de Nedde affirme qu'il considère son élection comme le droit de parler et d'agir au nom de la majorité jusqu'à la prochaine qui validera ou non son travail. Il n'en reste pas moins que les maires et conseillers généraux sont quotidiennement les premiers contacts pour les problèmes des habitants.

70

Il en va tout autrement en ce qui concerne le Parc. Celui-ci, dans ces missions, n'a que peu de relations directes avec les habitants. Des chargés de mission trouvent qu'ils s'occupent trop de formalités administratives, ce qui ne leur laisse pas le temps pour aller voir les gens ou recueillir leur avis ; d'autres précisent que ce n'est pas la vocation d'un Parc, qu'il n'y a pas assez de moyens pour cela. Dans le domaine éducatif, le Parc organise des missions pédagogiques sur l'environnement (dans les écoles notamment).

En ce qui concerne l'agriculture, les chargés de missions voient aussi des agriculteurs, passent des contrats avec eux, pour qu'ils fassent pâturer les bêtes sur les landes et tourbières en vue d'enrayer l'enfrichement. Il peut y avoir aussi un rapport plus direct sur les questions du patrimoine bâti pour la réhabilitation duquel le parc peut attribuer des crédits.

Pour augmenter la réciprocité des relations directes aux habitants, une chargée de mission du Parc avait proposé la création d'un organe (en parallèle -et en pendant- du Conseil de Valorisation) composé de 50% d'habitants tirés au hasard. Cette proposition a été refusée.

De fait, le PNR se place plutôt dans un rôle d'informateur vis-à-vis du reste de la population : ses membres peuvent, par exemple, se plaindre du manque de gestion écologique des terrains de la part certains agriculteurs. Même si plusieurs chargés de mission rapportent avoir à apprendre de leurs points de vue, à les comprendre. Le PNR s'emploie surtout à donner des informations aux habitants (abonnement gratuit aux brochures) et à rendre accessible la culture sur son territoire.

Perceptions du pouvoir et actions.

Les maires que j'ai rencontrés reconnaissent selon diverses gradations l'importance du pouvoir qu'ils ont sur leur environnement. Ils savent que dans la hiérarchie de la démocratie représentative, ils sont en bas pour les grandes décisions comme pour l'argent disponible et ils perçoivent souvent leur pouvoir à travers ce positionnement dans l'échelle institutionnelle. Ils sont, pour beaucoup, très mesurés (ou prudents) en ce qui concerne leur impact. Les Communauté de Communes sont en voie d'agrandissement et celle de Gentioux pourrait rallier Aubusson-Felletin. Son président, Thierry Letellier (maire de La Villedieu), déclare toutefois ne pas avoir peur de voir diminuer la voie des communes du Plateau car il a confiance dans le caractère et dans la cohésion de leurs élus et pense que ça devrait bien se passer avec ceux de Felletin-Aubusson.

Le maire de Gentioux a parlé de son pouvoir possible sur l'environnement par l'adoption (qu'il souhaiterait) d'un plan d'occupation des sols qui détermine les terrains constructibles et par la détermination d'un zonage agricole (point sur lequel le maire de Peyrelevade ne

71

déclarait pas avoir de pouvoir)1. D'autres maires et conseillers ont parlé de leurs actions par rapport à la mise en place d'un assainissement des eaux ou d'une déchetterie (Nedde, Saint-Martin-le Château). L'ancien maire de Faux, a déclaré « j'avais du pouvoir, maintenant je n'en ai plus ». Selon qu'ils se saisissent ou non de leur position de maire, la font valoir à une échelle supra-communale, ces derniers peuvent se sentir plus ou moins de pouvoir. Ils ont peut-être même trop de pouvoir : la maire de Rempnat ne se sent pas le droit de décider à la place de habitants de sa commune et le maire de Peyrelevade déplore que les gens veulent toujours voir la tête (le maire plutôt qu'un conseiller) et, de ce fait, s'interroge : « peut-être que je ne partage pas assez le pouvoir... ».

Au sein du Parc, les chargés de mission parlent de la dépendance de leurs actions aux financements régionaux. Ils doivent remplir des fiches sur leurs actions prévues, qui, si elles sont validées par la région, obtiennent des financements pour être réalisées. Le Parc n'a pas d'enveloppe dont il serait libre de choisir les utilisations, ce qui serait à mon sens préférable pour qu'il soit un organisme indépendant, pouvant efficacement s'occuper de décisions environnementales, pertinentes au niveau local. Au sein du Parc, les chargés de mission se reconnaissent peu de pouvoir et sont conscients des brides autour de leur travail. Celle qui s'occupe de la nouvelle rédaction de la charte du PNR se trouve, en revanche, un certain pouvoir par ce biais.

Les chargés de mission se sentent de l'influence (c'est le terme plusieurs fois employé) sur leur environnement de par les idées qu'ils émettent quand ils rencontrent des personnes ou par les actions qu'ils ont réussi à mener. Le chargé de mission sur le domaine des eaux comparait d'ailleurs son champ d'action sur Millevaches très supérieur à celui sur la Beauce, où il exerçait avant, et où aucune action ne lui paraissait aboutir vu le poids économique des agriculteurs (qui arrosaient énormément, employaient moult engrais et pesticides qui se retrouvaient dans les rivières) et de la FNSEA. Une autre chargée de mission est partie prenante dans l'ouverture d'un abattoir à Eymoutiers.

La présence du PNR Millevaches peut donc contribuer à modifier l'environnement, à renforcer le maintien des landes et zones humides, d'activités sur le secteur (manifestations environnementales, abattoir) ou à sauvegarder le bâti.

1 Il y a trois types d'espaces : les zones interdites au boisement, (agricoles), les zones de boisements soumises à autorisation et les zones libres de boisement. La première zone n'existe pas en Creuse faute de poste. Si une commune veut déterminer ses zones agricoles, elle doit faire venir cet « expert » départemental (absent de Creuse) : c'est pourquoi cela reste un processus assez lourd et loin d'être complètement maitrisable par les communes.

72

Mais d'une manière générale, ces pouvoirs d'actions qui doivent en référer aux institutions sont cadrés et très limités quant à la représentation du poids décisionnel des habitants sur leur environnement. Mon avis est qu'il manque au PNR des temps où les chargés de missions (puisque que se sont eux qui s'occupent des actions du Parc) pourraient rencontrer les habitants pour voir en quoi le Parc pourrait leur utile à ces derniers. Et aussi, bien sûr, une indépendance financière vis-à-vis de la Région et d'organismes défendant leurs intérêts économiques comme le CRPF. La volonté de réduire la surface résineuse (d'aider à la reconversion de ces parcelles) comme on peut le lire sur certains projets serait peut-être alors plus visible et imputable à la présence du Parc... car on peut encore trouver, par exemple, un panneau promouvant le Douglas sur la tour du Mont Bessou. Le PNR Millevaches est toutefois récent et il faudra attendre quelques années pour mieux mesurer les impacts de sa présence. Son extraction de l'image d'antenne touristique que peuvent revêtir les PNR se fera probablement au prix d'une voix plus forte et indépendante des autres instances institutionnelles, notamment régionale.

2.2 - Les associations et autres collectifs

Caractéristiques

Les associations sont une des marques du Plateau de Millevaches. « La région Limousin compte, en rapport à sa population, 2,63 fois plus d'associations que la nation et le Millevaches compte, proportionnellement, 1,3 fois plus d'associations que la région soit 3,47 fois plus que la nation. » relève Olivier Davigo dans le numéro 1 d'IPNS1 (avril 2002). Le maire de Peyrelevade stipulait que, sur sa commune, presque chaque habitant devait faire partie d'une association. De par leur nombre, les associations ont un pouvoir sur les dynamiques locales et l`environnement local2. A celles qui sont enregistrées, dites « de loi 1901 », il faut ajouter les divers collectifs (ou communautés) qui n'ont pas pris le statut associatif mais qui représentent, de fait, une association d'habitants. J'ai également rangé les structures de types « entreprise » sous cette mention. S'il y a quelques scieries, les entreprises à vocation productive sont peu nombreuses sur le Plateau (surtout sur les communes témoins) et se concentrent davantage autour des villes ou le long de l'autoroute.

1 « Les données de base ont été d'une part gracieusement fournies par les sous préfectures (lieux d'enregistrement des associations), d'autre part achetées à l'INSEE. » précise-t-il. (article intitulé « 100 ans d'association sur le Plateau)

2 Voir liste et résumé des activités en annexe 8.

Carte 8 : Part des effestifs de l'économie sociale et solidaire par zones en Limousin Source : Conseil Régional de l'Economie Sociale (CRES) du Limousin

Carte 9 : Localisation des sièges des membres de « De Fil en réseau »

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En revanche, les structures à but social sont bien implantées sur le Plateau montre la carte 8 : c'est sur le sud creusois et le nord de la Corrèze que la part des emplois salariés est la plus élevée en Limousin. Les associations du Plateau n'y sont pas étrangères.

Toutes les associations ne sont pas actives, et certaines se sont montées, comme l'association des agriculteurs de Nedde, pour pouvoir collecter des fonds et tenir leur fête annuelle. Des habitants sont également simples adhérents sans participer vraiment à l'association, je les ai donc comptés parmi le « reste des habitants ». Je ne pouvais pas rencontrer toutes les associations, je me suis donc concentré sur les collectifs qui affichent des buts citoyens, qui veulent avoir un rôle dans l'avenir du Plateau ainsi que sur les collectifs au fonctionnement « horizontal » dont la forte présence imprègne le territoire. Ces derniers peuvent être des entreprises de type Société Coopératives Ouvrières de Production (SCOP) comme Cesam, Société Coopérative d'Intérêt Collectif (SCIC) comme l'ARBAN, ou Société Anonyme à Participation Ouvrière (SAPO) comme Ambiance Bois. Dans le choix de ces formes intervient fortement la volonté de ne pas avoir de patron mais de prendre sa part de décision sur l'avenir de l'entreprise. Plusieurs collectifs ou associations revendiquent également le partage de la direction :

« Lorsque Anne annonça aux maires que, ça y était, Télé Millevaches avait déposé ses statuts et était formellement créée, la première question qui sortit de leur bouche fut immédiatement .
· -Et qui est le président ?

-Il n'y en a pas.

-... ???

Les maires ne furent pas les seuls à être interloqués. A la sous-préfecture on renvoya l'objecteur venu déposer les statuts en lui assurant qu'une association sans président était illégale. Coup de fil à l'administration pour lui expliquer en citant quelques précédents, y compris une association dont les statuts avaient été déposés dans les mêmes services quelques années auparavant .
· « C'était une erreur ». L'équipe ne désarme pas et revient à la charge. Le sous-préfet fait monter le dossier à la préfecture, qui l'envoie à Paris au

ministère. D'où il revient avec l'imprimatur ministériel .
· « Ils ont raison, la loi de 1901 ne rend pas le président obligatoire. »
(p.48) [Deleron, Lulek, Pineau, 2006].

Contrairement aux associations plus familières (chasse, pêche, sauvegarde du patrimoine bâti), les groupes, souvent proches des problématiques écologistes, qui affichent ces idées autogestionnaires sont en grande partie constitués par des migrants. Dans leurs compositions, on trouve aussi plusieurs jeunes. Le phénomène associatif a toujours été significatif (comme l'a noté le prêtre militant Charles Rousseau : voir p.49 [Lulek, 2009]) sur le Plateau mais l'arrivée des migrants l'a amplifié. Ceux-ci ont pu teinter les collectifs des valeurs de solidarité chrétienne ou libertaires-anarchistes. Les premières ayant pu déboucher sur les secondes comme c'est le cas des Plateaux Limousins au Villard (commune de Royère), où un

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bâtiment-chapelle a été construit, et qui est devenu laïque en entrant dans le XXIème siècle. L'association organise aujourd'hui des journées pour « expérimenter l'autogestion ». Elle fait par ailleurs partie d'un réseau de collectifs : « De fil en réseau ».

Relation 99.

Ces collectifs sociaux se connaissent bien et, pour beaucoup, entretiennent de fréquentes relations et partagent plusieurs de leurs manifestations. De Fil en Reseau, basée à Faux, regroupe au sein d'une association plusieurs collectifs, presque tous siégeant sur le plateau de Millevaches (Carte 9), et ayant parmi leurs principaux objectifs d'apporter de l'activité sur le Plateau, d'aider à l'installation sur le Plateau. De Fil en Reseau organise des apéros mensuels entre ses membres. Cesam-Oxalis elle-même peut se définir comme une SCOP de SCOP. D'autres associations comme « Energies pour Demain » (Peyrelevade) ou « Le Monde allant vers » (Eymoutiers) qui partage son local, lui sont très liées.

Plusieurs personnes appartiennent à divers collectifs. Les doubles appartenances sont nombreuses. Les collectifs sont donc également liés par des personnes physiques. D'autres sont issus de personnes d'un précédent collectif. Plusieurs membres à l'origine d'Ambiance Bois ont essaimé. A Lachaud, on trouve par exemple Atout Bois : point de ressources pour utiliser du matériel de menuiserie, dont s'occupe un ancien salarié d'Ambiance Bois.

Ces liens, officiels ou non, entre les collectifs « sociaux », orientés sur le développement local, se détachant des organisations hiérarchiques et de la société de consommation, permettent à leurs animations d'être suivies et leur donnent un pouvoir certain sur le territoire et sur l'environnement culturel du Plateau.

Ces collectifs ont beaucoup moins de liens avec les associations de sports, chasse, patrimoine et je n'ai pas constaté d'activités communes aux deux types d'associations même s'il y a une relative connaissance mutuelle. Des sujets mettant en avant les activités de ces associations « classiques » sont tournés par Télé Millevaches. Ces dernières associations sont, du reste, assez peu liées entre elles.

Relation 9.

Les membres des collectifs « sociaux » voient leurs activités comme complémentaires. Certains peuvent en trouver d'autres trop critiques politiquement ou pas assez. Ils reconnaissent leurs actions mutuelles. Certains collectifs revendiquent leur indépendance financière et peuvent jeter un oeil critique sur les associations qui doivent jongler avec leur attache à la Région par les comptes et les emplois salariés. Mais on veut marcher dans le même sens et contribuer à rendre le territoire vivant.

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Relation 1.

Quand les associations de loi 1901 demandent des relations avec les institutions, c'est parce qu'elles recherchent des financements pour leurs projets. Ces financements proviennent pour beaucoup de la Région, mais possiblement des Communautés de Communes ou du PNR. Selon les associations et les institutions qui sont en relation, ces dernières sont plus ou moins bien vues par ces premières. Plusieurs associations « sociales » évoquent les limites de leurs possibilités ou de leurs choix à cause du conditionnement des aides publiques. Il y a une certaine méfiance envers les institutions même si plusieurs projets peuvent être menés conjointement (relation 12 du II-2.1). Le livre sur Télé Millevaches [Deleron, Lulek, Pineau, 2006] relate un conflit entre le média et un bureau d'élus (conseillers régionaux, généraux, et maires) qui voulait imposer un logo au générique, un des arguments avait été le « légitime droit de regard et de présence dans un magazine financé en partie par des fonds publics ». Mais Télé Millevaches n'a pas signé la convention (avec logo) voulue par les élus. Les auteurs écrivent :

« Télé Millevaches existait, produisait, remplissait son contrat de réaliser un magazine mensuel. Bref, le syndicat d'élus était bien obligé de suivre financièrement. Il avait compris que dans le cas présent, il était sans doute allé un peu trop loin et que le rapport de force n'était pas en sa faveur : si télé Millevaches, faute de financements, avait dû mettre la clef sous la porte à cause d'une bête existence de logo, il aurait eu du mal à en assumer les conséquences. »

Car les membres de Télé Millevaches se seraient exprimés sur les causes.

Ce conflit est surtout, pour les auteurs, le signe d'un fossé culturel entre un mode de fonctionnement hiérarchique institutionnel qui peut facilement prendre tournure autoritaire et les initiatives autogestionnaires, le signe d'une « crise de la représentativité politique »1.

Des membres de communautés (comme celle de Tarnac) peuvent aussi critiquer et refuser tout jeu électoral. Les institutions sont vues comme privations des responsabilités et du pouvoir des habitants.

Dans leur ensemble, les critiques émanant des associations s'adressent d'abord aux institutions supra-Plateau : européennes, nationales et régionales. Parfois aussi, elles critiquent les institutions communales. Par exemple, l'association EDDEN, dont des membres s'étaient présentés sur une liste concurrente à celle de l'actuel maire, reproche à ce dernier de ne pas leur permettre d'émettre leurs propositions à la fin du conseil municipal. Elle a d'ailleurs organisé un débat autour des problèmes de la démocratie représentative (l'affiche de ce débat figure en annexe 5). A Faux, en revanche, la mairesse appartenait à la SAPO Ambiance Bois.

1 Voir aussi l'extrait du livre de Télé Millevaches, deux pages en amont.

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Concernant le PNR, plusieurs associations (dont Télé Millevaches) se sont impliquées dans la campagne pour soutenir sa création. Mais aujourd'hui les relations, quand elles existent, sont plutôt ambivalentes. Le Parc est souvent vu comme ayant peu de moyens et comme un organe trop administratif et institutionnel, bloqué dans certaines de ses actions. Sa faculté à pouvoir agir sur le territoire n'est pas complètement reniée mais remise en doute.

Relation 5 (et 56).

Avec le reste des habitants, les collectifs n'entretiennent pas spécialement de relations suivies en dehors des liens amicaux. Un membre d'une association de pêche me disait qu'il y avait peu d'adhérents aux réunions. Les associations « classiques » agissent chacune sur leur domaine de prédilection : restauration d'une église, gestion des permis de chasse, ... : elles peuvent avoir certains conflits avec des habitants : les pêcheurs avec les agriculteurs qui répandent de l'engrais ou qui dirigent les rigoles dans les près, ou les promeneurs avec les agriculteurs qui s'approprient des chemins, par exemple.

Les membres des collectifs « sociaux » sont nombreux à dire que leurs manifestations attirent surtout des migrants et que les « gens du cru » les fréquentent peu. Il y a donc une certaine partie des habitants que les collectifs « sociaux » ne touchent pas. Ils ne les connaissent que peu. Plusieurs d'entre eux affichent pourtant l'information de la population ou « l'éducation populaire » parmi leurs objectifs, mais ils reçoivent plutôt les personnes curieuses qu'ils ne vont chez les gens qu'ils ne connaissent pas. Dans ce cas, ils perçoivent plutôt les habitants comme des personnes fermées, « à réveiller », des personnes auxquelles ils peuvent donner du pouvoir en leur apportant une information, un sujet à débattre. Télé Millevaches revendique, elle, le processus inverse : rapporter la parole des habitants et va davantage à leur rencontre. Dans les premiers temps où les magnétoscopes étaient peu répandus, les projections publiques étaient le principal mode de diffusion. Télé Millevaches a donc pu marquer le territoire en touchant ses habitants.

Les actions communes entre associations et habitants -et avec le soutien des institutions locales- sont plutôt occasionnelles, liées à un fait : manifestations pour défendre les inculpés de Tarnac, pour s'opposer à la fermeture d'une classe par exemple. De même les conflits frontaux et ouverts sont rares.

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Perception du pouvoir et actions.

Parmi les membres des associations « classiques », pourtant en rapport direct avec l'environnement physique : (chasse, pêche, sauvegarde du patrimoine), aucun n'a affirmé avoir du pouvoir sur son territoire. Une membre de l'A.R.H.A de Tarnac, association orientée sur le petit patrimoine, a déclaré avoir peu de pouvoir au vu des interdictions de fouilles (réservées aux professionnels de l'archéologie). L'association s'applique pourtant à mettre en valeur des petites fontaines, et surtout entretient les chemins et en ouvre de nouveaux. Les panneaux directionnels pour promeneurs sont très visibles. L'association a donc un certain impact sur l'environnement cantonal : elle a d'ailleurs un local sur la place de Tarnac.

Parmi les collectifs « sociaux » les discours sur le pouvoir sont plus diversifiés, en rapport avec la façon dont chacun comprend le concept de pouvoir. Certains déclarent rechercher du pouvoir, c'est-à-dire que leurs idées puissent se matérialiser sur le territoire : c'est le cas d'un membre de l'ARBAN qui s'investit, entre autres, dans la construction d'un éco-quartier à Faux. Ou c'est encore le cas de Marc, à l'origine du lancement récent de « Nature sur un Plateau » (entretien rapporté en annexe 7) : « Moi, je revendique mon pouvoir sur l'air que je respire, sur l'eau que je bois, sur les paysages, l'endroit où je vis. ». Le maillage associatif, les liens entre collectifs « sociaux » sont souvent cités comme une façon d'avoir du pouvoir sur son environnement. Certains comparent le Plateau aux lieux d'où ils viennent et le qualifie alors de dynamique.

Plusieurs déclarent avoir de l'influence (plutôt que du pouvoir) tandis que d'autres rejettent également ce terme, le percevant comme une façon autoritaire de propager des idées. Mais de fait, via les médias locaux ou les manifestations culturelles, ils ont une certaine aura. Leurs discours parsèment sur le territoire.

Comme pour les membres du PNR, certains évoquent leurs actions et leurs résultats pour accréditer leur « impact » sur le territoire. C'est le cas au « Monde Allant Vers », ressourcerie installée à Eymoutiers qui recycle ou réemploie les déchets dont les collectes sont assez fréquentes. Les actions des collectifs « sociaux » touchent davantage les personnes que l'environnement proprement physique. Comme Pivoine, elles peuvent revendiquer l'éducation populaire comme valeur et proposent des réflexions autour de la démocratie ou, comme beaucoup de membres appartenant à De Fil en Réseau, aident des personnes à s'installer : Champs Libres ou VASI Jeunes le font au niveau de l'agriculture, permettent à des jeunes de se tester puis de trouver où s'installer. Ces collectifs sont donc une source d'attractivité pour le Plateau, permettent de maintenir une présence humaine. Ce qui ne sera

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pas sans conséquences sur l'environnement physique : les résineux, par exemple, auront du mal à conquérir de nouvelles terres agricoles.

L'expérimentation d'une autre forme de société est aussi une action mentionnée, par les Plateaux Limousins par exemple. Un de ces membres déclare que ce qui est recherché n'est pas le pouvoir, ni l'influence mais plutôt le « pouvoir être » et « pouvoir faire », de ne pas être dominé mais d'être acteur de sa propre vie. Le mode de fonctionnement revient souvent dans les discours sur le pouvoir : c'est lui qu'un salarié de De Fil en Réseau me cite en premier. Il parle des décisions qui sont prises par une assemblée qui se renouvelle et non par un président. L'adoption du statut SAPO, qui met à égalité les voix des ouvriers et celles des actionnaires avec, pour ce qui concerne les ouvriers, le principe un homme = une voix, a fait le fruit d'une longue recherche pour Ambiance Bois [Lulek, 2009].

-La démocratie ne s'arrête pas à la porte de l'usine, me dit un membre de la SCOP Cesam.

Par le biais des nombreux collectifs « sociaux » du Plateau, plusieurs conceptions du pouvoir apparaissent et s'il en reste pour juger leur pouvoir faible, parce que certaines actions sont lentes ou que leurs financements restent restreints ou conditionnels, le pouvoir est une notion que beaucoup interrogent et remettent en cause en tant que rapport de force entre personnes. C'est peut-être pourquoi le pouvoir sur l'environnement requiert pour eux plus de sens ?

2.3 - Le reste des habitants

Ce sont ceux qui pour faire valoir leurs idées, ne s'investissent ni dans les institutions, ni dans une association, une communauté ou un collectif constant.

Caractéristiques et relation 77.

Parmi eux, on trouve beaucoup de retraités, d'agriculteurs, et une plus forte proportion de « gens du cru ». Mais il y a aussi des migrants qui se sont installés sans s'attacher à une association. Ces derniers ont tendance à davantage se retrouver autour d'évènements culturels que les premiers et se connaissent par affinité culturelle. Les « gens du cru » se connaissent aussi par relations de voisinage. Même s'ils se fréquentent peu, les uns et les autres peuvent se retrouver autour de l'école quand les enfants ne prennent pas le car.

On m'a parlé plusieurs fois de la solidarité de village : pour faire les courses, pour entretenir les bâtiments. C'était le cas à Clavérolas (commune de Nedde). La communauté villageoise n'est pas toujours devenue une expression vaine. Aux Salles (commune de Gentioux), on compte se réapproprier les sectionnaux.

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Cette solidarité n'est pas réellement palpable entre les agriculteurs. Ceux qui produisent en « bio » sont plus proches, via les marchés et un réseau d'agriculteurs bio mais les autres travaillent de manière beaucoup plus isolée et ne s'entendent pas suffisamment pour porter des revendications communes sur le territoire. Un agriculteur de la commune de Rempnat s'attristait du fait que certains veulent devenir toujours plus gros, veulent « le village pour eux tout seul ».

Relation 7.

La perception des pratiques de l'autre n'est pas forcément positive dans le domaine agricole même si on sait se rendre service, s'échanger des parcelles pour effectuer des regroupements spatiaux. Par ailleurs, les agriculteurs connaissent leurs collègues des alentours, savent où sont les domaines agricoles. Ceux qui font de la viande (les plus nombreux) vont très peu sur les marchés et ont moins de contacts avec les habitants de communes plus éloignées.

Plusieurs habitants ont cité leur profession comme vecteur de contact : apiculteur bibliothécaire, institutrice, ... et, au final, peu de monde dit n'avoir pas de lien avec les habitants. A Faux, le fait que les enfants viennent à pied leur permet de rencontrer les gens du village, donc permet du lien, relatait la directrice dans une émission radio1.

Mais la profession est aussi un temps pris sur celui de la discussion avec les autres habitants, associations ou institutions. Les agriculteurs sont beaucoup à dire qu'ils travaillent tout le temps, prennent peu de vacances et gagnent moins que le SMIC.

Relation 3.

Les mairies étant assez disputées, la considération pour le maire peut varier avec le bord politique. Celui-ci peut-être taxé d'autoritarisme sans forcément de précisions (« il décide tout seul » disait une habitante d'un hameau de la commune de Gentioux).

Seul celui de Tarnac (résident occasionnel et élu, semble-t-il, grâce à des votes de résidents secondaires) concentrait de vives et ouvertes critiques. Cet hiver, après le gel des

canalisations, lors du besoin d'approvisionner en eau le village de Larfeuil, un habitant a rapporté que le maire ne connaissait même pas le hameau (pourtant sur sa commune).

Le Parc Naturel Régional est connu de tous les habitants interrogés ce qui n'est pas le cas de ses objectifs et de ses actions. Plusieurs sont contents de l'existence du Parc parce que c'est toujours un élément potentiel de dynamisme sur le Plateau, qui s'occupe de protéger l'environnement même s'ils ne savent pas en quoi consiste cette protection. D'autres n'y

1 Terre à Terre (France Culture).

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voient qu'un gadget touristique. Beaucoup d'avis demeurent peu tranchés en raison de la méconnaissance des actions du Parc.

Les agriculteurs sont moins nuancés. L'un d'eux me dit que seuls certains ont droit aux aides car ils savent s'y prendre pour remplir des papiers et que, statistiquement, les dossiers ont peu de chances d'être retenus. D'autres n'en ont jamais vu la couleur et auraient plutôt peur de contraintes imposées. Et plusieurs se déclarent soutenus financièrement par le Parc pour l'entretien des landes (ou tourbières) : ce qui est peu contraignant pour eux. Mais ces partenariats sont, pour beaucoup, tissés d'abord avec le réseau européen Natura 2000 (protection de certains sites où vivent des espèces rares et spécifiques : loutre, truite, moule perlière entre autres pour Millevaches). La personne qui s'occupe de Natura 2000 sur Millevaches déclarait que 90% des agriculteurs étaient impliquées dans le réseau. Ce qui est exceptionnel pour Natura 2000. Des nouvelles aires Natura 2000 ont même été crées. Ils sont donc un bon nombre à être ou en partenariat ou à suivre, de manière potentiellement intéressée (c'était le cas d'un producteur de myrtilles pour avoir un label PNR, malgré le peu de conviction dans l'utilité de ce label, ou d'un paysan pour l'abattoir d'Eymoutiers). Pour autant, ce ne sont pas complètement ceux qui le décident qui ont des relations avec le Parc : les agriculteurs qui exercent sur les landes et les tourbières sont les premières cibles du Parc et tous ne trouvent pas leur place dans la participation à la gestion de l'environnement avec lui.

Relation 6.

Les associations et les collectifs sont également assez connus des habitants, surtout ceux qui siègent à proximité de chez eux. Mais cette connaissance peut rester vague. Les « néo-ruraux » que j'ai rencontrés se félicitent en général de l'activité associative du Plateau et se renseignent sur les diverses manifestations proposées. Parmi les «gens du cru », j'ai relevé deux types de discours. Les premiers reconnaissent l'apport du dynamisme associatif mais n'ont pas le temps de les suivre, ni n'affichent de curiosité particulière. Les autres, dans une approche plus politique, considèrent les membres des associations comme des assistés ou ceux des collectifs comme des profiteurs du Revenu de Solidarité Active (RSA) sans pour autant les connaître. Le RSA, quand il existe, peut être lui aussi une approche politique : celle de ne pas travailler pour n'importe qui. Je me risquerais à dire que les appréciations tiendraient davantage à la reconnaissance (d'habiter et d'être actif sur le même territoire) et que les dépréciassions tiennent plutôt à des divergences politiques sur la conception de ce que doit être le travail (effort méritoire contre activité insubordonnée).

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Perception du pouvoir et actions.

-Pensez-vous avoir du pouvoir sur votre territoire ?

-Normalement oui, me répond la femme d'un couple de retraités. Et lui de reprendre les mots. Dans le « normalement », je pense que se glisse une confiscation. Que stagne également une difficulté de savoir quel est son pouvoir sur son environnement. Dans les entretiens des habitants qui s'expriment toutefois de façon tranchée, 27 déclarent clairement n'avoir aucun pouvoir contre 11 qui citent des façons d'avoir du pouvoir sur l'environnement. Sept sur ces onze sont des dits « néo-ruraux ». Les décisions qui se font au dessus d'eux : au niveau européen ou par les banques, le territoire faiblement peuplé, les écoles qui ferment, le manque d'emplois ou les normes imposées sur la propriété sont les principales raisons qui attestent pour beaucoup qu'ils n'ont pas de pouvoir. Les deux dernières raisons se rapportent directement à l'environnement local, social et physique. D'après ces discours, ces habitants sentent avoir difficilement prise sur l'environnement. Une agricultrice de Haute-Vienne parlait d'une parcelle de sapins qu'elle voulait reprendre pour l'agriculture mais ne pouvait car la parcelle était accolée à d'autres parcelles de bois. D'autres avaient coupé une parcelle de leurs sapins mais ont dû reboiser. Car, à l'époque, ils avaient touchés des primes pour planter. Le contrat, dans ses petites lignes, stipulait que la parcelle devait être replantée. Un seul m'a dit qu'il faisait ce qu'il voulait sur son terrain.

Ceux qui se mettent en « agriculture biologique » se trouvent davantage de pouvoir, notamment celui de ne pas dégrader l'environnement mais aussi de maintenir les prairies et donc d'avoir un pouvoir sur la composition du paysage.

Certains qui pensent avoir du pouvoir évoquent la qualité de vie car plusieurs d'entre eux ont fait le choix de vivre ici. Leur rythme de vie est moins stressant, plus posé et ils peuvent également s'occuper d'un jardin ou avoir quelques poules, leur environnement est moins pollué. Certains évoquent leurs relations : « je vais à l'épicerie du village » me dit une jeune femme de Nedde après avoir affirmé qu'on n'a pas de pouvoir tout seul. Une bibliothécaire parle des livres qu'elle conseille, une institutrice du pouvoir de l'école d'obtenir ce qu'elle demande de la mairie ou du département : les écoles étant peu nombreuses, elles sont précieuses pour les communes. Un apiculteur, qui fait un travail éducatif par l'observation des ruches, du va et vient des butineuses, se trouve un pouvoir de lien entre les humains par l'intermédiaire des abeilles.

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2.4 - Bilan des relations

Le fait d'être lié au monde institutionnel ou associatif joue sur la perception du pouvoir que peut avoir chaque habitant. L'intégration de collectifs est certainement un des facteurs qui permet aux habitants de penser qu'ils pèsent sur leur environnement. Le tissu associatif apparaît en effet comme un facteur de dynamisme sur le Plateau, il est le moteur de nombreuses actions. Les institutions doivent en passer par lui pour atteindre le territoire. Il est l'un des principaux vecteurs de l'originalité du territoire, notamment par le fait que certains arrivants le perçoivent comme dynamique, comme un lieu possible d'expression. Une partie de ce tissu est imprégné d'un esprit libertaire qui revendique une pratique du pouvoir autre que la représentativité, la verticalité avec ses ordonnants et ses exécutants. C'est pour cela que certains différents politiques peuvent paraître assez marqués.

Il reste une partie des habitants qui pense ne pas avoir de pouvoir, qui ne sont pas liés autour d'un projet pour le territoire et qui ont peu de contact avec les collectifs (ou le PNR) parce qu'ils ne le veulent parfois pas ; aussi parce qu'ils les ne les connaissent pas et ont peu de temps. Pour qu'ils se sentent du pouvoir au même titre que d'autres, les institutions ou associations ne doivent pas se contenter de les attendre mais, à mon avis, se présenter et recueillir, confronter les opinions...

Les débats qui peuvent exister font vivre le Plateau : ils relèvent eux-mêmes -par l'expression- d'un mode de pouvoir de la population sur son territoire. Au travers des discours des différents acteurs plusieurs leviers se sont dessinés. J'ai essayé de les définir et de mettre certains d'entre eux en lumière. Car je pense que la connaissance des façons d'avoir du pouvoir sur son environnement est aussi un encouragement à s'en saisir.

3 - Différents leviers de pouvoir de la population sur le plateau de Millevaches

Comment un habitant peut participer aux décisions de son environnement ? C'est aussi une façon de se poser la question : comment peut-il être acteur et non victime de sa vie ? Ce n'est pas pour autant, bien sûr, que se dissipe le brouillard : vanité de l'action qui court derrière la vie.

3.1 - La propriété

Une grande part du foncier n'est pas entre les mains des habitants et la propriété participe beaucoup à restreindre leur pouvoir.

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Mais il reste encore de nombreux petits propriétaires parmi les habitants. Certains n'hésitent pas à citer d'abord le travail de leur jardin comme moyen de pouvoir sur l'environnement. Le jardin représente la possibilité directe de ce nourrir, il revêt cette part d'autonomie qui manque à celui qui n'a pas de terrain. C'est un espace où notre choix est absolu, que l'on peut cultiver comme on veut, de manière saine. C'est la possibilité, aussi évoquée, de manger de la nourriture saine, sans pesticide. A plus grande dimension, la propriété garde cette image de choix d'occupation des sols. C'est parce qu'il y a des agriculteurs propriétaires, qui vivent sur place, parce que des retraités décident de louer à des agriculteurs, que les friches ou les plantations de résineux ne gagnent pas tout l'espace. C'est en se détachant de la collectivisation et en reprenant le discours révolutionnaire du partage des terres que le parti communiste s'est implanté sur le plateau de Millevaches. « La petite propriété n'est qu'une apparence. Le communisme seul est en mesure d'en faire une réalité » déclarait, en 1922, le premier député communiste de Corrèze [Boswell, 2004]. Il est toujours vrai que le partage du foncier est très inégal et alimente toujours les revendications. Il y a peu de place pour ceux qui voudraient nouvellement s'installer.

Au-delà du jardin, le pouvoir de la propriété est pourtant limité. Le statut de beaucoup de parcelles se fige : prairies permanentes ou bois, espaces protégés. Les conversions ne sont pas si aisées ; elles sont très règlementées. Toutefois, il reste des marges de choix. Plusieurs petits propriétaires du Plateau possèdent leur parcelle de conifères. Ces parcelles étaient un placement des aïeux. Ils restent libres de refuser des coupes rases, de demander une conversion, de replanter avec des feuillus, de ne pas se soumettre à l'avis des forestiers. Les agriculteurs gardent également le choix du type d'agriculture qu'ils pratiquent. Quelques hectares possédés sont toujours un espace de liberté. Mais la possession d'un trop grand nombre d'hectares entraine une incapacité à gérer tout le domaine : c'est ce que me rapportait un paysan. Et si certains éleveurs recherchent encore des hectares c'est surtout parce leur mode d'élevage et la Politique Agricole Commune les y pressent. Les propriétaires de bois qui détiennent plusieurs centaines d'hectares sont d'ailleurs obligés de laisser la gestion de leur domaine à l'Office National des Forêts et aux groupements forestiers qui façonnent alors le visage des forêts. Elles deviennent leur manne financière et ne répondent plus à la volonté des habitants locaux ou à leurs besoins.

Je rejoins l'analyse de Christian Beynel sur la nécessité que la forêt -et plus généralement le foncier- soit possédée par des locaux et ne se résume pas à du capitalisme sur pied pour des intérêts extérieurs [Beynel, 1998]. Mais contrairement à lui, je pense que le morcellement, résultant du nombre important de petits propriétaires, est un facteur de pouvoir pour ses

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propriétaires et offre une meilleure gestion écologique (plus de diversité) que les regroupements qui visent en réalité, via le nombre d'hectares boisés et contigus à différer le pouvoir de contrôle aux forestiers... qui s'empresseraient de faire pression sur les propriétaires. D'une part pour maintenir du bois, et du bois de résineux, de l'essence la plus rentable pour eux, celle qu'ils pensent la plus adaptée au marché (actuellement le Douglas), au déni des besoins réels des habitants en bois de chauffage, en parcelles agricoles, de la qualité des sols et des rivières altérés par leurs pratiques. D'autre part pour conditionner la gestion des forêts et l'utilisation du bois et ainsi obliger les propriétaires à passer par leurs services.

Toutefois il y a des regroupements de parcelles qui peuvent rester sous le contrôle des habitants via les institutions (les communaux) ou directement (les sectionnaux). Cette dernière forme et à la fois une manière de décider de son espace et de prendre en compte les besoins du voisin. Les habitants gagnent du pouvoir sur leur environnement quand ils disposent d'un espace de liberté par la propriété mais si par leurs pratiques, ils dégradent cet environnement, la qualité de vie de leurs voisins peut s'en trouver atteinte. Les dégradations, quand elles existent, ne sont-elles pas proportionnelles au nombre d'hectares détenus ?

« Qu'un propriétaire décide comme ça s'est fait dans le Parc Naturel, qui n'est pas le nôtre, du Périgord-Limousin, qu'un propriétaire d'une plantation de châtaigniers malades décide d'y mettre des pesticides par hélicoptère, c'est son droit. Qu'il impose à son voisin de le respirer, est-ce que c'est toujours son droit ? » (Marc Lajara, Annexe 7).

Des regroupements existent aussi pour préserver le petit patrimoine bâti (un lavoir d'un hameau par exemple, une fontaine) indépendamment de qui pourrait en être propriétaire. La propriété immobilière reste surtout, quant à elle, une contrainte pour qui la recherche.

Levier de pouvoir réel sur le plateau de Millevaches pour plusieurs habitants mais dont l'exploitation demande la concertation, la propriété est cependant loin d'en être le plus prégnant. Il en existe d'autres, qui lui sont certainement plus spécifiques.

3.2 - La communauté : les liens entre habitants

Plusieurs communautés se sont formées sur le Plateau (Tarnac, Bellevue, Faux) pour partager les ressources, ce qui fait que chacun a besoin de moins. C'est une façon de compenser la faiblesse des revenus perçus mais également un moyen d'avoir un accès plus direct à certaines ressources. On peut les rapprocher du fonctionnement de l'entraide villageoise, qui existe toujours. « La solidarité : une force de frappe » titrait Télé Millevaches

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(n°85) parmi ces sujets. En l'occurrence, des habitants se regroupaient pour aider quelqu'un à retaper une ferme.

L'échange direct est toujours un moyen de se dédouaner des circuits commerciaux et des pesticides introduits dans la majorité des produits qu'on achète. A Bellevue, on fabrique du pain pour approvisionner des amis, voisins, on l'échange contre du fromage... La communauté peut justement devenir le pendant d'une autonomie par la propriété qui, par la nécessité continue de gérer son seul bien (parfois trop grand) induirait davantage une perte de pouvoir qu'une indépendance. Cette reconnaissance de la dépendance à l'autre qui se matérialise dans la création de liens, en particulier de liens sociaux, plongent les gens dans leur environnement et leur permettent de porter des projets pour le territoire. Les liens entre les nombreuses associations à caractère social sont très souvent cités comme facteur de pouvoir par leurs membres. Ces associations sont d'autant plus prises en compte, notamment par les institutions supra-locales, qu'elles agissent sur le territoire, qu'elles attirent des jeunes qui viennent faire des stages et des nouveaux habitants. Dans l'Eco-Pouvoir, Pierre Lascoumes écrit (chapitre 6) que les actions des associations « jouent un rôle essentiel dans la construction des représentations sociales comme dans le développement des interventions publiques et privées » et, ce qui s'applique tout à fait au Plateau, que les combats écolo-associatifs sont une « dénonciation des influences exercées par les groupes de pression économique sur les élus locaux et l'administration territoriale »[Lascoumes, 1994].

Par les liens entre collectifs, ou entre voisins, il y a une volonté de ne pas subir le pouvoir. Celle-ci a pu se manifester après les arrestations de Tarnac avec la rapide création d'un comité de soutien, de refus de nombreux habitants de se plier au lynchage journalistique national d'abord entrepris (puis révisé)1. Cette volonté de résister est exprimée dans l'article 2 du « Refuge des résistances » qui siège à Peyrelevade.

Article 2 : Cette association a pour objet de résister à la société spectaculaire et marchande en faisant vivre sur et à partir du plateau de Millevaches, des lieux ou des moments ouverts de formations, réflexions, créations, recherches, rencontres internationales dans le prolongement de l'esprit de résistance et des questionnements portés par et avec Armand Gatti2 et autour de son oeuvre.

Cette association est d'ailleurs nationale. Si les collectifs sont localement liés, ils le sont

également au niveau national. Plusieurs font parti du Reseau d'Echanges et de Pratiques Alternatives et Solidaires (REPAS). Le Plateau est d'ailleurs le plus gros pourvoyeur de ce Réseau.

1 Revoir note p.22 (I.1.2)

2 Artiste (poéte, dramaturge, réalisteur, metteur en scène). Il s'investit dans des expériences de créations artistiques originales te révolutionnaires.

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Ces liens ne sont donc pas sans influence sur l'environnement local ; cela parce qu'ils portent l'expression culturelle. Ainsi, les habitants du Plateau sont entourés d'initiatives culturelles qui sont aussi un facteur de lien entre eux, un pouvoir d'expression.

3.3 - La culture, l'influence et l'expression

Prétentieuse tâche que celle de définir le pouvoir. Surtout en voulant nommer des leviers de pouvoir et donc faire des catégories. Pourtant, le levier qui serait peut-être le plus utilisé sur le Plateau et qui relève de cette forte présence culturelle marquant l'espace est aussi le plus difficile à ranger derrière une terminologie. C'est peut-être tout simplement le Savoir.

L'influence

-Je dirai plutôt de l'influence, m'ont répondu de nombreuses personnes à la question : « pensez-vous avoir du pouvoir sur votre environnement ? ». Dans 25 cas (sur 97), l'influence est évoquée comme une façon d'avoir du pouvoir. Beaucoup de chargés de mission du PNR emploient le mot, également des membres associatifs mais aussi des habitants qui, par leur profession, ont des contacts avec la population : faire les marchés, tenir un bar, une bibliothèque... Mais l'influence n'est-elle pas aussi l'aveu du peu de pouvoir décisionnel effectif ? Ou plutôt de l'oubli des institutions comme moyen de participer aux décisions locales parce que celles-ci n'offrent justement pas assez de pouvoir aux habitants ? Pourtant c'est bien lorsque les idées finissent par passer au sein de la population qu'elles trouvent leur réalisation physique. L'existence du Parc est due en grande partie à l'influence de certains habitants et certaines associations. Si la fête des « nuits du 4 août » a pu avoir lieu à Peyrelevade, c'est parce que le Plateau est imprégné d'une histoire de la résistance et d'un renouveau de l'esprit libertaire, parce qu'il est le siège d'expériences alternatives. C'est pour influer sur le paysage physique que Nature sur un Plateau s'est crée : « l'association je considère que c'est un aiguillon, c'est la mouche du coche. ». 1

L'extrait du livre sur Télé Millevaches (p. 67) souligne un influence des associations qui parvient jusqu'aux élus et avec lesquels ils sont obligés de compter. Le groupe de L'Union Pour un Mouvement Populaire (UMP) au Conseil Régional a écrit dans sa tribune :

On a inversé la procédure. C'est la population qui éclaire l'élu !!! Mascarade et légèreté qui

permettent à certains groupes organisés de distiller un flux d'informations et de faire pression sur la vie démocratique. (voir annexe 6)

1 Marc Lajara. Annexe 7

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Les groupes organisés visés n'étaient évidemment pas les partis politiques mais les collectifs « sociaux », ceux du Plateau en particulier : en tout cas le membre associatif qui m'a transmis cette tribune s'est senti visé. L'influence est un moyen d'expression qu'utilisent les associations parce que la « vie démocratique » ne le leur permet justement pas (et le groupe UMP cité ne l'ambitionne pas puisqu'ils considèrent que l'élu doit guider la population ; rappelons que son rôle, dans la démocratie, est de la représenter). Le numéro 37 d'IPNS a également intitulé un article « Quand le Plateau donne des boutons à Limoges1 ». Le fait que les plus importants partis politiques s'inquiètent de l'influence des collectifs du Plateau sur le territoire et de leur esprit « atypique » pour reprendre un mot de l'article montre que l'influence est un levier de pouvoir certain. L'influence est d'ailleurs discutée comme moyen de pouvoir car ce que revendiquent certains collectifs (sous le terme d' « éducation populaire »), c'est justement le développement de l'esprit critique, que la population puisse participer aux décisions territoriales avec un jugement éclairé et réfléchi, non influencé. C'est une autre conception du pouvoir qui s'exprime et qui se lit dans l'expression « Plateau insoumis ».

L'expression

S'exprimer sur son environnement, c'est vivre dedans, c'est observer, c'est partager, c'est pouvoir dire. C'est un marqueur mentionné des démocraties actuelles. Seront qualifiés de démocratiques, les régimes où l'expression est possible, où la presse est diversifiée et a la possibilité de critiquer le régime. Si ce pouvoir est un signe si marquant de la démocratie, n'est-ce pas parce qu'il est le principal levier de la population ? Que l'institutionnalisation de la gestion de la société reconnaît ses failles ? Quand ce pouvoir d'expression est sans conséquences, il devient évidemment un gadget. Mais lorsque les mots et les informations se transmettent, qui peut parier sur une absence de conséquences ? La dénonciation des arrestations de Tarnac (par les manifestations locales -et à Paris, par l'expression dans les médias, par la présence physique des mots et affiches dans le paysage) a permis une reconsidération de l'affaire. On peut trouver des conflits frontaux d'expression, au village du Rat (au nord de Peyrelevade), l'implantation d'éoliennes avait fait débat. Un parisien (récemment installé et qui a déménagé depuis) avait prêché et fait signer des pétitions contre les éoliennes. Le village s'est divisé car un autre groupe d'habitants s'est exprimé pour

1 Au Conseil Général de Haute-Vienne comme au Conseil Régional du Limousin, se sont les groupes socialistes qui ont la majorité. Absolue pour la Haute-Vienne (23 conseillers du Parti Socialiste / 41) et très confortable pour la Région (21 conseillers / 43). « Limoges » désigne, outre la capitale comme lieu de commandement institutionnel, les groupes socialistes qui y siègent majoritairement.

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l'implantation. Il aurait sûrement fallu une forte opposition pour empêcher le montage des éoliennes, ce qui n'était pas le cas. Chaque été, il y a désormais un festival (avec surtout de la musique) sur le site. C'est aussi une occasion pour l'association « Energies pour Demain » de s'exprimer sur les énergies renouvelables. Le fait que des déchetteries se soient montées, que de réseaux de chaleur au bois prennent corps, qu'on trouve des panneaux solaires sur les vestiaires de Peyrelevade n'est pas étranger à l'expression, la communication ou l'information sur les sujets énergétiques.

Par l'expression, il y a la volonté de revendiquer sa part de décision, mais aussi celle de donner sa part de décision à l'autre en lui apportant des connaissances. La certification du parking du Casino d'Eymoutiers sous le label « Programme for the Endorsement of the Forest Certification » (PEFC) permet d'exprimer une opinion sur ledit label et la gestion forestière, et informe de la fébrilité dudit label1. Le mensuel « Vivre sur le Plateau » de la Communauté de Communes du Plateau de Gentioux informe des diverses activités. L'information locale permet aux habitants de pouvoir s'impliquer dans la vie du Plateau, les entrainent parfois à s'exprimer. Les connaissances sont aussi un levier de pouvoir. Bien souvent parce qu'elles entrainent la reconnaissance. C'est pourquoi plusieurs initiatives encouragent, sur le Plateau l' « éducation populaire ».

Connaissances, reconnaissance

-Quand on avait besoin d'un paysan qui sache bien parler à la télé, on venait me chercher, m'a dit l'ancien maire de Faux, à propos du pouvoir qu'il avait. La culture est certainement un facteur de pouvoir. Des habitants qui ont accès à la culture, et d'autant plus à une culture libertaire, à une histoire résistante, sont certainement moins soucieux de se chercher un guide. Moins aptes à se laisser manipuler ? C'est une des raisons, en dehors de la possibilité de se divertir, de l'importance accordée à la culture par de nombreux collectifs, et même par le Parc Naturel Régional.

J'ai, pour ma part, emprunté plusieurs ouvrages régionaux (scientifiques ou romanesques) à une « communauté » d'habitants à Faux et Du contre-pouvoir à Felletin. Ces connaissances permettent une assurance d'expression (c'est pourquoi certains lancent des journaux), une reconnaissance par leur transmission. Donc une certaine autorité. Donc un pouvoir. Le fait de ne pas rester muet, d'être actif, et même d'être présent, donne de la reconnaissance. Donc une certaine autorité. Donc du pouvoir. Alors quoi ? La nécessité d'être toujours en branle pour

1 Lire la première partie de l'entretien avec Marc Lajara en Annexe 7.

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pouvoir décider un peu de son environnement ? N'a-t-on plus alors que le pouvoir d'être pris dans ces actions, de courir toujours, de croire qu'il faut courir ?

Certainement, de disposer d'un peu de temps aide à se distancier de l'obligation de pouvoir. Je pense que c'est pour cela, pour le temps et pour couver les oeufs du temps, que de nombreux collectifs se sont formés sur des principes ahiérarchiques.

3.4 - Le mode de vie

Vouloir du pouvoir sur son environnement ? Lequel : mondial, national, régional...local ? C'est vouloir la possibilité de disposer de sa vie, c'est vouloir des conditions de vie, une qualité de vie, qui font que l'on n'est pas soumis à son environnement, qu'il soit physique ou humain mais acteur de cet environnement. Ceux qui reviennent au Plateau avec leur retraite, dans la maison des grands-parents, ou dans la maison qu'ils ont achetée deux ans plus tôt, y reviennent aussi parce qu'ils s'y sentent mieux, plus libres, parce qu'ils auront un accès direct à leur jardin, qu'ils auront une grande maison, de caractère, parce qu'ils auront de l'espace. Et peut-être, malgré les faibles densités (ou par cause ?), plus de liens avec leurs voisins. Le pouvoir sur sa propre vie est parmi ceux qui sont les plus revendiqués sur le Plateau. En ouverture du livre sur Ambiance Bois, Michel Lulek écrit :

...pour travailler autrement, il vaut mieux compter sur son imagination et sur sa volonté que sur un ministre du Travail ou un quelconque plan de lutte contre le chômage. Une invitation donc pour que chacune, chacun, prenne le pouvoir, le vrai, celui qu'on peut avoir sur sa vie, son destin. [Lulek, 2009]

Ambiance Bois est caractéristique du recherche d'un mode, d'un rythme de vie choisi. Un rythme qui permet une implication dans la vie sociale. C'est pour cela que beaucoup travaillent à mi-temps. La recherche n'est ni le profit, ni la domination. Michel Lulek parle d' « une logique autre que celle de l'accumulation illimitée et de l'exclusion massive des perdants ». Les pratiques du pouvoir cherchent à être horizontales. Marc, salarié à Ambiance Bois, parle des 20 salariés qui sont autant de « têtes », de l'équité salariale, du fait de pouvoir choisir son nombre d'heures dans l'année et les tâches qu'on veut faire ou non (annexe 7). Ce pouvoir partagé, de par les statuts, trouve ses limites dans le pouvoir d'expression cité plus haut : les personnes les plus reconnues pesant le plus sur les décisions.

C'est la réflexion sur « comment vivre mieux ? » qui a conduit plusieurs personnes à choisir le Plateau comme environnement. Et même ceux qui reconnaissent, les paysans de longue date, que la vie est dure, n'échangeraient pas spécialement la pauvreté de la terre contre la pauvreté de l'espace.

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Pouvoirs collectifs et culturels

N

A

Rayère

D99

Les salles

Centre

Gentioux

Pigerolles

Bellevue

-la-montagne

Atelier de tranSformation de la viande, porc cul noir

Eoliennes (festival)

Ruchers communaux

Pey rel evade

Rempnat Tamac

Le Goutaillou


·


·

A, .

A A AL.

 
 
 

Bourg communal

Route principale

route secondaire

4 km

2012 Réalisation : J. Dupoux à partir de cartes IGN avec Arcgis

Millage

Communauté

En€reprise "horizon ale"

Bar alterna Iff et cul€urel

Autre lieu culturel (ber, salve_...)

Autres rni ietrves

Diffusion IPN5_Télé Millevaches

 

Carte 10 : Quelques lieux alternatifs de culture et lieux de pouvoir collectivisé

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Le choix de se passer d'intermédiaires, bien qu'il ne soit pas toujours financièrement intéressant, souligne un mode de vie bien présent sur le Plateau. Le pain de Bellevue est majoritairement échangé, des agriculteurs en Groupement Agricole d'Exploitation en Commun (GAEC) ont un atelier de transformation de la viande à Pigerolles et font de la vente directe, surtout hors Plateau ; ce qui n'empêche pas les marchés locaux d'être assez dynamiques. Le GAEC est aussi une façon de se dégager quelques samedis. Un vieux retraité sur la commune de Rempnat, à propos des paysans d'aujourd'hui, disait qu'ils savaient mieux s'arranger. Il a précisé ensuite que c'était pour s'échanger des parcelles ou pour prendre des jours de congés, tandis que lui -au regard- n'avait jamais quitté la région.

Le choix de son mode de vie entre pour beaucoup dans le pouvoir qu'on ressent sur son environnement. C'est la volonté de ne pas seulement subir, de ne pas seulement résister, de prendre les devants. Le pouvoir n'est plus entendu, dans ce cas, comme une place à conquérir. Mais dans le choix d'un autre mode de vie, ou de travail, il y a aussi la volonté d'influencer son entourage. Michel Lulek, en parlant d'Ambiance Bois, des idées d' «égalité et d'autonomie dans l'entreprise » cite le sociologue Dominique Allan Michaud « [De telles] initiatives micro-économiques peuvent-elles provoquer des fractures significatives dans

l'univers de la macroéconomie ? » et ajoute : « C'était notre prétention. ».

L'univers du Plateau de Millevaches est, lui, en tout cas, marqué par un réseau d'initiatives originales. La carte 10 reprend plusieurs d'entre elles et offre un résumé des formes de pouvoir collectivisé ou horizontal. Les habitants qui choisissent un mode de vie ou reposant, ou permettant des loisirs, ou une activité culturelle sont souvent aussi ceux qui s'interrogent quant au pouvoir. Ceux qui perçoivent les façons dont ils peuvent avoir du pouvoir sur leur vie.

3.5 - La perception du pouvoir

Penser avoir du pouvoir est peut-être l'une des premières raisons d'en avoir. Dans les discours, on peut très bien affirmer qu'on n'a aucun pouvoir, parce que des individus sont au-dessus de nous, sont nos supérieurs hiérarchiques, sans en penser goutte pour autant. Parce qu'on dispose d'une surface raisonnable de propriété par exemple, parce qu'on a des amis au Conseil Municipal, à la Région, dans une grande entreprise, on pense qu'on a du pouvoir mais on préfère ne pas le dire. Par peur que la révélation de ce pouvoir entraine sa contestation. Parce que, peut-être, ce ne serait pas un pouvoir, par certains aspects, tout à fait éthique ?

Les collectifs et associations, par leur activité et leur influence, peuvent détenir du pouvoir sur l'environnement du Plateau et compter dans les décisions environnementales mais les

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membres peuvent déclarer la faiblesse de leur pouvoir ou leur indifférence quant à sa recherche. Parce qu'une telle affirmation engendrerait les foudres de ceux qui sont aux postes institutionnels du pouvoir ? Ou parce que, là encore, le pouvoir qu'ils pourraient acquérir ne serait pas tout à fait éthique ? Je ne reçois que les discours mais je peux les mettre au regard des actions menées, de la propriété réellement détenue et du mode de vie mené. Qu'est-ce qui semble choisi ? Il est difficile de mesurer le pouvoir, d'autant plus au regard de la perception du pouvoir. Toutefois, la perception de différents leviers de pouvoir entraîne plus facilement leur utilisation.

Ce sont les membres des associations ou collectifs qui essaient le plus de décomposer leurs pouvoirs sur le territoire, qui parlent d'influence, de liens ou de fonctionnement interne. C'est pourquoi ils utilisent la culture, l'expression, qu'ils tiennent à la solidarité. Le pouvoir est aussi mental : on peut regarder, comme on le dit souvent, le verre à moitié vide ou à moitié plein. Les associations que j'ai qualifiées de « classiques », pour le sport, la pêche ou le patrimoine, visent aussi à maintenir une cohésion sur le territoire en y maintenant des activités. La présence des associations que j'ai qualifiées de « sociales » et leurs actions, leur façon de se faire entendre, les incitent, elles aussi à se monter ou donner de la voix pour les causes qu'elles veulent défendre (l'entretien des chemins, l'éveil musical, ...).

Au contraire, le fait de ne pas percevoir comment notre avis sur l'environnement local pourrait être entendu, de constater ses dégradations en sachant que des intérêts économiques sont en jeu derrière -« on coûte trop cher, nous, dans les campagnes » me disait-on à Clavérolas1- entraîne à abandonner certains leviers de pouvoir. La difficulté de se lier à des personnes d'autres villages du Plateau compte aussi dans cette absence de perception du pouvoir. Les seules actions qu'on puisse faire, retaper sa maison par exemple, ne changeraient pas grand-chose à l'environnement. Mais souvent, l'absence de perception du pouvoir jongle avec des causes ou évènements supra-locales. Les personnes peuvent oublier le « sur l'environnement ou sur votre lieu de vie » de ma question. Ou bien, ils considèrent que même leur proche habitat est décidé dans ses détails depuis un centre lointain (c'est l'exemple pris des fermetures de classes) contre lequel ils ne pourraient rien.

On peut aussi déclarer qu'on a du pouvoir sur l'environnement et décider de ne pas l'utiliser, et de décrire des actions qui attestent autant qu'on use de son pouvoir qu'on refuse de l'utiliser.

1 Sur la commune de Nedde

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3.6 - Le non usage du pouvoir

Les paysans en « agriculture biologique » sont souvent sur cette perspective. Ils considèrent avoir le pouvoir de ne pas détruire leur environnement. Ils se reconnaissent un rôle dans la composition du paysage, sur la présence d'espèces « sauvages » dans les champs, ou dans les parcelles de landes. Les personnes, parmi les collectifs, qui déclarent ne pas vouloir user de l'influence, tout en sachant qu'ils en ont, sont aussi sur le registre de la non-utilisation du pouvoir. C'est, selon Giorgio Agamben, l'étape ultime du pouvoir, sa marque la plus avancée [Agamben, 2006].

Ne pas se sentir poussé par l'obligation d'exercer un pouvoir particulier pour décider de son lieu ou de son mode de vie est peut-être, en soi, une autre forme de pouvoir. La mairesse de Rempnat déclare qu'elle n'a ni envie, ni besoin de l'autorité ou des contacts que lui donne sa situation, que les habitants de sa commune doivent décider autant qu'elle des affaires communales. Elle a cette possibilité de ne pas exercer son pouvoir ; cette possibilité souligne qu'elle a potentiellement du pouvoir. Il faut donc, avant cela, reconnaître la nature de ses potentiels pouvoirs. Au risque de l'erreur et de la prétention.

-C'est l'environnement qui a du pouvoir sur moi, disait un anglais installé depuis 3 ans sur la commune de Faux. Parce qu'il l'a choisi.

On peut ignorer ses limites ou en connaître certaines, on peut essayer de repousser les limites d'un rapport de force, dans un exercice épuisant de tir à la corde, celles de la connaissance, celles de son temps d'action sur le territoire ; on peut aussi décider, dans son champ d'actions de ses propres limites. Le refus d'un billet montre le pouvoir qu'on a sur l'argent ; le refus d'un siège de pouvoir montre aussi le pouvoir qu'on pense avoir sur lui. Le pouvoir redevient alors mental, presque un cadavre sans corps.

Conclusion sur les leviers de pouvoir utilisés sur le Plateau

Les relations entre les différents acteurs sur les questions locales ne soulèvent pas uniquement des luttes d'influences ou une bataille pour le contrôle du territoire. Mais au regard du pouvoir des autres, on définit son propre pouvoir sur le territoire. Les luttes de pouvoir sont davantage les résultats de ceux qui se posent la question : « qui doit légitimement décider du territoire ? » mais, à mon sens, ce qui est le réel enjeu est de trouver comment chacun peut avoir du pouvoir sur ce territoire. C'est aussi pourquoi je me suis peut-être davantage penché vers ces associations qui cherchent des formes horizontales de

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pouvoirs, formes qui sont pour elles un anéantissement du pouvoir. Et qui communiquent sur ces formes. On pourrait parler d'une culture du pouvoir alternative à celles des institutions qui est installée sur le plateau de Millevaches.

La propriété est sûrement davantage utilisée comme un moyen personnel d'appréhender le paysage, de disposer d'un espace personnel de liberté, susceptible de pourvoir à ses besoins tandis que les leviers culturels, d'information et d'expression, sont utilisés par des collectifs pour ausculter certains comportements vis-à-vis de l'environnement, ils sont le relai d'un rapport social à l'environnement physique. Rapport souvent pensé comme libéré des influences capitalistiques : un pouvoir qu'a l'homme de faire parti de son environnement sans devoir s'extirper de celui-ci pour en attendre un apport matériel ou financier.

La démocratie s'expérimente sans centre, avec l'idée qu'on peut changer sa propre vie et donc, au moins à ses propres yeux, son environnement, en considérant et en utilisant le pouvoir que l'on a sur sa propre vie. Il s'agit d'abord de relations entre humains dans ce cas-là ; c'est le projet qu'ils peuvent expérimenter qui les liera avec leur milieu.

La propriété, la solidarité, l'influence ou l'autogestion d'un collectif ne dispensent pas pour autant les habitants de rapports de forces. Le pouvoir sur sa propre vie, pouvoir mental, est toujours remis en cause par l'abus de pouvoir que l'on peut considérer comme venant de l'autre. C'est parfois ce que révèle l'étude des relations entre acteurs. Mais aussi leurs discours vis-à-vis de ceux qui n'habitent pas le Plateau et qui veulent en tirer les ressources. Les maires et collectifs qui agissent pour faciliter l'installation sur le Plateau se heurtent fatalement au foncier détenu par ceux qui n'y vivent pas. Le pouvoir qu'on a sur sa propre vie dépend de l'horizon où se pose le regard.

Le domaine paysager n'était peut-être pas la préoccupation première des collectifs qui, d'abord, devaient maintenir des rapports humains, des facilités pour vivre sur le territoire et en être informé mais certains demandent maintenant la disponibilité de terres agricoles (plusieurs membres de « de Fil en Réseau »), de maisons, mais aussi un changement de gestion forestière (SOS Millevaches à Bugeat et Nature sur un Plateau à La Villedieu).

La vie des habitants, avec le repeuplement voulu du Plateau, son dynamisme installé, réclame un pouvoir sur l'environnement sur une échelle supérieure à son foyer : à la région. Comme si l'espace voulu et vécu s'agrandissait. Le pouvoir mental évolue sans cesse.

Ces expériences alternatives, prônant des besoins d'autogestion, d'autant plus dans un milieu rural où le rapport à la terre et à ses besoins vitaux est direct, donnent à mon sens une originalité et une reconnaissance au Plateau. Elles invitent chacun -moi y compris- à s'en saisir, non seulement à résister à un pouvoir subi mais à donner le pas d'un pouvoir choisi.

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Ces expériences ne sont pas isolées. Elles s'insèrent parfois dans un réseau national et peuvent trouver comparaison en d'autres endroits de la planète. Ce sont aussi ces vues extérieures, ces comparaisons possibles qui attestent le, peut-être petit, mais le pouvoir réel qu'elles ont sur la vie de l'environnement.

Tout l'objet de la troisième partie sera pour moi d'élargir le sujet, de voir quelles considérations lui donner dans un champ plus large. Quelles considérations et quelles décotes.

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III - Au-delà du Plateau. Des leviers de pouvoir en débat.

Avec la question du pouvoir de décision que l'on possède sur son lieu de vie, vient celle de l'organisation des humains sur le territoire. C'est-à-dire de l'échelle de la démocratie. Car la question de la démocratie s'est très vite posée en termes d'échelle pour y rester. Que ce soit dans les tomes politiques d'Aristote ou dans Le contrat social de Jean-Jacques Rousseau : on se soucie de la taille de l'espace où l'habitant peut être entendu sur son territoire [Aristote, 1971], [Rousseau, 2001]. C'est pourquoi je regarderai comment le pouvoir des habitants peut sortir de son échelle locale ainsi que les conditions de son exercice, comment un individu peut participer à la démocratie, y compris au sein d'un collectif et alors faire partie de la construction de son environnement. Dans cette lecture, émergerons des débats souvent rencontrés dans la fabrication de la démocratie : la place de la science ou de l'autorité.

Mais avant cela, je me tourne vers d'autres localités, pour chercher comment peuvent y être présent les différents leviers de pouvoir mentionnés pour les habitants du plateau de Millevaches.

1- D'autres delà. Des comparaisons avec le plateau de Millevaches sur le pouvoir des habitants.

1.1 - La vallée de l'Intag en Equateur

Je vais m'arrêter sur la vallée de l'Intag, dans le canton de Cotacachi, à 1° de latitude nord, où je me suis déjà rendu et où, comme sur Millevaches, moult associations avaient leur local.

Source : HydroIntag

Carte 11A : Régions de l'Equateur et 11B : Cantons de la région Imbabura

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La plus proche ville est Otavalo, à environ 2 heures de route. C'est dire que la vallée de l'Intag est, tout comme le plateau de Millevaches, éloignée des centres urbains. Cet éloignement est un facteur de pouvoir pour les habitants car, de fait, l'Etat central peut moins les contrôler. En revanche, la vallée reste peuplée et la jeunesse y est un facteur de dynamisme. C'est peut-être aussi l'isolement de la région davantage que les faibles densités, prétendument évoquées par certains habitants sur Millevaches, qui leur donne une certaine autonomie et une sensation de liberté. La vallée n'est pas un espace protégé ; en revanche il y a un parc national (Cotacachi-Cayapas) à proximité.

Les paysages de l'Intag se composent de champs (cultures) et de forêt. La forêt y est évidemment un enjeu de biodiversité et certains habitants y sont attachés. Ce qui ne l'empêche pas d'être concurrencée par des cultures. Sur ce territoire, la forêt peut aussi constituer, sur un tout autre ordre, un élément qui n'est pas contrôlée par les habitants puisque elle est un enjeu internationalisé et qu'on trouve plusieurs Organisations Non Gouvernementales (ONG) sur place dont le but est de défendre la forêt (Zoobreviven replante, parfois des bambous ou de l'eucalyptus : ils poussent vite mais ne sont en rien des espèces locales) ou de défendre certaines espèces animales (ours andin par exemple). Des membres d'ONG peuvent reprocher à des paysans de faire brûler une petite parcelle de friche ou de bois pour la cultiver. Parmi les grosses cultures, on trouve de la canne à sucre, culture qui peut relever d'une dépendance au marché. On trouve aussi des pâturages. Je n'ai pas les chiffres de la propriété ni ne sait si les terres sont exploitées par leurs propriétaires mais, davantage que sur Millevaches, la composition du paysage, l'occupation des sols, relève des habitants. Mais avec bien des ambivalences.

Si on trouve des ONG, on trouve aussi de nombreuses associations villageoises. Elles sont nées pour la plupart des suites de l'opposition à un projet minier par une entreprise japonaise et après le départ de cette entreprise. Les concessions ont été rachetées par une entreprise canadienne et les habitants ont pris le parti de s'organiser et de faire naître des initiatives territoriales pour parer à toute tentative de retour des activités minières. On trouve l'association DECOIN, de défense de l'environnement et de lutte contre les compagnies minières, Toisan (dont HydoIntag : construction de petits barrages pour produire de l'électicité), AACRI : coopérative des caféiculteurs de l'Intag, également une coopérative des artisans (avec une boutique), une association de femmes... et les membres de la communauté de Junin sont très liés (c'est la communauté qui fût frontalement touchée par les projets miniers). On trouve aussi, comme sur Millevaches, un journal écrit par les habitants et RadioIntag, ainsi qu'une bibliothèque. Le lien associatif et la culture sont conçus comme des

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leviers de pouvoir qui vont permettre de résister aux incursions des entreprises minières et qui vont faire que les habitants prennent en main leur territoire, deviennent plus autonomes. C'est pour cela que les produits locaux sont largement développés : ils sont vus comme un moyen d'indépendance financière. Ce qui n'était pas le cas sur le plateau de Millevaches où les productions locales (« terroir » serait-on tenté de dire) restent englobées dans les stratégie de marché (limousines, agneau).

On retrouve cependant le savoir, l'influence, comme un pouvoir utilisable par l'habitant pour décider de son environnement. Carlos Zorilla, de l'association DECOIN, dans un manuscrit [Zorilla, 2009] va, lui aussi, mentionner plusieurs de ces leviers de pouvoir dont la population peut se servir, dans le but de résister aux projets miniers. Il cite très souvent l'information, dont les médias locaux : « Establezca un periodico comuniario simple y[...] crea su proprio radio communitario ». La comunidad est une expression couramment employée pour parler des habitants de l'Intag : elle met en avant le lien entre les habitants, par le biais associatif notamment. Faire connaître les aspirations de la communauté à niveau national puis international est aussi explicitement mentionné par Carlos Zorilla. Avec un certain succès d'ailleurs.

Mais la recherche de financement, peut également entrainer les associations à dépendre de l'extérieur et risque de faire considérer l'Intag comme une zone touristique pour certains étrangers, avec la demande d'un tourisme de la Nature qui ne va pas forcément de pair avec sa défense. Mais l'isolement de la vallée, hormis restreindre les ressources financières des habitants1, restreint aussi le tourisme. Les touristes qu'on peut croiser dans l'Intag sont généralement dans les ONG. Je n'en ai pas croisé beaucoup, personnellement.

Le fonctionnement de la démocratie est aussi mis en question. Les associations et les ONG peuvent être plus ou moins critiques vis-à-vis du gouvernement, attendre plus ou moins de lui, et se critiquer entre elles sur leurs regards différents. Mais il y a des tentatives de fonctionnement participatif au sein des institutions. L'assemblée cantonale de Cotacachi est composée de membres représentant les associations du canton. En 2000, Cotacachi se proclame « Canton écologique ». Comme pour Millevaches avec le Parc, les associations peuvent donc porter certaines institutions et créer certaines entités « écologiques ». La composition de l'assemblée cantonale par les associations préfigure aussi d'un fonctionnement plus horizontal et d'un pouvoir plus partagé.

1 Plus de 55% des actifs gagnent moins de 40$/mois selon Rouge Midi

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On retrouve donc dans la région de l'Intag de nombreux leviers communs avec le plateau de Millevaches et surtout une place prépondérante des communautés, associations et de la culture. L'influence est également un pouvoir compris et utilisé par la population de l'Intag. Dans l'Intag, les institutions locales semblent également utilisées physiquement tandis que c'est plus aléatoire sur le Plateau de Millevaches, selon les communes. La comparaison, si elle révèle des formes communes de pouvoir, montre aussi l'influence, l'expression, la culture comme un levier de pouvoir fort pour les habitants et comme un levier indépendant sur le plateau de Millevaches, compris en dehors des assemblées institutionnelles. Les leviers de pouvoir, utilisés par la population, ne sont sûrement pas autant découplés les uns des autres que je les ai pu présenter pour le Plateau de Millevaches.

1.2 - Aubagne, Larzac, Aubrac, Périgord, Afrique tropicale, Forez et Nambikwara

A l'occasion du forum « Aubagne à l'heure du monde », le Monde Diplomatique d'octobre 2011 nous présentait la ville d'Aubagne comme expérimentant la démocratie participative « à tous les habitants, en dépassant le cercle des convaincus1 ». Gustave Massiah nous relate des actions menées par des ateliers d'habitants : tramway gratuit, espace culturel épicerie sociale, complexe sportif... Aubagne est présentée comme un cas où les habitants ont du pouvoir sur leur environnement via les institutions démocratiques. Gustave Massiah parle de deux nouveaux acteurs émergents dans les représentations politiques : les collectivités locales et les mouvements associatifs. Et l'un des buts du forum était de rendre « visible la stratégie d'alliance entre les collectivités locales et les mouvements sociaux et civiques ».

Agnès Bonnaud, quant à elle, évalue très faiblement le pouvoir local sur le plateau de Millevaches (14points /54) au regard du Larzac (46pts/54) ou de l'Aubrac (37pts/54). Mais ses critères d'évaluation (projet local, enthousiasme, cohésion sociale, maturité, rapport des objectifs locaux avec les objectifs externes) sont avant tout notés économiquement et se basent d'abord sur l'étude des institutions, des projets et de la participation des habitants au sein des institutions. Page 354, elle écrit : « l'existence d'une bonne cohésion sociale locale suppose celle d'un pouvoir interne permettant aux sociétés locales une certaine résistance aux dynamiques externes » [Bonnaud, 1998]. Le Larzac est alors cité comme un exemple de bon fonctionnement de la coopération locale et où les habitants sont identifiés comme les

1 Article de Gustave Massiah : Aubagne construit son territoire à l'heure du monde.

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principaux acteurs du développement économique. Le Larzac, depuis l'opposition à l'agrandissement du camp militaire des années 1970 est aussi devenu un lieu de pouvoir alternatif mythifié. Comme dans l'Intag, c'est la résistance à un projet territorial extérieur qui a pu fédérer les habitants et inviter à une reprise en main politique du territoire.

En Aubrac, on trouve nombre de productions locales : Laguiole, race Aubrac, fromages, thé d'Aubrac qui, en grande partie, font conclure Agnès Bonnaud à une forte autonomie locale de la région et à un relatif pouvoir local des habitants. On retrouve, à l'image de l'Intag, le terroir comme levier saisi par les habitants pour avoir un pouvoir d'indépendance financière.

Par rapport au Plateau où les institutions, outre l'échelle communale (ou celle d'un petit assemblage de communes) étaient surtout perçues comme un pouvoir extérieur aux habitants, ces derniers exemples montrent que le rassemblement associatif n'est pas le seul utilisé par les habitants et que ceux-ci peuvent s'investir dans les assemblées politiques officielles.

Simon Langelier, dans Le monde diplomatique (oct. 2011) pointe toutefois le risque d'une récupération du pouvoir associatif des habitants par les collectivités locales (et leurs caciques). Une trop grande proximité des associations et des institutions n'est donc pas forcément un signe de pouvoir décisionnel des habitants.

Myriam Guillabot compare directement, elle aussi, le PNR Millevaches au PNR Périgord-Limousin sous l'angle du « développement durable », angle essentiellement économique [Guillabot, 2008]. Elle parle d'une forêt de production pour Millevaches, et d'une forêt économiquement valorisée sur le Périgord. Cette dernière -forêt composée de nombreux châtaigners- serait davantage liée au patrimoine, donc potentiellement mieux acceptée et choisie par les habitants, ayant davantage l'image de ce « terroir » qu'on retrouverait encore comme source financière pour la région.

Ces deux dernières auteures (Agnès Bonnaud et Myriam Guillabot) ne s'intéressent pas à la culture comme élément de développement ou d'autonomie locale. Peut-être la pensent-elles hors des circuits du pouvoir ? Ou bien l'objet de leurs thèses est avant tout une comparaison au niveau institutionnel des économies locales. Si elles offrent des outils de comparaisons directes du territoire de Millevaches avec d'autres lieux, les comparaisons que je peux en tirer, pour mon étude, ne sont que partielles. Elles soulignent néanmoins l'aspect « terroir » comme élément préhensible par la population pour avoir une maîtrise sur son environnement, aspect que je n'ai peut-être pas assez remarqué ou fouillé sur le Plateau. Mais, sur ce point encore, le risque de récupération par des entreprises ou des institutions n'est pas négligeable. De nombreuses grandes marques jouent sur des produits terroir sans que ceux-ci

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ne soient le moins du monde contrôlés et décidés par les habitants dudit terroir. Néanmoins, l'analyse qu'Agnès Bonnaud nous livre de l'Aubrac souligne que, sur certains territoires, c'est un levier de pouvoir local qui fonctionne, qui est issu des habitants.

Par leurs études des rapports société-nature en Afrique tropicale, Jean Boutrais et Dominique Juhé-Beauleton vont relier les cultures agricoles (donc un terroir potentiel) à la nature de la propriété [Boutrais, Juhé-Beauleton, 2005]. Ils écrivent d'ailleurs que « le statut coutumier des terres constitue le premier patrimoine naturel des sociétés rurales », patrimoine dont j'avais surtout parlé de manière symbolique (historique et culturelle) sur le plateau de Millevaches. Ce statut coutumier des terres suppose un pouvoir de propriété, des codes de propriété établis par les habitants. Et les auteurs décrivent un régime foncier souple et flexible qui pourrait s'adapter à la taille des diverses familles, voire intégrer de nouveaux arrivants, donc d'une transmission d'un patrimoine qui n'est pas forcément identique d'une génération à l'autre. Le foncier pourrait alors être un levier déterminant de pouvoir sur son environnement. Mais les auteurs montrent aussi que sa nature oriente les cultures : d'un côté, une petite propriété paysanne et la solidarité qui lui est corrélée maintiennent une culture d'oléagineux et, de l'autre côté, une réforme foncière agrandissant des domaines condamne cette même culture. Ils concluent leur passage en stipulant que les productions locales, de terroir, découlent avant tout des organisations sociales dont la petite propriété serait un reflet. La maîtrise de la propriété par la collectivité des habitants apparaît certainement comme un levier de pouvoir supérieur à la propriété propre, ce qui est supposable également pour le plateau de Millevaches mais difficile à constater au vu de la possession foncière extérieure.

Dans le Livradois-Forez, région très boisée et enrésinée, la propriété de la forêt peut également s'avérer un élément de privation de pouvoir pour les habitants. Le journal critique auvergnat la Galipote le relate à propos...des champignons1 ! Une association de propriétaires forestiers s'étaient crée, sous l'impulsion de Liliane Usaï, « étroitement liée » à l'entreprise de transformation et de conservation de fruits Mondiacepes pour obliger quiconque voudrait ramasser les champignons à acheter une carte (20€) à l'association. La propriété s'immisce ici comme rapport de force entre individus et prive plusieurs habitants de l'accès à leur environnement. Les propriétaires locaux sont, d'une certaine façon, récupérée par une entreprise pour avoir du pouvoir sur les habitants.

La possession foncière de terrains reste donc, à mon sens, un levier de pouvoir ambigu sur son environnement. Si par la maîtrise du « terroir » ou grâce à la solidarité paysanne (c'est

1 La Galipote, Printemps-été 2011 pp.26-27. Chante-querelles pour cueilleurs à la ramasse par Louis Chaput.

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l'exemple du Larzac), elle constitue un moyen de contrôle effectif du territoire et de l'occupation des sols, plusieurs cas, dont celui de Millevaches, montrent qu'elle peut devenir un outil de domination sur les habitants. C'est l'analyse qu'un « écologiste libertaire » faisait du plateau de Millevaches, voilà 30 ans. Il concluait à un « pays dominé dans tous les domaines » [Pressicaud, 1980] : il citait évidemment la forêt, le foncier mais aussi l'hydro-électricité (les besoins locaux pouvant être couverts par des retenues plus petites), l'exploitation de l'uranium ainsi que l'agriculture « sous perfusion ». Bien avant lui, Marius Vazeilles s'inquiétait des revenus générés par la petite propriété paysanne et proposait le reboisement (en partie avec des résineux) pour enrichir en capital le petit paysan [Vazeilles, 1931]. C'était une vision purement rentable de l'occupation des sols puisqu'il proposait de supprimer les bruyères pour créer des pâturages. Mais les tourbières et landes sont, sur le Plateau, un « terroir » beaucoup plus spécifique que la forêt, même paysanne, que proposait Marius Vazeilles. Il s'est finalement concentré sur l'archéologie pour mettre en avant le patrimoine bâti du Plateau. Si sa vision n'était pas vraiment écologique, il proposait toutefois une maîtrise de l'environnement, naturel comme bâti, par les habitants du Plateau. Pour ma part, je reste sur la position que la culture, via l'influence et le savoir, est un levier primordial de pouvoir des habitants et qu'il est nécessaire de la comprendre comme acte de pouvoir pour s'en saisir et impacter son environnement. Le terroir revêt d'ailleurs une fort part culturelle même s'il est, peut-être, -mais est-ce vraiment une bonne qualification ?- à cheval sur la culture et la propriété quant à sa considération en tant que levier de pouvoir pour l'habitant.

Dans sa rencontre avec les Nambikwara, Claude Levy-Strauss s'intéresse aux limites du pouvoir des « chefs » mais également aux limites du pouvoir des membres de la communauté [Levy-Strauss, 1955]. Dans les pages 374 à 377, il cite le consentement comme « origine et limite du pouvoir ». Un groupe consent à ce que l'un d'eux dirige s'il est généreux en échange. Le chef a des privilèges (la polygamie) parce qu'il a une charge qu'il consent à exercer. Claude Levy-Strauss avance que les Nambikwara ne courent pas après le pouvoir, qu'ils sont peu animés par l'esprit de compétition et que le pouvoir, par conséquent, s'explique par une origine sociale plutôt que par des aspirations personnelles au prestige ou aux privilèges. Il écrit ainsi : « des attitudes et des éléments culturels tels que le « contrat » et le « consentement » ne sont pas des formations secondaires [...J : ce sont les matières premières de la vie sociale, et il est impossible d'imaginer une forme d'organisation politique dans laquelle ils ne seraient pas présents ». La culture est comprise comme partie prenante de l'organisation des sociétés et de leurs espaces. De même, les collectifs sociaux du Plateau qui se distancient du pouvoir en prônant une gestion horizontale ou autogestionnaire du groupe

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sont la matérialisation d'attitudes culturelles. La culture, que j'ai liée comme levier de pouvoir à l'influence, ou au savoir peut aussi devenir une composante des institutions, de l'organisation de la démocratie. Mais elle est d'abord citée (via le « consentement ») comme limite d'un statut de pouvoir par Claude-Levy Strauss.

Ces comparaisons, issues de lectures, peuvent remettre en cause la catégorisation des leviers de pouvoir que j'ai pu donner, ou bien pointer de nouveaux leviers : le terroir qui constitue une relation directe à son environnement proche et la forme de la propriété (davantage que la propriété elle-même) qui préfigure de l'occupation des sols et des paysages.

Comment chacun peut décider de son territoire relève aussi d'un mouvement culturel, d'accès à la connaissance de son environnement. L'organisation de la société en dépend. La connaissance des fleuves, des monts, des plantes, déifiés parfois, est un élément qui conditionne l'établissement ou l'organisation d'un village dans des communautés amazoniennes par exemple. Le positionnement, l'orientation des mosquées ou églises relève sans doute du même ordre. Je vais maintenant m'intéresser à l'organisation de la société et aux questions sur l'espace de la démocratie qui viennent avec celles du pouvoir de chacun sur son espace de vie.

2 - Le pouvoir comme question d'organisation de la démocratie et question d'échelle.

De la forme de gouvernement dépend le pouvoir institutionnel de chaque habitant.

Et Henry Thoreau entamait son Civil Disobedience par cette fameuse phrase :

« That government is best which governs least ». [Thoreau, 1947]

Parce qu'il y a une dualité entre le pouvoir administratif, institutionnalisé et celui des habitants sur leur propre vie. Le dernier pouvant être contraint par le premier.

En effet, les Etats ou Régions ont pu chercher leurs limites selon la capacité du chef à contrôler la population, percevoir l'impôt, ont pu composer le paysage selon une forme qui leur seyait et selon leurs besoins (regroupement de parcelles, bocage pour laine de mouton, forêts pour bois de marine...). Mais les limites des Etats, c'est-à-dire l'échelle des Etats et de l'espace citoyen trouve aussi ses marques dans les espaces communautaires [Trochet, 1998]. On peut prendre l'exemple de la Mésopotamie cité par Jean-René Trochet : « le passage de la cité-Etat à l'empire s'effectua en Mésopotamie sans difficultés majeures puisqu'il n'impliqua pas une modification importante du fonctionnement des pouvoirs et de la structure sociale ».

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Le respect des espaces communautaires est pour les entités administratives qui se forment le choix d'éviter un rapport de force qui pourrait leur être défavorable.

Les divisions établies délimitent alors des territoires où le pouvoir central a moins de prises. On trouve souvent ces territoires aux confins des limites administratives où lorsque « l'humanité est trop clairsemée » [Claval, 1978]. Le plateau de Millevaches satisfait ces critères. La façon d'échapper au pouvoir institutionnel est une question de liberté sur sa propre vie pour l'habitant. La démocratie doit conjuguer le pouvoir de chacun et le pouvoir de tous pour gérer l'espace de vie, l'environnement.

2.1 - Formes de démocraties

« Il y a démocratie quand le pouvoir est détenu par une majorité d'hommes de naissances libres mais pauvres, et oligarchie quand il appartient à une minorité d'hommes riches d'origine plus noble » écrivait Aristote [Aristote, 1971].1 La définition supposait l'existence d'esclaves mais rangerait davantage les régimes de moult Etats de la planète sous le terme d' « oligarchie » que de « démocratie ». Ce qui est à mon sens plus juste. Et souligne les conflits entre institutions et citoyens soulevés par la phrase d'Henry Thoreau. Lui ne voulait pas payer son impôt en partie parce qu'il ne voulait pas que celui-ci serve à financer une armée gouvernementale.

Le citoyen ne peut pas se contenter de voter puis d'obéir : c'est le principe de départ des réflexions sur la démocratie participative. Hélène Hatzfeld décrit la pensée de la « démocratie participative » comme dérivée des mouvements autogestionnaires post-soixante-huitards, pour s'opposer à un pouvoir pensé comme domination [Bacqué et Sintomer, 2011], pour devenir un contre-pouvoir. La nomination « contre-pouvoir » utilisée aussi par Miguel Benasayag n'est peut-être qu'un tour de passe pour éviter d'utiliser le mot « pouvoir » dont on aurait peur ou qu'on refuserait car compris comme l'instrument exclusif de domination des puissances économiques et administratives. Le « contre-pouvoir » n'est souvent autre que certains leviers de pouvoir utilisés par les habitants. Mais le contre-pouvoir, à l'image de l'argumentation de Miguel Benasayag a besoin de critiquer le pouvoir pour se poser en recours. Parler simplement de « pouvoir » incite peut-être non seulement à vouloir décider de sa vie mais à participer à l'organisation de son espace. Mais, quelle que soit la nomination, il y a effectivement une opposition entre la démocratie pratiquée et le pouvoir des habitants, et à

1 Politique tome II, livre IV, Ch. IV.6

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plus forte raison entre la démocratie pratiquée et le pouvoir des militants, comme le souligne Iris Marion Young. Elle écrit que, pour le militant, les bons citoyens « devraient avoir recours au pouvoir du scandale et de la dénonciation pour faire pression sur les parties délibérantes », c'est-à-dire au levier de l'influence culturelle et médiatique. Elle rapporte d'ailleurs peu avant que « la culture populaire, qu'il s'agisse du cinéma ou de la chanson, offre bien des exemples de célébration de mouvements en faveur de la justice sociale ». Par le levier culturel, le citoyen peut agir sur son environnement et informer de cette action. Parce que les tables rondes des démocraties n'offrent que des positions de pouvoir, des sièges, et parce que ceux qui sont assis sur ces sièges pensent transformer une position en pouvoir effectif et ne daignent alors que peu voir remise en question l'existence du siège. Le débat qui s'est tenu le 2 avril à Nedde1 insistait précisément sur les difficultés d'accès aux tables de la démocratie pour chacun et aux difficultés de faire entendre ses voix via les instances démocratiques si elles ne sont pas numériquement majoritaires. Il reste néanmoins l'influence idéologique, la faculté de « juger de la valeur morale des actes » qui est primordiale selon Paul Claval mais qui peut être limitée par l'influence économique puisque on serait prêt à faire n'importe quoi pour disposer du minimum vital. Mais ne serait-on pas plutôt prêt à faire n'importe quoi pour disposer du superflu ? C'est peut-être notre cupidité davantage que notre besoin qui limite notre influence idéologique ou notre capacité de juger. Ainsi que l'accès à des sources de connaissances : c'est une question qui revient souvent dans les débats sur la démocratie.

En matière d'environnement, la loi cherche pourtant à intégrer le citoyen. Son avis doit être recueilli. Mais cet avis reste uniquement consultatif (code de l'environnement, article L121-12) : l'habitant peut participer aux débats environnementaux, non aux décisions. Il peut également en être informé mais c'est lui qui doit demander l'information (L121-21). La loi ne confère donc pas un pouvoir réel à l'habitant sur son environnement, d'autant plus que les articles mentionnés ci-dessus peuvent être contredits par d'autres articles du code de l'urbanisme ou du code minier. La justice par les lois est souvent un rapport de force dans lequel il faut pouvoir se payer ceux qui savent combiner les lois.

Il est reconnu davantage de crédit légal aux associations (L141-2 et 142-21) qui ont droit de cité et qui peuvent porter une action en justice. Ces actions ne sont pas toujours simples à mener mais beaucoup d'associations environnementales se servent de la loi pour faire constater ou empêcher des pollutions par des entreprises.

1 Affiche en annexe 5

2 Voir annexe 9

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Elles peuvent également être appelées à la table des décisions en ce qui concerne l'aménagement du territoire. Je rappelle que si la négociation, la concertation, le consensus peuvent être interrogés comme moyens d'actions associatifs [Mermet et Berlan-Darqué], ces moyens restent conditionnés par le fait qu'un aménagement soit négociable. Ce qui n'est généralement pas le cas puisque les habitants ou associations environnementales ne veulent pas de l'aménagement qui est proposé, souvent par une entreprise ou par l'Etat. Je suis de l'avis de Philippe Subra qui dit dans Hérodote [Subra, 2003] que le débat public, la participation d'associations environnementales aux tables institutionnelles de décision n'est que factice et n'était qu'un moyen, inutile, trouvé par les aménageurs pour éviter une opposition frontale. Pierre Lascoumes va d'ailleurs dans le même sens (chapitre 7 [Lascoumes, 1994]) en rappelant que les associations sont, d'une part sélectionnées, d'autre part très minoritaires dans les instances décisionnelles, que les enquêtes publiques leur sont rarement confiées et que les préfets peuvent voter à main levée des projets d'aménagement du territoire. Ces derniers, comme les aménageurs, ont une vision rentable et lucrative de l'environnement, une vision monétaire du progrès alors que la remise en cause du Produit Intérieur Brut (PIB) comme indice de base du progrès est l'un des points d'orgue de nombreuses associations environnementales. C'est ce que rappelle également Marie Lequin pour qui la gouvernance locale nécessite la participation des communautés locales et une assurance des citoyens sur le contrôle du développement de leur communauté [Lequin, 2001].

Des relations trop poussées entre institutions et associations ne sont donc pas forcément le signe d'un pouvoir des habitants sur leur environnement (alors que c'était un critère choisi par Agnès Bonnaud) : cela dépend pour beaucoup de l'institution. Mais les liens entre associations (tels que constatés sur le plateau de Millevaches) et ceux entre associations et habitants semblent un élément plus pertinent quant à la capacité de la population de pouvoir peser sur son environnement. Les formes actuelles de démocratie ne donnent pas un pouvoir décisionnel aux habitants sur leur environnement. Quand bien même, l'expression et la culture resteront des leviers indispensables en cela qu'ils conditionnent aussi les connaissances portées par et aux habitants.

Ces formes de gouvernement, Aristote va en proposer diverses définitions : c'est sa façon de chercher le meilleur régime. Jean-Jacques Rousseau va faire de même dans son contrat social. S'il fait apparaître la personne morale de l'Etat qui représenterait la population et l'intérêt général, il relie également les types de régime à la taille de l'espace considéré. Et il conclue que la démocratie demande une petite échelle, un espace restreint, local. Plus l'espace est grand et plus on doit en passer par des représentants et plus la population risque d'être

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éloignée des décisions directes. Dans son introduction du débat du 2 avril à Nedde, Gérard Monédiaire insistait sur le besoin nécessaire de décentralisation. Miguel Benasayag et les auteurs de l'insurrection qui vient [Comité invisible, 2011] notent ce même besoin. Ces derniers identifient la communauté comme le noyau de base où des individus peuvent avoir du pouvoir, « être le territoire » et s'opposer à la « topologisation » du pouvoir en siège. Il faudrait alors penser le lien entre ces communautés et le pouvoir de chacun pour des enjeux qui dépasseraient l'environnement local.

Les leviers de pouvoir utilisés par les habitants visent aussi à franchir les échelles d'écoute et le franchissement des échelles est l'une des façons de mesurer l'efficacité de ces leviers et donc du pouvoir des habitants.

2.2 - Le franchissement des échelles

Avoir du pouvoir sur son environnement demande parfois d'avoir du pouvoir sur une échelle supérieure à celui-ci. Parce que les institutions vont du centre vers la périphérie et parce que l'influence sur l'extérieur permet aussi une influence sur l'environnement interne. Le franchissement des échelles peut être signe de reconnaissance comme signe de force. L'opposition à l'agrandissement du camp militaire du Larzac doit son succès à un dépassement d'échelle, parce que le camp pouvait relever d'un intérêt national, intérêt contesté à échelle locale et nationale. L'expression, via des manifestations de rue notamment ainsi que l'occupation des sols, l'utilisation de la propriété paysanne ont été des leviers de pouvoir parmi les plus utilisés. Carlos Zorilla, dans son manuscrit pour contrer les activités minières dans l'Intag, insistait lourdement sur la diffusion de l'information à échelle internationale et certaines ONG se montent dans ce même but. Le fait d'avoir des alliés à une échelle extra-locale est une force, à condition que ces alliés ne privent pas les habitants de leur pouvoir local.

Pour revenir sur mon cas d'étude, il est de nombreuses situations où le pouvoir des habitants peut dépasser l'échelle locale. Le monument de Gentioux, patrimoine, attire des manifestants de toute la France pour le 11 novembre et leurs actions ont conduit « le président de la république à reconnaître, à plusieurs reprises, que les fusillés pour l'exemple n'étaient pas coupables » (annexe 3). C'est un cas où, pour reprendre un thème d'un article sur identité globalisation et culture locale [Gertel, 2003] l'espace local est aussi un espace national d'action. Certaines associations montées sur le Plateau (Mémoire à vif, Refuge des Résistances) affichent un champ national d'action, c'est-à-dire possèdent des membres dans

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toute la France. Les collectifs peuvent également former un réseau supra-local. Des personnes peuvent venir de toute la France aux activités proposées par les Plateaux Limousins (j'ai pris un jeune de Pau en stop qui s'y rendait) ou pour s'insérer un temps dans la communauté de Tarnac, dans le GAEC Champ des possibles... Plusieurs structures, dont Ambiance Bois, sont regroupées dans le Réseau (national) d'Echanges et de Pratiques Alternatives et Solidaires1 (REPAS), font des conférences (voir annexe 7, dernière partie) ou accueillent des stagiaires. Ces derniers expérimentent, en particulier, des fonctionnements horizontaux de travail. D'ailleurs nombre d'acteurs de ce réseau sont implantés sur le plateau de Millevaches, ce qui n'empêche liens entre collectifs de se tisser à échelle nationale. Si les pratiques alternatives de Plateau restent peu connues de l'ensemble des habitants (comme le suppose l'enquête du I.1.2), elles touchent des personnes intéressées de près ou de loin et les liens entretenus nationalement permettent une reconnaissance des autorités locales. Le fait d'entretenir des liens et d'adopter des pratiques alternatives de pouvoir au sein d'un groupe impacte forcément l'environnement local et confère une reconnaissance des habitants qui se saisissent de ces pratiques. Un dossier du journal IPNS2 cite le sociologue André Micoud lors d'un colloque à Eymoutiers : « Quand on parle d'un territoire comme un lieu d'innovation dans certains ministères, ça veut dire évidemment qu'il s'y passe des choses... ». Notoriété politique venant des nombreux collectifs qui ne serait pas toujours pour plaire aux élus de Limoges installés dans les pratiques hiérarchiques du pouvoir de la démocratie institutionnelle. Mais notoriété que soutien (financièrement) le Conseil Régional qui reconnaît le dynamisme apporté par les collectifs à cette région peu peuplée.

Plusieurs collectifs du Plateau affichent l'éducation populaire parmi leurs actions. Le réseau REPAS, lui aussi, vise au partage national des savoirs, que certains peuvent ranger sous le terme de « contre-pouvoir ». L'accès au savoir et sa production est une des questions qui secoue le fonctionnement de la démocratie et je me propose maintenant d'approfondir quelques débats qui sont apparus dans ce chapitre.

3 - Débats sur le pouvoir des habitants.

Le souhait de voir chacun avoir un pouvoir de décision sur son environnement soulève certaines nécessités, certaines conséquences. J'aurais pu, et peut-être dû, au défi du besoin de

1 Site Internet : http://www.reseaurepas.free.fr/

2 N°37, décembre 2011 : Quand le plateau donne des boutons à Limoges par Alain Carof, Michel Lulek, Gérad Monédiaire et Jean-François Pressicaud.

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paragrapher mon texte, aborder ces débats au fur et à mesure qu'ils se présentaient, à l'intérieur même des chapitres précédents, laisser courir les réflexions. Cela aurait été plus fluide. Mais me voilà empreint du vain besoin de nommer des débats, d'appuyer moi-même sur certains interrupteurs. Aurais-je eu peur qu'on ne s'y arrête pas et qu'on ne lise que déblatérations si je ne le faisais pas... Est-ce que je nie les approches personnelles que chacun pourraient avoir, la science de l'autre, ou est-ce que je pare à un possible flou ?

3.1 - La place de la science

Comment accéder au savoir pour juger des questions de société de manière éclairée et qui doit fournir ce savoir ? Ce sont aussi des questions qui se posent quand on émet le souhait que les habitants puissent décider de leur environnement. J'ai rencontré plusieurs personnes qui abordaient le sujet de la pertinence d'une science d'experts lorsque je posais mes questions sur le pouvoir. Un retraité d'un hameau de Tarnac relatait la présence d'ingénieurs qui dirigèrent des travaux de goudronnage d'une piste. Ils ont voulu faire des fossés malgré la réticence des habitants, fossés qui ont servi de réservoir d'eau et qui se déversaient sur la route. Une connaissance générale, experte, a été suivie au lieu d'une connaissance locale, populaire mais plus adéquate. Un chargé de mission du PNR m'a décrit une expérience similaire. Un syndicat s'occupant des eaux, fort de sa position institutionnelle reconnue et de ses experts, a voulu aménager les berges de certains cours d'eau, rendre ceux-ci bien droits, bien propres, sauf qu'ils détruisaient les échanges minéraux entre le fleuve et les berges et le nombre d'espèces diminuait drastiquement dans le ruisseau. Au contraire, l'ancien système paysan des levadas [Boudy, Caunet, Vignaud, 2009] (livre que m'a donné le chargé de mission) qui consistait à tracer des sillons pour arroser progressivement diverses parties du champ, ne modifiait ni le lit de la rivière ni les apports minéraux de la terre vers l'eau. Cela reflète la coupure entre culture populaire et technologie scientifique pointée par Paul Claval, ressentie et décrite par certains et la critique par les habitants de la domination de la dernière sur la première [Claval, 2001]. Animant une conférence gesticulée1 aux Plateaux Limousins, Hervé Chapelais évoquait la nécessité de se réapproprier des savoirs populaires, l'idée d' « une convergence des rustres » capables de fabriquer aussi leur science et de ne pas être dans la domination d'une science d'experts, possiblement contrôlée et orientée par des puissances financières. Il racontait le cas d'une verrue à la main que divers médecins et

1 A laquelle j'ai assisté voilà une semaine tout juste, le 4 mai 2012

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dermatologues n'étaient pas parvenue à ôter en deux ans ; sa mère a alors eu l'idée d'aller voir papy qui « enlevait le feu », qui a baragouiné quelques prières et fait quelques gestes autour de la verrue. Quelques temps plus tard sa main n'avait plus rien.

« Le surnaturel ne l'a jamais concernée. D'ailleurs Grace est pour le partage des tâches. C'est aux scientifiques d'expliquer l'univers jusqu'à un certain point qui, au-delà, ressortit à une zone sous l'autorité directe de Dieu. Avec ce vieux, on est projeté très au-delà d'une frontière acceptable.

Thomas poursuit d'une voix calme :

-Il sait ôter la douleur. Il est rebouteux. J'ai entendu dire qu'il arrêtait les hémorragies. »

Même cas de figure et c'est Jean-Guy Soumy qui raconte l'histoire d'une américaine s'échouant un jour de tempête sur le Plateau et voyant remises en cause ses définitions du savoir et ses priorités dans la vie [Soumy, 2003]. Ces superstitions aux airs de savoirs instinctifs sont peut-être un des cas les plus troublants des savoirs populaires car échappant non seulement aux besoins technoscientifiques de certains décideurs à grande échelle mais échappant également (encore) aux explications rationnelles. Ce sont certainement eux, en partie, qui font dire à Paul Claval que la nature serait la nouvelle force supérieure à respecter pour nombre d'écologistes comme porteuse de sciences populaires et de valeurs morales, à l'image d'une religion. Sur cet axe, Adrian Atkinson (écologiste libertaire) livre une critique de la philosophie des lumières comme production de la science par les experts et non par tous, c'est-à-dire une production non démocratique de la science et qui vise à faire adopter par les classes populaires la norme du savoir servant les intérêts de ceux qui sont en position de pouvoir et qui peut aboutir à une reproduction des élites [Atkinson, 1991] puisque les élites sont celles qui maîtrisent le mieux la science qu'elles fabriquent. C'est peut être oublier que ces mêmes lumières ont également pour objet de détruire un autre pouvoir de domination et de position : celui d'ainesse dans la famille, quand ce n'est pas celui des hommes en siège dans la religion. Les superstitions ou « savoirs populaires » qui se transmettent de génération en génération, sous couvert d'autorité paternelle, sont livrés à l'esprit critique de par la philosophie des lumières. Pierre Bourdieu, qui s'opposait aussi à la reproduction des élites, condamne d'abord les difficultés d'accès à la culture (entre autres à celle des lumières) des classes populaires. Difficultés consécutives, selon lui, d'une confusion des pouvoirs dans les sociétés libérales et technocratiques : « le pouvoir symbolique [médiatique, celui que l'argent donne sur les esprits] qui dans la plupart des sociétés était distinct du pouvoir politique ou économique est aujourd'hui réuni entre les mains des mêmes personnes » (p.417 [Bourdieu, 2002]). Ce qui pose surtout le problème du contrôle et de la diffusion des savoirs. Par qui ? Je pense que la recherche de la démocratie demandent la confrontation, voire la

complémentarité, de savoirs populaires et scientifiques (qui seraient issues de classes non populaires) et l'émergence d'un esprit critique, conscient de la dépendance des savoirs transmis envers ceux qui les produisent.

Et par conséquent radialement opposée à celle proposée par la tribune UMP du Limousin qui peut écrire qu' « en démocratie, la proximité passe par les représentants du peuple régulièrement élus qui sont payés pour travailler et réfléchir puis expliquer à leur mandants les mesures de politique qu'ils votent» (annexe 6). Pour ces auteurs, comme pour la Grace du roman de Jean-Guy Soumy, la construction de décisions se font par des personnes spécialisées dans cette tâche. Il y a même, dans ce cas- là concentration des tâches. Ces personnes aspirants à participer à la démocratie institutionnelle sont loin, pour moi, de promouvoir la démocratie en tant que pouvoir donné à chacun.

Ceux qui fabriquent et possèdent du savoir sont plus à même de peser, d'autorité, sur l'orientation de la société, sur la construction de l'environnement. Ils ont les us de développer des arguments ou de fabriquer des démonstrations ; c'est pourquoi, si l'on veut que chaque habitant ait du pouvoir sur son environnement, les détenteurs de science ne doivent pas former une élite mais être chaque individu de la population. Cette dernière orientation est prônée par ce qu'on appelle « éducation populaire ». Elle vise à faire valoir ce que chaque individu peut apporter : des savoirs populaires comme le compte-rendu de lecture ou l'information de résultats universitaires scientifiques. Cela pour parer à la destruction des savoirs populaire comme aux difficultés d'accès de chacun aux savoirs produits par l'université. Le but de cette transmission des savoirs est bien de donner un pouvoir de jugement et de décision à chacun, de permettre à tous de participer, collectivement, à l'élaboration de leur environnement.

Il reste que pour participer à ces rendez-vous d'éducation populaire, comme pour participer aux affaires de la Région, pour s'instruire tout simplement, il faut du temps. La démocratie ne doit donc pas viser à une division des tâches qui accorderait ce temps disponibles aux mêmes. Si certains collectifs s'organisent différemment sur le Plateau, c'est justement pour dégager du temps pour s'instruire ou pour participer aux décisions locales. Aristote, qui classe les types de gouvernement, les conditionne par l'existence de loisirs, écrivant qu'il y a peu d'assemblées si les citoyens travaillent beaucoup à moins que seuls ceux qui ont des loisirs ne gouvernent1. Problème de la distribution des loisirs qui ne présageait en rien, chez Aristote de celui de l'exécution des travaux manuels : « celui qui commande n'est

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1 Politique, Tome II, livre IV, ch. V

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pas obligé de savoir les faire mais plutôt de savoir en profiter » sinon « il n'y a plus ni maître d'une part, ni esclave d'autre part1 ». C'est pourtant cela que doit viser la démocratie.

3.2 - Le pouvoir de l'autorité

Qu'il y ait une distribution des loisirs, comme à Ambiance Bois ou de nombreux salariés travaillent à mi-temps, ou une distribution, une rotation des tâches, un partage des savoirs, cela n'empêche pas l'existence de positions de pouvoir. « Le mode de gestion participative qu'Ambiance bois tente de mettre en place, il n'est pas idéal non plus. Y'a bien des patrons et qui sont pas les 20 personnes. Les grandes gueules ont plus de pouvoir que ceux qui se taisent. » rappelle Marc Lajara. L'expérience confère aussi un statut de pouvoir, une reconnaissance ; c'est ainsi que ceux qui ont fondé Ambiance Bois ont peut-être une voix qui porte plus que les autres. Le problème qui se pose pour que chacun ait ensuite un pouvoir sur les décisions est que la force de la voix ne soit pas loi et que chacun puisse trouver un moment, une manière de s'exprimer qui comptera autant que les autres. Cela tient aussi de la faculté de ceux qui possèdent un statut de pouvoir, par leur autorité reconnue, à remettre en cause ce statut. Cela est d'autant plus facile lorsque les décisions critiques existent, que des liens existent ou que des connaissances circulent.

L'autorité, si elle peut être envisagée comme un pouvoir du à l'influence où aux connaissances, peut se confondre avec un statut. Alors on peut parler d'un pouvoir purement autoritaire, excluant, de par les positions tenues au sein d'un groupe. Le crime de Croze (entre Felletin et Clairavaux) [Chevalier, 2008]2, en 1965, révèle la délicate nature de l'autorité. Il se passe chez une famille venue de l'Aisne, installée au village de Mours. La fille reprochait au père la mauvaise gestion de l'exploitation céréalière ainsi que le mauvais emploi de l'argent et lui promettait qu'il n'aurait pas un grain. Au crépuscule, le père revint avec son fusil, la fille, lui tenant tête s'avança vers lui pour le braver et la dernière dispute lui fut fatale puisque le père déchargea son arme sur elle. Au procès de janvier 1967, l'avocat général a retenu deux attitudes : celle de la fille qui a bravé le père, allant vers lui malgré les avertissements maternels et celle du père, déterminé au meurtre « peut-être tout autant pour l'orgueil que l'intérêt ». La fille contestait-elle d'abord le statut de chef de famille à son père ? Puisque, selon d'autres avis, il gérait convenablement son exploitation. Revendiquait-elle ses connaissances comptables supérieures dans le but d'être la maîtresse, de ne pas partager le

1 Politique, Tome II, livre III, ch IV

2 Triste réunion de famille à Croze, p.357.

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grain ? Et quelle autorité le père n'a-t-il pas supporté de se voir contester : la science ou la position de chef de famille ?

Pour Michel Foucault, le pouvoir n'est pas tant dans la possession d'un statut d'autorité que dans son exercice. Le pouvoir se manifeste, s'exerce, en particulier à travers la famille, le voisinage, une unité élémentaire de société [Foucault, 1994]. Mais ce qui serait le charisme paternel ou masculin est adoubé par la position au sein du groupe, présupposée position de pouvoir. Le chef exerce un pouvoir sur son entourage, pour affirmer son autorité qui lui vient, par la coutume, de sa position statutaire (ancien) ou sociale (haut niveau d'études, riche) au sein du groupe. Il valide sa position de pouvoir par l'exercice de l'autorité. Il n'est pas que la connaissance acquise ou le fait d'être une « grande gueule » qui peuvent amener à l'exercice de l'autorité mais aussi la propriété. Anne Stamm, dont les travaux ethnologiques se penchent beaucoup sur les relations familiales nous parle en ces termes de l'amoindrissement de l'autorité de statut en Haute-Corrèze : « l'ancien qui a gardé les rênes n'ose plus imposer son absolutisme. La possession de la terre fonde encore l'autorité mais l'expérience est devenue insuffisante pour la gestion d'un domaine » p.29 [Stamm, 1983]. Ce passage de témoin du pouvoir, du statut au savoir est parfois énoncé comme l'un des marqueurs de l'entrée dans la modernité. Cet ancien n'a ici plus les arguments pour exercer son pouvoir et s'il continue à le rechercher, il risque de tomber dans l'autoritarisme. La conformation au pouvoir statué, ou pourrait-on dire institué, marque la reproduction sociale et dicte les individus qui doivent décider de l'espace commun. Armand Frémont va parler d'espace « aliéné » et il définira l'espace vécu en l'opposant à l'espace aliéné, parce que l'espace vécu est celui qu'on a le pouvoir de construire, que l'on peut s'approprier, qui donc a de la valeur pour nous et qui ne découle pas d'une « somme de lieux réglés par les mécanismes de l'appropriation » [Frémont, 1999]. L'autorité n'est pas un pouvoir en soi mais plutôt la résultante de la reconnaissance de l'utilisation, par quelqu'un, de certains leviers de pouvoirs. Ceux que j'ai pris tant de peine à détacher au chapitre précédent : la propriété, l'expression, la culture trouvent leur conclusion dans l'autorité. En même temps, ils en contestent aussi la légitimité puisque quiconque actionnera ses leviers pourra revêtir l'autorité et se voir reconnu un statut de décideur. Ces leviers de pouvoir ne sont pas seulement « à prendre » mais « à donner ». L'un des prémices de la démocratie est de donner une forme d'autorité à chacun. On distribue des leviers de pouvoir pour qu'ils ne tombent pas entre les mains d'un seul auquel on serait forcé d'obéir. Parce qu'on tient à la liberté. L'égalité d'accès au pouvoir sur son environnement est un facteur de liberté. La volonté de tisser des liens comme l'expérience d'un fonctionnement

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horizontal dans l'entreprise, la considération d'un rythme de vie adapté à ses besoins n'essaient-ils pas d'abolir cette autorité de statut qui est parfois confondue avec le pouvoir ?

3.3 - Pouvoir et Position de pouvoir.

Cela repose sur la distinction entre pouvoir et position de pouvoir. Les institutions ou la démocratie représentative donnent une position de pouvoir et non du pouvoir en soi. C'est pour cela que nombre d'habitants regardent comme inutile l'utilisation de l'organigramme de la démocratie représentative pour se faire entendre. Comprendre que l'on a du pouvoir est aussi comprendre que le pouvoir n'est pas une position, pas un statut. L'expression, la culture, le tissage de liens sociaux comme une organisation horizontale du groupe au sein d'une association sont des leviers saisissables par chacun pour impacter son territoire. Quelle influence réelle a le lointain président d'un Etat sur un environnement local ? Quel pouvoir ? Miette nous offre un exemple précis de cette distinction entre le pouvoir et la position de chef : « Mais de même qu'elle avait passé outre à son vouloir propre, choisi la nécessité, de même on lui aurait fait violence en prétendant la mettre au centre, pour les photos, ou l'asseoir au haut bout de la table, même après que Pierre eut disparu et qu'elle devint ce qu'elle n'avait jamais cessé d'être depuis qu'elle était arrivée avec sa dot et les grandes armoires : la maîtresse des lieux » p.53 [Bergounioux, 1995].

Je n'ai pas spécialement besoin d'une position de pouvoir pour décider du rythme de ma propre vie ni de mes relations à mon environnent, aussi bien naturel qu'humain. Cela vaut aussi au niveau entrepreneurial, ou plus précisément dans l'organigramme financier. Le dirigeant d'un coopérative forestière a-t-il réellement davantage de pouvoir sur un environnement parce qu'il a une position de pouvoir ? Il n'a de pouvoir par son argent, par les supposées richesses qu'il peut développer à tel endroit plutôt qu'à un autre, par l'enrésinement sur le plateau de Millevaches que tant qu'on lui reconnaît un pouvoir confondu avec sa position. La cupidité tient d'un amalgame entre le pouvoir que l'on peut exercer et la position de pouvoir que nous confère un statut de riche. Elle peut restreindre nos actions sur l'environnement à celles qui nous permettrait de gagner de l'argent. Alors on ne choisit plus l'environnement. On est en capacité de le subir, voire de le faire subir si notre statut est légitimé et reconnu comme condition à l'exercice du pouvoir.

Aussi peut-on désirer ce statut pour avoir du pouvoir sur sa propre vie. On peut reconnaître ou la position, ou le pouvoir et l'expression, la culture peuvent légitimer un statut de siégeant, de scientifique ou d'habitant.

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Quand Miguel Benasayag et Diego Stulwark évoquent la naïveté des révolutionnaires (mais on peut dire la même chose des chefs de guerre) [Benasayag, Stulwark, 2002], ils la justifient par la croyance qu'occuper physiquement un lieu de pouvoir revient à avoir la possibilité d'exercer son pouvoir et changer son environnement. Ils considèrent un peu vite les révolutionnaires, à l'exception de ceux de 1789 en France, comme futures victimes de pratiques autoritaires du pouvoir qu'ils ont négligé de remettre en cause par un renouveau culturel. C'est surtout pour asseoir leur discours argumentant qu'il faut construire le pouvoir plutôt que de le prendre. Mais en s'emparant d'un lieu de pouvoir, il est possible qu'on s'empare de certains leviers parce qu'on les a reconnus comme confondus avec le lieu : comme l'usage de la propriété et le tissu de relations nouées autour du siège. Un médecin, en partant à la retraite, vend son cabinet et sa clientèle. Rien n'oblige cependant la clientèle à se faire soigner par le nouveau médecin. Parce qu'on reconnaît la position de pouvoir comme faculté à exercer le pouvoir, qu'on reconnaît les manettes comme attachées au siège, la conquête de la position peut devenir stratégique. Le chef de guerre veut conquérir la capitale parce qu'avec son contrôle, il pense accepté par la population le mythe du contrôle des leviers de pouvoir. Et qu'il lui reste à raconter ce mythe.

De même le directeur d'un journal, ou fondateur, apporteur de fonds n'a de pouvoir sur l'expression du journal que celui que les journalistes, qui veulent s'exprimer, lui cèdent. Si le journal les bride, ils peuvent s'exprimer ailleurs ; pour eux, le journal n'est plus un levier de pouvoir. Et ils montrent alors les faiblesses du journal comme facteur d'expression. Si vous prenez une position de pouvoir pour impacter votre environnement, il faut encore que l'on vous reconnaisse du pouvoir pour que vous en ayez effectivement. Le pouvoir, lui, ne se prend pas. Il se donne. Il a besoin de la caution des autres.

S'il se donne, c'est que sa quête, que la possibilité de pouvoir décider de tout, que l'impact personnel, orgueilleux et satisfaisant pour l'ego, n'apporte pas une qualité de vie supérieure. Qui voudrait cumuler des leviers de pouvoir, les utiliser plus explicitement que d'autres peut très bien perdre du pouvoir sur sa propre vie. Levy-Strauss relatait que les Nambikwara ne recherchaient pas la position de pouvoir (le statut de chef) parce que, déjà, ils consentent à se donner les uns les autres des leviers de pouvoir, et que le statut de chef n'est plus qu'une charge administrative. De même Miette, dans le roman de Bergounioux refuse la position de pouvoir, refuse de présider. Mais Eva, dans le roman de Jean-Guy Soumy refuse également l'exercice du pouvoir, l'influence sur les autres : on lit page 220 que « son âme affleure ses gestes, ses apparences, ses mots. Pour elle l'argent n'est pas un but. Quant au pouvoir sur les autres, qui compte tant aux yeux de Grace, elle y est insensible. Elle croit en l'exemplarité,

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Eva. Pas vraiment en la contrainte » [Soumy, 2003]. Je pense que c'est également ce qu'expriment plusieurs membres de collectifs sur le plateau de Millevaches quand ils affirment ne pas vouloir le pouvoir ni ne pas rechercher l'influence. Mais ils escomptent que l'organisation de leurs collectifs, les activités qu'ils proposent, pourront séduire, inspirer, et servir en quelque sorte d'exemple. Ce qu'ils revendiquent, c'est l'organisation des rapports humains et des rapports à l'environnement sans la manifestation de pouvoirs individuels.

Ce qui nous rapproche de l'idée que le fin gras du pouvoir serait justement de se priver de l'exercer.

3.4 - Le pouvoir de ne pas pouvoir

Je sais que je ne sais rien, professait Socrate, et c'était le savoir ; de même pouvoir ne pas faire, sera le pouvoir réel. C'est tout du moins ce que nous invite à comprendre Giorgio Agamben qui définit la puissance par la possibilité de son non-exercice [Agamben, 2006]. Si vous n'avez pas la possibilité de ne pas passer à l'acte, votre puissance n'est en réalité qu'une image. La puissance, me semble-t-il, peut être comprise comme l'énergie du pouvoir, son effet, l'acte de pouvoir, énergie qui peut être ou non contrôlée. C'est par la maîtrise de ses privations que l'on est conscient de sa puissance réelle, c'est par le choix du refus du pouvoir que la réalité de notre décision nous apparaît. Giorgio Agamben, qui comme d'autres éprouve le besoin d'identifier un critère distinguant l'homme de l'animal, choisit l'exercice de l'impuissance : « l'homme est l'animal qui peut sa propre impuissance. La grandeur de sa puissance est mesurée par l'abîme de son impuissance » (p.240). Mais certains animaux n'évaluent-ils pas mieux que nous leur impuissance et les dauphins qui guident les bateaux vers les poissons ou bien comprennent leur incapacité à attraper autant de poissons qu'un filet, ou bien peuvent se priver de cette nourriture qu'ils abandonnent à l'homme.

Cette faculté à ne pas exercer son pouvoir est déjà évoquée par Elysée Reclus et lui fait différencier l'homme civilisé du barbare, ce dernier n'ayant que la possibilité de piller la Terre. C'est la culture, le savoir, qui amène, chez Elysée Reclus, au non-exercice de sa puissance et à comprendre son intérêt comme confondu avec celui de tous et avec celui de la nature elle-même. Ce discours est très proche de celui qu'on pu me servir plusieurs paysans en agriculture biologique. Ils ont le pouvoir de ne pas agir sur la nature. Jacques Lepart et Pascal Marty, défenseurs de la reconnaissance de l'utilité de la biodiversité pour l'espèce humaine, partagent cette approche puisqu'ils conditionnent notre pouvoir à tirer des bénéfices de la nature par la compréhension de notre dépendance vis-à-vis des processus naturels

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[Lepart, Marty, 2009]. La connaissance de ces processus (on pourrait dire la connaissance de l'autre, de notre lien à l'autre, de ce que nous sommes nous-mêmes un autre) est un facteur qui encourage le non exercice de la puissance, donc qui nous donne du pouvoir. Ce qu'on appelle l'altruisme, ou la pitié, que nous portons en nous, nous guiderait dans ce refus du pouvoir. Dans Miette, Bergounioux relate comment, par l'ignorance de cette dépendance à l'autre, s'institutionnalisent des positions de pouvoir (qui font loi) et les inégalités (de droit) qui en découlent : « Mais les gens du haut ignoraient presque qu'il y eût des gens plus bas. Ils ne désiraient pas le savoir. Il ne fallait pas, sans quoi ils auraient refusé de rester les gens du haut. » (p.66). Comme si la pitié, pourvu qu'ils soient en mesure de connaître leur position, l'exercice qu'ils font de leur pouvoir, les amèneraient à refuser ce pouvoir, cette chaîne qui leur fait ignorer leur condition.

Et certainement cette coupure entre les élus et ceux qu'ils représentent, entre experts scientifiques et rustres évoquée dans les paragraphes précédents orientent les premiers à exercer un pouvoir, non pas par choix, mais par obligation. Leur pouvoir est convention quand celui qu'exercent les habitants sur leur territoire est vécu dès lors qu'il est perçu.

Et il se vit comme inséré dans un écosystème, c'est pourquoi beaucoup de personnes avec qui je me suis entretenu avancent le pouvoir comme nécessairement collectif « on n'a pas de pouvoir tout seul ». Cette explosion du pouvoir interroge l'existence de l'identité de l'individu, la peur ou le désir de ne pas être soi, de ne pas être une personne propre qui vit sur un territoire propre, notre dépendance existentielle à notre environnement comme élément susceptible de se fondre dans celui-ci.

3.5 - L'identité, passager du pouvoir ?

Se fondre dans la Nature comme se fondre dans un Dieu ? C'est ce que Paul Claval lisait. Ou bien c'est l'opposition du pouvoir sur l'espace. Est-ce que ce pouvoir sur notre environnement, cette capacité à le marquer doit créditer notre identité, prouver notre existence et qu'on utilise alors le pouvoir pour transporter notre identité ? L'abandon du pouvoir est alors la réponse, la reconnaissance des limites de Soi. On veut changer le Monde et on est alors obligé de commencer par chercher le Monde. On risque de trouver que notre identité n'a pas d'éternité parce que nous sommes dans le Monde.

En apéritif de leur noire description de la société moderne, le « comité invisible » pointe le mythe de l'identité de l'individu. Mythe qui promeut l'assurance d'être soi-même comme un stade d'accomplissement de la liberté.

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« Tout ce qui m'attache au monde, tous les liens qui me constituent, toutes les forces qui me peuplent ne tissent pas une identité, comme on m'incite à la brandir, mais une existence, singulière, commune, vivante, et d'où émerge par endroits, par moments, cet être qui dit « je ». Notre sentiment d'inconsistance n'est que l'effet de cette bête croyance dans la permanence du Moi, et du peu de soin que nous accordons à ce qui nous fait ». (p.16) [Comité invisible, 2011].

Entendre par « ce qui nous fait » : notre environnement. La personne n'est qu'un point

d'émergence de ce qui l'entoure, le champignon qui apparaît soudain depuis ses filaments de mycélium, elle n'a plus de pouvoir sur son environnement que ce qu'elle se reconnaîtra comme dépendances, comme attaches. Si le Moi ne reconnaît pas sa dépendance envers les autres, alors il est possible qu'il se la veuille créer. Car il a besoin des autres pour exister, pour se regarder, se comprendre différent, il s'analysera comme son propre centre, avec un monde rattaché à lui, qu'il doit conquérir, dont il doit se servir. Par cette position centrale, il demandera à son environnement d'assurer son essence, il demandera à son environnement de dépendre de lui pour lire sur cet environnement sa propre action, preuve de son existence. Ironiquement, Blaise Pascal confère au Moi deux « qualités » : l'injustice en soi et l'incommodité aux autres. La première découle de sa position de centre du monde, la seconde de sa volonté d'asservir les autres [Pascal, 1954]1. Et lui d'ajouter qu'il ne s'agit pas uniquement de lutter contre l'incommodité du moi car, en ce cas, on ne plairait qu'aux injustes. La justice exige alors de remettre en cause la position de centre du Moi, et pour cela remettre en cause l'identité de l'individu. Je peux même m'essayer à transformer la maxime que Blaise Pascal applique au nostrum, à la propriété2 pour l'accoler au nos, à l'identité. Nihil amplius Nos est ; quod Nos cogitabimus artis erit3.

On veut chercher ses particularismes, ses spécificités pour exister, séduire ou mourir d'être Soi, ses particularismes ou ceux de son groupe, de son espèce, de son territoire, de son environnement, quand on ne peut chercher que ses dépendances. La désignation et le classement des individus par leurs particularismes, ce qui les rattache à leur identité, les transforme, pour Michel Foucault, en sujets [Foucault ,1994]. C'est-à-dire les soumet à un pouvoir extérieur.

Le refus du pouvoir est aussi le refus de l'ego, le refus d'être un centre. C'est pourquoi des collectifs cherchent à fonctionner sans tête, sans position de pouvoir. Ils parent à cette injustice institutionnelle mais n'en suppriment pas pour autant les ego. Il est aussi agréable

1 Pensées II.3.136

2 La maxime originale des pensées est « Nihil amplius nostrum est ; quod nostrum dicimus, artis est ». II.9.230

3 Ne connaissant pas le latin, j'aurais peut-être mieux fait de traduire directement : il n'y a rien qui soit Nous ; ce que nous penserons Nous ne sera qu'artifice.

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que difficile de ne pas être. En aimant sans les guides de la séduction, possible est-il que nous arrivions à être un autre que nous. En n'écrivant rien, Socrate se gardait peut-être de son ego. Dans ce cas, force m'est de constater, par cette présente récitation, que je n'ai pas réglé la note de mon pouvoir. De mon pouvoir sur mon ego.

.... that is the question.

Conclusion au chapitre : des leviers de pouvoir à l'épreuve de l'échelle

Sur le Plateau de Millevaches, j'avais dégagé quelques moyens utilisés par les habitants pour être les acteurs de leur territoire, des moyens qu'ils pouvaient percevoir comme des leviers de pouvoir : la propriété, l'influence -en particulier culturelle-, les liens entre collectifs et l'expérience d'un fonctionnement sans chef. On retrouve plusieurs de ces moyens dans divers endroits, mais différemment agencés. Le découpage que j'ai fait des leviers de pouvoir pour le Plateau est conditionné par ce que j'ai cru observé. Ailleurs, on pourrait peut-être citer le « terroir » comme grand axe avant de le découpler entre propriété, savoir-faire et culture. Certains écrits qui traitent d'aménagement du territoire et de pouvoir, ou certains romans locaux, évoquent aussi ces leviers de pouvoir. Eux aussi peuvent les utiliser dans un cadre différent mais le rôle de la culture ou la recherche d'une démocratie directe, sans tête, sont souvent mentionnés.

Les relations avec les institutions sont variables selon les cas, les habitants ou collectifs y étant plus ou moins intégrés. Mais la participation ou la présence dans une institution, possiblement envisagée comme pouvoir, n'est en réalité qu'une position de pouvoir. Position plus ou moins élevée selon l'échelle institutionnelle considérée. Le levier de pouvoir ne perd pas, lui, en impact sur son environnement avec le franchissement des échelles mais gagne en reconnaissance, en autorité peut-être. C'est aussi le regard des autres, depuis une autre échelle, qui lui donne crédit de son rôle.

Le fait d'avoir différencié position de pouvoir et pouvoir, remet aussi en cause les qualifications de « leviers de pouvoir » que je viens de donner pour diverses actions. La propriété, par exemple, n'est-elle pas finalement un statut, une position de pouvoir ? Ce n'est pas parce qu'elle est utilisée par les habitants (au lieu des institutions qui par leur nature représentative ne peuvent intégrer que quelques-uns) qu'elle est pour autant un facteur de pouvoir. Facteur très relatif d'ailleurs. Et l'idée que c'est justement en n'exerçant pas un pouvoir qu'on le reconnaît, qu'on le perçoit, que l'on a du réellement du pouvoir remet

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d'autant plus en cause la définition de mes leviers de pouvoir. L'influence peut n'être qu'une autorité exercée sans choix ; un même levier selon qu'il veut conquérir ou laisser du pouvoir perd ou gagne sa valeur d'usage, sa réalité de levier de pouvoir. Et si l'habitant n'est plus distingué de son habitat mais dépendant, composant et composé de ce dernier, l'exercice du pouvoir sur le reste que lui devient inepte. Et il lui suffit d'avoir du pouvoir sur lui-même pour avoir, par liaison, du pouvoir sur son environnement. Il devient la géographie.

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Conclusion

Mea ultima culpa

C'est l'heure de l'ingratitude. Je voyage, j'analyse j'observe et on pourrait bien croire que je rends un verdict. Je suis dans un environnement, je m'y mêle et je m'en départis. Je tire des conclusions, ou plutôt des positions, que j'attends être lues des intéressés. Conclusions froides, plantées, ingrates en ce sens que le papier les fige.

Je me suis rendu compte que le temps que je me suis imparti a handicapé quelque peu ma méthodologie. J'ai intégré de nombreux commentaires des habitants sur mon travail puisque je développais celui-ci au fur et à mesure de mes entretiens et les débats que j'ai pu tirer sur la science, l'autorité, la position de pouvoir ont été soulevés par certains retours sur ce que j'envisageais d'écrire. Mais je ne me suis donné que peu de temps pour, une fois une rédaction achevée, la soumettre de nouveau au commentaire : pour cela, il faut aller voir les gens, leur lire de but en blanc ce que vous avez écrit, ce qui dédouble presque les entretiens. Sinon, si j'envoie simplement mes notes, les laisse imprimées pour les faire lire, les personnes peuvent donner leur avis mais discutent moins de mes notes. Ensuite, il faut réintégrer leurs commentaires. Et le processus peut être infini. Mais des recherches géographiques, sociologiques, scientifiques peuvent-elles être finies ? Elles ne peuvent dire que ce qu'elles font de faux. J'ai lu à quelques paysans mes notes pour en discuter et les ai laissées aux personnes qui disposent d'un bureau (associations, institutions) quand je ne les trouvais pas sur place. Bien sûr, j'aurais mieux fait de les revoir physiquement. Si cette démarche apporte beaucoup de précisions à mes travaux : je n'en suis pas sûr. On peut se contenter de dire qu'on est plutôt d'accord. J'ai rendu les paragraphes qui concernaient les intéressés en premier chef, il est donc des chances -si je ne me suis pas trop trompé- que ce qu'ils lisent sur eux ne porte pas trop à débat. Montrer un autre chapitre risque de susciter davantage de réactions. Risquera. Car ce n'est pas parce que la conclusion s'écrit que tout doit être classé. Ce n'est arrêté que pour la première présentation que j'en ferai à l'université.

Cette conclusion, j'y viens. J'ai pris le cas du Plateau de Millevaches pour regarder quelles formes de pouvoir émergeaient de la population locale, de quelle façon les habitants pouvaient décider de leur environnement.

J'ai supposé le contexte paysager assez peu révélateur de ce pouvoir puisque les champs sont peu nombreux et les résineux omniprésents bien que personnes extérieures au Plateau puissent le considérer comme un espace protégé et sauvage. S'il est vrai qu'on trouve des landes et

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tourbières, entretenues et maintenues par des troupeaux (donc par des paysans), on remarque surtout l'étendue spatiale qui est mangée par les conifères. Les données du Limousin font même apparaître le Plateau comme un territoire dédié aux résineux. Cette occupation des sols est bien un pouvoir qui échappe aux habitant puisque la majorité de la surface appartient à des non-habitants et est gérée par des coopératives forestière. On peut même aller plus loin, puisque le bâti, lui aussi n'est pas majoritairement détenu par les habitants pour dire que la propriété est un frein aux pouvoir des habitants sur leur environnement. Ce qui laisse champ libre à une gestion industrielle, coloniale et très peu écologique des sols et une confiscation du bâti qui limite un renouveau démographique, condition essentielle du maintien des services primaires dans cette zone. Ceux qui tirent des richesses, des capitaux du plateau de Millevaches n'y habitent pas. Une redistribution de la propriété me paraît essentielle sur le Plateau et pour ceux qui voudraient s'installer et pour ceux qui y habitent sans presque avoir de terrain. Les tourbières et landes font l'objet d'une gestion concertée entre le Parc Naturel (ou Natura 2000) et les paysans mais le reste des sols demeurent la proie de ceux qui les veulent piller et ne font l'objet d'aucun partage, d'aucune concertation. La détention du foncier doit être remise en cause ; certaines associations -comme l'ARBAN- s'y attèlent et d'autres comme « Nature sur un Plateau » revendiquent leur droit de décision quand à l'environnement physique qui les entoure. Les habitants sont nombreux à dire que les possédants extérieurs au Plateau sont un problème, un moyen de domination sur leur espace de vie et potentiellement sur leur vie ; reste à savoir si les possédants (et exploitants comme les coopératives) trouvent juste cette situation. Toujours est-il, selon Sophie Le Floch, qu'ils se conçoivent comme un milieu fermé, sont favorables à la fermeture du paysage par l'enrésinement et condamnent l'installation de « marginaux » sur le Plateau contrairement aux habitants qui souhaitent l'ouverture du paysage, le partage du terrain et s'ouvrent plus facilement aux touristes et aux nouveaux venus [Le Floch, 2008].

Ces richesses qui échappent à la population du Plateau et imposent une occupation rentable (pour les possédants extérieurs) des sols ne sont toutefois qu'une position de pouvoir qui ne sera réelle autant qu'elle sera adoubée. Car les habitants disposent bien de leviers de pouvoir. Le premier d'entre eux est de s'associer pour dynamiser le territoire : les associations et collectifs, en particulier sociaux, sont en effet très nombreux sur le Plateau. Non seulement sont-ils nombreux mais entretiennent-ils de forts liens entre eux ce qui leur vaut une certaine reconnaissance, notamment auprès des institutions locales : le Parc et les Communautés de Communes mais aussi extra-locales : les départements, la Région, voire la Nation. Il y a une réelle activité culturelle sur le Plateau de Millevaches. Si j'avais pu apercevoir son existence,

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je n'imaginais pas les manifestations culturelles, les débats être aussi nombreux sur le Plateau. Dans le domaine de l'écologie, on trouve aussi diverses expériences. Expériences qui marquent physiquement le paysage et obtiennent une certaine reconnaissance, y compris scientifique. La culture libertaire s'exprime, quant à elle, à travers le fonctionnement horizontal des différents collectifs et à travers les médias. Elle porte une organisation différente de celle des institutions où les décisions sont perçues comme descendant d'une pyramide et où l'expertise, la science, est proposée, voire imposée à la population plus qu'elle ne lui est donnée ou n'en est tirée. Des initiatives d'éducation populaire permettent cette distribution des savoirs.

Cette force du tissu associatif et des revendications environnementales marque le paysage culturel, l'environnement humain ; c'est également le cas dans d'autres régions comme l'Intag en Equateur. La culture, l'influence idéologique peuvent être identifiées comme primordiales par certains auteurs comme Claude Levy-Strauss ou Paul Claval.

Et c'est peut-être ceux qui utilisent le plus la culture qui perçoivent le mieux leur pouvoir sur leur environnement. C'est un moyen de se sentir acteur de sa propre vie, susceptible de participer à des changements dans l'environnement local. Les habitants les plus isolés, même lorsqu'ils disposent d'une propriété importante semblent subir la faiblesse démographique régionale sans se sentir la possibilité d'y remédier, se sentir spectateurs de leur région davantage qu'acteurs intégrés à l'environnement.

Cette intégration, plusieurs habitants l'ont provoquée en adoptant un rythme de vie qui leur permet de s'extraire du rythme industriel astreignant et accaparant. Dans le domaine agricole, la gestion collective ou le couplage de l'agriculture à d'autres activités peuvent permettre de dégager des loisirs dans une profession qui est vécue comme en laissant peu. Ceux qui ne perçoivent pas leur leviers de pouvoirs, ni ne font le pas vers les leviers culturels peuvent se trouver exclus du dynamisme et des orientations locales. Un des enjeux pour les collectifs ou les institutions locales est d'apporter des services (ce qui est mis en place), des manifestations culturelles à proximité de chez ces habitants en les y invitant de visu... et sûrement organiser des possibilités de loisirs.

Malgré la réelle confiscation du paysage physique, exception faite du petit patrimoine qui est soigné par les habitants, des leviers de pouvoir sur l'environnement existent sur le plateau de Millevaches. Ils sont liés à l'activité des collectifs sociaux et donc saisissables davantage par les personnes qui ont des liens avec ces collectifs. Leur nature est liée à la transmission du savoir, de la culture, aux moyens de s'exprimer (comme les médias locaux) et à la conception

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que le pouvoir puisse se passer de tête. Ce qui fait que le Plateau n'est pas qu'un espace géophysique mais aussi un espace social.

Je pense donc que le développement de ces leviers culturels, des moyens d'expression pour chacun, des conditions souples de travail -comme de propriété- qui permettent à chacun d'investir le territoire et d'être l'environnement sont primordiaux quant à la réalité de la démocratie, le pouvoir de décision de chacun sur son lieu de vie. La répartition de la propriété ne pourra se faire que s'il s'agit d'une demande exprimée des habitants tout comme le changement de gestion forestière. Demande qui débouchera sur des organisations mettant en place des actions dans ce sens.

L'hypothèse que l'influence culturelle devient un pouvoir local important quand il est utilisé reste à mon sens, pour le moment, confortable. Qu'il puisse y avoir une présence du plateau de Millevaches (comme de l'Intag ou du Larzac) à diverses échelles dénote aussi d'une reconnaissance du pouvoir local. Mais évidement, dans cette étude, je me suis concentré sur les points de vue locaux puisque je voulais savoir comment, localement, on pouvait décider de son environnement et le franchissement des échelles reste soumis à la perception que peuvent en avoir des collectifs, institutions ou habitants extra-locaux et aux discours qu'ils peuvent tenir sur la localité en question.

Le pouvoir local peut-il se concevoir à l'échelle locale ? L'environnement local est considéré comme un espace d'autonomie, que l'on peut connaître et susceptible de pourvoir à nos besoins. C'est un espace où l'on peut cultiver son champ, s'exprimer, monter un projet. L'autonomie vis-à-vis des échelles plus larges est vue comme un facteur de liberté, de pouvoir sur soi-même, de refus de la domination mais l'environnement est avant tout une question de dépendance. Dépendances qui peuvent être comprises ou subies. Elles nous amènent à regarder non seulement le pouvoir qui s'exerce mais celui qui se dilue. C'est ainsi qu'on peut entendre les discours qui déclarent ne désirer ni d'impact, ni d'influence, ni de pouvoir.

Si je veux considérer l'environnement comme un espace vécu, est-ce que je peux vraiment le considérer comme local ? La production de viande limousine n'est pas destiné au marché limousin. Il existe, non seulement une dépendance entre toutes les parties d'un environnement (au titre d'écosystème) mais entre les différentes dimensions de l'environnement. Tout m'entoure et l'une de mes premières dépendances est cette étoile autour de laquelle je tourne et par laquelle je vois le monde, qui rend mon ciel ou clair ou obscur.

Les relations se tissent à travers diverses échelles ; dans le pouvoir des habitants sur leur environnement, il y a le pouvoir d'environnements divers sur les habitants. Il est difficile de revendiquer l'origine de l'influence.

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Les liens associatifs sont aussi nationaux et les diverses rencontres et débats sur le Plateau font intervenir des personnes extérieures. La culture mise en avant n'est pas qu'une culture locale, fabriquée par les habitants. Le pouvoir culturel ne consiste pas qu'à fabriquer sa propre culture mais à s'imprégner de celles des autres. Un levier de pouvoir culturel saisi par des habitants dépend aussi d'un pouvoir culturel à plus large échelle. La dépendance engendre davantage de dynamisme que l'autonomie. La communication avec l'environnement extra-locale est donc primordiale pour que chacun ait du pouvoir sur son territoire.

L'énoncé de telles trivialités remet toujours en cause la vanité dont on s'arroge de la fabrication d'une conclusion.

Si un espace se reconnait comme dépendant d'autres espaces, ce qui pourrait lui être accolée comme identité ne lui est en rien due. La direction de ce que j'ai nommé pouvoir est, par là même, abolie. L'erreur était déjà dans la question : quel est le pouvoir de X sur Y. Je peux, une fois considéré les dépendances, tout au mieux chercher comment circule le pouvoir. Ou plutôt comment s'exerce l'impuissance si la puissance réelle doit se trouver dans son non-exercice.

Les échelles des sociétés humaines, leurs organisations, l'aménagement du territoire, devenu culturel et humanisé une fois décrypté par des langues humaines, peuvent tous se lire à travers le pouvoir, ou à travers l'impuissance, des individus qui les composent.

Dimanche 13 mai,

Le pouvoir peut très bien faire de nous des victimes. Nous pouvons nous concevoir comme telles : des victimes du pouvoir et des victimes de l'environnement qui ne font que s'y mouvoir pour le servir à d'autres. A moins que nous soyons le pouvoir. Que nous considérions être une énergie plutôt qu'un corps, que nous nous définissions dans le doute entre notre nature corpusculaire ou ondulatoire. Comme la lumière. Dit comme ça, on réserverait plutôt ce regard aux rapports amoureux, au déplacement d'un cil qui doit vous mettre à genou. Comme un tyran qui courbe l'échine pour recevoir sa couronne.

Je devrais réfléchir à mon pouvoir. Parce que de la goutte de ce suc que j'aurais pu réclamer lors de mon étude sur le plateau de Millevaches dépend l'orientation de mes analyses et les limites qui vont nécessairement endiguer leur justesse.

Alors, je réfléchis sur le pouvoir que l'habitant peut avoir dans un endroit et je craindrais de parler de mon pouvoir ? Que dirais-je à leur place ? Evidemment, je n'ai pas envie d'être une victime, je ne vais pas dire que je n'ai pas de pouvoir. Je n'ai pas envie de croire que les lois

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ou les détenteurs de l'argent dirigent ma vie. Je n'organise pas ma vie dans la croyance qu'ils ont le pouvoir. Mais que dire : je veux vivre, moi aussi. Alors quoi : ne regarder à rien et travailler n'importe où pour gagner de l'argent pour m'acheter le droit de dormir et de manger. Ce confort n'est que le résultat de l'esclavage. Alors j'ai vraiment du pouvoir puisque je peux choisir la direction de mon pas ou l'expression de mon visage. Mais de quoi dépend encore ce pas ? Je n'ai pas complètement choisi d'aller sur le plateau de Millevaches, et mon sujet nait de ma dépendance aux discours sur la démocratie, à la culture qui m'entoure. Et une fois sur place, est-ce que j'ai encore l'autorité de mon étude ? Si je venais pour vendre des carottes, aurais-je eu le même accès au territoire, la même appréhension ? Si j'avais mis une casquette de vendeur de carottes en gardant mes questions, aurais-je seulement tiré des réponses ? Je ne vais quand même pas dire que j'ai eu du pouvoir sur le plateau de Millevaches lorsque j'ai fait mon étude, ce ne serait que trop prétentieux. Peut-être que mon étude peut avoir de l'influence. Si je suis déjà déçu de dire que je n'ai pas de pouvoir ? C'est donc, in fine, que j'en cherche ? Ou je cherche des dépendances.

Grandeur et dépendance. Même si ce ne me sert à rien, je peux faire le pari que je veux bien exister. L'origine du pouvoir, ce ne peut pas être le prestige... Et je vais planter cette graine, de mes mains la planter, pour être sûr que cette bonne action, cet arbre planté, cet arbre qui va me survivre, que cette ombre vienne de moi. Et on cueillera des fruits, on se nourrira de mon pouvoir. Grandeur. Le prestige, qu'à cela ne tienne, j'ai voulu croquer les fruits, moi aussi. J'ai voulu, par cet acte voulu, que d'autres croquent mes fruits. Et pour croquer mes fruits, il fallait bien qu'ils ne les trouvent pas ailleurs. Dépendance. C'était moi qui dépendais de leur consentement à cueillir mes fruits, à ce que je propage mon environnement. Et voilà que je veux contrôler l'environnement, ce qui est bon, ce qui est comestible. Seul puisque je m'attire tant de monde par mes actes, seul puisque je crois en ma science et en la perfection de mon environnement. Alors il y a l'exercice de mon pouvoir depuis ma position reconnue de planteur acharné, de bienfaiteur. Il y a mon pouvoir qui n'a pour origine que mon ignorance. Puisque je ne sais plus rien de ce qui n'est plus moi, puisque mon être commande. Décadence. Je n'ai plus que ce pouvoir fictif qu'il me reste de mon action. Et on brise mon action plus loin, simplement en vivant. L'arbre me survit et je me rends à la terre. « Comptez mes trésors et mes actions, reconnaissez mon rayonnement » ai-je l'air de dire depuis ma tombe. Saluez votre bienfaiteur. Et battez-vous pour mon Empire.

Mais ce n'est pas moi qui aie existé, ce n'est pas mon Empire. Pourquoi aurais-je voulu faire ça ? La domination a balayé mon pouvoir, a balayé ma reconnaissance. Bienfaiteur et

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dictateur, allons, plait-il, trouvez à cet homme une identité. D'ailleurs ce ne peut pas être moi ; je ne plaide pas en sa faveur. Regardez-le, il est couché sur son lit, imbibé de sa drogue, la seule qu'il a fini par connaître. Ayez pitié car, en réalité, c'est vous qui aviez du pouvoir sur lui et il ne s'agissait pour vous que de lui tendre vos fruits, de ne pas croire que la main qui enfouissait la graine faisait l'arbre. Mais l'eau qui l'arrosait, le sol qui la nourrissait et les vers qui permettaient à la nourriture de venir au sol.

Qu'on ne me doive rien, ce sera mon grand pouvoir.

Mais ce trésor, cet Empire, il reste encore à vous le partager. Vous pourriez bien en faire quelque chose. Le posséder, le dédoubler. Vous ne doutez pas que vous saurez en user intelligemment, en répartir les bienfaits sur la société. Que vous ferez la société plus grande, un environnement à votre taille.

Le prix du confort n'est que celui de l'éternité.

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Annexes

Annexe 1 : Articles du journal IPNS n°37 de décembre 2011

Articles :

Quand des géographes étudient le plateau de Millevaches par Christian Vaillant Pages 12 et 13

Et si c'était à refaire par Olivier Davigo Page 14

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Annexe 2 : Origine des noms de villages et lieux-dits Quelques relevés en rapport avec le milieu physique naturel

Rapport aux arbres :

Arfouillère (l') : houx (du latin acrifolium)

Besse (haute-), Bessou (mont) : bouleau (du gaulois betu)

Epine (l') : prunelier, aubépine ou ronces

Faux, Fayes (les) : hêtre (du latin fagus)

Prune (la) : prunelier

Royère : chêne (du moyen français robre)

Vergnes (les) : aulne (du latin vernos), arbre des milieux humides

Rapport aux landes ou à l'activité agricole :

Clairavaux : vallée claire

Féniers : fenil, grenier à foin (du latin fenile)

Jarousses (les) : plante herbacée, fourrage pour le bétail (idem vesce)

Lachaud : rocher, hauteur dénudée (du latin calmis)

Nouaille (la) : zone cultivable défrichée dans une forêt (du latin novalis = nouveau)

Oussines (les) : terre inculte (de l'ancien occitan absina)

Pelou (le), Peylle (puy) : pelé, aire dénudé

Teiffoux : soldat laboureur

Vassivière : pâtre, berger (de l'occitan vaciver)

Rapport aux milieux humides, tourbières, marais

Gane : mare (de l'ancien français, limousin guana)

Goutailloux (le) : goutte, lieu humide (en occitan gota)

Longeyroux : longères, marais

Moulièras : pré marécageux (en occitan moliera)

Rebeyrotte : canneberge (en occitan rebeiròta)

Ribière (la) : rive (du latin ripa)

Rozeille : roseau (de l'ancien français rosel)

Sagnoles, Malsagnes : marécage, pré mouillé (en occitan sanha)

Salemanière : lieu où pousse la linaigrette (lo saleman en occitan)

Avec l'aide de :

Cassagne J-M., Korsak M. 2002, Origine des noms de villes et villages Creuse, Bordessoules, 304p.

[Boudy P., Caunet J-M., Vignaud J-F, 2009]

Document 1 : Une de La Montagne-Creuse 12/11/2010

Document 2 : article de L'Echo

12/11/2010

Annexe 3 : Pages de journaux sur la manifestation de Gentioux

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Annexe 4 : Affiche des nuits du 4 août à Peyrelevade

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Annexe 5 : Affiche du débat du 2 avril à Nedde

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Annexe 6 : Tribune du groupe UMP du Conseil Régional du Limousin

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Annexe 7 : Entretien avec Marc Lajara

-Marc, bonjour, on s'est rencontré à un apéro tchatche. Tu faisais un exposé sur les pratiques de gestion de la forêt et tu m'as invité à passer à Ambiance Bois dans le cadre de mon mémoire sur Ambiance Bois dans le cadre de mon mémoire sur « le pouvoir de la population sur son environnement ». Tout ça c'est pour dire la subjectivité de l'intervieweur. Et je suis passé à Ambiance bois et tu m'as invité à [l'assemblée de] « Nature sur un Plateau ». [...]

Pourquoi l'association « Nature sur un Plateau » s'est crée ?

-Cette association, moi, j'en étais l'instigateur Pourquoi ? Tout simplement parce que ça me réveille la nuit. Chacun sa sensibilité dans la vie, certains c'est la musique, d'autres c'est la géographie ; moi, c'est la forêt. Pas depuis longtemps, j'ai pas ce profil là. Moi, je suis un néo-rural, je suis arrivé dans la région il y a 4 ans et quand je suis arrivé là en me demandant ce que j'allais faire ici, j'ai vu tous ces arbres et j'ai rien compris. J'ai pas compris comment la forêt pouvait marcher. Pourquoi tous ces arbres plantés en lignes qui ne ressemblaient plus à des forêts, pourquoi ces tas de bois qui pourrissaient en bord de route avec des ronces, mangés. Je me suis dis, merde .
· on fait l'effort de les couper mais on les ramasse pas, pourquoi ? Et le pire, ce sont ces paysages d'Hiroshima avec ce qu'on appelle ces andains .
· ce sont des pratiques barbares. Arracher des souches du sol .
· pour quelle raison ? Pourquoi les laisser pourrir ensuite ? Elles ne sont pas mieux dans le sol ? Il y a une vie qui est installée, on détruit tout ça. Je me suis dis .
· il y a un truc que je ne comprends pas ; donc il faut que je comprenne. Alors je suis retourné à l'école. A 48 ans, je suis retourné avec les petits jeunes. J'ai été faire deux BPA .
· un BPA sylviculture et un BPA bucheronnage pour essayer de comprendre les fondamentaux de la forêt. Et une fois que j'ai compris, s'il y a quelque chose à comprendre ; comment ça fonctionne ou ça ne fonctionne pas ici, maintenant il faut le faire savoir. Moi, ça me blesse tout ce qui se passe autour de nous. Je suis très inquiet sur la tournure que prennent ces excès de forêts industrielles et j'ai commencé à en parler autour de moi. A ma surprise, j'ai découvert qu'il n'y avait pas grand-chose d'existant et les gens m'encourageaient. « Vas-y, vas-y, fais quelque chose. Si tu le sens, on fait quelque chose. ». Et moi je l'ai senti parce que je suis un mec de projet .
· j'aime bien mettre des projets en place, j'aime pas les poursuivre mais j'aime bien les mettre en place, et je me suis lancé tout seul et...Comment ? J'ai été voir Télé Millevaches, le média local du Plateau et j'ai été leur dire .
· « Intéressez-vous à la gestion forestière, intéressez-vous à la certification forestière .
· il y a quelque chose là-dessus. ». Et j'en n'ai pas dis plus. Clara, qui est une personne qui travaille à Télé Millevaches a commencé à se mettre sur le sujet, m'a posé quelques questions au début et puis après .
· plus de questions, elle avançait toute seule et elle a mis le doigt sur ce qui passe ici, elle en a fait un sujet qui est devenu un cas d'école ici, local, mais aussi sur le plan national où son sujet a été relayé un peu partout. A partir de là, il fallait quelqu'un qui fasse des jonctions à l'écran pour indiquer ce que les autres ne voulaient pas indiquer, en particulier ce que moi je considère comme les pratiques des coopératives. Et elle m'a dit .
· « est-ce que tu veux dire ce que personne ne veux dire ? » Moi j'ai dit ça ne me pose aucun problème, donc je vais te dire, là, ce que je pense et en quoi les coopératives sont des acteurs de ce qui se passe ici. Et elle m'a dit « Tu parles à quel titres ? ». Ben j'ai dit .
· à mon nom. Elle m'a dit .
· « Non, non, non, c'est pas bon à ton nom, tu peux parler à ton nom, il faut mettre un titre en-dessous si tu veux être crédible. » J'ai dis qu'est-ce que tu veux que je dise. Elle me dit .
· « L'asso' dont tu parles, tu la crées ou tu la crées pas ? ». J'ai dis je suis un peu faignant mais je vais me décider à la créer. « Comment elle va s'appeler ? ». Nature sur un Plateau. « Et ben O.K, l'asso' est crée. Entre toi et moi, on est deux donc c'est une association qui existe. Donc l'association Nature sur un Plateau, exprime-toi en son nom, tu nous représentes. ». Et donc j'ai parlé au nom de Nature sur un

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Plateau en insistant sur le rôle des coopératives et à ce moment-là, l'association a pris son existence et les gens ont commencé à s'intéresser, à vouloir participer. Ma tête a commencé à être mise à prix dans la filière bien pensante du Plateau et ça a pris de l'ampleur. On a fait un certain nombre d'actions gentillettes mais remarquées. On a remis en cause, je vais insister sur les mots, l'éco-label PEFC et puis on a démontré qu'il n'est ni éco, ni label. C'est une marque commerciale au même titre qu'Interflora. Ici les gens pensaient que ça avaient un statut très officiel mais ça n'en a aucun. Et on a démontré que le système était un gigantesque entonnoir qui peignait en vert tout ce qui passait à proximité. On a poussé le bouchon jusqu'à faire éco-labelisé un parking de supermarché et une station service comme étant des forêts gérées durablement. Donc ça a eu un petit impact local ici, dans les journaux, à la télé. A partir de là, c'est un peu malheureux à dire, on a pris nos lettres de noblesse et on est considéré comme une association qui bouge un poil et qui remet en question les directions dans lesquelles une certaine partie de la population ne veut pas être engagée.

-Donc, si j'ai bien compris, l'association c'est pour que ça change.

-Tout à fait, l'association je considère que c'est un aiguillon, c'est la mouche du coche. Il y a une filière qui est en place avec des acteurs, c'est leur métier, ils sont là, ils en vivent, ils sont impliqués. Et plein plein de gens là-dedans ont des idées intéressantes. Par contre la filière a, selon moi, pris une tournure exclusivement industrielle et est entrée dans des dérives. Donc l'association, elle est là pour insuffler des idées nouvelles voire un virage. Le risque, c'est d'être trop distant et d'arriver à une cassure entre la filière et nous, qu'on soit considérés comme des gens qui sont complètement à côté, comme des agitateurs, et donc il faut essayer de maintenir un élastique tendu, parce que c'est la tension qui fera bouger mais faut pas casser.

-Pour sortir de l'écologie et aller un peu vers la démocratie, est-ce que toi tu penses que cette association est une façon d'avoir du pouvoir ?

- Oui, je dirais tout à fait. Et puis quand tu dis « pour sortir de l'écologie et aller vers la démocratie » moi je ne suis pas dans l'écologie. Qu'est-ce que c'est qu'un écologiste ? Je suis pas un écologiste je milite pour une production de bois. Ou alors je suis un écologiste mais je peux pas être considéré comme étant juste une frange qui défend qu'une chose. Moi je défends toutes les fonctions de la forêt dont la fonction de production. Après, est-ce que c'est une façon d'avoir du pouvoir .
· tout à fait. Et ce pouvoir, moi, je dirai .
· on le revendique. Qu'un propriétaire décide comme ça s'est fait dans le Parc Naturel, qui n'est pas le nôtre, du Périgord-Limousin, qu'un propriétaire d'une plantation de châtaigniers malades décide d'y mettre des pesticides par hélicoptère, c'est son droit. Qu'il impose à son voisin de le respirer, est-ce que c'est toujours son droit ? Qu'il foute en l'air une certification « bio » d'un champ, on est toujours dans le droit... Moi, je revendique mon pouvoir sur l'air que je respire, sur l'eau que je bois, sur les paysages, l'endroit où je vis. Et je ne veux pas vivre dans une usine de production ou dans une mine de bois. Ça, je ne veux pas. Alors, on se heurte... quelle est la limite de mon pouvoir, quelle est la limite du pouvoir du propriétaire, quelle est la limite de la coopérative qui oriente les politiques forestières ici ? On est dans une lutte de pouvoir. Pas pour dire « je suis le chef » mais pour dire ce que j'ai pas envie de respirer, ce que j'ai pas envie de voir.

[...]

-Tu es aussi à Ambiance Bois. J'ai lu le livre et Ambiance Bois envisage peut-être le pouvoir d'une autre façon ou ont une autre notion du pouvoir que la hiérarchie institutionnelle, la subordination que, peut-être, beaucoup de gens associent au mot « pouvoir ».

-Ouais... alors là si on parle de la problématique d'Ambiance Bois, je vais te donner mon point de vue... ce n'est pas le point de vue de l'entreprise. C'est en tant que 1/20ème de

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l'effectif d'Ambiance Bois. Il y a des règles assez intéressantes, des règles d'équité déjà au niveau des salaires. Des règles de bien-être .
· on peut décider en début d'année du nombre d'heures qu'on va faire dans l'année, du genre de tâches qu'on veut faire et pas faire et on peut les faire évoluer dans l'année. On va essayer de faire un mix avec tout ça et y'a pas un patron qui vienne dire « c'est comme-ci, c'est comme-ça ». Moi j'ai été patron dans ma vie puisque j'ai toujours monté mes propres entreprises. J'ai jamais travaillé pour un patron. C'est la première fois chez Ambiance Bois que je travaille pour un patron mais qui a 20 têtes. Ce qu'il y a de bien c'est qu'on est tenu de chercher des solutions à nos problèmes sans qu'elles soient parachutées d'en haut et sans qu'on puisse dire .
· « le patron c'est un con ». si je prends de la sciure dans les yeux quand il y a du vent, dans une boîte normale on dit « c'est un con le patron, on bouffe de la sciure ». Ici on se dit qu'est-ce qu'on fait pour pas manger de sciure. Et les acteurs, c'est nous-mêmes. Ça, j'apprécie. Y'a plus cette focalisation autour d'un diable et nous on est les bons, lui c'est le mauvais. Non, là on est tous bons, on est tous mauvais. Ça, c'est très bine. Ensuite, il ne faut pas se leurrer, le mode de gestion participative qu'Ambiance bois tente de mettre en place, il n'est pas idéal non plus. Y'a bien des patrons et qui sont pas les 20 personnes. Les grandes gueules ont plus de pouvoir que ceux qui se taisent. Et il y a une majorité de personnes qui se taisent et alors il suffit qu'une grande gueule mette un véto sur quelque chose... parce qu'on ne vote pas à main levée chez Ambiance Bois, c'est pas la majorité, c'est plutôt l'unanimité. Alors c'est un peu paralysant, ou un peu lent, néanmoins, on se fait pas infuser un suppositoire dont on n'a pas envie. mais quelqu'un qui est capable d'être orateur peut faire en sorte de passer ces idées plus que quelqu'un qui se tait. Alors il y a cette limite-là. Et puis ensuite on se rend compte qu'il y a un pouvoir historique. Les gens qui ont crée l'entreprise il y a 25 ans ont plus de pouvoir que des gens qui sont là depuis quelques mois ou quelques années. Il y a un respect dû aux anciens, ou dû au travail qui a été fait. Ce qui fait qu'il y a quand même un pouvoir différent selon les gens. Je sais pas si ça pourrait être dupliqué à une collectivité comme un pays mais il y a quand même des bonnes choses à prendre à l'intérieur.

-Je vais finir par les dernières choses que tu m'as dites et rebondir par là. Parce que moi, c'est un peu pour ça que je fais le mémoire aussi : penser avoir du pouvoir, c'est une façon d'en avoir, je pense. Tu me dis qu'il y a des grandes gueules, qu'il y a qui se taisent et peut-être que ceux qui se taisent, ils pensent que, eux, ils n'ont pas de pouvoir et du fait que, eux, ils sont timides ou qu'ils pensent avoir moins de connaissances parce qu'ils pensent avoir moins de connaissances peut-être, il y a un pouvoir qu'ils ne prennent pas ou qu'ils n'osent pas prendre parce que, intérieurement qu'ils n'en ont pas.

-Je suis d'accord avec ça. Il y a des causes que j'ai identifiées sur cette non prise de pouvoir. déjà, la lassitude. Quand t'as essayé de faire bouger les choses un certain nombre de fois et que tu as une inertie en face de toi qui ramène la situation toujours au même endroit, au bout d'un moment tu dis .
· « je ne m'excite plus sur le sujet et je laisse tomber ». Donc ton pouvoir, tu le prends et tu le mets dans la boite à gants. Donc là, tu abandonnes volontairement ton pouvoir parce l'expérimentation de ton pouvoir n'a pas amené à son exercice. Et là tu dis, ça n'avance pas, ça ne serre à rien, mon pouvoir n'est pas effectif, ce n'est qu'un leurre. Et je ne veux même plus cautionner. Ça ressemble au vote blanc dans des élections. A quoi ça sert de voter pour un mec en qui j'ai pas confiance ou qui va avoir des belles promesses et qui va pas les tenir .
· donc je ne vote plus. ça, ça peut ressembler au vote blanc .
· le fait d'être passif. Après, ce groupe, chez Ambiance Bois, il y a une courbe de Gauss. Il y a une partie importante de gens qui se taisent, des extrêmes dans un sens, des extrêmes dans l'autre. Le pouvoir, il est probablement dans la partie centrale et moi j'essaie, et d'autres personnes essaient de réveiller cette partie qui dort en disant .
· « vous avez le pouvoir. Vous cherchez quoi ? Vous cherchez un patron, vous cherchez quelqu'un qui nous guide ? La réponse est

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peut-être oui, hein, y'a peut-être des gens qui ont besoin d'un guide, des gens qui se sentent pas sûrs d'eux-mêmes ou qui disent : « oh, moi je suis capable de faire une tâche mais j'ai pas envie de la penser ». Il y en a qui se sentent à l'aise avec la remise en question et d'autres qui préfèrent suivre et je dirais que chacun a sa place. Il y a pas des rôles glorieux et d'autres qui ne le sont pas. Donc je crois qu'il y a une répartition qui se fait avec des leaders, qui peuvent être des leaders charismatiques, des leaders d'idées. Il faut mettre de l'énergie. Prendre du pouvoir c'est tirer la charrue ; il suffit pas d'ouvrir sa gueule et d'attendre que ça se passe. Et je dirais qu'il y a de tout, tous les profils. Mais dans une boite comme Ambiance Bois, il faut faire en sorte que les gens s'expriment, il faut aussi aller les voir. Parfois les gens peuvent s'exprimer mais pas devant témoins. Il peut y avoir des tensions entre 2 personnes qui font que « s'il est là, je ne parle pas »... ya un panel d'exercice de pouvoir qui est assez intéressant et qui représente peut-être la société. Mais moi j'en tire pas de conclusion, je suis pas un pro du pouvoir. Par contre, il y a des choses qui ont été remarquables chez Ambiance Bois, c'est que j'ai pas vu de lutte de pouvoir comme je peux en voir dans d'autres entreprises ou dans d'autres ensembles économiques. C'est-à-dire que les peaux de bananes, du style « Oh, là il est en situation de faiblesse, je lui mets la tête sous l'eau et je reprends le pouvoir ou alors, je le discrédite en me foutant de sa gueule ou alors je vais lui faire perdre son pouvoir » : ça c'est pas des façons explicites chez Ambiance Bois. On respecte les personnes et ça c'est vraiment quelque chose qui est bien, on n'essaie pas de les affaiblir. On peut essayer de se renforcer mais on n'essaie pas d'affaiblir l'autre. Y'a pas de lutte d'homme à homme pour dire j'ai raison et t'as tort. Plein de gens disent : « voilà moi je prône pour ça mais si tu me convaincs du contraire, je suis prêt à t'écouter ».

-D'accord. Alors, je reviens un peu sur l'impact sur l'environnement. Ambiance Bois, ça a quand même eu un dynamisme sur le niveau communal et plus peut-être, extra-communal : le plateau de Millevaches. C'est devenu assez connu. J'ai vu qu'il y a beaucoup de jeunes qui viennent en stage ou qui viennent t'interviewer comme moi pour faire un mémoire, ou des journalistes donc il y a peut-être une influence, un pouvoir qui a changé d'échelle.

-Tout à fait. Il y a de temps en temps quelqu'un de chez nous qui va monter [à Paris]... il y a eu des conférences faites dans des écoles, à Lille, à Paris où des gens viennent dire « expliquez-nous comment ça fonctionne chez vous ? ». Mon point de vue, c'est que, si le monde a besoin de changement, le seul changement qu'on puisse faire c'est le changement de sa petite bulle propre. Et le joue où, un certain nombre de personnes changent leurs petites bulles et que ces bulles rentrent en communication, on a changé la couleur de la planète. Quand on regarde l'océan, on se dit c'est immense. Si toutes les gouttes d'eau font chacune leur petit boulot, je pense que ça peut changer. Et je dirai qu'à ce titre, Ambiance Bois fait son bouleau qui prend un peu d'ampleur. C'est une pépinière, elle sème des graines et elles germent chez d'autres personnes et je pense que c'est la seule chose qu'on puisse faire. Si le monde doit changer par une évolution des comportements individuels, par le respect que je peux porter à l'autre et à mon environnement au passage. Alors, je m'occupe de ma crèmerie et si tout le monde fait ça, alors ça change. Je suis pas certain que ça se passera au niveau du gouvernement ou d'une espèce d'entité qui sera au-dessus de nous et qui va changer un jour. J'y crois pas, y'a trop d'intérêts en jeu. Par contre, moi, je peux décider de changer mon environnement et je le fais. Ambiance Bois change son environnement et le fait. Et quand la ComCom change son environnement et le fait, on continue. Et un jour tout ça, ça se joindra. Je pense que c'est là qu'est le pouvoir.

Extraits de l'enregistrement fait le 24/03/2012 de Marc Lajara, habitant du Plateau.

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Annexe 8 : Liste de plusieurs collectifs sociaux du Plateau de Millevaches

Ambiance bois. SAPO crée en 1988. Location : La fermerie (Faux-la-Montagne). Scierie qui fait connaître son mode de fonctionnement « horizontal », l'égalité salariale, la rotation des tâches (par l'accueil de stagiaires notamment). Appartient à « De fil en réseau ».

Atout Bois. Menuiserie collective crée en 1992. Location : Lachaud (Gentioux). Lieu de ressources pour travailler le bois. Mise à disposition de machines, de savoir-faire.

ARBAN. SCIC crée en 2008. Location : Faux-la-Montagne. Promeut l'éco-habitat, la mise a disposition du foncier pour des habitants.

Cesam-Oxalis. SCOP crée en 2006. Location : Eymoutiers. Accompagne les porteurs de projets sur le territoire, apprend à mutualiser les fonctions de l'entreprise et communique sur son fonctionnement « horizontal ». Appartient à « De fil en réseau ».

Contrechamps. Association crée en 2000. Location : Trasrieux (Saint-Julien-le-Petit). Créer une nouvelle ruralité. Propose une programmation culturelle : documentaires, animations... Sont à deux pas du GAEC « Champs Libres » en agriculture biologique et biodynamique dont ils partagent l'éthique. Le GAEC possède un site sur Saint-Julien-le-Petit en Haute-Vienne et un en Creuse sur Saint-Martin-Château. Appartient à « De fil en réseau ».

Contrôle A. Association de loi 1901. Location : Royère, au bar « l'Atelier ». Mise à disposition de matériel informatique, d'Internet, pour les habitants.

Le Champ des possibles. GAEC (de la fève). Location : Lachaud (Gentioux). Font de l'agriculture biologique et de l'éducation à l'environnement. Expérimente des techniques écologiques. Présence d'une antenne CNRS.

EDDEN. Association de loi 1901 crée en 2008. Location : Lauzat (Nedde). Organise des débats. Promeut la participation citoyenne aux enjeux locaux.

Emile a une vache. Association de loi 1901 crée en 2004. Location : Royère. S'occupe des manifestations, en grande partie culturelles, de l'organisation de débats, au bar « l'Atelier » de Royère.

Energies pour demain. Association de loi 1901 crée en 2006. Location : Peyrelevade. Promeut les économies d'énergie et les énergies renouvelables. Organise un festival annuel autour des éoliennes.

Ferme des Nautas. GAEC. Location : Pigerolles. Font de l'agriculture biologique et des porcs culs-noirs (race rustique). Possèdent leur atelier de transformation de la viande.

Le monde allant vers.... Association de loi 1901 crée en 2002. Location : Eymoutiers. Ressourcerie. Recyclage ou remise en l'état d'objets inutilisés. Possède son pendant à Felletin : Court-circuit.

148

La Loutre par les cornes. Association crée en 2009. Location : Les salles (Gentioux). S'affiche libertaire. Organise des évènements culturels aux Salles, débats, rencontres, rassemblement de la communauté de voisins.

Mémoire à vif. Association de loi 1901 crée en 2001. Location : La Villedieu. A portée nationale. Soutenir les résistances aux obligations guerrières et s'opposer à la répression de ceux qui refusent de participer aux guerres.

Nature sur un Plateau. Association de loi 1901 crée en 2011. Location : La Villedieu. Proposer une gestion forestière supportable pour les sols et le territoire. Voir annexe précédente.

La Navette. SCOP crée en 2007. Location : Faux-la-Montagne. Agence de rédaction spécialisée dans l'économie sociale et solidaire.

Pain levé. Collectif-communauté et association de loi 1901. Location : Bellevue (Faux-la Montagne). Fabrication de pain pour chacun. Relai pour la fabrication, distribution aux adhérents, échange de pain contre autres denrées. Ventes éventuelles.

Pays'Sage. Association de loi 1901 crée en 1989. Location : Flayat. Programme des apéro-débats et des concerts sur le plateau de Millevaches en hiver. La sonorisation et l'éclairage des « bistrots d'hiver » se fait par l'intermédiaire de la SCOP « Local Technique ».

Plateaux Limousins. Association crée en 1974. Location : Le Villard (Royère). Accueille de personnes aux revenus modestes, organise des évènements autour sur les thèmes de l'écologie, de l'autogestion. Au départ chrétienne (présence d'un bâtiment-chapelle), l'association s'est laïcisé. Appartient à « De fil en réseau ».

Pivoine. Association de loi 1901 crée en 2005. Location : Faux-la-Montagne. Soutien des projets atypiques. Organise des formations. Appartient à « De fil en Réseau ».

Refuge des résistances. Association de loi 1901 crée en 2008. Location : Peyrelevade. A portée nationale. Soutien à la création artistique engagée, originale, décalée, novatrice. S'affiche libertaire.

Solidarité Millevaches. Association de loi 1901 crée en 1998. Location : Bugeat. Aide les personnes en difficulté, ouvre périodiquement une épicerie où les produits sont moins chers, soutien des initiatives de personnes en difficultés. Appartient à « De fil en réseau ».

149

Annexe 9 : Articles du code de l'environnement Livre Ier : Dispositions communes

Titre II : Information et participation des citoyens

Chapitre Ier : Participation du public à l'élaboration des projets d'aménagement ou d'équipement ayant une incidence importante sur l'environnement ou l'aménagement du territoire

Section 1 : Missions de la Commission nationale du débat public. Champ d'application et objet du débat public

Article L121-1

Modifié par LOI n° 2010-788 du 12 juillet 2010 - art. 246

La Commission nationale du débat public, autorité administrative indépendante, est chargée de veiller au respect de la participation du public au processus d'élaboration des projets d'aménagement ou d'équipement d'intérêt national de l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics et des personnes privées, relevant de catégories d'opérations dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat, dès lors qu'ils présentent de forts enjeux socio-économiques ou ont des impacts significatifs sur l'environnement ou l'aménagement du territoire.

La participation du public peut prendre la forme d'un débat public. Celui-ci porte sur l'opportunité, les objectifs et les caractéristiques principales du projet. Il porte aussi sur les modalités d'information et de participation du public après le débat.

La participation du public est assurée pendant toute la phase d'élaboration d'un projet, depuis l'engagement des études préliminaires jusqu'à la clôture de l'enquête publique réalisée en application des dispositions du chapitre III du titre II du livre Ier du présent code ou du chapitre Ier du titre Ier du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

En outre, la Commission nationale du débat public veille au respect de bonnes conditions d'information du public durant la phase de réalisation des projets dont elle a été saisie jusqu'à la réception des équipements et travaux.

Elle conseille à leur demande les autorités compétentes et tout maître d'ouvrage sur toute question relative à la concertation avec le public tout au long de l'élaboration d'un projet.

La Commission nationale du débat public a également pour mission d'émettre tous avis et recommandations à caractère général ou méthodologique de nature à favoriser et développer la concertation avec le public.

La Commission nationale du débat public et les commissions particulières ne se prononcent pas sur le fond des projets qui leur sont soumis.

150

Chapitre IV : Droit d'accès à l'information relative à l'environnement

Article L124-3

Modifié par Loi n°2005-1319 du 26 octobre 2005 - art. 2 JORF 27 octobre 2005

Toute personne qui en fait la demande reçoit communication des informations relatives à l'environnement détenues par :

1° L'Etat, les collectivités territoriales et leurs groupements, les établissements publics ;

2° Les personnes chargées d'une mission de service public en rapport avec l'environnement, dans la mesure où ces informations concernent l'exercice de cette mission.

Les organismes ou institutions agissant dans l'exercice de pouvoirs juridictionnels ou législatifs ne sont pas soumis aux dispositions du présent chapitre.

Titre IV : Associations de protection de l'environnement et collectivités territoriales Chapitre II : Action en justice des associations et des collectivités territoriales

Article L142-2

Modifié par LOI n° 2010-788 du 12 juillet 2010 - art. 229

Les associations agréées mentionnées à l'article L. 141-21 peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu'elles ont pour objet de défendre et constituant une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l'environnement, à l'amélioration du cadre de vie, à la protection de l'eau, de l'air, des sols, des sites et paysages, à l'urbanisme, ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions et les nuisances, la sûreté nucléaire et la radioprotection, les pratiques commerciales et les publicités trompeuses ou de nature à induire en erreur quand ces pratiques et publicités comportent des indications environnementales ainsi qu'aux textes pris pour leur application.

Ce droit est également reconnu, sous les mêmes conditions, aux associations régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans à la date des faits et qui se proposent, par leurs statuts, la sauvegarde de tout ou partie des intérêts visés à l'article L. 211-1, en ce qui concerne les faits constituant une infraction aux dispositions relatives à l'eau, ou des intérêts visés à l'article L. 511-1, en ce qui concerne les faits constituant une infraction aux dispositions relatives aux installations classées.

1 Lorsqu'elles exercent leurs activités depuis au moins trois ans, les associations régulièrement déclarées et exerçant leurs activités statutaires dans le domaine de la protection de la nature et de la gestion de la faune sauvage, de l'amélioration du cadre de vie, de la protection de l'eau, de l'air, des sols, des sites et paysages, de l'urbanisme, ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions et les nuisances et, d'une manière générale, oeuvrant principalement pour la protection de l'environnement, peuvent faire l'objet d'un agrément motivé de l'autorité administrative. (L. 141-1)

Les associations de protection de l'environnement agréées au titre de l'article L. 141-1 ainsi que les associations mentionnées à l'article L. 433-2 sont appelées, dans le cadre des lois et règlements en vigueur, à participer à l'action des organismes publics concernant l'environnement. (L. 141-2)

151

Annexe 10 : Questionnaire sur la connaissance du plateau de Millevaches chez les non-habitants et résultats du questionnaire

Questionnaire

Sexe : M F Age : .

Commune de résidence (département) :

1) Etes-vous déjà allé sur le plateau de Millevaches ? Oui Non

Sinon, connaissez-vous (de nom) le plateau de Millevaches ? Oui Non

Sinon, connaissez-vous (cocher le lieu si connu) : Felletin Meymac

Faux-la-Montagne Vassivière Tarnac

Si le plateau de Millevaches est au moins connu :

2) A quoi vous fait d'abord penser le plateau de Millevaches ? (donner les catégories si hésitation ; ne cocher qu'une case)

Si déjà allé sur le plateau de Millevaches :

3) Trouvez-vous que le plateau de Millevaches est un bel endroit ? Oui Non

Pourquoi ? :

4) Aimeriez-vous habiter sur le plateau de Millevaches ? Oui Non

Pourquoi ?

Résultats

161 habitants de Paris interrogés dont 72 connaissent le Plateau et 71 habitants de la Creuse interrogés dont 70 connaissent le Plateau

Sur la question 4 :

voudraient habiter le Plateau oui non

parisiens 0/18 1/18

cause : isolement 33%

cause : manque service 17%

cause : préfère la ville 22%

creusois 13/51 30/51

cause : isolement 30% 37%

cause : manque service 3%

cause : préfère la ville 3%

Tableau R6 : envie d'habiter le Plateau

152

Parisiens interrogés

total 161

dont

connaissent le Plateau 44,70%

sont allés sur le Plateau 11,80%

ne connaissent aucun site 30,40%

Et parmi ceux qui ne connaissent pas, Seuls deux sites apparaissent :

Tarnac 40 fois

Vassivière 9 fois

Tableau R1 : connaissance des parisiens Pour les parisiens

évocation sont allés sur le Plateau

parisiens <40ans >40ans non oui

culture alternative 27,3% 16,0% 92,8% 7,2%

éléments naturels 13,6% 46,0% 65,4% 34,6%

coin perdu 18,2% 6,0% 57,1% 42,9%

bâti 0,0% 2,0% 100,0% 0,0%

autres 40,9% 30,0% 75,0% 25,0%

total 22 = 100% 50 = 100% 73,6% 26,4%

creusois <40ans >40ans

culture alternative 10,3% 5,0%

éléments naturels 51,7% 37,5%

coin perdu 6,9% 25,0%

bâti 0,0% 2,5%

autres 31,0% 30,0%

total 29 = 100% 40=100%

Tableau R7 : évocation selon l'âge et selon le fait d'être allé sur la plateau pour les parisiens

plateau connu <40ans >40ans

non 55,80% 12,10%

oui 44,20% 87,90%

total 52 58

Tableau R2 : connaissance selon l'âge

Sur la question 2 :

Ce qu'évoque le Plateau aux parisiens

total 72

dont

culture alternative 19,40%

éléments naturels 36,10%

coin perdu 9,70%

bâti 1,30%

Tableau R3 : évocations des parisiens

Sur la question 2 :

Ce qu'évoque le Plateau aux creusois

Total 70

dont

culture alternative 7,10%

éléments naturels 42,80%

coin perdu 17,10%

bâti 1,40%

Tableau R4 : évocations des creusois

Sur la question 3 :

trouvent le Plateau beau

pour la nature

pour l'espace

Parisiens 16/18 50% 6%

Creusois 43/51 30% 12%

Tableau R5 : sensation de beauté

153

Bibliographie

Ouvrages généraux

-GEORGE P. et VERGER F. 2000 (7ème édition), Dictionnaire de la géographie, Paris, PUF, 502p.

-LEVY J. et LUSSAULT M. 2003, Dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés, Paris, Belin, 1034p.

-BERQUE A. 1995, Les raisons du paysage, Paris, Hazan, 190p.

-DUMONT G-F. 2007, Les lois de la géopolitique des populations, Paris, Ellipses, 498p. -PASCAL B. 1954, Pensées, dans OEuvres complètes, Paris, Gallimard, 1954, pp 1079-1358. -TROCHET J-R, 1998, Géographie historique, Paris, Nathan, 254p.

Ouvrages axés sur l'Environnement

-ATKINSON A. 1991, Principles of political ecology, London, Belhaven Press, 254p. -ARNOULD P. et SIMON L. 2007, Géographie de l'environnement. Paris, Belin, 303p.

-AUGUSTO L. 1999, Etude de l'impact de quelques essences forestières sur le

fonctionnement biogéochimique et la végétation de sols acides, Thèse Nancy-I (dir. J.Ranger), 276p.

http://www.scd.uhp-nancy.fr/docnum/SCD T 1999 0235 AUGUSTO.pdf consulté en 2012

-BAUDRY J. et BUREL F. 1999, Ecologie du paysage, Paris, PUF, 360p.

-BIRNBACHER D. 2001, « Existe-t-il des valeurs universelles vis-à-vis de l'environnement ? », Géographie et cultures n°37, pp 23-35.

-BOUTRAIS J. et JUHE-BEAULETON D. 2005, Nouvelles lectures des rapports société-nature, dans Patrimoine naturels dans les Suds. Des conflits fonciers à la valorisation des savoirs locaux. Paris, IRD, collection « Colloques et séminaires », pp 23-50.

-CLAVAL P. 2001, « Ethique et nature, une approche conceptuelle », Géographie et cultures n°37, pp 3-22.

-LARRERE C. et R. 1997. Du bon usage de la nature. Pour une philosophie de l'environnement. Paris, Aubier, 355p.

-LE GOFF J-P., 2009, « Au nom du développement durable », Débat n°156, Paris, Gallimard, pp 80-97.

154

-LEPART J. et MARTY P. 2009, « Sortir des espaces protégés pour conserver la biodiversité. », Géographies et cultures n°69, pp 11-24.

-LÜGINBUHL Y. 1981, thèse Paris 1, Sens et sensibilité du paysage - tome 1 : le paysage et son sens, 180p.

-RECLUS E. 2002, Du sentiment de la nature dans les sociétés modernes : et autres textes, Charenton, Premières pierres, 210p.

-SAUER C.1956, « The agency of man on the Earth » in Man's role in changing the face of the Earth, Chicago, ed. William Thomas, pp. 49-69.

-THOREAU H. 1947, Walden, in The portable Thoreau, New York, The Viking press, pp 259-572.

Ouvrages axés sur le Pouvoir

-AGAMBEN G. 2006, La puissance de la pensée, Paris, Payot & Rivages, 350p. -ARISTOTE, 1971. Politique tome II 1ère partie. Livres III-IV, Paris, Gallimard, 334p.

-BACQUE M-H. et SINTOMER Y. (dir.) 2011, La démocratie participative : histoire et généalogie, paris, La découverte, 288p.

-BENASAYAG M. et SZTULWARK D. 2002 (2nde édition), Du contre-pouvoir, Paris, La Découverte, 168p.

-BOURDIEU P. 2002, Interventions 1961-2001, Marseille, Agone, 488p.

-CLAVAL P. 1978, Espace et pouvoir, Paris, PUF, 258p.

-COMITE INVISIBLE, 2011 (2nde édition), L'insurrection qui vient, Paris, La fabrique, 140p.

-FOUCAULT M. 1994, Dits et écrits, tome IV, Paris, Gallimard, 896p.

-FREMONT A. 1999 (2ème édition), La région Espace vécu, Paris, Flamarrion, 288p.

-GERTEL F. 2003, « Identité, globalisation et culture locale : Evaluation critique du projet UNESCO-MAB « Malshegu Sacred Grove » au nord du Ghana », Géographie et culture n°47

-LASCOUMES P. 1994, L'éco-pouvoir, Paris, La découverte, 318p.

-LEQUIN M. 2001, Ecotourisme et gouvernance participative, Sainte-Foy(Québec), Presses de l'Université de Québec, 234p.

-MERMET L., BERLAN-DARQUE M. (dir.), 2009, Environnement : décider autrement. Nouvelles pratiques et nouveaux enjeux de la concertation volume I, Paris, l'Harmattan, 222p.

155

-ROUSSEAU J-J. 2001, Du contrat social, Paris, Flammarion, 180p.

-SUBRA P. 2003, « A quoi sert le débat public ? », Hérodote n°110, La découverte, pp149-170.

- THOREAU H. 1947, Civil Disobedience, in The portable Thoreau, New York, The Viking Press, pp 109-137.

-YOUNG I. M. 2011, «La démocratie participative à l'épreuve du militantisme», Raisons politiques n°42, Paris, presses de Science Po, pp 131-158.

Ouvrages sur le territoire du plateau de Millevaches

-BERGOUNIOUX P. 1995, Miette, Paris, Gallimard, 150p.

-BERGOUNIOUX P. 2001, Un peu de bleu dans le paysage, Lagarce, Verdier, 106p. -BEYNEL C., 1998, Forêt et société de la montagne limousine, Limoges, PULIM, 532p.

-BONNAUD A. 1998, Thèse Paris VIII (dir.Y. Prats) Autonomie locale et développement de quatre plateaux dans le massif central : les monts de Lacune, le Millevaches, l'Aubrac, le Larzac, 476p.

-BOSWELL L. 2004, « La petite propriété fait le communisme (Limousin, Dordogne) », Etudes rurales juill-dec 2004 171-172, pp 73-82.

-BOUDY P., CAUNET J-M., VIGNAUD J-F. 2009, Mémòria de l'aiga. Enquête ethnolinguistique sur l'eau en montagne limousine, Doublevébé Récup, 50p.

-DELERON S., LULEK M., PINEAU G. 2006, Télé Millevaches. La télévision...qui se mêle de ceux qui la regardent, Valence, REPAS, 144p.

-GUILLABOT M. 2008, Thèse Limoges (dir. B. Valadas), Forêt privée et développement durable des territoires ruraux, Lille, Atelier national de reproduction des thèses, 354p.

-LE FLOCH S. 2008, « L'espace, une propriété des projets collectifs locaux : un exemple sur le plateau de Millevaches », Espaces et sociétés 2008/1-2, n° 132, pp. 179-192.

-LULEK M. 2009, Scions...travaillait autrement. Ambiance Bois, l'aventure d'un collectif autogéré, Valence, REPAS, 174p.

-NASR T. 2005, Thèse Muséum d'histoire naturelle de Paris (dir. R. Larrère), Perception et appréciation du paysage forestier. Le cas du plateau de Millevaches, 342p.

-PRESSICAUD J-F. 1980, mémoire de maîtrise Toulouse le Mirail et Limoges, Les néo-ruraux dans le nord de la montagne limousine : un facteur de revitalisation d'un pays dominé ?, 112p.

156

-SOUMY J-G. 2003, La tempête, Paris, Robert Laffont, 284 p.

-STAMM A. 1983, L'échange et l'honneur. Une société rurale en Haute-Corrèze, Limoges, S.E.L.M, 322p.

-TERRACOL P. 2009, Thèse Paris I (dir.Y. Lüginbuhl) Le paysage, vecteur d'hybridation économique et culturelle d'un territoire : le plateau de Millevaches, Lille, Atelier national de reproduction des thèses, 436p.

-VAZEILLES M. 1931, Mise en valeur du Plateau de Millevaches, Ussel, G. Eyboulet et fils, 272p.

Film

-VINOUR P. 2000, Millevaches [Expérience], Les enragés, 10 min.

Emission de radio

France Culture : Terre à terre par Ruth Stegassy - 11/06/2011 - 7h05 http://www.franceculture.fr/emission-terre-a-terre-faux-la-montagne-2011-06-11.html

Nombreux articles dans

La Montagne (édition Creuse ou Tulle) IPNS

Télé Millevaches

Site web

Par des soutiens aux inculpés de Tarnac

http://nopasaran.samizdat.net/spip.php?article1652 (janvier-fevrier 2009) consulté en 2012

Autres ouvrages

-CHEVALIER B. 2008, Crimes en Creuse et ailleurs. Deuxième partie : 1900-1973, Neuvic-Entier, Le Veytizou, 141p.

-ZORILLA C. 2009, Protegiendo a su Comunidad contra las Empresas Mineras y otras Industrias Extractivas. Una Guía para promotores/Activistas Comunitarios. Global Response, 40p.

-Le monde diplomatique octobre 2011, supplément Aubagne.

-Rouge Midi : une mission dans les vallées de l'Intag (19/05, 09/06, 05/07 2008)

157

Table des matières

Sommaire . p.5

Introduction p.7

Le sujet p.8

Méthodologie et plan p.15

I - Les marqueurs spatiaux du pouvoir p.21

1 - Le territoire abordé p.21

1.1 - Un territoire nommé p.21

1.2 - Un territoire attendu (les préjugés et les mythes derrière le nom) p.23

1.3 - Un territoire aménagé p.26

2 - L'environnement : indicateur des pouvoirs p.27

2.1 - La composition du paysage . p.27

Les forêts : essentiellement des plantations de résineux p.33

Les prés, les landes et les tourbières p.37

2.2 - Les maisons, le patrimoine bâti et historique p.40

Les maisons p.40

Le petit patrimoine historique p.44

Quand l'histoire glorifie le pouvoir de résister et de refuser la

guerre p.46

2.3 - Un pouvoir d'habitants indépendants à travers le marquage

culturel p.48

2.4 - Les cassures dans le paysage p.52

Conclusion sur les marqueurs spatiaux du pouvoir . p.55

2.5 - Tranches de vie sur le Plateau . p.55

II - Relations et formes de pouvoir des acteurs locaux p.59

1 - L'approche de la population .. p.59

1.1 - Mes choix méthodologiques p.59

1.2 - Caractéristiques de la population p.62

2 - Les acteurs : relations, perceptions du pouvoir et actions sur

l'environnement p.65

2.1 - Les acteurs institutionnels p.66

2.2 - Les associations et autres collectifs . p.72

2.3 - Le reste des habitants p.79

2.4 - Bilan des relations p.83

3 - Différents leviers de pouvoir de la population sur le plateau de Millevaches p.83

3.1 - La propriété .. p.83

3.2 - La communauté : le lien entre les habitants . p.85

3.3 - La culture, l'influence et l'expression . p.87

L'influence . p.87

L'expression p.88

Connaissances, reconnaissance . p.89

3.4 - Le mode de vie p.90

3.5 - La perception du pouvoir p.92

3.6 - Le non-usage du pouvoir p.94

Conclusion sur les leviers de pouvoir utilisés sur le Plateau p.94

III - Au-delà du Plateau. Des leviers de pouvoir en débat p.99

1 - D'autres delà. Des comparaisons avec le plateau de Millevaches sur

le pouvoir des habitants

p.99

1.1 - La vallée de l'Intag en Equateur . p.99
1.2 - Aubagne, Larzac, Aubrac, Périgord, Afrique tropicale, Forez et

Nambikwara p.102

2 - Le pouvoir comme question d'organisation de la démocratie et question

d'échelle p.106

2.1 - Formes de démocraties p.107

2.2 - Le franchissement des échelles p.110

3 - Débats sur le pouvoir des habitants . p.111

3.1 - La place de la science p.112

3.2 - Le pouvoir de l'autorité p.115

3.3 - Pouvoir et position de pouvoir .. p.117

3.4 - Le pouvoir de ne pas pouvoir p.119

3.5 - L'identité, passager du pouvoir ? p.120

Conclusion au chapitre : des leviers de pouvoir à l'épreuve de l'échelle p.122

...

158

Conclusion . p.125

Annexes . p.133

Bibliographie . p.153

Table des matières p.157

Table des cartes p.159

Table des tableaux, schémas et graphique .. p.159

Table des dessin et peintures p.160

Table des photos p.160

159

Table des cartes

Carte 1 : Carte de repérage du plateau de Millevaches p.4

Carte 2 : Situation du PNR Millevaches en France . p.4

Carte 3 : Situation des communes témoins . p.4

Carte 4 : Situation de l'unité paysagère « plateau de Millevaches p.4

Carte 5 : Occupation des sols du PNR Millevaches en Limousin p.29

Carte 6 : Occupations des sols des communes témoins p.29

Carte 7 : Part des résineux dans l'espace boisé p.33

Carte 8 : Part des effestifs de l'économie sociale et solidaire par zones en Limousin... p.73

Carte 9 : Localisation des sièges des membres de « De Fil en réseau » p.73

Carte 10 : Quelques lieux alternatifs de culture et lieux de pouvoir collectivisé p.91

Carte 11A et 11B : A : Régions de l'Equateur et B : Cantons de la région Imbabura p.99

Table des tableaux, schémas et graphique

Tableau 1 : Composition des sommets dépassant 800 mètres d'altitude . p.32

Tableau 2 : Part des résidences principales sur les communes témoins . p.42

Tableau 3 : Densités de population des communes témoins p.62

Tableau 4 : Résultats du 1er tour des élections régionales de 2010 p.64

Schéma 1 : Relation simples entre acteurs p.66

Schéma 2 : Relation doubles entre acteurs p.66

Graphique 1 : Part des diverses activités agricoles p.38

160

Table des dessins et peintures

Dessin 1 : Panorama depuis le mont Bessou p.31

Dessin 2 : Panorama depuis le mont Audouze p.31

Peinture 1 : Vue de Rempnat, huile sur toile, Maryse Dupont p.27

Peinture 2 : Fasenat, pastel sur toile, Remy Feinte p.41

Table des photos

Photo 1 : Plantation résineuse (02/2012) p.35

Photo 2 : Désouchage après coupe rase (02/2102) p.35

Photo 3 : Nouvelle plantation derrière coupe rase (02/2012) p.35

Photo 4 : Tourbière du Longeyroux (03/2012) p.38

Photo 5 : Maison joints brossés (03/2012) p.41

Photo 6 : Maison joints de fer (02/2012) p.41

Photo 7 : Le facteur n'est pas passé (03/2012) p.41

Photo 8 : Tombe sculptée à Gentioux (03/2012) p.45

Photo 9 : Pont-planche de la Gane (Faux) (03/2012) .. p.45

Photo 10 : Croix à Villemoneix (Gentioux) (03/2012) p.45

Photo 11 : Plaque à La Villedieu (03/2012) . p.47

Photo 12 : Croix blanche vers Neuvialle (03/2012) . p.47

Photo 13 : Monument aux morts de Gentioux p.47

Photo 14 : Panneau routier du PNR (02/2012) . p.50

Photo 15 : Transformateur électrique (03/2012) . p.50

Photo 16 : Chaumières à Variéras (03/2012) . p.54

Toutes les photos sont des clichés personnels hormis la photo 13 Source Photo 13 : la-feuille-de-chou.fr consulté en avril 2012






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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille