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La destructuration du récit dans tropismes et le planétarium de Nathalie Sarraute

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par Doudou CAMARA
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maitrise 2005
  

Disponible en mode multipage

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INTRODUCTION GENERALE

Mode courant d'expression littéraire, où les relations avec les phénomènes sociaux et l'histoire sont les plus amples et les plus précises, le roman est le genre littéraire où se lisent le plus nettement la structure et la texture d'une société en général, d'un individu en en particulier.

Mais, au lendemain des deux Guerres Mondiales et leurs conséquences, les hommes de lettres de l'époque, en l'occurrence, les néo-romanciers au premier rang desquels Nathalie Sarraute se trouvent dans l'impossibilité de narrer et de lire cette double réalité ambiante etcauchemardesque. D'ailleurs, quel récit peut-il prétendre exister à l'heure de la dérobade du sens et du schisme entre les mots et les choses? Nathalie Sarraute de se demander, à ce propos:

« Quellehistoireinventée pourrait rivaliser avec celle de la séquestrée de Poitiers ou avec les récits des camps de concentrations ou de la bataille de Stalingrad ? »1(*)

Certainement pas avec celle qui prétendait reproduire, représenter ununivers cohérent et cartésien. Mais celle qui figure l'étonnementface au désordre de la crise.

En fait, ce phénomène aberrant de la guerre, va générer un renouveau d'intérêt qui se met en déphasage des codes périmés. Cette nouvelle conception de la littérature n'a pas échappé à Lucien Goldmann qui affirme :

« [C'est] leproblèmede la nature des transformations sociales qui ont effectivement créé le besoin d'une forme romanesque nouvelle »2(*) S'il est avéré que tout événement tragique enclenche des formes nouvelles, quelles seraient alors ces formes ? Comment se présenteraient-elles par référence au roman traditionnelle? Quelle serait la place du lecteur moderne ?Autant de questions qui débouchent vraisemblablement la déstructuration du récit. Ainsi en rapport avec le récit, La déstructuration répond à la définition que luidonne le NouveauPetit Robert, c'est-à-dire une action de déstructurer ; fait de déstructurer ; état de ce qui en résulte. 

Dans cet esprit, comment se décrypte cette destruction, cette déconstruction du récit dans Tropismes et LePlanétarium?Comment Nathalie Sarraute réussit-elle à traduire la complexitédu monde dans le récit ?.

Aussi, devrait-on garder présente à l'esprit cette notion de récit qui, à vrai dire, a mission d'enseigne depuis la Poétique d'Aristote jusqu'aux ProblèmesduNouveauRoman de Jean Ricardou.

En effet, couche verbale qui prend en charge la mise en texte de l'histoire, le récit doit être, de l'aveu d'Arisote comme un assemblage d' « histoires [qui]doiventêtreagencéesenformededrame ,autourd'uneaction ,formantuntoutetmenéejusqu'àsonterme, avecuncommencement, unmilieuetunefin »3(*) A sa suite, Tzevtan Todorov dira, à ce propos :

« Un récit idéal commence par une situation stable qu'une force quelconque vient perturber. Il en résulte un état de déséquilibre; par l'action d'une force dirigée en sens inverse, l'équilibre est rétabli »4(*).

Mais avec le choc de la guerre, le récit change de perspectives, et on le définit avec Jean Ricardou comme: « une mise en place d'événement qui dans le cas du récit habituel peut reposersur une chronologie »5(*).

Cette dimension du récit aura des résonances dans ce qu'il est convenu d'appeler : Le Nouveau Roman. Regroupés autour de cette étiquette, Alain -Robbe-Grillet, Michel Butor, Samuel Becket, Claude Olivier, Robert Pinget, Marguerite Duras, Nathalie Sarraute, etc., bouleversent à bon escient les codes narratifs traditionnels du roman qui faisaient autorité de Cervantès à Balzac en passant par Stendhal...

Cette radicalisation de la nouvelle génération marque un tournant décisif dans le paysage littéraire en ce qu'elle porte essentiellement sur les traits spécifiques du roman: le personnage, la description, la spatio-temporalité, le langage, le récit, etc. Ce qui fait dire, du reste, à Falilou Ndiaye:

« DeLa ModificationàLa Route des Flandres, on observe, un certain nombre de tendances majeures: une désarticulation de l'espace-temps, une désagrégation du personnage, un refus du psychologique, une déstructuration durécit qui affecte la logique de la narration, la syntaxe des actions(...) »6(*).

Pour ce qui a trait au récit, loin d'être construit traditionnellement par une intrigue et une temporalité cohérente, par des personnages auxquels le lecteur peut s'identifier, par un faisceau de lieux et mécanismes sociaux vraisemblables, il suit ou plutôt épouse les méandres de la « conscience malheureuse » et des événements tragiques. De ce fait, le récit pêche contre la filiation chronologique et logique de la narration, des descriptions, etc.

En effet, il est singulier de souligner que ces processus de transformation radicale des formes du roman, ne sont pas créés ex nihilo étant entendu que le Nouveau Roman reconnaît une certaine dette envers bien d'autres romans : français, russes, anglais, etc.

S'il est admis que chaque écrivain tire sa pertinence de l'écriture dans le terreau d'un autre écrivain de façon conscience ou inconsciente, il faut reconnaître que les néo-romanciers sont débiteurs de quelques romanciers des dix-neuvièmes et vingtièmes siècles.

En effet, si, déjà en 1965, Nathalie Sarraute écrivait un essai intitulé: Flaubert le précurseur, on comprend, par-là, son honnêteté intellectuelle et morale, et de surcroît sa reconnaissance envers un écrivain soucieux de construire « un livre sur rien».

Dans cette logique, mis à part Salammbô (1862) où Gustave Flaubert s'adonne à une sorte d'archéologie de l'antiquité ou du passé récent, Nathalie Sarraute jette son dévolu sur Madame Bovary (1857). Car, de son aveu, cette oeuvre semble un chef d'oeuvre où « l'inauthentique » est la cheville ouvrière du récit. A ce propos, Gérard Genette soutient : « l'oeuvre de Flaubert peut apparaître en partie comme une oeuvre morte, qui n'aurait plus rien à nous dire, ni peut-être à nous cacher »7(*).

Par ailleurs, la quête de l'inauthenticité, en apparence banale, se décrypte manifestement sous la plume de Marcel Proust, un autre précurseur de la modernité. Aussi, est-il nécessaire de souligner que la volonté inénarrable de Proust à chercher ce « temps perdu », s'inscrit, en grande partie, dans la perspective de rétracter le primat accordé au langage à dire et nommer le monde en toute quiétude.

Cette critique de l' « illusion référentielle» qui consiste à chercher dans ce langage un cliché fidèle, une expression fiable de laréalité, interpelle de nouveau la lucidité de Gérard Genette quand il écrit :

« L'incapacité du langage à révéler cette « vérité » autrement que d'une manière dérobée, déguisée, retournée, toujours indirecte et comme seconde: c'est l'âge des mots »8(*).

C'est dire qu'avec Marcel Proust, « l'âge des noms » celui du contact naturel entre le nom et le lieu, le mot et la chose, est gommée au profit de « l'âge des mots».

Naturellement, l'incohérence de ce langage engage bien entendu le récit dans un terrain mouvant où son économie verse dans l'anachronie et devient presque invisible. Cette conception du récit n'a pas échappé à Claude Simon lorsqu'il écrit : « Personne ne fait l'histoire, on ne la voit pas, pas plus qu'on ne voit l'herbe pousser »9(*)

Toutefois, en prenant du recul, force est de rappeler la grande influence russe a marqué d'une empreinte les écrivains rénovateurs. Leur cheminement esthétique avait sonné le glas du roman à caractère et favorisé l'érection d'un roman nouveau où le sujet fait « dialoguer avec les lobes de son cerveau »10(*)

Cette descente dans le flux souterrain de la conscience de l'être, débouche, avec Dostoïevski, dans le vide, le nihilisme et perturbe vraisemblablement la charpente du récit romanesque. Cet état de fait, nous oblige à convoquer de nouveau Julia Kristeva qui souligne à juste raison:

«Lorsque le "nouveau roman" analysera au microscope les "états baladeurs", « semblables » au mouvement des atomes et qui, sous-jacents, pulvérisent la linéarité de la communication entre des sujets fins, il désignera en Dostoïevski le premier qui ait ouvert l'accès à ce monde souterrain »11(*).

Partant de cette assertion de Julia Kristeva, la réaction de Nathalie Sarraute est très illustrative:

« J'ai été influencée d'abord, je crois, par beaucoup d'auteurs, mais en tout cas fortement par Dostoïevski, et puis Proust et par Joyce»12(*).

Ainsi Nathalie Sarraute et à sa suite, Robbe-Grillet, Robert Pinget, Butor, etc., vont hériter, approfondir et fortifier cette littérature pour l'adopter conformément aux préoccupations de l'heure. Ils prétendent à la fois justifier le besoin d'innover le roman et le satisfaire. Comment comptent-ils le justifier? Bien évidemment, en démontrant, dans des écrits théoriques à l'image de l'Ere du Soupçon (1956)de Nathalie Sarraute, Pour un nouveau roman (1964) d'Alain Robbe-Grillet, Essais sur le roman de Butor (1964), qu'il est vain de vouloir représenter notre monde du vingtième siècle avec des techniques de narration empruntées au dix neuvième siècle voire au dix septième siècle. Et comment entendent-ils le satisfaire? Sans doute, en essayant de créer un nouveau type de romanesque et une nouvelle forme susceptibles d'aiguiser leur goût de la recherche narrative .

Dès lors, avec ces néo-romanciers, «Le génie du soupçon est venu au monde »13(*). Car, l'expérience vécue est devenue une énigme indéchiffrable, leur écriture est entachée d'incertitudes à tous les niveaux de la fiction. Le paradoxe du menteur se trouvant au coeur du « degré zéro » de cette écriture, tente, tant bien que mal, de mimer la vérité. A ce titre, Butor dira, de fort belle manière: « Le roman, fiction mimant la vérité(...) »14(*)

C'est dire que le roman, loin d'être seulement l'illusion d'une transparence référentielle, se doit d'allier et la fiction et la réalité. A titre d'exemples, Les Gommes (1953) et la Modification (1957), romans respectivement d'Alain Robbe-Grillet et Michel Butor sont très illustratifs à cet égard.

Parallèlement, les mécanismes bien huilées du temps et de l'intrigue grâce auxquels le romancier traditionnel voudrait nous persuader de la cohérence et de la stabilité du monde, sont volontairement brouillés et ne permettent plus de distinguer scènes présentes et scènes passées. Ce procédé est très significatif dans La Modification (1957) de Michel Butor où le personnage principal, Léon Delmont est écartelé entre le présent et le passé, Paris et Rome, Henriette et Cécile.

Aussi, le langage, il convient de le souligner, bien articulé à l'époque traditionnelle, trait d'union entre les mots et les choses, l'homme et le monde, épouse-t-il, à présent, les contours aussi bien obscurs que tortueux d'un univers en désagrégation. Dès lors que les mots du langage n'obéissent plus à la logique de cohérence, de stabilité, un renversement s'opère, selon Jean Ricardou qui affirme : « Un roman est(...)moins l'écriture d'une aventure que l'aventure d'une écriture ».15(*) « Cette aventure de l'écriture » n'épargnera pas la structure et la texture du récit. Il ne sera plus « le récit d'une aventure » mais « l'aventure du récit ». Il se dégage ainsi «une déstructuration, une délinéarisation du texte comme espace de figuration»16(*)

En vérité, la déconstruction du texte auto-réflexif a pour fonction, aux yeux de Nathalie Sarraute, de postuler la participation, sans condition aucune, du lecteur modèle. Cet être immanent se doit de reconstruire du sens, de reconstruire de la cohérence, du liant, même s'il n'y en a pas car, la signification des livres est en nous. Ainsi, à l'esthétique de la production et de l'imitation succède selon Jauss une « esthétique de l'effet produit et de la réception »17(*).

Bref, en ce qui concerne le récit, terrain d'élection des théoriciens et romanciers de la littérature, le plus historique peut-être des formes narratives, a évolué de façon significative à travers les âges. Il supposait traditionnellement traduire des chaînes de croyances: morales, philosophiques, métaphysiques qui constituaient la conquête sûre et patiente des meilleurs esprits.

Mais, avec l'impact de la « guerre mécanique », l'homme et ses valeurs se déstructurent, s'étiolent et s'éboulent malencontreusement au même titre que les formes romanesques principalement le récit. Car, selon Todorov: «l'homme n'est qu'un récit »18(*).

Donc, à la déstructuration des fondements de l'humaine condition correspond une déstructuration effective du récit que les néo-romanciers ne manqueront pas de prendre en charge dans leurs textes très symboliques, à bien des égards: la Jalousie (1957), La Modification (1957), L'Herbe (1963), Molloy (1951), Tropismes (1939), Le Planétarium (1959), etc.

S'agissant des deux derniers textes qui portent la signature de Nathalie Sarraute, ils s'inscrivent, comme en témoignent les titres, dans laperspectivesubversive d'une déstructuration du récit qui constituera du reste l'objet de notre analyse dans cette présente étude.

Ainsi, dans les deux ouvrages qui nous occupent, Le Planétarium (1959) et Tropismes (1938), il ne s'agira pas de voir, dans le récit, un déroulement logique et chronologique de l'histoire, mais un processus discontinu de celle-ci, et dans laquelle les nombreux blancs, les chapitres très courts semble faire la loi. En cautionnant une telle démarche, ces deux textes nous ont incités à les rapprocher dans cette présente étude.

Dans cette perspective, notre analyse obéira à une structure binaire. Elle essayera, dans une certaine mesure, de s'inscrire dans cette prédilection pour une structuration déconstruite.

Dans la première partie, la question du récit sera engagée suivant une méthode discursive : c'est-à-dire, il y sera question de faire une mise au point sur la configuration du récit, par l'entremise de sa structuration et de sa logique de composition à travers lesquelles nous essayerons de montrer comment elles débouchent dans la déstructuration due, en grande partie, aux « tropismes », sans céder à aucune exhaustivité.

Cette démarche sera en prise directe avec la seconde partie consacrée à la narration. Il s'agira, à titre d'illustrations, de prouver comment les caractères de la narration et les modes narratifs participent de la déstructuration du récit dans Tropismes et Le Planétarium.

En fait, dans les deux parties, nous recourerons très souvent à la représentation schématique pour mieux élucider le mode de fonctionnement complexe du récit et des « tropismes ».

Tout compte fait, il nous a paru important de rappeler que notre démarche ne saurait faire ici une étude exhaustive, mais elle n'est qu'une esquisse d'un faisceau de disfonctionnements narratifs que les néo-romanciers n'ont manqué de souligner.

PREMIERE PARTIE :

CONFIGURATION GENERALE DU RECIT

Dans Tropismes et Le Planétarium

La configuration du récit, évolue au fil de l'histoire, témoignant au travers d'une gamme de ruptures, de réorientations fondamentales du genre romanesque.

La seconde moitié du vingtième siècle, marquée par l'Ere du soupçon à tous les niveaux de la fiction ou plutôt du texte, obéit à des principes de forme qui s'émancipent des canons esthétiques traditionnels.

Ainsi, dans Le Nouveau Roman, plus précisément dans Tropismes et Le Planétarium, il ne s'agira pas seulement de suivre une histoire dans sa dimension épisodique mais de pouvoir saisir ensemble ses événements successifs et sa configuration sémantique.

Cet état de fait attire l'attention de Jean Michel Adam qui soutient :

«  (...). le récit le plus humble est toujours plus qu'une série chronologique des événements. L'activité narrative comme ordre chronologique et ordre configurationnel : suivre le déroulement d'une histoire (ordre chronologique), c'est déjà réfléchir sur les événements en vue de les embrasser en un tout signifiant (ordre configurationnel) »19(*)

C'est dire, par exemple dans Tropismes, que l'écrivain loin de nous présenter une séquence d'action structurée, livre le drame d'une écriture cherchant à « peindre l'invisible (...), à capter et à communiquer des sensations, des impressions vagues et fugitives en se plaçant d'un point de vue aussi objectif et neutre que possible, qui ne soit celui ni du narrateur, ni du lecteur, encore moins le monologue intérieur d'un quelconque héros »20(*)

Dans cette veine, Le Planétarium cautionne cette forme d'écriture qui se présente comme un récit aux leviers multiples où toute tentative de représenter le monde, d'exprimer sa cohérence est vouée à l'échec.

Par ailleurs, eu égard à ces caractéristiques, un certain nombre de points méritent d'être passés au crible.

D'abord, on sera amené, dans cette première partie, à décrypter les thèmes qui sous-tendent la structuration du récit : de Tropismes au Planétarium, et spécifier les procédés symptomatiques de la déstructuration du récit.

Ensuite, on verra comment la logique de la composition est-elle prise en considération dans ces deux romans constitutifs de la théorie littéraire sarrautienne.

Enfin, vu que le Nouveau Roman est né, si nous osons le dire, des ruines du roman réaliste, on jugera nécessaire de faire appel à des exemples tirés d'oeuvres romanesques de type balzacien et à des schémas histoire de mieux élucider notre cheminement.

CHAPITRE I : STRUCTURATION DU RECIT

Organisation formelle de la narration, le récit se lie à une structuration qui désigne la manière dont celui-ci fonctionne, progresse et acquiert une structure. Laquelle structure est centrée sur une idée de l'unité d'action organisée, ternairement selon Aristote en commencement, milieu et fin c'est-à-dire en prologue-exposition, noeud et dénouement. Tel est le schéma épique, dramatique qui a, des siècles durant, organisé le genre romanesque.

Dans cette perspective, qu'on relise, pour s'en convaincre, Le Père Goriot21(*)d'Honoré de Balzac. Dans ce Chef-d'oeuvre de la littérature française du dix-neuvième siècle, la fiction du récit s'amorce avec la description de la « pension bourgeoise » pour ne connaître, après une complication dynamique (milieu) son épilogue qu'à la « mort du père » c'est-à-dire le 21 février 1820, date de l'inhumation du père Goriot, héros éponyme du roman.

Aussi, considérons, pour des besoins de clarté et de concision ce croquis qui souligne le déroulement logique et chronologique de ce roman réaliste :

Quatrième Partie

Troisième Partie

Deuxième Partie

Première Partie

« La mort du père »

(PP.219-271)

« Trompe-la mort »

(PP.160-218

« L'entrée dans le monde »(PP.92-159)

« Pension bourgeoise » (PP : 7-91

Dénouement

Prologue-Exposition

Noeud

Si traditionnellement le récit est bâti sur le socle de la cohérence, de la linéarité, avec le Nouveau Roman enfanté par la faillite de l'idéal humaniste et la religion du progrès, le récit sarrautien singulièrement dans Tropismes et LePlanétarium cloue au pilori la chronologie pour ne porter au pinacle que la subjectivité de la narration, l'imitation de la réalité, la forme structurelle.

Partant du fait qu'« à chaque oeuvre sa forme »22(*), l'on en infère que l'examen des Tropismes et du Planétarium laisse ainsi entrevoir une structuration qui ne fait pas corps avec les idéologèmes du récit réaliste.

Dans Tropismes, par exemple, le symbolisme du cercle fonctionne, d'entrée de jeu, comme la colonne vertébrale du récit marqué par des aller-et retours incessants, le sérialisme de la description, etc.

L'armature du récit qui n'est pas sans rappeler le style « à sauts et à gambades » de Montaigne, laisse pressentir le mouvement giratoire de la planète terre.

Dans Le Planétarium, cette technique d'écriture est portée à la perfection. En effet, Sarraute convoque des éléments de l'univers cosmique tels les astres, les planètes qui se spécifient par leur circularité pour les adapter aux lois de la nature humaine comme les tribus, les cercles, etc.

Par ailleurs, cette nouvelle conception du récit n'est pas sans poser des problèmes complexes. C'est pourquoi nous nous proposons de voir ce qui justifie la structuration du récit dans Tropismes et LePlanétarium.

Nous ne ferons pas une analyse de la génèse du récit, mais nous tenons à montrer quelques-uns de ses aspects comme par exemple :

- L'histoire qui n'a de sens que celui du récit, de l'écriture ;

- L'ordre et la structure.

I-1 : HISTOIRE

L'histoire, du moins la conception sarrautienne de l'histoire du récit romanesque fait voir une démarche qui se détourne de celle du roman traditionnel. Sans nul doute, ce refus de l'histoire s'explique par le fait que l'histoire de l'humanité est devenue plus problématique que jamais. Tropismes et Le Planétarium exhibent cet univers en désagrégation en dissipant l'histoire ou en rendant « invisibles ».

Ainsi, avant d'énoncer la quintessence de l'histoire du récit dans Tropismes et Le Planétarium, il importe, de prime abord, d'élucider ce qui fait l'essentiel des titres.

Ouvrant la presque romanesque de Nathalie Sarraute, « tropismes », à première vue, semble se définir scientifiquement comme des «  (...) réactions de locomotion et d'orientation, causées par des agents physiques ou chimiques, l'organisme se courbant ou se déplaçant vers la source externe ou en sens opposé »23(*).

Certes, Sarraute s'est inspirée de ce concept pour le moins Chimique et foncièrement animal et végétal, mais elle le repense, l'actualise, pour une raison ou une autre, en dépassant son acceptation première. Ainsi, dans l'Ere du soupçon, elle soutient, au sujet des « tropismes », que ce sont :

« Toutes ces contorsions bizarres (...) tous ces bonds désordonnés et ces grimaces, avec une précision rigoureuse sans complaisance ni coquetterie, traduisent au dehors, telle l'aiguille d'un galvanomètre qui retrace en les amplifiant les plus infimes variations d'un courant, ces mouvements subtils, à peine perceptible, fugitifs, contradictoires, évanescents, de faibles tremblements, des ébauches d'appels timides, et de reculs, des ombres légères qui glissent, etdont le jeu incessant constitue la trame invisible de tous les rapports humains et la substance même de notre vie. »24(*)

C'est dire que Sarraute, tout en mettant à découvert les phénomènes de psychologie collective, dévoile l'hétéronomie essentielle des existences individuelles prise dans le mouvement perpétuel du « Planétarium » social qui, selon Le Robert, signifie une « représentation, à des fins pédagogiques, des corps célestes sur la voûte d'un bâtiment ».

Au-delà de cette signification première, Georges Raillard, en écho à la vision astrologique sarrautienne sur fond de relations humaines, voit dans Le Planétarium l'« intelligence d'un système de rapports mouvant et la création sans lequel ils n'apparaîtraient pas »25(*). A la lumière de cette pensée, l'on est tenté de dire que Le Planétarium est le lieu d'attraction et de réaction où chaque être cherche à se définir, s'imposer par référence aux autres qui sont de faux astres, qui « ne sont pas les vrais Guimier ». (P.197). De fait, Sarraute souligne, à ce propos : « (...) Si le livre s'appelle Le Planétarium, c'est précisément parcequ'ils [les personnages] ne peuvent être que de faux astres, des apparences, des copies »26(*)

Ces faux-semblants, qui recouvriraient les « tropismes » que Sarraute cherche à montrer au lecteur, s'attirent, se repoussent, s'influencent au sens astronomique du terme. En outre, un personnage peut parfois au cours du récit influencer un autre du fait de son statut d'écrivain. Ainsi les tractations d'Alain pour réussir son examen d'entrée dans le cercle de Germaine Lemaire en sont mille et une illustrations.

A présent, nous nous bornerons à l'examen de l'histoire, quoique terne, dans Tropismes et Le Planétarium à cause peut-être du phénomène absurde de la guerre.

En fait au vingtième siècle, le choc de la guerre est telle que le récit et ses virtualités subissent la loi de l'innovation. Les tentatives de renouvellement du récit sarrautien s'expliquent, en grande partie, par la volonté de remettre en question une forme idéologiquement trop marquée comme par exemple l'histoire du récit qui est, selon Aristote :

« Imitation d'action (...) qui forme un tout; et les parties que constituent les faits doivent être agencées de telle sorte que, si l'une d'elles est déplacée ou supprimée, le tout soit troublé ou bouleversé [...] »27(*)

Du coup, si, dans le roman de type balzacien, l'histoire était portée aux nues, dans le nouveau roman singulièrement dans Tropismes et lePlanétarium « raconter est devenu proprement impossible »28(*), car l'univers diégétique développe des histoires insignifiantes qui ébranlent ou défient toute solidité, toute chronologie du récit.

Ainsi, dans Tropismes l'histoire est apparemment inexistante puisqu'on remarque une superposition, une imbrication de micro-récits. Qu'on se rappelle la phrase-seuil du roman où l'on semble lire l'histoire des « ils » qui « semblaient sourdre de partout, éclos dans la tiédeur un peu moite de l'air » pour regarder « l'exposition de Blanc » (T.11-12) ; ou encore dans le « tropismeII » où il est question d'une convive qui réunit « à table la famille » (T.15); plus loin encore on semble lire l'histoire d'un professeur du collège de France qui disserte sur « son âge, de son grand âge et de sa mort » (T.52) etc. De ce fait, l'histoire de ces récits apparaît comme une version de la vie et non une représentation de la vie.

Dans Le Planétarium l'histoire du récit développe une intrigue quasi diverse, car il est illusoire de narrer une aventure ou de se prétendre le témoin impartial d'une histoire indépendante des sujets qui l'enregistrent. Qu'on relise l'incipit du roman où il est question d'une « poignée de porte » (P.13), d'un « rideau de velours » (P.7) ou encore plus loin des « carottes râpées » (P.98), d'un appartement de Tante Berthe à propos duquel Alain et Gisèle entendent s'accaparer. En fait, l'entrecroisement de ces histoires du récit vise essentiellement à dissoudre l'histoire principale du récit qui n'est qu'un fil tenu qui permet de réunir les mouvements psychologiques autour de paroles et d'objets.

Dans cette perspective de renouvellement de l'histoire du récit de type balzacien, « l'intrigue n'est-elle pas en train de disparaître de l'horizon littéraire? »29(*). On répondra par l'affirmative en ce sens que, dès Madame Bovary de Flaubert on remarque « une désagrégation de l'intrigue » qui brouille les séquences du récit. Comment cette déconstruction de l'intrigue de l'histoire se manifeste-t-elle dans le Tropisme et Le Planétarium? Dans ces deux romans, « peut-on encore parler d'intrigue, quand l'exploration des abîmes de la conscience paraît révéler l'impuissance de la gage lui-même à se ressembler et à prendre forme? »30(*)

Ainsi, dans Tropismes on lira moins une intrigue événementielle qu'une spirale de micro-récits s'employant à appréhender une réalité toujours chancelante et indécise des personnages qui, telles des poupées, « s'allumaient, s'éteignaient, s'allumaient, s'éteignaient, toujours à intervalles identiques » (T.12). C'est dire que dans ce texte l'intrigue du récit est sans nul doute le langage qui tente, tant bien que mal, de mettre à découvert l'angoisse de ces « êtres de papier », de capter ces fourmillements secrets et internes, cette « sous-conversations » qui creuse de ses antagonismes et de ses ambiguïtés des dialogues et des interrogations en apparence banals voire insignifiants. A ce propos, convoquons le récit XV dans lequel le personnage anonyme (il ) taraude son interlocuteur dans un interrogatoire sans fin à propos de l'Angleterre : « L'Angleterre... Ah ! oui, l'Angleterre... Shakespeare? Hein? Hein? Shakespeare. Dickens- je me souviens, tenez, quand j'étais jeune, je m'étais amusé à traduire du Dickens. Thackeray. Vous connaissez Thackeray? Th .... c'est bien comme cela qu'ils prononcent? Hein Thackeray? C'est bien cela ? C'est bien comme cela qu'on dit» ( T. 94).

De fait, cette insignifiance de l'intrigue qui institue des trous entre les noeuds du récit et reflète un univers de l'ennui, trouve sa validité dans Le Planétarium. Dans ce roman, le récit développe une intrigue aux allures ternes et dévoile moins un univers objectif qu'une représentation subjective de ce monde où l'angoisse règne en maître.

En quoi, l'angoisse des personnages constitue-t-elle la trame du récit? Bien évidemment, parce qu'un simple détail intériorisé peut engendrer, générer une existence insupportable. Ainsi l'évocation de la « poignée » dès la séquence d'ouverture du Planétarium, est convaincante : « la poignée, l'affreuse poignée en nickel, l'horrible plaque de propreté en métal blanc... c'est de là que tout prévient, c'est cela qui démolit tout, qui donne à tout cet air vulgaire » (P.11).

L'histoire de cette « poignée », mise en intrigue par le récit, rehausse le sentiment d'angoisse de Tante Berthe obsédée par la décoration de son appartement. Du reste, notons au passage que dans ce récit, Sarraute superpose et mêle plusieurs intrigues aptes à obscurcir la vision interprétative du lecteur lamda. En effet, tout lecteur averti semble décrypter, mis à part l'histoire de la « poignée de porte » (P.13), l'histoire des « fauteuils de cuir » (P.43) qui met aux prises Gisèle, sa mère et Alain Guimier. En clair, Alain et Gisèle rejettent « les deux superbes fauteuils » (P.42) que leur offre la mère pour ne choisir que la « bergère ancienne » (P. 43. De surcroît, le chapitre suivant est très constitutif de cet entremêlement, de cette imbrication des micro-récits. Dans ce macro-récit, prennent place tantôt l'histoire de la « poignée » (P.62) de porte évoquée précédemment, tantôt l'histoire de la « bergère » (P.67) ou encore l'histoire de l'« appartement » (P. 71) de Tante Berthe.

Il en est de même dans Tropismes : la narratrice imbrique et le récit de « elle » qui « était accroupie sur un coin de fauteuil »(T.57) et le récit de « il» qui «  sentait à tout prix il fallait la redresser » (T.57). Ces deux micro-récits gouvernent le récit principal qui perd du coup, sa linéarité. Cette déchronologie du récit procède du parallélisme institué par l'opposition de ces éléments du texte.

Par ailleurs, si, traditionnellement l'histoire du récit était structurée, cimentée suivant un cheminement logique et chronologique, dans le récit néo-romanesque, en revanche, elle est fondée sur des duplications intérieures de sorte que par un effet de mise en abyme la signification générale du récit se trouve agrandie ou rehaussée. Dans cette veine, Nathalie Sarraute brise nettement les barrières du conservatisme romanesque dont l'action dramatique semblait être la sève nourricière du récit. En effet, elle était naguère fondée sur l'atteinte du but inscrit dans un projet finalisé, pour la réalisation duquel doit être suivie une logique d'enchaînement séquentiel, linéaire des faits.

Dans le récit Sarrautien, l'action est chargée de fragments d'histoires tendant à gommer les solutions de continuité du récit. Ainsi, dans Tropismes, l'évolution thématique de la négativité des « êtres de papiers » génère l'effacement du processus même de l'action. Car, qu'ils s'agissent des «ils» ou des «elles», Sarraute n'accorde aucun support d'actions précises, d'où l'intérêt des «tropismes» qui nient toute concrétisation narrative se manifestant par le foisonnement des questions. Qu'on relise à ce propos le quinzième « tropisme » : « Vanity Fair? Vanity Fair? Ah, oui, vous en êtes sûre? Vanity Fair? C'est de lui? » (T. 95).

En effet, ce pool de questions vise non seulement à déstructurer le récit en euphémisant et en brouillant ses marques mais aussi à remettre en question le personnage pris pour un des piliers de l'illusion réaliste et des routines de lecture.

Il convient de remarquer, dans cette perspective, que Le Planétarium nous conduit au coeur de cet univers de fiction pris en charge par l'histoire, les actions et les personnages du récit. Ainsi la mise en question sur l'identité d'un personnage est symptomatique d'une crise du réalisme. Car, la narratrice du récit se demande si « Madame Germaine Lemaire est-elle notre Madame Tussaud?» (P.155). Dans ce même registre, la notion de fiction tire sa pertinence de l'usage en apparence disjoint de l'adverbe « vrai-ment » dans par exemple le récit qui voit les Guimier taxés d'agresseurs :

« ... Les Guimiers ont osé? Alain a osé menacer sa tante? Vrai-ment?» ( P.194). Eu égard à la configuration de l'adverbe « vrai-ment », l'on déduit que le récit sarrautien est au carrefour de deux registres: le registre de la réalité et le registre, pourrait-on dire, de l'irréalité. De ce point de vue, la conception de Todorov au sujet de l'oeuvre littéraire est pertinente à cet égard. Il affirme, à ce propos:

« (...) l'oeuvre littéraire à deux aspects : elle est en même temps histoire et discours. Elle est histoire, dans ce sens qu'elle évoque une certaine réalité des événements qui se seraient passés, des personnes qui, de ce point de vue se confondent avec la vie réelle. Mais l'(oeuvre est en même temps discours : il existe un narrateur qui relate l'histoire »31(*)

C'est dire que les narrateurs sarrautiens dans Tropismes et Le Planétarium en racontant des histoires du vécu quotidien brouillent « la clarté narrative », car ils ne font que les reconstituer à coups de discours, d'images qui sous-tendent le trompe-l'oeil .

Ainsi, dans Tropismes lit-on : « (...) sur le masque des choses, le soupesaient un seul instant (était-ce joli ou laid?), puis le laissaient tomber » (T.64). En fait, le masque semble être un maillon essentiel de cette apparence trompeuse dans la texture du récit.

De même dans Le Planétarium le narrateur pour prouver l'inanité de ses discours soutient : « ... j'ai raconté  des histoires, n'importe quoi, ce qui me préoccupait, j'étais encore tout plein de ces histoires d'ameublement, d'appartement... » (P.93). En clair, il est symptomatique de souligner que dans le récit sarrautien il est une fracture entre le texte signifié et la réalité et qu'entre les deux s'interpose la médiation du langage qui, devient par voie de conséquence l'action du récit. Puisque l'univers du texte n'est jamais que le réel organisé par l'écriture, par les mots qui «se forment n'importe comment, ils jaillissent, transparents et légers, bulles scintillantes qui montent dans un ciel pur et s'évanouissent sans laisser de traces.» (P.121). Lesquels mots s'insèrent véritablement dans la fiction du récit qui est selon Yves Reuter « l'histoire et le monde construits par le texte et n'existant que par les mots, ses phrases, son organisation»32(*)

Du reste, il convient, avant de conclure sur ce point, de signaler, de faire le point sur les actions des personnages dans l'histoire du récit. En effet, ces «forces agissantes» c'est à dire ces personnages humains jouent essentiellement un « rôle thématique » qui désigne selon Yves Reuter la catégorie socio-psycho-culturelle dans laquelle on peut les lister. Ainsi suivant la catégorie à laquelle appartiennent les personnages sarrautiens, un constat s'impose: les personnages dans Tropismes et Le Planétarium sont mus par des actions et des réactions qui les incitent à cultiver un désir ardent de contact ou plus exactement de communication. Du coup, le troisième axe c'est-à-dire la dichotomie «destinateur/destinataire» du schéma actantiel de Greimas semble trouver ici toute sa validité. A ce niveau de la réflexion surgit une question : Comment se manifeste ce désir de contact des personnages dans Tropismes et LePlanétarium? En fait, de Tropismes au Planétarium qu'ils s'agissent des «elles», des «ils» cheminant de concert, de multiples groupes à l'image de celui de Germaine Lemaire et sa camarilla de jeunes écrivains, d'Alain et de Gisèle, on semble lire une connivence caressant les personnages sarrautiens et débouchant dans la bouffonnerie.

Ainsi dans Tropismes les actions des personnages du récit sont enlisées dans «une matière anonyme comme le sang, dans un magma sans nom, sans contours»33(*). Ce qui explique l'emploi répété des pronoms indifférenciés pluriels comme «elles» qui émaillent la texture du récit. La phrase-seuil du texte est constitutive de cette orchestration narrative où les «(...) ils formaient des noyaux plus compacts» (T.11).

En effet, par l'usage du morphème « -pacts » dans « compacts », on semble lire un pacte, du moins un contact qui scelle les différents personnages du récit à toute action visant à les individualiser.

Si, dans Tropismes, l'action des personnages est sinon passive du moins nulle et non avenue, dans Le Planétarium elle se manifeste, à des degrès divers, par la quête de l'autre et de son approbation. Ainsi, le cercle de Germaine Lemaire est sans nul doute le lieu privilégié de connivence et de convergence qui se traduit par un sentiment de solidarité, d'entente obligeant ces deux protagonistes du récit à savoir Alain et Germaine Lemaire à « (...) se comprendre par delà les mots » ( P.83). Pour ce qui concerne Alain, son désir de contact est manifeste lorsqu'il entend raconter son auditoire des manies de sa Tante Berthe ou bien lorsqu'il multiplie les actions susceptibles de séduire l'autre comme Germaine Lemaire à qui «  il étale (...) ses présents, ses offrandes, tout ce qu'il possède » ( P.84 ).

En fait, le désir de contact qui trouve bien des échos dans Tropismes et Le Planétarium vise non seulement à cimenter les liens mais aussi à canaliser certains personnages hypersensibles à l'image de « elles » et de Tante Berthe, la « maniaque ».

Aussi, il est tentant de souligner que ce désir de contact des personnages sarrautiens génère dans l'économie du récit un contraste entre le rôle thématique et les actions que les personnages qui le figurent sont amenés à exécuter en assumant, du coup un rôle thématique opposé. De l'avis de Reuter, le lieu, dans un même personnage, «  de deux rôles thématiques opposés peut provoquer un effet de scandale ou d'humour »34(*), on dira de bouffonnerie.

Ainsi, dans Tropismes, « le maître de ballet » a maillé à partir avec les « elles » qui franchissent « le plan interdit » « T.28 » en mêlant deux rôles thématiques : danseuses-bouffonnes. Ce qui suscite « l'histoire d'un scandale » ( T.ibid.) soulignée par le narrateur du récit :

« Mais non ! Ah ! C'était fou, cela ne l'intéresse pas ou cela lui a deplu : il se renfrogne tout à coup, comme il fait peur, il va les rabrouer d'un air furieux grognon, il va leur dire quelque chose d'avilissant, les rendre ( elles ne savent comment) conscientes de leur bassesse » (Ibid).

Cette séquence du récit prouve que, dans Tropismes tout comme dans LePlanétarium, « les rôles ne sont jamais figés dans l'univers de Nathalie Sarraute »35(*). Considérons l'exemple qui essaye de s'arroger deux rôles thématiques : d'abord le rôle d'intellectuel et ensuite le rôle de bouffon. En effet, si le bouffon est, par essence, l'être qui réussit à purifier les passions et à désamorcer le tragique, provoquant un rire libérateur, ses bouffonneries n'enclenchent pas toujours le rien. Illustrative est la scène dans laquelle Alain Guimier qui promet aux hôtes de sa belle-mère de les faire tordre de rire en pastichant les maniaqueries de son « numéro » de tante, voit son action vouée à l'échec, à l' « inachèvement » pour parler comme Yves Reuter.

Il suffit de relire ce fragment de texte pour souligner le fiasco d'Alain : «  tout le monde a un peu mal maintenant, la descente sur lesmontagnes russes a mal tourné, ils se sont cognés. Ils sentent un peu ridicules, un peu gênés ». (P.33).

Eu égard à la psychologie des invités, une question demeure de savoir pourquoi les bouffonneries provoquent ce malaise au lieu du rire escompté. Parce que tout simplement Alain s'est aventuré sur un terrain qui n'est guère le sien c'est-à-dire qu'il a émigré les régions obscures des « tropismes » pour un espace théâtral régi par d'autres règles et particulièrement celles de la visibilité et de l'ostentation. Du coup, la théâtralisation d'un personnage clownesque brouille vraisemblablement les repères, les canons-esthétiques du roman traditionnel.

Dans cette logique subversive, il importe de noter qu'à l'image de Dostoïevski, Nathalie Sarraute considère le bouffon comme un rôle théâtral mais à l'opposé du romancier russe qui distribue ce rôle à certains personnages dont la figure archétypale du père Karamazov, elle ne le réduit pas à un emploi fixe : chacun dans Tropismes et le Planétarium, à tout moment, peut se livrer à des bouffonneries puisque chaque «  nous » comporte un élément clownesque auquel les autres éléments de la personnalité laissent une liberté plus ou moins grande. Rappelons, dans cette perspective, le récit du narrateur des Tropismes qui montre, en énonçant l'état d'esprit de leur grand-père et grand-mère, qu' « ils n'étaient pas comme nous », car sa grand-mère «  avait conservé toutes ses dents à son âge » (T.122). Dans ce même ordre d'idées, le personnage de Germaine Lemaire, dans Le Planétarium, évoque à la clausule du roman, l'idée selon laquelle : « (...) nous sommes bien tous un peu comme ça » (P.251). Autrement dit tous les personnages qui occupent les récits du roman sont des clowns tels par exemple Tante Berthe, Gisèle qui se conforment au masque que les autres leur ont appliqué. La première exagère devant les ouvriers la caricature de la femme sénile et capricieuse jusqu'à la bouffonnerie : « et puis elle sent qu'il est préférable au contraire de forcer grotesquement les traits de cette caricature d'elle -même qu'elle voit en eux, de se moquer un peu d'elle-même avec eux pour les amadouer, les désarmer, elle prend un ton infantile, pleurnicheur.... » (P.13).

Quant à la seconde, véritable caméléon, elle se mue alternativement en rapace sous les yeux de son beau-père, Pierre et en renardeau sous le regard d'Alain :

«  (...) Elle sait ce qu'il voit : elle sent son propre visage se figer sous ce regard. Une expression usée, vorace apparaît, elle le sent sur ses propres traits, dans ses yeux, elle a l'oeil fine d'un oiseau de proie (...) » (P.115).

Après cette analyse de l'histoire du récit, il serait intéressant de voir aussi la façon dont l'ordre et la structure sont déconstruits.

I-2 : ORDRE ET STRUCTURE

Dans la conception littéraire du roman, le récit traditionnel pouvait se construire sous des auspices balzaciens et parvenait parfaitement à peindre les différentes étapes d'une société dans laquelle « tout visait à imposer l'image d'un univers stable, cohérent, continu, univoque, entièrement déchiffrable»36(*).

Mais, il est très vite apparu que cet itinéraire ne pouvait plus être décrit de façon aussi linéaire, ordonné et logique, puisque la réalité est submergée par une crise morale sans précédent affectant les croyances, les idéologies, et les formes mêmes de la représentation esthétique ou littéraire.

Cette crise de conscience génère l'expérimentation de certains thèmes tels par exemple l'ordre et la structure du récit.

S'agissant de l'ordre, il désigne selon Yves Reuter «le rapport entre la succession des événements dans la fiction et l'ordre dans lequel l'histoire est racontée dans la narration»37(*). Autrement dit, il est traditionnellement une correspondance entre l'ordre de la narration et l'ordre chronologique de la fiction.

Cet état de fait s'explique par le fait que l'ordre naturel du monde de l'époque était lié«à tout un système, rationaliste et organisateur, dont l'épanouissement correspond à la prise du pouvoir par classe bourgeoise»38(*)

En fait, ces repères chronologiques foisonnent dans la littérature traditionnelle. L'exemple le plus habile peut être fourni par le début du Père Goriot de Balzac : le lecteur y apprend incidemment la date à laquelle se déroule l'histoire alors que le narrateur évoque l'année 1792 comme étant l'aube du récit.

Mais, avec le Nouveau Roman, le récit ne se conforme plus à l'ordre chronologique de facture traditionnel. L'entreprise de Nathalie Sarraute s'insère ici tout naturellement. Tropismes et Le Planétarium scellent de la manière la plus exemplaire le crépuscule de cette tradition où « le discours narratif n'y intervertit jamais l'ordre des évènements sans le dire (...). » 39(*)

En fait, ces deux textes semblent, à la fois, se développer suivant un ordre et un désordre dans l'armature du récit. Puisqu'on semble lire une distorsion entre « la série du racontant, l'ordre du texte tel qu'il est, avec tous les bouleversements possibles de la linéarité temporaire et la série du raconté ou chronologie des événements»40(*) . C'est-à-dire le conflit entre la série racontée nous permet d'appréhender la façon dont s'ordonne le récit sarrautien.

Aussi, ne sera-t-on pas étonné de voir que Nathalie Sarraute pose essentiellement la nécessité de s'arracher aux illusions du roman traditionnel en usant fréquemment des ouvertures in media res dans Tropismes et LePlanétarium. Ces textes signalent la vacuité inaugurale des récits. Convoquons, par exemple, la phrase-seuil des Tropismes :

«Ils semblaient sourdre de partout, éclos dans la tiédeur un peu moite de l'air, ils s'écoulaient doucement comme s'ils suintaient des murs, des arbres grillagées , des bancs , des trottoirs sales des squares.» (T.11).

En fait, l'usage fréquent des verbes d'actions «s'écoulaient», «suintaient» soulignent que nous sommes effectivement au milieu de l'action. II en est de même de l'incipit du Planétarium/

«Non vraiment , on aurait beau chercher , on ne pourrait rien trouver à redire , c'est parfait...une harmonie exquise, ce rideau de velours, un velours très épais, du velours de laine de première qualité (...)» (P.7).

En effet, cet incipit laisse pressentir une dimension orale qui brouille l'ordre d'apparition des récits et s'insère dans le vide, l'indicible. Ces ouvertures constitutives du récit sarrautien n'ont pas échappé à Falilou Ndiaye qui soutient en ces termes :

«Dans ses romans, Nathalie Sarraute, dès la première page, laisse échapper la coulée d'une parole dans les méandres indicibles : murmures, vides, silences, et tropisme (...)»41(*).

C'est dire que Sarraute le langage discontinu est au premier rang de sa conception littéraire. Cette vision littéraire se soucie moins de l'ordre temporel que « L'espace scriptural où les mots sont figés, réifiés dans leur rigueur et solitude. »42(*). C'est la raison pour laquelle, on n'entrevoit pas, dès l'ouverture des récits, aucun indice temporel : années, jours, heures. Ces données temporelles avaient droit de cité dans les romans traditionnels.

De ce fait, c'est le lieu de préciser que ces ouvertures in média res mettent en exergue leur fonction phatique en ce sens qu'elles postulent, d'entrée de jeu, la conscience interprétative du lecteur, seul habité à mettre en branle «  la machine paresseuse », pour parler comme Umberto Eco, qu'est le texte.

Cette nouvelle vision du lecteur consistera, véritablement, à restreindre l'écart esthétique entre l'horizon d'attente et l'oeuvre proposée.

Par ailleurs, au-delà de ce début in media res, force est de souligner que le récit néo-romanesque ou plutôt le récit sarrautien présente, de part en part, «des anachronies narratives : Différentes formes de discordance entre l'ordre de l'histoire et celui du récit»43(*) . Celles-ci consistent dans deux types : les anachronies par anticipation et les anachronies par rétrospection. Ainsi, il nous a paru nécessaire de les déceler dans l'épaisseur des Tropismes et du Planétarium.

Commençons par l'anachronie par anticipation encore appelée prolepse ou cataphore qui consiste selon Yves Reuter «à raconter ou à évoquer un événement avant le moment où il se situe « normalement » dans la fiction»44(*) .

Dans cette optique, les rêves promontoires ou les prophéties constituent les indices majeurs qui sous-tendent la prolepse. Ainsi, dans Tropismes, le huitième texte trouve ici toute sa validité. Le professeur du collège de France explique à son enfant sur le devenir de son grand-père :

«Que diras-tu quand tu n'auras plus de grand-père, il ne sera plus là ton grand-père, car il est vieux, il sera bientôt temps pour lui de mourir»(T.52).

Dans ce fragment de texte, l'usage du futur simple de l'indicatif cautionne l'anachronie par anticipation tirant, de ce fait, sa pertinence dans LePlanétarium. Ce texte offre aussi un ou des exemples de procédés par anticipation. Ceux-ci relèvent généralement de la prophétie, du voeu etc,.

L'exemple le plus patent semble être les desiderata d'un père à l'égard de son fils putatif, Alain. Pierre, entendant mesurer les capacités intellectuelles d'Alain avec celles d'une sommité de la critique littéraire, soutient :

«Mais j'en suis fier. Alors il parait que ce sera notre grand critique ? Un future Sainte- Beuve...» (p.126)

En fait, cette comparaison caresse une pointe ironique dans la mesure où Nathalie Sarraute est viscéralement hostile à l'égard des critiques. La vision de Anne Jefferson est, de ce point de vue, très significative :

« Nathalie Sarraute s'est toujours méfiée des critiques d'une part parce que, selon elle, le discours critique est toujours voué à l'échec, et d'autre part, parce que la personne critique s'interpose fatalement entre le lecteur et l'écri-vain. »45(*)

Par ailleurs, mis à part les voeux d'un père hautain, il est cependant tentant de noter que les rêves insomniaques de tante berthe qui voit en rêve les mises en garde d' Alain et sa bande au sujet de l'appartement :

« Hé on dit çà, mais un jour vous y reviendrez, vous n'aurez pas le courage de garder tout çà pour vous ... çà demande trop d'entretien, il vous vaudrait quelque chose de plus petit...Vous le céderez à votre neveu... ils ont besoin d'espace, eux, les jeunes gens, et vous serez si contente de faire quelque chose pour eux, de regarder pousser autour de vous des petits enfants ». (P.183).

Au plus prés de cette séquence narrative, il ressort que la marque des guillemets («... ») Soulignant le caractère prémonitoire des propos de Tante Berthe perturbe l'ordre du quinzième texte. De plus, le relais des pronoms personnels (le, ils) cautionne le désordre au sein même du récit.

Toujours, dans cette perspective aux relents anarchiques du récit, convenons qu'à ces segments proleptiques succèdent tout au long du récit sarrautien des prolepses répétitives qui, de l'aveu de Gérard Genette, « réfèrent d'avance à un événement qui sera en son temps raconté tout au long »46(*).

Cette entité de la prolepse a valeur de loi dans Tropismes et LePlanétarium.

Dans Tropismes, l'histoire des « ils » évoquée dés l'incipit est, de place en place, annoncéeau fur et àmesureque le récit se déploie .Nous en voulonspour exemple ces trois extraits de texte titrés respectivement des tropismes : deux, trois, seize ...

« Ils s'arrachaient à leurs armoires à glace (...) » (T .15).

« Ils étaient venus se' loger dans des petites rues tranquilles (...) » (T. 21).

« (...) ils étaient vieux, ils étaient très usés (...) » (T.99).

Dans Le Planétarium, dès l'ouverture du récit, aussi bien l'histoire ou l'événement de la « poignée de porte » que celui de « l'appartement » on remarque une reprisede l'un ou de l'autre dans l'architecture du texte.

Eneffet, le récit de « la porte », évoqué dès le premier chapitre non numéroté, est souligné au dernier chapitre en ces propos :

« Mais non ne regarde pas cette porte...-Ah, c'est celle- là, la fameuse, dont vous m'aviez parlé, vous étiez si drôle ...c'est celle qui a tant fait souffrir votre tante ? »(p.242).

Dans ce même registre, « ces histoires de décorations, d'appartement... » (P.25) évoquées de façon implicite dans les premiers chapitres feront l'objet d'un commentaire dans les pages qui suivent. Symptomatique est, à cet égard, le chapitre neuf dans lequel Pierre s'évertue à faire le procès d'Alain:

« C'est vrai. Vous avez l'appartement ...Non, ma petite Gisèle, ni vousni moi n'y changerons rien .Les gens sont comme ils sont... » (P.117).

Tout compte fait, il est urgent de souligner que cette anachronie narrative vise, dans une certaine mesure, à brouiller d'avance ce qui va produire au niveau du cheminement du récit.

Cependant, il ne faut pas perdre de vue que la prolepse et l'analepse sont deux entités inséparables. Elles sont à l'image du recto verso. Donc on ne saurait parler de l'un sans énoncer l'autre, d'où l'impératif de disserter sur la seconde anachronie narrative qui est considérée, par Yves Reuter, comme une «  anaphore par rétrospection [qui] consiste à raconter ou évoquer un événement après le moment où il se situe « normalement » dans la fiction »47(*) .Quant à Gérard Genette, il parle d' « une évocation après coup d'un événement antérieur au point de l'histoire où l'on se trouve »48(*).

Autrement dit, l'ordre de progression des événements du récit s'insère, de toute évidence ,dans la dimension rétrospective .Celle-ci éclaire, pour parler comme Yves Reuter, une valeur explicative en ce sens qu'elle met à nu le passé des personnages du récit.

En effet, Tropismes et Le Planétarium sont constitutifs de cette anachronie qui a acquis ses lettres de noblesse depuis L'Iliade d'Homère. Cette épopée homérienne autorise Paul Ricoeur à soutenir :

« En ce qui concerne l'ordre, ces discordances peuvent être placées sous le titre général de l'anachronie. Le récit épique, depuis l'Iliade, est réputé à cet égard pour sa manière de commencer in media res puis de procéder à un retour en arrière, à des fins explicatives »49(*).

De cette manière, le mode de  fonctionnement des événements dans l'Iliade peut trouver sa justification dans Tropismes et Le Planétarium.

Dans Tropismes, par exemple, l'usage des éléments analeptiques se justifie par l'emploi itératif de l'adverbe de temps : « maintenant ». En d'autres termes, la narratrice évoque ou rappelle un récit écoulé avant de narrer le vécu quotidien des personnages. Qu'on relise, pour s'en convaincre, ces fragments de  récits :

«  Maintenant que la jeunesse était passée, maintenant que les passions étaient finies, ils allaient se promener tranquillement (...) »(T.99).

«  Rien d'autre, rien de plus, ici ou là, ils le savaient maintenant » (T.100).

En fait, la narratrice fait un retour en arrière tacite de la jeunesse vécue naguère par les vieux personnages du récit. Ce flash-back des événements semble dresser les différentes étapes passées et vécues par ces « entrailles de papiers ».Convoquons ces exemples :

« Quand il était petit, la nuit il se dresser sus son lit (...) » (T.116). « Maintenant quand il était grand, il les faisait encore venir pour regarder partout (...) » (T. ibid.)

Dans Le Planétarium par ailleurs, il semble que les indices analeptiques tirent ici toute leur pertinence. Avec le personnage de Tante Berthe, les autres personnages à l'image d'Alain s'attèle, pour une raison ou une autre, à raconter ses histoires vécues dans le passé lointain ou immédiat. Rappelons la phrase-seuil du chapitre deux :

« Oh, il faut qu'il vous raconte çà c'est trop drôle...Elles sont impayables, les histoires de sa tante... la dernière vaut son poids d'or... » (P.20).

Dans cette veine, l'évocation de quelques années en arrière corrobore la portée de l'analepse au onzième chapitre. La narratrice dit à ce propos : « vingt-cinq années d'efforts, de luttes n' y ont rien fait, il n'y a rien à faire, les gens ne changent pas : c'est la même rage impuissante qui le secouait autrefois quand, comme une bête avide, malfaisante, elles s'introduisait dans son nid( ...) »(P.137) .

En fait, l'emploi de l'adverbe « autrefois » valide l'existence de l'analepse à valeur explicative. Cette anachronie narrative est sous-entendue par l'usage du verbe « secouer» conjugué à l'imparfait de l'indicatif.

Mis à part le personnage de tante Berthe, Alain Guimier voire pierre feront l'objet d'études analeptiques. S'agissant d'Alain, « ses insomnies ? ses compositions ? sa paresse ? ses mensonges ? ses végétations ? Et sesongles ? » (P.137) occupent entièrement les pensées de Pierre. Ainsi, en revisitant le passé d'Alain au moyen d'interrogations sempiternelles, il cautionne, à des degrés divers, la notion de rétrospection du récit.

En réalité, le récit, dans cette séquence : « Est-ce que tu songes pas à lui faire mettre des gants ? Qu'a dit le médecin ? Comment supporte-t-il l'appareil sur ses dents ?...Et sa petite amie ...ah, mon pauvre vieux...Et ce mariage en es tu content ? » (Ibid.), s'interrompt pour faire place à l'évocation du passé sans faste du personnage d'Alain. De ce point de vue, l'ordre du récit semble se lire comme suit : on a, de prime abord, le récit premier celui qui réfère au temps de l'énonciation du récit, ensuite la référence au passé et le retour au récit premier.

En outre, il importe de noter que « ces anachronies de détail »50(*), pour parler comme Genette, c'est-à-dire l'analepse et la prolepse fonctionnent d'une autre manière dans la chronologie du récit. Elles apparaissent sous la forme répétitive ou complétive.

Comment se définit la prolepse répétitive ? Par prolepse répétitive nous entendons un procédé qui fait figure d'annonce et qui est explicité, introduit par l'emploi du futur simple de l'indicatif. Nathalie Sarraute, dans sa théorie littéraire du Nouveau Roman, expérimente ce procédé, de main de maître, dans sa fresque romanesque. Ainsi, dans Tropismes, la cuisinière au cours d'un repas de famille, met à découvert la cupidité et l'avarice des vieux personnages. La narratrice souligne : 

« Ah non, disait la cuisinière, non, ils ne l'emporteront pas avec eux » ( T.16 ).

Dans cette lancée, la prolepse répétitive semble moins fréquente dans Tropismes que dans Le Planétarium. Ce constat s'explique par le fait que LePlanétarium n'est que l'aboutissement des procédés esquissés dans Tropismes.

Par voie de conséquence, Le Planétarium cultive à foison des exemples constitutifs de la prolepse répétitive :

« (...) Tu verras, je serai quelqu'un (...) » ( P.66 ).

« Nous parlerons de notre avenir, de mon avancement » ( P.70).

« Vous verrez, quand vous aurez des enfants (...) » ( P.118).

Du reste, au-delà de ces prolepses répétitives qui brouillent les normes du récit, force est de mettre, justement, en exergue les analepses répétitives se spécifiant par leur fonction de rappels. Ces rappels multiplient les interprétations et révélations à propos d'un même événement.

Dans Tropismes, la présence de « ils », au cours d'un déjeuner en famille, a donné lieu à de multiples interprétations débouchant sur des critiques acerbes :

« Maisqu'ont-ils pour avoir l'air toujours vannés ? disait-elle quand elle parlait à la cuisinière » (T.16).

Sur ce même registre, la cuisinière ajoute :

« Mademoiselle a de beaux cheveux » « T. ibid ».

En fait, l'omniprésence des incises (« disait-elle » ou disait la cuisinière ») valide, de par leur caractère théâtral, la portée de l'analepse répétitive dans Tropismes. En plus, il faut noter que l'emploi de l'imparfait déréalise les motifs, qui sont perçus comme illusoires par la narratrice.

Ce procédé narratif peut, dans une certaine mesure, trouver sa validité dans LePlanétarium. Ainsi les comportements d'Alain en sont des exemples parmi tant d'autres. En fait, sa psychologie d'antan constitue une matière à discussion pour Pierre et Tante Berthe. Berthe dira alors :

« Tusais qu'il a encore peur de toi.... C'est comme dans le temps, tu te rappelles... » ( P.144)

C'est dire que ces retours en arrières répétitifs ne sont pas sans perdre et le lecteur et le personnage comme Pierre qui « n'en sais rien.... » ( ibid ) de ce que l'affirme Berthe à propos d'Alain Guimier.

Tout bien considéré, parallèlement à la grande loi de cohérence traditionnelle du récit, l'écriture sarrautienne impose un ordre à travers des schèmes auxquels il nous est difficile a priori d'échapper. Ce sont véritablement les anachronies narratives qui instituent des perturbations maximales dans l'ordre temporel du récit. C'est dire que les analepses et les prolepses peuvent, dans l'armature même du récit, non seulement se lier mais aussi et surtout s'imbriquer en souvenirs d'anticipation et en rappels anticipés voire en inversions anarchiques dans la temporalité du récit.

A l'évocation des analepses et prolepses succède une nouvelle figure narrative appelée syllepse. Celle-ci consiste à prendre ensemble plusieurs temps sans souci d'ordre, de l'aveu de Gérard Genette. Il s'agit plus précisément du temps passé, du temps présent et du temps futur. Tropismes et Le Planétarium confortent cette idée.

Ainsi, on peut même dire de Tropismes et du Planétarium ce qu'affirme Alain Robbe-Grillet de la Jalousie51(*) c'est-à-dire :

« Il était absurde de croire que dans leromanla jalousie [...] existait un ordre des événements clair et équivoque [...]. Le récit était au contraire fait de telle sorte que tout essai de reconstitution d'une chronologie extérieure aboutissait tôt ou tard à une série de contradictions, donc à une impasse. Et cela non pas dans le but stupide de dérouter l'Académie, mais parce que précisément il n' existait pas [...] aucun ordre possible en dehors de celui du livre [...] de déroulement même d'une histoire qui n'avait d'autre réalité que celle du récit, déroulement qui ne s'opérait nulle part ailleurs que dans la tête du narrateur invisible, c'est-à-dire de l'écrivain et du lecteur. »52(*)

Partant de cette remarque de Robbe-Grillet, l'on en déduit que dans Tropismes et Le Planétarium, tous les récits élisent domicile dans la conscience ou la mémoire détraquée de la narratrice, déesse cachée. Donc, il est illusoire de concevoir le récit sarrautien suivant un ordre cartésien dans la mesure où la structure même des «tropismes» n'est pas en elle-même une « vertige fixe » mais évanescent. Ce qui fait dire à Jean Paul Sartre, dans une préface consacrée au Portrait d'un Inconnu de Nathalie Sarraute que « son style [est] trébuchant, tâtonnant, si honnête de repentir » 53(*)

Cependant, nous tenterons de voir en seconde analyse : Comment se structure lerécit dans Tropismes et Le Planétarium.

Longtemps, la structure du texte avait eu valeur de loi dans le paysage littéraire. Elle était réductible à la chronologie et à la logique des événements du récit. Pour définir ce concept, Jean Rousset dira dans Forme et signification :

« J'appellerai « structures » ces constantes formelles, ces liaisons qui trahissent un univers mental et que chaque artiste réinvente selon ses besoins »54(*)

En fait, cette définition s'insère dans une manie traditionnelle consistant à déterminer la forme du récit comme une correspondance des parties à tout.

Cependant, avec l'avènement du Nouveau Roman « n'est-il sage de penser à notre mémoire qui n'est jamais chronologique ? »55(*). Aussi, laquelle mémoire n'est-elle pas susceptible de faire des aller et retours incessants ou plutôt des projections et des réminiscences épousant les contours du cercle ? Bien évidemment. Puisque la mémoire n'est jamais linéaire mais fluctuante, évanescente à l'image des «tropismes» qui dessinent un univers circulaire.

Ainsi, Tropismes et Le Planétarium de Nathalie Sarraute offrent l'exemple d'une structure circulaire significative. Comment se manifeste la structure giratoire du récit ? Pierre Astier répond, à ce propos :

« La structure circulaire du roman se reconnaît le plus manifestement au fait que le récit tend à se refermer sur lui-même, son point d'arrivée nous ramène à son point de départ ».56(*)

C'est affirmer que dans le récit sarrautien, lecercleoccupe une place de choix. A la structure linéaire du récit traditionnel succède une structure circulaire visible au niveau du prologue et de l'épilogue.

Ainsi, Tropismes, le récit semble se construire en boucle puisque Sarraute noue la fin du récit à son commencement au moyen du pronom personnel « ils » après moult changements de perspective. La narratrice dit :

« Ils semblaient sourdre de partout (....) » (T.11).

« (...) Ils le fixaient de leur regard vide et obstiné (...) » ( T.140 ).

Cette structure circulaire du récit est valable dans Le Planétarium. Dans ce roman, l'histoire de Tante Berthe semble tourner en rond. L'on est même tenté de dire que « le récit lui-même est rempli d'allusions à l'idée d'un cercle, d'une répétition cyclique (....) »57(*). Car l'histoire de « cette petite porte dans l'épaisseur du mur au fond du cloître... » (P.9) est convoquée à la Clausule du récit sous cette forme : « .... Des histoires sur les poignées de porte... » ( P. 247).

Cette structure du récit conforte l'idée selon laquelle la forme qui structure ces romans, sur tous les plans, est le cercle. Il se referme presque à tous les niveaux de la construction du récit romanesque d'obédience moderne. Cette analyse du récit circulaire n'a pas échappé à Binta Diédhiou qui soutient : « (...) la chronologie générale décrit une circularité parce qu'à la première page répond la dernière»58(*).

En effet, la forme du cercle ne suggère -t-elle pas que la société bourgeoise, mise en scène dans Tropismes et Le Planétarium, constitue un engrenage infernal dont on ne pourrait jamais sortir ? Bien entendu. En ce sens que nous demeurons enfermer «dans ce labyrinthe sombre et clos, tournant en rond... » ( P.30 ).

De ce fait, les rapports conflictuels entre l'individu et la société dont il subit la loi demeurent légitimes. Puisque les récits sarrautiens nous montrent que la société bourgeoise est le lieu d'intégration ou d'exclusion qui décide sur le devenir des personnages en quête de tribu, de cercle tel celui désigné par des pronoms personnels anonymes « ils », « elles » dans Tropismes et LePlanétarium.Rappelons, en effet, que l'insertion d'éléments ou d'expressions circulaires est constitutive de la vision romanesque des néo-romanciers qui ont opéré une révision déchirante dans la sacro-sainte économie du récit.

Dans cet esprit, la figuration du cercle dans le récit romanesque semble être un moyen adéquat qui exprime le mieux la vie chancelante de la seconde moitié du vingtième siècle marqué par une cruauté sans précédent.

Dans Tropismes tout comme dans Le Planétarium, bien des personnages font masse, ou plus exactement font cercle autour d'un autre personnage tantôt pour l'entourer, tantôt pour l'insérer dans une ronde originelle où se lit en filigrane une structuration aux relents circulaires.

L'incipit des Tropismes peut, dès lors, paraître emblématique de cette structuration circulaire du récit sarrautien :

« Ils s'étiraient en longues grappes sombres entre les façades mortes des maisons.De loin en loin, devant les devantures, ils formaient des noyaux plus compacts (...) » (T.11 ).

De fait, dans cette séquence d'ouverture, l'emploi de la troisième personne du pluriel « ils » vise à éclipser toute tentative d'individualisation qui est la négation de la tribu sous-tendue par l'expression « ils formaient des noyaux plus compacts ». Dans cette veine, l'usage du « on » neutre du quotidien dans par exemple « on le leur avait toujours dit » (T.64-65) semble, dans une certaine mesure, rejoindre ce que Nathalie Sarraute nomme « le fond commun » constituant une « arche » ( P.162 ), un lieu de protection contre les agressions extérieures, la peur ,etc.

Cetteconception du récit sarrautien n'a pas laissé indifférent Arnaud Rykner qui soutient : « le " on" neutre du quotidien, les " gens" retrouvent comme des postures primitives par lesquels le groupe assure sa cohérence, en focalisant ses peurs et ses haines sur tel ou tel de ses membres qu'il a rejeté " victime émissaire" unanimement désignée pour cette fonction épuratoire. »59(*)

Ainsi, le récit au lieu de se dérouler s'enroule autour des mêmes thèmes tels : le clanisme et l'ostracisme.

En fait, l'ostracisme que subit ce personnage anonyme vis-à-vis du groupe laisse pressentir un duel entre le singulier et le pluriel, le particulier et l'universel où le second élément tend à faire éclipser le premier par une identification réductrice.Dans cet esprit, deux factions concentriques se font nettement jour et l'on peut présenter de façon schématique comme suit :

Ils (Auteurs)

(1) Vs je (narrateur)

Vous (lecteur)

(2)

Pluriel Vs Singulier

(Actants) (Acteur)

Ils Il

(4)

Individu Vs Communauté

(le monde imaginaire) (le monde réel)

(3)

Tropismes (Fiction)

Vs

Mots (récit)

Ce croquis met en place les lignes de force du conflit inhérent à l'histoire du récit sarrautien.

Dans le premier point (1), le récit met en scène une lutte concentrique entre les auteurs désignés par « ils » et le lecteur baptisé « vous ». En outre, le narrateur désigné par « je » fait figure de médiateur entre les deux protagonistes. Le douzième récit est illustratif à cet égard :

« Ils ne doivent pas vous démontrer. Tenez ils sont entre mes mains comme des petits enfants tremblants et nus, et je les tiens dans le creuse de ma main devant vous comme si j'étais leur créateur (...) » (T. 76).

Ensuite le second point (2)présente uncontentieuxopposant le pluriel représenté par les actants (Ils, Elles) au singulier symbolisé par l'acteur (il) ou l'actrice (Elle). En effet, l'acteur « Il », dans un duel sans merci, se hasarde à martyriser les « Ils » : Il « les tordait, les déchirait, les détruisait complètement » (T.18). Mais cette prétendue fanfare prométhéenne du « il » est « probablement une fausse impression » « ibid, » car, le pluriel prend, dans ce récit, le dessus sur le singulier.

Dans cette logique conflictuelle, le troisième (3) élément et en parallèle les «tropismes» mis en valeur par la fiction et les mots pris en charge par le récit. Univers mis en scène par le texte la fiction se singularise au moyen du procédé de l'effacement (quelque chose). Ce procédé rive à l'innommable, puisque les mots, sèves nourricières du récit, sont incapables d'exprimer la réalité quotidienne, d'où la prolifération de la locution indéfinie « quelque chose ».

Enfin,quant au quatrième point (4), il met en exergue une lutte sournoise entre le professeur (individu) et la communauté (sa femme et ses filles). Qu'on relise encore le douzième récit :

« Vous ne pouvez pas plus vous émouvoir que mes filles quand elles reçoivent leurs amies dans le salon de leur mère et bavardent gentiment et rient sans se soucier de ce que je dis à mes malades dans la pièce voisine ».

En d'autres termes, ses filles, représentant du monde réel, font comme si leur père vit dans une autre planète, celle de l'imaginaire.

Dans cette logique, il est au demeurant piquant de remarquer que cette ouverture qu'offre la forme du cercle dans Tropismes peut avoir droit de cité dans Le Planétarium.

Ainsi, autant dans Tropismes on semble lire une organisation bipartite et circulaire, autant dans Le Planétarium on décrypte une confrontation entre espaces concentriques aux allures circulaires. Rappelons que dans ce conflit, le plus fort comprime, accule le plus faible dans « dédale » ( P.129 ) sans issue. Qu'on relise cette séquence narrative qui voit Alain souffrir le martyr devant le « ils » pluriel à qui il raconte les manies de sa Tante Berthe :

« Ilssont sur lui. Ils l'encerclent. Aucune issue. Il est pris, enfermé ». ( P.72)

D'ailleurs, en conformité avec le schémacirculaire des Tropismes, on peut apporter un surcroît d'éclaircissements sur la façon dont fonctionnent des différentes luttes dans Le Planétarium.

De prime abord, notons au passage que contrairement aux personnages des Tropismes, dans LePlanétarium ces « faux astres » sont clairement nommés. Ce qui, à bien des égards, sous-tend la lisibilité du texte.

En fait, depuis le roman épique, la conception du personnage a évolué d'une figure emblématique, supposée représenter le corps social, jusqu'à une individualité plus marquée, dotée au XIXe siècle, par le roman réaliste, de tousles attributsd'une personne réelle.

Mais avec Nathalie Sarraute, l'intérêt que présente le personnage du récit change foncièrement de perspective. Ainsi dans Le Planétarium, la métaphore du « centre de gravité » avec ses connotations de poids et d'équilibre, suggère d'ailleurs l'importance des personnages dans l'économie du récit.

Dans cette veine, on observe donc des différences au niveau du centre de gravité entre les personnages dont l'action est tournée vers l'extérieur- collectivité à défendre, univers à conquérir ou moyens de substance s'approprier- et ceux dont le souci premier est la réalisation de leur désir ou de leurs idéaux, l'épanouissement de soi et la préservation de leur équilibre psychique. De ce point de vue, la perspective du récit devient un lieu d'équilibre et de déséquilibre c'est-à-dire, le récit rive à l'instabilité car, des duels incessants se font jours presque dans tout le récit.

Ainsi, la structuration de ce récit nécessite une analyse judicieuse de sa validité.

A première vue, nous remarquons dans le premier point (1) une dichotomie « ils/Vous-je » qui représente respectivement les auteurs et le critique. Qu'on se rappelle que le critique a mis en garde les auteurs dans le seizième récit non numéroté :

« (...) Je vous préviens, vous n'avez pas le droit. Il y a des lois, heureusement... » ( P.187).

Le secondélément (2) exhibe un bras de fer opposant le pluriel ou plutôt le couple formé par Alain-Gisèle au singulier représenté par le personnage de Tante Berthe. En fait, Alain et Gisèle entendent défenestrer Tante Berthe de son appartement jugé trop grand. Ainsi, ils avaient « l'airde deux malfaiteurs en train d'inspecter les lieux » ( P.109).

De plus, le troisième point (3) laisse entrevoir une lutte sans merci entre les « tropismes » ou sensations, émotions et les mots qui les immobilisent en l'arrachant à la durée.

Ainsi, l'on est tenté d'affirmer que le mot mate la sensation en se posant sur elle comme un enduit. Ce fait dire à Bergson :

«  Le mot aux contours bien arrêtés, le mot brutal, qui emmagasine ce qu'il y a de stable, de commun et par conséquent d'impersonnel dans les impressions délicates et fugitives de notre conscience individuelle. Pour lutter à armes égales, celle-ci devrait s'exprimer par des mots précis. »60(*)

C'est dire que la fixité des «tropismes», des sensations n'est rien d'autre qu'un trompe-l'oeil. Car, les «tropismes», théâtralisés dans ce récit, échappent à la saisie du langage révolu, des expressions toutes faites comme « maniaque » (P.27).

Le quatrième point (4) est caractéristique de la lutte engagée par l'individu symbolisé par Alain Guimier et la communauté désignée au moyen de l'arche de Germaine. En effet, dans ce cercle littéraire Germaine, la femme-écrivain et sa kyrielle de jeunes écrivains ou apprentis écrivains, se singularisent par les mêmes goûts : une culture du snobisme. Ainsi, Alain se voit-il temporairement exclu du cercle de Germaine Lemaire du fait des écarts de conduite (« cesera notre grand critique ? Un futur Sainte-beuve ?... » ( P.126 ) de Pierre, son père :

« Elle ne peut pas permettre ces ricanements. Bas les pattes. Elle doit défendre sa carte, son rang mais lui, elle l'abandonne. Petit chiot sans race. » « P.127 ».

Dans cette logique, il est, au demeurant, important de constater que cette ouverture qu'offre le symbolisme du cercle dans Le Planétarium n'est qu'une des facettes parmi tant d'autres possibilités qu'exposent à la vue la structuration du récit. Dans Le Planétarium, le récit apparaît sous un jour astral.

En effet, ce roman nous transporte, dans l'imaginaire du macrocosme où l'on semble percevoir un soleil autour duquel gravitent d'autres planètes. Le choix du tableau de la page de couverture reste suggestif de la configuration des astres, partant du récit.

Ce tableau, de toute évidence, met en exergue un noyau dur qui peut, sans nul doute, symboliser le personnage de Germaine Lemaire, l'écrivain à qui bien des personnages du récit entendent attribuer le rôle de mentor inspirant la révérence, qui constituant la référence.

Ainsi, Alain, dès sa première visite à Germaine Lemaire, voit-il « l'univers apaisé, soumis, séduit, s'étire voluptueusement et se couche sur ses pieds ». ( P.74 ).

Par ailleurs, on observe que Germaine Lemaire ou Madame Tussaud est « sa dernière idée fixe... L'opinion des gens ...Se jetant à tout moment dans ses jambes pour chercher protection. » ( P.177). En effet, elle est la métaphorisation du soleil, centre du système cosmique. Autant le soleil est considéré comme l'icône des éléments célestes, autant Lemaire (édile d'une ville) est prise pour la première personne morale du cercle littéraire, de l' « arche ».

En réalité, à lire de plus près Le Planétarium, l'on déduit que le récit fonctionne comme une galaxie où chaque personnage fait figure d'astre indépendant mais qui subit la loi d'autres astres qui gravitent et laissant parfois choir d'implacables météorites qui viennent s'écraser contre lui avec fracas. Ce qui occasionne peut-être des vestiges chez certains personnages comme Alain. La narratrice souligne, à ce propos :

« (...) Le ciel tourne au-dessus de lui, les astres bougent, il voit se déplacer les planètes, un vestige, une angoisse, un sentiment de panique le prend, tout bascule d'un coup, se renverse .... » ( P.249 ).

Ce renversement des planètes semblable à la roue, influe sur la configuration même du récit. Sous-tendu par les lois de l'univers cosmique, iln'est pasétonnantque le récit soit circulaire.

En outre, notons que les normes de l'univers cosmique sont la symétrie des règles qui régit par la communauté du récit sarrautien. En effet, autant aucun déraillement n'est toléré dans l'univers spatial, autant aucune dérive n'est admise au sein du cercle communautaire. Cette analogie n'a pas échappé à Arnaud Rykner qui énonce :

« Quitter son orbite comme sortir du cercle communautaire, c'est chanceler la création tout entière et risquer d'y provoquer d'irrémédiables cataclysmes ».61(*)

C'est dire que, les personnages du Planétarium « sont là tous en cercle » (P.21) pour faire l'économie d'éventuels comportements susceptibles de nuire, de saper l'esprit de groupe.

Ainsi, en est-il pour Gisèle qui épouse aveuglement et avec zèle les goûts esthétiques d'Alain Guimier comme par exemple les fauteuils de cuir de Louis XV pour contrecarrer une certaine rupture qui ne manquera pas d'ailleurs de se reproduire ultérieurement lorsque Gisèle lui parle de sa carrière. Qu'on relise ce fragment du récit :

«  ... j'en ai assez ... il martèle les mots : Assez tu m'entends ... J'en ai par-dessus la tête, detout ça ... Tiens, je m'en vais .... Je sors... je ne sais pas quand je rentrerai bonsoir, ne m'attends pas »  (P.71)

Endernière analyse, le récit des Tropismes et du Planétarium mettent à nu une autre structuration représentative du symbolisme du cercle : la narratrice s'emploie à nier, à la fin du récit, la véracité des phrases soulignées dès le préambule des textes.

Ainsi dans Tropismes, elle nous montre dès l'aborddu texte : «  ils semblaient sourdre de partout, éclos dans la tiédeur un peu morte de l'air (...) »T.11). A la clausule du récit, elle se ravise en soutenant mordicus : «  Ils se montraient rarement, ils se tenaient tapis dans leurs appartements, au fond de leurs pièces sombres et ils guettaient » (T.139).

Dans Le Planétarium, la narratrice affirme, dès l'incipit, qu' « on aurait beau cherche, on ne pourrait rien trouver à dire, c'est parfait ... » ( P.7). Et à la fin du récit, Germaine Lemaire en tenant des propos qui frisent le regret : « oh, ça, vraiment ... Tout en lui, tout autour de lui se défait... Vous êtes sévère je crois que nous sommes bien tous un peu comme ça » (P.251.)

Tout bien considéré, le symbolisme du cercle sous-tendu par la dialectique de l'universel et du particulier dans Tropismes et Le Planétarium montre que, dans la vision sarrautienne du récit, le privilège doit être accordé aux figures géométriques et sémantiques sans lesquelles on risque de basculer vers la sacro-sainte linéarité du récit. Car « le tente de Sarraute constitue [...] une création artistique au lieu d'une « limitation de la réalité ; une élaboration poétique au lieu d'un texte fonctionnel ; une force d'écriture, au lieu d'une forme structurelle »62(*)

Du reste, avec Nathalie Sarraute la fore d'écriture poursuit son entreprise s'inscrivant dans une représentation du récit qui expérimente d'autres chants différents de l'ordre et de la structure. C'est la raison pour laquelle Tropismes et Le Planétarium n'entendent pas s'arrêter là. Le récit dans son processus ouvre une brèche sur une logique de la composition et il nous a paru important de voir comment ces deux textes mettent en lumière cette notion de récit.

CHAPITRE II : LOGIQUE DE LA COMPOSITION

Si, traditionnellement, lerécit classique se construisait suivant une logique compositionnelle que ne souffre d'aucune cohésion ni cohérence, le récit moderne, ou plus exactement le récit sarrautien s'élabore selon un dessein qui lui est propre.

En effet, la conception de Sarraute à propos de la logiquedu texte répond à une urgence consistant à opérer révision déchirante du code romanesque traditionnelle.

Cette révision porte essentiellement sur le romanesque en question, devenu problématique pour des motifs moraux, scientifiques et esthétiques. Autrement dit, il ne saurait être question d'imitation servile et plate du réel, mais une création originale qui s'appuie sur un double travail de recherche et d'imagination. Ainsi, Frank Wagner fait remarquer :

« Le moment où les artistes " ont cessé de prétendre représenter le monde visible mais seulement les impressions qu'ils recevaient dans l'histoire de l'art" »63(*)

En fait, cette rupture s'inscrit dans un certain mode de représentation du monde, historiquement déterminé, qui se voulait « imposer l'image d'un univers stable, cohérent, continu, univoque, entièrement déchiffrable ».64(*)

Dans cette optique, Nathalie Sarraute, tout comme d'autres écrivains du Nouveau Roman, va instituer au niveau du récit une modification de l'attitude romanesque où la logique de la composition cède le pas à la composition de la logique. En d'autres termes, un renversement s'opère dans l'armature même du texte qui sollicite une lecture tabulaire du récit en lieu et place d'une lecture linéaire.

Conséquences d'une nouvelle vision du monde, chaotique, fragmentaire, éclatée, contradictoire, les deux textes foncièrement identiques c'est-à-dire Tropismes et Le Planétarium intègrent ces données qui perturbent, déchronologise, bien évidemment, le récit...

Dès lors, il importe de se demander comment les textes sont-ils construits à l'heure des mutations historiques. Cependant, il faut convenir, dans cette perspective, que l'architecture des deux récits varie, dans une moindre mesure, d'un texte à un autre. Ainsi il importe de montrer dans ce sous chapitre la construction spécifique de chaque récit.

Sur ce même registre, nous entamerons ce qui motive notre champ d'investigation c'est-à-dire la déstructuration du récit.

Cette déconstruction du récit visera, en fait, à faire un bilan de tous les procédés constitutifs du brouillage : le refus du diktat causaliste, l'absence de connecteurs logiques et d'embrayeurs.

II-1 : ARCHITECTURE DU TEXTE

Certes, à l'heure de l'idéal bourgeois, le récit s'arrogeait la primeur de bâtir son univers sous le socle de la linéarité. Aussi, présentait-il des textes consistant en des chapitres manifestement titrés.

Qu'on relise, à ce propos le Père Goriot. Ce texte consiste, en fait, dans quatre macro-chapitres. Ces chapitres sont très nettement numérotés. Ces données, fondements de tout récit traditionnel, légitiment, d'une façon ou de l'autre, l'architecture cohérente et logique de ce texte balzacien.

Mais, au lendemain de la guerre, le processus des événements indicibles suscite les circonstances de remise en cause du tissu littéraire. Ainsi, il est singulier que Tropismes et Le Planétarium aient ouvert la voie à l'émergence de nouvelles formes de sensibilité.

Ces nouvelles façons d'écrire reposent, en vérité, sur de multiples techniques qui brisent le moule de la narratologie académique en général du récit en particulier.

Dans ce climat littéraire déconstruit, c'est le récit et ses dérivés qui subissent le joug de l'innovation. Ainsi, dans Tropismes, l'architecture se lit dans le contenant et le contenu des récits.

En fait, Tropismes est constitué de vingt-quatre micro-récits numérotés et non titrés. De ce point de vue, on semble décrypter un premier indice symptomatique de la vision romanesque sarrautienne. Cette conception du récit vise véritablement, à solliciter la compétence du lecteur dont la fonction est de « boucher les trous » du récit.

De même, on remarque entre les vingt-quatre récits qui composent Tropismes, des blancs typographiques s'instituant d'un texte à un autre. Toutes ces caractéristiques expriment l'idée que ces courts récits échappent au carcan traditionnel. Dans cette perspective, René Micha fait remarquer en faisant référence à l'édition de 1939 :

« (...) il y a aura bientôt trente ans, avec un petit livre de soixante pages, Tropismes, qui échappe aux classifications courantes : qui est fait de poèmes en prose, ou de projets de romanesque, ou d'approximations visant à la fois l'existence et le langage aptes à saisir ou à ressaisir la réalité humaine dans ce qu'elle a d'insaisissable»65(*).

C'est dire que cet exemple est révélateur de l'armature compositionnelle des récits tropismiques. Eu égard à l'architecture des Tropismes, l'on est tenté de dire qu'il fonctionne suivant une perspective ouverte.

En d'autres termes, les récits des «Tropismes» développent, à des degrés divers, une dose d'intertextualité qui, de l'aveu d'Yves Reuter, s'actualise suivant trois grandes formes : la citation, le plagiat ou l'allusion. Ainsi il affirme sur ce même ton :

« Cette relation est omniprésente, quelles que soient ses formes et ses enjeux : révérence à de grands prédécesseurs, ironie ... »66(*)

Cette citation trouve, de toute évidence, sa plus grande légitime dans cette séquence narrative du vingt troisième «tropisme» :

« (...) Les clichés, les copies, Balzac, Flaubert, Madame Bovary, oh ! ils savaient très bien, ils connaissaient tout cela, mais ils n'avaient pas peur (...) » (T.134).

Dans la même lancée la narratrice souligne en parlant d' « Elle ».

« (...) des clichés (...) qu'elle avait vus déjà tant de fois décrits partout, dans Balzac, Maupassant, dans Madame Bovary, des clichés, des copies, la copie d'une copie » ( T.133).

En fait, la présence du texte de Gustave Flaubert à savoir Madame Bovary  dans Tropismes valide, en quelque sorte, la notion d'intertextualité qui obscurcit la lecture du récit.

Dans ce même registre subversif du récit traditionnel, force est de noter que l'architecture du Planétarium semble s'inscrire dans cette dynamique. En effet, ce roman consiste en vingt un chapitres non numérotés et non titrés. Ces éléments, à présent indispensables à la construction du récit moderne, participent de la déstructuration du texte.

Aussi, observe t-on que la teneur des chapitres du Planétarium est autrement consistante que celle des Tropismes et beaucoup moins ample que celle des romans de type balzacien. Ce qui corrobore l'idée de démarcation de Nathalie Sarraute à l'égard du récit traditionnel.

Au-delà de cette configuration extérieure du texte, une autre donnée s'institue entre les interstices du récit : il s'agit de l'intertextualité. Cet aspect de la littéralité cautionne, à bien des égards, le caractère composite du Planétarium. Considérons cet exemple :

« (...) Le Père Goriot sa tendresse timide. Sa pudeur. Seul, vieux,abandonné, inconnu, exclu, rejeté par elle, sa fille chérie, son unique enfant ...mais elle l'aiment, il le sait bien ... elle n'aimerai jamais rien au monde autant que de pincer entre ses doigts la fine peau chaude sur le dos de sa main, le tirer doucement et la regarder qui se détaché de sa chair (...) » (P,104).

Cetexemple semble confirmer la conception de Reuter selonlaquelle : « Tout récit s'inscritdans une culture. A ce titre, il ne renvoie pas seulement aux réalités extralingustiques du monde mais aussi autres textes écrits ou oraux qui le précédent ou qu'il accompagne et qu'il reprend, imite, modifie...Ce phénomène est généralement appelé intertextualité (...)»67(*).

A dire vrai, en quoi ce récit est-il représentatif de la modification partant de l'intertextualité ? Bien évidemment en modifiant la quintessence de l'histoire du texte de balzac. Car dans ce texte, Le Père Goriot, le personnage éponyme, père Goriot est rejeté par deux de ses filles et nom d'une seule. Il s'agit plus précisément de Madame de Beauseant et de madame de Restaud. Cette erreur ou plutôt cette omission de Nathalie Sarraute vise, en partie, à brouiller le récit et à perdre le lecteur.

Ainsi, l'on en infère que le récit sarrautien apparaît comme un déroulement illogique qui rive à la fiction. Laquelle fiction fait de « l'anti-roman sarrautien [...] un envers du roman, envers de la conscience, une opération probablement réussie pour faire revivre le lecteur, et pour faire revivre une forme romanesque labyrinthique (...) »68(*).

Ce désordre dans l'architecture du récit est visiblement entretenu dans Tropismes et Le Planétarium par la charpente syntaxique qui ébranle toute connexité entre les phrases.

En effet, si traditionnellement, la motivation réaliste est sous-tendue par des articulations ou connecteurs logiques, avec le Nouveau Roman ces « béquilles » sont mises au rancart.

Dans tropismes, par exemple, en lieu et place des conjonctions de coordination (et, ou, car...), Sarraute use des points finals ou des points de suspension entre les phrases. Ces phrases sont pour la plupart privées de verbes. Ainsi, lit-on : « les choses. Les choses. Les coups de sonnette. » (T.41).

Dans Le Planétarium, un seul mot peut faire figure de « phrases qui affleurent à tout moment » (P.83). Qu'on se rappelle ce fragment de récit qui rend compte de la perte de crédibilité de Germaine Lemaire puisque ces capacités intellectuelles sont remises en question par son entourage :

« Pas un frémissement. Nulle part. Pas un soupçon de vie. Rien. Tout est Figé. Figé. Figé. Figé. Figé. Complètement figé. Glace » ( P.157).

Cette architecture des phrases constitutive de la déconstruction du récit tient, pour l'essentiel, à l'absence même de verbes, noyaux des récits traditionnels. De ce point de vue, on arrive à la conclusion selon laquelle chaque mot évoque bénéficie d'une autonomie sémantique et syntaxique.

Un tel parti pris littéraire, désorganisant la représentation du référent discursif, ne saurait rendre compte de relations temporelles (d'abord, ensuite, alors, après / avant) ou d'énumération. (en outre, en plus...) ou de reformulation (bref, en d'autres termes, au total, au juste...).

En fait, la continuité textuelle du récit, au lieu d'être encadré par des « béquilles » dont parle Sarraute et qui assure la progression structurée, met en exergue des procédés diaphoriques c'est-à-dire l'anaphore et la cataphore.

Ces procédés anaphoriques, de l'avis de Jean François Jeandillou « préservent sa continuité grâce à la reprise d'éléments préalablement introduits »69(*) mais, il est à noter qu'avec Nathalie Sarraute l'usage de ces aspects anaphoriques prête à confusion. En effet, les formes du redoublement par répétition applique aux personnages sont celles consistant dans l'attribution à deux ou plusieurs d'entre eux, soit d'un prénom semblable ou analogue, soit d'une même apparence.

Cettetechnique faulknérienne du prénom redoublé qu'affectionnent lesnéo-romanciers, Nathalie Sarraute en particulier, ne garantit guère la continuité et la cohésion du texte mais au contraire elle désagrège sa compréhension à la limite le déroulement chronologique du récit.

Ainsi, dans Tropismes et Le Planétarium les récits se résignent à progresser et rivent sur la répétition au moyen de l'anaphore qui renvoie à ce qui précède. Dans Tropismes, citons un exemple représentatif de la déconstruction du récit :

«  (...) Utrillo était ivre, il venait de sortir de Saint-Anne, et Van Gogh ...Ah ! elle le lui donnait en mille, il ne devinerait jamais ce que van Gogh pouvait tenir dans ce papier. Il tenait dans ce papier... son oreille coupée ! « l'homme à l'oreille coupée », bien sûr , il connaissait cela ? » (T. 47).

En clair, dans ce récit fragmentaire, nous notons un pronom coréférentiel c'est-à-dire le troisième pronom anaphorique (il) qui renvoie à deux unités référentielles (Utrillo et Van Gogh).

Il en est de même dans Le Planétarium où l'anaphore à valeur de loi et rend malaisé l'identification des personnages. Cette séquence narrative est illustrative à cet égard en ce sens que la narratrice souligne : «  (...) Gisèle, ce ne serait plus Gigi, bien sûr, mais Gisèle (...). Elle-même avait été séduite, elle-même, elle le sait bien, les avait encouragés ».

Par ailleurs, la cataphore, procédé qui renvoie (P,49) à ce qui suit, semble être une trouvaille pour Sarraute qui l'expérimente dans les deux textes.

En effet, dans Tropismes, la cataphore n'est perceptible qu'entre le premier et le seizième «tropisme». Autrement dit, l'on ne saura ce àquoi renvoie « ils » qu'au récit XVI. Citons ces exemples :

«  Ils semblaient sourdre e partout (...) » ( T.11) 

«  maintenant ils étaient vieux » « T. 99 »

« Ah ! ces vieux os (...) » (T.100 )

Dans Le Planétarium, il est question d'un " elle " évoqué dès l'incipit et dont nous ignorons ce à quoi il réfère au début. On le saura cinquante pages après. Ainsi la narratrice énonce :

« ... Cette illumination qu'elle avait eue... » ( P.7 )

« ... Tu sais bien comment ils sont dans cette famille ... la vielle

Tante Berthe ... » (P.51).

A la lumière de ces observations précédentes, force est de noter que cette absence de progression du récit lance un défi à la lisibilité en gommant tout repère syntaxique et énonciatif.

Dans cette logique subversive du récit, si, dans le roman traditionnel « nom propre constitue le premier maillon d'une longue chaîne de liage référentielle formée de termesanaphoriques »70(*), dans le roman sarrautien son emploi semble ne plus être d'actualité.

Dans Tropismes, cette technique est portée à sa perfection. Le nom propre est quasiment inexistant dans la mesure où tout au long des récits, la narratrice nous présente des personnages orphelins d'état civil. Elle ne les estampille qu'à coups de référence pronominale telle : « ils (s), « elle (s) », etc.

Dans Le Planétarium, le récit semble, dans une certaine mesure, s'inscrire dans cette logique même si la quasi-totalité des personnages sont régulièrement nommés. Ainsi on remarque que la mère de Gisèle et le fou de la reine, entendons par-là Germaine Lemaire, sont sevrés de noms propres. Ce qui sous-tend, de toute évidence, la thèse de la déconstruction du récit illustrée dans ces deux exemples :

«  ... elle rend le ravier à sa mère. Sa mère, fière d'elle, repose le ravier, sa mère lui caresse le visage de son regard tendre, reconnaissant... » ( P.100 ).

« Le fou de la reine, le bouffon agitant ces clochettes faisant des galipettes sur les marches du trône (...) (P.80 ).

Ainsi, il n'en demeure pas moins que les récits perdent toute leur raison d'être lorsqu'on a affaire à des textes dans lesquels les noms de certains « supports de conscience » s'estompent. Par voie de conséquence, les principes de composition comme le rôle des modalisateurs logiques perdent toute leur crédibilité au sein du récit sarrautien. Il est alors singulier que le récit « forme ce qu'on pourrait nommer un assemblage problématique. Des fragments divers appartenant à des séquences différentes s'y proposent consécutivement selon un ordre dispersé qui suscite chez le lecteur un désir irrépressible »71(*).

Une telle conception du récit nous donne à lire que le texte sarrautienfonctionne comme un puzzle épars dans lequel le lecteur doit jouer pleinement sa partition. Car, nous savons depuis Umberto Eco que le texte est une « machine paresseuse » qui sollicite la main du lecteur pour se mettre en branle.

Par le fait, l'architecture des Tropismes et du Planétarium corrobore la vision de Reuter selon laquelle : « le texte du récit est hétérogène, divers et composite, tel un habit d'Arlequin »72(*). Ce point de vue nie, d'une façon et de l'autre, la notion de continuité du récit.

Ainsi, dans Tropismes à chaque texte correspond, à l'évidence, une structure poétique bien marquée. C'est ainsi que dans les trois premiers textes on semble lire un traitement dissemblable pour un même « ils » :

« Ils semblaient sourdre de partout(....) » ( T.11 )

« ils s'arrachaient à leurs armoires à glace (...) » ( T. 15 )

« Ils étaient venus se loger ans des petites rues tranquilles (...) » (T. 21)

Sur cette même lancée, les récits quatre et cinq se singularisent du fait de leur traitement romanesque particulier :

« Elles baragouinaient des choses à demi exprimées (...) » ( T.28 )

« (...) elle restait sans bouger sur le bord de son lit (...) » (T.33 ).

Dans Le Planétarium, cette architecture aux allures composites est perceptible à travers tout le texte. En vérité, si, dans le premier texte, il est question d' « une maniaque, une vieille enfant (...) » (P.13), il n'est pas étonnant qu'on lise, à ce titre, l'histoire des « carottes râpées » (P.98 ) consacrée au texte sept.

Une telle fragmentation des textes défie le déroulement linéaire du récit. Puisque ces deux textes sont tributaires de l'ordre d'apparition des sensations ou «tropismes». Cet état de fait n'a pas échappé à Arnaud Rykner qui soutien à propos du texte sarrautien :

« L'ensemble du texte sarrautien fonctionne ainsi par juxtaposition de sensations plus ou moins confuses (la crampe, l'exaspération face au poids creux, l'agacement des mouvements de gymnastique, l'élancement de l'hydropique), comme si le tropisme se refusait à la concaténation parfaite du récit, comme si la parataxe ou ses avatars permettaient d'éviter à la fois la sélection des signifiants »73(*).

Donc, c'est dire que l'écart entre les sensations est symétrique de l'opposition entre certains textes dans Tropismes et dans Le Planétarium. Ainsi, remarque-t-on une certaine distance de Nathalie Sarraute à l'égard de toute considération consistant à placer le récit sous le signe de la progression de la concaténation. Elle s'évertue, dans la perspective du Nouveau Roman, à construire des récits fondés sur l'effacement des préfaces.

De ce fait, nous savons pertinemment que, dans la conception du roman traditionnel, les récits étaient généralement précédés de « béquilles » c'est-à-dire de préfaces qui garantissaient la charpente de ces derniers.

Cette représentation est constitutive de la volonté d'assister le lecteur naïf.Qu'on se rappelle  respectivement ces fameuses préfaces de Pantagruel et de Gargantua :

« Buveurs trèsillustres, et vous, véroles très précieux non à autres, sont désirés mes écrits. Alcibiade, au dialogue de Platon intitulé le Banquet, louant son précepteur Socrate, sans controverse prince des philosophes (...) »74(*)

« Très illustres et très chaleureux champions ... Voulant donc, je, votre humble esclave, accroître vos passe temps davantage, vous offre de présent un autre livre de même billon (monnaie), sinon qu'il est un plus équitable et digne (...)75(*).

A lire de plus près ces deux préfaces de Rabelais, l'on comprend le rôle effectif qu'elles avaient naguère joué dans la compréhension et l'appréhension du lecteur ancien. Il reste que ces préfaces ou ces prologues entendent, pour une raison ou une, orienter la lecture du texte en livrant le maximum d'informations susceptibles de satisfaire la curiosité du lecteur.

Mais avec le Nouveau Roman, les écrivains en général, Nathalie Sarraute en particulier rame à contre-courant d'une telle conception littéraire. Elle rejette en bloc aussi bien le préface intégrée, présente dans l'Iliade et l'Odyssée d'Homère que la préface allusive mise en valeur dans Le tiers Livre et Le Quart Livre de Rabelais.

Dans cette mouvance, « s'inscrivant dans la perspective d'une littératuredésaliénant, ouverte et rendant sa liberté au lecteur »76(*)Tropismes et LePlanétarium se lisent sans préfaces.

Un tel parti pris n'est pas sans perturber l'armature du récit en ce sens qu'il vise, à la fois, à coïncider deux destins : celui des personnages avec celui du lecteur. Autrement dit, en mettant le lecteur à l'épreuve du texte le lecteur a comme l'impression d'être le substitut du héros ou des héros du récit. Exemplaire est à cet égard l'emploi du vouvoiement pluriel dans Tropismes qui rappelle parfaitement le « vous » inaugural de la Modification de Michel Butor. Citons cet exemple tiré des Tropismes :

« Vous connaissez Thackeray ? Th.... Th ... » ( T.94 )

« Vanity fair ? Vanity ? Ah, oui, vous êtes en sûre ? » (T.95 )

Une telle illustration trouve sa validité dans Le Planétarium :

« oh, il faut qu'il vous raconte ça c'est trop drôle (...) ( P.20 )

« Pour Maine, voyez-vous les gens c'est des miroirs » ( P.158 ).

En clair le rejet ou plutôt la mise en rancart des préfaces visibles à travers l'évocation du « vous » cultive une certaine méfiance à l'égard du caractère trop directif. Ce qui rend compte du transfert progressif de ses fonctions vers l'incipit.

Du reste, toutes ces données analysées ci-dessus participentde ce qu'il est convenu de nommer la déstructuration du récit. Une déconstruction qui est consécutive à la grande crise qui avait secoué le fond humaniste. Donc à l'éboulement des valeursmorales de l'homme succède l'effondrement ou le bégaiement, le désordre du texte. Françise dit, à ce propos :

« [...] Le texte tend à transcrire le désordre juste des mouvements intérieurs, sans stylisation ni classification apparente, le désordre écrit fut-il soigneusement construit ».77(*)

C'est dire que le fait de prétendre dérouler son récit suivant un axe diachronique est voué aux gémonies. Etant entendu que nous remarquons dans l'architecture du récit, tantôt une mise en scène des souvenirs autonomes dans lesquels le lecteur pénètre in media res, tantôt la privation délibérée des « béquilles » préfacielles qui placent le lecteur en état d'inconfort. Aussi, remarque-t-on l'absence de connecteurs logiques au ras des phrases qui cautionne, à vrai dire, l'idée de déstructuration du récit.

Ainsi, le récit, maillon indispensable des procédés narratifs du roman traditionnel, fonctionne à présent comme une « gigantesque opération de replâtrage »78(*). Du fait peut-être de son excès de construction trop savante, de la prolifération des enlisements descriptifs ou de la scissiparité des mises en abyme. De ce point de vue, Tropismes et Le Planétarium constituent un assemblage de textes qui illustrent du «tropisme». D'ailleurs, en ce qui concerne Tropismes, la nature très variable des «tropismes» explique le pluriel du titre.

Cependant, il nous a paru essentiel de voir comment Nathalie Sarraute s'évertue-t-elle à prendre en charge la notion de déstructuration du récit dans Tropismes et Le Planétarium.

II-2 : DESTRUCTURATION DU RECIT

Tributaire de profondes crises axiologiques, le roman du vingtième siècle est sans nul doute celui qui est allé le plus loin dans l'expression de l'inadéquation de l'homme au monde qui l'environne.

Cette rupture, s'instituant entre ces deux entités, est particulièrement représentative de la cassure notée au sein du récit. En effet, des formes de récit aussi variées, dont les origines sont liées à des conjonctures très diverses et dont les fonctions techniques semblent très différentes, font-elles toute place à la rupture dans l'architecture des textes ?

Telle est la question qu'il importe de se poser si l'on veut examiner la pertinence des distinctions opérées par Nathalie Sarraute, dans la perspective du Nouveau Roman, un décentrement par référence aux techniques narratives traditionnelles.

Du coup, si, dans le récit traditionnel les écrivains étaient animés d'un désir consistant à créer un univers qui soit « l'exacte métaphore, dans sa consistance et son expansion, de la réalité sociale et historique »79(*), les néo-romanciers quant eux s'attachent à mettre à nu les brèches de cette construction.

Autrement dit à la construction d'une totalité dans l'économie du récit succède la subjectivité d'un univers en profonde désagrégation. Cette déconstruction du monde prend place dans la conscience détraquée des personnages du récit.

Dèslors, il semble singulier de noter que l'approche du récit a invariablement suscité d'énormes champs de réflexions chez beaucoup d'écrivainset de chercheurs consacrés. Diderot dans Jacques Le fataliste80(*) en est un exemple patent. Dans ce roman du « siècle des lumières » le récit est profondément désagrégé en ce sens que l'intrigue s'arrête au gré d'anecdotes enchâssées,d'où l'interrogation fort pertinente de Paul Vernière : « Diderot serait-il le fondateur de l'antiroman ? »81(*)

C'est dire que, ces investigations constitutives de la faille sur la chronologie et la logique du récit, ont déjà fait parler d'elles depuis belle lurette. Pourquoi nous y revenons ? La raison est toute simple. En effet, avec les temps qui courent nous avons émis l'idée selon laquelle, quelles que soient l'ampleur et la portée des recherches, « la fontaine narrative » ,pour parler comme René Char, demeure inépuisable. En d'autres termes, on décryptera un certain nombre d'indices qui fracture la consistance des éléments qui cimentent le moule des récits traditionnels: le personnage, le temps verbal, la logique, etc.

Ainsi, Tropismes et Le Planétarium, deux textes similaires, à bien des égards, vont briser le moule des procédés narratifs traditionnels. Ce choix littéraire est justifié par ce qu'il est convenu d'appeler la déstructuration du récit. Comment peut-on lire cette déstructuration du récit dans Tropismes et Le Planétarium ?

En fait, dans ces textes iconoclastes par excellence « démentaient et démantelaient la logique et la chronologique » du récit. De même, autant le montage linéaire du récit est viscéralement brouillé du fait de l'absence de temporalité, autant le lien de causalité (cause-effet) entre les séquences narratives est remis en question. Car chaque séquence fonctionne de façon autonome.  Les premières pages des Tropismes annoncent :

« Ils s'étiraient en longues grappes sombres entre les façades mortes des maisons.// De loin en loin, devant les devantures des magasins, ils formaient des noyaux plus compacts (...) » (T. 11).

Dans Le Planétarium, on remarque que les « bribes de phrases affleurent à tout moment (....) » (P.83) sans se soucier des connecteurs logiques, d'où une prolifération des points de suspension qui s'imposent au préjudice des embrayeurs logiques. Qu'on relise ce fragment de récit qui met à nu le zèle et la suprématie de Germaine Lemaire au sein de son cercle littéraire :

« Elle est autoritaire ... possessive... Elle donne pour dominer... Pour nous garder éternellement en tutelle ... » (P. 44).

En clair, ces points de suspension sont sinon constitutifs de l'inachèvement des phrases du moins représentatifs des failles soulignées au niveau de l'armature du récit.

Cet état de fait n'a pas échappé à Jacques Popin qui soutient à propos des points de suspension :

« Ils sont une marque de l'inachèvement, aussi bien de celui du mot qui pourrait être donné in extenso et qui ne l'est pas, que celui d'une réplique dans le dialogue, ou que celui d'une ellipse e la narration »82(*).

Ce signe par évocation qui, génère selon Jacques Popin une rupture dans le dialogue et une ellipse dans la narration, fera l'objet d'une étude approfondie dans la seconde partie.

Dans cette logique subversive il convient de convoquer ce qui constituait l'icône du récit, le noeud de forces : le personnage.

En effet, dans le roman traditionnel, le personnage du récit était tributaire de caractéristiques externes, qu'elles soient sociales ou purement descriptives. Aussi, était-il surdéterminé par son métier, son milieu, ses moeurs et ses habits. Ainsi, le pauvre père Goriot est décrit dans la pauvre pension de Madame de Vauquer, assis sur un grabat solitaire, et il n'est pas jusqu'à son physique qui ne confirme son statut d'homme misérable.

Mais, les romans modernes ou plutôt Tropismes et Le Planétarium présentent plus des recherches diverses qu'une évolution linéaire du personnage. Cela s'explique par le fait que le personnage y ait affecté par des bouleversements qui ont d'abord atteint la personne réelle.

De fait, on sait que l'essor des sciences humaines a mis en crise un certain nombre de certitudes avec lesquelles nous vivons. La critique de la rationalité par Nietzsche, les déterminismes mis à jour par Marx, la découverte de l'inconscient par Freud ont provoqué une véritable révolution des esprits. Il n'est dès lors plus possible à Nathalie Sarraute de se représenter des personnages de la même façon qu'autrefois.

Aussi, ces personnages qu'elle théâtralise sont-ils le reflet de l'égarement des consciences qui transforment les éléments du récit en particulier, du roman en général. Michel Zéraffa affirme :

« Tout roman exprime une conception de la personne qui dicte à l'écrivain de choisir certaines formes et confère à l'oeuvre son sens le plus large et le plus profond, si cette conception se modifie, l'art du roman se transforme. La conception du personnage est donc liée aux appréhensions et aux valeurs du monde qui le rendaient possible »83(*)

C'est dire alors que le récit et le personnage ou le narrateur sont partie liés. Si le personnage divague, devient amnésique, le récit devient par voie de conséquence, " avarié ", déconstruit. Dès lors, « le récit tend à se produire comme une suite de combinaisons affectant les éléments de la fiction et leurs agencements »84(*). Il faut ajouter dans cette lancée que le récit est de l'aveu de Jean Ricardou «  la résultante d'exigences incompatibles : le maintien d'une vraisemblance événementielle, une logique combinatoire »85(*).

Cet état de fait est justifié par l'usage des parenthèses dans Tropismes.  Un parfait exemple nous est offert au IXe récit :

« Il se mettait à parler, à parler sans arrêt, de n'importe qui, de n'importe quoi, à se démener (comme le serpent devant la musique ? Comme les oiseaux devant le boa ? Il ne savait plus) vite, vite, sans arrêter (...) » (T.58).

Cette parenthèse mise en valeur par la conjonction de comparaison (« comme ») constitue un commentaire en marge du récit puisqu'elle permet et la romancière et le lecteur à se regarder mutuellement dans le processus en diagonale du récit.

Ainsi, Léo Spitzer, en analysant le sens des parenthèses, fait remarquer qu'elles « sont les judas par lesquels le romancier regarde son action et ses lecteurs peuvent le regarder à leur tour »86(*) et qu'elles tendent, en plus, à disperser, à dessein, l'attention du lecteur.

Du coup, c'est dire que le récit sarrautien est semé, en réalité, de morceaux épars, de bribes de paroles appelées par les réflexions du personnage, lequel comme Alain, Tante Berthe dans Le Planétarium n'existent respectivement que par leur regard sur « l'appartement », sur « la poignée de porte ». Autrement dit, ces deux textes sont, à des degrés divers, des textes éclairés de l'intérieur d'une conscience.

De ce point de vue, les textes sarrautiens offrent à la perturbation, à l'anarchie la parure du récit. En d'autres termes, le récit n'est rien d'autre qu'un « tâtonnement dans l'obscurité, parturition, désordre. »87(*)

Ce désordre ou plutôt cette fragmentation du récit est signe que l'ordre chronologique des événements n'a pas, dans Tropismes et Le Planétarium, sa raison d'être. Etant entendu que l'ordre qui, aux yeux des romanciers traditionnels, prévaut dans la genèse du texte une frange des néo-romanciers peuvent dès lors opposer des processus anarchiques perceptibles au niveau de la structure des phrases.

De fait, dans Tropismes et dans Le Planétarium la déstructuration du récit tient de la nature de la juxtaposition des phrases.

Laquelle structure des phrases affecte la syntaxe et crée un effet de discontinuité. Pour élucider ce point de vue, penchons sur cet exemple tiré des Tropismes :

« le petit tailleur bleu... Le petit tailleur gris...Leurs yeux tendus furetaient à sa recherche... » (T.82)

Cet exemple est la métaphorisation de deux tableaux antithétiques mieux la négation du récit classique savamment construit et placé sous le signe chronologie. En effet, il se caractérise par l'absence de coordination neutre « et » entre les deux thèmes.

Cette absence se veut l'évocation de chaque circonstance pour elle-même. Et chaque proposition est coupée de l'élément principal par les points de suspension (...).

Dans Le Planétarium, la narratrice entend « mettre du modernepartout » (P.14) et créer un « ordre nouveau » (ibid,) dans lequel le récit et la phrase sont pris dans un phénomène de dislocation.

Ainsi, si, dans le récit traditionnel l'ordre des mots dans l'énoncé était garanti et encadré par des modalisateurs constitutifs de la solidité du texte, dans Le Planétarium cette conception du récit disparaît. Dans la mesure où l'énoncé se trouve quelque fois brouiller et la narratrice jette son dévolu sur l'élément considéré comme essentiel à coups d'un présentatif comme dans : « c'est cet appartement » (P. 177).

Cette déconstruction du récit repose également sur le retard d'un élément logiquement attendu. De plus, il peut arriver que l'énoncé soit stoppé, que l'élément attendu, trop chargé d'affectivité, soit repoussé. Ainsi dans LePlanétarium qui cautionne le plus cette poétique du récit, le dialogue entre Alain et Gisèle est très illustratif :

« Gisèle, mon chéri, qu'est - ce qu'il y a ?

Qu'est-ce que tu as, Gisèle, dis-moi? » Elle sent que ses yeux aussitôt se remplissent de larmes, elle lève la tête, elle plisse les lèvres comme une petite fille : « je ne sais pas, j'ai le cafard c'est idiot. C'est pour les siens... » (P.67).

Cette nouvelle structure du récit pose, de toute évidence, la problématiquement du système des dialogues qui, pour s'en former une idée juste, fera l'objet d'une étude approfondie dans la seconde partie.

Par ailleurs, il est singulier de souligner, dans cette veine subversive du récit, que le « temps ne sera plus le maître »88(*)puisqu'il « se tient presque immobile » (P.67) et se meut, pour une raison ou une autre, dans un espace labyrinthique « où toute orientation semble impossible car la ligne continue du temps est brisée»89(*).

Cette nouvelle construction motivée et représentative du Nouveau Roman génère vraisemblablement un temps qui tournoie et un récit qui semble se mordre la queue. Ce qui cautionne le foisonnement des récits aux relents complexes et circulaires.

Tropismes et le Planétarium, des textes foncièrement représentatifs du Nouveau Roman brouillent, à dessein, les codes temporels du récit traditionnel. Dans ces deux romans sarrautiens, les récits souffrent d'énormes indices temporels se déroulant de façon logique et chronologique.

Dans Tropismes,  le temps aristotélicien est nul et non avenu. En ce sens que le soleil ne suit plus son cours normal, ce qui explique peut-être les récriminations de la concierge selon lesquelles :

«  C'est traître le soleil d'aujourd'hui, (...) c'est traître et on risque et on risque d'attraper du mal (...) » (T. 17).

Aussi, lit-on dans cette séquence : « l'après-midi, elles sortaient ensemble » ( T.63).Alors le lecteur, naguère assisté dans sa quête du sens, se trouve ici privé d'un confort temporel précis.

Dans Le Planétarium, bon nombre de personnages à l'image de Germaine Lemaire perd la notion de temps. Ainsi, soutient-elle : « oh mon dieu, vous voyez, vous m'avez fait oublier le temps... » (T.133). C'est dire que dans ce texte, mis à part l'absence d'indices temporels précis ayant trait à la date, on remarque que les « instants, fermés sur eux-mêmes, lisses, lourds, pleins à craquer avancent très lentement (...) » ( P.75). Ce qui affecte effectivement la texture du récit. Alors, il ne saurait être question pour Nathalie Sarraute de construire son récit sur le socle de la linéarité mais au contraire son récit sur la base de données constitutives de la simultanéité.

Du coup, cette diaprure temporelle du récit est une constante dans Tropismes et Le Planétarium. Elle est consécutive à la transcription de l'instant mieux de la simultanéité. Ainsi, dans Tropismes, la narratrice présente de façon concomitante les pensées et les réminiscences de" elle " :

« La crise ... et ce chômage qui va en augmentant. Bien sur, cela lui paraissait clair, à lui qui connaissait si bien les choses... mais elle ne savait pas ... On lui avait raconté pourtant... mais il avait raison, quand on réfléchissait, tout devenait si évident, si simple... c'était curieux, navrant de voir la naïveté de tant de braves gens. » (T.45).

La même structure du récit trouve sa justification dans Le Planétarium où l'on lit « un vrai bouleversement, un terrible chambardement de son univers » ( P.172) du fait de la transcription d'un instant dans sa prolifération. La remarque de Pierre à ses enfants à propos de Tante Berthe est de toute pertinence :

« Ah, mes enfants, rien à faire. Elle n'a pas marché, je vous avais prévenus. Elle était certaine. Je la connais, moi, allez. Maniaque. Egoïste. Ses affaires, vous savez ... son confort. Que le monde périsse ...» ( P. 178).

En fait, ce fragment de récit clive spatialement des événements se déroulant à des moments divers, des réflexions intérieures de Pierre qui fait concomitamment l'anatomie du caractère de Tante Berthe.

Dans cette logique subversive instituée par la notion d'instant dans la structure même du récit, il convient d'analyser un autre procédé qui participe de la déstructuration du récit : il s'agit bien évidemment du présent de l'indicatif.

A propos de ce temps verbal, Francise souligne : « L'usage de ce temps est certes parfaitement conforme à l'effet psychologique produit par la remémoration, ou par l'inventaire des sensations et pensées d'un moment de vie ; Mais il efface toute perspective et tout point de repère, en mettant sur le même plan des éléments disparates »90(*).

Dès lors, il n'est pas étonnant de lire un emploi courant du présent de l'indicatif dans Tropismes et Le Planétarium. Ce présent immédiat ou scénique est, selon Bernard Valette, une des caractéristiques du Nouveau Roman même si parfois on voit un brassage des temps (imparfait - conditionnel) s'opérant sans transition. Dans cet exemple : « on vous appelle. Vous n'entendez donc pas ? Le Téléphone. La porte, la porte d'entrée ! » (T.41), on ne remarque que le récit n'est plus un résumé d'événements réels, mais un processus déréglé qui élit domicile dans la conscience détraquée du personnage anonyme,  "elle". Elle imagine ce que pourrait négliger " on ".

Par ailleurs, si, dans le roman traditionnel le passé simple fait la loi, dans le Nouveau Roman il n'est plus d'actualité. Le renouvellement du temps dans le récit n'a pas échappé à Roland Barthes qui affirme :

« Retiré du français parlé, le passé simple, pierre d'angle du récit, signale toujours un art, il fait partie d'un rituel des belles-lettres. Il n'est plus chargé d'exprimer un temps. Son rôle est de ramener la réalité un point, et d'abstraire de la multiplicité des temps vécus et superposés un acte verbal pur, débarrassé des racines existentielles de l'expérience, d'autres procès, un mouvement général du monde »91(*).

Cette remarque fort pertinente de Roland Barthes est applicable dans LePlanétarium où la narratrice met en place en scène deux personnages en train de discuter sur l'emploi du temps juste :

« (...) Au milieu de la page qu'elle n'a pas achevé, une phrase, un mot où quelque chose... mais qu'est-ce que c'est ? Le temps du verbe n'est pas juste, mais ce n'est pas cela... ce n'est pas ce verbe qui conviendrait... lequel ? » (P. 158 ).

Certainement le présent de l'indicatif qui occupe presque l'ensemble des textes que constitue Le Planétarium. Qu'on se rappelle, dans cette perspective, ces récits fragmentés :

« L'appartement est silencieux. Il n'y a personne. Ils sont partis. Leurs vestes et leurs casquettes ne sont plus sur la banquette de l'entrée » (P.11).

Ou encore dès l'ouverture du second texte on lit :

« Oh, il faut qu'il vous raconte ça c'est trop drôle...Ellessont impitoyables les histoires de sa tante... la dernière veut son poids d'or... » (P.20).

En fait, à la lumière de ces exemples précités, il est fort à parier que Nathalie Sarraute en substituant ce passé simple, temps du récit historique par excellence, au présent de l'indicatif, fait le procès de la notion traditionnelle du récit.

Du coup, elle institue une atemporalité qui justifie l'emploi systématique du présent de l'indicatif dans Tropismes et Le Planétarium. En effet, cedit présent est très difficile à cataloguer en ce sens que l'on ignore s'il est narratif ou descriptif, objectif ou intérieur d'où son balancement entre deux adverbes temporels : le maintenant et le toujours. Ce point de vue n'a pas laissé de marbre Françoise Calin qui énonce en ces termes :

« Que devient alors dans ces pages la relation entre le temps de l'aventure et celui de l'écriture ? L'usage du présent de l'indicatif ne nous permet certes pas de conclure qu'il n'y a pas de décalage entre les deux puisque ce présent s'étire et oscille entre le maintenant et le toujours »92(*)ou le toujours et le maintenant.

Cette conception du temps dans le récit sarrautien trouve sa justification dans cet exemple tiré des Tropismes :

« Bien qu'elle se tût toujours et se tînt à l'écart, modestement penchée, comptant tout bas un nouveau point, deux mailles à l'endroit, maintenant trois à l'envers (...) » ( T.87).

Il en est de même dans Le Planétarium où la narratrice en parlant de Tante Berthe souligne :

« Elle se sent bien maintenant. L'édifice ébranlé, vacillant, s'est remis petit à petit d'aplomb... c'est ce qui lui manque, à elle cette passion, cette liberté, cette audace, elle a toujours peur (...) » (P. 61).

A ce niveau de la réflexion, il est à noter que la fonction perturbatrice du présent de l'indicatif dans l'histoire du récit n'est pas sans occulter la présence de l'aspect imperfectif, le participe présent. Cet aspect vise, de l'aveu de Saint Simon, à transcrire la discontinuité du récit, l'aspect morcelé des émotions telles les tropismes que l'on éprouve et qui souffrent de mots de liaisons les uns des autres.

Aussi, est-il urgent de notifier que ce participe présent met à découvert les réminiscences des personnages dans lesquels il ne saurait y avoir ni préambule ni fin. Le récit semble donc différer, contourner, dévoyer la limite qu'elle soit liminaire ou finale. On ne saurait mieux justifier les effets produits par ce temps que dans Tropismes et Le Planétarium.

Dans Tropismes, par exemple, " elle ", en « s'agissant autour de la table, s'agissant toujours, préparant des potions (...) critiquant les gens venaient à la maison, les amis (...) » ( T.15), conforte l'idée de rebondissement du texte qu'exprime le participe présent. Car, il « semble faire rebondir le texte, de segment en segment, dans l'attente d'un événement qui s'inscrirait dans le cadre donné »93(*).

Dans LePlanétarium, l'emploi du participe présent revient comme un leitmotiv. Notons ces exemples très illustratifs :

«(...) Le rideau vert s'ouvrant et se refermant sur la grande baie carrée donnant sur le vestibule (...) » (P.9).

« (...) rondeurs dorées des meules luisant au soleil (...) » (P.14)

« (...) s'insinuant d'aborddoucement, puis s'enflant petit à petit (...)» (P.24).

En un mot, c'est dire que le participe présent tout comme le présent de narration sont, d'une façon ou de l'autre, la négation des récits doctement construits. De même, compte tenu des effets de simultanéité, à ne plus finir, des coupures effectuées dans des durées non définies qui sous-tendent essentiellement ces deux temps (participe présent, présent de l'indicatif), le récit se doit de river, de toute évidence, au morcellement, à l'ambiguïté. Cet acte nous l'avons nommé la déstructuration du récit qui affecte, du tout au tout, l'histoire.

En fait de l'histoire du récit, convenus qu'à rebours de la conception « dix-neuviémiste » d'un déroulement logique et chronologique, elle « n'est plusqu'un fantôme, une trace » de l'avis de Saint Simon.

Cet état de fait trouve sa justification dans la problématique de l'Histoire devenue problématique. Puisque le monde du vingtième siècle et son histoire, n'apparaissent plus comme une certitude, et sont posés dans «  une cassure». Aussi, l'homme, socle sur lequel se définissaient toutes les valeurs occidentales porteur de l'intrigue, devient à présent un « être de papier », « un être d'écriture».

Ainsi, Nathalie Sarraute, dans Tropismes et Le Planétarium va procéder à une remise en question radicale de l'attitude narratologique : intrigue de l'histoire. Cette intrigue ne saurait se construire sur un commencent ni une échéance. En effet, la clôture sarrautienne se caractérise par une cessation qui ne signifie en rien l'achèvement. L'ace terminal n'est qu'une invitation au commencement. La reprise de l'incipit à la fin du texte corrobore son influence dans son enjeu formel et structurel. En un mot, l'histoire dans Tropismes et Le Planétarium est giratoire.

Toutefois, si, le récit est déstructuré, il va s'en direque cette déconstruction suscite une lecture toute nouvelle de la narration. Si cela demeure une évidence, quelle serait alors la nouveauté que présenteraient Tropismes et le Planétarium ?

DEUXIEME PARTIE :

LA NARRATION

Dans Tropismes et Le Planétarium

L'angle d'approche de la narration, amorcée naguère par une frange des professionnels de la littérature traditionnelle, a fait couler beaucoup d'encre. En fait, les problèmes qu'elle suscite, ceux de l'énonciation littéraire, sont les plus complexes et les plus passionnants en ce sens qu'ils sont non seulement au coeur de l'armature du récit mais aussi s'inscrivent dans un contexte de guerre. Lequel contexte exprime l'idée que l'intelligibilité du monde ne va plus de soi : ce qui produit dans la vie n'est guère aussi apparente, aussi édifié et aussi déchiffrable que le laisser entendre la belle disposition des romans traditionnels sous la coupole d'un narrateur omniscient, conducteur de la narration.

En conséquence, si les différents types de narration se rencontrent dès l'origine du récit romanesque on peut cependant dégager des tendances majeures.

En effet, dans le récit traditionnel la narration, faisant partie de la tripartition de Gérard Genette (récit, histoire et narration elle-même) se présente comme une action ordonnée dans laquelle un narrateur prend en charge la fiction en manifestant sa présence de façon plus ou moins sensible.

Ce parti pris littéraire a pour objectif de donner l'illusion de la réalité qui est, en vérité, la fabula. Cette fabula est selon les termes de Umberto Eco :

« (...) le schéma fondamental de la narration, la logique des actions et la syntaxe des personnages, le cours des événements ordonné temporellement »94(*).

Ce mode de représentation de la narration est consécutif au modèle de vie de l'époque fondé sur une stabilité sociale, une réflexion aux relents cartésiens. Le temps de la narration utilise pour décrire la sphère sociale est, sans nul doute, la narration ultérieure se caractérisant par une histoire racontée après coup et d'une coulée, par un passé simple ou prétérit, temps par excellence du récit et un ordre irréversible.

Mais au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, les néo-romanciers, en l'occurrence Nathalie Sarraute au lieu de proposer une théâtralisation construite d'un monde désormais perçu comme fondamentalement complexe et indécis, s'attache à restituer la fragilisation du récit dans lequel la narration épouse les contours d'une dent de scie. C'est dire qu'une nouvelle appréhension de l'existence exige une nouvelle façon de la verbaliser, de la raconter par le biais de la narration.

Comment se présente le temps de la narration dans le roman contemporain, plus précisément dans Tropismes et Le Planétarium ?

D'abord, il faut reconnaître que l'étude du moment de la narration revient à se demander quand est racontée l'histoire par rapport au moment où il est supposé avoir eu lieu. Ainsi, pour donner l'illusion que le narrateur rédige son récit au même moment de l'action, Nathalie Sarraute use dans Tropismes et Le Planétarium d'une narration simultanée.

Cette narration, constitutive des oeuvres du Nouveau Roman, contemporaine de l'histoire qu'elle énonce, entraîne le récit, devenu instable, à basculer tantôt vers l'histoire, tantôt vers la narration où narrer devient illusoire.

Eu égard à ce que nous venons d'élaborer, il convient, à présent, de voir les différents caractères de la narration.

CHAPITRE III : CARACTERES DE LA NARRATION

La réflexion sur la représentation romanesque a longtemps mis au premier rang des préoccupations une problématique de la narration en particulier du récit en général. Car, « tout récit comporte en effet, quoique intimement mêlées et en proportions très variables, d'une part des représentations d'actions et d'événements, qui constituent la narration proprement dit (...) »95(*)

En fait, si la mise en scène traditionnelle de la narration se veut matérialisation des indications spatio-temporelles du récit, en les figurant et en les illustrant de façon ordonnée et cohérente, la mise en scène moderne se veut un dispositif narratif complexe qui joue de toutes les ressources de la technique romanesque pour susciter une interprétation du texte.

Ainsi, dans Tropismes et Le Planétarium, la remise en question des codes narratifs traditionnels se manifeste dans la volonté de créer un nouveau type de lecteur et d'innover quelque peu la narration. Cette innovation de Nathalie Sarraute réside, à première vue, dans le protocole énonciatif ou plutôt dans la phase inaugurale du récit.

En fait, si, dans le roman traditionnel le récit déroule une narration parfaitement linéaire qui suit un personnage servant de jonction aux différents épisodes qui fonctionnent comme des prédicats logiques autour d'un même thème, dans Tropismes et Le Planétarium la linéarité et la chronologie de la narration se fragilise puisque la concaténation logique des événements s'éclipse. Ce qui cautionne l'emploi des ouvertures in média res perturbant foncièrement l'ordre mieux le mode fonctionnement de l'histoire du récit. Ce dysfonctionnement du récit n'est pas sans rappeler le titre fort symbolique de Francise Dugast-Portes : LeNouveau Roman : une césure dans l'histoire du récit96(*)

Ainsi, à l'enchaînement chronologique de la narration succède un faisceau de possibilités simultanées.

Dans cette logique subversive de la narration du récit, le langage n'est plus le garant de la transparence mais plutôt de l'opacité. En fait, le langage se joue sous un double registre fonctionnel et référentiel où « les jeux de défection et d'affirmation de la réalité fonctionnent (...) comme un topique qui donne vie à la narration »97(*). Ainsi, il n'est pas étonnant de voir une narration qui transforme la réalité vécue en un univers d'une altérité radicale, obligeant, dans LePlanétarium, Pierre à remettre en cause les propos d'Alain faisant allusion à la beauté de Germaine Lemaire.

On assiste alors progressivement à la dissolution du syntagme narratif qui se caractérise, à présent, par des associations mentales ayant des affinités avec l'écriture automatique des surréalistes.

Ainsi, à la question de Bernard Valette : « peut-on parler de récit ? »98(*) Nous répondrons par la négative. En ce sens que les démarcations entre histoire, intrigue et narration s'estompent au profit de la fascination exercée par les mots, leur sonorité voire les poncifs et aux dépens des données chronologiques et linéaires.

De ce point de vue, les maillons essentiels du récit traditionnel, c'est-à-dire la disposition chronologique et les connections logiques qu'introduit l'élocution perdent leur crédibilité dans le récit néo-romanesque.

Cette évacuation de la narration traduit en fait le soupçon que fait peser la modernité sur une conception rhétorique du récit que des contre-exemples connus obligent nécessairement à remettre en cause.

Dans ce même ordre d'idées subversif, il est à noter que la notion de répétition dans le récit n'est pas en reste. En fait, si, dans le récit traditionnel la répétition est quasiment inexistante, dans le récit néo-romanesque, en revanche, elle s'érige en valeur de loi. Aussi, n'est-il pas surprenant de voir, dans la diégèse traditionnelle, que la narration ou l'itératif soit la subordination de la narration. Alors que dans Tropisme et le Planétarium, elle est complètement détachée de la narration du fait de l'itératif ou plutôt du récit singulatif comme dirait Gérard Genette. Cette donnée narrative se spécifie par la répétition en « n » fois de ce qui s'est passé une seule fois avec parfois quelques variantes stylistiques. Ainsi, dans Tropismes l'emploi fréquent de « toujours » ( T.16) est constitutif de ce procédé narratif. Il en est de même de l'usage répété du mot « mur » (T. 11,22,33,35,36... ). Dans Le Planétarium, « le psittacisme du récit constitue l'univers diégétique en objet sémantique et le décalage des ensembles signifiants les uns, par rapport aux autres ainsi que la dislocation du référent imposent la récurrence à la fois comme le mode et le matériau même du fonctionnement narratif »99(*). L'exemple de la « porte » (P. 9,10,11,12,13,14...) répétée vingt sept fois dans le premier chapitre non noté est illustratif à cet égard.

Tout compte fait, il reste qu'au-delà de ces attributs constitutifs de la narration, force est de souligner d'autres particularités narratives : le refus du psychologique et les pouvoirs de la description qui délimitent, à bien égards, notre champ d'investigation.

II-1 : REFUS DU PSYCHOLOGIQUE

Naguère maillon essentiel du récit traditionnel, la psychologie des personnages a dans Tropismes et Le Planétarium le profil bas du fait de la crise sociale consécutive à la Seconde Guerre Mondiale. Cette crise qui, ébranle toutes les caractéristiques de la psychologie traditionnelle, perturbe, dans cette perspective, le récit sarrautien.

En fait, dans le récit traditionnel « la psychologie la plus couramment admise, avec ses stéréotypes, la répartition traditionnelle des rôles sociaux et des comportements, qui sert de cadre à la plupart des romans réalistes et en assure la cohérence. Les prérogatives bourgeoises, la hiérarchie des sexes, les rapports de dominance assurent la vraisemblance de l'intrigue (...) »100(*).

Dans Tropismes et LePlanétarium, Nathalie Sarraute renonce à la synthèse destructrice de la psychologie traditionnelle en rejetant la notion de « traîtres » (T. 17), d' « égoïste » ( T.27), de « maniaque » ( P.27), d' « écorchés vifs » ( P. 23 ) etc., dans leurs tiroirs respectifs.

A ce titre, la romancière du Portrait d'un Inconnu, nous propose, à sa manière, d'en finir avec les chefs d'oeuvre traditionnels rejoignant ainsi Artaud qui affirme dans le texte du même titre :

« La psychologie qui s'acharne à réduire l'inconnu au connu, c'est-à-dire au quotidien et à l'ordinaire, est la cause de cet abaissement et de cette effrayante déperdition d'énergie qui me paraît bien arriver à son dernier terme »101(*).

On trouve d'ailleurs dans une autre oeuvre de Sarraute, disent les imbéciles, une savoureuse diatribe de cet art psychologisant qui risque si facilement de n'être plus dans le Nouveau Roman qu'une très artificielle conception littéraire. De la sorte, le récit n'en demeure pas moins une réflexion technique sur le statut moral des personnages du dix-neuvième siècle et peut se lire comme l'illustration d'un problème éthique u comme la parabole d'un cas psychologique.

Ce cas psychologique, source de tant de convoitises et d'usages fréquents, n'est plus d'actualité dans Tropismes et Le Planétarium en ce sens que qu'il «  né (...) de la condition de l'homme moderne, écrasé par une civilisation mécanique, « réduit, selon le mot de madame CL. Edm. Magny, au triple déterminisme de la faim, de la sexualité, de la classe sociale »102(*).

Si l'on considère cette assertion à la lumière de l'oeuvre balzacienne en général, en suivant encore les indications psychologiques que fournit l'auteur lorsqu'il caractérise, définit et juge les personnages du Père Goriot, l'on en infère que le récit sarrautien se joue matériellement de la psychologie. Car, le personnage, privé des oripeaux dérisoires dont il cherchait à se couvrir, laisse entrevoir les failles, par lesquelles le peut enfin accéder à ce qu'il sait être, intimement autrement dit son ultime vérité.

Ainsi, faut-il comprendre le principe qui préside à l'élaboration de l'oeuvre sarrautienne suivant un système duel opposant dessus et dessous, extérieur et intérieur, apparence et authenticité, « conversation et sous-conversation », surface et profondeur. De cette façon, Arnaud Rykner soutien :

« Nathalie Sarraute substitue à une littérature horizontale, fondée sur un parcours linéaire d'un début à une fin (le récit classique, qui vise à agencer le réel pour lui faire rendre sens) une littérature verticale, qui cherche à élucider les origines de ce réel. A l'historien succède l'archéologue, au géographe le spéléologue »103(*).

C'est dire que dans Tropismes et Le Planétarium, l'auteur de Martereau remet en question l'extériorité de la perception traditionnelle du personnage pour la recentrer dans la perspective d'un sujet qui l'investit de l'intérieur. En fait, le rejet de cette extériorité qui caractérisait les personnages traditionnels valide effectivement l'acte qu'on a appelé : refus du psychologique. Il se manifeste de diverses manières. Cette nouvelle technique d'écriture étiole la teneur aussi bien de la narration que du récit néo-romanesque.

De toute évidence, l'esthétique des Tropismes et du Planétarium s'inscrit, à première vue, dans une perspective qui rame à contre-courant de la psychologie traditionnelle axée sur l'identification avec exactitude des personnages en rapport avec leurs géniteurs ou aïeux. En d'autres termes, le comportement et les caractères de Rastignac ou d'Etienne Lantier respectivement dans Le Père Goriot et dans Germina104(*) de Zola sont ceux de leurs parents. Ce qui explique peut-être leur volonté manifeste de changer la condition des travailleurs ou d'instaurer la justice dans une société qui n'a yeux que pour l'iniquité.

Dans Tropismes, par exemple, Nathalie Sarraute fait table rase de l'éternelle tentation de la désignation des personnages à coups de désignateurs neutres, vides « Elles, Ils, Elle, Il ».

En fait, l'on remarque, en parcourant des yeux les micro-récits, ces « êtres de papier » indéfinissables qui apparaissent et disparaissent à la fois. Ils sont à l'image de cette poupée dont les dents et les yeux qui « à intervalles réguliers, s'allumaient, s'éteignaient, s'allumaient, s'éteignaient » (T.12). Dès lors, il en résulte une désagrégation ou une « dépersonnalisation de l'individu » comme dirait Michel Zéraffa.

Cette destruction du personnage traditionnel est consécutive à la situation absurde de la société moderne. Ce qui autorise les néo-romanciers ou plutôt Sarraute à atrophier le prisme du récit.

Dans cette logique de non-désignation des personnages, il est à noter que dans Le Planétarium le récit nomme ses « entrailles de papier » autrement. En effet, la narratrice amorce le récit par les pronoms anaphoriques (« elle », « il ») fonctionnant comme des automates. Elle ne les nomme qu'au terme du troisième récit. Il s'agit respectivement de Tante Berthe et d'Aalin Guimier.

Ce pari pris littéraire est signe que l'écriture sarrautienne se soucie moins de la fiche signalitique de l'état civil de ses personnages que de « l'éraflure psychologique » qui rompe les affinités parentales dont le récit traditionnel les dotait.

Ainsi, c'est à dessein de mettre à nu la déconstruction du récit que Jean Philippe Miraux insiste sur l'éraflure psychologique en affirmant :

« (...) La destabilisation du personnage romanesque provient de sa perte de crédibilité : Le personnage, porteur de l'intrigue, élément structural essentiel e l'espace romanesque, perd de sa puissance parce qu'il n'est plus représenté, au sens mimétique du terme (il a perdu progressivement tout ce qui le caractérisait : son portrait physique ou moral, son état civil, ses possessions et ses valeurs) et qu'il ne devient de plus en plus insaisissable, indéfinissable ».105(*)

De cette manière, c'est dire que dans Tropismes et Le Planétarium la traditionnelle entreprise du portrait visant, par un jeu étonnant d'arbitraire et de motivation péremptoires, à rendre compte de la totalité d'un individu et de l'intégrité de son action, est vouée à l'échec. Ce constat d'échec s'explique par le fait que « l'absurdité désagrégativiste de la conception psychologique du personnage, reste la seule vérité qui auréole la pensée des auteurs de cette période post-guerre ».106(*)

Au reste, on comprend mieux le titre Portrait d'un Inconnu si l'on se souvient que ce roman de données on ne peut plus communes : la description des causes et des effets de caprice. Nathalie Sarraute avoue même volontiers avoir voulu trouver une façon possible d'envisager à l'aube du second après-guerre, une version crédible d'un Grandet moderne.

Pour tenir une telle gageure, pour réussir, en définitive, à sortir de l'ornière d'une littérature qui, sevrée du souffle balzacien, épuisait l'héritage d'un vingtième siècle longtemps révolu, il fallait se débarrasser de son arme absolue mais si souvent nulle et non avenue : le personnage et sa psychologie bien entendu.

Ainsi, dans Tropismes et Le Planétarium, la psychologie se joue sur le plan du récit le rôle désaxé que joue le mot sur le plan de la parole et des relations interpersonnelles. L'un et l'autre fixent et tuent ce qu'ils prétendent définir et expliquer. Ce qui fait dire à l'essayiste de l'Ere du soupçon :

« [...] Les personnages, tels que le concevait le vieux roman (et tout le vieil appareil qui servait à le mettre en valeur), ne parviennent plus à contenir la réalité psychologique actuelle [...] ce qu'ils gagnent en vitalité facile et en vraisemblance, les états psychologiques auxquels ils servent de support le perdent en vérité profonde »107(*).

Autrement dit, le récit dans Tropismes et Le Planétarium ne saurait être narré de la même manière que le conçoivent les écrivains traditionnels. Que ce soit les personnages (« elles », « ils ») et les personnages d'Alain, de Germaine Lemaire, la forme extérieure dans laquelle ils s'inscrivent, ont perdu leur crédibilité une fois qu'on a touché du doigt la complexité psychologique qui les animent et les minent.

C'est affirmer que Sarraute le moi que l'on prétend emprisonner dans un tel cadre n'existe pas comme tel. Le "je" n'est qu'artifice, vue de l'esprit, construction du récit. En effet, le roman, disent les imbéciles,  nous offre un bel exemple :

« Oh je vous en prie, je vous assure, vous vous trompe... Moi je suis ... mais justement je ne suis pas ... Je vous l'ai toujours dit, il n'y a pas moyen de coïncider avec ça, avec ce vous que vous avez construit ... » (di. 68).

Ce "je" là, mis très souvent entre guillemets, n'est guère qu'une image simplificatrice, et donc mensongère, de la pluralité de "je" qui s'agite toujours en chacun des personnages du récit.. De l'aveu d'Arnaud Rykner :

« Il n'est que le lieu abstrait où grouille cette foule de voir auxquelles Sarraute donne la parole dans cet échange tragi-comique [...] il n'est plus qu'un trompe-l'oeil que chacun pousse devant « soi » pour affronter la société (...), un fallacieux assemblage d'éléments disparates qui finit par constituer un signe sans réfèrent possible »108(*).

En fait, à lire la façon dont la narratrice présente ses personnages tels par exemple ce "je"  menaçant du récit douze des Tropismes ou le personnage de Tante Berthe à propos de la porte, l'on en déduit qu'au psychologique traditionnel, à « l'inconscient freudien » Nathalie Sarraute préfère ce qu'elle nomme le « pré-conscient » : un moi pur encore informe, enfouis, à l'abri de toute logique du récit.

Par ailleurs, dans cette logique de destruction de l'extériorité psychologique des personnages des récits traditionnels, l'auteur du Portrait d'un Inconnu nous présente souvent des personnages aux contours bestiaires. En d'autres termes, l'univers imaginaire sarrautien est peuplé d'une multitude de figures animales qui achèvent d'arracher son écriture à une supposée cohérence du récit. De cette manière, dans Tropismes et Le Planétarium, l'être change de règne et se découvre un correspondant animal.

Dans Tropismes, par exemple, dès l'ouverture du texte, la narratrice met en scène ce groupe de personnages qui, sous la pression tropismique, se transforment en reptiles car « ils semblaient sourdre de partout (...) s'écoulaient doucement comme s'ils suintaient des murs, des arbres grillagés, des bancs, des trottoirs, des squares »  (T.11). En outre, le texte sarrautien, tel un fourmillant zoo, où chaque espèce serait représenté, nous offre au récit dix à travers cette expression « une volière pépiante » une métaphore filante qui renvoie aux « elles ». En effet, le verbiage inutile des femmes qui allaient dans les « thés » (T .63) fait penser au gazouillement des oiseaux.

Dans Le Planétarium, le refus du psychologique réside aussi dans la façon dont la narratrice apparente ses personnages à des animaux. Ainsi, derrière l'homme social, civilisé, bourgeois, poli par les us et coutumes, paraît la bête, sournoise et dangereuse qui fait entorse à la psychologie traditionnelle. Exemplaire est, à cet égard, le passage qui voit Alain tenir ces propos en se confiant à Gisèle :

«  Je me sens comme le renard poursuivi par les chasseurs ... tu sais, dans ce roman anglais ... on disait toujours que c'était toi mon renardeau, mais cette fois c'est moi qui suis traqué, je viens me réfugier, prends-moi dans tes bras... » (P.91).

Parfois même, cette brusque métamorphose est prise en charge non plus par le corps d'Alain Guimier mais, de façon plus étrange encore, par le langage du récit qui s'en détache. Sous la plume de Sarraute, une simple forme grammaticale peut faire surgir une des parties d'un oiseau c'est- à -dire son aile. La narratrice souligne propos de Germaine Lemaire :

« ... Son style toujours docile peut, quand il le faut, porté à l'incandescence, forer lentement une matière dire qui résiste, et, par moments, il peut glisser- un souffle, un frémissement, un coup d'aile qui effleure les choses sans courber leur duvet léger... »( P .156).

Cette nouvelle psychologie des personnages du récit sarrautien n'est pas sans rappeler une autre forme grammaticale qui fait sourdre un scorpion dans Les Fruits d'or :

«  Dans cet imparfait du subjonctif, appendice caudal un peu ridicule et encombrant, les plus fines ramifications de notre esprit viennent aboutir, comme les filets nerveux au bout d la queue redoutable du scorpion : sa pointe sensible s'étire, se détend, et pique vivement quelque chose, d'extrêmement tenu, de presque impalpable » (FO.31).

C'est affirmer que, si ,le mécanisme de la métaphore, est ici assez évident : C'est- à- dire la désinence verbale appelle l'appendice caudal, il n'en demeure pas moins que la violence générée par une telle image permet d'échapper aux détours de l'extériorité psychologique du récit, en rendant à l'instant même la fulgurance de l'émotion.

De même, la notion de masque qui déforme avec complaisance la psychologie habituelle acquiert, par une semblable transition de l'univers humain à un autre univers maquillé, un poids de réalité particulièrement remarquable  .Nathalie Sarraute souligne dans un passage du Portrait d'un Inconnu :

« Le masque c'est le mot que j'emploie toujours, bien qu'il ne convienne pas très exactement [...] » (PI.31).

Ainsi, lit-on dans Tropismes des yeux « indifférents glissant sur l'aspect, « sur le masque des choses » (T .64 ). De fait, aux êtres déguisés correspond un monde masqué, aussi légèrement qu'Emma Bovary valsant sur les paquets du marquis d'Andervillers.

Cette recherche d'osmose avec l'univers humain tire sa validité dans le récit qui rend compte de la volonté du père d'Alain visant à convaincre sa soeur, Tante berthe, de l'octroi d'un appartement, jugé très spacieux pour elle, à Alain et Gisèle. Avant de s'y rendre, l'on remarque que Pierre a pris judicieusement le soin de se pommader mieux de se masquer :

« [...] Il se sent poussé, tout pommadé, le long des rues propres et vides, ouvrant des portes bien graissées, avançant sans effort sur des tapis moelleux enveloppe d'une émolliente chaleur, porté par l'ascenseur qui glisse sur ses cylindres bien huilés »( P .13) .

De toute apparence, sa bru ou plutôt Gisèle lui attribue les qualités d'un beau-père généreux prompt à subvenir aux besoins de ses enfants à quelque prix que ce soit.

Toujours dans Le Planétarium, il est des personnages qui disposent d'une multitude de masques prêts à servir. Alain Guimier se plait à affirmer qu'il n'en a pas besoin quand il va chez son libraire préféré. En effet, il y entre avec « n'importe quel visage, dans n'importe quel état, n'importe quelle tenue, accompagné de n'importe qui » (P.13 ). Cette imprudence n'ira pas sans conséquence. La seule présence de son père, Pierre, déclenche le désastre. La Tante Berthe, elle, ne manque guère de prendre ses devants, son neveu reconnaît « son visage d'après-midi » quand elle vient lui rendre visite à la clinique. Même comportement des « ils », dans Tropismes, qui avaient « la liberté de faire ce qu'il voulait, de marcher comme ils voulaient, dans n'importe quel accoutrement, avec n'importe quel visage » (T.21).

En outre, pour rester dans cette dynamique de déconstruction du récit spécifique au Nouveau Roman, il convient de souligner que la psychologie des personnages sarrautiens se joue au niveau des masques qui inspirent la peur.

Ainsi, dans Tropismes, le personnage de « il » devient l'imminence du danger suscite un sentiment d'épouvante lorsqu'il observe cet « elle » masquée, « effrayante, douce et plate, toute lisse, et seuls ses yeux étaient protubérants » (T.57). Il en est de même du récit quinze dans lequel la narratrice met en lumière ce caractère carnavalesque d'une confrérie faisant fuir les personnages de « ils » :

«Leur humble confrérie aux visages à demi effacés et ternis se tenait autour de lui en cercle. Et quand ils le voyaient qui rampait honteusement pour essayer de se glisser entre eux, ils abaissaient vivement leurs mains entrelacées (...) » (T.140).

Dans et même ordre d'idées, cette forme de menace consécutive à la nouvelle psychologie sarrautienne est valable dans Le Planétarium. Dans ce texte, l'« éraflure psychologique », du récit relève du regard de l'autre. En effet, quand Alain Guimier surgit dans l'encoignure d'une porte, Tante Berthe entrevoit sur sa poitrine un carquois de « flèches bariolées » (P.176). Dès lors, Alain apparaît aux yeux de sa tante comme un indien menaçant, dangereux. Aussi, convient-il d'ajouter dans cette perspective inquiétante de la psychologie des personnages, la figure de l'ogre que hantentTropismes et Le Planétarium. Cette figure qui, « n'est plus une combinaison de sèmes fixés sur un Nom civil, et [que] la psychologie, le temps ne peuvent plus s'en emparer »109(*), apparaît par le truchement de l'adjectif « avide » qualifiant presque les personnages sarrautiens. Avide comme « elle » qui engloutit « gloutonne » tous les livres paraissant des « annales » à « l'union pour la vérité » (T.70). En effet, ce verbe « engloutir » trouve son importance dans un récit du Planétarium où la narratrice soutient à propos de Germaine Lemaire : « Tout est bon pour son immense appétit d'ogre » (P.158) qui fait si peur aux membres de son cercle littéraire qui « doivent se priver de tout ce qui est sain, fortifiant » (P. ibid). Ce qui fait dire à Françoise Calin :

« Germaine Lemaire est un dieu dévorateur. Les troupes fidèles de ce Cronos féminin ont pour mission de lui rapporter des proies « tièdes et palpitantes » qu'elle savoure à son aise »110(*).

Ce « montre hideux » (P.158) est craint par la quasi-totalité des personnages du Planétarium en l'occurrence Alain et Adrien Lebat qui préfère prendre ses distances. Car, « la psychologie » de Germaine Lemaire, « ... son dernier dada » (P.248) est de l'aveu de ces derniers, tombé en décrépitude.

En plus, à la lumière du traitement des personnages psychologiquement désagrégés, force est de noter que le thème du petit poucet et de ses êtres convoités par l'ogre trouve dans Tropismes bien des échos :

« Quand il était avec des êtres frais et jeunes, des êtres innocents, il éprouvait le besoin douloureux, irrésistible de les manipuler de ses doigtsinquiets, de les parler, de les rapprocher de soi le plus près possible, de se les approprier » ( T.51).

C'est dire que l'enfant est, dans le récit sarrautien, la cible privilégiée des ogres. Ce qui du reste interpelle la vigilance des parents qui, pour les protéger, font des enfants une copie d'eux-mêmes, un alter ego dont la seule présence serait l'assurance la plus sûre contre la frayeur.

En fait, la théâtralisation du thème de l'enfance qui, n'est pas sans évoquer le récit autobiographique : Enfance de Nathalie Sarraute, met en lumière une dénégation de la plénitude psychologique du récit. En effet, on sait pertinemment que l'enfant a une perception immédiate, fusionnelle de la réalité. Laquelle réalité est représentative du déficit psychologique. L'on est donc tenté de dire que la psychologie des enfants emprunte les contours d'un puzzle voire d'un kaléidoscope.

Dans cette veine subversive de la psychologie traditionnelle des personnages, convenons que les personnages spécifiques aux oeuvres romanesques de Sarraute créent leur masque à partir des clichés littéraires.

Ainsi, dans Tropismes, une des «  elles » ne voit la « cathédrale de chartres » qu'à travers les vers de Péguy. Il en est de même pour ces « ils » qui se prennent pour des bohémiens à l'image de « Rimbaud ou Proust, arrachés de la vie, rejetés hors de la vie et privés de soutien, devaient créer sans but le long des rues » (T. 77).

Aussi, remarque-t-on Alain dans Le Planétarium qui, regardant sa famille comme un écueil, un obstacle à ses ambitions littéraires, semble allier son destin à celui de Baudelaire ou de Rimbaud. Qui plus est, Alain se plait tantôt à déguiser sa Tante berthe en « impératrice Elisabeth » (P.200), tantôt en « masque grotesque et démodé de belle-mère de vaudeville » (P. 44).

Dès lors, le moins que l'on puisse dire est que la psychologie sarrautienne, en mettant en scène des personnages complètement désagrégés, métamorphosés, rompt et perturbe effectivement le découlement du récit. De ce fait, le récit ne saurait être «  un traité de psychologie » mais un antiroman. Cet état de fait n'a pas échappé à Jean Rousset qui affirme :

« (...) Il y a antiroman quand le roman se sent mauvaise conscience, qu'il se fait critique et autocritique, qu'il se met en état de rupture avec le roman existant ; le roman entre en crise : crise aujourd'hui du personnage, crise de « la psychologie », crise enfin du sujet, qui tend de plus en plus à se distinguer de l'oeuvre elle-même »111(*).

En d'autres termes, l'art du roman est invariablement subordonné à « une conception de la personne qui dicte à l'écrivain de choisir certaines formes et confère à l'oeuvre son sens le plus large et le plus profond, si cette conception se modifie, l'art du roman se transforme ».112(*)

Ainsi dans Tropismes et Le Planétarium, la complexité psychologique des personnages due à l'absurdité de la vie moderne génère des récits discontinus mieux déstructurés. Cela se justifie par le fait que ceux qui les narrent c'est-à-dire les narrateurs sont pour la plupart des aliénés, des innocents à la limite des fous. Ce qui n'autorisent pas bien entendu ces derniers à analyser ni à juger.

En réaction contre la psychologie traditionnelle, la nouvelle technique psychologique de Sarraute née, de prime abord, de la notion de « tropisme », marque donc un net refus du psychologique au profit d'une nette préférence pour le physiologique.

En prenant du recul, il est fréquent que les romanciers traditionnels s'emploient à reconstituer ce qui motivent les faits et gestes de leurs personnages conséquents et lucides, ou qu'ils traquent ce qui a pu les amener à avoir ensuite telle ou telle attitude.

Mais, « l'Ere nouvelle » (P.149)  insiste Sarraute, dans son approche de la psychologie, adopte une attitude radicalement opposée. Aussi, s'emploie-t-elle à bouleverser les conditions de création du récit mieux de la réception. En fait, la romancière en inventant ses personnages loufoques, fonde la constitution de ces derniers sur un déficit informatif qui nous fait rencontrer une décourageante désinvolture de l'auteur à l'égard de l'individu dont les données biographiques et psychologiques importent peu.

De ce point de vue la psychologie n'est plus tournée vers l'objet de l'observation, mais vers le sujet de la perception. Ainsi, dans Tropismes, qu'il s'agisse des « ils », « elles », c'est le portrait en creux qui se dessine à l'horizon. Autrement dit, on n'entrevoir que le comportement des personnages aliénés, innocents, errants, apte à faire un immense pouvoir de gommage mental.

Le personnage de "elle" en est un cas évident. Car  « le matin elle sautait de son lit très tôt, courait dans l'appartement, âcre, serrée, toute chargée de cris, de gestes, de halètements, de colère, de «scènes». Elle allait de chambre en chambre» (T.39).

De fait, la narratrice en mettant en scène ces « curieux et amusants loufoques » (T.76), leur interdit toute possibilité d'analyse. En effet, analyser suppose une forme de recul c'est-à-dire, prendre le passé comme objet, et le décomposer minutieusement. On s'attend alors à ce que les circonstances de chaque action soient soigneusement reconstituées : temps, lieu, personnage, action, récit. Or nous savons pertinemment que les déments tels par exemple ceux représentés dans Le Planétarium se singularisent par leur incapacité d'analyser distinctement les faits et gestes d'autres personnages.

La remarque faite par ce personnage anonyme, "il», à Germaine Lemaire à propos des errements d'Alain est illustrative :

« Tss ... Tss ... tu perds la tête, je t'assure c'est une simple coïncidence, je t'en réponds... Alain ne peut pas faire ça. C'est de la folie, il n'en est pas question, tu sais bien qu'il dit n'importe quoi quand il est furieux » (P.207).

D'ailleurs, Germaine Lemaire n'est pas la seule a perd la raison. Puisqu'un personnage souligne avec véhémence : « nous sommes tous fous » (P. 128). Aussi, faut-il renchérir que cette incapacité d'analyse des faits se lit à travers l'usage répétitif des termes négatifs comme ces « non , je ne sais pas, etc », essaimant les récits. Convoquons ce fragment de récit :

« Lestyle renaissance, très couru ? Ah ... eh bien, je ne le savais pas, vous êtes mieux renseigné que moi... mais, non... mais je n'y pensais même pas. Je regardais si je trouverais des membres ... une table, des chaises, voilà ce que je cherche. De n'importe quel style. Je ne suis pas très fixé » (P. 231-232).

De même, les histoires du récit sarrautien sont narrées du point de vue des « amorphes psychologiques ». C'est la raison pour laquelle, les souvenirs évoqués ne sont qu'une suite d'actions courtes, construites sur des verbes de mouvement : « Quand il était petit, la nuit il se dressait sur son lit, il appelait. Elles couraient, allumaient la lumière, elles prenaient dans leurs mains les linges blancs (...) » (T.116). En vérité, ce récit est significatif de l'écriture sarrautienne en ce sens qu'on ne perçoit aucun élément désignant l'intériorité des personnages sinon des éléments concrets « lit », « lingesblancs » et un sentiment de protection pris en charge par les « elles ». Ces objets évoquent la protection maternelle, l'abstrait, et le récit restitue remarquablement les impressions de l'enfant : une sensation diffuse de chaleur physique, qu'il ne sait à quoi attribuer, et dont les « elles » font partie. En résumé, l'on se rend bien compte qu'il n'y a pas d'analyse, ni capacité personnelle pour l'enfant à discerner d'où, de qui vient cette sensation de protection maternelle d'autant que plusieurs « elles » volent à son secours.

Cette attitude de l'enfant fait écho à la conception sarrautienne du récit selon laquelle la psychologie tout comme la psychanalyse ne sont plus d'actualité. Un personnage dans un passage du Planétarium semble le réaffirmer : « Oh non... de toutes parts s'élèvent des voix gémissantes... Non je vous en supplie, assez de psychanalyse, de psychologie, ce n'est pas intéressant » (P.194).

En dernière analyse, tout porte à croire que mis à part l'incapacité des personnages à analyser les faits et gestes, une autre entité constitutive du refus psychologique semble être en vue dans l'armature du récit : le refus de juger.

On peut croire que cette attitude béate est la conséquence d'un moment de bonheur qu'éprouvent certains personnages à l'égard de leurs parents. Ce sentiment de bonheur les empêche parfois de saisir la situation, de juger ces derniers. C'est dire qu'aux jugements négatifs se substituent des points de vue élogieux. L'attitude de « elle » dans Tropismes est révélatrice :

« Elle aimait tant les vieux messieurs comme lui, avec qui on pouvait parler, ils comprenaient tant de choses, ils connaissaient la vie, ils avaient fréquenté des gens intéressants. (elle savait qu'il avait été l'ami de Felix Faure et qu'il avait baisé la main de l'Impératrice Eugénie) » (T. 93).

En d'autres termes, ces personnages généralement des enfants innocents perçoivent leurs parents de façon plus physique que morale et s'en remettent aux données de la perception immédiate. Alain dans Le Planétarium semble s'inscrire dans cette dynamique. En effet, au milieu de la page blanche, il imprime sur la place réservée aux dédicaces de sa « thèse de lettres » cette expression : « Amon père, en caractères fins » (P.121-122). Cette marque de sympathie témoigne d'un refus de juger son père quoiqu'il soit antérieurement hostile à ses ambitions. En outre, dans bien des cas, son père se rechigne aussi à juger son fils. D'où ces multiples questions qu'il se pose au cours d'un entretien avec Tante Berthe :

« Alors, et Alain ? Ses insomnies ? Ses compositions ? Sa paresse ? Ses mensonges ? Ses végétations ? Et ses ongles ? (...) » (P.145).

Du reste, il semble illusoire de vouloir juger ces personnages indéfinissables, insaisissables dans la mesure où tout bouge à chaque instant, tout chancèle au détriment du lecteur non averti. Par conséquent, il est pratiquement « impossible de s'y reconnaître, de rien nommer, de rien classer. Impossible de juger » (P.58). C'est ainsi que la narratrice souligne l'attitude de Germaine Lemaire à l'encontre de la justice et d'Alain Guimier :

« Elle se moque de la justice. Elle ne porte aucun jugement. Il n'a été pour elle, il le sait bien, qu'un caprice, un amusement : une pierre qu'elle a ramassée et jetée dans l'eau pour la voir ricocher. Quelques rides, un léger clapotis. Il a disparu. Elle va prendre un autre caillou » (P.135-136).

C'est affirmer qu'avec l'auteur d'Entre la vie et la mort toute psychologie et toute capacité de juger et d'analyser sont rejetées au nom du respect de la tonalité des loques humaines, au profit d'éléments plus primaires, plus essentiels : c'est la sensation, et non la réflexion ou plutôt le jugement, qui prime chez les personnages désagrégés.

En définitive, si toute analyse et tout jugement sont voués à l'échec dans l'architecture du récit, quelle serait alors la teneur des descriptions dans Tropismes et le Planétarium ?

III-2 : POUVOIRS DE LA DESCRIPTION

On sait depuis l'Ere du soupçon de Nathalie Sarraute que le moteur de la production littéraire est à la fois la création et la recherche de la nouveauté dans le paysage littéraire. Ce qui oriente les écrivains appartenant à cette sphère de la production vers une remise en cause constante des normes d'écriture antérieurement composées. Ainsi dans cet élan de déconstruction du récit traditionnel, la description n'est pas en reste.

Procédure représentative et cardinale, tout comme la narration, la description consiste à théâtraliser ce qui se situe dans l'espace : les objets, les personnages, etc,. Tel est le constat de Gérard genette dans Figures II qui énonce :

« Tout récit comporte en effet, quoique intimement mêlées et en proportions très variables, d'une part des représentations d'actions, et d'événements, qui constituent la narration proprement dite, et d'autre part des représentations d'objets ou de personnages qui sont le fait de ce que l'on nomme aujourd'hui la description »113(*).

En fait, dans le récit traditionnel, la description se veut une représentation réaliste c'est-à-dire que le narrateur s'emploie non seulement à montrer le monde tel qu'il est mais aussi et surtout à faire valoir la fonction didactique de tout passage descriptif.

Inversement, dans le récit moderne plus particulièrement dans Tropismes et Le Planétarium la description réaliste est profondément subvertie. Cette remise en question de ce procédé narratif exprime de l'aveu de Sarraute et les autres néo-romanciers, l'idée que la description objective est moins crédible que celle communément appelée subjective.

Cette nouvelle trouvaille néo-romanesque débouche bien entendu dans la pratique récurrente de la description focalisée gouvernée par le regard d'un ou des personnages. Dans Tropismes par exemple, le récit et la description du texte liminaire passant par les regards des « ils » qui autorisent le lecteur à partager leurs perceptions, leurs émotions et leurs pensées :

« Ils regardaient longtemps, sans bouger, ils restaient là, offerts, devant les vitrines, ils reportaient toujours à l'intervalle suivant le moment de s'éloigner. Et les petits enfants tranquilles qui leur donnaient la main, fatigués de regarder, distraits, patiemment auprès d'eux, attendaient » ( T.12).

C'est dire que l'auteur du Portrait d'un Inconnu décrit les drames intérieurs plus que des situations ou des actes. Tel semble être le credo sarrautien.

Dans le Planétarium, le regard ou plutôt la perception semble être le lieu privilégié de la description. On remarque qu'à chaque fois qu'un personnage regarde l'autre, il essaye de décrire intérieurement son état d'esprit. Cette intériorité des personnages est signalée par la marque des guillemets (« ... »). Convoquons, à titre d'exemples, ces passages constitutifs de la description focalisée :

« ... La femme aux grosses joues coupe-rosées la regarde de ses yeux très brillants, un peu exorbités... « Ah, ma petite enfant, mon mari préparait son internat quand nous nous sommes mariés, et maintenant, vous voyez... » » (P.57).

Le récit réitère dans cette veine :

« Il s'était écarté d'elle pour mieux la regarder, sa lèvre s'était incurvée en cette moue méprisante qu'il a ...  « a quoi rêvent les jeunes filles ? c'est à que tu penses ... Quelle perspective réjouissante de me voir un jour, chauve et vent ripostent (... ) » » (P.65 ).

Cette conception d'Alain à l'égard de Gisèle laisse pressentir des caractéristiques représentatives de la description corporelle (« lèvre... incurée », « chauve et ventripotents »).

Aussi, dans la volonté manifeste de consumer l'intrigue traditionnelle, l'écriture sarrautienne se voit-elle contrainte de mettre en pratique l'hypertrophie descriptive. Cette prolifération des descriptions ouvre un nouveau champ de recherche dans le récit néo-romanesque. Ce qui explique peut-être l'autonomie du récit à l'encontre de la narration.

En fait, si, dans le roman traditionnel, la description est « le simple auxiliaire du récit », dans Tropismes et Le Planétarium elle s'émancipe de telle sorte que la distinction entre description / narration tend à s'éclipser. Ce pouvoir de la description n'a pas échappé à Gérard Genette qui soutient :

« Certaines formes du roman contemporain (...) sont apparues tout d'abord comme des tentatives pour libérer le mode descriptif de la Tyrannie du récit (...) »114(*)

Autrement dit, les descriptions sarrautiennes apparaissent comme arbitraires, longues, prenant la place du récit et de personnages sans attache extérieure avec eux lorsqu'ils voient le jour. Ainsi les trois premiers textes de Tropismes inscrivent le récit dans une dynamique descriptive qui déploie telle une pieuvre des éléments constitutifs de la description moderne. Ceux-ci se manifestent par le foisonnement des objets essaimant tout le champ narratif. C'est le cas par exemple du « mur » (T. 11,18,33,35,47... )», des « thés » (T.63,64,...) de la « porte » (T. 23,34,39... ).

Dans Le Planétarium, Sarraute amorce le récit sur une description devenue fameuse d'une poignée de porte « dans l'épaisseur du mur au fond du cloître » (P.9). Cette longue description qui rend compte de la bêtise de Tante Berthe, occupe presque les trente premières pages. Car la narratrice souligne : « Elle est là, le nez sur les objets ... pourquoi ne pas changer les poignées, boucler les trous ? » (P. 31-32 ).

Ainsi le récit n'est plus armature autour de laquelle se dresse une histoire ou des personnages mais un univers chosiste s'imbriquant dans des passages descriptifs. En d'autres termes Sarraute opère un lieu essentiel de rupture avec les procédures descriptives traditionnelles en rendant compte de l' « être-là » des choses sans feindre qu'elles nouent avec les personnages une quelconque relation. Ce qui homologue l'absence des effets de métaphores et de l'hypallage en particulier qui tissent une relation anthropomorphique, anthropocentrique avec les objets et les lieux.

De ce point de vue, l'humanisme ne saurait se confondre avec l'anthropocentrisme en ce sens que les choses sont décrites telles quelles.

Alain Robbe-Grillet, toujours prompt à démonter les mécanismes de la production textuelle, souligne fréquemment les failles du procédé descriptif traditionnel. Tel est le passage de Pour un nouveau roman :

« La description servait à situer les grandes lignes d'un décor, puis à en éclairer quelques éléments particulièrement révélateurs, elle ne parle plus que d'objets insignifiants, où qu'elle s'attache à rendre tels ... »115(*).

En vérité, dans le récit traditionnel plus particulièrement chez Balzac, on semble lire l'existence d'un lieu étroit entre le cadre de l'histoire et les personnages. Cela se justifie, dans ses incipit romanesques, par l'usage de descriptions du milieu ambiant, totalité censée expliquer indiciellement le statut ou le comportement des personnages représentés comme la synecdoque de l'ensemble. Ainsi dans Le Père Goriot la description de la pension Vauquer est l'isotopie de la dégénérescence qui glisse de l'espace, à ses pensionnaires. Qu'on relise cette séquence consacrée à Mme Vauquer :

« Mme Vauquer respire l'air chaudement fétide sans être écoeurée. Sa figure fraîche comme une première gelée d'automne, ses yeux ridés, dont l'expression passe du sourire prescrit aux danseuses à l'amer renfrognement de l'escompteur, enfin toute sa personne explique la pension, comme la pension implique sa personne. Le pagne ne va pas sans l'argousin, vous n'imaginez pas l'un sans l'autre »116(*)

En revanche dans Tropismes et Le Planétarium entre la diégèse du récit et les personnages s'institue un grand fossé qui foisonne en descriptions minutieuses.

Dans Tropismes, les multitudes de détails comme la description des « murs, des arbres grillagés, des bancs, des toilettes sales, des squares » ( T. 11) s'imbriquant pour éclaircir une disposition des lieux dans laquelle le lecteur peine à tirer son épingle du jeu. En effet, ces objets ne sont nullement l'émanation des comportements de ces personnages errants.

Dans Le Planétarium, la prolifération d'objets désignés à l'aide d'un lexique invariablement lié à l'évocation d'un instant précis conforte l'invasion de la description dans l'architecture du récit. Tel est le cas de l'incipit du roman :

«  (...Ce rideau de velours, un velours très épais, du velours, de laine de première qualité, d'un vert profond, sobre et discret ... et d'un ton chaud, en même temps lumineux... une merveille contre ce mur beige aux reflets dorés... Et ce mur... Quelle réussite. On dirait une peau ... Il a la douceur d'une peau de chamois... Il fut toujours exiger ce pochage extrêmement fin, les grains minuscules font comme un duvet... » (P.7).

Dans cet extrait descriptif, ni le « rideau » ni le « mur » ne présente aucun lien direct avec les « manies » de la Tante Berthe. De cette façon, c'est dire que ces descriptions qui, s'attardent sur ces objets pris dans leur simultanéité, surprennent « le cours du temps et contribuent à éclater le récit dans l'espace »117(*). La description de ces objets de façon simultanée est rendue possible grâce à la marque du présent de narration voilant, par voie de conséquence, la ligne de démarcation classique récit / description « qui reposait en partie sur une opposition temporelle »118(*) . En plus, l'on est même tenté de dire que l'emploi systématique du présent de narration dans le Nouveau Roman ou plutôt dans Tropismes et Le Planétarium conduit le récit à vaciller entre la diégèse et la narration. Voici, en toute clarté, l'avis de Gérard Genette :

« Tout se passe comme si l'emploi du présent d l'indicatif en rapprochant les instances, avait pour but de rompre leur équilibre et de permettre à l'ensemble, de basculer soit du côté de l'histoire, soit du côté de la narration, c'est-à-dire du discours »119(*).

De même, si, dans le récit traditionnel, la description des objets se caractérise par la notion de certitude qui enrobe aussi bien l'action et les personnages, dans Tropismes et Le Planétarium, en revanche, elle apparaît sous un jour incertain. Autrement dit, à cette extrême description méticuleuse des objets se dressent des extraits descriptifs marqués par l'incertitude.

Dans Tropismes le doute mine le descripteur en proie à la fatigue mieux aux déformations dues à la mémoire ou à l'imagination. Convoquons ce récit représentatif de la description de l' «  Exposition » :

« Oui, Oui évidemment, elle était allé voir l'Exposition (ce n'était rien, il ne devait pas faire attention, ce n'était rien, elle écarterait tout cela d'un revers de la main), elle y était allée un de ces dimanches après-midi, où l'on ne sait jamais que faire » (T.46).

Dans cet exemple l'usage des termes négatifs encadrés par les parenthèses cautionne l'idée selon laquelle le récit sarrautien confine toujours à la contradiction. Laquelle contradiction se lit à travers ce « Non vraiment » (P.7) qui engage LePlanétarium et jalonne les descriptions. D'ailleurs, rien qu'avec l'adverbe « vrai/ment » on semble décrypter une double lecture de la vérité et du mensonge. De ce point de vue « le récit ne peut plus avancer qu'en interrompant lui-même l'alternance est ainsi une machine à fabriquer des mises en suspen »120(*)qui obligent le lecteur à se maintenir constamment dans l'indécision. Ainsi dans la volonté de détruire le postulat de réalité qui commande les descriptions traditionnelles, Francise Dugast-Portes soutient en ces termes :

« La description n'est plus destinée à cautionner les autres aspects du récit par l'établissement de circonstants vérifiables ou vraisemblables. Mais paradoxalement, elle devient autonome dans sa capacité génératrice et l'appel qui est fait au préreprésenté »121(*).

De ce fait, le récit qui n'impose plus sa loi la description, est fait, de l'aveu de Robbe-Grillet, de telle manière que toute tentative de reconstitution d'une chronologie extérieure mène tôt ou tard à série de contradictions ou à une impasse.

Par ailleurs, il urge de signaler que l'appel au préreprésenté dérive des textes, des lieux et des objets rappelant d'autres oeuvres, loin des descriptions destinées à créer l'illusion référentielle. Ainsi Nathalie Sarraute, pour ce faire, convoque la notion d'intertextualité qui fait date dans Tropismes et Le Planétarium.

Dans Tropismes, par exemple, l'assemblage tire sa validité lorsque la narratrice, inscrit dans ledit texte les « clochettes » auxquelles elle emprunte au « conte d'Hoffmann » :

« (...) des clochettes, comme dans un contre d'Hoffmann, des milliers de clochettes à la note claire comme sa voix virginale se mettraient en branle » (T.88).

Dans Le Planétarium le contentieux qui oppose Alain à Gisèle à propos des commodités de conversation (« les bergères Louis XV » (P.64) ; «  Les fauteuils de cuir »  (P.70)) est l'occasion pour la narratrice d'insérer un objet descriptif issu du dix-huitième siècle et estampillé « Voltaire ». Ce passage est significatif à cet égard :

« Là, grosse bête, non pas celle-ci, voyons, c'est un fauteuil Voltaire, non là, tendue de soie rose pâle, la bergère... » (P.61).

En outre, on aura repère au passage, entre autres, l'allusion à « ce poème de Rimbaud » (P.65) ou celui de Baudelaire : « L'invitation au voyage ». En effet, le récit intègre au plan intertextuel quelque peu l'attirail des objets et des lieux du recueil intitulé Les Fleurs du mal. Les éléments sont réparables au fil de cette citation : « Elle, répondant à toutes invitations au voyage : et le bureau ? » (P.65-66).

Dès lors, il ressort de ces exemples constitutifs de l'intertextualité une description qui, dépouillée de sa fonction habituelle par référence au réel, convoque l'interprétation du lecteur qui se doit de créer son propre univers. Cependant la création d'un tel univers imaginaire confère à la description tantôt des échos fantastiques, tantôt des résonances poétiques.

Rappelons-nous dans Tropismes la manière dont on découvre les évocations minutieuses de « thés » (salons de thés) à l'intérieur desquels on semble lire « des scènes lamentables, des disputes à propos de rien » (T.64). Ces descriptions suscitent autant qu'elles accompagnent l'oisiveté des femmes tout en constituant des motifs récurrents (« Elles allaient dans les thés ») sources de poésie. Le Planétarium est sur ce point un bon exemple des virtualités de l'écriture poétique due en grande partie par la description des « carottes râpées » qui reviennent comme un leitmotiv :

« Mon gendre aime les carottes râpées. Monsieur Alain adore ça. Surtout n'oubliez pas de faire des carottes râpées pour Monsieur Alain. Bien tendres... des carottes nouvelles ... Les carottes sont-elles assez tendres pour Monsieur Alain ? » (P, 98).

La répétition, dans cet extrait descriptif, du substantif « carottes » doit amener à le réduire à la seule apologie d'un Nouveau Roman opposé au roman traditionnel. C'est dire que le récit sarrautien est une recherche complexe où l'attention portée sur la forme du message comme disait Jakobson, s'impose à son destinataire.

Du reste, si, dans le roman traditionnel,  le traitement de l'espace équivaut à examiner les techniques et les enjeux de la description réaliste, dans Tropismes et Le Planétarium Nathalie Sarraute nie cette démarche, que ce soit sous sa forme romantique ou sous sa forme positiviste. En fait, ce serait un truisme de dire que la description consiste, au sens propre du terme, en son insertion, son fonctionnement et sa fonction.

Commençons par le premier point relatif à l'insertion de la description. De l'avis de Vincent Jouve l'approche de l'insertion de la description consiste dans trois problématiques : « Comment est désigné le sujet  décrit ? La description est-elle motivée ? Son apparition dans le récit correspond-elle à une nécessité interne à l'histoire ?»122(*).

En fait, dans le roman traditionnel, la désignation du thème-titre s'opère par ancrage consistant à mettre en lumière le sujet de la description tout au début du passage descriptif. De cette évidence, témoignent les oeuvres réalistes comme celles de Balzac bien évidemment. Convoquons cet exemple tiré de La Cousine Bette :

« Le milord arrêta dans la partie de la rue comprise de Bellechasse et la rue de Bourgogne, à la porte d'une grande maison nouvellement bâtie sur une portion de la cour d'un vieil hôtel à jardin »123(*).

En effet, dans ce passage descriptif le thème-titre est sans nul doute « le milord » relevant d'une désignation par ancrage qui aide à la compréhension immédiate. En d'autres termes, la description balzacienne, privée de tout effet d'ambiguïté ou de « suspens est donnée comme intelligible ».

Mais Sarraute semble, dans la perspective néo-romanesque, privilégier la désignation par affection qui consiste à différer l'indication du thème-titre. Celui-ci ne verra le jour une fois la description terminée. Ainsi, dans LePlanétarium l'on remarque l'ensemble des personnages sont désignés par affectation. Songeons par exemple à cet « elle [qui] erre misérablement au milieu des décombres, recherche de vieux débris » (P.14-15) et à qui la narratrice nommera cinquante pages après sous le nom de « la vieille Tante Berthe... » ( P.51 ). La même description est valable pour le personnage de « il » qui sera aussi identifié à la quarante troisième page sous le nom d'Alain. Aussi, n'est-il pas étonnant de lire dans cette technique descriptive du récit un effet de suspens qui maintient l'attention du lecteur en éveil. Une telle disposition de la description est particulièrement efficace pour créer la surprise ou l'opacité dont Tropismes illustre parfaitement. Car, les « ils » décrits dès l'incipit mettent le lecteur dans le doute : il ne sait nullement s'il s'agit des enfants, des adultes, des vieux. Il le saura lorsqu'il parcourt des yeux les quatre-vingt-treize pages du récit :

« « Ah ! Ces vieux os, on se fait vieux. Ah ! Ah !.  Et ils faisaient entendre leur craquement » (T.100 ).

Néanmoins il faut comprendre que la description sarrautrienne en réaction contre celle de facture balzacienne, ne s'interrompt guère une fois mise en branle. En clair, la description dans Tropismes et Le Planétarium se veut pérenne. Autrement dit, elle situe aussi bien au début qu'à la Clausule du récit. D'où son autonomie qui suscite un certain dynamisme consistant à accroître des séquences descriptives qui s'imbriquent en créant une relation de simultanéité des actions. Falou Bane dira :

«  (...) Loin de cantonner la description dans l'immobilité du récit, le Nouveau Roman en fait un élément dynamique, un moyen d'invention de la matière romanesque »124(*).

De ce fait, le récit néo-romanesque ne saurait être construit sur le socle de la motivation des passages descriptifs qui est une constante pour les romans réalistes. On sait, de toute évidence, que les romanciers réalistes s'emploient à mettre la description sur le compte d'un personnage. Tandis que dans le Nouveau Roman la description est centrée sur les objets du récit. De l'avis de Jean Ricardou «  ces objets décrits se trouvent investis d'une importance particulière (...) »125(*).

Ainsi, la description au lieu de consister, comme l'estime Philippe Hamon dans Introduction à l'analyse du descriptif, en une séquence  type de cinq phases (personnage qualifié + Notation d'une suspension dans le récit + verbe de perception, de communication ou d'action + Mention d'un lieu propice + objet à décrire) dont le rôle est de motiver l'insertion d'un passage descriptif dans le récit, elle enfreint dans Tropismes et Le Planétarium «  les hiérarchies convenues »126(*). Autrement dit, Nathalie Sarraute se démarque de cette tendance en ce sens qu'on ne rencontre pas dans ses récits des personnages qualifiés capables d'être attentifs à un endroit qu'ils découvrent. Ce qui les pousse à cultiver l'ignorance, l'hésitation :

« L'Angleterre ... Ah ! oui ! L'Angleterre... Shakespeare ?

Hein ? Hein? Shakespeare. Dickens. Je me souviens, tenez, quand j'étais jeune, je m'étais amusé à traduire du Dickens. Thackeray. Vous connaissez Thackeray ? Th...Th... c'est bien comme cela qu'ils prononcent ?Hein ? Thackeray ?C'est bien cela ? C'est bien cela qu'on dit ? ( T . 94)

De même, dans ce passage descriptif du Planétarium :

« Unemaniaque voilà tout ... la forêt luxuriante où il les conduisait, la forêt vierge où ils avançaient, étonnés, vers il ne sait quelles étranges contrées, quelles faunes inconnues, quels rites secrets (...) »(P.57), l'on remarque que l'auteur de Martereau ne respecte pas la thèse de Philippe Hamon. D'abord nous savons pertinemment qu'une personne maniaque est la négation d'un personnage qualifié. Ensuite que la motivation d'une suspension dans le récit est sans valeur. La narratrice ne met qu'à découvert la motivation d'Alain c'est-à-dire sa curiosité, son réflexe professionnel.

Partant de cette remarque, force est de noter que la remise en question de cette technique représentative de la description traditionnelle, se substitue une nouvelle description axée sur l'objet. La description de cet objet consiste, de l'aveu de Jean Ricardou, en trois catégories : la situation (l'espace-temps), les qualités et les éléments. Ces données narratives expriment le fonctionnement de la description dans Tropismes et Le Planétarium. En effet, dans ces deux textes, on décrypte un goût exacerbé du descripteur pour des minuties. C'est ce que Jean Ricardou appelle « le vertige de l'exhaustif »127(*). Qu'on se rappelle ce passage descriptif extrait des Tropismes :

« Ainsi il professait au collège de France. Et partout alentour, dans les facultés avoisinantes, aux cours de littérature, de droit, d'histoire ou de philosophie, à l'institut et au palis, dans les autobus, les métros, dans toutes les administrations, l'homme sensé, l'homme normal, l'homme actif, l'homme digne et sain, l'homme fort triomphait (T.76-77). Cette minute descriptive relève, non pas d'une façon de voir, mais d'une manière décrire. Elle met en exergue ouplutôt détermine la situation du récit à travers l'évocation de l'espace-temps (« collège de France... dans les autobus, les métros »).

En fait, il faut convenir que, les autobus, les métros tout comme le train dans La Modification de Michel Butor jouent le rôle de médiateur, de jonction entre les deux catégories du récit : l'espace-temps.

De la même manière, il ressort de ce passage descriptif des qualités ou plutôt de « nouvelles parenthèses qualitatives » telles « sensé, normal, actif, digne et sain » qui qualifient ce professeur. Cet exemple n'est pas sans rappeler celui tiré en ce début de Vous les entendez ?

« Des rires argentins. Des rires cristallins. Un peu trop ? Un peu comme des rires de théâtre ? Non, peut-être pas... si tout de même, on dirait qu'il est possible de déceler ... Mais non, voilà une légère explosion, de celles qu'on ne peut pas empêcher ... »  (VE.12).

Dans cette perspective, Le Planétarium semble créditer cette procédure descriptive qui est effectivement systématique dans le Nouveau Roman. Dans le récit liminaire consacré, en grande partie, à la « porte », on note une rafale d'adjectifs qualificatifs : « petite, vitrée, avale, arrondie, belle, vraie... » (P.7-19 ). En outre, dans ce même récit nous remarquons une mise en pratique de la description qui s'attèle à inscrire jusqu'aux couleurs superposées des rideaux qui, tels des caméléons épousent tantôt les propriétés d'un « velours  très épais, du velours de laine de première qualité, d'un vert profond, sobre et discret ... » (P.7), tantôt deviennent simples : « c'est ce rideau vert sur ce beige... » (P.8 )

En réalité, ce métissage des couleurs apparaît aux yeux de la narratrice comme « bizarres, déconcertantes, même franchement laides, choquantes » ( P.8 ). Par l'invasion de ces « parenthèses intégrées » (épithètes, attributs...) la description se présente dès lors comme « une machine à enliser le récit »128(*). En termes plus clairs, si dans le récit traditionnel, les écrivains de l' « euphorie diégétique » s'emploient à pulluler les actions à l'intérieur des descriptions, les nouveaux romanciers, en l'occurrence Nathalie Sarraute se plaisent à foisonner les descriptions dans les actions apparemment inexistantes. C'est dire que la prolifération des descriptions sur un objet principal n'occultera pas, dans une certaine mesure, les éléments, j'allais dire, les « objets secondaires intérieurs »129(*)

Dans Tropismes essayons d'analyser ce passage :

« « On vous appelle. Vous n'entendez donc pas ? Le téléphone. La porte. Il y a un courant d'air. Vous n'avez pas fermé la porte, la porte d'entrée ! » une porte avait claqué » ( T.41).

Cet exemple constitutif de la description néo-romanesque, renferme en son sein un objet principal à savoir la « porte » répétée quatre fois. Certes il est le plus manifeste, mais il n'en demeure pas moins que les autres objets(« téléphone », courant d'air ») signalant leur présence et jouent de facto le rôle de premier plan. En un mot, dans Tropismes, « au niveau de la ligne descriptive, il n'y a jamais d'objets secondaires : la description porte tout au premier plan »130(*). Ce qui autorise la narratrice à alterner une kyrielle d'objets autonomes dans l'épaisseur d'un quelconque passage descriptif.

Ainsi dans Le Planétarium, le récit consacré à la description de Madame Tussaud est très illustratif à cet égard :

« Mais alors, tout ce qu'elle a aimé, tous ces trésors qui lui ontété confiés depuis toujours, à elle, l'enfant prédestinée, et qu'elle a recueillis, préservés en elle avec une si grande piété, avec une telle ferveur ... Les visages, les gestes, les paroles, les nuances des sentiments, les nuages, la couleur du ciel,les arbres et leurs failles, leurs cimes mouvantes, les fleurs, les oiseau, les troupeaux, le sable des plages la poussière des chemins, les champs de blé, les meules de foin au soleil, les pierres, le lit des ruisseaux, la crête des collines dans le lointain, la ligne ondulante des vieux toits, les maisons, les clochers, les rues, les villes, les fleuves, les mers, tous les sons, toutes les formes, toutes les couleurs contenaient ce venin, dégageaient ce parfum mortel :  Madame Tussaud »  (P.156).

Ce tableau descriptif qui s'apparente à un puzzle provoque un enlisement du récit. Cet enlisement est, selon Jean Ricardou, la conséquence de l'échelonnement du simultané au successif. De ce fait, il souligne : « le récit s'enlise, de rupture en rupture, dans l'épaisseur labyrinthique du contemporain »131(*). Donc il n'est pas étonnant que la description néo-romanesque soit présentée comme une rupture avec la description réaliste mieux la description à fonction représentative.

En dernière analyse, s'il est des tenants de la description représentative, d'autres au contraire comme « les écrivains de la contestation diégétique » jugent nécessaire de rompre avec les techniques descriptives héritées du roman traditionnel. Ainsi, Nathalie Sarraute et la quasi-totalité des néo-romanciers mettent en pratique dans leurs romans une nouvelle technique de description baptisée : Description productrice ou créatrice.

En fait, dans le roman traditionnel, les théoriciens réalistes s'attèlent à assigner à la description représentative trois fonctions essentielles : une fonction mathésique (diffusion du savoir), une fonction mimésique (construction d'une représentation) et une fonction sémiosique ( régulation du sens).

Mais les néo-romanciers au premier rang desquels l'auteur du Portrait d'un Inconnu cherchent, de façon radicale, à se démarquer de cette esthétique qui n'est plus de mise. De cette façon, dans Tropismes et LePlanétarium, Sarraute au nom de préoccupations esthétiques et en fonction de l'affirmation de la subjectivité de toute activité perceptive, remet en question principalement les fonctions mathésiques et mimésiques des descriptions. Celles-ci consistent respectivement, selon Jean Michel Adam dans Le Texte descriptif, à disposer à l'intérieur du récit les savoirs de l'auteur qu'ils proviennent de ses enquêtes ou de ses lectures et à verbaliser des données référentielles de l'énoncé s'opérant textuellement par le biais de description qui, dans un récit, encadrent ou alternent avec les séquences narratives.

C'est dans cet esprit qu'Alain Robbe-Grillet, dans Pour un nouveau roman, cloue au pilori l'écriture réaliste pour avoir constitué la cohérence de ses fictions sur des conceptions explicatives du monde qu'elles illustrent, et de donner l'illusion, d'une prétendue association de l'univers réel avec le monde réel de référence :

« Reconnaissons d'abord que la description n'est pas une invention moderne. Le grand roman, français du XIXe siècle en particulier, Balzac en tête en regorge [...]. Il est certain que ces descriptions-là ont pour but de faire voir et qu'elles y réussissent. Il s'agissait alors, le plus souvent, de planter un décor, de définir le cadre de l'action, de présenter l'apparence physique des protagonistes. Le poids des choses ainsi posées de façon précise constituait un univers stable et sûr, auquel on pouvait ensuite se référer, et qui garantissait par sa ressemblance avec le monde réel l'authenticité des événements [...] le foisonnement de ces détails justes auquel il semblait que l'on puisse indéfiniment puiser, tout cela ne pouvait que convaincre de l'existence objective - hors de la littérature - d'un monde que le romancier paraissait seulement reproduire, copier, transmettre à un quelconque document »132(*).

En revanche, l'effet antiréaliste de la description consiste, à première vue, pour Nathalie Sarraute, à dévoiler l'artifice langagier. Tel est le rôle des inventaires de prédicats qui s'achèvent par des points de suspension. Ce fragment de récit tiré des Tropismes est convaicant :

« Et rien que l'héritage de tante Joséphine ... Non... Comment voulez-vous ? Il ne l'épousera pas. C'est une femme d'intérieur qu'il lui faut, il ne s'en rend pas compte lui-même. Mais non, je vous le dis. C'est une femme d'intérieur qu'il faut ... d'intérieur ... D'intérieur ... » (T. 64).

Dans Le Planétarium les points de suspension essaiment le texte en se fondant tantôt sur des corrections, tantôt sur des hésitations ou des ajouts. Qu'on se rappelle cet extrait dialogique :

« - Un lapsus ! hi, hi, vous avez fait un lapsus.

- Quel lapsus, chère Madame ?

- Eh bien vous avez dit " elle" en parlant d'Alain.... Petite voix pointue comme cri de souris ... Si, si... petite rire ... j'ai entendu, vous l'avez dit ...

- Non, j'ai dit "il"

- Vous avez dit " elle" ... sans vous rendre compte ... » (P.192 ».

Ces ajouts se manifestent fréquemment à travers l'emploi des parenthèses ou des conjonctions de coordination : « ou » par exemple. Lisons ce récit des Tropismes :

« Leurs visages étaient comme raidis par une sorte de tension intérieure, leurs yeux indifférents glissaient sur l'aspect, sur le masque des choses, le soupesaient un seul instant (était ce joli ou laid ?) » (T.64).

En vérité, de tels choix littéraires visent, en grande partie, à attirer l'attention du lecteur sur la subjectivité descriptive au moment où l'écriture réaliste travaille à éclipser la présence du descripteur à coups de détails justes ou crédibles. Ainsi on note dans ce processus de mise à nu de l'artifice langagier « Des interventions métalinguistes qui interrompent une description pour signaler l'opération sémiotique qui l'élabore, brisant ainsi toute illusion référentielle»133(*).

Un tel point de vue vise à mettre en exergue le procédé des métaphores qui, très en vue dans l'acte descriptif, est arborée par l'accumulation des comparaisons ou des conjonctions de comparaisons (dans Tropismes, P.16,17,23,27, etc. dans Le Planétarium P.7,8,14,15,16,17, etc,.). Claude Simon de souligner dans Leçon des choses :

« La description ( la composition) peut se continuer (ou être complétée) à peu près indéfiniment selon la minutie apportée à son exécution, l'entraînement des métaphores proposées, l'addition d'autres objets visibles dans leur entier ou fragmentées par l'usure, le temps »134(*).

Ensuite, il est temps de remarquer que Nathalie Sarraute dans sa volonté de se mettre en déphasage des procédés descriptifs du récit réaliste, enraye l'illusion référentielle qui se cristallise à l'usage des assertions référentielles contradictoires.

Dans Tropismes c'est le cas de ce personnage anonyme « elle » qui dénigre le « soleil » en le traitant de « traître » avant de se rétracter pour magnifier ses vertus à l'égard de son mari qui «  pourtant (...) aimait se soigner ... » (T.17).

Dans Le Planétarium ces types d'assertions sont visibles principalement dans la façon dont les personnages sont caractérisés. En fait, qu'il s'agisse de Germaine Lemaire ou de Tante Berthe la narratrice ou les personnages nous les décrivent au moyen de plusieurs facettes. S'agissant de Germaine Lemaire, Pierre la décrit tantôt comme « une jolie femme ... »( P.101 ), tantôt il estime qu' « elle est laide comme un pou » (P.102).

De plus, en ce qui concerne Tante Berthe, Alain nous la présente au début du récit comme « ... une maniaque, une vieille enfant gâtée, insupportable ... » (P.13)et à la clausule du récit il nous la montre sous un aspect favorable : « Elle a rajeuni de vingt ans » (P.242).

Par ailleurs, dans ce mécanisme de blocage de l'illusion référentielle du récit, force est d'accorder une importance particulière aux mouvements de focalisations variables. En d'autres termes, Sarraute, dans la mouvance des néo-romanciers, nous offre tantôt un passage correspondant à ce que voit le personnage, comme le prouve la présence des possessifs dans ce passage descriptif des Tropismes :

« Quand il était avec des êtres frais et jeunes, des êtres innocents, il éprouvait le besoin douloureux, irrésistible, de les manipuler de ses doigts inquiets, de les palper ... » (T.51).

Dans ce récit du Planétarium, Alain soutient : «  Voyez mes domaines, mes châteaux, les signes de ma puissance, mes quartiers de noblesse, les actes valeureux accomplis par mes ancêtres qui ont fondé la gloire de ma lignée ... » (P.242).

Tantôt le passage descriptif est perçu par une autre instance narrative. Comme en témoignent les locutions prépositionnelles « en arrière, en avant... », tantôt il est possible de spécifier à quel focalisateur renvoie la perspective c'est-à-dire en avant de qui, en arrière de qui :

« Allez donc ! En avant ! Ah, non, ce n'est pas cela ! En arrière ! En arrière ! Mais oui, le ton en joué, oui, encore, doucement, sur la pointe des pieds, la plaisanterie et l'ironie. » (T.28).

A la lumière de cette analyse représentative des failles notées dans la construction de la description réaliste, on en arrive avec Jean Ricardou à l'idée selon laquelle « l'effort antiréaliste de la description est double : d'une part, elle altère la disposition référentielle de l'objet (étalant une simultanéité en successivité) et, d'autre part, elle empêche, par ses interruptions intempestives, le déroulement référentiel du récit »135(*)

En revanche, si, les néo-romanciers s'insurgent contre la double description mathésique mimésique, quelle est alors la méthode descriptive qui s'accommode à leur nouvelle conception de la littérature. C'est sans nul doute la fonction productrice ou créatrice que nous avons évoqué antérieurement.

Dans cette perspective disons que cette nouvelle donnée descriptive à droit de cité dans Tropismes et Le Planétarium. Dans ces deux récits, bien que les descriptions prolifèrent, l'auteur des Fruits d'or s'attache, à des degrés divers, à les attribuer une directivité fonctionnelle et antireprésentative. Ainsi, jeux d'analogies, recours à des signes polysémiques tels sont les procédés qu'elle analyse en attribuant aux descriptions une fonction génératrice ou productrice de fiction. Cet état de fait n'a pas échappé à Jean Ricardou qui soutient :

«  La description est créatrice. Elle invente en toute cohérence un univers et tend à susciter un sens avec lequel elle entre en lutte. C'est comme une course contre le sens que peuvent se lire maintes oeuvres contemporaines ».136(*)

Cette conception inhérente au récit sarrautien n'est pas sans pertinence, si l'on continue d'examiner la question du point de vue de des signes polysémiques. Quel est dès lors l'intérêt de cette démarche dans Tropismes et LePlanétarium ? Il n'est guère contestable, pour commencer, que l'oeuvre traditionnelle répond à une intention de sens, au profit d'un « quelque chose à dire », de sorte que la question de ce que l'écrivain a voulu dire  n'est pas ambigu. Pour Balzac, dans un Avant-propos de 1842 consacré à La Comédie humaine, il s'agit de « surprendre le sens caché dans cet immense assemblage »137(*).

En revanche, dans Tropismes et le Planétarium, Nathalie Sarraute laisse au récit une part d'imprévisible, en abandonnant au destinataire le soin de retotaliser un ensemble disparate qui suscite bien entendu plusieurs sens.

Ainsi il n'est pas étonnant que Tropismes commence par l'animation descriptive de l'image des bêtes sauvages : « Ils semblaient sourdre de partout, éclos dans la tiédeur un peu moite de l'air, ils s'écoulaient doucement comme s'ils suintaient des murs, des arbres grillagés, des bancs, des trottoirs sales, des squares » (T.11).

En effet, ce récit participe des jeux d'analogie entre l'univers humain et l'univers animal. Ces « ils » sont tantôt décrits comme des bêtes maritimes qui semblent « sourdre » de l'eau, tantôt comme des insectes volants « dans la tiédeur un peu moite de l'air » comme des loques humains habitant dans des « squares ». C'est dire que le comparant « ils » une fois posé, s'hypertrophie en produisant et créant d'autres scènes obtenues, non par l'artifice d'un système chronologique, mais par des transitions purement descriptives fondées, de l'avis de Jean Ricardou, sur des analogies.

Dans Le Planétarium on peut s'approprier les propos de Jean Michel Adam selon lesquels les descriptions productrices ont un rôle transitaire mettant en exergue certains signifiants qui les composent par un processus de comparaison étendu. C'est ainsi qu'un récit, représentatif de la visite faite par Germaine à Alain, est influencé par un passage spatial qui se trouve, par voie de conséquence, anthropomorphisé :

« Toutauteur de lui se rétrécit, rapetisse, devient inconsistant, léger- une maison de poupée, des jouets d'enfants avec lesquels elle s'est amusée à jouer un peu pour se mettre à sa portée, et maintenant elle repousse tout cela, allons, assez de puérilité ... le ciel tourne au-dessus de lui, les astres bougent, il voit se déplacer les planètes, un vestige, une angoisse, un sentiment de panique le prend, tout bascule d'un coup, se renverse... elle-même s'éloigne, elle disparaît de l'autre côté. Mais il ne veut pas la lâcher, il peut la suivre, les suivre là-bas (...) » (P.249).

De cette façon, se construit un récit dont la dissémination des histoires qui le composent émane moins d'une description représentative que d'une description génératrice de signes polysémiques dans leur double composante formelle et signifiante. Cette nouvelle armature de la description « piétine, se contredit, tourne en rond. L'instant nie la continuité »138(*) du fait de la force créatrice de l'écriture en mouvement : celle des « tropismes ». En un mot, c'est qu'affirmer que les pouvoirs de la description dans Tropismes et Le Planétarium relèvent non seulement de son autonomie à l'égard d'un récit balkanisé, mais aussi et surtout de la prolifération des objets, des lieux dont elle commande. Du coup, si la description s'affranchit du diktat narratif incarné par le récit, quelle serait alors la texture des modes narratifs dans Tropismes et Le Planétarium ? L'analyse des points qui suivent permettront d'y voir plus clairement.

CHAPITRE IV : MODES NARRATIFS

Tropismes et Le Planétarium participent d'une nouvelle esthétique narrative romanesque. La théorie des modes narratifs a en effet des implications littéraires que mettent bien en évidence les attaques de Sarraute contre la technique traditionnelle du roman.

En fait, on sait depuis Platon, dans son III livre de La République, que le récit consistait dans deux modes narratifs : Le récit pur et la mimesis ou l'imitation. A sa suite, Yves Reuter y fera une étude pertinente dans l'Analyse du récit en soulignant que le premier mode est celui du « raconter (appelé diegesis) » et le second du « montrer (appelé mimesis) »139(*).

Dans le roman traditionnel, les romanciers réalistes semblent privilégier la notion de mimesis ou de représentation du réel qui consiste, par exemple pour Balzac, à donner à ses chimères toute l'apparence et le relief du réel le plus tangible. De plus, il cherche à persuader de la vérité du monde en trompe-l'oeil qu'il propose au lecteur consommateur et naïf.

Dans le contexte d'après-guerre, en revanche, la notion de diegesis semble avoir valeur de loi dans les textes des écrivains consacrés comme Sartre, Sarraute,  entre autres. Qu'on relise, par exemple, La Nausée de Sartre, où Roquentin, qui « se méfie de la littérature », réfléchit sur l'aventure. Sa fameuse formule : « il faut choisir : vivre ou raconter »140(*) dit bien toute sa distance qui sépare du réel de la mise en texte de celui-ci.

Dans Tropisme et Le Planétarium l'acte de raconter semble être la raison d'être des personnages qui narrent de longues histoires pour distraire leurs ennemis et préserver leur vie.

De fait, il se dégage d'abord, ce qu'il est convenu d'appeler la question des voix narratives qui dérivent des relations entre le narrateur et l'histoire qu'il raconte. De plus, si, dans les récits mimétiques d'obédience traditionnelle les romanciers ont muselé sciemment la voix narrative de façon à donner l'illusion de la réalité, Nathalie Sarraute, dans la perspective du Nouveau Roman, récuse un tel choix littéraire. Ainsi, s'attèle-t-elle à inscrire cette voix suivant une double distance maximale et minimale.

Ensuite, il est symptomatique de comprendre que cette distance des personnages - narrateurs n'est pas sans évoquer le mode de fonctionnement des dialogues qui, loin d'intégrer des signes typographiques traditionnels (tirets, incises...), usent des énoncés ponctués c'est-à-dire escortés de guillemets et de tirets à l'intérieur des guillemets, et des énoncés non ponctués (propres muets, pensées floués, etc).

De même, l'on remarquera que l'évocation des énoncés non ponctués préfigure l'expression intérieure, j'allais dire le monologue intérieur des personnages qui visent, de l'aveu de Marc Alpozzo, à « abolir la frontière entre le monde extérieur et le monde intérieur »141(*). En clair, derrière Joyce et Virginia Woolf, ou encore Henry James, Nathalie Sarraute travaille à inscrire l'intériorité au coeur même du récit.

Enfin, une telle intrusion, bien sûr, n'est pas sans risque en ce sens que l'individualité des personnages sarrautiens va être dévastée, dévoré par le silence.

Voilà donc, autant d'indices qui mettent en lumière du moins le mécanisme de fonctionnement des modes narratifs sinon du récit que nous nous proposerons d'analyser dans les pages qui suivent.

IV - 1 :VOIX NARRATIVES ET VOIX DIALOGIQUES

L'approche des voix narratives et des voix dialogiques occupe une place importante dans Tropismes et Le Planétarium. En fait, la mise en pratique de ces deux procédés narratifs vise essentiellement à mettre à nu les défaillances de la construction traditionnelle du récit.

S'agissant des voix narratives, il faut dire qu'elles revêtent un cachet particulier dans le Nouveau Roman. Si, dans le roman traditionnel, l'écrivain est très souvent un narrateur omniscient de droit divin, dans Tropismes et Le Planétarium tout semble se focaliser sur le point de vue des personnages.. Le choix d'une telle technique s'explique par le fait que « la représentation de l'homme et du monde y est toujours subjective [et] que cette réalité vécue y est toujours décrite comme un ensemble ouvrant et complexe plein de contradictions, d'impondérables et de lacunes que cherche à capter une conscience humaine qui est elle-même insaisissable, emportée elle-même dans le mouvement de sa complexe existence »142(*).

C'est dire que chez Sarraute, à la vision rétrospective imposée par le romancier traditionnel sur ses personnages et qui propose, après coup, le récit explicatif des événements, succède un réalisme subjectif qui inscrit la narration dans la conscience personnelle des narrateurs et nous fait coïncider avec leurs consciences. De ce point de vue, l'auteur de Martereau s'inscrit dans la résistance contre l'idée de « focalisation zéro », « Vision par derrière » « narrateur > personnage », termes appartenant respectivement à Gérard Genette dans Figures III, Todorov dans Poétique de la Prose et Pouillon dans Temps et roman.

Ainsi, que ce site dans Tropismes ou dans Le Planétarium, l'on se rend bien compte que le « narrateur dieu » qui avait la complète maîtrise d'un univers textuel auquel il imprimait ordre et cohérence est rejeté par la génération de « l'Ere du soupçon » au profit d'un personnage narrateur.

Qu'on considère, par exemple, cette séquence narrative du premier texte de Sarraute dans laquelle ce personnage narrateur cherche à appliquer son récit au point de vue du personnage de « il » :

« Mais à part, très rarement, ce petit geste timide, il ne se permettait vraiment rien. Il avait réussi peu à peu à maîtriser toutes ses manies stupides, il en avait même moins maintenant qu'il n'était normalement toléré, qu'il ne collectionnait même pas - ce que, au vu de tous, les gens normaux faisaient- les timbres-poste. Il ne s'arrêtait jamais au milieu de la rue pour regarder- comme autrefois, à la promenade, quand sa bonne, mais allons donc ! Allons le tirait, (...) » (T.123).

Dans Le Planétarium, la narratrice nous installe, d'emblée, dans la conscience du personnage de Tante Berthe qui ne se révèle à nous qu'à travers ses propres efforts pour se saisir lui-même, et comprendre les autres (ouvriers). Tout ce qui nous est donné, c'est ce qu'elle se rappelle, imagine, sait, croit ou veut croire. Entraînés avec elle dans le flux de son existence, dans l'incessant mouvement simultané, « d'un présent qui se refait toujours et d'un passé qui se défait de plus en plus »143(*) , nous ne pouvons normalement savoir, voir que ce que sait, voit le personnage focalisateur (Tante Berthe). Qu'on relise ce récit :

« Elle sait qu'il vaudrait peut-être mieux être prudente ... une maniaque, une vieille enfant gâtée, insupportable, elle sait bien que c'est ce qu'elle est pour eux, mais elle n'a pas la force de se dominer, et puis elle sent qu'il est préférable au contraire de forcer encore grotesquement les traits de cette caricature d'elle-même qu'elle voit en eux (...) » ( P.13). 

C'est qu'affirmer que dans cet exemple constitutif de la « vision avec », la narratrice en sait autant que Berthe qui constitue le fil d'Ariane pour le narrataire dans cet espace labyrinthique des « tropismes ». Du coup, il se dégage « une restriction de champ »144(*) et une sélection de l'information que s'impose le récit sarrautien en focalisant l'histoire sur un point de vue particulier.

Ajoutons, dans cet esprit, que la narratrice et le personnage focalisé sont virtuellement égaux du point de vue de la diffusion du savoir. Autrement dit, si le personnage de « elle » ignore qu'il y a « la crise ... et ce chômage qui va en augmentant » ( T.45), le lecteur, bien entendu, ne le saura pas non plus.

Par conséquent, le savoir libéré par la narratrice est strictement limité au savoir de « elle ». L'usage de cette focalisation interne tire sa validité dans la prolifération des termes négatifs : «  on ne sait pas pourquoi ... », «  je ne sais plus rien, je ne vois plus que ça... » ( P.26) qui occupent presque chaque récit du Planétarium.

Aussi, faut-il comprendre que la notion de focalisation interne relève, de l'avis de Gérard Genette, du caractère traduisible d'une phrase à la troisième personne du singulier en première personne du singulier. Convoquons ces deux exemples tirés respectivement des Tropismes et du Planétarium :

« Elle avait compris le secret. Elle avait flairé où se cachait ce qui devait être pour tout le trésor véritable. Elle connaissait «l'échelle des valeurs » » (T.69).

« Alain est un orphelin, il a été privé de mère depuis qu'il était tout petit ... (...) » (P.194).

A la lecture de ces fragments de récit, force est de constater que leur segment narratif considéré peut se réécrire à la première personne sans que cette opération entraîne « aucune autre altération du discours que le changement même des pronoms grammaticaux »145(*). Ainsi, de telles phrases peuvent se réécrire comme suit :

« J'avais compris le secret, j'avais flairé (...) » (T.69).

« Je suis un orphelin, j'ai été privé de mère (...) » (P.194).

Au contraire, si une phrase comme : « La sonnerie résonne dans le vide. Chaque coup régulier, prolonge, tient sa vie en suspens ... » (P.73) est intraduisible en première personne sans ambiguïté sémantique évidente, nous sommes ici, de l'aveu de Genette, en focalisant externe du fait de l'ignorance marquée du narrateur à l'égard des véritables pensées d'Alain Guimier.

Dans cette focalisation externe, encore appelée « vision du dehors » par Pouillon, l'histoire est racontée d'une manière neutre comme si le récit se mêlait avec l'oeil de la caméra. Autrement dit le narrateur, en termes d'informations, en sait moins que le personnage et ne saisit que l'aspect extérieur des personnages et des choses qui se présentent dans l'univers spatio-temporel du récit.

Cette focalisant s'inscrit dans Tropismes et Le Planétarium où l'on semble lire un univers filtré par aucune conscience narrative : la vision, les pensées et les sentiments des personnages nous sont inconnus. Examinons cet exemple des Tropismes :

« Et elles parlaient, parlaient toujours, répétant les mêmes choses, les retournant, puis les retournant encore, d'un côté puis de l'autre, les pétrissant, roulant sans cesse entre leurs doigts cette matière ingrate et pauvre qu'elles avaient extraite de leur vie (...) » (T.65).

Dans ce récit, nous remarquerons une série de constats objectifs qui se contentent seulement de décrire une scène vue de l'extérieur. En vérité, bien qu' « elles » se mettent à parler, nous ignorons ce qu'  « elles » se disent. On semble lire ici ce que Genette appelle la paralipse ou « l'omission latérale »146(*) qui consiste à passer sous silence un certain nombre d'informations visant à éclairer la lanterne du lecteur. C'est dire que le savoir délivré par la narratrice ne se cantonne que dans l'aspect extérieur des êtres (elles) et des choses (matière) sur lesquelles le lecteur n'a aucun idée fiable.

Dans Le Planétarium, l'énoncé narratif ne livre pas autant d'informations que le ferait une caméra placée en un point de l'espace. La description du personnage anonyme « on » qui « a frappé à la porte : trois coups légers et la porte s'entrouvre lentement » (P.159) est représentative et de la focalisation externe et de la paralipse. Car, « la longue tête familière, un peu simiesque, les petits yeux noirs très enfoncés, les lèvres épaisses (...) » (P.ibid ) ne renseignent rien sur la psychologie interne de ce « on » dont Sarraute se plait à taire ou à omettre un certain nombre d'informations.

C'est donc dire que le point de vue des personnages sarrautiens est la perspective, l'optique suivant laquelle le récit est présenté c'est-à-dire leur aspect apparent. Cette optique exige une certaine distance qui met en évidence le degré d'implication des narrateurs dans l'histoire qu'ils racontent. Notons au passage que la distance, modalité essentielle permet de l'avis de Genette, de réguler « l'information narrative qu'est le mode »147(*).

En fait, si, dans le récit traditionnel la proximité semble être l'instrument privilégié du narrateur-omniscient, dans Tropismes et Le Planétarium, les narrateurs prennent leur distance par référence à l'histoire, à la réalité des faits tels des spectateurs se tenant à l'écart du tableau qu'ils observent.

Un tel état de fait, n'épargnera pas le récit qui devient, de toute évidence, nébuleux par conséquent subjectif. Disons que la distinction entre proximité et distance est symétrique de la différenciation entre objectivité et subjectivité. C'est ce qui ressort de cette affirmation de Vincent Jouve :

« L'opposition entre « proximité » et  « distance » renvoie donc à l'opposition entre « objectivité et subjectivité ». Elle s'inspire de l'ancienne distinction entre le monde mimétique (qui s'emploie à « montrer ») et le mode diégétique (qui préfère « raconter ») »148(*)

Ainsi, dans Tropismes, la distance en apparence minimale de la narratrice du récit six se caractérise par la pratique du résumé et une inclinaison à substituer aux faits de « elle » le commentaire sur ses faits :

« « Lematin elle sautait de son lit très tôt, courait dans l'appartement, âcre, serrée, toute chargée de cris, de gestes, de halètements de colère, de scènes ». Elle allait de chambre en chambre, furetait dans la cuisine, heurtait avec fureur la porte - de la salle de bains (...) » (T.39).

Le récit d'évènements consacré au personnage d'  « elle » peut, à bien des égards, s'appliquer dans Le Planétarium, au récit de ce narrateur anonyme qui s'efforce tant bien que mal de saisir des termes comme : « Henri est très mauvais mari. La pauvre berthe n'a pas eu de chance. Elle est mal tombée. Elle est mal lotie, mal mariée » (P.202).

En outre, il convient de préciser que l'auteur d'Entre La vie et la mort adopte tout au long du récit dix-huit du Planétarium, le point de vue unique et entièrement subjective d'un narrateur se racontant en quelque sorte à lui-même, au fur et à mesure qu'ils arrivent ou qu'il se rappelle des événements auxquels il est ou a été mêlé.

En effet, il le clame haut et fort en parlant d'Alain : « les gens qui ne le connaissent pas s'y trompent » (P.199). A vrai dire il entend désigner Alain à la vindicte publique en le qualifiant d'« enfant gâté, insupportable, coléreux » (P.ibid). Donc ce narrateur apparaît ici comme un témoin oculaire des propos qu'il avance.

Une telle technique de Sarraute dans Tropismes et Le Planétarium vise à mettre en lumière la fonction phatique du récit consistant à placer le lecteur en contact direct avec une conscience en train d'épier les « sous-conversations », ou les paroles prononcées par les personnages.

Il ressort de ce point de vue ce que Gérard Genette appelle « le récit de paroles » où le narrateur « dispose d'une série de techniques que l'on peut (...) classer sur une échelle allant du maximum de distance au minimum de distance »149(*)

En fait, la distance, nous venons de le voir, rive au flou et à l'imprécision. Ce qui bien entendu brouille le déroulement du récit en usant effectivement plusieurs discours. De cette façon, l'on remarque que dans Tropismes, le récit narrativisé semble être le plus usité.

Qu'on relise ce récit relatif à une mise en garde d'un père à son fils : « Et il lui apprenait, en traversant, à attendre longtemps, à faire bien attention, attention, attention surtout très attention en traversant les rues sur le passage clouté (...) » (T.52).

A la lecture de ce passage narratif, l'on déduit qu'entre le récit et les mots effectivement prononcés s'institue un grand écart. Le récit se contente alors d'un rapport très ambigu au contenu des mots.

Dans Le Planétarium, on note certes des expressions («  ce ricanement quand elle lui avait dit en passant devant le collège de France... » (P.65)) représentatives du discours narrativisé.

Mais le discours transposé semble gagner en autonomie dans la quasi-totalité des récits. Principalement ce récit dans lequel Tante Berthe «  a dit aux de la rue que son neveu la menaçait, de la faire expulser ... » (P.191). En fait, les mots articulés par Tante Berthe demeurent cependant filtrés par la voix narrative.

Au-delà de ce discours transposé, force est d'ajouter l'omniprésence du discours rapporté qui se caractérise par une citation exacte (souvent mise entre guillemets) des paroles du personnage. Convoquons cet exemple qui évoque le désespoir de Jean Luc à l'idée de se séparer de ce personnage anonyme, « il » :

«  « Ilm'a dit : Si je cessais de la voir, je crois que je me tuerais. C'est devenu une idée fixe chez moi » » (P.128). Ce « il » de rapporter à ces amis en soulignant : « « Vous savez que c'est vraiment devenu, chez Jean Luc, une obsession. Il m'a dit : je ne vis plus que de cela, de ces brefs moments, dans l'attente, puis dans le souvenir » » (P.129).

En effet, la mise en pratique d'un tel discours littéraire vise, selon Vincent Jouve, à aboutir toute distance ou à réduire, de l'aveu de Pierre Astier, autant qu'il se peut l'écart entre les auteurs et leurs personnages, et entre ceux-ci et le lecteur. En d'autres termes, « il ne faut pas que le « héros » nous apparaisse comme donné par l'auteur, mais que ce soit lui-même qui se donne un peu à peu dans le mouvement de son existence, au fur et à mesure qu'il se réalise lui-même »150(*).

Du reste, la remise en question d'un narrateur hétérodiégétique où la perspective passe par ce même narrateur devient évidente dès qu'on accroît les points de vue sur un objet, un être ou un passage. La multiplication des perspectives narratives dans le Nouveau Roman procède, de toute évidence, de la volonté manifeste d'excéder la restriction d'un seul point de vue du récit.

Ainsi, dans Tropismes et Le planétarium, à la théâtralisation d'un narrateur omniscient qui, tel un Dieu par rapport à sa création « sait les comportements mais aussi ce que pensent et ressentent les différents acteurs »151(*), succède une multiplicité de points de vue. Dans Tropismes, par exemple, l'alternance rapide des points de vue naît de la représentation fragmentée des chapitres.

Presqu'à chaque nouveau chapitre ou récit répond une unité de perspective (récits I, II, III : « Ils » ; récit IV : « Elles » ; récits V, VI  : « elle »; récit VII, VIII : «il » ; récit IX : « elle »). C'est dire que ces personnages vivent l'histoire, voient le monde alternativement, et chacun de façon parcellaire et partielle. Anonyme et flottante, la perspective de la première oeuvre de Nathalie Sarraute, peut aussi être collective, le discours devient alors celui d'un « Nous » ou d'un « on » qui occupent un certain nombre de récits («  on ») (T. 16,21,22,23,28) ; « Nous » (T. 132,135... ».

De plus, l'on remarque à la lecture du texte des pages intercalées qui, à vrai dire, cautionnent l'idée de glissement d'une perspective narrative à une autre. Françoise Calin soutient en ces termes :

«  Les pages blanches intercalées entre les courts récits soulignent les changements des perspectives, faisant silencieusement glisser le lecteur d'univers en univers lui découvrant une myriade de mondes isolés, séparés les uns des autres par des murs d'incompréhension. »152(*)

Dans Le Planétarium, les pages intercalaires se sont éclipsés. Mais la fragmentation en chapitres relativement courts marque sa présence. La disposition de ces chapitres génère effectivement la multiplicité des points de vue. Ainsi, remarque-t-on que le récit est fait par une narratrice qui, dans le premier récit du roman, décrit les choses du point de vue d'un « il » (Alain) dont elle assume l'identité, et enfin dans le cinquième en se substituant en « ils » qui encerclent Alain, « fourrent leur nez partout, attaquent ouvertement ». (P.72).

C'est donc affirmer que dans ce texte il est plusieurs voix narratives qui, suivant le flux et le reflux de leurs états, peuvent s'opérer soudainement au sein d'un même fragment de récit, à propos d'un même souvenir ou d'une même histoire. Examinons ce récit :

«  ...Je lisais, je m'apprêtais à aller me coucher, j'entends sonner le téléphone ... je regarde ma montre : onze heures ... Gisèle dormait. J'ai cruqu'il était arrivé un malheur c'était ma tante ... Elle avait une toute petite voix : Allô... je t'ai réveillé ? Excuse -moi, je suis désolée... vous pensez si elle s'en moque, je la connais ... ce n'est pas la première fois... elle remue ciel et terre quand ça la prend ... Elle vous passerait sur le corps ... écoute, voilà ... j'ai un ennui... je peux te parler ? Tu n'es pas trop endormi ? Tu te rappelles, je t'avais dit que je voulais faire une porte arrondie entre l'office et la salle à manger ? Tu avais désapprouvé ... » (P.25)

A la lecture de ce fragment de texte, deux questions s'imposent : qui parle ? est-il seul ? A première vue, nous savons pertinemment que c'est le « je » (Alain) qui énonce. Mais on constate qu'il est relayé par un autre « je » (Tante Berthe). Par voie de conséquence, nous avons deux « je » narrateurs à la fois témoins et acteurs.

En fait, la perspective des « je » est donc plus exclusive puisque toute distance est ici supprimée entre les personnages, l'auteur et le lecteur : l'histoire de la « porte » nous est décrite par des narrateurs qui ne sont plus de simples observateurs, mais qui sont à la fois partis et témoins.

Ce choix énonciatif qui s'appuie sur la première personne du singulier accorde à l'oeuvre sarrautienne « le droit de tuer, d'être meurtrière de son auteur »153(*). Cette sorte d'assassinat autorisé par les romanciers du Nouveau Roman, n'a pas échappé à Jean Rousset qui souligne :

« L'une des conséquences de l'emploi dans le roman de la forme autobiographique, c'est l'évanouissement de l'auteur dans son texte (...) Quand on diminue l'auteur, on fait grandir en proportion celui qui est censé prendre sa place, le personnage chargé de la narration (...). Le narrateur passa à l'intérieur du récit, il en occupe le centre, il rend visible l'origine du livre, dans lequel il ne cesse de se montrer parlant et écrivant. »154(*)

Toujours dans ce roman à multiples point de vue (« elle », « il », « on », « vous » ...), on observe que la perspective adoptée est invariablement celle de « je », car la narratrice n'étant qu'un « appareil de prises de vues » installé aux confins de chaque conscience observée. En d'autres termes, les « il », « elle » ne sont, dans chaque cas, que des « je » photographiés de l'intérieur.

En dernière analyse, comment la mise en scène des « je » narrateurs et d'autres instances narratives rend-il compte du mécanisme des dialogues dans Tropismes et Le Planétarium ?.

Au reste, il urge de porter la réflexion sur les voix dialogiques dans Tropismes et Le Planétarium. De toute évidence, on a tout lieu de croire qu'elles ne s'inscrivent pas dans le sillage de celles théorisées et systématisées par les romanciers traditionnels entre autres, Balzac, Stendhal, etc.

Si, dans le récit traditionnel, les personnages tels ceux de Balzac éprouvent moins le désir de contact, dans le récit sarrautien, au contraire, qu'il s'agisse de « il », de « elle », d'« Alain », de Germaine Lemaire, on semble lire « le désir passionné et anxieux d'établir le contact »155(*)qui débouche, bien entendu, sur le dialogue avec l'auteur. Si bien que l'on peut dire que l'oeuvre sarrautienne s'articule tout entière autour d'une série de scènes dialogiques.

En fait, l'envie de dialoguer avec l'autre, l'interlocuteur est consubstantiel à la connaissance du moi, locuteur. Autrement dit, Autre qui, comme le souligne déjà l'écrivain dans un article de 1956, est à première vue un comparse nécessaire. Puisque « ces drames intérieurs, faits d'attaques, de triomphes, de reculs, de défaites, de caresses, de morsures, de viols, de meurtres, d'abandons généreux ou d'humbles soumissions, ont tous ceci de commun qu'ils ne peuvent se passer de partenaire [...] c'est lui le catalyseur par excellence, l'excitant grâce auquel ces mouvements se déclenchent, l'obstacle qui leurdonne de lacohésion, qui les empêche de s'amollir dans la facilité et la gratuité ou de tourner en rond dans la pauvreté monotone de la manie »156(*).

Aussi, le langage du récit se nourrit-il d'un va-et-vient continuel qui se met en place entre deux actants qui tantôt « se téléphonaient les uns des autres, furetaient, se rappelaient, happaient le moindre indice ... » (T.139), tantôt « sont incapables de distinguer le beau du laid ... mieux que ça, ils aiment la laideur ... » (P.12).

Dès lors, se pose la lancinante question du goût et de la conversation comme expérience sociale, intégrantes, dissolvantes. En vérité, ces deux entités inhérentes à l'humaine condition sont ici intimement liées dans Tropismes et Le Planétarium et ouvrent deux questions. Si seule peut s'énoncer une parole déjà tenue, donc tenable, le génie et le goût propres sont-ils simultanément bannis ? La compétence conversationnelle sociale, peut-elle s'accommoder de l'expérience sensible du goût individuel ?

D'abord, il reste évident que le « goût » au sens perceptif du terme n'a sa raison d'être que dans le présent.. Tandis que « le bon goût » est le revers de l'inclinaison initiale : car, lui ne vit que dans la répétition de clichés et de représentations qui supprime le présent. Ainsi, afficher un goût singulier, converser et discuter du beau et du goût est, de l'avis de Marie-Hélène Boblet- Viart, « un luxe égotiste qui confronte l'individu à latribu sociale »157(*) dans le cadre restreint du dialogue.

Dans Tropismes, ce personnage anonyme, « elle » qui fait preuve de goût exacerbé de la littérature se distingue des « ils » qui « en reprouvaient une répulsion indicible » (T.70). En d'autres termes, cette différence dans le goût s'exprime par le fait que « pour elle, pas de conversations sur la forme des chapeaux et les tissus de chez Rémond ».

Dans Le Planétarium le récit commence par une forme de dialogue particulière sous laquelle se manifeste la différence dans le goût entre Tante Berthe et les ouvriers « qui saccagent les oeuvres d'art, abattent les tendres vieilles demeures et dressent à leur place ces blocs en ciment, ces cubes hideux, sans vie, où dans le désespoir glacé, sépulcral, qui filtre des éclairages indirects, des tubes de néon, flottent de sinistres objets de cabinets de dentistes, de salles d'opération ... » (P.16). En fait, Tante Berthe, en allant dans des pavillons de banlieue, dans des villas, dans des hôtels, tombe sur le charme d'une « petite porte dans l'épaisseur du mur au fond d'un cloître » (P.9) qu'elle entend reproduire dans son appartement en remplacement de la « petite porte de la salle à manger qui donne sur l'office ... »( P.ibid). Alors en faisant appel à l'expertise des ouvriers, elle s'est rendu compte à la fin de leurs travaux, qu'ils n 'ont « pas un atome d'initiative, d'intérêt pour ce qu'ils font, pas la moindre trace du goût ... » (P.12).

De ce point de vue surgit un dialogue qui non seulement met à découvert une divergence de goût mais aussi un dysfonctionnement du récit :

« « Tout est gâché maintenant, ça ne valait pas la peine de changer,, c'était encore mieux, avant, c'est affreux ... » Ils restent là, les bras ballants, l'oeil vide ... « c'est bien la première fois qu'on a des réclamations ... on pose ces poignées-là partout, personne ne nous a fait de réflexions ... c'est le modèle courant, les clients ne se plaignent jamais ... » » (P.14).

C'est donc comprendre que celui ou celle qui possède du goût sait lui-même distinguer, car le goût permet de faire des distinctions parmi les qualités esthétiques d'un objet.. Comme le souligne Bourdieu :

« Le goût classe, et classe celui qui classe : les sujets sociaux se distinguent par des distinctions qu'ils opèrent, entre le beau et le laid, le distingué et le vulgaire, et où s'exprime ou se traduit leur position dans des classements objectifs »158(*).

De même, il est nécessaire de comprendre que prendre part à une conversation avec le talent prescrit exige une compétence méritoire : il faut avoir fait la preuve qu'on est convenable avec le monde, j'allais dire, avec autrui. En termes plus clairs, converser, discuter, c'est être en harmonie avec les autres, au moins les présupposés sur lesquels se construit le postulat du dialogue dans l'engrenage du récit. Y assumer un goût singulier est synonyme de se mettre en position de déclarer la guerre, armé de sa parole contre les mots des autres. De ce point de vue, « l'échange alors est plus une confrontation qu'un dialogue ».159(*) C'est ce qui semble se dégager dans ce récit extrait des Tropismes :

« Il lui semblait qu'alors, dans un déferlement subit d'action, de puissance, avec une force immense, il les secouerait comme de vieux chiffons sales, les tordait, les déchirait, les détruirait complètement » (T.18).

Même isotopie dans Le Planétarium où le récit met en scène ce « Ils » collectif prêt en découdre avec le « il » (Alain) par le seul fait qu'il se particularise au moyen d'un « talisman » dont « lapermission de s'en servir est conférée comme la plus haute distinction » (P.73) :

« ... Il se sent comme un homme traqué sur un sol étranger, qui sonne à la porte de l'ambassade d'un pays civilisé, puissant, de son pays, pour demander asile ... la sonnerie résonne dans le vide [...]. C'est surprenant d'entendre sa propre voix, comme détachée de lui qui n'est plus que désordre, désarroi, lambeaux palpitants répondre de son propre gré, très calme : « Est-ce que Mme Germaine Lemaire est là ? C'est de la part d'Alain Guimiez ... » ce nom, Germaine Lemaire, que sa voix clame prononce, est un scandale. C'est une explosion. Ce nom les ferait reculer. » (PP.73-74).

En principe le goût devrait être garant d'adhésion à une communauté quelconque mais ici on remarque au lieu d'être accueilli, à coeur joie, dans la communauté des « Ils », Alain se voit sauvagement rejeté. De cette façon, l'on est même tenté d'affirmer que les personnages ne discutent, ne dialoguent que par le ministère de la violence faite de harcèlements, de poursuites, etc.

En outre, chez Nathalie Sarraute, même dans les rares situations où les goûts se partagent, le dialogue avec autrui n'est pas des meilleurs si l'un cherche à entrer en contact avec l'oeuvre d'art. A la différence du goût tel qu'il est présenté par Hannah Arendt, pour qui le goût est « l'un des éléments les plus délicats et en même temps les plus indispensables des relations humaines »160(*), la règle d'or chez l'auteur du Portrait d'un Inconnu est celle du « de deux choses l'une ». Plus précisément, le dialogue, dans l'armature du récit, avec l'un ne s'obtient naturellement qu'au prix d'une brouille avec l'autre.

Ainsi, dans Le Planétarium le contact direct entre Alain et Germaine Lemaire annihile toute relation communicationnelle entre Alain et Pierre. En effet, bien que Pierre trouve Germaine « laide comme un pou », Alain reste campé sur sa position en affirmant : «  ily a un autre idéal de beauté, figure-toi. Et cet idéal - là, Germaine Lemaire, que tu le veuilles ou non » (P.102). Ils se réconcilieront lorsqu'Alain rompt le pact d'amitié qui le lie à Germaine Lemaire (P.126-127) ; ou pire, comme c'est le cas de Tante Berthe, quand elle constate que les relations triangulaires entre elle-même, Alain et l'objet d'art (porte) finissent par rompre tout contact entre les trois instances :

« Mais tu ne peux t'imaginer ce qu'ils (ouvriers) ont été mettre sur cette porte en chêne massif une plaque de propreté et une poignée de porte en chromé... c'est ton Rouvrier (un type très bien que j'avais eu le malheur de luirecommander) ... c'est un crétin, un propre à rien qui ne sait pas faire son métier ... j'ai arraché tout ça ... » (P.25).

Tout bien considéré, c'est dire que la notion du goût dans Tropismes et LePlanétarium est foncièrement subjectif car comme l'affirme la narratrice de Vous les entendez ? : « Chacun est seul ... on meurt seul. C'est le lot commun » (PP.68-69).

En dernière analyse, on remarque dans l'approche des voix dialogiques que Nathalie Sarraute s'emploie, le plus souvent, à briser le fil de la conversation du récit, mieux la phrase convenue du récit traditionnel. En fait, dans le Nouveau Roman, « les alinéas, les tirets, les deux points et les guillemets, sont les monotones et gauches : dit Jeanne, dit Paul, qui parsèment habituellement le dialogue, ils deviennent de plus en plus pour le romancier actuels ce qu'étaient pour les peintres juste avant le cubisme, les règles de la perspective : non plus une nécessité, mais une encombrante conception »161(*)

De fait, il urge pour l'essayiste de l'Ere du soupçon de proposer une nouvelle technique dialogique axée sur une mise à distance entre les propos du locuteur et ceux de son interlocuteur. En termes plus clairs, au cours d'un dialogue, lorsqu'un personnage vient d'énoncer des propos qui ouvrent une conversation avec son destinataire, avant de recevoir la réponse de celui-ci, on voit surgir des propos muets, des pensées floues et des sentiments subliminaux. Considérons cet extrait des Tropismes :

« «  Dover, Dover, Dover ? Hein ? hein? Hein? Thackeray? Hein? Thackeray? L'Angleterre? Dickens ? Shakespeare ? Dover? » tandis qu'elle cherchait à se dégager doucement sans oser faire des mouvements brusques qui pourraient lui plaire, et répondrait respectueusement d'une petite voix tout juste un peu voilée : « Oui, Dover, c'est bien cela. Vous avez dû souvent faire ce voyage ?... Je crois que c'est plus commode par Douvres. Oui, c'est cela ... Dover ? » ».

Cet énoncé guillemeté rapporte aussi bien des paroles prononcent par cet « il » hypersensible que celles d' «elle » et entre lesquelles s'interpose une médiation immédiate qui filtre jusqu'au narrataire les remous affectifs de l'échange et leur propagation. En un mot, il nous invite à partager les risques les enjeux du tropisme humain.

Une telle structure brise le mode de fonctionnement du récit traditionnel qui reposait sur une absence de guillemets et de médiateurs dans le déroulement du dialogue. L'apparition, à présent, de ces guillemets dans l'armature du récit signalent jusque-là, de l'avis de Geneviève Henrot, « la frontière entre l'extériorité du personnage et le tropisme»162(*). Ce signe typographique semble être réservé aux répliques isolées qu'enrobent des contextes narratifs ou discursifs intérieurs.

Aussi, est-il nécessaire de remarquer que ces énoncés ponctuels (les guillemets et les tirets : (T.15-16 ) se différencient nettement des autres en ce qu'ils rapportent des fragments du discours oral : les paroles que le personnage d' « elle » adresse à la « cuisinière » sortent de sa bouche, en même temps que logent dans sa mémoire, celles d'un homme « étendu sur son lit » dont la fatuité l'avait offensé. Ainsi, sous la prétendue bonne tenue de l'échange verbal entre ces deux personnages « une autre réalité surgit, terrible, implacable, celle d'unesituation de guerre »163(*) sans merci. Cet état de fait n'a pas échappé à Lucette Finas qui écrit :

« Tous les dialogues ont leur victime et leur bourreau qui échangent leur rôle d'une page à l'autre, quelquefois d'une réplique à l'autre »164(*)

Dans Le Planétarium, la fréquente localisation en début de séquence du deuxième récit de tel énoncé guillemeté à « charge explosive » rend parfaitement compte de l'entreprise romanesque de Sarraute dans son développement syntagmatique :

« « Oh, il faut qu'il vous raconte ça, c'est trop drôle ... elles sont impayables, les histoires de sa tante ... la dernière vaut son poids d'or ... Si, racontez leur, c'est la meilleure, celle des poignées de porte, quand elle a fait pleurer son décorateur ... vous racontez si bien ... vous m'avez tant fait rire, l'autre jour ... si ... racontez » » (P.20).

En fait, cet énoncé dialogique entendu et rapporté par une oreille avertie, mis « entre guillemets comme entre deux pincettes »165(*), est suivi des phénomènes supra-segmentaux et physionomiques (« poses ridicules », « détails honteux », «  rire », « regard »...) qu'Alain à lui-même déclenché avant de donner sa réplique (P.21). Cette dernière, il convient de le rappeler, ne s'exprime dans le récit que par la médiation d'une voix narrative qui lui prête sa compétence analogique. Autrement dit, elle se laisse amadouer par l'esprit et « accède à l'étage de la pensée, d'abord confuse puis de plus en plus claire, laquelle fait ensuite un chemin jusqu'à l'énonciation orale»166(*).

Telle pourrait être la séquence type sarrautienne élaborée par Geneviève Henriot, et à laquelle nous ajoutons des parenthèses pour une meilleure compréhension :

(locuteur) (interlocuteur)

Conversation « réplique » Tropisme Sous-conversation conversation « duplique »

(P.20) (Pensée confuse) (projet muet) (P.21)

C'est dire que chez Sarraute le processus d'apparition d'une énonciation orale n'est pas sans rappeler le mécanisme d'accouchement qui obéit, au préalable, à des modifications évidentes brisant, de facto, le moule du récit.

De plus, si une mise à distance des paroles se laisse aisément comprendre, surtout dans cet univers imaginaire où « l'action est parole et la parole est combat vital »167(*), que dire de la médiation temporelle dont la distance mémorielle (souvenir lointain et souvenir proche) occupe une place prépondérante ? Pas plus que dans l'énoncé précédent, dans celui-ci qui suit :

« ... Elle prête à s'humilier, comme autrefois, quand courait, pendant tout contrôle d'elle-même, sortait en chemise de nuit sur le palier, descendait quelques marches, s'accrochait, suppliait ...«  je t'en prie, Henri reste avec moi ... juste ce soir... ne sais pas, ne me laisse pas ... » Aussitôt, la porte refermée, elle se rendait copte que ce n'était le besoin de l'avoir auprès d'elle et il ne s'y trompait pas, il le savait qui la poussait à s'avilir ainsi, à se défigurer (...) » (P.201).

A la lecture de ce récit constitutif du dialogue néo-romanesque ou plutôt sarrautien, on semble déduire un décalage temporel subi par la mémoire, qu'on pourra octroyer cette aptitude dont témoigne le locuteur de rapporter à distance aussi bien ses paroles que celles d'autrui. Cet écart temporel dans la diégèse du récit se décrypte suivant un critère morphologique (présent VS imparfait) opposant l'actualité de la séquence précédente (« elle est prête », « jet'en prie »), et l'antériorité des scènes revécues en pensée (« comme autrefois, quand elle courait », « descendait, s'accrochait, suppliait »...). Ce même exemple, participant du souvenir lointain, rend compte du critère thématique opposant une conversation qui tourne autour d'un problème de ménage entre Tante Berthe et Henri.

Toujours dans cette perspective représentative de la distance mémorielle, la présence d'un souvenir proche constitue une évidence dans le processus dialogique des personnages. Aussi bien la « logique micro-textuelle que les tiroirs verbaux convenables autour d'un noyau au présent » mettant en lumière un net rapport dialogique entre l'énonciation de telle réplique et la conversation en cours.

Dans Tropismes, les guillemets et le passé composé s'aident mutuellement parfois pour faire glisser en aval de la scène narrée le point de départ de la narration. En d'autres termes, entre le temps raconté et le temps racontant du récit s'intercale ce délai minime que permet le cheminement de l'émotion vers la pensée mieux vers la parole.

Ce simple obstacle entre scène extérieure et scène intérieure suffit à instaurer la brève instance temporelle susceptible de médiatise certains propos :

« « Il n'y avait pas moyen de s'échapper. Pas moyen de l'arrêter. Elle qui avait tant lu ... qui avait réfléchi à tant de choses [...]. IL allait continuer sans pitié, sans répit : « Dover, Dover, Dover ? Hein ? hein? Hein? Thackeray? Hein? Thackeray? L'Angleterre? Dickens ? Shakespeare ? Dover? » »  (T.95).

Ces paroles prononcées par ce vieux monsieur sont révélatrices d'une fonction phatique en ce sens qu'elles postulent grâce au foisonnement des questions, la réaction de son destinataire, « elle qui entend se rendre Angleterre ». L'emploi de ces guillemets se passe, selon de Geneviève Henriot, comme s'il écartait prématurément dans le passé. Cette conversation à peine finie, précipitait le nouveau point de simultanéité récit / histoire vers cet instant cristallisé par d'adverbe « maintenant ». C'est le cas, par exemple, de ce récit huit (VIII) qui met en lumière une longue discussion, au sujet de la mort d'une grand-mère, opposant un père et son fils : « (...) Ah ! où elle est maintenant ? Ah !Ah ! où elle est maintenant, mon chéri, elle est partie, il n'a plus de maman, elle est morte depuis longtemps (...) » (T.52).

En fait, l'emploi de ce déictique temporel par excellence semble, à l'évidence, inscrire une moindre césure entre le présent de la médiation critique et ce passé tout récent où le fils s'est vu contraint d'agréer l'évidence d'une mort inévitable.

Dans Le Planétarium, entre l'ébranlement de l' « édifice » et l'instant que focalise le personnage de Gisèle s'institue un certain intervalle que permet de mesurer le résumé de l'échange oral entre Gisèle et Alain :

« L'édifice ébranlé, vacillant, s'est remis petit à petit d'aplomb ... c'est ce qui lui manque à elle, cette passion, cette liberté, cette audace, elle a toujours peur, elle ne sait pas ... [...]« Là, grosse bête, non pas celle-ci, voyons, c'est un fauteuil de Voltaire, non, là, tendue de soie rose pâle, la bergère... » elle s'était sentie d'un coup incité, elle avait participé aussitôt, cela avait touché un de ses points sensibles » [...], elle était un peu effrayée. « ça doit coûter une fortune... Pas ça chez nous Alain ! Cette bergère ? » elle aurait plutôt, comme sa mère, recherché avant tout le confort, chez nous... » le mariage seul donne des moments comme celui-ci » (PP.61-62).

Dans ce récit, l'émanation du laps de temps repose sur un contraste de temps verbaux entre le passé composé « s'était sentie », « avait participé », « avait touché »...) et le conditionnel « Elle aurait plutôt, ça changerait tout ») relayé par le présent (« lemariage seule donne des moments comme celui-ci).

De même ajoutons que la divergence entre guillemets et tirets (« Il avait la place, tu en es sûr ? - Mais oui, entre la fenêtre et la cheminée ... » (P.ibid) semble souligner ici un décalage temporel à moindre degré entre la question la réponse.

En dernière analyse, convenons que Tropismes et Le Planétarium présentent plusieurs types de perturbations conversationnelles qui brouillent aussi bien la syntaxe que la rhétorique du récit.

D'abord, du point de vue syntaxique, on constate dans Le Planétarium que la règle est violée dans la mesure où Gisèle commence son récit par dire « je » pour assumer son énoncé et l'enchaîner ensuite sur le « on » :

« Ecoute, Alain, je vais te dire. J'ai l'impression par moments, mais tu ne seras pas fâché ? Tu sais que je ne peux rien te cacher ... je te parle comme àmoi-même [...] à ces choses-là, à ces bergères, à ces beaux objets... on y attache trop d'importance ... on dirait que c'est une question de vie ou de mort (...) » (P.68).

De cette façon, elle avoue se dissoudre dans une impersonnalité de mauvais aloi, dans une irresponsabilité qui doit être amendée. Comme l'affirme marie Hélène, « la parole n'est plus un intermédiaire entre l'un et l'autre, celui-ci est livré à un travail de devinettes de d'interférences fatigantes « je » / «  on » manque d'égards »168(*).

Dans Tropismes, du point de vue de la rhétorique, le « coq à l'âne » du dialogue des personnages dans la diégèse du récit est une dérogation à la règle de pertinence et d'à propos ; il bouscule le confort de l'interlocuteur (cf T.15,16,17,94,95). L'on est même tenté d'affirmer comme Sarraute, dans Ici, que « tous ces hors de propos qui ne cessent de se promener dans ce déambulatoire autour de la conversation, attendant prudemment le moment propice, sont devenus plus audacieux, ils se permettent, quand bon leur semble, de bondir sur elle, armés de mots, de la couper n'importe où (...) »169(*)

En un mot, si, les personnages qui acceptent la conversation subis le diktat du déambulatoire ou de l'exclusion, quelle sera alors leur position, et comment se présentera le récit ? Ne sombreront-ils pas en refusant le dialogue, dans le monologue intérieur ou le silence ?

Autant de question que nous tenterons d'élucider dans ce dernier sous chapitre suivant.

IV- 2 : MONOLOGUE INTERIEUR ET SILENCE DES PERSONNAGES

A l'aube du second après-guerre, l'entreprise néo-romanesque de Nathalie Sarraute répond à des ambitions très différentes de celles que s'étaient fixées, entre autres, Balzac, Stendhal, etc,. Tropismes et Le Planétarium sont pénétrés d'un autre esprit. En effet, ces deux textes s'inscrivent dans un vaste mouvement de réaction contre le récit traditionnel.

Ainsi, l'auteur des Fruits d'or se plait-elle à mettre sur orbite de nouvelles techniques romanesque dont la pertinence est à chercher dans la conscience et le non-dit des personnages aliénés. Ces nouveaux procédés sont, sans doute, le monologue intérieur et le silence des personnages.

S'agissant du monologue intérieur, il tire sa validité, selon le point de vue de Dujardin Edouard, lorsqu' « un personnage exprime sa pensée la plus intime, la plus proche de l'inconscient, antérieurement à toute organisation logique ; c'est- à- dire en son état naissant, par le moyen de phrases directes réduites, au minimum syntaxial de façon à donner l'impression de tout venant »170(*) de plus, ce « discours sans auditeur et non prononcé » est baptisé par Gérard Genette comme étant un « discours immédiat » du moment qu'il s'est, d'entrée de jeu, libéré de tout parrainage narratif et qu'il occupe le devant de la scène. De ce point de vue, le narrateur s'efface au profit d'un personnage qui assume le déroulement du récit.

Ainsi, il n'est pas étonnant que l'ouverture du Planétarium soit révélatrice de cette nouvelle technique romanesque. En effet, suite à une altercation avec les ouvriers au sujet d'une « porte ovale » qu'il fallait parfaire, Tante Berthe sombre dans un long monologue intérieur :

« « Elle se redresse, elle ramasse ses forces, seule survivante d'un monde écroulé, seule au milieu d'étrangers, d'ennuis, elle croise les bras, elle les regarde : « non, eh bien décidément ça ne va pas ... je n'en veux à aucun prix. Il faut enlever ça. Dites à votre patron qu'il aurait dû y penser. On ne met pas sur une porte en chêne des horreurs comme celle-là... Il faut, quelque chose d'ancien ... en vieux cuivre ... D'ailleurs je lui téléphonerai... » » (P116.)

En fait, dans ce récit, la pensée de Tante Berthe se déroule, de phrase en phrase, suivant les méandres d'une obligation non extériorisée, mieux d'une médiation qui ne ménage aucunement le travail en dilettante des « cinglés, des drôles de pantins »( P.30 . ) comme elle les nomme.

Dans Tropismes, le monologue intérieur, « premier principe du procédé de «  sous-conversation » »171(*), autorise aussi à avoir accès à l'intimité des consciences de quelques personnages. De cette façon, le récit ne saurait obéir à un mécanisme logique et chronologique en ce sens que le lecteur semble lire dans l'intimité de ce personnage monologuant « étendu sur son lit » (T.17) le flot d'images, la libre allure de leur développement, la fusion du souvenir et de la sensation présente ayant trait à « la pensée humble et crasseuse, piétinante » (T.16) des « ils » avares. Autrement dit, ce personnage anonyme voit cet univers solidement attaché au conformisme sous un jour pensif. Cette expression : « c'était ce qu'il pensait (...) » (T.17) est illustrative à cet égard.

Par ailleurs il semble évident, à présent, de croire que l'on a, à l'époque, très mal compris les voeux du Nouveau Roman, et principalement les objectifs de Sarraute. Il ne s'agit plus de ramener dans le récit la réalité ni de la singer comme c'est le cas chez les réalistes ou les naturalistes. Les nouveaux romanciers, au contraire, souhaitent créer un univers original qui n'aurait de cohérence que dans son propre système. Or, le discours des nouveaux romanciers, et bien entendu le discours de Sarraute ne se place plus au niveau de l'objet. L'écriture, les mots de l'écrivain renvoient singulièrement au discours interne du récit : les jeux de langage intérieurs. C'est donc dire, comme Marc Alpozzo, que « la force de Sarraute, c'est de nous avoir bousculés aux portes de notre conscience »172(*)

Ainsi, au récit de paroles se substitue un récit de pensées qui permet aux personnages de mettre à nu leur vie psychique à coups d'une médiation ou encore d'une délibération intérieure à un moment décisif. Qu'on relise ce récit consacré à Tante Berthe :

« Elle se sourit à elle-même, à une image à elle-même qu'elle remue les lèvres d'un air gourmand comme devant un plat appétissant ... Les petits bourges ... ils étaient tout excités... Ils aiment bien ça, le luxe, le confort ; les belles choses, les meubles ... Alain surtout, il tient de moi ... » » (P.143.144).

Ces expressions («  se sourit à elle-même », « à elle-même », « elle contemple... ») représentatives du monologue intérieur mettent en exergue une pointe ironique et satirique qui n'est sans évoquer le monologue final du roman où Germaine exprime son point de vue sur le genre humain :

« Elle ne bouge pas. Elle plonge un regard dur au fond de ses yeux : « oh ça , vraiment ... tout en lui, tout autour de lui se défait ... Vous êtes sévère.

Je crois que nous sommes bien tous un peu comme ça »». ( P.251)

De plus, on sait que dans le roman traditionnel le psycho-récit acquiert, de toute évidence, du crédit. Il se manifeste au moyen d'une mise à nu par un narrateur omniscient et omnipotent de la vie intérieure d'un personnage quelconque. Aussi, se présente-t-il tantôt suivant une dissonance marquée (quand le narrateur, privilégiant la distance, abandonne le personnage dont il décrit l'intériorité) tantôt selon une consonance marquée (quand il opte pour la neutralité).

Dans le Nouveau Roman, au contraire, plus particulièrement dans Tropismes et Le Planétarium au monologue narrativisé renvoyant au style indirect libre, succède un monologue autonome ou plutôt intérieur qui gomme l'intervention d'une instance omnisciente. C'est la raison pour laquelle on remarque, qu'il s'agisse du personnage d' « il » ou d' « elle » ou d'Alain, de Germaine Lemaire, que leur pensée, leur méditation, leur rêve sont énoncés non pas par une voix médiatrice mais par les personnages eux-mêmes. Bref, « ce sont précisément des groupes composés de sensations, d'images, de sentiments, de souvenirs qui, traversant ou côtoyant le mince rideau du monologue intérieur, se révèlent brusquement au dehors dans une parole, en apparence insignifiante, dans une simple intonation ou regard (...) »173(*).

Tel est bien souvent la psychologie des personnages de Tropismes. Il suffit, pour s'en convaincre, de rappeler la scène dans laquelle un personnage anonyme, ayant une dent contre le maître de ballet, exprime son intériorité en ces termes :

« Quel épuisement, mon Dieu ! Quel épuisement que cette dépense, ce sautillement perpétuel devant lui : en arrière, en avant, en avant, en avant, et en arrière encore, maintenant mouvement tournant autour de lui, et puis encore sur la pointe des pieds, sans le quitter des yeux, et de côté et en avant et en arrière, pour lui procurer cette jouissance » (T.29).

Dans Le Planétarium, il suffit d'une de ces scènes furtives pour transformer un état d'esprit, pour que se déploie tout un débat de conscience qui se traduit en monologue intérieur dans la trame du récit déconstruit. Nous en voulons pour exemple quand Gisèle annonce qu'ils (elle et Alain) ont commandé une bergère Louis XV au lieu des fauteuils de cuir noir que les parents leur avaient suggéré d'acheter, sa mère est surexcitée et décide de refuser de la leur offrir. Elle se terre dans son coin, et des images surgissent ressuscitant leur passé vécu ensemble « sur le petit divan bas de la salle à manger ... » (P.48) où elle raconte à Gisèle « son histoire préférée depuis qu'elle avait onze ou douze ans », et que cette dernière entend qu'elle réitère non pas cette fois le passé, mais l'avenir en affirmant en ces termes :

« Oh, raconte-moi encore, maman, comment ce sera, le grand jour ... la robe de mariée, les robes des demoiselles d'honneur, les invités arrivent à Auville à la mode d'autrefois - ça l'amusait beaucoup - en vieilles calèches, dans d'énormes chars à bancs ... les cloches de la vielle église sonnant à toute volée, et elle, montant lentement les marches au bras de son père (...) » (P.49).

Il en est de même pour le personnage d'Alain. En effet, lorsque Germaine Lemaire et sa cour de jeunes admirateurs ont fait irruption chez lui, dès l'instant où il s'apprête à leur servir quelques rafraîchissements, l'ascenseur de son immeuble s'est mis en branle. Il se persuade que cet ascenseur ramène sa femme (Gisèle), prévoit la surprise de celle-ci devant ses invités inattendus. Il tente alors de deviner ce que Germaine Lemaire et ses amis penseront de Gisèle, de sa timidité, de son accoutrement et de ses petites manies, et submergé par l'abondance de ces visions intérieures le jeune homme, trop imaginatif, perd le contrôle de conversation. Qu'on relise ce récit :

« .. C'est l'ascenseur qui monte, il franchit le premier étage ...dansquelques instants on entendra le cliquetis de la parole grillagée, le glissement de la clef dans la serrure ... la porte va s'ouvrir et elle va entre, s'arrêter près duseuil, stupéfaite, figée... S'il pouvait courir au-devant d'elle, la prévenir, lapréparer ... mais attention, ils l'observent, ils se demandent ce qu'il a tout à coup ... Mais rien, absolument rien, il tourne la tête comme quelqu'un qui dresse l'oreille, il lève un doigt : « l'entends l'ascenseur, ça doit être ma femmequi rentre ... elle va avoir une surprise, elle sera contente ... » Elle va les regarder, les yeux écarquillés, bouche bée ... » (P.73).

En fait, ce monologue intérieur enferme Alain Guimier dans « la subjectivité d'un vécu sans transcendance ni communication »174(*). C'est ce qui caractérise, de façon générale, les personnages sarrautiens dont le silence semble être leur profession de foi.

Si l'on considère la question du point de vue de l'oeuvre théâtrale : le Silence175(*), il est clair que la psychologie des personnages de Tropismes et LePlanétarium est légitime. En effet, c'est peut-être la plus grande gloire de l'écrivain aux yeux de la postérité que d'avoir osé  expérimenter cette thématique dans la texture du récit. La notion de silence semble en vérité, occuper la quasi-totalité des pages. Elle est consécutive à plusieurs facteurs inhérents au contexte de l'après-guerre.

De prime abord, on sait que les grands romans étrangers qui ont influencé la littérature de la seconde moitié du vingtième siècle témoignent des incertitudes et des angoisses nées de la guerre. De Dostoïevski à Kafka, de Musil à Faulkner, ce sont les mêmes errances qui sont représentées dans l'armature du récit. La geste de la conquête industrielle et bourgeoise du XIXe siècle a désormais laissé place à des interrogations nouvelles. De fait, plus que l'évolution naturelle du roman, c'est l'histoire des mentalités qui pousse le récit à se métamorphoser. Et l'on ne doit pas s'étonner que la plupart des néo-romanciers, en l'occurrence, Sarraute, Butor soient des essayistes décidés à penser sur les complexités d'un siècle, de surcroît, du récit. Si, en réalité, ces difficultés n'ont aucunement ménagé la condition humaine, il est singulier que « lenouveau roman réduise le personnage au degré zéro : ni nom, ni famille, ni passé »176(*).

De ce point de vue, les pensées du soupçon, pour reprendre le terme de l'auteur, ayant invalidé l'idée que l'homme puisse être sociable, normal, la romancière est conduite, suivant l'influence épistémologique qu'elle subit, à adopter tel ou tel mode d'appréhension du personnage : sa désagrégation qui confine au drame de l'incommunication mieux au silence assourdissant. En effet, dans Tropismes et Le Planétarium, les masques d'animaux foisonnent, et de « l'oiseau de proie » aux animaux marins triomphent souvent de l'apparence humaine, néantisant du coup toute possibilité de communication entre les personnages qui se font face puisqu'elles n'appartiennent pas à la même espèce.

Ainsi, dans Tropismes, le personnage indifférencié, « il » en sifflant, il se met dans la peau d'un serpent, car « il faisait entendre parfois, plissant la joue, pressant la langue contre ses dents de côté pour en chasser un reste de nourriture, un bruit particulier, une sorte de sifflement, qui avait toujours chez lui un petit ton satisfaisait, insouciant » (T.46).

C'est donc dire que ce personnage anonyme, « il » est la statue du mutisme dans la mesure où « il se produit sait parfois, malgré tous les efforts vers elle, un silence » (T. Ibid).

Dans Le Planétarium, nous retrouvons la même isotopie. Rappelons le dialogue qui oppose Pierre à son fils, Alain au sujet de la beauté de Germaine Lemaire. En effet, à la question ironique d'Alain « (...) Elle n'est pas belle, peut-être ? Ce n'est pas beau ça non plus ?» Pierre répond par des « si » à telle enseigne que la narratrice souligne que « son si est long sifflement, si .... C'est beau, ... bien sûr .. il siffle comme un serpent ... » (P.102) ou encore « la plus ignoble réaction, la barbarie, l'obscurantisme, la bêtise, la plus atroce hérésie ... il incarne tout cela » (P.103).

Pour renchérir, disons que le Père d'Alain ressemble à un « petit vautour, toutes ses serres tendues ... »  (P.115) lors de sa conversation avec sa bru, Gisèle qui soutient antérieurement : « c'est une sorte de rayonnement qu'il dégage comme une fluide, cela coule vers vous de ses yeux étroits, de son sourire de Boudha de son silence ... » (P.112).

Ce silence du père a des résonances héréditaires, puisque, Gisèle, dans un autre récit, fustige le comportement taciturne d'Alain Guimier au cours d'un repas familial, symbole du drame :

« Mais Alain, tu restes à te taire, tu pourrais dire quelque chose, c'est lâche, ce que tu fais là, Alain, tu sais bien que tu es de mon avis, mais exprime - toi, explique toi ... (...) » (P.103).

En outre, Tante Berthe, notons au passage que le silence semble ensevelir parfois autant l'espace diégétique du récit que les personnages qui s'entichent de solitude. Les premières pages du Planétarium s'ingénient de la sorte à décrire minutieusement l'harmonie qui règne dans l'espace contemplé, avant de déchirait brutalement la trame du récit. L'entrée se fait dans un silence religieux, épaisse, bien heureux.

« Non vraiment, on saurait beau chercher, on ne saurait rien trouver à redire, c'est parfait ... une vraie surprise, une chance ... une harmonie exquise, ce rideau de velours, un velours très épais, du velours de laine de première qualité, d'un vert profond, sobre et discret ... et d'un ton chaud, en même temps lumineux ... une merveille contre ce mur beige au reflets dorés... et ce mur ... Quelle réussite. On dirait un peau ... » (P.7).

Alors que la « couleur de chair » imaginée idéalement par bien des peintres semble atteinte d'emblée, par la seule maîtrise du langage, aussitôt la référence du récit bascule et la représentation de s'effondre. Le silence n'est qu'un silence de mort entre Tante Berthe et les ouvriers.

« L'appartement est silencieux. Il n'y a personne. Ils sont partis. [...] Mais tout a un drôle d'air, étriqué inanimé... [...] mais c'est tout trouvé, c'est ça crève les yeux : la poignée, l'affreuse poignée en nickel, l'horrible plaque de propreté en métal blanc ... c'est de là que tout provient, c'est cela qui démolit tout, qui donne à tout cet air vulgaire - une vraie porte de lavabos... » (P.11).

Dansce récit du Planétarium, par le seul maléfice du silence, le sanctuaire se mue en latrines, l'objet (« belle porte ») se défait en abject affectant, de surcroît, la trame du récit. En fait, ces deux dernières phrases suffiraient peut-être à elles seules à résumer tout le projet romanesque de Nathalie Sarraute : « il s'agit à la fois de se défaire du langage et de crever la toile bien tendue entre le monde et le moi, en un geste qui précisément conjoint le langage »177(*) et la porte ouvragée que les ouvriers opposent aux désirs de Tante Berthe.

Le silence qui caresse Berthe lorsqu'elle est devant cette « poignée de porte et cette plaque de propreté » (P.13) est symétrique du calme que cultive le lecteur moderne devant une oeuvre quelconque. En d'autres termes, une oeuvre d'art exige une lecture solitaire, silencieuse pour que jaillissent plusieurs significations qui homologuent sa valeur c'est-à-dire entre le narrataire et l'oeuvre littéraire il ne saurait y avoir un médiateur (critique littéraire) mais un contact que seul le silence a droit de cité.

C'est la raison pour laquelle le personnage anonyme, « elle », dans Tropismes, « avait rampé insidieusement vers eux et découvert malicieusement « le vrai de vrai » comme une chatte qui se pourlèche et ferme les yeux devant le pot de crème déniché » (T.69). Aussi, pour « elle » « rien ne devait lui échapper de ce qui leur appartenait : les galeries de tableaux, tous les livres qui paraissent ...elle connaissait tout cela. Elle avait commencé par « les Annales », l'oeil intense et cupide à « l'Union pour la vérité » » (T.70).

Ce point de vue qui innove le mode de lecture du récit traditionnel rencontre l'approbation de Anne Jefferson qui énonce : « On sait que Chez Nathalie Sarraute la parole est toujours dangereuse - c'est « l'arme quotidienne, insidieuse et très efficace, d'innombrables petits crimes, comme elle le dit dans l'Ere du soupçon (...) il n'y a pas de parole plus dangereuse pour l'écrivain que celle de la critique. S'il veut éviter ce danger, le critique doit chercher avant tout au moyen de son statut de porte-parole - à créer une écoute pour l'oeuvre elle-même. Puis, une fois qu'il- ou elle l'a créée, il ou elle - n'a qu'à se taire pour céder la place au  silence «  qu'elle sait rendre si éloquent » »178(*)

De cette façon, Nathalie Sarraute ébranle l'étroite tradition du commentaire qui faisait de la visée de l'écrivain la seule lecture légitime du texte. Elle prolonge les réflexions de Valery sur le sujet et préfigure le thème de « l'oeuvre ouverte » cher à Umberto Eco pour ne pas incommoder le cheminement intermittent du texte, puisque l'oeuvre d'art est objet ouvert à une infinité de dégustations.

En réalité, la lecture personnelle ou plutôt silencieuse, nous dit Paul Ricoeur après Hans Robert Jauss, est « une expérience vive », « fusion » entre l'intentionnalité et l'horizon d'attente du lecteur dans le processus discontinues du récit .

De plus, pour rester dans la perspective du silence des personnages, convenons que ces derniers sont foncièrement avares de paroles et ne font que se plier au cliché selon lequel « le silence est d'or ». Du coup, la plupart des personnages sarrautiens sont hostiles au bavardage mieux au tapage.

Qu'on se rappelle la jeune fille, agacée par le verbiage d'amis en qui elle croit reconnaître des personnages de Balzac (T.33.34) et celle - est-ce la même ? condamnées à écouter les récits familiaux, elles n'ont pas le courage de se sauver en vociférant, de surcroît n'osent pas suggérer d'autres représentations du monde :

« (...) Quand ils les voyaient qui se tenait silencieusement sous la lampe, semblable à une fragile et douce plante sous-marine toute tapissée de ventouses mouvantes, ils se sentaient glisser, tomber de tout leur poids écrasant tout sous eux : cela sortait d'eux, des plaisanteries stupides, des ricanements, d'atroceshistoires d'anthropophages, cela sortait et éclatait sans qu'ils pussent le retenir. Et elle se repliait doucement » (T.88).

Que dire des personnages du Planétarium ? On sait, en fait, que, mis à part « le fou », et les membres du cercle littéraire de Germaine Lemaire, Alain, Pierre, Berthe, Gisèle, Germaine Lemaire elle-même cultivent un « silence anxieux » (P.174). Pour s'en persuader, il n'est qu'à souligner, de prime abord, qu'Alain et Germaine Lemaire « se comprennent par delà les mots » (P.83) puisqu'Alain est « un grand timide (...) » (P.117) ; il a « une voix sourde (...) » (P.118) - tandis que Germaine Lemaire est une « mince forme silencieuse qui s'affaire, penchée sur la table à thé (...) » (P.244). Ce qui naturellement enlise le récit qui devient amorphe du fait qu'il n'a pas de voix cardinale pour le dynamiter.

En un mot, le moins que l'on puisse est que la notion de silence peuple l'univers spatio-temporel du récit sarrautien. Les personnages (« elle », « il », Alain, Pierre...)  sont la négation du personnage de Panurge qui se caractérise, dans le Tiers Livre, par « l'inflation verbale » 179(*).

C'est dans ce sens que l'écriture sarrautienne s'oriente dans la négation des principes fondamentaux des personnages tels que conçus dans le récit traditionnel : C'est-à-dire des personnages qui, de par leur langage transparent et cohérent, donnent vie et dynamisme au récit.

CONCLUSION GENERALE

L'apanage des modalités du récit est, à l'évidence, de remettre en question les généralisations. Dans cette perspective, chaque chercheur est libre d'explorer son propre champ d'investigation qui s'insère essentiellement dans les procédés narratifs modernes.

Ainsi au terme de ce travail, destiné à préparer-non à remplacer-la découverte de l'oeuvre sarrautienne, on renverra donc aux deux textes qui, analysés et commentés, ne font aucunement l'objet d'un choix fortuit.

L'objectif de cette étude exclusive est de démontrer que plusieurs rapports thématiques ont de l'importance entre eux principalement dans leur façon d'aborder la notion de récit.

De ce fait, la tâche à laquelle nous nous sommes attelés est d'entreprendre la manière dont le récit est déstructuré dans Tropismes et Le Planétarium. En guise de conclusion, est-il possible d'entrevoir le devenir du récit néo-romanesque ? Dans cette étude, un certain nombre d'ouvertures nouvelles ont été signalées : Elles sont susceptibles de développements et retournements qu'il serait vain d'essayer de prédire, d'autant que les textes les plus déterminants sont souvent les plus inattendus. Mais les problèmes que soulèvent la lecture et l'interprétation du récit moderne sont peut-être plus visibles.

Revenons d'abord à notre constatation de départ : le récit reste une forme littéraire prestigieuse, mais avec le Nouveau Roman il subit la loi de la destruction. De fait, l'on a analysé Tropismes et Le Planétarium comme des textes représentatifs de la déstructuration du récit, comme fracture d'avec les procédés narratifs traditionnels.

Cette modification des éléments constitutifs du récit balzacien n'a pas toujours fait l'objet d'étude fragrante dans le cadre des travaux consacrés aux deux textes sarrautiens.

Aussi, faisait-il défaut dans bien des travaux de recherches. C'est effectivement ce qui a fourni le motif de cette étude qui se présente non pas comme un essai sur le récit mais comme un travail destiné à produire sens et signification, mieux à présenter le récit comme un socle sur lequel s'expérimentent de nouveaux procédés esthétiques d'une génération de romanciers rompus à l'art de mettre à nu divers dysfonctionnements narratifs d'obédience balzacienne.

En effet, cette nouvelle génération d'écrivains dans laquelle Nathalie Sarraute occupe une place prépondérante, et proches de Flaubert, de Joyce ou encore de Proust, s'est attachée à trimer selon le principe d'une recherche renouvelée.

A présent, il convient de remarquer que le commentaire des données représentatives du récit postule une nouvelle forme de lecture applicable aux Tropismes et au Planétarium mieux à toute la fresque néo-romanesque. Cette trouvaille aura pour ambition de mettre en exergue les nouvelles techniques narratives que le Nouveau Roman s'attèle à systématiser.

Au courant des années cinquante, apparaît selon le titre d'un essai célèbre de Nathalie Sarraute, « l'Ere du soupçon ». Cette suspicion dans la littérature a touché certaines formes traditionnelles attaquées en règle par les contestations qui dessinent les contours de ce qu'on peut considérer comme une crise, mais qui est avant tout un profond renouvellement. Ce changement est en réaction contre l'imagination arbitraire et contre l'illusion réaliste. Il réside dans une dynamique de déstructuration des canons esthétiques du roman traditionnel. Lequel roman s'arrogeait la primeur de mettre à découvert la transparence et la représentation du monde considéré comme une propriété à conquérir.

Dès lors, la problématique de la destruction du récit trouve, dans la vaste tendance de déconstruction du roman, toute sa pertinence. De l'aveu de Sarraute, comme bon nombre de néo-romanciers, la texture et l'organisation du récit sont des facteurs déterminants principalement dans la façon dont elles construisent la société de surcroît le tissu littéraire. Son absence de l'univers romanesque est synonyme de la grande faucheuse. Tzvetan Todorov le réaffirme en ces termes : « la page blanche est emprisonnée. Le livre qui ne raconte aucun récit tue. L'absence de récit signifie la mort »180(*).

Pour ce comité d'auteurs attachés à un même dogme unique et qui se singularisent sous le sceau de Nouveau Roman (Il n'est pas une école, ni un mouvement) le récit ne saurait être le miroir d'un univers cohérent, logique et transparent. Mais une recherche complexe qui est quasiment symétrique à la complexité et à l'incohérence du monde sans lendemain.

La déstructuration du récit s'inscrit, en grande partie, dans un désastre central tirant sa validité au coeur même de l'histoire du vingtième siècle qui se confond avec une recherche sans cesse des « tropismes ». L'exemple de Hamon est très caractéristique du milieu ambiant de l'époque :

« L'oeuvre de Nathalie Sarraute, d'un bout à l'autre du XXe siècle, se confond avec cette quête inlassable des « tropismes », qui l'amena à refuser les formes romanesques et théâtres traditionnelles et à révéler les pouvoirs virtuels de la parole la plus banale en apparence »181(*).

Sous cet éclairage littéraire, l'oeuvre de Sarraute inauguré une période de rupture dans la tradition réaliste en faisant du renouvellement perpétuel le fer de lance de la littérature néo-romanesque. De fait, l'auteur du Portrait d'un Inconnu se trouve dans l'obligation de se pencher sur la problématique du récit qui est en prise directe avec un monde vidé de toute nécessité.

C'est dans cette perspective que l'écrivain s'emploie à exprimer une nouvelle technique axée sur un brouillage chronologique du récit avec superposition du présent et du passé, dans une construction en rosace.

En effet, dans cette période caractérisée par « l'Ere du soupçon », qui est tributaire de crises sans précédent, qu'elles soient sociales ou purement morales, s'exprimera un désir inlassable de recentrer les maillons essentiels du roman traditionnel dans leur rapport avec la colonne vertébrale du roman : le récit.

L'entreprise romanesque de Nathalie Sarraute, réside essentiellement dans la recherche d'un principe d'écriture qui évoque la méfiance du lecteur contemporain envers les « alouettes magnifiques » et les « très efficaces épouvantails »182(*) que constituent les personnages ou les situations trop bien typés.

Nous avons démontré dans le cadre de ce travail que Tropismes et LePlanétarium de Sarraute baignent dans une ambiance traversée par deux dimensions essentielles du récit. La fuite du sens qui affecte le déroulement du récit et la rupture entre les mots et les choses qui ébranle la syntaxe des actions de ce dernier.

Nathalie Sarraute, dans la perspective néo-romanesque, semble considérer le récit tel un espace clos dans lequel on a expérimenté diverses formes nouvelles. Le récit des Tropismes et du Planétarium semble ne plus répondre à l'idée de cohésion et de cohérence qui caractérisait le roman traditionnel. Par voie de conséquence, la notion de déstructuration du récit trouve ici toute sa raison d'être. Elle est la conséquence de plusieurs facteurs : le phénomène des « tropismes », la crise des personnages, etc.

Utilisant comme matériau le « tropisme » le fil du récit sera désormais chez Sarraute le mouvement même de l'écriture. Plusieurs thèmes se constituent autour du récit, ils se croisent, s'entrecroisent et évoluent au gré des « tropismes » de façon simultanée. L'expansion de ces thèses qui s'inscrit, en effet, dans une dynamique du décloisonnement ne provoque-t-il pas l'éclatement du récit ? Nous répondrons par l'affirmative en ce sens que le « tropisme » est avant tout une poussée, en d'autres termes, un assemblage de particules qui par leur nombre et l'énergie qu'elles parviennent à fixer, tentent de forcer les membranes extérieures qui les contiennent. C'est peut-être la raison pour laquelle la structuration du récit dans Tropisme et Le Planétarium demeure foncièrement déconstruite.

De cette modernité romanesque, remarquons par ailleurs qu'elle se fait précisément une tradition de la crise : crise du personnage. Le roman traverse ainsi une crise profonde à l'image de son siècle. En fait, nous savons pertinemment que c'est dans son oeuvre que l'on constate, pour la première fois, la crise du personnage romanesque. Bien sûr, Joyce avant elle, avait désigné son héros protéiforme de Finnegans Wake : H.C.E, initiations aux interprétations multiples. Kafka nommait étrangement son anti-héros d'une initiale qui marqua la littérature d'un sceau indélébile.

Quant à Sarraute, elle explique avec clairvoyance le manque de crédibilité du personnage de roman qui selon ses propres dires, «  est privé du double soutien, la foi en lui du romancier, et du lecteur qui le faisait tenir debout, solidement d'aplomb, portant sur ses épaules tout le poids de l'histoire, vaciller et se défaire »183(*). Comment dès lors justifier la présente du récit ? Douloureux problèmes auquel répond Sarraute : seul le langage désarticulé peut, à présent, expliquer son assiduité. Par ailleurs, même si le récit est omniprésent dans Tropismes et Le Planétarium, il apparaît fréquemment sous un jour fragmentaire.

De cette façon, le Nouveau Roman opte pour de nouvelles formes narratives de manière à estomper la part de la fable au profit de la vie intérieure d'un personnage qui n'est que l'ombre de lui-même.

En réalité, la place qu'occupe Nathalie Sarraute dans l'échiquier néo-romanesque n'est plus à démontrer. Sa notoriété tient désormais à la seule originalité de son écriture et, en quelque sorte, au territoire nouveau qu'elle a découvert. Son oeuvre théorisée dans l'Ere du soupçon est une perpétuelle remise en question des procédés narratifs traditionnels dont le récit chronologique semble être la première cible.

Cette remise en cause des clauses du récit traditionnel suscite une nouvelle vision du récit qui, loin d'être dans Tropismes et Le Planétarium une mise en scène logique et linéaire, devient un engrenage dans lequel le lecteur peine à tirer son épingle du jeu mieux à visualiser le commencement et la fin.

En fait, dans le roman traditionnel plus particulièrement dans la Cousine Bette on remarque que le récit commence par un ordre chronologique visible dès l'incipit : « vers le milieu du mois de juillet de l'année 1838 (...)  »184(*)suivi d'une intrigue se déroulant selon un schéma logique aboutissant systématiquement à une crise, dont la finalité intervient dans l'ultime chapitre.

Nathalie Sarraute à l'image de ces prédécesseurs (Proust, Dostoïevski, Virginia Woolf, etc.,) s'insurge contre ce schéma jugé obsolète en mettant sur les fonts baptismaux une technique dont la clausule du récit rejoint son commencement. Autrement dit le récit dans Tropismes et Le Planétarium rechigne à progresser, piétine, à la limite se love.

Ce renouvellement dans le paysage littéraire s'explique par le fait qu'il est plusieurs narrateurs qui se relaient suivant le processus intermittent du récit. Donc à la pluralité des narrateurs correspond une multiplicité de récits qui se contredisent sans relâche. De ce point de vue, l'ambiguïté est érigée en règle dans Tropismes et Le Planétarium postulant du coup l'interprétation plurielle du lecteur.

Ainsi l'univers sarrautien se veut un perpétuel renouvellement de la forme narrative, et par sa volonté manifeste de plaider pour l'inauthenticité qui fait face contre l'authenticité prétendument explorée dans les romans traditionnels, elle présente la vision néo-romanesque du récit en privilégiant l'intériorité des personnages. Cette intériorité a, au sens que l'entend Chateaubriand, les allures d'un « Panorama » c'est-à-dire une succession ininterrompue d'images se présentant à la pensée, et qui gagne le récit laissant voir quelques procédés représentatifs de la rupture : les anachronies narratives, la profilération des descriptions, l'emploi systématique du présent de narration, etc.

En apportant sa pierre à l'édification de la littérature moderne, Nathalie Sarraute invite le lecteur avisé à partager avec ses « anti-héros » les inquiétudes et les angoisses nées du début de la seconde moitié du vingtième siècle par le truchement du récit. On sait, en effet, que tout le travail de cet écrivain consiste à promouvoir les « tropismes » de la « sous-conversation », ces mouvements psychiques fugitifs qui se déploient dans l'intériorité d'un personnage placé dans une situation donnée notamment dans un rapport de communication avec le lecteur. L'auteur esquisse ici une évolution du récit romanesque, laquelle progression s'accentue avec ce roman moderne dont ses propres textes peuvent apparaître, à certains égards, comme un aboutissent.

En réaction contre le réalisme objectif d'obédience balzacienne, Sarraute préfère le réalisme subjectif qui rend compte, à l'évidence, de la fiabilité du récit. Ainsi elle cautionne l'idée selon laquelle la littérature moderne ou plutôt le récit ne saurait répondre aux desiderata d'une littérature traditionnelle habituée à présenter le roman comme « un miroir que l'on promène le long d'un chemin ». Dans cette perspective, Sarraute, en remettant en cause cette assertion d'Henry Beyle (Stendhal), entre directement dans « l'Ere du soupçon ».

Dès lors, le récit sarrautien se place sous le signe de l'interrogation mieux il adopte une démarche interrogatrice devant la complexité de l'histoire qui autorise aussi bien le personnage que son créateur à cultiver le silence, « l'innommable ».

De ce fait, la tâche du narrataire consistera à décrypter dans le mécanisme d'un récit déconnecté, défait, déstructuré, le sens qui se cache entre les micro-récits (Tropismes : page intercalaire et vide entre deux récits), entre la multiplicité des points de vue dans un même récit (Le Planétarium : « je », « tu », « vous », « on », etc,.).

En clair, si tout grand roman brise les stéréotypes par sa façon d'organiser les informations qu'il véhicule, il n'est pas étonnant que Tropismes et LePlanétarium s'inscrivent dans cette dynamique en ayant un rapport direct avec le sujet dont nous avons partiellement analysé. Par conséquent, un constat s'impose : Tropismes et Le Planétarium, deux textes foncièrement modernes fonctionnent comme des romans de la déstructuration du récit dans la mesure où ils sont la métaphorisation du phénomène des « tropismes ».

Tout bien considéré, disons avec Gaëtan Picon au sujet de l'art moderne :

« Il y a une conscience moderne de l'art qui, confrontée à la conscience qui le précède, nous suggère qu'un art de création vient d'être substitué à un art d'expression d'une expérience antérieure... l'oeuvre dit ce qui a été conçu ou vu, si bien que l'expérience à l'oeuvre, il n'y a que le passage à une technique d'exécution. Pour l'art moderne l'oeuvre n'est pas expression, mais création ; elle donne à voir ce qui n'a pas été vu avant elle, elle forme au lieu de refléter»1(*)85.

En définitive, vu la teneur et l'intérêt des procédés narratifs qui suscitent la quintessence du récit, notre démarche ne pouvait pas s'empêcher d'être sélective. Ce qui cautionne la relativité de cette présente étude qui, s'inscrivant en partie dans la perspective de la déstructuration du récit, nécessiterait d'être peaufiner par d'autres recherches et analyses.

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* 2 Lucien Goldmann, Pour une sociologie du roman, Paris, Gallimard, 1956, p.82.

* 3 Aristote, La Poétique, traduction de R. Dupont Roc et J. lallot, Paris, Le livre de poche, 1920 (59 a 17-21).

* 4 Tzevtan Todorov, Poétique, vol.2 Qu'est-ce que le struturalisme?, Paris, seuil, coll. « points », N° 45, 1996,p.82.

* 5 Jean Ricardou, Problèmes du nouveau roman, Paris, Seuil, 1967, p.82.

* 6 M. A. F. Ndiaye, Notes de cours de CS de littéraire française, Année Académique 2003-2004.

* 7 Gérard Genette, « Premier des écrivains modernes » dans Travail de Flaubert, Paris, Seuil, 1983, pp.7-8.

* 8 Gérald Genette, Figures II, Paris, seuil, 1969, pp.293-294.

* 9 Claude Simon, L'herbe (1956), cité par Maurice Nadeau dans Le Roman français depuis la guerre, NFF, Gallimard, coll. « Idées », 1963, p.174.

* 10 Julia Kristeva, « La Poétique ruinée », dans La Poétique de Dostoïevski, Paris, seuil, 1970, p.17.

* 11 Julia Kristeva, « La Poétique ruinée », Ibid., p.17.

* 12 Raymond Osemwegie Elaho, Entretiens avec le Nouveau Roman, Canada, Naaman, 1985, p.50.

* 13 Nathalie Sarraute, reprenant du mot de Stendhal dans l'Ere du soupçon, 1956, Paris, Gallimard, p.59.

* 14 Michel Butor, Essais sur le roman, Paris, Editions de Minuit, 1964, p.25.

* 15 Jean Ricardou, Problèmes du Nouveau Roman, op., Cit., p.111.

* 16 Ben Moustapha Diédhiou, Exercices de dissertation sur le langage désarticulé sous la direction de M. F. Ndiaye, Année Académique 2001-2002.

* 17 Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978., pp. 49-51.

* 18 Todorov T., Poétique de la prose, Paris, Seuil, 1971, p.20.

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* 20 Raynouard A. http : // perso.wanadoo.fr / belloeil/sarraute_articvle.htmlp.1, consulté le 5 janvier 2005.

* 21 H. De Balzac, Le Père Goriot, Paris, Larousse / vuef, 2001.

* 22 Citation de H. de Balzac reprise par Jean Rousset in Forme et signification, Paris, José Corti, 1992, p.X

* 23 G. Viaud, Les Tropismes, Paris, P.U.F, coll. «Que sais-je», 1951, pp 5-6.

* 24 N. Sarraute, l'Ère du Soupçon, Paris, Gallimard, 1956, p.52

* 25 Citation de G. Raillard citée par Réal Ouellet dans les critiques de notre temps et le Nouveau Roman, Paris, Garnier Frères, 1972, p.51.

* 26 N. Sarraute, Entretiens avec Claude Résy in Nathalie Sarraute de A. Rykner, Paris, seuil, 2002, p.197.

* 27 J-M. Adam Aristote cité par Le récit, col «Que sais-je», Paris, seuil, 1983, p.40

* 28 A.Robbe-Grillet, Pour un nouveau roman, Paris, seuil, 1961, p.25.

* 29 Paul .Ricoeur, temps et Recit, Tome II, Paris, seuil, 1984, p.18

* 30 Paul .Ricoeur, temps et récit, Ibid, p.22

* 31 Todorov (T.), « Les catégories du récit littéraire »  in l'Analyse structurelle du récit, Paris, seuil, 1966, p.126.

* 32 Reuter, L'Analyse du récit, Paris, Nathan / HER 2000. p.10

* 33 N. Sarraute, L'Ère du soupçon, Paris, Gallimard, 1956, pp.73-74

* 34 Y. Reuter, L'Analyse du récit, Paris, Nathan/HER, 2000, p.32.

* 35 P. Foutrier, Ethiques du Tropisme, Paris, Nathan, 2000, P.62.

* 36A.Robbe-Grillet, Pour un nouveau roman, Paris minuit, 1964, pp.36-37

* 37 Y.Reuter, L'Analyse du récit, Paris, Nathan/ HER, 2000, p.63.

* 38 A.Robbe-Grillet, Pour un nouveau roman, op. Cit. pp.36-37.

* 39 G.Genette, Figures III, Paris, seuil, 1972, p.79.

* 40J.M.Adam, Le Texte narratif, Paris, Nathan, 1994, pp.157-137-146.

* 41 A.F.Ndiaye «Des ouvertures du roman camusien» in Annales de la faculté des lettres et sciences humaines, n°24, 1994, pp. 181-182.

* 42 Y.Reuter, L'Analyse du récit, op.cit., pp.63-64

* 43 Ibid.,

* 44Y.Reuter, L'Analyse du récit, op.cit.,

* 45Ann Jefferson /«Nathalie Sarraute comme comédie de la critique» in http:// www .remue.net/cont/sarraute/5jefferson.html, consulté le 10 mars 2005.

* 46G.Genette,FiguresIII ,Paris,seuil,1972,p.110

* 47 Y.Reuter, L'Analyse du récit, op.cit.,

* 48G.Genette, Figures III, op. cit., p .79 .

* 49 P.Ricoeur, Temps du récit, Paris, seuil, 1984, p.156.

* 50G.Genette, Figures III, ibid., p.88

* 51 Robbe-Grillet (A), La Jalousie , Paris, Minuit, 1957.

* 52 A. Robbe Grillet, Pour un nouveau roman, op.cit., p. 53.

* 53Belval Y. et Cranaki M, http : // www.adpf.asso.fr /adpf-publi / folio / Sarraute / 04.htlm, pp-1-3, consulté le 25 mars 2005.

* 54 Jean Rousset, Forme et signification, Paris, Corti, 1962, p-XII.

* 55 Pierre Astier, la crise du roman français et le nouveau réalisme, Paris, les Nouvelles Editions debresse, 1968, p 258.

* 56 Ibid, p.260.

* 57 Ibid.

* 58 Binta Diédhiou : «Retours et répétions dans le Nouveau Roman. Les exemples du Voyeur et de La Jalousie d'Alain Robbe-Grillet», Mémoire de Maîtrise Lettres Modernes, UCAD, 1998-1999, p.122.

* 59 A- Rykner, Nathalie Sarraute, Paris, Seuil, 2002, p-43.

* 60 Arnaud Rykner, Nathalie Sarraute, op.cit., p.80.

* 61 A. Rykner, Nathalie Sarraute, op.cit., p.104

* 62 Kelin Wei, «La pluralité des voix et repentirs autobiographiques : une lecture d'Enfance de Nathalie Sarraute» in Etudes Françaises, Canada, les Presses de l'université de Montréal, vol.40, N° 2 ; 2004 p.100.

* 63 Frank Wagner, « Nouveau Roman » / Anciennes théories in leNouveau Romanen question 3, Paris, Lettres mod-minard, 1999, p.155.

* 64 A.Robbe-Grillet, Pour une Nouveau Roman, op. cit., p.31.

* 65 R. Micha, Nathalie Sarraute, Paris, Editions Universitaires 1996, p.7.

* 66 Yves Reuter, L'Analyse du récit, op.cit., p.109.

* 67 Y. Reuter, l'Analyse du récit, op.cit., p.109

* 68 Marc Alpozo, «Y-a t-il un avenir du roman?» in écrits-vains. Com/points de vue / Roman.html. p.2, consulté le 17 février 2005.

* 69 J. F. Jeandillou, L'analyse textuelle, Paris, Armand Colin / Marson, 1997, pp.84-85.

* 70 J.F. Jeandillou, L'analyse textuelle, op.cit., pp.84-85.

* 71 J- Ricardou, « le Récit en procès » in le Nouveau Roman, Paris, seuil, 199, P.76.

* 72 A. Rykner, Nathalie Sarraute,op.cit. p.87.

* 73 M. Patillon, Précis d'analyse littéraire, Paris, Nathan, 1995, p.90

* 74 Henri BAUDIN, Rabelais, Gargantua Pantagruel, Paris Bordas, 1987 p.10

* 75 Ibid.

* 76 Jean Jouve, Poétique du roman, Paris, Armand Colin / Vuef, 2001, p.170.

* 77 F- Dugast - Portes, le Nouveau roman : une césure dans l'histoire du récit, Paris, Nathan / her, 2001, p.129.

* 78 Lucien Dallenbach, « le tout en morceaux » in Poétique, N° 42, Paris, seuil, 1980, P.164-165.

* 79 Dominique Rincé et Bernard Lecherbonnier, Littérature XIX, Paris, Editions Nathan,230.

* 80 Denis Diderot, Jacques Le fatliste, Paris, Garnier Flammarion, 1970.

* 81 Paul Vernière, « chronologie et préface » in JacquesLe fataliste, Paris, Garnier Flammarion, 1970, p.8.

* 82 J. Popin, La Ponctuation, Paris, Nathan, 1998, p.100.

* 83 M. Zéraffa, Personne et personnage, Paris, Klinckisieck, 1969, P.9.

* 84 M. Zeraffa, Personne et personnage, ibid, p.9.

* 85 J. Ricardou, Le Nouveau Roman, op. Cit., p.112.

* 86 Ibid,

* 87 Gaëten Picon, L'usage de la lecture, Paris, Mercure de France, 1960.

* 88 A- Robbe Grillet, Les Gommes, Paris, Minuit, 1957, p.13.

* 89 Serigne Ben Moustapha Diédhiou, «La désagrégation du temps dans les Gommes (1953) d'Alain Robbe-Grillet et la Modification (1957) de Michel Butor» Mémoire de maîtrise, Lettres Modernes, UCAD, 2002-2003 p.64.

* 90 F. Dugast-Portes, le Nouveau Roman « Une césure dans l'histoire du récit », Paris, Nathan / HER 2001, p.68.

* 91 Roland Barthes, Le degré zéro de l'écriture suivi de Nouveaux essais critiques, Paris, seuil, 1972, pp.24-25.

* 92 F. Calin, «la vie retrouvée,, étude de l'oeuvre romanesque de Nathalie Sarraute»,  situation N° 35, Paris, Minard, 1976, p.146.

* 93 F. Dugast-Portas, le Nouveau Roman, op. cit, p.68.

* 94 Umberto Eco, Lector in fabula Paris, Grasset, 1979, «coll. Le livre de poche, P.120

* 95 Gérard G, Figures II, Editions du seuil, 1969, P.56.

* 96 Francise D., Le Nouveau Roman : une césure dans l'histoire du récit, Paris Nathan / HER, 2001.

* 97 Nassalang J-D «La désagrégation et narration dans l'Etranger et la jalousie», Mémoire de Maîtrise sous la direction de M-F Ndiaye, année universitaire 2000-2001, pp 131-132.

* 98 Bernard V., Esthétique du romanmoderne, Paris, Fernand Nathan, 1985, p.30.

* 99 Falou B. «Narration et Narrateur dans la jalousie d'Alain Robbe- Grillet et la Modification de Michel Butor» sous la Direction M.A.F Ndiaye année académique 2005-2004

* 100 Bernard Valette., Le Nouveau Roman, Paris, Nathan, 1992, p.46-47.

* 101 Arnaud Rykner., Nathalie Sarraute, op.cit., p 71.

* 102 Nathalie Sarraute, L'ère du soupçon, op. Cit., p.10.

* 103 Arnaud Rykner., Nathalie Sarraute, op. cit., p.66.

* 104 Emile Zola,Germinal, Paris, Librairie Larousse, 1973.

* 105 Jean Philippe M., Le Personnage de roman, Paris, Nathan, 1997, p.9.

* 106 Jean denis N., «Désagrégation du personnage dans la jalousie de A. Robbe Grillet et Narration dans l'étranger de Camus», op. Cit., pp.131-132.

* 107 Nathalie S., L'Ère du soupçon, op.cit., p.87-88.

* 108 Arnaud R., Nathalie Sarraute, op. Cit. , P.. 69-70.

* 109 Roland Barthes , S/Z, Paris, Editions du seuil, 1970, p. 68

* 110 Françoise Calin, La vie retrouvée: étude de l'oeuvre romanesque de Nathalie Sarraute, Paris, lettres Modernes Minard, op.cit, p.106.

* 111 Jean Rousset, Forme et signification, op.cit.,P.109.

* 112 Michel Zéraffa, Personne et personnage, Klincksieck, 1996, p.9.

* 113 Gérard Genette, Figures II, op. Cit., P.56.

* 114 Gérard Genette, Figures II, Ibid, P.59.

* 115 Alain Robbe Grillet, Pour un nouveau roman, op. Cit., p.126.

* 116 Honoré de Balzac, le Père Goriot, op. Cit., p.13.

* 117 Gérard Genette, Figures II, op. Cit. , p 59.

* 118 Bernard Valette, Le roman, op. Cit., p.35.

* 119 Gérard Genette, Figures III, op. Cit. , p.231.

* 120 Jean Ricardou, Lenouveau roman suivi des raisons d'ensemble, Paris, Seuil, 1990, p.145.

* 121 Francise Dugast-Portes, le Nouveau Roman, op. Cit. , p.100.

* 122 Vincent Jouve, La poétique du roman, Paris, Armand Colin / vuef, 2001, p. 40.

* 123 Honoré De Balzac, La Cousine Bette, Paris, Bookking International, 1993, p.24.

* 124 Falou Bane, «Narration et Narrateur dans la Jalousie d'Alain Robbe Grillet et La Modification de M. Butor», op. Cit., p.21.

* 125 Jean Ricardou, Problèmes du nouveau roman, op.cit. p.112.

* 126 Jean Ricardou, le nouveau roman, op.cit., p.137.

* 127 Jean Ricardou, Le Nouveau roman, op.cit., p.136.

* 128 Jean Ricardou, ibid. p.139.

* 129 Ibid, p.135-136.

* 130 Jean Ricardou, Ibid, p.137.

* 131 Ibid. p.145.

* 132 Alain Robbe- Grillet, Pour un nouveau roman, op. Cit., p. 123.

* 133 Jean Michel Adam et André petit Jean, Le Texte narratif, Paris edition Nathan, 1989, pp.16-70.

* 134 Claude Siomon, Leçon des choses, Paris, Minuit, 1947, pp.10-11.

* 135 Jean Ricardou, Le Nouveau Roman, op.cit., p.141.

* 136 Jean Ricardou, Problèmes du Nouveau roman, op. Cit., p.109.

* 137 Honoré de Balzac, La comédie Humaine, Paris, Gallimard, 1951, PP.3-16.

* 138 Jean Ricvardou, Problèmes du nouveau roman, op.cit., p.133.

* 139 Yves Reuter, L'analyse du récit, op. Cit., p.40.

* 140 Jean Paul Sartre, la Nausée, Paris, Gallimard, 1938, p.62.

* 141 Marc Alpozo, «Ya-t-il un avenir du roman » in www.ecrits.vains.com/ points_ de_vue / roman.html. consulté le 17 février 2005.

* 142 Vincent Jouve, La poétique du roman, op.cit., p.172.

* 143 Pierre A.G. Astier, la crise du roman franais et le nouveau réalisme, op. Cit. , p.206.

* 144 Georges Blin, Stendhl et les problèmes du Roman, Paris, 1954, voir la IIe partie.

* 145 Gérard Genette, Figures III, op. Cit., p.210.

* 146 Ibid. p.211.

* 147 Ibid, pp.183-184.

* 148 Vincent Jouve, Poétique du roman, op. Cit., p.29.

* 149 Ibid. p.30.

* 150 PierreA- G- Astier, la crise du roman français et le nouveau réalisme, op. Cit., p.203.

* 151 Vincent Jouve, Poétique du roman, op. Cit. pp. 49-50.

* 152 Françoise Calin, la vie retrouvée..., op. Cit.., p.160.

* 153 Compagnon (A), « Qu'est-ce qu'un auteur», in www.fabula.org / compagnon/ auteur.php., consulté le 04 mai 2005.

* 154 Jean Rousset, Narcisse romancier, Paris, José Corti, 1973, p.103.

* 155 Nathalie Sarraute, L'Ère du soupçon, op. Cit., p.40.

* 156 Ibid., pp.117-118.

* 157 Marie hélène Boblet-Viart, «Le Leurre et le deuil de la médiation verbale» in Ethiques du Tropisme, op. Cit., p.184.

* 158 Pierre Bourdieu, La distinction : critique sociale du jugement, Editions de minuit, 1979, p.VI.

* 159 Marie Hélène Boblet - Viart, «Le leurre et le deuil de la médiation verbale», op. Cit., p.184.

* 160 Hannah Arendt, «Nathalie Sarraute» The New York of Books, 5 mars , 1964, pp.5-6.

* 161 Nathalie S., L'Ère du soupçon, op. Cit., p.105.

* 162 Genevieve Henriot, «Distances dialogiques chez Nathalie Sarrautin Poétique, N° 97, Paris, seuil, 1994, p.42.

* 163 Chantal Thomas, «Nathalie Sarraute, le chemin de l'insoumission» in www.quinzaine. Littéraire. Presse.fr.N°773, consulté le 28 avril 2005.

* 164 Lucette Finas «NS ou les métamorphoises du verbe» in telquel; N°, 20 (1995), pp.68-77.

* 165 Nathalie (S.), L'Ere du soupçon, op. Cit. p.16.

* 166 Genevieve Henriot, «Distances dialogiques chez Nathalie Sarraute» op. Cit., p. 49.

* 167 Ibid, p.49.

* 168 Marie Hélène B, «Le leurre et le deuil de la médiation verbale» in Ethiques du tropisme, op. Cit. p.189.

* 169 Nathalie Sarraute, Ici, Paris, Gallimard, 1995 in Coll. Pléiade, 1996, p.1334.

* 170 Edouard D., le Monologue intérieur, Paris, Messein, 1931, p.59.

* 171 Anne Raynouard, «Nathalie Sarraute ou la peinture de l'invisible» in http : // perso. Wanadoo.fr // belloeil/ sarraute/ article. Html, consulté le 05 janvier 2005.

* 172 Marc Alpozzo, «Y a t-il un avenir du roman», op.cit., p.2.

* 173 Nathalie S., L'Ère du soupçon, op. Cit., p.97.

* 174 Gérard Genette, Figures III, op. Cit., p.198.

* 175 Nathalie Sarraute, Le Silence, Paris, Gallimard, 1978.

* 176 Marc Alpozzo, «Y a t-il un avenir du roman?», op.cit., p.2.

* 177 Arnaud R., Nathalie Sarraute, op. Cit., p.141.

* 178 Ann J., «Nathalie Sarraute comme comédie de la critique», in www. Remue.net /cont/sarraute 5 jefferson.htlm., pp 4-5, consulté le 10 mars 2005.

* 179 Alioune Badara Diané, Notes de cours de licence littérature française année académique 2003-2004.

* 180 Todorov T. Poétique de la prose, op. Cit., p.86.

* 181 Philipine Haman, «Nathalie Sarraute» in le Robert de Grands Ecrivains français, Paris, Dictionnaires de Robert, 2000, pp.1260-1268.

* 182 Nathalie Sarraute, l'Ère du soupçon, op. Cit., pp.151-152.

* 183 Nathalie Sarraute, l'Ere du soupçon, op. Cit., p.57.

* 184 Honoré de Balzac, La Cousine Bette, op. Cit., p.7.

* 185 Gaëtan Picon, L'usage de la lecture, t.II, Paris, 1961, p.289.






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