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Poétisation d'un univers chaotique

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par Assia Benzetta
Université Mentouri - Master 2 Analyse du discours 2014
  

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II.2.Du déluge au perpétuel recommencement

Le motif du déluge86(*)est intéressant par ses dimensions religieuses et anthropologiques inéluctables. Mais aussi par ses manifestations à portée tragique ou parodique dans les textes religieux, littéraires ou mystiques : sans oublier ses résonances écologiques et médiatiques actuelles. C'est d'un point de vue littéraire et selon une approche sémiotique que ce motif est analysé.

II.2.a. Mythes des origines

Puisqu'il traverse plusieurs discours mythique, religieux, littéraire, juridique, artistique, etc., nous postulons que le motif du déluge fonctionne à la fois comme un model présentant des éléments structuraux permanents et importables en différents types de discours, mais qu'il se comporte également comme une structure ouverte permettant de multiples variations. Au sein des divers ensembles discursifs, le motif du déluge semble donc susceptible d'être transformer ou ré catégorisé par rapport aux valeurs et au fonctionnement qu'il affiche dans le récit biblique souvent plus connu.

Les récits du déluge dans les textes mésopotamiens du troisième et deuxième millénaire avant Jésus Christ ont retenu l'attention du groupe ainsi que notre attention. Ils ont été largement étudiés comme texte parallèle et source éventuelle de récit biblique. D'ailleurs, plusieurs récits mésopotamiens nous sont parvenus, entre autre, par Le Poème d'Atlas-Hasis (cf. biblla, N° 11), qui aurait inspiré L'Epopée de Gilgamesh. En fait, on peut conclure à une multitude de déluges survenus ou imaginés par les peuples anciens pour expliquer les phénomènes naturels.

Si les reprises de Genèse 6-9 dans la Bible elle-même sont peu nombreuses, par contre les manifestations du motif du déluge dans la tradition Chrétienne fonctionnent sous la forme de commentaires, d'homélies ou de catéchèses baptismales. Quand ces textes patristiques retiennent l'attention des exégètes, des théologiens, et des pasteurs, c'est comme interprétation traditionnelle du texte biblique. Nous nous y intéressons plutôt pour cerner comment le motif du déluge y est mis en discours, parmi quelques textes typiques du connu taire (Didyme l'aveugle), de l'homélie (Origène et Jean Chrisostome), et du traité baptimal (Tertullien), (...), (Michel Fugain, Christiane Frenette, Arthur Rimbaud ; plusieurs textes font référence à la destruction du monde et à son renouveau)87(*).

En attendant la montée des eaux, reprend, sur le mode métaphorique, le motif et les figures du déluge pour les intégrer à une histoire inédite ayant pour une toile de fond les catastrophes naturelles mystérieuses. Ce drame provoque chez certains personnages une remise en question radicale de l'existence rangée et frileuse qu'ils mènent. Le récit biblique devient, dans ce cadre, un grand récit assurant un arrière plan culturel et référentiel à leur expérience intérieure.

Dans les grandeurs élémentaires de la narration on trouve couchées toutes les évidences de notre monde et dans les formes du travail littéraire que les enjeux de ces mythes seront pris en charge.

Déjà le titre, En attendant la montée des eaux, du roman de Maryse Condé, indique bien sous quel angle l'auteure entend aborder la mise en récit du déluge : c'est en effet l'histoire sacrée de Noé le juste, personnifié par Babakar Traoré, celui que Dieu a choisi pour construire une arche (la Maison) et accomplir son dessein qui, dans le texte se verra accorder un rôle de premier plan. Babakar constitue une figure centrale de ce texte, tant sur le plan narratif, par les fonctions actantielles qu'il sera amené à assumer tout au long du récit, que sur le plan énonciatif, du fait qu'il forme un véritable pôle dans l'organisation signifiante du discours. Les faits et gestes de Babakar, ses préoccupations, les pensées qui l'habitent et les événements troublantes recouvrent presque entièrement l'espace du texte que l'on pourrait d'ailleurs résumer comme le point de vue se Noé sur le déluge, et peut être plus encore la transformation de Noé pendant le déluge (Babakar : ses paroles, ses réactions émotives, ses pensées. Noé se construit essentiellement par les gestes exécutés en réponse au commandement du Saigneur.

La transformation positive, qui marque Babakar après avoir « retrouver Anais », constitue, à première vue, une construction assez radicale du personnage en regard de ses plus fréquentes manifestations et une charge critique vigoureuse à l'endroit de la quête de renouveau souvent associée au motif déluge: « Babakar était un passionné, un sauvage, d'un naturel peu communicatif (...) il vivait dans l'isolement le plus total. Il ne fréquentait personne et personne ne le fréquentait », p.22.

On voit clairement le changement qui règne après l'apparition miraculeuse d'Anaïs: « le lendemain, le soleil (...) après la pluie, le beau temps », p.25.

L'évidence de ce renouveau est plus que mise en doute à la fin du récit au point où l'on peut se demander si le juste en Noé a bien survécu au déluge.

S'ouvrant sur les premières gouttes de pluie annonciatrices du déluge, Babakar se termine sur la déchéance du personnage éponyme (Babakar qui veut dire le père de la vierge) qui suit la destruction de l'ancien monde (Daniel dans le chapitre 9, a annoncé que Jésus naîtrait avant la destruction du Temple de Jérusalem par les soldats romains).88(*)L'essentiel du récit s'attache toutefois à l'épisode même du déluge, incluant le travail de construction de l'arche (La Maison) évoqué lors des prévisions météo logiques. D'emblée le récit se montre attentif à Noé (Babakar), à ses gestes et réflexions...

La description des détails de la montée des eaux et le retrait. Privilégie les idées et les sentiments89(*) de Babakar sans être abstrait (cadre spatiotemporel) ce qui fait que la représentation du monde est davantage ordonnée à une expérience sensorielle que réflexive. (Réflexion de Babakar par rapport à Dieu.90(*)

Notons, en outre, que le feu est aussi un symbole érotique de la passion qui consomme de l'intérieur la personne qui est en sa proie. P115 le feu : L'incendie de la maison de Movar : « Quelques jours plus tard, la maison de Movar flamba en pleine nuit comme papier à cigarettes. Le malheureux ne put sauver que le caleçon qu'il portait pour dormir », p. 88. Et :

« (...) Mais le pays tout entier qui s'est incendié. Tous les gens qui aimaient le Président, une foule, sont sortis dans les rues. Au champ de Mars, ça tirait de partout. Les corps des blessés et ceux des morts baignaient dans le même sang. On ne s'occupait pas d'eux. On y voyait comme en plein jour à cause des flammes des incendies, rouges comme des boucans », p.53.

Le mythe du déluge est l'une de ces histoires que l'on retrouve dans de nombreuses mythologies. Le schéma conducteur est identique et cette coïncidence est assez troublante. On y parle d'un dieu ou de dieux mécontents des hommes qui détruisent le monde par une inondation.

Cependant, à chaque fois, il y a deux survivants qui permettent à l'humanité de repartir à zéro. En se basant sur sept mythologies sélectionnées, on peut en dégager un sens plausible: la mythologie égyptienne, grecque, nordique, babylonienne, chinoise et amérindienne. Il est également intéressant de comparer ces mythologies propres aux religions polythéistes avec la mythologie biblique qui, bien que fondée sur un Dieu unique, reprend largement le mythe du déluge.

En mythologie grecque, il existe plusieurs versions du mythe de déluge chez les Grecs. La version la plus aboutie du mythe du déluge nous vient du poète Ovide, un Romain qui a vécu au I er siècle avant notre ère.

Selon la mythologie babylonienne, le déluge de Ninive : 11e tablette de l'épopée de Gilgamesh, la Mésopotamie (Irak aujourd'hui) est la source de nombreux mythes qui comptent parmi les plus anciens que l'on connaisse. Le récit est conté à Gilgamesh par le héros Utanapishtim. Les similitudes avec le déluge biblique sont frappantes.

L'Epopée de Gilgamesh connue grâce à un texte assyrien du VIIe siècle av. J.-C, mais elle est à coup sûr beaucoup plus ancienne. Elle semble s'inspirer, dans son récit du déluge, du mythe babylonien d'Atrahasis. Elle reflète en tout cas une vaste tradition mésopotamienne relative à la grande inondation :

ELÉMENTS DU RÉCIT

  

GENÈSE

  

GILGAMESH

Le motif

 

Le Seigneur (YHWH) décide de détruire les humains au moyen du déluge, parce que tous
se sont pervertis (Gn 6.13).

 

Les dieux décident de détruire les humains au moyen du déluge -- selon l'épopée d'Atrahasis, ils ne supportent plus le bruit que font les humains (c.-à-d. leurs doléances, leur révolte?).

L'avertissement

 

Le Seigneur avertit de sa décision Noé, le seul homme qui agisse selon sa volonté. Il lui ordonne de construire une arche (un coffre)
pour sa survie ainsi que celle de sa famille et
des animaux (plusieurs représentants de
chaque espèce; Gn 6.9,11-21).

 

Ea, le dieu des eaux douces (un des créateurs de l'humanité), avertit Outanapishtim de la décision des dieux. Il lui ordonne de construire un bateau pour sa survie et celle de toutes les espèces vivantes. Il lui dit quoi répondre si on l'interroge sur ce qu'il est en train de faire.

La construction de l'arche et l'entrée dans l'arche

 

Noé obéit au Seigneur. Il construit l'arche
selon les mesures que Dieu lui a indiquées.
Avec sa femme, ses fils, ses belles-filles et les animaux, il entre dans l'arche (Gn 6.22-7.9).

 

Outanapishtim obéit à Ea; il construit le bateau selon les mesures qu'on lui a indiquées. Avec sa famille et ses biens, les artisans qui l'ont aidé et les animaux, il monte dans le bateau.

Le déluge

 

Le Seigneur ferme la porte de l'arche. Le
déluge commence et dure quarante jours,
après quoi Dieu fait cesser la pluie. Les eaux recouvrent la terre pendant près d'un an, et l'arche échoue sur les monts d'Ararat
(Gn 7.10-8.5).

 

Outanapishtim ferme la porte du bateau. Le déluge commence et dure sept jours. Il est si terrible que les dieux eux-mêmes prennent peur et vont se réfugier au plus haut des cieux. La grande déesse Ishtar, prise de pitié, regrette sa décision. Les eaux recouvrent la terre pendant un peu plus d'un mois. Le bateau échoue sur le mont Nitsir.

Les oiseaux

 

Noé envoie un corbeau, puis une colombe, pour voir si les eaux ont baissé (8.6-14).

 

Outanapishtim envoie une colombe, une hirondelle et un corbeau, pour voir si les eaux ont baissé.

La sortie de l'arche

 

Noé, sa famille et les animaux sortent de l'arche sur l'ordre du Seigneur (Gn 8.15-19).

 

Outanapishtim voit l'état de la terre. Il ouvre les portes du bateau et tous sortent, sauf lui. Il est découragé, parce qu'il a vu les cadavres dispersés sur toute la terre retourner à la poussière. Malgré tout, il finit par sortir.

Le sacrifice et ses effets

 

Noé érige un autel et offre des sacrifices au Seigneur. Les sacrifices plaisent au Seigneur, qui promet de ne plus jamais maudire la terre
à cause des humains, et de ne plus jamais détruire tous les êtres vivants (Gn 8.20-22).

 

Outanapishtim offre un sacrifice d'action de grâces aux divinités, qui accourent et s'agglutinent comme des mouches autour du sacrifice. Ishtar invite tous les dieux à prendre part au sacrifice, sauf Enlil qui a provoqué une destruction dépassant tout ce que les autres dieux avaient imaginé. Enlil est en colère parce que des humains ont survécu. Après avoir parlé avec Ea, il se calme.

La bénédiction divine

 

Le Seigneur bénit Noé et les siens. Il leur
ordonne de remplir la terre et leur donne pouvoir sur les animaux. Ils pourront utiliser tous les animaux et tous les végétaux pour se nourrir, mais il leur est interdit de manger la viande avec le sang. Dieu demandera des comptes pour la vie de tout être humain (Gn 9.1-7).

 

Enlil bénit Outanapishtim et lui permet de devenir immortel et semblable aux dieux.

La promesse divine

 

Le Seigneur conclut une alliance avec Noé
et ses descendants (c.-à-d. avec toute l'humanité): il ne détruira plus jamais les humains et
 les animaux par un déluge (Gn 9.8-17).

 

Ishtar annonce qu'elle n'oubliera jamais ce qui s'est passé.

L'épopée de Gilgamesh date de plus de 4 000 ans avant notre ère. Utanapishtim, citoyen de la cité babylonienne de Shuruppak, reçoit un message secret du dieu Ea l'avertissant que les dieux sont sur le point de noyer la terre sous un déluge.91(*).

Dans un grand nombre de mythes, le Déluge est rattaché à une faute rituelle qui a provoqué la colère de l'Être suprême : parfois il résulte simplement du désir d'un Être divin de mettre fin à l'humanité. Mais, si l'on examine les mythes qui annoncent l'imminence du Déluge, on retrouve, parmi les causes principales, non seulement les péchés des hommes, mais aussi la décrépitude du monde. On peut dire alors que le Déluge a ouvert la voie à la fois à une recréation du monde et à une régénération de l'humanité.

* 86Nous utilisons l'expression motif du déluge pour désigner un réseau de figures (arche, eaux, destruction, survivants, Noé, et autres, réseau dont l'organisation varie selon les textes.

* 87 Le roman de Jean-Jacques Rousseau et de J.M.G. Le Clézio proposent tous deux un dénouement de l'anecdote différent de celui que l'on peut observer dans le récit biblique : le renouveau escompté fait plutôt place à une nuit sans fin annulant toute possibilité de résolution du processus de destruction du monde (Le Clezio, Le déluge) de même qu'à l'anéantissement définitif de l'humain par lui-même (Rousseau, Le déluge blanc). De son côté l'île du jour d'avant d'Umberto Eco explique le potentiel parodique des figures du déluge. Ses personnages tentent de trouver une explication scientifique à la crue spectaculaire et au retrait non moins surprenant des eaux dans le récit de la Genèse. Nous observons surtout le dispositif figuratif. Répertoriant les figures et observant leur articulation particulière dans ce texte il élabore des modèles interprétatifs afin de déployer les effets de sens construits par ce réseau énonciatif. Cette étude de la mise en discours l'amène à montrer que le déluge n'est pas présenté comme une recréation, mais apparait comme un nouveau commencement, dans lequel les rapports des hommes avec le Créateur sont radicalement révisés, et les conditions de la vie, étable un monde qu'il risque toujours de conduire à sa perte.

* 88 Résumé sur : Les apparitions de la Vierge Marie - Chretiens2000 chretiens2000.over-blog.com/.../résumé-sur-les-apparitions-de-la-vierge-...ýConsulté le 20 Janvier 2014

* 89 La littérature dessine un espace de liberté et d'invention où la croyance n'enchaîne pas. Opérant à la façon du mythe, la littérature opère aussi contre lui : moment, dirait T.W. Adorno, de la dialectique de la raison - ainsi dès Homère la littérature montre l'homme en train de se délivrer du mythe, comme l'Ulysse de l'Odyssée. Elle continue d'exercer cette fonction, toujours en avance sur ce qu'on peut dire d'elle, précédent toute herméneutique, parce que, ludique et libre, elle réécrit son texte incessamment. La fin et la renaissance du monde sont, en outre, liées à une idée de « purification », comme l'atteste le récit du déluge universel Chrétien, mais aussi bon nombre de mythologies. La purification, en particulier, est très importante dans la vision de la fin du monde rattachée au phénix en ce que le feu, élément essentiel de l'oiseau mythique dès l'époque romaine, est aussi symbole de purification. Le phénix évoque donc le feu destructeur, mais aussi créateur  d'un nouveau monde qui tiendra son origine et sa fin de ce dernier. Symbole fort, le feu est un élément d'une importance première en ce qu'il représente une puissance divine et fait l'objet d'un certain nombre de récits mythologiques (par ex. le mythe de Prométhée) et de rituels (par ex. des rituels funéraires dans la Rome ancienne). Avec la pensée Chrétienne il symbolise l'enfer et la punition, mais aussi, ce qui semble être primordial dans le mythe du phénix, l'idée de l'immolation, considéré comme un acte de sacrifice suprême.

* 90 Le déluge et ses récits : points de vue sémiotiques. Books, google. fr/books isbn : 2005 . Consulté le 19/01/2014 à 23h 12.

* 91 Cotterell, Arthur. Encyclopédie de la mythologie. Paris : Parragon,  2004. Il a ordonne à Utanapishtim de construire un bateau. Sur le vaisseau terminé, Utanapishtim embarque de l'or et de l'argent, les membres de sa famille et un représentant de chaque espèce animale. À l'heure dite, les digues se rompent et la pluie tombe. La tempête est si terrible que même les dieux en sont effrayés. Au septième jour, les eaux se retirent et Utanapishtim constate que son bateau s'est échoué. Il libère la colombe et l'hirondelle mais celles-ci reviennent au bateau. Seul le corbeau consent à s'installer sur la terre ferme. Utanapishtim fait débarquer sa famille et célèbre son salut par un sacrifice au cours duquel il verse des libations et brûle de l'encens. Attirés par l'agréable senteur, les dieux se rassemblent autour d'Utanapishtim et de sa victime. Lorsque vient la déesse-mère, elle pleure la destruction de ses créatures et jure de ne jamais oublier. Elle accuse Enlil de la destruction presque totale de l'humanité. Enlil est furieux qu'une famille humaine ait réussi à échapper au déluge, mais Ea lui avoue qu'il a organisé lui-même le périple d'Utanapishtim. Apaisé, Enlil bénit le héros et son épouse et leur accorde la vie éternelle.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld