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Poétisation d'un univers chaotique

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par Assia Benzetta
Université Mentouri - Master 2 Analyse du discours 2014
  

Disponible en mode multipage

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INTRODUCTION

L'émergence d'une littérature autonome, suite aux mutations socio-historiques, va contribuer à l'élargissement d'un champ francophone antillais où l'abolition de l'esclavage et la naissance d'une élite ayant un niveau social élevé qui leur a permis une bonne éducation intellectuelle, outre le mouvement de la Négritude, ont, en quelque sorte, participé à la construction d'une Antillanité.

Le roman antillais s'inscrit clairement dans le contexte du racisme-colonialisme autour duquel tourne la production littéraire où les amours, les haines et les drames ne vont pas sans déterminer le destin de la race et du peuple.

Toutefois, si la littérature antillaise est porteuse de ce message, il n'en demeure pas moins que sur le plan esthétique, elle ne manque pas de particularisme et d'originalité.

Edouard Glissant trône cette nouvelle école et d'autres littérateurs en seront influencés, même s'ils ne le déclarent pas explicitement : Simone Schwarz-Bart, Daniel Maximin et Maryse Condé sont représentatifs de cette tendance où la violence « post coloniale » est exprimée différemment à travers des imaginaires et une créativité propre à chacun faisant de l'espace insulaire le lieu même de leur création.

Ce renouveau de fiction caractérise également le roman de Maryse Condé, En attendant la montée des eaux1(*)qui constitue l'objet de notre étude.

L'auteure, par sa magie de l'écriture2(*) permet la collision des époques, des générations et des nations. Son écriture se représente comme un carrefour des langues où se croisent le français, les créoles, les dialectes africains et même l'espagnol. Une parole charmée, reflet d'une Histoire noire multi continentale.

Intéressée par les souffrances des autres et en même temps de sa condition de femme noire originaire d'une région marginalisée, Maryse Condé ne se laisse pas entrainer par les rigides oppositions de la pensée du Centre. La compréhension de l'Histoire pour elle tient plus de la relation de l'échange que de la séparation métaphysique.

Rénovatrice et contestataire3(*), Maryse Condé est partie de la tradition pour la dépasser. Appartenant à la génération postérieure à la négritude, sa vision du problème noir, plus culturelle que raciale, est à la base de sa faculté d'exprimer l'Histoire et l'évolution de la diaspora.

Pour exprimer une réalité plurielle et en mouvement, elle se crée, à travers ses oeuvres, une renaissance rénovatrice. Une stratégie multiforme - ironie, interrogation, polyphonie narrative, anti- épopée, parodie, entre autres - pour assurer une communication en évolution avec les complexités mobiles de l'existence humaine, parce que Maryse Condé se focalise essentiellement sur le sort de l'humanité.

Tout cela se manifeste explicitement dans toutes ses oeuvres et dans son parcours littéraire4(*). L'espoir et la désillusion, l'humour et l'amertume, l'optimisme et le scepticisme fusionné avec le sublime et le ridicule, les victoires et les faillites, les composantes des existences qu'elle dépeint, de tels éléments ne sont-ils pas toujours présents chez tous les grands littérateurs ?

Dès l'incipit de En attendant la montée des eaux, le lecteur est transporté dans une nature encolérée où tonnerre, pluie abondante, arbres brisés, bruit assourdissant, débris éparpillé annoncent une catastrophe naturelle. Serait-il une fin d'un monde ou alors un appel à un changement radical ?

C'est la Guadeloupe, Babakar, un médecin accoucheur assiste au décès d'une jeune réfugiée haïtienne mais l'enfant nouveau né Anaïs est sauvée. babakar décide de l'adopter. Par un amour paternel tout nouveau pour lui, le médecin sillonne les villes et les campagnes d'Haïti en quête de réponses sur la véritable identité de Reinette, aidé de ses deux amis Movar l'Haïtien et Fouad le Palestinien.

Le lecteur est tiraillé par des destinées tracées par l'auteure. Côte d'Ivoire, Éburnéa la fictive, Palestine, Liban, Haïti, partout la pauvreté aux accents vaguement identiques est teintée de guerres, guérillas, coups d'état, viols, exactions, incendiaires. Puis, au coeur de la société haïtienne, de la facette sombre des organisations internationales, de la dévotion, de la violence, de la dictature, de l'acharnement climatique avec pour acmé les catastrophes naturelles. C'est le Déluge.

Le narrateur nous peint le dévouement et la détresse de Bbakar : « il était clair qu'il était incapable de protéger ceux qu'il aimait (...) », p.165. La mort, l'insondable, les songes, les souvenirs, la trahison, la mémoire, l'existence, la rage des eaux et de la terre ne le quittent pas. L'amitié est au-delà de l'ancrage qui semblait jusqu'alors se refuser à ces perpétuels exilés. Quand au terme prévisible du parcours, Babakar se résigne à quitter Haïti, la terre tremble aussitôt, sa détermination bascule : « Je suis médecin et je ne peux plus partir. Ce serait un cas de non-assistance à personne en danger », p364. Plus que d'hypothétiques racines, c'est un projet partagé, un avenir qui fonde la communauté.

Dans ce contexte qui incite à percevoir l'identité comme une manifestation complexe, éclatée, décentrée, ces déplacements identitaires sont accompagnés d'un mouvement spatial qu'il soit fixation dans un ailleurs ou projection dans le monde. Qu'en est-il des identités rhizomiques et des mythes qui les accompagnent au temps des déterritorialisations, des mobilités et de l'éclatement spatial ?

En attendant la montée des eaux s'inscrit dans cette problématique existentielle dans une ambigüité tant sur le plan structural que celui sémantique. Le rythme du récit suit celui des trois personnages Babakar, Movar et Fouad en perpétuelle quête d'existence.

L'aspiration à une nouvelle génération saine est de l'ordre du récit, elle est ponctuée par une éventuelle catastrophe perçue comme passage inévitable mais qui pourrait être un remède.

C'est justement du déluge dont il est question dans tout le roman que le récit se construit introduisant le lecteur dans un univers chaotique faisant référence à la déchéance, à la désolation, aux différentes incohérences existentielles des personnages et à la colère de Dieu.

À cet univers chaotique correspond un désir de renaissance qui pourrait se réaliser dans l'attente d'où le titre : En attendant la montée des eaux, révélateur et métaphorique traduisant, dans sa manière poétique, la fin et la renaissance.

De cette dichotomie, chaos et désir de renaitre, résulte le déluge et le salut. Et c'est là où se trame tout le récit et se tisse la pensée de l'auteure : la problématique identitaire et le métissage culturel à travers le discours mythique.

À partir de ces données, des questionnements s'imposent : quels mythes l'auteure actualise-t-elle dans le roman ? Comment ces mythes fonctionnent-ils ? Quel sens infléchissent-ils ?

L'analyse du roman nécessite le recours à de multiples approches qui ne sont pas incompatibles.

Pour mener à bien cette étude, nous nous appuierons sur les démarches suivantes :

- l'approche textuelle s'impose d'emblée quand à la structure du récit, à travers la narratologie issue des travaux de Gérard Genette et de Philippe Hamon.

-L'approche historique selon J.M. Moura est inévitable, dans la mesure où elle propose une lecture postcoloniale du roman antillais que la démarche sociocritique complètera.

-L'approche sur l'imaginaire selon Mircea Eliade et bien d'autres est également intéressante, parce qu'elle permet de comprendre le recours aux mythes pour en saisir le sens.

Dans le premier chapitre intitulé: poétique de Violence, on étudiera la signification du titre qui va se compléter par le thème de l'attente entre intimisme et angoisse et celui de la violence qui a contaminé tout le récit.

Dans le deuxième chapitre, l'analyse portera sur l'esthétique d'une nature à la fois inquiète et salvatrice. Pour cela on plongera au coeur du déluge à travers d'abord sa fonction apocalyptique, ensuite celle d'une renaissance perpétuelle. Et à la fin de ce deuxième chapitre nous traiterons l'intertextualité dans le fonctionnement interne du roman.

Le dernier chapitre, sera consacré à l'écriture féminine et hybride de Maryse Condé, un point essentiel dans notre recherche, car ces deux composantes caractérisent toutes l'oeuvre de l'auteure.

Enfin, et en guise de clôture, cette recherche - qui restera toujours ouverte donnera un éclairage sur le lexique de Maryse Condé qui prend son essence des parties du corps humain pour méditer sur la condition et la destinée humaine.

« L'Histoire est tellement complexe et douloureuse qu'elle n'a pas

besoin de style littéraire (...). Dans la vie le désordre est plus enrichissant

que l'exemplarité et la linéarité. Les individus naissent dans le Chaos ».

(Mayse Condé)

I. Premier chapitre : Poétique de la violence

I.1. De la signification du titre

De l'ensemble paratextuel, nous avons choisi l'étude du titre et cela pour l'importance que joue l'approche titrologique dans notre recherche. C'est le premier intermédiaire entre l'oeuvre et le lecteur.

Signe de la transformation en marchandise d'un ouvrage, le titre a plusieurs fonctions, dessinant un horizon d'attente et permettant l'appréhension du texte.

I.1.a. Fonctions du titre

La titrologie5(*) est un outil très important dans l'approche des oeuvres littéraires. Le titre est d'abord « ce signe par lequel le livre s'ouvre : la question romanesque se trouve dès lors posée, l'horizon de lecture désigné, la réponse promise. Dès le titre l'ignorance et l'exigence de son résorbèrent simultanément s'imposent. L'activité de lecture, ce désir de savoir ce qui se désigne dès l'abord comme manque à savoir et possibilité de le connaître (donc avec intérêt), est lancée.6(*)

Selon la formule d'Antoine Furetière : «un beau titre est le vrai proxénète d'un livre»7(*). Pour Genette, il peut remplir jusqu'à quatre fonctions. Il peut désigner le roman et permettre son identification. Il peut décrire son contenu et servir, comme le dit Umberto Eco8(*)de clef interprétative. Il peut avoir une fonction connotative, c'est-à-dire être interprété suivant des références culturelles ou stylistiques (style propre à un auteur, parodie, référence historique...). La dernière fonction est dite séductive, lorsque le titre pousse à l'achat, ce qui sera perçu plus ou moins positivement suivant la subtilité de la formule.

À travers notre analyse, nous tenterons de découvrir ce que ce titre a d'aussi exceptionnel pour valoir une renommée et un prix international. L'impact de ce titre sur le lecteur serait-il dû au fait qu'il soit surprenant? fascinant? choquant? ou enchanteur? Nous allons découvrir aussi quel rapport a ce titre avec le mythe, la religion, et la société antillaise.

La relation titre/réception est primordiale : « Le titre est souvent choisi en fonction d'une attente supposée du public, pour les raisons de marketing (...) il se produit un feed-back idéologique entre le titre et le public»9(*). Ainsi, pour qu'un titre accroche, il doit jouer auprès du lecteur le rôle d'un séducteur et fonctionner de fait comme un texte publicitaire. Claude Duchet10(*) le définit comme: «  un message codé en situation de marché : il résulte de la rencontre d'un énoncé romanesque et d'un énoncé publicitaire ; en lui se croisent nécessairement littérarité et socialité : il parle de l'oeuvre en termes de discours social mais le discours social en terme de roman » pense-t-il.

Tout comme un texte publicitaire, le titre a pour rôle de mettre en valeur l'ouvrage et de séduire un public, et dans cette perspective il est évident qu'il peut réunir ces fonctions : la fonction référentielle (il doit Informer), la fonction conative (il doit impliquer le lecteur) et la fonction poétique (il doit susciter l'intérêt ou l'admiration).

« Toutefois le rôle du titre d'une oeuvre littéraire ne peut se limiter aux qualités demandées à une publicité car il est "amorce et partie d'un objet esthétique ». 2Ainsi, il est une équation équilibrée entre «les lois du marché et le vouloir-dire de l'écrivain»11(*). Le titre est également considéré comme emballage et « incipit romanesque »12(*) Emballage car « il promet savoir et plaisir » constituant ainsi un « acte de parole performatif ». Il est incipit romanesque en tant que premier élément introduisant le texte.

En outre, le titre peut assumer deux fonctions principales : « mnésique » quand il sollicite le savoir antérieur (le déjà familier) du lecteur ; de « rupture » quand il s'affiche comme nouveau et original. Si dans le premier cas, le titre cherche à atteindre un public précis ou, comme l'écrit C. Duchet «sélectionne son public», dans le deuxième, le but est plutôt de se faire de nouveaux admirateurs.

À travers une lecture analytique, une démonstration du fonctionnement du titre dans l'oeuvre de Maryse Condé va être très utile.

Dans le cas présent, le rôle du titre En attendant la montée des eaux est complexe et, par conséquent, on doit examiner sa fonction par rapport aux idées du roman, en essayant d'étudier la stratégie mise en place par le titre pour reproduire indirectement le texte du roman.

En divisant notre titre en deux parties : « En attendant » et « la montée des eaux », il faut noter que la première partie « En attendant » a été déjà utilisée par Maryse Condé dans son célèbre roman En attendant le bonheur13(*).

De même, l'écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma a intitulé un de ses romans En attendant le vote des bêtes sauvage14(*). Sans oublier l'oeuvre de Proust  En attendant Albertine15(*).

Donc nous pouvons remarquer la sensibilité de cet intitulé par les auteurs post colonialistes en plus pour un lecteur habitué, cela incite à vouloir découvrir ce qu'apportera Maryse Condé de nouveau à travers le roman.

En effet, avec le titre En attendant la montée des eaux nous sommes en présence d'un énoncé connotatif. Cependant l'originalité de ce titre réside au niveau de sa structure, il serait alors intéressant de l'approcher aussi bien sur le plan morphosyntaxique que sémantique où il « requiert une véritable analyse de discours, comme préalable à son interprétation idéologique et esthétique ».16(*)

La signification du syntagme En attendant la montée des eaux  implique l'attente ou la patience. En effet, l'incipit du roman informe que Babakar est seul, sans parents ni amis, isolé du monde et aspire à quelque chose. En outre, la fonction communicative du narrateur vient compléter cette information en témoignant que : « voilà que son enfant si vainement cherchée lui était rendu», p18. Cette enfant lui donne l'espérance d'un futur plus beau que le présent.

En tenant compte de l'appartenance religieuse chrétienne de Maryse Condé, (d'après ses récits autobiographiques), en plus de la connotation frappante du titre qui plonge dans le mythe diluvien, le lecteur est transporté dans un univers Biblique et imaginaire.

Le titre pris dans le sens de En attendant la montée des eaux fonctionne sur une condition d'opérateur psychologique car il renvoie à un état d'âme: le pessimisme et l'optimisme. « En attendant » est un opérateur temporel, suivi du syntagme nominal « la montée des eaux ». Remarquons que le lecteur n'a pas eu sa part d'explication par ce titre. Il s'attend à une suite explicative, pour que son idée s'éclaircisse.

Dans la Bible, l'eau vacille entre le pessimisme et l'optimisme, entre la vie et la mort, elle symbolise la fin du monde et la rupture de Dieu et l'homme, en même temps, elle renvoie à l'alliance de Dieu avec l'homme et la renaissance.

Ainsi l'eau est à la fois fatale, dangereuse, pleine de souffrances et, en même temps, porteuse de changement et de bonheur : «Il y aura des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles. Et sur la terre il y aura de l'angoisse chez les nations qui ne sauront que faire, au bruit de la mer et des flots, les hommes rendant l'âme de terreur dans l'attente de ce qui surviendra pour la terre ; car les puissances des cieux seront ébranlées ».17(*)

Cet extrait de la Bible donne une image claire des souffrances qui seront causées par la colère de Dieu. Dans l'extrait qui suit : « La patience de Christ s'est pleinement manifestée dans ses souffrances et c'est dans ce domaine que nous sommes aussi exhortés à être patients. Le laboureur attend le précieux fruit de la terre, prenant patience à son égard, jusqu'à ce qu'il ait reçu les pluies de la première et de l'arrière-saison »18(*) , la patience est recommandée en prenant l'exemple du Christ.

Dans En attendant la montée des eaux, le narrateur évoque, d'un coté l'impatience par opposition à l'attente, et d'un autre coté, le feu par opposition à l'eau : voire la vie et la mort. Donc on remarque une antithèse manifestée au fur et à mesure qu'on avance dans la lecture.

Le déluge, l'histoire biblique de l'Arche de Noé est la version la plus connue du mythe où Dieu, furieux, détruit et nettoie le monde par l'eau ou le feu. Dans de nombreuses mythologies, le monde à l'état primaire consiste en un grand et seul océan. Par le déluge, le monde sera renvoyé à sa condition originelle. Le repeuplement nécessite souvent quelques ingénieux moyens surtout lorsque peu d'individus survivent.

La plupart des mythologies décrivent la fin du monde. Elles en prédisent aussi la fin, au cours de laquelle les supports qui tenaient le ciel céderont, à moins que le monde ne soit consumé par le feu ou submergé par le déluge. À cet effet, de nombreuses sociétés accomplissent différents rituels complexes et annuels au profit du  renouveau du monde, comme c'est le cas du sacrifice de la cosmogonie Bambara.

Partant de ces données, la structure du titre En attendant la montée des eaux comporte différents opérateurs : un opérateur spatial qui est la localité de cette eau, un opérateur objectal qui est les eaux, et un opérateur évènementiel qui est la montée des eaux qui causent l'étouffement et la mort, en plus d'un operateur temporel qui est l'attente.

Nous nous demanderons en quoi cette éternelle attente, en dépit de l'aspect des trois personnages solitaires exilés, renvoie le lecteur à une dimension absurde et tragique de l'existence humaine ?

I.1.b. Complémentarité du titre avec le texte

Dans la perspective d'un théâtre cruel, d'une métaphysique de l'attente, une interminable attente sur fond de tragédie, l'opérateur temporel « En attendant » dénote un futur qui n'est pas précis. Ce même opérateur sur le plan connotatif renvoie à l'avenir dans son sens large. Vers la fin du roman, le narrateur n'explique pas la position des trois personnages (Babakar, Fouad et Anaïs), mais il la laisse dans le flou. Une fin ouverte, inachevée qui explique une identité en crise qui se traduit par la métaphore biblique du déluge.

Par ailleurs, il est à déceler également une exploitation extrême des traits prosodiques, de la polysémie et de la symbolique des mots. La séduction d'un titre varie d'un auteur à un autre selon ses objectifs, son talent, les époques et le type de lectorat visé. Cette forme d'attraction peut se faire aussi bien au niveau du contenu qu'à celui de la forme. En ce qui concerne notre auteure, elle a choisi de renforcer cette séduction en jouant avec les mots. Nous remarquons l'ambiguïté produite par la signification connotative du titre cela dit, le titre En attendant la montée des eaux réunit deux signifiés prenant une valeur oxymorique : la vie et la mort, d'où sa polysémie.

Le titre aussi a une valeur métaphorique, c'est-à-dire qu'il résume le contenu du roman d'une façon symbolique. Leo Hoek propose, pour ce genre de titre présumant le sujet, l'appellation titre subjectal19(*). En effet, l'expression En attendant la montée des eaux est polysémique et cela se confirme à la lecture du roman. Babakar se présente dès les premières pages du roman, seul sans parents ni proche ni ami, un homme qui a une vision noire du monde, sans objectif précis. Il a perdu le goût de vivre :

« Pendant son sommeil, il avait vu sa mère, souriante, radieuse, ses yeux de bleuet lumineux et rafraîchis comme si, au milieu du désordre des éléments, elle apportait un rameau d'olivier. Elle venait lui signifier que les pages noires de deuil étaient tournées et que se dessinait enfin la promesse du bonheur », écrit le narrateur, p.12.

Le narrateur peint également la solitude et l'amertume qui caractérisent la vie de Babakar et qui se reflète dans tout ce qui l'entour :

« Les maisons s'expriment à leur manière. Celle-là parlait de solitude et d'exclusion. Dans la cuisine, il se versa un verre de lait qu'il but trop hâtivement, en se salissant le menton. Il ne touchait jamais à l'alcool, non par souci de religion, mais parce que cela lui donnait des aigreurs qui ajoutaient au goût déjà si mauvais de sa vie », p.13.

On peut interpréter aussi le breuvage du lait et les goutes qui salissent le menton de Babakar comme un retour vers l'enfance et la dépendance, exprimant le besoin d'une protection maternelle. Le substitut de ce sentiment est traduit dans l'image d'Anaïs la petite fille sauvée et le narrateur donne une lueur d'espoir à cette vie morne :

« Voilà que son enfant si vainement cherchée lui était rendue. C'était là le miracle que sa mère, rayonnante, était venue lui prédire en songe ! Son âme entonna un Magnificat, digne de Jean-Sébastien Bach. Lui qui n'avait pas prié depuis des années, dont le coeur était comme mort, était tenté de se prosterner pour remercier le Tout-Puissant », écrit-il, p.21.

Le malheur de Babakar est ainsi transformé en bonheur: « Le noeud depuis si longtemps noué serré dans sa poitrine se défaisait et le bonheur l'envahissait. Il embrassa le bébé impulsivement », dit-il, p.22.

Ainsi, le titre En attendant la montée des eaux et le texte du roman sont harmonieusement complémentaires, « l'un annonce, l'autre explique, développe un énoncé programmé jusqu'à reproduire parfois en conclusion son titre, comme mot de la fin, et clé de son texte »20(*). En effet ce titre est présent au début, au cours et même à la fin du récit, il oriente et programme l'acte de lecture. Autrement dit ce titre En attendant la montée des eaux remplit une fonction conative en fonctionnant comme « embrayeur et modulateur de lecture »21(*) .

En attendant la montée des eaux remplit son rôle « d'accroche » et c'est sans doute ce qui lui a valu la vente d'énormes exemplaires et le tour du monde en étant traduit en plusieurs langues.

Outre la formulation originale de En attendant la montée des eaux il y a d'autres facteurs qui ont contribué à son succès et à sa diffusion -entre autres le thème d'actualité, de la vie sociale actuelle des Antillais en France, et des minoritaires dans le monde- cela dit, le choix d'un titre est primordial dans une oeuvre. On a vu comment Maryse Condé annonce à la fois le contenu du récit et le cheminement de l'écriture. Le titre « apparaît donc comme l'un des éléments constitutifs de la grammaire du texte, et aussi de sa didactique : il enseigne à lire le texte»22(*).

Le titre ne doit pas tout dire, ne doit jamais exprimer complètement l'information qu'il est supposé divulguer. Au contraire, le titre doit jouer le rôle de point d'interrogation à l'énoncé littéraire qui lui sert de réplique. Le titre perd alors sa valeur d'incipit puisqu'il est lié à l'allusion qui suit. Le texte n'est que produit du titre et le titre bien plus qu'un énonciateur devient un conducteur de texte, ce que J. Derrida à joliment appelé archonte23(*).

Dans son ouvrage sur l'angoisse et la peur, l'essayiste polonaise Stanislav Drvota mentionne que l'homme qui ressent l'angoisse « n'affronte pas l'objet menaçant, ne peut pas le localiser dans le lieu ni dans le temps, l'éliminer ou l'éviter»24(*). Nous complétons cette définition par la suivante:

L'angoisse signifie « l'inquiétude intense, liée à une situation d'attente, de doute, de solitude et qui fait pressentir des malheurs ou des souffrances graves devant lesquels on se sent impuissant»25(*).

De plus, dans son atlas sur la psychologie, Hellmuth Benesch précise que l'angoisse peut être causée, à part le doute et la solitude, également par la perte de la sécurité, le pressentiment d'un danger, l'incertitude de l'avenir, le désespoir, etc.26(*).

Dans le sous-titre qui suit, on étudiera l'attente entre intimisme et angoisse, qui a caractérisé la préoccupation primordiale de tous les personnages dans En attendant la montée des eaux.

I.2-L'attente entre intimisme et angoisse

Le thème de l'attente est présent dans de nombreuses oeuvres des grands auteurs à travers tous les siècles: l'attente qui tue Le Père Goriot de Balzac à travers son amour pour ses deux filles ingrates, l'attente de l'exécution du condamné à mort de Victor Hugo, ou alors chez Proust où l'attente était majeure dans En attendant Albertine : Il écrit : « Dans l'attente, on souffre dans l'absence de ce qu'on désir et du fait qu'on ne peut supporter une autre présence »27(*). Et encore l'attente et la passivité de Thérèse Desqueyroux de François Mauriac.

Maryse Condé, Dans un cadre optimiste, a déjà intitulé un de ses romans, En attendant le bonheur. Dans En attendant la montée des eaux, le lecteur est d'emblé poussé à découvrir les rénovations et le message voulu par Maryse Condé à travers ce roman parut en 2009. Tout cela revoie à fouiner dans les racines de cette auteure singulière et dans ses pensées rhizomatiques.

I.2.a. L'enracinement de l'angoisse

Suite à l'abolissement de l'esclavagisme, à partir du XVIIe siècle, les Antilles sont des victimes d'un manque dans leur mémoire. Il y a une part tronquée de la mémoire, une sorte de néant dans la diaspora africaine. Cette population déportée a rompu avec la terre et les mythes auxquels elle a été arrachée28(*).

Katell Colin-Thebeaudeau29(*) nomme cette condition de la diaspora le défaut de mémoire. Cet antillais qui est un africain déporté, esclave dans les champs de canne n'existe que comme objet du discours. Il est celui qu'on dit. Que l'on met en mots. Il est sujet énoncé et jamais sujet énonçant. Son Histoire beigne dans le silence de façon paradoxale. L'histoire antillaise est négation et lieu d'occultation d'une mémoire historique. La fonction de l'écrivain de la diaspora, en quête de mythe, devient celle d'inventer, de créer lui-même une mémoire et d'ouvrir à son peuple la possibilité de disposer de symboles par le biais de la poésie et de l'imaginaire conçus par l'auteur.

L'oeuvre romanesque de Maryse Condé s'efforce d'obvier à un défaut de mémoire : notamment dans Ségou les murailles de terre et Ségou la terre en miettes30(*), ainsi que dans En attendant la montée des eaux. Son recours à la fiction a pour vocation de lui permettre d'enjamber les gouffres. L'écrivaine, avec sa création, répond au silence de l'histoire. Pour cette auteure antillaise, l'acte de parole, d'écriture, comble la béance d'histoire31(*), la faillite des mémoires. Dans une telle dynamique, l'acte d'imagination s'apparente à un acte magique au sens où l'entendrait Sartre, la posture de l'écrivain se fait démiurgique32(*).

Comme tout roman, En attendant la montée des eaux est une pratique individuelle. C'est une oeuvre d'art alors que le mythe relève de la tradition orale et de la pensée communautaire.

Dans une perspective heideggérienne, l'attente possède un sens existentiel :

La solitude de Babakar l'engloutit dans l'ennui et l'angoisse « (...) de solitude et d'exclusion », p.14.

Nous attendons toujours quelque chose et nous somme toujours orientés vers un avenir. Même en réfléchissant sur le passé, nous récapitulons dans le temps présent ce que nous nous rappelons. Cela fait appel à notre mémoire afin d'actualiser dans le présent ce qui nous concerne dans l'actualité. Nous nous projetons dans le futur et nous traînons dans celui-ci toute une expérience, un éthos, des images et un imaginaire.

Cilas Kemedjio33(*) dans les enfants de Ségou : Murailles en miettes, identité en dérive34(*)traite le thème de l'attente en errance dans les romans de Maryse Condé. Errance des enfants de Ségou35(*). Cette errance, présente aussi dans En attendant la montée des eaux, a donc la Diaspora africaine.

D'après Kemedjio, il s'agit d'interconnexions entre tous ces personnages errants qui, parcourant divers territoires, les rendent semblables, en même temps qu'ils souffrent d'identiques conflits d'identité c'est bien le cas de Babakar, Fouad et Movar dans En attendant la montée des eaux. Pour cet auteur, Maryse Condé est la romancière des errances. L'essayiste Leah.D.Hewitt36(*) parle du cosmopolitisme profond de l'univers romanesque Condéen qui exprime les contacts de valeurs et cultures, propres aux Antilles.

A partir de l'analyse des derniers rois mages et La colonie de nouveau monde, Hewitt montre l'attitude iconoclaste de Maryse Condé, son action corrosive à l'égard de la différence conflictuelle. Stratégie qui, d'après Héwitt, lui permet d'échapper au politiques d'identité et à un « universalisme périmé », de révéler la complexité qui se cache derrière l'homogénéité, de réfuter toute forme d'essentialisme, qu'elle soit de race ou de sexe. En notant que le roman guadeloupéen se termine toujours dans l'espérance du « devant jour » après une langue attente, et le canadien, s'abîme dans une apocalypse, où n'existe aucun espoir pour une civilisation brutale et violente.

L'attente était trop longue pour les passagers, du bateau qui embarquait Movar et Reinette. C'est ce qui a poussé une dame au suicide:

Au matin du cinquième jour en mer, une femme qui n'avait jamais ouvert la bouche et qui lisait la Sainte Bible du matin au soir s'est levée et a commencé à chanter un air haïtien bien connu : « Fèy, sové la vi mwen. Nan mizè mwen yé o. Fey o, sové la vi mwen ». En même temps qu'elle chantait, elle arrachait ses vêtements les uns après les autres, sa jupe, son corsage, son soutien-gorge, sa culotte et les envoyait voltiger en l'air. Elle est restée nue. On n'a pas eu le temps d'être gênés. Elle a enjambé le bord du bateau et a glissé dans l'eau. Quand on a compris ce qui arrivait, on a cherché une bouée. Mais elle avait déjà disparu dans les profondeurs et l'eau était redevenue lisse.  p.61.

Cependant contre toute attente, le bateau représente un espace protecteur parce qu'il n'est pas définitif. Ce voyage laisse une emprunte indélébile dans le corps et dans l'esprit de l'esclave qui se traduira, dans un premier temps, par une réaction de rejet de l'espace. Les personnages ont du mal à accepter la fin du voyage, la plantation de cannes à sucre, reste longtemps pour eux un lieu provisoire. C'est ce qui est arrivé avec Movar. L'individu romanesque antillais est habité à jamais par ce transbordement, ce passé de la traversée est sien. Le voyage est une partie non-négligeable de l'inconscient culturel créole.

I.2.b. Une touche d'intimisme

Dans Maryse Condé : une approche intimiste, Michèle Praeger37(*) parle de l'attitude de Condé vis-à-vis de la Négritude, la créolité et du féminisme, trois grands thèmes de son contexte culturel ; une fois de plus se révèle l'anti conformisme de Condé. Sa relecture de la Négritude implique le refus des images figées du Nègre comme être inferieur, fait pour des rôles subalternes de la Créolité, la contestation de l'idée d'une essence antillaise et créole, d'un « Moi » antillais. Dans En attendant la montée des eaux, l'intimisme et l'espoir donne un délicieux arrière goût aux événements tragiques.

Selon une vision fataliste des choses, fondée sur l'idée d'origine chaldéenne, une configuration astrale donnée qui se répète de temps en temps est accompagnée d'une série de calamités cosmiques : déluge, sécheresse, incendies, tremblement de terre de grande proportions. L'attente du cataclysme et de la destruction finale ne revêt absolument aucune teinte rose paradisiaque, mais quelque chose de tragique, et en tant que telle, en ses aspects sombres, elle a obsédé profondément les Grecs et encore plus les Romains.

Mircea Eliade, s'appuyant sur une étude de Jean Hubaux38(*), raconte l'histoire de Romulus39(*).

En fait, d'après cette histoire, la perspective de Sain Augustin n'était pas admise ni par un grec ni par un romain : plus qu'une fatalité, ces craintes étaient une réelle obsession qui a un autre rapport avec le temps, l'éternité et l'histoire. Elle témoigne d'une conscience aigüe de la déchéance des choses et du caractère éphémère du monde, mais reflète le désir de s'évader du temps, de se défendre contre l'histoire et de s'élever vers l'éternité.

Voici donc ce qui semble être le sens de l'histoire comme eternel retour : lieu de l'éphémère et aussi de l'eternel. La figure de l'anneau qui relie le début à la fin du temps, à l'image du serpent enroulé sur lui-même, eternel retour,41(*) qui fait que nous croyons en l'une ou en l'autre. L'éphémère ou l'eternel.

En attendant la monté des eaux s'ouvre sur le récit raconté par Movar sur Reinette Ovide et se termine aussi par le récit sur Reinette Ovide raconté par sa soeur Estrella Ovide. Tout s'éclaircit donc. Le récit se tourne sur lui-même comme un serpent, et c'est l'eternel retour.

La chute d'Adam et Eve est dans le même contexte de l'attente. Pour les Grecs et les Archaïques à l'origine de la chute et de l'éloignement était la faute, plus proche d'une action de la fatalité (destin) que fruit de la liberté. Pour les hommes médiévaux, formés dans la tradition Judéo-chrétienne, la faute, par contre, était due à la liberté, « don de Dieu au hommes », plus proche d'une perfection qu'absence de celle-ci, mais qui les entraîna à la chute et à la damnation.

Avec cette idée de liberté limitée par l'action de la providence divine, sans aucune garanti favorable, mais donne à l'homme la liberté de l'action, pour le bien et pour le mal42(*). Ainsi que dans la tradition juive, cette histoire n'est rien de moins que l'histoire du salut, cependant non pas du salut d'un peuple élu (le peuple juif)-c'est nous qui l'ajoutons- mais celui de l'homme, constitué de trois temps forts : la création, l'incarnation et le rachat43(*).

Ainsi, il est possible de comprendre comment la souffrance était endurée par l'homme formé dans l'espoir de la tradition judéo-chrétienne, et quel était son sens. Or, d'après Eliade les événements historiques, suivis de leur cortège de douleurs, épreuves et souffrances, ont été supportés par le peuple juif précisément, « parce que d'une part ils étaient voulu par Iahvé, de l'autre parce qu'ils étaient nécessaires au salut définitif du peuple élu »44(*).

Maryse Condé se positionne sur cette même trame 45(*) pour bâtir son récit. Toutes ces considérations, pensées mythiques et croyances, on les retrouve parsemées dans le roman de l'auteure. Le narrateur d'En attendant la montée des eaux écrit : « C'est connu, la vie commence par une boucherie », p14. Ici, il fait référence au mythe fondateur où le sacrifice est un rituel sacré pour que la vie continue. Le parfaite exemple à donner ici est le sacrifice humain en Afrique qui est encore pratiqué actuellement à Ouganda sur des victimes. Leur sang, leurs organes sexuels et parfois d'autres parties de leur corps sont exigés par certains sorciers qui promettent à leurs clients un enrichissement rapide46(*). C'est bien le cas de Movar dans En attendant la montée des eaux qui à consulté la sorcière Sô Fanfanne et a suivi ses recommandations jusqu'à ce qu'il retrouve la mort sous les mains de son propre oncle.

On souligne ici que Maryse Condé s'est inspiré du nom du terroriste Sô fofana dont l'affaire Sô Fofana a fait un grand tapage en 2009 dans le monde entier, notamment une année avant l'apparition du roman En attendant la montée des eaux. Signalons aussi, dans la page 13 du même roman, où le narrateur dit « C'était une de ces nuits où ne peuvent germer que l'étrange ou l'insolite. Par une nuit semblable, Dieu avait dû créer l'homme avec tous les déboires que cela avait entraîné ». Puis il ajoute : « (...) Dieu rit (...) ». Tous les personnages d'En attendant la montée des eaux sont en attente :

Babakar qui attendait son enfant « si vainement attendu », puis, prisonnier à Toh boh nel, p.146, il attendait qu'on le libère.

De même pour Movar qui attend son départ :

« Il s'est passé presque une année avant que j'arrive à réaliser ce rêve. J'étais au désespoir d'attendre et d'attendre (...) », p.54.

Et Fouad qui attendait Cuca, la prostituée qui a refusé de l'épouser parce qu'il est un arabe. Cette attente se manifeste aussi pendant le voyage de Movar et Rinette dans le bateau, où les passagers étaient pris de panique en attendant le retour sur terre. En fait, l'attente de Movar a commencé depuis son enfance :

« Ma maman est restée à se débattre comme elle pouvait avec ses trois enfants sur les bras et puis, elle a disparu, elle aussi. (...) Nous l'avons attendue, attendue. Elle n'est jamais revenue », p.49.

Ajoutons aussi l'attente des réfugiés dans La Maison de Babakar, où ils attendaient que le déluge passe et les libère.

Donc cette attente se présente comme une fatalité à laquelle nul ne peut y échapper. L'attente de Movar s'est terminée par sa mort, mais Maryse Condé a prolongé cette attente, dans une lueur d'espoir, avec les deux amis Babakar, Fouad et la petite Anaïs (dont le prénom signifie la grâce), bien que le tremblement de terre les menaçait, ils ont gardé une chaleur intérieur qui les a pousser à aller de l'avant en espérant un avenir meilleurs.

I.3- Une contamination par la violence

En parlant de violence, on est directement frappé par le terme post colonialisme. On est appelé donc à définir la littérature post coloniale aux Antilles. Ce courant littéraire et artistique est soupçonné d'être un refuge de l'idéalisation occidentale de différentes civilisations.

La violence, dans En attendant la montée des eaux, contamine tous les chapitres. Les itinéraires psychologiques et culturels des personnages de Maryse Condé, révèlent des déséquilibres. Leurs parcours inachevés dans la narration résultent des thèmes de l'absurdité subite qui n'a aucune explication. Prenons comme exemple la femme qui se jette par-dessus le bord du bateau, et du rejet  d'Anaïs par sa tante Estrella et sa soeur. Ainsi que le cas lamentable de Movar et ses deux soeurs, encore frêles, délaissés par leur père puis par leur mère : « ma maman est restée à se débattre comme elle pouvait avec ses trois enfants sur les bras et puis, elle a disparu, elle aussi ». p49.

En littéraire scrupuleuse, Maryse Condé aborde l'histoire du roman, mais les intrigues ramènent la plupart des personnages à l'échec, dû à leur obsession, à la hantise du passé. Ses personnages se caractérisent par l'obscurité, fuyants et agacés par le rituel du rhum ainsi que des jeux interdits citons ici comme exemple Roro-Meiji le trafiquant de drogue, qui plonge dans l'alcoolisme en prenant pour cause son amour inassouvie pour Estrella. Sa punition injuste se transforme en violence, non pas par méchanceté mais par démence. Son fantasme combatif, à présent, est la conséquence de son traumatisme. 

Sous une perspective optimiste, Babakar, qui est un médecin accoucheur traduit sa douleur d'une manière humaine, en donnant la vie sans avoir un objectif matériel au retour. Avec des mots très signifiants Thécla lui dit:

« Tu exercera un métier, un des plus beaux du monde. Comme d'habitude, tu ne te soucieras pas de gagner de l'argent, mais faire le bien (...) », p.165.

Babakar, bien qu'il soit médecin instruit, et donc un grade social remarquable, souffre aussi de la ségrégation.

Sur ce même propos, Glissant écrit :

«  L'intégration des catégories hiérarchiques d'une perspective coloniale entraine la division du monde en personnes dont certaines clairement en-dessous de la famille par rang, par revenus, par les manières, par le mode de vie et par la connaissance. Cela se réfère aussi à des principes ou à des tabous »47(*).

Ainsi le comportement des noirs entre eux dans En attendant la montée des eaux s'explique clairement.

Babakar dit :

« Je ne possédais aucun sentiment d'identité ethnique », p.98. Il ajoute : « c'est aussi là en France qu'on trouve le racisme (...) le racisme n'est pas une chose neuve, on le trouve partout », p.100.

Puis le narrateur confirme: « lui, n'avait jamais été que l'étranger », p.362.

Ce sentiment de détachement et de rejet habite et s'accroit dans le coeur des Antillais, et les faits souffrir dans un silence tumulte.

I.3.a. L'Histoire noire des Antilles

L'approche historique explique la violence dans la société créole et son émergence dans la littérature antillaise. La plantation de cannes à sucre48(*) fut le théâtre de la violence, celle du foin et des Maitres, mais aussi du poison des esclaves, leurs armes de vengeance : c'était pour échapper à l'oppression. La violence historique plane sur la société antillaise, même contemporaine, avec la brutalité quotidienne des hommes et de la nature : les noyades, les naufrages, les déluges, et les tremblements de terre49(*).

Babakar croyait oublier le passé qui ne cesse de le suivre, même dans ses sommeils, habités par l'apparition de sa mère morte: Thécla. Son métier humaniste, médecin accoucheur se présente comme la manière d'oublier le rêve de l'histoire, de libérer son imagination, et de fuir le chaos, la prison de l'esprit. Son métier serait la Relation chère à Edouard Glissant, pour retrouver l'harmonie avec soi et avec le monde : « débloquer l'imaginaire, elle nous projette hors de cette grotte en prison où nous étions enfermés, qui est la cale ou la caye de la soi-disant unicité. Nous sommes plus grands que toute la grandeur du monde !et de son incompréhensible absurdité où j'imagine pourtant »50(*).

Les blessures morales et les traumatismes des personnages révèlent la thématique de l'époque51(*). Babakar est marqué par une cicatrice sur son visage. Sa maitresse, Carmen la coiffeuse, en lui coupant les cheveux : « tout en manient ses ciseaux, elle l'avait entretenu sur sa cicatrice. (...) c'est un souvenir de guerre (...) les ennemis d'hier sont devenus les frères d'aujourd'hui », pp.72-73.

Dans En attendant la montée des eaux, un des réfugiés pendant le déluge explique cette souffrance comme un fait évident:

 Vous croyez que c'est un hasard si nous souffrons tout ce que nous souffrons ? Dictateurs qui nous tuent ou nous obligent à nous exiler, boat-people qui se noient par milliers. Écoles qui s'effondrent sur nos enfants. Cyclones, trois dans une seule saison. Inondation. (...) C'est parce que le Bon Dieu est fatigué avec nous. Haïti n'arrête pas de pécher. Oui, de pécher. D'abord le vodou. Puis la fornication. Puis la drogue. Puis toutes sortes de violences et de vols. p.316.

Le narrateur interpelle : « Il avait posé la véritable question, une question qui restait sans réponse ; La nation pathétique52(*) selon le qualificatif d'un de ses propres enfants était-elle coupable ? De quoi ? Il est vrai que les victimes sont toujours coupables », p.318.

Par rapport avec d'autres romans de la littérature antillaise, ce texte de Maryse Condé ne présentent pas de grandes différences parce qu'ils sont issus des mêmes contextes : Historique, géographique et culturel. Les thèmes se ressemblent, mais on peut souligner des caractéristiques dans En attendant la montée des eaux : il y a une construction des rapports entre les personnages et les histoires, et delà découlent les imaginations des personnages. Autre particularité que Maryse Condé utilise le ton ironique et distant qu'on peut noter dans En attendant la montée des eaux. La moquerie caractéristique dans les romans de Maryse Condé modère le goût des personnages : le narrateur commente le statut de la femme en écrivant : « bien heureuses celles qui mastiquent le triste pain de la vie sans chercher à analyser à tout prix les ingrédients qui entrent dans sa composition ».

Et encore les paroles de Cyprien qui s'adresse à Babakar: 

« nous ne somme pas ...au Darfour ici ! (...) nous sommes en Guadeloupe. (...) la Guadeloupe c'est comme qui dirait la France. Nous avons des lois. (...) », p.18, où le Cyprien Aristophane, le directeur de l'école communale Pier pont III, prenait l'air de se moquer, lorsque Babakar leur a annoncé qu'il va adopter le bébé Anaïs.

Cet air moqueur se manifeste aussi avec Babakar en parlant à l'employé de l'Etat Civil à qui il explique : « je ne suis pas un étranger. Je suis aussi français que vous. (...) », p.27. Quand à Movar, il évoque le problème du racisme en disant que Yassine : «  (...) me traitait comme si j'étais son domestique, tout ça parce que j'étais plus noir que lui, je le sais », p.55.

La question « raciale » est une problématique importante dans les littératures postcoloniales francophones du fait du regard porté sur les représentants d'une altérité. C'est une question épineuse puisqu'en parlant d'un système racial qui fonde le racisme, elle n'empêche pas d'essayer de le détrôner53(*). Constater que le racisme perdure, perpétuant des divisions et des hiérarchies abstraites issues de siècles d'esclavage et empires coloniaux

Il va sans dire que le projet esclavagiste, puis le projet colonialiste se sont basés sur une hiérarchie sociale et « raciale ». Ces deux hiérarchies ont été mises en place par les Européens pour leur propre bénéfice, mais malheureusement ils n'en ont eu ni l'exclusivité, ni le monopole. Maryse Condé le rappelle dans sa présentation O Brave New World54(*)

Le projet esclavagiste a mis l'homme blanc, l'Européen, en haut de la pyramide sociale en imposant la couleur de peau comme un élément fondateur pour définir « la pureté » d'une race et, à travers une simplification inouïe basée sur un Darwinisme social, a affiché une rhétorique raciste qui maintient l'homme noir au bas de la pyramide puisque « impur ». Dans cette hiérarchie qui justifie l'esclavage, la femme noire se trouve tout en bas.

Dans ce même cadre, l'essayiste René Ménil explique : « le phénomène de l'oppression culturelle inséparable du colonialisme va déterminer dans chaque pays colonisé un refoulement de l'âme nationale propre (histoire, religion et coutumes) pour introduire dans cette collectivité ce que nous appelons, l'âme de l'autre métropolitaine, d'où la dépersonnalisation et l'aliénation. Je me vois étranger, je me vois exotique »55(*).

Pour Babakar, le rapport avec l'histoire de la société antillaise, symbole de l'histoire coloniale est rompu. Il a perdu tous ses origines en Afrique et en Guadeloupe, s'exile volontairement à Haïti avec ses deux amis Fouad et Movar qui ont eux aussi délaissé leurs origines pour en tisser d'autres loin de chez eux, plus solides (selon Maryse Condé les origines n'ont pas d'importance)56(*).

L'anthropologue George Balandier analyse le rapport entre l'homme et l'histoire, en distinguant deux comportements qui traduisent la continuité et la rupture : «  Les sociétés disposent de deux possibilités d'esquiver le défi du temps, de produire l'illusion historique ; soit en éternisant le passé et la continuité (perspective conservatrice) soit en rendant imaginairement présent un avenir par laquelle l'histoire se trouve abolie (perspective eschatologique) »57(*).

Ces deux perspectives opposent les personnages de Maryse Condé. Elle a construit au fil de ses romans des personnages rebelles à l'exagération de l'histoire antillaise (Fouad, Babakar). Mais ces personnages sont en quête d'une identité à construire, ayant trouvé des similitudes dans un destin partagé que nous illustrons suivant le schéma actantiel58(*) du récit :

I.3.b. Schéma actantiel du récit:

DESTINATEUR OBJET DESTINATAIRE

Babakar cherché d'éventuels parents pour Anaïs Sô Fanfane, Estrella, Roro Meiji

Axe du savoir

Axe de vouloir

Axe du pouvoir

ADJUVANT SUJET OPPOSANT

Movar et Fouad : quête identitaire Hassan qui est devenu l'ennemi de Babakar

amis de BAbakar Sô Fantane : la sorcière : n'a pas voulu révéler la mort de Movar

Ephrem, l'oncle de Movar qui l'a tué 

Les catastrophes naturelles: le déluge

Le schéma narratif59(*) ci- dessous va, de son côté, montrer le cheminement et les démarches parcourus par les personnages principales du récit :

Schéma narratif du récit :

Situation initiale

La mort mystérieuse de Reinette

Elément déclencheur

Chercher des origines de la fillette Anaïs.

Péripéties

à Haïti :

la mort de Movar,

le déluge,

la décision des deux amis de quitter Haïti.

Elément de résolution

Le tremblement de terre

Situation finale

Babakar et Fouad décident de rester, ensemble à Haïti avec la petite Anaïs, et de ne jamais se séparer.

A travers ces deux schémas ; actantiel et narratif, on peut déduire que la violence se manifeste d'une manière explicite. Cette violence provient de différentes causes : les guerres civiles, les voles et les assassinats, les catastrophes naturelles... On peut dire que cette violence est une fatalité présentée par l'image du cyclone et ses nombreuses formes à travers le roman.

Le comportement des personnages semble déterminé non seulement par cette forme héréditaire de la fatalité, mais aussi par la force inexplicable du surnaturel. Le mauvais caractère de Hassan, qui apparait comme un cyclone humain ou une autre calamite qui menaçait le monde s'explique par L'hérédité, et le contraire serait insensé. Maryse Condé montre ainsi la vivacité de la magie antillaise et sa force dans l'imaginaire contemporain, mais elle en démontre aussi l'ambigüité. La violence et le mal paraissent résulter de forces au-delà du contrôle des personnages. Le narrateur du roman, qui exprime sa répugnance envers ces superstitions, mais n'arrive pas à les chasser de son esprit, est prise entre deux univers: celui de son éducation moderne, avec ses explications rationnelles, et celui de la magie traditionnelle, qui s'appuie sur les forces inconnaissables d'une causalité obscure et occulte60(*).

II-Deuxième chapitre : Esthétique d'une nature inquiète et salvatrice

Depuis la nuit des temps, l'homme essaye de donner des explications aux divergences naturelles à travers les mythes61(*). En littérature,  le post colonialisme réfère une démarche critique convoquée dans les études les plus significatives réalisées ces dernières années. Ainsi, Maryse Condé s'attarde sur la fonction politique de la violence postcoloniale. Elle lui donne une connotation mythologique marquée par la symbolique comme fondateur d'une logique textuelle. Pour la fiction littéraire, le post colonialisme engage une poétique à travers trois thèmes majeurs : la violence, l'absurdité et les mythes.

En attendant la montée des eaux est une oeuvre imprégnée de l'Afrique, de la Caraïbe et de l'Europe. Elle nous explique le monde sous forme d'un jeu d'échecs à travers le mythe du déluge dont se focalise ce deuxième chapitre.

Les mythes pour Platon ont une fonction sociale primordiale car ils sont comme magiques. Paul Ricoeur conçoit le mythe comme interprétation narrative de l'énigme de l'existence primordial en dehors de l'Histoire. Pour cet auteur, les mythes concernent intimement le lecteur ou l'auditeur, car ils interfèrent directement dans sa condition humaine dans l'univers. Ils racontent comment une réalité a commencé à exister : « ils décrivent les (...) irruptions du sacré ou du  surnaturel dans le Monde, ils constituent le  modèle exemplaire de toutes les activités humaines significatives »62(*). Gilbert Durand souligne qu'il n'y a pas de civilisation sans mythes, car le mythe, comme processus d'alliance, aide à construire: se construire, construire les cités.

Par contre, la définition donnée au mythe par Mircea Eliade illustre mieux notre thème de recherche. Elle sert de référence ou de source d'inspiration aux chercheurs et aux écrivains du monde entier :

La définition qui me semble la moins imparfaite, parce que la plus large, est la suivante : le mythe raconte une histoire sacrée ; il relate un événement quia eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des commencements. Autrement dit, le mythe raconte comment, grâce aux exploits des Êtres Surnaturels, une réalité est venue à l'existence, que ce soit la réalité totale, le Cosmos, ou seulement un fragment : une île, une espèce végétale, un comportement humain, une institution. C'est donc toujours le récit d'une « création »: on rapporte comment quelque chose a été produit, a commencé à être. Le mythe ne parle que de ce qui est arrivé réellement, de ce qui s'est pleinement manifesté63(*).

Mircea Eliade ajoute que le rôle essentiel du mythe est de servir d'éclairer la connaissance sensible du monde : «la fonction maîtresse du mythe est de révéler les modèles exemplaires de tous les rites et de toutes les activités humaines significatives : aussi bien l'alimentation ou le mariage, que le travail, l'éducation, l'art ou la sagesse »64(*).

Donc selon la perspective de Mircea Eliade, la réalité se construit à partir du mythe. Thecla dit à Babakar : « les seules réalités sont celles qui naissent de l'imaginaire», p.84.

En ce sens, la fiction romanesque puise autant dans le mythique que dans le réel. La cosmogonie Bambara ainsi que la religion chrétienne forme le fond de En attendant la montée des eaux.

Les mythes concernés dans notre recherche appartiennent à la cosmogonie, qui expliquent la Création de toute chose animée ou inanimée ou aux mythes fondateurs de l'histoire des hommes, de leurs cités, de leurs inventions et des techniques de production. En somme, ces mythes participent à la définition de l'histoire et constituent une mémoire populaire puisqu'ils révèlent que « le Monde, l'homme et la vie ont une origine et une histoire surnaturelles, et que cette histoire est significative, précieuse et exemplaire65(*)

Concernant le mythe littéraire, Philippe Sellier66(*)explique, après avoir défini le mythe comme un récit fondateur, que lorsqu'on passe du mythe au mythe littéraire certaines caractéristiques disparaissent, à savoir :

- le mythe littéraire ne fonde ni n'instaure rien,

- les textes qui l'illustrent sont en principe signés,

- le mythe littéraire n'est pas tenu pour vrai.

La littérature antillaise, celle-ci fait référence à des mythes de tous horizons d'une manière rhizomatique. Ainsi dans La tragédie du roi Christophe67(*), Aimé Césaire associe le roi Christophe à la figure du dieu yoruba Shango, alors que dans sa pièce Une saison au Congo68(*), il fait de la figure de Lumumba une sorte de Prométhée. Le mythe créole de la jarre d'or inspire Patrick Chamoiseau dans Chronique des sept misères69(*). Pour lui, les mythes constituent une source d'inspiration au premier degré. Il fait aussi référence à l'univers biblique dans Texaco70(*)et dans Biblique des derniers gestes71(*) et a réécrit le mythe de Robinson Crusoé dans L'empreinte à Crusoé72(*).

Quand a Maryse Condé, elle s'inspire du mythe de Frankenstein dans son roman Célanire cou-coupé73(*). Dans En attendant le montée des eaux, le mythe du déluge est notre objet d'étude dans ce deuxième chapitre, est le fondement-même de ce récit.

II.1.De la fonction apocalyptique du déluge

Extrêmement répandus, les  mythes de catastrophes cosmiques racontent comment le monde a été détruit et l'humanité anéantie, à l'exception d'un couple ou de quelques survivants. Les mythes du Déluge sont les plus nombreux, et presque universellement connus (bien qu'extrêmement rares en Afrique). À côté des mythes diluviens, d'autres relatent la destruction de l'humanité par des cataclysmes cosmiques : tremblements de terre, incendies, écroulement de montagnes, épidémies. Évidemment, cette fin du monde n'est pas représentée comme radicale, mais plutôt comme la fin d'une humanité, suivie de l'apparition d'une humanité nouvelle. Mais l'immersion totale de la Terre dans les eaux, ou sa destruction par le feu, suivie de l'émersion d'une Terre vierge, symbolisent la régression au Chaos et la cosmogonie.

II.1.a. Images cosmiques du déluge

La fin du monde, la mort de la Terre et l'anéantissement de l'espèce humaine ne sont pas des fantasmes nouveaux. Cette idée d'une fin malheureuse pour l'ensemble de l'humanité a une origine mythique et religieuse. Certains de ces mythes de fin du monde sont d'ailleurs des symboles lourds de sens (Déluge, Sodome et Gomorrhe, Apocalypse de Jean, etc.).

Dans En attendant la montée des eaux, le narrateur écrit : « (...). Mais la pluie n'arrêtait pas de flageller la Nature avec violence et de faire déborder les ravines les plus secrètes », p.12.

Le déluge s'est déroulé explicitement dans ce roman, bien que les personnages fassent partie du XXe Siècle. Le narrateur écrit :

Au cours du XXe Siècle, expliquait Hugo, un ancien ingénieur de la météo, le niveau des eaux de la mer s'est élevé d'une dizaine de centimètres. Si cela continue, un jour, tout disparaîtra. Cette île sera bientôt sous l'eau comme toutes celles de la région. D'abord, fuyant les fonds inondés, les habitants se réfugieront à la tête des mornes et des montagnes. Mais cela ne suffira pas. La mer les rattrapera et les recouvrira. La Caraïbe ne sera qu'un souvenir. Tout ne sera plus que vagues violettes couronné d'écume blanche. pp.22-23.

Movar décrit la mer à Babakar :

La mer, c'est terrible ! Quel que soit l'endroit où tu te places pour la considérer, elle est pareille. C e n'est pas comme un paysage qui est soit beau soit laid, avec des parties distinctes. Ou un visage avec des yeux qui sourit ou fait des grimaces. C'est partout une couleur identique, des vagues qui moutonnent pareillement, par-ci, par-là, avec des plaques d'un blanc sale de l'écume. p.60.

Puis il ajoute :

Au matin du cinquième jour en mer, une femme qui n'avait jamais ouvert la bouche et qui lisait la Sainte Bible du matin au soir s'est levée et a commencé à chanter un air haïtien bien connu (...). En même temps qu'elle chantait, elle arrachait ses vêtements les uns après les autres, sa jupe, son corsage, son soutien-gorge, sa culote et les envoyait voltiger en l'air. Elle est restée nue. On n'a pas eu le temps d'être gênés. Elle a enjambé le bord du bateau et a glissé dans l'eau. (...). Mais elle avait déjà disparu dans les profondeurs et l'eau était redevenue lisse, pp.60-61.

Ainsi que dans, « Avec cette pluie qui n'en finissait pas de tomber (...) », p.64.

Movar montre l'enracinement de l'esclavage dans ses entrailles. Il n'a pas pu se libérer de ce passé noir gravé à jamais dans la mémoire des Antillais.

Babakar dans l'histoire de notre corpus incarne Noé. C'est lui qui s'est occupé de tout, avant et après le déluge: p .310.

Le narrateur écrit des citations pour essayer d'expliquer les causes de cette fin du monde:« la mort est une frontière que nul ne franchit deux fois », p.171. 

Puis il pose une question sans attendre une réponse: « n'est-ce pas toujours par la faute des hommes que les paradis sont perdus ? », p.191.

Il insiste sur la nécessité de quelque chose de: « (...) miraculeuse qui créerait l'unité du monde », p.212.

Notons aussi les paroles de l'haïtien qui explique à Babakar : « (...) nous somme maudits (....) nous aurions conclu un pacte avec le diable pour nous débarrasser des colons français », p.191.

On va suivre les événements du déluge selon le roman : Fouad, annonce à Babakar :

« Un terrible cyclone s'approche de nous. Il est déjà sur les Gonaïves. Là, c'est le troisième qui leur tombe dessus. On prévoit qu'il descendra directement sur nous », pp.310- 311.

Et c'est Babakar qui s'occupe des préparatifs en incarnant le Noé du déluge : « il prit les mesures de sécurité habituelles », p.310.

Les réfugiés étaient résignés à se soumettre à leur fatalité :

Un cyclone, c'est la main encolérée de Dieu qui s'abat sur un pays. Alors, elle arrache une à une les feuilles des pié bwa, casse leurs branches, déracine les plus solides, couche les plus faibles. Elle ne respecte ni pauvres ni riches. Avec égale fureur, elle aplatit les bateaux de plaisance des bourgeois dans les marinas et les cases rapiécées des malheureux dans les fonds. Elle s'amuse à faire valdinguer les voitures et les scooters qui restent dans les parkings. Quand elle a tout cassé, détruit, alors « Bon Dieu rit, p.319.

Babakar est qualifié par l'image74(*) de Dieu sur terre : « Babakar trouva le temps de donner gratis des consultations aux femmes enceintes » on le surnomme ; papa Loko »

Le narrateur informe le lecteur au sujet de Babak:

 Son séjour dans l'île voisine qui, bon an mal an, recevait son tribu usuel, avait familiarisé Babakar avec les tempêtes tropicales, les ouragans et autres fureurs du temps. Aussi, il ne fut guère ému. Néanmoins, il prit les mesures de sécurité habituelles. Il passa la journée à acheter des feuilles de contreplaqué afin de barricader portes et fenêtres. Il grimpa sur les trois blockhaus qui composaient « La Maison » pour en vérifier l'étanchéité et fit grouper dans le plus spacieux d'entre eux la garderie, un grand nombre de lits de camp et de matelas. Il offrit au personnel auxiliaire- composé en majorité de femmes seules avec une ribambelle d'enfants à se demander où étaient les hommes -ainsi qu'à Giscard qui restait dans une case en bois de trouver refuge à « La Maison », mais il n'avait pas prévu que nombre de mal-logés viendraient lui demander asile et qu'il lui faudrait se procurer de quoi coucher une cohorte d'hommes, de femmes et d'enfants terrifiée , p.319.

Le commencement, le déroulement ainsi que la fin du déluge se passent exactement comme la description dans les livres saints :

Peu avant minuit, une pluie torrentielle se déclencha. Du jamais vu ! Les gouttes, aussi grosses que des balles de ping-pong, écrabouillaient tout ce qu'elles touchaient. Au matin tout cela s'arrêta net. Mais ce fut inutile de triturer les boutons des postes de radio ou de télévision. L'électricité, toujours fantaisiste, s'était envolée. Aussi, il était impossible de savoir ce qui arrivait aux Gonaïves et au reste du pays. Dès neuf heures du matin, une chaleur de fournaise s'installa et le disque dur du soleil apparut menaçant, implacable. Fouad et Babakar sortirent pour aller aux nouvelles et compléter leurs provisions. Les supermarchés étaient gardés comme le Fort Knoxe et remplis d'hommes en armes, prêts à tirer, car manquant d'argent, la foule qui se pressait dans les rayons volait tout ce qui lui tombait sous la main. Carrefour et Jumbo avaient été complètement pillés, p.311.

En plus, tout le monde se résignent à la colère de Dieu : « Tout le monde pense que le Bon Dieu veut en finir avec nous ! », p.313.

Le narrateur peint en détaille cette fin du monde dont l'être humain ne représente qu'une poussière sur la terre. Un réfugié prit par cette panique générale dit :

Vous croyez que c'est un hasard si nous souffrons tout ce que nous souffrons ? Dictateurs qui nous tuent ou nous obligent à nous exiler, boat-people qui se noient par milliers. Écoles qui s'effondrent sur nos enfants. Cyclones, trois dans une seule saison. Inondation... C'est parce que le Bon Dieu est fatigué avec nous. Haïti n'arrête pas de pécher. Oui, de pécher. D'abord le vodou. Puis la fornication. Puis la drogue. Puis toutes sortes de violences et de vols. (... ). Il avait posé la véritable question, une question qui restait sans réponse ; La nation « pathétique » selon le qualificatif d'un de ses propres enfants était-elle coupable ? De quoi ? Il est vrai que les victimes sont toujours coupables. (...). Ainsi débuta la première nuit. Dans le chaos. Bientôt cependant, les bruits s'éteignirent. Précédés par une rumeur, énorme, qui semblait sourdre des entrailles les plus secrètes de la terre, les vents commencèrent leur sabbat. Alors, les gens se serrèrent les uns contre les autres, p.317.

Ainsi la nature montre son désaccord avec l'Homme, et lui montre qu'il n'est rien près d'elle :

Les vents se déchaînèrent le restant de la nuit. Puis une journée et encore une nuit. Puis, un jour entier. Puis encore une bonne partie de la nuit suivante. Enfin, ils s'apaisèrent tout à fait et les trombes d'eau qui ruisselaient s'asséchèrent. Tremblants et assourdis, les hommes et les femmes ouvrirent les portes et se hasardèrent sur la terrasse, ils ne reconnurent plus rien autour d'eux, p.318.

Puis après, tout se calme comme si de rien n'était : « Les jours qui suivent un cyclone préfigurent l'Armageddon, cette fin du monde que nous redoutons tous », p.319.

Et, à la fin du déluge c'est la grâce accordé par Dieu à l'Homme qui se manifeste par : « un arc-en-ciel qui forçait la porte des nuages...», p.325.

Et bien sûr, des séquelles qui témoignent le pouvoir de la force divine : « ce n'était que cases éventrées, feuilles de tôle éparpiées à travers les rues et débris de poutres. A certains endroits, des véritables marigots s'étaient creusés et on avait de l'eau boueuse jusqu'à mi-corps », p.312.

II.1.b. Images saintes du déluge

L'histoire biblique du déluge a beaucoup influencé les travaux des premiers géologues jusqu'à l'avènement des nouvelles théories sur l'âge de la terre et la dérive des continents. Les traces d'organismes marins et de coquillages trouvés en montagne étaient perçues comme autant de résidus du déluge universel... Un déluge ordonné par Dieu qui aurait submergé la terre toute entière, éradiquant toute la faune sauf les couples embarqués par Noé dans son arche. Ce récit propose aussi que les humains actuels seraient tous les descendants des trois fils de Noé : Sem, Cham et Japhet : « En ce jour-là se fendirent toutes les sources de l'immense abîme d'eau et les écluses des cieux s'ouvrirent»75(*).

« L'an 600 de la vie de Noé, au second mois, le dix-septième jour du mois, en ce jour-là, toutes les fontaines du grand abîme se rompirent, et les écluses des cieux s'ouvrirent. Et le déluge fut sur la terre 40 jours, et toutes les montagnes qui étaient sous tous les cieux furent couvertes »76(*).

La Bible affirme explicitement que le déluge77(*) du temps de Noé fut universel et que tous les oiseaux, tous les animaux terrestres et tous les humains furent tués, sauf ceux qui se trouvaient dans l'arche. Le passage de la Bible décrivant le déluge est particulièrement riche en valeurs numériques. Certaines sont relatives aux dimensions de l'arche et aux phases de déroulement du déluge. Au delà de leur sens immédiat, les valeurs numériques peuvent être considérées comme des symboles renfermant un message discret :

Et voici comment tu la feras l'arche: trois cent coudées seront la longueur de l'arche; cinquante coudées sa largeur et trente coudées sa hauteur...Tu la composeras d'une charpente inférieure, d'une seconde et d'une troisième »78(*). Sur le plan de l'espace le rapport entre la longueur et la hauteur de l'arche est de 10 (300 contre 30 coudées), celui entre la longueur et la largeur est de 6 (300 contre 50 coudées). La hauteur est constituée de 3 niveaux de 10 coudées chacun. À la partie supérieure de l'arche on trouve un « hublot » de 1 coudée de côté.

La répartition 1 + 3 + 6 = 10 est celle des attributs divins dans l'arbre de vie (voir chapitre sur l'Arbre de Vie). L'arche est non seulement un lieu de survie physique, mais elle annonce un retour spirituel.

Le déluge commence le 17ème jour du 2ème mois de la première année, soit 217 et Noé sort de l'arche le 27ème jour du 2ème mois de l'année suivante, soit 227. La somme des valeurs numériques des deux nombres est respectivement 10, puis 11, 10 signifiant qu'un cycle est accompli, 11 annonçant un nouveau cycle.

Dans le Coran, Sourate Hud. VERSET « 38 ». Et il construisait l'arche. Et chaque fois que des notables de son peuple passaient près de lui, ils se moquaient de lui. Il dit: « 39 ». Et vous saurez bientôt à qui viendra un châtiment qui l'humiliera, et sur qui s'abattra un châtiment durable! « 40 ».

Puis, lorsque Notre commandement vint et que le four se mit à bouillonner d'eau, Nous dîmes: « Or, ceux qui avaient cru avec lui étaient peu nombreux. (...) « 42 ». Et elle vogua en les emportant au milieu des vagues comme des montagnes. Et Noé appela son fils, qui restait en un lieu écarté (non loin de l'arche): « Mon enfant, monte avec nous et ne reste pas avec les mécréants ». « 43 ». (...) Et les vagues s'interposèrent entre les deux, et le fils fut alors du nombre des noyés ». « 44 ». Et il fut dit: « Terre, absorbe ton eau! Et toi, ciel, cesse de pleuvoir! ». L'eau baissa, l'ordre fut exécuté, et l'arche79(*) s'installa sur le Joudi (...). « 48 ». Il fut dit: « Noé, débarque avec notre sécurité et Nos bénédictions sur toi et sur des communautés issues de ceux qui sont avec toi. Et il y en aura des communautés auxquelles Nous accorderons une jouissance temporaire; puis un châtiment douloureux venant de Nous les toucheras ».

Bien que le Qour'aane fasse allusion au Déluge qui a eu lieu à l'époque de Nouh (alayhis salâm), il ne précise pas pour autant quel a été l'étendue de la surface touchée. C'est pour cette raison qu'il y a toujours eu des divergences entre les savants musulmans à ce sujet. Une partie des savants pensent que le Déluge80(*) a été universel. C'est par ailleurs l'opinion des juifs et des chrétiens. Mais il y a un très grand nombre de savants musulmans qui croient plutôt que le Déluge n'a eu lieu qu'à l'endroit où vivait le peuple de Nouh (alayhis salâm) et non pas sur toute la surface de la terre. Cette seconde opinion apparaît comme étant la plus plausible. J'ajouterai même que le Dr. Kassab, dans son excellent ouvrage "Les mille vérités scientifiques du Qour'aane" affirme également que le Déluge a été régional, et il apporte des arguments probants pour appuyer ses dires.

La construction du bateau81(*) prendra de nombreuses années. On parle de 200 et plus. Entre temps, les gens de l'époque aiguiseront leurs moqueries envers Noé (sur lui la Paix !). Il est vrai qu'il sera le premier homme à construire, sur ordre divin, une pareille embarcation, et son peuple allait découvrir en final le vrai but de sa construction.

Et lorsque Notre commandement vint, et que le four se mit à lancer des jets d'eau, (...) (Coran XI 40) : «  Puis, lorsque Notre commandement vint et que le four se mit à bouillonner d'eau, Nous dîmes : « Charge dans l'arche un couple de chaque espèce ainsi que ta famille » - sauf ceux contre qui le décret est déjà prononcé - et ceux qui croient. Or, ceux qui avaient cru avec lui étaient peu nombreux »82(*).

Le Coran met par ailleurs ces paroles dans la bouche de Noé, s'adressant à ses contemporains : « Montez dedans. Que sa course et son mouillage soient au nom d'Allah » (Coran XI 41)83(*).

Noé et ses compagnons passèrent seulement quarante jours à bord de l'embarcation, au bout desquels il envoya un corbeau pour les nouvelles, selon les commentateurs. Mais ce dernier s'arrêta pour se repaître d'une charogne, et à Noé d'envoyer alors un autre oiseau, une colombe qui revint avec une branche d'olivier en son bec. Et il vit aussi que ses deux pattes étaient pleines de glaise. Il comprit alors que l'eau s'était retirée. Il fit, dans son invocation, que le corbeau soit prit par la peur. C'est pour cela qu'il ne fréquente pas les maisons. Quand à la colombe parée par cette branche verte en son bec, Noé pria pour elle pour la sécurité. C'est pour cela qu'elle fréquente les maisons84(*).

Noé quitta l'arche le dixième jour du mois lunaire : Mouharram, c'est-à-dire à l'Achoura. Il ordonnera à tous de jeûner en ce jour béni, en remerciement d'avoir été sauvé du déluge85(*).

La version toranique sera quelque peu différente. Le septième mois, le dix-septième jour du mois, l'arche s'arrêta sur les montagnes d'Ararat (Gen. 8:4), ce qui signifie que le dix-septième jour de Nisan (le septième mois de l'année), l'arche s'arrêta sur les monts d'Ararat.

La mise en discours du déluge dans le récit biblique et dans des exemples discursifs variés du point de vue historique, littéraire, culturel a permis de formuler l'hypothèse selon laquelle les éléments figuratifs et narratifs du déluge transcendent les catégories génériques pour se reconfigurer autour de certaines postures privilégiées: allégoriques, écologique, éthique, ironique, rationnelle, etc.

II.2.Du déluge au perpétuel recommencement

Le motif du déluge86(*)est intéressant par ses dimensions religieuses et anthropologiques inéluctables. Mais aussi par ses manifestations à portée tragique ou parodique dans les textes religieux, littéraires ou mystiques : sans oublier ses résonances écologiques et médiatiques actuelles. C'est d'un point de vue littéraire et selon une approche sémiotique que ce motif est analysé.

II.2.a. Mythes des origines

Puisqu'il traverse plusieurs discours mythique, religieux, littéraire, juridique, artistique, etc., nous postulons que le motif du déluge fonctionne à la fois comme un model présentant des éléments structuraux permanents et importables en différents types de discours, mais qu'il se comporte également comme une structure ouverte permettant de multiples variations. Au sein des divers ensembles discursifs, le motif du déluge semble donc susceptible d'être transformer ou ré catégorisé par rapport aux valeurs et au fonctionnement qu'il affiche dans le récit biblique souvent plus connu.

Les récits du déluge dans les textes mésopotamiens du troisième et deuxième millénaire avant Jésus Christ ont retenu l'attention du groupe ainsi que notre attention. Ils ont été largement étudiés comme texte parallèle et source éventuelle de récit biblique. D'ailleurs, plusieurs récits mésopotamiens nous sont parvenus, entre autre, par Le Poème d'Atlas-Hasis (cf. biblla, N° 11), qui aurait inspiré L'Epopée de Gilgamesh. En fait, on peut conclure à une multitude de déluges survenus ou imaginés par les peuples anciens pour expliquer les phénomènes naturels.

Si les reprises de Genèse 6-9 dans la Bible elle-même sont peu nombreuses, par contre les manifestations du motif du déluge dans la tradition Chrétienne fonctionnent sous la forme de commentaires, d'homélies ou de catéchèses baptismales. Quand ces textes patristiques retiennent l'attention des exégètes, des théologiens, et des pasteurs, c'est comme interprétation traditionnelle du texte biblique. Nous nous y intéressons plutôt pour cerner comment le motif du déluge y est mis en discours, parmi quelques textes typiques du connu taire (Didyme l'aveugle), de l'homélie (Origène et Jean Chrisostome), et du traité baptimal (Tertullien), (...), (Michel Fugain, Christiane Frenette, Arthur Rimbaud ; plusieurs textes font référence à la destruction du monde et à son renouveau)87(*).

En attendant la montée des eaux, reprend, sur le mode métaphorique, le motif et les figures du déluge pour les intégrer à une histoire inédite ayant pour une toile de fond les catastrophes naturelles mystérieuses. Ce drame provoque chez certains personnages une remise en question radicale de l'existence rangée et frileuse qu'ils mènent. Le récit biblique devient, dans ce cadre, un grand récit assurant un arrière plan culturel et référentiel à leur expérience intérieure.

Dans les grandeurs élémentaires de la narration on trouve couchées toutes les évidences de notre monde et dans les formes du travail littéraire que les enjeux de ces mythes seront pris en charge.

Déjà le titre, En attendant la montée des eaux, du roman de Maryse Condé, indique bien sous quel angle l'auteure entend aborder la mise en récit du déluge : c'est en effet l'histoire sacrée de Noé le juste, personnifié par Babakar Traoré, celui que Dieu a choisi pour construire une arche (la Maison) et accomplir son dessein qui, dans le texte se verra accorder un rôle de premier plan. Babakar constitue une figure centrale de ce texte, tant sur le plan narratif, par les fonctions actantielles qu'il sera amené à assumer tout au long du récit, que sur le plan énonciatif, du fait qu'il forme un véritable pôle dans l'organisation signifiante du discours. Les faits et gestes de Babakar, ses préoccupations, les pensées qui l'habitent et les événements troublantes recouvrent presque entièrement l'espace du texte que l'on pourrait d'ailleurs résumer comme le point de vue se Noé sur le déluge, et peut être plus encore la transformation de Noé pendant le déluge (Babakar : ses paroles, ses réactions émotives, ses pensées. Noé se construit essentiellement par les gestes exécutés en réponse au commandement du Saigneur.

La transformation positive, qui marque Babakar après avoir « retrouver Anais », constitue, à première vue, une construction assez radicale du personnage en regard de ses plus fréquentes manifestations et une charge critique vigoureuse à l'endroit de la quête de renouveau souvent associée au motif déluge: « Babakar était un passionné, un sauvage, d'un naturel peu communicatif (...) il vivait dans l'isolement le plus total. Il ne fréquentait personne et personne ne le fréquentait », p.22.

On voit clairement le changement qui règne après l'apparition miraculeuse d'Anaïs: « le lendemain, le soleil (...) après la pluie, le beau temps », p.25.

L'évidence de ce renouveau est plus que mise en doute à la fin du récit au point où l'on peut se demander si le juste en Noé a bien survécu au déluge.

S'ouvrant sur les premières gouttes de pluie annonciatrices du déluge, Babakar se termine sur la déchéance du personnage éponyme (Babakar qui veut dire le père de la vierge) qui suit la destruction de l'ancien monde (Daniel dans le chapitre 9, a annoncé que Jésus naîtrait avant la destruction du Temple de Jérusalem par les soldats romains).88(*)L'essentiel du récit s'attache toutefois à l'épisode même du déluge, incluant le travail de construction de l'arche (La Maison) évoqué lors des prévisions météo logiques. D'emblée le récit se montre attentif à Noé (Babakar), à ses gestes et réflexions...

La description des détails de la montée des eaux et le retrait. Privilégie les idées et les sentiments89(*) de Babakar sans être abstrait (cadre spatiotemporel) ce qui fait que la représentation du monde est davantage ordonnée à une expérience sensorielle que réflexive. (Réflexion de Babakar par rapport à Dieu.90(*)

Notons, en outre, que le feu est aussi un symbole érotique de la passion qui consomme de l'intérieur la personne qui est en sa proie. P115 le feu : L'incendie de la maison de Movar : « Quelques jours plus tard, la maison de Movar flamba en pleine nuit comme papier à cigarettes. Le malheureux ne put sauver que le caleçon qu'il portait pour dormir », p. 88. Et :

« (...) Mais le pays tout entier qui s'est incendié. Tous les gens qui aimaient le Président, une foule, sont sortis dans les rues. Au champ de Mars, ça tirait de partout. Les corps des blessés et ceux des morts baignaient dans le même sang. On ne s'occupait pas d'eux. On y voyait comme en plein jour à cause des flammes des incendies, rouges comme des boucans », p.53.

Le mythe du déluge est l'une de ces histoires que l'on retrouve dans de nombreuses mythologies. Le schéma conducteur est identique et cette coïncidence est assez troublante. On y parle d'un dieu ou de dieux mécontents des hommes qui détruisent le monde par une inondation.

Cependant, à chaque fois, il y a deux survivants qui permettent à l'humanité de repartir à zéro. En se basant sur sept mythologies sélectionnées, on peut en dégager un sens plausible: la mythologie égyptienne, grecque, nordique, babylonienne, chinoise et amérindienne. Il est également intéressant de comparer ces mythologies propres aux religions polythéistes avec la mythologie biblique qui, bien que fondée sur un Dieu unique, reprend largement le mythe du déluge.

En mythologie grecque, il existe plusieurs versions du mythe de déluge chez les Grecs. La version la plus aboutie du mythe du déluge nous vient du poète Ovide, un Romain qui a vécu au I er siècle avant notre ère.

Selon la mythologie babylonienne, le déluge de Ninive : 11e tablette de l'épopée de Gilgamesh, la Mésopotamie (Irak aujourd'hui) est la source de nombreux mythes qui comptent parmi les plus anciens que l'on connaisse. Le récit est conté à Gilgamesh par le héros Utanapishtim. Les similitudes avec le déluge biblique sont frappantes.

L'Epopée de Gilgamesh connue grâce à un texte assyrien du VIIe siècle av. J.-C, mais elle est à coup sûr beaucoup plus ancienne. Elle semble s'inspirer, dans son récit du déluge, du mythe babylonien d'Atrahasis. Elle reflète en tout cas une vaste tradition mésopotamienne relative à la grande inondation :

ELÉMENTS DU RÉCIT

  

GENÈSE

  

GILGAMESH

Le motif

 

Le Seigneur (YHWH) décide de détruire les humains au moyen du déluge, parce que tous
se sont pervertis (Gn 6.13).

 

Les dieux décident de détruire les humains au moyen du déluge -- selon l'épopée d'Atrahasis, ils ne supportent plus le bruit que font les humains (c.-à-d. leurs doléances, leur révolte?).

L'avertissement

 

Le Seigneur avertit de sa décision Noé, le seul homme qui agisse selon sa volonté. Il lui ordonne de construire une arche (un coffre)
pour sa survie ainsi que celle de sa famille et
des animaux (plusieurs représentants de
chaque espèce; Gn 6.9,11-21).

 

Ea, le dieu des eaux douces (un des créateurs de l'humanité), avertit Outanapishtim de la décision des dieux. Il lui ordonne de construire un bateau pour sa survie et celle de toutes les espèces vivantes. Il lui dit quoi répondre si on l'interroge sur ce qu'il est en train de faire.

La construction de l'arche et l'entrée dans l'arche

 

Noé obéit au Seigneur. Il construit l'arche
selon les mesures que Dieu lui a indiquées.
Avec sa femme, ses fils, ses belles-filles et les animaux, il entre dans l'arche (Gn 6.22-7.9).

 

Outanapishtim obéit à Ea; il construit le bateau selon les mesures qu'on lui a indiquées. Avec sa famille et ses biens, les artisans qui l'ont aidé et les animaux, il monte dans le bateau.

Le déluge

 

Le Seigneur ferme la porte de l'arche. Le
déluge commence et dure quarante jours,
après quoi Dieu fait cesser la pluie. Les eaux recouvrent la terre pendant près d'un an, et l'arche échoue sur les monts d'Ararat
(Gn 7.10-8.5).

 

Outanapishtim ferme la porte du bateau. Le déluge commence et dure sept jours. Il est si terrible que les dieux eux-mêmes prennent peur et vont se réfugier au plus haut des cieux. La grande déesse Ishtar, prise de pitié, regrette sa décision. Les eaux recouvrent la terre pendant un peu plus d'un mois. Le bateau échoue sur le mont Nitsir.

Les oiseaux

 

Noé envoie un corbeau, puis une colombe, pour voir si les eaux ont baissé (8.6-14).

 

Outanapishtim envoie une colombe, une hirondelle et un corbeau, pour voir si les eaux ont baissé.

La sortie de l'arche

 

Noé, sa famille et les animaux sortent de l'arche sur l'ordre du Seigneur (Gn 8.15-19).

 

Outanapishtim voit l'état de la terre. Il ouvre les portes du bateau et tous sortent, sauf lui. Il est découragé, parce qu'il a vu les cadavres dispersés sur toute la terre retourner à la poussière. Malgré tout, il finit par sortir.

Le sacrifice et ses effets

 

Noé érige un autel et offre des sacrifices au Seigneur. Les sacrifices plaisent au Seigneur, qui promet de ne plus jamais maudire la terre
à cause des humains, et de ne plus jamais détruire tous les êtres vivants (Gn 8.20-22).

 

Outanapishtim offre un sacrifice d'action de grâces aux divinités, qui accourent et s'agglutinent comme des mouches autour du sacrifice. Ishtar invite tous les dieux à prendre part au sacrifice, sauf Enlil qui a provoqué une destruction dépassant tout ce que les autres dieux avaient imaginé. Enlil est en colère parce que des humains ont survécu. Après avoir parlé avec Ea, il se calme.

La bénédiction divine

 

Le Seigneur bénit Noé et les siens. Il leur
ordonne de remplir la terre et leur donne pouvoir sur les animaux. Ils pourront utiliser tous les animaux et tous les végétaux pour se nourrir, mais il leur est interdit de manger la viande avec le sang. Dieu demandera des comptes pour la vie de tout être humain (Gn 9.1-7).

 

Enlil bénit Outanapishtim et lui permet de devenir immortel et semblable aux dieux.

La promesse divine

 

Le Seigneur conclut une alliance avec Noé
et ses descendants (c.-à-d. avec toute l'humanité): il ne détruira plus jamais les humains et
 les animaux par un déluge (Gn 9.8-17).

 

Ishtar annonce qu'elle n'oubliera jamais ce qui s'est passé.

L'épopée de Gilgamesh date de plus de 4 000 ans avant notre ère. Utanapishtim, citoyen de la cité babylonienne de Shuruppak, reçoit un message secret du dieu Ea l'avertissant que les dieux sont sur le point de noyer la terre sous un déluge.91(*).

Dans un grand nombre de mythes, le Déluge est rattaché à une faute rituelle qui a provoqué la colère de l'Être suprême : parfois il résulte simplement du désir d'un Être divin de mettre fin à l'humanité. Mais, si l'on examine les mythes qui annoncent l'imminence du Déluge, on retrouve, parmi les causes principales, non seulement les péchés des hommes, mais aussi la décrépitude du monde. On peut dire alors que le Déluge a ouvert la voie à la fois à une recréation du monde et à une régénération de l'humanité.

II.2.b. L'actualité en mythe

Les  mythes de catastrophes cosmiques racontent comment le monde a été détruit et l'humanité anéantie, à l'exception d'un couple ou de quelques survivants. Les mythes du Déluge sont les plus nombreux, et presque universellement connus. À côté des mythes diluviens, d'autres relatent la destruction de l'humanité par des cataclysmes cosmiques : tremblements de terre, incendies, écroulement de montagnes, épidémies. Évidemment, cette fin du monde n'est pas représentée comme radicale, mais plutôt comme la fin d'une humanité, suivie de l'apparition d'une humanité nouvelle.

Mais l'immersion totale de la Terre dans les eaux, ou sa destruction par le feu, suivie de l'émersion d'une Terre vierge, symbolisent la régression au Chaos et la cosmogonie. Dans un grand nombre de mythes, le déluge est rattaché à une faute rituelle qui a provoqué la colère de l'Être suprême : parfois il résulte simplement du désir d'un Être divin de mettre fin à l'humanité. Mais, si l'on examine les mythes qui annoncent l'imminence du Déluge, on retrouve, parmi les causes principales, non seulement les péchés des hommes, mais aussi la décrépitude du monde. On peut dire alors que le Déluge a ouvert la voie à la fois à une recréation du monde et à une régénération de l'humanité.

A partir d'une réécriture du mythe, nous pourrons déceler quelques repères qui vont nous aider à traiter le mythe du déluge dans un cotexte actuel:

Dans En attendant la montée des eaux, Hugo Morino annonce le déluge dés ses premiers signes : pp.22-23 ( pages déjà citées). Puis :

« Avec cette pluie qui n'en finissait pas de tomber (...) », p.64.

Par ailleurs, le mythe dit : «  Égarés par la toute-puissance, les hommes ont transgressé et même inversé toutes les lois, qui permettent de vivre dans la cohérence et la paix ». Et dans le roman le narrateur ajoute : « n'est-ce pas toujours par la faute des hommes que les paradis sont perdus ? ». Et pour compléter, Thecla dit un soir à Babakar : « le pouvoir : le fond du problème c'est la recherche du pouvoir », p.114. On voit que Dieu est fâché contre le peuple, et c'est pour cela qu'il les châtie.

Aussi ce ne sont pas simplement les hommes qui en ont subi les conséquences mais l'univers terrestre  tout entier s'est trouvé ébranlé, au point que les limites entre la mer et la terre se sont effacées. Sous l'effet de pluies incessantes, l'eau a fini par recouvrir tout l'espace habité jusqu'au sommet des montagnes. Ainsi ce qui était source de vie est devenu source de mort. Au lieu de féconder la terre et assurer la subsistance des animaux et des hommes, l'eau a tout englouti dans la mort.

Il n'est pas difficile de faire le lien du déluge avec le roman de Maryse Condé. Ce n'est plus l'eau qui est en cause, mais c'est l'argent et le pouvoir, expression des richesses permettant de vivre et de survivre, qui contribue à nous enfoncer dans le désastre. L'argent et le pouvoir sont sortis du jeu symbolique. Au lieu de promouvoir une économie de l'homme et du sujet, il est devenu un « diviseur ». A force de spéculations financières et des courses pour le pouvoir, les gains faciles des uns entraînent la misère des autres et les personnages du roman de notre corpus ne savent pas comment sortir de ce monde en folie. Or, voici ce que dit le mythe grec: « Un petit reste, à la marge, qui permet de sortir du système » Il n'est plus possible de permettre au système, conduisant à sa perte, de se transformer par lui-même. Il faut interroger la marge qui s'est mise à distance. Le mythe nous parle d'un « petit bateau dans lequel s'étaient réfugiés Deucalion, fils de Prométhée et Pyrrha sa femme... Prométhée (l'homme prévoyant et critique) les avait prévenus à temps et leur avait donné une solide embarcation (capable de résister au système destructeur). Lorsque Zeus (figure de la raison) vit que les seuls rescapés étaient Deucalion et Pyrrha, tous deux honnêtes justes et pieux, il dispersa les nuages, montrant les cieux à la terre et la terre au ciel. » Il suffit d'un petit reste, qui a conservé le lien entre la terre et le ciel, sans perdre la raison, pour envisager une recréation de l'homme. Deucalion, fils de Prométhée, l'évoque sans détour : « Deucalion soupira doucement : « Chère Pyrrha, dit-il, nous sommes les seuls survivants ; qu'allons-nous faire ? Si seulement, je pouvais comme mon père, créer l'homme avec l'argile ! » « Le temps nécessaire du recueillement pour retrouver l'écoute intérieure » Il semble que la parole créatrice, élan de vie traversant l'univers, parle à l'intérieur de l'homme. Encore faut-il l'écouter pour savoir ce qu'il faut faire.

Babakar prépare La Maison et la nourriture pour ses amis et les pauvres et sans abris avant le déluge : « Un terrible cyclone s'approche de nous. Il st déjà sur les Gonaïves. Là, c'est le troisième qui leur tombe dessus. On prévoit qu'il descendra directement sur nous », pp. 310-311.

Babakar est un habitué pour ce genre de préparatifs :

Son séjour dans l'île voisine qui, bon an mal an, recevait son tribu usuel, avait familiarisé Babakar avec les tempêtes tropicales, les ouragans et autres fureurs du temps. Aussi, il ne fut guère ému. Néanmoins, il prit les mesures de sécurité habituelles. Il passa la journée à acheter des feuilles de contreplaqué afin de barricader portes et fenêtres. Il grimpa sur les trois blockhaus qui composaient « La Maison » pour en vérifier l'étanchéité et fit grouper dans le plus spacieux d'entre eux la garderie, un grand nombre de lits de camp et de matelas. Il offrit au personnel auxiliaire- composé en majorité de femmes seules avec une ribambelle d'enfants à se demander où étaient les hommes -ainsi qu'à Giscard qui restait dans une case en bois de trouver refuge à « La Maison », mais il n'avait pas prévu que nombre de mal-logés viendraient lui demander asile et qu'il lui faudrait se procurer de quoi coucher une cohorte d'hommes, de femmes et d'enfants terrifiée, p.310.

Puis après, c'est le commencement du déluge:

 Peu avant minuit, une pluie torrentielle se déclencha. Du jamais vu ! Les gouttes, aussi grosses que des balles de ping-pong, écrabouillaient tout ce qu'elles touchaient. Au matin tout cela s'arrêta net. Mais ce fut inutile de triturer les boutons des postes de radio ou de télévision. L'électricité, toujours fantaisiste, s'était envolée. Aussi, il était impossible de savoir ce qui arrivait aux Gonaïves et au reste du pays. Dès neuf heures du matin, une chaleur de fournaise s'installa et le disque dur du soleil apparut menaçant, implacable. Fouad et Babakar sortirent pour aller aux nouvelles et compléter leurs provisions. Les supermarchés étaient gardés comme le Fort Knoxe et remplis d'hommes en armes, prêts à tirer, car manquant d'argent, la foule qui se pressait dans les rayons volait tout ce qui lui tombait sous la main. Carrefour et Jumbo avaient été complètement pillés, p.311.

Un des réfugiés dit pendant le déluge :

 Un cyclone, c'est la main encolérée de Dieu qui s'abat sur un pays. Alors, elle arrache une à une les feuilles des pié bwa, casse leurs branches, déracine les plus solides, couche les plus faibles. Elle ne respecte ni pauvres ni riches. Avec égale fureur, elle aplatit les bateaux de plaisance des bourgeois dans les marinas et les cases rapiécées des malheureux dans les fonds. Elle s'amuse à faire valdinguer les voitures et les scooters qui restent dans les parkings. Quand elle a tout cassé, détruit, alors « Bon Dieu rit, p.319.

C'est bien clair que les réfugiés sont au courant de la colère de Dieu contre eux. Donc c'est une fatalité qu'ils doivent subir.

Babakar a joué le rôle de Noé : « Babakar trouva le temps de donner gratis des consultations aux femmes enceintes, on le surnomme papa Loko », p.325

Et après le déluge c'est le beau temps :

Un arc-en-ciel qui forçait la porte des nuages.... ». « Vous croyez que c'est un hasard si nous souffrons tout ce que nous souffrons ? Dictateurs qui nous tuent ou nous obligent à nous exiler, boat-people qui se noient par milliers. Écoles qui s'effondrent sur nos enfants. Cyclones, trois dans une seule saison. Inondation. C'est parce que le Bon Dieu est fatigué avec nous. Haïti n'arrête pas de pécher. Oui, de pécher. D'abord le vodou. Puis la fornication. Puis la drogue. Puis toutes sortes de violences et de viols » p334.

Le narrateur se pose une question qui reste sans réponse :

« Il avait posé la véritable question, une question qui restait sans réponse ; La nation « pathétique » selon le qualificatif d'un de ses propres enfants était-elle coupable ? De quoi ? Il est vrai que les victimes sont toujours coupables »,  p.318.

Tout se déroule, dans le roman, exactement comme le récit mythique du déluge :

Ainsi débuta la première nuit. Dans le chaos. Bientôt cependant, les bruits s'éteignirent. Précédés par une rumeur, énorme, qui semblait sourdre des entrailles les plus secrètes de la terre, les vents commencèrent leur sabbat. Alors, les gens se serrèrent les uns contre les autres. « Le vent se déchaîna le restant de la nuit. Puis une journée et encore une nuit. Puis, un jour entier. Puis encore une bonne partie de la nuit suivante. Enfin, ils s'apaisèrent tout à fait et les trombes d'eau qui ruisselaient s'asséchèrent. Tremblants et assourdis, les hommes et les femmes ouvrirent les portes et se hasardèrent sur la terrasse, ils ne reconnurent plus rien autour d'eux, p.318.

Dehors : « ce n'était que cases éventrées, feuilles de tôle éparpillées à travers les rues et débris de poutres. A certains endroits, des véritables marigots s'étaient creusés et on avait de l'eau boueuse jusqu'à mi-corps », p.312. Ensuite : « Tout le monde pense que le Bon Dieu veut en finir avec nous ! », p.313.

Et : « Les jours qui suivent un cyclone préfigurent l'Armageddon, cette fin du monde que nous redoutons tous », p.319.

Le myhe dit : «Les yeux, pleins de larmes, Deucalion et Pyrrha se mirent à prier sur les marches pleines de mousse du temple de Zeus. Ils l'implorèrent de les aider à rendre la vie à la terre ». 

Sans oublier que la plupart des malheurs de l'homme tiennent à la perte de son écoute intérieure. C'est ce qu'ont bien compris les spécialistes de la psychanalyse. C'est ce qu'avait déjà compris, bien avant eux, Shéhérazade, dans les Mille et Une Nuits. Patiemment, au cours de Mille et une Nuits, elle a travaillé à rétablir, chez le roi, son mari, le lien perdu à la parole créatrice, porteuse de vie. En réalité, l'homme n'est pas un individu isolé. Même si, comme le dit le mythe, tous les autres êtres humains, à part Pyrrha,  sont morts, il n'en reste pas moins que chacun fait partie d'une humanité plurielle à reconstruire. Or cette humanité où convergeraient les paroles créatrices, en interaction les unes avec les autres, représente le temple vivant qui s'oppose au temple de pierre. Il devient urgent de passer de l'un à l'autre. C'est bien ce que propose Zeus aux deux rescapés du déluge : « Quittez ce temple, voilez vos têtes... » Pour avoir invoqué un tel passage, certains ont été accusés de blasphème  et ont payé de leur vie un projet apparemment destructeur. Mais les trois amis ; Monvar, Babakar et Fouad n'ont pas construit les temples de l'argent et du pouvoir, où du matin jusqu'au soir les plus habiles s'efforcent de multiplier leurs richesses en prenant le pain des pauvres. S'il ne faut plus s'enfermer dans des temples de pierre, pour passer de la prière à une recréation, comme le prétend Zeus lui-même, combien est-il plus urgent de quitter les temples de l'argent pour construire de nouveaux temples, où chaque pierre serait un être humain, libre et créateur de véritables richesses. « Jeter la mort derrière soi pour en faire surgir la vie ». Thécla dit à Babakar : « tu exercera ton métier, un des plus beaux du monde. Comme d'habitude, tu ne te soucieras pas de gagner de l'argent, mais faire le bien (...) », p.165.

Puis, le narrateur se pose une question sans s'attendre à une réponse : « Pourquoi toutes ces souffrances ? À qui profitent-elles », p.115.

En attendant la montée des eaux, est un texte submergé de catastrophes ; guerres civiles, cyclone, incendie tremblement de terre. Nul ne peut se sauver excepté celui qui s'abrite dans « l'Arche de l'Esprit », comme le fait Noé dans le mythe judaïque, et Deucalion, fils de Prométhée, dans le mythe grec. L'un et l'autre créent une nouvelle descendance, Purifiée de vice (une nouvelle époque culturelle), comme l'indique, dans le mythe judaïque, le symbole de l'Alliance, accordée à l'Esprit-Dieu, et concrétisée par le signe de l'arc-en-ciel : « un arc-en-ciel qui forçait la porte des nuages.... », p.325.

Il serait tentant de penser qu'un savoir universel réside dans la mémoire humaine ; savoir qui nous viendrait d'un lointain héritage. Cette théorie nous ramène à une première humanité qui aurait disparu pour laisser un maigre héritage aux rares survivants. Les esprits plus rationnels penchent tout simplement pour une communication orale d'un mythe du fait que l'homme, de tout temps, a toujours voyagé. Avant l'invention de l'écriture, l'homme communiquait. Il y a-t-il eu emprunt de ces mythes qui sont venus se greffer sur les croyances locales ?

Schéma du récit mythique du déluge

8- LA NOUVELLE FECONDITE

DE LA VIEILLE TERRE

Ses ossements jetés en arrière (les pierres) Les pierres transformées en femmes et en hommes. Une autre catastrophe naturelle : un tremblement de terre.

1- LA CORRUPTION DES

HOMMES

Viols, crimes, impiétés, mensonges. Crime contre l'hospitalité

Babakar et Hassan . La sorcière Sô Fanfane qui soutire de l'argent des clients

 

7-BIENVEILLANCE DE ZEUS

Inquiétude

Deucalion et Pyrrha. Leur prière exaucée. Le conseil de Zeus

La prière de Babakar et des réfugiés

Est exaucée

2-LYCAON PROVOQUE ZEUS,

EN SACRIFIANT, POUR LUI

UN ETRE HUMAIN

Un otage mis à mort, Cuit et servi à Zeus

Movar tué par son propre oncle

9-UNE NOUVELLE RACE

D'HOMMES

Actifs

Résistants au travail et A la souffrance. Une nouvelle race dure. Comme la pierre

Babakar et Fouad avec Anaïs décident de rester à Haïti avec un espoir de trouver le bonheur.

6-DEUCALION ET PYRRHA

EPARGNEE PAR ZEUS

La solide embarcation. De Prométhée

Les deux rescapés,. Honnêtes et pieux

Le déluge arrêté

Babakar réunit des gens dans La maison pour les sauver du déluge

3-COLERE DE ZEUS

Le palais de Lycaon foudroyé. Lycaon transformé en Loup sanguinaire

les incendies et les tremblements. de terre en plus des guerres intestines

 

5-LA MORT DES HOMMES

CORROMPUS ET DE TOUS LES ETRES VIVANTS

Crimes et mort des gens dans les rues tués

4-TOUTE LA TERRE SOUSL'EAU OU LE DELUGE

La pluie

Le débordement des Rivières et des fleuves

II.3. De l'intertextualité

La diversité du champ lexicale véhicule la polyphonie du roman. Julia Kristeva retient l'idée que : « tout texte se construit comme mosaïque de citations, tout texte est absorption et transformation d'un autre texte. À la place de la notion d'intersubjectivité s'installe celle d'intertextualité (...) »92(*).

Dans l'espace textuel du roman, il n y a que du langage qui abolit l'histoire et neutralise la diachronie. Au sein de cet univers de texte, il s'agit d'être sensible aux interférences qui constituent la littérature comme un champ de force.

La Bible et les textes littéraires profanes se distinguent l'un de l'autre. La Bible, oeuvre sacrée, la manière dont ses écrits sont intégrés dans le roman est différente de la relation que la cosmogonie kongo entretient avec la littérature du fait qu'elle appartienne à la tradition orale. Cependant étant une forme textuelle fixe, la relation de la Bible avec toute autre oeuvre écrite sera donc de l'ordre de l'intertextualité93(*).

II.3.a. La sanctification

La Bible véhicule un message sacré. Elle est considérée comme un texte ancien de la tradition de l'écriture. La relation que la littérature entretient avec elle s'appuie sur sa force poétique et sa forme narratologique fragmentaire. C'est ce que l'on voit dans le roman de Maryse Condé où son influence se réalise à plusieurs niveaux : dans la structure globale de l'oeuvre, dans sa paratextualité94(*) et enfin à travers l'évocation d'un chapitre essentiel pour l'écrivain congolais, L'Apocalypse de Jean dont certains passages sont repris sous forme de citation dans le récit romanesque.

Dans le cadre d'intertextualité avec la Bible, le narrateur sollicite les évangiles dans leur forme et leur fond en intégrant des récits authentiques de la Bible dans le discours romanesque. Le roman évoque les personnages saints, les prend en exemple ou cite des passages entiers de l'ancien ou du nouveau testament. Le chapitre de l'Apocalypse est récurrent dans la fiction, il est lu par un personnage ou il est intégré au discours romanesque qui reprend certains extraits. Une fois inscrites dans l'univers fictif les écritures saintes ne sont pas désacralisées mais elles sont orientées vers un but qui n'est plus religieux.

La pensée religieuse prend des allures de propagande partisane au profit de l'engagement politique des Ba-Kongo sur leur territoire. La présence des symboles sacrés du christianisme sera étudiée dans sa fonction politique. Cette correspondance entre le sacré, la violence et le politique constitue l'axe majeur de notre étude dans cette partie. Nous étudierons l'exégèse des églises kongo dans le roman à travers le mythe de Kimpa Vita (la vierge noire) incarné par les personnages martyrs féminins. Ensuite, nous nous intéresserons à l'influence de la figure du Christ dans la mise en scène du crime prédit comme création des mythes politiques et enfin il s'agira de relever l'intertextualité du texte En attendant la montée des eaux et de la bible.

On se penche sur la sanctification par le récit romanesque En attendant la montée des eaux à travers La figure de Kimpa Vita. Ainsi une focalisation sur le rapport du pouvoir et du sacré dans ce roman sera nécessaire. Il sera question de la violence politique comme origine du sacré dans les religions syncrétistes kongo inspirées des évangiles. Plusieurs études ont déjà démontré l'affiliation de l'autorité politique et du milieu religieux dans le champ littéraire.95(*)

La sorcellerie et les croyances traditionnelles sont réinvesties dans l'écriture qui les subvertit et les tourne en dérision pour dénoncer des pouvoirs corrompus. Les symboles traditionnels deviennent complices de la criminalité politique, ils contribuent à asseoir une autorité étatique amorale et sans fondement légitime.96(*).

Dans ce cas de figure, afin de contester un pouvoir liberticide, l'écriture tourne le sacré en dérision, elle le subvertit et le réduit au statut commun du profane grâce à un récit qui excelle dans l'ironie et dans l'humour97(*).

On retrouve cette technique de désacralisation chez Maryse Condé, notamment dans En attendant la montée des eaux qui procède d'une subversion de la sorcellerie et d'un pastiche de la fonction du chef de l'Etat. Le récit réinvestit le sacré. La pensée religieuse demeure un moyen de lutte contre le pouvoir. Le roman convoque un champ fictif du domaine de la résistance politique et de la révolte non pas pour subvertir mais pour procéder à sa sacralisation par un acte de signification qui symbolise l'action des héros.

L'écriture contribue à mythifier le long combat de ses personnages en créant une symétrie entre la fiction et la glose antillaise des religions messianiques. En attendant la montée des eaux inscrit dans le contemporain de ses personnages un passé et une mémoire dont la fonction symbolique est de sacraliser l'engagement du personnage principal, Babakar. Le combat des femmes qui y est narré s'avère un prolongement de la légende d'un personnage mythique, Kimpa Vita.

II.3.b. Le symbolisme

Le récit s'approprie le symbolisme et l'idéologie politique des croyances nées de cette figure sacrée et sanctifiée. A travers une narration qui procède par analogie, le combat de Babakar apparaît comme une reproduction symétrique de la symbolique de la lutte de Kimpa Vita. Kimpa Vita99(*).

Le narrateur évoque le récit sur la sorcière Sô Fanfanne, ses gestes et ses paroles : « sô Fanfanne et son assistante, Juana, chargée d'allumer les bougies lors des séances, de servir le thé dans la salle d'attente, et éventuellement de masser les clients qui le désiraient, (...). Aussi, dès l'entrée, un écriteau rappelait son martyre aux visiteurs mais indiquait aussi : Stéphanie Lebrun dte Sô Fanfanne, voyante-médium, de renommée internationale, (...) », p.233.

Le narrateur rapporte le discours magique et sorcier de Sô Fanfane. Initiée au symbolisme africain, Movar et Babakar entendent et comprennent le déferlement des éléments qui accompagnent le mouvement des femmes. Nous avons évoqué l'importance de la Nature et de la parole ancestrale que retrouve dans le passage suivant qui décrit l'action de Sô Fanfane et son assistante. Elles exercent une sorte d'hypnotisation.

Puis dans une description particulière des sensations de Babakar lorsqu'il fut massé par Juana :

 Au fur et à mesure que les paumes de Juana le pétrissaient, il éprouvait l'impression de quitter son enveloppe charnelle. On aurait dit que les sentiments, heureux ou malheureux qu'il avait expérimentés, s'envolaient et qu'il devenait léger, léger, prêt à danser comme un grain de poussière dans un rayon de soleil, fétu parmi les fétus, particule parmi les particules. La tête à tête dura environ une heure. Après quoi, il sort en vacillant, en proie à cette agréable sensation d'avoir dénoué les amarres qui le reliaient à la terre, p.235.

Le récit installe le mouvement des femmes dans l'espace symbolique Bambara, ce faisant, il renforce, par l'évocation des rites, son sens sacré. Par l'intrusion des femmes dans un lieu de culte et l'exécution des rites appropriés, le récit sacralise le mouvement, il confère à Sô Fanfanne une dimension spirituelle qui l'élève. On note aussi la mort de toutes les femmes que Babakar a aimé, c'est clair que c'est une forme de sacrifice signifiante. Ces femmes symbolisent les tentatives répétées par le peuple pour retrouver un monde meilleur.

Puis encore l'hémiplégie dont Hugo Morino en souffrait. Il était paralysé de la moitié du corps. C'est l'image même de la société antillaise.

La sacralisation100(*) de l'engagement politique s'inscrit dans la logique du militantisme africain. Dans cette mesure, et à l'instar de Kimpa Vita, l'assassinat de Reinette Ovide est nécessaire pour qu'elle atteigne la dimension de la sainteté. Sa mort programmée est prédite avec tout le mystère préconisé dans une révélation onirique faite à Movar : « j'ai fais un rêve, je sais que je vais mourir en accouchant », p.65 dit Reinette un soir avant de mourir.

Après sa séance avec Sô Fanfanne qui l'embrassa (Le baisé qui symbolise des souffrances à venir) : « Movar apparut enfin, escorté de Sô Fanfanne, volubile, qui les embrassa tous les trois comme de vieux amis. Apparemment ce baiser ne réconforta pas Movar dont le visage juvénile, à l'habitude rêveur et souriant, resta fermé », p.236.

Dans l'univers fictif Condéen, le meurtre est courant, mais la révélation de la mort de Reinette prend un sens différent de celui des autres assassinats. C'est un crime voulu par les dieux, sans doute pour sacrer le combat de Reinette. La mort à plusieurs fonctions. Celle qui nous intéresse dans cette étude est l'interprétation religieuse des églises syncrétistes. La figure du Vierge Marie noire annoncée par la prophétie de Kimpa Vita inspire le religieux et l'homme politique africain créant un lien entre le militantisme politique antillais et l'exégète des catéchistes inspiré du mythe christique : Le mythe de la faute originelle101(*).

En attendant la montée des eaux se présente dans une fiction qui s'organise autour d'une croyance universelle qu'on retrouve dans la mythologie gréco-afro-antillaise, comme dans tant d'autres, à savoir le péché originel qui annonce la fin d'un Monde et le début d'un autre. On qualifiera cette croyance comme faisant partie des mythes de l'apocalypse et du retour au chaos originel.

Les espaces naturels102(*) accueillent les esprits des ancêtres, les villages des morts et préservent bêtes, pierres et autres matières ou physique ou verbales qui habitent le monde depuis les premiers âges de la Création : « bienheureuse terre où les vivants et les morts restaient ensemble et continuaient d'aller main dans la main » p190. L'ensemble de ce Monde naît de la séparation de la Terre et du Ciel, initialement cousus. Ainsi, pour l'homme antillais le cataclysme final103(*) est la chute du ciel sur la terre104(*). Le récit révèle différents aspects des mythes qui s'avèrent être les dénominateurs communs de l'ensemble des religions primitives. La prolifération des dieux, des esprits et des coutumes obéit à plusieurs logiques structurantes définies par Mircea Eliade.

Nous nous appuyons sur les théories de la mythologie pour faire une lecture des mythes qui structurent le récit. Il s'agit précisément des croyances en un péché originel qui provoque la colère des dieux, qui à leur tour, précipitent la fin du monde. Liée à la parole poétique et incantatoire, il est à la fois « joute oratoire » et cérémonie d'initiation ouverte uniquement au cercle des initiés de la tradition de la parole. Tout part du scandale, au nom de la coutume, l'homme se trompe et provoque la colère des dieux : « N'est-ce pas toujours par la faute des hommes que les paradis sont perdus ? », p.191.

Des interrogations, posées par les réfugiés du déluge, restent sans réponse : « Il avait posé la véritable question, une question qui restait sans réponse ; La nation (...) était-elle coupable ? De quoi ? Il est vrai que les victimes sont toujours coupables », p.318. Cela explique clairement les raisons du racisme qui, bien après son abolition, existe encore, et sans aucune explication.

Le péché est une faute qui appartient au domaine du sacré et de la religion, il ne peut être jugé par le seul tribunal des hommes. Ce sont d'ailleurs, les morts et les divinités qui sont concernés. Ils manifestent ainsi leur colère et annoncent la fin du monde : « Derrière chacune d'entre elles s'élevaient des amas de pierres, des tombes reconnaissables aux croix grossières qui les surmontaient. Babakar se rappela Movar : « Haïti est un pays où la mort n'existe pas. Bienheureuse terre où les vivants et les morts restaient ensemble et continuaient d'aller main dans la main », p.319.

Le cataclysme promis est pourtant différent de l'Apocalypse chrétienne. Le roman réfère plutôt à un mythe : la croyance en un perpétuel retour ou la fin d'un monde et le recommencement. Mircea Eliade parle de mythe du «millénarisme » ou de mythe « nativiste »105(*). Même s'il se vêt de formes variées selon les croyances et les cultures, son principe reste la croyance en une fin et en un recommencement. Le cataclysme provoque la mort d'une humanité et la naissance d'une autre.

Les cataclysmes sont toujours annoncés dans les romans par « un câlin»106(*) . «  Le noeud depuis si longtemps noué serré dans sa poitrine se défaisait et le bonheur l'envahissait. Il embrassa107(*) le bébé impulsivement », p.22.

Au premier chapitre du roman, Movar est venu voir Babakar vers vingt trois heure trente : l'heure de l'accouchement de Reinette. Une superstition antillaise dit « si l'enfant nait entre vingt trois heure et minuit sera malheureux toute sa vie. A minuit sera en proie aux forces maléfiques »108(*). Babakar, Movar et Fouad, originaires de différents lieux évoqués dans En attendant la montée des eaux, se sentent comme des voyageurs perdus en terre inconnue, étrangers. Pour Babaar et Movar, les africains, déportés aux Amériques n'ont décidé ni de leur départ, ni de leur destination. En raison de la violence qu'elle a générée, cette déportation est vécue par les personnages romanesques comme une punition d'une faute obscure, « une faute originelle ». Le cas de Fouad s'explique de la même logique parce qu'il est un arabe palestinien dont la terre est prise de force par les juifs. Ainsi l'inconscient collectif des personnages romanesques antillais (on peut citer la Palestine aussi) est habité d'un sentiment de culpabilité d'autant plus tenace est destructible que la faute qui la motive n'est pas identifiable.

III. Troisième chapitre : Mosaïque d'une écriture féminine métissée

Les traces laissées par le colonialisme touchent au domaine linguistique, aux systèmes scolaire et administratif ainsi qu'à l'ensemble de la culture du pays donné. Bien sûr, la littérature n'échappe pas à l'emprise impérialiste. Par conséquent, c'est en réaction contre la domination hégémonique de l'Occident que le post colonialisme a vu le jour. Ce courant a pris naissance d'abord dans le monde anglo-saxon avant de s'étendre à la francophonie et, singulièrement, à la Guadeloupe où il a un caractère particulier. Dans le domaine littéraire, le post colonialisme met de l'avant une écriture fortement ancrée dans la culture de l'auteur.

C'est ce qui fait dire à Jean-Marc Moura que: « l'auteur postcolonial a, de façon presque obligée, une conception forte de la littérature dans l'histoire » et qu'il est doté d'une «conscience culturelle»109(*). Par conséquent, dans un contexte postcolonial, l'acte d'écrire ne relève pas uniquement d'une préoccupation personnelle. Il a lieu dans et pour une collectivité. L'écrivain s'éloigne du modèle (néo-)colonial afin de prôner une conception de la littérature qui doit refléter une diversité littéraire. Pour ce faire, il va s'appuyer sur un des principes du post colonialisme, à savoir que l'oeuvre enracine son récit dans un «espace d'énonciation»110(*).

La littérature antillaise a été traversée par plusieurs courants : la négritude, l'antillanité et la créolité. La créolité met en scène le vécu du peuple guadeloupéen longtemps absent de l'Histoire officielle. Si on veut brosser un portrait plus complet de la société guadeloupéenne, on ne saurait le faire sans se pencher sur la femme poto mitan. Femme poto mitan111(*), mérite qu'on s'attarde à la question de la femme. Il importe de voir comment la figure féminine prend sa place au sein de cet espace postcolonial malgré la triple servitude - sexe, race et classe- à laquelle elle confrontée. Le domaine spatial devient un élément devant mener à son affranchissement.

III.1-Une féminité oppressée

Si la violence vient pour la plupart des personnages masculins dans les romans de Maryse Condé, les personnages féminins doivent lutter contre la tentation de la complicité ou, plus importante encore, de la démission. Elles y parviennent avec un succès inégal et au prix d'efforts pénibles.

1. De la condition de la femme

La trame d'En attendant la montée des eaux est faite de deux genres de femmes : la lutte douloureuse des femmes pour acquérir le droit légitime d'exister et d'être traité comme un être humain : instruites : Thécla, ou bien pas instruites et obéissent aveuglement aux ordres de l'homme : Azelia, ainsi que le cas de la femme antillaise libre actuelle : Jahira.

Maryse Condé, à propos des écritures féminines, ne soutiendra pas le contraire dans son essai. Elle explique dans Le roman antillais :

 À travers leurs oeuvres si différentes soient-elles, se retrouvent les mêmes thèmes : émasculation du mâle antillais, difficulté d'édifier l'avenir avec lui, virulence des préjugés de couleur, misère et deuil. Peu d'entre elle se révoltent. Elles constatent, elles déplorent. Ce sont des écrits marqués d'une sorte de fatalisme, et même de résignation (...). Toujours est-il que la littérature féminine des Antilles a un étrange parfum d'amertume112(*).

La fiction désamorce la radicalité des faits de l'amertume et les formes narratives choisies écartent la rigueur d'une oppression qui construirait l'intime caractéristique de l'identité féminine.

Les stratégies narratives séparent les oppressions de toute évocation pathétique, de toute dramatisation de la souffrance, de toute exagération de la misère qui terrorise les femmes.

D'une part, l'auteure cherche à dépeindre les chemins déroutants qu'empruntent les hommes, d'autre part l'ambition comme quête d'identité, n'existe que par rapport au jeu d'influence entre les personnages, la défaite des femmes telle que Reinette par opposition à sa soeur Estrella qui en quête de célébrité et de richesse profite de l'amour de Roro Meiji en se servant de son don d'artiste, ou encore Thécla la belle instruite par opposition à Azelia l'« ânesse ».

Une manière d'aborder la thématique de l'oppression113(*) dans En attendant la montée des eaux, la possession sexuelle de la femme. Maryse Condé ainsi que les auteurs antillais ne l'ont pas occultée dans les textes. Ces derniers dévoilent ce qu'Edouard Glissant, Aimé Césaire et Patrick Chamoiseau avaient masqué dans leurs oeuvres, le pouvoir sexuel des hommes était comme censuré et tabou.

Pour enlever ce masque, Maryse Condé a trempé sa plume au coeur des conflits, les femmes en sont les vaincues, les victimes. L'essentiel ne réside pas seulement dans l'abondant : « (...) mon papa a disparu sans même prendre la peine de nous dire au revoir. (...) ma maman est restée à se débattre comme elle pouvait avec ses trois enfants sur les bras (...)», p.49.

Mais encore dans l'affliction, le sentiment d'être trahie. Le viol est révélateur parce qu'il exprime la force des hommes, reflète la puissance masculine, et suggère la violence des mâles dans une société antillaise et parallèlement romanesque. Pour comprendre cette métaphore animale, on peut rappeler les origines paternelles incertaines : « un de ses fils bâtards », p.104.

Dans En attendant la montée des eaux, Maryse Condé renforce d'une image bestiaire, le désordre social, l'instabilité conjugale, l'absence des pères et l'abondant des femmes : les orgies, (p.98), qu'organisait Hassan, l'évocation constante des bordels outre les chiens qui apparaissent plusieurs fois dans les pages : 55, 133, 116 et 301. Le chien qui symbolise la violence et la servitude à la fois, ainsi que les pulsions charnelles : « la véritable raison est que j'avais trop peur des chiens (...) les chiens les plus féroces : dogues allemands, dobermans, bas-rouges, pit-bulls (...) les chiens se mettaient à galoper en aboyant et en bavant, leur gueule rouge plantée de crocs blanc tranchants comme ceux des caïmans, grande ouverte », p.55.Et : « (...) parcouru par des habitants et des grands chiens, également faméliques », p.301. En plus de l'image docile du chien : « les enfants jouaient avec les chiens joyeux et dociles comme des animaux en peluche », p. 133.

Cette possession sexuelle a ses origines, elle remonte à la période de l'esclavage, aux temps de l'objet sexuel et du bétail humain qui caractérisaient la femme esclave. Vouée à satisfaire les fantasmes érotiques des Maîtres, la femme était plus qu'une esclave, une servante, elle était une propriété sexuelle : « le chiptel humane society » population animale. La femme fut contrainte à ce rôle, à la procréation forcée et plus tard, malgré l'abolition de l'esclavage, la coutume continuera, les esclaves libérés se substitueront aux Maîtres et les femmes se plieront à leur cupidité. Dans cette oppression sexuelle, le complexe d'Oedipe, le destin tragique de ce personnage mythique, qui tuera son père sans le savoir, et épousera sa mère, tel était la prédiction de l'Oracle114(*). Il faut détruire le mystère érotique, renverser les rôles, violer les règles, et c'est pour protéger le sujet post-esclavagiste antillais, dans son nouveau rôle, car il a détrôné son maître : il s'est accaparé de son rôle, celui de l'inconstance (l'adultère et l'inceste) : Babakar était amoureux de sa mère :

Le petit Babakar était amoureux de sa mère comme tous les fils uniques. Il se désolait de ne plus la téter et de la dépasser inexorablement de plusieurs bons centimètres », p.77. Et : «  Un soir j'avais trop mal parce qu'elle ne restait pas avec moi, j'ai marché jusqu'à la chambre qu'elle occupait au premier étage. Arrivé là, j'entendis parler. Je reconnus la voix forte de mon père et appuyais fébrilement mon oreille contre le bois de la porte. « Mon amour, je t'adore ! » rugissait-il. En réponse, elle riait comme jamais je ne l'avais entendue, un rire de gorge, plein de sensualité. Le coeur en miettes, je redescendis l'escalier, sentant que j'étais de trop. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à détester et à jalouser mon père. Je le prenais pour un rival, indigne. pp. 91-92.

Le narrateur nous peint la scène de viol de la fille de la lingère par le ladre Louis-Elie Tresmond pendant la période esclavagiste : « le soir où il s'introduisait dans sa chamre avec la ferme intention de la violer », p.40. Puis dans le dernier chapitre, il nous surprend par la description du ventre de Myriam qui « commença à se faire voir (...) lourd de fruit qu'il portait (...) », p.307. Et quand Babakar a souligné le pêché de la chair, Fouad l'a banalisé en avançant sa demande au mariage.

A vrai dire, les corps féminins rencontrent leur double dans les romans : les hommes, des bourreaux, sacrifient les femmes sous l'autel de la pulsion. Le narrateur dit :

 Le malheur de la femme, c'est qu'elle doit avancer des preuves de sa maternité. Pendant neuf mois, elle doit exhiber son ventre, visible à tous. La supériorité de l'homme est qu'il est maître de sa semence et la plante là où il veut. Bien malin celui qui pourrait affirmer qu'il n'avait pas connu Reinette. Ne serait-ce que l'espace d'une nuit. Bien audacieux celui qui contredirait sa parole de médecin et affirmerait que l'enfant était née à terme ou non. p.20.

L'auteure nous offre une riche comparaison entre Azelia, la première femme de Babakar, qui était inexpérimentée dans la sexualité par opposition à Jahira, la soeur de son ami Movar, qui s'était offerte à lui :

Il aurait été impossible de comparer Azélia et Jahira, car aucune créature n'était plus dissemblable l'une de l'autre. Azélia était timide, craintives, Babakar le comprenait à présent à cause de la vulnérabilité de sa condition de femme. Toute sa vie, elle avait été écrasée et marginalisée par des hommes, son père, ses frères, empêchée dans ses choix et dans ses décisions. Aussi, elle ne pouvait avoir confiance en elle. Il en était autrement de Jahira. Elle était gaie et prenait avec le sourire les absences et les silences de Babakar. Malgré son jeune âge, elle irradiait la force, la foi en soi avec ce don de lire constamment des signes dans la nature qui comme chez Movar enchantait et exaspérait Babakar à la fois (...). p. 325.

D'un autre coté, Cuca en refusant la demande de mariage de Fouad, ainsi le fait du concubinage de Reinette avec Movar bien qu'elle était enceinte d'un autre homme. On remarque que le niveau culturel n'à rien à voir avec cette servitude de la femme. On donne l'exemple aussi de Maboula qui était avocate mais a tout quitté pour être l'amante d'Hassan.

L'ironie dans leurs propos caractérise la métaphore dégradante de la femme antillaise : voir la polygamie : « la polygamie est aussi vielle que l'Afrique », p.119, ainsi que les orgies organisées par Hassan : « il éprouvait un besoin constant du corps des filles, les couchant par deux ou trois à la fois dans son lit », p.98.

Autre caractéristique de cette identité trouble des femmes. L'oppression sexuelle s'ouvre sur une domination plus grande : la bêtise des hommes, et l'emprise totale des mâles sur les femelles. C'est le prétexte des auteurs pour replonger dans la société antillaise, mais aussi leur motif pour dépeindre les rapports humains, pervertis par le machinisme, ternis par le mythe, peu fondé, de la puissance mâle qui résulte, d'une part, de la force physique des hommes et, d'autre part, de la sensibilité morale des femmes. Ce mythe-là correspond bien aux contextes géographiques sociaux et culturels des Antilles, parce que la fenêtre des îles engendre des conflits de toutes sortes, les hommes sont les maîtres des relations conjugales, là où, la soumission des femmes est un héritage culturel, un devoir traditionnel. Mais dans le contexte des romans, ce mythe est restreint, et condamnerait, avec fermeté, les hommes de toute allusion qui aboutirait à une revanche.

La démarche de Maryse Condé est claire. Démontrer dans En attendant la montée des eaux, les traces de la société créole, les défauts dans les comportements psychologiques, sans soulever l'opposition des sexes. Cette démarche est alors défigurée des femmes victimes des romans, de conjoindre le pathétique, le troublant et l'émouvant. Le texte aborde sans complaisances toutes ces violences physiques et morales.

La force du roman réside dans la lucidité du narrateur, dans les évocations de l'esclavagisme tel le cas de Wangara pp37-43, mais surtout cette puissance réside dans les évocations d'un monde inégal dans ses valeurs, injuste dans la part belle faite aux hommes.

Maryse Condé a symbolisé cet univers injuste pour lutter contre la fatalité, à condition que le roman détruise les préjugés et que l'oeuvre établisse une distance par rapport aux « stéréotypes » sur la soumission féminine.

III.1.b. Théories féministes

Hernandèz affirme que :

« La littérature qui s'est développée aux Antilles depuis la colonisation jaillit d'une source située au centre d'une société patriarcale. L'écriture des femmes, leur voix et leur parole, restent marginalisées et, par conséquent, interprétées par un système patriarcal»115(*).

Cette auteure poursuit en disant que :

  « Ce n'est qu'à partir des années70 que l'on reconnaît enfin les contributions des femmes dans ce domaine. C'est peut-être à cause de l'évolution d'une société traditionnelle et agricole vers l'industrialisation. Les personnages masculins se voient forcés à céder leur place de protagonistes aux femmes »116(*).

Par conséquent, le post colonialisme a longtemps été la chasse gardée de l'homme, à l'image de la littérature, comme le confirme Sara Mills117(*).

Effectivement, ces dernières amènent à s'interroger sur « les rapports sociaux de sexe» qui se basent sur une «identité sexuée, fondée sur des différences : réelles ou perçues, entre les sexes, constitutives des rapports sociaux et inscrite dans des rapports de pouvoir»118(*).

Le colonialisme exerce sa domination en ayant recours à des métaphores sexuelles.119(*) Ces allégories qui comparent le corps soumis de la femme au territoire à conquérir sont énoncées dans le but d'un assujettissement, et montrent la vision que le colonialisme a de la femme120(*).

Dans un cadre postcolonial, les femmes sont sensibles à toutes les représentations de domination car elles ont souvent été victimes d'oppression, tout comme l'ensemble des colonisés dépossédés de leur identité par un processus de domptage. Par conséquent, les théories féministes luttent en faveur de l'émancipation féminine en mettant en valeur ce qui est passé sous silence. De fait, elles réfutent l'institution dominée par le patriarcat121(*).

En ce qui concerne la littérature antillaise, celle-ci évoque la sexualité féminine souvent bafouée en contestant la question du genre qui cloisonne la femme dans le rôle de pilier de la famille. Le féminisme antillais s'attaque aux archétypes du personnage féminin qui vit sa sexualité uniquement dans le but de procréer. D'ailleurs, la figure féminine n'est valorisée que par le biais de la maternité. C'est la raison pour laquelle, «à travers toute l'oralité antillaise se trouve magnifiée la Mère, porteuse de dons, dispensatrice de bien »122(*) La femme élève souvent seule une ribambelle d'enfants souvent de pères différents. Son unique source de bonheur vient de sa progéniture. Or, il y a des femmes qui refusent d'enfanter, voire qui ne désirent pas entretenir de relation sentimentale avec un homme c'est le cas de Cuca et d'Estrella dans En attendant la montée des eaux. Il faut dire que l'image que reflète la littérature de la figure masculine n'est pas des plus reluisantes123(*).

Ceci pourrait concourir à expliquer la présence de femmes qui refusent l'image de la mère tant valorisée aux Antilles : on admettra que ce refus de la maternité n'est pas le fruit du hasard. Avec ensemble, les femmes écrivains venues d'horizons si divers s'insurgent donc contre les images véhiculées par l'oralité et qui imprègnent si puissamment toute la société.

Depuis des générations, les femmes aux Antilles assument une multiplicité de rôles, assurent l'entretien et l'éducation de leur nichée au détriment de leurs joies personnelles. Même dans les cas où il s'agit de couples de type occidental, légitimement unis et monogamiques, l'enfant demeure l'affaire de la mère, le père se consacrant à des activités toutes extérieures124(*). Ces prises de position correspondent au renversement de l'ordre établi. De façon générale, et cela s'applique à notre corpus, « les figures maternelles ne manquent pas de complexité et illustrent toute une gamme d'attitudes. Certaines pourraient mériter le qualificatif de dénaturées »125(*).

Aussi, l'image monolithique d'un type de femme s'effondre, comme l'affirme Selon Hemandèz :  

La nouvelle image de la femme lutte contre cette ancienne représentation dominante, limitative et paternaliste (...). On assiste à une nouvelle attitude face aux rôles féminins imposés par la société, surtout face à la maternité (...). Ce que 1 'on aperçoit à travers la nouvelle littérature antillaise c'est un désir de créer un personnage féminin plus authentique. Il faut éviter que la femme soit "écrasée sous les clichés126(*).

C'est pour cela que les écrivains antillais contemporains proclament la diversité comme étant le seul synonyme de la nouvelle condition féminine. En même temps que le récit antillais s'occupe des stéréotypes féminins, les écrivains y insèrent des éléments nouveaux qui pourront aider à la transformation des attitudes au sujet de la condition féminine aux Antilles127(*). Pour que l'évolution de la condition féminine en Guadeloupe puisse avoir lieu, il faut que l'homme puisse également changer d'attitude vis-à-vis de la femme, mais cela s'avère difficile vu que la relation homme-femme semble conditionnée par le passé.

En effet, tout comme la femme, l'homme antillais est conditionné par une lourde histoire. A l'époque de l'esclavage, l'homme blanc voyant en lui un rival potentiel s'est acharné à le détruire. Il lui a interdit la femme blanche, mais aussi il lui a enlevé sa compagne naturelle dont il a fait bien souvent un jouet, un objet sexuel. Frustré, dépossédé, l'Antillais s'est réfugié dans des attitudes d'irresponsabilité qui ont survécu à l'évolution politique des Iles. Les reproches dont on l'accable, doivent toujours être situés dans une perspective plus large et éclairés du rappel de la condition socioéconomique des Antilles. Les romancières n'ont pas manqué à travers leurs écrits de se faire l'écho d'une vision assez pessimiste des mâles de leur pays128(*).

Les bommes semblent peu enclins au changement. Du coup, les pères occupent souvent un rôle de figuration. Le poids du passé et la main de l'ancien colon sont encore palpables (les Antillais présentent cela à travers les carnavals annuels). C'est une explication qui est couramment avancée afin d'expliquer l'attitude irresponsable de l'homme antillais. Néanmoins, l'étude de Thomas remet en question les images conventionnelles de la « strong woman » et du « weak man » qui dominent dans la littérature antillaise, ce qui nous conduira à voir la façon dont se manifeste la subversion129(*). C'est un pied de nez à l'héritage colonial! De plus, « les rapports familiaux de type occidental (mariage monogamique, famille nucléaire ...) n'existent qu'au sein de la petite bourgeoisie urbaine et le monde rural possède ses règles et pratiques. Étant donné ce caractère irrégulier des relations mari/amant/ épouse/compagne, les conflits de type freudien entre les pères et les filles n'apparaissent guère»130(*).

En conséquence, la tradition issue de l'esclavage est remise en question et, avec elle, les places de la femme et de l'homme. Dans un contexte postcolonial, «la littérature féminine a un contenu social (...). Elle se situe au coeur des préoccupations de l'ensemble de la société».131(*)

Par ailleurs, il faut garder à l'esprit la spécificité du féminisme dans les espaces postcoloniaux, comme le stipule Kadiatu Kanneth quand elle parle de «Black and ''Third World" feminism »132(*). Dans le cas de la Guadeloupe, nous parlerons de féminisme antillais. Tout comme la littérature coloniale était une arme utilisée afin de légitimer l'impérialisme, les théories féministes dans un enviror1ement postcolonial permettent de critiquer 1'héritage datant du colonialisme. Le féminisme apparaît comme un des outils auxquels la littérature a recours pour contester l'ordre établi133(*).

L'écriture féminine postcoloniale n'a émergé que récemment, pour des raisons évidentes. Dans les Antilles dites françaises, elle se développe vers les années 50. En effet, la majorité de la population n'a pas accès à l'éducation, encore moins les femmes. De fait, la femme a accumulé des décennies de retard par rapport à l'homme. Aussi, les écrivaines de Guadeloupe n'ont investi l'écriture que depuis peu de temps. Ainsi Maryse Condé qui, dans ses écrits, relie la Caraïbe et l'Afrique, terre originelle des ancêtres esclaves, symbole d'un passé nié par le colonialisme.

De nombreux romans caribéens des années 80 confirment que les antillaises continuent, de nos jours, à subir le joug colonial. De plus, parmi leurs compatriotes, elles sont en proie à des formes particulièrement pénibles de la servitude féminine. Aussi « (...). Leurs romans (...) tentent de bien saisir la quête identitaire de leurs héroïnes à la fois en tant que femmes individuelles et en tant que membres d'un peuple antillais. Les auteurs de ces textes essaient de tracer la prise de conscience de certaines femmes tout autant que de donner la preuve de la force courageuse des Antillaises en général (Rüme)134(*) ».

De plus, depuis longtemps, l'étude de la littérature antillaise reconnaît la quête d'identité comme faisant partie de la problématique d'aliénation qui concerne les auteurs de cette région. Pour les femmes, cette quête se présente double, en tant qu'Antillaises et en tant que femmes : « (...) La femme antillaise écrivain est doublement marronne: son évasion est le marronnage littéraire de tout Antillais qui écrit, augmenté du marronnage féminin, celui de toute femme qui entre en littérature dans un tel contexte, en osant braver les 28 interdits liés à sa condition de femme, en combattant les préjugés et les idées reçues dans sa communauté »135(*). (Hemandèz).

De façon générale, l'écriture féminine, quel que soit le pays antillais où elle est pratiquée, présente des préoccupations particulières136(*). L'auteure poursuit en affirmant que cette écriture parle des préoccupations féminines immédiates en mettant l'accent sur le fait d'être femme dans cette région du monde137(*).

C'est pour cela que la figure féminine est souvent métaphorisée, prostituée ou violée à l'image de la terre conquise. Ces images militantes sont en soit méprisantes autant que l'exaltation exclusive de la figure maternelle. Les écrivains n'échappent donc pas à un a priori conservateur et patriarcal, même quand leurs textes sont par ailleurs des textes de résistance (Bardolph)138(*).

De fait, l'émancipation de la femme passe par la solidarité féminine puisque chaque écrit non seulement place les femmes au centre du texte (dans En attendant la montée des eaux, le nombre des femmes est plus élevé que celui des hommes), mais encore présente des solutions de rechange aux rôles qui leur sont réservés selon le modèle patriarcal. Ces solutions de rechange comportent toutes une préoccupation pour les autres femmes, qu'il s'agisse d'amitié concrète ou idéale, de solidarité ou de mise en dialogue avec l'autre.

Maryse Condé décrit la condition féminine antillaise en insistant sur la Littéralité : compréhension des femmes vis-à-vis des problèmes masculins: Femmes toujours prêtes à couvrir la faute du male, a pardonner les outrages, accepter coups et insultes. Femmes prenant l'homme comme un grand enfant, répondant à tous ses caprices, acceptant tous ses abus. (Ecrire p293). C'est le cas de Fouad qui a engrossé Myriam et n'a pensé au mariage qu'après l'avoir engrossé. « Le malheur de la femme, c'est qu'elle doit avancer des preuves de sa maternité. Pendant neuf mois, elle doit exhiber son ventre, visible à tous. La supériorité de l'homme est qu'il est maître de sa semence et la plante là où il veut », p.20. Peut-on dire que la femme est victime d'être femme ?

III.2. Une écriture hybride

L'écriture de Maryse Condé est unique : « La langue dans laquelle j'écris n'est pas le français, n'est pas le créole. C'est une langue qui est la mienne. J'écris en Maryse Condé »139(*). La création de Maryse Condé est rénovatrice et juteuse. Sans aucun doute, la réputation de Maryse Condé n'est pas à prouver car sa lumière est répondue sur tout l'univers. Comme le dit Francis Ponge, il s'agit de « parler contre les paroles ». Réinventer la langue, c'est réinventer le monde. Et Maryse Condé a pris comme mission d'expliquer et de réinventer le monde.

III.2.a. la création d'un amalgame

Sur la littérature antillaise, Jack Corzani140(*) et Antoine Régis écrivent : le premier auteur prouve dans La littérature des Antilles et de la Guyane141(*) l'indépendance de la littérature antillaise, tributaire de la Négritude, le second écrivain, par contre, approuve les filiations entre la littérature antillaise et la littérature française dans son ouvrage La littérature franco-antillaise. Ces deux théories situent la littérature antillaise au centre des traditions littéraires africaine et française : « Couvre donc un noeud de relations et d'interactions : elle suppose qu'attention soit portée aux mises en parallèle des textes, aux transits d'écriture, aux réécritures parodiques, mais encore à l'expression des antagonismes ou des coïncidences idéologiques»142(*).

Le terme Créole 143(*) signifie tout, à la fois culture, langue, mode de vie, moeurs, difficultés quotidiennes et problèmes d'existence typiquement créoles144(*). En page 61, Movar dit en désignant Reinette : « elle parlait français ! Je ne m'étais pas trompé. Elle n'état pas une enfant de la misère comme moi. Mais comme nous tous, c'était une enfant de la violence ».

Trois événements historico-littéraires expliquent ce renouveau de l'identité créole dans les romans antillais, qui sont des espaces dramatiques, des lieux d'antagonisme entre l'individu et la société, l'homme et sa culture, l'écrivain et son peuple « aliéné » par les violences du passé.

1. La décadence des identités originelles, résultat du voyage transatlantique, avait créé le déséquilibre affectif, les esclaves vécurent dans la plantation, déshérités de leur euphorie primitive. L'engagement des écrivains antillais prolonge les tâtonnements des esclaves, et les hésitations des colonies de la Caraïbe confirment la révolte des auteurs. Dans En attendant la montée des eaux, le bateau, que Movar a pris pour son voyage, est le lieu premier du contact avec l'oppresseur.145(*) qui ont embarqué sur le bateau Cinco de Mayo : « (...). Les enfants avaient l'air de vieilles personnes, et les parents de guèdes sortis directement des cimetières », p.57.

2. La diversité des cultures, source même du métissage, serait à l'origine des insuffisances de repères d'ordre moral, social, culturel et psychologique concernant l'antillais147(*): il doit faire face à son destin d'homme colonisé. Bien que vivant dans cette société métissée, sa propre société, il n'en demeure pas moins l'exclu, l'exilé, le banni qui recherche sa place au soleil, le déplacé qui veut s'intégrer à nouveau, et par l'identification linguistique, dans l'univers géographique « imposé » mais accepté :

a- la double appartenance linguistique au français et au créole influence les écrivains antillais, les deux langues s'entrecroisent parfaitement dans les structures narratives pour symboliser les affrontements entre Maitre et Esclave.

b-l'influene de la culture orale traduit une forme de l'écriture métissée. En fascinant les auteurs antillais, l'oralité présente dans leurs romans la double fonction « esthétique » relative à l'écriture, et « éthique », attache à la thématique148(*).

c- le « décentrement » est une des problématiques de la littérature antillaise en général, et de l'écriture métissée en particulier. Le centre représente l'occident, s'oppose à la « périphérie » des pays colonisés comme les Antilles. Il s'agit de décolonisation littéraire. Le dessein idéologique serait de décoloniser la littérature, transmettre la parole littéraire à de nouvelles voix. Qui s'élèvent pour dire des vérités inconnues jusque là, à défaut de pouvoir écrire dans le passé. Selon Maryse Condé : « la société antillaise souffre d'un sentiment de frustration et les écrivains consciemment ou inconsciemment se sont efforcés d'offrir à leurs peuples des mythes de remplacement »149(*).

L'identité antillaise, première matière des romans de Maryse Condé150(*), est enfuie à l'intérieur des formes d'écriture métissée. S'ajoutent les influences littéraires subies par les auteurs.

La crise du personnage antillais, les structures constamment renversées et éclatées, l'assemblage des récits, et le renouvellement du langage littéraire créolisé, prouve la « modernité » du roman de Maryse Condé. La modernité commence par avec la recherche d'une littérature impossible. Ainsi l'on retrouve dans ce roman, cet appareil à la fois destructif et résurrectionnel propre à tout l'art moderne151(*).

On ne saurait nier la présence du lexique insulaire dans En attendant la montée des eaux. Cette constance est l'empreinte de la littérature francophone, à laquelle appartiennent cette oeuvre et cette auteure, la marque aussi de la distance avec la langue orale. Pour comprendre ce bouleversement indispensable, il faut voir de quelle façon l'auteur métissé se déploie dans les romans de Maryse Condé. Trois notions complémentaires et analysables structurent le métissage littéraire :

1-les traditions orales et créoles dans l'écriture des romans.

2-les racines littéraires dans les romans.

3-la création de formes narratives et métissées.

La reproduction de la littérature orale, et des genres oraux, peut être considérée comme une forme de métissage. L'usage particulier et même très maitrisé de la langue créole soutenue par la rhétorique orale, éclate les structures narratives. Quand aux racines littéraires, elles s'ouvrent sur l'Europe et l'Amérique hispanique. Avant de prétendre à l'ouverture, les romans s'enracinent d'abord aux sources créoles. Leur écriture présente des formes inattendues, allant de la représentation à la subversion des structures du roman. L'origine de ce métissage imaginaire semble la réécriture des traditions littéraires occidentales et Sud-Américaines, mais le contexte guadeloupéen particularise les adaptations : « Le commun dénominateur des littératures émergentes, et notamment des littératures francophones, est de proposer, au coeur de leur problématique identitaire, une réflexion sur la langue et sur la manière dont s'articulent les rapports langues, littérature dans des contextes différents »152(*).

Les écrivains qui font l'Eloge de la créolité, Patrick Chamoiseau, Raphael Confiant, Jean Bernabé, voyaient dans l'enracinement, dans le retour aux sources orales, un moyen d'exprimer la créolité. Ils n'apprenaient pas grand-chose à Maryse Condé, qui avait auparavant trempé sa plume dans les secrets antillais emportés par le « cyclone qui a ramassé ses forces au-dessus de l'atlantique »153(*).

Le lexique, la syntaxe et le rythme créoles dans En attendant la montée des eaux, en éclatant les structures narratives et démontrent que Maryse Condé refuse d'oublier ses origines linguistiques. Et la réminiscence des genres oraux ; le conte, le mythe et la légende, prouve ses traditions croles.

L'imagination de Maryse Condé nuance ce retour à la littérature orale, car l'écriture renouvelle les formes narratives du roman occidental, en dressant la peinture psychologique. Les auteurs représentent de façon quasiment réaliste les événements. Dans cette imitation, les voix narratives, sont multipliées, donnant l'écho des lamentations, plantes et cris de révoltes lancés par des êtres antillais tels que dans les personnages d'En attendant la montée des eaux, où il ressort une « polyphonie » littéraire.

La littérature antillaise, avec Maryse Condé connait une phase qui n'est pas seulement la subversion des thèmes, mais encore l'affirmation de l'écriture libre et autonome, parce qu'elle est métissée. Gilles Deleuze et Félix Guattari soulignent la potée du langage littéraire dans la littérature émergente, disposition qui pourrait clarifier et expliquer les approches de Maryse Condé : « les conditions révolutionnaires de tout littérature au sein de celle que l'on appelle grande (...). Ecrire comme un chien qui fait son tour, un rat qui fait son terrier. Et pour cela, trouver son propre point de sous-développement, son propre patois, son tiers-monde à soi, son désert à soi »154(*).

Enfin nous dégageons deux notions caractéristiques à l'écriture de Maryse Condé: l'engagement littéraire et la création de la mythologie imaginaire. La structure des thèmes de la société antillaise, le style créolisé et l'esthétique guadeloupéenne, dévoilent l'engagement dans le texte. Il ne s'agit pas de la prise de position idéologique, mais littéraire, du fait de l'exploration des profondeurs psychologiques des réalités caribéennes, situent l'écrivain entre la société et l'art, ce dernier est considéré dans les romans comme un véritable acte : « s'il fallait définir le roman antillais, nous le classerons dans son ensemble sous a rubrique « roman engagé » en donnant toute fois à cette notion langagière une signification plus large que celle qui est généralement admise et que d'aucuns discuteraient sans doute. Pour nous, nous appelons engagement, la restitution fidele d'une réalité que l'auteur s'efforce d'appréhender et d'expliquer. A la limite, pour nous, toute littérature est engagée dès qu'elle n'exprime pas uniquement le fantasme ou la rêverie individuelle, mais a pour objet le fait naturel »155(*).

III.2.b. Enjeu linguistique

La question linguistique, en Guadeloupe, est d'une importance capitale car on y retrouve deux langues, le créole et le français, qui ne bénéficient pas d'un statut égalitaire. Pour l'écrivain, le choix d'écrire dans l'une ou l'autre langue n'est pas fortuit. À ce propos, Moura déclare qu'« On peut en l'occurrence parler (...) de surconscience linguistique puisque écrire est un 18véritable acte de langage, le choix d'une langue d'écriture engageant de fait toute une conception de la littérature. A cause de sa situation, l'auteur francophone est condamné à penser la langue156(*) ».

La question de la langue est problématique dans l'espace guadeloupéen. Dans notre corpus, les deux langues utilisées sont des symboles de l'hybridité de la culture antillaise. Cette hybridité se manifeste dans le créole lui-même, la langue maternelle des Antillais, originellement multilingue, et où sont fusionnés des éléments a priori disparates. Cette langue souffre d'un statut inférieur par rapport au français. Elle subit la diglossie, c'est-à-dire qu'en raison de sa coexistence avec le français, elle occupe un statut sociopolitique inférieur. La diglossie accorde à une langue la supériorité sur une autre.

Dans le cas de la Guadeloupe, c'est le français qui domine. Cette situation s'est inscrite dans une démarche colonialiste. Brahimi déclare que l'impérialisme s'est révélé par une primauté de la langue du conquérant. Le post colonialisme s'est attardé à ce phénomène et a désigné deux vocables qui expliquent ce fait: le bilinguisme et la diglossie (Brahimi, 2001, p.50)157(*). Nous avons écarté la possibilité d'appliquer le bilinguisme à la situation linguistique de la Guadeloupe vu que ce concept confère aux langues en présence un statut égalitaire, alors que le créole a longtemps fait l'objet d'une chasse aux sorcières au profit du français. Ceci a créée la situation de diglossie. Pour Paré, la diglossie s'inscrit dans une « Itinérance »158(*).

Pour la part de Moura, il y voit une forme de drive car cette pratique fait référence au déplacement (d'une langue à l'autre) et convoque une identité qui est constamment remise en question. Ce drive linguistique traduit l'instabilité dans laquelle le locuteur se trouve. Conséquemment, si une langue est dépréciée et que l'idiome est intimement lié à l'identité, une partie de l'identité est dévalorisée. De fait, l'individu est condamné à driver entre ses deux langues et, par extension, entre les multiples facettes de son identité.

En défendant sa langue, l'individu ne fait que défendre son identité. Dans le même ordre d'idées, interdire la pratique du créole ou déprécier celle-ci équivaut à nier l'existence d'une spécificité culturelle guadeloupéenne, car on parle également de culture créole. Aussi, au-delà de l'aspect identitaire, les créolistes affirment que «cette non-intégration de la tradition orale fut l'une des formes et l'une des dimensions de notre aliénation. Sans le riche terreau qui aurait pu constituer un apport à une littérature, enfin souveraine, la rapprocher de ses lecteurs potentiels, notre écriture (...) demeura en suspension »159(*).

Toutefois, la situation a changé, comme le dit Turcotte qui affirme que la littérature antillaise écrite s'est développée assez tardivement comparativement aux autres littératures, ce qui fait que la tradition orale160(*) a longtemps été le principal mode de transmission de la culture et de la tradition aux Antilles. Ceci explique l'importance que les auteurs accordent à son inscription dans leurs oeuvres. (2003, p. 231). D'ailleurs, il y a une forte présence de la tradition orale (proverbes, mots créoles, chansons, exclamations, etc.) dans la littérature antillaise contemporaine, comme c'est le cas dans les romans de notre corpus où on détecte  un nombre considérable de phrases en Créole: « Li pral mouri ! » « Nous rivé, fit l'Haïtien » « I Pati, Movar. I pa atan ou... » p13. « Pran kouwaj, Movar » p14. « Ou pa sonjé' m ? » p 48. « E si li vin pou akouché, ka nou ké fé »p58. « Féy o, sové la vi mwen, nan mizè mwen yé o, fey o, sové la vi mwen ».p61. « Gade, gade ki jan li blanch, ki jan li fen! », p.231.

Ce dépassement conteste la hiérarchisation des langues en établissant une relation, un lien entre elles qui peut mener au métissage linguistique. De même, les détournements des règles littéraires métropolitaines, surtout par l'entremise de la langue, entraînent une déconstruction du canon littéraire. De fait, le choix de la langue d'écriture n'est pas inopiné. La dimension linguistique questionne deux mondes, guadeloupéen et occidental, sur lesquels la société créole, produit de cette fusion, se construit. Cette société, principalement fondée sur le mythe Souligné par les auteurs161(*).

III.3- Lexique sur les parties du corps

La focalisation du récit sur le bas du corps s'explique par l'absence des lois et des forces spirituelles intermédiaires entre le peuple et son prince. Toute relation entre les hommes repose sur un rapport direct avec le corps du Guide. Ce corps prend de multiples fonctions, il est un outil d'oppression et de pouvoir. Mais il ne fonctionne en général que dans l'usage excessif de ses orifices à travers la mise en contribution des organes digestifs et des organes génitaux (orifices anaux et sexes).

III.3.a. Le bas du corps

L'autorité exercée va dans le sens de la prise de possession des êtres humains et des objets. La prééminence du bas du corps impose un règne de consommation phallique et digestive de telle sorte que toute relation de pouvoir passe par le sexe mâle162(*) : « Notre pays (Haïti), c'est comme un enfant. Il a besoin d'un mentor, il a besoin d'un guide pour le conduire dans le bon chemin,(...) ....Tous nos présidents ne songeaient qu'à la profitassions. Ils avaient des châteaux, disait Fwè Hénock, le garçon de la voisine Céluta, une amie de la mère de Movar. Membre du parti Lavalas », p30. Ceci montre l'exploitation du Guide pour son peuple.

Notons dans le récit de Babakar, l'histoire de Wangara qui fut victime d'une fatalité après avoir été acheté. Il nous raconte une anecdote du colon français, le maitre qui, en essayant de violet une gamine...« Il fut saisi de nausées si violentes qu'il prit une glissade fatale dans son vomi et son caca », p.40.

Ensuite, dans le récit de Movar : « Une odeur monte de l'eau glauque, parelle à celle d'un vagin », p.133, et :

« La plage était tellement sale, un vrai dépotoir, que personne ne venait jamais dans cet endroit là. Seuls des rats, aussi gros que des chiens, plongeaient dans l'eau noire », p.53.

Et: «On avait déversé des poubelles pleines d'ordures devant sa maison (...) », p.88.

Apres la mort tragique de Movar, les deux assassins le jetèrent à terre, et : « ensuite, à coups de pied, ils l'envoyèrent valdinguer dans le caniveau où, le sternum fracassé, il s'enfonça dans l'eau puante », p.304. Cela traduit le degré de l'inhumanité des antillais qui ne respectent même pas les liens du sang.

Dans l'univers fictif, la relation à l'autre est sous-jacente à l'enjeu de l'assujettissement, de la consommation ou de la résistance. Le rapport du président et de son sujet correspond à la dialectique de la synecdoque ou à l'image du corps morcelé pour être consommé : Hassan avec ses maitresses ou encore l'assassinat de Movar par son oncle  présenté dans un cadre ironique:

« Ephrem et Dieudonné n'en étaient pas à leur premier mauvais coup. Ils tirèrent un bon prix du jean et de la chemise de Movar ainsi que de ce qu'ils trouvèrent dans son sac à dos. Un pantalon de coutil, deux autres chemises et trois slips », p.305. Ou encore : « (...). Les corps des blessés et ceux des morts baignaient dans le même sang. On ne s'occupait pas d'eux(...)», p.53. Ici Maryse Condé use du lexique de la scatologie pour désigner l'autorité de l'Etat ou le sujet soumis.

Par conséquent, le portrait caricatural du gardien qui sourit avec ironie en regardant Babakar est un substantif réducteur de « hernie étranglée » pour désigner que le passé esclavagiste est encore là, qui se moque du présent pour dire que le racisme est toujours là « Le vieux gardien à hernie étranglée »,p.30. L'«hernie » dans la première partie du récit qui se fait le lieu second mais porteur de message. L'hernie se manifeste à travers un simple gardien balayeur : « (...) une heure plus tard, Lucien Lucius avait fini de promener son balai dans toutes les anfractuosités et fumait, assis sur une poubelle renversée. Il riait encore de son bon tour, lui qui riait si rarement », p.27.

L'ironie se manifeste dans tous les lieux du récit. Babakar dit : (« il y avait la guerre dans mon pays. Plus maintenant. Tout est rentré dans l'ordre. Les ennemis d'hier sont devenus les frères d'aujourd'hui ». Il parlait avec une extrême ironie), p. 73.

Nous nous intéressons à la relation entre la sexualité et le pouvoir et à la manière dont elle organise les rapports humains basés sur une relation de prédation sexuelle et viols. Les paires pouvoir/sexe, pouvoir/consommation tiennent leur logique du fait que ce sont des lieux de jouissance. Cette idée est développée par Michel Cornatan163(*) qui définit le pouvoir comme étant aussi un lieu de plaisir autant que la sexualité et la consommation des aliments. Selon lui, le rapport direct de l'autorité politique et de la sexualité est lié au fait qu'il existe « un sentiment de jouissance » qui, dans les deux cas, est motivé par un enjeu de domination (la polygamie, le viole, les orgies dans En attendant la montée des eaux).

Le pouvoir est aussi un lieu de plaisir et la sexualité le domaine de pouvoir sur l'autre et sur soi-même. Pour s'en convaincre, il suffit de mettre en parallèle les expressions nombreuses désignant la conquête d'un pouvoir ou d'un partenaire sexuel (le plus souvent une femme).  

En parlant d'Hassan, Babakar dit : « il éprouvait un besoin constant du corps des filles, les couchant par deux ou trois à la fois dans son lit », p .98.

La même chose aussi avec Fwé Hénock, le garçon de la voisine Cécula l'amie de la mère de Movar (milicien du président) :

« Tout ce qui me distrayait un peu, c'était quand nous les accompagnons chez les filles. Pendant qu'ils faisaient leurs affaires avec elles, nous les épiions par le trou de la serrure. C'était comme si nous étions au cinéma », p.52.

On note aussi dans le récit de Babakar sur Wangara. Lorsqu'il fut acheté par le ladre Louis-Elie : « Louis-Elie était un pervers. De nos jours, on l'aurait appelé pédophile. Friand des gamines impubères, il convoitait la fille de la lingère. Le soir où il s'introduisait dans se chambre avec la ferme intention de la violer, il fut saisi de nausées si violentes qu'il prit une glissade fatale dans son vomi et son caca », p.40.

Sur le plan de la sexualité et du pouvoir, il y a ceux qui « en ont » et ceux qui «n'en ont pas». L'autorité est mâle, elle est un attribut (...)164(*). Ces parties cachées situées au bas du corps sont des atouts de gouvernance. Ainsi, le narrateur de En attendant la monté des eaux introduit son récit en attirant d'emblée l'attention du lecteur sur l'appétit de Hassan sur les femmes qu'il les consommait en double et en triple en même temps, et la nourriture, pendant ses orgies, qui débordait à outrance. L'évocation non permanente des besoins naturels que sont l'alimentation, la défécation et l'accouplement fait du corps politique un corps grotesque. Le narrateur insiste sur ces parties dans un récit lié aux passé esclavagiste vécu par les ancêtres de Thecla et de Babakar, et actualisées par Hassan avec ses sujets, en outre avec Fwé Hénoc et sa petite bande. Les parties génitales se substituent à l'ensemble des autres organes, toute existence est liée aux parties du bas du corps.

L'univers Condéen s'avère un espace cannibale qui met le chef de l'Etat au centre des relations d'anthropophagie. Le despote pratique un cannibalisme à double sens : il s'agit, d'une part, d'un cannibalisme anthropophage et d'autre part, il conviendrait de parler de cannibalisme sexuel, puisque dans le lexique, le vocable viande peut signifier également le corps de la femme. Dans cet univers de barbarie, le Président est un prédateur qui fait de ses citoyens ses premières victimes. A l'image d'un ogre carnassier, il affectionne autant la viande des bêtes que celle de ses sujets : « Tandis que les serviteurs apportaient de gigantesques plas de volaille, de mouton cuit en méchoui et de couscous de mi, ce qui causait une fichue bousculade dans dans l'assistance,(....). » ,p.118.

Puis Babakar s'adresse à Hassan pour dire que son penchant vers la politique est tout nouveau : « je ne l'ai jamais remarqué. Pour moi, tu étais un esthète, amateur de femmes et de musique ». Le narrateur procède par un phénomène d'amplification avec des détails décrits à l'excès. Il grossit chaque situation, la rendant dénonciatrice. 

Signalons aussi la place que prend polygamie dans En attendant la montée des eaux. Babakar dit en parlant des funérailles du père d'Hassan:

 J'allai dans la pièce voisine présenter mes condoléances aux veuves. Elles étaient là, toutes les cinq, assises en rang d'oignon, habillées des mêmes vêtements de deuil. Âgées d'une soixantaine d'années, la première la bara muso comme on l'appelle, aurait pu être la grand-mère de la dernière. Comment ces femmes avaient-elles vécu ? Quelles avaient été réellement leur relation ? Haine ou au contraire tolérance ? Sacré mystère que la polygamie ! Babakar se souvient aussi d'une famille polygame qui habitait près de sa mère dans le passé. Trois d'entre elles étaient un jour en désaccord avec l'une d'elles. « Pendant qu'Alya dormait, ses coépouses avaient fait chauffé une pleine bassine d'huile d'arachide. Ensuite, à pas de loup, elles s'étaient approchées de la malheureuse et lui avaient balancé le contenu de la bassine, p.120.

La description du narrateur de la fête organisée par le chef de l'Etat dans les dernières pages du roman est aussi surprenante et révélatrice :

(...) le «  royal Bonbon » s'illuminait et jetait ses feux comme un paquebot en partance. On distinguait sur la galerie le fauteuil où trônait celle qui avait servi de mère à Estrella, Man Tonine, la haute silhouette couronnée de locks d'Henri-Christophe2 et celle de sa compagne, vraie Miss Haïti. Ils étaient entourés de généraux en uniformes bleus et rouges, de femmes en crinoline exhibant leurs seins rebondis dans les robes à décollettes plongeantes. Des serviteurs faisaient circuler toutes sortes de boissons. Le champagne pétillait dans les coupes, p.347.

Le Guide est obsédé par la chair, le manque ou l'absence de viande exalte son désir bestial et en fait une bête : Maryse Condé utilise deux noms presque identique des deux bordels ; le jardin du paradis et le jardin d'Éden. Les deux tirent leurs nominations du paradis. Lieu de jouissance qui connote la pratique du pouvoir.

Elles procèdent à une perversion de la morale et l'éthique politique. Tout en étant principalement l'affaire du chef de l'Etat, ces abus dévoilent une perversion sexuelle dans l'exercice d'un pouvoir naturellement phallocratique. Dans son roman, Maryse Condé pose la problématique du rapport des sexes entre relation et pouvoir : en parlant d'Hassan : « désormais, le pire se produisait car tout le monde le traitait avec une totale servilité. On l'avait surnommé « Almamy2 » en référence à son célèbre aïeul, le bâtisseur d'empire, (...) », p.121.Ce qui traduit le comportement hautain et pompeux d'Hassan ainsi que son changement brutal envers son ami Babakar.

III.3.b. Relation femme/pouvoir

Tout enjeu de pouvoir dans la fiction est à saisir dans le jeu d'opposition entre l'élément mâle incarnant l'autorité et l'élément femelle dominé165(*). La personnalité du Guide est en opposition parfaite avec celle de la femme. Le personnage féminin est doté de facultés intellectuelles matures et d'une aptitude à organiser sa défense. La femme subit le pouvoir phallique mais elle a la capacité physique et intellectuelle de déjouer l'autorité mâle. Au pouvoir mâle, la femme oppose un pouvoir « femelle » par un phénomène de castration réelle ou symbolique qui libère.

Dans l'univers fictif le phallus, organe sexuel de procréation, si on se fie au cadre fictionnel, est subverti pour prendre la fonction d'une véritable arme de pouvoir et d'agression dont la violence d'usage définit la puissance et l'efficacité. Par conséquent, l'opposition au pouvoir est souvent conduite par les femmes qui usent de leur sexe dans un rapport où le Guide est rendu impuissant à la fois sexuellement et politiquement. La castration apparaît alors comme la fin d'une domination mâle et l'émergence d'un pouvoir féminin. Dans un univers politique dominé par l'élément masculin, quelle peut être la place de la femme ?

Le narrateur dit : « Les femmes sont le détail de notre histoire », p.166.

Les trois amis ont été victimes de L'amour : l'amour de Movar pour Reinette dont la mort la lui a arrachée ainsi que les amourettes de Babakar pour plusieurs femmes qui ont toutes étaient enlevées par la mort: maman, Carmen la coiffeuse, Irena l'ex maitresse de Hassan, les deux soeurs Reinette et Estrella Ovide, Azelia sa femme défunte et Jahira la soeur de Movar. On remarque qu'aucun amour n'a survécu. .Babakar n'a pas pu aimer une autre femme que sa mère, p.93.

Quand a Hassan, il a fait les cent coups avec divers femmes et enfin, il se marie avec une femme chrétienne. La fête organisée pour ce mariage constitue une antithèse flagrante entre deux religions, deux cultures, deux rives (le nord et le sud du Mali) et surtout deus niveaux sociales.

A l'évidence, le personnage féminin ne fait pas office de figuration, elle arrive quand même à exercer une autorité d'une autre nature sur l'homme de pouvoir. Nous tenons à expliquer, le pouvoir de la femme comme une opposition non moins violente à un système politique mâle. Pour ce faire, deux identités féminines sont mises en avant : l'image de mère castratrice et l'image de la femme charnelle. Les deux figures participent à la résistance. Face à elles, le Guide est castré et perd ses attributs phalliques donc son pouvoir ainsi que l'affirme Daniel Delas : L'effigie centrale de la société postcoloniale, c'est bien, comme le dit Achille Mbembe, la verge en érection (Mbembe, 2000 : XXII et XXIX), mais celle-ci vit dans la terreur de se voir voler sa virilité par la vulve de la femme, source potentielle d'un autre corps et d'une autre vie166(*). Cette condition structure la relation amoureuse qui réduit le président à l'identité de l'enfant obéissant. Dans En attendant la montée des eaux Babakar a aimé plusieurs femmes en commençant par sa maman pendant son enfance.

La passion amoureuse comme sentiment d'aliénation puis et la castration comme une perte de son autorité politique.167(*).

L'amour est l'une des armes dont dispose le personnage féminin pour s'opposer au pouvoir mâle168(*). Le sentiment amoureux perd le mâle dans une folie qui dérègle ses moyens ce qui permet à l'entité féminine de prendre le contrôle de son pouvoir. L'homme est alors l'instrument de la femme qui en use pour ses fins propres mais après bien des péripéties. Dans la relation d'amour entre l'homme et la femme, l'amour n'est jamais consommé. La femme met son amant à l'épreuve de l'attente. Le désir de l'homme pour la femme est maintenu afin de conférer à cette dernière une autorité sur l'homme. Dans cette relation, la femme aimée absorbe l'homme, elle l'assujettit et le condamne à lui obéir.

L'amour inassouvi, parce que non partagé et instrumentalisé, plonge le mâle dans la démesure et dans la folie des souverains mégalomanes : l'amour de Fouad pour Cuca qui le rejette après qu'il l'est demandé au mariage 

Le cas de Babakar avec Reinette Ovide parce qu'elle était déjà morte. Et avec Estrella Ovide qui l'a complètement ignoré. Ainsi d'une façon flagrante le cas de Fouad avec Cuca, la prostituée, qui a refusé de l'épouser.

Toujours sous le contrôle de son amante, L'Espèce d'homme construit un camp gigantesque de la taille d'un pays, ne sorte de goulag tropical où il enferme l'ensemble de ses opposants. Ces lieux de déportation sont démesurés, ils ressemblent aux espaces d'incarcération gigantesques devenus mythiques tels les camps de concentration. Toute décision politique est ici dictée et voulue par la femme. Le mâle n'est finalement qu'un exécutant. 

L'autorité politique est d'abord une affaire sexuelle, une capacité de l'homme à agir sur le corps de la femme169(*). Ainsi, le désir sexuel se confond avec le désir de gouverner ce qui fait que la domination de la femme par l'homme est assimilée à la domination politique. Le pouvoir est bien légitimé par la virilité comme nous l'avons énoncé mais il est également un moyen utilisé pour satisfaire les désirs sexuels. Dans certains cas, la course au pouvoir a comme finalité l'accès à la jouissance sexuelle. Plus l'homme multipliera ses conquêtes, plus il sera assuré dans sa puissance. Le narrateur écrit qu'Hassan: « il éprouvait un besoin constant du corps des filles, les couchant par deux ou trois à la fois dans son lit », p .98.

La rivalité politique s'exerce également dans la conquête « amoureuse ». C'est pourquoi le tyran castre son rival pour l'empêcher d'avoir « accès à toutes les jambes des femmes », selon l'expression du dictateur Lopez : Le roman décrit la condition de l'homme moderne. Il montre la source d'aliénation et de perte de soi que constituent «la peur » et la tentation permanente de la violence dans un monde d'hostilité où l'individu est devenu une « bête brute » qui agit par pure pulsion et instinct. L'auteure affirme que l'homme qu'il décrit est semblable à une bête traquée, dans cette mesure, il est conditionné par la violence. Le narrateur décrit le viole de la fille de la lingère : « de nos jours, on l'aurait appelé pédophile », p.40. Babakar est l'opposé d'Hassan, p.98. Ce dernier collectionne les femmes sans les aimer mais Babakar n'a aimé et n'aime qu'une seule femme: « si ma mère avait vécu plus longtemps, toute mon existence, j'en suis sûr, aurait été différente (...) qu'aucun homme, aucune femme n'a jamais pu remplir », p.93. Sa mère c'est son pays.

Conclusion

Le déracinement, les origines ambigües et le mal identitaire, sont les principaux motifs qui vont faire resurgir une parole poétique qui ne va pas sans violence traduite par le pouvoir des mots. Ce pouvoir des mots apparaît d'abord dans la structure du récit autant dans l'aspect formel que thématique.

Sur le plan idéologique et politique, Maryse Condé exprime un grand intérêt pour le socialisme et le communisme qui semblent plus proches des préoccupations du Tiers Monde. Cela a été marqué par les congrès des intellectuels noirs, perçu comme un nouveau départ pour l'Homme post colonisé.

Le phénomène de la renaissance militante de la culture noire est le thème récurent dans En attendant la montée des eaux. Il est question d'une véritable prise de conscience chez l'auteure qui affirme une volonté de s'émanciper de la littérature française et de la littérature occidentale. Les trois thèmes essentiels de ce roman relève de la dénonciation des abus colonial, la contestation des systèmes coloniales, l'expression de la révolte culturelle et la revendication de l'identité nègre.

Néanmoins, la thématique de la violence est encore présente, puisque l'indépendance ne signifie pas règlement de toutes les questions en suspens et la rupture avec les puissances occidentales n'est pas consommée. Les coups d'états répétitifs, les élections truquées déstabilisent l'ensemble des projets socioéconomiques qui plongent les pays dans des guerres intestines. Par conséquent, de nombreux Etats s'enlisent dans la pauvreté qui souvent oppose les ethnies entre elles.

Ainsi la violence est très présente dans ce récit. On parle alors de « désenchantement et de désillusion » selon les termes de Jaques Chevrier170(*), une littérature marquée par l'échec des idées de démocratie face à la montée de la tyrannie du despotisme et des Etas gouvernés par les régimes armée.

Cette sévère réalité a pour conséquence l'expression d'un grand pessimisme chez Maryse Condé, qui dénonce les abus politiques, la décadence de l'homme noir et les conditions sociales dégradantes.

C'est dans cette perspective qu'émergent En attendant la montée des eaux où, la fiction témoigne des drames sociopolitiques, qui relèvent directement des agressions politiques des Etats minoritaires comme la nouvelle matière romanesque qui plonge l'écrivain dans l'engagement et la dénonciation des violences politiques.

L'étude des mythes de l'univers Condéen est introduit dans sa fiction, la dynamique de son récit s'avère une quête permanente du sens, tant l'auteure est préoccupée par le devenir du monde et de l'Homme. Maryse Condé révèle son attachement à l'imaginaire antillais, mais également aux mythes de la Bible. Elle trouve le sens de son univers dans les mythes du cataclysme évoqués dans En attendant la montée des eaux. Elle évoque dans ce récit, autant les mythes de la tradition antillaise que celle de la tradition juive et catholique.

Cette présence mythologique dans l'univers fictif est une tentative de signification du monde réel à travers le symbolisme antillais qui apparaît également comme une épistémologie africaine revendiquée par les intellectuels et les écrivains contemporains.

En attendant la montée des eaux ne manque pas d'exagération et de déformation du réel pour le rendre plus terrifiant ou pour créer une distanciation pour l'esthétique du carnavalesque.

En effet, En attendant la montée des eaux est un titre très révélateur qui inscrit d'emblée la problématique du texte à savoir la destruction et la reconstruction, la mort et la renaissance et enfin la violence et l'amour. Ce titre en plus d'être thématique et rhématique, est aussi symbolique jouant sur cette entité paradoxale vie/mort exprimée dans tous les lieux du texte. Et c'est à partir de ces données que peut se lire l'oeuvre de Maryse Condé et plus particulièrement En attendant la monté des eaux où l'identité antillaise est exprimé à travers un incessant recours aux mythes fondateurs des origines bafouées par des siècles d'esclavagisme et d'intolérances.

La parole mythique et celle biblique rend donc compte de toute la violence de l'Histoire au travers de l'épisode du Déluge, le plaçant dans un contexte actuel pour cerner la réalité vécue du moment présent de l'auteure.

Maryse Condé, celle qui a vécu dans le monde entier, définit son identité : « Je crois que je ne serai jamais rien d'autre qu'une Guadeloupéenne. Une Guadeloupéenne à ma manière, qui parle peu créole, qui réside en partie à New York, qui a visité le monde... Mais au fond de moi, le lieu qui a fait ce que je suis, mes parents, mes souvenirs d'enfance, ont créé quelque chose que ne pourrai jamais modifier. J'aime la Guadeloupe, le pays, la nature, les sons, les images. Je mourrai guadeloupéenne. Une Guadeloupéenne indépendantiste »171(*)

Le peuple antillais qui souffre d'un manque de mythe, n'avait pas un ancêtre fondateur, si ce n'était le vaisseau négrier, parti promptement de la terre des aïeux en chavirant le cordon ombilical qui nouait les identités. Maryse Condé, imagine tout naturellement d'autres croyances, rites, pensées, faisant du texte le reflet d'une mythologie profondément littéraire, et de la littérature antillaise l'arme que renouvelle, refait et remodèle parfaitement le genre romanesque.

En attendant la montée des eaux, contient des récits, qui racontent des histoires non pas sacrées mais profanes, et des événements déroulés antérieurement dans le temps originel, colonial, antillais et contemporain. Chaque période dévoile dans le roman des structures mythologiques qui apparaissent à l'intérieur d'une création littéraire inspirée du contexte historique. Cette recréation traduit l'affrontement fantasmatique entre structures légendaires et structures littéraires qui expriment les peurs primordiales des communautés créoles.

La position de Maryse Condé sur l'art créole semble ambigüe : elle refuse d'être située dans le mouvement de la créolité, conteste l'appellation « écrivaine antillaise », et rejette le communautarisme qui aliène les individus et les étrangers à eux-mêmes. C'est-à-dire qu'ils soient humains: « être antillais, finalement, je ne sas toujours pas très bien ce que cela veut dire ; est ce qu'un écrivain ne pourrait pas être constamment errant, constamment à la recherche d'autres hommes ? Est-ce qui appartient à l'écrivain, ce n'est pas seulement la littérature, c'est-à-dire quelque chose qui n'a pas de frontières »172(*).

Les combats, que mène Maryse Condé, visent à dessiner son identité de femme guadeloupéenne. Cette dernière choisit de prendre une part active au sein de l'évolution de son pays. Elle prend en main sa destinée en s'appropriant la parole.

La thématique de la violence dans En attendant la montée des eaux, confère une portée philosophique qui, à travers l'omniprésence du religieux et des mythes fondateurs, rapproche l'oeuvre du domaine métaphysique. Ainsi, le premier constat qu'on peut faire est que ce roman appartient au domaine idéologique. Sa lecture doit définir la fiction comme le résultat d'une réflexion sur la condition humaine qui aboutit à l'engagement de l'auteur dans la défense des idées et des mémoires des peuples issus de la colonisation.

Le racisme dans l'espace sociopolitique où se négocient la vie et la mort comme représentation à la fois réaliste et symbolique de l'Autre le Guide. Ce dernier est l'opposition à ce désir « de conservation du moi » (Babakar), sa cohabitation avec l'élément maternel (Thécla) et ses mythes est conflictuelle. Il est la substance mortifère incarnée par le pouvoir dictatorial, il est aussi la langue de l'Autre qui risque d'absorber le moi dans des symboles qui lui sont étrangers. Donc, l'Autre est l'élément à maîtriser dans l'écriture pour permettre l'affirmation d'un moi complexe défini dans l'être postcolonial.

Ainsi, écrire la violence c'est dire le Guide et les douleurs qu'il a imposées dans son histoire propre. Le roman vacille entre le refuge dans « le principe du maternel » à travers l'évocation des langues, des mythes et de la pensée religieuse contre ce pouvoir qui n'est en réalité que la continuité des formes d'injustice coloniales perpétrées et pérennisées par un Etat postcolonial qui singe les violences de l'ancienne colonie. L'écriture dans la langue de l'Autre génère une oeuvre hétéroclite marquée par une audace qui consiste à inscrire ses valeurs dans le discours littéraire.

En attendant la montée des eaux invite à redéfinir l'image de la femme qui n'a trop souvent été valorisée qu'à travers la maternité, d'où la glorification du mythe du poto mitan. Aussi, tout en luttant contre le pouvoir dominant masculin voire colonial, le personnage féminin refuse d'être cantonné au rôle de mère. Elle réclame le droit de disposer librement de son corps en ayant une maîtrise sur sa fécondité, et en imposant des restrictions à l'homme. De fait, dans notre corpus, on retrouve une représentation de la femme belle, instruite et libre telle que Thécla ou encore Estrella.

L'auteure présente deux genres de femmes différentes afin de montrer que l'identité féminine n'est pas interdépendante de la maternité. Et c'est le message voulu à travers Anaïs qui a été adopté par Babakar qui n'a aucun lien parental avec elle.

De plus, cela confirme la quête identitaire des femmes qui veulent détruire le « poto mitanisme ». Une telle ambivalence de la représentation permet de comprendre l'évolution de la condition féminine au sein de la littérature guadeloupéenne contemporaine.

Maryse Condé met en scène des personnages féminins qui prennent conscience de leur héritage culturel. Cela guide leurs revendications pour une société plus équitable.

À travers En attendant la montée des eaux, Maryse Condé propose des solutions afin de déconstruire les codes coloniaux en mettant en scène des personnages avec des prises de positions radicales. Peut-être que l'auteure propose aussi de dépasser les réminiscences de l'Histoire et avec elles, le post colonialisme?

Bibliographie

Corpus 

Condé, Maryse. En attendant la montée des eaux. Paris: J.-C. Lattes, 2O10.

Autres oeuvres de l'auteure

Romans :

- En Attendant le bonheur (Heremakhonon).Paris : Nouvelle édition, 1976.Réédition Paris : Seghers, 1988.

- Une Saison à Rihata (Heremakhonon). Paris: Laffont, 1981.

- Ségou: Les murailles de terre. Paris: Laffont, 1984.

- Ségou: La terre en miettes. Paris: Laffont, 1985.

- Moi, Tituba, sorcière noire de Salem. Paris: Mercure, 1986.

- Les Derniers Rois Mages. Paris: Mercure, 1992.

- Desirada. Paris: Laffont, 1997.

- Le Coeur à rire et à pleurer, contes vrais de mon enfance. Paris: Laffont, 1999.

- La vie sans fards. Paris: Lattès, 2012.

Théâtre:

- Dieu nous l'a donné. Paris: Pierre Jean Oswald, 1972.

- Comme deux frères. Paris: Lansman, 2007.

- La Faute à la vie. Paris: Lansman, 2009.

Anthologies :

- Anthologie de la littérature africaine d'expression française. Ghana Institute of Languages, 1966.

- Le Roman antillais. Paris: Nathan, 1977.

Essais :

- « L'Image de la petite fille dans la littérature féminine des Antilles ». Recherche, Pédagogie et Culture 44 (1979). pp89-93.

- « Au-delà des langues et des couleurs ». La Quinzaine Littéraire 436 (mai 1985). p36.

Nouvelles et courts récits:

- Pays mêlé (recueil de deux nouvelles). Paris: Hatier, 1985. Nouvelle édition avec dix nouvelles: Paris: Laffont, 1997.

- « No Woman No Cry ». Le Serpent à Plumes (3e trimestre 1991).

- « Liaison dangereuse ». Pour une littérature-monde, sous la direction de Michel Le Bris et Jean Rouaud. Paris: Gallimard, 2007 .pp205-216.

Traductions par Maryse Condé:

- De Christophe Colomb à Fidel Castro: L'Histoire des Caraïbes, 1492-1969, d'Eric Williams. Co-traduction (avec Richard Philcox) de From Columbus to Castro: The History of the Caribbean (New York:  Harper and Row, 1971). Paris: Présence Africaine, 1975.

Ouvrages méthodologiques 

Ouvrages sur la titrologie :

- Duchet, Claude. Éléments de titrologie romanesque. Paris : Broché, 2001.

- Eco, Umberto. Le Nom de la rose. Paris : Grasset, 1982.

- Hoek, Léo H. La marque du titre : dispositifs sémiotiques d'une pratique textuelle. Paris: Mouton, 1981.

Ouvrages sociopolitiques :

- Confiant, Raphael. Jik déyé do Bondye ; Guadeloupe : Ibis Rouge. 2000.

- Delas, Daniel. Métastases du discours postcolonial in Xavier Garnier et Papa Samba Diop, Sony. Labou Tansi à l'oeuvre. Paris : L'Harmattan, 2007, p71.

- Devesa, Jean Michel. Sony Labou Tansi, Ecrivain de la honte et des rives magiques du Kongo, 1996 Paris : L'Harmattan, 2008.

- Moura, Jean-Marc. Littératures francophones et théorie postcoloniale. Paris : PUF, Coll « Écritures francophones », 1999. p. 43.

Ouvrages sur le mythe :

- Eliade, Mircea. Aspects du mythe. Paris: Gallimard, Coll « Folio », 1968.

- Eliade, Mircea. Le Sacré et le Profane. Paris : Gallimard. 1957. p127

Ouvrages critiques :

- Barthes, Roland. Le degré zéro de l'écriture. Paris : Seuil, 1972. P.31.

- Kristeva, Julia. Le mot, le dialogue et le roman. Sèméiotikè : le Seuil. 1978. p85.

Articles:

- Vété-Congolo, Hanétha. « Les relations "intra-raciales" dans l'oeuvre de Maryse Condé : du mythe à la réalité ». MaComère 6 , 2004: pp102-126.

- Hess, Deborah. La poétique de renversement chez Maryse Condé, Massa Makan Diabaté et Edouard Glissant. Paris: L'Harmattan, 2006.

- Leservot, Typhaine. Le corps mondialisé: Marie Redonnet, Maryse Condé, Assia Djebar. Paris: L'Harmattan, 2008.

Entretiens:

- Hardwick, Louise. « J'ai toujours été une personne un peu à part: questions à Maryse Condé ». International Journal of Francophone Studies 9.1 (2006)

- Maryse Condé, 5 Questions pour Île en île, entretien.vidéo de 18 minutes. (2009).

- Boisseron, Bénédicte. « Intimité: entretien avec Maryse Condé ». International Journal of Francophone Studies 13.1 (June 2010): 131-153.

- Maryse Condé : une voix singulière (Maryse Condé: A Voice of Her Own). Film documentaire de Jérôme Sesquin (2011, 52 minutes).

Thèses et mémoires:

- Thèse de doctorat, identité créole et écriture métissée dans les romans de Maryse Condé et Simone Schwartz-Bart. Université Lumière, Lyon 2. Présenté par Cisse Mouhamadou. 2006.

- Condé, 1979, p. 37. Dans Caractère subversif de la femme antillaise. Université du Québec, Montréal. Mémoire présenté par Emeline Pierre. 2007.

Autres ouvrages :

- Evangile de Jésus-Christ selon saint Luc - Chapitres : 21. 25. 26.

- Lettre de saint Jacques Apôtre - Chapitre 5 verset 7.

- La Bible. Genèse 7 verset 11, 17 et19.

- Le coran. Sourat Nouh. Verset 38, 39, 40.

* 1 Condé, Maryse. En attendant la montée des eaux. Paris: J-C. Lattes, 2O10.

* 2 Auteure d'une immense production, traduite en plusieurs langues, Maryse Condé se fait entendre chaque jour dans une évolution littéraire profondément humaine. Auteure de romans, de contes, de pièces théâtrales et d'essais, professeure et critique littéraire, Maryse Condé a joué et joue encore un rôle fondamental dans l'histoire littéraire de son pays et des Antilles francophones. Sa connaissance de la tradition littéraire, son expertise dans les domaines des cultures noires et antillaises, ses multiples voyages dans le monde et sa formation intellectuelle, l'ont aidé à construire un univers littéraire marqué par une vocation humaniste.

* 3Ses oeuvres de fiction, son discours critique (essais, cours universitaires, apparitions publiques) ont toujours pour sujet la diaspora africaine. Ce privilège de meilleure narratrice qu'elle a mérité, revient à son talent de maitrise de l'écriture ainsi qu'à son engagement et sa prise de position, issus d'une expérience pratique : sa naissance dans un monde colonial et son apprentissage académique. En métropole, en pleine époque de décolonisation et d'utopies socialistes, son séjour africain, son retour au pays natal, son contact avec les Etats Unis. Ce nomadisme a nourrit sa singularité de lire le monde.

* 4Maryse Condé a enseigné, jusqu'en 2002, la littérature noire à l'Université de Columbia (New-York). Reconnue, elle a reçu des pris prestigieux, à la hauteur d'une oeuvre riche et engagée: 1987 Grand Prix Littéraire de la Femme: Prix Alain Boucheron, pour Moi, Tituba, sorcière noire de Salem. 1988 Prix de l'Académie Française, pour La vie scélérate. 1988     Prix Liberatur (Allemagne), pour Ségou: Les murailles de terre. 1993 Prix Puterbaugh, pour l'ensemble de son oeuvre. 1994 50e Grand Prix Littéraire des jeunes lecteurs de l'Ile de France, pour Moi, Tituba, sorcière noire de Salem. 1997 Prix Carbet de la Caraïbe, pour Desirada. 1998 Membre honoraire de l'Académie des Lettres du Québec. 1999 Prix Marguerite Yourcenar (décerné à un écrivain de langue française vivant aux USA), pour Le Coeur à rire et à pleurer. 2001 Commandeur dans l'Ordre des Arts et des Lettres de la France. 2004 Chevalier de la Légion d'Honneur. 2005 Hurston/Wright Legacy Award (catégorie fiction), pour Who Slashed Célanire's Throat? 2006 Certificat d'Honneur Maurice Cagnon du Conseil International d'Études Francophones (CIEF). 2007 Prix Tropiques, pour Victoire, des saveurs et des mots. 2008 Trophée des Arts Afro-Caribéens (catégorie fiction), pour Les belles ténébreuses. 2009 Trophée d'honneur aux Trophées des Arts Afro-caribéens, pour l'ensemble de son oeuvre. 2010 Le Grand Prix du roman métis, pour En attendant la montée des eaux.

* 5 Hoek, Léo H. La marque du titre : dispositifs sémiotiques d'une pratique textuelle. Paris: Mouton, 1981.

* 6 Goldenstein, J-P. Entrées en littérature. Paris : Hachette, 1990, p68.

* 7 Grivel, Charles. Production de l'intérêt romanesque. Paris-La Haye : Mouton, 1973. p173. Cité dans Seuils de Genette. Paris : Seuil, 2002.

* 8 Eco, Umberto. Le Nom de la rose. Paris : Grasset, 1982.

* 9 Mitterrand, Henri. Les titres dans les romans de Guy des Cars. Paris : Nathan, 1979. p. 92.

* 10 Duchet, Claude. Éléments de titrologie romanesque. Paris : Broché, 2001.

* 11 Achour, Christiane. Bekkat, Amina. Clefs pour la lecture des récits, Convergences critiques II. Alger : Tell, 2002, p.71.

* 12 Hoek, Léo H. Op. cit. p.7.

* 13 Condé, Maryse. En attendant le bonheur. Hérémakhonon. Paris: Union générale d'édition, 1976.

* 14Kourouma, Ahmadou. En attendant le vote des bêtes sauvages. Paris : Seuil1998.

* 15 Proust, Marcel.  En attendant Albertine. Paris: Gallimard, 1925.

* 16 Mitterrand, Henri. Op. cit p.8.

* 17 Evangile de Jésus-Christ selon saint Luc - Chapitres : 21. 25. 26.

* 18 Lettre de saint Jacques Apôtre - Chapitre 5, verset 7.

* 19Selon Leo Hoek il y a deux types de titre: « le titre subjectal, qui désigne le sujet du texte (...) et le titre objectal, qui désigne le texte en tant qu'objet, c'est-à-dire en tant qu'appartenant à une classe donnée de récits, exemples Aventures de.., Révélation sur.., Histoire de etc. ».

* 20 Achour, Christiane -Chaulet . Ouvrages, directions d'ouvrages et revues -christianeachour.net/ouvrages. Consulté le 12 Janvier 2014 à 13h.

* 21 www.memoireonline.com. aventure-scripturale-coeur-autofiction-kiffe-kiffe-demain,faiza-guene3.html. Consulté le 20 Janvier 2014 à 23h 55.

* 22 Achour, Christiane. Bekkat, Amina. Op. cit, p.173.

* 23 Contribution à la titrologie romanesque: variations sur le titre ... - Résultats Google Recherche de Livres.books.google.fr. Serge Bokobza - ý1986 - 150 pages. Consulté le 04 Décembre 2013 à 13h 09.

* 24 Drvota, Stanislav. L'anxiété et la peur, Praha, Avicenum. 1971, p.7.

* 25Disponible sur : http://www.cnrtl.fr/definition/angoisse. Consultation : le 29 janvier 2011.

* 26Benesch, Hellmuth. Encyklopedický atlas psychologie, Praha: Lidové noviny, 2001. p.471.

* 27 Proust, Marcel. Sodome et Gomorrhe. Paris VII: Gallimard, 1930. p.729.

* 28Mythes et violence dans l'oeuvre de Sony Labou Tansi. Thèse de doctorat présenté par Henry Alain-Kamal Martial, 2013. Université Paris-Sorbonne. p osition de thèse téléchargeable sous format PDF - ...Consulté le 10 Janvier 2014 à 13h 34.

* 29 S'appuyant sur un corpus de six romans d'Édouard Glissant (La Lézarde, Le Quatrième siècle, Malemort, La Case du commandeur, Mahagony et Tout-Monde), publiés entre 1958 et 1993, l'auteur montre comment Glissant se livre, dans son oeuvre, à une véritable refondation du monde, avec la ferme volonté de construire quelque chose de grandiose et d'atteindre à une vérité.

* 30Condé, Maryse. Ségou: Les murailles de terre. Paris: Laffont, 1984. Ségou: La terre en miettes. Paris: Laffont, 1985.

* 31Colin Katel -Thibaudeau, Glissant Edouard, entre béance et recomposition du passé, in (Dir)Kanaté Dahouda, Sélom K.Gbanou, Mémoires et identités dans les littératures francophones, Paris : L'Harmattan, 2009. p.30.

* 32 Ibid. p.131.

* 33 Kemedjio, Cilas. De la Négritude à la Créolité: Edouard Glissant, Maryse Condé et la malédiction de la théorie. Hamburg: LIT, 1999. p. 334.

* 34 Traversées,francophones:littératureengagée,quêtedel'oralité.et...www.erudit.org/revue/TCE/2006/v/n82/016621ar.html. Consulté le 12 Janvier 2014 à 15h.

* 35 « Ségou constitue la première partie du Roman En attendant la montée des eaux » : De île en île, interview avec Maryse Condé (2011). www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/conde.html. Consulté le 03 Février 2013 à 13h.

* 36 Hewitt, Leah. D: Awards and Honors: National Endowment for the Humanities Research Fellowship, 1987-88;Amherst College Senior Sabbatical Fellowship, 2001;Amherst College Research Awards, 1994-97, 2006

Scholarly and Professional Activities: Ongoing member of the Modern Language Association: Elected Delegate to the Modern Language Association Assembly, 1988-90; Editorial Board Member for Contemporary French and Francophone Studies: Sites.

* 37 L'oeuvre de Maryse Condé: Questions et réponses à propos d'une ... - Résultats Google Recherche de Livres. books.google.fr/books. Consulté le 23 Février 2013 à 12h 56.

* 38Hubaux, Jean. (1894-1959) fut, entre 1924 et 1957, professeur de latin à l'Université de Liège, où il a marqué des générations d'étudiants. Il fut en outre ... Culture, le magazine culturel de l'Université de Liège - Jean Hubaux

culture.ulg.ac.be/jcms/prod_608684/jean-hubaux. Consulté le 04 Décembre 2013.

* 39Lorsque Romulus aperçut les douze aigles, les Romains, avant de croire à l'éternité de leur ville, étaient terrorisés, quand à sa fin imminente. Alors, ils essayèrent de déchiffrer le sens de cette apparition et de découvrir combien de temps leur restait encore, en voyant dans chaque expédition guerrière et dans chaque calamité naturelle les signes d'une catastrophe imminente. Mais après une longue époque, on comprit que douze aigles aperçus par Romulus ne signifiaient pas cent vingt ans de vie pour la cité. Ensuite, les Romains crûrent que le chiffre fatal était mille deux cent composé de douze mois de cent ans mais il fallait attendre longtemps. En attendant, César traversait le Rubicon sans que la catastrophe finale, pressentie par Nigidius Figulus, se soit réalisée. Auguste vint ensuite et, après une séquence d'interminable et longue et sanglante guerre civile, instaura la Pax Romana. Un peu plus rassurés, les peuples des sept collines continuèrent tranquillement à dominer le monde, et Virgile salua la ville éternelle en adressant à ses compatriotes les mots de Jupiter à Venus : « voilà l'empire sans fin que je vous ai donné ». Finalement Alaric prit la ville d'Assaut ; il semblait donc que la prophétie de douze aigles et la supposition que la date fatidique était composée de douze mois de cent ans s'accomplissaient : Rome venait d'entrer dans son douzième et dernier siècle d'existence, complétant précieusement mille deux cent ans40. D'après Eliade à cette époque où tous les esprits avaient capitulé devant une telle évidence, seul Saint Augustin s'efforçait de montrer que personne ne pouvait connaître l'instant où Dieu se déciderait à mettre fin à l'histoire, et qu'en tout cas, bien que les cités aient par nature même, une durée limitée, la seule ville éternelle étant celle de Dieu, aucun destin astral ne peut décider de la vie ou de la mort d'une nation.

* 41 Le fil de la trame : réflexions sur le temps et l'histoire books. Consulté le 29 Janvier 2014 à 19.05.

* 42 Ibid.

* 43 C.f pâttaro, op.cit. pp.194-195.

* 44 Eliade, Mircea. Le Sacré et le Profane. Paris : Gallimard, 1957. p.127.

* 45Domingue, Ivan. Le fil de la trame : réflexion sur le temps et l'histoire. 2000 chronologies historique-philo.. C'est presque la même chose chez les peuples chrétiens formés eux aussi dans la tradition messianique es prophètes, auxquels s'ajoutent les évangiles, sur la base des témoignages de la vie de Jésus, considéré lui-même un Messie. De même que les juifs, ces peuples ne sont parvenus à supporter les persécutions impitoyables dont ils ont été victimes que grâce à l'espoir et à la foi que ces épreuves cesserait un jour et que l'histoire elle-même serait abolie dans un futur très proche. C'est ce que nous montre Eliade dans un passage remarquable où il nous fournit les points forts de la conception messianique du mal et de l'histoire mais qui peuvent être facilement étendus aux peuples chrétien. Du moins avant que le christianisme ne devienne cycle, la puissance des dieux, la volonté de la providence. Consulté le 28 Janvier 2014 à 20h 50.

* 46http://www.afriqueredaction.com/article-les-sacrifices-humains-le-travers-meurtrier-de-la-sorcellerie--43618475.htm. Consulté le 12 Février 2014 à 14h 47.

* 47 Les,usages,publics,de,la,mémoire,del'esclavagecolonial.classiques.uqac.ca/..bonniol.../usages_memoire_esclavage.rtf.Consulté le 30 janvier 2014 à 17h.

* 48 Plantation de cannes à sucre ; Titre du tableau de Catherine Théodose, couverture du corpus.

* 49Corzani, Jac. Culture savante et culture populaire (XVIIe Siècle) histoire des Antilles et de la Guyane, sous la direction de Pierre Pluchon. Toulouse : Privat, 1982. pp. 441-467. « La société créole est dominée par la violence : expropriation puis génocide des Caraïbes, des petites Antilles, des Arawak en Haïti, importation sous la contrainte de certains colons eux-mêmes, puis bien entendu et surtout des africains razziés et maintenues dans une dégradante servitudes. Le primat de la force sur le droit et la justice restera dans la mentalité collective sous le double aspect de la crainte et de l'audace, de la prudence et de l'intrépidité »

* 50 Edouard, Glissant, Tout Monde, livre II du traité de Mathieu Béluse. Paris : Gallimard, 1993. P.124.

* 51Pépin, Ernest. Littérature d'un écrivain guadeloupéen. Article pour La revue Autrement, série Mémoires, N°28. Janvier 1994, p.225 : les écrivains antillais eux-mêmes sont traumatisés, mais ils subissent le trouble psychologique de l'antillais, dans des formes narratives pour les uns et à travers des essais pour d'autres, comme Edouard Glissant et Aimé Césaire. Pour les écrivains antillais, il est indispensable d'explorer l'âme créole et le passé Caribéen telles que Maryse Condé, Simone Schwarz-Bart et Gisèle Pineau. « Il s'agit de faire parler son pays comme un être vivant, c'est-à-dire faire parler à la fois le paysage, faire parler la mémoire, faire parler la culture (...) »

* 52 Métellus, Jean. Haïti, une nation pathétique. Paris : Maisonneuve & Larose, 2003.

* 53Fulton, Dawn. Signs of Dissent, Maryse Condé and Postcolonial Criticism, Charlottesville & London, University of Virginia Press, 2008, p.97. Consulté le 04 Janvier 2014 à 19h.

* 54Condé, M aryse. « O Brave New World », Research in African Literatures, Fall 1998, Volume 29, Number 3, Indiana University Press, pp. 1-7.(Annexe 2): Brave New World : « The notion of Race is, in fact, a legacy of 18th - and 19th -century pseudoscientific theories. Buffon, de Raynal, and later the illustrious count of Gobineau divided mankind into its different subgroups, using color or race as the initial criterion for the classification. For colonial reasons, the Native American, the black man, the African were placed at the bottom of the human family. There was even some discussion as to whether the black man should be categorized as belonging to the species of the ape or the human race ». Consulté le 31 Janvier 2014 à 12h 34.

* 55 Ménil, René. Sur l'exotisme colonial, Revue La nouvelle critique, Mai 1959, repris dans Tracées..., op. cit, p.19.

* 56 Condé, Maryse - île en île. www.lehman.cuny.edu/île.en.île/paroles/conde.html. Consulté le 03 Février 2013à 13h.Pour René Ménil l'aliénation est subie grâce à la confusion des cultures, antillaise et occidentale, alors que Maryse Condé a construit le renoncement dans l'âme de ses personnages qui, en rejetant leur histoire, à l'image de Babakar et ses deux amis qui se sont exilés à Haïti. Maryse Condé a su traduire, d'une façon différente, cette rupture : les personnages qu'elle construit sont responsables de leur hantise, puisqu'ils ont délaissé leur tradition et leurs coutumes historiques.

* 57 Balandier, Georges. Anthropologie-Logique. Paris, P.U.F. 1974. p. 207.

* 58 Propp, Vladimir. Morphologie du conte (1928). Paris : Le seuil, 1970.

* 59 Ibid.

* 60 Bachelard, Gaston. L'Air et les songes. Paris: Corti, 1990.

* 61Thomas, J. Deux figures de l'imaginaire gréco-romain : l'acrobate et le plongeur. Paris : L'Harmattan, 2001. pp77-89. Le discours mythique rejoint une forme de discours initiatique: il s'appuie sur l'idée d'une relation, par le voyage et d'une transformation, par ses péripéties et ses épreuves, dans un monde qui est divisé en grands régimes bipolaire. Le travail du mythe sera de tisser entre elles, et à travers le voyage, le lien d'où naîtra l'émergence entre masculin et féminin, noir et blond, Maitre et Esclave, ordre et désordre, haut et bas, lumières et ténèbres, etc. Le voyage comme paradigme du mythe, est donc un dynamisme organisateur qui cherche à échapper à son propre risque mortifère: la diaspora, la fragmentation, la discontinuité (diabolê, en grec: le "diable", c'est ce qui sépare...). Donc, le récit mythique de l'avancée (celle de l'Homo viator, de l'homme en marche et en voyage, le voyage métaphorisant la traversée de la vie est polarisé, comme la marche, en mouvements antagonistes et complémentaires. Ces mouvements (ordre, désordre, liage, déliage, ouverture, fermeture), pris isolément, sont nécessaires, mais « barbares » parce qu'excessifs, faute de dialogue. La dimension civilisationnelle du voyage du héros mythique va résider précisément dans sa capacité à relier ces deux antagonismes dans un rythme, une danse, des enseignements fondamentaux et récurrents du mythe, c'est cette science de l'entre-deux, de l'aequilibritas, la juste harmonie, l'exacte proportion des parties, de la mediocritas, a science d'être in medio, au milieu, dans le juste milieu comme capacité de se tenir sur un sommet, mais entre deux gouffres.

* 62 Poétique de la réception du personnage chez Saramago. Analyse ...theses.ulaval.ca/archimede/fichiers/25675/ch02.html. Consulté le 17 Janvier 2014 à 12h.

* 63 Eliade, Mircea, The Journal of Religi L'Herne, Paris, 1988, pp.16-17.

* 64 Idem, p.19.

* 65 Ibid, p.. 33.

* 66Sellier, Philippe. Qu'est-ce qu'un mythe littéraire ? Dans un article publié en 1984. Consulté le 15 Février 2014 à 16h 12.

* 67 La tragédie du roi Christophe: théâtre - Aimé Césaire - Google Books, books.google.com. 1963.Consulté le 12 Janvier 2014 à 22h.

* 68 Césaire, Aimé. Une Saison au Congo. Théâtre. Paris : Seuil, 1965.

* 69 Chamoiseau, Patrick. Chronique des sept misères. Paris : Gallimard, 1986.

* 70 Chamoiseau, Patrick.  Texaco. Paris : Gallimard. 2010.

* 71 Chamoiseau, Patrick. Biblique des derniers gestes. Paris : Gallimard, 2002.

* 72 Chamoiseau, Patrick. L'empreinte à Crusoé. Paris: Gallimard, 2012. p.172.

* 73 Condé, Maryse. Célanire cou-coupé. Paris : Robert Laffont. 2005.

* 74 « Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme » : Genès 1,2
 

* 75 La Bible. Genèse 7 : verset 11.

* 76 Genèse. 7 : versets 11, 17 et19.

* 77 Les exégètes se contredisent sur le nombre des personnes embarquées. Il existe une fourchette entre 7 et 80 personnes. Le chiffre 80 étant le plus retenu. Selon le fils d'Abbas : ils étaient au nombre de 80 hommes dont Djourhoum, et tous étaient enfants de Seth (Chith). Selon Quatadah, ils étaient 80 personnes : Noé et son épouse, ses fils et leurs femmes. Le corps d'Adam sera monté à bord, puis son Seigneur lui commanda d'y faire monter les animaux. Le premier animal à monter à bord sera l'oie, le dernier, accompagné de Satan, l'âne. Un seul ne montera pas parmi ses proches, son fils Yam (autre nom Canaan), il était mécréant. Quand l'eau se déchaînera faisant des vagues de la taille de montagnes, Noé tentera en vain de convaincre son fils de monter à bord. Mais il déclinera l'invitation. Espérant trouver refuge sur la plus haute des montagnes (Coran XI 42-3). La tristesse de Noé sera grande (Coran XI 45-7). Le monde biblique ne reconnaît pas ce quatrième enfant de Noé (sur lui la Paix !). Les textes bibliques ne le mentionnent pas.

* 78 Genèse 6 : 15-16.

* 79 L'Arche de Noé, est une espèce de grand navire que Noé construisit, par l'ordre de Dieu, pour s'y retirer avec sa famille et des couples de chaque espèce d'animaux, et à l'abri duquel il devait échapper aux eaux du Déluge. A part son existence et sa destination, tout ce qu'on pourrait dire de cette construction est conjectural. Selon la Bible, l'Arche était en bois de gopher, mot que les Septante traduisent par bois équarri, Jonathas par cèdre, Onkélos par cyprès, St Jérôme par bois goudronné. Moïse donne à l'arche 300 coudées de long; 50 de large, 30 de haut, et les savants sont loin d'être d'accord sur la valeur de ces coudées; si ce sont celles des Égyptiens de son temps, l'Arche aurait eu environ 170 mètres de longueur, 28 de largeur, 17 de hauteur, et sa capacité se serait élevée à plus de 42 000 tonneaux. Moïse attribue au bâtiment trois étages tandis que Philon et Josèphe lui en donnent quatre, et Origène cinq. Ce dernier prétend que l'Arche était de forme pyramidale, et d'autres en font un parallélépipède rectangle. Selon Origène, St Augustin et St Grégoire, Noé employa 100 ans à la construire; selon Salomon Jarchi, 120 ans; selon Bérose, 78; selon Tanchuma, 52; selon les Musulmans, 2 seulement. (B.). (Source : Imago Mundi.). Fais une arche en bois (Gen. 6:14). Jacob ben Isaac d'écrire notamment : Toldot Itzhak dit : Noé n'a pas récité de prières car il était bon envers les gens mais sa foi en Dieu faisait parfois défaut. Noé pensait que le Saint, béni soit-Il, ne devait pas provoquer le déluge mais seulement faire peur afin qu'ils deviennent pieux. A cause des eaux du Déluge (Gen. 7:7). Noé monta dans l'arche à cause des flots tumultueux. Noé ne croyait pas que Dieu déclencherait le déluge ; c'est pourquoi, il ne rentra pas dans l'arche avant que l'eau ne l'y oblige. (Le commentaire sur la Torah. Edit. Verdier). Nous dirons : c'est porter là un jugement sévère et inadmissible sur/envers les prophètes. Mais, d'après les commentateurs, ceci correspond à l'image que le monde de la Synagogue, se fait en général de ses prophètes ! Or, après la foi des anges, la foi des prophètes et messagers divins n'est pas à mettre en doute. Et le Déluge n'est pas ici un jeu. C'est un châtiment envers ceux et celles qui ont mécru en leur divin Créateur, Lui ont donné des Associés, Lui ont désobéi, ont désobéi aux invitations et injonctions du prophète Noé (sur lui la Paix !). Et de ce fait, à lui de faire cette prière à son Seigneur : «Seigneur ! Ne laisse sur terre pas un habitant d'entre les mécréants ! Pourquoi ? Si Tu en laisses, en vérité, ils égareront Tes esclaves, et n'engendreront que du libertin, du trop ingrat... » (Coran LXXI 26-7). Enfin, le divin Créateur du monde biblique n'est-Il pas présenté comme une sorte de divinité dépourvue de toute science, de connaissance réelle de l'invisible, de l'avenir? A les lire, on fini par croire en la suprématie de l'Homme sur son Créateur ! Encore une vision propre au monde toranique.

* 80Le déluge était si énorme que la terre toute entière n'avait jamais témoigné d'une telle catastrophe, d'une telle furie. L'eau qui sortira et tombera, sera une partie venant de la terre, l'autre du ciel. Le "four" est ici un signe divin, inconnu du monde biblique. Selon les exégètes, il peut y avoir ici sept interprétations possibles : 1) la surface du sol, les Arabes appellent la surface du sol : le four. La terre se mit à bouillonner de sources. 2) le four à pain. Le four était de pierre, il appartenait à Eve. Puis, parvint à Noé. On lui dit : Si l'eau sort du four à pain, monte à bord toi et tes compagnons. Dieu alors fit sortit l'eau du four à pain. La femme de Noé le sut, et lui dit : O Noé ! L'eau sort du four ! Il dit : Est venu véritablement le rendez-vous de mon Seigneur ! 3) l'endroit, selon Hassen, où l'eau s'est rassemblée autour du navire. 4) Le lever du soleil, la lumière du matin. Parole de Ali (que Dieu l'agrée !) 5) La Mosquée de Koufah. Selon Ali (que Dieu l'agrée !) et Moudjahid. Moudjâhid : le four était dans la direction de Koufah. Noé prit le navire à l'intérieur de la Mosquée de Koufah. Et le four était à droite de l'entrée... Et de lui l'eau sortit, Noé le savait et c'était là une preuve évidente de la destruction de son peuple. 6) la partie élevée du sol, la partie la plus haute. 7) Source dans le Djaizirah (Arabie). On dit : La source est dénommée wardah... Nohas a dit : c'est là les sept paroles, lesquelles ne sont pas contradictoires entre elles puisque Dieu nous a informé que l'eau sortira à la fois du ciel et de la terre. (V. Qortobi). Autre variante : Par le terme « four » (tannour), la majorité des Savants entende la surface de la terre, c'est-à-dire que de tous les côtés de la terre, l'eau avait jailli, au point qu'elle surgit même des fours qui sont des lieux du feu. Cependant le fils d'Abbas a dit que le four (tannour) est le nom d'une source qui se trouve en Inde ; Chi'bî a dit qu'elle se trouve à Koufa (en Irak) et Qatâdah a soutenu qu'elle se trouve dans la presqu'île arabique. Ali fils d'abou Talîb a dit, quant à lui, qu'il s'agit de l'aurore quand elle se fend et du jour quand il se lève. Ainsi selon lui, Dieu a ordonné à Noé de faire monter les créatures dans l'embarcation dès l'aurore. Avis personnel.

* 81 Se sera une découverte à haut risque. On dit que Noé (sur lui la Paix !) sera assisté par les anges. Il lui sera montré comment construire une telle embarcation. Selon les commentateurs, Noé (sur lui la Paix !) le charpentier fabriquera son bateau en bois de teck. Bois dur, de densité moyenne, imputrescible. Il lui fut commandé de le faire d'une longueur de 80 coudées, d'une largeur de 50 coudées, sur une hauteur de 30 coudées. Selon Quatadah : longueur : 300 coudées, largeur : 50 coudées, hauteur 30 coudées. Selon Hassen : Longueur 1100 coudées, largeur : 600 coudées. C'est ainsi qu'il sera décrit par Ham fils de Noé, lorsque le Messie demanda à son Seigneur la permission de le ressusciter, sur demande express de ses compagnons. L'exégète Baidawi estime que les dimensions de l'arche sont de trois cents coudées de long, cinquante de large et trente de haut. Il explique ensuite que le premier des trois étages était destiné aux animaux sauvages et domestiques, tandis que le second accueillait les êtres humains et que le troisième abritait les oiseaux. Pour l'historien Ibn Athîr, le premier abritait Noé et les autres humains, le second les animaux sauvages, et le troisième les oiseaux. Il y a divergences à ce sujet.

* 82 Le Coran : Sourate 11 - Islam, islamfrance.free.fr/doc/coran/sourate/11.html. Consulté le 20 Avril 2014 à 20h 04

* 83 Al Baidawi, qui écrit au XIIIe siècle, en déduit que Noé proclama le nom d'Allah pour mettre l'arche en mouvement, et qu'il fit de même pour l'arrêter. Quand l'eau commencera à monter et à tomber, les animaux sauvages se présenteront à Noé (sur lui la Paix !). Ils lui seront soumis, et à lui de les faire monter à bord suivant l'ordre divin. Dieu donna également l'ordre à l'ange Gabriel d'élever la Ka'bah au quatrième ciel du Paradis. Elle était en hyacinthe du Paradis. La pierre noire fut cachée dans le mont Abou Qais de la Mecque. Elle restera ainsi jusqu'à la reconstruction de la Ka'bah par le prophète Abraham et son fils Ismaël (sur eux la Paix !) (Coran II 124-130). Og fils d'Anaq, pour avoir aidé Noé à construire le bateau, fut le seul des géants à avoir, dit-on, pu survivre au Déluge. Noé (sur lui la Paix !) avait besoin de bois de teck pour le bateau, il ne pouvait le transporter. C''est alors que Og le transporta jusqu'au Châm, et pour cela, il fut sauvé des eaux du Déluge. Version biblique : Reste seulement Noé (Gen. 7:23). Il ne reste que Noé et tous ceux qui se trouvaient sur l'arche. Nos sages disent (Nid. 61a) : Og, roi de Basan, demeura sur une planche près de l'arche sous le toit. Noé creusa un trou dans l'arche et donna à manger à Og ; c'est pourquoi Og jura qu'il ne fera aucun mal à ses enfants. Il est écrit « seulement Noé », ce qui signifie que Noé gémissait car une fois, il tarda à nourrir le lion qui le mordit. Alors Noé se mit à crier (Akh veut dire « seulement » ; c'est également le cri que poussa Noé. (Op. cit.). Remarques : propos qui n'engage que l'auteur. Voir notre version concernant Og. Lequel ne sera jamais roi. Quand il fut ordonné à Noé de faire entrer les animaux dans le bateau, il dit : ô Seigneur ! Que ferai-je du lion avec la vache ? De la chèvre, du loup, de l'oiseau, du chat ? Il dit : Celui qui a créé entre eux l'inimitié est capable de les rassembler. Il fit tomber la fièvre sur le lion qui l'occupa. Et Dieu est plus Savant !

* 84 Quand Al Masudi écrit que Dieu ordonna à la terre d'absorber l'eau, et que certains territoires peu prompts à obéir reçurent de l'eau salée en punition, devenant ainsi secs et arides. L'eau qui ne fut pas absorbée forma les mers et les océans, si bien que certaines eaux du Déluge existent encore aujourd'hui. Le fils de Djarîr mentionna que le déluge commença le 13 août du calendrier copte

* 85Les rescapés édifièrent une ville au pied du mont Joudi, en direction de Moussoul, qu'ils nommèrent Thamanin (« quatre-vingts ») en raison de leur nombre, et du fait que chacun y bâtira une maison, sa propre maison. Aujourd'hui dénommée : le marché des 80. C'est le premier village à être construit après le déluge. Ces personnes n'eurent pas d'enfants, et la totalité des êtres humains nés après le Déluge descendent des trois fils de Noé. Noé (sur lui la Paix !) ferma alors l'arche et en confia la clé à Sem. Yaqout al-Rumi (1179-1229) mentionne également une mosquée construite par Noé et visible à son époque. Quant à Ibn Battuta, (1304-1377), le grand voyageur marocain, il rapporte avoir franchi le mont Joudi au cours de ses voyages au XIVe siècle. Le monde de l'Islam actuel, bien que peu portés à s'engager dans une recherche active de l'arche, pensent souvent qu'elle existe toujours, sur les escarpements les plus élevés de la montagne.

* 86Nous utilisons l'expression motif du déluge pour désigner un réseau de figures (arche, eaux, destruction, survivants, Noé, et autres, réseau dont l'organisation varie selon les textes.

* 87 Le roman de Jean-Jacques Rousseau et de J.M.G. Le Clézio proposent tous deux un dénouement de l'anecdote différent de celui que l'on peut observer dans le récit biblique : le renouveau escompté fait plutôt place à une nuit sans fin annulant toute possibilité de résolution du processus de destruction du monde (Le Clezio, Le déluge) de même qu'à l'anéantissement définitif de l'humain par lui-même (Rousseau, Le déluge blanc). De son côté l'île du jour d'avant d'Umberto Eco explique le potentiel parodique des figures du déluge. Ses personnages tentent de trouver une explication scientifique à la crue spectaculaire et au retrait non moins surprenant des eaux dans le récit de la Genèse. Nous observons surtout le dispositif figuratif. Répertoriant les figures et observant leur articulation particulière dans ce texte il élabore des modèles interprétatifs afin de déployer les effets de sens construits par ce réseau énonciatif. Cette étude de la mise en discours l'amène à montrer que le déluge n'est pas présenté comme une recréation, mais apparait comme un nouveau commencement, dans lequel les rapports des hommes avec le Créateur sont radicalement révisés, et les conditions de la vie, étable un monde qu'il risque toujours de conduire à sa perte.

* 88 Résumé sur : Les apparitions de la Vierge Marie - Chretiens2000 chretiens2000.over-blog.com/.../résumé-sur-les-apparitions-de-la-vierge-...ýConsulté le 20 Janvier 2014

* 89 La littérature dessine un espace de liberté et d'invention où la croyance n'enchaîne pas. Opérant à la façon du mythe, la littérature opère aussi contre lui : moment, dirait T.W. Adorno, de la dialectique de la raison - ainsi dès Homère la littérature montre l'homme en train de se délivrer du mythe, comme l'Ulysse de l'Odyssée. Elle continue d'exercer cette fonction, toujours en avance sur ce qu'on peut dire d'elle, précédant toute herméneutique, parce que, ludique et libre, elle réécrit son texte incessamment. La fin et la renaissance du monde sont, en outre, liées à une idée de « purification », comme l'atteste le récit du déluge universel Chrétien, mais aussi bon nombre de mythologies. La purification, en particulier, est très importante dans la vision de la fin du monde rattachée au phénix en ce que le feu, élément essentiel de l'oiseau mythique dès l'époque romaine, est aussi symbole de purification. Le phénix évoque donc le feu destructeur, mais aussi créateur  d'un nouveau monde qui tiendra son origine et sa fin de ce dernier. Symbole fort, le feu est un élément d'une importance première en ce qu'il représente une puissance divine et fait l'objet d'un certain nombre de récits mythologiques (par ex. le mythe de Prométhée) et de rituels (par ex. des rituels funéraires dans la Rome ancienne). Avec la pensée Chrétienne il symbolise l'enfer et la punition, mais aussi, ce qui semble être primordial dans le mythe du phénix, l'idée de l'immolation, considéré comme un acte de sacrifice suprême.

* 90 Le déluge et ses récits : points de vue sémiotiques. Books, google. fr/books isbn : 2005 . Consulté le 19/01/2014 à 23h 12.

* 91 Cotterell, Arthur. Encyclopédie de la mythologie. Paris : Parragon,  2004. Il a ordonne à Utanapishtim de construire un bateau. Sur le vaisseau terminé, Utanapishtim embarque de l'or et de l'argent, les membres de sa famille et un représentant de chaque espèce animale. À l'heure dite, les digues se rompent et la pluie tombe. La tempête est si terrible que même les dieux en sont effrayés. Au septième jour, les eaux se retirent et Utanapishtim constate que son bateau s'est échoué. Il libère la colombe et l'hirondelle mais celles-ci reviennent au bateau. Seul le corbeau consent à s'installer sur la terre ferme. Utanapishtim fait débarquer sa famille et célèbre son salut par un sacrifice au cours duquel il verse des libations et brûle de l'encens. Attirés par l'agréable senteur, les dieux se rassemblent autour d'Utanapishtim et de sa victime. Lorsque vient la déesse-mère, elle pleure la destruction de ses créatures et jure de ne jamais oublier. Elle accuse Enlil de la destruction presque totale de l'humanité. Enlil est furieux qu'une famille humaine ait réussi à échapper au déluge, mais Ea lui avoue qu'il a organisé lui-même le périple d'Utanapishtim. Apaisé, Enlil bénit le héros et son épouse et leur accorde la vie éternelle.

* 92 Kristeva, Julia. Le mot, le dialogue et le roman. Sèméiotikè : le Seuil, 1978. p.85

* 93 Selon Riffaterre, l'intertextualité est un mécanisme propre à la lecture littéraire. Elle seule produit la signification alors que la lecture linéaire, commune aux textes littéraires et non littéraires, ne produit que du sens. Michaël Riffaterre www.erudit.org/revue/pr/2005/v33/n1/012270ar.html. Consulté le 27 Décembre 2013 à 20h 20.

* 94 Genette définit la paratextualité comme « la relation que le texte entretient, dans l'ensemble formé par une oeuvre littéraire avec son paratexte : titre, sous-titre, intertitres, préfaces, postfaces, avertissements, avant-propos etc...., notes marginales, infrapaginales. d e l'intertextualité à l'écriture - Cahiers de Narratologie - Revues.org

narratologie.revues.org/329. Consulté le 20 juillet 2013à 20h 14.

ý

* 95 Pierre Ndemby-Mampooumbou, D'une écriture de la rupture à une relecture des cultures : lire et comprendre les pouvoirs traditionnels dans le roman de l'Afrique noire, thèse de doctorat, ParisII, 2005. p9. L'intérêt de cette approche est de considérer les diverses techniques du roman dans la narration du sacré. La thèse soutenue par Pierre Ndemby-Mampoumbou étudie les pouvoirs traditionnels dans le roman de l'Afrique noire comme structure de pouvoir opérant dans l'organisation politique contemporaine des Etats africains. Parmi les oeuvres de Sony Labou Tansi qu'il retient dans son corpus figure La Vie et demie. L'axe de recherche de cette thèse est la fonction des traditions orales et des croyances ancestrales africaines dans l'exercice du pouvoir politique moderne. La critique précise : De cette première approche, il s'était dégagé le fait que l'analyse du texte constituait le corpus principal de lecture du pouvoir politique dans La Vie et demie révélant que la pratique scripturale se déployait autour de la relation des hommes politiques avec les forces traditionnelles. Consulté le 30 Avril 2013.

* 96Ibid. p.301 : Pierre Ndemby-Mampoumbou affirme que: « Le constat littéraire de l'ensemble des romanciers est sans équivoque : une confusion opératoire reste identifiable entre la nouvelle Nation avec ses valeurs démocratiques et son mode de fonctionnement avec les anciennes sociétés africaines, généralement des royaumes et des tribus

* 97 Sonia Zlitni-Fitouri, Le sacré et le profane dans la littérature de la langue française, op.cit. p. 11. C'est le cas de Monnès, outrages et défis98 d'Ahmadou Kourouma dans lequel l'auteur fait appel à une verve humoristique remarquable pour fustiger le pouvoir de Djigui entouré de ses sorciers. La fiction montre le caractère dépassé et obsolète des structures traditionnelles du pouvoir. Sonia Zlitini-Fitouri rend compte de la technique de désacralisation dans le roman francophone et évoque sa nécessité lorsqu'il s'agit de critiquer le pouvoir : On ne manque pas d'être frappé par du basculement chez ces écrivains du sacré dans la dérision et la démythification. Dans ces conditions, l'écriture devient à l'évidence entre leurs mains une arme de contestation du monde tel qu'il est, la seule peut-être susceptible d'ébranler un système politique verrouillé et un pouvoir qui ne dédaigne pas par l'occasion de se draper des oripeaux du sacré et du divin.

* 99Rudi Mbemba, Dia Benazo-Mbanzulu, Le Procès de Kimpa Vita, La jeanne d'Arc congolaise, Paris, L'Harmattan, 2002, pp. 58-59. « L'idéal de Kimpa Vita est bien plus grandiose. Consistant en une recherche de l'unité perdue de sa si chère nation, elle entend aller au-delà d'une satisfaction personnelle. Non, sa destinée est à chercher ailleurs et trouve notamment sa similitude avec celle de Jeanne d'Arc. Ainsi se met-elle à l'écart des disputes des trois prétendants chefs et rois. Son objectif est de les réconcilier, de leur faire comprendre le bien fondé de son action qui est celui de l'intérêt général, lequel d'après sa conviction aurait sa raison d'être non pas à Bula, ni Kibangu, ni au Soyo, mais à San Salvador la capitale politique du royaume. Dans ce contexte fort difficile du royaume Kongo, Mbanza kongo ou San salvador la capitale, devient, peut-on dire, aux yeux de Kimpa Vita, stratégiquement, une sorte de Mbongi. Le Mbongi chez le Kongo est un centre d'accueil, d'enseignement public, de transmission ou de diffusion des connaissances en tous domaines, un organe de règlement de conflits de tous genres. Partant de cette définition, ne peut-on pas admettre que Kimpa Vita manifeste raisonnablement, par son action le souci sinon le devoir de rassembler les hommes au grand Mbongi de Mbanza Kongo pour l'unité du royaume comme le font habituellement les femmes dans les Mbongi ordinaires».

* 100 Kibangou, Sony Labou Tansi ou la quête permanente du sens. Op.cit, p. 245.

* 101 Rudi Mbemba, Dia Benazo-Mbanzulu, Le Procès de Kimpa Vita, La jeanne d'Arc congolaise, Paris : L'Harmattan, 2002. pp58-59.

* 102La mythologie afro-antillaise s'avère une religion panthéiste dans le sens où la Nature entière apparaît comme le maître du destin. Ainsi, le ciel, la terre, l'eau (l'espace fluvial et marin) jouent le rôle de divinités puissantes.

* 103 Mythes et violence dans l'oeuvre de Sony Labou Tansi. Op. cit, p.22.

* 104 La fin du Monde se définit par ce temps où le ciel viendra à être recollé à la terre. Cette croyance est le leitmotiv du roman. Maryse Condé organise sa fiction de telle sorte qu'elle puisse permettre naturellement l'intervention des divinités du panthéon Bambara et de ses esprits dans une affaire de coutume qui plonge le monde dans les prémices de la fin apocalyptique annoncée.

* 105 Mythes et violence dans l'oeuvre de Sony Labou Tansi. Op. cit, p.79.

* 106 Ibid.

* 107 Cette scène est évoqué aussi dans l'oeuvre de Paul Claudel l'annonce faite à Marie où l'héroïne embrasse l'époux de sa soeur au premier chapitre. Cela annonce des souffrances et des malheurs à venir.

* 108 Superstition antillaise et leur explication - Commentaires ...www.volcreole.com/forum/sujet-3446-45.html. Consulté le 21 mars 2O14 à 18 h 05.

* 109 Moura, Jean-Marc. Littératures francophones et théorie postcoloniale, Paris, PUF, Coll. Écritures francophones, 1999. p. 43.

* 110 Ibid. p. 129.

* 111 Laîdi, Z. Sous le dire de : Le temps mondial, Bruxelles : Complexes, 1997. p.15.

* 112Condé, Maryse. La parole des femmes: Essai sur des romancières des Antilles de langue française. Paris: l'Harmattan, 1979.

* 113 Il faut voir dans l'oppression la composante de l'identité des femmes, et non pas la description comique de leur destin. C'est pour des raisons liées à l'identité que Maryse Condé a construit des épisodes sur les femmes, elle prolonge, dans son texte, les origines et l'actualité des histoires féminines, sanglantes et cruelles. C'est à l'intérieure de la narration que se trouvent ces souvenirs de femmes avilies, dans les rapports entre la réalité et la perception des auteurs. On comprend pourquoi l'oppression permet à Maryse Condé de reprendre les mêmes thèmes, de les transformer et de les coordonner.

* 114 Le père, l'ennemi, à abattre, la personne à haïr, l'objet de toutes les jalousies, symbolise l'esclavagiste, qui possédait la femme, l'objet de toutes les convoitises.

* 115 Hernandez, Teresita. L'importance de l'expression orale dans Ti Jean L'horizon et Pluie et vent sur Télumée miracle. Revue francophone, vol. VIII, N°2 Lafayette, Louisiane, 1999, p. 42.

* 116 Ibid.

* 117 Feminist Postcolonial Theory: A Reader: Reina Lewis, Sara Mills ...www.amazon.com/Feminist-Postcolonial-Theory-A.../0415942756. Consulté le 09 Janvier 2014 à 14h.

* 118 Le Dictionnaire du Littéraire: Amazon.fr: Alain Viala, Paul Aron ...www.amazon.fr/Le-Dictionnaire-Littéraire-Alain.../Consulté le 03février 2014 à 15h 20.

* 119 The colonial and imperial context was one which was sexually coded and redolent with sexual meanings; the exotic is a particular example of the way in which the colonial context is imbued with sexual fantasy. [ ... ] Even the colonial landscape was represented as a compliant female body - a virgin territory opening itself up to imperial penetration (Mills, 1998, p. 100-101). Consulté le 12 Janvier 2014 à 13h 15.

* 120 C'est ce qui pousse Mills à déclarer: « "controlling women's sexuality, exalting maternity and breeding a virile race of empire-builders were widely perceived as the paramount means for controlling the health and wealth of the male imperial body politics"» (1998, p. 1 02). Consulté le 18 Janvier 2014 à 18h.

* 121 Feminism is not simply an additive explanatory mode! Along side other political theories. To centralise women's experiences of sexuality, work and the family inevitably challenges traditional frameworks of knowledge. Feminism incorporates diverse ideas which share three major perceptions: that gender is a social construction which oppresses women more than men; that patriarchy shapes this construction; and that women's experiential knowledge is a basis for a future non-sexist society. These assumptions inform femînism 's double agenda: the task of critique (attacking gender stereotypes) and the task of construction (Humm, 1998, p.194 ). Consulté le 22 Mars 2014 à 12h 20.

* 122 Condé, Maryse. La parole des femmes. Op.cit. 221.

* 123 The good husbands and lovers of the Caribbean are also too often silent and invisible: the creative literature at present available for young women to read about with stereotypical attitudes towards women, depicting them as victims of male violence or the other ways as losers or marginal figures (Savory Fide, 1990, p. 290).

* 124 A présent, bien des femmes · n'en peuvent plus et cette révolte sourde qui n'ose s'exprimer, se perçoit à travers ces écrits contemporains (Condé, 1979, p. 45). Résultats Google Recherche de livres. Consulté le 09 Avril 2013 à 13h 14.

* 125 Condé, Maryse. La parole des femmes. Op.cit. p.554.

* 126 Le caractère subversif de la femme antillaise dans un contexte ... - Résultats Google Recherche de Livres

* 127 Ibid. p. 44. Consulté le 14 janvier 2014 à 16h.

* 128 Ibid. p. 36.

* 129 Thomas, R Murray examines educational research as a series of simple and complex questions. Corwin Press, Mar 14, 2003. p. 1128.

* 130 Condé, 1979, p. 37. Dans Caractère subversif de la femme antillaise. Mémoire présenté par Emeline Pierre. Juin 2007. Consulté le 14 Juillet 2013 à 19h 18.

* 131 Ibid. p. 39.

* 132Ibid. p. 93.

* 133 What feminism teaches you is that literary/ critical languages, like any others, are not simply technologies of communication but intensely caught up in gender value judgments. (... ) Feminism involved in new literary practices rather than simply in metaphors are trying to understand the wider meanings of change. (Humm, 1998, p. 207).

* 134 Caractère subversive de la femme antillaise. Op. cit.p.235.

* 135 Ibid. p.42.

* 136En effet, d'après Marie-Denis Shelton, « feminine writings tend to explore conflicts and mutilations that characterize the being-in-the-world of women in the Caribbean » (1990, p. 347).

* 137 « One of the most pervasive them es in the Caribbean novels written by women is the problematic of feminine exclusion and dispossession » (1990, p. 347-348). Resultants recherches sur Google. Consulté le 28 Février 2014 à 22h.

* 138Mais les auteures veulent renverser cette tendance, de telle sorte que « some works in Caribbean feminine expression can be viewed as breaking the chain of alienation. They propose images of women who find a voice to claim a parce! of power over reality and destin y » (Shelton, 1990, p. 354). De même, « women writers in the Caribbean have been involved in an active interrogation of reality, past and present. The ir preoccupations and the ir response are diverse. [ ... ] Caribbean women's fiction is not solely centered on the self. It is structured on the multiple contractions and potential ities within Caribbean societies » (Shelton, 1990, p. 3 56).

* 139 Condé, Maryse. 5 Questions pour Île en île. Entretien, Paris .2009. 18 minutes. Île en île. Mise en ligne sur YouTube le 8 juin 2013. Consulté le 17 Mai 2013 à 17 h.

* 140 Corzani, Jack. Littératures francophones - II. Les Amériques (Haiti, Antilles-Guyane. Québec. Paris : Belin, 1998.

* 141 Régis, Antoine. La littérature franco-antillaise, Haïti, Guadeloupe et Martinique. Paris : Karthala, 1992.

* 142 Ibid. p. 89.

* 143 Entre la société créole et l'écrivain antillais, deux rapports au moins apparaissent et fondent le contexte littéraire : les liens affectifs qui préfigurent ce membre complaisant, interprète de la société, et littéraires comme pour suggérer cet artiste acharné, engagé, dévoué à la cause caribéenne. L'écrivain antillais tire sa révérence de sa condition géographique, les réalités du pays influencent les thèmes qu'il aborde dans ses oeuvres de fiction. Les textes littéraires, selon cette correspondance naturelle et imaginaire, s'ouvre sur la métaphore profondément créole qui s'articule selon les particularités de la société antillaise et la représentation de la culture créole. Et cette image symbolique laisse entrevoir dans la littérature des êtres antillais, là où les récits exposent les événements des îles de la Caraïbe : Dans le double rapport de l'écrivain avec la société, une vérité littéraire se dégage : la recherche de l'identité, engagement des auteurs et des Hommes, une culture et des valeurs insulaires. Il s'agit là de l'harmonie antillaise (l'identité créole) un métissage de multiples cultures, surgies d'origines diverses. L'esclavage des Noirs ou début du XVI e Siècle et la colonisation française, conséquence de l'abolition, ont pourvu un héritage, le métissage culturel.

* 144Cisse, Mouhamadou. Thèse de doctorat, identité créole et écriture métissée dans les romans de Maryse Condé et Simone Schwartz-Bart, Université Lumière, Lyon 2- 2006.

* 145 Dans  l'esclave vieil homme et le molosse : « c'était pour l'esclave vieil homme, un moment de déroute ; voir débarquer ces hommes qui lui ressemblaient tant. Tous mal revenus de la plus langue des morts ». Le bateau Négrier est un espace intermédiaire où la rupture n'est pas clairement concrétisée, probablement parce que là on côtoie la mort de trop près et que dans de telles conditions, la préoccupation première est de survivre. Le bateau apparait signifiant l'instrument de la chute, aussi, instrument d'entrée dans l'univers de l'autre, de l'oppresseur. Espace ambivalent, il est clos, lieu de passage entre deux espaces ouverts : l'Afrique et l'île, là où se côtoient la proximité de la mort et la survie, c'est le cercueil et le berceau146. Dans En attendant la montée des eaux, Maryse Condé décrit les passagers

* 147Leur foisonnement engendre l'abandon involontaire de quelques habitudes, l'adoption obligatoire d'autres rites, le mélange inéluctable de nombreuses traditions. L'héritage africain, la culture occidentale, rites mystiques indiens engendrent la fusion des moeurs mais aussi la confusion et l'instabilité des structures sociales. C'est dans ce contexte enchevêtré de métissage qu'il faut retrouver le drame de l'antillais, confronté au problème culturel de la francophonie. 

* 148L'oralité apparait dans l'oeuvre écrite par la projection des genres Oraux, le mythe, le conte, les proverbes, les écrivains charrient le répertoire de l'oral. L'écrit et l'oral s'interfèrent, s'entrecroisent, se mélangent, sans jamais altérer les intrigues, dénaturer les événements relatés. On peut lire l'oralité dans la littérature antillaise, le mélange est remarquable dans les oeuvres de Maryse Condé.

* 149Condé, Maryse. Aspects du mythe dans la littérature des Antilles françaises, Actes du XIV congrès de la SFLGC : Limoges, 1977. p.21.

* 150Ce que l'on admire particulièrement, c'est l'aventure comme forme imaginaire d'écriture et de narration, les évocations hasardeuses et recherchées parcourent beaucoup de styles. En décrivant l'errance des personnages, Maryse Condé promène son imaginaire. En attendant la montée des eaux reflète des images frappantes, colorées, métaphoriques, décrites tout au long des enchaînements narratifs, carrefours de styles différents de traditions littéraires opposées. Elle a symbolisé l'identité créole comme motif littéraire qui dégage des représentations si mêlées qu'elles paraissent dénaturées mais significatives : l'identité perd sa vraie valeur qu'elle tenait de la réalité de Fond Zombi, des rituels etc.. Les nombreux tableaux pittoresques dans Ségou, Traversée de la Mangrove et En attendant la montée des eaux, les parenthèses et les allusions dans pluie et vent, tout porte à croire que Maryse Condé a bâti les thèmes identitaires dans l'écriture métissée. Cette dernière mobilise les ruses et les astuces qui enjolivent les romans, et qui superposent à l'intérieur de la narration les modèles et les paysages littéraires.

* 151 Barthes, Roland. Le degrés zéro de l'écriture, Paris : Seuil, 1972. p.31.

* 152 Gauvin, Lise. L'écrivain francophone à la croisée des langues, Entretien. Paris : Karthala,1997.p. 67.

* 153 Condé, Maryse. Traversées de la Mangrove. Paris: Mercure de France, 1989. p. 146.

* 154Deleuze, Giles. Creattari, Félia. Kafka, pour une littérature mineure. Paris: Minuit, 1975. pp. 7-8.

* 155 Condé, Maryse. Le roman antillais, tomme 1. Paris : Fernand Natthan, 1977, P13.

* 156 Moura, Jean Marc. Post colonialisme et comparatisme. Université de Lille. Consulté le 09 Janvier 2014 à 16h 21.

* 157 Ibid.

* 158 Ibid.

* 159 Ibid.

* 160 En ayant recours à la tradition orale, l'auteur s'engage dans un processus de subversion puisqu'il va à l'encontre des normes établies. Toutefois, Bardolph déclare qu'au sein du post colonialisme antillais, tous les textes ne s'opposent pas aux pouvoirs hégémoniques aliénants au nom du nationalisme. En réalité, les écrivains francophones des îles créoles sont à l'origine d'un combat qui s'inscrit dans la tendance générale de notre époque vers un retour aux sources : « En utilisant ces tactiques d'écriture, l'auteur guadeloupéen réfute et refuse les liens de dépendance qui existent entre la périphérie (la Guadeloupe) et le centre (la France). Cela engendre une mise à distance prise par rapport à la langue dominante. Par ailleurs, l'intrusion du créole (assez récente) ou de l'oralité dans le texte littéraire correspond à une remise en question de la norme qui donne lieu, comme le dit Christiane N diaye, à un « dépassement de la discrimination des formes : métissages intertextuels et transculturels » (2004).

* 161 Le plus souvent pour lui reprocher ses carences en ce domaine, soit qu'elles fassent de la théorie post coloniale un symptome de la domination nouvelle baptisée « empire » (Michel Hardt, Antonio Negri ; Empire, Harvard U. P. 2000), soit q'elles voient celle-ci comme une « comprador intelligentsia » (Arif Dirlik : The postcolonialbAura. Londres : Macmillan Press Ltd, 1998.

* 162 Ibid.

* 163Théodore Holo, Le Président de la République en Afrique noire francophone, Paris, L'Harmattan, 2007. p.21.

* 164 Cornatan, Michel. Pouvoir et sexualité dans le roman africain, Paris, L'Harmattan, 1991, p.40.

* 165 Mythes et violence dans l'oeuvre de Sony Labou Tansi. Op. cit, p.22.

* 166Delas, Daniel. Métastases du discours postcolonial in Xavier Garnier et Papa Samba Diop, Sony Labou Tansi à l'oeuvre. Paris : L'Harmattan, 2007. p71.

* 167Devesa, Jean Michel. Sony Labou Tansi, Ecrivain de la honte et des rives magiques du Kongo, 1996 Paris : L'Harmattan, 2008.

* 168 Selon l'étude de Jean Michel Devésa, qu'il en faite, le sentiment amoureux est dominé par une force aliénante : l'être qui aime est dévoré par son aimé dans « une relation exempte de morale» qui, selon lui, tirerait ses sources « d'une conception animiste des systèmes des choses et des êtres » : Dans son oeuvre Maryse Condé ne cesse de clamer qu'il existe dans l'Amour une terrible potentialité d'éparpillement et de dissolution (...) En fait dans tous ses textes, elle a essayé d'actualiser sa culture, de la ressusciter et de la rendre à nouveau parlante c'est-à dire efficiente. (...) Sa conception des rapports entre les individus était marquée au sceau de la tradition Bambara qui calque ses modèles sur une conception animiste des systèmes des choses et des êtres. Exempt de morale, parce qu'il s'agirait alors d'un sens et d'une signification apportés par les hommes, ce qu'il faut bien appeler le mysticisme Bambara cherche à rendre le fonctionnement même de la nature et à manifester la logique même de la vie.

* 169 Mythes et violence dans l'oeuvre de Sony Labou Tansi. Op. cit, p.22.

* 170Titulaire de la chaire d'Etudes franco-phones à la Sorbonne et directeur du Centre international d'Etudes francophones de la Sorbonne, il a été notamment consultant de l'UNESCO auprès de l'Ecole Normale Supérieure de Bamako. Fortement impliqué dans la promotion des littératures francophones, il est directeur de la collection "Mondes noirs poche" chez Hatier et de la collection "Archipels littéraires" aux éditions Moreux. Il est également responsable du jury du Grand Prix littéraire d'Afrique noire. Williams Sassine, écrivain de la marginalité (GREF, 1996).

* 171Net Guadeloupe 1ère - Maryse Condé : "Je crois que je ne serai jamais ... guadeloupe.la1ere.fr/2012/11/06/interview-de-maryse-conde-943.htmlý consulté le 19 2 2014 à 23 h 29.

* 172Condé, Maryse, Notes sur un retour au pays natal, conjonction : revue franco-haïtienne. N°178, supplément 1987, pp.7-23.






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