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à‰tude de la flore vasculaire, de la végétation et des macrophytes aquatiques proliférants dans le delta du fleuve Sénégal et le lac de Guiers (Sénégal)

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par Abou THIAM
Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal) - Doctorat dà¢â‚¬â„¢Etat ès Sciences Naturelles 2012
  

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5.4 Sur la prolifération des macrophytes aquatiques

A la faveur de l'important adoucissement des eaux en amont du barrage de Diama et les niveaux limnimétriques élevés et stables toute l'année, quatre espèces végétales aquatiques proliférantes se sont manifestées comme majeures dans la zone :

- Typha domingensis ; - Pistia statiotes ;

- Potamogeton schweinfurthii ;

- et Salvinia molesta.

L'extension de Typha dans le delta a commencé d'abord dans le lac de Guiers avec la construction d'un barrage en béton sur la Taoué à Richard Toll en 1947 qui transforma le lac de Guiers en réservoir d'eau douce (Trochain, 1956; Grosmaire, 1957). Les typhaies ont continué leur extension jusqu'au début des années 70 (Brigaud, 1961 ; Adam, 1964). Les peuplements de T. domingensis du lac de Guiers souffriront des grandes sécheresses des

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années 1970 (Thiam, 1983 ; Thiam, 1984). L'expansion de la plante reprendra plus tard et sera accélérée dans le lac ainsi que quasiment dans tous les cours d'eau et milieux humides du delta avec la mise en service des grands barrages sur le fleuve Sénégal. Ainsi, la typhaie constitue depuis plus d'une vingtaine d'année, la végétation aquatique proliférante majeure des milieux humides du delta et suscite beaucoup d'inquiétudes (Trochain, 1956 ; Adam, 1964; Thiam, 1983 ; Anonyme, 1995b).

T. domingensis montre une très grande plasticité écologique et un potentiel d'accroissement très élevé. La prolifération rapide du végétal est liée à sa grande capacité de multiplication végétative et sexuée dans différents milieux humides. Les Typha produisent de nombreux rhizomes et une litière très dense, ce qui réduit l'opportunité pour d'autres plantes de s'établir ou de survivre dans le même espace. La multiplication végétative à partir des rhizomes est prépondérante dans les peuplements déjà en place alors que la colonisation de nouveaux espaces s'effectue en grande partie par les graines. Celles-ci sont produites en abondance dans la zone et disséminées sur de grandes distances par les vents forts, très fréquents durant la longue saison sèche. Aux Etats Unis, les Typha colonisent également les nouveaux sites par la dispersion anémochore des graines (Grace, 1987). Typha domingensis est sans doute l'espèce qui produit la plus grande phytomasse à l'hectare avec une productivité très élevée.

Face aux importantes superficies occupées par les peuplements de T. domingensis et les nuisances occasionnées, des programmes de lutte et d'essais de valorisation de la phytomasse de la plante ont été menés au cours des dernières décennies. En 1999, des essais de contrôle mécanique avec fauchage des parties aériennes de Typha domingensis ont été réalisés dans le lac de Guiers ; les résultats obtenus ont montré qu'il est possible de faucher par heure entre 6600 kg/ha et 7260 kg/ha avec une consommation de 6 litres de gasoil. Sur cette base, 35 heures sont nécessaires pour faucher 1 ha de Typha. La méthode est donc limitée et peut être intéressante pour dégager de petites voies d'eau au bénéfice des communautés villageoises et des pêcheurs (Hellsten et al. 1999). Sale & Wetzel (1983) ont indiqué qu'au Michigan (Etats Unis), le fauchage des feuilles de Typha latifolia L. et Typha angustifolia L. en dessous du niveau de l'eau empêche le transport de l'oxygène vers la tige et les rhizomes ; ce qui provoque une respiration en milieu anaérobie des racines et des rhizomes. Dans ces conditions, les auteurs ont mesuré une production d'éthanol dans les rhizomes qui a par la suite provoqué un affaiblissement de la matière végétale en dessous de la surface de l'eau. Les essais ont montré que trois coupes pendant la saison de végétation ont été suffisantes pour

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tuer toute la biomasse sous l'eau. Dans le lac de Guiers, une seule coupe effectuée durant la saison de floraison des épis a suffi (Hellsten et al. 1999).

Dans le Delta, Typha fait l'objet de nombreuses utilisations : artisanat, matériau pour l'habitat (clôture, toiture,...). Traditionnellement en Chine, en Australie et en Amérique, la farine extraite des rhizomes séchés est consommée. Les jeunes pousses de Typha sont consommées fraîches ou bouillies et les jeunes feuilles sont utilisées comme condiments (Theuerkorn et Henning, 2005).

Des essais de valorisation de la biomasse de Typha, notamment comme source de production d'énergie (charbon biologique) ont été menés au Sénégal et au Mali (GTZ, 2001). Les résultats paraissent intéressants mais les briquettes de charbon à base de Typha ne sont pas encore disponibles sur le marché.

Une autre technique de lutte contre la plante serait la mise à sec des périmètres occupés par Typha pendant une longue période pour assécher les rhizomes. Ceci constitue certainement un moyen de lutte efficace. L'utilisation de cette méthode parait actuellement impossible dans le Delta ; elle nécessiterait des moyens colossaux difficilement mobilisables.

Des essais ont été menés avec le 2,4-D, le Dalapan, le MCPA, le glyphosate, etc. sur Typha dans plusieurs contrées à travers le monde (Wild, 1961). La lutte chimique contre Typha ne saurait être conseillée dans le delta car comportant beaucoup trop de risques en milieu aquatique. De plus elle est très chère.

Aucune lutte biologique contre Typha domingensis n'a été tentée jusqu'ici dans la zone. Celle-ci, ne sera pas simple compte tenu de la grande plasticité de l'espèce, de son fort enracinement, de ses rhizomes très puissants et de son installation dans des eaux relativement profondes. Bracharia mutica, une Poaceae, a été suggérée comme agent de contrôle biologique de Typha en Inde (Gopal 1982).

Un contrôle efficace de la plante devrait prendre en compte les possibilités de multiplication végétative et de reproduction sexuée.

Pistia stratiotes fait partie de la flore autochtone de la région. L'extraordinaire développement de l'espèce dans la partie sud du lac au début des années 1990 est également une manifestation des changements écologiques survenus dans la région après les barrages. L'adoucissement des eaux, l'orientation des vents dominants, l'existence de nombreux îlots qui favorisent de faibles déplacements des masses d'eau, la remise en suspension d'éléments minéraux par les fréquentes ouverture-fermeture de la vanne de la digue de Keur Momar Sarr,

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sont autant de facteurs qui ont permis à Pistia stratiotes d'avoir une multiplication fulgurante au point de constituer une nuisance pour les populations riveraines dans la zone du sud de lac de Guiers et rendre difficile l'exercice de la pêche (Thiam et al., 1993 ; Cogels et al., 1993). Bien que Pistia produise de nombreuses graines dans la région, la multiplication végétative par les stolons est la forme de reproduction la plus fréquente. La plante a une très grande capacité de mobilisation des ressources nutritives en suspension dans les eaux (Guiral, 1993). Ce qui expliquerait sa prolifération temporaire, très souvent observée consécutivement à des perturbations et des altérations récentes de l'environnement (construction de canaux, de drains, de barrages hydroélectriques..) ou à des enrichissements anthropiques des eaux par des usines polluantes (Hall et Okali, 1974 ; Mitchell, 1985 ; Thiam et al., 1993). Après l'invasion « explosive » observée dans le lac de Guiers et le Parc du Djoudj entre 1992 et 1994, les populations de Pistia ont par la suite rapidement baissé. En fin 1998, l'espèce n'est plus représentée que par quelques individus dérivants à la faveur des courants et des vents. Elle ne présente pas actuellement de risque de prolifération. Cependant, compte tenu de l'intensification agricole en cours dans la région dont l'une des conséquences pourrait être l'eutrophisation des eaux, les populations de Pistia pourraient amorcer un nouveau cycle de développement explosif.

Pour lutter contre la prolifération de Pistia stratiotes dans le lac de Guiers, l'enlèvement manuel a été pratiqué de manière localisée par les populations pour dégager des espaces et accéder à l'eau du lac. Des tentatives pour faire du biogaz et du compost avec la plante ont également eu lieu ; les résultats obtenus ont été très mitigés. La lutte mécanique a été fréquemment employée contre la plante. Elle est difficile et peu efficace quand il s'agit de superficies relativement importantes. Cependant, Varshnney et Singh (1976) considèrent qu'en Inde, l'enlèvement manuel de Pistia stratiotes est efficace dans 65 à 90 % des cas d'infestation (Wade, 1990).

Des tests de laboratoire menés en Côte d'Ivoire ont démontré qu'il était possible d'éliminer chimiquement P. stratiotes avec des herbicides utilisés en agriculture. Les meilleurs résultats ont été obtenus avec le glyphosate-N-phosphonométhyl-glycine, un inhibiteur de la biosynthèse d'acides gras aromatiques et de certaines enzymes. La dose efficace déterminée pour l'espèce a été de 0,63 g par m2 (Etien et al., 1991). Le diquat et le paraquat sont deux herbicides qui ont été employés à la dose de 0,6 à 1 kg/ha dans certains pays d'Asie pour combattre Pistia stratiotes (Gopal, 1990b). L'efficacité de ces traitements n'a pas été indiquée par les auteurs.

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La lutte biologique contre Pistia avec Neohydronomus affinis, un arthropode importé d'Afrique du Sud, a été réalisée au Nord Sénégal par la Direction de la Protection des végétaux (Anonyme, 1994). Des évaluations positives de ce contrôle ont été rapportées (Anonyme, 1994 ; Anonyme ,1995a ; Diop, 2006). En plus de Neohydronomus affinis, des essais de contrôle biologique de Pistia stratiotes avec Proxenus hennia en Indonésie et en Malaisie ont été rapportés (Mangoendihardjo and Nasroh, 1976 cité par Gopal 1990).

Sur la base des récoltes dans le lac de Guiers de Potamogeton schweinfurthii par Roger et Leprieur respectivement en 1819 et en 1826 (Dandy, 1937 ; Hutchinson and Dalziel, 1954-1972), il faut admettre que les eaux du lac devaient être au moins aussi douces qu'actuellement. Les deux derniers siècles sont marqués par de fréquentes sécheresses au Sénégal et en Afrique de l'Ouest (Henry, 1918 ; Hubert, 1921 ; Hubert, 1934). A cause de ces sécheresses et en absence de barrages à l'époque, la salinité des eaux du fleuve et du lac devait être trop élevée pour permettre le développement de Potamogeton schweinfurthii.

L'envahissement du lac de Guiers par les espèces de Potamots dès les débuts des années 90, pose de sérieux problèmes à la navigation et à l'exercice de la pêche (Thiam et Ouattara, 1997). Les observations récentes confirment la poursuite du développement des peuplements de P. schweinfurthii. Cette multiplication favorise par ailleurs la sédimentation et contribue au comblement progressif du lac et les autres cours d'eau affectés par la pullulation de la plante. L'extension des Potamots se poursuivra très certainement si des mesures de gestion adéquates des eaux et de contrôle du macrophyte ne sont pas rapidement mises en oeuvre.

L'apparition massive de P. schweinfurthii, après la mise en service des barrages, est une preuve de l'adoucissement très important des eaux. La plante est un bon indicateur de la baisse significative de la salinité des eaux et de niveaux limnimètriques élevés et stables dans le temps.

A notre connaissance aucune tentative de lutte contre les potamots n'a été jusqu'ici mise en oeuvre dans le delta et le lac de Guiers. Le contrôle de cette plante ne sera pas facile compte tenu de son immersion et de son enracinement dans des eaux pouvant être très profondes. Dans le contexte du lac, jusqu'à plus de 3 m.

L'introduction de la fougère invasive Salvinia molesta à la fin des années 90, a créé un problème supplémentaire de plante proliférante dans la zone. Il s'agit là d'une espèce exotique d'origine sud-américaine. La qualité des eaux et les vents favorables ont provoqué la multiplication de la plante et l'invasion rapide du delta. S. molesta est une plante invasive très redoutée qui a envahi depuis des décennies de nombreux fleuves, lacs et lagunes en Afrique

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(Boughey, 1963 ; Mitchell, 1970 et 1972 ; Anonyme, 1995b ; Salvina Task Force USA, 1999).

Le retrait manuel de Salvinia molesta a souvent été utilisé au moment de l'invasion du Delta. Il a consisté à pousser les masses de Salvinia vers le rivage, à les sortir de l'eau et à les laisser pourrir sur place (Figure 60). L'efficacité de cette méthode est faible. Des barrières en grillage ont été installées afin de contenir les plantes et éviter qu'elles ne se propagent dans les différents marigots, et en particulier dans le Parc National des Oiseaux du Djoudj (Figure 61). Mais les oiseaux et autres animaux qui se déplacent entre le fleuve et le parc peuvent transporter des fragments de plantes qui pourraient favoriser leur prolifération dans le parc du Djoudj. Le coût de la lutte manuelle a été élevé et a nécessité la mobilisation de moyens importants sur une période relativement longue et de façon régulière (Triplet et al., 2001).

De nombreux pesticides chimiques ont été employés avec succès contre Salvinia molesta, dans plusieurs régions à travers le monde (Thomas & Room, 1986). Dans le delta, la lutte chimique contre la plante a été exclue d'emblée par le Comité national chargé de la lutte contre Salvinia molesta compte tenu des risques écologiques que présentent l'utilisation des produits chimiques de synthèse en milieu aquatique et dans les zones humides. Cependant, un test avec le Roundup (glyphosate) a été autorisé sur 70 m2 sous le contrôle de la Société d'Aménagement de d'Exploitation des Terres du Delta (SAED) et de la Direction de la Protection des Végétaux (DPV) du Sénégal. Nous n'avons pas pu disposer des résultats de ces tests qui somme toute ont été limités dans le temps et très localisés.

La lutte biologique contre Salvinia molesta dans le Delta a été menée avec un charançon importé également d'Afrique du Sud ,Cyrtobagous salviniae. Cet insecte est entièrement dépendant de Salvinia molesta pour sa survie. La lutte a été un succès (Pieterse et al., 2003 ; Diop, 2006). Dix ans après, le niveau d'infestation reste faible. Cependant, il y a lieu de rester vigilant car à la faveur d'autres modifications du milieu, une prolifération de la plante est toujours possible. De nombreux exemples de réussite de la lutte avec Cyrtobagous salviniae ont été signalés, au Ghana, en Afrique du Sud, en Zambie, au Zimbabwe, en Inde, au Botswana, en Namibie, au Sri Lanka, en Malaisie, en Papouasie Nouvelle Guinée, en Australie, aux îles Fidji (USA Salvinia Task Force, 1999).

En terme de nuisance, S. molesta est souvent comparée à Eichhornia crassipes, une «peste végétale» très redoutée qui s'est installée dans de nombreux plans d'eau en Afrique (Chadwick et Obeid, 1966 ; Batanouny, 1975). E. crassipes est très tolérante en ce qui concerne les variations en nutriments et le pH de l'eau ; mais la plante meurt à une salinité

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supérieure à 0,06 % (Penfound and Earle, 1948). Les conditions optimales de croissance sont pour le pH environ 7, avec une concentration en phosphore de 20 ppm (Chadwick and Obeid, 1966 ; Haller and Sutton, 1973) et un niveau adéquat d'azote. La température optimale de croissance de la plante se situe entre 28 °C et 30 °C (Knipling et al, 1970). Du point de vue du pH et de la salinité, de la température et des nutriments, les eaux du fleuve et du lac de Guiers sont actuellement favorables à l'installation et à la prolifération de la jacinthe d'eau. C'est pourquoi la présence d'E. crassipes chez les fleuristes à Saint Louis, constitue une menace très sérieuse. Il faut éviter à tout prix que cette autre plante à fort potentiel d'invasion ne s'installe dans le système hydrographique du Delta et le lac de Guiers car les conséquences pour l'environnement et le développement de la région pourraient être désastreuses.

L'intensification de la production agricole amorcée depuis quelques décennies avec une utilisation accrue d'intrants, notamment les engrais chimiques, pourrait contribuer à enrichir les eaux (eutrophisation) et favoriser la multiplication de certains macrophytes.

Le contrôle des plantes aquatiques doit être abordé de manière globale. L'approche espèce par espèce peut être très onéreuse avec des résultats souvent aléatoires.

Les moyens de lutte testés ou proposés jusqu'à présent ont certainement chacun des avantages et des inconvénients. La difficulté réside dans la mise au point et l'application de méthodes qui tiennent compte du contexte écologique et du coût/bénéfice des interventions.

En tout état de cause, la lutte contre les plantes proliférantes devrait être appliquée sous forme de mesures de prévention en rendant moins favorables les conditions de multiplication des végétaux aquatiques en alternant, par exemple, le niveau des eaux. Mais ce type de gestion est difficile à mettre en oeuvre compte tenu des besoins et des multiples usages des eaux. Très souvent les actions de lutte contre les végétaux « envahissants» ne commencent pas avant que la multiplication de la plante ne soit évidente voire explosive.

L'accélération des aménagements et la mise en culture d'importantes superficies irrigables disponibles au cours des prochaines années pourront constituer des éléments de contrôle non négligeable de Typha domingensis dans le Delta et le lac de Guiers.

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Figure 60 - Enlèvement manuel de Salvinia molesta, Fleuve Sénégal, novembre 2000

Figure 61 - Grille installée pour empêcher l'entrée de S. molesta dans le Parc du Djoudj, novembre 2000

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle