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Le design comme moyen de reconstruction d'une identité territoriale. Cas de la ville de Saint-Etienne.

( Télécharger le fichier original )
par Inès Marandon
Kedge Business School - Master Ecole Supérieur de Commerce 2016
  

Disponible en mode multipage

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Master 2 ESC Kedge Business School Année 2015/2016

LE DESIGN COMME MOYEN
DE (RE)CONSTRUCTION D'UNE IDENTITE
TERRITORIALE
CAS DE LA VILLE DE SAINT-ETIENNE

Mémoire de fin dtudes présenté par Inès Marandon

Maitre de mémoire : Anne Gombault

Remerciements

Avant d'entrer dans le vif du sujet de mon mémoire, je tiens à remercier les nombreuses personnes qui ont joué un rôle important dans l'élaboration de ce mémoire de recherche.

Tout d'abord, je remercie celles qui m'ont accordé du temps en participant à des entretiens et

en répondant à mes questions :

+ Nathalie ARNOULD, Design Manager à Saint-Etienne Métropole ainsi qu'à la Cité du

Design de Saint-Etienne

+ Ivan BONIN, Designer diplômé de Kedge Design School

+ Anja CLERC, Designer sur la région de Saint-Etienne

+ Charlotte DELOMIER, Designer sur la région de Saint-Etienne

+ Stéphane DEVRIEUX, Directeur de l'Office du Tourisme de Saint-Etienne

+ Guillaume GRANJON et Élodie VICHOS, Fondateurs de l'agence Kaksi Design

+ Bernard LAROCHE, Consultant en « design pour tous »

+ Philippe MOINE, Designer indépendant

+ Gaëlle SUBILEAU, Chargée de mission, Designers Plus

Enfin, je remercie toute l'équipe de mon master à KEDGE BUSINESS SCHOOL du campus de Bordeaux, ma directrice de mémoire Anne GOMBAULT ainsi que Claire GRELLIER pour ses conseils relatifs à la réalisation de ce document.

Conclusion de la revue de littérature 52

SOMMAIRE

INTRODUCTION 1

REVUE DE LITTERATURE 3

1 Le design, un moyen de renouvellement urbain 3

1.1 Tentative de définition du design 3

1.2 Un intérêt grandissant pour le design depuis les années 1980 9

1.3 Le renouvellement urbain par les communautés créatives 13

1.3.1 Les créateurs, un moteur essentiel des mutations urbaines ? 13

1.3.2 Le réseau Unesco des villes créatives de design 17

1.3.2.1 Montréal 20

1.3.2.2 Berlin 23

2 Saint-Etienne, un territoire en reconversion 25

2.1 Une ville créative depuis toujours 25

2.1.1 L'âge d'or industriel 25

2.1.2 L'héritage industriel comme source de patrimonialisation et de muséification 28

2.1.2.1 Le Musée d'Art et d'Industrie 28

2.1.2.2 Le Musée d'Art Moderne et Contemporain 29

2.1.2.3 Le Puits Couriot en parc-musée 30

2.2 Une politique de renouvellement urbain tournée vers le design 31

2.3 Naissance de la Cité du Design 34

3 Le design comme nouvelle identité territoriale 37

3.1 Moteurs du développement urbain par le design 37

3.1.1 Une véritable stratégie de positionnement 37

3.1.2 Une alternative à la crise économique 40

3.1.3 Le design pour améliorer la vie des gens 43

3.2 Freins au développement de cette identité territoriale 45

3.2.1 L'image négative de la ville 45

3.2.2 La proximité avec la ville de Lyon 46

3.3 Le design à Saint-Etienne: quelles retombées ? 48

3.3.1 La Biennale Internationale du Design, un succès encourageant pour la ville 48

3.3.2 Un design participatif ancré à Saint-Etienne 50

3.3.3 Valorisation de la « démarche design » dans le secteur privé 51

RECHERCHE EMPIRIQUE 54

1 Méthodologie 54

2 Résultats de l'enquête 56

2.1 Le design... encore perçu comme élitiste ? 56

2.2 Discussions autour de cette décision politique orientée vers le design 59

2.3 Les problématiques de cette reconversion territoriale 64

ANALYSE DES DONNEES 67

CONCLUSION 71

BIBLIOGRAPHIE 75

1

INTRODUCTION

« Le design, c'est un état d'esprit avant tout. Le design est fait pour remettre en question, casser les codes, sensibiliser quelquefois, proposer de nouvelles logiques ». C'est donc par une définition plurielle que Matali Crasset, célèbre designer française, décrit le design lorsqu'on l'interroge.

Qu'existe-t-il de mieux que le design pour rendre accessible cette vision de la vie alliant l'utile à l'agréable ? Souvent méconnu et incompréhensible de la part des non-initiés, il fait pourtant partie de notre quotidien, à travers la machine à café, l'automobile, etc. C'est donc tout naturellement que les politiques se sont intéressés à ce concept pour reconstruire l'identité de leur ville et améliorer la qualité de vie des habitants. Par conséquent, l'urbanisme s'est ancré dans cette vision à tel point que certaines villes se sont même focalisées sur cet objet d'étude menant à des distinctions. Quels sont ces lieux qui tendent à rompre les codes grâce au design ? Pourquoi inscrivent-ils dans leur politique une volonté de l'utiliser pour se développer ? Qu'est-ce qu'une ville de design selon l'Unesco ? Nous pouvons formuler l'hypothèse que la régénération urbaine par le design est une véritable source de développement. Mais quels en sont les moyens ? Est-ce que cette désignation de l'Unesco est une vitrine constituée de quelques faits concrets, ou bien repose-t-elle véritablement sur un développement réfléchi ?

Afin d'apporter des réponses à ces questionnements, il semble intéressant de prendre l'exemple d'une ville appartenant au réseau mondial Unesco des villes créatives de design comme Saint-Etienne, qui a obtenu ce titre en 2010. Entre construction et reconstruction urbaine, comment la politique territoriale tournée vers le design améliore l'identité d'une ville à l'instar de Saint-Etienne ?

Tout d'abord, nous verrons comment cette discipline peut être un moyen de renouvellement urbain, à travers sa définition et son essor depuis les années 1980. Puis, nous nous intéresserons aux villes qui ont fait le choix de s'investir dans cette directive, ce qui nous conduira naturellement à l'exemple de Saint-Etienne, seule ville française à être reconnue

2

pour son design à l'Unesco. En effet, celle-ci subit son passé du fait de l'image de « ville noire » présente dans l'inconscient collectif. Ainsi, une politique urbaine tournée vers le design a vu le jour, ce qui a conduit à la naissance de la Cité du Design en 2005. Cet état de fait permet de conférer une nouvelle identité territoriale à cette ville, entremêlant avantages et inconvénients. A l'aide de ces constats, nous verrons si Saint-Etienne a gagné son pari.

3

REVUE DE LITTERATURE

1 Le design, un moyen de renouvellement urbain

1.1 Tentative de définition du design

En anglais, « to design » signifie littéralement « concevoir ». Il serait donc logique de penser que le mot design fait référence à tout ce qui touche à la conception. Mais ce n'est pas si simple que cela. En effet, l'introduction en 1965 du mot « design » dans notre langue française a suscité bien des débats, d'après Claire Fayolle... Ce n'est qu'en 1971 que l'Académie Française accepte le mot design, même si de nombreux pouvoirs publics et linguistes proposent de le remplacer par « esthétique industrielle », « stylisme », « stylique »... La Presse véhicule d'ailleurs l'image que design fait référence à un style, le « style design » lié à l'univers contemporain... Ces débats autour du langage sont la preuve d'une « réelle difficulté à cerner la réalité du design » (Fayolle, 2002).

S'il on demande à plusieurs individus, des designers, des communicants, bref, des acteurs différentes, de définir le design, on se rend vite compte que les réponses divergent. Pour certains comme Mathilde de Brétillot (designer), « c'est le risque de se tromper, de plaire... ». Pour Béatrice Saint Laurent, « le design est une pratique, et un objet fonctionnel, avec les qualités techniques et esthétiques. Il peut également peut être une forme d'art. » Pour Stéphane Vial, (docteur en philosophie et maitre de conférences en sciences du design à l'université de Nîmes), le design est une « philosophie impliquée ». D'autres prônent le fait que le design n'a pas de définition, ni de frontières, comme Stéphane Vial « Design, le mot a bien voyagé, de revues de modes en conversations détendues, sorte de pin's sémantique (É) voulant tout dire il ne dit plus rien (Vial, Court traité du design, 2014) » voici ce que François Barré affirme lorsque l'on lui demande sa perception du design... Le design est donc une notion relativement subjective. Il est donc légitime de se poser les questions suivantes : « Est-

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il possible de parler de design en général ? Existe-t-il une pensée design commune et transversale ? » (Vial, Le design, Que sais-je ?, 2015)

Pourquoi le design est-il si difficile à définir ?

Stéphane Vial a tenté de trouver des explications à cette indéfinition du design : d'après lui, il s'agirait d'un symptôme d'ordre épistémologique :

La notion du design a explosé ces 20 dernières années, a beaucoup plus évolué entre 1990 et 2010 qu'entre 1960... Laissant place à une multitude d'approches vis à vis du design aujourd'hui.

S'il on en croit l'expertise de Stéphane Vial et de Claire Fayolle, tous les deux partagent le même avis : le design fait parler de lui, et sa signification reste floue et subjective. Le design ne semble donc pas avoir de définition unique.

S'il on s'intéresse à la définition du design dans le Design Dictionary, un dictionnaire de référence spécialisé dans cette discipline, voici ce que l'on peut lire : « au risque de vous décevoir, cher lecteur, il est impossible de donner une définition unique et faisant autorité du terme central de ce dictionnaire - design... »1

L'analyse de Stéphane Vial révèle que le design est un terme complexe. D'après lui, il est clair que le design est difficile à définir, tant il existe une multitude d'approches. Etant donné les points de vue variés concernant ce qu'est le design, j'ai décidé d'établir une classification des différentes pensées.

Le design existe depuis toujours

Pour certains, le design a toujours existé. Le mot design serait alors un nouveau mot pour qualifier les inventeurs d'autrefois. Ceux qui affirment cela pensent que le design n'est « propre ni au XXème siècle ni à la société de consommation ni à la société industrielle ». Pour eux, « c'est l'un des plus vieux métiers du monde ». S'il on en croit cette théorie, le design est donc un nouveau mot, qui dérange peut-être par son appellation, mais qui n'apporte rien de

1 T. Marshall, Design Dictionary, Basel, Boston, Berlin, Birkhauser, 2008, p.104

5

plus que ce qu'on appelait inventeur, ou concepteur. Ils insistent sur le fait que les « beaux objets, objets d'art, objets industriels, objets de grande consommation se confondent... ».

Le design est partout

Une autre approche2 consiste à « voir le design partout et à étendre son champ d'application à tout ce qui nous entoure », soit sur un mode critique « tout est aujourd'hui affaire de design », soit sur un mode enjoué au service de l'addiction consumériste : « envahis par lui, nous ne pouvons plus nous passer du design. »3 Le design serait donc omniprésent, tout autour de nous.

Cette vision est dangereuse d'après Stéphane VIAL, car elle tombe dans le piège du « quand tout est design, rien n'est design »4. Cette approche a donc ses limites, et n'apporte pas de définition claire sur ce qu'est le design, car s'il est tout, il n'est rien...

Le design se distingue de l'artisanat : sa visée est industrielle

L'industrie et l'artisanat ont tous les deux ont en commun l'activité de conception, mais le design n'a pas comme l'artisanat, le même mode de production : à l'inverse de l'artisanat, le design consiste en la fabrication d'ordre uniquement industrielle, c'est à dire, non réalisée par les mains mais à l'aide de machines ou de technologies. Les objets de designers ne sont plus uniques, à contrario des objets d'art. Le design ferait partie du tout-fait-machine :

Il était une fois un monde manichéen objectif : il y avait les objets quotidiens d'une part et les objets d'art de l'autre. Une immense distance les séparait : d'un côté le tout-fait-machine et de l'autre le tout-fait-main.

La définition officielle, adoptée à Londres en 1969, au Conseil international des sociétés de design industriel, indique : « Le design est une activité créatrice qui consiste à déterminer les propriétés formelles des objets que l'on veut produire industriellement » (Maldonado, 1961). Serait objet du design, tout objet, à la seule condition qu'il date d'après la révolution industrielle. Pourquoi pas avant ?

2 Flusser V., Petite philosophie du design (posthume, 1993), Belval, Circé, 2002, p. 11

3 Vial Stéphane, Le design, Paris, Presses Universitaires de France « Que sais-je ? », 2015

4 Artifact, The Design Concept Anthology, Call for Papers, janvier 2014

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Auparavant, celui qui imaginait un objet se confondait avec celui qui le fabriquait, à savoir l'artisan. La révolution industrielle engendre le partage des tâches : d'un côté le designer qui conçoit, de l'autre l'ingénieur qui fabrique. (Bianchi, 2010)

Un champ d'intervention large

Le design intervient dans divers secteurs d'activités. Certains designers sont amenés à répondre à des commandes industrielles, donc à concevoir divers produits : une affiche, un logo, des motifs textiles, un biberon, un emballage. L'activité de chacun relève respectivement du design textile, du graphisme, du design produit, design industriel, de l'architecture commerciale, du packaging...

Le designer conçoit parfois pour de la consommation de masse : prenons l'exemple de Philippe Starck qui a déjà designé des brosses à dents. D'ailleurs, cela n'est donc pas un hasard s'il on retrouve des designers dans de nombreuses entreprises, qui collaborent avec des fabricants, des ingénieurs, des marqueteurs, pour concevoir des produits destinés à une cible parfois massive, mais surtout qui sera fabriquée en grande série, à l'identique pour tous.

Les métiers du design peuvent aider à cerner le champ d'action des designers : là encore, Claire Fayolle affirme que les métiers du design sont larges : « être designer n'implique pas une manière unique d'exercer son métier. Certains travaillent en agence, d'autres en entreprises, ou en tant qu'indépendant, etc. ». Les designers indépendants peuvent être amenés à effectuer diverses missions comme répondre à une commande industrielle, développer un travail personnel pour une galerie ou un éditeur, etc.

Le design est de l'art

Une théorie intéressante met en avant que le design peut être assimilé à de l'art. Un bon exemple est le fait que certains designers voient leurs oeuvres exposées dans des galeries d'art, et des musées (ex. Charlotte Perriand au Musée d'Art Moderne de Saint-Etienne). Certains produisent d'ailleurs des oeuvres en séries limitées, pour donner un caractère unique aux produits, ce qui les rapproche de l'art dont l'unicité est une caractéristique principale. On parle même de design d'art.

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Le design est avant tout fonctionnel

Le designer, lors d'une création, place l'utilisateur au centre de sa réflexion. Il cherche à comprendre ce dont il a besoin. Il s'intéresse donc à la fonction de l'objet avant tout. Prenons l'exemple du design d'un canapé : modifier sa forme ne transforme pas forcément sa fonction globale, mais change le rapport de l'usager à l'objet. Il pourra par exemple prendre en compte le confort. Pour Dieter Rams, « rien n'est laissé au hasard. L'expérience de l'utilisateur est pensée du début à la fin » (Saffré, 2013). C'est la raison pour laquelle le métier de designer ne se réduit pas au métier de simple décorateur. D'ailleurs, en voici une preuve (Bianchi, 2010) :

En 1983, lorsque le Journal Officiel publia une liste des mots à proscrire, parmi lesquels «design» et «designer», qu'il préconisait de remplacer par «stylique» et «stylicien», les designers français protestèrent en disant que leur travail ne consistait pas seulement à choisir la couleur des emballages.

D'après Stéphane Vial, « le mot désigne en effet des domaines d'activités et des pratiques variés ayant pour dénominateur commun de façonner notre environnement privé et collectif, de la petite cuillère à la ville ». Claire Fayolle rejoint son avis : les pratiques du design sont larges et ont comme point commun de changer, d'améliorer notre environnement privé et collectif. Ainsi, l'essentiel à retenir serait la théorie suivante : « du moment qu'un objet a une fonction, quand bien même sa forme serait redessinée par Picasso, ce n'est pas d'art mais de design qu'il s'agit ».

Le design doit être esthétique

Pour certains, le design est purement esthétique. On parle d'« activité créatrice consistant à remodeler des objets déjà existants sans que la fonction desdits objets n'en soit fondamentalement modifiée » (Stéphane Vial, 2015). Cette vision réduit donc le design a un aspect beau, visuel.

Pour d'autres, le design doit allier à la fois l'esthétique et le fonctionnel. D'après Dieter Rams, « après l'utilité du design, une certaine beauté est requise ».

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Le design est une stratégie marketing

Philippe Starck considéré comme un grand designer, est aussi connu pour être un très bon homme d'affaires. Il a déjà été amené à concevoir des objets comme la brosse à dents Fluocaril qui s'est vendue à 400 000 exemplaires. Le design serait donc utilisé pour vendre.

Le concept du design évolue constamment

L'International Council of Societies of Industrial Design déclare être « actuellement en train de renouveler sa définition du design industriel, par conséquent l'ancienne définition est temporairement inaccessible » (International Council of Societies of Industrial Design, 2014).

Un nouveau concept de design serait donc en train d'émerger (Stéphane VIAL). A l'heure actuelle, « les formes se distinguent autant qu'elle se recoupent » sans converger vers un cadre global unique ; mais « le changement de modèle est nettement visible », toutes ces nouvelles formes de design sont centrées sur l'humain, plutôt que sur le marché. Depuis plusieurs décennies, il s'est développé un « discours de la méthode en design ». Ceci a conduit à l'élaboration de plusieurs modélisations de l'acte de design, dont le « design thinking », mais également l'émergence d'un nouveau domaine scientifique, la recherche en design.

Représentation personnelle du design

A titre personnel, j'ai remarqué que le mot « design » était un terme (trop) largement utilisé en communication pour désigner des produits modernes, contemporains. Je pense que la majorité du grand public perçoit le design comme un terme qui désigne un « style », quelque chose de moderne et sobre. Cela reste un avis subjectif mais je pense que nous sommes prédisposés à méconnaitre les réalités du design. Avant d'effectuer mes recherches sur le design, j'étais ignorante de tous ces différents points de vue. J'ai l'impression de désormais mieux saisir ce qu'est le design, qui interroge et suscite de nombreux débats. Ce concept ne semble donc pas compris par tous.

Mais qu'est-il finalement ? D'après mon avis, pour le comprendre, il est indispensable de s'intéresser au métier du designer. Ce dernier cherche des solutions pour résoudre les

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problèmes des utilisateurs, ou tout simplement proposer des nouveaux modes de vie. Bref, un designer conçoit, en s'intéressant avant tout à l'usager. L'aspect esthétique est important mais la fonction reste avant tout une priorité.

Est-ce qu'une ville peut être identifiée comme ville de design ? Quelle est sa place dans les villes ? Quelles sont ces villes qui s'y intéressent ? Avant de répondre à ces questions, nous allons examiner l'intérêt du design en général, puis nous tenterons de répondre aux interrogations précédentes.

1.2 Un intérêt grandissant pour Ce design depuis Ces années 1980

L'Etat s'est beaucoup investi pour soutenir et promouvoir le design français contemporain. Claire Fayolle a réalisé un état des lieux du design français contemporain. D'après elle, « au cours de ces vingt dernières années, le design a suscité un intérêt général touchant aussi bien sa médiatisation, son enseignement que son développement ».

Dans les années 1980, de nombreuses entités ont vu le jour comme :

- La Délégation aux arts plastiques (1982) rattachée au Ministère de la Culture qui définit et met en oeuvre la politique de l'Etat dans le domaine de la création (aide, diffusion, enseignement)

- L'Ecole nationale supérieure de création industrielle (1982)

- Un département « Design » à l'Ecole des Beaux-Arts (1980).

Durant la même époque, les musées s'intéressent également au design :

- Le centre de création industrielle au Centre Pompidou organise des expositions importantes dont « Nouvelles tendances » (1987), « Design français 1960-1990 : trois décennies » (1988)

- Le musée des Arts décoratifs de Paris inaugure en 1985 de nouvelles salles dédiées uniquement à la création moderne et contemporaine.

- De nombreuses galeries dédiées au design apparaissent à Paris.

En 1979, le comité de développement des industries françaises de l'ameublement crée, avec le soutien du ministère de l'Industrie, l'association VIA : Valorisation pour l'Innovation dans

10

l'Ameublement. Cette dernière consiste à valoriser et promouvoir la création française dans le secteur de l'ameublement, en France et à l'étranger. Cette association finance également des prototypes exposés lors de divers évènements comme les salons du meuble de Paris et Milan... Une autre aide est créée par Claude Levy-Soussan en 1983, la Bourse Agora, qui soutient les projets de jeunes talents (moins de 35 ans). S'ajoutent à cela la première quadriennale internationale du design en 1986, à Lyon et dans sa région.

La Presse s'intéresse également au design : Pascaline Cuvelier et sa célèbre chronique « Glose de styles » dans Libération ; Chantal Hamaide lance le premier magazine français « Intramuros » spécialisé dans le design...

Tous ces exemples montrent que le design devient de plus en plus visible à partir des années 1980 : délégations, écoles, musées et galeries d'art, associations, événements, presse... Néanmoins, le design reste à cette époque encore oublié par beaucoup de domaines. Malgré toutes les initiatives positives en faveur du design, il reste essentiellement « un secteur parmi d'autres, celui du mobilier et plus largement des accessoires et objets pour la maison ».5 L'industrie française du meuble, mise à part quelques exceptions comme Roset (Ligne Roset et Cinna), ne s'est paradoxalement jamais lancée avec dévotion dans la création contemporaine. Il en est de même pour les médias qui ne valorisent pas le design : design industriel, packaging, identité visuelle, architecture commerciale, etc.

Les agences de design sont des « acteurs pourtant essentiels ». En France, cette époque, il y a deux types d'agences : les petites agences de moins de 10 salariés, et les grandes structures, plus rares, comme Dragon Rouge (170 personnes en France) ou Carré Noir (110 personnes en France).

5 Vial Stéphane, Court traité du design, Paris, Presses Universitaires de France « Quadrige », 2010, 124 pages.

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Les années 1990 sont le début d'un profond changement, où à cette période, deux manifestations majeures lui sont consacrées :

- « Caravelles 2 », quadriennale internationale de design (Lyon, 1991)

- « Design, miroir du siècle » (Grand Palais, 1993)

La naissance de la collection de design du MNAM-CCI (1992) fait également partie de cette dynamique. Concernant la politique design, en 1994, l'APCI met en place l'Observateur du design en 1999 pour repérer les réalisations innovantes grâce au design et leur décerner le Label de l'Observateur du design (Agence pour la Promotion de la Création Industrielle).

Côté musées, une situation paradoxale a peu à peu vu le jour : les trois principales collections muséales de design françaises, celles du Centre Pompidou, du musée des Arts décoratifs de Paris et du musée d'Art moderne de Saint-Etienne n'offrent guère de visibilité : la première en raison d'un accrochage restreint, la deuxième pour cause de travaux de rénovation, la troisième en raison d'une présentation épisodique. Et les grandes expositions manquent à l'appel.

En parallèle à cet engouement des musées pour le design, de nombreux musées provinciaux ont montré leur intérêt pour le design contemporain (dans leur présentation notamment, souvent grâce à des dépôts du FNAC). Le design émerge non seulement à Paris mais également dans les provinces.

Lors des années 1990, le « design intégré » émerge dans les entreprises : « il ne concerne plus seulement les grands groupes industriels mais aussi les PME-PMI tels les équipementiers automobiles - Valeo, Faurecia, Trèves... ou le monde de la distribution... » (Pijaudier-Cabot, 2002). Dans les grandes entreprises, les designers sont de plus en plus reconnus comme étant importants. On assiste à de nombreux regroupements des équipes de design intégré, comme par exemple Renault ou Salomon, qui ont créé un bâtiment autonome de design, ou Décathlon qui instaure un département de « design avancé ». Durant cette période, le secteur automobile est un « leader incontournable en matière de design intégré ». Les designers sont désormais « appelés à réfléchir à l'avenir des grandes entreprises, à l'innovation ». L'avancée du design en entreprise est également marquée par la multiplication des concours auprès des étudiants et des professionnels.

12

Les années 2000 sont caractérisées par un renouveau du vivier créatif. Au début des années

2000, « seul le travail de Philippe Starck, grand marketeur de sa propre image, semble

retenir les attentions ». C'est également l'époque où de nouveaux designers se font

connaître : Biecher, Bouroullec, Crasset, Jouin, Colucci, Ryant, Massaud. On assiste

notamment grâce à de nouvelles initiatives comme :

- Le Salon du Meuble de Paris qui mise sur le contemporain dès 1996,

- La création d'un parcours design,

- L'événement Designer's Days

- L'apparition de showroom de grands fabricants italiens comme Kartell,

- La Biennale Internationale du Design de Saint-Etienne,

- L'apparition de nouvelles galeries...

Les designers français sont de plus en plus présents sur la scène internationale, d'où une belle présence au salon international du Meuble de Milan.

Cependant, tout cela reste, dans une certaine mesure, de la poudre aux yeux : car, en dépit des efforts déployés par les pouvoirs publics et les énergies individuelles, le design demeure un secteur d'activité encore méconnu du grand public. (Fayolle, 2002)

Cette illusion comme quoi le design est encore ignoré du grand public aurait deux raisons principales : l'une est liée au fait que « le design englobe un grand nombre de pratiques et de métiers différents -graphisme, design de produits, design textile, packaging, dont n'est valorisé qu'un petit secteur, celui du meuble et des objets du quotidien », l'autre est que « son omniprésence le rend plus flou, plus difficile à (dis) cerner ».

Ainsi, le design a suscité un intérêt grandissant depuis les années 80. D'ailleurs, cela n'est pas un hasard si le design est reconnu par l'Unesco comme un patrimoine à part entière en 2004. « Quel est l'intérêt de ce réseau Unesco des villes créatives ? Pourquoi les villes s'intéressent-elles au design ? Comment le design grandit-il dans une ville ? », sont des questions auxquelles nous allons tenter de répondre.

13

1.3 Le renouvellement urbain par les communautés créatives

1.3.1 Les créateurs, un moteur essentiel des mutations urbaines ?

Il est impensable de parler de régénération urbaine par le design sans évoquer la théorie de Richard Florida sur les « classes créatives »6.

La capacité de développement économique des villes dépend de la place qu'y occupe la «classe créative» : scientifiques, ingénieurs, professeurs d'université, romanciers, artistes, gens du show-business, acteurs, designers, architectes, grands penseurs de la société contemporaine» et professionnels des secteurs «à forte intensité de savoir» (nouvelles technologies, finances, conseil juridique, etc.).

En effet, Richard Florida, dans son ouvrage intitulé « The Rise of the Creative Class », élabore une théorie sur le bien-fondé du renouvellement urbain par les industries créatives, notamment en ce qui concerne l'existence d'une « classe créative ». Cette dernière caractérisée par des ménages issus des classes moyennes et supérieures, serait d'après Florida, un moteur essentiel pour la mutation du système économique local. Cette dernière serait définie par trois T : le talent, la technologie, et la tolérance. D'après lui, cinq critères permettent de définir une ville créative : « indices de haute technologie (pourcentage d'exportation des biens et services liés à la haute technologie), d'innovation (nombre de brevets par habitant), de gays, comme représentatifs de la tolérance (pourcentage de ménages gays), de «bohémiens» (pourcentage d'artistes et de créateurs), et de talent (pourcentage de la population ayant au moins le baccalauréat). »

Pour attirer ces classes créatives, il faudrait par exemple, mettre en place des stratégies d'amélioration de l'offre commerciale et résidentielle, puisque ces classes créatives seraient génératrices d'emploi et de développement de la ville. La ville se réinventerait donc par la sélection de ses habitants.

De façon générale, les villes pionnières de ce concept sont principalement celles qui, historiquement, ont subi le plus durement le déclin du secteur industriel, telles que Saint-Etienne ou Lille.

6 Richard Florida, Cities and the creative class (2005), New York-London, Routledge, 198 p.

14

D'après Florida, les travailleurs de cette « classe créative » sont attirés par les lieux créatifs qui sont porteurs d'emploi : pour lui, la créativité est le moteur de la croissance des villes.

Le concept de « ville créative » a également été pensé par Charles Landry (Landry, 2000). Les villes détiennent un fort potentiel de créativité, qu'elles se doivent d'optimiser, et d'après lui, sept groupes de facteurs participent à ce concept : « les créatifs, la qualité des dirigeants, la diversité des talents, l'ouverture d'esprit, l'intensité de l'identité locale, la qualité des installations urbaines et les possibilités de mise en réseau. » En quelques mots, la ville créative est, selon Charles Landry, un modèle de développement territorial, une sorte de label visant à attirer les investisseurs.

Cette théorie a été l'objet de nombreuses recherches, notamment concernant ses limites et son développement7. Elle a notamment été pensée par le sociologue Alain Bourdin autour de sa réalité (Bourdin, 2005). D'après lui, Richard Florida commet trois erreurs dans son ouvrage : - L'utilisation de données biaisées (analyse de villes centres pour des régions métropolitaines), imprécises (champ des professions de cette classe créative trop large) et peu discriminantes (« les différences entre les villes sont très souvent sans signification statistique » 8 ). Les indices seraient même « bidons » d'après Marc Levine.

- L'association de cette classe créative au développement économique : « d'après les critiques, l'auteur ne prouve rien » affirme Alain Bourdin.

- L'utilisation du terme classe serait également une faute. « D'après lui, cette classe créative » serait un groupe d'individus n'ayant rien en commun mise à part les modes de consommations, mais « rien ne prouve qu'elle ait une chance quelconque d'exister comme acteur collectif ».

7 Chantelot Sébastien, « La thèse de la « classe créative » : entre limites et développements. », Géographie, économie, société 4/2009 (Vol. 11) , p. 315-334

8 Elsa Vivant. La classe créative existe-t-elle ? Discussion des thèses de Richard Florida. Les Annales de la Recherche Urbaine, Plan Urbanisme - Construction - Architecture, 2006, pp.155-161.

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Mise à part le désaccord d'Alain Bourdin avec le fait que cette classe créative serait un facteur de développement économique, ce débat sur la « classe créative » a selon lui, permis d'introduire de bonnes questions. Qui peut conduire le changement urbain et faire changer les villes ? D'après Alain Bourdin, « l'idée d'une interaction entre des acteurs de l'économie, de l'activité intellectuelle et de la création culturelle est au moins digne d'intérêt. ».

L'avis de Jean-Jacques Terrin rejoint la théorie de Richard Florida. Monsieur Terrin s'est également interrogé sur la place des créateurs dans la ville contemporaine. D'après lui, il est évident que « les créateurs contribuent à l'évolution des modes de vie en proposant de nouveaux usages de l'espace qui affectent la sociabilité, les services, les modes de travailler, d'habiter, de se déplacer et se divertir », mais il faut se poser des questions concernant leur rôle alternatif, et l'influence des créateurs : il a tenté de répondre aux questions suivantes :

Comment y vivent-ils ? Dans quelles conditions ? Quelles formes d'habiter, quels nouveaux usages introduisent-ils ? Dans quels lieux ? Quels rôles jouent-ils dans la vie de la cité ? Comment influencent-ils la fabrique de la ville, du territoire ? Comment contribuent-ils à façonner une industrie créative ?

Il existerait trois rôles importants des créateurs dans les villes : les créateurs habitants, les créateurs inventeurs et les créateurs acteurs (Terrin, 2012).

- Les communautés créatives sont nécessaires pour revaloriser les espaces marginaux ou délaissés (comme les friches industrielles), d'où l'importance d'une ville accueillante pour ces communautés. En effet, la présence de créateurs habitants s'affirme souvent comme « levier de développement d'un point de vue culturel, social et économique contribuant à transformer le territoire et son identité ». Les initiatives de créateurs induisant la production et la diffusion de manifestations culturelles (comme les spectacles, festivals ou expositions) sont génératrices de dynamiques urbaines, qui ont des effets positifs : elles rendent la ville plus attractive pour les habitants, les visiteurs et les acteurs économiques, politiques et culturels.

Les créateurs inventeurs permettent par leur regard « sensible, décalé et souvent critique », de révéler l'identité et le potentiel des lieux. Les créateurs « questionnent les usages existants et en devenir, interrogent l'usage de ces lieux, permettant ainsi la découverte de nouveaux usages et de nouvelles formes d'habiter ». Ils imaginent leurs habitations comme de véritables laboratoires expérimentaux jusqu'à parfois créer de nouveaux modes de vie, en détournant ou en contournant l'affectation initiale de ces espaces.

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Enfin, les créateurs doivent faire partie prenante d'une ville créative, dynamique et solidaire : leur présence se décline de multiples façons : « durable ou éphémère, formelle ou informelle, spectaculaire ou plus discrète ». Les initiatives artistiques transgressent parfois les frontières entre les publics, les spectateurs et créateurs, les espaces et temporalités. Elles sont « créatrices de lien social et favorables à la mise en oeuvre d'une culture urbaine commune ». Les créateurs sont donc des acteurs primordiaux à la régénération urbaine et à la transformation d'une ville pour lui forger une culture, une identité bien particulière et propre à elle-même.

Un autre modèle s'intéresse à l'organisation des créatifs dans la ville, et les rapports qu'ils tissent avec la société et le territoire : celui de la clubbisation9. Il s'agit d'éviter telle ou telle population dans la stratégie de commune périurbaine : sont considérés comme « périurbains tous ceux qui habitent un village mais travaillent dans une métropole ».10 D'après ce modèle, les créatifs doivent être intégrés dans la réflexion sur la ville et « en faire l'un des moteurs du développement et du lien social : l'ouverture devient alors une nécessité, un équilibre à trouver et à préserver ». Les créatifs figurent parmi les forces de travails majeurs de notre siècle.

Pour conclure, même si les avis divergent concernant l'existence d'une « classe créative », le développement d'une ville par les communautés créatives semble être une théorie perçue comme prometteuse par beaucoup de penseurs. La régénération urbaine par les industries créatives est d'ailleurs en harmonie avec les orientations du réseau Unesco des villes créatives.

9 Michel B. (2013). Les villes créatives, entre clubbisation et ouverture du développement territorial. Mémoire de recherche en Géographie, Université d'Angers, 160 pages

10 Charmes Eric, La ville émiettée, Essai sur la clubbisation de la vie urbaine, La ville en débat, 2011, 288 pages

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1.3.2 Le réseau Unesco des villes créatives de design

La créativité renvoie à « la capacité, pouvoir qu'a un individu de créer, c'est-à-dire d'imaginer et de réaliser quelque chose de nouveau » (Dictionnaire Trésor de la Langue Française, 2012). Le traité de Lisbonne en 2009 est la preuve d'une conviction quant au potentiel de la créativité et de l'innovation portée par la Commission européenne. Il souligne qu'une ligne créative est « moteur de croissance économique et comme stratégie de résistance face aux puissances économiques et industrielles émergentes. »

Les villes sont, d'après l'Unesco, « les principaux laboratoires où se développent de nouvelles stratégies, politiques et initiatives, visant à faire de la culture et de la créativité un moteur de développement durable et de la régénération urbaine en dynamisant la croissance et l'innovation, en promouvant la cohésion sociale, le bien-être des citoyens et le dialogue interculturel » (Réseau des villes créatives).

En effet, les villes sont face à des enjeux importants, comme la crise économique, les tensions sociales et politiques, la croissance démographique et les enjeux environnementaux : « Nous constatons que toutes les villes sont confrontées aux mutations du paysage urbain, aux questions d'identité urbaine, au changement climatique, à la gestion des déchets, à l'intégration de l'art dans la ville, à la mobilité et aux flux de communication. » (Franc, 2006). Elles ont donc un rôle crucial à jouer pour l'avenir, d'autant plus qu'elles représentent plus de la moitié de la population mondiale et en terme économique, elles rassemblent 3/4 de l'activité économique mondiale...

Le Réseau des villes créatives de l'UNESCO offre des opportunités inédites aux villes pour, à partir de processus d'apprentissage par des pairs et de collaborations, tirer pleinement parti de leurs atouts créatifs et bâtir sur cette base un développement durable, inclusif et équitable sur les plans économique, culturel, environnemental et social (Unesco). (Réseau des villes créatives)

Le réseau mondial de villes créatives est basé sur la notion d'économie créative. Même si la créativité n'est pas restreinte au champ culturel et artistique, le réseau met l'accent sur les domaines artistiques et culturels. D'après l'Unesco, en soutenant les industries créatives, et en coopérant avec la société civile et le secteur privé, les pouvoirs publics peuvent faire la différence et promouvoir un développement urbain plus durable, qui répond aux besoins

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concrets des populations locales. Pour l'Unesco, l'économie créative est croissante dans le monde, et les bénéfices sont nombreux : génération de salaires, création d'emplois, gains à l'exportations, génération de valeur non monétaire...

Le réseau UNESCO des villes créatives a été créé en 2004. Comme la carte ci-dessus le montre, ce réseau est mondial : il regroupe 116 membres dans 54 pays du monde entier, autour de sept domaines des industries créatives à savoir : cinéma, musique, artisanat et arts populaires, littérature, design, arts numériques et gastronomie. Par exemple, Leipzig en Allemagne est une ville créative Unesco pour l'art et la littérature, Lyon pour les arts numériques, et enfin, Berlin, Montréal, ou encore Shanghai pour le design.

Pour devenir « Ville Unesco de Design », une candidature doit être adressée par le Maire de la ville, confirmée et approuvée par l'Etat. La ville devra alors démontrer sa volonté et sa capacité de contribuer aux objectifs du réseau, en appuyant sur les atouts et la valeur ajoutée qu'elle apportera au réseau. Elle doit prouver l'existence de centres créatifs et de groupements socioculturels. La candidature est examinée par un comité de personnalités compétentes.

Certaines villes ont choisi le design « pour s'en sortir et créer une dynamique fédératrice qui rassemble la population autour d'un projet porteur » (Lacroix M.-J. , 2006). L'intérêt de ce Réseau pour les villes est de développer leur singularité créative.

Pour la Directrice de Relations Internationales à la Cité du design & Ecole supérieure d'art et design de Saint-Etienne, il ne s'agit ni d'un label, ni d'une compétition. Ce réseau permet de « promouvoir le développement culturel, social et économique des villes dans les pays développés et ceux en voie de développement ». Il contribue également à « mettre en valeur des pôles de création et le partage des savoir-faire, expériences et compétences que détiennent particulièrement les collectivités territoriales. ». Pour me montréalais Marc-André Carignan, le statut de Ville Unesco est « une reconnaissance du potentiel créatif de notre ville, une invitation à développer Montréal en misant sur le design de qualité, l'architecture durable et l'innovation. » (Carignan, 2015)

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Même si les conditions d'attribution de cette reconnaissance de ville créative du design restent relativement floues, cette désignation apporte des retombées non négligeables pour la ville » : visibilité internationale, dynamique territoriale, facilitation des échanges entre les collectivités membres du réseau, figurent parmi certaines conséquences de l'entrée dans ce réseau.

A l'heure actuelle, il existe 16 villes de design : Buenos Aires, Berlin, Montréal, Nagoya, Kobe, Shenzhen, Shanghai, Séoul, Saint-Étienne, Graz, Pékin, Bilbao, Curitiba, Dundee, Helsinki, Turin. Certaines de ces villes ont dû remédier à « des ralentissements économiques et ont misé sur le design pour convertir leur économie. Le faible coût de la vie leur a permis d'attirer et de retenir beaucoup de créateurs. » (Franc, 2006).

Nous allons désormais nous intéresser à certaines villes de design appartenant au réseau Unesco pour comprendre les raisons d'une telle qualification et ce qui les rend si uniques. Nous prendrons les villes de Montréal et de Berlin comme sujet d'étude.

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1.3.2.1 Montréal

Montréal est ville Unesco de design depuis 2006. Le design est reconnu depuis 1986 comme un secteur prioritaire de développement. La ville de Montréal a mis en place en 1991, un commissariat au design, consacré exclusivement au développement et à la promotion du design dans la métropole. Pour la ville de Montréal, « le design est une activité d'idéation, création, planification, production et gestion qui façonne la qualité de son cadre de vie, contribue à la compétitivité de son économie, participe à son expression culturelle, renforce son identité et celle de ses entreprises » (Lacroix M.-J. , 2006).

Pour comprendre pourquoi la ville s'est tournée vers le design pour se développer et se distinguer, il faut regarder dans le passé, les événements qui ont marqués la ville très fortement (Designmtl, 2014).

- La construction de la place Ville Marie en 1962, dont le bâtiment reste un symbole de la ville québécoise, a été le point de départ du début de l'histoire moderne de Montréal. « Ce ne fut qu'un début, car les projets qui suivirent furent riches en grands projets ».

- L'exposition universelle de Montréal en 1967 sur la thématique « Terre des Hommes », a accueilli plus de 50 millions de visiteurs et mobilisé les meilleurs talents créatifs. Parmi les rescapés de l'exposition : Habitat 67, le Pavillon des Etats-Unis devenu la Biosphère (architectes FABG), le Pavillon de la France (architecte Jean Faugeron) reconverti en casino.« Habitat 67, construite d'abord comme projet modèle d'habitation, est l'oeuvre du jeune architecte Moshe Safdie : ces logements préfabriqués conçus comme des logements abordables sont devenus des appartements de luxe très recherchés. »

- Les Jeux Olympiques de 1976 ont également dynamisé la ville au niveau du design, notamment avec la construction d'un stade aux formes atypiques.

Les rares oeuvres d'arts massives, convenons-en, on les doit aux années 1960. Le Stade olympique. Le pavillon de la France devenu casino. Habitat 67. Les stations du métro. (Cardinal, 2012)

Le passé industriel de Montréal, du à ses atouts géographiques (ile, fleuve immense et montagne au centre), notamment en terme de commerce maritime, a également permis à la ville de s'orienter vers le design : nombreux sont les anciens bâtiments industriels réhabilitées comme le Bota Bota, un ancien traversier transformé en spa (conçu par Sid Lee Architecture).

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Quelle est l'identité de Montréal ? D'après François Cardinal, chroniqueur à La Presse et spécialisé dans les affaires municipales et urbaines, « Montréal est design dans des petites choses comme les commerces, les restaurants, les espaces publics... ». « L'âme de Montréal se vit et se révèle par ses commerces, lieux de consommation et de convivialité, qu'ils soient ultra contemporains, ou emprunts d'une certaine rusticité. ». Le grand architecte montréalais Luc Laporte a réaménagé la Brasserie Française, et de nombreux restaurants et cafés se sont multipliés « des camions de rues rassemblent les gourmets. » Pour beaucoup, « le paysage montréalais ressemblent à des rues colorés, des duplex ou triplex, plus ou moins semblables... » Le montréalais aime les espaces extérieurs, les escaliers de toutes les formes, les lofts industriels... La ville est même envahie par les cyclistes.

Montréal possède une « expertise en ce qui concerne les projets participatifs, interactifs et surtout, poétiques » : c'est le lieu de nombreux festivals et manifestations, un patchwork de cultures, comme le sont aussi les murs recouverts d'affiches, permettant aux institutions culturelles aux graphistes d'exposer leur travail. De nombreux espaces publiques ont été conçus pour « lutter contre la grisaille hivernale ». « La rue, fait appel à ses créateurs, artistes, designers, paysagistes. ». Montréal qui manque de lumière en hiver est la source d'inspiration à de nombreux artistes et designers qui utilisent la lumière pour jouer avec les places, les murs et bâtiments : la lumière est devenue un réel leitmotiv dans la ville.

La ville est d'ailleurs deuxième pour le pourcentage de sa main d'oeuvre qui occupe des postes dans le « noyau super créatif11 » avec plus de 450 000 employés dans le secteur créatif. Le secteur créatif de Montréal est étendu et diversifié, ce qui permet à la ville de résister au ralentissement économique, ce qui rejoint la théorie de Richard Florida. Une étude réalisée par Statistiques Montréal révèle que la ville attire et retient les créateurs grâce à sa diversité : « Plus la diversité et la pluralité règnent dans une région, plus grandes sont les chances qu'elle attire des gens créatifs de tout acabit possédant des compétences et des idées variées. Un mélange hétéroclite de créateurs est propice à la création de différentes associations entre individus et groupes d'individus. » (Kevin Stolarick, 2005)

11Ceux qui travaillent dans les domaines de l'informatique, des mathématiques, de l'architecture, de l'ingénierie, des sciences naturelles, physiques et sociales, de l'éducation, de la formation, du savoir, des arts, du divertissement, du design et des médias font tous partie du noyau super créatif (Florida, 2004).

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D'après Marc-André Carignan, montréalais diplômé d'architecture, il y aurait un retour progressif à une culture architectural de qualité dans le paysage urbain de Montréal, avec par exemple les réalisations du Bureau du Design (bibliothèque). L'un des meilleur ambassadeur du design montréalais est le designer d'intérieur Jean de Lessard ! D'après lui, même s'il y a des choses superbes qui se font ailleurs sur la planète, Montréal se démarque d'une façon exceptionnelle avec ses capitaux « on fait des projets adaptés à nos réalités, on fait des projets humains ». Marc-André Carignan est d'accord avec lui, donc le sens où Montréal, bien qu'elle n'est pas encore prête à devenir une capitale mondiale du design, est une ville pleine de talents et de créateurs locaux. Même si auparavant, François Cardinal rêvait d'une icône architecturale symbolique (ex. Bilbao avec son musée Guggenheim par Frank Gehry qui a métamorphosé l'image de la ville), comme « tour audacieuse qui ferait tourner les têtes », aujourd'hui, il se dit que ça n'est pas nécessaire, car le design de Montréal est à son image : une ville à taille humaine, festive, où la création est omniprésente, « mais certainement pas une ville ostentatoire, une ville musée, ou même une belle ville selon les canons en vigueur » (Cardinal, 2012).

Montréal, c'est aussi une ville de savoir, occupant le premier rang au Canada pour son engagement dans la recherche universitaire. En tout, ce sont 11 établissements universitaires, et plus de 50 chaires de recherche pour développer de multiples réseaux internationaux.

Le design est donc porteur de développement au Québec et son impact économique se fait ressentir à Montréal. En effet, 65,3% des travailleurs québécois du design résident dans la métropole montréalaise, soit plus de 20 000 emplois avec des retombées économiques de plus de 750 millions de dollars (MONTRÉAL, VILLE UNESCO DE DESIGN / UNESCO CITY OF DESIGN, 2006). La ville de Montréal est donc très créative et exemplaire en matière de renouvellement urbain par les industries créatives comme le design.

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1.3.2.2 Berlin

Berlin est ville de design par l'Unesco depuis janvier 2006. Elle est la première ville européenne à avoir obtenu ce titre. Le sénateur Harald Wolf a d'ailleurs déclaré : « Cette distinction représente une importante reconnaissance internationale pour notre ville et pour tous les esprits créatifs qui travaillent, enseignent et vivent ici. Ces dernières années ont été le témoin de l'évolution d'une scène créative véritablement fascinante, distinguée par sa polyvalence, son caractère non conventionnel et sa qualité, faisant d'elle un facteur économique qu'il ne faut pas sous-estimer » (Unesco, 2005). L'entrée dans ce Réseau a pour visée de développer la ville, de consolider les compétences locales et d'augmenter la présence des produits culturels sur le marché international.

Le design présente un potentiel économique intéressant pour la capitale allemande : plus de 11 000 travailleurs dans le design (les secteurs liés étant la mode, les produits et meubles, l'architecture, les arts visuels et la photographie) dont 6 700 société de design, qui représentent 1,5 milliard d'euros en terme de ventes par an ( Unesco.org). Le design est donc au coeur de l'économie berlinoise. Le secteur est dynamique, comme le révèle son « taux de croissance supérieur à la moyenne, que ce soit en termes de nombre de sociétés, de chiffres d'affaires et d'emplois » (Berlin Paris Invest, 2015). Toujours dans une politique économique tournée vers le design, la ville a mis en place des prêts avantageux aux créateurs d'entreprises, mais également des programmes de formation et de coaching pour les entreprises des industries créatives.

Qu'est-ce qui attire cette « classe créative » à Berlin ? « L'environnement, l'espace et les excellentes conditions de base de la ville sont les fondations du travail créatif et du développement de produits novateurs. Les designers, les stylistes, les photographes et les architectes y trouvent la liberté artistique, des bureaux et des logements abordables, des réseaux et l'intérêt du public pour leur travail » (Unesco). Un autre élément attirant les créatifs, ce sont les événements culturels berlinois (comme le Festival international du design DMY), mais également toutes les possibilités d'études dans le domaine du design : la ville compte 5 universités dédiées aux arts et plusieurs écoles ce qui représenterait environ 5000 étudiants, des futurs créateurs.

Berlin est une ville exemplaire en matière de design : elle possède de nombreuses réalisations économiques, sociales et culturelles, influencées en partie par son héritage historique. On parle même de Berlin comme étant une pépinière artistique. De nombreux artistes vivent à Berlin et depuis longtemps, comme David Bowie qui déclarait déjà en 1970 « Je suis fasciné par Berlin à cause de la friction. Cette ville possède l'étrange capacité de vous faire écrire seulement les choses importantes »12. En effet, l'univers du design à Berlin est prépondérant, et fait preuve de dynamisme pour la capitale allemande.

Dès à présent, nous allons nous intéresser à la ville de Saint-Etienne qui a été l'objet d'une grande reconversion en terme de politique territoriale. De ce fait, nous étudierons les raisons qui l'ont amené à parier sur le design pour se développer.

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12 Interview de David Bowie dans `Rock & Folk', n° 146, 1979

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2 Saint-Etienne, un territoire en reconversion

2.1 Une ville créative depuis toujours 2.1.1 L'âge d'or industriel

L'histoire de Saint-Etienne est intéressante pour comprendre quelles ont été les orientations politiques territoriales par la suite. Nous allons donc nous intéresser à son histoire, témoignant d'un dynamisme industriel important, puis nous aborderons les conséquences de cette activité industrielle tant positives que négatives.

Autrefois, la ville de Saint-Etienne était une grande capitale industrielle. On peut même dire qu'elle « ne s'est pas développée avec l'industrie à la fin du 18ème siècle, elle est née avec » (Vincent Béal, 2010). En effet, son savoir-faire était appliqué dans trois industries majeures, qui formèrent pendant de longues années le noyau dur de cette capitale industrielle :

- la rubanerie. Cette activité très ancienne à Saint-Etienne était à l'époque, représentée par plusieurs acteurs : des négociants qui travaillaient pour des maisons de gros ou de commissaires ; des passementiers, qui travaillaient à domicile mais également en sous-traitance pour des compagnons. Ce secteur était, du point de vue économique, relativement atomique, donc « d'une faible intensité capitalistique ». Toutefois, la rubanerie a perduré jusqu'à la Première Guerre Mondiale (1914).

- les industries minières et métallurgiques. A l'inverse du domaine du ruban, ces dernières étaient « modernes et capitalistiques ». C'est autour des années 1810 que les industries minières commencèrent à se développer. Dès 1850, de grandes entreprises de métallurgie et de sidérurgie (comme la Fonderies de la Loire et de l'Isère, les Aciéries de Saint-Etienne, et la Compagnie des Mines de fer) s'implantèrent. La métallurgie évolue progressivement en se spécialisant vers la fabrication d'aciers spéciaux, d'alliages complexes, notamment en terme de constructions mécaniques : la ville devient experte en production de cycles et d'armes de chasse et de guerre (avec Armeville). C'est l'époque de Manufrance, une Manufacture Française d'Armes et Cycles, créée par Etienne Mimard et Pierre

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Blachon en 1885, considérée comme la plus emblématique des productions manufacturières de la ville.

A l'époque, la ville était donc portée par des secteurs dynamiques comme l'armement, la rubanerie et les cycles. Il y avait même d'autres activités en parallèle. Nous pouvons citer Casino, dont la première épicerie vit le jour en 1890, mais également l'entreprise Weiss en 1882, Henry Brun (fabricant de radios et de télévisions dans les années 1950), ou encore des chocolateries de renom grâce à l'intérêt de la bourgeoisie industrielle locale pour cette friandise, comme l'entreprise Weiss en 1882. La ville est alors une terre d'invention, de création, « un territoire pionnier animé par une dynamique spécifique liant l'art et l'industrie » (Franc, 2006).

Comme la ville était fleurissante, il y avait besoin de main d'oeuvre, et donc beaucoup de travail à offrir : suite à cette révolution industrielle, la ville a subi une explosion démographique. L'évolution du nombre d'habitant en est la preuve : 19 100 habitants en 1820, 94 000 habitants en 1856 et presque 150 000 en 1911 pour l'agglomération stéphanoise. L'histoire ouvrière a été marquée par la venue de nombreux migrants (italiens, espagnols, portugais, arméniens, maghrébins, etc.).

Cependant, la concurrence devient de plus en plus rude avec l'élargissement de la Communauté Economique Européenne, et la ville a du mal à surpasser cette crise. L'activité industrielle se réduit peu à peu... Les mines ferment en 1973 à Saint-Etienne, tout comme de nombreuses activités liées aux rubans, aux cycles... C'est la fin de l'âge d'or industriel.

Suite à cela, la ville se retrouve très rapidement en retard de développement mais avec un fort potentiel industriel. La ville doit affronter plusieurs enjeux économiques, géographiques, etc. « Comment la ville peut-être créer de la richesse à nouveau ? » devient une problématique, à l'époque où la ville a perdu des habitants, où les entreprises industrielles ont fermées... Même s'il reste quelques entreprises dynamiques (comme Casino et Weiss), la ville se retrouve dans une situation dramatique. Quelle politique de régénération urbain va-t-elle choisir ? Comment va-t-elle relancer son économie ?

Ainsi, nous avons vu que la ville de Saint-Etienne a été marquée par une industrialisation ancienne. Face à ce déclin des activité manufacturières traditionnelles, la ville décide de se

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reconvertir dans de nouveaux secteurs et pôles d'excellence, comme l'enseignement supérieur, la technologie médicale, le traitement de surfaces, l'industrie optique etÉ le design.

La stratégie d'orienter Saint-Etienne vers le design en 1994 n'est donc pas partie de nulle part. La ville a toujours inventé, elle a même grandit en innovant, avec l'industrie : les designers auraient-ils toujours existé au sein de cette ville ? Quel usage effectuer des anciennes friches industrielles ? Comment utilise-t-elle son patrimoine industriel et commercial ?

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2.1.2 L'héritage industriel comme source de patrimonialisation et de

muséification

La réhabilitation d'anciennes friches industrielles est une résultante de la stratégie de renouvellement urbain de la ville de Saint-Etienne des années 1990. Il est intéressant de constater que le passé industriel a été la source d'inspiration d'initiatives en faveur de la patrimonialisation et de la muséification de la ville : en voici un aperçu.

2.1.2.1 Le Musée d'Art et d'Industrie

La ville de Saint-Etienne a hérité d'un patrimoine industriel et commercial conséquent. Heureusement, cette mémoire des industries locales est préservée, notamment dans le Musée d'art et d'Industrie. Ce lieu de conservation met en valeur les trois domaines qui ont le plus marqué la ville de Saint-Etienne, à savoir l'armurerie, l'industrie du cycle et la rubanerie.

Initialement, dans les années 1833, ce musée d'art et d'industrie (était un Palais des Arts abritant un musée classique (quelques oeuvres de Monnet) et une bibliothèque. Ce lieu devient en 1889, le Musée d'Art et d'Industrie, réunissant les « beaux-arts » et les « arts industriels ». Sa mission principale est de montrer les liens entre l'art et la technique de l'ère industrielle. D'après Ludovic Noel (Directeur de la Cité du Design), ce musée abrite des « collections exceptionnelles autour des armes, cycles et rubans ».

Un musée aux racines du design : rénové par Jean-Michel Wilmotte en 2001 et labélisé Musée de France, il met en lien le passé, le présent et le futur de Saint-Etienne. Il offre un « regard contemporain sur les industries d'art et de design du quotidien » (Musée d'art et d'industrie de Saint-Etienne).

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2.1.2.2 Le Musée d'Art Moderne et Contemporain

Le musée d'art Moderne émane d'une section qui appartenait autrefois au musée d'art et d'industrie dont nous avons parlé précédemment.

En 1947, le nouveau conservateur Maurice Allemand parvient à convaincre la municipalité du bien-fondé pour une ville moderne, née de la révolution industrielle, d'une politique tournée vers l'art moderne et contemporain. Entre 1967 et 1987, ce conservateur poursuit cette orientation vers l'art contemporain, et met en place une politique d'acquisition dynamique plus fortement tournée vers l'art contemporain. Grâce à des crédits d'acquisition alloués, il enrichit progressivement « les collections d'oeuvres importantes du début du siècle (Picabia, Schwitters, Alexandra Exter, Magnelli, Hélion...), de la génération européenne des années cinquante (Dubuffet, Fautrier, Soulages, Bram Van Velde...) et des artistes contemporains (Klein, Warhol, Dine, Stella, Judd, LeWitt, Viallat et les artistes français du groupe Supports-Surfaces...) » (Musée d'art moderne et contemporain de Saint-Etienne).

La section d'art moderne devient un musée à part entière en 1987 : conçu par l'architecte Didier Guichard (fil de Pierre Guichard, ancien directeur du groupe Casino), inauguré le 10 septembre 1987 par le Ministre de la Culture François Léotard : pris parti d'une fonctionnalité avec une architecture sobre, ainsi qu'une façade en carreaux de céramique noire, un clin d'oeil au passé minier de la ville ; le but de ce bâtiment, le rendre souple pour permettre un espace de vie, d'échange, de formation un lieu ; localisé en bordure nord de Saint-Etienne.

Dans les années 1990, les axes d'orientation du musée sont la photographie et le design (soutenu depuis 1995 par le Conseil général de la Loire). La politique est en faveur du Design : « la politique de la Ville de Saint-Etienne et de Saint-Etienne Métropole à l'égard du design a accéléré, depuis 2001, le développement d'une collection de design désormais reconnue comme l'une des plus importantes en France (900 pièces) ». Parmi les oeuvres exposées, nous pouvons citer celles de Charlotte Perriand, célèbre designer ayant travaillé au côté du Corbusier. Ce musée détient la plus importante collection d'art moderne et de design après le Centre Pompidou (Ludovic Noel, Directeur de la Cité du Design).

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2.1.2.3 Le Puits Couriot en parc-musée

« Que faire des autres friches industrielles et de ce patrimoine important ? »

(Zanetti, 2011)

L'héritage du passé minier à Saint-Etienne a été l'objet d'une forte patrimonialisation. Le Puits Couriot a été en activité (sous la société des Mines de la Loire) de 1919 à 1973. En 1991, afin de préserver l'identité minière du bassin de la Loire, un Musée de la Mine est créé dans l'ancien chevalement (édifié en 1913). Ce musée est le plus visité de toute la Loire, avec plus de 70 000 visiteurs par an, c'est donc une belle réussite. Le Puits Couriot abritant le musée est devenu un site minier classé Monument Historique.

Le Puits Couriot est un « lieu de vie et de culture de premier plan ». On y organise des festivals, spectacles, concert, « un lieu majeur de Saint-Etienne de demain », d'après la ville de Saint-Etienne. C'est un lieu de mémoire chargé d'émotion, un lieu fertile où l'imagination vagabonde librement (Coignard, 2014).

Depuis 2012, le Parc Couriot a été l'objet d'un important programme de travaux pour sauvegarder son patrimoine, rendre plus confortable la venue des visiteurs et renouveler son parcours de visite. Ce parc a été réhabilité dans le souci de respecter le patrimoine minier existant. L'équipe du projet (les architectes et urbanistes Gautier et Conquet ainsi que Michel Corajoud, grand prix de l'urbanisme et du paysage) a traité le parc et le musée « comme un même ensemble où tous les usages acteurs (récréatifs, contemplatifs, culturels...) s'accordent harmonieusement avec l'emblème patrimonial que constitue le site Couriot », d'où son appellation Parc musée. Ce sont 8 hectares de verdure aux pieds du chevalement et des crassiers... où se mêlent jeux pour enfants, aires de pique-nique, bref, un espace de détente et de tranquillité. Ce lieu fait résonance avec la Cité du Design dans le sens où il témoignage de la « formidable aventure industrielle du territoire » (Ville de Saint-Etienne).

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2.2 Une politique Le renouvellement urbain tournée vers le Lesign

Saint-Etienne n'est pas la seule ville à avoir été touchée par le déclin de l'activité industrielle ancienne. Pour rebondir, beaucoup de villes ont mis en place de nouvelles stratégies de renouvellement urbain, ayant des objectifs « qui vont bien au-delà de la réhabilitation du cadre physique » (Le Garrec, 2006), dans le but de mettre en place des opérations comme levier de développement économique. Ces politiques sont « inspirées par les politiques de régénération urbaine expérimentées dans les villes industrielles britanniques », comme la théorie de la « Classe Créative » de Richard Florida dont nous avons parlé précédemment.

Cette orientation stratégique à Saint-Etienne aurait été mise en place en 1994, à l'arrivée de Michel Thiollière à la mairie. Avant son arrivée, les politiques étaient tournées vers le soutien à l'industrie pour sortir de la crise. Le nouveau maire élargit l'agenda politique « à des enjeux tels que l'attractivité résidentielle, la qualité du cadre de vie, et plus généralement l'image de la ville » (Bréal, 2006). Trois facteurs seraient à l'origine de cet intérêt pour le renouvellement urbain :

- « L'évolution sociologique de la composition de la ville », avec une ascension de groupes sociaux et professionnels liés à la culture, à l'urbanisme et à l'enseignement.

- « La prise de conscience des problèmes démographiques de la ville », de plus en plus visibles dans les villes, avec des centres villes désertés par les classes moyennes et supérieures (Rousseau, 2008).

- « Au niveau national, une réflexion se met en place autour d'une réforme des outils d'urbanisme visant à faciliter la reconstruction de la ville sur la ville ». Un guide des bonnes pratiques en matière de renouvellement urbain est rédigé par la Fédération Nationale des Agences d'Urbanisme, et une loi « Solidarité et Renouvellement Urbain » votée en décembre 2000 modifie en profondeur le droit de l'urbanisme et du logement en France (en favorisant la mixité sociale par exemple).

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Un événement marquant de renouvellement urbain de Saint-Etienne est le lancement du projet d'agglomération en 2003, où Saint-Etienne devient Saint-Etienne Métropole. Ceci est la preuve d'un effort pour « formaliser une stratégie économique plus ambitieuse et sélective, stratégie reposant sur l'appui aux nouvelles technologies pour accélérer la mutation du tissu industriel local et sur la promotion du design comme nouvelle compétence transversale » (Vincent Béal, 2010).

Cette stratégie n'a pas été suivie par tous les acteurs économiques dans les années qui suivirent, notamment en ce qui concerne « le bien-fondé économique du choix du design comme vecteur de mutation et de développement économique ne fait pas l'unanimité ».13 Cette action n'a pas été soutenue de manière transparente par l'ensemble des élus de la communauté. Les causes seraient une méfiance quant à la capacité des collectivités locales à peser sur le développement local, mais aussi la priorité aux projets de gouvernance interne (communauté d'agglomération, soit un établissement de coopération intercommunale) décourageant la mobilisation de la société locale.

D'après Josyane Franc, l'aventure du design contemporain commence réellement en 1989, lorsque le département de design de l'Ecole des Beaux-Arts de Saint-Etienne se fait remarquer sur un plan national, par la création du premier troisième cycle français « design et recherche », suivi en 1991 par la fondation de la revue « AZIMUTS ». Les enseignements se poursuivent autour du « projet design », sous une réelle diversité des démarches, des techniques, matériaux, savoir-faire traditionnels etc. Le design est « au coeur de la transformation urbaine, des équipements, infrastructures et des espaces publics » (Franc, 2006).

Nombreuses furent les conséquences de ces décisions politiques en faveur du design. En 1977, un atelier d'espaces publics est crée pour faire participer des jeunes créateurs venant des écoles de la ville (designers, artistes, architectes) à des projets de conception de nouveaux

13 Vincent Béal, Rémi Dormois et Gilles Pinson, « Relancer Saint-Étienne. Conditions institutionnelles et capacité d'action collective dans une ville en déclin », Métropoles [En ligne], 2010, mis en ligne le 30 novembre 2010, consulté le 22 mars 2016, URL : http://metropoles.revues.org/4380

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espaces publics (en partenariat avec les services techniques de Saint-Etienne). Par la suite, plus de 150 sites (aires de jeux, places, jardins) ont été rénovés.

En 1998, la Biennale Internationale Design Saint-Etienne ou « mondial du design » est créée sous l'initiative de l'Ecole Régionale des Beaux-Arts (désormais Ecole Supérieure d'Art et Design de Saint-Etienne), dans le but de rassembler de nombreux acteurs : créateurs, entreprises, écoles, journalistes, éditeurs... Cette Biennale est liée à des thématiques larges : cohabitation en 2006, écologie en 2008, téléportation en 2010... Il y a néanmoins toujours une volonté de lier le local et le global : l'idée est de « croiser les métiers du design, ses différentes pratiques et ses enjeux, avec divers acteurs de l'innovation de la recherche, de l'économie et de l'enseignement. »14.

14 Centro Cultural Banco do Brasil, Saint-Etienne, Cité du Design, Brasilia, 2009, 117 pages.

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2.3 Naissance Le la Cité Lu Design

La Cité du Design est un bel exemple de marqueur de cette volonté de placer le design au coeur de la politique territoriale. En effet, le succès des différentes Biennales et le dynamisme de l'école pionnière permet de voir la Cité du Design naitre.

En se dotant d'un outil exceptionnel comme La Cité du Design, Saint-Etienne et son agglomération font un pari sur le design comme moteur pour son territoire, dans une société qui doit affronter des mutations de tous ordres, du social à l'économie, de l'écologie à la technique, qui ont des incidences sur la vie de chacun (Cité du Design).

L'implantation de cette Cité du Design choisie est le quartier de l'ancienne Manufrance, symbole d'une grande époque (de 1864 à 2000), où la Manufacture d'armes fabriquait le fleuron de l'armée française, le fameux « clairon ». La ville décide de la réhabiliter de manière à créer un lieu pour changer l'image de la ville « d'une ville industrielle à une ville beaucoup plus culturelle » (d'après Maurice Vincent, le maire de l'époque). Ce lieu serait alors une plateforme d'enseignement supérieur unique en Europe, qui pourrait accueillir la Biennale internationale du design, d'où l'idée d'une « Cité du Design ».

La Cité du Design est une plate-forme d'observation, de création, d'enseignement, de formation et de recherche par le design. Elle souhaite porter un design qui réponde aux usages, aux besoins et aux nouvelles pratiques en centrant sa réflexion sur l'humain, par la conception d'images, d'objets, d'environnements et de services dans l'espace public et privé (Ville de Saint-Etienne)

Cette Cité du Design est construite dans le but d'accompagner la mise en oeuvre du design au sein des collectivités publiques, de dynamiser l'activité des entreprises créatives, tout en favorisant leur collaboration transversale avec les partenaires industriels et scientifiques. Elle est définie comme « espace d'avant-garde dont le but est de former des professionnels qui pensent le design comme un outil social, grâce à des solutions qui ne perdent pas de vue les caractéristiques sociales et économiques de la finalité pour laquelle elles ont été conçues, sans toutefois négliger le côté pratique et esthétique » (Frances E., 2008).

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Elle a l'ambition de devenir le quartier des métiers créatifs, « qui permet le maillage permanent entre vie quotidienne, technologies, art, culture et loisirs » : enseignement supérieur comme atout pour la recherche (ESADSE fondée en 1804, Télécom Saint-Etienne, l'école d'ingénieurs en technologie de l'information et de la communication, IRAM, une plateforme de recherche, veille et formation dédiée aux nouveaux médias, et Sup Optique). « Autour de la cité, mon projet est de mettre sur pied un campus créatif, c'est-à-dire rassembler, au-delà du design, des labos de recherche universitaires, des écoles d'ingénierie et des entreprises de haute technologie pour créer un système d'innovations nouveau » (Corriveau, 2011).

Le projet de la Cité du Design débute en 2005 : ce travail représentant plus de 16 000 mètres carrés de terrain, a été confié à des architectes de renom : Finn Geipel et Giulia Andi, appartenant à l'agence LIN. Il ne s'agissait pas de réhabiliter simplement les locaux, mais de créer une ville-parc, ouverte sur les quartiers avoisinants. L'objectif de ce projet architectural d'après la Cité du Design est le suivant : « créer un lieu tourné vers le futur, susceptible d'évoluer en fonction des activités de la Cité du Design avec le développement du territoire ». On y trouve un mélange entre des friches industrielles réhabilitées et des réalisations contemporaines (la Tour et la Platine). La Platine est le lieu d'échange et de connexion entre les espaces et d'accueil du public.

L'ensemble des activités de la Cité du Design s'appuie sur l'expertise des designers professionnels qu'elle considère comme des acteurs économiques dont elle vise à développer l'activité et l'intégration dans tous les processus de conception. Son role est d'implanter le design là où il n'existe pas aujourd'hui, où ses compétences apportent innovation et développement au service des personnes et de l'associer à des métiers complémentaires, notamment dans les sciences humaines.

Ses principales activités sont les suivantes :

- Sensibiliser le design à tous les publics, notamment le grand public (par des ateliers pour enfants par exemple),

- Développer l'enseignement supérieur du design dans la région Rhône-Alpes (avec

notamment le Consortium Design enseignement supérieur Rhône-Alpes en 2007), - Observer, rechercher et expérimenter par le design, au profit d'acteurs publics et

privés,

- Développer et innover par le design,

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- Valoriser les actions par le design (grâce à des expositions, conférences, colloques etc.).

En 2006, la Cité du Design organise la Biennale Internationale du Design pour la première fois, avec des thématiques liées à ses axes de développement : depuis ce jours, la Biennale est directement organisée en lien avec la Cité. La Cité du Design est inaugurée en 2009. Il s'agit d'une « nouvelle étape de la transformation de tout un territoire » (Franc, 2006).

Par conséquent, Saint-Etienne a conservé une réelle capacité à inventer, à rebondir vers la créativité et l'innovation. En effet, cette capacité à inventer se retrouve dans les musées mais également dans son patrimoine industriel et architectural. La ville a su utiliser son passé industriel comme source pour se reconvertir, en utilisant le design comme point central de sa politique de reconversion urbaine. Grâce à son rayonnement culturel, sa Biennale Internationale du Design, et ses compétences variées, la ville a l'ambition d'accroitre son attractivité nationale et internationale. Relancer le territoire en misant sur le design a été une véritable volonté politique de la ville, ce qui l'a amené à déposer une candidature pour une désignation ville de design du réseau des villes Créatives Unesco. Le 22 novembre 2010 la ville entre dans le réseau des Villes Créatives de l'Unesco grâce au design.

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3 Le design comme nouvelle identité territoriale

3.1 Moteurs du développement urbain par le design 3.1.1 Une véritable stratégie de positionnement

Le marketing urbain est désormais devenu incontournable pour les gouvernements locaux qui font face à une concurrence internationale effrénée (Silvent, 2012). Un territoire qui se positionne permet de se différencier de ses concurrents. Il sera donc plus attractif :

Même si la stratégie de développement territorial ne s'appuie pas sur un savoir-faire local, dans tous les cas, il faut choisir un domaine sur lequel la ville peut se détacher des villes concurrentes (Silvent, 2012)

Le marketing urbain, un outil au service de la différentiation du territoire (Bros-Clergue, 2006). Construire un avantage concurrentiel est important étant donné le paradigme concurrentiel (Thisse et Ypersele, 1999). Selon Gouttebel (2003), « le marketing urbain facilite le positionnement de tel ou tel territoire sur le marché concurrentiel »

De nombreuses villes ou les régions cherchent à se créer une marque de fabrique. On parle de city branding (ville-marque) ou encore, region branding (territoire-marque). Le slogan comme « I Love New York » est le plus emblématique du concept de ville-marque. C'est une marque territoriale devenue culture : « il s'agit de la première marque de ville avérée ». Son histoire est pourtant simple : à cause de problèmes de criminalité et de déficit économique dans les années 1970, la ville subit une mauvaise image (elle évoque la terreur et la crainte), et n'attire pas les touristes. L'Etat décide de promouvoir la ville, en créant un nouveau logo, inspiré du slogan de l'Etat de Virginie « Virginia is for lovers », avec le slogan « I Love NY ». Cette campagne a été un réel succès, révélant la puissance de ce logo entré dans la culture américaine, « mais ce choix de logo met également en avant une relation d'amour entre des individus et une métropole ».15

15 Maëva CHANOUX et Sarah SERVAL, Institut de Management Public et de Gouvernance Territoriale, Etat des lieux et perspectives du marketing urbain, page 11

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A Saint-Etienne, le design semble donc être un moyen de positionner la ville, de lui donner une image singulière : « Ainsi une ville comme Saint-Etienne a construit sa nouvelle identité autour du design, ce qui lui a permis de changer son image » (Silvent, 2012). La désignation ville de design du réseau des villes Créatives Unesco fait de Saint-Etienne un avantage majeur différenciant majeur : c'est la première et la seule ville de Design française. Force est de constater que le design est un atout différenciant de la stratégie marketing de la ville. D'après Josyane Franc, grâce à la Cité du Design, Saint-Etienne se positionne comme « un territoire référent sur la question de l'accompagnement des mutations sociales, des nouveaux modes de vie et de la dynamique économique dans un cadre qui se différencie des autres institutions françaises du design. »

Le design est un fil conducteur de la stratégie de marketing urbain et un facteur différenciant tant en terme de structuration de l'offre qu'en terme de promotion du territoire et de commercialisation. La ville de Saint-Etienne peut appuyer son positionnement grâce à la présence du design dans de nombreux domaines : offre de services Design aux entreprises, design dans les formations et collaborations universitaires, positionnement candidature French Tech, packaging de produits touristiques d'affaires ou d'agrément, opérations « Commerce Design », Design Management dans les services publics, design dans l'espace public, dans les projets urbains et de construction, design dans les grands événements (Biennale internationale du Design, Design Map, DME Award).

La vidéo « Clip Unesco » de 2013 met en valeur le fait que Saint-Etienne est Ville Unesco de design depuis 2010 : 40 lauréats Commerces Design, 60 projets développés par des designers sur le territoire depuis 2010, 2ème fonds de design en France au Musée d'art moderne, 110 accompagnements d'entreprises dans leur stratégie design, 85 000 visiteurs à la biennale 2010, 1ère ville française à intégrer le réseau des villes UNESCO de design, 375 étudiants inscrits en 2012/2013 à l'ESADSE.

Quelles sont les raisons de miser sur le design comme stratégie de renouvellement urbain ? Promouvoir la métropole à l'international, mais également pour séduire les investisseurs, les touristes, les étudiants... De manière générale, l'objectif de cette nouvelle identité est de rendre la ville de Saint-Etienne plus attractive (Le progrès, 2015): « Même si la distinction

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Ville Unesco de Design ne se suffit pas à elle-même mais vient renforcer la visibilité d'un territoire » (Antoine LE PESSEC, 2014).

Ainsi, le design peut donc être considéré comme l'identité voulue de la ville de Saint-Etienne. Les moteurs de cette reconversion sont nombreux. En plus d'améliorer son image, et de la rendre plus attractive, le design pourrait-il être une alternative à la crise et une source de dynamisme pour l'économie de la ville ?

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3.1.2 Une alternative à la crise économique

La régénération urbaine axée sur le design ne serait-elle pas un moyen de développer l'économie de la ville ? Il semblerait que la réponse est affirmative. En effet, s'il on regarde le cas de Liverpool, son label de capitale européenne de la culture en 2008 a permis d'attirer des investisseurs : « la reconnaissance ville créative de design par l'Unesco permet d'attirer les investisseurs (entreprises, financiers, promoteurs) dans le but de réaliser des projets de politiques urbaines. »16

Les villes doivent investir de nouveaux champs comme la culture, l'art, le sport, les divertissements. Ces domaines qui jusque-là pouvaient sembler secondaires et surtout non productifs d'un point de vue économique peuvent donner une nouvelle impulsion aux villes et générer de nombreux emplois.17

Le territoire cherche à « attirer des consommateurs qui dépenseront sur son territoire » (Ingallina et Park 2005).

En outre de la création d'une image et de symboles, l'instrumentalisation de la culture s'articule également autour d'une notion purement financière. La construction d'une ville créative est un enjeu majeur pour attirer les investissements, encourager la consommation et créer de la richesse in fine.

Le soutien à l'innovation et au design est un véritable levier de performance pour les entreprises. Il existe un grand nombre d'entreprises qui réussissent par le design. La présidente Anne-Marie Boutin ayant crée en 1983 l'Agence pour la Promotion de la Création Industrielle le confirme :

Ce que le design apporte à l'entreprise dans un premier temps, c'est la différenciation. Le design permet de faire un produit qui va se démarquer des autres sans que cela soit pour autant plus cher. Parfois, le projet est même plus rentable que prévu. Il faut bien

16 Antoine LE PESSEC, SciencesPo, Mémoire sur « La démarche design, un outil pour renouveler les processus de l'urbanisme », 2014, page 20

17 Arte, Les villes créatives comme alternative à la crise, consultée le 3 février 2016, disponible sur : http://gensol.arte.tv/blog/2012/11/27/les-villes-creatives-comme-alternative-a-la-crise

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comprendre que le designer travaille dans la transversalité des services, ce qui améliore bien souvent le temps de réalisation des produits. Il joue un grand rôle dans le choix des matériaux et techniques en optimisant les procédés de fabrication. Voilà pourquoi le designer est une valeur ajoutée à l'entreprise. (Abrial, 2014)

A Saint-Etienne, la stratégie urbaine d'orienter l'identité et le développement grâce au design aurait une visée d'ordre financière et économique, en créant de la richesse (Silvent, 2012). Charles Landry partage le même avis : « développer la créativité des zones urbaines et s'ouvrir à la culture permet de relancer l'économie des villes ».

Dans le cas de Saint-Etienne, la Cité du Design s'intéresse non seulement à la dimension culturelle du design, mais également à au développement économique pour le territoire :

Elle les connecte et les rassemble autour de programmes de recherche, dans des projets de développement économique et d'attractivité du territoire. Elle organise également des événements à forte notoriété pour tous les publics et se différencie des autres institutions françaises du design en renforçant un axe fort et fédérateur : le design, les mutations sociales et les dynamiques économiques. (Poirot Jacques, 2010)

La Cité du Design regroupe une trentaine de personnes et est financée par la ville et la métropole de Saint-Etienne. Elle est soutenue par la région Rhône Alpes. Le Mixeur, faisant partie de la Cité, est un endroit où il y a une émulation des acteurs économiques, des entreprises se créent, et collaborent avec des designers. D'après le Directeur de la Cité, il y aurait une interaction avec plus de 500 entreprises du territoire, ce qui n'est pas moindre. Le design à Saint-Etienne serait donc synonyme de rencontre entre le secteur public et privé comme à la Cité du Design.

D'après l'ancien maire Maurice Vincent, la ville soutient les entreprises qui accordent une attention particulière au design : « elle a élaboré un dispositif d'accompagnement financier afin de venir en aide aux PME n'ayant pas encore engagé de démarches de design, pour la prestation d'un professionnel du design, en vue du développement d'un projet » (Corriveau, 2011). La ville encourage les entreprises à adopter une démarche design, notamment dans le but de faire évoluer l'économie de la ville.

Saint-Etienne est également la première ville européenne à décliner le concept montréalais, « Commerce Design » depuis 2003. Il s'agit d'un concours destiné à « récompenser les

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artistes et commerçants pour la qualité de l'aménagement intérieur et extérieur de leur établissement et à mettre en valeur le talent des professionnels du design et de l'aménagement des lieux de vente » (Cité du Design). Ce concours encourage les commerçants à être créatif et innovant, d'ailleurs, plus de 200 ont candidaté depuis 2003 aux 4 premières éditions.

Outre un développement économique des entreprises par le design, le fait que Saint-Etienne soit Ville Unesco de Design est un véritable atout pour attirer des touristes, notamment lors de la Biennale Internationale du Design qui d'après son directeur est un succès public. Elle accueille des visiteurs (85 000 en 2008) de plus en plus nombreux, des spécialistes aux plus curieux. La Biennale attire aussi bien l'international que le national. Elle est étendue sur l'ensemble du territoire stéphanois, ce qui offre un rayonnement de cette dernière sur tout le territoire régional.

Le design attirerait plusieurs formes de tourisme à Saint-Etienne. Le tourisme d'affaires avec des designers qui viennent du monde entier à la Biennale Internationale du Design, mais également du tourisme culturel avec un public attiré par le patrimoine culturel et créatif (Le Corbusier de Firminy, la Biennale Internationale du Design, etc.).

Pour conclure, il est évident que le design et la créativité sont une source de développement économique pour la ville de Saint-Etienne. D'ailleurs, la région de Saint-Etienne a réussi avec succès à renouveler son tissu économique, et se situe en deuxième position de PME-PMI, après la région parisienne. Le design attire des investisseurs, des designers et créateurs, des touristes, notamment grâce à la Biennale Internationale du Design qui a un impact très positif sur la ville. Mais la politique de régénération urbaine par le design ne serait-elle pas un moyen d'améliorer la ville de ses habitants ? Le design n'aurait-il pas un caractère social ?

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3.1.3 Le design pour améliorer la vie des gens

Pour Charles Landry, développer les actions culturelles singulières peut permettre de garantir un « mieux vivre » aux habitants d'une ville. « Le design permet ainsi d'assouplir les interfaces entre l'homme et la ville en construisant une ville adaptée à tous les publics » (Le Pessec, 2014). Le design cherche à résoudre les problèmes que pourrait rencontrer le monde (pas seulement économique mais de manière plus large), il a donc un caractère social. Bastien Kespern, est un designer dont la préoccupation majeure de son travail et de résoudre les problèmes d'aujourd'hui. Il s'est d'ailleurs intéressé à l'engagement citoyen et des questions du type « Comment les gens pratiquent-ils la démocratie ? » (Kespern, 2015). Il pratique la pensée design (autrement connue sous le nom de design thinking) : « c'est un état d'esprit qui va croiser une analyse objective (chiffres) et une analyse subjective (émotions, pensées, etc.) ». Cette démarche place l'utilisateur au coeur du problème, elle cherche à identifier quels sont les besoins des personnes et quelles sont leurs motivations. Pour mener son projet lié à la démocratie, il va par exemple observer les nouveaux comportements des citoyens, les nouveaux besoins, les nouvelles attentes.

Le design a un caractère social fondamental (Gauthier Philippe, 2015). Certains chercheurs ont établis cinq principes pour guider le design du 20ème siècle dans une démarche sociale. Le guide suivant met en avant le fait qu'une pratique du design authentique est sociale par nature :

Principe 1. Un acte de design authentique est un acte social et critique. Il commence par un moment critique, c'est-à-dire un moment où le designer détecte l'existence d'une insatisfaction vis-à-vis du monde qui le propulse dans un projet en vue de rendre ce monde plus habitable pour la collectivité.

Principe 2. Un acte de design authentique est nécessairement tourné vers l'amélioration de la vie d'autrui et de la collectivité. Ses objets sont les usages sur lesquels le designer agit en façonnant les dispositifs de notre monde habité, artefacts matériels ou immatériels.

Principe 3. Le design est une pratique qui participe inévitablement à définir les contours du vivre-ensemble, et il est de la responsabilité des designers d'assumer pleinement ce rôle et de savoir rendre publique l'idée même du vivre-ensemble qu'ils mettent en oeuvre.

Principe 4. Aucun apprentissage du design ne saurait avoir lieu sans une appropriation raisonnée de l'appareil conceptuel qu'il partage avec les sciences humaines et sociales.

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Principe 5. La réflexion authentique en design s'intéresse avant tout aux relations entre les humains et leurs divers environnements, aux modalités du vivre-ensemble, à l'expression des cultures contemporaines et aux conceptions du bien commun.

S'il on prend l'exemple de la ville de Lyon, le design urbain améliore le quotidien des habitants. Lyon City Design Urban Forum 2015 souhaite mettre en avant le design de chantier en expliquant comment le design accompagne la ville en mutation tout en révélant ses signatures sensorielles. Ceci n'est donc pas un hasard si Lyon a été labellisée Lyon Design City et est partenaire de la Cité du Design de Saint-Etienne.

Nous avons vu que les moteurs au développement de cette identité territoriale tournée vers le design sont nombreux. En plus de développer l'économie de la ville et d'être l'objet d'une véritable stratégie de marketing urbain, le design à Saint-Etienne pourrait être un moteur de développement social et améliorer la qualité de vie de ses habitants. Cela dit, il peut y avoir des obstacles freinant à cette régénération urbaine. Quels sont ses enjeux ? Sont-ils importants au point de freiner le développement urbain de la ville de Saint-Etienne ?

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3.2 Freins au développement de cette identité territoriale

Même si la nomination de Saint-Etienne comme Ville Unesco de Design est très prometteuse, les avis ne sont pas partagés par tous : « le label Unesco n'est pas un sésame » (Néau, 2013).

3.2.1 L'image négative de la ville

Certains voient encore Saint-Etienne comme une ville noire à cause de son passé industriel et minier. Cette image freine la transition de la ville vers une image plus positive et tournée vers le design.

La désindustrialisation et ses conséquences sociales et économiques accentuent la prégnance des représentations négatives de la ville, l'expression de « ville noire » en particulier, accolée à la ville au temps de l'industrie lourde (Vant, 1981), semblant toujours s'y attacher. (Rousseau, 2008)

Pire, certains journalistes véhiculent l'image d'une ville où certains quartiers sont minés par la pauvreté (Zappi, 2014). Certes, la ville possède encore des fragilités, notamment au niveau urbanistique. Le passé de la ville lié à la désindustrialisation a engendré un déclin de l'emploi et donc, un déclin démographique, la ville ayant perdu 25 000 habitants de 1990 à 2000 : « Saint-Étienne est l'une des rares villes de taille importante en France à présenter des quartiers centraux abritant de fortes proportions de populations paupérisées et d'habitat insalubre. » Certains quartiers de la ville n'ont pas encore été restaurés et sont encore à un stade dégradé, abimé. En effet, nous pouvons citer les quartiers près du centre-ville comme Tarentaize, Beaubrun et Crêt-de-Roc. Heureusement, la ville a prévu de rénover ses quartiers anciens dégradés. C'est le cas pour deux quartiers d'habitat social (Sud-Est et Montreynaud) et deux d'habitat ancien de centre-ville (Crêt de Roc et Tarentaize-Beaubrun-Séverine) : « Au total, quelque 5.000 démolitions de logements sont programmées, avec en parallèle 4.000 constructions et 2.000 réhabilitations, selon les données fournies par l'Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine » (Meynard, 2004).

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Qu'en est-il des habitants ? Comment la ville est-elle peuplée ? Le peuplement de la ville est également un enjeu pour Saint-Etienne, étant considéré comme un nouvel enjeu stratégique pour les villes (Christelle Morel Journel, 2011). La ville doit-elle pour autant mettre en place une politique de gentrification pour sa régénération urbaine ? Rappelons que la gentrification est caractérisée par l'éviction des classes pauvres du centre-ville (Glass, 1964), ou encore par un processus d'embourgeoisement particulier : cette notion est très partagée, entre des avis négatifs et des avis positif. On parle alors de revitalisation des centres-villes. En effet, pour certains, les conséquences positives surpassent les conséquences négatives : « depuis le retour de la bourgeoisie dans le coeur des villes américaines, cette fameuse gentrification, le quartier s'est enrichi, de nouveaux magasins se sont installés. Et les anciens résidents? Ils sont restés » (Czarny, 2014).

3.2.2 La proximité avec la ville de Lyon

La situation géographique de la ville comme sa proximité de Lyon peut également être un frein à cette régénération urbaine. En effet, nous pouvons nous demander si la ville de Lyon pourrait concurrencer la ville de Saint-Etienne, et devenir un inconvénient supplémentaire. La théorie qui pourrait appuyer cet argument est celle de la montée de la concurrence interurbaine (Harvey, 1989).

La grande ville de Lyon se trouve à soixante kilomètres de Saint-Etienne. La communauté urbaine de Lyon a une volonté politique de développement économique dédiée au industries créatives, prouvée par le mandat 2008-2014 qui a pour but de « soutenir et valoriser des secteurs à fortes composantes créatives (le design, la mode, l'image en mouvement) et [pour] accélérer les processus d'innovation par la créativité et le croisement entre filières. »

Lyon est comme Saint-Etienne, tournée vers le design. En effet, l'association Lyon Design a d'ailleurs pour objectif de diffuser la démarche design et de promouvoir les atouts de la métropole pour en faire un véritable territoire de design. Fondée en 2012 et présidée par le PDG de Fermob, cette association regroupe : des designers, des écoles, des industriels et des représentants d'institutions, « tous unis par la conviction que le design est un élément du mieux vivre ensemble, déterminant dans la construction de la société de demain » (Association Lyon Design).

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Mais le scénario d'une concurrence avec Saint-Etienne est à nuancer. En effet, lors de la Biennale internationale du Design à Saint-Etienne, plusieurs actions sont menées en parallèle à Lyon dans cette même directive. En 2015, « Lyon City Urban Forum », a mené des expériences de design urbain à Lyon pour montrer comment le design pouvait répondre aux problématiques de la mutation de la ville. Un événement singulier différent de la Biennale stéphanoise puisqu'il était focalisé sur l'intervention dans l'espace public à ciel ouvert pour se focaliser sur le design urbain. Ce « labo de la ville de demain » s'est basé dans le quartier de la gare de la Part-Dieu, un « quartier extrêmement représentatif des enjeux du design urbain » (Raymond, 2015).

Il existe des freins et des moteurs à la régénération urbaine de Saint-Etienne par le design et à son entrée dans le réseau des villes créatives Unesco pour le design. Il est donc intéressant de s'intéresser aux impacts du design sur la ville. Nous allons tenter de répondre aux questions suivantes : En quoi peut-on dire que la ville est ville de design ? Quel est l'impact de l'entrée de la ville dans le réseau Unesco ? Quelle est la culture design à Saint-Etienne ? Quelle est la réalité du design à Saint-Etienne ?

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3.3 Le design à Saint-Etienne : quelles retombées ?

3.3.1 La Biennale Internationale du Design, un succès encourageant pour la ville

La Biennale Internationale du Design a marqué un tournant décisif dans le changement d'identité et le rayonnement international de Saint-Etienne. Elle semble être un lieu unique : « faire venir des designers du monde entier, de fédérer autour d'un événement le monde culturel et économique, ce qui la distingue d'un salon professionnel ou d'une design week » (Franc, 2006).

La ville est vue comme un lieu de démocratisation du design : « depuis sa création la Biennale Internationale Design Saint-Étienne n'a cessé d'évoluer, de s'enrichir et de s'organiser autour d'un objectif central : démocratiser le design, le rendre accessible à tous les publics à travers une vision large du métier de designer et de ses multiples applications ». La Biennale cherche à montrer les différents métiers du design, ses pratiques et ses enjeux, par le biais d'expositions, de conférences, de rencontrent...

Saint-Etienne rayonne internationalement grâce à la Biennale. Elle permet à la ville d'avoir une résonnance mondiale, notamment grâce aux réseaux internationaux de La Cité du Design et de l'Ecole Supérieur Nationale D'art et de Design. Ces réseaux ont été mis en place pour « emmener le territoire vers l'international, être une vitrine et un lieu de ressource en particulier pour les pays émergents, se positionner comme un point d'ancrage national fort, mettre en place des programmes communs de recherche et d'enseignement, développer l'itinérance d'expositions et d'événements ». D'ailleurs, un bel exemple de la résonance internationale de Saint-Etienne par la Biennale du Design est une exposition qui a eu lieu au Brésil (Brasilia, Rio de Janeiro, Curitiba, et Sao Paulo entre juillet 2009 et janvier 2010) intitulée « Saint-Etienne - Cité du Design » : elle a été organisée pour renforcer les liens avec le Brésil, et afin de présenter l'activité de la cité pour contribuer à son rayonnement international. Saint-Etienne avait d'ailleurs accueilli lors des différentes biennales du design, de nombreux créateurs brésiliens (comme Brazil faz design, Patricia Bowles, Vera Lopes, l'entreprise Melissa...). Cette exposition issue de la Biennale internationale Design Saint-Etienne de 2008, invitait les brésiliens à se questionner sur le rôle du designer face aux

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évolutions sociales (comme la problématique de l'écologie de la planète). Cette exposition est l'exemple de projets que la Biennale mène afin de faire connaître la Cité du Design de Saint-Etienne et d'établir des liens solides avec l'international.

Les bénéfices de la Biennale Internationale Design pour l'image de la ville sont considérables d'après les résultats de l'étude réalisée par l'agence Protourisme en 2016 : « qu'il s'agisse de retombées presse ou d'opinion auprès du grand public ». « Le public repart avec une image très positive de la ville », selon Josyane Franc. En effet, les données chiffrées révèlent que : « 71% des visiteurs qui n'étaient jamais venus à Saint-Etienne avant la Biennale ont une bonne image de la ville après leur passage, contre 11% auparavant ».

D'après l'évaluation de l'impact économique de la dernière Biennale Internationale Design (ayant eu lieu de 12 mars au 12 avril 2015), il est clair que la fréquentation est en augmentation. Celle-ci a progressé de 60 000 personnes avec plus de 200 000 visiteurs par rapport à 2013. Son chiffre d'affaires s'élève à 3,3 millions d'euros (entreprises de la métropole de Saint-Etienne). D'après l'étude, un touriste aurait dépensé 72 euros par jour sur le territoire de l'agglomération, et 355 euros pour un visiteur professionnel. En terme de retombées pour le territoire, 1 euro investi par Saint-Etienne Métropole pour organiser l'événement aurait 1,25 euros de retombées.

Ainsi, la culture design est bel et bien un levier de croissance économique à Saint-Etienne. La Biennale Internationale du Design est un moteur économique intéressant pour la ville, qui lui offre une résonnance internationale ainsi qu'une image très lumineuse.

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3.3.2 Un design participatif ancré à Saint-Etienne

A Saint-Etienne, la ville est facteur de design sociétal (Cité du Design). L'innovation par le design souhaite prendre en compte la participation citoyenne : les expériences s'articulent autour du design participatif et du design de service public. L'innovation et la démarche design à Saint-Etienne est tournée vers les usagers. Par exemple : le projet « Hôtel de ville de demain » qui a fait l'objet de réflexions collectives autour du design. « Le réseau favorise la démarche apprenante et Saint-Étienne peut y trouver une opportunité de partager son savoir-faire en terme de design communautaire » (Franc, 2006). Mais comment définir le design communautaire ? Il s'agit de placer l'humain et la communauté au coeur de l'innovation.

Il y a une volonté de démocratiser la culture du design auprès des habitants. La Biennale du Design a d'ailleurs comme volonté de montrer « tous les Designs, du plus appliqué aux objets du quotidien jusqu'aux utopies les plus ouvertes, mais avec le souci d'en faire un événement populaire » (Jusselme, 2015).

Saint-Etienne serait donc une ville dont le design n'exclue pas le caractère social. Cela se voit au niveau des aménagements urbains de la ville : « Concrètement, nous faisons évoluer nos systèmes de tramway et de bus. Les objets eux-mêmes évoluent : leur coloration, leur technologie intègrent désormais une dimension de design importante » d'après le maire actuel. Le design servirait ainsi à améliorer la qualité de vie des habitants de la ville.

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3.3.3 Valorisation de la « démarche design » dans le secteur privé

La Cité du Design met en avant que le design peut créer de la valeur pour l'entreprise. En effet, au sein du quartier créatif de la Manufacture, de nombreux acteurs cherchent à valoriser le design pour le secteur privé.

Le Mixeur soutient les interactions entre les grandes et petites entreprises, les autoentrepreneurs, mais également les télétravailleurs, free lanceurs. « Cet espace de travail et de diversité accueille une pépinière d'entreprises créatives, un pôle média, une antenne locale de France Bleu, un hôtel d'entreprises, une crèche municipale et un ensemble de services dédiés à la créativité (espace de co-working, workshop) sur plus de 5.000 m2 » (Entreprendre, 2014).

Appartenant au Mixeur, Designers+ est un réseau de professionnels du design et des métiers associés dont l'objectif est le suivant : « Nous agissons pour structurer et animer al filière design, pour faire émerger des projets et accompagner nos adhérents dans leur montée en compétence ».

Un laboratoire d'usages des pratiques innovantes (LUPI) a été mis en place pour stimuler les talents créatifs des entreprises, notamment au niveau des PME afin qu'elles intègrent le design dans le développement de nouveaux projets. Pour cela, plusieurs services sont à disposition des entreprises notamment un coaching, un accès privilégié aux programmes développés par la Cité du design, la participation aux programmes de démonstrateurs, et l'accès à une offre immobilière pour les porteurs de projets. En tout, plus de 500 entreprises du territoire stéphanois ont été sensibilisées au design, et quarante ont été accompagnées dans un projet.

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Conclusion Le la revue Le littérature

Dans cette revue de littérature, nous avons dans un premier temps analysé de manière générale le design comme moyen de renouvellement urbain. La tentative de définition du design nous a montré que ce concept fait encore beaucoup parler de lui aujourd'hui. L'histoire témoigne que l'Etat français s'est beaucoup investi pour promouvoir le design français depuis 1980 et que le design est reconnu comme un patrimoine Unesco à part entière depuis 2004. Par la suite, nous avons évoqué les théories de renouvellement urbain par les communautés créatives, pour en déduire que la ville créative est un modèle de développement territorial prometteur. Nous nous sommes interrogés sur le rôle des créateurs comme les designers dans les mutations urbaines : sont-ils des inventeurs ? Font-ils partie prenante d'une ville créative ? Il semble qu'en théorie, les designers devraient donc être des acteurs essentiels de la régénération urbaine par le design. D'après le réseau Unesco des villes créatives de design, ces dernières doivent répondre à des critères bien précis pour entrer dans ce réseau Unesco. Beaucoup de villes choisissent le design pour se valoriser, mettre en valeur leurs savoirs faires, comme Montréal ou Berlin qui semblent effectivement très créatives et exemplaires en matière de renouvellement urbain par le design.

Dans un second temps, nous nous sommes intéressés au cas de la ville Saint-Etienne devenue « ville de design Unesco » depuis 2010. A travers cette recherche, nous avons plongé dans son passé pour constater que cette reconversion est en totale cohérence avec la décision politique de renouvellement urbain par le design vers 1994.

En effet, la ville s'est développée grâce à sa créativité, nous pouvons même dire que les designers ont toujours participé à son évolution. Après l'âge d'or industriel, la ville s'est retrouvée avec beaucoup de patrimoine, elle s'en est donc servie pour créer des musées par exemple. Elle a utilisé son passé pour rebondir. Dans les années 1998, la ville lance la Biennale Internationale du Design appelée « mondial du design » afin de rassembler de nombreux acteurs du monde du design, locaux comme internationaux. Cet événement lancé par l'école régionale des Beaux-Arts est un immense succès. C'est grâce à ce sujet, ainsi qu'aux politiques de la ville, que la Cité du Design voit le jour en 1009. C'est une nouvelle étape pour la ville, qui marque un tournant important dans sa reconversion territoriale.

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Dans une dernière partie, nous avons tenté de comprendre les motivations des politiques pour orienter la ville de Saint-Etienne vers le design. Parmi les moteurs, le design pourrait être un moyen de positionner la ville, d'un point de vue marketing, en terme d'image. Ainsi, positionner la ville sur ce créneau attirerait de nombreux acteurs : des touristes, des investisseurs, des créateurs, etc. Grâce à cela, les résultats économiques pourraient croitre, créer de la richesse et permettre de lutter contre les difficultés d'ordre économique.

Un autre argument de cette politique est d'ordre humain : le design pourrait améliorer le cadre de vie des habitants, les faire participer à des projets, etc. Même si les raisons de cette reconversion territoriale sont ambitieuses, elle pourrait rencontrer quelques obstacles. En effet, même si le design pourrait améliorer l'image de la ville, cette dernière présente de grandes lacunes qu'elle va devoir surmonter puisque beaucoup considèrent encore cette ville comme post-industrielle ou « noire ». Nous nous sommes également questionnés sur la concurrence des villes entre elles, notamment à travers la proximité de Saint-Etienne avec Lyon qui pourrait être un atout ou un frein à ce développement territorial.

Pour terminer, nous avons tenté d'identifier les retombées de cette reconstruction territoriale par le design. La biennale internationale du design a été une réussite, et un événement essentiel pour cette reconstruction. De plus, certaines démarches participatives ont permis de créer du lien avec les habitants et de les intégrer dans cette reconversion. Enfin, des structures ont été mises en place pour stimuler la créativité et la démarche design dans le secteur privé.

Ainsi, nous pouvons nous poser de nouvelles questions sur les réalités du design à Saint-Etienne. Qu'en pensent les designers ? Partagent-ils ce point de vue ? Les retombées sont-elles réellement visibles ? Seules une étude précise sur terrain et la rencontre avec les acteurs concernés nous permettront d'apporter des réponses à ces interrogations.

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RECHERCHE EMPIRIQUE

1 Méthodologie

Objet

Nous allons compléter cette revue de littérature par le biais d'une étude qualitative, axée sur le terrain. Cette dernière permettra d'obtenir des réponses et des avis d'acteurs intéressants concernant le renouvellement urbain de la ville de Saint-Etienne par le design. La partie empirique sera basée sur des entretiens individuels, de type semi-directifs, afin de laisser l'interlocuteur exprimer librement ses pensées. Les entretiens seront enregistrés suite à l'accord des professionnels, afin d'effectuer la retranscription la plus fidèle à la réalité.

L'étude s'appuiera sur une méthode déductive, dont le but est de vérifier si le terrain confirme les résultats de la revue de littérature. L'idée sera également de faire émerger d'autres pistes de réflexion et de confronter les idées reçues et les théories avec la réalité. Les autres objectifs de la recherche seront les suivants :

- analyser la situation de la ville de design,

- comprendre les enjeux actuels de cette décision politique,

- cerner quelle est la place accordée aux designers dans cette « ville de design Unesco », - mettre en lumière des pistes de réflexion pour l'avenir de la ville de design.

Voici quelques questions qui seront posées :

> Comment définiriez-vous le design ?

> Qu'en est-il du design en France ?

> Pourquoi le design à Saint-Etienne ?

> Cette reconversion est-elle bien réelle ?

> Quelle est la particularité du design à Saint-Etienne ?

> Qu'est-ce que le design apporte à la ville ?

> Pouvez-vous comparer Saint-Etienne à d'autres villes ?

> La ville aide-t-elle les créateurs à se développer ?

·

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Les personnes interrogées

L'échantillonnage de l'étude est constitué d'acteurs professionnels variés en lien avec le design sur le territoire stéphanois. L'idée était d'échanger avec des responsables stratégiques ayant une vision globale du sujet. J'ai ainsi interviewée les personnes suivantes :

- Nathalie ARNOULD, Design Manager à Saint-Etienne Métropole

http://www.citedudesign.com/fr/home/

- Gaëlle SUBINEAU, Chargée de mission chez Designers Plus http://www.designersplus.fr/

- Stéphane DEVRIEUX, Directeur de l'Office du Tourisme de Saint-Etienne http://saint-etiennetourisme.com/

- Bernard Laroche, Manager et consultant en « design pour tous » http://www.designersplus.fr/adherents/trouver-un-adherent/?adherent=34

Dans le but d'avoir également le point de vue de designers, j'ai interviewée des designers

exerçants sur le territoire :

- Philippe Moine, Designer entrepreneur

http://www.philmoinedesign.com/

- Charlotte DELOMIER, Designer indépendante

http://www.designersplus.fr/adherents/trouver-un-adherent/?adherent=58

- Anja CLERC, Designer indépendant

http://www.anjaclerc.com/

- Guillaume GRANJON et Élodie VICHOS, Designers et fondateurs de l'agence Kaksi

Design

http://kaksidesign.com/

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2 Résultats de l'enquête

D'après la retranscription des entretiens réalisés, nous pouvons faire ressortir plusieurs

thématiques. Nous aborderons les sujets suivants :

- Leur définition du design et leur vision de la pratique du design en France,

- La reconversion du design à Saint-Etienne et les avis concernant cette décision

politique territoriale,

- Les enjeux de cette reconversion territoriale,

- Quelques pistes de développement pour son avenir.

2.1 Le design... encore perçu comme élitiste ?

En ce qui concerne la définition du design, il est clair que d'après les avis recueillis, le design n'est pas facile à définir et est mal compris par le grand public.

N. Arnould : « Le mot design a été galvaudé »

« Le design, c'est partout, c'est tout. C'est simple en même temps... »

G. Subileau: « Il est perdu entre deux mondes : le beau et le pragmatique. »

P. Moine : « On va y passer la nuit là (rires). »

« Jamais avec mes clients, je ne parle d'esthétique car ce n'est pas le créneau d'entrée. »

Les interviewés s'accordent pour dire que le design n'est pas uniquement le beau. En effet, le design s'intéresse à la fonction, à l'utilisateur. Le designer conçoit en se mettant à la place de l'usager. On appelle ça le design thinking.

N. Arnould : « Il est proche des besoins de l'homme »

« S'il on veut être plus objectif, nous pouvons nous en tenir à la référence latine du mot

design, le dessein qui signifie concevoir pour : le design conçoit pour des usagers ou pour un

besoin. »

« Il y a une notion d'empathie, ça a d'ailleurs été l'objet d'une Biennale. »

G. Subileau : « Il est tourné vers l'usage »

« La partie stratégique du design est très importante »

P. Moine : « C'est réfléchir à des processus, à des concepts »

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« Le design est une manière de se différencier dans l'entreprise »

B. Laroche : « C'est d'abord la fonctionnalité pour les utilisateurs avant l'esthétisme. »

« Se mettre à la place des users, c'est l'essence même du métier. »

« Le design n'existera que si on le pratique »

G. Granjon et E. Vichos : « l'utilisation du mot faite par les médias fait référence le plus

souvent à l'aspect esthétique, voire artistique et non à la fonctionnalité, à l'usage. »

Ce qu'il faut probablement retenir de la définition du design, c'est que le design est là pour questionner, et faire réfléchir. Il est concret, tangible. Quant au métier du design, il est en transition. Autrefois tourné vers l'esthétisme et à la limite de l'art, il est aujourd'hui, même s'il existe encore du design proche de l'art, tourné vers l'usage et la fonctionnalité.

Les interrogés ont beaucoup insisté sur le fait que le design n'est pas bien considéré par les entreprises et le secteur privé. Les entreprises sembleraient ne pas avoir cerné l'intérêt du design, à tort étant donné que le design pourrait être un processus de développement incontestable.

N. Arnould : « Incompréhension des entreprises (É) qui ne font pas appel au design, car elles ne savent pas ce que c'est, et sont plutôt marketing, communication, »

P. Moine : « Le design est créateur de valeur, de richesse, et les entreprises ne savent pas l'utiliser. »

« Les entreprises à mon sens sont assez frileuses »

« J'ai rencontré des entreprises françaises qui ne sont même pas curieuses de ce qu'est le design, qui sont attentistes, qui sont réticentes au changement. Heureusement, des entreprises comme Décathlon, Apple, évidemment, où le design fait partie du développement et de la stratégie d'entreprise (É) ils font cela pour avoir des clients et dégager de la marge »

B. Laroche : « Le design thinking dans le processus d'innovation par les usages est de plus en plus reconnu comme un potentiel de différentiation dans une économie mondialisée »

Ainsi, les interviewés pensent que le design est mal considéré en France et peu utilisé, notamment dans le secteur privé. L'utilisation du design au sein des entreprises n'est pas perçue comme un facteur de développement alors que les évolutions sociétales et comportementales des consommateurs auraient grandement besoin de designers. Les causes

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de cette situation sont nombreuses, voici certaines explications données par les personnes interrogées :

G. Subileau: « Peu de communication sur les entreprises qui utilisent de design »

P. Moine : « Culture très traditionnelle et qui n'est pas ouverte et sensibilisée au design » « Facteur économique »

Spontanément, nombreux ont évoqué les pays anglo-saxons comme des pays qui ont intégré le design depuis plus longtemps que la France et qui utilisent davantage le design que les français. En France, nous serions donc en retard par rapport à d'autres pays concernant la pratique du design et le design thinking. Pire, il y aurait un effet de mode, car d'après les professionnels interrogés, le design thinking serait l'essence-même du métier de designer.

N. Arnould : « Dans les pays anglo-saxons, on mélange tout »

P. Moine : « Le design est peu utilisé en France. »

« L'Angleterre, l'Italie sont des pays qui pratiquent beaucoup plus le design que les

français. »

« On a l'impression de faire une grande découverte mais ça n'en n'est pas une (rires). »

« Aujourd'hui, on met du design thinking et usages à toutes les sauces... »

« Ca devrait bien souvent être la technique au service du design et non pas l'inverse. »

Que pensent les professionnels du design à Saint-Etienne ? Saint-Etienne est ville de design Unesco depuis 2010, est-ce une reconversion censée, naturelle ?

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2.2 Discussions autour de cette décision politique orientée vers le design

D'après les avis recueillis, le design est venu naturellement à Saint-Etienne. Plusieurs facteurs ont été en faveur de cette reconversion du territoire. La ville a toujours du innover pour se développer, s'il on regarde un peu son histoire. La créativité serait donc l'ADN de Saint-Etienne.

N. Arnould : « Le lien entre l'art et l'industrie existe depuis toujours (É) la construction de

l'Ecole des Beaux-Arts est venue suite à la demande des industriels (du textile par exemple)

qui avaient besoin de dessinateurs et créateurs. Il y a donc toujours eu un écosystème

innovant dans cette ville. »

G. Subileau : « Le design apparaît donc comme un nouveau souffle pour la ville. »

P. Moine : « Le passé plaide en notre faveur »

« Le design est très logique à Saint-Etienne »

« Quand Michel Thiollière a axé l'identité d'une ville sur le design, il s'est pas trompé »

B. Laroche : « Pouvoir inscrire cette politique dans l'histoire de la ville est un atout

primordial. »

« Un passé d'innovation est donc indiscutablement un plus. »

S. Devrieux : « Ville qui a été tout le temps en renouvellement, en recréation... Suite à la

crise industrielle, elle a rebondit sur le design »

G. Granjon et E. Vichos : « Le passé industriel est une façon de rendre légitime ce statut »

L'axe de développement du design n'est donc pas arrivé par hasard à Saint-Etienne et les avis confirment que cette reconversion est pleine de sens. Le passé industriel est donc le pilier de cette reconversion, la ville ayant toujours utilisé la créativité pour se développer. Le design est donc le fil directeur du développement de la ville.

Aujourd'hui, le design est bien tangible à Saint-Etienne. En effet, s'il on s'intéresse à la manière dont est représenté le design dans cette ville, les résultats sont nombreux. L'Office du Tourisme a mis en place un Saint-Etienne City Guide afin de faciliter la découverte du design sur le territoire pour les visiteurs : « il recense les architectures, les aménagements, les interventions urbaines et les commerces dans lesquels le design intervient. » Ce guide est intéressant pour comprendre ce que cherche à valoriser la ville en terme de design, pour les visiteurs, les amateurs ou simplement les personnes curieuses. Il est divisé de la manière suivante : Design dans l'architecture, Design dans l'espace urbain, Design dans les musées, Design hors Saint-Etienne, Design Management Award, Commerces design, et enfin, Shopping design. Le design est donc omniprésent à Saint-Etienne.

Qu'est-ce que la désignation ville de design Unesco apporte à la ville ? Le design a-t-il un impact sur le territoire ? Nous allons voir que d'après les données récoltées, le design apporte beaucoup en terme d'identité et d'image à la ville.

N. Arnould : « Le design comme justement vecteur de développement de la ville »

« On va très loin dans les designers comme création d'une identité stéphanoise »

« Le design a une répercussion forte »

S. Devrieux : « La désignation Ville de Design Unesco n'est pas juste une étiquette »

« Pour faire évoluer l'image de Saint-Etienne, c'est quelque chose de très important »

« Même si c'est pas un label, on peut quand même dire que ça a labélisé le territoire »

« Le design est plus qu'une directive pour promouvoir la ville, c'est un positionnement. »

« Le design c'est quelque chose de vrai à Saint-Etienne, il est issu de l'industrie, ça s'appuie

sur une réalité, où il y a un vrai réseau, avec la Cité, avec l'Ecole d'Art et de Design, les

entreprises, avec beaucoup d'activités économiques liées au design »

B. Laroche : « Une ville positionnée sur le créatif, le design »

G. Granjon et E. Vichos : « le design urbain et les actions qui sont menées en ville

caractérise Saint-Étienne »

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Finalement, quelle est la marque de fabrique de Saint-Etienne ? A-t-elle un caractère unique ?

N. Arnould : « L'idée était d'avoir un lieu unique en France, pour rassembler : une Ecole, l'Ecole Supérieure d'Art et de Design, un Pole Recherche, une pépinière d'entreprises et une institution, la Cité du Design... »

P. Moine : « Si on les voit on va dire avec un certain angélisme et chauvinisme, on peut dire qu'il y a quelque chose d'unique. »

G. Subileau: « Saint-Etienne est vraiment axé lead du design »

« La Cité du Design est un écosystème unique. »

« Saint-Etienne arrive à montrer que le design peut s'intégrer sur des espaces où on ne l'attendait pas. »

S. Devrieux : « Ce côté créatif, design, c'est très précieux car je vous garantis que c'est rare que différents secteurs soient derrière un même positionnement. »

« C'est notre fil rouge qui a le mérite de ne pas être que touristique. »

G. Granjon et E. Vichos : « L'intérêt d'une ville de design est de pouvoir attirer des investisseurs en améliorant le cadre de vie et les services qui sont proposés aux citoyens et aux entreprises. »

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Où en sommes-nous dans cette reconversion ? D'après les témoignages, le processus est enclenché et nous serions au début d'une grande histoire. Il faut toutefois veiller à l'aspect de pérennisation.

G. Subileau : « La ville est bel et bien en reconversion même si le processus est long »

« Les choses avancent doucement (É) mais la ville a du mal avec la dimension de

pérennisation »

N. Arnoult : « Il y a tout une histoire à écrire »

S. Devrieux : « Mais on est au début, on a encore pas mal de choses à faire (rires). »

« On commence effectivement à sentir des évolutions »

B. Laroche : « Début d'une reconversion, il y a encore beaucoup de possibilités »

Les avis des acteurs professionnels de la ville de Saint-Etienne concernant la ville de design sont donc optimistes. Ils voient que des changements sont en cours et que des actions sont déjà mises en place pour faire de cette ancienne ville industrielle à une véritable ville de design. La Biennale du Design en est un exemple concret, vue comme une véritable réussite. Concrètement, que pensent les professionnels de cet événement ?

N. Arnould : « La Biennale permet par exemple de tester des produits, des prototypes dans la ville. Elle met en oeuvre des démarches participatives. »

« Gros succès (É) au-delà de ce qu'on peut imaginer (rires). Et qui l'est toujours. »

« Levier du changement de Saint-Etienne (É) événement fédérateur »

G. Subileau : « La biennale apporte beaucoup à la ville (É) retombées économiques intéressantes »

S. Devrieux : « Toute personne qui vient sur place renvoi des signaux très positifs. »

« Une biennale, ça change complètement le territoire, on progresse en terme d'image, de notoriété, cet événement est très intéressant par rapport à d'autres choses qu'on pourrait faire qui couteraient beaucoup plus cher. On voit que les territoires en France se battent pour créer des événements porteurs d'image. C'est très compliqué. »

P. Moine : « C'est bien pour l'image de la ville (É) Saint-Etienne n'a pas forcément une image de ville sympathique (É) le design étant une activité à la mode (É) ça donne un côté plus brillant »

« Il faut savoir se réinventer à chaque fois, je sais que ce n'est pas facile, chaque fois il faut faire mieux que l'année d'avant »

B. Laroche : « Faire connaître et rayonner Saint-Etienne dans le domaine du design. »

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« Quelle est la place pour les designers sur le territoire ? » est également une question qui me semblait importante d'aborder pour constater comment la ville de design valorise la présence de designers au sein de son territoire. La ville a une forte densité de designers au mètre carré. Les créatifs sont donc bien représentés à Saint-Etienne. La ville de design accorde une place particulière aux designers : elle les attire, les aide à se développer, et fait tout pour les garder sur le territoire. L'association Designers Plus aide les designers sortis d'école et les autres à se professionnaliser, à être plus efficaces dans les relations avec les entreprises. Elle valorise leurs compétences et a créé un Réseau, le réseau Designers Plus, qui rassemble plus de soixante designers dans la Loire. La ville de design abrite donc beaucoup de designers sur le territoire ce qui présente une force indéniable. Ils font partie intégrante de la reconversion de la ville vers le design.

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N. Arnould : « Il faut capitaliser sur les designers qui sortent de l'Ecole »

« En plus, faire travailler les designers de la région favorise l'économie locale et le circuit court. »

« Les designers jouent donc un rôle très important pour la reconversion de la ville par le design. »

G. Subileau : « C'est bien d'avoir 10000 designers au mètre carré mais faut-il encore qu'ils survivent, tout simplement »

B. Laroche : « L'existence d'un quartier créatif permet une bonne représentation des professionnels du design et des professionnels des métiers connexes qui souhaitent développer des projets avec des designers. »

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2.3 Les problématiques de cette reconversion territoriale

Nous avons vu que d'après les avis recueillis, l'orientation de la ville vers le design est une volonté et une réalité. La ville de Saint-Etienne a été pionnière en matière de développement par le design mais cela ne suffit pas. Les interviewés s'accordent à dire que certains obstacles freinent cette reconversion.

Les habitants de la ville sont une problématique essentielle, sur laquelle la ville doit beaucoup travailler.

N. Arnould : « Beaucoup de personnes ignorent que la Cité du Design apporte énormément à la ville. »

G. Subileau : « Il y a comme une gêne de l'argent à Saint-Etienne (É) la Cité du Design avait été beaucoup critiquée. »

S. Devrieux : « Ce qui nous reste à travailler le plus, c'est les habitants. Il y a eu beaucoup de travail là-dessus, mais il y a encore du travail. »

« Incompréhension des habitants envers le design à Saint-Etienne »

« Une forte augmentation des personnes stéphanoises qui sont venues à la biennale, donc cela a commencé à jouer. »

Qu'en est-il de la communication ? Auprès du grand public, la ville répond aux questions simples comme « Qu'est-ce que le design ? A quoi ça sert ? » dans le but de rendre accessible le design. Ces actions de démocratisation ciblent également les professionnels car peu d'entreprises ont connaissance de ce que le design pourrait leur apporter. Des actions de communication existent mais il semble que l'on communique peu les retombées de la Biennale du Design par exemple, ce qui peut expliquer pourquoi les habitants n'ont pas conscience que cet événement est bénéfique pour la ville.

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G. Subileau : « Les retombées de la Biennale positives, on en parle peu »

« la Cité du Design (É) est vue comme une institution un peu louche ».

« Communication très axée sur le quartier créatif et la Biennale »

N. Arnould : « le Saint-Etienne City Guide, c'est vraiment pour découvrir le design dans la

ville »

S. Devrieux : « On a moins besoin de trouver plus d'offres concrètes que de travailler la

communication »

Une autre problématique de cette reconversion de la ville par le design est la conjoncture économique et le contexte actuel.

B. Laroche : « Les conditions financières des collectivités locales peuvent parfois donner envie de freiner. »

G. Subileau : « La vie est plus dure »

P. Moine : « Hier encore, un confrère me disait, c'est parce qu'on les oblige de mettre du design dans la ville »

« Le budget va être diminué pour les années à venir : il faut sauver notre peau et celle des designers »

Un autre enjeu actuel est que le design pourrait être un phénomène de mode. Saint-Etienne ne serait pas la seule à intégrer le design dans son processus de développement. La ville pionnière de design serait-elle concurrencée par d'autres villes ?

G. Subileau : « Maintenant, toutes les villes veulent faire du design, c'est tendance »

P. Moine : « On n'est pas unique (É), on a notre épingle du jeu dans la profession et c'est très bien. »

« Pas plus qu'à Paris, Milan, Berlin, et New Castle aussi, pas plus qu'à New Castle non plus. Donc nous ne sommes pas les seuls (É) Le commerce design, on l'a copié sur Montréal. »

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Bien que la vision soit optimiste de manière générale, nous avons vu que des fragilités demeurent et freinent le développement de la ville. Heureusement, la ville regorge de potentiel pour continuer dans cette lignée. Notons par exemple que le coût de la vie n'est pas cher. Un élément très important pour son développement est le soutien des politiques et de la ville dans cette direction.

Pour finir, voici quelques pistes de réflexion pour l'avenir de la ville de design qui ont été évoquées par les personnes interrogées :

N. Arnould : « Le design pour améliorer la ville, trouver des systèmes pour améliorer,

faciliter la collecte sélective... »

« volonté de travailler avec les villes voisines »

G. Subileau : « Il y a beaucoup à exploiter ! »

« Les actions très ciblées à destination des entreprises, ça fonctionne bien »

« Il faut réinventer quelque chose d'où l'idée de la Slow City, des espaces verts, des potagers

dans la ville, des terrasses... C'est de la vie à valeur ajoutée, la ville où il fait bon vivre »

P. Moine : « La Biennale, comme c'est tous les deux ans, on ne peut pas tout miser là dessus

(É) il faudrait un nouveau souffle pour dynamiser. »

G. Granjon et E. Vichos : « Pourquoi pas mettre en place une exposition permanente à la

Cité du design sur les racines du design à aujourd'hui à Saint-Etienne ? »

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ANALYSE DES DONNEES

Ainsi, nous pouvons désormais confronter les données récoltées, qu'elles soient empiriques ou théoriques. Pour rappel, l'objectif de cette étude est de comprendre comment la politique territoriale tournée vers le design améliore l'image de la ville de Saint-Etienne. Nous allons dans un premier temps identifier les idées convergentes par thématique, puis dans un second temps nous aborderons celles qui divergent. Enfin, nous établirons en s'inspirant des résultats obtenus quelques recommandations pour permettre à cette ville de poursuivre son développement par le design.

IDEES CONVERGENTES

Cette décision politique semble cohérente avec son passé industriel. Son histoire lui apporte de la matière et des explications. Ainsi, Saint-Etienne donne l'image d'une ville qui a toujours dû et su innover pour se mettre en valeur. Le design est bien réel et tangible à Saint-Etienne. Si on s'intéresse aux représentations concrètes, les exemples sont nombreux. En effet, la ville est caractérisée par de nombreux projets d'architectes, d'urbanistes et de paysagistes, du plus petit aux plus grands acteurs de renommées internationales. Citons par exemple Norman Foster (le Zénith), Finn Geipel et Giulia Andi (La Cité du Design), Rudy Ricciotti (La Maison de l'Emploi)... Le design se retrouve également dans l'espace urbain de la ville. Saint-Etienne est donc représentée par un design fort sur son territoire, en terme d'architecture et de design urbain. De plus, Saint-Etienne City Guide valorise également le design dans ses musées. En outre, tous les critères sont remplis pour qu'elle fasse partie du réseau Unesco des villes créatives : une cité du design, une école d'arts et de design, des centres de recherches, des entreprises exerçants dans le design... La ville est même la première collectivité française à avoir intégré un Design Manager dans la conception et le déploiement de ses politiques publiques.

D'après la théorie de Richard Florida, cette distinction permet « d'attirer de nouveaux designers sur le territoire ainsi que les classes créatives qui viendront enrichir les politiques urbaines grâce à leurs compétences. ». Les classes créatives devraient donc, d'après cette théorie, jouer un rôle important pour rendre Saint-Etienne attractive et la rendre prospère économiquement. D'après la recherche empirique, le territoire abrite beaucoup de designers

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au mètre carré. Les créateurs sont donc bien au coeur de cette régénération urbaine, puisqu'ils en sont de véritables acteurs.

De plus, tous les avis convergent sur l'idée que le design améliore considérablement l'image de la ville. En effet, le design est une stratégie de positionnement pour contribuer à améliorer l'image de Saint-Etienne. D'ailleurs, si on prend l'exemple de la Biennale Internationale du Design, les résultats sont très encourageants. D'après l'étude de l'impact de la Biennale 2015, les signaux renvoyés en terme d'image sont très positifs. En effet, la Biennale Internationale du design dispose d'une forte attractivité et joue le rôle de déclencheur pour venir à Saint-Etienne. La Biennale est un succès en terme d'image, tant pour l'événement que pour la Ville. 71% des visiteurs pensent que la Biennale Internationale du Design renvoi une image positive. L'image d'une ville austère, triste, liées à son passé industriel, s'efface au profit de celle d'une ville dynamique, modernisée, associée à la culture et au design. De plus, 93% des visiteurs de la Biennale de 2015 ont affirmé le souhait de participer à une prochaine édition.

La ville rayonne au niveau national et international grâce à son appartenance au réseau Unesco des villes créatives de design. Ainsi, le design améliore nettement l'identité territoriale de la ville, notamment grâce à l'événement fédérateur mais également parce qu'elle est positionnée dans un réseau mondial, aux côtés de Montréal, Berlin, ou encore Shanghai.

En plus, le design peut être vu comme un levier de développement économique. En effet, les retombées économiques liées au design sont intéressantes. Lors de la biennale du design, toute la ville se dynamise grâce au tourisme. En terme de données chiffrées, la Biennale Internationale du Design de 2015 a apporté 3,3 millions d'euros de chiffres d'affaires pour les entreprises de l'Agglomération (restaurants, hébergement, stationnement/carburant, transport, shopping, cadeaux/souvenirs, courses alimentaires).

En outre, certaines entreprises améliorent leur stratégie en faisant appel à des designers qui apportent de véritables solutions face aux évolutions sociétales. C'est donc une manière de lutter contre la crise économique et la conjoncture où il faut trouver de nouvelles solutions pour perdurer.

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IDEES DIVERGENTES

La théorie du design social semble néanmoins peu représentée à Saint-Etienne. En effet, même si certaines actions de design participatif auprès des habitants ont été menées, elles restent minimes compte-tenu de l'importance de la population. Par ailleurs, la volonté de démocratiser le design à Saint-Etienne semble réelle. On recense de vraies actions menées pour rendre le design accessible, à l'instar de certaines campagnes de communication. Néanmoins, le constat de la perception du design comme élitiste demeure auprès du grand public. Et les habitants deviennent même un problème pour le développement de cette identité territoriale. Notons par ailleurs que la majorité des habitants n'a pas connaissance de ce qu'apporte la biennale du design à la ville.

A travers la recherche empirique, nous avons vu que certains pensent que la Cité du Design est un écosystème unique, rare. Ces derniers voient Saint-Etienne comme une ville à caractère unique, qui serait unique en son genre. Mais d'autres n'ont pas ce point de vue : en effet, certains designers ont évoqué le fait que les meilleurs écoles de design ne sont pas à Saint-Etienne mais à Paris, que d'autres villes font du design, notamment au niveau européen. Par conséquent, la ville n'aurait pas un caractère unique en terme de design.

En ce qui concerne les problématiques de cette reconstruction territoriale, l'image d'une ville industrielle « noire » n'a pas été citée comme un frein pour cette reconversion territoriale. Au contraire, son passé industriel lui donne du sens. En revanche, le design est mal perçu par les entreprises, qui n'ont pas conscience de son potentiel. Le secteur privé est de manière générale peu convaincu des atouts du design, alors que les designers du territoire ont besoin d'eux pour travailler. Il faut donc les sensibiliser, des actions sont menées comme par le Collectif Designers +. Mais le travail est encore long. Si on s'intéresse à la temporalité, nous ne sommes qu'au début de cette reconversion territoriale.

Enfin, le design arrive à se concrétiser mais d'une manière un peu forcée. Certes, le fait qu'il y ait un design manager au sein de la collectivité territoriale est un véritable atout pour permettre à la ville de faire travailler les designers. Mais d'après certains designers, la triste vérité est liée au fait que le design manager soit parfois obligé de pousser la collectivité à utiliser le design. En effet, cela ne devrait pas être forcé, mais naturel et volontaire...

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D'après ces résultats et mon opinion personnelle, nous pouvons établir quelques préconisations générales pour que la ville stéphanoise continue son développement par le design.

Il faudrait amplifier les actions de sensibilisation du design pour le rendre plus accessible, et compréhensible. Ces actions pourraient être entreprises auprès des habitants, étant donné que les habitants sont les ambassadeurs d'une ville, mais également auprès des écoles, et auprès des entreprises. Des démarches participatives pour solutionner des problèmes urbains pourraient permettre aux différents publics de comprendre que le design peut apporter de véritables solutions pour la ville de demain.

Une autre piste serait de faire vivre la ville par des événements fréquents afin d'assurer la continuité avec la Biennale Internationale du Design, présente seulement un mois tous les deux ans. Pour cela, il serait intéressant de s'inspirer d'autres villes de design avec à la fois des événements grands publics, mais également des événements plus ciblés pour conquérir le secteur privé.

Enfin, la Biennale Internationale du Design étant un événement moteur de la ville de design, il semble primordiale que la ville axe tous ces efforts pour la rendre meilleure chaque année et la rendre unique au monde.

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CONCLUSION

Durant cette recherche, l'objectif était de comprendre comment la politique territoriale tournée vers le design améliore l'image de la ville de Saint-Etienne et quels en sont les enjeux. Nous allons tenter de conclure sur la place du design à Saint-Etienne afin de constater si son pari est sur la bonne voie.

Dans la partie théorique, nous avons réalisé un aperçu du design et de son histoire notamment sa présence dans les villes créatives de design. Par une tentative de définition du design, nous avons vu qu'il existait plusieurs écoles. En effet, certains pensent que le design existerait depuis toujours et que ce concept est un nouveau mot pour qualifier les inventeurs et concepteurs. Pour d'autres, le design est de l'art et sa préoccupation esthétique. On peut encore évoquer bien d'autres pensées, comme la visée productive purement industrielle, à l'inverse de l'artisanat où les objets sont uniques. Bref, le design serait encore un concept complexe ayant une multitude d'approches. D'ailleurs, le concept évolue constamment et le métier du designer est amené à évoluer avec les changements sociétaux.

La notion du design aurait explosé depuis les années 1980. En effet, s'il on regarde son historique, l'Etat français semble réellement s'intéresser, soutenir et promouvoir le design depuis cette période. Au fil du temps, beaucoup d'initiatives en faveur de cet art ont vu le jour : écoles, musées, galeries d'art, associations, événements, délégations... Citons par exemple le département « Design » crée en 1980 à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris ou encore, la première quadriennale internationale du design en 1986 dans la région de Lyon. Cependant, le design demeure un secteur d'activité méconnu du grand public, sans doute à causes de certaines confusions à son égard.

Les villes se sont intéressées au design pour créer une dynamique unificatrice qui rassemblerait la population autour d'un projet porteur et pour faire face à un contexte où les villes rassemblent 3/4 de l'activité économique et la moitié de la population mondiale. La qualification de villes créatives par l'Unesco est appuyée sur la notion d'économie créative, où les créateurs seraient un moyen de développement urbain. L'intérêt du réseau mondial de l'Unesco des villes créatives crée en 2004 est de promouvoir le développement culturel,

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économique et social des villes dans les pays développés et ceux en voie de développement. Montréal est entrée dans le réseau de l'Unesco en 2006 grâce à son potentiel créatif (plus de 450 000 employés dans le secteur créatif dont 20 000 designers). La ville aurait intégré du design dans des secteurs très divers. Pour Berlin, le design est également au coeur de l'économie urbaine, avec 11 000 travailleurs dans le design. Montréal et Berlin ont naturellement axées leur politique de développement territorial par le design et peuvent être considérées comme exemplaires étant donné les retombées positives.

On assiste depuis plusieurs années à la transformation de la ville de Saint-Etienne, notamment autour du design. Nous avons donc tenté de cerner ce qui a amené Saint-Etienne à se reconvertir grâce au design, puis nous en avons identifié les moteurs et les freins. Afin de comprendre les raisons d'une telle directive, il suffit de regarder dans le passé de cette ville : son dynamisme industriel révèle que la créativité a été le noyau dur pour son développement depuis la fin du 18ème siècle. Nommons par exemple la rubanerie, les industries minières, l'armement et les cycles. Le déclin industriel laisse la ville avec divers enjeux : pénurie démographique, crise économique, etc. La ville rebondit, toujours grâce à la créativité, en utilisant son héritage industriel pour créer du patrimoine et des musés. Elle se tourne très vite vers de nouveaux secteurs et pôles d'excellence comme le design en 1994, dont la politique est de placer le design au coeur de la transformation urbaine, des équipements, infrastructures et des espaces publics.

Parmi les moteurs de cette orientation, la ville souhaite se positionner d'un point de vue marketing, pour se créer une marque de fabrique, et ainsi, améliorer son image. Saint-Etienne voit également le design comme source de développement économique et pour lutter contre la crise économique, par le secteur privé, les investisseurs, le tourisme, etc. Le design pourrait également avoir un impact favorable sur les habitants pour construire une ville adaptée à ces citoyens. Les difficultés que la ville devait affronter sont son image de ville « vieillissante et noire », pauvre, qui n'aurait pas changé depuis son effondrement industriel. De plus, la proximité avec la ville de Lyon également tournée vers le design pourrait concurrencer la ville.

Enfin, nous avons émis les conséquences sur ce que le design apportait à la ville, en terme d'images mais également dans d'autres domaines. L'exemple de la ville de Saint-Etienne a montré que le bilan du développement de la ville par le design est intéressant. Le

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design est une réalité à Saint-Etienne, il lui donne beaucoup de sens, nous pouvons même dire que la ville est « design » de manière globale (divers secteurs d'activité, entreprises, habitants, écoles, projets urbains...). Notons par exemple la Biennale Internationale du Design, événement fédérateur de la ville et réussite indéniable. Cette identité de la ville évolue de manière qualitative notamment grâce à la Biennale dont les résultats économiques pour le territoire sont de l'ordre de 1,25 euros de retombées pour 1 euro investi. La culture design est un levier de croissance majeur pour la ville.

Dans la recherche empirique, nous avons interrogé certains professionnels du design de la ville de Saint-Etienne pour cerner quelle était leur vision des choses concernant cette reconversion par le design et ses réalités.

Globalement, le design apparaît comme un nouveau souffle pour la ville, c'est un vecteur de développement incroyable. Pour les professionnels, la désignation de ville de design par l'Unesco a permis de positionner le territoire même si ce n'est pas seulement un label. En effet, le design est logique et cohérent à Saint-Etienne, de par son histoire, et il a une répercussion forte. La Cité du Design est d'ailleurs un lieu unique en France, une sorte d'écosystème du design qui caractérise également la ville. Saint-Etienne arrive à montrer que le design peut s'inscrire sur des espaces inattendus, et que le design dans cette ville n'est pas seulement beau, mais stratégique, participatif, innovant.

Les designers qui font partie intégrante de la dynamique territoriale, ont leur place sur le territoire, avec des structures qui les aide et les encourage à exercer sur le territoire. Des actions de sensibilisation auprès des entreprises et du grand public sont menées dans cette directive. Toutefois, il semble y avoir une ambiguïté concernant l'identité du design à Saint-Etienne, étant donné que l'une des problématique essentielle est celle des habitants. Ces derniers semblent encore considérer le design comme élitiste, abstrait, et ne pas être conscient de ce que par exemple, la Biennale Internationale apporte à la ville. Des efforts de communication et de sensibilisations doivent être poursuivis auprès des habitants, mais également auprès des acteurs du secteur privé dont l'utilisation du design reste encore perçue comme accessoire. De même, la ville doit porter son attention aux créateurs, un moteur essentiel pour la mutation de la ville. Enfin, même si Saint-Etienne a été précurseur, d'autres villes commencent à s'y intéresser ce qui pourrait éventuellement la concurrencer.

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Pour terminer, nous avons confronté les données théoriques et empiriques pour cerner les idées communes et celles qui divergent.

Toutes les sources évoquent le fait que la décision politique est cohérente avec son passé industriel. De plus, la ville rayonne au niveau national et internationale, notamment grâce à la Biennale Internationale du Design, en plus d'être un levier de développement économique important. Certaines entreprises du territoire font appel aux designers où le design permet d'apporter de nouvelles solutions stratégiques pour que ces structurent perdurent.

Lyon ne semble pas être un obstacle à cette régénération urbaine, bien au contraire, elle est partenaire de la Cité du Design et permet ainsi de toucher de nouveaux publics. La théorie du design social semble minime à Saint-Etienne malgré quelques actions de design participatif auprès des citoyens et des efforts de communication pour le démocratiser. Le caractère unique de la ville serait également à nuancer, puisque d'autres villes le font aussi, comme Berlin et Montréal, et à Paris, il y a le Lieu du Design, les meilleures écoles de design, etc. L'image ancienne de ville « noire » ne semble pas être une difficulté pour la ville, au contraire, les visiteurs en repartent avec une bonne image. Notons enfin, que le design est encore un peu « dirigé » à Saint-Etienne puisqu'une Design Manager oblige la collectivité territoriale à mettre du design dans la ville, ce qui permet en outre de faire travailler les designers locaux. Pour finir, même si certains enjeux demeurent, la ville semble être sur la voie d'un changement d'identité profond.

Mener ce mémoire de recherche m'a beaucoup intéressée, j'ai apprécié le fait de mener ce travail de recherche en autonomie complète. Il m'a permis d'approfondir mes connaissances sur cette question et de mieux cerner les enjeux de cette discipline qui présente un potentiel futur incroyable. En effet, je fais partie de cette ville et j'ai d'ailleurs hâte de découvrir les prochains projets comme la « rue de la République du design », un projet d'expérimentation pour que questionner les nouveaux modes d'occuper et d'habiter les centre-ville, qui sera présenté à l'occasion de la Biennale Internationale du Design de 2017 ayant pour thématique « Les mutations du travail ». Par ailleurs, nous pouvons nous interroger sur l'avenir de la ville : A quoi ressemblera Saint-Etienne demain ? Qu'est-ce que le design va apporter comme transformation majeure à la ville ?

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The End






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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon