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Poétisation d'un univers chaotique

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par Assia Benzetta
Université Mentouri - Master 2 Analyse du discours 2014
  

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II.3.b. Le symbolisme

Le récit s'approprie le symbolisme et l'idéologie politique des croyances nées de cette figure sacrée et sanctifiée. A travers une narration qui procède par analogie, le combat de Babakar apparaît comme une reproduction symétrique de la symbolique de la lutte de Kimpa Vita. Kimpa Vita99(*).

Le narrateur évoque le récit sur la sorcière Sô Fanfanne, ses gestes et ses paroles : « sô Fanfanne et son assistante, Juana, chargée d'allumer les bougies lors des séances, de servir le thé dans la salle d'attente, et éventuellement de masser les clients qui le désiraient, (...). Aussi, dès l'entrée, un écriteau rappelait son martyre aux visiteurs mais indiquait aussi : Stéphanie Lebrun dte Sô Fanfanne, voyante-médium, de renommée internationale, (...) », p.233.

Le narrateur rapporte le discours magique et sorcier de Sô Fanfane. Initiée au symbolisme africain, Movar et Babakar entendent et comprennent le déferlement des éléments qui accompagnent le mouvement des femmes. Nous avons évoqué l'importance de la Nature et de la parole ancestrale que retrouve dans le passage suivant qui décrit l'action de Sô Fanfane et son assistante. Elles exercent une sorte d'hypnotisation.

Puis dans une description particulière des sensations de Babakar lorsqu'il fut massé par Juana :

 Au fur et à mesure que les paumes de Juana le pétrissaient, il éprouvait l'impression de quitter son enveloppe charnelle. On aurait dit que les sentiments, heureux ou malheureux qu'il avait expérimentés, s'envolaient et qu'il devenait léger, léger, prêt à danser comme un grain de poussière dans un rayon de soleil, fétu parmi les fétus, particule parmi les particules. La tête à tête dura environ une heure. Après quoi, il sort en vacillant, en proie à cette agréable sensation d'avoir dénoué les amarres qui le reliaient à la terre, p.235.

Le récit installe le mouvement des femmes dans l'espace symbolique Bambara, ce faisant, il renforce, par l'évocation des rites, son sens sacré. Par l'intrusion des femmes dans un lieu de culte et l'exécution des rites appropriés, le récit sacralise le mouvement, il confère à Sô Fanfanne une dimension spirituelle qui l'élève. On note aussi la mort de toutes les femmes que Babakar a aimé, c'est clair que c'est une forme de sacrifice signifiante. Ces femmes symbolisent les tentatives répétées par le peuple pour retrouver un monde meilleur.

Puis encore l'hémiplégie dont Hugo Morino en souffrait. Il était paralysé de la moitié du corps. C'est l'image même de la société antillaise.

La sacralisation100(*) de l'engagement politique s'inscrit dans la logique du militantisme africain. Dans cette mesure, et à l'instar de Kimpa Vita, l'assassinat de Reinette Ovide est nécessaire pour qu'elle atteigne la dimension de la sainteté. Sa mort programmée est prédite avec tout le mystère préconisé dans une révélation onirique faite à Movar : « j'ai fais un rêve, je sais que je vais mourir en accouchant », p.65 dit Reinette un soir avant de mourir.

Après sa séance avec Sô Fanfanne qui l'embrassa (Le baisé qui symbolise des souffrances à venir) : « Movar apparut enfin, escorté de Sô Fanfanne, volubile, qui les embrassa tous les trois comme de vieux amis. Apparemment ce baiser ne réconforta pas Movar dont le visage juvénile, à l'habitude rêveur et souriant, resta fermé », p.236.

Dans l'univers fictif Condéen, le meurtre est courant, mais la révélation de la mort de Reinette prend un sens différent de celui des autres assassinats. C'est un crime voulu par les dieux, sans doute pour sacrer le combat de Reinette. La mort à plusieurs fonctions. Celle qui nous intéresse dans cette étude est l'interprétation religieuse des églises syncrétistes. La figure du Vierge Marie noire annoncée par la prophétie de Kimpa Vita inspire le religieux et l'homme politique africain créant un lien entre le militantisme politique antillais et l'exégète des catéchistes inspiré du mythe christique : Le mythe de la faute originelle101(*).

En attendant la montée des eaux se présente dans une fiction qui s'organise autour d'une croyance universelle qu'on retrouve dans la mythologie gréco-afro-antillaise, comme dans tant d'autres, à savoir le péché originel qui annonce la fin d'un Monde et le début d'un autre. On qualifiera cette croyance comme faisant partie des mythes de l'apocalypse et du retour au chaos originel.

Les espaces naturels102(*) accueillent les esprits des ancêtres, les villages des morts et préservent bêtes, pierres et autres matières ou physique ou verbales qui habitent le monde depuis les premiers âges de la Création : « bienheureuse terre où les vivants et les morts restaient ensemble et continuaient d'aller main dans la main » p190. L'ensemble de ce Monde naît de la séparation de la Terre et du Ciel, initialement cousus. Ainsi, pour l'homme antillais le cataclysme final103(*) est la chute du ciel sur la terre104(*). Le récit révèle différents aspects des mythes qui s'avèrent être les dénominateurs communs de l'ensemble des religions primitives. La prolifération des dieux, des esprits et des coutumes obéit à plusieurs logiques structurantes définies par Mircea Eliade.

Nous nous appuyons sur les théories de la mythologie pour faire une lecture des mythes qui structurent le récit. Il s'agit précisément des croyances en un péché originel qui provoque la colère des dieux, qui à leur tour, précipitent la fin du monde. Liée à la parole poétique et incantatoire, il est à la fois « joute oratoire » et cérémonie d'initiation ouverte uniquement au cercle des initiés de la tradition de la parole. Tout part du scandale, au nom de la coutume, l'homme se trompe et provoque la colère des dieux : « N'est-ce pas toujours par la faute des hommes que les paradis sont perdus ? », p.191.

Des interrogations, posées par les réfugiés du déluge, restent sans réponse : « Il avait posé la véritable question, une question qui restait sans réponse ; La nation (...) était-elle coupable ? De quoi ? Il est vrai que les victimes sont toujours coupables », p.318. Cela explique clairement les raisons du racisme qui, bien après son abolition, existe encore, et sans aucune explication.

Le péché est une faute qui appartient au domaine du sacré et de la religion, il ne peut être jugé par le seul tribunal des hommes. Ce sont d'ailleurs, les morts et les divinités qui sont concernés. Ils manifestent ainsi leur colère et annoncent la fin du monde : « Derrière chacune d'entre elles s'élevaient des amas de pierres, des tombes reconnaissables aux croix grossières qui les surmontaient. Babakar se rappela Movar : « Haïti est un pays où la mort n'existe pas. Bienheureuse terre où les vivants et les morts restaient ensemble et continuaient d'aller main dans la main », p.319.

Le cataclysme promis est pourtant différent de l'Apocalypse chrétienne. Le roman réfère plutôt à un mythe : la croyance en un perpétuel retour ou la fin d'un monde et le recommencement. Mircea Eliade parle de mythe du «millénarisme » ou de mythe « nativiste »105(*). Même s'il se vêt de formes variées selon les croyances et les cultures, son principe reste la croyance en une fin et en un recommencement. Le cataclysme provoque la mort d'une humanité et la naissance d'une autre.

Les cataclysmes sont toujours annoncés dans les romans par « un câlin»106(*) . «  Le noeud depuis si longtemps noué serré dans sa poitrine se défaisait et le bonheur l'envahissait. Il embrassa107(*) le bébé impulsivement », p.22.

Au premier chapitre du roman, Movar est venu voir Babakar vers vingt trois heure trente : l'heure de l'accouchement de Reinette. Une superstition antillaise dit « si l'enfant nait entre vingt trois heure et minuit sera malheureux toute sa vie. A minuit sera en proie aux forces maléfiques »108(*). Babakar, Movar et Fouad, originaires de différents lieux évoqués dans En attendant la montée des eaux, se sentent comme des voyageurs perdus en terre inconnue, étrangers. Pour Babaar et Movar, les africains, déportés aux Amériques n'ont décidé ni de leur départ, ni de leur destination. En raison de la violence qu'elle a générée, cette déportation est vécue par les personnages romanesques comme une punition d'une faute obscure, « une faute originelle ». Le cas de Fouad s'explique de la même logique parce qu'il est un arabe palestinien dont la terre est prise de force par les juifs. Ainsi l'inconscient collectif des personnages romanesques antillais (on peut citer la Palestine aussi) est habité d'un sentiment de culpabilité d'autant plus tenace est destructible que la faute qui la motive n'est pas identifiable.

* 99Rudi Mbemba, Dia Benazo-Mbanzulu, Le Procès de Kimpa Vita, La jeanne d'Arc congolaise, Paris, L'Harmattan, 2002, pp. 58-59. « L'idéal de Kimpa Vita est bien plus grandiose. Consistant en une recherche de l'unité perdue de sa si chère nation, elle entend aller au-delà d'une satisfaction personnelle. Non, sa destinée est à chercher ailleurs et trouve notamment sa similitude avec celle de Jeanne d'Arc. Ainsi se met-elle à l'écart des disputes des trois prétendants chefs et rois. Son objectif est de les réconcilier, de leur faire comprendre le bien fondé de son action qui est celui de l'intérêt général, lequel d'après sa conviction aurait sa raison d'être non pas à Bula, ni Kibangu, ni au Soyo, mais à San Salvador la capitale politique du royaume. Dans ce contexte fort difficile du royaume Kongo, Mbanza kongo ou San salvador la capitale, devient, peut-on dire, aux yeux de Kimpa Vita, stratégiquement, une sorte de Mbongi. Le Mbongi chez le Kongo est un centre d'accueil, d'enseignement public, de transmission ou de diffusion des connaissances en tous domaines, un organe de règlement de conflits de tous genres. Partant de cette définition, ne peut-on pas admettre que Kimpa Vita manifeste raisonnablement, par son action le souci sinon le devoir de rassembler les hommes au grand Mbongi de Mbanza Kongo pour l'unité du royaume comme le font habituellement les femmes dans les Mbongi ordinaires».

* 100 Kibangou, Sony Labou Tansi ou la quête permanente du sens. Op.cit, p. 245.

* 101 Rudi Mbemba, Dia Benazo-Mbanzulu, Le Procès de Kimpa Vita, La jeanne d'Arc congolaise, Paris : L'Harmattan, 2002. pp58-59.

* 102La mythologie afro-antillaise s'avère une religion panthéiste dans le sens où la Nature entière apparaît comme le maître du destin. Ainsi, le ciel, la terre, l'eau (l'espace fluvial et marin) jouent le rôle de divinités puissantes.

* 103 Mythes et violence dans l'oeuvre de Sony Labou Tansi. Op. cit, p.22.

* 104 La fin du Monde se définit par ce temps où le ciel viendra à être recollé à la terre. Cette croyance est le leitmotiv du roman. Maryse Condé organise sa fiction de telle sorte qu'elle puisse permettre naturellement l'intervention des divinités du panthéon Bambara et de ses esprits dans une affaire de coutume qui plonge le monde dans les prémices de la fin apocalyptique annoncée.

* 105 Mythes et violence dans l'oeuvre de Sony Labou Tansi. Op. cit, p.79.

* 106 Ibid.

* 107 Cette scène est évoqué aussi dans l'oeuvre de Paul Claudel l'annonce faite à Marie où l'héroïne embrasse l'époux de sa soeur au premier chapitre. Cela annonce des souffrances et des malheurs à venir.

* 108 Superstition antillaise et leur explication - Commentaires ...www.volcreole.com/forum/sujet-3446-45.html. Consulté le 21 mars 2O14 à 18 h 05.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand