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Le trouble du comportement: une insensibilité aux codes conventionnels de la conduite ? institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP) et action sociale, les prémices d'un entre-soi.

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par Marion Denis
Université de Lille 1 - Master 1 "sociologie-ethnologie" 2014
  

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Conclusion

Tout au long de ma démarche compréhensive, j'ai effectué de nombreux liens avec les constats mis en exergue par Isabelle Coutant. Il apparaît que les « troubles du comportement » des jeunes accueillis en psychiatrie ne soient pas diamétralement opposés à ceux des jeunes accueillis en ITEP. Bien que les profils de ces mineurs soient hétérogènes, de nombreuses caractéristiques semblent se faire écho, notamment celle du « déshéritage ». Les difficultés cumulées auxquelles sont confrontés les parents et qui ponctuent le quotidien de ces jeunes ne peuvent être éludées dans la prise en compte des facteurs influençant la manifestation dudit trouble du comportement. D'ailleurs, « pour comprendre la différence, ce n'est pas le différent qu'il convient de regarder, mais bien l'ordinaire »76.

Nous pouvons nous interroger à savoir quels enjeux ont motivé la création des ITEP ? Servent-ils à « désenclaver » le secteur de la psychiatrie ? Sont-ils des « établissements ressources » venant combler le désengagement de certaines institutions ? Au regard des constats effectués, nous pourrions définir les ITEP comme la « terre d'accueil des incasables ». Les conduites adoptées par ces jeunes, majoritairement de sexe masculin, semblent osciller entre écart et transgression à la norme. Les interventions parentales genrées que nous avons mentionnées et qui reviennent à enseigner davantage l'incorporation et le respect des normes aux filles semblent constituer un élément de réponse à cette dominante masculine. Il apparaît qu'un lien entre mission de prévention ainsi que mission de contrôle et de répression des comportements déviants est notable. Comme nous avons pu remarquer, la violence semble être la « bête noire » de ces établissements. En ce sens, nous pouvons envisager les ITEP comme des institutions au service d'une « politique de réduction des risques » visant à prévenir les comportements délictueux.

Notamment, être accueilli en ITEP suppose une acceptation de ses difficultés. Rappelons que l'acceptation de la difficulté constitue une forme de modélisation du regard de l'Autre sur sa condition, soit s'apparente à un interventionnisme coercitif venant renforcer l'appropriation du stigmate chez l'individu. Dans le champ de l'action sociale, qu'il s'agisse du pôle thérapeutique, éducatif ou pédagogique, les professionnels semblent missionnés pour corriger la non-conformité des comportements des adolescents accueillis

76 Erving Goffman, Stigmate : les usages sociaux des handicaps, op. cit., p.150.

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par rapport à une demande des institutions et tout particulièrement de l'école et de la justice.

« J'ai l'impression que l'on demande au public de s'adapter au fonctionnement de nos institutions. Peut être que je me trompe mais les institutions ont été mises en place pour s'adapter aux problématiques de ces personnes », Georgio (moniteur éducateur).

Selon Alain Ehrenberg, « il faut donc arrêter de penser la souffrance psychique et la santé mentale comme une expérience intérieure, car ce sont les règles de conduite qui ont changé et les attentes qui se sont transformées »77. A ce titre, nous pouvons mentionner l'émergence de la psychologie comme ayant servi de support à ces transformations. Robert Castel évoque l'idée une psychologisation des rapports sociaux qui participerait à la fabrication de nos représentations du monde social. En lien avec ce phénomène, il déplore l'existence d'un jugement sur les résultats et la personnalité de l'individu qui viendrait renforcer le moralisme. Cette logique est connexe à celle de la méritocratie que nous avons évoquée au sein de notre analyse. Selon lui, « la psychologie n'est jamais qu'une prothèse greffée sur un corps institutionnel malade. Dans le meilleur des cas, elle récupère les déchets du système éducatif et parvient à les recycler sur place. Dans le pire, elle les élimine en leur ménageant une existence de seconde zone dans ces espaces de ségrégation que sont les institutions spéciales. Faudra-t-il donc que la majorité devienne déviante pour que l'on consente à réévaluer les critères qui définissent l'anormalité ? »78. Il préconise une psychologie au service de la promotion des différences pour réduire les stigmatisations, soit combattre l'émergence de catégories d'anormaux.

Par ailleurs, au regard du manque de dispositifs pédagogiques alternatifs, nous pouvons nous questionner quant aux trajectoires professionnelles qui seront empruntées par les jeunes au sortir de l'ITEP. Les représentations sociales qui se sont construites autour du « trouble du comportement » laissent peu de place à l'élaboration d'un maillage partenarial. De fait, nous pouvons parler d'un entre-soi subi aux conséquences notables. Les missions des « professionnels de terrain » se voient revisitées en lien avec ce manque de relai qui contribue à l'apparition de difficultés parallèles qu'ils ne peuvent éluder dans leurs interventions quotidiennes. Cette limite dans l'accompagnement suppose un réajustement permanent de leurs axes de travail ce qui rallonge les durées de prise en charge. En somme, la multiplicité des difficultés auxquelles ils doivent répondre peut facilement être une entrave à la qualité de leurs pratiques en raison d'une « polyvalence

77 Alain Ehrenberg, « les changements de la relation normal-pathologique. À propos de la souffrance psychique et de la santé mentale », Esprits, 2004, p.156.

78 Robert Castel et Jean-François Le Cerf, « Le phénomène « psy » et la société française. Vers une nouvelle culture psychologique », Le Débat, 1980/1 n°1, p.43.

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extrême » qui s'apparente à une injonction dissimulée des autorités publiques. Notamment, nous pouvons repérer le début d'une médiatisation79 autour du fonctionnement des ITEP qui semble signer les prémices d'une dévalorisation et d'une stigmatisation de ces institutions.

Parallèlement, l'institutionnalisation croissante dans le champ de l'action sociale et l'émergence de la logique managériale portent à débat dans le discours public. Cette dynamique actuelle réduit la marge de manoeuvre accordée aux travailleurs sociaux et participe au délitement de leur culture professionnelle. « Acteurs de première ligne » ayant une compréhension fine des problématiques sociales de part la quotidienneté de leurs interventions, ces derniers semblent de moins en moins sollicités pour témoigner de leur lecture analytique des situations auxquelles ils sont exposés. « Les travaux qui ont porté sur la mise en oeuvre des plans départementaux et leur évaluation ont souvent fait ressortir le fait que les associations étaient peu mises à contribution dans la phase de conception des plans départementaux [...] Bien que les associations soient, dans la plupart des départements, représentées dans les instances de pilotage du plan, elles ne peuvent empêcher des négociations conduites entre les services de l'Etat et du Conseil Général en dehors de ces instances »80. Il apparaît que le travail social est balisé par des logiques politiques venant restreindre les possibilités d'interventions de ses acteurs. Ce constat de Loïc Aubrée illustre l'idée selon laquelle l'action sociale est à la croisée de la sphère économique et politique.

En définitive, la classification de certains individus labélisés « trouble du comportement » et la façon dont les politiques sociales prennent en charge ce dit problème permettent de mettre en exergue une volonté sous-jacente d'ordre social. Bien que le fonctionnement de nos institutions ne soit plus régi par une tradition asilaire, les possibilités de notre « usager de droits » semblent contrôlées. A l'heure actuelle, la question sociale semble encore traitée sous une approche orthopédique.

79 Se référer à l'article du figaro joint en document annexe (n°6).

80 Loïc Aubrée, « L'inscription des associations dans les politiques sociales du logement : un risque d'instrumentalisation », Pensée plurielle, n°7, p.80.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams