WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Quelle place pour la psychologie dans une culture traditionnelle africaine ?

( Télécharger le fichier original )
par Manon Le Flour
Institut Catholique de Paris - DU Solidarités Internationales : action solidaire et dialogue interculturel 2016
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

INSTITUT CATHOLIQUE DE PARIS

FACULTE DES SCIENCES SOCIALES ET ECONOMIQUES

Mémoire pour l'obtention du Diplôme Universitaire
Solidarités internationales, action solidaire et dialogue interculturel

Quelle place pour la psychologie dans une culture traditionnelle

africaine ?

L'exemple des itinéraires thérapeutiques en République du Congo

Rédigé et soutenu par Manon Le Flour
Sous la direction de Cécile Dubernet

Année universitaire 2015-2016

Ce document est le résultat d'une démarche d'analyse propre à son auteur. Il n'engage pas la responsabilité de la Faculté des Sciences sociales et économiques de l'Institut Catholique de Paris.

REMERCIEMENTS

Je tiens en premier lieu à remercier les équipes soignantes des Centres de Santé Intégrés de

La Source, de Mayangui et de Bacongo qui m'ont accueillie tout au long de cette expérience congolaise et où j'ai beaucoup appris.

Je tiens également à remercier Philippe Saint-Macary, dans son rôle de tuteur mais pas que. Les échanges partagés tout au long de l'année m'ont permis de me remettre en question, de continuer à avancer et surtout de ne pas lâcher prise. Il a été d'un grand soutien dans les périodes plus difficiles.

Enfin, je tiens à remercier mes parents qui me soutiennent quelque soient mes projets et respectent mon besoin d'évasion, et plus particulièrement ma Maman, qui a pris le temps de relire ce mémoire et de me donner son avis.

Sans leur soutien que je reçois depuis toujours, je n'en serais pas làÉ

« Follow your dream... »

RESUME

Ce travail de recherche en sciences sociales va tenter de répondre à la question qu'une jeune psychologue clinicienne s'est posée en quittant son cocon pour partir à la découverte d'une culture à l'opposé de la sienne. Elle est emplie de doutes, de questions et ne sait pas trop comment elle va pouvoir adapter sa pratique dans cette culture africaine et plus particulièrement au Congo-Brazzavile, pays d'Afrique centrale.

A travers son expérience, à travers les rencontres qu'elle fait, et à travers les entretiens menés, elle va découvrir les trois itinéraires thérapeutiques existants et leurs implantations au sein de la société au cours des dernières années. Elle articule alors l'avancement de sa pensée autour de l'itinéraire thérapeutique le plus commun des années 1980, pour comprendre au fur et à mesure de cette recherche l'évolution des parcours empruntés par les malades.

Au fil des parties, nous observons l'évolution que ces pays connaissent et la sensibilisation menée par les institutions internationales à propos de la santé mentale, concept de plus en plus présent au sein des esprits.

Mots clefs : santé mentale, itinéraire thérapeutique, culture traditionnel africaine

Conclusion p.72

TABLE DES MATIÈRES

Introduction p.2

I. La République du Congo en quelques chiffres p.7

1. Rappel géographique et historique p.7

2. Politique actuelle au Congo-Brazzaville p.8

3. Données démographiques en 2007 p.10

4. Données économiques récentes p.12

II. Le Congo-Brazzaville : une culture traditionnelle africaine p.14

1. La culture : une notion phare des sciences sociales p.14

2. La culture traditionnelle africaine p.18

3. Le concept de personnalité et l'identité congolaise p.25

4. Les représentations de la maladie mentale au Congo p.31

III. La religion au centre de la culture congolaise p.39

1. L'arrivée des religions dites occidentales en Afrique et le concept d'inculturation

p.39

2. Les Eglises Evangéliques au Congo et leurs mouvances p.44

3. La prise en charge des malades mentaux par les institutions religieuses p.49

IV. La naissance d'un système de santé mentale au Congo p.54

1. Première réflexion sur la santé mentale dans les pays du sud p.54

2. Les théories utilisées et leur adaptabilité p.62

3. Les politiques de santé publique en termes de santé mentale p.67

SIGLES

ASUdh : Action de Secours d'Urgence et de développement humain

CHU : Centre Hospitalier Universitaire

CNLS : Conseil National de Lutte contre le VIH/Sida

CNR : Conseil National de la Révolution

EEC : Eglise Evangélique du Congo

FMSM : Fédération Mondiale de la Santé Mentale

MDM : Médecins du Monde

MSF : Médecins Sans Frontières

OMS : Organisation Mondiale de la Santé

ONG : Organisation Non Gouvernementale

PCT : Partie Congolais du Travail

PVVIH : Personne Vivant avec le VIH

RCA : République Centre Africaine

RTA : Religion Traditionnelle Africaine

SMPS : Santé Mentale et Pratiques de Soins

TCC : Thérapie Cognitivo-Comportementale

VIH : Virus de l'Immunodéficience Humaine

AVANT PROPOS

Je profite de cet avant-propos pour me présenter rapidement. Je m'appelle Manon Le Flour et je suis née le 28 novembre 1989 à Evian-les-Bains en Haute-Savoie. J'ai grandi au milieu des montagnes et soufflé quasiment toutes mes bougies avec l'arrivée de la première neige de la saison.

Dès ma rentrée au lycée je quitte en partie le cocon familial pour l'internat. Puis à l'obtention du mon baccalauréat, je déménage pour démarrer mon cursus universitaire en psychologie. Après deux années de faculté, je passe le concours pour intégrer l'Ecole de Psychologues Praticiens de Lyon afin de bénéficier d'une formation de qualité. Les années se poursuivent et les stages également. Je ferai mon premier stage dans le service de ressources humaines de la mairie de mon village natal et le second dans le service de l'hôpital de jour pédopsychiatrique de Vienne. Enfin, afin de valider mon diplôme de psychologue clinicienne, j'effectuerai mon dernier stage en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), tout en écrivant mon mémoire de recherche intitulé « Le tatouage, pansement symbolique des blessures narcissiques ».

Une fois le diplôme en poche, c'est décidé je prends une année pour moi et décolle avec un aller simple pour la Nouvelle-Zélande. Sur le chemin, je ferai mon premier stop en Asie du sud est, en Malaisie. Malgré les quelques appréhensions de ce premier voyage « sac à dos », je découvre un monde dont je ne pourrai plus me passer. Novembre 2013, j'arrive donc à Auckland et vais parcourir le pays pendant les cinq mois qui suivent. L'hiver arrivant, je ressens le besoin de me rapprocher des sommets enneigés et m'installe à Queenstown ou je trouve du travail pour la saison. J'endosse alors le rôle d'« housekeeping manager », c'est-à-dire que je supervise et gère le service de chambre d'une des plus grosses auberges de jeunesse de la ville, pendant six mois. J'aime ma vie en Nouvelle-Zélande, mais il me manque quelque chose : une stimulation intellectuelle que je trouvais dans la psychologie. L'hiver passé, il est temps de reprendre le chemin de la maison. Sur le chemin, je m'arrêterai en Australie et à nouveau en Asie du sud est pendant trois mois.

C'est à ce moment là que je commence mes recherches sur l'humanitaire, réalisant que mes compétences techniques peuvent être utiles dans les pays du sud où des personnes vulnérables vivent. Je découvre alors Intercordia, je suis séduite et je commence à réfléchir à un projet, à postuler à des services civiques, à des missions de volontariat de solidarité

internationale. Après plusieurs candidatures, plusieurs entretiens me voilà en train d'accepter une mission au Congo-Brazzaville d'une durée de 10 mois. La mission consiste à appuyer un projet de santé communautaire, et plus particulièrement le volet VIN et le suivi thérapeutique des patients.

L'été passe et nous voilà le mercredi 09 septembre 2015. Je prends la direction avec mes parents de l'aéroport de Genève comme première étape. Il est tôt, il fait encore nuit et nous nous disons au revoir devant les contrôles de sécurité. J'ai l'habitude de passer ces portiques, mais cette fois-ci, j'ai une appréhension un peu plus importante. Premier décollage pour Paris, où je retrouve mon binôme avec qui je pars et qui est pharmacienne. L'avion en direction de Brazzaville décolle et il est impossible de faire marche arrière. Ce soir nous serons à Brazzaville, surnommé la Belle Verte.

Cette année sera riche en découvertes, en émotions, en surprises, en rencontres, en de nombreuses choses. Ce ne sera pas toujours facile, il y aura des hauts mais également des bas. Des difficultés, des déceptions, des frustrations feront également partie de l'aventure. J'ai eu envie de rentrer à certains moments, de tout lâcher, mais en même temps ma curiosité s'éveillait à chaque instant et je me sentais utile (tout en étant inutile à certains moments).

Cependant, après 10 mois passés à Brazzaville, je peux dire que je n'ai que rarement quitté un aéroport avec le coeur aussi gros.

« Autrefois, lorsque les gens traversaient le monde à pied, à cheval ou en bateau, ils avaient le temps de s'accoutumer aux changements. Les images de la terre défilaient sous leurs yeux lentement, le film du monde tournait tout doucement. Comme leur voyage durait des semaines, des mois, ils se familiarisaient progressivement à l'environnement, aux paysages nouveaux. Le climat lui aussi changeait par étapes. Avant d'atteindre la fournaise équatoriale, le voyageur venu de la froide Europe avait déjà traversé la douceur de Las Palmas, la canicule d'El-Mahary et l'enfer du Cap Vert.

Que reste-t-il aujourd'hui de cette gradation ? Rien ! L'avion nous arrache violemment de la neige et du gel pour nous plonger le jour même dans le gouffre des flammes tropicales. Nous avons à peine le temps de nous retourner que nos nous retrouvons au coeur d'un brasier humide. Dès notre arrivée, nous sommes en nage. Si nous quittons l'Europe en hiver, nous jetons manteaux et pulls : voilà le geste initiatique que nous, les gens du Nord, exécutons en débarquant en Afrique »

Ryszard Kapuoeciñski, 1998, p.91

1

1 Kapuoeciñski, R. (1998). Ebène. Aventures Africaine. Librairie Plon

2

Introduction

Ces premières lignes de l'ouvrage de R. Kapuoeciñski éveillent en moi beaucoup de sensations, de pensées, de souvenirs. Elles éveillent en moi mes premiers moments à Brazzaville. Je quittais, quelques heures auparavant la fraicheur de la Haute-Savoie pour me retrouver dans cet environnement humide et presque étouffant. Tous mes sens sont alors en éveil : les premiers sons des percussions, les premières odeurs qui me rappellent un ancien voyage sur le continent africain, les scènes de vie qui m'émerveillent avec toutes ces femmes en boubous de multiples couleurs. Je suis alors marquée par cette effervescence continue. Cette effervescence à laquelle, petit à petit, je vais m'habituer.

Je repense alors à la formation Intercordia, et tout particulièrement à Gilles Le Cardinal nous disant : « Pour que notre vie ait du sens, il faut sortir de sa zone de confort ». Pour comprendre cette phrase il faut revenir aux théories de psychologie du développement et plus particulièrement aux travaux de Lev Vytgosky (1978)2 sur la zone proximale de développement, concept repris par les théories de développement personnel et de coaching qui ont vu le jour ces dernières années. L'être humain, au cours de sa vie et de ses expériences, voyage entre plusieurs zones. Tout d'abord la zone de confort, qui est la zone où nous passons le plus de temps et dans laquelle nous avons nos habitudes. Nous pouvons y évoluer sans besoin de l'aide de personne. C'est la zone où nous nous sentons en sécurité. Puis, à certains moments, l'individu va sortir de sa zone de confort pour entrer dans la zone de challenge, pouvant aussi être appelée zone proximale d'apprentissage. C'est la zone qui va confronter l'individu à des nouveautés qu'il va être en mesure d'intégrer afin de développer de nouvelles compétences. C'est une zone où se retrouvent les défis que l'individu se lance afin de progresser. Si ces derniers sont trop importants ou hors de portée, nous entrons dans la zone de panique, où de nombreuses émotions négatives émergent : peur, anxiété... C'est cette zone qu'il va falloir apprivoiser en traversant la zone de challenge.

2 Vytgosky, L. (1978). Interaction between learning and development, Mind and Society. Cambridge, MA: Harvard University Press, p.79-91

3

L'aventure Intercordia me semble un bon exemple du voyage que nous faisons au travers ces différentes zones, de manière non linéaire, tout au long de notre expérience. En effet, nous quittons notre zone de confort pour partir à la découverte d'un nouveau pays. Nous arrivons dans la zone de challenge ou de nombreux défis sont à relever et frôlons des fois la zone de panique. Petit à petit, notre zone de confort s'élargit afin de repousser de nouvelles limites au fur et à mesure que les mois passent. C'est effectivement une expérience qui va nous permettre de trouver un sens à nos envies, à nos choix et potentiellement à notre vie.

Nous quittons donc notre espace familier avec nos représentations sur le monde, sur ce nouveau pays, sur la mission dans laquelle on va s'investir. Bien entendu, il y a aussi des questions, des doutes, des interrogations qui vont se faufiler dans nos bagages pour nous accompagner tout au long de l'année. Je quittais la France avec mon bagage de connaissances et de compétences et sur le point de débuter ma première expérience professionnelle dans mon domaine et j'avais bel et bien emporté avec moi de nombreuses questions. Beaucoup de ces dernières concernaient ma pratique de psychologue dans une culture qui me semblait très différente de la mienne. J'écrivais d'ailleurs lors de mon premier rapport d'étonnement de juillet 2015 : « débuter sa pratique professionnelle dans un cadre culturel complètement différent est d'autant plus inquiétant ».

Puis au fil des jours et des expériences sur le terrain, ces questionnements se sont intensifiés et de nouveaux ont vus le jour. J'ai pris le temps de découvrir cette culture, cet environnement, ces centres de santés et les personnes qui y travaillaient. Chaque jour je découvrais un peu plus. Je découvrais aussi le monde du travail au Congo, et ce n'était pas sans peine. Mes notions d'exigence, d'efficience, d'efficacité étaient alors confrontées à la notion du temps africain connu de tous. Le concept de cadre, important et essentiel dans de nombreuses théories psychologiques, était lui aussi mis à rude épreuve.

Toutes ces observations m'ont amenée à me questionner sur la prise en charge de la santé mentale dans les pays africain tel que la République du Congo. J'ai alors débuté des recherches dans la littérature actuelle et me suis rendue compte que la notion de santé mentale était encore très jeune. En effet, comme le précise Florian Kastler dans son article (2011)3, la composante mentale de la santé apparaît pour la première fois en 1946 dans le Préambule de à la Constitution de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui définit la santé comme

3 Kastler, F. (2011). « La santé mentale en Afrique : un défi oublié ou une réponse institutionnelle inadaptée ? ». Santé internationale : Les enjeux de santé au Sud. Paris : Presses de Science Po, 169-177

4

« un état de complet bien être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ».

Cependant, ce n'est seulement qu'au début des années 2000 que l'OMS définit le concept de santé mentale comme « un état de bien-être dans lequel chaque personne réalise son potentiel, fait face aux difficultés normales de la vie, travaille avec succès de manière productive et peut apporter sa contribution à la communauté »4.

Nous pouvons alors constater que ce n'est que dernièrement que la question de la santé mentale en Afrique a émergé malgré la présence réelle des maladies mentales dans les pays en voie de développement. Les chiffres de l'OMS évoquent 450 millions de personnes atteintes d'une pathologie mentale dans le monde à l'heure actuelle et qu'une personne sur quatre rencontre un épisode de trouble mental au cours de sa vie. La Fédération Mondiale de la Santé Mentale (FMSM)5 va plus loin en affirmant que plus de la majorité des personnes souffrant d'un trouble mental ne reçoivent pas les soins dont elles auraient besoin pour se soigner. Les organisations internationales sonnent le signal d'alarme et commencent tout juste à prendre en compte l'importance de la prise en charge des troubles mentaux dans les sociétés et particulièrement dans les pays en voie de développement. Cela est d'autant plus important que dans la majorité des cas les troubles mentaux vont amener à l'exclusion sociale, avec des conséquences importantes sur cette population déjà vulnérable.

Afin de pousser un peu plus la réflexion lorsque j'étais sur place, j'ai rencontré des professionnels de la santé qui ont accepté de répondre aux questions que je me posais et d'ouvrir le débat. J'ai alors rencontré un psychiatre travaillant au sein du service psychiatrique du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Brazzaville, ainsi que deux psychologues. Le premier, psychologue formé dans une université française au début des années 1980 et travaillant actuellement dans le Centre National de Traitement des Traumatismes Psychiques, part régulièrement en mission dans le nord du pays pour prendre en charge les réfugiés de la République Centre Africaine (RCA). Le second, psychologue, formé à Cuba dans les années 1980 travaille actuellement à l'OMS en tant que consultant sur la prise en charge du stress post-traumatique chez les réfugiés.

4 Organisation Mondiale de la Santé (2001). Rapport sur la santé dans le monde 2001 - La santé mentale : nouvelle conception, nouveaux espoirs. Bibliothèque de l'OMS

5 Fédération Mondiale de la Santé Mentale (2009). La Santé mentale en soins primaire : améliorer le traitement et promouvoir la santé mentale. Bibliothèque de la FMSM

5

Ces entretiens m'ont amenée à pousser les recherches et à me questionner sur le concept d'itinéraires thérapeutiques, lui aussi déjà étudié dans la littérature des sciences sociales, et plus particulièrement en anthropologie. Comme nous le précise Anne Marcellini et ses collaborateurs dans leur article (2000)6, c'est le célèbre J.-M. Janzen qui a définit cette notion d'itinéraire thérapeutique lors de son étude sur la région du Bas-Zaïre (1995)7. Il définit ce concept par le parcours qu'empruntent les malades, en prenant en compte les différents recours aux soins, mais aussi leurs familles, lors de leur choix thérapeutique afin de parvenir à la guérison, à la stabilisation ou au décès.

La République du Congo se trouvant dans un entre deux, où la culture traditionnelle africaine a été influencée par les cultures occidentales, à travers la colonisation mais aussi la mondialisation, trois recours thérapeutiques se trouvent dorénavant en concurrence : le recours traditionnel, le recours religieux et le recours à la psychiatrie.

La communauté ayant une importance prépondérante au sein des cultures africaines comme nous pourrons le voir, le choix du recours thérapeutique est intimement lié à la dynamique familiale et plus particulièrement aux rapports de force qui existent entre les différents membres. Au cours des dernières décennies, les personnels de santé ont pu observer une modification des itinéraires thérapeutiques avec un inversement des trois recours, au profit de la médecine occidentale.

Toutes ces lectures, ainsi que les rencontres faites sur mon terrain de mission, m'ont alors amenée à poser la problématique suivante :

Quelle place pour la psychologie dans une culture traditionnelle africaine ?
L'exemple des itinéraires thérapeutique en République du Congo.

Afin de répondre à cette problématique, j'ai essayé de réfléchir en partant de l'idée des itinéraires thérapeutiques qui existent au Congo-Brazzaville et de leurs évolutions dont les professionnels rencontrés m'ont parlé.

6 Marcellini, A., Turpin, J.-P., Rolland, Y., Ruffié, S. (2000). « Itinéraires thérapeutiques dans la société contemporaine ». Corps et culture. [En ligne], Numéro 5 | 2000, mis en ligne le 24 septembre 2007, Consulté le 13 juillet 2016. URL : http://corpsetculture.revues.org/710

7 Janzen, J.-M. (1995). La quête de la thérapie au Bas-Zaïre. Paris : Karthala

6

Le plan suivra donc l'itinéraire thérapeutique qui a été reconnu majoritaire au début des années 1980 : l'individu qui rencontre des troubles psychiques va dans un premier temps se diriger vers un soigneur traditionnel. Puis, si les troubles persistent, il va consulter auprès d'une personnalité religieuse dans un second temps. Enfin, en dernier recours, la famille se tournera vers le service de psychiatrie de l'hôpital général afin de parvenir à la disparition du symptôme.

Dans cette optique, nous évoquerons dans une première partie le Congo-Brazzaville en tant que culture traditionnelle africaine afin de mieux comprendre ce qu'est le recours thérapeutique traditionnel. Tout d'abord, nous ferons un point sur la République du Congo en s'appuyant sur les données statistiques actuelles disponibles afin de se rendre compte des problématiques et de la situation d'un point de vue historique, démographique, politique et économique. Puis, nous prendrons le temps de définir le concept de culture dans les sciences sociales, et plus particulièrement celui de culture traditionnelle africaine, qui sera alors illustrée par certaines caractéristiques de la culture existante en République du Congo.

Dans une seconde partie, nous aborderons la question de la religion, et de son importance au sein de la culture congolaise. Pour cela, dans un premier temps, nous reviendrons sur les différents courants qui se trouvent au sein du pays, pour ensuite apprécier l'importance de la religion dans la vie quotidienne des congolais. Enfin, nous consacrerons une sous-partie à la puissance des institutions religieuses, et plus particulièrement à l'Eglise Evangélique du Congo qui a été l'organisme qui m'a accueillie au cours de ma mission.

Enfin, dans une dernière partie, nous évoquerons la naissance du système de santé prenant en charge les troubles mentaux en République du Congo, et plus précisément à Brazzaville. Afin de comprendre les enjeux de cette problématique actuelle, nous aborderons dans une première sous-partie les premières réflexions sur la santé mentale et sa gestion dans les pays du sud. Puis, nous évoquerons la difficulté rencontrée par de nombreux pays en voie de développement qui se traduit par la crise des ressources humaines dans le domaine de la santé. Dans une troisième sous-partie, nous reviendrons sur les théories psychologiques interculturelles, ainsi que les plus utilisées par les professionnels de la santé sur le terrain. Enfin, afin de clore notre travail de réflexion, nous ferons l'état des lieux des politiques de santé publique existantes au Congo-Brazzaville. Nous évaluerons les perspectives d'évolutions envisagées par le gouvernement actuel.

I. 7

La République du Congo en quelques chiffres

1. Rappel géographique et historique

La République du Congo, plus communément appelée Congo-Brazzaville, est située en Afrique Centrale. Le territoire du Congo trouve sa particularité par la présence de la forêt tropicale humide, second massif forestier tropical, couvrant alors une majeure partie du territoire et participant à la dynamique du pays. Cette forêt tropicale est majoritairement drainée par le fleuve Congo qui joue un rôle important dans la vie économique du pays, et sert aussi de frontière naturelle avec la République Démocratique du Congo et de l'Angola.

La découverte de ce pays date du XVème siècle lors de l'exploration du fleuve Congo et les premiers contacts seront principalement commerciaux. C'est en 1879, lorsque Pierre Savorgnan de Brazza pénètre sur le sol congolais, qu'un traité de souveraineté est signé avec le Roi Makoko. Au cours de l'exploration du pays, plusieurs traités de ce type seront alors signés avec les différentes tribus. Le Congo devient alors un des quatre Etats de l'Afrique équatoriale française en 1885. Puis, quelques années plus tard, en 1891, la colonie du Congo français est créée officiellement.

C'est à la suite de la Première Guerre Mondiale que les premiers mouvements de protestation apparaissent menés par André Matsoua. Cependant, ce n'est qu'à la fin de la Seconde Guerre Mondiale que le mouvement vers l'indépendance reprend, symbolisé par l'élection du premier député congolais à l'assemblée constituante de Paris en 1945.

Le chemin vers l'indépendance sera long et difficile. Il débute à la suite de la Première Guerre Mondiale, pendant laquelle les Congolais se sont battus aux cotés de l'armée française, par la création d'une amicale par André Matsoua en 1926 qui devient rapidement un mouvement de protestation. C'est seulement à la fin de la Seconde Guerre Mondiale que le mouvement vers l'indépendance reprend avec l'élection du premier député congolais à l'assemblée constituante de Paris en 1945. Le Congo devient alors une république autonome en 1958 et, au cours des troubles de 1959 à Brazzaville, Fulbert Youlou est élu président de la République. Le Congo accède à l'indépendance le 15 Août 1960.

La présidence sera reprise en 1963 par Alphonse Massamba-Débat qui se prononce en faveur du socialisme et qui se rapproche de la Chine. Cinq années après, l'arrestation du capitaine Marien Ngouabi pour ses convictions socialistes, va faire vibrer certains éléments de l'armée qui vont alors organiser un putsch. A la création du Conseil National de la Révolution

8

(CNR) par le capitaine Marien Ngouabi, le président Alphonse Massamba-Débat se doit de déposer sa démission en septembre 1968. A la fin de l'année, le CNR se proclamera à la tête du pays et de ce fait Marien Ngouabi devient le chef de l'Etat congolais. Cette période sera caractérisée par la seconde République du Congo de type populaire pendant laquelle le président assiéra le socialisme. Cependant, le régime est instable et est confronté à plusieurs tentatives de coup d'Etat. Marien Ngouabi sera alors assassiné en 1977 et Joachim Yhombi-Opango lui succédera, jusqu'à l'arrivée du président actuel.

C'est donc le 05 février 1979 que Denis Sassou N'Guesso s'empare du pouvoir par les armes. L'atmosphère politique va de nouveau être troublée à la fin du premier mandat de Denis Sassou N'Guesso. Pendant plusieurs années, le président ne sera pas destitué mais perdra une grande partie de ses privilèges. En 1992, lors des élections présidentielles, Denis Sassou N'Guesso sera vaincu par Pascal Lissouba avec qui il crée un partenariat. A partir de 1995, il commencera à préparer un coup d'Etat qu'il mettra alors à exécution en 1997, année où il reprendra le pouvoir par les armes.

La République du Congo va alors connaître de sombres années où la guerre civile va faire des ravages. L'apogée de cette crise se situera à la fin de l'année 1998 ou l'armée procèdera à une opération lourde au sein des quartiers du sud. Ce n'est qu'une année plus tard que le pouvoir reprendra en partie le contrôle du territoire. Mais la guerre civile a laissé des traces indélébiles, avec une opposition Nord-Sud, qui va diviser le pays en créant un sentiment d'insécurité.

2. Politique actuelle au Congo-Brazzaville

Après son retour par les armes, au cours de la seconde guerre civile de 1997, Denis Sassou N'Guesso a adopté une nouvelle Constitution en 2002 garantissant le nombre de mandats présidentiels à deux et un âge maximal de 70 ans pour le président lors de son élection. L'adoption de cette Constitution a amené un régime présidentiel renforcé dont le Président de la République est le centre puisqu'il a la main mise sur toutes les institutions gouvernementales. Tous les membres du gouvernement sont alors nommés par le président lui même et l'absence de tout contrepoids institutionnel déjoue l'émergence de toute opposition, comme nous le rappel l'article de Félix Banjounda (2001)8. Cet article pose alors la question

8 Bankounda, F. (2001). « Congo-Brazzaville. Une septième Constitution pour quoi faire ? ». Politique africaine 2001/1 (n° 81), p.163-170

9

de la légitimité des textes institutionnels dans les sociétés africaines, qui sont le ticket gagnant pour entrer sur la scène internationale. Ces derniers ne sont donc pas adoptés par les pays africains parce qu'ils sont nécessaires au bon fonctionnement politique, mais parce qu'ils permettent d'entretenir les relations internationales. Ceci pourrait expliquer pourquoi le président actuel se détache aussi facilement de tous textes et est responsable du « plus vaste cimetière institutionnel de l'ensemble des pays d'Afrique » comme le précise l'article (pp.163).

A l'heure de la fin de son deuxième mandat, Denis Sassou N'Guesso n'a pas d'autre solution que de faire adopter une nouvelle Constitution afin de pouvoir se représenter aux élections de 2016. Suite au référendum d'octobre 2015, certains partis de l'opposition se sont mobilisés et ont tenté de se faire entendre. C'est le cas du Front Républicain pour le Respect de l'Ordre Constitutionnel et l'Alternance Démocratique (Frocad) et de l'Initiative Démocratique au Congo (IDC) qui dénoncent alors un coup d'état constitutionnel de la part du gouvernement. Les élections, alors prévu pour l'été 2016, seront avancées au premier trimestre de l'année et la date du premier tour sera fixée au 20 mars 2016. Ces élections se passeront dans une atmosphère de tension où les télécommunications seront coupées entre le jour du scrutin et l'annonce des résultats. C'est durant la nuit du 24 mars que le président annoncera lors d'une conférence audiovisuelle sa réélection à la tête du gouvernement avec 60,39% des voix. Dès le petit matin, l'opposition contestera les résultats en évoquant une fraude massive de la part de Denis Sassou N'Guesso. L'opposition fera appel au Conseil Constitutionnel qui validera les résultats obtenus par le président sortant et validera officiellement la réélection de ce dernier.

A l'heure d'aujourd'hui, le Congo-Brazzaville se trouve encore dans une situation potentiellement instable, où des affrontements peuvent survenir entre l'armée du président et certaines milices.

10

11

3. Données démographiques en 2007

Il est intéressant de noter que le dernier recensement fiable date de 2007 avec la dernière opération nationale de recensement général de la population et de l'habitat/habitation (RGPH). En 2007, comme le montre le tableau ci-dessous, le Congo-Brazzaville était donc peuplé de 3 697 490 habitants, avec une disparité dans la répartition de cette dernière se regroupant alors principalement aux alentours du chemin de fer reliant Brazzaville à Pointe-Noire. Le taux d'urbanisation, selon le site américain The World Factbook9, est alors estimé à 65,40% en 2015.

Tableau 1 : Indicateurs démographiques de base de la République du Congo

Nous pouvons aussi constater que, en 2007, le nombre moyen d'enfants par femme était de 4,9, le taux de mortalité infantile s'élevait à 76,4ä et l'espérance de vie était de 51,6 ans. The World Factbook propose des chiffres plus récents, estimés en juillet 2015, montrant alors une amélioration au cours des dernières années. En effet, nous pouvons constater que le taux de mortalité infantile a diminué de 18,5 points de pourcentage (57,9ä) et que l'espérance de vie a augmenté et est dorénavant de 58,79 ans.

La population congolaise peut être considérée comme jeune puisque l'âge médian est de 19,8 ans et que la majorité de la population à moins de 25 ans. Comme le précise l'EDSC-II10, « la pyramide du Congo qui présente une base élargie qui se rétrécit rapidement au fur et à mesure que l'on avance vers les âges élevés est significative des populations à fécondité et à mortalité élevée » (pp.24).

9 The World Factbook (2013-14). Washington, DC: Central Intelligence Agency, 2013.

10 Centre National de la Statistique et des Études Économiques (CNSEE) [Congo] et ICF International (2013). Enquête Démographique et de Santé du Congo (EDSC-II) 2011-2012. Calverton, Maryland, USA : CNSEE et ICF International.

Graphique 1 : Pyramide des âges de la population congolaise

Le taux de fréquentation scolaire est l'indicateur nous permettant d'évaluer le niveau d'accès de la population au système éducatif. Le graphique ci-dessous, issu de l'EDSC-II, nous permet de constater un taux de fréquentation scolaire important au Congo, tournant autour des 90% de la population à partir de l'âge de 6 ans et ce jusqu'à 12 ans. C'est donc à l'entrée dans le cycle secondaire que le taux de fréquentation scolaire commence à chuter, avec une différence entre les filles et les garçons qui s'agrandit au fur et à mesure des années.

Graphique 2 : Taux de fréquentation scolaire par âge au Congo

12

Le taux d'alphabétisation - population âgée de plus de 15 ans pouvant lire et écrire - s'élève alors à 79,3% de la population selon The World Factbook. Une fois de plus, les garçons semblent alors être plus avantagés que les femmes, puisque 86,4% d'entre eux sont en mesure de lire et d'écrire, contre 72,9% des femmes. Ceci peut alors être expliqué par la diminution de la fréquentation scolaire chez les filles à partir de l'âge de 12 ans, comme nous l'avons vu précédemment.

4. Données économiques récentes

Le Produit Intérieur Brut (PIB), indicateur majeur pour rendre compte de la richesse d'un pays, a été estimé en 2011 par le CNSEE à 7053,2 milliards de FCFA courants. Comme le précise le rapport de la Banque Mondiale de 201211, le Congo se situe alors dans la classe des pays à revenu intermédiaire, grâce aux revenus pétroliers conséquents et à une faible population de seulement 4 millions d'habitants.

Le graphique ci-dessous nous permet de constater une évolution majeure du PIB depuis les années 1980, principalement appuyée par le développement dans le secteur pétrolier. En effet, l'économie congolaise est principalement basée sur le pétrole puisque ce domaine représente actuellement 70% du PIB, alors qu'il ne représentait seulement 56% en 1980 comme le précise le rapport du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) sur la vulnérabilité de l'économie congolaise12.

Graphique 3 : Evolution du PIB à prix courant (1980-2011)

(En milliards de FCFA)

11 World Bank (2012). Congo, Republic of - Country partnership strategy for the period FY13-FY16. Washington, DC: World Bank

12 Programme des Nations Unies pour le Développement (juin 2012). Etude sur la vulnérabilité de l'économie congolaise et ses perspectives de diversification. Brazzaville, République du Congo

13

Depuis plusieurs années, nous pouvons observer un amenuisement progressif des différents secteurs économiques, à l'exception du secteur pétrolier et du secteur marchand, qui « conduit à l'amenuisement de la base productive de la richesse nationale, avec les conséquences que l'on imagine sur les plans économique, social et politique » comme le souligne le rapport du PNUD (pp.25).

L'indice de développement humain est un indicateur créé par le PNUD afin de pouvoir évaluer le développement humain dans les pays. Cet indice est calculé à partir des trois dimensions que nous avons évoquées précédemment : l'espérance de vie à la naissance, le niveau d'éducation et le PIB du pays. Sur le site internet du PNUD13, nous pouvons alors trouver des chiffres nous permettant de mieux comprendre la dynamique du Congo, dont l'indice de développement humain qui est de 0,534. Le Congo se trouve alors dans la tranche d'un développement humain moyen et se place au 142ème rang mondial.

Carte 1 : Carte de l'Indice de Développement humain de 2013
Source - PNUD

13 Programme des Nations Unies pour le Développement (2013). A propos de la République du Congo. Brazzaville, République du Congo

II. 14

Le Congo-Brazzaville : une culture traditionnelle africaine

1. La culture : une notion phare des sciences sociales

Il est impossible de nier la complexité du mot « culture » dans la langue française. Il suffit d'ouvrir le Dictionnaire de la langue française pour se rendre compte des nombreux sens que nous pouvons attribuer à ce mot. Au premier coup d'oeil, nous remarquons qu'il faut alors prêter attention aux différents sens propres mais aussi figurés de ce mot.

Afin de mieux comprendre le sens de ce mot et l'évolution de ce dernier au cours des derniers siècles et son apparition dans les sciences sociales, Denys Cuche (2010)14 lui a consacré un ouvrage. Comme le dit si bien l'auteur, « les mots ont une histoire et, dans une certaine mesure aussi, les mots font l'histoire. Si cela est vrai de tous les mots, cela est particulièrement vérifiable dans le cas du terme « culture » » (2010, p.9). En effet, tout débute au cours du XIIIème siècle où le mot « culture » fait son apparition dans la langue française. Il relève alors d'un sens propre et correspond aux soins que les individus apportaient aux champs et aux bétails. Au fil des années, son sens va petit à petit se modifier. Quelques siècles plus tard, l'idée d'action sera alors associée au terme culture et il se définira comme « l'action de cultiver la terre, travail visant à la rendre productive » (Le Dictionnaire du Français, 1996, p.412)15.

Ce n'est qu'au milieu du XVIème siècle que va émerger le sens figuré du mot « culture ». La culture n'est alors plus seulement une action, mais elle définit également un état. C'est pendant le siècle des Lumières que le terme « culture » va commencer à connaître son essor. Il est alors utilisé au singulier et représente alors l'universalisme et l'humanisme des philosophes qui ont marqué ce siècle. Il va alors être associé à la dimension éducative et la culture est alors définie par les penseurs comme « la somme des savoirs accumulés et transmis par l'humanité, considérée comme totalité, au cours de son histoire » (Cuche 2010, p.11).

Cependant, le mot « culture » va avoir moins de succès qu'en Allemagne et a du mal à s'imposer face au terme « civilisation » qui rencontre un réel succès en France. Ces deux mots qui appartiennent au même champs sémantique sont très souvent associés et pourtant différents. En effet, comme le précise D. Cuche dans son ouvrage (2010), la « culture » fait

14 Cuche, D. (2010). La notion de culture dans les sciences sociales. Paris : La Découverte

15 Moingeon, M. (1996). Le Dictionnaire du Français - 60 000 Mots. Paris : Hachette

15

plus référence aux progrès individuels, alors que la « civilisation » est plus associée aux progrès collectifs.

C'est au XIXème siècle que le terme culture va devenir un concept scientifique avec la naissance de la sociologique, et plus particulièrement de l'ethnologie, qui se penchent sur la question de la culture, mais aussi des cultures. Cette dernière science tente d'expliquer objectivement la diversité humaine à travers l'unité des hommes. De nombreux auteurs et chercheurs se confrontent à l'exercice et de nombreux courants théoriques naissent de ces recherches.

La première approche à voir le jour est menée par Edward Tylor, anthropologue de formation, qui propose une conception universaliste de la culture. Il sera alors le premier à définir le terme de culture dans un de ses ouvrages :

« Culture ou civilisation, pris dans son sens ethnologique le plus étendu, est ce que tout complexe qui comprend la connaissance, les croyances, l'art, la morale, le droit, les coutumes et les autres capacités ou habitudes acquises par l'homme en tant que membre de la société »

Edward Tylor, 1871, p.116

Cette définition nous permet de voir que E. Tylor prend en considération tous les aspects de la vie sociale de l'individu lorsqu'il parle de « culture » et de « civilisation ». Pour cet auteur la culture est donc acquise par l'individu au cours de son existence, tout en lui accordant une dimension inconsciente tout de même. De ce fait, il était en accord avec les théories évolutionnistes puisqu'il considérait que l'être humain acquérait au fil des expériences de nouvelles compétences mais aussi la culture et ses règles et valeurs. Il est intéressant de noter que E. Tylor croyait à l'aspect universaliste des êtres humains, ainsi l'homme réagit de façon plus ou moins identique dans des situations semblables. C'est de cette manière qu'il expliquait les ressemblances observées dans des sociétés pourtant très différentes.

Les travaux de E. Tylor vont pousser d'autres anthropologues à se questionner sur le concept de culture. C'est le cas de Franz Boas qui est le premier à mener des observations en situation qui le poussent à proposer une conception particulariste de la culture. Comme le

16 Tylor, E. (1871). La civilisation primitive. Paris : Reinwald

16

précise D. Cuche (2010, p.21), F. Boas « s'aperçut que l'organisation sociale était plus déterminée par la culture que par l'environnement physique ». A travers son travail il cherche à montrer l'absurdité de la notion de « race ». Selon lui, il n'y a pas de lien entre les traits physiques de l'individu et les capacités mentales de chacun. Les différences que nous pouvons observer entre des populations de diverses sociétés sont dues à la culture et non pas à des différences génétiques. C'est pour cette raison que F. Boas préfère utiliser le terme de « culture » qui permet de souligner la diversité humaine. Il utilise même le concept de « culture » au pluriel en évoquant « les cultures ». F. Boas rejoint Tylor en attribuant une dimension plutôt acquise que innée à la culture. Ainsi, chaque culture est singulière et c'est cette dernière qui permet de comprendre les coutumes particulières de certaines sociétés puisqu'elle influence les comportements de l'individu dans une société particulière.

Le concept de culture va continuer à être étudié par différents chercheurs. C'est Emile Durkheim, éminent sociologue de la fin du XIXème siècle, qui va consacrer son travail afin d'étudier le « fait social » dans toutes ses dimensions, et donc la dimension culturelle. E. Durkheim propose alors une approche unitaire des faits de culture. Cependant il est intéressant de noter que dans ses travaux, E. Durkheim ne fait que rarement référence au concept de « culture ». En effet, il préfère utiliser le concept de « civilisation », mais de manière flexible. De ce fait, il définit la civilisation comme :

« Un ensemble de phénomène sociaux qui ne sont pas attachés à un organisme social particulier ; ils [ces phénomènes] s'étendent sur des aires qui dépassent un territoire national, ou bien ils se développent sur des périodes de temps qui dépassent l'histoire d'une seule société ».

Emile Durkheim, 1969, p.68217

Selon Durkheim, l'humanité est un tout et ce sont toutes les civilisations dans leurs spécificités qui contribuent à la civilisation humaine dans son entité complète. Il crée d'ailleurs le concept de « conscience collective » qui existe dans chaque société et qui permet l'union et la cohésion d'une société. Cette théorie culturelle suppose que la conscience collective s'impose à l'individu à travers les représentations collectives, les idéaux et les valeurs que partagent les individus vivant dans une société commune.

17 Durkheim, E. (1913). « Note sur la notion de civilisation », Journal sociologique, Paris : PUF, p.681-685

17

En parallèle de l'anthropologie culturelle mis en lumière par les américains, en France, Claude Lévi-Strauss travaille lui aussi sur le concept de « culture » et propose une analyse structurale de la culture. Il s'appuie sur les théories américaines vues précédemment et définit la culture comme :

« Toute culture peut être considérée comme un ensemble de système symbolique au premier rang desquels se placent le langage, les règles matrimoniales, les rapports économiques, l'art, la science, la religion. Tous ces systèmes visent à exprimer certains aspects de la réalité physique et de la réalité sociale, et plus encore, les relations que ces deux types de réalité entretiennent entre eux et que les systèmes symboliques eux-mêmes entretiennent les uns avec les autres. »

Claude Lévi-Strauss, 1968, p.1718

Son but premier est d'observer et d'analyser l'invariabilité de la Culture et cherche alors à répertorier ce qui ne change pas entre les différentes sociétés. Selon lui, chaque culture spécifique a besoin de la Culture, qu'il considère alors comme le capital commun de l'humanité. L'être humain a besoin de vivre en société mais il est nécessaire que des règles, explicites et implicites, existent pour assurer le fonctionnement de cette dernière. L'approche structurale de la culture va alors tenter de répertorier ce qu'il appelle les « invariants », c'est-à-dire ce qui est similaire et commun à chaque culture. Comme le précise D. Cuche (2010) dans son ouvrage, la prohibition de l'inceste est l'exemple le plus caractéristique de ces règles universelles. A travers son travail, C. Lévi-Strauss va alors tenter de présenter la relation entre l'universalité de « la » Culture et la particularité « des » cultures.

La multitude de courant scientifique proposant de définir la culture nous permet de mettre en avant certaines caractéristiques d'une culture. Tout d'abord, la culture contient des codes communs qui permettent à l'individu de comprendre son environnement et de s'adresser à autrui. La seconde caractéristique est que chacun ne possède pas une culture mais plusieurs identités culturelles qui s'entremêlent créant l'identité individuelle. Enfin, la culture est en perpétuel mouvement face à des influences multiples et variées. De ces caractéristiques découlent des fonctions précises que la culture possède. En effet, la culture joue un rôle clef dans la compréhension de l'environnement par l'individu lui permettant de se sentir en

18 Lévi-Strauss, C (1968). « Introduction à l'oeuvre de Marcel Mauss », in Mauss Marcel, Sociologie et Antrhopologie. Paris : Presses Universitaires de France

18

sécurité et en confiance. De plus, la culture est le lien qui existe au sein de la communauté qui la partage puisqu'elle permet aux individus de communiquer les uns avec les autres. De ce fait, elle est également un facteur d'appartenance et d'insertion sociale puisqu'elle permet aux membres de la société de se reconnaître les uns et les autres. Enfin, elle fournit également la matière qui va permettre à chacun de construit sa personnalité individuelle.

Les différents courants théoriques abordés précédemment nous permettent de comprendre un peu mieux le concept de culture et son évolution au cours des derniers siècles. De ce fait, nous pouvons dire que l'Homme est avant tout un être de culture et qu'il a besoin de celle-ci pour se construire. Il va alors acquérir au cours de son existence les règles fondamentales afin de pouvoir s'adapter à son milieu.

Lévi-Strauss parle de la Culture universelle en comparaison avec les cultures existantes. Chaque société globale se différencie par sa propre culture, mais il existe également des « sous-cultures » qui se rencontrent au sein d'une même société.

Beaucoup de travaux ce sont basés sur l'observation des cultures dites « primitives » par rapport aux cultures occidentales où sont nés ces différents courants scientifiques. Ayant effectué mon expérience à l'étranger en Afrique Subsaharienne, il me semble inévitable d'évoquer la culture traditionnelle africaine et ses grandes différences par rapport à nos cultures occidentales.

2. La culture traditionnelle africaine

Comme nous l'avons vu précédemment, c'est au XIXème siècle que les premiers travaux sur la notion de culture voient le jour à travers la naissance de la sociologie et de l'ethnologie. La découverte de ses peuples considérés comme « primitifs » va être au coeur des recherches. Il est vrai que lorsque nous quittons notre pays européen pour partir à la découverte du continent africain, nous ne pouvons qu'être décontenancé et étonné. Un changement de décor, de climat, de ce qui met nos sens en éveil... Le lendemain de mon arrivée, j'écrivais au coeur de mon journal de bord :

« Première journée intense et chargée en informations. Nous découvrons petit à petit notre nouvelle ville, grouillante et pleine de vie. Pleins de petites choses ont marqué ces premiers instants. Tout d'abord les odeurs. Il faut que je me

19

souvienne de ces odeurs, qui me rappellent le Sénégal. L'Afrique a des odeurs bien particulières. Quand nous traversons la ville en taxi, les fenêtres grandes ouvertes, au passage de certains quartiers les odeurs changent. Une odeur de roussi, de grillade ou tout simplement de poussière ».

Manon Le Flour, septembre 2015, p.1-2

En quelques secondes nous sommes confrontés à une toute nouvelle culture, qui peut nous paraître étrange, incompréhensible mais qui nous fait vibrer. Au premier coup d'oeil il est évident que la culture africaine semble très riche : une musique particulière remplie de percussion pour danser, une cuisine partageant l'identité du pays aux mille épices, des arts multiples tels que la sculpture, la peinture, la création de bijoux... Chaque pays, et même chaque quartier, semble avoir ses propres traditions et sa propre culture.

Très vite, nous nous rendons compte qu'il est impossible de parler de culture traditionnelle africaine sans parler de religion. D'ailleurs, comme nous l'a appris Evariste Adjangba (intervenant lors de la formation Intercordia) la religion, et plus particulièrement la religion traditionnelle africaine (RTA), est un élément fondamental et constitutif de la culture africaine. L'africain est essentiellement déterminé par ses croyances.

La religion se définit comme « l'ensemble des croyances ou des dogmes et de pratiques culturelles qui constituent les rapports de l'homme avec la puissance divine (monothéisme) ou les puissances surnaturelles (polythéisme, panthéisme) » (Le Dictionnaire du Français, 1996, p.1399). De ce fait, nous pouvons dire que la religion est donc un élément constitutif de la culture.

Yves Lambert, sociologue français spécialisé dans l'histoire des religions dont nous a parlé E. Adjangba, a tenté de définir trois critères au concept de religion. La première caractéristique est la croyance en une réalité se situant au delà du réel, c'est-à-dire en dehors des limites qu'impose la science. Le second critère est la croyance en la possibilité d'une communication entre l'individu et la puissance surréelle grâce à des moyens symboliques (prière, etc.). Enfin, le dernier critère qui compose la religion est l'existence de rituels collectifs inclus dans un système de croyances et de pratiques donnant lieu à des formes communautaires.

La religion, présente dans la majorité des sociétés, endosse plusieurs fonctions. Tout d'abord, elle permet de créer du lien social entre les individus qui partagent alors des valeurs

20

et des croyances communes sur lesquelles ils peuvent partager. De plus, à travers les anciens écrits, les religions peuvent fournir une explication du monde et de sa création à leurs fidèles. Enfin, elle permet aussi de répondre à certaines inquiétudes essentielles que les individus peuvent ressentir en donnant des éclaircissements sur ces préoccupations, comme le mal ou encore la mort par exemple.

Cependant, malgré sa prégnance dans la culture africaine, ce n'est que lors du colloque sur « Les religions africaines comme source de valeurs de civilisation »19 qui s'est déroulé en 1970 à Cotonou que le terme de RTA a été adopté par la communauté de chercheurs. Auparavant, c'était le terme d'animisme qui prédominait dans le langage commun. Le Dictionnaire du Français (1996, p.66) définit l'animisme comme « une croyance attribuant aux choses une âme, une conscience ». Comme le précise René Tabard (2010, p.191)20 dans son article : « les Noirs n'étaient pas matérialistes parce qu'ils croyaient que tous les êtres, animés et inanimés, avaient une âme ».

Le terme de RTA est donc né suite à de nombreuses recherches sur les pratiques religieuses observées en Afrique subsaharienne et désigne l'ensemble des expressions répertoriées : animisme, fétichisme, naturalisme... Albert Mukena Katayi dans son ouvrage défini les RTA comme telles :

« Ensemble des croyances et des pratiques religieuses traditionnelles par lesquelles les Africains se relient à Dieu et à la communauté formée par les morts-vivants et les vivants d'ici-bas. »

Albert Mukena Katayi, 2007, p.3421

Comme le précise Philippe Denis (2007)22 dans son article, les RTA recherchent principalement à assurer l'harmonie entre les vivants, les morts-vivants mais aussi les ancêtres. En effet, dans les RTA il n'y a pas de coupure entre le visible et l'invisible, ni entre le sacré et le profane, tout se confond. Comme nous l'avait précisé Evariste Adjangba lors de son intervention, dans les RTA tout est lié, tout est vivant, tout est doté d'une âme et tout est interdépendant.

19 Aguessy, H. (1970). « A propos du Colloque sur "Les religions traditionnelles comme source de valeurs de civilisation" ». Présence Africaine, n°74, p.90-93

20 Tabard, R. (2010). « Religions et cultures traditionnelles africaines ». Revue des sciences religieuses, 84 (n°2), p.191-205

21 Mukena Katayi, A. (2007). Dialogue avec la religion traditionnelle africaine. Paris : L'Harmattan

22 Denis, P. (2007). « La montée de la religion traditionnelle africiane dans l'Afrique du Sud démocratique ». Histoire et missions chrétiennes, (n°3), p.121-135

21

La grande différence entre les RTA et les religions que nous connaissons dans nos cultures occidentales est que ces religions ne sont pas instituées. En effet, comme l'écrit P. Denis (2007, p.122) : « elle n'a ni clergé, ni lieu de culte, ni doctrine. Son seul objet est de développer une relation de confiance avec les ancêtres du clan ou de la tribu pour éviter les malheurs, accidents et maladies qui risqueraient de se produire s'ils cessaient de protéger leurs descendants ». Il est aussi intéressant de mettre en lumière la dimension dynamique des RTA ou rien n'est figé, ou toute évolution est possible. Les RTA présentent alors une forte capacité d'adaptation et ne sont pas antonymes avec une évolution possible.

R. Tabard (2010) appui son article sur les travaux de Gérard Buakassa (1977)23, anthropologue congolais, pour évoquer l'influence des RTA dans la vie quotidienne des individus. Il cite alors G. Buakassa dans son article :

« Aujourd'hui, écrit-il, la religion africaine n'existe nulle part, mais elle est

partout, dans les consciences, dans les opérations spirituelles ou empiriques,

dans les représentations, dans les attitudes, dans les gestes, dans les proverbes

dans les légendes, dans les mythes... Elle est partout, à la campagne comme en

ville, dans les procès judiciaires comme dans les conventions politiques ».

R. Tabard, 2010, p.194

Lors du Colloque du Festival mondial des Arts Négro-africain, G. Buakassa démontre alors l'impact prépondérant des RTA sur l'existence quotidienne des individus. Elles influencent les rythmes de vie à travers les nombreux rituels, mais aussi l'organisation sociale dans son ensemble. La société peut alors se représenter sous forme d'un triangle, divisé en quatre catégories. La première, à la base de la pyramide, représente les individus qui composent la famille menée par le chef de clan. La seconde catégorie est celle des ancêtres qui représente les ascendants qui ont déjà quitté le monde réel et se trouvent dans un entre-deux. Ils continuent à vivre mais d'une nouvelle manière, dans un autre monde. Ces deux catégories forment la famille

23 Buakassa, G. (1977). « Impact de la religion africaine sur l'Afrique d'aujourd'hui : latence et patience », Colloque du Festival mondial des Arts Négro-africains, Lagos

22

étendue. Les membres de la famille entrent en contact avec les ancêtres dans deux types de situations comme l'explique P. Denis dans un de ses articles (2004)24. La première situation est lors des rites de passage que la famille célèbre au cours de la vie, tel que les naissances, les mariages, les enterrements par exemple. La seconde situation est lors des moments de crises, pouvant alors être la maladie ou les conflits au sein de la famille. De cette manière, les ancêtres accompagnent les vivants tout au long de leur vie et de leurs expériences avec pour mission d'assurer la protection de ces derniers.

La troisième catégorie qui organise la société est celle des divinités et des esprits. Elle se trouve entre les humains présents sur terre et la divinité au sommet de la pyramide. Ces esprits, pouvant également être appelé génies dans certaines sociétés, sont des êtres vivants très souvent lié aux phénomènes de la nature (génie de la rivière, génie du vent, génie de la forêt, etc.) et ont pour rôle de maintenir l'ordre du monde. Enfin, la dernière catégorie est celle qui représente Dieu qui est à la base du fondement du monde et de la vie. Il est inaccessible. C'est un créateur bon et tout puissant, comme le qualifie E. Adjangba, et la question de son existence ne se pose même pas. Le concept d'athéisme, c'est-à-dire la doctrine qui nie l'existence de Dieu, n'existe pas en Afrique Subsaharienne. Pour un africain, il est inconcevable de ne pas croire en Dieu.

Le monde des vivants est lui organisé en fonction de différentes structures sociales qui partagent toutes des valeurs morales et religieuses similaires. Chaque structure englobe la suivante, allant de la famille à l'ethnie d'appartenance. Dans le cadre de mon expérience au Congo-Brazzaville, j'ai pu remarquer la présence et l'importance de ces structures.

Il y a tout d'abord la famille comprenant les personnes vivant sous le même toit ou au sein de la même parcelle. En Afrique, le concept de famille nucléaire, c'est-à-dire un père, une mère et des enfants, n'existe pas. Ensuite, nous pouvons évoquer la parenté, c'est-à-dire tous les membres de la famille éloignés mais également les alliés, c'est-à-dire les individus de confiance. La parenté en Afrique est plus sociale que biologique. Puis se trouve le clan qui regroupe alors un ensemble d'individus partageant des liens de sang, mais surtout se considérant comme descendants d'un ancêtre commun. La quatrième structure est celle de la tribu qui se définit alors comme le groupe social et politique qui fonde leur solidarité sur une parenté ethnique réelle ou supposée comme nous l'explique E. Adjangba lors de son

24 Denis, P. (2004). « Chrétiennes et africaines. Le dilemme d'un groupe de femmes sud-africaines », Revue théologique de Louvain, (n°1), p.54-74

23

intervention. Enfin, la dernière structure est l'ethnie, structure la plus large et englobant les précédentes, qui se définit alors comme un ensemble d'individus unis par une certaine culture.

Ces différentes structures partagent donc un socle commun de valeurs et travaillent dans un but commun : le maintien de l'ordre social. L'ordre social, en opposition au désordre, est la recherche de ce qui est conforme aux traditions et aux lois. Ce concept d'ordre social permet à l'individu de faire la différence entre le bien et le mal. De ce fait la recherche de l'ordre et donc du bien accroît l'harmonie sociale et assure l'équilibre qui mène alors au bien-être social.

Enfin, la culture africaine se différencie également par son oralité. Qui n'a jamais entendu le vieil adage ?

« En Afrique, lorsqu'un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle »

Cette citation que nous avons tous déjà entendue a été prononcée par Amadou Hampâté Bâ, écrivain et ethnologue malien, qui défendait avec ferveur la tradition orale très présente sur le continent noir. En effet, comme le précise A. Sow et ses collaborateurs dans leur ouvrage (1977)25, l'oralité est l'une des caractéristiques des cultures africaines traditionnelle, voir même celle qui est essentielle. En effet, les valeurs culturelles sont transmises depuis de nombreuses générations par la voie orale permettant alors aux individus de les acquérir. A. Sow & all. (1977) précisent que la transmission orale n'est bien entendu pas la seule, mais c'est cette voie de transmission qui est privilégiée au sein de la société. De ce fait, ils écrivent que « l'oralité est l'effet autant que la cause d'un certain mode d'être social. Elle marque des rapports sociaux spécifiques en privilégiant certains facteurs de stratification ou de différenciation sociale tels que la détention de la parole qui fait autorité, l'initiation à des connaissances constituant une sorte de savoir minimum garanti qualifiant l'individu » (A. Sow & all., 1977, p.173-174).

La dimension orale prend alors une place importante dans la culture africaine. Elle est essentielle pour la transmission des valeurs, des règles, de la culture comme nous venons de le voir. Dans son ouvrage relatant ses aventures africaines, R. Kapuoeciñski (1998, p.362) témoigne de cette oralité à travers l'éducation donnée aux enfants du village lorsqu'il raconte la vie autour du manguier du village :

25 Sow, A. & all. (1977). Introduction à la culture africaine - Aspects généraux. Unesco

24

« Si dans le village il y a un instituteur, l'arbre tient lieu d'école. Le matin, il entraine sous ses ramures les enfants du village tout entier. Il n'y a ni classes ni limite d'âge. Qui veut venir vient. Le maître ou la maîtresse accroche au tronc un alphabet imprimé sur une feuille de papier. Il montre les lettres avec une baguette, et les enfants regardent et répètent. Ils doivent apprendre par coeur, car ils n'ont ni crayon ni papier ».

Ryszard Kapuoeciñski, 1998, p.362

Bien heureusement, cet auteur-voyageur raconte les scènes qu'il a découvertes au début des années 1960 et les choses ont évolué depuis. Des écoles se sont construites avec des tableaux noirs aux murs et des ardoises dans les casiers, les cahiers et les stylos sont plus facilement accessibles pour la majorité de la population. Bien entendu, comme j'ai pu le constater au cours de mon expérience congolaise, des disparités subsistent et l'accès à l'éducation est encore un luxe pour certains enfants.

De ce fait, comme l'écrit Mesmin Tchindjang, Athanase Bopda et Louise Angéline Ngamgne dans l'article intitulé « Langues et identités culturelles en Afrique » (2008, p.48)26 : « L'oralité est une voie de transmission de l'histoire, de la loi, de la littérature, de génération en génération dans les sociétés humaines (peuples, ethnies, etc.) qui ne disposent pas ou ne veulent pas disposer de système d'écriture ou qui, dans certaines circonstances, choisissent de ne pas l'utiliser, ou y sont contraintes ».

La République du Congo n'échappe pas à cette tradition de l'oralité comme nous le précise Charlemagne Moukouta dans son ouvrage (2005)27. En effet, les congolais, descendants directs des peuples bantous, utilisent cette communication essentiellement orale qui inclut l'animisme, le cosmos et le divin. Les langues bantoues, qu'il serait possible de dénombrer à plus de quatre cents, se retrouvent essentiellement en Afrique subsaharienne. Cependant, il est nécessaire de ne pas mettre de côté la communication non verbale, tout aussi importante chez les bantous. Comme dirait C. Moukouta (2005, p.37) : « l'animisme rime toujours avec la mimique ». Ainsi, il est essentiel pour recevoir le message dans sa totalité de prendre en compte l'environnement de la personne (hiérarchie, valeurs, etc.), mais aussi la position de l'émetteur (assis ou debout, etc.).

Dans son ouvrage, le manguier symbolise le lieu de transmission de l'éducation, mais aussi le lieu ou tout se règle. La communauté étant tout aussi importante que l'oralité au sein de la

26 Tchindjang, M., Bopda, A., Ngamgne, L.A. (2008). « Langues et identités culturelles en Afrique. Museum International (Edition Française). Unesco

27 Moukouta, C.S. (2005). Maladie mentale : itinéraires thérapeutiques au Congo. Paris : Paari

25

culture traditionnelle africaine, elle a le besoin de se retrouver régulièrement afin de faire le point sur la situation actuelle, sur les problèmes rencontrés et de prendre une décision ensemble. Les individus discutent afin de trouver une solution qui convient à chacun. R. Kapuoeciñski témoigne avec beaucoup de simplicité ces scènes de vie que nous pouvons rencontrer de manière quotidienne lorsque nous nous promenons dans un pays africain. Elles se font peut-être de nos jours au fond d'une parcelle ou au détour d'une ruelle, mais elles existent bel et bien :

« C'est l'après-midi que les choses sérieuses se passent : les adultes se retrouvent sous l'arbre pour tenir conseil. Le manguier est le seul endroit où ils peuvent se réunir et discuter, car dans le village il n'y a pas de local suffisamment spacieux. Les gens se rendent à cette réunion avec ponctualité et de bon gré. Les Africains ont une nature collectiviste, ils éprouvent un besoin intense de participer à tout ce qui fait partie de la vie du groupe. Toutes les décisions sont prises de concert. C'est en commun que l'on tranche les disputes et les conflits, que l'on décide qui recevra telle terre à cultiver. La tradition veut que toute décision soit prise à l'unanimité. »

Ryszard Kapuoeciñski, 1998, p.362

Nous avons donc vu que l'Afrique détient une forme traditionnelle de culture, se caractérisant essentiellement par une forme de religion traditionnelle mais aussi par une transmission via une voie orale des valeurs communes.

Nos recherches sur le concept de « culture » dans les sciences sociales nous ont également amenées à découvrir l'école « culture et personnalité » mis en lumière par certains anthropologues et ethnologue. De plus, comme les concepts de « culture » et d'«identité » relèvent d'une réalité similaire, certain auteur, comme Charlemagne Moukouta (2005), ont tenté de définir l'archéologie de la personnalité congolaise au sein de l'un de ses ouvrages traitant des maladies mentales.

3. Le concept de personnalité et l'identité congolaise

Le concept de culture est également au centre des recherches dans différentes sciences comme l'anthropologie, la sociologique, ou encore la psychologie. Cependant, les années 1930 vont marquer un tournant dans l'étude de la culture. Certains anthropologues vont alors chercher à se défaire de l'étude des cultures considérée comme abstraite et à se concentrer sur la manière dont les individus incorporent et vivent leur culture. Ils vont alors former l'école « culture et personnalité ». Comme le précise D. Cuche dans son ouvrage (2010, p.38) : « l'hypothèse [de ce courant théorique] étant précisément que chaque culture détermine un

26

certain style de comportement commun à l'ensemble des individus participant d'une culture donnée ». De ce fait, la pensée majeure de ce courant est que ce sont les hommes qui vivent cette culture qui permette de la définir.

Ruth Benedict va essentiellement centrer son travail sur la définition des « types culturels » qui se retrouvent au sein d'un « arc culturel » qui inclus les différentes possibilités culturelles. De ce fait, la culture est définie par un certain modèle que Benedict va nommer pattern. C'est d'ailleurs grâce à son concept de pattern of culture qu'elle va devenir célèbre. La culture est alors homogène et cohérente, et non pas seulement une juxtaposition de traits culturels. Et c'est grâce à cette direction globale que la culture va pouvoir être définie, et non pas par la présence ou non de traits culturels.

En parallèle aux recherches de Benedict, Margaret Mead va essentiellement travailler sur les processus de transmission culturelle et de socialisation. Pour cela, elle étudie alors les modèles d'éducations afin de comprendre de quelle manière la culture s'inscrit chez l'individu, pouvant alors expliquer la personnalité de ce dernier. Ainsi, comme le résume D. Cuche dans son ouvrage (2010, p.41), « la personnalité individuelle ne s'explique pas par des caractères biologiques (par exemple, ici, le sexe), mais par le « modèle » culturel particulier à une société donnée qui détermine l'éducation de l'enfant ». L'enfant, dès sa naissance va alors être confronté à des valeurs et des interdits formulés de manière explicite ou non qui vont l'amener a adopter de manière inconsciente un comportement considéré comme conforme aux principes fondamentaux de la culture dans laquelle il évolue.

La psychologie s'est elle aussi penché sur la question de la culture à travers ce courant théorique. Ralph Linton et Abram Kardiner ont souhaité se différencier des anthropologues en étudiant l'individu dans sa singularité. Pour eux, ainsi que pour ce courant de pensée, l'homme et la culture sont deux entités bel et bien différentes, tout en étant indissociables puisqu'elles agissent l'une sur l'autre. R. Linton mettra en avant le concept de « personnalité de base » qui est directement lié à la culture dans laquelle l'individu grandit. Selon lui, c'est le type de personnalité de base prédominant dans une culture qui la différencie des autres. Ainsi, l'individu au cours de ses expériences acquiert les valeurs et les fondements de sa culture à travers l'éducation transmise par les institutions primaires, soit la famille et l'école. Souhaitant un concept flexible et adapté, Linton avance que dans une même culture il peut y avoir plusieurs types de personnalité de base puisqu'il peut également y avoir plusieurs systèmes de valeurs.

27

Enfin, ces auteurs vont également aborder la question de l'évolution des cultures. En effet, puisque l'individu qui intériorise sa culture à sa manière, et qu'il peut être créateur d'innovation, il peut alors amorcer un changement. C'est donc « l'accumulation des variations individuelles (d'intériorisation et de vécu) à partir du thème commun que constitue la personnalité de base permet [qui] d'expliquer l'évolution interne d'une culture qui se fait le plus souvent à un rythme lent » (Cuche, 2010, p.45).

Plusieurs groupes de recherche se sont penchés sur la définition du concept de « personne » et Gora Mbodj (1988, p.141)28 nous propose celui de l'université du Mirail à Toulouse qui définit la personne comme « l'être conscient de son existence, doué de raison, maître et responsable de ses actes ». De ce fait, l'individu a conscience d'exister et d'être différent des autres, mais a aussi besoin d'être en lien avec son entourage pour être, tout en étant un dans un espace temps et spatial donné.

Dans son ouvrage, C. Moukouta (2005) tente de définir l'archéologie de la personnalité congolaise. Il débute ce chapitre en précisant que « l'une des caractéristique de l'Afrique en général, du Congo en particulier est sa conception singulière de la notion de personne. En effet, attribuer à un individu la qualité de personne sous-entend reconnaître d'emblée l'existence d'un ordre de symboles, d'une logique de représentation qui lui assignent une reconnaissance juridique et morale à travers le rôle et la fonction qui l'occupe dans la société » (Moukouta, 2005, p.33). Cependant, pour cet auteur, il existe un écart entre le dualisme cartésien de Descartes présent dans les sociétés occidentales et le monisme proposé par Spinoza des sociétés traditionnelles africaines. En effet, l'articulation entre esprit et matière ne correspond pas aux organisations sociales observées sur le continent africain. En Afrique, l'individu ne se différencie par de son environnement, il est lié à son entourage, à son groupe. L'âme et le corps sont liés. Ainsi, « au Congo, comme partout en Afrique, l'être est indivisible voire insécable. C'est dans la dynamique de ses rapports à la fois avec le monde réel et le monde invisible que l'existence de l'être prend sens et corps » (Moukouta, 2005, p.34).

Comme nous l'avons vu précédemment, la communauté joue un rôle essentiel dans l'organisation de la société africaine et cela va jusque dans l'achèvement du Moi de la personne. Nous pouvons dire que l'unité personnelle existe, mais elle englobe le groupe qui

28 Mbodj, G. (1988). « Modèle(s) théorique(s) et développement de la personne chez les Wolofs du Sénégal ». Regards sur la personne. Toulouse : Presses Universitaires du Mirail

28

entoure l'individu. L'autorité de la tribu, le plus souvent exercé par l'oncle maternel, est le garant du respect des lois et de la mémoire collective. Face à lui, il n'y a pas de notions de volonté et de liberté individuelle dans les sociétés africaines.

Comme nous l'avons vu précédemment, dans les cultures traditionnelles africaines, la société privilégie la transmission orale pour transmettre la culture de la communauté. De ce fait, nous pouvons dire qu'il existe un lien entre la culture, la langue et le langage. D. Cuche (2010) consacre dans son ouvrage un encadré sur le rapport entre ces trois entités. Il est essentiel pour le chercheur d'étudier la langue puisque c'est un fait culturel à part entière. Il évoque alors les travaux de l'analyse structurale en linguistique qui précise le lien complexe entre ces deux concepts. En effet, le langage est un produit de la culture qui est transmit de génération en génération, mais il est aussi une condition de la culture puisque c'est via ce langage que l'individu va acquérir sa culture. La langue est donc le ciment de la culture, et cela est d'autant plus vrai en Afrique.

L'Afrique est caractérisée par sa diversité linguistique avec l'existence de nombreux dialectes. En République du Congo, en raison du nombre important d'ethnies différentes, il est d'ailleurs difficile de tous les compter. Cependant, il est intéressant de noter que peu de pays africain ont conservé une langue nationale comme langue officielle ou co-officiel comme le précise M. Tchindjand & all. (2008). C'est le cas du Congo-Brazzaville puisque la langue officielle est le français. En effet, la majorité des pays africains ont choisi comme langue principale celle issue des longues années de colonisation.

Cependant, en République du Congo, nous avons pu observer que ce sont les dialectes nationaux qui sont principalement utilisés dans la vie quotidienne. D'ailleurs, il est intéressant de noter que le lingala et le kituba sont deux dialectes qui sont considérés comme les langues nationales véhiculaires dans le pays. Ces deux dialectes sont largement répandus au Congo-Brazzaville, mais il est possible de noter des différences en fonction des régions du pays, voir même des quartiers. En effet, le kituba est essentiellement parlé dans le sud du pays, à Pointe-Noire par exemple, alors qu'il sera plus rare à Brazzaville. Dans la capitale, il est plus courant de rencontrer une population qui parle le lingala, surtout dans les quartiers situés au nord de la ville. En revanche, la population vivant dans les quartiers sud, comme le quartier de Bacongo, utilise plus facilement un autre dialecte appelé lari qui se différencie du lingala dans sa construction et son vocabulaire.

La langue est importante puisqu'elle est le vecteur essentiel de la culture et qu'elle permet à l'individu de communiquer avec son entourage mais aussi parce qu'elle permet de marquer

29

l'appartenance au groupe, à la communauté et même à l'ethnie. Ce sont les parents qui choisissent la langue qu'ils vont transmettre à leurs enfants, signifiant alors qu'ils appartiennent à la communauté dans laquelle ils évoluent.

Nous avons donc vu que la personnalité de l'individu se construit au fur et à mesure de ses expériences au sein d'une communauté, mais aussi que le langage est une des dimensions de l'identité de l'individu puisqu'il partage un socle commun avec son groupe lui permettant de partager et de communiquer.

L'identité de la personne est donc formée à travers de nombreuses dimensions et nous pouvons dire que le prénom en est une composante essentielle. En Afrique, c'est la reconnaissance du groupe, à travers les rites d'initiation, qui va valoriser la naissance biologique de l'individu, comme nous l'apprend C. Moukouta (2005). De ce fait, l'acte de nommer un individu, qui est alors du premier stade d'initiation, va permettre à l'individu de prendre toute son essence. En effet, il existe de nombreuses études cliniques menées en psychologie cherchant à démontrer le lien de corrélation entre prénom, identité et personnalité. Ainsi, comme l'écrivent Nicolas Guéguen & all. (2005, p.33)29 dans son article, le prénom est un « élément intrinsèque du soi privé et social, a une incidence sur les individus et il participe aux interactions sociales et à l'évaluation d'autrui ». Le choix du prénom dépend directement de celui des futurs parents qui vont se mettre d'accord, mais ce dernier semble directement influencé par la culture dans laquelle les parents évoluent.

Dans son article, N.Guéguen & all. (2005) exposent plusieurs études qui ont permis de démontrer un lien entre le prénom que l'individu porte, l'image de soi qui pourrait être influencé par ce dernier, mais aussi avec la personnalité de la personne. Les résultats des recherches montrent que le prénom est donc une composante de la personnalité de l'individu, et donc de son identité. Le prénom est la représentation du projet familial mais aussi social comme l'expose Jean-Gabriel Offroy (2001)30 dans son article. Il fait alors référence à plusieurs types de prénoms que nous pouvons retrouver dans la culture congolaise par exemple. Tout d'abord, il évoque « le prénom sacré », c'est-à-dire un prénom qui a déjà été porté par un ainé, vivant ou décédé. Selon l'auteur, par ce processus, les parents cherchent à

29 Guéguen, N. & all. (2005). « Le prénom : un élément de l'identité participant à l'évaluation de soi et d'autrui ». Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2005/1 (n°65), p.33-44

30 Offroy, J-G. (2001). « Prénom et identité sociale. Du projet social et familial au projet parental ». Spirale, 2001/3 (n°19), p.83-99

30

conserver les âmes qui détiennent le potentiel productif du groupe. Le second type de prénom est celui qu'il a appelé « le prénom et l'héritage ». Ce dernier englobe les règles de prénomination qui sont liées aux stratégies familiales et le prénom joue un rôle économique. Le troisième type des prénoms est « le prénom et le projet familial » et correspond au droit d'ainesse répandu dans de nombreuses cultures. La transmission des prénoms est essentiellement lié à l'ordre de naisse et au sexe. Dans ce cadre, le prénom est révélateur du projet familial détenu par les parents et la famille. Enfin, il y a « le prénom qui situe dans un ordre social » très souvent présent dans les cultures traditionnelles, et particulièrement celle où le mythe est important. Dans ce cas, le prénom renvoi de nombreuses informations comme le statut social. Il permet de positionner l'individu à l'intérieur de sa famille, mais également au sein de la communauté. « Il fixe le destin, le statut, la « condition », comme on disait autrefois » (Offroy, 2001, p.88).

Le prénom peut alors jouer sur deux dimensions que J-G. Offroy (2001) va distinguer dans son article. Sur un niveau collectif, le prénom, et plus précisément sa répétition, va mettre en avant la volonté du groupe à se perpétuer. En revanche, sur un niveau individuel, le prénom est le symbole du désir parental de se réaliser à travers l'enfant.

Le prénom joue donc un rôle important dans la construction de l'identité de l'individu et semble pouvoir influencer l'individu au cours de sa vie. De ce fait, le nom que l'individu donne à son enfant n'est que rarement le fruit du hasard, et ce particulièrement en Afrique. Comme l'écrit M. Tchindjand & all. (2008, p.49) : « si le nom donné à un enfant à sa naissance est lié aux mutations politiques et sociales dues aux guerres que les régions, les clans ou les tribus ont connues, il révèle aussi les espérances et les projets d'avenir en même temps que les craintes, les appréhensions à conjurer ». Le prénom est alors un réel indicateur permettant de connaître l'origine ethnique dans le cas des prénoms traditionnels, ou encore l'appartenance religieuse. Cela est vrai en République du Congo. En effet, il n'est pas rare de rencontrer des individus qui ont des prénoms que nous pouvons considérer comme hors du commun. Il est impossible de compter le nombre de Dieu-veille, Dieudonné et Dieu-béni rencontré au cours de l'année.

Le prénom peut également raconter les circonstances de sa naissance comme témoigne R. Kapuoeciñski (1998) dans son ouvrage sur ses aventures africaines :

31

« Dans de nombreuses communautés africaines, les noms que l'on donne aux enfants sont en rapport avec des événement du jour de leur naissance. [É].

Jadis, dans les régions où le christianisme et l'islam n'étaient pas encore bien implantés, la richesse des prénoms donnés aux hommes était infinie. C'est là que s'exprimait la poésie des adultes. Ils donnaient à leurs enfants des noms comme « Matin agile » (si l'enfant était né à l'aube) ou « Ombre d'Acacia » (s'il était né sous un acacia). Dans les sociétés ignorant l'écriture, les noms perpétuaient les évènements les plus importants de l'histoire ancienne ou actuelle. Si un enfant naissait au moment de la proclamation de l'indépendance du Tanganyika, on le baptisait « Indépendence » (en swahili Uhuru). Si les parents étaient des inconditionnels du président Nyerere, ils appelaient leur enfant Nyerere. »

Ryszard Kapuoeciñski, 1998, p.362

En revanche, de nos jours, les prénoms africains disparaissent petit à petit pour laisser place à des prénoms plus courants dans les sociétés occidentales. Selon M. Tchindjand & all. (2008), l'attribution du nom est actuellement influencé par trois facteurs : la mobilité des populations, le déracinement culturel (ou le nouvelle enracinement), ou encore l'assimilation culturelle. De ce fait, de nos jours, il n'est pas rare de rencontrer des prénoms de nos stars et héros occidentaux lorsque nous nous promenons en Afrique. Cependant, il est important de noter que tous ces prénoms et noms qui disparaissent au profit des prénoms occidentaux c'est avant tout du patrimoine immatériel qui se perd.

4. Les représentations de la maladie mentale au Congo

Le concept de représentation sociale est lui aussi un incontournable des sciences sociales. C'est dans un premier temps E. Durkheim (1968, p.621)31 qui présente le concept de représentation collective qu'il définit alors comme la « manière selon laquelle cet être spécial qui est la société, pense sa propre expérience ». Ce concept est par la suite étudié par S. Moscovici, qui selon A. Bergamaschi (2011)32 a réussi à saisir l'aspect processuel et social des représentations. Ce sont donc des phénomènes complexes et actifs, présents au sein de toute vie sociale. Ils composent la réalité commune à la société puisqu'ils sont élaborés et partagés par cette dernière. Comme le précise Amsata Sene (2004)33 dans sa thèse, les

31 Durkheim, E. (1968). Les formes élémentaires de la vie religieuse. Paris : Presses Universitaires de France

32 Bergamaschi, A. (2011). « Attitudes et représentations sociales. Les adolescents français et italiens face à la diversité », Revue européenne des sciences sociales, 49-2, p.93-122

33 Sene, A. Les structures anthropologiques de l'imaginaire en Afrique Noire Traditionnelle ; Ou vers une archétypologie des concepts de pratiques rituelles et de représentations sociales. Thèse de doctorat de 3ème cycle, Université Pierre Mendès-France Grenoble II (France) : 2004

32

représentations sociales forment des systèmes d'interprétation qui régulent les relations aux mondes et aux autres en organisant les conduites et les communications sociales. Puisque ces représentations sont des phénomènes cognitifs, mais avant tout des productions sociales, elles participent au sentiment d'appartenance sociale de l'individu au sein de sa société. De ce fait,

D. Jordelet (2003, p.371)34 définit les représentations sociales comme les « modalités de pensée pratique orientée vers la communication, la compréhension et la maîtrise de l'environnement social, matériel et idéal ».

Lors de l'introduction nous avons déjà évoqué la définition donnée par l'OMS de la santé mentale. Mais comme nous venons de le voir, chaque culture est porteuse de ses propres représentations sociales et a donc sa vision de certains concepts. C. Moukouta (2005) dans son ouvrage a d'ailleurs consacré une partie aux maladies et à leurs représentations dans la culture congolaise. Selon cet auteur, les représentations collectives de la maladie mentale sont directement liées aux notions de « bien » et de « mal ». Ces dernières sont utilisées couramment au Congo et se traduisent respectivement par « m'boté ou buboté » et « yimbi ou mbi ». Ces deux mots ont chacun plusieurs significations qui peuvent à terme renvoyer à la notion du corps, comme lieu de cristallisation de la souffrance, de la douleur. C'est le corps qui est la cible des envoutements.

D. Tsokini (2008)35 pointe une différence essentielle entre les cultures traditionnelle et les cultures occidentales. En effet, la place accordé aux malades mentaux n'est pas la même dans ces deux sociétés. Nos sociétés occidentales, recherchant avant tout la productivité en chacun des individus la composant, n'accordent que très peu de place aux individus en difficulté et ne pouvant répondre aux attentes de la société. Ceci n'est pas le cas au sein des cultures traditionnelles qui elles se sentent responsables de la prise en charge des déviants, devant l'accompagner tout au long du passage difficile. Comme le souligne Tsokini (2008, p.53) en reprenant la pensée d'Henri Collomb, « dans ces conditions, les chances d'évolution sont préservées et le fou n'est enfermé ni dans une structure, ni dans un discours médical, ni dans le regard de l'autre ». La société est tolérante et les malades mentaux font partie intégrante de cette dernière. C. Moukoutou (2005, p.70) fait référence à plusieurs proverbes Kongo représentant bien ce mode de pensée :

34 Jordelet, D. (2003). « Représentation sociale : phénomènes, concept et théorie », Serge Moscovici - Psychologie sociale. Paris : Presses Universitaires Françaises, « Quadriges », p.357-378

35 Tsokini, D. (2008). Psychologie clinique et santé au Congo. Paris : L'Harmattan

33

« Kilawuki na nkua mayela salu bena mu kanda »

Le malade mental ainsi que la personne dite saine d'esprit sont tous utiles pour la communauté

« Fwéti zaba, tiya tu nata lawuki gâ mbongui, twa kwa ba yétéla » Sache que, le feu apporté par une malade mental au cénacle, on s'y réchauffe toujours

« Ka kwena zala dia bantu ko »

Il n'existe pas de déchetterie où on pourrait se débarrasser d'un être humain

Le malade mental est donc intégré à la société et fait partie de la vie quotidienne comme il le peut. C'est d'ailleurs le groupe entier qui va être responsable d'un changement afin de rétablir l'ordre perdu. De ce fait, tout le processus thérapeutique va inclure le groupe entier comme l'évoque Tsokini (2008).

Une seconde différence qu'il est important de mettre en lumière entre les cultures occidentales et les cultures traditionnelles est la cause de la maladie. En effet, en Afrique, les causes biologiques n'existent pas. Cela veut dire que si un individu tombe malade c'est à cause d'une tierce personne qui lui a jeté un mauvais sort. Comme dirait Tsokini (2008, p.53) dans le cadre des maladies mentales : « le conflit psychique est le résultat de l'agression de l'individu par un autre individu ou par un esprit ».

Moukouta (2005, p.64) rejoint cette idée en expliquant que « fidèle au principe d'autoréférence sociale, l'homme traditionnel Kongo adopte face au désordre, c'est-à-dire à la maladie, une démarche particulière qui consiste à rendre l'homme (l'Autre) responsable de l'inscription du désordre, en se donnant les moyens imaginaires, symboliques ou concrets de le produire. Ces moyens sont ce que nous appelons « les forces productrices » du désordre que sont la sorcellerie, l'envoûtement, la persécution. Parallèlement, se donner les moyens de produire le désordre signifie aussi, dans une certaine mesure, se donner la possibilité symbolique ou imaginaire de réparer, d'éliminer ces méfaits ». Lors de mon arrivée au Congo-Brazzaville et un peu perdue face à cette culture, j'ai rencontré le psychiatre Paul Gandou à l'hôpital psychiatrique qui m'a de suite expliqué cette différence afin de m'aider à mieux situer la réalité de chacun. En effet, au Congo, quand vous tombez malade ce n'est pas à cause de la température qui se rafraichit par exemple, mais bien parce que quelqu'un essaye de vous faire du mal et vous a donc lancé un sort.

Cela nous amène à parler du concept de « sorcellerie » très présent dans les cultures traditionnelles africaines. Elle est d'ailleurs considérée comme partie intégrante de la

34

mentalité « primitive » au début du XXème siècle. La sorcellerie n'est pas seulement une croyance, mais plutôt un mode de vie. C'est l'anthropologue français Marc Augé (1974, p.53)36 qui propose une définition de la sorcellerie comme « un ensemble de croyances structurées et partagés par une population donnée touchant à l'origine du malheur, de la maladie ou de la mort, et l'ensemble des pratiques de détection, de thérapie et de sanction qui correspondent à ces croyances ». La sorcellerie a donc une sémiologie plurielle faisant écho aux différentes représentations et pratiques existantes. De ce fait, la sorcellerie ne se traduit pas de la même manière en fonction du pays, ni même au sein des différentes régions de ce même pays et aussi entre les groupes socioculturels. Dans beaucoup de régions d'Afrique subsaharienne la sorcellerie est donc un pouvoir qui est détenu à l'intérieur du corps du sorcier.

Moukouta (2005) reprend les travaux de L-V. Thomas (1977) qui a différencié le magician (magicien), le sorcerer (qui se livre à la magie noire) qui est conscient de ses pouvoirs et le witch (le sorcier a proprement dit) qui lui ne l'est pas et qui est donc animé par une force incontrôlable. Dans ses travaux il est possible de distinguer une dichotomie entre le bien et le mal, l'admis et le puni. Le sorcerer et le witch font partie de la catégorie de la wyzardy (la sorcellerie latosensu) et représentent les forces les plus redoutées et redoutables. Le sorcerer est toujours poussé par une motivation objective, c'est-à-dire qu'il a le désir de nuire, de se venger ou encore de supprimer un rival dangereux. Comme le witch n'est pas conscient de ses pouvoirs, il n'a pas de motivation objective et accomplit donc ses actions malfaisantes de manière quasi permanente. Evoquer tout cela nous amène obligatoirement à parler de persécution. Moukouta (2005) fait alors un lien entre « sorcellerie », « envoûtement » et « persécution » définissant tous une pratique sociale dont le but est de faire du mal à autrui, ou alors dans le sens contraire, de protéger un membre de sa famille contre d'éventuelles attaques maléfiques. Comme le dit Tsokini (2008, p.69) dans son ouvrage, « en tant qu'instance persécutive et prise comme telle, la sorcellerie est de l'ordre du discours se déroulant en jeu de société. Elle se sert de l'existence sociale pour exprimer les relations de haine, d'hostilité, de frustration, et pour faire prendre en charge par le groupe les problèmes individuels ». Dans de nombreuses sociétés africaines, le sorcier occupe une place importante au sein de la communauté. Etant donné qu'il est directement en lien avec le monde de

36 Augé, M. (1974). « Les croyances à la sorcellerie », La construction du monde. Paris : F. Maspero, p.52-73

35

l'invisible, et plus particulièrement les génies et les esprits, il est tout autant craint que respecté par les individus.

Au Congo, le sorcier est très souvent l'un des membres de la famille qui occupe une certaine place. En utilisant la sorcellerie il cherche alors rétablir l'ordre perturbé au sein de la famille. Il intervient donc quand les normes et les valeurs sont transgressées. Il a obtenu ses dons suite à une initiation qu'il a reçue à un moment de sa vie (durant l'enfance ou à l'âge adulte).

Le phénomène d'enfant sorcier n'est pas rare et a été étudié par plusieurs auteurs, et peut être à la une des journaux internationaux. P. Yengo (2008)37 dans son ouvrage évoque l'existence des enfants sorciers en le caractérisant comme un phénomène existant depuis plusieurs années dans de nombreuses sociétés africaines. Le plus souvent les accusations sont tournées vers les nouveaux nés selon les circonstances de la naissance et les tératogénies. Cependant, selon A. Cimpric (2010)38, au jour d'aujourd'hui quand nous évoquons le phénomène des enfants sorciers, nous parlons principalement de celui lié au contexte urbain, différent de celui évoqué par Yengo (2008). Selon cet auteur, il est essentiel de différencier les enfants « mal nés » du Nigéria et les enfants « sorciers » très présent en Afrique centrale et plus particulièrement dans le bassin du Congo. Ce phénomène est en plein essor depuis une trentaine années et touche principalement les enfants en bas âges et les jeunes adolescents en difficulté. Selon Yengo (2008), ce phénomène est intiment lié aux territoires de l'aire culturelle kongo qui regroupe tous des similitudes : changements politiques avortés, conflits et guerres civiles et mobilisations miliciennes des enfants. Ces enfants, principalement des garçons, considérés comme des sorciers sont victimes de rejets, voir de maltraitance. Ce sont très souvent des orphelins, des handicapés, des albinos, ou encore des enfants avec certains comportements particuliers. Selon les croyances communes, ces enfants ont le pouvoir d'agir de manière néfaste sur le monde visible via le monde invisible.

La sorcellerie, même si elle est principalement utilisée pour nuire à autrui, peut aussi être utilisée à des fins positives. En effet, comme le souligne Moukouta (2005, p.66), le sorcier « peut remédier à divers maux et protéger également l'individu contre toutes les attaques maléfiques. C'est le cas des tradithérapeutes qui, eux, peuvent démasquer les sorciers et

37 Yengo, P. (2008). « Le monde à l'envers. Enfance et kindoki ou les ruses de la raison sorcière dans le bassin du Congo », Cahiers d'Etudes Africaines, XLVIII (1-2), 189-190 : 297-323

38 Cimpric, A. (2010). Les enfants accusés de sorcellerie. Etude anthropologique des pratiques contemporaines relatives aux enfants en Afrique. Dakar : UNICEF Bureau d'Afrique de l'ouest et du centre (BRAOC)

36

affaiblir leurs pouvoirs ». De ce fait, la sorcellerie semble jouer le rôle de régulateur individuel et social puisqu'elle permet également de localiser l'origine du mal, potentiellement l'exorciser ce qui permet à la famille et au groupe d'être rassuré.

La sorcellerie se retrouve donc entre controverse et acceptation, ce qui est inhérent à la nature humaine dans les cultures traditionnelles africaines. « Du totem protecteur à l'agresseur qui détruit, la sorcellerie fait partie de l'univers congolais et figure en bonne place dans la cosmogonie africaine » (Tsokini, 2008, p.68). Les ouvrages de Tsokini (2008) et de Moukouta (2005) nous permettent de comprendre le phénomène de sorcellerie chez les Kongo du Congo. Comme le souligne Moukouta (2005, p.69), la sorcellerie « étant au coeur des représentations de la maladie mentale communément partagées par la collectivité, elle influe sur la perception qu'on a du malade mental ».

Comme nous venons de le voir dans l'ouvrage de Moukouta (2005), au Congo, la maladie mentale est la conséquence d'un sortilège lancé par un sorcier qui cherche alors à nuire à la personne pour certaines raisons. La famille cherche alors à trouver un remède afin de guérir l'individu malade et se tourne vers les tradithérapeutes. Ces derniers, dans l'imaginaire collectif Kongo, sont capables de donner des traitements adaptés afin de faire disparaître le mal, mais aussi de révéler l'agresseur à la communauté.

Moukouta (2005) fait la différence entre deux types de traitement proposé par les tradithérapeutes : la phytothérapie et la spirithérapie. Le choix de la thérapie, comme beaucoup de décision dans la culture traditionnelle africaine, se fait en groupe lors du « palabre familial ». Ce lieu est crée afin de régler les conflits et de permettre à l'agresseur d'avouer sa faute. Il est très souvent convoqué par l'ancien de la famille et selon certains auteurs jouent un rôle thérapeutiqe. C'est le cas de J-G. Bidima (1997, p.37)39 qui écrit : « La palabre Ð en tant que dialogue ininterrompu Ð donne corps au dissensus dans un espace social pacifié, elle fixe la limite entre le tolérable et l'intolérable, permet d'évaluer le lien et de le consolider. On définit généralement la palabre comme un mouvement qui arrête la violence après une discussion vive. Elle conduit des gens en conflit vers un consensus. Dans la palabre Ð selon cette optique Ð on exorcise le dissensus pour promouvoir l'unité, le peuple uni et individisible ».

39 Bidima, J-G. (1997). La palabre. Une juridiction de la parole. Paris : Editions Michalon

37

Moukouta (2005) fait alors la distinction entre deux types de traitement. Tout d'abord la phytohérapie, c'est-à-dire le traitement via les plantes. Chez les Kongo, afin de soigner une maladie, ils utilisent les « N'Kisi » qui défini actuellement toutes thérapeutiques (produits pharmaceutiques et produits traditionnels). Il existe de nombreux N'Kisi pour soigner de nombreux maux et ils sont différents d'une région à une autre. Les N'Kisi qui sont administrés sous forme de potion font partie d'un rite pouvant aller jusqu'à plusieurs semaines. En effet, si la potion fait effet et les symptômes diminuent, l'individu est alors interné chez le tradithérapeute et soumis à un repos complet et à certains rites. Selon Moukouta (2005), cette connaissance du phénomène N'Kisi est indispensable à toute pratique thérapeutique puisque les patients relatent régulièrement ce type de traitement au cours des entretiens. Moukouta (2005) nous parle également de l'herboriste qui joue un rôle dans le traitement des maladies mentales. Le Congo, pays accueillant le second poumon de la terre (seconde massif forestier tropical du monde), dispose d'une flore riche et dense. De ce fait, de nombreuses plantes aux vertus thérapeutiques poussent et sont alors utilisées pour soigner les maux physiques mais aussi mentaux. L'herboriste a la particularité d'utiliser les plantes, mais également les animaux et les minéraux afin de créer ses élixirs. Cependant, au Congo, pour soigner des troubles mentaux, le traitement par les plantes doit être accompagné d'une psychothérapie. Ainsi, la fabrication et l'ingestion de potions sont le plus souvent accompagnées de rites. Ces derniers sont alors menés par le N'ganga, tradithérapeute généraliste pouvant être spécialisé en maladie mentale. Le second type de traitement évoqué par Moukouta (2005) est la spirithérapie et les religions à guérison que nous évoquerons alors dans la seconde partie de ce travail.

L'étude de 1988 menée par M. Lallemant, G. Jourdain et M-E. Gruenais (1988)40 qui tente d'identifier les réseaux de prise en charge des problèmes de santé mentale à Brazzaville nous permet de prendre conscience de l'importance du recours aux traitements traditionnels à la fin des années 1980. Cette recherche s'appuie sur l'urbanisation intensive qu'a connue la République du Congo au cours des dernières années. Les auteurs se posent la question de la prise en charge des malades mentaux dans les villes, puisqu'auparavant c'était le village tout entier qui en avait la charge. Les villes sont aussi caractérisées par la multiplicité des recours thérapeutiques possibles laissant alors aux individus un choix nouveau. L'itinéraire

40 Lallemant, M., Jourdain, G., Gruenais, M-E. (1987-1988). Itinéraires et prises en charge thérapeutique à Brazzaville : La logique des choix. Brazzaville, République Populaire du Congo : Ministère des affaires sociales et de la solidarité internationale (mission recherche expérimentation-Mire) et ORSTOM Institut Français de Recherche Scientifique pour le Développement en Coopération

thérapeutique au Congo s'articule alors entre trois instance : le traditionnel, le religieux et l'hôpital psychiatrique. Lors de l'entretien mené avec le psychiatre Paul Gandou à l'hôpital psychiatrique de Brazzaville, il nous parlait de cette étude faite à la fin des années 1980 et qui mettait en avant un itinéraire thérapeutique usuellement emprunté par les individus. A cette époque, le premier recours utilisé par les personnes présentant des troubles mentaux était le soigneur traditionnel, comme nous avons pu le voir dans cette partie. Si les troubles ne disparaissaient pas, les malades mentaux et leur famille se tournaient vers les pasteurs et les centres de prières. Enfin, en dernier recours, ils se dirigeaient vers les institutions publiques et l'hôpital psychiatrique de Brazzaville.

Cette partie sur la culture traditionnelle africaine, et plus particulièrement celle de la République du Congo, nous a permis de faire un tour d'horizon sur la représentation de la maladie mentale au sein de cette culture traditionnelle et de voir les différents traitements thérapeutiques utilisés. A. Bouquet (1969, p.27)41 écrit a ce sujet que « ces sociétés secrètes n'y existent pratiquement plus, mais leur souvenir est encore vivace » dans les cultures congolaises. Cependant, Moukouta (2005) ne rejoint pas son avis et souligne un manque d'appréciation chez A. Bouquet (1969). En effet, ces différents phénomènes n'ont jamais réellement disparu des sociétés et nous pouvons le constater avec les articles et documentaires qui voient le jour sur les enfants sorciers ou sur les centres de prières présent dans certaines forêts africaines comme nous le verrons dans la prochaine partie.

38

41 Bouquet, A. (1969). Féticheurs et médecines traditionnelles au Congo. Paris : Mémoire Orstom (n°36)

39

III. La religion au centre de la culture congolaise

1. L'arrivée des religions dites occidentales en Afrique et le concept d'inculturation

Comme nous l'avons vu dans la partie précédente, la République du Congo possède une culture traditionnelle africaine. Cependant, il ne faut pas oublier son histoire et la période coloniale qui a duré plus de cent ans. C'est donc à la fin du XIXème siècle que les européens font leurs premiers pas sur le sol congolais en naviguant le long du fleuve Congo et signent un traité de souveraineté avec le Roi Makoko. Au fur et à mesure des explorations, les traités se multiplient. De fil en aiguille, le Congo devient l'un des quatre Etats de l'Afrique équatoriale française en 1885 puis, quelques années plus tard, la colonie du Congo Français officiellement.

Les européens arrivent donc sur ce nouveau territoire avec leur propre langue, leur propre monnaie, leur propre moyen de communication. Tout simplement avec leur culture, alors bien différente de celle des locaux. Lorsque deux cultures se rencontrent, de nombreuses possibilités apparaissent et de là sont nées les notions phare de l'anthropologie actuelle comme celle de l'acculturation. En raison du nombre trop important de recherche sur le sujet, le Conseil de la recherche en sciences sociales des Etats-Unis crée un comité afin de définir ce concept. C'est donc en 1936 que le Mémorandum pour l'étude de l'acculturation est publié définissant le concept d'acculturation :

« L'acculturation est l'ensemble des phénomènes qui résultent d'un contact continu et direct entre des groupes d'individus de cultures différentes et qui entrainent des changements dans les modèles (patterns) culturels initiaux de l'un ou des deux groupes. »

Denys Cuche, 2010, p.59

Ce Mémorandum joue un rôle essentiel et permet de créer un champ de recherche spécifique qui est précieux afin d'obtenir et d'utiliser les outils théoriques adéquates. De ce fait, au fil des années, la culture congolaise se voit transformée par la présence des français sur leur territoire.

Il existe un concept propre à la religion, celui de l'inculturation qui se définit alors comme « l'activité visant à intégrer le message chrétien dans une tradition culturelle » (Le Dictionnaire du Français, 1996, p.835). Ce concept se rapproche de celui de l'acculturation, à la différence qu'il évoque le contact entre l'Evangile et les autres cultures. De ce fait, l'inculturation est un concept théologique. R. Tabard (2010) consacre une partie de son article

40

à ce phénomène d'inculturation. Selon lui, ce concept semble actuellement s'imposer en Afrique mais il s'agit avant tout d'une communication entre des hommes qui utilisent chacun leurs systèmes culturels de représentations. Ainsi, selon Léonard Santedi Kinkupu (2003, p.141)42, la théorie de l'inculturation s'articule autour de deux dimensions : « d'une part, évangéliser la culture africaine de telle sorte qu'elle puisse s'intégrer dans l'héritage chrétien de toujours et contribuer à rendre cet héritage plus « catholique » et, d'autre part, « africaniser » le christianisme au point d'en faire un constituant du patrimoine culturel et spirituel de l'Afrique ».

Selon Tabard (2005), « même si la vie chrétienne s'inculture depuis quelques décennies, le mouvement d'inculturation fait apparaître avec plus de force la vivacité des cultures traditionnelles » (Tabard, 2010, p.193). De ce fait, le Congo-Brazzaville en tant que culture traditionnelle africaine parvient tout de même à garder son identité et sa particularité. Les deux cultures se côtoient, se mélangent mais l'une n'étouffe pas complètement l'autre. Il n'y a pas eu assimilation, c'est-à-dire qu'il n'y a pas eu disparition de la culture d'origine comme le précise Cuche (2010). L'assimilation est alors la phase ultime de l'acculturation. En effet, pour Tabard (2010), même si il est possible de noter une augmentation importante du nombre de baptisé, sous-tendant une augmentation du nombre de catholiques, cela ne veut pas dire que l'Africain abandonne son identité profonde. Comme nous l'avons vu précédemment, puisque les cultures traditionnelles africaines sont profondément marquées par la dimension religieuse, le christianisme africain de nos jours ne peut pas être complètement détachée des systèmes de représentations traditionnelles présents au sein de la société. Comme l'écrit Tabard (2010, p.192), « on doit dire que si tout baptême d'un Africain constitue effectivement une augmentation du nombre de catholiques, ce rite ne signifie pas qu'il y a un Africain de moins ! Autrement dit, le baptême d'un adulte ne fait pas disparaître dans l'eau bénite toute la culture qui le constitue dans son être d'Homme et d'Africain ».

Cependant, il est impossible de ne pas se rendre compte du phénomène d'inculturation et de la présence de plus en plus forte des églises chrétiennes sur le continent africain. En 2005, Courrier International a consacré un dossier sur cette expansion du fondamentalisme chrétien qui sert d'appui à Elisabeth Dorier-Appril et Robert Ziaboula dans leur article (2005)43. Cet

42 Santedi Kinkupu, L. (2003). Dogme et inculturation en Afrique. Paris : Karthala

43 Dorier-Apprill, E., Ziavoula, R. (2005). « La diffusion de la culture évangélique en Afrique centrale. Théologie, éthique et réseaux », Hérodote, 2005/4 (N°119), p.129-156

41

article parle essentiellement du christianisme évangélique et de sa conquête du monde. En effet, depuis le début des années 2000, le nombre de nouveaux adeptes se compte par million et ne cesse d'augmenter sur tous les continents. Tabard (2005) le précise dans son article en utilisant des chiffres récents. Bien que l'Eglise se soit implanté seulement un siècle auparavant en Afrique, représentant alors seulement cinq ou six générations de chrétien dans les familles, le nombre de baptisés à triplé en vingt-cinq ans. Tabard (2005) remet en cause ces informations et évoque la présence de l'Eglise catholique au sein du Royaume Kongo entre les années 1500 et 1838. Ces trois siècles auraient été une période féconde dans la construction d'églises et le baptême de nombreux individus, avant de disparaître. A l'heure d'aujourd'hui, les Eglises sont présentes sur tout le continent africain et intégrées aux sociétés. Cependant Tabard (2005, p.198) laisse à penser que « c'est aussi une « nouvelle Eglise qui naît dans des formes originales, dans la mesure où elle intègre des éléments des cultures et religions africaines ».

Durant la colonisation, chaque état menait sa propre politique et cette dernière pouvait être appuyée par une Eglise. Mais en parallèle et de manière indépendante, les Eglises évangéliques ont mit en place des missions afin d'évangéliser les peuples. De ce fait, l'émergence de ces Eglises n'est ni récente, ni soudaine. Selon Dorier-Apprill et Ziavoula (2005), cette émergence a précédé la crise économique et s'est consolidé dans la clandestinité lorsque les Eglises missionnaires étaient bridées par le régime marxiste. En Afrique Centrale, et plus particulièrement au Congo-Brazzaville, ce sont les Eglises évangéliques nordiques qui s'installent à partir du XIXème siècle. Cela a d'ailleurs été vérifié lors de mon expérience à Brazzaville. En effet, la plupart des projets mis en place par mon organisation d'accueil, c'est-à-dire l'Eglise Evangélique du Congo (EEC), est financé en grosse partie par une association regroupant l'Eglise Unie de Suède et l'Eglise Evangélique de Norvège : l'ASUdh (l'Action de Secours d'Urgence et de développement humain). Nous avons d'ailleurs partagé notre maison avec un couple de retraités norvégiens et une amie à eux qui étaient là pour donner des « cours de mariage » aux paroissiens de l'EEC qui le désiraient. De ce fait, l'EEC descend directement d'une branche de l'Eglise luthérienne suédoise et a été fondée en 1898 par des missionnaires comme le précise Dorier-Appril et Ziavoula (2005).

C'est au cours des périodes de pré et de post indépendance que les grands mouvements évangéliques ont commencé à se diffuser. Et actuellement, ces mouvements connaissent un réel succès en Afrique noire et ils s'enracinent dans un champ religieux diversifié. Comme

42

l'écrivent Dorier-Apprill et Ziavoula (2005, p.130), « la variété des formes du christianisme contemporain y est peut-être plus grande que partout ailleurs ». Ils expliquent cette diversité religieuse par l'inculturation rapide des monothéismes qui sont arrivés lors de la période coloniale, mêlée aux nombreux prophétismes afro chrétiens et aux nombreuses croyances mystico-religieuses locales.

Il subsiste tout de même un conflit entre les religions monothéistes arrivées au cours des dernières années et les religions traditionnelles africaines présentes depuis toujours. Comme l'écris D. Philippe (2004, p.70), « certaines Eglises, nous l'avons vu, rejettent catégoriquement le culte des ancêtres au motif qu'il n'est pas sanctionné par l'Ecriture. C'est le cas de la plupart des Eglises évangéliques et pentecôtistes ». Cependant, toutes les églises missionnaires ont débuté une réflexion sur le concept d'inculturation et sur leur présence en Afrique. Nombre d'entre elles prennent le parti de ne pas se positionner sur la pratique des rites traditionnels chez leurs paroissiens. Selon D. Philippe (2004), c'est l'Eglise catholique qui a mené la réflexion sur l'inculturation la plus poussée et n'a donné aucune consigne précise sur la manière de concilier les héritages africains et les héritages chrétiens. Cependant, les autorités de l'Eglise catholique d'Afrique australe hésitent entre deux positions. Pour certains, l'inculturation est également une forme d'évangélisation, c'est-à-dire que les croyances déjà présentes peuvent être considérées comme une préparation à la foi. Dans cette vision, il suffit d'adapter le discours religieux à la culture indigène. Pour d'autre, la religion traditionnelle africaine a une réelle importance et ne doit pas seulement être utilisée comme un simple outil d'évangélisation mais doit être prise en considération dans sa globalité. Ainsi selon D. Philippe (2004, p.73), « le christianisme africain est profondément authentique. Le « théologie orale » qui s'élabore sous nos yeux est un signe de son dynamisme ».

Pendant et depuis la fin de la colonisation, l'évolution des relations entre sphère religieuse et gouvernement oscille. Les autorités coloniales n'ont cessé de se battre contre les messianismes chrétiens africains qui cherchaient à promouvoir l'identité africaine. Ces derniers étaient alors surveillés par les autorités comme nous le raconte Dorier-Apprill et Ziavoula (2005). La prise d'indépendance des pays africains marque la prolifération de mouvements religieux de différentes confessions. C'est donc à partir de 1960 que la République du Congo connaît une multiplication des Eglises chrétiennes nouvelles et indépendantes. Le Congo a connu une évolution un peu différente de celle de ces voisins en raison de la restriction religieuse menée par les gouvernements communistes militaires

43

jusqu'aux années 1980. En effet, l'Etat congolais avait institué une loi antisectes qui permettait de contrôler la vie religieuse. Entre 1978 et 1991, en raison de cette loi, seulement sept Eglises étaient reconnues. Cette restriction prend fin en 1991 lors de la Conférence Nationale pendant laquelle la liberté de culte est proclamée. A partir de là, le Congo connaît une augmentation fulgurante de l'offre religieuse, et particulièrement dans les villes. Le Parti Congolais du Travail (PCT), parti politique de l'actuel et indétrônable président de la république déjà au gouvernement, tolère le pluralisme religieux à condition que les « sectes » se rassemblent en union. De ce fait, le Congo-Brazzaville se différencie de ses voisins par sa structuration de l'espace religieux. En effet, comme le précise Dorier-Apprill et Ziavoula (2005), le champ religieux s'organise essentiellement en fédérations et en réseaux stratégiques qui lui permet de défendre leurs représentations.

Les années 1990 sont marquées par trois guerres civiles en République du Congo qui laissent encore des traces aujourd'hui. En effet, il subsiste de nombreuses tensions ethno régionales, principalement entre les ethnies du nord et celles du sud, qui ont profité aux leaders des partis politiques tel que Denis Sassou N'Guesso. C'est la capitale Brazzaville qui a essentiellement été touchée pendant ces périodes noires, et particulièrement les quartiers du sud qui ont alors été bombardés, amenant la population à fuir. Cette période difficile prend fin en 2001 avec l'organisation du retour des populations exilées dans les forêts au sein de leur quartier, dans des conditions encore très pénibles. Cette période post conflit est une aubaine pour le président actuel qui est alors élu avec 89% des voix grâce à une campagne présidentielle de taille et à l'absence de concurrent sérieux. Ainsi, comme l'écrivent Dorier-Apprill et Ziavoula (2005, p.139), « en l'espace de quinze années, la société congolaise subit alors une mutation brutale liée à un contexte d'effondrement de l'économie rentière et de l'Etat redistributeur, lié au surendettement du pays et aux politiques d'ajustement, de chômage des jeunes scolarisés, de guerres entre milices politiques, d'un coup d'Etat, d'exodes urbains et de banditisme ».

Les guerres civiles ont bien entendu ralenti l'expansion des Eglises mais n'ont en aucun cas empêché cette dernière. En effet, Dorier-Apprill et Ziavoula (2005) ont débuté leur étude après la première guerre civile et ont constaté une différence entre les chiffres du gouvernement et la réalité. Ils ont alors découvert 250 lieux de cultes, comprenant des Eglises indépendantes diverses, mais également plusieurs Eglises chrétiennes évangéliques et des grandes Eglises instituées.

44

A l'heure d'aujourd'hui, la liberté de culte est garantie par la Constitution mais le sujet reste délicat. En effet, les partis politiques nationaux et également les puissances occidentales restent très vigilants en raison de la situation actuelle au Congo. Les Eglises inquiètent puisqu'elles peuvent être le lieu de rassemblement de contre pouvoir ou encore de mobilisation partisane, mais en parallèle elles intéressent puisqu'elles sont des relais sociaux. Le texte de la Constitution de 2002 garantit également des dispositions relatives à la sécurité, la tranquillité et la salubrité du lieu et de la voie publique.

En 2005, le ministère de l'Administration du territoire et le ministère de l'Intérieur procèdent à un recensement des toutes les Eglises présentes à Brazzaville. Ce dernier va être réalisé par les forces de police qui arpentent les rues de la capitale afin d'identifier les lieux de cultes, tout en demandant aux responsables des Eglises de fournir les papiers en règle. Ils recensent alors 350 lieux de culte, rassemblée sous 224 dénominations. Les Eglises doivent alors répondre a un certain nombre de critère évoqués par Dorier-Apprill et Ziavoula (2005) : les pasteurs doivent être formés, les lieux de culte être construits en maçonnerie durable. De plus, l'Eglise doit disposer d'une date d'ordination et être capable de créer des oeuvres sociales et d'ouvrir un compte en banque... Les lieux de culte ne répondant pas à ses critères sont menacés de fermeture par le ministère de l'Intérieur. Ils ont alors un délai de six mois pour se conformer aux différents critères.

Comme nous l'avons vu, les Eglises et leurs mouvements sont en expansion au Congo-Brazzaville depuis plusieurs années malgré les politiques de restrictions mises en place par le gouvernement. Les Eglises doivent leur succès grâce à la population présente friande de cette effervescence religieuse. Cependant, comme l'écrivent Dorier-Apprill et Ziavoula (2005, p.131), « leur influence politique est amoindrie, voire nulle, dans un pays où la démocratie est purement formelle, comme le Congo ».

2. Les Eglises Evangéliques au Congo et leurs mouvances

Le terme d'Eglise évangéliques est polysémique comme l'écrit Dorier-Apprill et Ziavoula (2005) dans leur article. Ce mouvement à la particularité de mettre en avant l'expérience spirituelle vécue. Elles cherchent alors la conversion du coeur et se considèrent comme des communautés de vrais convertis qui se baptisent à l'âge adulte. Ces Eglises sont dirigées par les élites de la société, sensibles à la modernité et à la mondialisation, recherchant alors l'ouverture des paroisses vers l'occident. La plupart de ces Eglises s'autofinancent, c'est-à-

45

dire que les activités proposées sont possibles grâce aux contributions des fidèles, lors des temps de culte par exemple. Les Eglises recrutent leurs fidèles auprès des catégories sociales plutôt favorisées comme nous explique Dorier-Apprill et Ziavoula (2005). Le public visé est alors les élites du pays, les potentielles jeunes élites ou encore les jeunes diplômés qui ne parviennent pas à trouver un emploi. En effet, je me souviens de mon premier culte à la paroisse du Centenaire à Brazzaville, j'avais été très surprise des montants annoncés par le pasteur lors de l'annonce du montant de la quête de la semaine précédente. Le montant annoncé s'élevait à plusieurs milliers, voir proche du million.

Les Eglises évangéliques comprennent le mouvement pentecôtisme actuellement en vogue dans de nombreux pays, comme en République du Congo. Selon Dorier-Apprill et Ziavoula (2005), ce mouvement religieux compterait plus de 150 millions de croyants dans le monde. Ce mouvement a la particularité de regrouper de nombreuses communautés de différentes tailles et dirigées par des leaders charismatiques. Cette mouvance a la particularité d'asseoir sa réputation sur le rigorisme moral et l'interprétation littérale de la Bible. Il rejette donc en bloc les religions traditionnelles africaines et le lien avec les ancêtres. De ce fait, « il manifeste une double revendication de rupture : prise de distance à l'égard de toutes les représentations et pratiques néo-traditionnelles (magie, culte des morts, funérailles somptuaires, mariage coutumier, polygamie), qui sont systématiquement « satanisées » - et rejet du « matérialisme dialectique » qui a occupé pendant des années le champ politique et culturel, prétendant canaliser le religieux au sein des seules sept Eglises reconnues par l'Etat » (Dorier-Apprill et Ziavoula, 2005, p.134). Dans leur recherche, Lallemant, Jourdain et Gruenais (1988), évoquent les églises pentecôtistes comme l'un des choix possible lors de l'itinéraire thérapeutique. Selon eux, ce mouvement est très hiérarchisé avec le Pasteur comme leader de la communauté. Pour ces derniers, l'appartenance à une Eglise chrétienne associée à une foi chrétienne forte est la solution pour se confronter aux pressions familiales mais surtout pour se protéger des puissances surnaturelles à l'origine des entraves au développement du pays. Apparaît alors l'émergence d'une nouvelle éthique versée sur l'individu. S'appuyant sur un modèle occidental, c'est alors le lien conjugal et la famille nucléaire qui sont mis en lumière. Ces nouveaux mouvements diffusent un modèle neuf où la place de l'individu est modifiée, au détriment de la communauté. Dorier-Apprill et Ziavoula (2005) associent ce changement à une modification de l'éthique actuellement basée sur un phénomène d'acculturation consentie. Ces mouvements religieux sont un excellent moyen de communication et de diffusion des nouveaux paradigmes promulgués par ces Eglises. Les

46

auteurs notent que le réseau présent à Brazzaville a une structure souple et que ces dernières cherchent à se rattacher entre elles dans l'ensemble du pays, en laissant de côté les clivages ethno régionaux.

Il existe les Assemblées de Dieu présentes à Brazzaville. Certes, comme nous le disent Dorier-Apprill et Ziavoula (2005), elles sont minoritaires mais ce sont ces dernières qui ont joué un rôle important dans l'expansion du pentecôtisme pendant les années 1970. Il est intéressant de parler de ce petit mouvement religieux puisque son activité principale se base sur la guérison des malades. Ainsi, « les malades guéris ont constitué le vivier des adeptes, c'est pour cette raison d'ailleurs que malgré l'interdiction de la loi de 1977, ils ont résisté aux pressions, et même gagné le soutien de dignitaire du pouvoir qui y cherchent un appui spirituel » (Dorier-Apprill et Ziavoula, 2005, p.148).

Les Assemblées de Dieu offrent donc des cours bibliques afin de former la nouvelle génération de cadres religieux affichant des pratiques et des modes de guérison plus orthodoxes. Ils mettent également en place des campagnes d'évangélisation et des séminaires afin de propager leurs voix à travers le pays. Grâce aux dons, ils parviennent à acquérir des terrains ce qui va permettre de structurer le mouvement à travers les dynamiques locales. Cependant, après la loi « antisecte » de 1977, ils sont expulsés du Congo. Malgré tout, ce mouvement religieux ne disparaît pas totalement et continue de se développer dans la clandestinité. C'est de cette manière que les premières Eglises du réveil verront le jour. Les mouvements religieux indépendants deviennent légal en 1991 ce qui leurs permet de se multiplier rapidement. « Elles contribuent à un élargissement et une « banalisation » de la sensibilité religieuse pentecôtiste hors du contrôle direct des Assemblées de Dieu, qui deviennent minoritaires » (ibid.).

Afin de se différencier de l'Eglise protestante, le mouvement pentecôtiste et les autres mouvements indépendants partageant certaines idéologies, utilisent le nom Eglises du réveil pour se désigner.

Comme nous l'avons vu précédemment et comme le précise J-P. Bat (2014)44, le Congo connaît, comme nombreux de ses voisins, une augmentation fulgurante de l'Eglise du réveil sur le territoire. Ses Eglises sont partout, au milieu des quartiers et dans les périphéries. Ce sont de petits locaux pouvant accueillir quelques dizaines de personnes. Elles sont

44 Bat, J-P. (2014). « Les Eglises de réveil au Congo-Brazzaville », Afrique contemporaine, 2014/4 (n252), p.145-146

47

essentiellement présentes dans les quartiers populaires tels que Bacongo, Kinsoudi, Mokondo à Brazzaville. Elles mettent en place des actions sociales, tel que des cours d'alphabétisation, pour aider les paroissiens et les fidéliser ainsi. Ce mouvement religieux a sa propre identité qu'elle transmet à travers ses logos, ses slogans, ses discours. Elles réunissent alors un tissu social composé par la communauté où certaines valeurs et idées sont diffusées et adoptées. « Le pasteur, point d'équilibre de la communauté, est bien plus qu'un ministre du culte. Il renoue pleinement avec la figure du guide spirituel... et temporel » (Bat, 2014, p.146).

Les Eglises du réveil, ayant une influence directe sur les populations, sont la cible du gouvernement actuel. En effet, avec les élections qui se sont déroulées en 2016, le gouvernement à la tête du pays avait tout intérêt à se lier avec ces nouvelles mouvances religieuses pouvant faire la différence. Toutes ces entités sont gérées administrativement par le Conseil Supérieur des Eglises de réveil (COSERCO) dirigé par Germain Loubouta. Hasard ou coïncidence, G. Loubouta est également le premier collaborateur d'Antoinette Sassou N'Guesso, femme du président de la république du Congo. Ainsi, « certaines Eglises de réveil sont dirigées par des personnalités politiques proche du pouvoir, à titre personnel ou à titre politique » (ibid..).

Il est alors clair que le lien entre le gouvernement et les institutions religieuses existe, donnant du pouvoir à l'un comme à l'autre. C'est également le cas pour l'Eglise Evangélique du Congo, reconnu dans tout le pays. En effet, l'EEC est l'église protestante la plus importante dans le pays et reconnaît le Pasteur Patrice N'souami comme président depuis 2005 et jusqu'à la fin de cette année 2016. Cette mouvance religieuse compte 500 000 fidèles, soit environ 17% de la population congolaise. Leur dogme et leurs pratiques sont centrés sur les Ecritures et une théologie protestante en opposition avec les phénomènes du « réveil » et la superstition en général venant de la tradition africaine. Cependant, selon Katie Badie pasteure dans une paroisse parisienne (2009)45, l'Eglise affirme son identité tout en rappelant ses origines africaines par l'utilisation de chants traditionnels par exemple. L'EEC est en lien avec de nombreux partenaires à travers le monde, montrant sa place dans une Eglise universelle. Au Congo-Brazzaville, l'EEC s'engage à plusieurs niveaux, dont de nombreux fronts sociaux comme la lutte contre le VIH/Sida, l'accueil des malades et des orphelins dans les centres de santé intégrés et les soins donnés dans les dispensaires, mais aussi dans le processus de réconciliation suite aux guerres civiles connues par le pays.

45 Fédération Protestante de France (2009, 14 octobre). « Cent ans de protestantisme au Congo-Brazzaville ». [En ligne] mis en ligne le 14 octobre 2009, Consulté le 22 août 2016

48

Cette Eglise, faisant partie des sept reconnues pendant les périodes difficiles, possède certains privilèges et un lien étroit avec le gouvernement. En effet, chaque voiture de l'Eglise a le droit à un laisser passer sur le pare-brise leur permettant de passer outre les barrages policiers et/ou militaires. Elle est également financée en partie par le gouvernement et participe à certains programmes nationaux. Par exemple, l'EEC a décidé au sein de ces centres de santé intégrés de prendre en charge les personnes vivant avec le virus de l'immunodéficience humaine (VIH). L'EEC a alors établi un partenariat avec le Conseil National de Lutte contre le VIH/Sida (CNLS), même si ça semble aller à l'encontre des valeurs diffusées par l'EEC. En effet, peu d'Eglises reconnaissent l'existence du VIH/Sida et encouragent le port du préservatif afin de ralentir l'expansion de la maladie. Malgré tout, le slogan congolais pour la lutte contre le Sida traduit cette forte présence des Eglises dans le pays : « Abstinence, Fidélité, Préservatif ». Leur seule limite est la prise en charge des patients homosexuels comme me l'avait précisé ma collègue psychologue au centre de santé intégré de La Source.

De part ce partenariat avec le gouvernement, ils travaillent également avec des ONG internationales tel que la Croix Rouge Française sur certains programmes de prise en charge des personnes vivant avec le VIH (PVVIH). C'est dans ce cadre là que j'ai effectué mon Service Civique à l'International, sur la continuité du projet R5, prenant en charge les adultes vivant avec le VIH et sur l'actuel projet R9 qui s'occupe des enfants vivant avec le VIH. Il y donc un réel lien entre les centres de santé intégrés de l'EEC et les organisations politiques et internationales agissant dans le pays.

Comme nous l'avons vu, la santé est au coeur des préoccupations de la religion chrétienne et ce depuis l'arrivée des premiers missionnaires. Ces derniers avaient pour mission de soigner les malades au sein des différents dispensaires ruraux. Au fil des années, en plus des dispensaires, des centres de santé et des hôpitaux sont apparus afin de soigner les malades mais également pour faire du prosélytisme.

Cependant, l'EEC ne propose pas réellement de soins adaptés pour les personnes atteintes de troubles mentaux. Cette dimension là, encore peu développée au Congo, n'est que peu prise en charge dans la vie quotidienne. Malgré tout, certaines structures religieuses proposent de prendre en charge ces personnes vivant avec des troubles psychiques.

49

3. La prise en charge des malades mentaux par les institutions religieuses

Comme nous l'avons vu dans la partie précédente de ce travail, lorsqu'un individu rencontre des troubles mentaux c'est la responsabilité de tout le groupe qui est mobilisée. Nous avons déjà évoqué les différentes méthodes de prise en charge traditionnelle disponibles à travers la médecine des plantes et l'oeuvre des tradipraticiens. Mais, comme l'écrit Serge M'Boukou dans son article (2007, p.6)46, « le christianisme en premier lieu apparaît comme un adversaire redoutable de l'ordre local. Il porte avec lui une énergie disruptive tendant à disqualifier systématiquement les pratiques et les représentations locales. La démonisation des cultes locaux ainsi que des modes de compréhension et de prise en charge des maux dont souffrent les hommes bouleverse les cadres traditionnels ».

De ce fait, la religion a fait son entrée dans l'itinéraire thérapeutique rencontré chez les congolais. En effet, au début des années 1980, comme l'évoque le Dr Paul Gandou dans l'entretien que nous avons passé, lorsque les tradithérapeutes ne parvenaient pas à faire disparaître le symptôme, la famille se tournait alors vers le pasteur ou le prêtre de la paroisse à laquelle elle appartenait. Ainsi, il explique : « dans l'itinéraire thérapeutique, puisque les perceptions sont mystico religieuses, ou mystiques en général, ce qui se passe dans la dynamique, la personne aura tendance à aller plutôt d'abord à l'église voir le pasteur pour faire qu'elle sorte de cet envoûtement ». La consultation à l'église a vraiment pour but de sortir de l'envoûtement qui a été jeté sur l'individu.

Les tradithérapeutes sont donc concurrencés par les pasteurs des Eglises comme l'explique Michel Mboussou (2009)47 dans son article. En effet, « ces lieux de culte drainent toutes les couches sociales de notre pays et les acteurs qui y professent, reprennent tout simplement le discours des guérisseurs, à savoir que le mal vient généralement de l'extérieur, et à ce titre, ces propos sont ensemencés sur une terre fertile, riche en mystère » (Mboussou, 2009, p.772). Selon l'auteur, les pasteurs actuels font preuve d'une certaine agressivité et s'appuient sur la naïveté de la population, ainsi que sur la misère matérielle et morale, afin d'embrigader un maximum de personne. Ainsi, « dans ce contexte de souffrance, la seule voie de salut et de guérison est de croire fermement en un dieu suprême » (ibid..). Le concept d'acculturation ayant fait son petit bonhomme de chemin dans les cultures traditionnelles africaines avec les

46 M'Boukou, S. (2007). « Trajectoires du soin en Afrique », Le Portique. [En ligne], 4-2007 | Soin et éducation (II), mis en ligne le 14 juin 2007, consulté le 04 août 2016. URL : http://leportique.revues.org/944

47 Mboussou, M. & all. (2009). « Religion et psychopathologie africaine », L'information psychiatrique, 2009/8 (volume 85), p.769-774

50

présences des dogmes chrétiens, l'étiologie « sorcière » a finalement fait son entrée dans les discours des nouvelles églises évangéliques. De ce fait, nous pouvons témoigner d'une mutation des systèmes de croyances culturels qui perdent petit à petit les valeurs principales.

Les Eglises se différencient et prennent de l'ampleur puisqu'elles offrent « un espace rassurant, stable et permanent, partagé collectivement, où une parole sur l'invincible va pouvoir exister et où l'individu va pouvoir se sentir vivre, malgré sa souffrance, par l'action de s'exprimer » (ibid., p.773). D'une certaine manière, l'Eglise reprend le rôle du village qui prenait en charge les personnes malades, comme on l'entendait avant le phénomène d'urbanisation. De plus, il parait important d'accueillir les individus dans un cadre d'entraide et de réflexion, où le discours est rassurant. En effet, Dieu peut apporter la guérison et le salut, là ou la médecine traditionnelle et/ou occidentale ont échoué. Les individus reprennent alors espoir et trouve la force de persévérer. Ainsi, comme l'écrit Mboussou & all. (2009, p.773), les Eglises sont alors de « véritables refuges contre tout ce qui trouble la quiétude des hommes, les nouvelles églises se substituent progressivement à nos communautés villageoises pour devenir des partenaires privilégiés du nouvel équilibre social€ ; elles canalisent, indéniablement, une grande part de la misère humaine, allant même pour certaines d'entre elles, à transformer leurs lieux de culte en lieux de soin ».

Dans leur enquête de terrain sur les itinéraires thérapeutiques, Lallemant, Jourdain et Gruenais (1988) ont visité des centres de soin religieux, provenant pour la plupart des mouvements pentecôtistes. Selon les auteurs, ces dernières sont plus fermées et difficiles d'accès. Elles existent au coeur de la ville de Brazzaville mais se font discrètes. Ces sectes sont très hiérarchisées, avec en haut de l'échelle le Pasteur qui gère la communauté. Les patients peuvent être reçus le jour et la nuit, selon les besoins de chacun, accueillis par une équipe toujours présente. Les patients sont invités à prier afin de parvenir au désenvoûtement et à la disparition des différents symptômes. Ils peuvent être aidés par le pasteur au cours des consultations. Ces dernières sont organisées autour de prières, de récits sur les plaintes amenées par les patients, de chants et d'interrogations directives par les membres de l'équipe. Il y a aussi des moments de divination pendant lesquels les individus recherchent la cause de la maladie.

Certains malades sont également invités à rester sur le lieu de culte et participer aux différentes activités, afin de favoriser la guérison. Les auteurs décrivent de nombreuses séances de prières, tout au long de la journée, mais également au cours de la nuit. Par

51

exemple, entre 20 heures et 6 heures du matin, des séances de prières sont organisées toutes les deux heures.

Cependant, certains reportages ou documentaires nous montre une réalité tout autre. Une réalité difficile où les personnes présentant des troubles mentaux sont exclues de la société. Benedict Carey (2015)48, journaliste pour le The New York Times, a consacré un reportage sur la prise en charge des malades mentaux en Afrique de l'Ouest. Ce journaliste témoigne de scènes difficiles à croire :

« The church grounds here sprawled through a strange, dreamlike forest. More than 150 men and women were chained by the ankle to a tree or concrete block, a short walk from the central place of worship. »

Benedict Carey, 2015, p.A1

L'auteur précise que dans ces pays où la maladie mentale est peu connue, les chaines peuvent être une solution pour les familles confrontées au désespoir face à la perte de contrôle des personnes atteintes de troubles. Le reportage photo d'Alexis Duclos (2012)49, nommé « Les enchaînés », fait froid dans le dos. Malgré des images magnifiques, elles traduisent la souffrance et le désespoir de ces personnes qui se sont un jour retrouvées attachées à un tronc d'arbre suite à des troubles mentaux.

Ces derniers sont donc rassemblés dans des centres de prières, comme l'un de ceux que B. Carey (2015) a visité au Togo appelé « Jesus Is the Solution ». La vie quotidienne est rythmée par les prières faites pour Dieu afin d'éloigner les mauvais esprits qui se sont abattus sur eux et par la visite de la famille. En effet, cette dernière est responsable du malade et doit lui fournir une chaine à son arrivée et bien souvent une paillasse, ainsi que de la nourriture et les soins primaires tel que vider le « pot de chambre » et la toilette. La durée des séjours varie d'un individu à l'autre. Si la situation s'améliore, c'est-à-dire que l'individu est attentif et capable de penser clairement, la décision est prise de relâcher la personne afin qu'il rentre chez lui. Dans le cas contraire, les pasteurs présents dans ces camps de prières continuent et intensifient ces dernières afin qu'une solution se présente à eux. Et si cela ne change rien, à un moment donné, la famille reprend dans le foyer la personne atteinte de troubles mentaux et cherche un autre moyen afin de traiter les difficultés. Il est important de noter que dans ces

48 Carey, B. (2015, 12 octobre). The Chains of Mental Illness in West Africa, The New York Times, p.A1

49 Duclos, A. (2012). Les enchaînés. Reportage photo, Côte d'Ivoire. http://www.alexisduclos.com/

52

centres aucune personne qualifiée en médecine ou en psychiatrie ne travaille et que toutes les décisions reviennent au pasteur et à ses assistants.

Il est intéressant de noter également que la majorité des personnes présentent ont déjà eu recours aux traitements traditionnels, tel que les tradithérapeutes, les herbes et les drogues, et que ces derniers ont échoué comme en témoigne Carey (2015).

Toutes les sociétés rencontrent des difficultés concernant la prise en charge des malades mentaux, et l'Afrique tout particulièrement puisqu'elle est confrontée à un manque de moyen. Dans les pays d'Afrique de l'Ouest ou l'offre psychiatrique est presque inexistante, les chaines proposées par ces centres de prières représentent alors le dernier recours que la famille peut avoir lorsqu'elle ne parvient plus à contrôler le malade mental. Etant donné que la religion joue un rôle important dans cette partie du monde, ces camps de prière connaissent une certaine reconnaissance. D'autant plus, que selon l'article du The New York Time (2015) les pasteurs prêchent, qu'à travers eux, Dieu dans sa toute puissance est en mesure de guérir tous les maux et les symptômes, et que cela est d'autant plus vrai€ pour les maladies psychiatriques qui relèvent de la spiritualité d'une certaine manière.

Cette pratique est présente dans de nombreux pays d'Afrique de l'Ouest comme l'évoque B. Carey (2015) qui témoigne de fait similaire au Ghana par exemple. Ces pays partagent une culture traditionnelle africaine, toute différente bien entendu mais avec des similitudes, ce qui peut nous laisser penser que ces centres de prières sont présents au Congo-Brazzaville également. Cependant, je n'ai pas eu l'occasion de constater une telle pratique au cours de mon séjour brazzavillois.

Il est donc difficile d'estimer exactement le nombre de malades mentaux en Afrique aujourd'hui puisqu'une partie d'entre eux est enchainée au fond des forêts dans des centres de prières, ou plus simplement enfermée au fond des parcelles familiales.

A l'heure actuelle, l'individu est alors confronté à un choix lorsqu'il entre dans un circuit thérapeutique. En effet, il peut avoir recours à un tradipraticien comme nous l'avons vu, à des séances de guérison par la prière dans des centres religieux comme nous venons de le voir ou encore se présenter dans des dispensaires afin de profiter de soins médicaux et/ou psychiatriques. Il n'est d'ailleurs pas rare que les malades aient recours à ces différents moyens en parallèle les uns des autres.

53

Lors de l'entretien avec le docteur Paul Gandou, psychiatre à l'hôpital psychiatrique de Brazzaville, ce dernier nous avait parlé du renversement progressif de l'itinéraire thérapeutique commun à de nombreux patients. En effet, pendant les années 1980, les malades et leurs familles avaient tendance à se diriger vers le tradithérapeute, puis le pasteur et enfin vers la sphère psychiatrique en tout dernier recours. Cependant, il témoigne d'une modification progressive de l'itinéraire thérapeutique depuis le début des années 2000. L'expansion des mouvements religieux répondant à certaines attentes de la population a créé un retournement. De ce fait, les individus auraient tendance à consulter le pasteur en premier afin de faire disparaître les symptômes présents, selon le docteur Paul Gandou. Cependant, la sphère psychiatrique, avec l'augmentation du personnel soignant compétant et le développement des connaissances, prend de plus en plus de place au sein des itinéraires thérapeutiques empruntés par les malades comme nous allons le voir dans la partie suivante.

54

IV. La naissance d'un système de santé mentale au Congo

1. Première réflexion sur la santé mentale dans les pays du sud

A l'heure actuelle, notre monde connaît de grosses disparités économiques, sociales et en termes de santé entre les différents continents et les différents pays. Comme l'écrit Hubert Balique (2011, p.29)50, « cinquante ans après leurs accès à la souveraineté nationale, les pays d'Afrique subsaharienne subissent encore, de façon très discordante, une situation sanitaire inacceptable en ce début du XXIème siècle ». Même si les médias diffusent de nombreuses images de souffrance des pays d'Afrique en général, il ne faut pas oublier que les principaux indicateurs de santé, tel que l'IDH par exemple, progressent grâce aux effets du développement, à l'engagement des Etats et au soutien des partenaires. Cette évolution positive est certes lente, mais elle est présente dans la majorité des endroits, à l'exception des zones de conflits armés. Cela a été permis par les nombreuses campagnes et actions sanitaires menées, permettant d'arrêter les épidémies, de soigner les maladies et de réduire le nombre de décès grâce à des moyens matériels (vaccins, médicaments, personnel médical...). Mais également par la modification de certaines normes culturels comme l'âge du mariage, le nombre d'enfants par femme, l'augmentation du taux de scolarisation...

Avant l'arrivée des colons, les ethnies avaient développé les médecines traditionnelles afin de soigner les individus qui présentaient certains troubles comme nous l'avons vu. L'arrivée des colons et des missionnaires religieux correspond également aux premières implantations de dispensaires dans lesquels certains soins étaient donnés afin d'étendre la couverture sanitaire. La prise d'indépendance des pays par les gouvernements est accompagnée par l'extension des services de soins à une population plus large. Elle s'appuie très souvent sur la gratuité des soins comme le précise Balique (2011). Afin de pouvoir soigner un maximum de personnes, les pays développent les soins de santé primaires selon les préconisations de l'OMS. A partir de là, de nombreuses équipes voient le jour et s'installent même dans des régions reculées.

Pendant de longues années, les gouvernements ont mis de côté la prise en charge des troubles mentaux. En effet, ils préfèrent avoir recours aux programmes verticaux afin d'obtenir un maximum d'efficacité dans la réalisation de certains objectifs. Ces programmes représentent toutes les campagnes de vaccination, les campagnes contre le paludisme et celle

50 Balique, H. (2011). « Le défi de la santé en Afrique subsaharienne et ses perspectives ». Santé internationale : Les enjeux de santeì au Sud. Paris : Presses de Science Po, 29-50

55

contre le VIH/Sida. Bien entendu, « la disparition de la maladie, des charges qui lui sont liées et de ses conséquences économiques et sociales justifie pleinement l'importance des ressources mobilisées dans la mesure où elles constituent des investissements rentables » (Balique, 2011, p.34). Cependant, cette approche verticale ne répond pas dans sa totalité aux exigences des indicateurs de développement.

Longtemps oublié au profit d'autres causes sanitaires, ce n'est donc qu'au début des années 2000 que l'OMS va définir le concept de santé mentale et le mettre au coeur de ses actions. En effet, « chez chacun de nous, la santé physique et la santé mentale sont deux aspects fondamentaux de la vie intimement liés et étroitement interdépendants » (OMS, 2001, p.3). Ainsi, la santé mentale, puisqu'elle est essentielle au bien être général des individus, donc des sociétés et donc des pays, est alors intégrée dans les objectifs du millénaire proposé par l'OMS. Dans ce rapport (2001), l'OMS tente de diffuser un nouveau regard sur les troubles mentaux et la manière de les prendre en charge afin de redonner espoir aux malades et à leurs familles.

Selon Kastler (2011), 450 millions de personnes sont atteintes de maladie mentale dans le monde. « Une personne sur quatre souffre d'un trouble mental ou neurologique à un moment ou à un autre de sa vie » (ibid., p.171). Cela représente un nombre certains de personnes qui ont besoin de soin psychique. Cependant, « plus de 40% des pays n'ont aucune politique de santé mentale, plus de 30% pas de programme dans ce domaine, et plus de 90%, aucune politique de santé mentale qui englobe les enfants et les adolescents » (OMS, 2001, p.3). Ainsi, seulement une minorité d'individu souffrant d'une maladie mentale ou de trouble du comportement reçoit des soins. Béatrice Lamboy (2005, p.584)51 évoque ce problème dans son article : « mais si de nombreux traitements existent et qu'ils ont fait preuve d'efficacité, leur utilisation reste très problématique. L'accès à des soins adéquats est un sujet complexe qui est source de nombreuses insatisfaction pour les personnes en souffrance psychique et pour les pouvoirs publics ». Les troubles mentaux n'étant pas pris en charge par les politiques de santé publique, le financement est très souvent à la charge du patient, ou de sa famille, les propulsant vers des difficultés financières en raison du coût important des soins et des psychotropes.

51 Lamboy, B. (2005). « La santé mentale : état des lieux et problématique », Santé Publique, 2005/4 (vol.17), p.583-596

56

Il existe d'ailleurs un lien étroit entre troubles mentaux et pauvreté, comme l'explique le schéma suivant :

Figure 1 : Cercle vicieux de la pauvreté et des troubles mentaux

La pauvreté se définit comme « le manque de biens, insuffisance des choses nécessaires à la vie » (Le Dictionnaire du Français, 1996, p.1188). Elle peut alors concerner la dimension économique, sociale ou environnementale. Comme nous pouvons le voir, elle entraine donc un faible niveau de ressources et un niveau d'instruction peu élevé. Les études ont montré que les individus les plus démunis présentent plus souvent des troubles mentaux et que c'est derniers ne consultent que rarement. Cette absence de recours au soin entraine donc une évolution défavorable des troubles ayant des effets dramatiques : perte d'emploi, augmentation des dépenses de santé... Ces conséquences renforcent alors la première bulle qui est la pauvreté.

Avant de proposer des recommandations pour la prise en charges des troubles mentaux, l'OMS a tenté de définir les concepts clefs de cette problématique et leurs origines. L'ouvrage de référence sur la santé mentale, les droits de l'homme et la législation écrit par l'OMS en

57

200552 s'est essayé à l'exercice et précise de suite que « définir les troubles mentaux est difficile parce qu'il ne s'agit pas d'une pathologie unique, mais d'un groupe de troubles ayant quelques caractéristiques communes » (OMS, 2005, p.21). Afin de déterminer les troubles mentaux et leurs caractéristiques, il est donc essentiel de prendre en compte le contexte social, culturel, économique et juridique de la société dans laquelle nous nous trouvons.

Les recherches actuelles nous ont permis de savoir que les troubles mentaux existent sur tous les continents du globe, que toute personne est susceptible un jour d'être concernée par un trouble mental et que les maladies sont influencées par un ensemble de facteurs : biologique, psychologique et sociaux.

Figure 2 : Interaction des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux dans la survenue et l'évolution des
troubles mentaux et du comportement

Ainsi, comme l'écrit Anne Biadi-Imhof (2006, p. 485)53, « la dimension psychique de la vie sociale apparaît désormais comme un enjeu collectif majeur qui concerne, au-delà du politique et de la psychiatrie, les sociétés dans leur ensemble ». La médecine dans son ensemble a connu des changements apportant des transformations, touchant alors directement

52 Organisation Mondiale de la Santé Mentale (2005). Ouvrage de référence sur la santé mentale, les droits de l'homme et la législation. Bibliothèque de l'OMS

53 Biadi-Imhof, A. (2006). « La santé mentale dans le rapport nord-sud. Présentation : contexte et enjeux », Revue Tiers Monde, 2006/3 (n°187), p.485-508

58

le monde de la psychiatrie. Cette dernière est donc à la recherche d'une nouvelle légitimité. La question est alors posée par Biadi-Imhof (2006, p.486) puisque « la rencontre entre la représentation du « besoin » de soins psychiques, formulé ou non par les populations ou les Etat du Sud, et les réponses apportées par les pays du Nord en terme de techniques thérapeutiques d'abord, de représentation et modèles théoriques ensuite, de coopération, développement, interventions humanitaires enfin, n'est pas sans interroger sur les capacités des acteurs de la santé mentale à intervenir auprès des populations qui ont des références culturelles et des contextes économiques, sociaux et politiques si fondamentalement différents ».

La question de la législation de la santé mentale est légitime et fondamentale. Elle a d'ailleurs été au coeur de la réflexion d'un groupe de travail de l'OMS en 2005. Elle a pour but « de protéger, promouvoir et améliorer la vie et le bien-être mental des citoyens » (OMS, 2005, p.1). Cela est d'autant plus vrai que les personnes vivant avec des troubles mentaux sont plus vulnérables de manière générale et plus particulièrement face aux abus et aux violations de leurs droits. Il est vrai que dans de nombreuses cultures, les personnes atteintes de troubles mentaux sont souvent victimes de stigmatisation et de discrimination. Il est donc nécessaire de mettre en place un dispositif afin de les protéger. Selon ce groupe de travail, la législation doit être perçue comme un outil permettant l'accès aux soins de santé mentale et à la protection des droits de chacun. De ce fait, elle doit se faire progressivement. Cette dernière s'appuie sur les textes des Droits de l'Homme et concerne les gouvernements puisqu'ils sont tenus de faire respecter, de promouvoir et de faire appliquer les droits fondamentaux tels que nous les retrouvons dans les documents internationaux et régionaux existant.

Cependant, « la législation de la santé mentale est plus qu'une simple législation de soins et traitement. Elle fournit un cadre juridique pour l'étude de questions cruciales de santé mentale telles que l'accès aux soins, à la réadaptation et aux soins de suivie, l'intégration complète des personnes atteintes de troubles mentaux dans la société et la promotion de la santé mentale dans différents acteurs de la société » (OMS, 2005, p.19). La législation proposée par l'OMS (2005) est complémentaire aux politiques et aux programmes de santé. Elle a pour but de parvenir à la réalisation des objectifs de santé publique et de politique sanitaire mis en place, comme le précise l'OMS (2005).

L'OMS (2001, p.xi-xiii), travaillant sur les questions de santé en général mais aussi se penchant sur la problématique de la santé mentale depuis peu, propose plusieurs

59

recommandations (10) sur les mesures à prendre afin de prendre en charge au mieux les troubles mentaux partout dans le monde.

La première recommandation est de « traiter les troubles au niveau des soins primaires », permettant l'accès à un nombre plus important de personne. Cela sous-entend que le personnel de santé travaillant au sein des dispensaires doit être formé aux problématiques psychiatriques afin de pouvoir prendre en charge les individus atteints de troubles mentaux de la meilleure façon possible.

La seconde recommandation est d'« assurer la disponibilité des psychotropes » dans les différents centres de soin des pays et d'être inscrit sur la liste des médicaments essentiels puisqu'ils permettent de prendre en charge une crise pendant l'absence de personnel psychosociaux compétent.

La troisième recommandation est de « soigner au sein de la communauté » afin d'éviter les temps en institution dans les sociétés du sud. Les soins communautaires sont alors plus économiques pour le malade et sa famille, mais également plus respectueux des droits de l'homme.

La quatrième recommandation est d'« éduquer le grand public » afin d'informer la population sur l'existence de certaines troubles, ainsi que de diffuser auprès d'un grand public les différents traitements possibles et les possibilités de guérison. Les outils principaux sont des campagnes d'éducation et de sensibilisation au sein des écoles, des lieux de rassemblement par exemple.

La cinquième recommandation est d'« associer les communautés, les familles et les consommateurs » à la réflexion autour des programmes, des politiques et des services afin que ces derniers soient le plus adaptés à la demande.

La sixième recommandation est d'« adopter des politiques, des programmes et une législation au niveau national » se basant sur les connaissances actuelles et les droits de l'homme. La réforme de la santé mentale doit être directement intégrée dans la réforme du système de santé en général.

La septième recommandation est de « développer les ressources humaines » afin d'avoir du personnel médical et paramédical au sein des centres de soins. Pour que cela soit possible, il faut alors renforcer la formation du personnel en santé mental déjà existant et augmenter le nombre de soignants spécialisés.

La huitième recommandation est d'« établir des liens avec d'autres secteurs », c'est-à-dire travailler en commun avec le secteur de l'éducation, de la justice, mais également avec les organisations non gouvernementales afin d'améliorer la santé mentale.

60

La neuvième recommandation est de « surveiller la santé mentale des communautés » afin de dégager les tendances et de mieux comprendre l'apparition de certains troubles. Cela permet également d'évaluer l'efficacité des programmes mis en place et de les adapter si besoin.

Enfin, la dixième recommandation émise par l'OMS (2001) est de « soutenir la recherche » afin de mieux appréhender les troubles mentaux dans leur genèse, leur évolution et leur guérison.

Ainsi, comme nous venons de le voir, la santé mentale est au coeur des préoccupations depuis plusieurs années. Il est d'ailleurs vrai que de nombreuses organisations non gouvernementales proposent désormais des programmes prenant en charge le bien être psychique des individus se trouvant en situation précaire. Biadi-Imhof (2006) observe une augmentation du nombre de psychiatres et de psychologues dans la médecine humanitaire, comme chez Médecins sans frontières (MSF) et Médecins du Monde (MDM) pour les plus représentatifs. C'est également le cas d'Action Contre la Faim par exemple et ses programmes en Santé Mentale et Pratiques de Soins (SMPS) afin de prendre en charge les troubles psychiques apparus suite à des catastrophes naturelles ou des conflits armées, mais également les dyades mère/enfant qui se retrouvent en difficulté (malnutrition, lien mère/enfant fragile, etc.).

Cependant, Luciano Carrino (2006)54 s'interroge sur le sujet de la santé mentale, de la coopération et du développement dans son article. Carrino (2006, p.509) débute son article en faisant le constat que « les approches couramment adoptées par les professionnels de la santé mentale montrent des insuffisances conceptuelles lorsqu'elles sont appliquées aux situations d'extrême pauvreté et d'insécurité ». Il réfléchit alors sur le comportement du personnel de santé venant des pays occidentaux qui pratique au sein des pays du sud. Ses observations l'ont mené a mettre en lumière deux pratiques. La première étant celle ou le praticien applique à la lettre ce qu'il a appris dans son pays d'origine, sans réellement réfléchir. Cette pratique, du fait d'utiliser des méthodes conçues sur des bases culturelles complètement différentes, montre certaines faiblesses puisqu'elle n'est pas réellement adaptée. La seconde pratique est celle de l'éthnopsychiatrie, c'est-à-dire de prendre en compte les différences culturelles, de les évaluer et de chercher les connexions. Cependant, cette seconde pratique présente elle aussi

54 Carrino, L. (2006). « Santé mentale, coopération et développement, au delà des techniques d'importation dans l'aide humanitaire : l'expérience du Prodere », Revue Tiers Monde, 2006/3, (n°187), p.509-525

61

certaines faiblesses, comme un ralentissement de l'action afin de ne pas trop perturber et troubler la culture de l'autre.

Bien que les programmes soient mis en place pour aider les populations défavorisées, il subsiste quelques défauts dans l'aide humanitaire. Selon Carrino (2006), l'un des principaux défauts est la création de dépendance et de passivité chez les populations aidées. De plus, l'aide humanitaire peut également attiser les conflits entre les populations vulnérables. En effet, les programmes répondent à certains critères pouvant mettre les bénéficiaires en compétition les uns avec les autres. Les ONG sont elles aussi en compétition en termes de financement, de visibilité ou encore d'idéologie. Le troisième défaut mis en avant par Carrino (2006) est la désagrégation sociale, conséquence de la gestion par secteur des problèmes présents sur le terrain. Les individus sont pris en charge en fonction de leurs critères, et non pas de leurs appartenances locales par exemple. Enfin, tous ces petits défauts impactent alors directement les personnes aidées et peuvent aller jusqu'à atteindre leur dignité propre. Selon Carrino (2006), psychiatre, dans ces situations c'est directement le « Moi » de la personne qui est touché et déstabilisé, ce qui peut créer des failles par la suite.

Ainsi, il consacre son article à une réflexion pour améliorer l'aide humanitaire. Selon lui, l'aspect fondamental est de ne pas séparer les messages symboliques de l'action. C'est-à-dire qu'ils ne doivent faire qu'un et être cohérents les uns avec les autres. Les populations vulnérables ne sont pas seulement faibles et passives en raison des difficultés rencontrées, mais également car elles évoluent au sein d'une période de frustration qui déstructure leur organisation. En effet, le Moi comme instance de la personnalité, est sans cesse à la recherche de la satisfaction. S'il y parvient, l'individu se trouve alors dans un cycle affectif positif. Et plus l'individu connaît de cycles positifs, plus le Moi se renforce et plus l'individu a confiance dans ses capacités. Lorsque le Moi ne parvient pas à la satisfaction, il ne se décourage pas directement et va mettre en place des stratégies pour être satisfait par la suite. Si la satisfaction est impossible, il va alors connaître un cycle affectif négatif. Et dans la même logique, plus il va rencontrer des cycles négatifs et plus le Moi va faiblir, l'individu devenant moins sur de ses moyens. A terme, si les cycles affectifs négatifs sont plus nombreux que les cycles affectifs positifs, l'individu va se démobiliser, perdre de la volonté et de l'énergie, pour entrer dans une spirale proche de la dépression. Ce sont souvent à ce stade que les gens vivant dans des situations précaires oscillent.

Si nous voulons que les programmes humanitaires aient un sens et fonctionnent, il faut alors s'appuyer sur la théorie de Carrino (2006). « Le but de la relation d'aide doit viser dès le début la reconquête et le renforcement du rôle actif des Moi, temporairement en détresse,

62

dans la gestion des problèmes qui se présentent » (Carrino, 2006, p.517). En effet, si ce dernier est remobilisé, il va pouvoir reprendre confiance en lui et retrouver l'énergie pour s'en sortir, avec l'aide des programmes environnant le temps dont il en a besoin. Il faut alors trouver le juste équilibre entre apporter de l'aide, sans pour autant priver les gens de leur savoir faire et ressources personnelles.

Pour cela il existe plusieurs stratégies, plusieurs méthodes possibles. Dans le cadre de la santé mentale et plus particulièrement de la psychologie, il existe de nombreuses théories pouvant s'appliquer de différentes manières. Dans la prochaine partie nous allons voir les principaux courants et la manière dont ils peuvent être adaptés dans une culture différente.

2. Les théories utilisées et leur adaptabilité

La psychologie est une science qui existe depuis de nombreuses années. Au début elle était dans les traces de la philosophie et ce n'est qu'au XIXème siècle qu'elle va prendre son envol et se développer en Europe. Très vite de nombreux courants se développent, avec chacun leurs particularités et leurs méthodes afin de parvenir à un bien être psychique. Il y a souvent conflit entre les pères fondateurs de chacun de ses courants, chacun voulant être à l'origine de la méthode miracle.

Comme nous allons le voir, tous ces courants prennent naissance en Europe, voir aux Etats-Unis, dans des pays dits occidentaux. En France, l'université et l'Ecole de Psychologues Praticiens nous forment sur ces modèles théoriques qui ont vu le jour dans la même culture que nous. Pendant les cinq années de formation, nous apprenons les théories, les concepts et les méthodes. Puis pour la plupart d'entre nous, nous débutons notre vie professionnelle en nous appuyant sur un courant particulier en fonction de nos affinités et nous évoluons dans notre culture tout au long de notre carrière. Puis pour d'autres, l'envie d'aller voir ailleurs prends le dessus, puis l'envie de travailler et d'utiliser ses compétences afin d'aider des populations vulnérables également. Je me reconnais dans cette seconde catégorie et c'est pour cela que j'ai fait le choix d'entreprendre ce Service Civique à l'international. Cependant, ce choix de pratiquer la psychologie dans une tout autre culture a été accompagné de nombreux questionnements qui sont à l'origine de ce mémoire. En effet, je me demande alors de quelle manière les théories et méthodes apprises sont adaptées à une pratique dans une culture traditionnelle africaine.

63

N'étant moi-même pas réellement sûre du courant de pensée qui me plait le plus, pensant qu'il y a du bon dans chacun d'entre eux selon la demande et les symptômes, j'étais un peu perdue à mon arrivée. Première expérience professionnelle en tant que psychologue, pays à la culture complètement différente de la mienne, première expérience humanitaire et premiers étonnements. En effet, tout ce qui m'avait été enseigné à l'école était remis en cause. Le cadre, concept tellement important en psychologie, était complètement déstructuré. Je suis très rapidement confrontée à cette notion du temps élastique caractéristique de l'Afrique, et également au concept d'efficacité. Au Congo-Brazzaville on prend le temps, le temps pour tout, laissant de côté le rendement. La question de l'argent m'étonne également. A mon sens, l'argent représente quelque chose dans la relation thérapeutique, il joue un rôle symbolique. L'acte de payer le thérapeute est important. Cependant, dans le projet dans lequel j'interviens, c'est le psychologue qui donne de l'argent pour le transport, ce qui permet aux malades de se déplacer en consultation. Une fois de plus je me retrouve décontenancée et toutes mes connaissances théoriques s'en trouvent remises en cause.

Le cadre est donc mis à rude épreuve mais pas seulement. La majorité de mon temps d'activité est consacré au suivi thérapeutique des patients et au réapprovisionnement des médicaments luttant contre le VIH. Les notions de base de l'entretien thérapeutique sont elles aussi différentes, voire inexistantes. En effet, les trois principes fondamentaux de l'entretien thérapeutique sont l'empathie, la neutralité bienveillante et la confidentialité. Très rapidement j'ai constaté que ces principes, essentiels à la création et la mise en place de l'alliance thérapeutique, n'étaient que très rarement respectés. Bien entendu, il est possible d'observer de l'empathie chez le personnel soignant, d'autant plus que ces derniers sont recrutés en partie en raison de leur sérologie positive. Mais en règle général, les bureaux de consultation sont comme des moulins, où chacun vient dire bonjour, s'asseoir auprès des patients, écouter et même prendre part à la consultation sans s'assurer auparavant de la possibilité de le faire ! Il m'a alors été très difficile d'assurer une consultation avec autant d'oreilles, d'yeux et de va et vient autour de moi, ce qui stoppait le processus thérapeutique dans la plupart des cas.

Je me suis sentie perdue, ne sachant pas vraiment par où commencer et me demandant quelle était ma légitimité de modifier cette organisation. Bien entendu il s'agissait de trouver un compromis entre mes connaissances théoriques et universitaires et la pratique la plus adaptée à la culture dans laquelle j'évoluais. Afin de trouver des réponses à mes questions, j'ai rencontré rapidement le docteur Paul Gandou, psychiatre à l'hôpital psychiatrique de Brazzaville afin qu'il me donne des clefs pour mieux comprendre les situations auxquelles

64

j'étais confrontée quotidiennement. Le premier entretien que nous avons eu en octobre 2015 m'a permis d'appréhender les choses différemment afin de mieux adapter ma pratique aux conditions réelles et à la culture congolaise. J'ai à nouveau rencontré le docteur Paul Gandou à la fin de ma mission, ainsi que les psychologues Raymond Sita et Michel N'Zalamou avec lesquels j'ai pu discuter des différents courants et de leurs pratiques en République du Congo.

Dans un premier temps nous évoquerons le courant de la psychologie dynamique, proche de la psychanalyse, et qui est également le courant principal de l'école dans laquelle j'ai été formée. Le père fondateur est le célèbre autrichien Sigmund Freud. Ce courant s'appuie sur la structuration de la personne en trois instances : le Ca, le Surmoi et le Moi dont parlait Carrino (2006) dans son article. L'être humain se développe grâce aux pulsions d'autoconservation et sexuelles et grandit en passant par les différentes étapes du développement libidinal. Tout symptôme présent à l'âge adulte trouve son origine dans l'enfance de l'individu. Docteur Gandou fait la différence entre la théorie d'origine analytique et la psychanalyse. Selon lui, la psychanalyse à proprement parler n'a pas réellement sa place dans la culture congolaise. Il y a d'ailleurs très peu de psychanalyste au Congo-Brazzaville et je n'ai rencontré qu'un seul spécialiste évoquant Sigmund Freud dans son discours. En revanche, les théories analytiques peuvent avoir du sens dans les cultures africaines. En effet, il évoque le concept du mari de nuit dont il m'a parlé à plusieurs reprises. Ce concept est présent quand la personne, le plus souvent une femme, rêve à des relations sexuelles avec une personne inconnue ou connue qu'elle appellera le mari de nuit. Ce rêve est alors perçu comme un événement mystique ou le mari de nuit représente le mal et l'envoûtement. Dans un premier temps, la personne va se diriger vers l'Eglise afin de rompre l'envoûtement. Mais très souvent, ce dernier en accusant un membre de la famille, va renforcer l'élément négatif faisant que les rêves vont persister. C'est là que les théories analytiques, et plus particulièrement les méthodes d'analyse de rêve, entrent en jeu et peuvent avoir du sens au sein de la culture congolaise.

Proche de ce courant, il y a la psychologie clinique, qui est largement pratiquée en République du Congo. En effet, depuis peu, cette spécialité de la psychologie est enseignée à l'université de Brazzaville, formant dorénavant des psychologues cliniciens.

Le second courant important est la psychologie systémique et familiale, qui est celle que je pensais retrouver en Afrique. L'individu est pris en compte dans son entourage, dans le groupe auquel il appartient. L'école de Palo-Alto utilise essentiellement les concepts de rétroaction et de feedback. Le postulat de base est que tout comportement de l'un rétroagit sur

65

l'autre qui rétroagit à son tour. La famille est alors considérée comme un système au sein duquel existent des règles explicites et implicites. Ce système est lui-même intégré dans un environnement sociologique avec lesquels il y a des interactions. Afin de comprendre les comportements, il est essentiel de connaître le contexte c'est-à-dire l'ensemble des éléments qui affectent le système. Il est impossible de comprendre un comportement sans connaître le système dans lequel il est produit. Etant donné que la communauté et le groupe sont très importants dans les cultures traditionnelles africaines comme nous l'avons vu, je pensais que ce courant serait plus présent au Congo-Brazzaville. Le docteur Paul Gandou nous explique pourquoi ces méthodes sont peu pratiquées. P. Gandou rejoint l'idée que la théorie systémique est peut être la théorie la plus adaptée mais elle est difficile à mettre en place. En effet, comme la famille en Afrique correspond à la famille au sens large, réunir tout le monde à la même heure et au même endroit représente une charge de travail conséquente et une organisation difficile.

Le dernier courant est celui qui est utilisé quotidiennement par le psychiatre Paul Gandou dans sa pratique, mais également pas Michel N'Zalamou. C'est le courant des thérapies cognitivo comportementales (TCC) qui s'appuie sur la psychologie cognitive et scientifique. Le postulat est que tout comportement est créé par un conditionnement, comme l'explique l'expérience de Pavlov. Des fois, certains conditionnements peuvent être inadaptés, entrainant un comportement inadapté pouvant également être appelé symptôme. Le but des TCC va alors être de rationnaliser ce comportement inadapté en changeant les perceptions de l'individu afin qu'il corrige sa conduite. Cette pratique prend alors tout son sens dans la culture africaine qui s'articule autour de la sorcellerie comme nous l'avons vu. Ainsi, selon Paul Gandou, la prise en charge doit s'appuyer sur les perceptions de l'individu. Sa pratique est associée avec des exercices de relaxation afin de diminuer les tensions internes.

Les TCC ont également développé des méthodes pour gérer le stress post-traumatique que nous retrouvons de plus ne plus dans les pays en crise. En effet, suite à des conflits armés ou à des catastrophes naturelles, certaines ONG ont mis en place les techniques de soins des troubles de stress post-traumatique, comme le débriefing, afin d'apporter de l'aide aux populations locales et vulnérables. C'est le cas à Brazzaville, ou le Centre National de Traitement des Traumatismes Psychiques a été mis en place à la suite des guerres civiles des années 1990. L'initiative est partie de l'UNICEF, ONG internationale reconnue et agissant au Congo-Brazzaville depuis plusieurs années, qui a fait venir un psychiatre du Sénégal pour former les équipes sur place à cette dimension. C'est réellement après la catastrophe du 04

66

mars 2012, lors de l'explosion d'un dépôt d'armes à Mpila qui a fait plus de 200 morts, que ce centre de traitement a pris de l'ampleur au sein de la communauté de psychologues brazzavillois.

Parler de psychologie dans les cultures traditionnelles africaines sans évoquer la psychologie interculturelle et plus particulièrement l'éthnopsychiatrie est impossible. L'éthnopsychiatrie a été fondé par Tobie Nathan qui a débuté la prise en charge des patients migrants à la fin des années 1970. Selon Lauriane Courbin (2010, p.240)55, « ce qui fait la spécificité de l'ethnopsychiatrie, c'est qu'elle est une discipline qui contraint à la rencontre, parce qu'elle se contraint elle-même à la rencontre, si l'on entend par « rencontre » le type de mise en rapport que requiert la singularité d'une situation ». Cependant, ce courant est sujet à des critiques par rapport aux méthodes utilisées. L'éthnopsychiatrie est alors un courant hybride entre l'anthropologie et la psychiatrie afin de répondre aux problématiques des personnes ayant évolué dans des cultures différentes. En France, selon son fondateur, « l'ethnopsychiatrie s'est avant tout développée de manière clinique et plutôt en direction de la psychothérapie » (Tobie Nathan, 2000, p.137)56.

Tobie Nathan (2000) ne cesse de développer son approche et continue de développer de nouveaux paradigmes comme il l'explique dans son article. Il cherche alors à prendre de la distance avec les démarches néo-colonialistes et se base sur la mondialisation afin de proposer de nouvelles bases théoriques s'articulant sur trois points. Tout d'abord, il ne faut pas disqualifier les psychopathologies locales et les respecter. Puis, il propose de mettre en valeur les implicites théoriques des pratiques traditionnelles. Enfin, le troisième point est l'importance de montrer que ces pratiques locales peuvent elles aussi donner des solutions aux problèmes rencontrés par tous les thérapeutes. Tobie Nathan (2000, p.139) précise tout de même que « cette tentative, certes ambitieuse, n'est possible que si l'on considère sur le même plan - c'est-à-dire avec un égal respect - les thérapeutes occidentaux et les guérisseurs locaux ». Ainsi, l'ethnopsychiatrie a réussi à s'éloigner des modèles coloniaux à travers les expériences originales qu'elle traverse.

Comme nous avons pu le voir, même si la plupart des approches en psychologie ont vu le jour dans les sociétés dites occidentales, il est possible de les adapter à d'autres cultures. Le

55 Courbin, L & al. (2010). « Philosophie et ethnopsychiatrie : rencontre avec une pensée fabricatrice », Cliniques méditerranéennes, 2010/1 (n°81), p.239-258

56 Nathan, T. (2000). « Psychothérapie et politique. Les enjeux théoriques, institutionnels et politiques de l'ethnopsychiatrie », Genèses, 2000/1 (n°38), p.136-159

psychiatre Paul Gandou partage également cet avis. Ce qu'il faut retenir c'est l'importance de rencontrer l'autre, de prendre en compte ses représentations avant les siennes. Cela me rappelle la phrase de Jean Vanier qui avait marqué un bon nombre d'entre nous lors de la formation :

« Tu as toujours voulu me changer mais jamais me rencontrer ».

3. Les politiques de santé publique en termes de santé mentale

Comme nous l'avons vu précédemment, la santé mentale est au coeur des nouvelles préoccupations gouvernementales en termes de santé. Cependant, les troubles mentaux ont longtemps été pris en charge par les médecines traditionnelles et encore aujourd'hui. Comme l'écrit Kastler (2011, p.172) dans son article, « les malade sont souvent considérés comme « possédés » par l'esprit des ancêtres ou agressés par la sorcellerie. Cela entraine des réponses inadaptées et contribue à stigmatiser ceux qui souffrent de maladies mentales. Ce sont les guérisseurs et les dirigeants religieux qui sont ainsi amenés à traiter les maladies mentales en raison de l'influence de la tradition et du manque d'infrastructures adéquates ». Ce dernier point que Kastler (2011) évoque est important et primordial€ dans la compréhension de la prise en charge en santé mentale.

a Basé sur les informations communiquées par 181 Etats Membres bBasé sur les informations communi uées ar 160 Etats Membres

67

Figure 3 : Présence de politiques et de législation de santé mentale, pourcentage d'Etats Membres par Région, OMS

2000

L'OMS (2001) fait un état des lieux de la situation actuelle. De nombreux pays du sud ne disposent pas de politiques de santé mentale, ni même de législation alors que ces dernières sont essentielles afin de protéger les personnes vulnérables. Comme nous pouvons le voir sur les figures, en Afrique, dans 52% des cas, les politiques de santé mentale n'existent pas. Cependant, nous pouvons remarquer que dans 59% des cas, une législation de santé mentale existe dans le pays.

68

De plus, les pays d'Afrique sont confrontés à l'absence de structures et de personnel pour prendre en charge correctement ces malades. En effet, comme le précise Kastler (2011) qui s'appuie sur les chiffres de l'OMS (2001), nous comptons un psychiatre pour 5 millions d'habitants. A comparaison, en Europe, il y a un psychiatre pour 1000 personnes. La République du Congo n'est pas la dernière du classement mais est loin des standards européens. Dans tout le pays qui compte 4 millions d'habitants, il y a quatre psychiatres. Deux d'entre eux officient au Centre Hospitalier Universitaire de Brazzaville, dont le docteur Paul Gandou que j'ai eu l'occasion de rencontrer à plusieurs reprises ; un psychiatre intervient à l'hôpital militaire de Brazzaville ; un psychiatre à Pointe-Noire (capitale économique du pays). Il y a aussi un psychiatre retraité qui officie en libéral pour soulager les services psychiatriques surchargés lorsque cela est nécessaire. Tous ces psychiatres ont été formés à l'étranger avant de revenir pratiquer au Congo puisque l'université Marien N'Gouabi ne propose pas le cursus adapté. Cela met en avant la première faiblesse du système : la formation des professionnels de santé spécialisés en santé mentale. Afin de répondre aux besoins des populations il semble essentiel de renforcer la formation du personnel pour mieux prendre en charge les malades.

Sarah Sauneron (2011)57 consacre un article à un phénomène important en Afrique : la fuite des cerveaux. Chen et ses collaborateurs (2004)58 estime qu'il manque 4 millions de professionnels médicaux dans les pays les plus pauvres. Ce constat est le même quelques années plus tard. L'OMS (2006)59 évoque une situation extrêmement préoccupante avec 57 pays en manque important de personnel de santé, dont de nombreux en Afrique. Cela est d'autant plus inquiétant que l'OMS (2006) évalue que 20% des personnes malades se trouvent en Afrique, alors que ce continent ne compte seulement que 4% des agents de santé. Il existe donc bel et bien une pénurie de personnel médical dans les différents pays qui peut être expliquée par plusieurs facteurs. Sauneron (2011) différencie les facteurs de départ et les facteurs d'attraction pour expliquer ce phénomène important. Les facteurs de départ sont donc ceux qui motivent les professionnels à quitter leur pays afin d'émigrer dans un nouveau, ce sont des facteurs propres au pays. Les plus récurrents sont les conditions de travail et les

57 Sauneron, S. (2011). « La migration des médecins africains vers les pays développés ». Santé internationale : Les enjeux de santeì au Sud. Paris : Presses de Science Po, 207-213

58 Chen, L. & all. (2004). « Human ressources for health: overcoming the crisis », The Lancet, 364 (9449), p.1984-1990

59 Organisation Mondiale de la Santé Mentale (2006). Travailler ensemble pour la santé. Rapport sur la santé dans le monde. Bibliothèque de l'OMS

69

difficultés rencontrées, l'instabilité politique et économique du pays et enfin l'absence de valorisation. En revanche, les facteurs d'attraction sont liés au pays d'accueil et à ce qu'il offre de meilleur, comme un salaire plus attrayant, des meilleures conditions d'éducation pour les enfants de la famille ou encore des possibilités de promotion professionnelle. Ces facteurs associés il est tout à fait possible de comprendre la décision des médecins d'émigrer vers d'autres pays.

Afin d'éviter la fuite des cerveaux, plusieurs solutions sont possibles. Les organisations internationales s'accordent sur la nécessité d'agir de manière coordonnée et rapidement. L'une des premières solutions envisagées est de financer les pays africains formateurs afin de favoriser l'éducation, mais également pour compenser le manque à gagner de ces départs. La seconde action est d'instaurer des codes de recrutement éthiques étant donné que certains pays mènent des politiques de recrutements qui poussent à l'émigration de ces médecins africains. Il existe donc huit documents internationaux pour encourager le recrutement international éthique de personnel de santé. Ces textes sont intéressants mais ils n'ont qu'une marge d'action limitée car ils ne sont pas obligatoires. Enfin, une autre solution possible est la mise en place de mesures de restriction (services obligatoires, etc.) dans les pays à forte émigration. Tout cela étant très compliqué, les institutions internationales mettent en avant la migration circulaire. Cette migration consiste à voir les médecins revenir au pays après leur formation. Ainsi, « l'objectif n'est donc pas d'empêcher la circulation entre le Nord et le Sud mais bien d'inciter les médecins à revenir dans leurs pays » (Sauneron, 2011, 210).

Il faut donc améliorer plusieurs dimensions afin de voir la fuite des cerveaux ralentir. Travailler sur les politiques de recrutements est essentiel, mais il est également important d'essayer de réduire les facteurs de départ afin d'inciter les médecins à rester dans leur pays d'origine.

Au Congo-Brazzaville, il y a de plus en plus de psychologues, et plus particulièrement de psychologues cliniciens. En effet, l'université Marien N'Gouabi forme des psychologues généraux depuis les années 1980 et a ajouté à son offre de formation la psychologie clinique depuis plusieurs années. Le métier est petit à petit en train de se démocratiser et de faire sa place dans la société. Cependant, il est encore très rare de trouver des cabinets libéraux ouverts au public. Les psychologues formés ont longtemps essentiellement travaillé dans les administrations, comme c'était le cas pour Monsieur Raymond Sita rencontré en entretien. Depuis peu, les psychologues font leur entrée dans les services des hôpitaux du pays. Il y a donc désormais une psychologue dans le service psychiatrique qui travaille au côté des deux

70

psychiatres. Egalement il y a des psychologues dans les services de neurologie et de cardiologie afin de prendre en charge le stress. Beaucoup d'entre eux sont également engagés par les ONG internationale (Terre Sans Frontière, Croix Rouge Française, etc.) afin d'intervenir sur les programmes spécialisés comme la prise en charge des personnes vivant avec le VIH ou des réfugiés au nord du pays par exemple.

Au cours de mon expérience au Congo, j'ai eu l'occasion d'assister à la première journée de la « Psychologie et de la Santé Publique » le 12 mai 2016. Cette journée a été organisée à l'initiative du département de la psychologie et du département de la santé publique de l'université Marien N'Gouabi de Brazzaville. Le thème principal, « Pathologie Psychosomatique et Psychotraumatique » a donné lieu à plusieurs conférences. Son objectif principal a été de créer du lien entre ces deux départements et le CHU de Brazzaville qui a accueilli cet événement. Le partenariat avec le CHU est essentiel car il y a une demande pour la présence des psychologues au sein des différents services. Ce qui créerait un lieu ou les étudiants pourraient effectuer leurs stages universitaires et pratiquent pour la première fois encadrés par un tuteur. La salle était pleine à craquer. Des médecins, des psychiatres, des psychologues et de nombreux étudiants ont assisté à des conférences plus intéressantes les unes que les autres. En plus des conférences, des débats se sont tenus afin d'évoquer les problèmes de législation inexistante au Congo-Brazzaville, et l'absence de déontologie. La fin de journée a été consacrée à la création d'un code de déontologie afin de mieux définir la pratique des psychologues.

Selon le docteur Paul Gandou, le plus gros problème à Brazzaville c'est que tout le monde fait ses choses dans son coin, qu'il n'y a pas de communication entre les différentes institutions. Les ONG travaillent dans leur coin, le système judiciaire aussi et fait appel aux psychiatres lorsqu'ils en ont besoin. Les psychologues font de même et travaillent là où ils le peuvent.

Un autre problème est la présence de personnes non qualifiées à la tête de certains gouvernements, comme celui qui prend en charge la problématique de la santé mentale. Depuis son investiture à la tête du ministère de la santé mentale, ce ministre n'a encore jamais mis les pieds dans le service de psychiatrie de la ville. Et comme le souligne Dr Gandou, si le ministre ne se déplace pas dans le lieu de référence de la prise en charge de la maladie mentale, les réformes ne vont pas pouvoir se faire, ou du moins seront inadaptées. Comme il n'y a pas de politiques existantes sur la santé mentale, il ne peut pas y avoir de moyens attribués et donc il est impossible de faire la promotion de la santé mentale et de ses

71

problématiques. Il est donc difficile pour les individus d'avoir accès à l'information et donc au soin psychiatrique si nécessaire.

De plus, étant donné que le service de psychiatrie est rattaché au CHU de la ville, ils n'ont qu'une très faible liberté de mouvement sur certains choix importants (budget, aménagement, etc.). Le CHU prend en charge le service de psychiatrie comme un autre service, ce qui n'est pas adapté à la demande réelle.

Cette journée montre que les choses sont en train de bouger petit à petit. Que le pays est en train de prendre conscience de l'importance de la prise en charge de la santé mentale et de la nécessité de former son personnel médical. Au fil des années, les lieux de soins des troubles mentaux sont de plus en plus visibles et accessibles aux malades. Ainsi, les réformes sont petit à petit mises en place dans le pays afin de voir une amélioration de la prise en charge de ces malades. Au fil des dernières décennies, des changements ont déjà pu être constatés, ce qui est encourageant pour la suite.

72

Conclusion

Nous voilà à la fin de ce travail qui a pour objectif de répondre à la question suivante :

Quelle place pour la psychologie dans une culture traditionnelle africaine ?

Afin de répondre à cette large question, nous avons réduit notre champ d'étude à la République du Congo, pays dans lequel j'ai passé mon service civique et travaillé au sein des centres de santé intégrés. Le Congo-Brazzaville, comme nous l'avons vu, a une culture traditionnelle africaine. Cette culture est largement empreinte des religions animistes, où les sorciers, les génies et les ancêtres jouent un rôle important au sein de la société.

La psychologie, science d'origine occidentale, est liée à la santé mentale de l'individu. Il a été essentiel de définir la santé mentale au coeur de ce sujet de recherche afin d'en délimiter le cadre. Pour cela nous nous sommes appuyés sur les travaux de l'OMS, précurseur en termes de réflexion autour de la santé mentale. Ainsi depuis une dizaine d'année, la santé mentale est au coeur des préoccupations actuelles dans les organisations internationales.

La société congolaise a la particularité d'offrir plusieurs choix de recours thérapeutiques, et ce d'autant plus avec l'urbanisation du pays au cours des dernières années. L'itinéraire thérapeutique le plus courant dans les années 1980 a servi de squelette au plan de ce travail.

La première partie de ce travail a permis de faire le point sur la réalité congolaise d'un point de vue économique, démographique et politique, afin de mieux cerner les problématiques actuelles présentes dans ce pays.

Nous avons donc consacré la deuxième partie de ce travail à la culture traditionnelle africaine et ses particularités et donc à la médecine traditionnelle qui a longtemps été utilisée et qui encore aujourd'hui a une importance certaine.

La troisième partie de ce travail a porté sur la sphère religieuse, qui a connu une expansion incroyable au cours des dernières décennies et qui joue également un rôle majeur dans la prise en charge des malades au Congo-Brazzaville.

Enfin, la dernière partie a été consacrée à la prise en charge des troubles mentaux par les institutions médicales et psychiatriques présentes dans le pays depuis peu.

La question de base était de savoir si la psychologie, d'origine occidentale, pouvait s'adapter à une culture complètement différente comme les cultures traditionnelles africaines. Pour nombre d'entre nous, la psychologie est avant tout universelle comme nous l'a dit le

73

psychologue congolais Monsieur Raymond Sita rencontré en entretien à Brazzaville. L'être humain, quelque soit son origine, est animé par les mêmes pulsions, les mêmes mécanismes physiologiques et psychologiques. Cependant, il est tout de même marqué par sa culture dans laquelle il évolue depuis sa naissance, et peut-être même avant. La culture joue un rôle important sur la personne, elle le modèle, elle lui inculque les valeurs et les normes qu'il doit intégrer. Comme nous l'avons vu, la culture traditionnelle africaine est particulière, avec ses codes à elle et l'importance de la religion traditionnelle très présente encore de nos jours. De ce fait, beaucoup de symptômes sont directement associés à des phénomènes de sorcellerie.

Malgré tout, les troubles psychiques présents en Afrique ont de nombreux points communs avec ceux de l'occident. Ils ne s'expriment pas tous de la même manière mais les mécanismes sous-jacents sont similaires. De ce fait, les psychologues et psychiatres présents pratiquent donc les théories qu'ils ont apprises lors de leurs études à l'étranger. C'est le cas du psychiatre Paul Gandou et du psychologue Michel N'Zalamou qui pratiquent les thérapies cognitivo comportementales. A travers leurs témoignages, ils m'ont montré la pertinence de ces théories et la possibilité de les mettre en pratique au Congo ainsi que leur efficacité. Chacun des grands courants peut alors trouver une accroche dans les cultures traditionnelles africaines. Ce qui est important c'est de prendre le temps de connaître l'autre, de comprendre son fonctionnement et de prendre en compte ses représentations. Cette notion avait déjà été abordée à la formation de départ Intercordia par Gilles Le Cardinal. Les représentations sont au coeur des relations interculturelles et rejoignent les dogmes théoriques de certains courants de pensée comme l'éthnopsychiatrie.

Il est également nécessaire de prendre le temps. Le temps, pour un psychologue occidental arrivant dans un pays africain pour pratiquer, de découvrir son environnement, de découvrir ses collègues, de découvrir la population et d'essayer de comprendre. Nous l'avons évoqué, le temps en Afrique est très élastique, et c'est le cas pour cette prise de contact. Il ne faut pas trop brusquer les choses afin de favoriser l'alliance thérapeutique. Peut-être est-il préférable de « perdre » un peu de temps au début, afin de construire des bases solides, quitte à ne pas répondre aux demandes d'efficacité des institutions ou des sièges d'ONG se trouvant en occident. J'ai souvent évoqué cette notion de temps dans mes rapports d'étonnement, j'ai également abordé ce temps d'adaptation avec les patients, avec les collègues.

74

J'avais alors cité un passage du célèbre livre d'Antoine de Saint-Exupéry (1943)60 qui à mon sens résume bien l'approche à adopter :

« C'est alors qu'apparut le renard .
· [...]

- Viens jouer avec moi, lui proposa le petit prince. Je suis tellement triste.

- Je ne puis jouer avec toi dit le renard, je ne suis pas apprivoisé.

- Ah ! pardon, fit le petit prince.

Mais après réflexion, il ajouta .
·

- Qu'est ce que signifie "apprivoiser" ?

[...]

- C'est une chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie "créer des liens"... »

A. de Saint-Exupéry, 1943, p. 66-68

La prise en charge de la santé mentale est donc actuellement au coeur des préoccupations dans la communauté internationale et de plus en plus présente en République du Congo. Comme nous l'avons vu précédemment, dans les années 1980, l'itinéraire thérapeutique dominant était :

Apparition des troubles - Consultation du tradithérapeute

Si persistance des troubles - Consultation du pasteur / prêtre

Si persistance des troubles - Consultation du médecin / psychiatre

Les entretiens avec les psychologues et psychiatre rencontrés, ainsi que les analyses et les articles existants, nous a permis de nous rendre compte d'un changement au fil des dernières années. En effet, avec l'expansion des sphères religieuses à la sortie des guerres civiles, ces dernières prennent de plus en plus de place dans la société congolaise.

De ce fait, à l'heure d'aujourd'hui, les personnes qui souffrent de troubles mentaux et leurs familles vont avoir tendance à se diriger en premier vers leurs paroisses afin de consulter le pasteur ou le prêtre. Ce dernier a pour mission de désenvoûter le malade comme nous avons pu le voir. Il existe donc des centres prières qui accueillent les malades, dans des conditions plus ou moins difficiles. Ainsi, aujourd'hui l'itinéraire thérapeutique dominant prend cette forme :

Apparition des troubles - Consultation du pasteur / prêtre

Si persistance des troubles - Consultation du médecin / psychiatre

Si persistance des troubles - Consultation du tradithérapeute

60 de Saint-Exupéry, A. (1943). Le Petit Prince. Paris : Gallimard

75

Cette recherche nous permet de voir que la psychologie a une place cohérente au sein des cultures traditionnelle africaine, et plus particulière en République du Congo. Elle est de plus en plus utilisée par les ONG internationales au sein de différents programmes d'aide aux populations vulnérables suite à conflits armées, aux catastrophes naturelles, aux difficultés économiques. Mais également de plus en plus présente au sein des pays. Le Congo-Brazzaville propose dorénavant une formation universitaire afin de diplômer des psychologues cliniciens. Cependant, des efforts sont encore à fournir, au niveau de la qualité de la formation mais également de la communication entre les différentes institutions afin de sensibiliser la population aux problématiques de santé mentale.

Pour cela, le gouvernement doit prendre part aux réformes, doit s'investir et investir dans cette dimension de la santé. Il doit donner les moyens aux acteurs pour prendre en charge correctement les malades.

Le psychiatre Paul Gandou est confiant, les choses vont s'améliorer et l'itinéraire thérapeutique va encore se modifier en faveur des institutions psychiatriques. Il devrait alors prendre la forme suivante :

Apparition des troubles - Consultation du médecin / psychiatre Si persistance des troubles - Consultation du pasteur / prêtre Si persistance des troubles - Consultation du tradithérapeute

Cela ne veut pas dire que la population locale abandonne son identité, sa culture, ce qu'elle est, et ce d'autant plus que la psychologie et la psychiatrie respecte cette dimension traditionnelle. Elles s'adaptent aux représentations collectives, aux représentations individuelles de chaque patient. Il est essentiel que chaque pratique réponde à une certaine éthique enseignée. C'est également pour cette raison qu'il est essentiel que le domaine de la santé mental soit régi par une législation et un code de déontologie afin de prévenir les excès. Comme nous l'avons vu, des premiers textes ont été écrits pour une législation de la santé mentale par l'OMS (2005) et des actions naissent petit à petit au sein des pays comme c'est le cas au Congo-Brazzaville avec l'organisation de la première journée de « Psychologie et de Santé Publique ».

Il y a donc quelque chose qui se met en mouvement, petit à petit, des mesures qui favorisent le développement des institutions psychiatriques afin de prendre en charge les

76

personnes atteintes de troubles mentaux. La République du Congo est un pays qui s'est enrichi grâce au pétrole et qui possède actuellement un PIB important. C'est donc un pays qui a les moyens de mettre en place des réformes, de construire des centres de prise en charge répondant aux critères européens, de fournir les psychotropes nécessaire. Mais c'est également une société qui fonctionne à deux vitesses. En effet, d'un côté nous avons la population favorisée, proche des ministères la plupart du temps et qui possèdent une grosse partie du pays. De l'autre, une population qui rencontre de nombreuses difficultés pour se nourrir, se vêtir, se déplacer et également se soigner. La classe moyenne n'existe pas réellement au Congo. Etant donné l'existence d'un lien de causalité entre la pauvreté et les troubles mentaux, c'est également cette classe de la population qui a besoin d'être sensibilisée aux problématiques de santé mentale, d'avoir accès aux soins psychiatriques si nécessaire et également aux psychotropes.

La question est donc maintenant de savoir si le gouvernement va prendre ses responsabilités et s'investir réellement pour améliorer le service de prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux ?

BIBLIOGRAPHIE

I. Ouvrages

· Augé, M. (1974). « Les croyances à la sorcellerie », La construction du monde. Paris : F. Maspero, p.52-73

· Balique, H. (2011). « Le défi de la santé en Afrique subsaharienne et ses perspectives ». Santé internationale : Les enjeux de santé au Sud. Paris : Presses de Science Po, 29-50

· Bidima, J-G. (1997). La palabre. Une juridiction de la parole. Paris : Editions Michalon

· Cuche, D. (2010). La notion de culture dans les sciences sociales. Paris : La Découverte

· Durkheim, E. (1968). Les formes élémentaires de la vie religieuse. Paris : Presses Universitaires de France

· Janzen, J.-M. (1995). La quête de la thérapie au Bas-Zaïre. Paris : Karthala

· Jordelet, D. (2003). « Représentation sociale : phénomènes, concept et théorie », Serge Moscovici - Psychologie sociale. Paris : Presses Universitaires Françaises, « Quadriges », p.357-378

· Kapuoeciñski, R. (1998). Ebène. Aventures Africaine. Librairie Plon

· Kastler, F. (2011). « La santé mentale en Afrique : un défi oublié ou une réponse institutionnelle inadaptée ? ». Santé internationale : Les enjeux de santé au Sud. Paris : Presses de Science Po, 169-177

· Mbodj, G. (1988). « Modèle(s) théorique(s) et développement de la personne chez les Wolofs du Sénégal ». Regards sur la personne. Toulouse : Presses Universitaires du Mirail

· Moingeon, M. (1996). Le Dictionnaire du Français - 60 000 Mots. Paris : Hachette

· Moukouta, C.S. (2005). Maladie mentale : itinéraires thérapeutiques au Congo. Paris : Paari

· de Saint-Exupéry, A. (1943). Le Petit Prince. Paris : Gallimard

· Santedi Kinkupu, L. (2003). Dogme et inculturation en Afrique. Paris : Karthala

· Sauneron, S. (2011). « La migration des médecins africains vers les pays développés ». Santé internationale : Les enjeux de santé au Sud. Paris : Presses de Science Po, 207-213

· Sow, A. & all. (1977). Introduction à la culture africaine - Aspects généraux. Unesco

· Tsokini, D. (2008). Psychologie clinique et santé au Congo. Paris : L'Harmattan

· Tylor, E. (1871). La civilisation primitive. Paris : Reinwald

II. Articles, notes de recherche et études 1. Articles de revues scientifiques

· Aguessy, H. (1970). « A propos du Colloque sur "Les religions traditionnelles comme source de valeurs de civilisation" ». Présence Africaine, 1970/2 (n°74), p.90-93

· Bankounda, F. (2001). « Congo-Brazzaville. Une septième Constitution pour quoi faire ? ». Politique africaine 2001/1 (n° 81), p.163-170

· Bat, J-P. (2014). « Les Eglises de réveil au Congo-Brazzaville », Afrique contemporaine, 2014/4 (n°252), p.145-146

· Bergamaschi, A. (2011). « Attitudes et représentations sociales. Les adolescents français et italiens face à la diversité », Revue européenne des sciences sociales, 49-2, p.93-122

· Biadi-Imhof, A. (2006). « La santé mentale dans le rapport nord-sud. Présentation : contexte et enjeux », Revue Tiers Monde, 2006/3 (n°187), p.485-508

· Carrino, L. (2006). « Santé mentale, coopération et développement, au delà des techniques d'importation dans l'aide humanitaire : l'expérience du Prodere », Revue Tiers Monde, 2006/3, (n°187), p.509-525

· Chen, L. & all. (2004). « Human ressources for health: overcoming the crisis », The Lancet, 364 (9449), p.1984-1990

· Courbin, L & al. (2010). « Philosophie et ethnopsychiatrie : rencontre avec une pensée fabricatrice », Cliniques méditerranéennes, 2010/1 (n°81), p.239-258

· Denis, P. (2004). « Chrétiennes et africaines. Le dilemme d'un groupe de femmes sud-africaines », Revue théologique de Louvain, (n°1), p.54-74

· Denis, P. (2007). « La montée de la religion traditionnelle africiane dans l'Afrique du Sud démocratique ». Histoire et missions chrétiennes, (n°3), p.121-135

· Dorier-Apprill, E., Ziavoula, R. (2005). « La diffusion de la culture évangélique en Afrique centrale. Théologie, éthique et réseaux », Hérodote, 2005/4 (N°119), p.129-156

· Durkheim, E. (1913). « Note sur la notion de civilisation », Journal sociologique, Paris : PUF, p.681-685

· Guéguen, N. & all. (2005). « Le prénom : un élément de l'identité participant à l'évaluation de soi et d'autrui ». Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2005/1 (n°65), p.3344

· Lamboy, B. (2005). « La santé mentale : état des lieux et problématique », Santé Publique, 2005/4 (vol.17), p.583-596

· Lévi-Strauss, C (1968). « Introduction à l'oeuvre de Marcel Mauss », in Mauss Marcel, Sociologie et Antrhopologie. Paris : Presses Universitaires de France

· Marcellini, A., Turpin, J.-P., Rolland, Y., Ruffié, S. (2000). « Itinéraires thérapeutiques dans la société contemporaine ». Corps et culture. [En ligne], Numéro 5 | 2000, mis en ligne le 24 septembre 2007, Consulté le 13 juillet 2016. URL : http://corpsetculture.revues.org/710

· M'Boukou, S. (2007). « Trajectoires du soin en Afrique », Le Portique. [En ligne], 4-2007 | Soin et éducation (II), mis en ligne le 14 juin 2007, consulté le 04 août 2016. URL : http://leportique.revues.org/944

· Mboussou, M. & all. (2009). « Religion et psychopathologie africaine », L'information psychiatrique, 2009/8 (volume 85), p.769-774

· Nathan, T. (2000). « Psychothérapie et politique. Les enjeux théoriques, institutionnels et politiques de l'ethnopsychiatrie », Genèses, 2000/1 (n°38), p.136-159

· Offroy, J-G. (2001). « Prénom et identité sociale. Du projet social et familial au projet parental ». Spirale, 2001/3 (n°19), p.83-99

· Tabard, R. (2010). « Religions et cultures traditionnelles africaines ». Revue des sciences religieuses, 84 (n°2), p.191-205

· Tchindjang, M., Bopda, A., Ngamgne, L.A. (2008). « Langues et identités culturelles en Afrique. Museum International (Edition Française). Unesco

· Vytgosky, L. (1978). Interaction between learning and development, Mind and Society. Cambridge, MA: Harvard University Press, p.79-91

2. Articles de revues de presse

· Carey, B. (2015, 12 octobre). « The Chains of Mental Illness in West Africa », The New York Times, p.A1

· Fédération Protestante de France (2009, 14 octobre). « Cent ans de protestantisme au Congo-Brazzaville ». [En ligne] mis en ligne le 14 octobre 2009, Consulté le 22 août 2016. URL : http://www.protestants.org/index.php?id=23&tx_ttnews%5Btt_news%5D=300&tx_ttnews%5 Byear%5D=2009&tx ttnews%5Bmonth%5D=10&cHash=5c81605c3b

III. Colloques et rapports d'étude

· Centre National de la Statistique et des Études Économiques (CNSEE) [Congo] et ICF International (2013). Enquête Démographique et de Santé du Congo (EDSC-II) 2011-2012. Calverton, Maryland, USA : CNSEE et ICF International

· Lallemant, M., Jourdain, G., Gruenais, M-E. (1987-1988). Itinéraires et prises en charge thérapeutique à Brazzaville : La logique des choix. Brazzaville, République Populaire du Congo : Ministère des affaires sociales et de la solidarité internationale (mission recherche expérimentation-Mire) et ORSTOM Institut Français de Recherche Scientifique pour le Développement en Coopération

IV. Thèses et mémoires

· Sene, A. Les structures anthropologiques de l'imaginaire en Afrique Noire Traditionnelle ; Ou vers une archétypologie des concepts de pratiques rituelles et de représentations sociales. Thèse de doctorat de 3ème cycle, Université Pierre Mendès-France Grenoble II (France) : 2004

V. Textes gouvernementaux et d'organisations internationales

· Programme des Nations Unies pour le Développement (juin 2012). Etude sur la vulnérabilité de l'économie congolaise et ses perspectives de diversification. Brazzaville, République du Congo

· Programme des Nations Unies pour le Développement (2013). A propos de la République du Congo. Brazzaville, République du Congo

VI. Textes d'Organisations Non Gouvernementales (ONG)

· Fédération Mondiale de la Santé Mentale (2009). La Santé mentale en soins primaire : améliorer le traitement et promouvoir la santé mentale. Bibliothèque de la FMSM

· Organisation Mondiale de la Santé (2001). Rapport sur la santé dans le monde 2001 - La santé mentale : nouvelle conception, nouveaux espoirs. Bibliothèque de l'OMS

· Organisation Mondiale de la Santé Mentale (2005). Ouvrage de référence sur la santé mentale, les droits de l'homme et la législation. Bibliothèque de l'OMS

· Organisation Mondiale de la Santé Mentale (2006). Travailler ensemble pour la santé. Rapport sur la santé dans le monde. Bibliothèque de l'OMS

VII. Autres documents

· Duclos, A. (2012). Les enchaînés. Reportage photo, Côte d'Ivoire. http://www.alexisduclos.com/

· The World Factbook (2013-14). Washington, DC: Central Intelligence Agency, 2013

· World Bank (2012). Congo, Republic of - Country partnership strategy for the period FY13-FY16. Washington, DC: World Bank






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo