WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le conflit de 2012 et la détonation malienne. Les ressorts de la crise.

( Télécharger le fichier original )
par Myriam ARFAOUI
Université Lyon 3 Jean Moulin - Master 2 Sciences Politiques : Relations Internationales et Diplomatie. 2015
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

    ARFAOUI, Myriam. N° d'étudiant : 9146881 Myrm.arfaoui@gmail.com

    Le conflit de 2012 et la détonation

    malienne : les ressorts de la crise.

    Permanence et perméabilité de l'espace sahélo-saharien

    Sous la direction de :
    M. Olivier ZAJEC

    Master 2 Mention Science Politique - Relations Internationales, Parcours Diplomatie.
    Université Jean Moulin Lyon 3.
    Année universitaire 2014-2015.

    Nous tenons à présenter notre reconnaissance, nos remerciements, et notre gratitude la plus sincère à,

    Monsieur Olivier Zajec, pour ses conseils, sa disponibilité, et son accompagnement tout au long de ce travail de recherche,

    Madame Martine Cuttier, pour son aide précieuse, ses conseils avisés sur les problématiques africaines, sa présence et son accompagnement dans l'élaboration de notre projet de recherche, Monsieur Gregor Mathias, pour sa disponibilité, ses conseils bibliographiques, et son aide dans la définition de notre cadre d'analyse,

    Monsieur Mathieu Guidère, pour sa disponibilité, ses conseils bibliographiques, et ses informations de recherche sur le monde arabe, et la conflictualité sahélo-saharienne,

    Toutes les personnes qui ont participé de prés ou de loin à ce travail, par les informations, les conseils, et les discussions partagées,

    Nos amis, notre famille, pour leur soutien personnel.

    Sommaire

    Première Partie - Le conflit malien dans son milieu : Les inerties physiques de l'espace sahélo-saharien.

    I. Géographie de l'espace sahélo-saharien : des hommes en bleu dans une tâche blanche quadrillée.

    II. Les ressources de l'espace sahélo-saharien : mutations d'une terre d'échange dans la mondialisation.

    Deuxième Partie - Le conflit malien dans son contexte : les inerties humaines de l'espace sahélo-saharien.

    I. Les structures sociales ante-étatiques : le poids historique des ethnies au Mali.

    II. Les islams en Afrique : de la conquête arabe aux djihads précoloniaux.

    III. Islam et modernité : des temporalités en concurrence

    Troisième Partie - Le conflit malien en action : La déflagration des tensions sahélo-sahariennes.

    I. Al-Qaïda et AQMI : des menaces glocalisées.

    II. 2012, le détonateur malien.

    Sigles et Acronymes

    ADC Alliance Démocratique pour le Changement

    AIS Armée Islamique du Salut

    ANP Armée Nationale Populaire

    AQMI Al-Qaïda au Maghreb Islamique

    ARLA Armée Révolutionnaire pour la Libération

    de l'Azawad

    ATNMC Alliance Touareg du Nord Mali pour le

    Changement

    AUREP Autorité pour la Promotion de la Recherche

    Pétrolière

    CEDEAO Communauté Economique des Etats

    d'Afrique de l'Ouest

    CNPC China National Petroleum Corporation

    CSAO Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest

    FIS Front Islamique du Salut

    GIA Groupe Islamique Armé

    GRIP Groupe de Recherche et d'Information sur

    la Paix et la Sécurité

    GSPC Groupe Salafiste pour la Prédication et le

    Combat

    HCUA Haut Conseil pour l'Unité de l'Azawad

    MAA Mouvement Arabe de l'Azawad

    MIA Mouvement Islamique de l'Azawad

    MISMA Mission Internationale de Soutien au Mali

    MNA Mouvement National de l'Azawad

    MNLA Mouvement National de Libération de

    l'Azawad

    MPA Mouvement Populaire de l'Azawad

    MUJAO Mouvement pour l'Unicité et le Jihad en

    Afrique de l'Ouest

    OCRS Organisation Commune des Régions

    Sahariennes

    ONU Organisation des Nations Unies

    OPEP Organisation des Pays Exportateur de

    Pétrole

    OUA Organisation de l'Unité Africaine

    SONATRACH Société Nationale de Transport et de

    Commercialisation des Hydrocarbures

    UA Union Africaine

    UE Union Européenne

    UNESCO Organisation des Nations Unies pour

    l'Education, la Science, et la Culture

    Le conflit de 2012 et la détonation malienne : les ressorts de la

    crise.

    Permanence et perméabilité de l'espace sahélo-saharien

    1

    INTRODUCTION GENERALE

    « Le Mali est le concentré explosif des maux d'une zone aussi immense que grise, qui va de l'Atlantique à l'océan Indien et où les trafics alimentent aussi bien les extrémistes islamistes d'al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), que les mouvements de guérilla touareg et l'état-major d'une armée gangrenée par la corruption.» 1

    Conflit unique, mais pas unitaire, le Mali est la résultante de plusieurs variables d'insécurité réactives du temps long, momentanément combinées et proactives. Diffus dans la mondialisation, les acteurs criminels et belligènes trouvent dans la rupture politique malienne, l'opportunité de se concentrer, a fortiori de se territorialiser. Ainsi, ils s'extrapolent de la conflictualité, latente, médiate, fluide, pour se matérialiser dans un conflit concret, direct, présent. Evoluant comme des éléments parasites dépendant du contexte d'instabilité, ils répondent en amont d'intérêts particuliers à échelles variables : contrôle des routes du trafic et de la criminalité, islamismes, irrédentismes, défaillance étatique. Imbriquées, ces tendances détonnent en un conflit structuré par son temps, les flux et mouvements de la mondialisation ; mais profondément acquis aux impératifs géopolitiques classiques : les enjeux de pouvoir sur les territoires.

    La rébellion qui éclate au nord-Mali en 2012 est dans la continuité des mouvements autonomistes et indépendantistes touareg qui agitent épisodiquement le pays depuis son indépendance2. La crise libyenne de 2011 modifie les rapports de force et crée une opportunité d'action : les Touareg, engagés dans les légions de Mouammar Kadhafi, retournent dans leur pays d'origine, après avoir pioché dans son arsenal militaire3. Le

    1AYAD, Christophe, « Au coeur du Sahel sous tension, la poudrière malienne », Le Monde Afrique, [En Ligne], mars 2012

    URL : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/03/28/au-coeur-du-sahel-sous-tension-la-poudriere-
    malienne_1676354_3212.html#Zs1E9FFBOATkAb7H.9

    2CHÂTELOT, Christophe, « Les trois plaies du Mali », Le Monde Bilan Géostratégique, Edition 2013, p.15 3« De plus, ces derniers mois, le retour de Libye de milliers de combattants - en majorité touaregs-, la prolifération d'armes et l'explosion des trafics de cocaïne ou de cigarettes ont achevé de propager une guerre larvée dans le sud de l'Algérie, dans le nord du Mali, dans le nord du Niger ainsi que dans une partie de la Mauritanie. », LEYMARIE, Philippe, « Comment le Sahel est devenu une poudrière », Le Monde Diplomatique, [En Ligne], avril 2012

    URL : http://www.monde-diplomatique.fr/2012/04/LEYMARIE/47605

    2

    Mouvement National de Libération de l'Azawad (MNLA), composé de ces mercenaires, revendique l'indépendance de l'Azawad, une vaste région saharienne composée notamment des villes de Gao, de Kidal, et de Tombouctou. Le 17 janvier 2012, une attaque sur Ménaka acte le départ de la rébellion ; elle est suivie par « plusieurs semaines d'actions victorieuses contre des garnisons de l'armée malienne, dont la prise de la base de Tessalit, le 11 mars »4. Le manque de pro activité des autorités politiques, et les faiblesses institutionnelles de l'Etat font le lit, parallèlement, d'une nouvelle insurrection armée menée par Amadou Haya Sanogo5. Le président Amadou Toumani Touré est destitué - ce temps mort sécuritaire rouvre une plaie gangrénée, dans laquelle les fluides de la conflictualité métastasée s'écoulent. La profusion de groupes armés non étatiques criminels ou salafistes délogent le MNLA qui avait déclaré unilatéralement l'indépendance de l'Azawad6.

    L'instabilité politique poussée à son paroxysme laisse alors se concentrer dans le nord du pays une boule belligène confuse construite par l'interaction des mouvements profonds du temps long, et des dynamiques contextuelles du court terme. Cette dialectique entre le médiat et l'immédiat permet l'hybridation d'un conflit qui nécessite d'être disséqué et analysé à toutes ses échelles d'expression - à tous ses temps d'explication. Dès lors, la question centrale interroge les variables de long termes, moyens termes, et conjoncturelles qui conduisent à cette déflagration. Le conflit de l'Azawad est l'expression de motivations géopolitiques antagonistes, momentanément et opportunément croisées en un même espace-temps. Quelles sont alors les ressorts, les sources, les mouvements à l'origine de ce conflit ?

    Le concept de Sahel-Sahara marque une rupture avec le temps où le Maghreb était considéré comme séparé du Sahel7. Il est devenu « le nom générique de l'ensemble constitué du Sahel et du Sahara, de l'Atlantique à l'océan Indien »8. En l'espèce, le conflit de l'Azawad s'inscrit dans les dynamiques régionales du Sahara central - principalement, dans leurs activités entre le sud saharien de l'Algérie et le nord sahélien du Mali.

    4CHÂTELOT, Christophe, « Les trois plaies du Mali », op. cit.

    5Ibid.

    6« Déclaration d'indépendance de l'Azawad », Mouvement National de Libération de l'Azawad, [En Ligne], 6

    avril 2012

    URL : http://www.mnlamov.net/component/content/article.html?id=169:declaration-dindependance-de-lazawad

    7OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, Cahiers de l'Afrique de

    l'Ouest, Editions OCDE, p.218

    URL : http://dx.doi.org/10.1787/9789264222335-fr

    8Ibid.

    3

    Le Sahel-Sahara est composé du plus grand désert de sable et de son rivage, zone de transition entre le monde arabo-berbère et le monde soudanien. L'aridité est sa composante essentielle - ainsi, il se différencie de l'oekoumène, et se déploie comme espace de transition, de circulation, et non de fixation. Ses dispositions physiques conditionnent les modes de vie, mais également les modes de perception des populations qui le traversent. Fondé sur une représentation nomade, l'espace est vaste, ouvert, jalonné d'oasis dispersées comme les hubs d'un immense réseau d'interactions humaines. La colonisation, et les indépendances des années 1960, modifient cette culture en imposant un modèle sédentaire de représentation de l'espace : des frontières marginales quadrillent le désert, qui est intégré par morceau à des Etats nouveaux. Au-delà, c'est l'essence même du déplacement nomade qui est transformé : la motorisation condense l'espace temps, et les mouvements sont en principe soumis aux législations politiques.

    Dès lors, deux cartes complémentaires, ou concurrentes, se superposent. L'une découpe le désert en Etats acquis à une perception réaliste de leurs intérêts ; l'espace est a priori fixe, les frontières limitent et séparent différentes aires géographiques9. L'autre dresse le portrait d'un désert traditionnellement ouvert, structuré par le mouvement, les routes, et les liens sociaux qui le dynamisent. L'espace est mobile - le désert est une mer de sable intérieur qui relie, plus qu'elle ne sépare, les différents points d'ancrage humain. Les oasis, villes du désert, sont construites non pas sur les points d'eaux, mais au croisement des routes commerciales sahariennes. Ainsi, les lieux se déplacent, suivent les flux et les rencontres instantanées10.

    L'importation d'un système encore mal adapté aux réalités locales, perturbe le développement politique, économique, et social des Etats sahéliens. Si bien qu'ils peinent, majoritairement, à assurer une intégration homogène sur l'ensemble de leur territoire. Les indépendances ont poussé les gouvernements à désenclaver leurs zones sahariennes par des politiques d'aménagement du territoire - or l'instabilité malienne n'a pas permis l'aboutissement complet de cet effort. Dès lors, si le désert est quadrillé, il l'est en pointillé : les frontières sont poreuses, permettant aux populations de réinvestir l'espace mobile. Au-delà, la mondialisation et les effets de ce paradigme replacent le Sahel-Sahara dans son contexte traditionnel : les flux et les liens personnels comme infrastructure essentielle du désert.

    9OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit.

    10RETAILLE, Denis, « Conflit au Sahel : l'explication par la géographie », Thinkovery, enregistrement vidéo, [En Ligne], 5'37

    URL : http://www.thinkovery.com/conflits-au-sahel-lexplication-par-la-geographie

    4

    Les groupes armés non étatiques réinvestissent cet espace mobil - dans la logique des Empire de la route, ils s'appuient sur les réseaux sociaux11 pour contrôler les axes de circulation et de trafic. Ils se déplacent et déplacent avec eux la conflictualité - comme pour les oasis, c'est dans la rencontre des dynamiques belligènes que se construisent les territoires de conflit. Ainsi, il est nécessaire de rompre avec une représentation strictement figée de l'espace, et de l'analyser dans un rapport contradictoire à la mobilité ; « appréhender le Sahara-Sahel par ses mobilités sociales, économiques et spatiales contribue à en rapprocher les deux bords et à réactiver un espace de circulation aujourd'hui segmenté »12.

    L'identité des populations qui composent cet espace est une variable essentielle de son étude. Elle constitue un élément de différenciation entre les groupes humains, et entraîne, de par ses allégeances, des logiques de pouvoir sub étatiques. Le Sahel-Sahara est un espace de jonction, entre un nord arabo-berbère et un sud soudanien. Pour autant, la ligne de fracture à moins attrait aux considérations anthropologiques qu'à l'histoire, encore prégnante, de ces populations. Ainsi, l'identité est à mettre en relation avec l'historicité13 : les nouvelles institutions déplacent la conflictualité sur l'arène politique, entre les descendants « noirs » d'une histoire apophatique construite sur le rejet de l'esclavage et de la domination, et les héritiers nostalgiques d'Empires musulmans conquérants. La concurrence de temporalité est au creux des oppositions et conflits identitaires que l'Etat ne résorbe pas. Ab extra, cette confrontation forme une brèche dans laquelle les mondes rebelles se logent et profitent d'un espace perturbé pour proliférer.

    L'identification, qui renvoie à un mode d'appréhension contextuelle de son appartenance, ne doit pas être confondue avec la notion d'identité. Ainsi, lorsque l'idéologie d'Al-Qaïda s'implante au Sahel-Sahara, elle n'effectue pas la transposition mimétique d'un islam uni. Les particularités religieuses locales ne sont pas supprimées - Al-Qaïda sert de vecteur d'identification contextuelle, sans pour autant éradiquer les tendances locales profondes de l'islam sahélo-saharien14, qui continuent d'influencer l'action et les motivations des groupes armés non étatiques actuels.

    11OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.22 12Ibid.

    13« La thèse de l'extranéité prend peut-être l'exception pour la règle. L'Etat en Afrique et surtout en Asie ne doit pas être tenu a priori pour le simple produit de synthèse de l'épisode colonial. Maintes formations politiques de ces deux continents préexistaient à leur mise en dépendance par l'Occident [...] », BAYART, Jean-François, « L'historicité de l'Etat importé », Les Cahiers du CERI, n°15, [En Ligne], 1996, p.9

    URL : http://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/cahier15.pdf

    14MBAYE, Ravane, « L'islam noir en Afrique », Tiers-Monde, Vol.23, N°92, 1982, p.835

    5

    Cet islam sahélo-saharien est, depuis les conquêtes arabes du VIIème siècle, dans une dynamique constante d'expansion et d'adaptation. Les traditions locales n'ont pas seulement été islamisées ; l'islam a été particularisé par ces traditions locales. Ainsi, le mélange des coutumes crée une sorte d'islam hybride, marqué par les traditions animistes et communautaristes africaines. L'islam africain est une composante de l'identité de cet espace, à l'inverse de l'islam importé du Moyen-Orient - en ce sens, il nécessite d'être analysé selon sa propre grille de lecture.

    L'islamisme est un mot-valise utilisé pour exprimer l'idée d'une confusion entre religion et politique. Or, si pour un occident acquis aux idées des lumières la rationalité fait office de norme, dans les mondes musulmans, l'islam est une totalité, impliquant la soumission dans la vie spirituelle, et dans la vie terrestre15. Dès lors, il est nécessaire d'établir un dialogue entre les paradigmes occidentalo-centrés du politique, et la perception du pouvoir dans l'islam lui-même.

    Les mondes musulmans sont multiples et ne doivent pas être confondus avec les civilisations qui l'ont traversé. Il est donc essentiel de rompre avec l'arabo-centrisme de l'islam, pour appréhender son expression particulière, notamment dans l'espace berbère et africain. Ainsi, de la même manière qu'il existe des islams, il existe des islamismes, qui nécessitent d'être analysés à travers leurs similarités au dogme dominant, importé notamment par Al-Qaïda, et leurs ruptures par rapport à celui-ci, qui fondent leur distanciation et leurs particularités.

    Au-delà, les islamismes semblent être l'expression d'une concurrence de temporalité, et de référant de perception du phénomène. Le terme « islam radical » sous-entend la césure. En ce sens, dans une conception occidentalo-centrée, les islamismes sortent de la normalité, du monde normé, et prônent un retour aux origines du dogme religieux. Il s'agit d'une rupture, et d'une rétroaction. Or, dans une conception musulmane, c'est une continuité qui est exaltée, de Yathrib à aujourd'hui, construite sur le rejet de tout élément exogène importé à l'histoire arabo-musulmane. Pour l'exprimer, les islamismes s'incèrent dans les ruptures du temps modernes, et agissent comme temporalité subsidiaire : là où le calendrier judéo-chrétien est supprimé, le calendrier musulman s'intègre ; là où le monde occidentalo-centré est en 2015, le monde musulman est en 1436. Les islamismes s'inscrivent dans une dialectique de la rupture face à l'histoire du monde occidentalo-centrée, et de la continuité d'une histoire arabo-musulmane subsidiaire et rattrapée. Dès lors, ils peuvent être appréhendés à travers trois

    15Le principe d'unicité de l'islam se traduit dans le premier des cinq piliers par la shahada ; « J'atteste qu'il n'y a pas de divinité en dehors de Dieu et que Muhammad est son prophète ».

    6

    variables, qui forment une sorte de crescendo de la rupture. Les islamismes sont radicaux - ils rompent avec le statu quo, l'ordre dominant établit, et formulent ainsi un rejet à l'égard des formes actuelles du monde. Les islamismes sont salafistes - ils rompent avec les modes de vie occidentaux en adoptant ceux des salafs, les premiers compagnons du prophète. Les islamismes sont djihadistes - ils rompent avec le sens du monde en faisant du conflit un absolu.

    Bien qu'ils fassent front commun sous l'hologramme djihadiste, les acteurs non étatiques du conflit malien répondent de velléités géopolitiques classiques. Cette réalité s'exprime notamment à travers la répartition spatiale des différents groupes armés dans l'Azawad : AQMI à Tombouctou, Ansar Dine à Kidal, Mujao à Gao16. Il semble alors nécessaire de dissiper le nuage de confusion terminologique pour aborder le conflit de manière pragmatique, dans le cadre d'une analyse géopolitique. Cette méthode s'accorde à soulever les mouvements du temps long à l'origine de la conflictualité, et de son excroissance malienne. Dans cet aspect, chacune des variables du conflit est mise en perspective dans le prisme des inerties physiques et humaines : la géographie, et l'identité17. Le Sahel-Sahara est un milieu spécifique qui anime des représentations particulières du monde. Ces conceptions sont intégrées à la matrice réflective des groupes armés non étatiques traditionnellement adaptés au désert, qui le transforment en espace stratégique, notamment pour les trafics de drogues, d'armes, ou de migrations. La revendication Touareg s'exprime dans le leit motiv d'une identité propre et forte, inconciliable avec l'Etat malien défaillant. Cette marque profonde de séparation s'inscrit dans l'histoire d'un Kel Tamasheq étendu, plus proche d'une Afrique berbère que d'une Afrique noire. Les islamismes du Sahel-Sahara sont abordés de l'intérieur, dans leur construction, leur hybridation, et leurs mouvements propres. La mise en valeur de leur histoire sahélo-saharienne permet de rompre avec le mythe d'un mouvement islamiste unifié, et de replacer le conflit dans ses aspects immédiats et concrets.

    Le conflit malien semble être la résultante d'un processus crisogène d'ubiquité temporelle, où des identités humaines fortes s'opposent à la modernité mal acquise d'un Etat sahélien fragile. Dans les fissures de cette confrontation s'installent des éléments

    16CHATELOT, Christophe, « Les trois plaies du Mali », op. cit., p.17 17Ibid., p.60-61

    7

    contestataires et violents exogènes adaptés, ou endogènes amalgamés, qui profitent d'un espace perturbé pour proliférer. La métastase interminable des « istes »18 nécessite de rompre avec toute prénotion susceptible de brouiller la perception réelle du conflit. Al-Qaïda se greffe à la conflictualité régionale et transforme les groupes armés non étatiques. Mais les résistances locales sont telles que les dissidences se multiplient - il existe au Sahel-Sahara une kyrielle de groupes armés non étatiques aux allégeances confuses et souvent conjoncturelles, répondant en réalité d'intérêts et de stratégies personnelles.

    A l'instar des oasis du désert, en quoi le conflit malien est-il un conflit mobile, produit contextuellement par la rupture de la stabilité politique, et la concentration de dynamiques conflictuelles combinées en un même espace-temps ?

    Le conflit malien semble être le produit d'une onde de choc inversée qui va des périphéries vers un centre de gravité mobile. Une fois l'enveloppe du djihad global percée, il se révèle être la concentration opportune de plusieurs dynamiques belligènes, qui s'analysent essentiellement en termes géopolitiques. Il ne doit, donc pas être appréhendé de manière unitaire, mais disséqué, afin de mettre en exergue ses ressources profondes et comprendre les inerties qui conditionnent ses trajectoires aujourd'hui.

    Le désert qui compose le Sahel-Sahara conditionne des modes de vies nomades qui, à travers leurs propres schémas de représentation, structurent un espace mobile19. Les routes millénaires sont réinvesties par les trafics illicites transnationaux intégrant l'Afrique à la mondialisation20 (Première Partie). Les identités du Sahel-Sahara au passé glorieux, ne sont pas fondamentalement perturbées par l'Etat. A l'inverse, leur espace de friction se déplace et s'installe dans la défaillance des institutions de l'Etat (Deuxième Partie). Conformément à sa

    18« D'où aujourd'hui la métastase interminable des « istes » : l'islamiste n'est pas l'intégriste, lequel n'est pas le fondamentaliste, qui n'est pas salafiste, qui n'est pas forcément le djihadiste, lequel n'est pas toujours un terroriste ... Même si elle traduit une vague réalité, cette division cellulaire entraîne la confusion totale dans l'esprit de l'observé comme dans celui de l'observateur, ce qui rend la restitution des sens premiers une tâche urgente et salutaire. », AMIR-ASLANI , Ardavan, « Islam-Islamisme, quelle différence ? », Huffington Post, [En Ligne], avril 2013

    URL : http://www.huffingtonpost.fr/ardavan-amiraslani/difference-islam-islamisme_b_3108641.html

    19RETAILLE, Denis, « L'espace nomade », in Revue de Géographie de Lyon, Vol. 73, N°73-1, 1998, pp.71-82 20SIMON, Julien, « Le Sahel comme espace de transit des stupéfiants. Acteurs et conséquences politiques. », Hérodote, n°142, 2011/3, p.126

    8

    stratégie de territorialisation21, le djihadisme global d'Al-Qaïda s'est imposé au Sahel-Sahara. Il transforme les groupes armés non étatiques locaux, mais ne les assimile pas intégralement. Et, ce paradigme agit en l'espèce, comme un fluide catalyseur de la conflictualité locale. Il modifie la perception et la polarité du conflit qu'il englobe, sans pour autant supprimer les enjeux prégnants de pouvoir sur les territoires (Troisième Partie).

    21COURMONT, Barthélémy, L'après Ben Laden, l'ennemi sans visage, Paris, François Bourrin Editeur, 2001, p.90

    Première Partie - Le conflit malien dans son milieu : les inerties physiques de l'espace sahélo-saharien.

    La description de l'espace, de ses caractéristiques physiques et humaines, met en exergue le socle d'une conflictualité en gestation, réactivée par le rapport entre inertie et immédiateté; « Ces inerties - conditionnantes, mais pas déterministes [...] sont la géographie et l'identité, moteurs incontournables de l'Histoire »22. Les hommes et le milieu sont la charpente d'un système d'interaction dans lequel ils se construisent mutuellement, en fonction de leur temps. Dès lors, le caractère conditionnant des inerties physiques contribue-t-il à adapter l'espace sahélo-saharien au temps contextuel ?

    L'étude du territoire de l'Azawad ne peut être isolée de celle de l'ensemble sahélo-saharien. Ce vaste espace est appréhendé à différentes échelles d'analyse imbriquées : une représentation continentale (de l'océan Atlantique à la mer Rouge) ; une représentation régionale (Sahara central et Afrique de l'ouest) ; une représentation locale jouxtant les frontières maliennes. Le désert, aride et hostile, génère des modes de vie spécifiques, adaptés à sa physionomie. La mobilité qui le caractérise, est concurrencée depuis le XIXème siècle par un mode différent de gestion de l'espace, le découpage territorial, alors même que le lien social, infrastructure première, se maintien et s'adapte à la modernité (I). Pour autant, le désert n'est pas fondamentalement répulsif ; trafiquants (terrain opaque, peu contrôlé, proche de l'Europe) et investisseurs étrangers profitent de ses ressources physiques et minérales pour l'intégrer à la mondialisation (II).

    9

    22ZAJEC, Olivier, Introduction à la Géopolitique, Histoire, Outils, Méthodes, Paris, Argos, 2013, p.13

    10

    I - Géographie de l'espace sahélo-saharien : des hommes en bleu dans une tâche blanche quadrillée.

    Le Sahara, désormais confondu avec le Sahel23, est une région désertique différenciée de l'oekoumène. Espace de transition et de séparation, de lien et d'opposition, de mobilité et de fixation, il se construit autour d'une dialectique contradictoire entre la réalité de sa composition physique et les mutations perceptuelles et historiques de son appréhension, de la tâche blanche grecque24 au quadrillage des explorateurs européens du XIXème siècle25. Qu'est ce qui dans la géographie physique de cet espace, dans sa permanence, conditionne les trajectoires, les perceptions, et les mutations humaines qui le dynamisent aujourd'hui ?

    Le nomade adapté à la spécificité physique du désert, est son « habitant » itinérant (I). Les frontières figées26 du XXème siècle perturbent son mode de vie en imposant un modèle sédentaire de représentation de l'espace. Fragmenté, le Sahara est intégré par morceau à de nouveaux Etats - ses populations à de nouvelles sociétés dont elles ne partagent pas l'identité. Ainsi les Touareg sont depuis les années 1960 dans une opposition constante et renouvelée face à l'Etat malien. Contraints d'abandonner leur mode de vie, ils poussent les portes de la modernité en utilisant ses propres outils : la revendication territoriale (2).

    23 OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.28

    24« Longtemps, dans les atlas, le Sahara figure comme une tâche blanche. », Ibid.

    25« Malgré la fluidité de cet espace caractérisé par la circulation et le mouvement, les géographes tracent des limites entre des étendues qu'ils décrivent et auxquelles ils donnent des noms. Paradoxalement, c'est en sillonnant l'espace, en suivant les routes, en étant mobiles, que les géographes ont enfermé le Sahara-Sahel dans une description négligeant la mobilité. », Ibid.

    26Le désert a connu des structures politiques, des « Empire de la route » - c'est-à-dire qu'des structures mobiles construites sur la circulation induite par le désert. A l'inverse, les frontières coloniales et postcoloniales sont figées, ce qui est une nouveauté.

    11

    1. Milieu naturel et structures sociales : Portrait physique du Sahel-Sahara. Composition, disposition, et conditionnement.

    Le Sahel-Sahara ne peut être étudié sans recourir à l'analyse pragmatique de données physiques objectivement observables qui existent en elles-mêmes, au-delà et indépendamment des interprétations humaines conscientes ou inconscientes. En tant que « science de l'activité physique à la surface du globe terrestre »27, la géographie physique étudie « la composition, la répartition spatiale et l'évolution du milieu naturel »28. L'esquisse d'une approche géomorphologique, hydrologique et climatologique met en évidence les ressorts strictement physiques qui conditionnent a posteriori les relations entre les populations du désert africain. Le milieu sahélo-saharien est alors étudié comme un système fondé sur les interactions entre l'énergie et la matière29, leur transformation mutuelle et réciproque.

    ? Le désert sahélo-saharien : définition par la limitation climatique, étatique, et conceptuelle d'une étendue ouverte.

    Géographiquement délimité par ses marges30, le désert se définit par opposition à ce qu'il n'est pas, c'est-à-dire, un lieu de fixation. Circonscrit par les limites imposées des territoires qui l'entourent, il est un « espace vide d'hommes, au paysage minéral, où la vie se résume à un petit nombre d'espèces végétales et animales spécialisées, adaptées à la rareté des ressources en eau. »31. Forme de « séparation par le vide »32, espace de césure et de continuité, il aborde un rôle géopolitique paradoxal du fait de l'interprétation subjective des caractéristiques environnementales qui le composent. Les contraintes physiques et climatiques en font une étendue difficilement contrôlable et souvent incontrôlée33.

    27MARTONNE, Emmanuel de, Traité de géographie physique ; climat - hydrographie - relief du sol -

    biogéographie, Paris, Armand Colin, 1913, p.73

    28MAYER, Raoul Etongué, Notions de Géographie Physique, Paris, Broché, 2014, p.5

    29VIGNEAU, Jean-Pierre, VEYRET, Yvette (dir.), Géographie physique - Milieux et environnement dans le

    système terre, Paris, Broché, 2002, pp.368

    30BOURGEOT, André, « Sahara : espace géostratégique et enjeux politiques (Niger) », dans : Grégoire

    Emmanuel (ed.), Schmitz Jean (ed.). « Afrique noire et monde arabe : continuités et ruptures ». Autrepart, 2000,

    (16), p.21

    31POURTIER, Roland (dir.), Géopolitique de l'Afrique et du Moyen-Orient, Paris, Nathan, 2009, p.31

    32ZAJEC, Olivier, Introduction à la Géopolitique, Histoire, Outils, Méthodes, op. cit., p.73

    33BRACHET, Julien, « Sahel et Sahara : ni incontrôlables, ni incontrôlés », Les Dossiers du CERI [en ligne],

    2013

    URL : http://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/dossiersduceri/sahel-et-sahara-ni-incontrolables-ni-incontroles

    12

    L'organisation de cet espace est « comparée à celle des espaces maritimes : même rôle des « côtes » ou « rivages » dans la fixation des hommes et activités (Sahel), même importance des « îles » et de leurs « ports » (oasis), mêmes moyens de contrôle (base militaire de Tamanrasset aujourd'hui convoitée par les Américains pour contrôler le Sahara). »34. Physiquement, le désert se compose d'ergs (déserts de sable), de regs (déserts de pierre), d'hamadas (plateaux rocailleux), et d'oasis (zones d'eau et de végétation), tandis que l'aridité en constitue le paramètre fondamental35. Le Sahara « couvre plus de 8,5 millions de km2, de l'océan Atlantique à la mer Rouge »36 et « situé de part et d'autre du tropique du Cancer, il sépare sur une profondeur de plus de 3000 km, l'Afrique méditerranéenne de l'Afrique dite « subsaharienne »37. ». Au sud, le Sahel38 est « une bande de 6000 km de long sur 500 km de large se trouvant à mi-chemin entre les sables stériles du nord et les zones humides du sud. »39. Il est un « domaine de transition vers les savanes tropicales, entre le pays des Blancs (civilisation méditerranéenne arabo-berbère) et le pays des « Noirs » (civilisations soudaniennes). »40. La territorialisation, l'anthropomorphisme, et la sécheresse, ont progressivement favorisé l'avancée d'un désert désormais confondu avec ses marges, alors même que l'importation du modèle occidental de l'Etat l'a morcelé. Sa singularité ne l'a pas pour autant isolé, puisqu'il « a toujours constitué un obstacle aux déplacements, sans pour autant empêcher les relations culturelles et commerciales, ni les unions politiques ou religieuses. » 41.

    L'aridité, hostile à la vie, fait du Sahel-Sahara une étendue partiellement sauvage. Pour autant, elle n'exclut pas la progression d'une vie adaptée à son milieu. Les sociétés sahélo-sahariennes ne sont pas fondamentalement déterminées par le climat désertique. Indépendamment des réalités géomorphologiques, les interprétations de l'espace le définissent en partie, et conditionnent a fortiori son appréhension. Le Sahel-Sahara n'est pas strictement

    34GAUCHON, Pascal (dir.), Dictionnaire de géopolitique et de géoéconomie, Paris, PUF, 2011

    35« Le paramètre fondamental des déserts réside dans l'absence ou la grande rareté, tant spatiale que temporelle, d'une eau indispensable à la vie », POURTIER Roland (dir.), Géopolitique de l'Afrique et du Moyen-Orient, op. cit., p.33

    36Ibid. p.31

    37Ibid.

    38De l'arabe áÍÇÓ (Sahel) : côte, frontière, rivage. « Le Sahel désigne, dans la littérature médiévale arabe, la zone entre le Maghreb [ÈÑÛ ã áÇ, el maghrib, le couchant] et le bilad as sudan [äÇÏæÓ áÇ ÏáÇ È áÇ, el bled el soudân], pays des « noirs ». », GAUCHON, Pascal (dir.), Dictionnaire de géopolitique et de géoéconomie, op. cit. 39CHAUTARD, Sophie, L'indispensable de la géopolitique, Paris, Studyrama, 2009, p.52

    40LEROUX, Marcel, « Charles Toupet, Le Sahel », dans Revue de géographie de Lyon. Vol.68 n°2-3, 1993. Risques naturels dans le couloir rhodanien : les excès pluviométriques, p.110

    41POURTIER, Roland (dir.), Géopolitique de l'Afrique et du Moyen-Orient, op. cit., p.33

    13

    répulsif ou attractif. L'adaptation psychologique semble en l'espèce, aussi importante que la transformation physique de l'espace. Qu'elle soit donc perçue comme une séparation par le vide, ou comme une connexion par le grand, la mer de sable est une interface active, à travers laquelle des structures sociales historiques s'opposent ou s'imposent à la modernité en réinterprétant, remodifiant, réinvestissant, un espace particulier, conditionnant et non déterministe.

    ? Hydrologie et topologie : les conditions physiques de la mobilité.

    Les aspects hydrologiques, climatologiques, et topographiques du Sahel-Sahara ne servent pas, en l'espèce, à soulever des problématiques écologiques, économiques, ou purement géographiques. Au-delà, la variable aquifère, de par son agencement et sa disposition, motive les sociétés mobiles. Et c'est la corrélation entre rareté des ressources en eau, et nécessité du mouvement, que le présent propos interroge. Néanmoins, il est nécessaire de souligner que, pour des Etats affaiblis composés en grande partie d'espaces désertiques (le désert constitue 50% du territoire malien42), l'eau devient un enjeu de développement et de sécurité important.

    Du fait de sa rareté « tant spatiale que temporelle »43, l'eau « indispensable à la vie »44joue au Sahel-Sahara un rôle capital. La rareté spatiale s'exprime par une carte fluviale essentiellement composée de deux grands fleuves, et d'un réseau de zones d'eau éphémères et variables, tels que les oasis, « ilots de vie au coeur du désert »45, ou les oueds46. La rareté temporelle caractérise les climats désertiques, et est évaluée via la pluviométrie47, « faible en moyenne »48, et la pluviosité49, « extrêmement contrastée »50. Le manque de précipitation corrélé à de fortes températures pouvant dépasser les 50° Celsius en journée, favorise l'évaporation d'une eau faiblement représentée, et nécessite une connaissance des routes et points d'eau mobiles du désert afin d'y évoluer.

    42POURTIER, Roland (dir.), Géopolitique de l'Afrique et du Moyen-Orient, op. cit., p.33

    43« Le paramètre fondamental des déserts réside dans l'absence ou la grande rareté, tant spatiale que temporelle,

    d'une eau indispensable à la vie. », Ibid.

    44Ibid.

    45Ibid.

    46Dictionnaire Larousse, «Cours d'eau le plus souvent intermittent des régions sèches, où l'alimentation

    s'effectue presque uniquement par ruissellement, et s'achevant généralement dans une dépression fermée ou

    disparaissent par épuisement. »

    47Volume des précipitations.

    48OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.31

    49Fréquence et durée des précipitations.

    50Ibid.

    14

    « Le Sahel est traversé par quatre fleuves extra-sahéliens : le Sénégal, le Niger, le Logone-Chari et le Nil. S'y ajoute le lac Tchad, lequel a perdu 80% de sa superficie en un siècle. Le réseau hydrographique se compose de cours d'eau éphémères alimentant des mares temporaires dont certaines retiennent l'eau jusqu'au printemps, ce qui est favorable aux troupeaux. Des programmes visant à constituer des bassins de rétention et des lacs artificiels basés sur des techniques d'aménagement simples permettent la récupération d'importantes quantités d'eau de ruissellement. Le réseau se complète de grands systèmes aquifères. Ce sont celui des grès de Nuble, les bassins du lac du Tchad, de l'Iullemeden, de Taoudednni, et le système du bassin sénégalo-mauritanien. Leurs potentialités hydrauliques sont susceptibles de valoriser certaines régions du Sahel, mais ces ressources sont faiblement exploitées du fait de la profondeur des nappes et de la salinité des eaux. »51

    Le Niger est « long d'environ 4200 km »52 et draine « un bassin estimé à 1 100 000 km2 (deux fois la France) »53. Il prend sa source dans le Fouta Djalon, coule vers le nord-est jusqu'à Tombouctou, avant de prendre la direction sud-est jusqu'au golfe de Guinée. Au Mali, il forme le delta intérieur du Niger où il se subdivise en un grand réseau de canaux, de marécages, et de lacs54, avant de reprendre un cours normal. Le fleuve Sénégal est formé par la confluence des rivières Bafing et Bayoke descendant du Fouta Djalon. Il est long d'environ 1750 km et arrose la Guinée, le Sénégal, la Mauritanie et le Mali.

    La particularité du Sahel-Sahara ne réside pas tant dans ce réseau fluviale, mais dans les « cours d'eau éphémères alimentant des mares temporaires [...] »55. Ce sont ces cours et points d'eau, oueds, gueltas, oasis, qui ont un réel impact historique sur les populations. Rareté et éphémérité induisent une circulation nécessaire, facilitée par la mise en place d'une carte psychique puis physique des routes du désert56.

    51CUTTIER, Martine, « Les ressorts structurels de la crise au Sahel », Res Militaris , Vol. 3, n°3, [En Ligne], été 2013

    URL : http://resmilitaris.net/ressources/10180/21/res_militaris_article_cuttier_les_donn_es_structurelles_de_la_c rise_au_sahel.pdf

    52Dictionnaire Larousse, http://www.larousse.fr/encyclopedie/riviere-lac/Niger/135281

    53Ibid.

    54 Lac Korientzé, lac Débo, lac Niangay, lac Do, lac Garou, lac Haribongo, lac Kabara, lac Tanda, lac Fati, lac Horo, lac Télé, lac Kamango, lac Figuibine.

    55CUTTIER, Martine, « Les ressorts structurels de la crise au Sahel », op.cit.

    56« Le Sahara n'a jamais été une barrière. Reste que la traversée des déserts implique une connaissance précise des lieux, des itinéraires, et surtout des points d'eau. », POURTIER, Roland (dir.), Géopolitique de l'Afrique et du Moyen-Orient, op. cit., p.33

    15

    Ces points d'eau dépendent en partie des pluies. Or, le Sahara-Sahel est une région climatiquement instable. Les périodes de pluie et de sécheresse57 se succèdent, « des espaces pouvant tour à tour devenir une terre aride qu'il faut fuir, ou une zone de pâturage qui attire pasteurs et troupeaux. »58.

    « Au Sahel, la période 1940, 1950 et 1960 est anormalement pluvieuse. Cette série est interrompue en 1968 par l'amorce d'un épisode de sécheresse jusqu'à 1984-1987. La moyenne normale 1968-2000 se traduit par un décalage des isohyètes vers le sud d'une centaine de kilomètres. L'aridité progresse, le désert gagne. Selon le même processus, les dernières années enregistrées pourraient insinuer que l'humidité revient. L'isohyète de l'aridité (150 ou 200 mm en moyenne annuelle) ne constitue pas une limite franche, d'autant moins que d'une année à l'autre les écarts peuvent être très importants. Si la pluviométrie est faible en moyenne, la pluviosité y est extrêmement contrastée. Cette irrégularité qui résiste aux prévisions statistiques fragilise l'interprétation des conditions bioclimatiques. Ce fait est fondamental pour la gestion des populations mobiles et l'aménagement pour le développement. »59

    A la rareté des ressources en eau s'ajoute le caractère aléatoire des saisons de pluie. La mobilité est suggérée, et au-delà, c'est la connaissance de l'espace qui devient la condition sine qua non d'évolution dans le désert.

    Le relief entretient la sécheresse. Les hautes montagnes ont un rôle de barrière, empêchant dépressions, vents, et anticyclones, de traverser le désert. Le Hoggar60, terrain volcanique, se trouve au sud de l'Algérie, et l'Adrar des Ifoghas61 se dresse au nord-est du Mali, dans la région de l'Azawad. Le Tassili des Ajjer se situe en Algérie, au nord-est de l'Hoggar, tandis que l'Aïr62 se trouve essentiellement au Niger. Ces massifs ont un rôle historique pour les populations touareg, puisqu'il est leur espace de sédentarité, là où résident les personnes âgées et les enfants63.

    57La sécheresse équivaut à moins de 100mm/an de précipitation.

    58TOUPET, Charles, « La crise sahélienne », dans Revue de Géographie de Lyon, Vol.70, n°70-3, 1995, p.181 59OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.31

    60En arabe ÑÇÞ å JÇÈ Î (jbel hougar), du tamasheq Ahaggar, ou Ihaggaren, la classe noble des touaregs du Hoggar. 61En tamasheq, «montagne des Ifoghas». Les Kel Ifoghas sont un clan touareg aristocratique de la région. 62En tamasheq « Ayâr ». Le massif de l'Aïr est historiquement un territoire touareg.

    63 « Les Kel Ahaggar, comme d'autres tribus guerrières, « résident » dans les centres de culture du grand massif saharien. Ils résident en effet, puisque tout nomade qu'ils soient, là sont les maisons, l'attache où restent les vieillards, une partie des femmes, et les enfants. », RETAILLE, Denis, « L'espace nomade », op. cit., p.74

    16

    L'aridité du Sahel-Sahara confère à l'organisation aquifère une fonction impulsive et motivante, réaffirmant l'idée selon laquelle la disposition physique d'un espace conditionne les sociétés qui y évoluent. Pour autant, la réalité physique ne peut être considérée comme seul facteur explicatif des choix de vie des Hommes. L'aridité ne produit pas dans une linéarité parfaite la société mobile. Considérer le nomade comme la résultante automatique d'une situation géographique extra-ordinaire64, c'est conférer au milieu naturel un caractère déterministe et ériger le sédentaire en principe. Or, la réalité physique conditionne, mais ne détermine pas, les dynamiques humaines. En ce sens, elle ne se résume pas à la seule description littérale de la terre et des eaux, mais intègre dans son analyse l'interprétation que les Hommes se font de l'espace. L'Homme et l'espace se construisent réciproquement65. Et la compréhension que l'Homme a de son espace relève également de son aménagement. Certes, le désert est aride. Pour autant, il ne semble pas hostile par essence puisqu'à travers sa vision du monde propre, le nomade s'y est adapté. La mobilité ne peut être réduite aux seules données physiques, comme l'aridité66. Il faut ab extra considérer ces sociétés en elles-mêmes, à travers leur mode d'agir, leur mode d'être, et leur mode de percevoir.

    ? La représentation nomade de l'espace : une géographie de la mobilité.

    Aridité, relief, disposition et disponibilité de l'eau, conditionnent, sans pour autant déterminer, le caractère mobile des populations du Sahel-Sahara, qui doivent aller à la rencontre des ressources nécessaires à la vie. Dès lors, « le découpage des lieux et des limites n'est pas, ou ne constitue pas, la bonne description de la réalité. »67. Il faut changer de modèle, et adopter une représentation de l'espace fondée sur la mobilité, en ce qu'elle « repose sur l'idée que le mouvement détermine la structuration de l'espace. »68. Le mouvement est premier, et le Sahel-Sahara est un système ouvert, construit autour de connexions, de réseaux, de liens, contextuellement établis sur un territoire donné. L'envisager

    64Extra-ordinaire par rapport à notre regard occidental, c'est-à-dire, une situation géographique à laquelle nous ne sommes pas habituellement confrontés, que nous percevons comme strictement étrangère et a-normale. 65« Entre l'homme et l'espace existent des dialectiques toujours en mouvement : si l'espace contribue à façonner l'homme, ce dernier, par son regard, ses gestes, son travail, ne cesse de transformer l'espace. », MOREAU DEFARGES, Philippe Moreau, Introduction à la Géopolitique, Paris, Points, 2009 (3ème ed.), p.11

    66RETAILLE, Denis, « L'espace nomade », op. cit., pp.71-82

    67RETAILLE, Denis, « Conflit au Sahel : l'explication par la géographie », Thinkovery, enregistrement vidéo, [En Ligne], 5'37

    URL : http://www.thinkovery.com/conflits-au-sahel-lexplication-par-la-geographie

    68OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.17

    17

    en tant que tel permet de mettre en évidence le paradoxe lié à un espace de circulation segmenté, et les problématiques sécuritaires qui résultent de cet oxymoron.

    Parmi les couples d'opposition classiques existe celui du nomade et du sédentaire, conditionné par l'environnement, « la géographie « commune » a ainsi définit l'aridité comme limite de l'oekoumène »69, et les modes de vie qu'il génère. Or « elle [la géographie « commune »] ne reconnaît que secondairement ce qui fait l'originalité de la géographie saharienne, qui est aussi l'originalité de la géographie du monde : la mobilité et les routes qui la portent. »70

    Le mouvement est rattaché à la figure du nomade, mobile avec son habitat, tandis que le sédentaire est arrêté dans son habitat71. La représentation de l'espace diffère puisque « pour le nomade, identifié à son cheval, l'espace est infini. Il est là pour être parcouru, conquis, dévasté. Si le paysan est enraciné dans la terre (tout en tentant souvent de s'en échapper), le nomade est le mouvement, la course. »72. Et, cette conscience de l'espace participe à son aménagement, notamment parce qu'elle conditionne l'action de l'Homme : si l'espace est fixe, il s'y établit, le cultive, l'améliore. Si l'espace est mobile, il constitue des points de transition, des liens, et des routes, pour l'apprivoiser. Les sociétés sédentaires ont alors une conception concentrique de l'espace, « centrée sur le village comme lieu d'habitat humain »73. L'espace est organisé en « cercles concentriques qui distinguent les zones les plus proches, où sont pratiquées des agricultures intensives »74 et « les espaces périphériques exploités par les troupeaux ou pour la chasse et la collecte »75. Les sociétés nomades ont une conception rayonnante de l'espace, fondée sur des réseaux, des flux, et des connexions qui dynamisent les lieux de jonction et de rencontre.

    « Il [l'espace nomade] est fait de parcours le long desquels se croisent les hommes, les
    animaux et les autres ressources naturelles ou domestiques qu'ils exploitent. Il s'agit d'un

    69OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.29

    70Ibid.

    71RETAILLE, Denis, « Conflit au Sahel : l'explication par la géographie », Thinkovery, enregistrement vidéo,

    [En Ligne], 5'37

    URL : http://www.thinkovery.com/conflits-au-sahel-lexplication-par-la-geographie

    72MOREAU DEFARGES, Philippe, Introduction à la Géopolitique, op. cit., p.13

    73LEROI-GOURHAN, André, Le geste et la parole, tome 1 : Technique et langage, Paris, Albin Michel, 1964,

    cité dans BONTE, Pierre, Anthropologie des sociétés nomades, fondements matériels et symboliques, Université

    Paris 8, [En Ligne], p.29

    URL : http://www2.univ-paris8.fr/sociologie/fichiers/bonte-cours.pdf

    74Ibid.

    75Ibid.

    18

    réseau de parcours et de lieux de rencontre, matériellement (campements, puits, etc.) et symboliquement, des groupements humains. Ces lieux de rencontre sont des noeuds autour desquels s'organisent socialement et symboliquement, mais aussi à travers leurs traces matérielles, les intérêts communs des membres des communautés nomades, leur identité et celle du territoire qu'elles exploitent. »76

    L'opposition nomade/sédentaire est d'ordre cognitif et symbolique. Elle « va alimenter les représentations qu'elles [ces deux visions du monde] se font de leur inscription dans l'espace » 77.

    Les sociétés ne sont cependant pas composées intégralement d'un bloc sédentaire, ou d'un bloc nomade78. L'opposition stricte peut être dépassée par la valorisation d'un continuum79 entre ces deux concepts : deux visions du monde, deux perceptions d'une même réalité géographique, complémentaires plus qu'exclusives. La représentation sédentaire ne suffit pas à mettre en exergue la complexité d'un espace traversé par des sociétés nomades et des identités singulières. Réciproquement, une représentation de l'espace basée sur la mobilité réduirait l'importance que revêtent aujourd'hui les Etats, la territorialisation, et les enjeux de pouvoir dans les problématiques sahélo-sahariennes. Le leit motiv de la conflictualité nomade/sédentaire réduit, voire contredit, la réalité de menaces multidimensionnelles et évolutives. Le mode de vie ne détermine pas l'action des unités humaines, qui interagissent ou se recomposent souvent en fonction d'intérêts stratégiques et politiques. C'est donc dans la complémentarité des deux concepts nomade/sédentaire qu'il est possible de saisir les mécanismes, l'importance, et les mutations des liens sociaux, politiques, et religieux qui animent l'action des Hommes sur cet espace sahélo-saharien. Au sein des sociétés sédentaires existent des personnes, souvent haut placé, extrêmement mobiles, et tous les nomades ne sont pas constamment dans le mouvement80. Les interactions internes, au sein des groupes à dominance nomade, et externe, entre les différents groupes nomades et sédentaires, forment des points de liaison qui contribuent à dynamiser l'espace. Les lieux sont en mouvement, leur importance est contextuelle et conjoncturelle - elle dépend des connexions qui se font au sein des réseaux de solidarité. Ce n'est donc pas seulement dans la relation directe entre l'Homme

    76BONTE, Pierre, Anthropologie des sociétés nomades, fondements matériels et symboliques, op. cit., p.29

    77Ibid.

    78RETAILLE, Denis, « Le continuum nomade sédentaire et l'espace mobile », dans ALEXANDRE, Frédéric, GENIN, Alain (dir.), Continu et discontinu dans l'espace géographique, Tours, Université François Rabelais, 2008, pp. 417 - 429

    79Ibid. 80Ibid.

    19

    et l'espace que les deux se façonnent, mais également dans la relation entre les Hommes sur l'espace. Or, les réseaux de solidarité ne s'arrêtent ni aux limites bioclimatiques, ni aux frontières étatiques. Et, les allégeances et affiliations historiques, entre nomades, ou clientélistes, entre nomades et sédentaires, mettent en évidence les canaux par lesquels transitent les biens matériels et immatériels.

    Comme la mer, le désert est un vaste espace difficilement délimité par des barrières physiques. Le contrôle des routes, et donc du mouvement, se fait par l'établissement de bases en constante mutation - les Empires du Sahel-Sahara étaient des Empires de la route. Mais la comparaison prend fin avec la reconnaissance internationale de frontières, et l'importation du modèle étatique. De la nécessité de contrôler le mouvement, les sociétés nomades, notamment touaregs, passent à la nécessité de contrôler le territoire. Ce n'est donc pas seulement la part de mobilité dans l'espace fixe qu'il faut analyser, c'est-à-dire la manière dont les relations entre les Hommes se pérennisent indépendamment des frontières étatiques, mais également, la part de fixité dans l'espace mobile, et l'adaptation des sociétés nomades aux standards territoriaux et identitaires internationaux.

    20

    2. Du Sahel-Sahara à l'Azawad : l'identité touareg et les revendications territoriales au Mali.

    Au centre du Sahel-Sahara, du Maghreb à l'Afrique subsaharienne, sur des relais de massifs montagneux (Aïr, Tassili des Ajjer, Hoggar, Adrar des Ifoghas), le « pays Touareg » compte aujourd'hui un peu moins de deux millions d'individus, éclatés depuis les années 1960 entre cinq Etats : l'Algérie, la Libye, le Niger, le Mali et le Burkina-Faso81. L'intangibilité82 des nouvelles frontières modernise la conflictualité en la liant à l'affirmation d'une identité particulière sur un espace territorialisé. Les populations sont intégrées à des Etats souvent fragiles dont elles doivent partager le principe national crée ad hoc. Et, « les hommes des espaces infinis »83 voient « leurs axes de transhumance barrés par des frontières dont le tracé avait été décidé sans eux, et le plus souvent contre eux »84 (A). L'espace traditionnel est concurrencé par l'espace urbain qui « se complexifie et enregistre des transformations notables : multiplication des conurbations, apparition des cités résidentielles et des bidonvilles, disparition du ksar et de la médina au profit des centres villes modernes et fonctionnels »85. Le mode de vie nomade est mis en difficulté par les grandes sécheresses86 et la nécessité ou l'obligation de se sédentariser ; « entre une demande croissante de ressources et les capacités du milieu, il y a toute une palette de fragiles équilibres »87 qui « engendrent des mouvements migratoires vers les villes [...] »88. La croissance démographique et l'urbanisation « ont une influence directe sur les populations locales, de plus en plus marginalisées numériquement. Les Touareg par exemple, sont passés dans les régions de Gao et de Tombouctou d'un tiers de la population lors du dernier recensement colonial de 1950 à 20% un demi-siècle plus tard [...] »89. L'Etat malien, du fait de ses fragilités internes, ou liées à des facteurs externes, peine à assurer un développement et une intégration homogène sur

    81Indépendances : Libye (1947), Mali (1960), Niger (1960), Burkina-Faso (1960), Algérie (1962).

    82L'Organisation de l'Unité Africaine (remplacée en 2002 par l'Union Africaine) décide en 1964 que l'uti possidetis doit être appliqué à toute l'Afrique.

    83LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, Paris, Ellipses Marketing, 2009, p.922 84Ibid.

    85BEN MAMI, Skander, « Des populations nomades face à un espace saharien en mutation », IRIS - Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe, [En Ligne], septembre 2013, p.7

    URL : http://www.iris-france.org/docs/kfm_docs/docs/obs-monde-arabe/des-populations-nomades-septembre-

    2013.pdf

    86L'Institut de Recherche pour le développement souligne le déficit pluviométrique du Sahel depuis 1970, et en

    particulier des années 1973 et 1983.

    87UNESCO, « Le Sahara des cultures et des peuples », Paris, [En Ligne], 2003, p.14

    URL : http://portal.unesco.org/culture/fr/files/16660/10698574653strategie.pdf/strategie.pdf

    88Ibid.

    89BEN MAMI, Skander, « Des populations nomades face à un espace saharien en mutation », op. cit., p.7

    21

    l'ensemble de son territoire. Les populations marginalisées qui ne se reconnaissent pas dans l'Etat constitué, favorisent le repli identitaire90, qui prend la forme d'une revendication territoriale (B). C'est donc une problématique géopolitique classique91 que prétend interroger le présent propos, à savoir, comment les Touareg s'adaptent-ils à l'Etat malien ? Ab extra, comment une identité traditionnelle forte s'oppose et s'impose à l'Etat moderne ?

    A. Organisation et structure des sociétés touaregs : l'identité d'un peuple du désert.

    Les populations nomades sahariennes sont composées de plusieurs groupes aux origines ethniques variées et aux territoires plus ou moins identifiés92. Les Touareg, berbérophones, évoluent sur une zone traditionnelle d'environ 2,5 millions de km2 au coeur du Sahara central, « dans le sud de l'Algérie, autour du Tassili n'Ajjer et des villes d'In Salah, Djanet et Tamanrasset, au nord du Mali et à l'est du Niger, autour de Bilma et Agadez »93. Le terme « Touareg », vulgarisé par le français, a des origines incertaines, énigmatiques, qui diffèrent d'un groupe social à l'autre94, bien qu'il soit généralement associé à son étymologie arabe, « les abandonnés de Dieu »95. Au Mali, les Imageren96, se désignant eux-mêmes comme Kel

    90« Avec le processus de mondialisation, les Touaregs assistèrent à la ruine de leur système économique, social et politique traditionnel. Plusieurs bouleversements se conjuguèrent pour provoquer ce déclin. Avec l'affirmation de la domination européenne et l'essor du transport maritime, la place du commerce caravanier transsaharien diminua considérablement. La restriction continue de la liberté de déplacement, la rupture des liens de dépendance et la dégradation du milieu naturel compromirent irrémédiablement les ressources et le mode de vie touaregs. L'éloignement des centres de décision, l'insuffisance des infrastructures, l'absence dans les circuits économiques réorganisés, l'exclusion de l'exercice du pouvoir et le désintérêt de l'Etat malien entretinrent la marginalisation. », GOURDIN, Patrice, « Touaregs du Mali. Des hommes en bleus dans une zone grise », Diploweb, [En Ligne], mai 2013

    URL : http://www.diploweb.com/Touaregs-du-Mali-Des-hommes-bleus.html

    91« [L'actuelle situation malienne] est la rencontre entre un différend géopolitique des plus « classiques » - fruit des tracés hasardeux des frontières postcoloniales - avec une forme hybride de « gangstéro-djihadisme », dans Jean-François Fiorina, « Le Mali au bord du gouffre, retour sur la menace islamiste au Sahel », CLES - Comprendre les enjeux stratégiques, Note hebdomadaire n°94, [En Ligne], 31 janvier 2013

    URL : http://notes-geopolitiques.com/wp-content/uploads/2013/01/CLES94.pdf

    92Les Chaamba du Timimoun sont d'origine arabe, les Reguibat du Sahara occidental sont arabophones d'origine berbère, et les Toubou, du Tchad à la Libye, sont des nomades « noirs ».

    93BEN MAMI, Skander, « Des populations nomades face à un espace saharien en mutation op. cit., p.4

    URL : http://www.iris-france.org/docs/kfm_docs/docs/obs-monde-arabe/des-populations-nomades-septembre-2013.pdf

    94HUREIKI, Jacques, Essai sur les origines des Touaregs : Herméneutique culturelle des Touaregs de la région de Tombouctou, Paris, Karthala, 2003, pp. 57 - 70

    95RIBADEAU DUMAS, Laurent, « André Bourgeot sur la longue histoire des Touaregs », Geopolis, [En Ligne], janvier 2013

    URL : http://geopolis.francetvinfo.fr/andre-bourgeot-sur-la-longue-histoire-des-touaregs-12099

    96Autre nom donné aux Touareg du Mali, signifiant « hommes libres ».

    22

    Tamasheq97, appartiennent à des sociétés tribales hiérarchisées et matriarcales qui reconnaissent comme base commune de leur identité la langue berbère. Ces sociétés portent un nom différent en fonction des régions où elles vivent (le nom de la région précédé du vocable Kel). Les différentes tribus sont regroupées en huit principales confédérations dont trois se situent au Mali : les Kel Adrar dans la région de Kidal, les Kel Ataram dans la région de Gao, et les Kel Ansar dans la région de Tombouctou ; « les relations forgées au fil des siècles au sein de ces tribus, entre ces tribus et entre leurs confédérations, influencent encore aujourd'hui la population touareg »98. Egalement nommés Kel Tagelmoust99, les Touareg ont pour autre référant identitaire le voile que portent les hommes, et qu'ils ne quittent quasiment jamais puisque, « le voile de front et de bouche et le pantalon sont les vêtements distinctifs de l'homme [...] ; ôter son voile de tête et de bouche, jeter son voile [...], ôter son pantalon sont des expressions qui signifient être déshonoré »100. L'origine tribale est traditionnellement liée à une référence féminine101. La femme a un rôle singulier et important puisqu'elle transmet le statut social aux enfants. Le mariage se fait entre membre de la même tribu : la famille du futur marié demande la main de la future mariée. Celle-ci ramène la taggalt (une sorte de dot composée de bétail, ustensiles, aujourd'hui pécuniaire), et la cérémonie se clôture par le dressage symbolique et effectif d'une tente. Les Touareg sont très attachés à leur bétail dont ils vivent (pour le transport, la nourriture, la peau), et chaque animal est associé au statut de son détenteur - le chameau pour les nobles par exemple. Les aléas géographiques et climatiques dont ils dépendent en ont fait des commerçants (« esclaves, dattes, sel, minerai de cuivre, bétail, peaux, artisanat (bois, cuir, métal) aux échelons local et intra-saharien ; esclaves, céréales, plumes d'autruche, or, étoffes indigos, produits manufacturés - notamment armes -, thé, sucre, soie, épices, parfums, encens, dans le cadre transsaharien »102), participant également au commerce triangulaire jusqu'au XIXème siècle. Les sociétés touaregs sont composées de plusieurs castes, rangs, se rapprochant du modèle de la classe sociale : « une aristocratie guerrière, des vassaux, des religieux à titre collectif, des artisans et un groupe

    97Littéralement, « les gens du Tamasheq », soit, ceux qui parlent tamasheq.

    98GOURDIN, Patrice, « Touaregs du Mali. Des hommes en bleus dans une zone grise », op. cit.

    99Littéralement, les gens du voile. Le tagelmoust est le voile que portent traditionnellement les hommes Touareg. Il peut être de différente couleur ; l'indigo est fait de lin, tend à déteindre sur la peau, et est identifié aux « hommes bleus » - autre manière de désigner les Touareg.

    100FOUCAULD, Charles de, Dictionnaire touareg-français, dialecte de l'Ahaggar (4vol), dans BERNUS, Edmond, « Les Touaregs, traditions nomades et réalités du désert », Clio, [En Ligne], juillet 2002

    URL : https://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/les_touaregs_traditions_nomades_et_realites_du_desert.asp 101Dans la tradition Touareg, Tin Hinan, une femme berbère arrivée dans l'Ahaggar, donna naissance à la tribu suzeraine des Kel Ghela. Sa servante, Takana, est à l'origine de la tribu vassale Dag Ghali.

    102GOURDIN, Patrice, « Touaregs du Mali. Des hommes en bleus dans une zone grise », op. cit.

    23

    servile qui comprend plusieurs niveaux selon son statut - esclaves, affranchis, ... »103). Chaque confédération a un amenokal à sa tête, toujours issu de la même tribu, dont le pouvoir est symbolisé par l'ettebel, un tambour de guerre.

    Avant la colonisation, les seigneurs du désert104 ont une main mise sur le Sahel-Sahara dont ils contrôlent flux et mouvements. Le système économique transsaharien est déstabilisé dès le XIXème siècle par une succession d'évènements qui annihilent la prépondérance des Touareg sur cet espace105. L'abolition de la traite négrière sectionne une des principales sources de revenue de l'économie traditionnelle. Les biens d'échange classiques sont suppléés par les nouveaux modes de production et de transaction106. L'hostilité du Sahara central ne permet pas l'installation de cultures et de plantations. Il est exclut des investissements coloniaux en développement et infrastructures, tandis les voies ferrées Kayes-Bamako en 1904 et Lagos-Kano en 1912 transforment le circuit transsaharien107. Les Touareg n'ont pas les capacités et les moyens de s'adapter à la modernité ; ils en sont exclus. Et la conférence de Berlin108achève cette régression en mettant le continent sous tutelle. Le Sahel-Sahara est soumis par les armes entre 1894 et 1904109.

    « Dans le nord du Tchad, de 1900 à 1902, les forces françaises furent confrontées à la confrérie sénoussite dont la résistance fut réduite par le lieutenant-colonel Destenave. Au mois de juillet 1901, le capitaine Laperrine qui venait d'être nommé commandant supérieur des oasis, entreprit la pacification des immensités sahariennes, mais il eut à faire à de sérieuses résistances opposées par plusieurs tribus touaregs dont les Oulliminden, les Kel Air et les Kel Gress. Pour tenir la région, il lui fut nécessaire de créer plusieurs postes, dont ceux d'Agadès en 1904 et d'In Gall en 1905. En 1906, ce fut celui de Bilma en plein désert du Ténéré. Mais le Sahara n'était

    103 BERNUS, Edmond, « Les Touaregs, traditions nomades et réalités du désert », op. cit.

    104 EDEL, Chantal (dir.), Les seigneurs du désert : de Tombouctou à la Mecque, Témoignages, 19ème siècle - 20ème siècle, Paris, Omnibus, 2014

    105« Maîtres du Sahara central et bien intégrés dans les courants commerciaux intra et transsahariens

    précoloniaux, les Touaregs virent leur pouvoir détruit, leur système économique ruiné et leur société disloquée par la colonisation, lors de la première phase de la mondialisation, puis par l'indépendance du Mali. », GOURDIN, Patrice, « Touaregs du Mali. Des hommes bleus dans une zone grise », op. cit.

    106« Le développement par les Européens du commerce maritime au long cours dès le XVIème siècle sapa lentement une base essentielle de la prospérité, donc de la puissance des Touaregs. », ibid.

    107Ibid.

    108La conférence de Berlin qui commence en novembre 1884 et s'achève en février 1885 organise le partage de l'Afrique entre les Etats européens, et marque le début de la colonisation.

    109Ibid.

    24

    toujours pas totalement pacifié car les Touaregs refusaient de se soumettre. L'Adrar des Iforas le fut cependant en 1909 et le Tibesti en 1913. »110

    L'administration coloniale française définit la politique concernant les Touareg essentiellement en terme de contrôle des populations, « soumission des tribus, recensement, quadrillage militaire, contrôle des armes, imposition de l'arrêt des rezzous, suppression de la traite esclavagiste, abolition du système tributaire, obligation de fourniture de guides et d'animaux, contrôle des déplacements, fixation des prix du bétail, ingérence dans l'organisation politique traditionnelle [...] »111. L'introduction du suffrage universel en 1945 a déstabilisé les chefs tribaux qui, pour préserver l'identité de leur communauté, refusent presque systématiquement la scolarisation de leurs enfants112 - les mesures prises par la Constitution de la IIème République de 1974 (représentation politiques des fractions) et par la loi sur la décentralisation de 1993, pour apaiser les tensions entre les Touareg et l'Etat, n'ont pu être pleinement efficace du fait notamment de l'analphabétisme et du manque de connaissances techniques et politiques. La décolonisation n'a pas répondu aux attentes de ces populations qui se trouvent coincées dans un modèle archaïque, « l'affirmation identitaire est alors devenue un des modes de revendication d'accès à l'égalité, mais aussi le moyen d'accéder à une modernité nécessaire, par le biais d'une structuration politique nouvelle. »113

    110LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, op. cit., p.591

    111GOURDIN, Patrice, « Touaregs du Mali. Des hommes bleus dans une zone grise », op. cit.

    112INSAR, Mohammed Ali Ag Ataher, « La scolarisation modern comme stratégie de résistance », Revue du monde musulman et de la Méditerranée, Vol.57, n°57, 1990, pp.91 - 98

    113FREMEAUX, Jacques, « Pierre Boilley, Les Touaregs Kel Adagh. Dépendances et révoltes : du Soudan français au Mali contemporain », Outres-Mers, Vol.88, n°330-331, 2001, p. 348

    25

    B. Politisation et militarisation de la revendication touareg dans l'Azawad : le filigrane de la conflictualité malienne.

    Le 22 septembre 1960 Modibo Keita de l'ethnie Bambara, proclame l'indépendance. Le Mali hérite d'un territoire majoritairement désertique, à la jonction de deux traditions114. Le pays possède schématiquement trois zones climatiques qui correspondent grosso modo aux différentes civilisations qui le traversent : un nord saharien désertique, un centre sahélien sec progressivement gagné par la savane, et un sud soudanien qui forme un passage vers les forêts tropicales115. Les Touareg, qui historiquement razziaient et puisaient leurs esclaves dans les populations « noires » sédentaires, doivent accepter leur domination politique, la majorité des administrateurs coloniaux français étant remplacés par des Bambara. Les nouvelles politiques de développement donnent priorité à l'agriculture au détriment de l'élevage116, tandis que les grandes sécheresses de la fin du XXème siècle déstabilisent définitivement les sociétés nomades (pertes de troupeaux, exils)117. Le nord du pays marginalisé entre dans un cycle d'opposition politique et militaire face au gouvernement central.

    Depuis 1958 l'Azawad fait l'objet de revendications autonomistes ou indépendantistes. Géographiquement, et dans sa définition la plus réduite, l'Azawad correspond à un erg d'environ 380 km2 situé entre Tombouctou et Araouane. Géopolitiquement, le territoire est constitué des trois régions administratives de Tombouctou, Gao et Kidal, et concerne l'ensemble du nord malien (avec quelques variantes suivant les mouvements touaregs relatives à la limite sud du territoire). Les rébellions touaregs, qui de 1916 à aujourd'hui remuent le Sahara central, sont principalement motivées par l'affirmation identitaire et la volonté de représentation politique. Au fil de leur progression, elles sont catalysées par plusieurs phénomènes qui les rendent quasiment inévitables. La grande sécheresse qui débute dans les années 1970 modifie profondément la physionomie de l'espace ; « les pasteurs maliens avaient perdu plus de la moitié de leurs troupeaux »118, et la

    114BALANCIE, Jean-Marc, LA GRANGE, Arnaud de (dir.), Les Nouveaux mondes rebelles, conflits,

    terrorismes, et contestations, Paris, Michalon, 2005, p.177

    115FAO, Le Mali, 2003, [En Ligne], consulté le 16 février 2015

    URL : http://www.fao.org/ag/agp/AGPC/doc/Counprof/Mali/malifr.htm#3

    116 AMSELLE, Jean-Loup, « Le Mali socialiste (1960 - 1968), Cahiers d'études africaines, Vol.18, N°72, 1978,

    pp. 631 - 634

    117LEROUX, Marcel, « La dynamique de la Grande Sécheresse sahélienne », Revue de Géographie de Lyon,

    Vol.70, N°70-3, 1995, pp.223 - 232

    118GRIPCI, « Le conflit touareg au Mali et au Niger », Groupe de Recherche sur les interventions de Paix dans

    les conflits intra étatiques, [En Ligne], 2002, p.2

    URL : http://www.gitpa.org/Peuple%20GITPA%20500/GITPA%20500-4_plusTEXTEREFconflittouareg.pdf

    26

    famine qui en résulte produit un exode massif vers les zones moins arides du Sahel-Sahara. Ces transferts de population profitent notamment à la Libye qui voit ses contingents militaires gonfler - un grand nombre de Touareg rejoint les légions islamiques et l'armée nationale119. A la mort de Mouammar Kadhafi en 2011, ils retournent au Mali pour la plupart, après s'être servis dans l'important arsenal militaire disponible120. Enfin, l'Algérie décide en 1990 de renvoyer au Mali et au Niger les réfugiés touaregs qui peuplent son territoire - le camp d'In Guezzan par exemple121. Le mouvement touareg, au départ uni, alterne revendications politiques et rébellions militaires contre le gouvernement de Bamako (les jeunes exilés ayant appris à se battre à l'étranger). Il finit par se diviser au gré de luttes tribales pour le leadership.

    Dans les années 1910, Firhoun, amenokal des Oulliminden Kel Ataram, lance la première rébellion touareg122. En 1916, Kaocen Ag Kedda, un sénoussis de l'Aïr, mène des attaques contre les positions françaises. La rébellion est violemment réprimée, notamment lors d'une dernière bataille décisive à Aderambukan123. En 1957 Mohamed Ali Ag Attaher, ancien amenokal des Kel Ansar, demande à l'ensemble des chefs tribaux de refuser la fusion de leur peuple avec les « Noirs » au sein d'un même Etat124. Parallèlement, la France émet officiellement sa volonté de créer l'Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS), un projet ayant pour ambition de détacher des territoires riches en ressources de l'Algérie, du Mali, du Niger et du Tchad, qui correspondent au Kel Tamasheq. Modibo Keita s'y oppose soulignant l'atteinte à l'intégrité territoriale du Mali, et le projet n'aboutit pas. En 1963 une rébellion éclate contre le président Modibo Keita, menée par des Kel Adagh et des Kel Ansar.

    119FAVERIE, Alain, « Rebelles touaregs : orphelins de Kadhafi », Jeune Afrique, [En Ligne], octobre 2011 URL : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAJA2646p040.xml0/

    120« D'autant plus que les armes dérobées dans les arsenaux libyens (missiles Sam, etc.) vont irriguer de vieux conflits (Nord-Tchad, touareg, Darfour, etc.) et que les combattants sahariens de la Légion verte, créée par le colonel Kadhafi dans les années 1980, sont prêts pour bien des aventures. », PLANTADE, Ydir, « La Nouvelle géopolitique post-Kadhafi explique les problèmes actuels au Mali », Le Monde Afrique, [En Ligne], mars 2012

    URL : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/03/12/la-nouvelle-geopolitique-post-kadhafi-explique-les-
    problemes-actuels-au-mali_1652756_3212.html

    121GRIPCI, « Le conflit touareg au Mali et au Niger », Groupe de Recherche sur les interventions de Paix dans les conflits intra étatiques, op. cit.

    122« Souvent en conflit avec les autorités françaises, il [Firhoun] avait déjà essayé de se révolter à la fin de l'année 1914 », FUGLESTAD, Finn, « Les révoltes des Touareg du Niger (1916 - 17) », Cahiers d'études africaines, Vol.13, N°49, 1973, p.89

    123LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, op.cit., pp.925-926

    124« Il faut que la France qui a tailladé notre nation et notre pays sache que ni l'argent ni le feu ne nous feront jamais accepter d'être dirigés par ses nouveaux serviteurs. », ABROUS, Dahbia, « Temoust : regards croisés », dans CLAUDOT-HAWAD, Hélène (dir.), Touaregs et autres sahariens entre plusieurs mondes, Aix Marseille, Institut de recherche et d'études sur le monde arabe et musulman, 1996, pp.137 - 154

    27

    Elle se solde par une violente répression et la mise sous surveillance militaire de la région de l'Azawad. En 1988, Iyad Ag Ghali crée depuis la Libye le Mouvement Populaire de l'Azawad (MPA). En 1990 il conduit une attaque contre un poste de police à Ménaka actant le départ d'une nouvelle rébellion. L'accord de Tamanrasset signé le 6 janvier 1991 entre les représentants de l'Etat malien et Iyad Ag Ghali tente de restaurer la paix en préconisant la démilitarisation des régions de Kidal, Gao, et Tombouctou. Le Pacte National signé le 11 avril 1992 prévoit, en plus d'un statut administratif particulier pour l'Azawad, de réintégrer les Touareg dans l'armée nationale et l'administration. Malgré les initiatives de paix, les tensions ne s'estompent pas dans le nord du pays. Les Songhaï de la région créent le Mouvement Patriotique Ganda Koy, et lancent une contre-insurrection, faisant prendre au conflit initial des allures de lutte raciale entre « Blancs » nomades et « Noirs » sédentaires125. Les accords de Bourem signés en 1995 mettent fin aux exactions, et la cérémonie de la flamme de la paix de 1996 fait place à un semblant d'apaisement social126. Le MPA, qui veut représenter l'ensemble des Touareg, indépendamment de leur région d'origine ou de leur statut social, est dominé par la classe noble des Ifoghas. En 1994 il se confronte à l'Armée Révolutionnaire pour la Libération de l'Azawad (ARLA) constituée depuis 1991 par la classe vassalique de Kidal, ajoutant au conflit une dimension sociale. La rébellion, qui ne comptait que deux mouvements touaregs, l'un au Mali, l'autre au Niger, se transforme en une constellation de mouvements politiques et militaires. Iyad Ag Ghali, Hassan Fagaga, Amada Ag Bibi et Ibrahim Ag Bahanga créent en 2006 l'Alliance Démocratique pour le Changement (ADC), censée représenter la branche politique du mouvement touareg. En 2007, Ibrahim Ag Bahanga forme un groupe dissident, l'Alliance Touareg du Nord-Mali pour le Changement (ATNMC), mettant en exergue la difficile, voire impossible, cohésion du mouvement touareg. La rébellion au Mali et au Niger s'arrête en 2009, avant de reprendre en 2012 au Mali avec des nouveaux acteurs.

    Le mouvement touareg s'est divisé au gré des affiliations tribales et idéologiques. Il se multiplie en une kyrielle de mouvements hétérogènes complexifiés par l'émergence de groupuscules islamistes et djihadistes au Sahel-Sahara. Le Mouvement National de Libération

    125SALLIOT, Emmanuel, « Revue des évènements sécuritaires au Sahel 1967-2007 », OCDE, [En Ligne], 2010, p.36

    URL : http://www.oecd.org/fr/csao/publications/47093863.pdf

    126FIDH, « Mali : les négociations d'Alger ne doivent pas consacrer l'impunité », Fédération internationale des ligues de droits de l'homme, [En Ligne] 2014, p.2-3

    URL : https://www.fidh.org/IMG/pdf/note_de_position_mali_fidh_amdh_lutte-impunite_antiterro_novembre2014_fr.pdf

    28

    de l'Azawad (MNLA), est un groupe politique et militaire laïc indépendantiste, crée en octobre 2011 par la fusion du Mouvement National de l'Azawad (MNA) et de l'Alliance Touareg Niger-Mali (ATNM). Il revendique l'autodétermination de l'Azawad :

    « Les populations du nord et du sud du Mali sont trop différentes pour composer un Etat ensemble, comme le Mali et le Sénégal n'étaient pas faits pour être un seul pays. C'est pour ça que nous en appelons à la communauté internationale, afin qu'ils convainquent le Mali de nous donner notre indépendance. »127

    Ansar Dine, crée au début des années 2012 par Iyad Ag Ghali, est un groupe touareg islamiste qui entend imposer la charia à l'ensemble du Mali :

    « A compter de ce jour, nous nous engageons à la lutte armée sans merci pour l'application de la charia, dans un premier temps dans l'Adrar des Ifoghas. Quiconque est d'accord avec cette position est avec nous. Nous sommes des musulmans du Mali (...) et notre objectif est de convaincre de gré ou de force les autres à appliquer la charia. Nous ne voulons pas une république indépendante à part, mais une république islamique. »128

    Après l'opération Serval, une nouvelle vague de mouvements touaregs et islamistes maliens émergent : le Haut Conseil de l'Azawad (HCA), le Mouvement Islamique de l'Azawad (MIA), le Mouvement Arabe de l'Azawad (MAA), entre autre. La problématique touareg initiale, liée à l'affirmation d'une identité particulière sur le territoire d'un Etat, est confondue par l'apparition d'une multitude de discours imbriqués (raciaux, tribaux, sociaux, radicaux). Les luttes fratricides font apparaitre de nouveaux enjeux, de nouvelles stratégies, des alliances contextuelles et conjoncturelles qui s'établissent en fonction d'intérêts particuliers affirmés ou déguisés. L'islamisme et le djihadisme catalysent l'amalgame, faisant place à une hydre de conflictualité et de revendications qui obscurcissent la distinction entre mouvement de libération nationale lié à l'expression d'une identité touareg, et velléités religieuses ou idéologiques.

    « Si la pauvreté, l'islamisme radical et la criminalité sont pointées du doigt comme les causes principales de l'implosion de l'Etat malien, ils ne doivent pas occulter une réalité

    127GROGA-BADA, Malika, « Mahmoud Ag Aghaly : « Donnez-nous l'indépendance et ce sera la fin d'Aqmi » au Mali », Jeune Afrique, [En Ligne], février 2012

    URL : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20120221091159/

    128 AFP, « Mali : un mouvement islamiste appelle à appliquer la charia par les armes », Atlas info, [En Ligne], mars 2012

    URL : http://www.atlasinfo.fr/Mali-un-mouvement-islamiste-appelle-a-appliquer-la-charia-par-les-armes_a26787.html

    29

    géopolitique : la revendication de l'identité touareg, et derrière elle, la question berbère. »129

    129FIORINA, Jean-François, « Le Mali au bord du gouffre, retour sur la menace islamiste au Sahel », CLES - Comprendre les enjeux stratégiques, Note hebdomadaire n°94, [En Ligne], 31 janvier 2013

    URL : http://notes-geopolitiques.com/wp-content/uploads/2013/01/CLES94.pdf

    30

    II - Les ressources de l'espace sahélo-saharien : mutations d'une terre d'échange dans la mondialisation.

    Le Sahel-Sahara est structuré par des routes qui préexistent largement aux frontières étatiques. La stérilité du sol a motivé les échanges - le commerce est devenu le centre nerveux de ce système. Les caravanes traversent le désert d'une rive à l'autre, établissant au croisement de leur sillage des oasis et des villes. La diffusion des marchandises et des idées suit les couloirs de sable et leurs noeuds de jonction qui mélangent en un même lieu des populations différentes130. Supplantées par la colonisation et l'essor du commerce maritime, les routes du Sahel-Sahara sont réactivées aujourd'hui par la criminalité ; « Les nouvelles routes de l'antimonde reprennent aujourd'hui les anciennes routes précoloniales »131. Opaques, hostiles, et peu contrôlées, elles contribuent à la discrétion d'échanges mafieux (drogues, armes, migrations) en direction de l'Europe voisine insérant l'Afrique dans la criminalité internationale, et la mondialisation132 (1).

    La découverte d'un sous-sol minier opulent a, dans ce contexte, motivé l'intérêt des Etats étrangers pour la région, d'autant que les Etats sahéliens n'ont pas les moyens d'installer les infrastructures nécessaires à l'exploitation de leurs ressources (2). Les enjeux sécuritaires deviennent prioritaires : par exemple, le Nigeria, « oil-rich nation »133, doit faire face à Boko Haram ; et, la région de Kidal, riche en uranium, est le fief d'Ansar Dine134, le mouvement

    130« A l'origine du développement économique et de l'émergence des villes, les échanges transsahariens ont aussi contribué à la migration et au brassage des peuples [...] », GAGNOL, Laurent, Les circulations transsahariennes : enjeux et perspectives, Colloque, « La contribution de l'élevage pastoral à la sécurité et au développement des espaces saharo-sahéliens », N'Djamena, [En Ligne], mai 2013, p.2

    URL : http://www.pasto-secu-ndjamena.org/classified/J2-3-15-L-Gagnol-axestranssahariens-reluok.pdf 131Cyberhistoiregeo, « Dynamiques géographiques du continent africain. Le Sahara : ressources et conflits. », Cyberhistoiregeo : mutualisation en Histoire Géographie, cours [En Ligne], p.8

    URL : http://lewebpedagogique.com/histoiregeotruffaut/files/2013/05/coursnatsahara.pdf

    132SIMON, Julien, « Le Sahel comme espace de transit des stupéfiants. Acteurs et conséquences politiques. », op. cit., pp. 125-142

    URL : http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=HER_142_0125

    133Au-delà des BRICs, l'économiste Jim O'Neill fait référence aux MINTs (Mexique, Indonésie, Nigéria, Turquie), O'NEILL, Jim, « MINT : The Next Economic Giants », BBC Radio, Enregistrement Audio, 43', [En Ligne], janvier 2014

    URL : http://www.bbc.co.uk/programmes/b03p824m

    134« L'autre site [d'uranium] est situé dans la région de Kidal, au nord-est, qui a la particularité d'être le fief du groupe islamiste Ansar Dine », JEANCLOS, Yves, « Les richesses du sous-sol malien », Arte Journal, Interview par Fred Méon, [En Ligne], janvier 2013

    URL : http://www.arte.tv/fr/les-richesses-du-sous-sol-malien/7273746,CmC=7287886.html

    31

    touareg islamiste d'Iyad Ag Ghali. L'exportation outre-mer d'intérêts nationaux ajoute au contexte conflictuel initial un autre degré de lecture géopolitique : les enjeux de pouvoir sous les territoires.

    1. Les routes du désert sahélo-saharien : de la caravane à la caravelle.

    32

    Deux cartes complémentaires, ou concurrentes, se superposent au Sahel-Sahara. L'une découpe le désert en Etats objectivement identifiables ; l'espace est a priori fixe, les frontières limitent et séparent différentes aires géographiques135. L'autre dresse le portrait d'un désert traditionnellement ouvert, structuré par la circulation des populations qui y vivent ou le traversent. A contrario, les différentes aires géographiques sont connectées, reliées, par des routes qui matérialisent le mouvement fondamental ; l'espace est mobile, dispersé, et opaque pour ceux qui ne le connaissent pas136, (les lieux se déplacent en fonction des rencontres137, les routes sont nombreuses, les populations adaptent leur itinéraire aux conjonctures). A la fois fragmenté en territoires figés, et rythmé « par des routes millénaires dont la trame est restée inchangée depuis des siècles » 138, le désert, qui comme la mer « sépare et unit »139, s'est transformé en plateforme commerciale multicouche. Il actualise les formes traditionnelles d'échanges sahariens entre populations locales (A), et intègre à sa structure historique les nouveaux produits mafieux transcontinentaux (B).

    135OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.108 136GOURDIN, Patrice, « Al-Qaïda au Sahara et au Sahel. Contribution à la compréhension d'une menace complexe.», Diploweb, [En Ligne], mars 2012

    http://www.diploweb.com/Al-Qaida-au-Sahara-et-au-Sahel.html

    137RETAILLE, Denis, « L'espace nomade », op. cit., pp.71-82

    138OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.36 139GOURDIN, Patrice, « Al-Qaïda au Sahara et au Sahel. Contribution à la compréhension d'une menace complexe.», op. cit.

    33

    A. Le réseau et les échanges : une structure initiale inchangée.

    La grande diversité de routes qui parcourent le désert multiplie les itinéraires possibles. Les populations choisissent en fonction du contexte climatique, économique, ou sécuritaire, les voies à parcourir ; « Parmi un grand nombre de possibilités, seuls sont utilisés les tracés jugés, à un moment donné et en fonction du contexte local ou régional, les plus pratiques et les plus sûrs »140. Dans le désert, la relation Homme-espace est en constante évolution. Elle nécessite des efforts d'adaptation multiples et différents selon les conjonctures; le mouvement, tant physique, que psychologique, est premier, si bien qu' « au Sahara, on ne décide pas, on obtempère »141.

    Les principaux axes de circulation sont connus, pratiqués, certains cartographiés depuis la colonisation. Mais, pour l'essentiel, ils demeurent tributaires de la connaissance qu'ont les peuples de cet espace142. En ce sens, la seconde carte du Sahel-Sahara livre une définition du pouvoir qui ne s'exprime pas seulement en termes de contrôle de territoire, mais par la maîtrise des routes et des étapes de croisement qui la prolongent143 . Le terme arabe mamlaka signifie dans son sens général « autorité ». Mais, il est également utilisé pour désigner les Empires de la route, cette configuration en axes de circulation contrôlés, faisant écho au pouvoir imposé par la mobilité. Les routes sont segmentées, « chaque groupe ne connait, ne contrôle, et n'exploite qu'un segment du trajet, ce qui entretient la fragmentation territoriale et complique encore l'éventuel relevé des parcours »144. Le Sahel-Sahara est découpé schématiquement en croix, par deux axes principaux, de l'océan Atlantique à la mer Rouge, et du Maghreb au Sahel. Théodore Monod distingue, quatre axes, quatre fuseaux méridiens qui divisent géographiquement le Sahara, et qui sont repris dans l'étude du commerce et des relations sahariennes et transsahariennes actuelles145.

    140GOURDIN, Patrice, « Al-Qaïda au Sahara et au Sahel. Contribution à la compréhension d'une menace complexe.», op. cit.

    141LECOQUIERRE, Bruno, « Le Sahara, désert habité et terre de passage », Conférence présentée au Festival International de Géographie, Saint-Dié des Vosges, [En Ligne], 9 octobre 2011, URL : http://www.reseau-canope.fr/fig-stdie/fileadmin/contenus/2011/itineraires/01/ITI1_08_Sahara_LECOQUIERRE.pdf

    142GOURDIN, Patrice, « Al-Qaïda au Sahara et au Sahel. Contribution à la compréhension d'une menace complexe.», op. cit.

    143OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.36 144GOURDIN, Patrice, « Al-Qaïda au Sahara et au Sahel. Contribution à la compréhension d'une menace complexe.», Diploweb, op. cit.

    145CHOPLIN, Armelle, « Un Sahara, des Sahara-s. Lumières sur espace déclaré « zone grise » », Géoconfluence, [En Ligne], juillet 2013

    URL : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/eclairage/un-sahara-des-sahara-s

    34

    « Le « fuseau » transsaharien occidental, qui mettait en relation les régions du bassin du Sénégal et du haut-Niger jusqu'à Tombouctou (les Empires du Ghana, du Mali, du Macina, etc.) aux cités commerçantes de l'actuel Maroc, était animé essentiellement par les tribus maures. Le fuseau central, activé et contrôlé dans une certaine mesure par les Touareg, reliait quant à lui les ports et oasis des actuels Algérie et Libye aux Empires de la boucle du Niger, aux cités-États haoussas ou aux Empires du Kanem-Bornou aux abords du lac Tchad. Le dernier axe, plus oriental et qui est devenu prépondérant à la fin du XIXème siècle, traversait le pays Toubou, en mettant en relation les royaumes du Darfour et du Ouaddaï à l'actuel Libye. »146

    Le désert n'est pas vide d'Hommes147 ; il est parcouru, a contrario, par « un peuplement continu [qui] apparait le long de ces routes [...] »148. Sociétés et marchandises structurent un réseau articulé par des hubs où s'élèvent oasis et villes. La variable aquifère n'explique pas à elle seule la présence d'oasis, qui ab extra se sont constituées au croisement des routes (Agadez, Gao, Tombouctou, Djenné, entre autre)149. L'établissement de ces étapes est nécessaire à la vie, et entretient ce réseau qui repose avant tout sur les relations humaines et commerciales. La distinction entre nomade et sédentaire comme concepts opposés, est dépassée, puisque « les villes sahariennes et sahéliennes sont ainsi nées de cette rencontre »150. La nécessité de l'échange a unifié le désert en un vaste ensemble de transition et de transaction. Il s'agit d'une région « où dans la durée, la survie des populations dépend des stratégies de négoce avec leurs voisins »151. Les populations ne vivent pas d'un désert qui ne produit que peu, ou pas, de biens. Mais, la pratique du commerce entre ses marges, « esclaves, or, ivoire, huile de palme »152, du sud vers le nord, et « étoffes, dattes, chevaux, livres et islam »153, du nord vers le sud, « sans oublier le commerce du sel »154, permet la vie et l'évolution de ces sociétés. Les villes-étapes servent un commerce intense, développé sur la base de solidarités lignagères, alliances tribales, ou relations clientélistes « souples et

    146GAGNOL, Laurent, Les « circulations transsahariennes : enjeux et perspectives », op. cit., p.2

    147« Durant l'ère pré coloniale, le Sahara n'était absolument pas une périphérie de l'espace de la moitié Nord du

    continent, mais bien un ensemble de centres de gravité des échanges. », JOYEUX, Alain, « Les enjeux

    géopolitiques sahariens », Education Défense IHEDN, [En Ligne], novembre 2013, p.2

    URL : http://defense.ac-montpellier.fr/pdf/cercle/joyeux_sahara_texte.pdf

    148OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.36

    149GAGNOL, Laurent, « Les circulations transsahariennes : enjeux et perspectives », op. cit., p.2

    150RETAILLE, Denis, « L'espace nomade », op. cit., pp.71-82

    151SCHEELE, Judith, « Circulations marchandes au Sahara : entre licite et illicite », Hérodote, n°142, 2011/3,

    p.143

    152JOYEUX, Alain, « Les enjeux géopolitiques sahariens », op. cit., p.2

    153Ibid. 154Ibid.

    35

    fluctuantes »155. Elles ont notamment permis la diffusion à grande échelle des idées et de la religion musulmane (au XVème siècle par exemple, Tombouctou est un centre du savoir islamique156).

    Avec « le triomphe de la caravelle sur les caravanes »157, les modes d'échanges traditionnels déclinent. L'essor du commerce maritime déplace les centres de gravité sahélo-sahariens vers la périphérie viable et exploitable, au détriment du centre sec continental. Dans le même esprit, la colonisation développe le commerce littoral qui, désormais, se met intensivement à produire, et « capte les richesses naturelles et agricoles d'un large arrière pays »158. Les nouvelles villes et les capitales ne se forment plus au croisement des routes, mais s'implantent sur le littoral (Nouakchott), ou dans les zones agricoles des pays semi-désertiques (Bamako)159. L'administration coloniale, qui entend contrôler l'espace, met en place un service de transport transsaharien qui fait reculer la mobilité et les échanges traditionnels. Les nouvelles technologies, et les engins à moteur modifient profondément la valeur espace-temps, et rendent de ce fait obsolète le commerce caravanier, qui finit par disparaitre dans les années 1950160. La division de l'espace en sphères politiques dans les années 1960 entérine ces transformations qui relèguent au second plan les activités commerciales traditionnelles. Les axes de circulation sont fragmentés au sein des nouveaux Etats.

    Aux indépendances, les politiques internes des Etats tentent de modifier le processus d'exclusion des zones désertiques à l'aide principalement de deux mesures : augmentation de la présence militaire dans les zones inféodées du nord, et aménagement du territoire par les « constructions de routes, [et] développements des villes [...] »161. Colonne vertébrale de l'intégration politique intra-étatique et régionale, les routes modernes s'ouvrent dès les années 1990 au commerce saharien et transsaharien. Les marges nord et sud du Sahara multiplient les échanges. Au fil du temps, un décalage s'instaure entre les pays du Maghreb et les pays du Sahel162 : le manque de moyens ne permet pas, au Mali par exemple, d'aménager la partie

    155GAGNOL, Laurent, « Les circulations transsahariennes : enjeux et perspectives », op. cit., p.2

    156GERNER, Jochen, « Repères, petite histoire de l'islam en Afrique subsaharienne », Le Un, n°43, février 2015

    157JOYEUX, Alain, « Les enjeux géopolitiques sahariens », op.cit,. p.2

    158Ibid., p.3

    159Ibid.

    160Ibid., p.2

    161Ibid., p.3

    162SCHEELE, Judith, « Circulations marchandes au Sahara : entre licite et illicite », op. cit., p.153

    nord de son territoire (dans le même temps, des velléités sécessionnistes continuent de croître), alors même que le gouvernement doit mettre en place les moyens nécessaires à son désenclavement.

    Deux cartes, deux réseaux, se juxtaposent : celle de routes modernes, et celle de routes millénaires ; celle d'un commerce désormais légal, contrôlé et normé. Et celle d'un commerce sauvage, illégal ou illicite, qui pour évoluer utilise la structure inchangée des échanges traditionnels sahélo-sahariens. Bien que les routes modernes soient « par définition figée »163, elles ne « bouleversent pas le schéma global légué par l'histoire »164. Le lien social, les relations interpersonnelles, forment l'infrastructure première du désert. Les circuits traditionnels n'ont pas disparu, et continuent de s'accorder à la modernité ; « le commerce saharien est donc caractérisé à la fois par des continuités d'infrastructures et des changements d'acteurs et de marchandises »165. Adaptée, l'histoire profonde de cet espace sert une économie parallèle, une économie de trafic, qui réintroduit la nécessité de prendre en compte les enjeux de pouvoir sur les axes et les routes de la circulation transsaharienne.

    36

    163OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.36 164Ibid.

    165SCHEELE, Judith, « Circulations marchandes au Sahara : entre licite et illicite », op.cit., p.159

    37

    B. Trafics criminels dans les couloirs de sable : les nouveaux produits du commerce saharien et transsaharien.

    Les réseaux mondiaux de la criminalité ont transformé le Sahel-Sahara en plaque tournante des trafics régionaux et internationaux166. Peu contrôlé, aux portes de l'Europe, le désert est investi par des groupuscules adaptés à la physionomie de l'espace, et intégrés aux structures sociales ; « Depuis des siècles, des routes caravanières traversent le Sahel. Elles sont devenues les axes de transit privilégiés des trafics et de la contrebande, et fait du Sahara la plaque tournante des trafics de déchets toxiques, de pétrole, de véhicules, de médicaments, de drogues, de cigarettes, d'armes et d'êtres humains »167.

    Les trafics sont de deux sortes : la contrebande sur des produits de premières nécessités, et les trafics lucratifs stricto sensu. La contrebande est justifiée et souvent rendue légitime par les autorités locales (lait, sucre, farine)168 ; « Les autorités algériennes qui tentent de lutter contre les trafics de drogues et surtout d'armes, sont moins dures à l'égard de la contrebande d'essence qui permet à des milliers de familles de survivre »169. Elle est une forme de survie du commerce local traditionnel et des échanges ; aux « liens qui ont survécu à l'effondrement des commerces caravaniers de longue distance du XIXème siècle, se sont substitués des contrebandes de biens »170. Les trafics illicites prolifèrent grâce aux difficultés physiques de l'espace et à la faiblesse du contrôle territorial, qui leur constituent une assise confortable et profitable. La tradition marchande du désert n'a pas disparu ; elle s'est réactivée vers la fin du XXème siècle entre les différentes rives du Sahara, et de part le monde, avec de nouveaux produits : le bétail et les dattes ont été remplacés par des produits alimentaires subventionnés, de l'essence, ou encore des drogues, des armes, des cigarettes, et des flux d'hommes.

    Trois dimensions commerciales semblent évoluer dans cet espace, les deux dernières constituant une forme d'économie parallèle :

    - Un commerce légal, avec des règles, des circuits, et des institutions établies. - Un commerce illégal, mais légitime (produits alimentaires, essence).

    166Commission Ouest-Africaine sur les Drogues, « Pas seulement une zone de transit, Drogues, Etats et sociétés en Afrique de l'Ouest », West Africa Commission on Drugs, [En Ligne], juin 2014, p.12

    URL : http://www.wacommissionondrugs.org/fr/wp-content/uploads/2014/11/WACD-Rapport-Complet-FR.pdf 167CUTTIER, Martine, « Les ressorts structurels de la crise au Sahel », op. cit.

    168 SCHEELE, Judith, « Circulations marchandes au Sahara : entre licite et illicite », op. cit., p.153 169OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.229 170GOURDIN, Patrice, « Touaregs du Mali. Des hommes bleus dans une zone grise », op. cit.

    38

    - Un commerce illégal et lucratif pour les groupes qui l'organisent (drogues, armes, otages).

    L'économie parallèle des trafics et de la contrebande n'est pas une variable dépendante, ou annexe, de l'islamisme et du djihadisme africain - ces deux aspects de la conflictualité, même s'ils se mêlent en fonction des conjonctures, doivent être analysés comme des objets scientifiques à part entière171. Ils ne sont pas des données atomiques et extérieures au système sociopolitique sahélo-saharien. Ils n'évoluent pas en marge des sociétés172, mais y sont intégrés, et utilisent les structures sociales traditionnelles (liens tribaux, alliances) pour se perpétrer. Par ailleurs, ils constituent, pour les sociétés locales, un chemin d'accès vers la modernité et l'économie mondiale173 : « Les activités trafiquantes [...] (n'expriment pas) un état d'anomie ; loin de la marginaliser, elles contribuent, au contraire, à l'insertion accélérée de l'Afrique dans les flux et les réseaux de la mondialisation »174. Face à l'Etat défaillant en terme de développement, les trafics deviennent une alternative de reconnaissance et d'ascension sociale ; « La participation aux trafics, comme l'entrée dans des gangs ou dans des mouvements idéologico-politiques, offrent des modèles alternatifs d'ascension sociale »175. La criminalité se présente, pour ceux qui l'organisent et y participent, comme une opportunité, favorisée par la défaillance sécuritaire de l'Etat. Des personnalités politiques ou administratives participent à ce genre d'activités illégales, qui peuvent dans certains cas, se transformer en arme diplomatique. Par exemple, les flux de produits de contrebande (essentiellement de la nourriture) sont importants entre l'Algérie et le Mali - or lors de la rébellion touareg de 2006-09, l'Algérie menace de fermer les frontières et de plonger le pays dans la pénurie176.

    « Au Mali, sous le régime d'Amadou Toumani Touré, le laxisme apparent sur la question des trafics était un laxisme organisé. Le pouvoir se servait des trafics qu'il pouvait contrôler pour favoriser tel ou tel groupe qui pouvaient contrebalancer l'influence des groupes touareg les plus hostiles, notamment ceux qui, comme les Ifoghas ont rejoint le MNLA. Instrumentalisant les groupes les uns contre les autres, à l'aide de projets de

    171OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.228

    172SIMON, Julien, « Le Sahel comme espace de transit des stupéfiants. Acteurs et conséquences politiques. », op. cit., p.126

    173Ibid.

    174SIMON, Julien, « Le Sahel comme espace de transit des stupéfiants. Acteurs et conséquences politiques. », op. cit., p.228

    175OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité , op. cit., p.228

    176Ibid., p.229

    39

    développement, de postes électifs et d'accès à des rentes de trafic, le régime pratiquait ainsi une sorte d'indirect rule. Les trafics, comme d'autres types de rentes, étaient utilisés comme élément de politique à l'égard des confins nord du pays. »177

    Les activités lucratives (cigarettes, drogues, armes) inquiètent la sécurité régionale, puisqu'elles confèrent aux groupuscules et groupes armés non-étatiques, un moyen pertinent d'influence et d'action politique et militaire178. Les alliances et convergences conjoncturelles d'intérêts entre mafias ou gang criminels, et groupes islamistes ou djihadistes africains, enrichissent les uns tout préservant les autres - certains groupes criminels se revendiquent djihadistes, d'autres sont l'un et l'autre à la fois, en fonction du contexte. Ainsi, se crée une sorte de cercle vicieux dans lequel, il est non seulement difficile de maîtriser la conflictualité dans son ensemble, mais également de distinguer les objectifs réels à court et long termes des protagonistes, et d'évaluer par la même la portée et l'impact de leurs actions. Quoiqu'il en soit, cette économie de protection179 entre groupes criminels et groupes islamistes ou djihadistes, est fonction de trois éléments : le recours à la violence assure la sécurité du transport des marchandises, la corruption des autorités locales facilite les flux, et les structures sociales permettent une communautarisation des trafics et de la contrebande. En dressant un portrait des différents trafics à forte rentabilité, il est possible d'identifier l'une des sources majeures du financement des groupes rebelles du Sahel-Sahara180, et l'interaction qui s'opère entre criminalité et djihadisme.

    « La typologie d'acteurs impliqués est composite et déborde du milieu criminel. Ainsi, participent : des organisations criminelles latino-américaines (cartels) et européennes (mafias italiennes et « milieux » d'autres pays) ; des groupes mafieux ouestafricains (en particulier nigérians) ; des criminels plus ou moins connectés à certaines communautés qui circulent dans le Sahara ; des acteurs du salafisme-jihadisme

    177OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité , op. cit., p.237 178« Actors involved in organized crime currently wield decisive political and military influence in northern Mali », LACHER, Wolfram, « Organized Crime and conflict in the Sahel-Sahara Region », Carnegie Endowment for International Peace, [En Ligne], septembre 2012

    URL : http://carnegieendowment.org/2012/09/13/organized-crime-and-conflict-in-sahel-sahara-region

    179Mark Shaw, directeur de la Global Initiative against Transnational Organized Crime, utilise la notion d'économie de protection pour expliquer les interactions entre les acteurs des trafics au Sahel-Sahara, dans IRIN, « Comprendre le crime organisé en Afrique », IRIN Nouvelles et analyses humanitaires, [En Ligne], 2014 URL : http://www.irinnews.org/fr/report/100312/comprendre-le-crime-organis%C3%A9-en-afrique

    180LE PAUTREMAT, Pascal, « La drogue au Sahel : la source principale du financement des djihadistes », Slate Monde, [En Ligne], janvier 2013

    URL : http://www.slate.fr/tribune/67413/operation-serval-terroristes-narcotrafiquants

    40

    (MUJAO, groupe de Mokhtar Belmokhtar, AQMI) ; des individus de la communauté libanaise ; des membres des diasporas ouest-africaines en Europe ; enfin, de véritables mafias d'Etat. »181

    La crise malienne a mis en exergue l'impact des trafics régionaux sur le financement des groupes armés maliens et sahélo-sahariens (Mokthar Belmokhtar est surnommé Mister Malboro182). Et, le transit de cocaïne, surtout dans le nord du pays, a permis l'affranchissement de plusieurs mouvements politico-militaires. Malgré son enclavement, le Mali demeure, dans ce paradigme, un espace de transition et de stockage privilégié des trafics en tout genre - il borde une mer de sable structurée par des routes sahariennes historiques, et se trouve par la même, dans l'un des principaux fuseaux du commerce transsaharien.

    o Le trafic d'armes

    Selon l'ONG Oxfam, sur 640 millions d'armes légères dans le monde, 100 millions se trouvent en Afrique183. Le continent a connu plusieurs vagues d'approvisionnement, à commencer par la Guerre Froide. Mais, l'offre régionale a fini par satisfaire les demandes locales. Ces armes, « fusils d'assaut, des pistolets automatiques, des mitrailleuses, des canons anti-aériens et des missiles antichars sol-air »184 se répandent à travers les routes du désert, en suivant les zones de conflits185. Elles sont ainsi recyclées dans leur usage, redéfinissant localement les enjeux de pouvoir et les avantages ; « Les armes se déplacent des foyers de tension qui s'éteignent vers les espaces de conflits émergeants »186. Le commerce légal entre Etats est parfois détourné, permettant l'approvisionnement de certains groupes politico-militaires, et contribuant à la perte de trace. Par exemple, lors de la rébellion touareg des années 1990, certains militaires distribuent des armes au groupe contre-insurrectionnel Ganda Koy187. La chute du colonel Kadhafi a participé à l'explosion du nombre d'armes en circulation dans la région - surtout chez les Touareg ayant intégré les Légions Islamiques ou

    181OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.237 182SALEM, Lemine Ould M., Le Ben Laden du Sahara : sur les traces du jihadistes Mokhtar Belmokhtar, Paris, Broché, 2014, p.27

    183AMARI, Chawki, « Sahel : le trafic d'armes se porte bien, merci », Slate Afrique, [En Ligne], janvier 2012 URL : http://www.slateafrique.com/81337/sahel-le-marche-des-armes-sahel-al-qaida-libye-algerie 184CUTTIER, Martine, « Les ressorts structurels de la crise au Sahel », op. cit.

    185OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.230

    186Ibid. 187Ibid.

    41

    les Légions Vertes188. Certaines villes sahélo-sahariennes sont devenues de véritables carrefours du commerce des armes, qui commencent à être acheminées vers le Mali189. Aujourd'hui encore, ce n'est pas tant la gravité politique d'un territoire, d'une ville, ou d'un lieu, qui le rend attractif aux groupes armés. Mais, ce sont ces groupes même qui, à travers les circuits de criminalité, reconstituent des villes-étapes, des oasis mafieuses, transformées en nouveaux hubs de la circulation marchande.

    « En 2008, les autorités maliennes signalent des trafics d'armes venant de Guinée (originaires de la Sierra Léone et du Libéria). Des armes transitent également, à cette époque, du Mali vers l'Algérie. L'impact de la crise libyenne de 2011 est important. La situation des arsenaux libyens est préoccupante. Armes légères, mais également missiles sol-air, lance-roquette antichars, explosifs (du Semtex notamment) et d'importants stocks de gaz de combat sont à vendre et commencent à être acheminé vers le Mali, mais également vers la Tunisie, l'Algérie et le Proche-Orient. Des convois à destination du Mali sont interceptés au Niger et en Algérie pendant l'année 2011. De plus, les soldats touaregs d'origine malienne de l'armée libyenne rentrent au Mali après la fin du conflit. Un certain nombre d'entre eux, avec des véhicules blindés légers, des mitrailleuses, des canons antiaériens et des moyens de transmission, contribueront à former le MNLA. Parallèlement, AQMI ira se ravitailler sur le marché libyen pour consolider son important stock d'armes dans le Massif de Tigharghar (Adrar des Ifoghas), qui sera ultérieurement détruit par l'opération Serval. Mais les armes qui vont alimenter les groupes combattants du nord-Mali viendront aussi pour une grande partie des casernes de l'armée régulière abandonnées lors de la fuite de l'armée des différentes localités du nord du pays. »190

    o Le trafic d'hommes

    Ce trafic a deux dimensions au Sahel-Sahara : l'immigration et le commerce d'otages.

    L'immigration régionale n'est pas un phénomène nouveau : elle est l'adaptation des flux humains et sociaux, aux paradigmes modernes ; les frontières, leur porosité, et l'existence de mêmes groupes ethniques dans des Etats différents. Certaines minorités, ou opposants politiques, vont se réfugier dans des Etats voisins (les Touareg en Libye par exemple), et obtenir temps, appuis, et parfois moyens de résistance, en fonction des enjeux politiques entre

    188PLANTADE, Ydir, « La Nouvelle géopolitique post-Kadhafi explique les problèmes actuels au Mali », op. cit. 189AMARI, Chawki, « Sahel : le trafic d'armes se porte bien, merci », op. cit.

    190OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.230-231

    42

    les Etats concernés. L'immigration internationale suit trois axes : un axe occidental le long de l'océan Atlantique, un axe central passe par Gao ou Agadez, et un axe oriental depuis la Somalie aux côtes libyennes. Cette immigration internationale peut augmenter la distance des liens sociaux préexistants, et servir de pont aux divers trafics entre l'Afrique et l'Europe ; « Le nombre de migrants clandestins transitant par le Sahel est estimé à 120 000 par an »191.

    Le commerce d'otages est lié au développement du tourisme dans la zone sahélo-saharienne et à la direction prise par le djihadisme depuis la guerre du Golfe. Il s'agit de porter atteinte aux symboles, aux intérêts des Etats occidentaux, tout en rentabilisant cette action. Ce qui crée une sorte de dilemme de la démocratie pour les Etats concernés : financer la rançon d'un otage, et a fortiori, le groupe armé qui l'a enlevé192. Ou, refuser de sauver l'otage au risque d'heurter l'opinion publique d'une société ultra médiatisée et de plus en plus personnaliste193. Le commerce des otages est devenu une source importante de revenu pour les groupes islamistes et djihadistes africains, « les otages sont considérés comme des prisonniers de guerre que le droit islamique autorise à échanger contre d'autres prisonniers ou une rançon »194 ; et également, un moyen de pression vis-à-vis des démocraties occidentales.

    o Le trafic de cigarettes

    Le trafic de cigarettes est l'un des plus actifs au Sahel-Sahara, et « témoigne de la capacité des réseaux illicites à valoriser à leur profit les savoir-faire nomades »195. La marchandise provient soit de détournements des circuits officiels, soit d'usines de contrefaçon implantées au Nigeria par exemple, et transite vers le marché maghrébin et européen ; « Aujourd'hui, le trafic entre le Mali et l'Algérie est estimé à 9000 cartons par semaine [...] Le volume d'affaire s'élèverait à 1,5 million de dollars sur le territoire malien »196. Les groupes

    191CUTTIER, Martine, « Les ressorts structurels de la crise au Sahel », op. cit.

    192PUDLOWSKI, Charlotte, « Comment l'Europe finance le terrorisme et Al-Qaïda via le paiement des rançons », Slate Monde, [En Ligne], juillet 2014

    URL : http://www.slate.fr/story/90433/comment-europe-finance-terrorisme-rancons

    193La société française notamment, ne semble plus uniquement individualiste (prépondérance de l'individu en tant qu'unité indéfinie). Mais, elle se rapprocherait plus de ce que nous appellerions une société personnaliste, c'est-à-dire, une société où l'individu est personnalisé, reconnu - son visage est connu, son nom est connu, sa vie est connue, grâce aux réseaux sociaux par exemple. Dans cette perspective, le chacun devient quelqu'un, mobilisant un genre d'hyper empathie qui agit sur l'opinion publique.

    194PUDLOWSKI, Charlotte, « Comment l'Europe finance le terrorisme et Al-Qaïda via le paiement des rançons », op. cit.

    195OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.232

    196Ibid., p.233

    43

    djihadistes ne participent pas directement à la distribution des denrées, se contentant de percevoir une taxe sur la protection des convois.

    o Le trafic de drogues

    Le Sahel-Sahara est aux portes de l'Europe, deuxième marché mondial de consommation de drogues. Le haschisch provient essentiellement du Maroc, et transite par la mer, en direction du sud-est de l'Espagne. La cocaïne vient d'Amérique du sud - les cartels ayant perdu leurs axes de distribution vers le nord du continent, visent désormais le marché européen.

    « La drogue quitte la Colombie et traverse l'océan Atlantique à hauteur du 10ème parallèle car la Highway ten est moins risquée que la voie la plus directe. Parvenue par avion en Afrique de l'ouest à partir de l'archipel des Bissagos, au large de la Guinée Bissau, petit Etat au sud du Sénégal, elle est acheminée à travers le Sahara, par air ou par voie terrestre, selon deux routes. L'une au nord, traverse le Mali, le Niger, la Libye, et aboutit dans les Balkans ; l'autre, à l'est, après le Mali et le Niger, traverse le Tchad et le Soudan en direction du Proche-Orient. »197

    En 2009, l'Office des Nations-Unies contre la Drogue et le Crime estime le trafic au Sahel-Sahara à 900 millions de dollars198. Le Mali est approvisionné par les airs, depuis l'Amérique du sud, ou depuis les Etats côtiers. Un Boeing a été retrouvé calciné dans le nord du pays en 2009199, vers la région de Gao - les enquêteurs estiment qu'il proviendrait du Venezuela, et qu'il aurait transporté de la cocaïne. Bien que les substances illicites, comme l'alcool, ou la drogue, soient prohibées par l'islam, des fatwas200 autorisent leur vente aux koufar201 - la rentabilité de ces activités hautement lucratives doit servir à imposer le règne de la religion202.

    197CUTTIER, Martine, « Les ressorts structurels de la crise au Sahel », op. cit.

    198ABDERRAHMANE, Abdelkader, « Terrorisme et trafic de drogues au Sahel », Le Monde Afrique, [En Ligne], juillet 2012

    URL : http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/07/19/terrorisme-et-trafic-de-drogues-au-sahel_1735046_3232.html

    199LE BRECH, Catherine, « L'organisation des filières de la drogue dans le Sahel », Geopolis, [En Ligne], juin 2013

    URL : http://geopolis.francetvinfo.fr/lorganisation-des-filieres-de-drogue-dans-le-sahel-17351

    200Jurisprudence islamique ou simple avis juridiques donnés par les jurisconsultes de la loi islamique (le faqih ou le mufti).

    201Mot désignant les infidèles, soit, tous ceux qui ne sont pas musulmans sunnites.

    202« Strictly speaking Islamic theology prohibits the consumption of drugs but does not explicitly warn gains selling them to support Islam. [...] In the Sahel, proximity to drugs trafficking can be justified as a way of supporting a good Islamic lifestyle. », Foreign and Commonwealth Office, «Trafickers and Terrorists: drugs violent djihad in Mali and the wider Sahel», Foreign & Commonwealth Office, [En Ligne], octobre 2013, p.5

    44

    Au-delà de l'idéologie, ce genre de prescription rend légitime des activités illicites qui enrichissent leurs propriétaires et leurs agents. Elles deviennent, a fortiori, une source de revenus incontournable et régulière pour des groupes comme MUJAO ou AQMI.

    URL: https://www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/256619/Oct_2013_Trafficke rs_and_Terrorists.pdf

    45

    2. Le paradoxe des ressources naturelles : disponibilités locales inexploitées, concurrence internationale, et conflits d'intérêts.

    Le Sahel-Sahara, et l'Afrique d'une manière générale, est une région aux ressources minérales et fossiles importantes qui, dans un monde industriel globalisé, intéresse les investisseurs étrangers (A). Ces gisements nécessitent la mise en place d'infrastructures adéquates pour être rentabilisés ; or, les Etats sahéliens ne réussissent pas à les fournir (extraction, locomotion, distribution) - un large dispositif doit notamment être mis en place pour désenclaver le Mali (B). Les sites exploités par des compagnies françaises et occidentales implantées dans la région, ont fait l'objet d'attaques fomentées par des groupes criminels et djihadistes (anti-occidentaux). Par exemple, la mine d'uranium d'Arlit au Niger exploitée par Areva203, ou le site d'In Amenas, qui représente 10% de la production totale du gaz algérien204. Les préoccupations sécuritaires sont fonction des intérêts politiques et économiques qui évoluent dans la région. Elles intéressent d'une part, la prévention de menaces immédiates et ciblées, portées physiquement et indirectement contre l'Etat occidental (prises d'otages, attaques d'exploitations) ; elles intéressent d'autre part la prévention de menaces latentes, d'un contexte général, puisque la sauvegarde des intérêts, notamment économiques, passe nécessairement par la sécurisation de la région.

    203OBERLE, Thierry, « Les djihadistes frappent la France au Niger », Le Figaro, [En Ligne], mai 2013

    URL : http://www.lefigaro.fr/international/2013/05/23/01003-20130523ARTFIG00439-double-attentat-
    meurtrier-au-niger-areva-vise.php

    204RFI, « Algérie : la prise d'otage d'In Amenas se termine dans le sang », RFI, [En Ligne], janvier 2013

    URL : http://www.rfi.fr/afrique/5min/20130119-prise-otage-in-amenas-assaut-final-suivez-nos-informations-
    algerie/

    46

    A. L'exploitation des ressources souterraines : attraction et répulsion d'un espace riche conflictuel.

    Traditionnellement, les activités économiques au Sahel-Sahara sont agricoles et pastorales, basées sur un échange nécessaire ; « Relier est un mot clef au Sahara-Sahel »205. L'eau est la ressource première si elle est « savamment utilisée »206. Elle contribue à l'évolution d'un espace éparpillé - les oasis sont des points isolés dans le désert, et « les terres pastorales s'étirent en filaments suivant les vallées et les couloirs interdunaires »207. La colonisation a accentué le déplacement et l'exploitation des terres agricoles sur les périphéries nord et sud. La mondialisation a concurrencé le commerce local et régional en introduisant sur le marché des produits étrangers à bas prix. Et la découverte de ressources souterraines a modifié la perception du Sahel-Sahara ; « Le sous-sol contient du sel (Mali, Niger), des phosphates, des minerais divers (fer en Mauritanie, or au Mali, cassitérite, cuivre, étain au Niger, par exemple), du charbon (Niger), de l'uranium (Mali, Niger) et des hydrocarbures (Algérie, Mauritanie, Mali, Niger »208. Les Etats sahéliens, comme le Mali, ont une économie qui repose majoritairement sur le secteur primaire et l'activité agricole ; mais leur espace est entré dans une mondialisation active, ouverte à la concurrence entre Etats étrangers, à la course aux matières premières ; « La compétition entre les grandes sociétés minières de la région elle-même, ou originaire de ses anciens et nouveaux partenaires, y est intense »209.

    Les hydrocarbures tiennent une place majeure dans la compétition : « Le pétrole représente à lui seul prés d'un quart du PIB cumulé des pays saharo-sahéliens en 2013 »210. Les premières exploitations sont dirigées par des compagnies françaises dans les années 1950, en Algérie, Libye et Nigeria ; plus récemment le Tchad et le Niger ont rejoint la liste des pays sahélo-sahariens producteurs de pétrole. L'Algérie, la Libye et le Nigeria demeurent des têtes de liste de la production - le Nigeria préside actuellement l'Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP). La physionomie du désert conditionne les coûts

    205GOURDIN, Patrice, « Al-Qaïda au Sahara et au Sahel. Contribution à la compréhension d'une menace complexe. », op. cit.

    206Ibid.

    207OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.50 208GOURDIN, Patrice, « A-Qaïda au Sahara et au Sahel. Contribution à la compréhension d'une menace complexe. », op. cit.

    209Centre stratégique pour la sécurité du Sahel Sahara, « Objectifs du centre stratégique pour la sécurité du Sahel Sahara », Centre 4s, [En Ligne], novembre 2011

    URL : http://www.centre4s.org/index.php?option=com_content&view=article&id=52:le-centre-strategique-
    pour-la-securite-du-sahel-sahara&catid=34:objectifs&Itemid=34

    210OCDE/CSAO (2014), « Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité », op.cit., p.94

    47

    d'investissement qui peuvent être élevés suivant la localisation des puits (plus ou moins proches des marges sahéliennes). Les sites d'extraction, comme les oasis, sont dispersés dans le désert - or il est nécessaire pour les investisseurs de prendre en compte le transport de la production. En outre, l'activité pétrolière contribue largement à la modernisation des activités traditionnelles ; elle est un mode d'accès, pour les Etats sahéliens, à la mondialisation et aux marchés internationaux. Les grandes compagnies occidentales se partagent le secteur (Elf, Exxon, Chevron, ENI), et « se succèdent pour effectuer des travaux d'exploration depuis les années 1970 au Mali, au Niger, et au Tchad »211. Il est nécessaire de revenir sur deux acteurs particuliers qui s'inscrivent régionalement et internationalement, dans un contexte géopolitique plus large : l'Algérie se veut être une puissance régionale, tandis que la Chine agit dans la continuité des nouveaux rapports sud-sud.

    L'Algérie, producteur d'hydrocarbure et de gaz (deuxième fournisseur de l'Europe après la Russie), est un acteur prépondérant de la région qu'il considère comme sa zone d'influence ; « Le pays est le premier producteur de gaz du continent avec 77 milliards de mètres cubes par an en 2012, devant l'Egypte (54 milliards de mètres cubes) et le Nigéria (41 milliards de mètres cubes) »212. Cette position lui confère un rôle politique, diplomatique, et économique important, qu'il corrobore et élabore avec son entreprise publique, la Société Nationale de Transport et de Commercialisation des Hydrocarbures (Sonatrach). La législation de l'Etat prévoit la conclusion d'un contrat de recherche et d'exploitation entre la Sonatrach et les compagnies étrangères, au titre duquel l'Algérie reçoit 51% des productions trouvées213. Malgré un ralentissement de l'activité, l'Algérie reste un acteur majeur dans région, et un partenaire de plus en plus convoité par l'Europe.

    « Le projet de gazoduc transsaharien permettrait de transporter du gaz (30 milliards de mètres cubes par an) depuis le Nigeria jusqu'en Europe, en passant par le Niger et l'Algérie. Son intérêt est proportionnel aux besoins gaziers toujours plus importants de l'Union européenne [...] Il repose également sur l'idée d'une diminution de sa dépendance face à la Russie (actuellement 30% des besoins gaziers des 28 pays membres contre 14% pour l'Algérie). »214

    La Chine développe depuis plusieurs années une sorte de « realeconomie » vis-à-vis de l'Afrique : une stratégie basée sur les échanges économiques, sans influence ou ingérence

    211OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.98 212Ibid., p.94

    213Ibid.

    214OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., pp.100-101

    48

    politique. Par exemple, lorsque la guerre civile éclate au Soudan, l'ensemble des compagnies occidentales installées dans le sud du pays ferment - la Chine investit les sites d'exploitation (elle prend la place de Chevron notamment). Désormais, les relations entre le continent et le pays d'orient se développent à plusieurs niveaux : économique, diplomatique, et même universitaire, si bien que les auteurs interrogent la notion de « Chinafrique »215. La China National Petroleum Corporation (CNPC) est active au Soudan depuis 1999, et est entrée sur le marché sahélo-saharien il y a quelques années (Niger, Tchad). Elle profite pour ce faire, d'un discours basé sur les divergences entre les relations gagnants-gagnants Chine-Afrique, et les relations déséquilibrées Etats occidentaux - Afrique. De plus, le manque de pro activité des investisseurs étrangers réticents à l'exploration d'Etats enclavés (qui disposent de faibles volumes de biens, comparés au coût des infrastructures nécessaires à leur exploitation), cède la place à la Chine qui envisage la rentabilité de ses investissements sur le long terme.

    « La Chine est par exemple de plus en plus présente dans le Sahara : plus de 100 000 chinois travaillent en Algérie et au Soudan. Le « consensus de Pékin » (contrats « gagnants-gagnants ») a séduit les Etats sahariens et leur permet de faire jouer la concurrence vis-à-vis des firmes occidentales. Les Chinois investissent partout dans les forages, l'exploration, la construction des pipelines et même les raffineries comme au

    Tchad. »216

    215TOURE, Brian, De la Françafrique à la Chinafrique, quelle place pour le développement Africain, Paris, L'Harmattan, mars 2012

    216JOYEUX, Alain, « Les enjeux géopolitiques sahariens », op. cit., p.8

    49

    B. Le Mali au pied de la « mer de sable », au large de la mer d'eau : la situation géopolitique de l'enclavement.

    Le commerce sahélo-saharien était historiquement concentré sur la continentalité, l'intérieur du désert et de ses marges. Or, les phases successives de la mondialisation, la colonisation, et les indépendances, ont contribué à faire de cette configuration continentale au départ centrale, une situation géographique périphérique, « c'est-à-dire, une fermeture ou une distance au monde »217, quand aujourd'hui 80% des échanges se font par la mer. L'enclavement éloigne les opérateurs continentaux des ouvertures et débouchés extérieurs, contribuant à retarder leur développement, et ralentissant leur insertion dans les réseaux internationaux. Pour autant, il n'est pas une situation géographique de fermeture au monde et d'exclusion - il est un facteur conditionnant et non déterministe, une situation géographique handicapante qui peut être dépassée par un aménagement du territoire ; « L'enclavement continental n'est pas une position spatiale de fermeture figée. Il est une situation relative qui tient dans les permanences de certaines discontinuités qui ne sont pas annulées par les différents pouvoirs politiques »218.

    Le Mali est enclavé ; « Leur [les Etats enclavés] perception de l'environnement, leurs stratégies, leurs politiques sont très fortement contraintes et déterminées par cette situation handicapante »219. Cette position géographique conditionne alors les investissements (notamment à cause de leur coût élevé en transport), et l'exploitation des ressources sous-terraines et minières ; « Quatre milliards de dollars sont nécessaires pour le développement des champs, les usines de traitement et l'oléoduc jusqu'à Kribi au Cameroun »220. La présence avérée ou non de ces biens (pétrole et uranium par exemple), ne suffit pas en elle-même à satisfaire le développement économique du pays. Au-delà, l'exploitation doit être pensée dans son cadre géographique, et dépendamment de lui, en ce sens qu'il conditionne la rentabilité des ressources. L'enclavement pose notamment la question du transport et de son coût. L'exploitation devient tributaire d'infrastructures étrangères, le Mali ne pouvant assurer seul leur mise en place.

    217DEBRIE, Jean, De la continentalité à l'Etat enclavé, circulation et ouvertures littorales des territoires intérieurs de l'ouest africain, Thèse Université du Havre, [En Ligne], 10 décembre 2001, p.2

    URL : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00011321/document

    218Ibid.

    219ZAJEC, Olivier, Introduction à la Géopolitique, Histoire, Outils, Méthodes, op. cit., p.63 220OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité , op.cit., p.99

    50

    Les enjeux pétroliers sont moins importants pour ce pays, que pour d'autres Etats de la zone sahélo-saharienne ; « Le Mali confie l'exploration pétrolière à de petits exploitants n'ayant parfois aucun permis ailleurs qu'en Afrique » 221. L'activité s'agence autour de deux pôles : le Ministère des Mines gère la recherche et l'exploitation des ressources minières, tandis que l'Autorité pour la Promotion de la Recherche Pétrolière (AUREP) (qui a des « locaux propres, un budget propre, et [...] la haute main sur les affaires pétrolières »222), gère les gisements d'hydrocarbures. Mais, les dimensions de l'espace, notamment du nord désertique, et l'ampleur des investissements nécessaires à cette entreprise, rendent difficile et freinent l'exploration.

    « Dans le bassin de Taoudeni, du nom d'une oasis à cheval entre le nord du Mali et la Mauritanie, des permis de prospection ont été accordés à des compagnies algériennes, canadiennes, angolaises et françaises (Total) pour trouver du pétrole. Total a fait un premier forage (côté mauritanien), en 2012, qui a été estimé décevant. Elle avait prévu d'en faire un second, qui a été gelé en raison du conflit. Cette région malienne est, certes, très enclavée, mais elle pourrait s'avérer rentable avec la hausse du cours du pétrole, surtout si les gisements sont abondants et de qualité. »223

    Le Mali est également l'un des plus grands producteurs d'or en Afrique ; en 1324 déjà, le mansa de l'Empire du Mali, Kankou Moussa, qui effectue son pèlerinage à la Mecque, aurait transporté plus de huit tonnes d'or pendant son voyage. Les recettes de cette exploitation font partie des revenus principaux du pays. Une dizaine de mines sont exploitées aujourd'hui, tandis que d'autres sont en projet - l'orpaillage local étant concurrencé par les investissements étrangers.

    « Au Mali, le modèle de l'exploitation à grande échelle dans le secteur de l'or a eu des effets mitigés : devenu premier produit d'exploration, l'or génère des entrées de devises et des recettes publiques et a sans doute permis de compenser en partie la crise du secteur cotonnier. Mais ce mode d'exploitation, générant des liens très limités avec les

    221OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.98 222Ibid.

    223BOLIS, Angela, « Mines d'uranium : « La France n'a pas intérêt à ce que le conflit malien s'étende au Niger », Le Monde, [En Ligne], janvier 2013

    URL : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/01/31/mines-d-uranium-la-france-n-a-pas-interet-a-ce-que-le-conflit-malien-s-etende-au-niger_1825026_3212.html

    Aujourd'hui, cet argument est à relativiser : la concurrence saoudienne à l'égard du gaz de schiste américain entraine une baisse des prix du pétrole - environ 59$/baril.

    51

    entreprises locales, offre peu de perspectives de développement si les ressources issues du secteur de l'or ne sont pas utilisées dans le but de renforcer le capital humain et technique dans le cadre d'une diversification qui pourrait offrir, à terme, une alternative à l'exploitation de l'or, dont les réserves sont limitées. »224

    Des gisements d'uranium, présents au Niger voisin et exploités par Areva, composent le sous-sol malien. Notamment, dans la région de Falea, au sud-ouest du pays, et dans la région de Kidal, dans l'Adrar des Ifoghas. Les conflits ont ralenti l'exploration. La sécurisation de l'espace est nécessaire à la sauvegarde des intérêts économiques extérieurs (Kidal, par exemple, est le fief d'Ansar Dine, le groupe touareg islamiste d'Iyad Ag Ghali). Des sous-sols riches (uranium, pétrole), sont également présents dans l'Azawad sécessionniste. La disposition géographique des sols, l'agitation de groupes armés irrédentistes, et la sauvegarde d'intérêts économiques outre-mer, combinent en une même problématique des variables multiples liées aux enjeux de pouvoir sur les territoires.

    224MAINGUY, Claire, « Investissements étrangers et développement : le cas du secteur de l'or au Mali », CAIRN, n°162, [En Ligne], 2013/2, p.87

    URL : http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=MED_162_0087

    52

    CONCLUSION PARTIELLE

    Le Sahel est devenu « le nom générique de l'ensemble constitué du Sahel et du Sahara, de l'Atlantique à l'océan Indien »225. Et, « l'élargissement de la définition du Sahel, qui inclut désormais la zone saharienne, marque une rupture avec la période où le Maghreb était considéré, du moins en termes géopolitiques, comme séparé du Sahel [...] »226. L'intérêt des pays européens et de la France pour la région s'accroît à mesure que le contexte sécuritaire intra muros s'intensifie : l'immigration méditerranéenne, la proximité des groupes du djihad, la dépendance en gaz vis-à-vis de la Russie, entre autre. Poussés par la variation des prix, et l'incertitude de l'offre moyen-orientale, les « Etats énergivores »227 se tournent vers cette nouvelle source géographique d'approvisionnement ; « De nombreuses puissances extérieures à la région sahélienne, mais également extérieures au continent africain, possèdent des intérêts stratégiques en Afrique de l'ouest qu'ils entendent bien défendre et préserver ».

    Les particularités physiques conditionnent les sociétés qui évoluent dans cet espace. La structure principale du désert, le lien social, résiste à sa fragmentation, et réintroduit les routes millénaires transsahariennes dans la mondialisation : groupuscules trafiquants, groupes armés, tout fluide ou entité criminelle évoluant dans un système parallèle à celui des Etats. Les inerties s'adaptent à la modernité sans y être totalement fondues. Le quadrillage de la « tâche blanche » ne résorbe pas les tensions identitaires issues de l'historicité des groupes humains, et de leur cohabitation difficile au sein d'un même Etat passif du fait de ses défaillances. Cette confrontation entre des identités fortes et un Etat qui ne réussit pas à les transcender, constitue une brèche dans laquelle se hissent les mouvements rebelles parasites qui fourmillent de par le monde.

    225OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.218 226Ibid.

    227ROUPPERT, Bérangère, « Les Etats sahéliens et leurs partenaires extrarégionaux, le cas de l'Union européenne en particulier », GRIP Note d'Analyse, [En Ligne], décembre 2012

    URL : http://www.grip.org/sites/grip.org/files/NOTES_ANALYSE/2012/na_2012-12-06_fr_b-rouppert.pdf

    53

    Deuxième Partie - Le conflit malien dans son contexte : les inerties humaines de l'espace sahélo-saharien.

    Les identités sont au coeur des civilisations et des Hommes228. Elles s'expriment sur, et à travers, des territoires dans une double dialectique d'opposition à l'autre, et d'assimilation au même. Le Sahel-Sahara est un espace de jonction fluide, un système ouvert, construit par les flux de population qui l'ont traversé : Berbères, Arabes, Soudaniens, entre autre. Cette mixité dynamique a contribué au brassage de sociétés variées, et à la multiplication de conflits identitaires ; soit « tous conflits où un groupe poursuit les objectifs géopolitiques non seulement au nom de la défense de son identité, mais aussi avec la certitude qu'il est menacé de disparition ou d'une domination qui lui est insupportable »229. Dès lors, comment les identités ethniques et religieuses s'opposent ou s'imposent à leur modernité ?

    Les Hommes sont divisés dans cet espace en groupes structurés (clans, tribus, ethnies), qui survivent au principe national de l'Etat moderne. Les nouvelles institutions déplacent la conflictualité sur l'arène politique, entre les descendants « noirs » d'une histoire apophatique construite sur le rejet de l'esclavage et de la domination, et les héritiers nostalgiques d'Empires musulmans conquérants. La confrontation entre ces identités fortes et l'Etat, qui de par ses faiblesses et défaillances ne les résorbe pas, constitue une brèche dans laquelle les mondes rebelles se logent et profitent d'un espace perturbé pour proliférer ; « le fondamentalisme islamique n'était donc pas la cause de la septicémie sahélienne, mais la manifestation de la surinfection d'une plaie originellement ouverte par la négation du réel ethnique »230 (1).

    Le djihad moderne en Afrique n'est pas une invention du XXIème siècle, pas plus qu'il n'est un produit importé par les canaux de la mondialisation depuis le Moyen-Orient. Inscrit

    228« La vie des nations, des civilisations, les comportements psychiques ou religieux ont assurément moins d'apparente immuabilité, et pourtant des générations d'hommes se succèdent, sans trop les altérer. Ce qui ne diminue pas, au contraire, l'importance de ces forces profondes qui s'incorporent à notre vie et façonnent le monde. », BRAUDEL, Fernand, Grammaire des civilisations, Paris, Flammarion, 1993, p.33

    229 THUAL, François, « Méthodes de la géopolitique, apprendre à déchiffrer l'actualité », IRIS Ellipses, [En Ligne], 1996, p.6

    URL : http://www.geo-phile.net/IMG/pdf/methodes_de_la_geopolitique_2015_.pdf

    230LUGAN, Bernard, « Mali : de la « Françafrique » fantasmée à la reconstitution de l'AOF », Le blog officiel de Bernard Lugan, [En Ligne], février 2013

    URL : http://bernardlugan.blogspot.fr/2013/02/mali-de-la-francafrique-fantasmee-la.html

    54

    dans un temps local long, ses antécédents semblent aujourd'hui revisités, engagés comme avatar et itinéraire de conquête par les groupes armés non étatiques du Sahel-Sahara (2). La mondialisation a permis l'hybridation d'une conflictualité partagée entre des enjeux géopolitiques endogènes classiques, et son en-globalisation par une hydre « islamiste » en permanente mutation et immédiateté. Plus que les distances spatiales, la mondialisation minimise les distances temporelles en plaçant dans le même moment l'islam du VIIème siècle référant, et les mutations, y compris violentes, du XXIème siècle qui en découlent (3).

    I. Les structures sociales ante - étatiques : le poids historique des

    ethnies au Mali.

    La société malienne, comme la majeure partie des sociétés africaines, n'est pas monolithique. Le poids historique des structures sociales qui la composent est une variable fondamentale des conflits modernes ; « la plus grande partie des populations d'Afrique « Noire » [...] est encore enfermée dans des cultures et religions primitives, sur lesquelles reposent tout l'ordre social » 231. La société est constituée de plusieurs strates, au sein desquelles différentes formes d'allégeance se maintiennent et évoluent (1) ; l'amenokal continue de représenter les populations touaregs auprès des institutions modernes232. Les frontières n'ont pas supprimé ces réalités sociales, qui doivent avec leur historicité propre, composer un même dessin, au sein d'une même entité politique (2).

    Le Mali compte treize ethnies géographiquement réparties sur son territoire. Ces ethnies ont chacune leur langue et leurs coutumes : en dehors du français, langue officielle, coexistent une quantité de langues nationales, dont le bambara est le plus utilisé. Ethnie mandingue issue des Malinké, les Bambara sont majoritaires au Mali ; si bien qu'ils constituent, sous la présidence de Modibo Keita, l'essentiel des fonctionnaires du pays. Les Touareg se retrouvent alors dominés par des peuples soudaniens qu'ils tenaient en infériorité. Ainsi, le modèle étatique qui s'impose à l'Afrique, « donne à une minorité autochtone l'opportunité historique de capter à son avantage les nouvelles institutions »233.

    55

    231BRAUDEL, Fernand, Grammaire des civilisations, op. cit., p.211

    232RFI, « Qui pour succéder à Intalla ag Attaher ? », RFI, [En Ligne], décembre 2014

    URL : http://www.rfi.fr/afrique/20141219-mali-succession-intalla-ag-attaher-amenokal-ifoghas-alghabass/ 233BAYART, Jean-François, La greffe de l'Etat, Paris, Karthala, 1996, p.8

    56

    1. Portrait des ethnies du Mali : différences anthropologiques, et particularités psychologiques.

    L'ethnie est un groupe humain dont les membres partagent culture, langue, et sentiment d'appartenance234. Cette structure sociale est entrée en concurrence avec l'Etat dès l'indépendance. Une autre forme d'allégeance est créée, la citoyenneté, et tente d'imposer de nouvelles valeurs « importées » par le biais d'institutions, notamment démocratiques235. Alors qu'en Europe au XIXème siècle le fait national précède la formation de l'Etat, en Afrique, il intervient ad hoc, postérieurement à la délimitation territoriale des entités politiques. Ces ethnies, certaines identiques et divisées, d'autres différentes et rassemblées, n'ont pas été fondamentalement perturbées par ce phénomène - elles résistent, se maintiennent là où l'Etat est défaillant, et deviennent à leur tour, dans les paradigmes modernes, un élément de friction, un repère sous-jacent de la conflictualité. Certaines ethnies sont divisées en tribus, elles-mêmes subdivisées en clans. La tribu est un groupe humain lignager, l'ancêtre commun est exprimé par un préfixe nominatif - Ag, chez les Touareg, pourrait vouloir dire « fils de » en tamasheq236. Or, ces structures de solidarité, renforcées par le caractère familial, entretiennent des allégeances sub-étatiques concurrentes à l'Etat-nation. Le communautarisme déforme les principes démocratiques - « la démocratie donne mathématiquement le pouvoir aux peuples, aux ethnies ou aux tribus qui ont le plus grand nombre d'électeurs » 237. La fissure crisogène ne réside pas uniquement dans la relation entre ethnies et institutions étatiques, mais dans les relations entre ethnies elles-mêmes au sein de l'Etat.

    Les ethnies se différencient par le faire (les modes de production), et l'être (leur historicité).

    La culture et les modes de production font partie des principaux référents identitaires de l'ethnie238. Leur activité est conditionnée, dans un premier temps, par la situation géographique : ainsi, les peuples du désert sont essentiellement pasteurs, tandis que les peuples des terres fertiles sont essentiellement agriculteurs. Au sein de ces deux modes de vies, des précisions plus locales s'établissent. Les Bozo et les Somono vivent

    234AMSELLE, Jean-Loup, « ETHNIE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 18 mai 2015

    URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/ethnie/

    235BADIE, Bertrand, L'Etat importé : essai sur l'occidentalisation de l'ordre politique, Paris, Fayard, 1992 236Dans les tribus arabes, le préfixe « ibn », ou « ben » signifie « fils de ». Nous retrouvons le même procédé chez les Berbères avec le préfixe « aït ». Nous supposons donc que le préfixe « ag » en tamasheq pourrait signifier, sinon « fils de », la filiation, et l'appartenance lignagère.

    237LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, op. cit., p.591

    238GALLAIS, Jean, « Signification du groupe ethnique au Mali », L'Homme, Vol.2, n°2., 1962, p.106

    57

    traditionnellement de la pêche, et diffèrent par les techniques utilisées239. Les Bozo descendent des nobles de l'Empire du Ghana, et s'installent après leur déchéance, sur les plaines alentours du fleuve Niger240. Ainsi, ils adaptent leurs traditions aux coutumes locales, sauvegardant les particularités qui les distinguent des autres groupes ethniques. Conditionnés par leur situation géographique, ils développent une activité halieutique essentiellement basée sur la pêche de barrage et de marais, en eaux peu profondes et peu mouvementées241. A l'inverse, les Somono, assimilés par l'Empire toucouleur d'El Hedj Omar, vivent sur les rives du fleuve, d'une pêche plus intense, en eaux profondes - ils « ont de vastes pirogues propres à la batellerie dont ils avaient la charge »242.

    Les Songhaï et les Dogon diffèrent par leur mode de culture, alors qu'ils sont tous deux cultivateurs243. Les Songhaï sont à la frontière entre Afrique « blanche » et Afrique « noire », et descendent de l'Empire Songhaï qui a connu un rayonnement important entre le XVème et le XVIème siècle. Les Dogon sont un peuple difficile à pénétrer, notamment parce qu'ils vivent dans des villages construits sur des falaises ayant une fonction de refuge ; « Appuyées sur la fonction défensive de la montagne, de nombreuses minorités y ont souvent, au cours de l'Histoire, trouvé refuge pour échapper à la pression de peuples, d'Etats ou de religions majoritaires »244. Les techniques de production diffèrent entre ces deux groupes cultivateurs, « les Dogon laborieux, et soigneux, défrichent des champs plus vastes et mieux entretenus. Les Sonraï se contentent de moins [...] »245.

    Des techniques pastorales différentes se trouvent également chez les populations nomades présentes au Mali, « Peuls, Maures, Touareg se côtoient sans se pénétrer »246. Les Peuls sont des nomades musulmans pour la majorité, présents dans une quinzaine de pays au Sahel-Sahara, issus de grands Empires, comme l'Empire peul du Macina247. Ils se sont sédentarisés, mais quelques fractions de la population continuent de pratiquer l'élevage et le pastoralisme. Les Touareg, en conflit avec l'Etat malien depuis l'indépendance, ont un pastoralisme de

    239GALLAIS, Jean, « Signification du groupe ethnique au Mali », op. cit., p.108

    240DIETERLEN, Germaine, SOUMARE, Mamadou, L'Empire de Ghana : le Wagadou et les traditions Yéréré,

    Paris, Karthala, 2000, p.144

    241GALLAIS, Jean, « Signification du groupe ethnique au Mali », op. cit., p.106

    242Ibid., p.109

    243Ibid.

    244ZAJEC, Olivier, Introduction à la Géopolitique, Histoire, Outils, Méthodes, op. cit., p.75 245GALLAIS, Jean, « Signification du groupe ethnique au Mali », op.cit., p.109

    246Ibid.

    247LACROIX, Pierre Francis, « PEULS, FULBE ou FULANIS », Encyclopædia Universalis, [en ligne], consulté le 17 mai 2015

    URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/peuls-fulbe-fulanis/

    58

    groupes (en clans). Leurs cheptels sont composés de bovins, caprins et ovins, de manière indifférenciée, tirant profit et avantage de chacun de leur produit d'élevage248. Ils achètent leurs chameaux aux populations maures, à la fois pasteurs et commerçants. Cette ethnie est moins présente au Mali depuis le rattachement du Hodh, leur terrain de transhumance, à la Mauritanie249. Quelques tribus vivent encore autour de Tombouctou, la partie sahélienne du Mali constituant leur zone de migration. Arabes musulmans, ils vivent généralement en bons termes avec les populations « noires » du sud, si bien que le brassage ethnique a profité à leur culture (origines arabes bédouines, berbères, « noires »)250. Leur organisation sociale est fondée sur la filiation paternelle, au sein d'une société hiérarchisée, dominée par les castes maraboutiques ; « leur genre de vie pastorale est influencé par d'autres préoccupations, les familles très souvent maraboutiques vivent de l'enseignement et des services religieux qu'elles rendent de village en village »251.

    La modernisation de l'Etat concurrence ces techniques de production traditionnelle, alors même qu'elles servaient, en partie, d'indicateur identitaire ; « l'élargissement des activités de l'Homme vers le plein emploi et vers l'exploitation de toutes les possibilités naturelles se heurte à ces contestations banales : « Nous sommes Bambara, donc nous ne pouvons élever des animaux » »252. Et, au-delà, la prépondérance de certains secteurs d'activité plus rentables modifie la perception des modes et techniques de production253. L'activité n'est plus traditionnellement attribuée à tel ou tel groupe, mais est généralisée au sein de l'Etat, attisant convoitise et jalousie ; « Les activités biens rémunérées grâce à l'évolution économique, la pêche en particulier, intéressent de plus en plus les cultivateurs »254. Ces modes de vie singuliers se transforment en activité économique générale : l'ethnie se trouve tiraillée entre deux pôles. Par le haut, un sentiment d'appartenance en gestation tente de se substituer aux allégeances particulières. Par le bas, les nouveaux modes de production et de répartition perturbent les racines, les fondements, de ces particularités humaines. Elles modifient la perception des référents identitaires et désorganisent les monopoles traditionnels.

    248GALLAIS, Jean, « Signification du groupe ethnique au Mali », op. cit., p.110

    249DADDAH, Mokhtar Ould, La Mauritanie contre vents et marées, Paris, Karthala, 2003, p.259

    250MEUNIER, Roger, « MAURES, ethnie », Encyclopædia Universalis, [en ligne], consulté le 17 mai 2015

    URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/maures-ethnie/

    251GALLAIS, Jean, « Signification du groupe ethnique au Mali », op.cit., p.110

    252Ibid., p.108

    253Au Mali, ce phénomène est d'autant plus visible que les premières années de l'indépendance furent dirigées

    par un régime autoritaire de type socialiste.

    254Ibid.

    59

    Si le faire, les modes et techniques de production, ont pu être adaptés et dominés par les nouvelles institutions de l'Etat, l'être, fondé sur l'historicité de ces groupes, vit et résiste aux impulsions externes255. L'histoire ancienne ne peut s'effacer au profit d'une histoire moderne en gestation qui la nierait. Tributaire de la mémoire locale, de la tradition orale, l'historicité de ces ethnies, de leurs ancêtres, se transmet de génération en génération. Inscrite dans l'espace et sur les territoires, elle s'exprime aujourd'hui à travers la répartition géographique des différentes ethnies sur le sol malien, à laquelle elles se sont adaptées ; « l'histoire est un élément de cohésion en dépit des migrations qui ont suivi l'abandon du cadre géographique que le groupe avait réussi à organiser »256.

    L'Etat moderne tente d'assimiler ces entités humaines à sa structure en modifiant les modes de vie (urbanisation), en invoquant de nouveaux principes (démocratie), de nouvelles valeurs (nation). Or, l'historicité de ces peuples reste le noyau dur, et s'exprime plus ou moins fort en fonction de la capacité de l'Etat à satisfaire la population (en termes de justice sociale, politique, économique, par exemple). Nécessaire à la compréhension des logiques sociales et contestataires actuelles, l'historicité trouve dans les institutions modernes un autre mode d'expression et d'affirmation d'elle-même. Elle contribue à élargir l'écart entre réalité sociétale et réalité politique ; entre démocratie moderne, et système politique hybride coincé entre deux temps - « Très souvent, la différenciation ethnique repose sur le souvenir historique des rivalités, et est entretenue par des oppositions ou des nuances entre les organisations socio-politiques » 257.

    La mémoire de ces ethnies s'exprime à travers deux tendances : la répulsion, et l'attraction. Une dynamique construite comme un jeu à somme nulle, un même évènement pouvant à la fois être répulsif pour une partie de la société malienne, et attractif pour l'autre. Les liens et relations tissés dans cet espace depuis des siècles, continuent d'influencer les enjeux politiques et géopolitiques.

    La tendance répulsive se fonde sur le traumatisme de l'esclavage. Il s'exprime comme un rejet absolu de la domination au sein de l'Etat par d'anciens peuples esclavagistes. Cette

    255 « La thèse de l'extranéité prend peut-être l'exception pour la règle. L'Etat en Afrique et surtout en Asie ne doit pas être tenu a priori pour le simple produit de synthèse de l'épisode colonial. Maintes formations politiques de ces deux continents préexistaient à leur mise en dépendance par l'Occident [...] », BAYART, Jean-François, « L'historicité de l'Etat importé », op. cit., p.9

    256GALLAIS, Jean, « Signification du groupe ethnique au Mali », op. cit., p.111

    257Ibid., p.108

    60

    matrice négative s'exprime à travers la captation ethnique du pouvoir politique, et dans les contestations régionales, puisque « les anciens esclaves constituent la base du djihadisme »258.

    « En Afrique subsaharienne, la nation repose sur un grand mensonge historique selon lequel la traite esclavagiste était une histoire de Blancs. Leur culpabilité ne fait aucun doute, mais ils n'ont pas été seuls et ont toujours travaillé en joint-venture avec des « Noirs ». Lorsque la traite esclavagiste transatlantique s'éteint progressivement au début du XIXème siècle, on assiste alors à une explosion de l'esclavagisme interne aux sociétés africaines. Certains guerriers qui appliquent le djihad sont des esclavagistes. »259

    Les peuples sédentaires soudaniens ont, de par leur mode de vie, pu s'adapter avec plus de facilités aux nouvelles formes de gestion du politique. Ils se retrouvent souvent majoritaires dans des Etats qui, en érigeant la démocratie en principe, leur donne l'occasion d'exprimer numériquement leur domination. Et, les descendants d'anciens esclaves réprouvent, de manière quasi obsessionnelle, toute autorité à laquelle ils ne participeraient pas, d'autant que ce phénomène reste prégnant dans la société ; « Aujourd'hui en Afrique de l'ouest, tout le monde sait qui est fils d'esclave ou de noble, par le nom, la manière de rire - le rire grossier n'a pas la réserve aristocratique »260.

    Cette réalité historique s'est transformée, dans les années 1960, en problématique sociale irrésolue ; « tous les partis nationalistes - et l'Indépendance - se sont construits sur un mensonge : l'occultation de la question sociale » 261. Et, cette problématique a gangréné, jusqu'à se trouver aujourd'hui intimement connectée aux questions sécuritaires régionales ; « la question du djihad et de l'esclavage sont donc imbriquées » 262.

    D'autres ethnies maliennes inscrivent cette histoire dans les temps glorieux de leur apogée. Ce long moment sahélo-saharien freine la cohabitation politique, en favorisant le repli communautaire. Il ravive, par ailleurs, la frustration de certaines sociétés historiquement dominante, qui refusent d'être dominées. Au-delà du communautarisme, cette frustration s'exprime par le rejet de l'Etat malien (irrédentisme touareg), et de la modernité elle-même (djihadisme).

    258BAYART, Jean-François, « Les anciens esclaves constituent la base du djihadisme », Le Un, n°43, février

    2015 259Ibid.

    260Ibid. 261Ibid. 262Ibid.

    61

    2. Le Moyen-âge sahélien : les Empires de la route et l'historicité des ethnies maliennes.

    La tendance attractive est principalement fondée sur la nostalgie d'un passé glorieux et conquérant ; « Les pays sahéliens et soudaniens de l'Afrique de l'ouest ont connu des Empires qui ont duré et rayonné. La nostalgie et l'orgueil qui demeurent liées à ces souvenirs fournissent au groupe un élément de cohésion qui résiste à la dispersion et au déclin »263. Les Malinké, à l'origine de plusieurs ethnies comme les Bambara, dominaient l'Empire du Mali avec son fondateur Soundiata Keita ; « C'est ainsi que le groupe malinké qui occupe actuellement une vaste région de la Casamance au nord-ouest de la Côte d'Ivoire, demeure le dépositaire du souvenir glorieux de l'Empire du Mali »264. A l'indépendance, Modibo Keita donne le nom de Mali à l'ancien Soudan français, exprimant inconsciemment, ou consciemment, cette référence au passé qui exclut l'historicité des autres ethnies. Il a de plus organisé l'administration autour des Bambara, reproduisant ainsi le schéma de l'ancien Empire265.

    L'Afrique de l'ouest, et le Sahel-Sahara, ont connu plusieurs Empires fonctionnant sur des schémas différents des Empires occidentaux. L'espace mobile dans lequel ils évoluaient a conditionné leur multiplicité, leur concurrence, et le mouvement des centres de gravité transsahariens. Les indépendances ont réactivé l'histoire sahélo-saharienne, qui s'exprime en dehors de la parenthèse coloniale par les moyens modernes du politique. Cette histoire prégnante reflète les âges d'or266 successifs qui constituent le coeur des consciences ethniques concernées ; « Un homme de ces régions peut se définir ethniquement par l'histoire, une histoire dont il ne connait pas le plus souvent les détails, mais qu'il sait, ainsi que tous ses voisins, avoir été brillante »267.

    263 GALLAIS, Jean, « Signification du groupe ethnique au Mali », op. cit., p.111

    264 Ibid.

    265 Guy Nicolas explique qu'aux indépendances, le modèle de l'Etat européen devait être imité tel quel, en ignorant les traditions locales (pour ce faire, les leaders soutenus étaient issus des universités françaises par exemple). Or, le mimétisme n'a pas fonctionné, laissant place à un fossé entre classe dirigeante, qui cherche à maintenir sa position, et masse, dont émane de nouveaux leaders contestataires du pouvoir en place. Dès lors, « la conscience « ethnique » se transformait en « ethnisme » et s'affirmait comme force politique de premier plan », notamment en terme d'opposition et de ralliement des populations.

    NICOLAS, Guy, « Crise de l'Etat et affirmation ethnique en Afrique noire contemporaine », Revue française de science politique, Vol.22, n°5, 1972, pp.1017-1018

    266 « Dans l'histoire d'un peuple, une période empreinte de souvenirs glorieux, de puissance et d'influence peut être magnifiée afin de servir de référence à des ambitions géopolitiques précises. », ZAJEC, Olivier, Introduction à la Géopolitique, Histoire, Outils, Méthodes, op. cit., p.133

    267GALLAIS, Jean, « Signification du groupe ethnique au Mali », op. cit., p.114

    62

    Schématiquement, les conflits identitaires au Sahel-Sahara sont représentés autour d'une opposition Blancs/ « Noirs ». Bien qu'elle soit avérée, cette réalité n'est pas exclusive. Il existe également, d'une part, une opposition entre Blancs arabes et Blancs berbères, traduite par une pléthore de conflit sans cesse réactivée au cours des siècles268. Et d'autre part, une opposition entre ethnies soudaniennes elles-mêmes, construite autour de leur passé impérial, mais également de leur relation à l'islam. Dès lors, il ne semble pas y avoir de fil d'Ariane civilisationnel stricto sensu. La réalité des faits semble composer avec une histoire riche d'acteurs multiples et variés, qui, avec le dégel des conflits identitaires larvés, modernise et catalyse la conflictualité latente de cet espace. Cette concentration de structures sociales particulières, fortes, affirmées, suit intrinsèquement des logiques politiques et géopolitiques classiques : l'imposition de sa particularité, le rayonnement, la domination - les enjeux de pouvoir sur les territoires, expression géographique des identités.

    « En Afrique de l'ouest, de grands Empires urbanisés apparurent dans la zone de contact entre le monde saharien et sahélien. »269

    Ces Empires dits « de la route », interviennent successivement dans l'histoire de cet espace, « associant un « centre » sédentaire »270 au « rayonnement par la route »271. Ils sont ethno-centrés « Soninké au Ghana, Malinké ou Mandingue au Mali, Kanuzi (nilo-sahariens) au Kanem et Songhay dans l'Empire de Gao »272. Conditionnés par le milieu, ils sont principalement fondés sur la nécessité de sécuriser les voies commerciales, les flux, et les carrefours transsahariens273. Les villes florissantes deviennent les centres névralgiques de la mobilité et des échanges ; les mouvements des Empires successifs déplacent les fuseaux de circulation d'ouest en est. La ville de Sijilmassa, par exemple, est « une plaque tournante [...]

    268 « Les Berbères revendiquent une présence au Maghreb vieille de plus de cinq mille ans. Leur communauté s'étend sur prés de cinq millions de kilomètres carrés, de la frontière égypto-libyenne à l'Atlantique et des côtes méditerranéennes au Niger, au Mali et au Burkina. Leur culture, leur identité et leurs droits ont longtemps été méprisés, leurs revendications étant assimilées d'abord au « parti colonial », puis plus tard interprétées comme sécessionnistes. » JARDIN, Yves, REKACEWICZ, Philippe, « Les Berbères en Afrique du nord », Le Monde Diplomatique, [En Ligne], décembre 1994

    URL : http://www.monde-diplomatique.fr/cartes/berberes1994

    269LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, op. cit., p.226

    270 OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.39

    271 Ibid.

    272 LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, op.cit., p.229

    273« Ils [les Empires de la route] se succèdent dans la fonction d'assurer la sécurité et la permanence du passage à travers le Sahara malgré la discontinuité du peuplement et l'éloignement des points de relais que sont les villes-oasis. », OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op.cit., p.39

    63

    lien entre l'Afrique blanche et l'Afrique « noire »274 - les caravanes qui passent d'une rive à

    l'autre du désert transitent nécessairement par ce centre urbain. De nouveaux noyaux apparaissent au rythme des conquêtes impériales, comme la ville de Tombouctou qui, à la fin du XIVème siècle, devient le principal pôle commercial de la région.

    « Avec la naissance de l'Empire du Mali, une nouvelle route apparut au XIIème siècle, toujours au départ de Sijilmassa, mais désormais en direction du Sahara central. A partir du XIVème siècle, le grand axe transsaharien qui permettait de relier Sijilmassa - Oualata et le Bamouk ou Oualata - Taoudeni et Tombouctou, s'effaça peu à peu au profit des pistes orientales qui, par Ghat et Zaouila, conduisaient en Tripolitaine et en Egypte. »275

    o Empire du Ghana (VIIIème - XIIIème)

    L'Empire du Ghana occupe une place importante dans la conscience africaine, puisqu'il est l'un des premiers Empires dominés par une ethnie soudanienne - les Soninké276. Il est construit initialement sur la route reliant Sijilmassa à Ghana. Il conquiert en 990, Aoudaghost, grand comptoir arabo-berbère, dans l'actuelle Mauritanie, imposant son rayonnement sur une partie du Sahel-Sahara occidental - son apogée territoriale est atteinte au Xème siècle, puisqu'il s'étend du Sénégal à Tombouctou277. En contact avec les deux Afriques, il connait une activité marchande intense dominée par le secteur aurifère. Peuplés de cultivateurs sédentaires, il se distingue par une « puissante cavalerie »278, et un quasi monopole sur le commerce lui assurant richesse et prospérité279. L'animisme, et le culte du serpent Bida280,

    274LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, op. cit., p.229

    275 Ibid. pp.230-231

    276 En 1957 par exemple, Kwame Nkrumah remplace le nom de Gold Coast hérité de la colonisation, par le nom de Ghana.

    277Ibid., p.231

    278Ibid.

    279 Non seulement, l'Empire est prospère grâce à sa propre production, mais également parce qu'il perçoit une sorte d'impôt sur tous les transits qui traversent son territoire - « Le roi prélève un denier d'or sur chaque âne qui entre chargé de sel dans son pays et 2 deniers à la sortie. Il perçoit 5 milhqâl de cuivre et 10 par charge de marchandise. », KABORE, Patrice, « L'Empire du Ghana », Histoire Géographie en classe, [En Ligne], le web pédagogique

    URL : http://lewebpedagogique.com/patco/tag/lempire-du-ghana/

    280« Le culte de Bida fut abandonné par les Soninké convertis et dispersés qui ne purent rétablir leur autorité politique. [...] Ce culte est nettement mémorisé au Mali [...] Un sacrifice est fait le premier jeudi du septième mois après la fin de la saison des pluies sur un vase, le hampi, que l'on remplit d'eau ; on renverse ensuite le

    64

    domine les populations, bien que des musulmans soient présents, y compris dans l'administration. Le roi impose l'idée d'une sorte de monarchie sacrée - incarnation de la divinité, il contrôle aussi bien « l'ordre naturel (fertilité, fécondité) que l'ordre politique »281. La succession au trône est matrilinéaire (le fils de la soeur du roi). Le déclin de l'Empire est dû à deux principaux facteurs : le climat et la désertification qui reprend dans les années 1100, et l'invasion des Almoravides ; « En 1076, Koumbi Saleh fut conquise et les Almoravides s'y livrèrent à d'épouvantables massacres restés présents dans la mémoire collective : décapitation des prisonniers, viols puis éventration des femmes, destruction de la ville par le feu »282. L'Empire du Ghana disparait complètement avec la conquête de ses vestiges par le Mali, au XIIIème siècle.

    o Empire du Mali (XIIIème - XVème)

    L'Empire du Mali est fondé en 1235 par Soundiata Keita, suite à sa victoire sur les Sosso au nord de Bamako ; « Le Mali est le résultat d'une vaste entreprise de conquête réalisée par Soundiata qui, en moins d'un demi-siècle, constitua un Empire allant de l'Atlantique à la boucle du Niger, sur une longueur de 2000 km »283. Cet Empire est connu des historiens arabes et européens, notamment grâce à Ibn Battûta, « impressionné par Tombouctou »284, qui en décrivit les rites et coutumes ; et par l'Atlas Catalan offert au Roi de France sur lequel figure le Mali. Le nom Mali viendrait d'un message adressé par Soundiata Keita aux chefs locaux vaincus :

    « Tous les rois qui ont lutté contre moi et qui ont été vaincus conserveront leurs royaumes. L'animal le plus puissant, aussi bien dans l'eau que la terre est l'hippopotame (« mali » en bambara) et tous ensembles, nous formons une force encore plus importante que celle de l'hippopotame et c'est pourquoi l'empire aura pour nom Mali. »285

    Il est une sorte de confédération, constituée d'entités (royaumes et provinces) tributaires, dirigés par des Farins (sorte de gouverneurs). Le mansa est musulman, mais la population

    vase, l'eau qui coule est comme la pluie qui « rafraîchit » la terre. », DIETERLEN, Germaine, SOUMARE,

    Mamadou, L'Empire de Ghana : le Wagadou et les traditions Yéréré, op. cit., p.153

    281PERSON, Yves, « GHANA EMPIRE DU », Encyclopædia Universalis, [en ligne], consulté le 18 mai 2015

    URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/empire-du-ghana/

    282LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, op. cit., p.233

    283Ibid., pp.233-234

    284GREGOR, Isabelle, « Tombouctou, « la ville au 333 saints » », Hérodote.net, [En Ligne], janvier 2013

    URL : http://www.herodote.net/Tombouctou-synthese-1744.php

    285LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, op. cit., p.235

    65

    n'est pas homogène, composée également d'animistes. La diffusion de l'islam se fait principalement par l'éducation, mais la situation géographique du Mali, espace de jonction composé de peuples différents, relativise les logiques impériales, préférant à l'assimilation un mélange entre traditions locales et traditions religieuses. D'autant que jusqu'au XVIème siècle, l'islam est la culture des princes et des élites286. Ainsi, l'esclavage, contraire aux lois du Coran, n'est pas prohibé, et demeure partie intégrante de la société.

    L'apogée de l'Empire se fait sous le règne de Kankou Moussa, un des premiers dirigeants soudaniens à effectuer son pèlerinage à la Mecque287. A cette époque, le territoire s'étend de l'Adrar des Ifoghas à l'estuaire de Gambie ; « Le souverain malien Mansa Musa, qui règne de 1307 à 1332, se rend en pèlerinage à la Mecque et établit des liens avec le Maroc et l'Egypte »288. Il serait rentré de ce pèlerinage avec un architecte arabe et un savant koraïchite, entamant la construction au sein de l'Empire de nombreuses mosquées.

    Le déclin de l'Empire se fait progressivement ; par un glissement du coeur politique vers l'est, par la perte de contrôle des axes commerciaux, et par les conquêtes Songhaï qui prennent Djenné et Tombouctou - « sur les ruines de l'unité impériale naquirent alors plusieurs entités dont les plus importantes furent les royaumes bambara de Ségou et du Kaarta »289.

    o Empire songhaï (XVème - XVIème)

    L'Empire songhaï, ou Empire de Gao, aurait été fondé au VIIème siècle, à l'est de la boucle du Niger, par Za el Ayamen, un berbère fuyant la conquête arabo-musulmane290. La population serait le produit d'un métissage entre Berbères et Soudaniens. La première dynastie des Dia commande un petit royaume tributaire de l'Empire du Mali. Le royaume prend Gao pour capitale, et les rois se convertissent à l'islam au début du XIème siècle. Sonni Ali Ber, qui fonde la dynastie Sonni, profite de la faiblesse du Mali pour reconquérir Gao (conquise au XIIIème siècle par le Mali), ainsi qu'une partie du Macina, Djenné, et

    286Académie de Strasbourg, « Les royaumes africains médiévaux », Ac Strasbourg, [En Ligne], PDF

    URL : http://www.acstrasbourg.fr/fileadmin/pedagogie/histoiregeographie/Se_former/Nouveaux_programmes_de _5e/Royaumes_africains/Les_royaumes_africains__accompagnement_de_la_presentatio.pdf

    287DEVEZE, Claire, « Regards sur l'Afrique [...] Kantou Moussa part en pèlerinage », Académie de Montpelier, [En Ligne], PDF http://hist-geo.ac-montpellier.fr/v1/IMG/pdf/5_KANKOU_MOUSSA_PART_EN_PELERINAGE_2.pdf 288CHALLIAND, Gérard, RAGEAU, Jean-Pierre, Géopolitique des empires, des pharaons à l'impérium américain, Paris, Flammarion, 2012, p.105

    289LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, op. cit.,, p.236

    290Ibid., p.236

    Tombouctou, qui deviendra la capitale culturelle de l'Empire291. Le Songhaï s'étend sur le Mali, le Niger, et une partie du Nigeria actuel. Les fuseaux commerciaux transsahariens sont déplacés vers la boucle du Niger. Tombouctou devient un centre culturel et économique effervescent :

    « Tombouctou était à la fois le point d'arrivée des caravanes venues du nord et le point de concentration de celles qui s'apprêtaient à y retourner. C'est de ce rôle carrefour que la ville tira son immense prospérité qui se traduisit dans le domaine culturel. Tombouctou fut en effet à la fois capitale économique, capitale culturelle et ville sainte. Implanté dans les milieux sahéliens citadins, l'islam fut la religion des milieux dominants, riches marchands ou cadres politiques. A l'époque de l'Empire songhay, de nombreuses mosquées furent édifiée à Tombouctou dont les trois principales, la Jingereber, la Sidi Yaya, et la Sankore attiraient une foule de fidèles qui visitaient la « ville sainte » du Soudan. »292

    A partir de cette situation géographique et politique, l'Empire songhaï développe un impérialisme régional aux dépens, au nord, des Touareg, au sud, des Dogon, Bariba et Mossi, et à l'ouest, du Mali293. L'Empire prospère grâce au commerce transsaharien, principalement le sel et l'or. En 1493, Sarakollé Touré succède à Sonni Ali Ber, et fonde la dynastie des Askia. Il islamise l'Empire, et entre en conflit avec les Saadien qui convoitent les salines de Teghaza294. Quelques années plus tard, l'askia Ishak Ier (15391545) envoie des Touareg ravager le Draa marocain, actant le départ d'une guerre. Et, c'est sous l'askia Mohammed III (1583-1586) que l'Empire de Gao éclate et se disperse définitivement295.

    66

    291Ibid.

    292LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, op. cit., p.238 293Ibid., p.236

    294Ibid. 295Ibid.

    67

    II. Les islams en Afrique : De la conquête arabe aux djihads précoloniaux.

    L'islam pénètre progressivement en Afrique dès les premières années de l'Hégire, et modifie profondément la géopolitique de cet espace.

    Alors qu'ils sont persécutés par les autorités mecquoises, certains compagnons du prophète Mohamed, suivant ses ordres, s'exilent de l'autre côté de la mer Rouge où ils sont accueillis par le souverain chrétien d'Axoum, au nord de l'actuel Ethiopie296. Les relations entre le royaume d'Axoum et le monde musulman naissant sont caractérisées par l'échange et le dialogue - d'autant que le premier muezzin de l'islam, Bilal, est un esclave affranchi originaire d'Axoum297. Le souverain chrétien respecte et loge ces migrants qui prônent le Dieu unique dans une Arabie païenne. Ainsi, cette première sortie d'Arabie ne se fait pas par la violence de la conquête, mais par l'échange, et le renouveau du dogme monothéiste qui séduit l'Afrique du nord divisée. A sa mort en 632, le prophète Mohamed contrôle quasiment toute la péninsule arabique. Le premier calife, Abu Bakr, lance dès 633 une expédition contre les possessions byzantines en Syrie, actant le départ d'une longue série de conquêtes de plus en plus poussées vers l'ouest298. Et c'est son successeur Omar qui, en 635 soumet Damas, la Mésopotamie, et une partie de l'Arménie299. Le monde arabo-musulman se tourne une seconde fois vers l'Afrique, et sort cette fois de la péninsule armes en main en direction de l'Egypte. Cette seconde sortie, faite par la guerre et la conquête, marque d'une certaine manière la fin du repli arabique et le début de l'épanchement mondial (1).

    Il existe deux tendances dans l'expansion de l'islam, comme deux pulsions d'Eros et Thanatos concomitantes - la diffusion par la paix, l'imposition par la guerre. Elles participent toutes deux à l'élaboration de cette nouvelle réalité : l'arrivée de l'islam en Afrique, et l'émancipation des islams africains (2).

    296FICQUET, Eloi, « L'histoire de l'Islam en Afrique depuis le 7e siècle », Conférence UTLS, enregistrement

    vidéo, [En Ligne], 2'06», 23'42»

    URL : https://www.youtube.com/watch?v=0J4OaooRDoo

    297AL HACHEM, Mohamed, Bilal, le premier muezzin de l'Islam, Paris, Al Bouraq, 1998

    298CHALLIAND, Gérard, RAGEAU, Jean-Pierre, Géopolitique des empires, des pharaons à l'impérium

    américain, op. cit., p.90

    299LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, op. cit., p.166

    68

    1. De l'islam arabe aux islams africains : Une religion localement adaptée.

    Au VIIème siècle l'Egypte fait face à une crise politique et sociale : d'un côté les gouverneurs byzantins orthodoxes, de l'autre, les coptes300 locaux asservis qualifiés d'hérétiques301. L'arrivée des Arabes est louée par les coptes qui y voient un moyen de résister aux Grecs ; d'autant que les guerriers arabes avaient pour ordre de respecter ces populations au nom de Maria, femme du prophète d'origine copte302.

    « Le Dieu des vengeances voyant la méchanceté des Grecs qui, partout où ils dominaient, pillaient cruellement nos églises et nos monastères et nous condamnaient sans pitié, amena de la région du Sud les fils d'Ismaël pour nous délivrer [...]. Ce ne fut pas un léger avantage pour nous que d'être libérés de la cruauté des Romains. »303

    Les Byzantins se replient face à la poussée des guerriers arabes, et tiennent un siège à Alexandrie : « Le siège d'Alexandrie débuta au début de l'été 641. Au mois de septembre 642, la riche cité pourtant protégée par un impressionnant système défensif fut abandonnée par sa garnison byzantine et se rendit aux Arabes qui n'avaient pourtant pas les moyens de la prendre »304. Les divisions religieuses entre Eglise orthodoxe et Eglise monophysite favorisent l'insertion, la diffusion, et la conversion rapide des Egyptiens à l'islam ; « car le petit peuple chrétien, étranger aux querelles théologiques qui opposaient les clercs, fut séduit par la clarté du message monothéiste et égalitaire véhiculé par les conquérants »305.

    300Ce sont des chrétiens d'Egypte de généralement de confession monophysite.

    Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, « Copte », CNRTL, [En Ligne], 2012

    URL : http://www.cnrtl.fr/definition/copte

    301FICQUET, Eloi, « L'histoire de l'Islam en Afrique depuis le 7e siècle », Conférence UTLS, enregistrement

    vidéo, [En Ligne], 6'08», 23'42»

    URL : https://www.youtube.com/watch?v=0J4OaooRDoo

    302GAÏD, Tahar, « Epouses du Prophète », Oumma, [En Ligne], 2002

    http://oumma.com/Epouses-du-Prophete

    303 LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, op. cit., p.167 304Ibid.

    305 Ibid., p.166

    69

    Le troisième calife Othman poursuit la conquête de l'Afrique à partir du socle égyptien, d'abord vers le sud du Nil, où il se confronte au royaume de Nubie chrétien avec lequel il conclut un pacte306, puis vers l'ouest, dans le Maghreb actuel, terre des Berbères.

    L'Afrique du nord est à cette époque divisée « entre Byzantins et Berbères, entre partisans de l'empereur et chrétiens fidèles à Rome »307, ce qui facilite la pénétration arabo-musulmane308. En revanche, la conquête militaire se fait avec bien moins d'aisance qu'en Egypte, puisque les Berbères résistent pendant près d'un siècle309. A la fin du VIIIème siècle, le Maghreb finit par être intégré au Califat Omeyyade sous le commandement de Musa Ibn Nusayr310.

    L'islamisation se fait massivement311, et l'arabe étant la langue de la religion, cette conversion entraine « l'arabisation cultuelle [...] et donc culturelle »312 des peuples berbères313. Or, si la conversion religieuse n'a pas rencontré trop d'obstacles, la résistance berbère à l'arabisation est bien plus virulente, et ce notamment à cause des contestations vis-à-vis du Califat Omeyyade314. La répartition des devoirs fiscaux au sein de l'Empire s'organise autour de la distinction entre musulmans et non-musulmans. Mais, du fait de l'islamisation massive des Berbères et de la peur de perte de rente, les califes exigent des nouveaux convertis l'acquittement d'une taxe foncière (kharaj) et d'une taxe personnelle (jiziya), les mettant au

    306« En échange de la reconnaissance de leur indépendance, les Nubiens s'engageaient à livrer annuellement un tribut en esclaves « noirs » capturés parmi les tribus nilotiques de l'actuel Sud-Soudan. », LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, ibid., p.167

    307CAMPS, Gabriel, « Comment la Berbérie est devenue le Maghreb Arabe », Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, n°35, 1983, pp.7-24

    308Il est intéressant de voir qu'aujourd'hui encore, l'islam violent, c'est-à-dire, le « djihadisme », s'insère essentiellement dans les espaces où des fractures sociales et politiques existent entre les populations, et s'impose comme solution de substitution, ou bien comme allié d'un des deux camps. Nous retrouvons la même mécanique et les mêmes dynamiques.

    309FICQUET, Eloi, « L'histoire de l'Islam en Afrique depuis le 7e siècle », Conférence UTLS, enregistrement vidéo, [En Ligne], 10'03», 23'42»

    URL : https://www.youtube.com/watch?v=0J4OaooRDoo

    310BOHAS, Georges, « MÛSÂ IBN NUSAYR (640-716/17) », Encyclopædia Universalis, [en ligne], consulté le 18 mai 2015

    URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/musa-ibn-nusayr/

    311« Les causes de la relative facilité de la conquête et de l'islamisation sont [...] : Faiblesse des Byzantins [...] Divisions entre Berbères sédentaires et Berbères nomades [...] Anarchie dans tout le pays, amplifiée par les Vandales [...] Divisions de toute l'Afrique du Nord chrétienne dues aux querelles théologiques [...] », LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, op. cit., p.179

    312LUGAN, Bernard, « Les Berbères, la mémoire des sables », Clio, [En Ligne], septembre 2000

    URL : https://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/les_berberes_la_memoire_des_sables.asp

    313« L'arabisation linguistique et culturelle de l'Egypte fut rapidement réalisée à partir du moment où, en 706, le calife omeyyade Walid Ier (705-715) décida que l'arabe devenait langue officielle en Egypte et en Syrie. Le mouvement fut achevé à partir de 715, quand il remplaça les fonctionnaires chrétiens par des musulmans. », LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, op. cit., p.168

    314La notion d'Umma surgit des conquêtes Omeyyades, « pour laquelle l'arabe était devenu la langue de culte et parfois de culture », LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, op. cit., p.181

    70

    même rang que les non-musulmans315. Or, « pour les Berbères, qui se considéraient comme de vrais musulmans, il y avait une terrible injustice qu'ils ne pouvaient accepter »316.

    « L'Empire Omeyyade fut donc perçu par eux pour ce qu'il était, à savoir un Etat arabe dirigé par une aristocratie composée de la tribu mecquoise des Kurashites laquelle considérait le monde musulman comme un bien personnel conquis par la force et dont elle pouvait ponctionner les ressources. »317

    Les Berbères ne se révoltent pas contre l'islam, mais contre les Arabes, et en particulier les Koraïchites qui n'ont, pour eux, aucune légitimité politique318. Cette résistance de la berbérité se traduit par la manifestation de deux branches dissidentes de l'islam, le kharijisme et le chiisme (qu'on retrouve surtout chez les Perses, à l'est)319. Ces deux dissidences ouvrent la voie à une démultiplication des branches de l'islam en Afrique, et une adaptation locale de la religion.

    « Le kharijisme qui procède de la grande crise née en 656 au sein du monde musulman à la suite de l'assassinat du calife Othman repose sur une idée fondamentale : la direction de la communauté musulmane doit être confiée par élection au meilleur des siens et cela sans distinction de race, ce qui implique l'égalité de tous les musulmans. Pour les kharijites, le calife devait donc être élu par tous les musulmans sans exception. Pour cette doctrine égalitaire et « démocratique », tous les membres de l'Umma étaient égaux, qu'il s'agisse des Arabes ou des convertis, il n'était donc pas acceptable que les vainqueurs arabes constituassent une oligarchie dominant la masse des croyants nouvellement convertis. Pour les Omeyyades, cette hérésie était évidemment inacceptable car elle menaçait l'essence même de leur pouvoir devenu temporel et ils traquèrent les dissidents. »320

    315LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, op. cit., p.182 316Ibid.

    317Ibid., p.183

    318Dans les premiers temps de l'Islam, sur la péninsule arabique, les Koraïchites avaient combattus le prophète et

    ses compagnons. 319Ibid., p.180 320Ibid., p.184

    71

    A partir du Xème et XIème siècles, des groupes berbères islamisés s'implantent au Sahel. Avec l'Empire almoravide, l'islamisation progressive de l'Afrique de l'ouest commence par l'attaque, en 1076, de la capitale de l'Empire du Ghana321. Rejointe par des « noirs » islamisés, les Tekrour322, l'armée d'Abu Bakr finit par assiéger la capitale de l'Empire et les routes du Sahel-Sahara. A partir de là, l'islam évolue, avec l'Empire du Mali, et l'Empire du Kanem323, par exemple. Aux routes commerciales transsahariennes s'ajoute une nouvelle route est-ouest, la route du pèlerinage à la Mecque.

    En Afrique de l'ouest, l'islamisation se fait, non pas au détriment de l'animisme local, mais conjointement à cette réalité sociale. La religion monothéiste n'éradique, ni ne supprime, les croyances singulières - elle cohabite avec elles, dans une sorte d'hybridation qui fonde la particularité de l'islam africain324. Bien que convertis à l'islam, les souverains sahéliens continuent de tirer leur légitimité politique des croyances animistes325 ; « Cette organisation religieuse [animisme] est la garantie de l'organisation sociale toujours fondée en Afrique sur la notion de parenté, sur la famille patriarcale, suivant une hiérarchie stricte qui donne au patriarche l'autorité absolue sur toute la communauté du lignage ou du clan [...] »326. Alors même que certaines pratiques animistes, comme le culte des objets, sont en désaccord complet avec les lois du Coran, elles survivent dans leurs formes traditionnelles. Elles ont contribué en grande partie au maintien de la cohésion sociale ; « Ces religions prennent des formes variables suivant les régions et l'ethnie. Mais elle est animiste, c'est-à-dire, repose sur l'idée que des esprits

    321THOUY, Michel, « L'islamisation de l'Afrique Occidentale au Moyen-âge (IX°-XVI°s) », Académie Dijon, [En Ligne], PDF,

    URL : http://histoire-geographie.ac-dijon.fr/IMG/pdf/Islamisation_Afrique_occidentale.pdf

    322Ibid.

    323Royaume au nord du Tchad fondé vers le VIIIème siècle, devenu Kanem-Bornou, considéré par Marc-Antoine Pérouse de Montclos comme « L'ADN de Boko Haram », PEROUSE DE MONTCLOS, Marc-Antoine, « L'ADN de Boko Haram », Le Un, n°43, février 2015

    324« L'appartenance à l'Islam des familles royales n'exclut pas le maintien de pratiques animistes et ce d'autant plus que celles-ci sont intimement liées à la légitimité du pouvoir [...] », dans Michel Thouy, « L'islamisation de l'Afrique Occidentale au Moyen-âge (IX°-XVI°s) », Académie Dijon, [En Ligne], PDF,

    URL : http://histoire-geographie.ac-dijon.fr/IMG/pdf/Islamisation_Afrique_occidentale.pdf

    325« L'islam a rencontré un succès certain dans ces sociétés et de façon plutôt paradoxale dans les milieux du pouvoir politique paradoxale car en effet ces mêmes pouvoirs tenaient leur légitimité de la pratique de l'animisme. », Ibid.

    326BRAUDEL, Fernand, Grammaire des civilisations, op. cit., p.212

    72

    habitent tous les êtres de la nature, et survivent aux morts (fétichisme et culte des objets par exemple) »327.

    « Les pratiques animistes ne sont pas absentes dans l'islam pratiqué par les empereurs ; ainsi le même Mansa Mousa liait semble-t-il étroitement la rentabilité des mines d'or sous son contrôle à la pratique de l'animisme. Ce serait donc, aux dires de cet empereur, volontairement que le Mali autorisait les cultes animistes dans les régions productrices et que les populations concernées étaient exemptées de tribut afin de garantir la production de ce métal si précieux. Par ailleurs, dans sa description de la cour du Mali, Ibn Battûta rapporte que les audiences de l'empereur avaient lieu sous la protection de deux boucs chargés d'éloigner le mauvais oeil. »328

    « Parmi les regalia connues des askya, figure à côté d'un sabre et d'un turban le « din-toüri » qui n'est autre que le « bois à allumer le feu ». Les premiers furent remis à askya Mohamed lors de son pèlerinage à la Mecque en 1495-1496 par le calife Abbasside qui lui conféra le titre « d'imän et de protecteur des croyants pour tout le Soudan occidental ». Le troisième illustre l'héritage de la période animiste de la dynastie. Une double légitimité apparaît donc ici, celle de premier maître d'un territoire et celle conférée par l'islam. »329

    L'expansion de l'islam en Afrique n'a pas été un mouvement unifié. Elle s'est faite plus ou moins progressivement, par trois canaux : les conquêtes arabes sur le Maghreb, puis berbères sur l'Afrique de l'ouest, et soudaniennes sur le Sahel-Sahara ; le commerce transsaharien, les flux de marchandises et d'idées ; la présence de savants et d'intellectuels au sein des Empires330, qui contribuent à l'effervescence de cette culture dans des villes comme Tombouctou et Gao331. Cette expansion donne naissance à une hybridation de traditions en apparence contradictoires, en constantes évolutions : vers l'extérieur, la diffusion de l'unicité par le djihad, et vers l'intérieur, l'adaptation de la religion aux particularités des sociétés africaines.

    327BRAUDEL, Fernand, Grammaire des civilisations, op. cit., p.211

    328THOUY, Michel, « L'islamisation de l'Afrique Occidentale au Moyen-âge (IX°-XVI°s) », op. cit. 329Ibid.

    330 « Les interprètes du roi sont choisis parmi des musulmans, ainsi que son trésorier et la plupart des ministres », Ibid.

    331« L'instrument principal assurant la propagation de cette foi islamique dans cette partie du monde était le

    verbe du commerçant, puis l'épée du combattant de la foi et enfin l'enseignement du prosélyte lettré, mais aussi la bienveillance doublée parfois de la rigueur du souverain déjà acquis à cette foi. », MBAYE, Ravane, « L'islam noir en Afrique », op. cit., p.833

    73

    2. Dissidences et unité : des islams africains aux djihads précoloniaux

    L'adaptation de l'islam en Afrique crée une sorte de mélange entre tradition maraboutiste et religion musulmane qui s'exprime par un regain du mysticisme islamique, et l'émergence de la pensée confrérique entre le XVIIIème et le XIXème siècle332. Bien que le kharijisme et le chiisme aient été les premières dissidences contestataires à l'égard de l'islam arabe, le sunnisme reste dominant, et trois tendances se démarquent333.

    La tendance moderniste actuelle est essentiellement composée de jeunes ayant fait des études supérieures dans des écoles arabes « « essentiellement axées sur l'apprentissage de la langue arabe pendant que l'autre [école coranique] privilégie l'éducation religieuse »334. Elle se traduit par la multiplication d'associations culturelles islamique en Afrique de l'ouest et au Sahel-Sahara poussant au réformisme, et « s'opposant ainsi ouvertement aux confréries mystiques sur lesquelles repose toute la force de la tendance traditionnaliste généralement hostile à tout changement »335. Bien qu'en mouvement, cette poussée moderne ne résorbe pas les polarités fondamentalistes qui s'appuient sur des structures archaïques, et tirent, à l'inverse, vers le « dé-réformisme », le retour aux bases classiques de la religion, mais également des sociétés.

    Les branches kharijite et chiite constituent la tendance sectaire. Le kharijisme ne résiste pas aux assauts abbassides, et se replie dans la boucle du Niger, chez les Songhaï. Quant aux chiites, ils voient leur sort lié à celui de l'Empire fatimide. D'autres tendances sectaires résultent de ces métastases, les Ahmadia et Bahia, présents notamment au Mali336.

    Les tendances traditionnalistes sont de trois ordres : maraboutique, confrérique, et guerrier337. L'islam maraboutique est une adaptation du texte aux croyances animistes locales ; « Pour ce faire, le marabout emprunte volontiers des recettes à la magie noire pour mieux asseoir son autorité »338. Son origine est liée au soufisme, fondé au VIIIème siècle par Hassan al Basri, un Perse qui, après avoir compilé les hadiths, invite les croyants à pratiquer un islam fondé sur la

    332MERIBOUTE, Zidane, Islamisme, soufisme, évangélisme : la guerre ou la paix, Genève, Labor et Fides,

    2010, p.10

    333MBAYE, Ravane, « L'islam noir en Afrique », op. cit., p.833

    334Ibid., pp.836-837

    335Ibid., p.837

    336Ibid.

    337Ibid., p.834 338Ibid. p.835

    74

    relation personnelle à Dieu339 ; « Dès leur apparition ils se sont efforcés d'imiter la personnalité de Mohamed et de se séparer du commun des fidèles par leur pratique intensive d'exercices spirituels et de mortifications sensuelles »340. Ainsi cette tendance de l'islam permet une grande malléabilité et adaptation aux traditions animistes locales, souvent teintée de mysticisme, voire de sorcellerie.

    « Au sens propre, un murabit désigne, depuis le VIIIè siècle, quelqu'un qui vit dans un ribat, une place forte aux frontières du territoire islamique. Le ribat est occupé par des volontaires qui vont y accomplir un acte religieux pieux assimilé au djihad. En pratique, il leur revient d'assurer la protection des frontières à l'assaut saisonnier contre les voisins infidèles, que ce soit les Byzantins d'Asie Mineure, les Wisigoths d'Espagne ou les royaumes d'Afrique occidentale comme le Ghana médiéval [...] Les Al-moravides, dynastie berbère du XIè siècle, doivent ainsi leur nom à la déformation occidentalisée du terme désignant les habitants d'un ribat (al-Murabitun) [Aujourd'hui, Al-Murabitun est un groupe armé djihadiste du Sahel fondé en Aout 2013 de la fusion du MUJAO et des Signataires par le sang]. »341

    Le terme de marabout s'est élargi, et désigne une sorte de sorcier guérisseur qui a perdu sa fonction militaire à la colonisation - sa puissance mystique lui donne cependant, une autorité absolue dans sa communauté ; « Il occupe dès lors une fonction qui recouvre en partie celle de l'imam, mais qui autorise aussi des pratiques ésotériques réservées à un plus haut degré de proximité au divin, ou de malice »342.

    « Aux XIXè et XXè siècles, les mouvements anticoloniaux en Afrique, avec leur dimension maraboutique, ont nourri une tradition militante de réforme islamique. Chaque confrérie ou groupe religieux a combattu dans une optique déterminée et pour des objectifs limitées à leur zone de contrôle politique. Certains d'entre eux ont abouti à des radicalisations, au sein de formations que l'on regroupe sous le vocable de djihadistes, notamment dans le Sahel. »343

    339DURIEUX, Jacob, « Murabitun. Soufisme et Jihad », Academia, [En Ligne], PDF URL : http://www.academia.edu/9864257/Murabitun._Soufisme_et_Jihad

    340 Ibid. 341Ibid.

    342 Ibid.

    343 Ibid.

    75

    Les tendances traditionnalistes ont également pour ressort l'islam confrérique africain : Shasiliya, Khalwatia, et les deux plus importantes, Quadiriya et Tijanya344.

    « Longtemps méprisés, parce qu'incroyants, et achetés comme esclaves tant par les Européens que par les Arabes, les Africains « noirs » sont demeurés, en entrant dans le monde de l'islam, l'objet de la condescendance des Arabes, qui les ont tout simplement invités à se considérer à peu près comme des musulmans de deuxième catégorie. Cependant, les confréries soufies (turzcq sing. Tariqa) avec leurs activités culturelles centrées sur les mausolées saints locaux et organisées par la hiérarchie de leurs descendants, ont apporté une fin de non-recevoir à une telle invite. Les turzcq ont fourni à l'Afrique « noire » son propre leadership religieux. »345

    Cet islam est l'adaptation la plus marquée par la culture sociale africaine - le sentiment d'appartenance, y compris à l'islam, ne pouvant être perçu par l'individu qu'à travers son adhésion à une communauté, et donc une confrérie mystique346 ; « Les chefs de ces confréries représentent souvent une force politique ou plus précisément, un important potentiel électoral avec qui l'homme politique juge souvent bon de composer »347. En plus de facteur de cohésion socialo-religieuse et de référent identitaire, ces confréries sont également des vecteurs d'éducation, bien qu'il existe des oppositions, parfois virulentes, entre confréries, ou bien au sein des confréries elles-mêmes.

    « Ce qui favorise davantage la propagation de l'islam confrérique c'est essentiellement le fait que le Négro-Africain, d'une manière générale, qui vit en collectivité se sent moins isolé et partant plus en sécurité dans le cadre d'une confrérie où, en marge des pratiques d'ordre strictement islamique, les adeptes sont tenus d'observer un certain nombre de règles de vie communautaire. »348

    L'islam guerrier est la dernière des trois voies traditionnalistes de l'islam africain. Il se réfère aux présupposés arabiques de l'islam, dans une sorte de confusion entre le religieux et l'histoire - notamment, une adaptation des principes de conquête et d'expansion au souvenir des Empires de la route actualisé.

    344MBAYE, Ravane, « L'islam noir en Afrique », op. cit., p.834

    345D. C. O'Brien, « La filière musulmane, confréries soufies et politique en Afrique noire », traduit de l'anglais

    par Christian Coulon, Politique Africaine, [En Ligne], PDF, p.7

    URL : http://www.politique-africaine.com/numeros/pdf/004007.pdf

    346MBAYE, Ravane, « L'islam noir en Afrique », op. cit., p.835

    347Ibid.

    348Ibid., p.834

    76

    « Faisant suite aux bâtisseurs de ces Empires [Empires du Moyen-âge africain], de puissants prosélytes doublés de chefs militaires d'une valeur incontestable : Ousman Dan Fodio au Nigéria (XIXè siècle), El Hedj Omar Tall (XIXè siècle) dans le Haut-Sénégal, Almamy Samory Touré (XIXè siècle), en Guinée, ont réalisé des poussées d'une longue portée pour étendre le domaine de l'islam. »349

    Peuls, Toucouleurs et Haoussas jouent un rôle important dans les djihads africains ; « les dernières tentatives de guerre dite sainte ou jihad qu'a connu l'Afrique « noire » datent de la fin du XIXè siècle »350. Ces djihads sont motivés par une certaine propension à l'unité et à l'homogénéité d'un islam divisé (par la mise en place du monopole d'une confrérie au détriment des autres). Le modèle arabique prévaut, et les instigateurs de ces djihads rejettent toutes les pratiques importées, extérieures au livre saint. Ab extra, ce sont les contextes politiques et les enjeux géopolitiques qui motivent intrinsèquement ces mouvements guerriers. Dès 1804 la contestation se développe à l'encontre des chefs haoussas : leur islam adapté aux pratiques ancestrales fait l'objet d'une critique religieuse rejetant toute coutume haram, alors mêmes que leurs « Etats » contrôlent les routes du Soudan central.

    De la fin du XVIIIème siècle à la fin du XIXème siècle, Malik Sy crée l'Empire Boundou aux abords de l'actuel Sénégal. De 1720 à 1886, des Peuls islamisés prennent le pouvoir dans le Fouta-Djalon, imposant une théocratie esclavagiste. De 1810 à 1862, dans le Macina, Amadou Lobo de la confrérie Quadiriya établit un « Etat » théocratique. De 1849 à 1894, El Hedj Omar de la confrérie Tijanya fonde l'Empire toucouleur, du fleuve Sénégal à Tombouctou. De 1804 à 1903, le Peul Ousman Dan Fodio, puis son fils Mohamed Bello, construisent le Califat de Sokoto, et imposent l'islamisation, l'arabisation de l'haoussa, et l'esclavage des non musulmans351. Le cercle vicieux des oppositions est le nerf du djihad, y compris moderne - il les enlise, les catalyse, les gangrène autour de trois fractures principales : religieuse (musulmans / non-musulmans), ethnique (ethnies dominantes / ethnies dominées), et sociale (anciens esclaves / anciens esclavagistes).

    349Ibid., p.836

    350MBAYE, Ravane, « L'islam noir en Afrique », op. cit., p.836

    351FOUCHER, Michel, « Les 5 djihads du XIXe siècle », Le Un, n°43, février 2015

    o 77

    Ousmane352 Dan Fodio et le Califat de Sokoto

    Peul musulman, Ousmane Dan Fodio se révolte contre l'islam hybride des chefs haoussas, et commence le djihad au Nigeria actuel ; il « fut porté par l'idée de construire dans l'ouest africain une société régie selon les préceptes de l'islam tel qu'il lui avait été enseigné au sein de la confrérie Qadiriya »353. Chassé par le roi de Gobir il s'exile dans le désert, entame son propre Hégire354. Des nomades peuls opposés au pouvoir des chefs haoussas le rejoignent et le proclament Emir al Mouminin (« guide des croyants »)355. Dès lors, il lance un appel au djihad et constitue une armée ; « Le djihad fut lancé en 1804 et rallia les chefs religieux. La conquête des villes fut facilitée par l'efficacité de la cavalerie peul et le ralliement de la population acquise au djihad par la promesse d'une justice fiscale »356.

    Ousmane Dan Fodio fut le maître d'un vaste territoire, à la tête duquel son fils Mohamed Bello lui succède ; « L'ordre établi par le Califat favorise l'expansion de l'islam, le commerce, l'arabisation de la langue haoussa et l'esclavage aux dépens des non-musulmans, avec le Califat Abasside (VIIIè - XIIIè) comme référence et la charia comme loi »357.

    o Sékou Amadou et le Califat peul du Macina

    Les Peuls vivant dans les royaumes bambaras du Kaarta et de Ségou se révoltent contre leurs souverains animistes358. Ousmane Dan Fodio nomme Sékou Amadou cheikh. Il s'autoproclame ensuite Emir, affirmant qu'il est le douzième imam359. Sékou Amadou prend la tête de la contestation peule dans le Macina. A la mort d'Ousmane Dan Fodio il se déclare indépendant du Califat de Sokoto et de son nouveau dirigeant Mohamed Bello360.

    « Poursuivant ses campagnes, mais désormais vers le sud puis vers l'est, il s'empara de Djenné en 1819 et se donna une capitale, Hamdallahi (« louange à Dieu »), ville fondée

    352Othman en arabe, qui est le nom du troisième calife de l'islam.

    353LUGAN, Bernard, Les guerres d'Afrique des origines à nos jours, Monaco, Editions du Rocher, 2013, p.41 354Ibid.

    355Ibid.

    356FIERRO, Alfred, « OUSMAN DAN FODIO (1752 env.-1816) », Encyclopædia Universalis, [en ligne],

    consulté le 18 mai 2015

    URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/ousman-dan-fodio/

    357FOUCHER, Michel, « Les 5 djihads du XIXe siècle », op. cit.

    358LUGAN, Bernard, Les guerres d'Afrique des origines à nos jours, op. cit., p.41

    359Nous avons ici un phénomène particulier, puisque Ousmane Dan Fodio est à la fois émir (calife de la tradition sunnite), et douzième imam (tradition du chiisme duodécimain).

    360Ibid.

    78

    en 1820. Dans les années suivantes, il élargit ses conquêtes, y englobant Tombouctou ; vers le sud, il les étendit jusqu'à la confluence du Sourou et de la Volta noire et il constitua l'Empire peul du Macina. »361

    Son fils et successeur Amadou Sékou fut combattu et détrôné par les Bambaras, et les Touareg de la région de Tombouctou362.

    o El Hedj Omar et le Califat toucouleur

    Omar tente de ressusciter l'élan religieux et l'esprit du djihad contre les Etats païens à l'est de la Sénégambie. Il critique de manière virulente l'hérédité des fonctions politiques et la confiscation de la zakkat par les riches chefferies363.

    Né dans une famille peule islamisée membre de la confrérie Quadiriya, il rompt avec elle avant de rejoindre la confrérie Tijanya. Grâce à ses réseaux, il entreprend de nombreux voyages entre l'Arabie et l'Afrique du nord, et suit une formation militaire au côté de Mohamed Bello364. Nommé Grand Calife de la confrérie Tijanya, il se fixe pour objectif l'islamisation de l'Afrique de l'ouest et s'attaque au royaume bambara de Kaarta divisé sur des questions dynastiques. Il tente de prendre Médine, un poste français du Haut-Sénégal, mais est repoussé par les troupes françaises. Il poursuit ses conquêtes en envahissant Ségou - dans le même temps, les Bambaras de la région s'allient au Califat peul du Macina qui entre en guerre contre El Hedj Omar. Après sa victoire, ce dernier installe son fils Amadou Tall au pouvoir. A Tombouctou, une résistance se forme autour de la confrérie Quadiriya - El Hedj Omar trouve la mort en combattant leur chef El Bekay365. Amadou Tall ne résiste pas longtemps à cet échec : à l'intérieur du Califat, des luttes fraternelles pour la succession éclatent, à l'extérieure, la résistance des Bambaras persiste366.

    361LUGAN, Bernard, Les guerres d'Afrique des origines à nos jours, op. cit., p.42 362Ibid.

    363Inspection des écoles françaises d'Afrique Occidentale, « L'expansion de l'islam », Ipefdakar, [En Ligne], PDF

    URL : http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=0CCIQFjAA&url=http%3A %2F% 2Fwww.ipefdakar.org%2FIMG%2Fdoc%2FL_expansion_de_l_islam.doc&ei=MSFaVeyhLYP4ywODiY H4Cg&usg=AFQjCNEHYOoVbxVTJW2Y6RIrXYhlg6Je9A&sig2=wDr2vbeMEz4OXF8kdc4yUQ&bvm=bv.9 3564037,d.bGQ

    364LUGAN, Bernard, Les guerres d'Afrique des origines à nos jours, op. cit,, p.43

    365Ibid.

    366L'Empire toucouleur disparait avec la conquête française. En Avril 1890, le lieutenant-colonel Louis Archinard prend Ségou. En août 1892, un décret constitue la colonie du Soudan français.

    « En conclusion, on peut affirmer que tout au long des XVIIIe et XIXe siècles ; l'islam a eu à jouer un rôle très important dans l'évolution sociopolitique des Etats où il était présent. Se présentant comme une alternative politique possible, l'islam est intervenu dans la vie des sociétés du Soudan à chaque fois que l'ordre traditionnel a commencé à être bouleversé par les grands évènements de l'histoire. L'expansion musulmane continue pendant l'ère coloniale, puisque dès le début du XXe siècle quand par exemple la France s'installe au Sénégal, la destruction des anciens cadres d'évolution des populations colonisées facilitent l'implantation des confréries religieuses qui deviennent les nouvelles structures d'encadrement de cette société en perte de repères. »367

    79

    367Inspection des écoles françaises d'Afrique Occidentale, « L'expansion de l'islam », op. cit.

    80

    III. Islam et modernité : des temporalités en concurrence.

    L'islamisme est un mot-valise utilisé pour exprimer l'idée d'une confusion entre religion et politique. Or, si pour un Occident acquis aux idées des Lumières la rationalité prévaut, dans les mondes musulmans la religion est une totalité impliquant la soumission dans la vie spirituelle, et dans la vie terrestre. Le mot islamisme exprime la dualité religion/politique dans une conception Occidentale du monde, notamment au sein de l'Etat. Les mots intégrisme, conservatisme, fondamentalisme, sont tout autant de variables qui font écho à une interprétation occidentalo-centrée. De la même manière qu'il n'existe pas un seul islam368, plus que d'islamisme, c'est d'islamismes qu'il conviendrait de parler, tant les dissidences se sont complexifiées et multipliées.

    Erigée en mythe du martyr, la vie du prophète et de ses compagnons est devenue l'avatar du musulman opprimé qui se sent dominé par un monde à la construction duquel il ne participe pas. La frustration de ses origines glorieuses le pousse à aduler Yathrib369 et rejeter dans une contestation aux intensités variables, tout élément, toute valeur, importée qui ne ferait pas partie de sa propre histoire (1).

    Les Califats sunnites qui succèdent à la mort de Mohamed370 constituent l'âge d'or de l'islam. Le terme « califat » est aujourd'hui réemployé dans les discours médiatiques, et dans certains discours islamistes, dits djihadistes. Il est confondu dans la doxa avec la notion d'Empire. Or khilafa signifie dans son sens originaire, « succession » ; ce qui veut dire qu'il ne s'agit pas seulement d'un élan traditionnaliste, d'une volonté de retour aux modes de vie originaires de l'islam, mais de l'exaltation d'une continuité ininterrompue dans la succession du prophète, indépendante de l'histoire Occidentale, et de l'histoire du monde occidentalo-centrée. Il ne s'agit pas seulement de rompre avec le système international dominé par l'Occident, mais de rompre avec la prééminence de l'histoire de l'Occident perçue comme normative, sur l'histoire de l'islam refoulée (2).

    368ZAJEC, Olivier, Introduction à la Géopolitique, Histoire, Outils, Méthodes, op. cit., p.115 369Ville de l'actuelle Médine, gouvernée par le prophète, où le Coran régit vie publique et vie privée. 370Oemmeyyade, Abasside, Ottoman, entre autre.

    81

    1. La genèse de l'islam comme idéal-type.

    Au VIIème siècle, l'Arabie est une péninsule désertique qui prolonge le Sahara ; « le caractère essentiellement africain de l'Arabie se retrouve dans son climat, ses productions végétales et son règne animal »371. Située entre les continents asiatiques, africains et européens, elle constitue un carrefour commercial important. Au centre évoluent des populations nomades pastorales et marchandes, des oasis s'établissent à la jonction de routes commerciales (Makka, Yathrib)372. La société est divisée en tribus et clans (un cheikh à la tête de chaque famille, un émir à la tête de chaque tribu)373. Quatre religions y règnent : le judaïsme (après la destruction de Jérusalem les juifs se répandent en Arabie et installent leurs colonies marchandes aux abords de l'Hedjaz) ; le christianisme à l'est ; le sabéisme zoroastrien apporté par la Perse ; et le culte des idoles dominant ; « Le grand nombre de sectes qui s'était établi en Arabie, avait provoqué une indifférence générale en matière de religion, et cette diffusion de croyances diverses fut certainement la principale cause des progrès rapides que firent chez ce peuple les doctrines de Mohamed (Mahomet) »374.

    Mohamed nait à la Mecque (Makka) vers la fin du VIème siècle de l'ère chrétienne. Sa famille appartient à la tribu des Koraïchites à laquelle est confiée la garde de la Kaaba375. Il perd son père à la naissance, sa mère à six ans, et reçoit en héritage un esclave et cinq chameaux. Il grandit sous la tutelle de son oncle Abou-Taleb et s'enrôle dans les caravanes armées qui font le commerce et la guerre sur les frontières de Syrie376. Il entre au service de la veuve d'un riche marchand, Khadija, avec laquelle il se marie. En 610, il reçoit la première d'une longue série de révélations divines lors d'une retraite dans la grotte Hira pendant la période de jeûne377. Il prêche alors l'islam, la croyance en un Dieu unique, et le message du

    371GOSSET, Pierre, LISLE Leconte de, MARRAS, Jean, Histoire du Moyen-âge, Alphonse Lemerre, [En

    Ligne], 1876, p.53

    URL : http://fr.wikisource.org/wiki/Histoire_du_Moyen%C3%82ge_%28Gosset%29/SEPTI%C3%88ME_SI%C

    3%88CLE

    372Ibid. pp.52-89

    373Ibid.

    374Ibid., p.58

    375La tribu Koraïchite vénère trois divinités féminines (Allat, Uzza, et Manat).

    DHORME, Edouard, « Les religions arabes préislamiques d'après une publication récente », Revue de l'histoire

    des religions, Vol.133, N°133-1-3, 1947, pp.34-48

    376GOSSET, Pierre, LISLE, Leconte de, MARRAS, Jean, Histoire du Moyen-âge, op. cit.

    377Ibid.

    82

    Coran délivré par Djibril378. Ses premiers disciples furent Khadija sa femme, son esclave Zeïd, son cousin Ali (futur mari de sa fille Fatima), ses amis Abou Bakr, Othman, Zoubir, Oubaïda, et Omar379. Quelques années après sa première révélation, il se déclare publiquement prophète, lançant à son encontre une violente répression. Dénoncé par les Koraïchites, il fuit par le désert en 622 vers Yathrib avec ses compagnons et les nouveaux convertis (Hégire - « la fuite » - point de départ du calendrier musulman). Suite à une alliance conclue avec la tribu Haradsch, Mohamed fait de Yathrib médina al nabi380, concurrente de Makka.

    Le prophète y construit la première mosquée et fonde les bases d'une constitution. Il interdit notamment l'alcool, le chant, les jeux, la peinture, il abolit la loi tribale au nom d'une communauté de fidèles, l'Umma381. Parallèlement, beaucoup de rites païens sont conservés et transformés382. En vertu des lois du Coran, les Hommes sont jugés dans l'après-vie en fonction de leurs agissements sur terre. Or, la croyance en la prédestination est si forte en Orient que « loin de chercher à la combattre, Mohamed en fit un puissant auxiliaire de l'esprit de conquête. « Dieu est vivant et vous regarde, combattez ; le Paradis est devant vous et l'Enfer derrière » »383.

    Après s'être installé à Yathrib, le prophète se lance dans une série d'opérations militaires.

    « Le premier combat sérieux eut lieu au mois de Ramadan [Le Ramadan est initialement une fête païenne, qui correspondrait au neuvième mois de l'année - certains attribuent cette coutume au culte de la déesse Allat]384 de la seconde année de l'Hégire. A la tête de trois cent quatorze hommes, il rencontra auprès du puits de Bedr un millier de Koréischites. Comme sa troupe fléchissait, il lança en l'air une poignée de sable et se précipita dans la mêlée en criant : « Que la face de nos ennemis soit couverte de

    378Djibril serait l'équivalant de l'ange Gabriel.

    379On retrouve ces appellations dans les noms de guerre choisis les émirs autoproclamés du XXIème siècle.

    380Signifie « la cité du prophète » en arabe.

    381DIGNAT, Alban, « 16 juillet 622, l'Hégire et la fuite de Mahomet à Médine », Hérodote.net, [En Ligne],

    janvier 2015

    URL : http://www.herodote.net/16_juillet_622-evenement-6220716.php

    382ALI, Jawad, Histoire des arabes avant l'islam, cité dans « Origines de l'Islam : ses racines païennes

    matriarcales - les 3 déesses de la Kaaba », Le Mouvement Matricien, [En Ligne]

    URL : http://matricien.org/matriarcat-religion/islam/origines-islam/

    383GOSSET, Pierre, LISLE, Leconte de, MARRAS, Jean, Histoire du Moyen-âge, op. cit., p.65

    384ALI, Jawad, Histoire des arabes avant l'islam, cité dans « Origines de l'Islam : ses racines païennes

    matriarcales - les 3 déesses de la Kaaba », op. cit.

    83

    confusion ! » Il ramena ainsi ses soldats et remporta une victoire qui lui attira une foule d'aventuriers affamés de butin (624) »385.

    Les missions prennent des allures de guerres territoriales, puis de conquêtes d'expansion dans la péninsule ; une défaite contre le prêtre Abou-Ophian, « les musulmans ne rappellent jamais sans une sainte horreur les atroces cruautés que les filles de Koréisch exercèrent sur les cadavres des premiers martyrs de l'islamisme (626) »386 ; une victoire lors de la « guerre du fossé » qui se solde par une trêve et le droit de se rendre à la Kaaba pour le prophète et ses compagnons387. Puis, la guerre de Khaîbar (628)388, lorsque les souverains orientaux montrent des réticences à la conversion, et la mort d'Abou Taleb lors de la bataille de Mufta qui marque, non sans grand lyrisme, le départ de l'imagerie martyr; « ayant eu les deux mains coupées, [Abou Taleb] serra avec ses bras mutilés l'étendard de l'islamisme, et reçut par devant cinquante-deux blessures »389.

    Cet élan se solde par l'annexion de Makka, la fin du culte des idoles, et la conversion massive de la péninsule conquise ; « Le Prophète, désormais considéré comme le souverain spirituel et temporel de toute l'Arabie, revint à Médine »390.

    Le prophète décède en 632 sans héritier mâle, et sans ordre de succession, ouvrant le pas à la principale rupture au sein de l'islam. Deux tendances se distinguent : la première affirme que la succession doit revenir à Abou Bakr, le plus fidèle compagnon ; « Trois jours avant de mourir, il [Mohamed] avait chargé son beau-père de réciter à sa place les prières publiques »391. La seconde fait prévaloir l'héritage lignager du prophète, via Ali son cousin, et époux de sa fille Fatima. L'élection d'Abou Bakr provoque le schisme chiite, qui rejette le calife au profit d'un clergé issu de la chaire du Prophète (un imam à sa tête).

    385GOSSET, Pierre, LISLE, Leconte de, MARRAS, Jean, Histoire du Moyen-âge, op. cit., p.61 386Ibid. 387Ibid. 388Ibid.

    389Ibid., p.62 390Ibid., p.63 391Ibid., p.61

    84

    Le premier calife entreprend la compilation du Coran, qui sera achevée sous Othman (114 sourates divisés 6226 en versets) 392 ; « Le Koran est le code civil, criminel, politique, militaire des vrais croyants, qui ne se sentent obligés à respecter que ce qu'il contient, ce qui est conforme à son esprit, et rejettent avec malédiction tout ce qui lui est contraire »393. Paradoxalement, malgré sa rigueur, les sources juridiques394, politiques et dogmatiques de l'islam font l'objet d'interprétations personnelles ou savantes395.

    « N'active pas ta langue afin de tout formuler rapidement. Il nous incombe de le réunir et d'en fixer la récitation. Dès lors que Nous le réciterons, suis-en de prés la récitation. Il nous incombe aussi de l'expliciter, de l'exposer clairement. »396

    Le sunnisme, branche majoritaire, se fonde sur la conviction du projet politique et le respect de la Sunna, qui doit permettre d'élaborer le droit musulman composé de l'aquidia et de la charia. La Sunna se réfère à la fois aux versets du Coran, et aux hadiths, les actes, les paroles, et même la façon d'être, du prophète et de ses compagnons. Considérés littéralement, mal interprétés, ces hadiths deviennent, semble-t-il, le ressort des discours fondamentalistes, et d'un mimétisme anachronique.

    Au-delà de ces sources et de leur interprétation, les dissidences de l'islam se forment lors de son expansion. La religion s'implante et s'adapte à des régions où les réalités locales préexistantes lui résistent. Au sein du sunnisme quatre madhab397 se distinguent - même si elles sont unanimes sur le Coran et la Sunna comme source du droit islamique, elles divergent sur des questions de jurisprudence:

    - La branche hanafite est celle de la libre interprétation, y compris personnelle.

    - La branche chaféite est celle de l'interprétation savante.

    - La branche hanbalite est celle de l'interprétation traditionnaliste.

    - La branche malékite, qui ajoute à ses sources les coutumes médinoises du VIIème siècle

    (la plus présente en Afrique).

    392 « Pour couper court à toute contestation future, le calife Othman en a confié la compilation à un groupe de

    travail puis fait détruire les supports d'origine. », DIGNAT, Alban, « 622, an 1 de l'Hégire, les piliers de l'Islam

    et la doctrine musulmane », op. cit.

    393GOSSET, Pierre, LISLE, Leconte de, MARRAS, Jean, Histoire du Moyen-âge, op. cit., p.61

    394 Le droit musulman est composé de deux branches : Aquidia (les dogmes, les croyances), et charia (le

    comportement quotidien, la vie sociale).

    395Coran, Hadiths, Ijma (consensus d'oulémas sur une question type), Qiyas (raisonnement par analogie), Fatwas

    (avis juridique), entre autre.

    396Al Qiyama (75 :16-19)

    Le Coran, traduit par Malek Chebel, Paris, Fayard, 2009, p.665

    397Pourrait se traduire par « quatre écoles » - ce mot se réfère aux voies d'interprétation de la religion.

    85

    La finalité de l'islam est de régir la communauté des fidèles398 ; « Le mot « communauté musulmane » signifie à la fois une collectivité de croyants unie par leur foi commune en ce cas on la désigne par jamâ'a, mais aussi la communauté juridico-religieuse comme constituée dans le dâr al-islâm, il s'agit alors de la umma »399. Or les discussions et divergences sur les sources et le fonctionnement de cette communauté sont non seulement essentielles, mais surtout complexifiées par la multiplication des madhabs. L'islam semble être un tout, religion d'unicité400 ; elle englobe la vie spirituelle et la vie terrestre des hommes. La confusion originaire entre son message, et l'action des hommes qui ont transmis son message, trouble son entendement, et la place dans un temps parallèle, construit sur une kyrielle de ruptures successives qui forment sa continuité. Dans une conception Occidentale linéaire du temps, avec un passé, un présent, et un futur, l'histoire du prophète et de ses compagnons est considérée comme un point depuis longtemps dépassé, au fur et à mesure des siècles. Dans un esprit musulman, cette origine historique semble être au coeur d'une conception sphérique du temps, son noyau dur - les siècles qui passent contribuent à l'imitation, le rayonnement, et l'amplification de ce point d'origine. Ce qui rend l'histoire de la naissance de l'islam omniprésente, sans cesse actualisée - un point duquel affluent tous les mouvements de la communauté, et auquel ils se réfèrent constamment. .

    « Non seulement les musulmans n'utilisent pas le même calendrier que les Occidentaux, mais leur temps social est fondamentalement différent. [...] la pensée produite par cette conception du temps est non seulement difficilement comparable à celle du monde occidental moderne, capitaliste, dans laquelle la rationalité wébérienne s'impose (c'est-à-dire la possibilité de faire des choix en fonction de stratégies « raisonnables »), mais encore qu'elle produit une cohérence interne dont il faut lire les inférences à travers sa logique propre [...] De fait, pour les théologiens musulmans, le temps n'est pas une durée continue mais une constellations d'instants ; l'espace n'existe pas, il n'y a que des points [...] ».401

    Le monde est définit par une division géopolitique inspirée du Coran et des conquêtes califales ; « Quant à l'espace, il se partage en deux territoires, un où s'applique la loi de Dieu, le dar al-islam (demeure de l'islam) et un autre qui n'est pas soumis à la loi divine et qu'il

    398« Ni jus sanguinis, ni jus soli ; la religion fait la citoyenneté. », GARDET, Louis, La cité musulmane, vie

    sociale et politique, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1976, p.27

    399ETIENNE, Bruno, L'islamisme radical, Paris, Hachette, 1987, p.55

    400« Votre Dieu est un seul Dieu, il n'y a pas d'autre Dieu que lui, le Clément, le Miséricordieux. », Al Baqara

    (2 : 163)

    Le Coran, traduit par Malek Chebel, Paris, Fayard, 2009, p.34

    401ETIENNE, Bruno, L'islamisme radical, op. cit., p.52

    86

    faudra soumettre, le dar al-harb (demeure de la guerre) »402. Le dar al islam est gouverné par la charia, tandis que l'islam doit être exporté, y compris par la violence, dans le dar al harb. Cette conception du monde a notamment servit de principe aux expansions califales omeyyades et abbassides.

    « Contrairement au droit international moderne, qui reconnait l'existence d'un groupe, d'une famille de nations composée d'Etats souverains, le droit islamique traditionnel ne reconnaît d'autre nation que la nation islamique. A l'instar du droit romain et du régime juridique de la chrétienté médiévale, la conception de l'islam est fondée sur la théorie de l'Etat universel. »403

    D'autres notions apparaissent au fil du temps, et s'ajoutent aux principes classiques de l'islam. Le dar el koufr (« maison des infidèles ») désigne les territoires du dar al islam conquis par le dar al harb. Et, « certains juristes reconnaissent l'existence d'une troisième catégorie de territoire, le dar al-ahd ou dar al-sohl (terre de pacte ou terre de trêve), qui est un espace à statut temporaire et intermédiaire. Cette notion s'applique essentiellement aux Etats non-musulmans ayant conclu avec l'Etat musulman un pacte, en vertu duquel ils reconnaissent la suzeraineté musulmane et payent un tribut »404.

    402DJALILI, Mohamed-Reza, « Islam et Relations Internationales », Diplomatie islamique : Stratégie

    internationale du khomeynisme, [En Ligne], 2014, pp.15-53

    URL : http://books.openedition.org/iheid/1866?lang=fr

    403Ibid.

    404Ibid.

    87

    1. L'islam dans la modernité : les métastases de la contestation.

    La configuration politique qui domine dans l'histoire de l'islam est la liaison entre le pouvoir politique (émir, sultan, roi) légitimé par un corps d'oulémas, et le dialogue sans cesse renouvelé avec la théologie405. Le souverain gouverne une société régie par la charia, tout en maintenant le droit coutumier local adapté aux nouvelles configurations406. Avec l'occidentalisation du monde et la prolifération du système rationnel d'Etat-nation, ces modes de gouvernance faiblissent, disparaissent chaque fois qu'elles ne s'adaptent pas aux structures modernes des relatons internationales. L'« islamisme » est devenu le vocable type désignant la tendance de ces peuples de tradition musulmane à renouer, dans le système moderne, c'est-à-dire dans l'Etat-nation, avec les coutumes ancestrales de gouvernance. Cette terminologie occidentale illustre la dualité imbriquée religion/politique, mais nécessite d'être nuancée, notamment parce qu'elle se réfère à une réalité conceptionnelle. Ultra médiatisée depuis le 11 septembre 2001, cette pulsion fondamentale ou radicale, se manifeste dès le XXème siècle (1930 - 1940), puis en Afrique du nord sous la forme de réaction et d'opposition à la domination occidentale. Elle est la résultante elle-même processuelle, d'un processus d'adaptation manqué à la modernité, voire d'un rejet. Les islamismes mettent en exergue la tradition politico-religieuse musulmane inadaptée aux nouvelles formes de gestion du politique importées (démocratie, laïcité, identité nationale) - et deviennent, dans ce paradigme, un élément perturbateur du statu quo international. Définit comme dogmes religieux idéologisés, les islamismes se fondent sur le lien indissociable entre religion et politique, là où la rationalité s'imposent comme norme ; ce sont donc deux visions du monde qui sont en concurrence. Les islamismes sont multiples ; « D'où aujourd'hui la métastase interminable des « istes » : l'islamiste n'est pas l'intégriste, lequel n'est pas le fondamentaliste, qui n'est pas salafiste, qui n'est pas forcément le djihadiste, lequel n'est pas toujours un terroriste ... Même si elle traduit une vague réalité, cette division cellulaire entraîne la confusion totale dans l'esprit de l'observé comme dans celui de l'observateur, ce qui rend la restitution des sens premiers une tâche urgente et salutaire »407.

    405ABBES, Makram, « L'art de gouverner en islam », CAIRN, [En Ligne], 2014

    URL : http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=ESPRI_1408_0163

    406 Le prophète Mohamed n'a pas supprimé certaines coutumes païennes d'Arabie, mais les a assimilé à l'islam. L'islam ne s'exporte pas dans une homogénéité parfaite - les réalités locales souvent se maintiennent et s'adaptent.

    407AMIR-ASLANI, Ardavan, « Islam-Islamisme, quelle différence ? », Huffington Post, [En Ligne], avril 2013 URL : http://www.huffingtonpost.fr/ardavan-amiraslani/difference-islam-islamisme_b_3108641.html

    88

    De la même manière qu'il existe de nombreux courants de l'islam suivant l'époque et le lieu - « parler géopolitiquement d'un « islam uni » ou du monde « arabo-musulman » ne correspond pas à une analyse même sommaire de la réalité »408 - les islamismes sont tout autant de dissidences métastasées.

    Les premières contestations à l'égard des gouvernements maghrébins se manifestent dans les années 1970 - elles proviennent des gauches nationalistes et sont mêmes parfois contrées par les fondamentalistes islamistes. La révolution iranienne en 1979 marque un tournant déjà bien entamé dans la géopolitique des islams, puisqu'il s'agit d'une révolution islamique « nationaliste, anticapitaliste, antisioniste, et anti-impérialiste, dont la législation s'inspire de la charia » 409.

    « L'émergence des mouvements islamistes me paraît être une réponse à la modernisation proposée par les Etats-nations. Face à l'insupportabilité de la modernité perçue comme allogène, les islamistes vont, en une dizaine d'années (en gros, de 1970 à 1980), refuser de moderniser l'islam et proposer au contraire d'islamiser la modernité. Contrairement à ce que soutiennent les mass media occidentaux, la date clé dans l'imaginaire arabo-musulman qui marque le retournement des esprits, du nationalisme progressiste vers l'islamisme, n'est pas celle de la révolution iranienne, mais la défaite de 1967, dont l'Occident, incorrigible, n'a pas saisi toute l'importance symbolique. Les masses arabes ont compris définitivement que l'Occident serait toujours du côté d'Israël et des despotes arabes, tandis que le soutien de l'Union soviétique n'était pas inconditionnel. »410

    Parallèlement, en Afrique du nord les gouvernements autoritaires issus des décolonisations ne laissent comme libre espace d'expression que les mosquées. Une réislamisation par le bas est suivie de mouvements politiques411. Les partis islamistes se multiplient et définissent un projet limité aux frontières de l'Etat. Cette alternative politique, plus ou moins conservatrice, affirme la nécessité d'un retour à l'Etat religieux pour une société musulmane, et se qualifie de salafiste ; « Comme l'indique son étymologie, le salafisme prétend revenir aux sources de la religion, à l'islam originel, en prenant pour référence suprême la manière dont les premiers musulmans - les « pieux ancêtres » (salaf al salih) selon l'expression consacrée - ont compris

    408ZAJEC, Olivier, Introduction à la Géopolitique, Histoire, Outils, Méthodes, op. cit., p.115

    409BURESI, Pascal, « RÉVOLUTION ISLAMIQUE IRANIENNE (1979) », Encyclopædia Universalis, [en

    ligne], consulté le 19 mai 2015

    URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/revolution-islamique-iranienne/

    410ETIENNE, Bruno, L'islamisme radical, Paris, Hachette, 1987, p.108

    411« De plus, la tradition historique rapporte que la mosquée fut dès le début un lieu politique, au sens plein de ce

    mot : la gestion de la Cité. », Ibid., p.58

    89

    et appliqué l'islam dans l'Arabie du VIIème siècle »412. Bien que le mouvement soit un projet politico-religieux, il ne renie pas, à ce stade, l'Etat dans ses formes.

    Le tournant s'effectue avec l'émergence et l'émancipation depuis 2001 d'islamismes non seulement fondamentaux, mais surtout radicaux.

    « L'ensemble des théories du développement font du sous-développement un phénomène naturel, lié au retard de certaines sociétés périphériques. Les islamistes soutiennent que le retard est le produit de l'occident et de son imitation. Leur analyse est radicale en ce sens qu'elle remet en cause l'ordre économique mondial et la domination de l'Occident. Elle propose comme solution à tous les maux de la modernité/modernisation le retour aux racines de l'islam politique [...] »413.

    La fin de la Guerre Froide dégel les tensions larvées sur l'ensemble du globe, et contribue à l'explosion de conflits identitaires, territoriaux, et politiques. Parallèlement, certaines branches des islamismes se transforment et revêtent des visées transnationales. Une « obligation manquante »414, sixième pilier, est insufflée aux musulmans, faisant du djihad, en tant que résistance et lutte dans le dar el harb, le commandement premier de la foi. Ces nouvelles doctrines prennent alors une dimension contestataire proactive parasite - c'est-à-dire, qu'elles ne se limitent plus aux territoires, mais reviennent à une vision géopolitique islamique du monde, et vivent au dépens des conflits déjà installés, les transformant en canaux d'émancipation. Dans cette mosaïque, le projet nationaliste islamique est abandonné par certaines branches dissidentes au profit de velléités plus large. Les attentats du 11 septembre 2001 ont permis la médiatisation du réseau Al-Qaïda devenu la bannière de cette nébuleuse contestataire, lui permettant d'exister sur la scène internationale. Les rébellions chaotiques, qui agissent comme finalité en elles-mêmes et non comme moyen au service d'une fin déterminée, ainsi que les confusions sémantiques, brouillent l'évaluation pertinente de ces doctrines islamistes en mouvements, adaptées à leur temps et à leur contexte. Or, dans le conflit malien par exemple, cet islamisme djihadiste agit comme un parasite média, masquant la réalité profonde de problématiques géopolitiques classiques, qui constituent la plaie à désinfecter : la défaillance de l'Etat et la revendication touareg en l'espèce. Nonobstant le fait qu'il ait été pensé dans ses premières heures en termes politiques et géopolitiques concrets, le djihadisme, c'est-à-dire la résistance et la lutte violente légitimée dans le dar el

    412ROUGIER, Bernard (dir.), Qu'est ce que le salafisme ?, Paris, Presses Universitaires de France, 2008, p. 3 413ETIENNE, Bruno, L'islamisme radical, op. cit., p.22

    414.Muhammad Abdus Salam Faraj, « Jihad, l'obligation absente », traduit de l'arabe par Abdallah ibn Abdallah, Al Mourabitine.com Publications, [En Ligne], PDF

    http://alfatihoun.edaama.org/Fathul%20Moubin/FathulMoubin/Stuff/French/Pdfs/AlFarida.pdf

    harb, se révèle être une contestation constante « polémomorphe » qui suit les flux de conflictualités classiques, les médiatisent, les fait exister, sans autre finalité que la déstabilisation de l'ordre établi. La dimension mondiale donnée à cette contestation est favorisée par l'exaltation de l'Umma, qui devient dans les paradigmes modernes, une configuration transnationale de la société ; « L'islamiste n'est pas le citoyen d'un pays mais le fidèle à une communauté »415.

    « Dans cette vision, l'islam a pour mission d'être le ciment identitaire de tous les musulmans, quels que soient leur origine et leur milieu social ou culturel. Le fantasme d'une Umma (« communauté ») homogène est soutenu par l'imposition de règles fondées sur les principes du licite et de l'illicite, du hallal et du haram. Cet ordre islamiste construit ainsi une double frontière : entre les musulmans et les non-musulmans, mais aussi entre les bons et les mauvais musulmans. Et celles et ceux qui sont du côté de l'illicite risquent gros : des pressions, des menaces, des violences, la mort. »416

    Les islamismes sont multiples et ne doivent pas être confondus en une seule et même entité rebelle. Cette terminologie Occidentale sert aujourd'hui de concept confus pour désigner et exprimer les différentes tendances politico-musulmanes qui luttent avec une violence plus ou moins exacerbée, contre un ordre international établi dominé dans ses formes et dans ses fonds, par l'Occident. Les islamismes ne sont pas nouveaux, les conflits qu'ils habillent leur préexistent. Ils sont une énième division et subdivision d'un noyau conflictuel souche : le temps de l'islam confronté aux temps du monde dominé par l'Occident.

    90

    415AMIR-ASLANI, Ardavan, « Islam-Islamisme, quelle différence ? », op. cit.

    416CHAFIQ, Chahla, « L'islamisme, une lecture totalitaire du monde », Le Monde, [En Ligne], février 2015 URL : http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/02/05/l-islamisme-une-lecture-totalitaire-du-monde_4570661_3232.html

    CONCLUSION PARTIELLE

    Les ressorts des islamismes modernes sont motivés par la symbolique historique, et les stigmatisations géopolitiques qui en découlent. Ils s'expriment dans un monde de nouveau divisé entre fidèles et infidèles, dans un dar el harb mondialisé où la résistance se fait par conquête et reconquête de territoires perdus. Le terme de djihadisme est un néologisme : il désigne aujourd'hui l'exportation par la violence, de la violence, sans finalité pacificatrice, au nom de l'islam - il est un islamisme, une idéologisation de la religion, poussée au paroxysme de la contestation. Or, le djihad, dans sa définition textuelle417 désigne la lutte, l'effort, tandis que la guerre est traduite par le mot harb. Adapté à la modernité, ce mot de djihadisme pourrait être interprété, non pas comme l'action de guerre strico sensu, avec pour finalité la mort de l'ennemi et la pacification - mais comme la résistance et l'endurance à un dar al harb oppressant, où la finalité devient sa propre survie par l'agitation et le trouble constant de l'espace pacifié. Le djihadisme est donc une manière de désigner la contestation transnationale mise sous la bannière de l'islam, sans cesse actualisée, qui constitue un mode de rupture répétitif avec l'ordre Occidental établi. Il permet, aux groupes qui s'en réclament de faire valoir leur historicité, leur histoire propre, leur temps propre, sur le temps mondialisé. Les sources de la contestation islamiste sont à rechercher dans les disfonctionnements politiques actuels, les enjeux géopolitiques modernes, mais également, dans l'histoire de ces sociétés, leur fonctionnement propre en dehors de toute appréhension occidentalo-centrée.

    91

    417Des savants, notamment l'imam Sahih Al Bukhari qui a compilé les hadiths, ont fait surgir la notion d'obligation manquante, « le sixième pilier de l'islam », qui correspond au sens moderne du djihad.

    92

    Troisième Partie - Le conflit malien en action : La déflagration des tensions sahélo-sahariennes

    La crise malienne, déclenchée par la destitution du président Amadou Toumani Touré : ATT, le 22 mars 2012, ne peut se comprendre sans considérer le contexte mondial et régional qui la précède directement. Elle semble être la résultante explosive d'une latence crisogène installée depuis les indépendances, et ranimée sporadiquement par les métamorphoses de la conflictualité globale. La brèche laissée ouverte par le désinvestissement de l'Etat malien accélère le processus de transformation de la menace et l'installe dans l'espace. Dès lors, en quoi le conflit malien est-il la détonation d'une surconcentration d'enjeux et d'acteurs illégaux parasites implantés dans la rupture de l'Etat ?

    L'apparition d'Al-Qaïda et de sa franchise418 locale, Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), modifie profondément la situation politique et sécuritaire de la région. Avatar d'un djihad moderne renouvelé, cette réalité active, ou abstraction représentative, transforme les perspectives géopolitiques des groupes armés non étatiques déjà présents au Sahel-Sahara ; « Les groupes composites formant la galaxie Ben Laden se sont peu à peu éloignés de leurs objectifs géographiques ou nationaux [...] »419 (A). Dans une double logique d'ubiquité et de rupture, Al-Qaïda prospère et s'installe, chaque fois qu'il est possible, dans les failles politiques et sociales laissées par la défaillance des Etats. Elément parasite, elle vit aux dépens des conflits dans lesquels elle s'active, forme un point de convergence opérationnel, et redéfinit les polarités (B).

    « Le Mali est le concentré explosif des maux d'une zone aussi immense que grise, qui va de l'Atlantique à l'océan Indien et où les trafics alimentent aussi bien les extrémistes islamistes d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), que les mouvements de guérilla touareg et l'état-major d'une armée gangrenée par la corruption. »420

    418JOANNIDIS, Marie, « Dix ans après le 11-septembre : Aqmi, franchise d'al-Qaïda en Afrique », RFI, [En Ligne], septembre 2011

    URL : http://www.rfi.fr/afrique/20110909-aqmi-franchise-al-qaida-afrique-11-septembre-terrorisme-sahel/ 419DAGUZAN, Jean-François, « D'Al-Qaida à AQMI, de la menace globale aux menaces locales », Diploweb, [En Ligne], décembre 2011

    URL : http://www.diploweb.com/D-Al-Qaida-a-AQMI-de-la-menace.html

    420AYAD, Christophe, « Au coeur du Sahel sous tension, la poudrière malienne », Le Monde Afrique, [En Ligne], mars 2012

    URL : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/03/28/au-coeur-du-sahel-sous-tension-la-poudriere-malienne_1676354_3212.html#Zs1E9FFBOATkAb7H.9

    93

    I. Al-Qaïda et AQMI : des menaces glocalisées.

    Al-Qaïda est une réalité insaisissable tant elle évolue au gré des contextes et conjonctures qu'elle aborde - « une fois épuisées les métaphores sidérales : nébuleuse ou galaxie terroriste, ces termes révèlent d'abord l'immensité d'un espace infini et effrayant, mais aussi notre propre incapacité à concevoir cet objet non identifié »421. Depuis le 11 septembre 2001, elle se transforme en avatar d'un djihad global galvanisé bien loin de représenter la diversité et la complexité des variables qui l'animent. Reconstruite sur le rejet de l'ordre établi et de ses représentants (« l'alliance judéo-croisée »422), Al-Qaïda semble a priori motivée par un islam fondamentaliste adapté. Cet oxymore révèle la complexité du phénomène qui s'élabore autour de l'exaltation de valeurs moyenâgeuses et de l'utilisation parallèle des technologies de la mondialisation critiquée. Plus qu'une entité, ce fluide hybride niché dans les interstices du temps et de l'espace perturbe, chaque fois qu'il est possible, la tectonique des plaques géopolitiques, en comblant et gangrénant les failles ouvertes par la modernité (1).

    « Cette capacité de nuisance d'un groupuscule cosmopolite est sans précédent et n'a pas fini d'alimenter les polémiques comme les interrogations. Al-Qaida a tiré le plus grand profit de la mondialisation des échanges humains, pour amalgamer dans sa matrice des militants d'horizons très divers. »423

    L'invisibilité produite par sa « canalisation424 », nécessite une inscription territoriale témoin de son existence et de sa pro activité. Ainsi, Al-Qaïda évolue, organisation, réseau, étiquette marketing entre autre, qui aspire à la fois les vagues rebelles spatialisées, comme c'est le cas pour le GSPC algérien, et satellise ces mêmes réalités en vertu d'une logique d'ubiquité - AQMI n'est pas seulement la branche africaine d'Al-Qaïda, elle est Al-Qaïda (2). Les conflits géopolitiques initiaux sont concurrencés et supplantés par une bannière globale amorphe et déformante, qui nécessite pour être comprise, de disséquer la terminologie et l'histoire des variables conflictuelles en concurrence.

    421KEPEL, Gilles, Al-Qaida dans le texte, Paris, Presses Universitaires de France, 2005, p.1

    422Ibid., p.51

    423FILIU, Jean-Pierre, La véritable histoire d'Al-Qaida, Paris, Fayard, 2010 (2ème ed. 2009), p.237

    424Ce terme désigne le fait qu'Al-Qaïda évolue via les canaux de la mondialisation, les voix de communication et

    les flux.

    94

    1. Genèse et mutation d'Al-Qaïda : continuité des ruptures.

    L'histoire d'Al-Qaïda est complexe et multiple425 : elle est indissociable des hommes qui l'ont pensée, et est le fruit d'une succession de ruptures et de métamorphoses idéologiques et stratégiques ; « Il est impossible de comprendre l'histoire du jihad global sans mesurer l'ampleur du divorce qui le fonde »426.

    Au milieu du XXème siècle l'Afghanistan connaît une crise politique et économique427 : le pouvoir royal pachtoun ethno-centré alimente des tensions identitaires à l'intérieur du pays et vis-à-vis du Pakistan428. L'URSS de Léonid Brejnev veut prolonger les avancées russes du XIXème siècle dans la région, et se frayer un chemin d'accès aux mers chaudes ; « Tous les peuples dans une situation comparable à celle des Russes cherchent à se frayer un chemin vers les mers ouvertes, et par conséquent, à chaque fois que ces prisonniers impatients secoueront les barreaux de leurs geôles géographiques, les peuples occidentaux craindront pour leur tranquillité »429. Or, le contexte de Guerre Froide pousse les Etats-Unis à concurrencer l'influence communiste par l'aide économique.

    Dans les années 1970, le général Mohammed Daoud renverse le roi, abolit la monarchie, et instaure un régime républicain dont il devient le premier président en 1973 ; mais « le traitement de ses ennemis politiques - les islamistes et les communistes, eux-mêmes opposés les uns aux autres - mêle la répression et la cooptation »430. Et d'ajouter, « l'hostilité grandissante à leur encontre conduit certains islamistes, tels le Tadjik Ahmed Chah Massoud et le pachtoun Gulbuddin Hekmatyar à s'exiler au Pakistan »431.

    Les tensions précipitent le coup d'Etat communiste de 1978, « cette « affaire improvisée dans la hâte »432. Le Parti Démocratique Populaire d'Afghanistan (PDPA) est divisé en deux branches : le Khalq, instigateur du coup d'Etat, est le courant majoritaire et radical à

    425Jean-Pierre Filiu avait intitulé un de ses livres « Les Neuf vies d'Al-Qaida ».

    426FILIU, Jean-Pierre, La véritable histoire d'Al-Qaida, op. cit., p.23

    427« A partir de 1969, en effet, l'Afghanistan connaît plusieurs années de sécheresse et de famine. Quatre ans

    plus tard, le peuple meurt littéralement de faim dans la province de Ghor, au centre du pays. », PARENTI,

    Christian, « Retour sur l'expérience communiste en Afghanistan », Le Monde Diplomatique, [En Ligne], août

    2012

    URL : http://www.monde-diplomatique.fr/2012/08/PARENTI/48065

    428Le Pakistan est peuplé sur ses franges afghanes de populations pachtounes.

    429BACHELIER, Eric, L'Afghanistan en guerre, la fin du grand jeu soviétique, Lyon, Presses Universitaires de

    Lyon, 1998, p.5

    430PARENTI, Christian, « Retour sur l'expérience communiste en Afghanistan », op. cit.

    431Ibid.

    432STEELE, Jonathan, ibid., (cité dans)

    dominance pachtoun ; le Parcham lui, est « ancré dans les classes moyennes urbaines qui parlent le dari »433.

    Le régime communiste mène une succession de réformes culturelles et économiques drastiques auxquelles ni eux, ni les sociétés, n'étaient préparés ; « Conçues dans l'urgence, les réformes du PDPA souffrent de la vieille division de la société afghane entre villes et campagnes »434. La société rurale opposée au régime, se tourne vers la résistance armée « rejoignant les partis islamistes qui ont fui au Pakistan durant la répression de Daoud »435. Des rébellions islamistes inspirées par la révolution iranienne, éclatent dans plusieurs villes.

    « Les Soviétiques envoient de nouveaux conseillers en Afghanistan et commencent à élaborer un plan de déploiement de leurs forces terrestres. Depuis l'été, les Etats-Unis fournissent de l'argent et des armes aux moudjahidins afin de préparer des assauts contre les forces gouvernementales et les infrastructures publiques à partir du Pakistan. »436

    Al-Qaïda trouve alors son origine dans l'intervention soviétique en Afghanistan de 1979 à 1989. Et, elle résulte d'un processus d'émancipation de ce conflit local, et d'adaptation de trois notions de l'islam, Hégire, djihad, takfir, à la modernité.

    « Un triptyque militant se met en place, entre le takfir, l'hégire et le jihad : la société musulmane d'origine et ses dirigeants sont stigmatisés comme « infidèles », d'où l'impératif d'hégire, en imitation du voyage fondateur du prophète Mohammed, de La Mecque vers Médine. Ben Laden est pleinement entré dans cette logique en modelant sa « Tanière des Compagnons » sur le précédent revisité de Médine. Les camps des jihadistes arabes deviennent les laboratoires de l'islam régénéré, où l'apprentissage à la guerre contre les « infidèles » est censé ouvrir la voie à la liquidation des musulmans « traîtres » et autres « apostats ».»437

    95

    433PARENTI, Christian, « Retour sur l'expérience communiste en Afghanistan », op. cit. 434Ibid. 435Ibid. 436Ibid.

    437FILIU, Jean-Pierre, La véritable histoire d'Al-Qaida, op. cit., p.46

    96

    o Hégire afghan

    L'histoire d'Al-Qaïda est indissociable des « trois militants, déterminés à restaurer la puissance de l'islam »438 qui l'ont fondé, depuis leurs montagnes afghanes.

    Abdallah Azzam, « imam du jihad », est un savant religieux palestinien mobilisé dans la résistance afghane. Il côtoie dans sa jeunesse les Frères Musulmans du Moyen-Orient activement engagés dans la lutte contre « l'ennemi sioniste »439. Et s'en détourne pour poursuivre ses études dans l'Egypte d'Anouar Sadate, avant de devenir enseignant en Jordanie puis en Arabie Saoudite. Lors d'un pèlerinage à la Mecque, il rencontre Kamal al-Sananiri, un cadre égyptien membre des Frères musulmans, mandaté par l'Arabie Saoudite pour lutter contre les Soviétiques en Afghanistan, qui lui fait l'éloge du djihad anticommuniste440. Abdallah Azzam décide d'enseigner à Islamabad, d'où il effectue plusieurs voyages, de plus en plus fréquents, à Peshawar. Et, en 1983 il émet une fatwa prescrivant l'obligation individuelle d'accomplir le djihad en Afghanistan.

    « Le sujet est délicat, car des siècles de jurisprudence islamique ont bien distingué le « jihad offensif », menée par une fraction de la communauté musulmane au nom de celle-ci, et le « jihad défensif », dont l'obligation collective (fard kifaya) ne peut devenir individuelle que dans des cas très précis. Azzam s'attache à démontrer que le « jihad défensif » en Afghanistan ne concerne pas que le peuple afghan, directement agressé, mais l'ensemble des musulmans du monde entier qui ont dès lors pour obligation individuelle de contribuer au jihad antisoviétique »441.

    Définitivement détourné des problématiques palestiniennes et installé à Peshawar, Abdallah Azzam continue de soutenir à ses coreligionnaires l'importance, voire la nécessité de ce djihad afghan ; « Tout Arabe qui veut accomplir le jihad en Palestine peut commencer par là, mais celui qui ne le peut pas, qu'il aille en Afghanistan. Quant aux autres musulmans, je pense qu'ils doivent commencer leur jihad en Afghanistan »442.

    438FILIU, Jean-Pierre, La véritable histoire d'Al-Qaida, op. cit., p.23

    439Ibid., p.25

    440Ibid., p.27

    441Ibid., pp.28-29

    442KEPEL, Gilles, Al-Qaida dans le texte, op. cit., p.149

    97

    Oussama Ben Laden est originaire d'une famille riche et fait ses études en Arabie Saoudite ; il s'en détourne pour suivre l'activisme des Frères musulmans.

    « Il se plonge dans les écrits de Sayyid Qotb, le « martyr » emblématique des Frères musulmans, et suit les conférences de son frère Mohamed Qotb, désormais installé en Arabie Saoudite. Il se passionne pour le « jihad », en fait la campagne de terreur déclenchée dès 1976 par les Frères musulmans syriens contre le régime laïc du parti Baas. Mais c'est l'invasion soviétique de l'Afghanistan qui radicalise son engagement. »443

    Il est chargé, dans un premier temps, de transférer des fonds au Pakistan pour le Jamaat Islami444, et rencontre dans ses voyages de nombreuses personnes influentes du djihad afghan. Motivé par Abdallah Azzam, il finit par rejoindre les moudjahidins en 1984.

    Ayman Zawahiri est égyptien, et « particulièrement influencé par un de ses oncles maternels, Mahfouz Azzam, opposant résolu au régime d'Abdel Nasser, avocat et exécuteur testamentaire de Sayyid Qotb [...] »445. Il s'engage dans un activisme clandestin après la pendaison de Sayyid Qotb en 1966, et s'éloigne des Frères musulmans qu'il juge trop passifs - il effectue cependant un premier voyage au Pakistan sous leur égide dont il rentre transformé446. L'assassinat d'Anouar Sadate en 1981 ouvre la voie à de nombreux soulèvements et une arrestation massive des islamistes, y compris d'Ayman Zawahiri. Sous la torture, il dénonce ses camarades et est incarcéré jusqu'en 1984. A sa sortie, il fuit de honte l'Egypte pour s'installer à Djedda, avant de rejoindre le djihad afghan qu'il commence déjà à penser contre les régimes arabes impis.

    443FILIU, Jean-Pierre, La véritable histoire d'Al-Qaida, op. cit., p.33

    444Les Frères musulmans au Pakistan

    445Ibid., p.35

    446« Alors qu'Abdallah Azzam enseigne encore dans le confort de l'université de Djedda et qu'Oussama Ben Laden se contente d'acheminer des fonds à Lahore, Zawahiri devient un des premiers Arabes à faire l'expérience du djihad afghan. Il en revient transformé en Egypte et il repart dès mars 1981 [...] », FILIU, Jean-Pierre, La véritable histoire d'Al-Qaida, op. cit., p.36

    98

    o Djihad moderne

    En 1984, Abdallah Azzam et Oussama Ben Laden établissent le maktab al-khadamât447, censé recueillir des fonds et former les musulmans désireux de faire le djihad.

    « Des activistes radicaux - ceux qu'on appellera bientôt les Afghans, volontaires islamistes venus du monde entier (Maghrébins, Egyptiens, Jordaniens, Yéménites, Koweïtiens, Saoudiens, Moros philippins, Ouzbeks d'Asie centrale, Malaisiens, Ouïgours originaires du Xinjiang chinois, ressortissants d'autres pays d'Asie centrale, d'Asie du Sud ou du Sud-est) - vont subir un endoctrinement rigoriste et un entraînement aux techniques de la guérilla notamment dans les camps de Peshawar ou de Kaboul, pour ensuite soit retourner chez eux, soit rejoindre d'autres foyers régionaux de conflits. »448

    Au départ peu nombreux, les volontaires au djihad affluent dans les années 1985449 et suivent une formation militaire aux côtés d'Abdel Rassoul Sayyaf et de Gulbuddine Hekmatyar, « deux commandants pachtounes particulièrement bien vus de l'ISI »450. Dans le même temps, Mikhaïl Gorbatchev annonce le retrait des troupes soviétiques, programmant la fin du maktab al-khadamât.

    En 1987, Abdallah Azzam énonce l'impératif d'une « base (qâ'ida) ferme dans le territoire musulman » »451, réformant les objectifs initiaux du maktab al-khadamât, et marquant par la même, le point de départ d'un nouveau projet.

    « Le mouvement islamique ne sera capable d'établir la société islamique que grâce à un jihad populaire général, dont le mouvement sera le coeur battant et le cerveau brillant, pareil au petit détonateur qui fait exploser une grande bombe, en libérant les énergies contenues de l'Umma et les sources de bien qu'elle retient dans son tréfonds. Les compagnons du Prophète (que Dieu les agrée !) n'étaient qu'une poignée par rapport aux musulmans qui renversèrent le trône de Chosroês et ternirent la gloire de César [...] La société islamique a besoin de naître, mais la naissance se fait dans la douleur et la peine. »452

    447Bureau des services

    448LAMCHICHI, Abderrahim, « Al-Qaïda », Confluences Méditerranée, N°40, Vol.1, 2002, p.41

    449« Selon l'estimation fiable d'Anas, le nombre de moujahidins arabes atteint trois à cinq mille de 1987 à

    1989. », FILIU, Jean-Pierre, La véritable histoire d'Al-Qaida, op. cit., p.41

    450Ibid., p.40

    451KEPEL, Gilles, Al-Qaida dans le texte, op. cit., p.169

    452Ibid.

    99

    Abdallah Azzam rompt avec la tradition historique du djihad en en faisant une obligation personnelle pour le musulman ; « Le jihad a l'époque des compagnons et des successeurs fut surtout une obligation collective, parce qu'il y avait eu des nouvelles conquêtes. Aujourd'hui, le jihad au risque de la vie est une obligation individuelle »453. Le maktab al-khadamât s'élabore comme une sorte de cellule de formation militaire pour les volontaires au djihad, poussés à combattre l'ennemi soviétique dans les différentes zones de conflit à travers monde454. Cette forme lui donne une dimension transnationale, puisqu'il accueille des milliers d'individus qui, à la fin de la Guerre Froide, se recyclent dans les zones de friction locales.

    « Aujourd'hui, le jihad au risque de sa propre vie et de son argent, est une obligation individuelle pour tout musulman, et toute la communauté musulmane demeurera dans le péché tant que le dernier empan de territoire musulman n'est pas libéré des infidèles ; personne ne peut être absout de ce péché sinon les moujahidines. »455

    Le retrait des troupes soviétiques d'Afghanistan entame la dislocation du maktab al-khadamât. Les dissidences et oppositions internes poussent Oussama Ben Laden à créer sa propre base, de double nature456, Al-Qaïda ; « L'ancrage territorial et limité ne prend son sens que par la mise en réseau, dans une dialectique inédite et transnationale »457. La mort d'Abdallah Azzam entérine la succession, ou la mutation, du maktab al-khadamât en Al-Qaïda.

    o Etats takfirs458

    La guerre du Golfe marque un tournant décisif dans les choix stratégiques d'Oussama Ben Laden.

    Le régime de Saddam Hussein est considéré comme apostat. Lorsqu'il envahit le Koweït, Oussama Ben Laden lance un appel aux Afghans en vertu duquel « tous les moujahidines originaires du Golfe doivent se retirer du front afghan, rejoindre Peshawar et être rapatriés en Arabie pour y contenir l'invasion irakienne du

    453KEPEL, Gilles, Al-Qaida dans le texte, op. cit., p.177

    454BAUD, Jacques, « Al-Qaïda », global terror watch, [En Ligne], juin 2014

    URL : http://www.globalterrorwatch.ch/index.php/al-qaida/

    455KEPEL, Gilles, Al-Qaida dans le texte, op. cit., p.149

    456Il serait également possible de considérer aujourd'hui qu'Al-Qaïda a une base symbolique, qui transcende la

    dimension territoriale, et transnationale.

    457FILIU, Jean-Pierre, La véritable histoire d'Al-Qaida, op. cit., p.46

    458Déchéance du statut de musulman.

    100

    Koweït »459. Il propose son aide militaire au régime saoudien, qui le remercie, et accueille des troupes américaines quelques jours plus tard sur les sols saints. Ce choix des princes saoudiens leur vaut critiques et virulence. D'autant qu'en 1991, ils autorisent le maintien de la présence américaine dans le pays ; « Le chef d'Al-Qaida amèrement déçu par son pays, ne sait pas qu'il ne reverra plus jamais l'Arabie saoudite. Pour lui, l'avenir est déjà ailleurs. Et, à ses yeux, le jihad sera global ou ne sera pas » 460. Dans le même temps, Ayman Zawahiri se lance dans un conflit idéologique avec les Frères musulmans d'Egypte - le djihad n'est plus seulement pensé en termes de lutte contre les infidèles, mais également en termes de lutte contre les takfirs, les traîtres musulmans ; « Nous considérons que combattre les gouvernants apostats des pays musulmans doit précéder celui des autres, car ce sont des apostats et que le combat contre les apostats doit précéder celui contre les infidèles. »461

    o Hégire soudanais

    Expulsé d'Arabie Saoudite, Oussama Ben Laden s'installe au Soudan, où il est accueilli par Hassan Al Tourabi, « diplômé des universités de Londres et de la Sorbonne, Tourabi a longtemps dirigé la branche soudanaise des Frères musulmans, puis a élargi ses ambitions à un panislamisme d'un type nouveau »462. La fin de la Guerre Froide, et le départ des communistes de Kaboul, « accélèrent le départ, du Pakistan vers le Soudan de quelques cinq cents jihadistes étrangers, tandis qu'Al-Qaïda ne maintient qu'une présence résiduelle en Afghanistan autour du camp Farouk »463. Khartoum devient l'épicentre de l'organisation, et les Etats-Unis l'ennemi principal464. L'intervention des Etats-Unis en Somalie est perçue par Oussama Ben Laden comme une nouvelle intrusion en terre d'islam. Sur le modèle d'Abdallah Azzam, et alors qu'il n'a pas de légitimité théologique et dogmatique, il demande à Abou Hajer al Iraqi d'écrire un texte prescrivant le djihad en Somalie - une fatwa qui reste interne à l'organisation, et marque le pas du djihad anti-occidentale.

    459FILIU, Jean-Pierre, La véritable histoire d'Al-Qaida, op. cit., p.50

    460Ibid., p.52

    461KEPEL, Gilles, Al-Qaida dans le texte, op. cit., p.257

    462FILIU, Jean-Pierre, La véritable histoire d'Al-Qaida, Paris, op. cit., p.57

    463Ibid., p.58

    464« Les Etats-Unis deviennent un objectif légitime, voire prioritaire, alors même que l'implantation historique

    du Bureau des services, avec une trentaine d'antennes sur tout le territoire américain, fournit l'armature légale de

    cellules djihadistes. », Ibid., p.59

    101

    Cette période soudanaise rode les instruments dogmatiques et opérationnels465 d'Al-Qaïda sortie, au moins en principe, du carcan afghan. La trahison de Jamal Fadl, qui livre des informations sur le fonctionnement interne de l'organisation aux services américains, alimente la haine des apostats. Et, « replié sur les hauteurs de Jalalabad, dans les grottes du massif montagneux de Tora Bora, l'émir d'Al-Qaïda rumine le coup d'éclat qui doit propulser son jihad global sur le devant de la scène internationale »466.

    o Djihad global

    En août 1996, plusieurs journaux arabes reçoivent un texte intitulé « Déclaration de jihad contre les Américains qui occupent le pays des deux Saintes Mosquées »467, marquant le départ d'une double tendance propre à Al-Qaida : l'utilisation des médias comme vecteur de propagande, et la désignation des Etats-Unis comme ennemi468.

    Les médias, les images, et surtout Internet, sont les canaux de communication privilégiés par Al-Qaïda, lui permettant, à l'instar de l'espace virtuel, de se structurer en un réseau transgressif. L'essence de son action réside alors dans l'apologie d'une violence déconstruite et transformée en résistance nécessaire ; et dans l'instauration d'une forme de continuité des ruptures, grâce notamment aux attentats qui viennent épisodiquement perturber à degré variable le statu quo.

    « Si la propagande audiovisuelle reste dans le domaine de la représentation, elle peut en revanche avoir recours à une forme de « violence psychique ». Dans le cas d'Al-Qaida, celle-ci est davantage qu'une violence symbolique, elle est la représentation d'une violence extrême et réelle hissée au rang de symbole en soi. »469

    En février 1998, Oussama Ben Laden publie le manifeste fondateur du « Front islamique mondial pour le jihad contre les juifs et les croisés »470. Ayman Zawahiri en adhérant à cette confédération, renonce à l'ennemi proche, le régime égyptien, au profit de l'ennemi lointain, les Américains, et leurs alliés, y compris musulmans471. Et au-delà encore,

    465FILIU, Jean-Pierre, La véritable histoire d'Al-Qaida, op. cit., p.69

    466Ibid., p.75

    467KEPEL, Gilles, Al-Qaida dans le texte, op. cit., pp.52-59

    468« Depuis ces sommets nous oeuvrons à effacer l'injustice commise envers la nation musulmane par la coalition

    judéo-chrétienne », KEPEL, Gilles, Al-Qaida dans le texte, op. cit., p.53

    469EL DIFRAOUI, Abdelasiem, Al-Qaida par l'image, la prophétie du martyre, Paris, Presses Universitaires de

    France, 2013, p.27

    470KEPEL, Gilles, Al-Qaida dans le texte, op. cit., pp.63-69

    471Ibid., p.23

    102

    il ne s'agit plus seulement de frapper l'ennemi chez lui, dans son sanctuaire, mais partout où qu'il soit - notamment, ses symboles (ambassades, entreprises). Cette texture filamenteuse de la conflictualité la rend par essence globale, et transnationale.

    « Nous appelons, si Dieu le permet, tout musulman croyant en Dieu et souhaitant être récompensé par Lui à obtempérer à l'ordre de Dieu de tuer les Américains et de piller leurs biens en tout lieu qu'il les trouve, et à tout moment qu'il pourra. »472

    Entre 1998 et le 11 septembre 2001, Al-Qaïda connait son âge d'or473. Chacune des branches de l'organisation se développe comme le maillage d'une immense toile d'araignée, enrichissant à leur tour le poids du djihad global ; « l'effectif d'Al-Qaïda ne dépasse pas le millier de membres totalement dévoués, dont l'impact est démultiplié par les cercles concentriques de la solidarité et de la propagande jihadiste »474.

    Al-Qaïda rompt avec la tradition du djihad en en faisant un absolu : le djihad est historiquement un moyen au service d'une cause, d'une population, d'un territoire. Or, en l'espèce, le djihad global existe en soi, pour soi, comme cause, moyen, et finalité. Au fur et à mesure de ses vies, l'organisation se transforme, change d'objectifs, s'adapte aux contextes et conjonctures dans une dynamique sinusoïdale. Les attentats du 11 septembre 2001 marquent le paroxysme du processus antimoderne. Paradoxalement, comme elle s'est construite, la base se déconstruit et se scinde en deux desseins distincts. Les attentats du World Trade Center actent le début d'une traque aux Afghans, et la destruction, quelques années plus tard, de la base mère, physique, localisée. A l'inverse, c'est le début de son autre vie en tant que label marketing - la base de données va proliférer et renforcer son caractère invisible et transnational, tandis que la base symbolique devient le fer de lance des groupes contestataires stratégiquement amalgamés à ses desseins.

    Le djihad moderne a libéré le territoire afghan, tandis que le djihad global multiplie les provocations et actions contre les puissances infidèles et takfirs. D'une cellule de résistance inclusive localisée, Al-Qaïda se transforme en label d'exportation et d'exploitation. Les combattants ne viennent plus de par le monde, vers ce noyau souche, pour défendre un territoire donné - mais c'est ce noyau éclaté qui s'exporte lui-même dans les zones de conflit et y rejoint les divers acteurs en crise. La concentration des efforts en un même lieu laisse place à une diffusion de la contestation par des actions violentes qui n'ont plus pour seul

    472KEPEL, Gilles, Al-Qaida dans le texte, op. cit., p.23

    473FILIU, Jean-Pierre, La véritable histoire d'Al-Qaida, op. cit., p.112 474Ibid.

    103

    objectif de détruire l'ennemi, mais de perturber l'espace, d'attester de son existence, de troubler la tranquillité, et de résister à la puissance par la survie.

    104

    2. L'affiliation top-down de la conflictualité : d'Al-Qaïda à AQMI, une stratégie de l'ubiquité.

    Al-Qaïda s'est transformée en label fédératif qui aspire et modifie la géopolitique des conflits qu'il enveloppe. Cette organisation, nébuleuse, ou réseau, évoluant dans, avec, et contre le monde, se fonde sur une nouvelle forme d'islamisme : « contrairement aux mouvements de l'islamisme politique classique à ancrage national, ces Afghans sans attache sociale, élaborent une variante transnationale de l'idéologie néo fondamentaliste axée sur la violence armée, couplée à un rigorisme religieux »475. Elle revisite, après la Guerre Froide, la division géopolitique du monde émise par les califats musulmans : un dar al islam à défendre, et un dar el harb à attaquer.

    La stratégie d'Al-Qaïda se base sur deux principaux éléments : la médiatisation indispensable à son évasion du réel et sa survie à long terme (A), et la territorialisation de l'action (B) .

    « Al-Qaïda reconnait depuis longtemps qu'il doit attaquer l'ennemi sur plusieurs fronts à la fois et que sa stratégie médiatique est un aspect à la fois essentiel et complémentaire des opérations qu'il mène en vue d'atteindre ses objectifs stratégiques. « Les deux tiers du combat se passent dans les médias » (Ayman al-Zawahiri) »476.

    475LAMCHICHI, Abderrahim, « Al-Qaïda », Confluence Méditerranée, op. cit., pp.41-56

    476GENDRON, Angela, « La stratégie médiatique et de propagande d'al-Qaïda », CIEM, [En Ligne], 2007/2, p.3 URL : http://www.itac.gc.ca/pblctns/pdf/2007-2-fra.pdf

    105

    A. La stratégie médiatique d'Al-Qaïda : Iconographie d'une religion aniconique.

    Relayée par les médias, la propagande d'Al-Qaïda, son idéologie, s'inscrivent dans un contexte international et transnational qui lui assure une certaine forme de pérennité : pour l'anéantir il ne suffit plus seulement de détruire ses bases, de traquer ses dirigeants, mais surtout de tuer son nom, de l'effacer en tant que symbole. La médiatisation est « un complément crucial à la campagne opérationnelle d'Al-Qaïda »477, qui l'utilise à des fins de communication, d'existence, et de survie - le virtuel est une autre dimension de « la base ». Ainsi, la stratégie de fond d'Al-Qaïda semble être celle de l'ubiquité, qui répond à l'impératif d'attaquer l'ennemi « sur plusieurs fronts à la fois »478. Cette faculté lui permet d'être localement représentée par des groupes visibles et identifiables, acteurs de conflits classiques ; et d'être omniprésente et insaisissable dans le monde. Plus que de mettre l'accent sur le djihad global en lui-même, Al-Qaïda vente le rôle du djihad, et se fait à la fois message et messager ; ses « objectifs stratégiques à long terme [...] forment l'essentiel de sa propagande, laquelle met davantage l'accent sur sa vision des évènements internationaux et sur le rôle du jihad militant comme agent de changement que sur sa vision eschatologique de l'avenir »479.

    La stratégie médiatique d'Al-Qaïda a deux objectifs, « faire le plus de tort physique et psychologique possible à l'ennemi [...] et acquérir de la notoriété auprès des musulmans pour gagner leur soutien »480. Dans cette perspective, l'importance de l'image est cruciale - « un des enjeux principaux des luttes politiques à l'échelle globale est la capacité d'imposer des principes de vision du monde »481.

    Al-Qaïda puise ses référents identitaires dans la modernisation de la mythologie de l'islam. Elle adapte l'histoire de la religion à sa grammaire482, et élabore un panel de symboles utilisés à des fins de reconnaissance : par les groupes qui lui sont affiliés identifiés à un ensemble, et comme élément d'authentification auprès de « l'ennemi ». Dans le premier cas, l'iconographie affranchie des limites spatiales grâce à Internet, contribue à matérialiser l'Umma - elle permet de créer, indépendamment des frontières, une unité autour de référents

    477GENDRON, Angela, « La stratégie médiatique et de propagande d'al-Qaïda », op. cit., p.2

    478Ibid., p.3

    479Ibid., p.2

    480Ibid., p.3

    481BOURDIEU, Pierre (cité dans), EL DIFRAOUI, Abdelasiem, Al-Qaïda par l'image, la prophétie du martyre,

    op. cit., p.21

    482Ibid.

    106

    d'identification communs, propagés par des vidéos, des chants, des images, des textes, ou des déclamations des personnalités fortes. Et par la même, cette diffusion implante l'idéologie de cette iconographie aux quatre coins du monde.

    Les mythes classiques de l'islam sont repris, réinterprétés, et servent à légitimer l'action d'Al-Qaïda : le recrutement se base sur l'adhésion aux principes et à l'idéologie du réseau - dès lors, plus qu'une campagne de propagande, c'est une campagne de légitimation que doit mener Al-Qaïda auprès des musulmans susceptibles de rejoindre ses rangs. Et, le facteur de légitimation proéminent est l'histoire non seulement de l'islam, mais également du prophète et des symboles qui l'entourent. Seules les images fortes susceptibles d'avoir un impact dans la modernité sont choisies - un premier tri est fait, avant d'alimenter la dimension symbolique des choix restants. Certains symboles sont repris tel quel, parce qu'ils suffisent en eux-mêmes à transmettre le message (le drapeau par exemple) ; certains autres sont complètement transformés et adaptés au contexte moderne (l'épée par exemple) ; enfin, quelques uns sont empruntés aux autres branches de l'islam, aux dissidences, et intégrés à la grammaire sunnite d'Al-Qaïda (le martyr par exemple).

    Le drapeau est le symbole le plus significatif de la stratégie médiatique d'Al-Qaïda : il permet de se faire reconnaitre par l'ennemi, et de fondre l'Umma sous le même étendard ; « l'étendard désigne une enseigne de guerre : c'est à la fois le signe de commandement, celui de ralliement et l'emblème du chef lui-même »483. Trois couleurs reviennent dans le djihad global - elles sont également les trois couleurs de l'islam. Le vert, peu utilisé par Al-Qaïda, est la couleur de l'islam par excellence, et représente le paradis de Dieu. Le blanc et le noir ont trait non pas à une symbolique théologique à proprement parlé, mais à des références historiques aux premiers musulmans. Le blanc représente le commandement de l'armée musulmane et est le signe du premier Etat musulman ; « Les Taliban avaient fait de ce symbole le drapeau officiel de leur Etat au cours de sa brève existence car cette couleur renvoie à la création d'un Etat islamique »484. Le noir est la couleur du drapeau porté par le prophète lors d'une des plus importantes batailles de l'histoire des musulmans : la guerre contre les Koraïchites, la reprise de la Mecque, et la victoire contre les infidèles d'Arabie ; « L'étendard du Prophète Muhammad sur le champ de bataille lors de la confrontation avec les Quraych, et surtout l'étendard porté par Muhammad à son retour vainqueur de la Mecque »485.

    483EL DIFRAOUI, Abdelasiem, Al-Qaïda par l'image, la prophétie du martyre, op. cit., p.78 484Ibid., p.79

    485Ibid.

    107

    L'épée est une image clef de l'islam - elle est la représentation de la guerre sainte et de la conquête des califats musulmans. Aujourd'hui, sur certains drapeaux, images, ou vidéos, les épées croisées au-dessus d'un Coran ouvert ont été remplacées par des kalachnikovs ; « La raison en est peut-être que tous ces mouvements [communiste, puisque la kalachnikov est le symbole de l'URSS] sont anti-américains et anti-impérialistes »486.

    Le martyr fait originairement partie de l'imagerie chiite - Al-Qaïda sunnite, qui considère les chiites comme des takfirs, leur emprunte ce symbole fort. Le martyr devient le héros de l'islam, il combat la vie par la négation de la vie elle-même, donnant à ce nihilisme profond une puissante force de frappe : le martyr n'a pas peur de mourir. Son « sacrifice » pour avoir un sens doit être relayé par des vidéos : ainsi, cette vidéo redonne un sens à une action qui n'a pas de sens en soi ; « Un martyre doit être filmé pour créer un véritable martyre »487.

    Le djihad global combine donc, l'absence de fin pacificatrice à l'absence de peur de mourir - il rompt définitivement avec le sens normal et moral du combat, et s'insère dans une dialectique de la transgression constante.

    Al-Qaïda est une réalité transgressive : elle tente de faire le pont entre l'histoire classique et la modernité, alimentant de multiples paradoxes. L'un des plus significatifs a attrait à la médiatisation et l'imagerie : alors même que l'islam est une religion aniconique, Al-Qaïda qui vente la religion, fonde une grande partie de sa stratégie sur les images et symboles. Elle adapte, par des justifications théologiques, les lois de l'islam à ses perspectives. De la même manière que la vente de drogue est autorisée dans le but d'aider l'islam à se propager, les images et les symboles sont intégrés à la progression de l'islam. Or, une difficulté se dresse dans le cas présent : en tant que religion aniconique, l'islam n'a pas de représentation visuelle ou sonore d'elle-même. Dès lors, quand Al-Qaïda fait d'une image un symbole, en la répétant, en l'assimilant à une idée intégrée, elle ne se contente pas de moderniser une réalité préexistante pour l'adapter à la réalité, mais, elle crée une réalité pour laquelle il n'existe en fait, aucun précédent visuel.

    « Dans ce contexte, réaliser des films de propagande représente bien la moindre des dérogations que l'on peut se permettre dans le cadre du jihad, même si elle est loin d'être mineure ou anodine. Contrairement à toute l'histoire de l'islam sunnite, Al-Qaida et ses affiliés ne produisent pas uniquement des films, ils sont également en train de fabriquer un langage visuel étranger au modèle non figuratif de l'islam sunnite classique. Il s'agit d'un langage qui crée ses propres symboles, son vocabulaire, sa

    486EL DIFRAOUI, Abdelasiem, Al-Qaïda par l'image, la prophétie du martyre, op. cit., p.83 487Ibid., p.22

    108

    grammaire et sa syntaxe. Ce langage visuel ne crée pas seulement une image spécifique du jihad et des jihadistes, il risque, plus encore, de transformer l'image et l'imagerie de l'islam dans son intégralité. »488

    B. La stratégie territoriale d'Al-Qaïda : l'affiliation par contagion.

    « Le succès apparent remporté par un petit groupe de moudjahidin (combattants islamistes) qui ont expulsé les forces armées soviétiques de l'Afghanistan »489, motive Al-Qaïda à élaborer sa tactique locale, qui consiste à repousser l'ennemi là où il se trouve. Pour ce faire, Al-Qaïda se greffe sur les conflits locaux, soit en les fédérant sous sa bannière, soit via l'appel aux combattants ; « Le recrutement à l'échelle planétaire a permis à Al-Qaïda d'être présente dans le monde entier, et la liste des pays dans lesquels des activités de l'organisation [...] ont été identifiées [...] illustre les multiples ramifications d'une nébuleuse transnationale » 490.

    Al-Qaïda fonctionne comme un réseau en trois dimensions : une dimension territoriale, une dimension médiatique, une dimension symbolique. Ces trois catégories spatiales correspondent à trois représentations temporelles : à court terme, à moyen terme, et à long terme. Al-Qaïda agit sur ces trois plateaux en même temps - ils évoluent conjointement, mais le maillage qui les lie et les noeuds qui les structurent ne sont pas dépendants les uns des autres. Concernant la dimension territoriale par exemple, Al-Qaïda dispose de plusieurs représentants locaux (AQPA, AQMI, entre autre), chacun ayant suffisamment d'autonomie pour que sa disparition n'entraine pas l'effondrement de la structure entière491

    Al-Qaïda a créé une imagerie dont les groupes locaux se prévalent pour accroître leur puissance symbolique, et contribuer parallèlement à son ancrage territorial. L'effet de contagion est favorisé par la stratégie médiatique : un évènement violent entraîne une vague d'actions violentes. Cette chute en domino donne de l'importance à l'action du groupe local, et à son enveloppe symbolique, Al-Qaïda - ils se construisent et se renforcent mutuellement.

    488EL DIFRAOUI, Abdelasiem, Al-Qaïda par l'image, la prophétie du martyre, op. cit., p.67

    489 GENDRON, Angela, « La stratégie médiatique et de propagande d'al-Qaïda », op. cit., p.5

    490 COURMONT, Barthélémy, L'après Ben Laden, l'ennemi sans visage, Paris, François Bourrin Editeur, 2001, p.90

    491THERON, Julien, « Funeste rivalité entre Al-Qaïda et l'Organisation de l'Etat islamique », Le Monde Diplomatique, [En Ligne], Février 2015

    URL : http://www.monde-diplomatique.fr/2015/02/THERON/52632

    109

    Les groupes armés locaux intègrent le mouvement par accord idéologique, ou par choix stratégique. La bannière Al-Qaïda entraîne le focus sur une zone de conflit plutôt qu'une autre. Elle permet au groupe local qui s'en prévaut de gagner en poids stratégique, de modifier la polarité à son avantage, d'augmenter sa profondeur géographique, et de transformer la lecture du conflit. Les camps initiaux se généralisent : de dichotomie ethnique par exemple, le conflit passe à un paradigme « al-quaïdiste » de répartition, entre musulman type / infidèle et takfir. C'est à la fois une manière de dénaturer les enjeux réels en les assimilant à une velléité globale, mais également de « moraliser » la lutte, de diaboliser l'ennemi, et de légitimer par là même toute action à son encontre, puisqu'il s'agit désormais du Bien contre le Mal. Au-delà de ça, « ces réseaux transnationaux ne constituent pas en soi une nouvelle menace stratégique car ils s'articulent toujours sur des dimensions locales »492. Le spectre de la mouvance doit être dissipé pour comprendre les enjeux locaux réels qui existent indépendamment de lui.

    Al-Qaïda est un produit de la mondialisation dont elle « s'est habilement servi [...] pour s'infiltrer dans le monde entier, diversifier ses sources de financement, et gagner en invisibilité » 493. Elle fonctionne sur le mode de la guérilla, « un recrutement en fonction des convictions politiques »494, et s'installe où l'information la porte. Alors que dans ses premières guerres, en Afghanistan et en Irak, son action était localisée et identifiable495, aujourd'hui elle se diffuse et créé des relais de combat rompant avec sa signification première « la base ». Al-Qaïda n'importe pas les combattants là où elle se trouve, elle s'exporte désormais là où ils se trouvent496.

    « Si l'objectif ultime d'Al-Qaïda consistait à combattre cette présence étrangère, le réseau a apporté aussi son soutien logistique et financier à des groupes poursuivant d'autres buts. Il s'est associé à l'organisation égyptienne al-Jihad en 1998 pour entamer, avec d'autres groupes, « la lutte contre les juifs et les croisés », et frapper les intérêts des Etats-Unis partout dans le monde. Un autre groupe que l'organisation a soutenu est le Hezbollah, fer de lance de la résistance contre Israël lors de l'occupation du Liban Sud qui s'est achevée en mai 2000. Ben Laden a également apporté son

    492ZAHAB, Mariam Abou, ROY, Olivier, Réseaux islamiques, la connexion afghano-pakistanaise, Paris,

    Autrement, 2002, p.63

    493COURMONT, Barthélémy, L'après Ben Laden, l'ennemi sans visage, op. cit., p.87

    494Ibid., p.89

    495Ibid.

    496« Les réseaux internationalistes fonctionnent selon une double logique, locale et globale. La ressemblance des discours (l'appel au jihad et à l'oumma) ne doit pas occulter les logiques locales, essentiellement ethniques. », ZAHAB, Mariam Abou, ROY, Olivier, Réseaux islamiques, la connexion afghano-pakistanaise, op. cit., p.63

    110

    soutien aux radicaux algériens. Le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) d'Hassan Hattab a été créé en 1998 avec l'aval de Ben Laden qui l'aurait financé et l'aurait aidé à installer des réseaux à l'étranger. Considéré comme le principal rival des GIA d'Antar Zouabri, il est hostile à la concorde civile lancée par le président algérien Abdelaziz Bouteflika. Le GSPC a maintes fois affirmé sa détermination « à poursuivre son combat pour l'instauration d'un Etat islamique en Algérie », et menacé de s'en prendre aux intérêts américains et européens en Algérie ou à l'étranger. Ces intérêts résident essentiellement dans les secteurs pétrolier et gazier, principales ressources d'exportation de l'Algérie. C'est pourquoi ces zones pétrolières sont classées depuis 1994 par les autorités algériennes « zones d'exclusion » surveillées par l'armée. »497

    Al-Qaïda vise la déstabilisation des territoires498. Pour ce faire, elle découpe le monde en zones d'action avec un commandement attitré pour chacune d'entre elles. Cette manière de fonctionner n'est pas seulement une subdivision qui impliquerait une hiérarchie formelle - il ne s'agit pas uniquement d'avoir un relai local - au-delà, il s'agit d'exister localement. Dans sa logique, Al-Qaïda n'adoube pas seulement des dissidences régionales, elle existe territorialement dans une sorte de logique d'ubiquité, répondant au principe d'unicité de l'islam qu'elle prône, et à celui d'Umma qu'elle défend. L'ubiquité ne se fait pas seulement entre la dimension médiatique et la dimension territoriale - elle est dans la dimension territoriale elle-même : Al-Qaïda se veut partout et n'importe où. Le concept qui semble le mieux expliquer cette double logique locale et globale est celui de glocalisation499 ; « penser global, agir local »500.

    « Ainsi, la « glocalisation » est probablement le concept qui explique le mieux la dynamique recherchée par Al-Qaïda au Maghreb Islamique, reflétant l'imbrication de deux logiques concurrentes, la « globalisation » d'une part et la « localisation » d'autre part qui se répercutent à tous les échelons de la société maghrébines : politique, social, économique, et culturel. »501

    497LAMCHICHI, Abderrahim, « Al-Qaïda », Confluence Méditerranée, op. cit., pp.41-56

    498THERON, Julien, « Funeste rivalité entre Al-Qaïda et l'Organisation de l'Etat islamique », op. cit.

    499« La glocalisation (c'est-à-dire pour reprendre ce terme à l'économie, l'interconnexion du mondial et du local)

    est à l'oeuvre dans la durée. », DAGUZAN, Jean-François, « D'Al-Qaïda à AQMI, de la menace globale aux

    menaces locales », Diploweb, [En Ligne], décembre 2011

    URL : http://www.diploweb.com/D-Al-Qaida-a-AQMI-de-la-menace.html

    500« Glocalisation », Lexique du Commerce International, Paris, Ellipses, 2013

    501DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, Paris, L'Harmattan, 2011, p.12

    111

    Les failles ouvertes par les conflits permettent à Al-Qaïda de s'implanter et de renforcer sa position spatiale sans trop de résistance502. Les branches locales se multiplient : Al-Qaïda en Irak, Al-Qaïda dans la Péninsule Arabique, Al Shabab en Somalie, et Al-Qaïda au Maghreb Islamique503. Les Algériens du GSPC en portant allégeance à Oussama Ben Laden, donnent une profondeur stratégique à leur action qui se transforme d'une perspective nationale, en dynamique transfrontalière, incluant le désert jusqu'à ses marges. AQMI profite d'un espace perturbé, et dans une sorte de logique en poupée russe : Al-Qaïda s'incère dans la faille algérienne du GSPC pour créer AQMI ; AQMI s'insère à son tour dans les failles sahélo-sahariennes pour proliférer. La logique de transgression d'Al-Qaïda se multiplie et s'approfondit ; « Al-Qaïda au Maghreb Islamique est devenu une excroissance du terrorisme post-11 septembre, terrorisme groupusculaire suicidaire qui doit être envisagé dans un cadre transfrontalier, multidimensionnel et médiatique. »504.

    502« A partir des années 2003, on a donc assisté à une fragmentation du réseau qui cherche à consolider des positions locales. Les erreurs stratégiques américaines et les zones grises ouvertes par la faillite de certains Etats leur en donnent l'opportunité. », DAGUZAN, Jean-François, « D'Al-Qaïda à AQMI, de la menace globale aux menaces locales », op. cit.

    503THERON, Julien, « Funeste rivalité entre Al-Qaïda et l'Organisation de l'Etat islamique », op. cit. 504DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., p.13

    112

    II. La conflictualité sahélo-saharienne et le détonateur malien.

    Le Sahel-Sahara est affecté par une multitude de conflits multiformes, transfrontaliers, voire interdépendants : « Coups d'Etat militaires, mouvements de contestation, révoltes et révolutions, insurrections ; depuis le début du XXIème siècle, des crises multiformes remodèlent le paysage politique des pays du Maghreb et du Sahel ainsi que leurs relations géopolitiques »505. L'instabilité politique, économique, et sociale des Etats sahéliens entérine la conflictualité d'une région qui s'adapte difficilement à la modernité. Et, cette même réalité profite à une multitude de groupes et groupuscules qui émergent, s'affranchissent, et entrent dans une dialectique d'opposition à l'Etat ; «Entre 1990 et 2013, pas moins de 31 groupes non étatiques sont à un moment ou un autre, opposés aux Etats saharo-sahéliens »506. Dans cet espace fissuré, Al-Qaïda, comme un fluide, se déverse et comble les trous laissés par l'insécurité (1).

    « En kidnappant une trentaine de touristes occidentaux dans le désert algérien en 2003, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) - devenu Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) en 2007 - marque le début d'une période d'instabilité exceptionnelle dans l'histoire récente des espaces saharo-sahéliens. Jamais encore depuis les indépendances, le Sahara et le Sahel n'ont été affectés par une insécurité aussi généralisée et violente. »507

    Le Mali, considéré jusqu'alors comme un modèle de démocratie508, se transforme en aimant belligène : le coup d'Etat de 2012, qui fait écho à la rébellion touareg, transforme ce pays en plaie ouverte. Infectée par plusieurs éléments parasites, l'Azawad se fait instantanément le lieu de concentration de la conflictualité sahélo-saharienne (2).

    « Moins localisées et souvent transfrontalières, les crises contemporaines nécessitent de nouvelles réponses institutionnelles. Le conflit malien illustre ces complexités où se mêlent rébellions indépendantistes, extrémisme religieux et trafics

    505OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.180 506Ibid., p.177 507Ibid., p.176 508CUTTIER, Martine, « Les ressorts structurels de la crise au Sahel », op. cit., p.11

    113

    1. La construction bottom-up de la conflictualité : du GSPC à AQMI, une stratégie de la représentation.

    AQMI naît d'une transformation par le bas de groupes armés islamistes algériens. Cette branche d'Al-Qaïda pour le Sahel-Sahara est le résultat d'un long processus conclu en 2007 par l'allégeance d'Abdelmalek Droukdal à Oussama Ben Laden. Son intégration à Al-Qaïda nécessite « une réévaluation complète des méthodes de guerre du GSPC »509, un changement d'idéologie, et un élargissement de sa zone d'action (1). Or, cette transformation n'a pas été une transplantation mimétique de la nébuleuse globale ; ses traditions locales, bien qu'adaptées, résistent, et s'expriment par le maintien de modes d'action et de finalités propres, traduit par la multiplication de dissidences. Ainsi, lorsque le conflit éclate au Mali en 2012, AQMI s'insère dans cette brèche ouverte, et contribue à la concentration de velléités géopolitiques momentanément combinées (2).

    509SAMBE, Bakary, « Crise malienne : origines, développements et répercussion dans la sous-région », Konrad Adenauer Stiftung, [En Ligne], PDF

    URL : http://www.kas.de/wf/doc/kas_33096-1522-3-30.pdf?121213171402

    114

    A. La métamorphose du GSPC algérien : une matrice idéologique importée.

    En 1991, les élections législatives remportées par le Front Islamique du Salut (FIS) sont annulées, ce qui déclenche une guerre civile entre plusieurs factions islamistes : le Groupe Islamique Armé (GIA) crée en 1992, l'Armée Islamique du Salut (AIS), créée en 1994, et le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) crée en 1998, contre l'Armée Nationale Populaire (ANP)510. De 1994 à 1999 le gouvernement algérien crée des milices patriotes pour lutter contre les militants fondamentalistes. Les membres du FIS et des groupes armés islamistes sont emprisonnés dans des camps au sud du pays. Le soutien des populations au gouvernement déclenche un cycle de violence punitive, en 1996, 1997, 1998, et jusqu'en 2002 de manière plus sporadique511.

    Le GIA est formé d'un conglomérat de milices salafistes de la région d'Alger, dont la violence est exprimée par son slogan : « Du sang, du sang, de la destruction, de la destruction. Ni trêve, ni dialogue, ni réconciliation ! »512. Le groupe est composé de deux tendances : les djazaristes (jezeïr veut dire Algérie en arabe) qui veulent imposer l'Etat islamique en Algérie ; les salafistes qui ont des visées mondiales. Il se caractérise par une violence poussée à son paroxysme durant la guerre civile algérienne.

    « Dès 1994, Djamel Zitouni prend le contrôle du GIA qui connaît sous son émirat une radicalisation sans précédent. Zitouni décrète le principe de la guerre totale. Il s'agit pour lui non seulement de détruire le régime mais aussi de s'attaquer à l'ensemble des groupes sociaux susceptibles de soutenir le pouvoir algérien. »513

    Antar Zourabi, chef du GIA en 1996, édicte une fatwa d'apostasie collective à l'égard de tout Algérien qui refuserait de se battre contre le pouvoir514 - il légitime ainsi la violence faite aux civils ; « cette stratégie extrême provoque de graves dissensions au sein du groupe »515, qui finit par disparaître en 2002.

    510BALANCIE, Jean-Marc, DE LA GRANGE, Arnaud (dir.), Les Nouveaux mondes rebelles, conflits,

    terrorismes, et contestations, op. cit., p.103 511Ibid.

    512CARMARANS, Christophe, « Mali : les principaux acteurs de la crise », Jeune Afrique, [En Ligne], décembre

    2012

    URL : http://www.rfi.fr/afrique/20121212-mali-reperes-principaux-acteurs-crise-/

    DURAND, 513Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., 2011, p.18

    514OUAZANI, Cherif, « L'adieu aux larmes », Jeune Afrique, [En Ligne], janvier 2005

    URL : http://www.jeuneafrique.com/Article/LIN16015ladiesemral0/

    515DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., p.18

    115

    Le GIA tente dans un premier temps de se rapprocher d'Al-Qaïda : « Il [Oussama Ben Laden] nous a même proposé de nous venir en aide et c'est pour cela que Djamel Zitouni m'a demandé de me rendre au Soudan en 1994 pour le rencontrer [...] Outre son aide financière, Ben Laden nous a aussi affecté plusieurs de ses éléments pour participer à l'action armée » 516. Mais les deux organisations connaissent des désaccords idéologiques ; la tradition malékite, l'islam confrérique, et le nationalisme algérien, sont réprouvés par Al-Qaïda :

    « On retrouve de nombreuses références à ibn Taïmiyya, à Sayyid Qotb et au wahhabisme [dans le salafisme algérien]. Toutefois, le wahhabisme y est revisité par « les Oulémas » (les penseurs algériens classiques), dont ben Badis et ses compagnons qui, tout en préconisant un retour aux premières sources de l'islam, invitent les croyants à faire leur propre lecture des textes révélés. Les Oulémas s'inspirent également de l'islam confrérique très puissant au Maghreb, qui insuffle ainsi une dimension millénariste à leur doctrine politique. Enfin, même si les salafistes algériens rejettent le concept de nationalisme, ils se prévalent, ne serait-ce qu'inconsciemment, de la tradition nationaliste algérienne, puisqu'ils font régulièrement référence à la guerre de la libération algérienne et à la présence continue de la France en Algérie. »517

    Le GSPC est une dissidence du GIA crée par Hassan Hattab518, opposant d'Antar Zourabi, en 1998519. Il est, dans les années qui suivent sa création, l'opposant principal de l'Etat algérien, lui refusant tout compromis. Sa stratégie se développe sur trois principes : « le principe d'allégeance articulé autour de la soumission dans le respect de la religion, le principe de communauté tendu vers le califat comme objectif politique et enfin, le principe de l'unité basé sur la notion de l'Umma comme justification de la lutte visant à créer une « Union du Maghreb Islamique » »520. Dans les années 1990 il réinvestit les réseaux du GIA521, et depuis Londres, Abu Qutada, un proche d'Oussama Ben Laden, contribue à l'intégrer à la mouvance d'Al-Qaïda522. Mais parallèlement, dans le maquis algérien ses membres se divisent et ont du mal à trouver une cohésion. Les attentats du 11 septembre 2001 donnent une

    516 MOKEDDEM, Mohamed, Les Afghans algériens : de la Djamaa à Al-Qaïda, Alger, éditions ANEP, 2002, p.

    59.

    517LOUNNAS, Djallil, « AQMI, une filiale d'Al-Qaïda ou organisation algérienne ? », Centre d'études et de

    recherche internationales, Université de Montréal, [En Ligne], PDF, p.43

    URL : http://archives.cerium.ca/IMG/pdf/AQMI.pdf

    518Nom de guerre : Abou Hamza

    519BALANCIE, Jean-Marc, DE LA GRANGE, Arnaud (dir.), Les Nouveaux mondes rebelles, conflits,

    terrorismes, et contestations, op. cit., p.103

    520DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., pp.19-20

    521Mokhtar Belmokhtar était l'émir de la région sahélienne du GIA, par exemple.

    Ibid., p.19

    522Ibid., p.20

    116

    nouvelle impulsion à l'organisation ; Hassan Hattab profite des retombées médiatiques et de l'influence d'Al-Qaïda pour fomenter des attaques contre les convois algériens au Sahel-Sahara. Il annonce le 10 octobre 2002, « « l'état de l'union » après le ralliement de nouvelles zones à son groupe »523.

    La guerre de 2003 en Irak divise le GSPC, entre les panislamistes d'Abdelmalek Droukdal524 qui « place au dessus de tout la « solidarité avec les frères en Islam »525, et les islamo-nationalistes d'Hassan Hattab qui « place au dessus de tout autre considération la lutte en Algérie pour imposer un Etat islamique »526. Cette dissidence vaut à Hassan Hattab sa position au sein du GSPC - il démissionne au profit de Nabil Sahraoui527.

    « L'exclusion du courant des « exégètes » à la tête du GSPC, tel Hassan Hattab, émir de 1998 à 2003, et la montée des « opérationnels » tel l'émir Nabil Sahraoui à la tête de la mouvance à partir de juin 2003, ont marqué un tournant important dans l'évolution du mouvement salafiste armé en Algérie. »528

    En 2004, Abdelmalek Droukdal prend la tête du GSPC, et modifie sa stratégie en l'adaptant notamment au modèle irakien « Al-Qaïda au Pays des deux Fleuves »529.

    « Ancien chef de l'armement, Droukdal a formé la plupart des combattants du groupe à la fabrication d'explosifs, au maniement des charges et dispose d'un charisme incontesté au sein du groupe. Dès sa prise de fonction, il relance le ralliement des derniers mouvements réfugiés dans le maquis pour les unifier sous la bannière du GSPC. De même, il entreprend un rapprochement avec les autres groupes maghrébins et se lance à la reconquête de la jeunesse [...]. »530

    Abdelmalek Droukdel veut se rapprocher d'Al-Qaïda, et le fait par deux moyens. En s'appuyant sur les Afghans algériens présents en Tchétchénie, il crée une relation amicale avec Abou Hafs, chef de file des combattants arabes de Tchétchénie, proche d'Oussama Ben Laden. Puis, grâce à Abou Moussab al-Zarkaoui, dont il admire le projet irakien, « qui, dès septembre 2005, recommande le rattachement du GSPC à Al-Qaïda »531.

    523DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., p.22

    524Nom de guerre : Abou Moussab Abdel Woudoud

    525Ibid.

    526Ibid.

    527 Nom de guerre : Abou Ibrahim Mustapha

    528BALANCIE, Jean-Marc, DE LA GRANGE, Arnaud (dir.), Les Nouveaux mondes rebelles, conflits,

    terrorismes, et contestations, op. cit., p.103

    529DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., p.24

    530Ibid., pp.23-24

    531Ibid., p.31

    117

    Entre 2005 et 2006, le GSPC est mis à l'essai par les dirigeants d'Al-Qaïda. L'organisation se forme en interne pour répondre aux impératifs de la cellule mère : le groupe se restructure, renforce son discours panislamiste, adopte de nouveaux modes opératoires532. Sa stratégie médiatique est centralisée ; « en s'appuyant sur Internet, le GSPC parvient à réformer complètement sa communication et mène une propagande efficace en rendant accessible de nombreux documents, magazines, ou vidéos »533. Et « Finalement, en septembre 2006, al-Zawahiri confirme la place du GSPC dans l'orbite d'Al-Qaïda, tandis que Droukdal formalise son allégeance dans une longue missive écrite dans le style le plus pur de l'organisation centrale. En janvier 2007, le GSPC adopte le nom d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) »534. Les velléités algériennes d'origine sont abandonnées au profit du projet global. Le groupe change de cible : ce n'est plus seulement l'Etat algérien, mais l'Occident tout entier qui est l'ennemi; les actions s'orientent localement vers l'extérieur.

    « Les moyens utilisés ont changé. Al-Qaïda au Pays du Maghreb Islamique recourt désormais aux attentats à la voiture piégée, aux explosions déclenchées à distance ainsi qu'aux attaques suicides. Le danger ne concerne plus seulement les autorités algériennes, les intérêts étrangers sont aussi pris pour cible. Relayées par une communication efficace, les opérations bénéficient dès lors d'une large couverture médiatique, notamment dans la presse européenne. Al-Qaïda au Pays du Maghreb Islamique inspire désormais crainte et terreur. Quatrième front d'Al-Qaïda après l'Afghanistan, l'Irak et l'Arabie Saoudite, l'organisation s'est imposée dans le paysage du « jihad mondial » et étend sa menace du Sahel à l'Europe. »535

    Al-Qaïda, par voie d' « islamo-morphisme », invite les groupes locaux à changer d'idéologie, de stratégie, et de finalité pour répondre à l'impératif d'uniformisation, au détriment des particularités locales. Or, les enjeux directs présents au Sahel-Sahara ne disparaissent pas - AQMI leur confère une lecture globale, qui n'éradique pas en elle-même les réalités géopolitiques locales. Cet « islamo-morphisme » fonctionne dans le sens où le GSPC est acquis au jihad global, mais la résistance locale est telle que des dissidences se créent au sein même du groupe. La glocalisation se transforme, depuis quelques années, en perspective locale sous couvert de globalité; « Au Sahel, l'islamisme radical se conjugue avec

    532DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., p.22 533Ibid., p.32

    534LOUNNAS, Djallil, « AQMI, une filiale d'Al-Qaïda ou organisation algérienne ? », op. cit., p.43 535DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., p.37

    118

    des revendications très locales de groupes qui voient dans la bannière Al-Qaïda le moyen de mieux exister médiatiquement »536.

    B. Le fonctionnement d'AQMI : des modes opératoires croisés.

    Al-Qaïda n'est pas une identité importée, mais une valeur ajoutée, une identification du local au global. Les groupes déjà présents au Sahel-Sahara se transforment537, aggravant la conflictualité initiale qui ne disparaît pas. Ils conservent leurs structures initiales en l'adaptant à un nouveau projet - cette adaptation, qui n'est pas une éradication, confère à ces groupes un certain degré d'autonomie qui les replace dans leur cadre géopolitique, dans leurs conflits locaux classiques.

    o La zone d'action

    Conformément à la tradition tribale arabo-musulmane, la structure de base d'AQMI est le lien personnel, l'allégeance au chef respecté538 ; les membres se mettent au service de l'émir, sans pour autant condamner leur autonomie. La zone d'action suit en principe ce réseau social : AQMI existe là où l'individu veut le faire exister.

    D'un point de vue géographique, la zone d'action s'élargit à mesure qu'Abdelmalek Droukdal confirme la globalisation de sa stratégie. AQMI conserve du GIA et du GSPC le découpage sous-régional ; « Aujourd'hui, l'organisation est structurée en quatre régions, aboutissement de plusieurs découpages territoriaux auxquels les groupes jihadistes algériens ont procédé depuis les années quatre vingt dix »539.

    La région Centre est la plus active; elle « regroupe le plus grand nombre de combattants, soit près de 500 »540, et est dirigée par Abdelmalek Droukdal, le représentant international de l'organisation. La région Est compte une centaine de membres, tandis que la région Ouest est la moins active, avec une cinquantaine de membres. En revanche, « la région Sud revêt désormais la plus grande importance dans la stratégie internationaliste d'AQMI dont elle est

    536DAGUZAN, Jean-François, « D'Al-Qaïda à AQMI, de la menace globale aux menaces locales », op. cit. 537« L'AQMI n'est pas né spontanément. Il est le fruit de recompositions successives de l'islamisme radical dans cette zone géographique et de l'évolution géostratégique mondiale. », DAGUZAN, Jean-François, « D'Al-Qaïda à AQMI, de la menace globale aux menaces locales », op. cit.

    538PLAGNOL, Henry, LONCLE, François, «situation sécuritaire dans les pays de la zone sahélienne », Rapport d'information, Assemblée Nationale (France), p. 37.

    539DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., p.43

    540Ibid.

    119

    devenue le bras armé hors Algérie »541. Elle couvre la zone sahélo-saharienne sous le commandement de Yahia Djouadi542, avec quelques trois cents membres actifs au nord du Mali et en Mauritanie ; « Si la région sahélienne représente autant pour l'organisation c'est qu'elle profite de l'étendue de territoires incontrôlés, chevauchant plusieurs Etats aux frontières poreuses pour y développer une zone de repli et de mobilisation »543.

    AQMI est divisée en katibas, des unités de base qui répondent elles-aussi de logiques tribales, avec une certaine autonomie et indépendance ; « AQMI constitue plus une organisation traditionnelle en tribus conforme à la tradition arabo-musulmane, qu'une structure hiérarchisée » 544. Ces katibas sont réparties en deux brigades : l'Ouest (Mauritanie, Sud-Algérie, Nord-Mali), dirigée par Abdelkader Mokhtar Belmokhtar545, « un chef de guerre devenu parrain de la contrebande de tabac et passeur des candidats à l'émigration en provenance d'Afrique subsaharienne et de Mauritanie »546 ; et l'Est, dirigée depuis 2004 par Abou Zeid.

    Les différentes katibas gardent une large marche de manoeuvre, d'autant que la plupart sont impliquées dans les trafics sahariens et transsahariens. Ainsi, à leur tour, dans une logique non plus macro mais micro de poupées russes, elles forment la structure d'AQMI mais n'en dépendent pas exclusivement - si bien que localement, les enjeux géopolitiques classiques, notamment, pour le contrôle des voies de transit commerciaux, prennent le dessus sur l'appartenance à la même organisation ; « Il est évident que des liens idéologiques, opérationnels et de financement ainsi que des relations individuelles sont établis entre les différents émirs [...] Pourtant hormis cet exemple, il est difficile d'affirmer clairement qu'AQMI dispose d'un commandement unifié » 547. Des conflits internes éclatent, notamment entre Abdelmalek Droukdal et Mokhtar Belmokthar, poussant les chefs de katibas à poursuivre leur propre dessein, tout en profitant de la notoriété que leur confère l'organisation.

    541DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., p.45

    542 Nom de guerre : Abou Amar

    543Ibid.

    544Ibid., p.41

    545 Nom de guerre : Khaled Abou Abass

    546Ibid.

    547Ibid., p.41-42

    120

    o Le recrutement

    Les modes de recrutement d'AQMI sont la combinaison des structures sociales locales, et de la stratégie médiatique globale d'Al-Qaïda.

    Les liens personnels, et les réseaux déjà tissés par les hommes de cet espace, sont sollicités ; « le recrutement dépend en effet de la proximité ethnique des acteurs, qui ont tendance à faire confiance à d'autres acteurs partageant la même appartenance qu'eux, et de leurs différentes alliances »548. Ainsi, le maillage djihadiste tente de se calquer sur le maillage social : en créant des liens privilégiés avec les autorités traditionnelles (chefs tribaux, marabouts), en multipliant les mariages avec les populations locales, en offrant aux sociétés une alternative de socialisation, via les madrasas et le financement d'infrastructures par exemple.

    A l'inverse d'autres cellules régionales d'Al-Qaïda, AQMI n'a pas le soutien des populations du fait des actions passées du GIA et du GSPC549 ; la stratégie médiatique d'Al-Qaïda est donc pour elle une ressource essentielle en terme de recrutement. L'enrôlement des djihadistes est un processus qui va du repérage au conditionnement psychologique - il inclut l'individu dans sa totalité à un groupe, et à une cause. AQMI s'insère dans les failles sociales produites par la situation économique et politique des Etats sahélo-sahariens. Elle se positionne comme une solution alternative pour la jeunesse désoeuvrée et désenchantée en lui proposant une opportunité d'identification à un groupe humain (un sentiment d'appartenance fort), et un but à poursuivre (un sens à son existence) ; « Les frustrations d'une partie de la population, le rejet d'une élite politique accusée de corruption et d'enrichissement sont habilement récupérés par les idéologues islamistes et les recruteurs d'Al-Qaïda qui profitent des nouveaux moyens de communication pour diffuser leur discours de rupture et séduire de nouveaux volontaires »550. Avec le passage du GSPC à AQMI, le groupe armé non étatique ne cherche plus à recruter massivement des hommes prêts à combattre dans un but politique, mais des individus prêts à se sacrifier, au nom d'une cause qu'ils définissent comme transcendantale, hautement supérieure, voire ultime. Il ne s'agit plus d'appréhender la lutte en terme de changement, mais en terme de pré-requis à la vie éternelle : cette perspective conditionne la pensée, l'individu place sa vie entre les mains d'une entité ou d'une idée

    548RETAILLE, Denis, « Guerre au Sahara-Sahel : la reconversion des savoirs nomades », L'information géographique, Vol.75, [En Ligne], 2011/3

    URL : http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=LIG_753_0051&DocId=162782&hits=6931+4165+443 549DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., p.46

    550Ibid.

    121

    supérieure (en l'espèce Dieu, et son défenseur Al-Qaïda), à laquelle il se soumet entièrement. L'individu devient quelqu'un - il fait parti d'un groupe, se définit par rapport à lui ; « l'individu se détache peu à peu du réel pour s'installer dans [...] le sacré »551. Ainsi, il est conditionné pour devenir un héros, un martyr, luttant pour une cause qu'il croit intimement juste, et pour laquelle il donne sa vie; « L'objectif d'AQMI n'est ainsi plus de recruter massivement pour alimenter en nombre les katibas dans le maquis et continuer une guerre civile inefficace. L'objectif désormais est de cibler des individus motivés, déterminés et conditionnés au martyre »552.

    Le repérage précède ce conditionnement psychologique, puisqu'AQMI va à la rencontre de l'individu susceptible de l'intégrer. Pour ce faire, internet est un média efficace : il permet, via des vidéos, des textes, des déclarations, des images, d'installer Al-Qaïda chez l'individu.

    « Les recruteurs d'Al-Qaïda identifient trois profils-type pour amorcer un conditionnement en trois étapes : les « exaltés », ceux qui recherchent l'aventure ou l'expérience initiatique et se laissent embrigader facilement, les « fugitifs » ensuite qui estiment que la réalité ne correspond pas à leurs aspirations existentielles et rejoignent l'organisation pour fuir cette réalité, les « transfuges » enfin qui ont expérimenté d'autres modes de contestation et qui se réfugient dans Al-Qaïda pour compenser leur échec et leur frustration. »553

    o Le financement

    ? Les opportunités locales : la contrebande et les trafics.

    AQMI profite d'une économie parallèle largement installée pour financer ses activités : la contrebande et les trafics, de drogue notamment, sont une de ses ressources essentielles.

    « Parallèlement à leurs activités terroristes, les émirs d'AQMI ont développé des circuits de financement qui s'apparentent à ceux d'une organisation mafieuse. Racket, braquages de bureaux de poste, attaques de convois de fonds, contrebande et trafics divers de voitures, d'armes, de tabac et de drogues dures sont des modes d'action répandus, notamment dans la région sahélienne »554.

    Les circuits informels sont réinvestis - AQMI se fait protecteur de convois pour les transits de marchandises, et certains groupes armés se réclamant du djihad global, participent activement aux trafics transsahariens; « Mokhtar Belmokhtar serait d'ailleurs autant l'un des responsables

    551DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., p.48 552Ibid. 553Ibid. 554Ibid., p.49

    122

    de la zone Sud que le principal chef de cette « mafia du sable », dont Tamanrasset serait devenue la plaque tournante [...] »555.

    ? La territorialisation : une autre source de financement.

    Au-delà du racket et du banditisme, la territorialisation et l'absence de l'Etat, permettent la mise en place d'une sorte de système fiscal islamiste - le groupe récolte des fonds via les contributions des populations. Ainsi en est-il de la zakkât, un des cinq piliers de l'islam - d'autres impôts pouvant être mis en place au gré des émirs ; « En Kabylie, les paysans seraient soumis à un « impôt djihadiste » »556.

    ? L'industrie de l'enlèvement.557

    La prise d'otage est devenue depuis 2003 une ressource financière inestimable pour AQMI ; elle fait également partie des principales actions menées contre l'Occident. Ce phénomène met en perspective trois problèmes qui s'alimentent et s'enlisent l'un l'autre.

    Dans l'articulation du djihad global, l'enlèvement est une manière pour AQMI de porter atteinte à l'Etat occidental et à ses valeurs, tout en amassant de lourdes recettes essentielles à son maintient; « Selon les services algériens, AQMI aurait encaissé près de 12 millions d'euros grâce aux seules rançons des cent quinze enlèvements de ressortissants algériens perpétrés dans le Nord du pays en 2007 »558. Le développement de cette « industrie » a nettement contribué à la baisse du tourisme dans la région, mettant un coup de frein important aux économies des Etats sahélo-sahariens. Et l'importance des sommes amassées contribuent à former en quelque sorte, dans la région, des individus spécialistes de l'enlèvement, à transformer la prise d'otage, au départ moyen opportun de financement, en véritable trafic - tout comme le trafic de drogue, ou le trafic de cigarettes.

    « A partir de 2009, les enlèvements d'Occidentaux se multiplient au Sahara et au Sahel. En janvier 2009, quatre touristes sont enlevés au Niger ; l'un d'entre eux, le Britannique Edwin Dyer, est exécuté en juin 2009, le Royaume-Uni tardant à payer la rançon. En novembre 2009, Pierre Camatte est enlevé au Nord-Mali (Ménaka). En septembre 2010,

    555DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., p.50 556Ibid.

    557DANIEL, Serge, AQMI, l'industrie de l'enlèvement, Paris, Fayard, 2012 558DURAND, Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, op. cit., p.51

    123

    AQMI enlève sept employés d'Areva à Arlit, au Niger, dont trois sont libérés, quelques mois plus tard, contre une rançon d'une dizaine de millions d'euros. En novembre 2011, deux Français, des géologues voulant développer une cimenterie, sont enlevés au Nord-Mali (Hombori, au sud de Gao). Le premier, Philippe Verdon, est retrouvé assassiné à Tessalit, à la frontière algérienne, en juillet 2013, probablement en raison de sa maladie et pour éviter qu'il ne soit récupéré par l'armée française en opération. Le second, Serge Lazarevic559, est toujours détenu au Sahara. »560

    559Libéré le 9 décembre 2014.

    560MATHIAS, Gregor, Les guerres africaines de François Hollande, La Tour d'Aigues, Editions de l'Aube, 2014, p.48

    2. Le conflit malien : l'enchevêtrement géopolitique.

    124

    Le 17 janvier 2012, une insurrection chasse l'armée malienne du nord du pays. Le 22 mars, un coup d'état destitue Amadou Toumani Touré (ATT). La conjonction de ces deux facteurs, capacité d'action de groupes armés non étatiques, et défaillance de l'Etat, contribue à l'émergence d'une crise violente qui concentre dans l'Azawad des problématiques profondes menaçant la sécurité du pays, et la sécurité régionale du Sahel-Sahara.

    « Les groupes armés islamistes d'Ansar Eddine, du Mujao et d'AQMI qui ont fait la conquête du Nord-Mali et de la boucle du Niger, alors en conflit, communiquent à nouveaux entre eux »561. Le contexte géopolitique et politique immédiat catalyse une crise interne et régionale, qui cristallise le rôle des groupes djihadistes au Sahel-Sahara, et met en exergue la prégnance des problématiques politiques et sociales de long-terme (A) ; « La problématique centrale qui reviendra dans tous les aspects et angles d'approche du conflit reste la viabilité de l'Etat africain ainsi que le choc entre le principe de souveraineté et la transnationalité des acteurs non institutionnels »562.

    Le coup d'Etat de 2012 marque une rupture dans la situation politique du Mali. Cette brèche ouvre le pas à une coalition conjoncturelle des différents groupes armés maliens et sahélo-saharien : putschistes, irrédentistes et islamistes s'enlisent et font exploser un conflit larvé (B) ;

    « On retrouve en Centrafrique et au Mali les mêmes causes de l'effondrement de l'Etat, comme la corruption endémique et généralisée, les frontières artificielles et poreuses, les tensions ethniques sécessionnistes, les groupes armés politiques ou criminels incontrôlables. »563

    561MATHIAS, Gregor, Les guerres africaines de François Hollande, op. cit., p.29

    562SAMBE, Bakary, « Crise malienne : origines, développements et répercussion dans la sous-région », op. cit. 563MATHIAS, Gregor, Les guerres africaines de François Hollande, op. cit., p.39

    125

    ? Contexte régional immédiat : la poudrière sahélo-saharienne.

    Les printemps arabes, et la destitution de Mouammar Kadhafi déstabilisent profondément la région. La crise libyenne de 2011 crée un déséquilibre en termes de moyens d'action entre les groupes armés non étatiques et les groupes armés étatiques, à l'avantage des premiers. Les équilibres régionaux se reconfigurent tandis que les différents Etats sahélo-sahariens ne parviennent pas à contenir la menace.

    « L'intervention occidentale en Libye (19 mars - 31 octobre 2011) accéléra la déstabilisation du Mali. Conscients des risques de contagion, les pays voisins tentent de trouver une solution consensuelle et réaliste, sous l'oeil attentif des Occidentaux. Pendant ce temps, les entités criminelles prospèrent. »564

    La mort du colonel Kadhafi fait sauter les verrous sécuritaires de la région, contribue au retour « de milliers de combattants - en majorité touareg »565 dans leur pays d'origine. Les Touareg engagés dans le pays ont reçu une formation militaire, et disposent désormais des moyens nécessaires pour faire valoir leurs revendications au Mali ; « Kadhafi ayant fait ouvrir les arsenaux dans toutes les villes de Libye ; des convois importants d'armes sont organisés vers le théâtre d'opération malien qui ne tardera pas à s'embraser »566.

    « En intégrant des Africains originaires du Sahel à son armée, en particulier des Touareg, Kadhafi tisse des liens avec les mouvements rebelles qui lui savent gré d'avoir soutenu leur cause. La légion islamique, composée de combattants venus, entre autres, du Sahel, est mobilisée lors de différentes expéditions libyennes sur le continent. Elle est dissoute à la fin des années 80 alors que la guerre avec le Tchad s'achève ; une partie de ses 6 à 8000 hommes sont intégrés dans l'appareil de répression sécuritaire de Kadhafi. »567

    Les dissensions entre les différents Etats du Sahel-Sahara n'ont pas permis la mise en oeuvre d'une gestion préventive efficace de la sécurité régionale. L'Algérie, pour qui « la chute du régime du colonel Kadhafi sonne la fin d'une puissance [qu'elle] a souvent perçue par le prisme de la rivalité régionale »568, est absente du G5 sahélien569 ; alors que « pour

    564GOURDIN, Patrice, « Géopolitique du Mali : un Etat failli ? », Diploweb, [En Ligne], septembre 2012

    URL : http://www.diploweb.com/Geopolitique-du-Mali-un-Etat.html

    565« De plus, ces derniers mois, le retour de Libye de milliers de combattants - en majorité touaregs-, la

    prolifération d'armes et l'explosion des trafics de cocaïne ou de cigarettes ont achevé de propager une guerre

    larvée dans le sud de l'Algérie, dans le nord du Mali, dans le nord du Niger ainsi que dans une partie de la

    Mauritanie. », LEYMARIE, Philippe, « Comment le Sahel est devenu une poudrière », op. cit.

    566OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.200

    567Ibid., p.199

    568OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.200

    126

    Bamako, l'Algérie est à la fois la cause et le remède à l'insécurité liée au terrorisme »570. En outre, la rivalité entre l'Algérie et le Maroc en termes de projection et de rayonnement régional empêche toute coopération571. Le Sahel-Sahara est un espace aux sociétés transnationales, mais les Etats sont acquis à des perspectives réalistes de leurs intérêts. Ils parviennent difficilement au consensus du fait de leurs tensions bilatérales, et de leurs désaccords en termes de stratégie à adopter ; « La Mauritanie prône le « tout sécuritaire » ; le Mali plaide pour un développement à long terme, seul à même de tarir les sources de recrutement des mouvements touaregs ou des katiba (unités combattantes) d'AQMI »572. Ainsi, le contexte régional n'a pas permis de contenir une menace en expansion - à l'inverse, les changements et tensions géopolitiques ont contribué à la surenchère de cette menace, fissurant l'espace en brèches de désaccords dans lesquelles les mondes rebelles s'activent, gangrènent, et s'installent violemment.

    ? La rupture politique interne : l'étincelle malienne.

    En 1991, ATT évince le dictateur Moussa Traoré et se fait le porteur d'une transition démocratique, à la suite de laquelle il se retire volontairement des candidatures à la présidence. Alpha Ouma Konaré effectue deux mandats avant de laisser place en 2002 à ATT ; « Il installe une politique de décentralisation, autonomise un peu plus certaines régions et signe des accords de paix avec les structures représentatives des populations touarègues »573. A cette époque, le Mali est un exemple de démocratie en Afrique - contrairement à beaucoup de pays du continent, le pays travaille, du moins en apparence, à ne pas tomber dans la mécanique dictatoriale et le prétorianisme.

    Cette volonté politique ne permet pas de résoudre définitivement les problématiques longuement installées depuis les indépendances. Le développement économique du pays n'est pas exponentiel, puisqu'il fait partie des plus pauvres Etats du monde574. Le territoire est mal, voire pas, contrôlé en certains endroits ; « Pendant longtemps, l'Etat n'a rien fait dans le Nord parce que les investissements publics répondaient à des rations démographiques [...]

    569Le Monde, « Un « G5 du Sahel » pour le développement et la sécurité », Le Monde, [En Ligne], Février 2014 URL : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2014/02/16/un-g5-du-sahel-pour-le-developpement-et-la-securite_4367635_3212.html

    570LEYMARIE, Philippe, « Comment le Sahel est devenu une poudrière », op. cit.

    571Ibid. 572Ibid.

    573SAMBE, Bakary, « Crise malienne : origines, développements et répercussion dans la sous-région », op. cit. 574GOURDIN, Patrice, « Géopolitique du Mali : un Etat failli ? », op. cit.

    127

    Puis Bamako est intervenue en s'appuyant sur les familles locales dominantes, qui ont pris le relais d'un Etat défaillant en creusant des puits, en construisant des routes ou des écoles. Ce clientélisme a fait de ces familles les passages obligés de la puissance publique »575. Et la problématique touareg qui ne cesse d'agiter la scène politique et sociale, se réactive ; « Les revendications indépendantistes du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) invoquent notamment la faiblesse des investissements publics dans le septentrion malien ainsi que les inégalités de développement entre le Sud et le Nord du pays »576.

    Le 17 janvier 2012 une attaque sur Ménaka dans le nord du pays acte le départ d'une nouvelle rébellion577. Elle est suivie par « plusieurs semaines d'actions victorieuses contre des garnisons de l'armée malienne, dont la prise de la base de Tessalit, le 11 mars »578. Les troupes rebelles sont composées en majorité d'Ishomars, « des combattants touaregs ayant fait leurs classes dans les casernes libyennes »579. Et, le MNLA aligne « un bon millier de combattants, dont quatre cents ex-soldats du feu président libyen Mouammar Kadhafi »580. Cette rébellion s'inscrit dans la continuité des mouvements touaregs de 1963, 1990 ou 2006. Le MNLA veut l'indépendance de l'Azawad (« 65% du territoire malien »581), agitant une fois de plus le drapeau identitaire tamasheq. Le creuset entre les groupes armés non étatiques et l'armée malienne divisée est si profond qu'il conduit à un désengagement quasi-total des forces maliennes du nord du pays. La coalition de groupes contestataires irrédentistes et islamistes s'installe dans le nord du pays - le 6 avril 2012, le MNLA proclame unilatéralement l'indépendance de l'Azawad582.

    « A partir de ce moment, s'affiche au grand jour les faiblesses d'une armée malienne « déséquilibrée » : une véritable « armée mexicaine » sous ATT avec, d'une part, une cinquantaine d'officiers généraux embourgeoisés et ignorant les réalités du terrain et de

    575CHÂTELOT, Christophe, « Les trois plaies du Mali », Le Monde Bilan Géostratégique, Edition 2013, p.15

    576OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.187

    577Jeune Afrique, « Nord-Mali : des rebelles touaregs attaquent Ménaka », Jeune Afrique, [En Ligne], janvier

    2012

    URL : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20120117161032/

    578CHÂTELOT, Christophe, « Les trois plaies du Mali », op. cit., p.15

    579STHURENBERG, Michael, « Le conflit Touareg », Le Monde Diplomatique, [En Ligne], mai 1995

    URL : http://www.monde-diplomatique.fr/1995/05/A/6311

    580LEYMARIE, Philippe, « Comment le Sahel est devenu une poudrière », op. cit.

    581« Renouant avec les rébellions touarègues de 1963, 1990 ou 2006, le MNLA réclame l'indépendance des trois

    régions du Nord, Tombouctou, Gao et Kidal, soit plus de huit cent mille kilomètres carrés, et 65% du territoire

    malien (une fois et demie la superficie de la France) », LEYMARIE, Philippe, « Comment le Sahel est devenu

    une poudrière », op. cit.

    582« Déclaration d'indépendance de l'Azawad », Mouvement National de Libération de l'Azawad, [En Ligne], 6

    avril 2012

    URL : http://www.mnlamov.net/component/content/article.html?id=169:declaration-dindependance-de-lazawad

    128

    l'autre, des hommes de troupes livrés à eux-mêmes, sous équipés (ou du moins avec des armes inadaptées au vaste territoire). »583

    Le conflit malien entre donc dans le paradigme des conflits africains du XXIème siècle ; « inégalités territoriales, clientélisme des élites, différences ethniques et religieuses, ressources naturelles »584. Le coup d'état militaire du 22 mars 2012 est une réponse à cette démocratie corrompue, et un affront à la passivité dont fait preuve le gouvernement face à l'intensification du mouvement touareg585. Sous la présidence d'ATT les institutions, notamment militaire, se délitent ; « [il] battit son pouvoir sur un « consensus à la malienne » [...] Un système incluant la plupart des partis, donc sans réelle opposition, et dans lequel ATT avait le dernier mot »586. Tandis que l'armée devient « un groupement de fonctionnaire, pas de combattants »587.

    Le 22 mars 2012, ATT est renversé - un putsch militaire mené par le capitaine Amadou Haya Sanogo le place à la présidence pour une quinzaine de jours ; « Sous la pression de la France et des pays de la région, il dut céder le pas à un pouvoir civil de transition »588.

    « Malgré leur invraisemblable calendrier - quelques semaines avant une élection présidentielle ouverte - et leur conduite favorisant pillages et règlements de comptes, les soldats du camp de l'armée de terre de Kati, dirigés par le capitaine Amadou Sanogo, intervenaient sur un terrain propice : outre qu'ils ont profité de l'exaspération après les revers militaires face à la rébellion touarègue au Nord, le discours putschistes sur la corruption des élites et la « démocratie coquille vide » a rencontré un écho favorable dans la population. »589

    583SAMBE, Bakary, « Crise malienne : origines, développements et répercussion dans la sous-région », op. cit. 584OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, op. cit., p.187 585CHATELOT, Christophe, « Les trois plaies du Mali », op. cit., p.15

    586Ibid. 587Ibid. 588Ibid.

    589DELCROZE, Jacques, « Effondrement du rêve démocratique au Mali », Le Monde Diplomatique, [En Ligne], septembre 2012

    URL : http://www.monde-diplomatique.fr/2012/09/DELCROZE/48141

    129

    ? Le territoire de l'Azawad : la déflagration.

    Le conflit de l'Azawad est la résultante d'une interaction de variables endogènes et exogènes qui profitent de la fracture laissée par la défaillance des institutions politiques et sécuritaires pour s'installer. En ce sens, il fait intervenir différents acteurs aux ambitions variées qui, à un moment donné, en fonction des conjonctures et opportunités qui se présentent, se combinent pour former un front commun. Or, cette lecture unitaire du conflit masque les réalités de fond : la conjoncture n'efface pas les enjeux géopolitiques des différents acteurs, qui réémergent une fois la territorialisation acquise. Ainsi, si le MNLA revendique l'indépendance d'une zone qu'il considère comme touareg, AQMI cherchent à étendre son influence conformément à ses impératifs idéologiques, tandis que d'autres groupes encore, comme Mujao, veulent contrôler les routes du trafic transsaharien. Il semble en réalité que chaque acteur réponde d'impératifs territoriaux propres, replaçant le conflit à la jonction de plusieurs dynamiques qui se révèlent antagonistes, toutes liés aux enjeux de pouvoir sur les territoires. Ce conflit métastasé aux injonctions rationnelles laisse place à une sub-territorialisation ; les différents groupes armés non étatiques de l'Azawad cherchent à asseoir leur autorité au détriment de leurs anciens partenaires.

    Le MNLA, héritier des mouvements touaregs, apparait en 2011 lorsqu'il revendique l'autonomie puis l'indépendance de l'Azawad590. Il s'est dans un premier temps allié à AQMI sur certaines opérations, avant de s'en détacher, et d'entrer en conflit contre ses membres591. Groupe politico-militaire laïc, il cherche à mener une action avant tout politique, avec une finalité précise : l'autodétermination des touaregs maliens. Ses représentants annoncent le 7 juin la création d'un Conseil exécutif de l'Azawad présidé par Bilal Ag Achérif « blessé le 27 juin à Gao lors d'un affrontement avec le Mujao »592 ; « On retrouve ainsi les trois éléments constitutifs de l'Etat : territoire, population, gouvernement »593. Il cherche dès lors à se distinguer des acteurs djihadistes, et « a fait connaître son soutien à l'opération française au Mali, tout en s'opposant à l'arrivée de l'armée malienne dans le nord du pays, craignant des représailles contre les populations locales à « peau claire » »594. Les tensions avec les groupes djihadistes installés dans l'Azawad brouille la lecture de son projet : d'un côté, les populations

    590CHATELOT, Christophe, « Les trois plaies du Mali », op. cit., p.15

    591CARMARANS, Christophe, « Mali : les principaux acteurs de la crise », Jeune Afrique, [En Ligne], décembre

    2012

    URL : http://www.rfi.fr/afrique/20121212-mali-reperes-principaux-acteurs-crise-/

    592Ibid.

    593CUMIN, David, Manuel de droit de la guerre, Bruxelles, Larcier, 2014, p.44 594CHATELOT, Christophe, « Les trois plaies du Mali », op. cit., p.15

    130

    du sud le considèrent comme responsable de la crise595, de l'autre, il est évincé de ses positions territoriales par les islamistes596.

    Ansar Dine entre en scène en 2011 ; groupe islamiste touareg crée par Iyad Ag Ghali, « l'un des principaux leaders de la rébellion touarègue des années 1990 qui est également le cousin de l'un des chefs locaux d'AQMI, Hamada Ag Hama »597, il cherche à imposer la charia au Mali et en faire un Etat théocratique598. Il a son fief dans la région de Kidal ; et « fin janvier, l'organisation a pris le contrôle d'un vaste territoire au nord du pays, occupant les villes de Tinzouaten, Tessalit et Aguelhok, proches de la frontière algérienne »599.

    AQMI, conformément à son idéologie, cherche à se territorialiser et s'installe dans les zones délaissées par les Etats ; « Composé pour une grande part par des Mauritaniens et des Maliens mais toujours dirigé par des Algériens, le mouvement serait composé d'un millier d'hommes déployés dans les phalanges du Sahara (ou katibas) regroupées au nord du Mali »600. Tombouctou est devenu son principal bastion601.

    La katiba de Mokhtar Belmokhtar, el Mouwakaoun Beddam est créée en décembre 2012 ; « Son nom qui signifie « la Phalange des signataires par le sang » rappelle la devise du GIA qui était : « Du sang, du sang, de la destruction, de la destruction. Ni trêve, ni dialogue, ni réconciliation ! » »602. Dissidence d'AQMI résultant de tensions entre Abdelmalek Droukdal et Mokhtar Belmokhtar, la katiba « dit vouloir aider à la consolidation du règne de la charia dans le nord du Mali »603.

    Mujao est une dissidence d'AQMI opérée en 2011 à l'initiative de son chef, Hamada Ould Mohamed Kheirou, un Mauritanien604 ; « Le 27 juin, le Mujao a pris le contrôle de Gao après des combats avec le MNLA »605. Composé de Mauritaniens et de Maliens, le groupe est

    595CHATELOT, Christophe, « Les trois plaies du Mali », op. cit., p.19

    596CARMARANS, Christophe, « Mali : les principaux acteurs de la crise », op. cit.

    597Ibid.

    598Ibid.

    599Ibid.

    600Ibid.

    601CHATELOT, Christophe, « Les trois plaies du Mali », op. cit.

    602Ibid.

    603Ibid.

    604Ibid.

    605CARMARANS, Christophe, « Mali : les principaux acteurs de la crise », op. cit.

    131

    activement impliqué dans le trafic de drogue saharien606 - le contrôle des routes est, dans cette perspective, une nécessité. Il multiplie les attentats violents dans le nord du pays; « A la différence d'AQMI, le Mujao, davantage ancré dans la société malienne, a opté pour une guerre d'évitement contre les forces françaises et maliennes, multipliant les attaques suicides »607.

    606ONU, Comité du Conseil de Sécurité faisant suite aux résolutions 1267 (1999) et 1989 (2011) concernant Al-Qaïda et les personnes et entités qui lui sont associées, [En Ligne], novembre 2013 (décembre 2012 1ère pub.) URL : http://www.un.org/french/sc/committees/1267/NSQDe134F.shtml

    607CHATELOT, Christophe, « Les trois plaies du Mali », op. cit., p.19

    132

    CONCLUSION PARTIELLE

    Le conflit malien est la résultante d'une combinaison momentanée de plusieurs variables, à différentes échelles. L'instabilité politique de l'Etat malien est à l'origine de la rupture. Issu de la vague d'indépendances de 1960, il peine à imposer des valeurs communes qui transcenderaient les différentes revendications ethniques. Les Touareg s'inscrivent dans une dynamique sinusoïdale de la rébellion identitaire, avec des pics de violence marqués. Le régime libyen de Mouammar Kadhafi et sa chute ont contribué à réactiver ce conflit latent, en armant les groupes contestataires. Dès lors, la problématique Touareg semble être le fil d'Ariane d'une déstabilisation politique à long terme de l'Etat malien - que le faible développement économique, et l'instabilité politique exulte. La rencontre entre ces deux variables forme une impasse et un impact à l'interstice desquels viennent se loger les flux de conflictualité à la recherche d'une terre d'expression.

    AQMI est une représentation locale d'Al-Qaïda - la glocalisation n'est pas absolue, les résistances particulières se maintiennent, et s'il y a similarité, les deux groupes ne semblent pas répondre d'une identité commune. Les enjeux territoriaux et économiques de fond créent des dissidences qui, tout en poursuivant leur projet, criminel notamment, restent attachés à cette bannière par nécessité. L'enveloppe « al-qaïdiste » du conflit malien doit être disséquée et transcendée ; en fond de lecture, les enjeux de pouvoir sur les territoires ne semblent pas dépassés par une lutte effrénée au salafisme et à l'anti-occidentalisme, et c'est encore dans leur appréciation qu'il est possible de comprendre les dynamiques actuelles de la conflictualité. Si AQMI ne réussit pas à fédérer et institutionnaliser la galaxie rebelle sahélo-saharienne, elle sert néanmoins de point de jonction opérationnel en rendant possible la concentration de la conflictualité en un même lieu.

    Le conflit malien est une sorte d'archétype du conflit moderne multiple : l'hologramme du djihad global n'a pas confondu les velléités classiques poursuivies : conflit identitaire pour l'indépendance d'un territoire ; insurrection armée au sein de l'Etat ; course au contrôle des routes du trafic et de la criminalité transsaharienne. En ce sens, il reste un objet d'étude de la géopolitique - à savoir, l'étude des enjeux de pouvoir sur les territoires.

    133

    CONCLUSION GENERALE

    Le Mali est un territoire vaste et enclavé ; au coeur du Sahel-Sahara, il « occupe une situation de carrefour qui fit autrefois sa fortune »608. Aujourd'hui, alors que la majorité des échanges se font par les eaux, le Mali reste coincé au bord d'une « mer de sable » qui nécessite la mise en place d'infrastructures onéreuses pour le sortir de son handicap609. Il peine alors à assurer un développement et une intégration homogène sur l'ensemble de son territoire, catalysant la mutation de l'espace en zone de transit de la criminalité internationale. La mobilité du Sahel-Sahara est actualisée - les trafics profitent de frontières poreuses pour proliférer. Les savoirs nomades sont intégrés à cet antimonde parallèle qui offre aux individus une alternative d'ascension sociale et d'enrichissement personnel. L'instabilité politique est le fait d'une latence crisogène induite par l'adaptation manquée des institutions politiques modernes aux identités fortes en présence. Pluriethnique et communautariste, la population modifie le principe démocratique en faisant prévaloir sur l'allégeance citoyenne des allégeances historiques sub étatiques qui continuent d'exprimer et d'alimenter les tensions ethniques. Chacun des clans, tribus, ou ethnies, possède ses codes, ses chefs, son histoire, son territoire, ses ancêtres et sa mémoire. Ces structures sociales ne se sont pas complètement fondues dans l'Etat, ni confondues dans la mondialisation. Leur portée symbolique est encore effective, s'exprimant dans, avec, par, et parfois contre, les institutions politiques. Le territoire est riche du souvenir des Empires sahélo-sahariens qui s'y sont croisés. Le poids historique de cette mémoire est une variable fondamentale de la conflictualité moderne.

    La rencontre entre les deux mondes arabo-berbère et « noir » africain, constitue non pas une fracture civilisationnelle, mais une opposition entre deux histoires, deux identités affirmées. Ainsi, les Touareg ne veulent pas être intégrés à un Etat dominé par des peuples qu'ils tenaient en infériorité. De la même manière, les populations soudaniennes rejettent la domination d'anciens esclavagistes. Dans les paradigmes modernes, le Touareg abandonne une part de sa représentation nomade de l'espace pour répondre à la modernité avec ses propres codes : la revendication territoriale. La chute du régime libyen offre à ces mouvements autonomistes et irrédentistes une nouvelle opportunité de soulèvement. Or, d'une part, la diversité des groupes politico-militaire touareg empêche une lecture simplifiée de leur projet : « Les revendications de ces derniers oscillent entre l'indépendance et une

    608GOURDIN, Patrice, « Géopolitique du Mali : un Etat failli ? », op. cit.

    609ZAJEC, Olivier, Introduction à la Géopolitique, Histoire, Outils, Méthodes, op. cit., p.63

    134

    autonomie substantielle. Encore faudrait-il que les Kel Tamasheq soient eux-mêmes capables de s'unir autour d'un projet à la fois commun et raisonnable »610. D'autre part, l'hologramme djihadiste est venu en l'espèce perturber la lisibilité du conflit initial, modifiant sa perception, et l'intégrant à un cadre confus de définition : « Au Mali, l'inusable refrain de la guerre au terrorisme »611.

    Le conflit de l'Azawad est un conflit complexe, en ce sens qu'il concentre une diversité de facteurs antagonistes : une concurrence spatiale, notamment pour l'établissement d'un Etat touareg ; une concurrence temporelle, entre des identités historiques et l'Etat moderne qui peine à les transcender. Ces variables se manifestent contextuellement, par la mise à disposition de facilités d'expression : la chute du régime libyen, et la rupture politique de l'Etat malien, en l'espèce. En ce sens, l'affirmation selon laquelle le conflit de l'Azawad serait un conflit mobile, peut être confirmée. Historiquement, aux croisements des routes sahariennes se constituent des oasis, des points d'ancrage, des zones de repères. Ces routes, sont aujourd'hui réinvesties par la criminalité ; au croisement de leurs sillages, s'établissent des concentrations de trafics, des points de ravitaillement, des espaces stratégiques pour le banditisme. De la même manière, la conflictualité sahélo-saharienne est diffuse : elle est un flux, une atmosphère. Aux croisements de ses dynamiques, elle se matérialise en un conflit immédiat qui concentre toutes ses variables en un même lieu, toutes ses variables. Dès lors, il serait possible d'exprimer l'hypothèse, dans une analyse plus large, selon laquelle les conflits sahélo-sahariens sont des conflits mobiles : un cas similaire à celui de l'Azawad aurait-il pu être observé au Niger par exemple ?

    Le MNLA est évincé de l'Azawad par les groupes armés salafistes à la fin du mois de juin 2012. La résolution 2056 du 5 juin 2012 fait cas d'une « situation au Mali [qui] menace la paix et la sécurité internationale »612 - le Conseil de sécurité de l'ONU envisage la mise en place d'une réponse coercitive dans le cadre du chapitre VII de la Charte613. La CEDEAO, avec l'aval de l'ONU, monte une Mission internationale de soutien au Mali (MISMA), qui tarde à se déployer614. Les groupes djihadistes poursuivent leurs avancées vers le sud du pays,

    610GOURDIN, Patrice, « Géopolitique du Mali : un Etat failli ? », op. cit.

    611ZAJEC, Olivier, « Au Mali, l'inusable refrain de la guerre au terrorisme », Le Monde Diplomatique, [En

    Ligne], Février 2013

    URL : http://www.monde-diplomatique.fr/2013/02/ZAJEC/48725

    612GOURDIN, Patrice, « L'UE et le conflit malien », Diploweb, [En Ligne], juin 2013

    URL : http://www.diploweb.com/L-UE-et-le-conflit-malien.html 613Ibid.

    614GOURDIN, Patrice, « L'UE et le conflit malien », op. cit.

    poussant le président malien par intérim à demander l'aide de la France615 : le 11 janvier 2013 l'opération Serval est lancée.

    La profusion de groupes islamistes radicaux dans l'Azawad a augmenté l'inquiétude sécuritaire régionale, et motivé l'intervention française. « Toutes les autres solutions avaient échoué : l'Union européenne refusait de s'engager directement, l'ONU n'était pas prête à envoyer des troupes au Mali, et les dirigeants africains, pris dans leurs palabres, tardaient à envoyer des troupes »616. Ainsi, « le Vendredi 11 janvier 2013, cinq heures après la réunion du Conseil de défense, il [François Hollande] donne l'ordre aux forces spéciales d'entrer en action et de reprendre la ville de Konna, située à 65 kilomètres de Bamako »617. L'opération Serval est une offensive éclair ; « Suite à l'expérience de la guerre asymétrique d'Afghanistan, l'état-major comprend qu'il ne faut pas s'enterrer ou se fortifier dans des bases opérationnelles mais s'adapter au rythme de la guérilla djihadiste »618. Elle se solde par un succès, et se transforme en janvier 2014, en mission de contre-terrorisme619.

    Cette intervention immédiate répond à des impératifs fulgurants. Néanmoins, sur le long terme, la sécurité de la région doit être envisagée à différentes échelles, en plusieurs modes d'action. Le conflit qui éclate en 2012 dans la région de l'Azawad est la combinaison instantanée de différentes variables, qui nécessitent somme toute, d'être mesurées et appréhendées en profondeur. Le conflit est mobile, en ce sens qu'il explose dans les lieux de rencontre entre des groupes armés non étatiques contestataires, et la rupture momentanée de la stabilité politique de l'Etat. Ainsi, les solutions de long terme semblent au moins aussi importantes que l'intervention instantanée. Elles permettent de gérer, non seulement une situation sécuritaire pressante, mais surtout un climat d'insécurité omniprésent.

    135

    615GOURDIN, Patrice, « L'UE et le conflit malien », op. cit.

    616MATHIAS, Gregor, Les guerres africaines de François Hollande, op. cit., p.33

    617Ibid., p.34

    618Ibid., p.72

    619Ibid., p.80

    136

    Annexes

    Déclaration d'indépendance de l'Azawad Cartographie

    Bibliographie

    137

    Déclaration d'indépendance de l'Azawad

    « NOUS, PEUPLE DE L'AZAWAD,

    Par la voix du Mouvement National de Libération de L'Azawad après concertation avec :

    · Le Comité Exécutif,

    · Le Conseil Révolutionnaire,

    · Le Conseil Consultatif,

    · L'Etat-major de l'Armée de Libération,

    · Les bureaux régionaux

    Rappelant les principes du droit international et les principaux instruments juridiques internationaux régissant le droit des Peuples à disposer d'eux-mêmes, notamment, la charte des Nations Unies en ses articles 1 et 55, les dispositions pertinentes de la déclaration internationale des droits des peuples autochtones;

    Considérant, la volonté explicitement exprimée dans la lettre datée du 30 mai 1958 adressée au président français par les notables, guides spirituels de toutes les composantes de l'AZAWAD; Considérant qu'en 1960, à l'occasion de l'octroi de l'Indépendance aux peuples Ouest-Africains, la France a rattaché sans son consentement l'AZAWAD à l'Etat malien qu'elle vient de créer;

    Rappelant les massacres, les exactions et humiliations, spoliations et génocides de 1963, 1990, 2006, 2010 et 2012, qui ont visé exclusivement le peuple de l'AZAWAD jusqu'au 1er avril 2012;

    Rappelant, le comportement inhumain du Mali qui a utilisé les différentes sécheresses (1967, 1973, 1984, 2010....) pour faire disparaitre notre peuple par anéantissement alors même qu'il a sollicité et obtenu une aide humanitaire généreuse;

    Considérant l'accumulation de plus de 50 ans de mal gouvernance, de corruption et de collusion militaro politico financière, mettant en danger l'existence du peuple de l'AZAWAD et en péril la stabilité sous-régionale et la paix internationale;

    Considérant, la libération complète du territoire de l'AZAWAD;

    Proclamons irrévocablement, L'ETAT INDEPENDANT de l'AZAWAD à compter de ce jour Vendredi 06 avril 2012.

    DECLARONS:

    · La reconnaissance des frontières en vigueur avec les états limitrophes et leur inviolabilité;

    · L'adhésion totale à la charte des Nations Unies;

    · L'engagement ferme du MNLA à créer les conditions de paix durable, à initier les fondements institutionnels de l'Etat basés sur une Constitution démocratique de l'Azawad indépendant.

    Le Comité Exécutif du MNLA invite l'ensemble de la Communauté Internationale dans un élan de justice et de paix à reconnaitre sans délais l'Etat de l'AZAWAD Indépendant.

    Le Comité Exécutif du MNLA jusqu'à la mise en place de l'Autorité du Territoire de l'AZAWAD continuera à assurer la gestion de l'ensemble du territoire.

    GAO - 06/04/2012

    SECRETAIRE GENERAL-MNLA BILLAL AG ACHERIF »

    138

    Cartographie

    I. Géographie de l'espace sahélo-saharien

    A. Le Sahel-Sahara : un espace aride

    · Le Sahel-Sahara : Relief et Hydrographie

    B. Les Touareg : une population nomade

    · L'espace Touareg

    · Le Kel Tamasheq

    C. Le Sahel-Sahara : un espace mobile

    · Les routes transsahariennes au Moyen-âge

    · Anciennes et nouvelles routes

    · Les fuseaux méridiens au Sahara de Théodore Monod

    · Les Empires sahéliens de la route

    D. Le Sahel-Sahara : un espace de trafics

    · Les saisies d'armes illicites au Sahel-Sahara

    · Les migrations sahariennes et transsahariennes

    · Le trafic de cigarettes

    · Les flux de cocaïnes

    E. Le Sahel-Sahara : un espace de ressources

    · Les mines et les industries

    · Les hydrocarbures

    · Les blocs pétroliers d'exploitation

    ·

    II. Les identités de l'espace sahélo-saharien

    139

    Répartition des ethnies au Mali

    · Les Empires de la route

    · Les Empires du Ghana, du Mali, et Songhaï

    · Les royaumes musulmans du Sahel au XIXème siècle

    III. Le conflit malien de 2012

    · L'Azawad en 2012

    · La revendication Touareg dans le conflit malien de 2012

    I - Géographie de l'espace sahélo-saharien

    A - Le Sahel-Sahara : un espace aride

    ? Le Sahel-Sahara : Relief et Hydrographie

    140

    Source : OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, Cahiers de l'Afrique de l'Ouest, Editions OCDE, p.29

    URL: http://dx.doi.org/10.1787/9789264222335-fr

    141

    B - Les Touareg : une population nomade

    ? L'espace Touareg

    Source : Bernard Lugan, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, Paris, Ellipses Marketing, 2009, p.923

    142

    ? Le Kel Tamachek

    Source : Bernard Lugan, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, Paris, Ellipses Marketing, 2009, p.924

    143

    C - Le Sahel-Sahara : un espace mobile

    ? Les routes transsahariennes au Moyen-âge

    Source : OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, Cahiers de l'Afrique de l'Ouest, Editions OCDE, p.110

    URL: http://dx.doi.org/10.1787/9789264222335-fr

    144

    ? Anciennes et nouvelles routes

    Source : OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, Cahiers de l'Afrique de l'Ouest, Editions OCDE, p.39

    URL: http://dx.doi.org/10.1787/9789264222335-fr

    145

    ? Les fuseaux méridiens au Sahara de Théodore Monod

    Source : OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, Cahiers de l'Afrique de l'Ouest, Editions OCDE, p.109

    URL: http://dx.doi.org/10.1787/9789264222335-fr

    146

    ? Les Empires sahéliens de la route

    Source : OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, Cahiers de l'Afrique de l'Ouest, Editions OCDE, p.111

    URL: http://dx.doi.org/10.1787/9789264222335-fr

    147

    D - Le Sahel-Sahara : un espace de trafic

    ? Les saisies d'armes illicites au Sahel-Sahara

    Source : OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, Cahiers de l'Afrique de l'Ouest, Editions OCDE, p.231

    URL: http://dx.doi.org/10.1787/9789264222335-fr

    148

    ? Les migrations sahariennes et transsahariennes

    Source : OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, Cahiers de l'Afrique de l'Ouest, Editions OCDE, p.56

    URL: http://dx.doi.org/10.1787/9789264222335-fr

    149

    ? Le trafic de cigarettes

    Source : OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, Cahiers de l'Afrique de l'Ouest, Editions OCDE, p.232

    URL: http://dx.doi.org/10.1787/9789264222335-fr

    150

    ? Les flux de cocaïnes

    Source : OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, Cahiers de l'Afrique de l'Ouest, Editions OCDE, p.234

    URL: http://dx.doi.org/10.1787/9789264222335-fr

    151

    E - Le Sahel-Sahara : un espace de ressources

    ? Les mines et les industries

    Source : OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, Cahiers de l'Afrique de l'Ouest, Editions OCDE, p.52

    URL: http://dx.doi.org/10.1787/9789264222335-fr

    152

    ? Les hydrocarbures

    Source : OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, Cahiers de l'Afrique de l'Ouest, Editions OCDE, p.52

    URL: http://dx.doi.org/10.1787/9789264222335-fr

    153

    ? Les blocs pétroliers d'exploitation

    Source : OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, Cahiers de l'Afrique de l'Ouest, Editions OCDE, p.53

    URL: http://dx.doi.org/10.1787/9789264222335-fr

    154

    II - Les identités de l'espace sahélo-saharien

    ? Répartition des ethnies au Mali

    Source : OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, Cahiers de l'Afrique de l'Ouest, Editions OCDE, p.196

    URL: http://dx.doi.org/10.1787/9789264222335-fr

    155

    ? Les Empires de la route

    Source : OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, Cahiers de l'Afrique de l'Ouest, Editions OCDE, p.43

    URL: http://dx.doi.org/10.1787/9789264222335-fr

    156

    ? Les Empires du Ghana, du Mali, et Songhaï

    Source : OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, Cahiers de l'Afrique de l'Ouest, Editions OCDE, p.41

    URL: http://dx.doi.org/10.1787/9789264222335-fr

    ? Les royaumes musulmans du Sahel au XIXème siècle

    157

    Source : Bernard Lugan, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, Paris, Ellipses Marketing, 2009, p.435

    158

    III - Le Conflit malien de 2012

    ? L'Azawad en 2012

    Source : OCDE/CSAO (2014), Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, Cahiers de l'Afrique de l'Ouest, Editions OCDE, p.188

    URL: http://dx.doi.org/10.1787/9789264222335-fr

    159

    ? La revendication Touareg dans le conflit malien de 2012

    Source : Géophile, Confit(s) au Mali, [En ligne], consulté le 22 avril 2015 URL : http://www.geo-phile.net/spip.php?rubrique650

    160

    Bibliographie

    Sources Primaires

    Assemblée Nationale, « Situation sécuritaire dans les pays de la zone sahélienne », Rapport d'information, 6 mars 2012

    Mouvement National de Libération de l'Azawad, « Déclaration d'indépendance de l'Azawad », 6 avril 201

    ONU, Comité du Conseil de Sécurité faisant suite aux résolutions 1267 (1999) et 1989 (2011) concernant Al-Qaïda et les personnes et entités qui lui sont associées, novembre 2013 (décembre 2012 1ère pub.)

    ONU, « Le Conseil de sécurité rejette la prétendue « indépendance » du nord Mali et exprime son soutien aux efforts de la CEDEAO et de l'Union Africaine », Résolution 2056, 5 juillet 2012

    ONU, « Le Conseil de sécurité autorise le déploiement d'une force internationale au Mali », Résolution 2085, 20 décembre 2012

    Sources Secondaires

    Méthodologie

    QUIVY Raymond, CAMPENHOUDT Luc Van, Manuel de recherche en Sciences Sociales, Paris, Dunod, 2011, (1995,4ème ed.)

    Géopolitique

    Ouvrages

    BALANCIE Jean-Marc, LA GRANGE Arnaud de (sous la dir.), Les Nouveaux mondes rebelles, conflits, terrorismes, et contestations, Paris, Michalon, 2005

    BRAUDEL Fernand, Grammaire des civilisations, Paris, Flammarion, 1993

    CHALLIAND Gérard, RAGEAU Jean-Pierre, Géopolitique des empires, des pharaons à l'impérium américain, Paris, Flammarion, 2012

    CHAUTARD Sophie, L'indispensable de la géopolitique, Paris, Studyrama, 2009

    161

    CUMIN David, Manuel de droit de la guerre, Bruxelles, Larcier, 2014

    GAUCHON Pascal (sous la dir.), Dictionnaire de géopolitique et de géoéconomie, Paris, PUF, 2011

    LACOSTE Yves, La géographie ça sert, d'abord, à faire la guerre, Paris, Broché, 2012 LACOSTE Yves, Géopolitique, Paris, Broché, 2012

    MOREAU DEFARGES Philippe, Introduction à la Géopolitique, Paris, Points, 2009

    POURTIER Roland Pourtier (sous la dir.), Géopolitique de l'Afrique et du Moyen-Orient, Paris, Nathan, 2009

    ZAJEC Olivier, Introduction à la Géopolitique, Histoire, Outils, Méthodes, Paris, Argos, 2013 Numériques

    THUAL François, « Méthodes de la géopolitique, apprendre à déchiffrer l'actualité », IRIS Ellipses, [En Ligne], 1996

    URL: http://www.geo-phile.net/IMG/pdf/methodes_de_la_geopolitique_2015_.pdf

    OCDE/CSAO, Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité, Cahiers de l'Afrique de l'Ouest, Editions OCDE, 2014

    URL: http://dx.doi.org/10.1787/9789264222335-fr

    Encyclopédie

    AMSELLE Jean-Loup, « ETHNIE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 18 mai 2015

    URL: http://www.universalis.fr/encyclopedie/ethnie/

    BOHAS Georges, « MÛSÂ IBN NUSAYR (640-716/17) », Encyclopdia Universalis, [en ligne], consulté le 18 mai 2015

    URL: http://www.universalis.fr/encyclopedie/musa-ibn-nusayr/

    FIERRO Alfred, « OUSMAN DAN FODIO (1752 env.-1816) », Encyclopædia Universalis, [en ligne], consulté le 18 mai 2015

    URL: http://www.universalis.fr/encyclopedie/ousman-dan-fodio/

    LACROIX Pierre Francis, « PEULS, FULBE ou FULANIS », Encyclopædia Universalis, [en ligne], consulté le 17 mai 2015

    URL: http://www.universalis.fr/encyclopedie/peuls-fulbe-fulanis/

    162

    MEUNIER Roger, « MAURES, ethnie », Encyclopædia Universalis, [en ligne], consulté le

    17 mai 2015

    URL: http://www.universalis.fr/encyclopedie/maures-ethnie/

    PERSON Yves, « GHANA EMPIRE DU », Encyclopædia Universalis, [en ligne], consulté le

    18 mai 2015

    URL: http://www.universalis.fr/encyclopedie/empire-du-ghana/

    Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, « Copte », CNRTL, [En Ligne], 2012 URL: http://www.cnrtl.fr/definition/copte

    Géographie du Sahel-Sahara

    Ouvrages

    MARTONNE Emmanuel de, Traité de géographie physique ; climat - hydrographie - relief du sol - biogéographie, Paris, Armand Colin, 1913

    MAYER Raoul Etongué, Notions de Géographie Physique, Paris, Broché, 2014

    VIGNEAU Jean-Pierre, VEYRET Yvette (sous la dir.), Géographie physique - Milieux et environnement dans le système terre, Paris, Broché, 2002

    Articles

    BOURGEOT André, « Sahara : espace géostratégique et enjeux politiques (Niger) », SARL NAQD, Vol.1, N°31, 2014

    GREGOIRE Emmanuel (ed.), SCHMITZS Jean (ed.), « Afrique noire et monde arabe : continuités et ruptures », Autrepart, (16), 2000

    LEROUX Marcel, « Charles Toupet, Le Sahel », Revue de géographie de Lyon. Vol.68 n°2-3, 1993

    LEROUX Marcel, « La dynamique de la Grande Sécheresse sahélienne », Revue de Géographie de Lyon, Vol.70, N°70-3, 1995

    RETAILLE Denis, « Le continuum nomade sédentaire et l'espace mobile », dans Frédéric Alexandre et Alain Génin (sous la dir.), Continu et discontinu dans l'espace géographique, Tours, Université François Rabelais, 2008

    RETAILLE Denis, « L'espace nomade », Revue de Géographie de Lyon, Vol. 73, N°73-1, 1998

    163

    Vidéo

    RETAILLE Denis, « Conflit au Sahel : l'explication par la géographie », Thinkovery, enregistrement vidéo, [En Ligne], 5'37

    URL: http://www.thinkovery.com/conflits-au-sahel-lexplication-par-la-geographie

    Les ressources du Sahel-Sahara

    Ouvrages

    TOURE Brian, De la Françafrique à la Chinafrique, quelle place pour le développement Africain, Paris, L'Harmattan, mars 2012

    Articles

    MAINGUY Claire, « Investissements étrangers et développement : le cas du secteur de l'or au Mali », CAIRN, Vol.2, n°162, 2013

    SCHEELE Judith, « Circulations marchandes au Sahara : entre licite et illicite », Hérodote, Vol.3, n°142, 2011

    SIMON Julien, « Le Sahel comme espace de transit des stupéfiants. Acteurs et conséquences politiques. », Hérodote, Vol.3, n°142, 2011

    Articles Numériques

    DEBRIE Jean, De la continentalité à l'Etat enclavé, circulation et ouvertures littorales des territoires intérieurs de l'ouest africain, Thèse Université du Havre, [En Ligne], 10 décembre 2001

    URL: https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00011321/document

    GAGNOL Laurent Gagnol, « Les circulations transsahariennes : enjeux et perspectives », Colloque, « La contribution de l'élevage pastoral à la sécurité et au développement des espaces saharo-sahéliens », N'Djamena, [En Ligne], Mai 2013 URL: http://www.pasto-secu-ndjamena.org/classified/J2-3-15-L-Gagnol-axestranssahariens-reluok.pdf

    JEANCLOS Yves, « Les richesses du sous-sol malien », Arte Journal, Interview par Fred Méon, [En Ligne], janvier 2013

    URL: http://www.arte.tv/fr/les-richesses-du-sous-sol-malien/7273746,CmC=7287886.html

    LACHER Wolfram, « Organized Crime and conflict in the Sahel-Sahara Region », Carnegie Endowment for International Peace, [En Ligne], septembre 2012

    164

    URL: http://carnegieendowment.org/2012/09/13/organized-crime-and-conflict-in-sahel-sahara-region

    LE BRECH Catherine, « L'organisation des filières de la drogue dans le Sahel », Geopolis, [En Ligne], juin 2013

    URL: http://geopolis.francetvinfo.fr/lorganisation-des-filieres-de-drogue-dans-le-sahel-17351

    O'NEILL Jim, « MINT : The Next Economic Giants », BBC Radio, Enregistrement Audio, 43', [En Ligne], janvier 2014

    URL: http://www.bbc.co.uk/programmes/b03p824m

    Commission Ouest-Africaine sur les Drogues, « Pas seulement une zone de transit, Drogues, Etats et sociétés en Afrique de l'Ouest », West Africa Commission on Drugs, [En Ligne], juin 2014

    URL: http://www.wacommissionondrugs.org/fr/wp-content/uploads/2014/11/WACD-Rapport-Complet-FR.pdf

    Foreign and Commonwealth Office, «Trafickers and Terrorists: drugs violent jihad in Mali and the wider Sahel», Foreign & Commonwealth Office, [En Ligne], octobre 2013 URL: https://www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/256619/Oct_2013

    _Traffickers_and_Terrorists.pdf

    IRIN, « Comprendre le crime organisé en Afrique », IRIN Nouvelles et analyses humanitaires, [En Ligne], 2014

    URL: http://www.irinnews.org/fr/report/100312/comprendre-le-crime-organis%C3%A9-en-afrique

    Articles de Presse

    ABDERRAHMANE Abdelkader, « Terrorisme et trafic de drogues au Sahel », Le Monde Afrique, [En Ligne], juillet 2012

    URL : http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/07/19/terrorisme-et-trafic-de-drogues-au-
    sahel 1735046 3232.html

    AMARI Chawki, « Sahel : le trafic d'armes se porte bien, merci », Slate Afrique, [En Ligne], janvier 2012

    URL: http://www.slateafrique.com/81337/sahel-le-marche-des-armes-sahel-al-qaida-libye-algerie

    BOLIS Angela, « Mines d'uranium : « La France n'a pas intérêt à ce que le conflit malien s'étende au Niger », Le Monde, [En Ligne], janvier 2013

    URL: http://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/01/31/mines-d-uranium-la-france-n-a-pas-interet-a-ce-que-le-conflit-malien-s-etende-au-niger_1825026_3212.html

    165

    PUDLOWSKI Charlotte, « Comment l'Europe finance le terrorisme et Al-Qaïda via le paiement des rançons », Slate Monde, [En Ligne], juillet 2014

    URL: http://www.slate.fr/story/90433/comment-europe-finance-terrorisme-rancons

    Conférences

    LECOQUIETTE Bruno, « Le Sahara, désert habité et terre de passage », Conférence présentée au Festival International de Géographie, Saint-Dié des Vosges, [En Ligne], 9 octobre 2011

    URL : http://www.reseaucanope.fr/figstdie/fileadmin/contenus/2011/itineraires/01/ITI1_08_Sahara_LE COQUIERRE.pdf

    Nomades et Touareg au Mali

    Ouvrages

    CLAUDOT-HAWAD Hélène (sous la dir.), Touaregs et autres sahariens entre plusieurs mondes, Aix Marseille, Institut de recherche et d'études sur le monde arabe et musulman, 1996

    EDEL Chantal (sous la dir.), Les seigneurs du désert : de Tombouctou à la Mecque, Témoignages, 19ème siècle - 20ème siècle, Paris, Omnibus, 2014

    FOUCAULD Charles, Dictionnaire touareg-français, dialecte de l'Ahaggar (4vol), Paris, L'Harmattan, 2005

    HUREIKI Jacques, Essai sur les origines des Touaregs : Herméneutique culturelle des Touaregs de la région de Tombouctou, Paris, Karthala, 2003

    LEROI-GOURHAN André, Le geste et la parole, tome 1 : Technique et langage, Paris, Albin Michel, 1964

    Articles

    AG ATAHER INSAR Mohammed Ali, « La scolarisation modern comme stratégie de résistance », Revue du monde musulman et de la Méditerranée, Vol.57, n°57, 1990

    FREMEAUX Jacques, « Pierre Boilley, Les Touaregs Kel Adagh. Dépendances et révoltes : du Soudan français au Mali contemporain », Outres-Mers, Vol.88, n°330-331, 2001

    166

    FUGLESTAD Finn, « Les révoltes des Touareg du Niger (1916 - 17) », Cahiers d'études africaines, Vol.13, N°49, 1973

    Articles Numériques

    BEN MAMI Skander, « Des populations nomades face à un espace saharien en mutation », IRIS - Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe, [En Ligne], septembre 2013 URL: http://www.iris-france.org/docs/kfm_docs/docs/obs-monde-arabe/des-populations-nomades-septembre-2013.pdf

    BERNUS Edmond, « Les Touaregs, traditions nomades et réalités du désert », Clio, [En Ligne], juillet 2002 URL: https://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/les_touaregs_traditions_nomades_et_realites_du_desert.as p

    BONTE Pierre Bonte, « Anthropologie des sociétés nomades, fondements matériels et symboliques », Université Paris 8, [En Ligne], PDF

    URL: http://www2.univ-paris8.fr/sociologie/fichiers/bonte-cours.pdf

    DUMAS Laurent Ribadeau Dumas, « André Bourgeot sur la longue histoire des Touaregs », Geopolis, [En Ligne], janvier 2013

    URL: http://geopolis.francetvinfo.fr/andre-bourgeot-sur-la-longue-histoire-des-touaregs-12099

    GOURDIN Patrice, « Touaregs du Mali. Des hommes en bleus dans une zone grise », Diploweb, [En Ligne], Mai 2013

    URL: http://www.diploweb.com/Touaregs-du-Mali-Des-hommes-bleus.html

    GRIPCI, « Le conflit touareg au Mali et au Niger », Groupe de Recherche sur les interventions de Paix dans les conflits intra étatiques, [En Ligne], 2002 URL: http://www.gitpa.org/Peuple%20GITPA%20500/GITPA%20500-4_plusTEXTEREFconflittouareg.pdf

    STHURENBERG Michael, « Le conflit Touareg », Le Monde Diplomatique, [En Ligne], Mai 1995

    URL: http://www.monde-diplomatique.fr/1995/05/A/6311

    UNESCO, « Le Sahara des cultures et des peuples », Paris, [En Ligne], 2003

    URL: http://portal.unesco.org/culture/fr/files/16660/10698574653strategie.pdf/strategie.pdf

    167

    Articles de Presse

    FAVERIE Alain, « Rebelles touaregs : orphelins de Kadhafi », Jeune Afrique, [En Ligne], octobre 2011

    URL: http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAJA2646p040.xml0/

    GROGA-BADA Malika, « Mahmoud Ag Aghaly : « Donnez-nous l'indépendance et ce sera la fin d'Aqmi » au Mali », Jeune Afrique, [En Ligne], Février 2012 URL: http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20120221091159/

    Histoire de l'Afrique et du Sahel-Sahara

    Ouvrages

    BADIE Bertrand, L'Etat importé : essai sur l'occidentalisation de l'ordre politique, Paris, Fayard, 1992

    BAYART Jean-François, La greffe de l'Etat, Paris, Karthala, 1996

    DADDAH Mokhtar Ould, La Mauritanie contre vents et marées, Paris, Karthala, 2003

    DIETERLEN Germaine, SOUMARE Mamadou, L'Empire de Ghana : le Wagadou et les traditions Yéréré, Paris, Karthala, 2000

    LUGAN Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, Paris, Ellipses Marketing, 2009

    LUGAN Bernard, Les guerres d'Afrique des origines à nos jours, Monaco, Editions du Rocher, 2013

    Articles

    BAYART Jean-François, « Les anciens esclaves constituent la base du djihadisme », Le Un, n°43, Février 2015

    CAMPS Gabriel, « Comment la Berbérie est devenue le Maghreb Arabe », Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, n°35, 1983

    GALLAIS Jean, « Signification du groupe ethnique au Mali », L'Homme, Vol.2, n°2., 1962

    NICOLAS Guy, « Crise de l'Etat et affirmation ethnique en Afrique noire contemporaine », Revue française de science politique, Vol.22, n°5, 1972

    Articles Numériques

    BAYART Jean-François, « L'historicité de l'Etat importé », Les Cahiers du CERI, n°15, [En Ligne], 1996

    URL: http://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/cahier15.pdf

    DEVEZE Claire, « Regards sur l'Afrique [...] Kantou Moussa part en pèlerinage », Académie de Montpelier, [En Ligne], PDF

    URL : http://hist-geo.ac

    montpellier.fr/v1/IMG/pdf/5_KANKOU_MOUSSA_PART_EN_PELERINAGE_2.pdf

    GREGOR Isabelle, « Tombouctou, « la ville au 333 saints » », Hérodote.net, [En Ligne], janvier 2013

    URL: http://www.herodote.net/Tombouctou-synthese-1744.php

    GROSSET Pierre, LISLE Leconte de, MARRAS Jean, Histoire du Moyen-âge, Alphonse Lemerre, [En Ligne], 1876

    URL : http://fr.wikisource.org/wiki/Histoire_du_Moyen%C3%82ge_%28Gosset%29/SEPTI%C3%88 ME_SI%C3%88CLE

    JARDIN Yves, REKACEWICZ Philippe, « Les Berbères en Afrique du nord », Le Monde Diplomatique, [En Ligne], décembre 1994

    URL: http://www.monde-diplomatique.fr/cartes/berberes1994

    KABORE Patrice, « L'Empire du Ghana », Histoire Géographie en classe, [En Ligne], le web pédagogique

    URL: http://lewebpedagogique.com/patco/tag/lempire-du-ghana/

    LUGAN Bernard, « Les Berbères, la mémoire des sables », Clio, [En Ligne], septembre 2000 URL: https://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/les_berberes_la_memoire_des_sables.asp

    LUGAN Bernard, « Mali : de la « Françafrique » fantasmée à la reconstitution de l'AOF », Le blog officiel de Bernard Lugan, [En Ligne], Février 2013

    URL: http://bernardlugan.blogspot.fr/2013/02/mali-de-la-francafrique-fantasmee-la.html

    Académie de Strasbourg, « Les royaumes africains médiévaux », Ac Strasbourg, [En Ligne], PDF

    URL : http://www.acstrasbourg.fr/fileadmin/pedagogie/histoiregeographie/Se_former/Nouveaux_progr ammes_de_5e/Royaumes_africains/Les_royaumes_africains__accompagnement_de_la_presentatio.pd f

    168

    Les islams en Afrique

    169

    Ouvrages

    MERIBOUTE Zidane, Islamisme, soufisme, évangélisme : la guerre ou la paix, Genève, Labor et Fides, 2010

    Articles

    FOUCHER Michel, « Les 5 djihads du XIXe siècle », Le Un, n°43, Février 2015

    GERNER Jochen, « Repères, petite histoire de l'islam en Afrique subsaharienne », Le Un, n°43, Février 2015

    MBAYE Ravane, « L'Islam Noir en Afrique », Tiers-Monde, Vol.23, n°92, 1982

    PEROUSE DE MONTCLOS Marc-Antoine, « L'ADN de Boko Haram », Le Un, n°43, Février 2015

    Articles en ligne

    DURIEUX Jacob, « Murabitun. Soufisme et Jihad », Academia, [En Ligne], PDF URL: http://www.academia.edu/9864257/Murabitun._Soufisme_et_Jihad

    O'BRIEN D. C., « La filière musulmane, confréries soufies et politique en Afrique noire », traduit de l'anglais par Christian Coulon, Politique Africaine, [En Ligne], PDF

    URL: http://www.politique-africaine.com/numeros/pdf/004007.pdf

    THOUY Michel, « L'islamisation de l'Afrique Occidentale au Moyen-âge (IX°-XVI°s) », Académie Dijon, [En Ligne], PDF

    URL: http://histoire-geographie.ac-dijon.fr/IMG/pdf/Islamisation_Afrique_occidentale.pdf

    Vidéo

    FICQUET Eloi, « L'histoire de l'Islam en Afrique depuis le 7e siècle », Conférence UTLS, enregistrement vidéo, [En Ligne], 2'06», 23'42»

    URL: https://www.youtube.com/watch?v=0J4OaooRDoo

    170

    Histoire de l'islam

    Ouvrages

    Le Coran, traduit par Malek Chebel, Paris, Fayard, 2009

    GARDET Louis, La cité musulmane, vie sociale et politique, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1976

    Articles

    DHORME Edouard, « Les religions arabes préislamiques d'après une publication récente », Revue de l'histoire des religions, Vol.133, N°133-1-3, 1947

    Articles Numériques

    ABBES Makram, « L'art de gouverner en islam », CAIRN, [En Ligne], 2014 URL: http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=ESPRI_1408_0163

    DIGNAT Alban, « 16 juillet 622, l'Hégire et la fuite de Mahomet à Médine », Hérodote.net, [En Ligne], janvier 2015

    URL: http://www.herodote.net/16_juillet_622-evenement-6220716.php

    DIGNAT Alban, « 622, an 1 de l'Hégire, les piliers de l'Islam et la doctrine musulmane », Hérodote.net, [En Ligne], Février 2015

    URL: http://www.herodote.net/622_an_1_de_l_Hegire-synthese-7.php

    DJALILI Mohamed-Reza, « Islam et Relations Internationales », Diplomatie islamique : Stratégie internationale du khomeynisme, [En Ligne], 2014

    URL: http://books.openedition.org/iheid/1866?lang=fr

    Les islamismes, Al-Qaïda et AQMI

    Ouvrages

    COURMONT Barthélémy, L'après Ben Laden, l'ennemi sans visage, Paris, François Bourrin Editeur, 2001

    DANIEL Serge, AQMI, l'industrie de l'enlèvement, Paris, Fayard, 2012

    DANIEL Serge, Les mafias du Mali : trafics et terrorisme au Sahel, Paris, Descartes et Cie,

    2014

    171

    DURAND Gwendal, L'organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, Paris, L'Harmattan, 2011

    EL DIFRAOUI Abdelasiem, Al-Qaida par l'image, la prophétie du martyre, Paris, Presses Universitaires de France, 2013

    ETIENNE Bruno, L'islamisme radical, Paris, Hachette, 1987

    FILIU Jean-Pierre, La véritable histoire d'Al-Qaida, Paris, Fayard, 2010 (2ème ed. 2009) GUIDERE Mathieu, Al-Qaïda à la conquête du Maghreb, Paris, éd. du Rocher, 2007 KEPEL Gilles, Al-Qaida dans le texte, Paris, Presses Universitaires de France, 2005

    MOKEDDEM Mohamed, Les Afghans algériens : de la Djamaa à Al-Qaïda, Alger, éditions ANEP, 2002

    ROY Olivier, ABOU ZAHAB Mariam, Réseaux islamiques, la connexion afghano-pakistanaise, Paris, Autrement, 2002

    ROUGIER Bernard (sous la dir.), Qu'est ce que le salafisme ?, Paris, Presses Universitaires de France, 2008

    SALEM Lemine Ould M., Le Ben Laden du Sahara : sur les traces du jihadistes Mokhtar Belmokhtar, Paris, Broché, 2014

    THOMAS Dominique, Les hommes d'Al-Qaïda, discours et stratégie, PARIS, Michalon, 2004

    Articles

    BACHELIER Eric, L'Afghanistan en guerre, la fin du grand jeu soviétique, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1998

    GUIDERE Mathieu, The Timbuktu Letters : New Insights about AQIM, Res Militaris, Vol.4, n°1, 2014

    LAMCHICHI Abderrahim, « Al-Qaïda », Confluences Méditerranée, Vol.1, n°40, 2002 Articles Numériques

    BAUD Jacques, « Al-Qaïda », global terror watch, [En Ligne], juin 2014 URL : http://www.globalterrorwatch.ch/index.php/al-qaida/

    DAGUZAN Jean-François, « D'Al-Qaida à AQMI, de la menace globale aux menaces locales », Diploweb, [En Ligne], décembre 2011

    172

    URL: http://www.diploweb.com/D-Al-Qaida-a-AQMI-de-la-menace.html

    FARAJ Muhammad Abdus Salam, « Jihad, l'obligation absente », traduit de l'arabe par Abdallah ibn Abdallah, Al Mourabitine.com Publications, [En Ligne], PDF

    URL : http://alfatihoun.edaama.org/Fathul%20Moubin/FathulMoubin/Stuff/French/Pdfs/AlFarida.pdf

    GENDRON Angela, « La stratégie médiatique et de propagande d'al-Qaïda », CIEM, [En Ligne], 2007/2

    URL: http://www.itac.gc.ca/pblctns/pdf/2007-2-fra.pdf

    GOURDIN Patrice, « Al Qaida au Sahara et au Sahel. Contribution à la compréhension d'une menace complexe.», Diploweb, [En Ligne], mars 2012

    URL : http://www.diploweb.com/Al-Qaida-au-Sahara-et-au-Sahel.html

    LOUNNAS Djallil, « AQMI, une filiale d'Al-Qaïda ou organisation algérienne ? », Centre d'études et de recherche internationales, Université de Montréal, [En Ligne], PDF

    URL: http://archives.cerium.ca/IMG/pdf/AQMI.pdf

    PARENTI Christian, « Retour sur l'expérience communiste en Afghanistan », Le Monde Diplomatique, [En Ligne], août 2012

    URL: http://www.monde-diplomatique.fr/2012/08/PARENTI/48065

    THERON Julien, « Funeste rivalité entre Al-Qaïda et l'Organisation de l'Etat islamique », Le Monde Diplomatique, [En Ligne], Février 2015

    URL: http://www.monde-diplomatique.fr/2015/02/THERON/52632

    Articles de Presse

    AMIR-ASLANI Ardavan, « Islam-Islamisme, quelle différence ? », Huffington Post, [En Ligne], avril 2013

    URL: http://www.huffingtonpost.fr/ardavan-amiraslani/difference-islam-islamisme_b_3108641.html

    CHAFIQ Chahla, « L'islamisme, une lecture totalitaire du monde », Le Monde, [En Ligne], Février 2015

    URL : http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/02/05/l-islamisme-une-lecture-totalitaire-du-monde_4570661_3232.html

    JOANNIDIS Marie, « Dix ans après le 11-septembre : Aqmi, franchise d'al-Qaïda en Afrique », RFI, [En Ligne], septembre 2011

    URL: http://www.rfi.fr/afrique/20110909-aqmi-franchise-al-qaida-afrique-11-septembre-terrorisme-sahel/

    173

    Conflictualité au Sahel-Sahara

    Ouvrages

    FREMEAUX Jacques, CHAUPRADE Aymeric, EVANNO Philippe (dir.), Menaces en Afrique du Nord et au Sahel et sécurité globale de l'Europe, Paris, Ellipses, 2013

    Articles

    BRACHET Julien, « Sahel et Sahara : ni incontrôlables, ni incontrôlés », Les Dossiers du CERI, 2013

    CUTTIER Martine, « Les ressorts structurels de la crise au Sahel », Res Militaris, Vol. 3, n°3,

    2013

    Articles Numériques

    AYAD Christophe, « Au coeur du Sahel sous tension, la poudrière malienne », Le Monde Afrique, [En Ligne], mars 2012

    URL : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/03/28/au-coeur-du-sahel-sous-tension-la-poudriere-malienne_1676354_3212.html#Zs1E9FFBOATkAb7H.9

    CHOPLIN Armelle, « Un Sahara, des Sahara-s. Lumières sur espace déclaré « zone grise » », Géoconfluence, [En Ligne], juillet 2013

    URL: http://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/eclairage/un-sahara-des-sahara-s

    FIORINA Jean-François, « Le Mali au bord du gouffre, retour sur la menace islamiste au Sahel », CLES - Comprendre les enjeux stratégiques, Note hebdomadaire n°94, [En Ligne], 31 janvier 2013

    URL: http://notes-geopolitiques.com/wp-content/uploads/2013/01/CLES94.pdf

    JOYEUX Alain, « Les enjeux géopolitiques sahariens », Education Défense IHEDN, [En Ligne], novembre 2013

    URL: http://defense.ac-montpellier.fr/pdf/cercle/joyeux_sahara_texte.pdf

    RETAILLE Denis « Guerre au Sahara-Sahel : la reconversion des savoirs nomades », L'information géographique, Vol.75, [En Ligne], 2011/3

    URL : http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=LIG_753_0051&DocId=162782&hits=6931+ 4165+443

    SALLIOT Emmanuel, « Revue des évènements sécuritaires au Sahel 1967-2007 », OCDE, [En Ligne], 2010

    URL: http://www.oecd.org/fr/csao/publications/47093863.pdf

    174

    Centre stratégique pour la sécurité du Sahel Sahara, « Objectifs du centre stratégique pour la sécurité du Sahel Sahara », Centre 4s, [En Ligne], novembre 2011

    URL: http://www.centre4s.org/index.php?option=com_content&view=article&id=52:le-centre-
    strategique-pour-la-securite-du-sahel-sahara&catid=34:objectifs&Itemid=34

    Articles de Presse

    OBERLE Thierry, « Les djihadistes frappent la France au Niger », Le Figaro, [En Ligne], mai 2013

    URL: http://www.lefigaro.fr/international/2013/05/23/01003-20130523ARTFIG00439-double-
    attentat-meurtrier-au-niger-areva-vise.php

    PLANTADE Ydir, « La Nouvelle géopolitique post-Kadhafi explique les problèmes actuels au Mali », Le Monde Afrique, [En Ligne], mars 2012

    URL: http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/03/12/la-nouvelle-geopolitique-post-kadhafi-explique-les-problemes-actuels-au-mali_1652756_3212.html

    AFP, « Mali : un mouvement islamiste appelle à appliquer la charia par les armes », Atlas info, [En Ligne], mars 2012

    URL: http://www.atlasinfo.fr/Mali-un-mouvement-islamiste-appelle-a-appliquer-la-charia-par-les-
    armes_a26787.html

    FIDH, « Mali : les négociations d'Alger ne doivent pas consacrer l'impunité », Fédération internationale des ligues de droits de l'homme, [En Ligne] 2014 URL: https://www.fidh.org/IMG/pdf/note_de_position_mali_fidh_amdh_lutte-impunite_antiterro_novembre2014_fr.pdf

    RFI, « Algérie : la prise d'otage d'In Amenas se termine dans le sang », RFI, [En Ligne], janvier 2013

    URL: http://www.rfi.fr/afrique/5min/20130119-prise-otage-in-amenas-assaut-final-suivez-nos-
    informations-algerie/

    175

    Crise au Mali

    Ouvrages

    FLICHY Thomas (dir.), Opération Serval au Mali, l'intervention française décryptée, Le Prouet, Lavauzelle, 2013

    GONIN Patrick, KOTLOK Nathalie, PEROUSE DE MONCLOS Marc-Antoine (dir.), La tragédie malienne, Vendémiaire, 2013

    HANNE Olivier (dir.), Mali, une paix à gagner, Le Prouet, Lavauzelle, 2014

    MATHIAS Gregor, Les guerres africaines de François Hollande, La Tour d'Aigues, Editions de l'Aube, 2014

    PERRET Thierry, Mali. Une crise au Sahel, Karthala, 2014 Articles

    CHATELOT Christophe, « Les trois plais du Mali », Le Monde Bilan Géostratégique, Edition 2013, p.15

    Articles Numériques

    DELCROZE Jacques, « Effondrement du rêve démocratique au Mali », Le Monde Diplomatique, [En Ligne], septembre 2012

    URL: http://www.monde-diplomatique.fr/2012/09/DELCROZE/48141

    GOURDIN Patrice, « Géopolitique du Mali : un Etat failli ? », Diploweb, [En Ligne], septembre 2012

    URL: http://www.diploweb.com/Geopolitique-du-Mali-un-Etat.html

    GOURDIN Patrice, « L'UE et le conflit malien », Diploweb, [En Ligne], juin 2013 URL : http://www.diploweb.com/L-UE-et-le-conflit-malien.html

    LEYMARIE Philippe, « Comment le Sahel est devenu une poudrière », Le Monde Diplomatique, [En Ligne], avril 2012

    URL: http://www.monde-diplomatique.fr/2012/04/LEYMARIE/47605

    SAMBE Bakary, « Crise malienne : origines, développements et répercussion dans la sous-région », Konrad Adenauer Stiftung, [En Ligne], PDF

    URL: http://www.kas.de/wf/doc/kas_33096-1522-3-30.pdf?121213171402

    176

    Articles de Presse

    CARMARANS Christophe, « Mali : les principaux acteurs de la crise », Jeune Afrique, [En Ligne], décembre 2012

    URL: http://www.rfi.fr/afrique/20121212-mali-reperes-principaux-acteurs-crise-/

    OUAZANI Cherif, « L'adieu aux larmes », Jeune Afrique, [En Ligne], janvier 2005 URL: http://www.jeuneafrique.com/Article/LIN16015ladiesemral0/

    Jeune Afrique, « Nord-Mali : des rebelles touaregs attaquent Ménaka », Jeune Afrique, [En Ligne], janvier 2012

    URL: http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20120117161032/

    177

    Table des Matières

    INTRODUCTION GENERALE 1

    Première Partie - Le conflit malien dans son milieu : les inerties physiques de l'espace

    sahélo-saharien. 9

    I - Géographie de l'espace sahélo-saharien : des hommes en bleu dans une tâche blanche

    quadrillée. 10

    1. Milieu naturel et structures sociales : Portrait physique du Sahel-Sahara. Composition, disposition, et

    conditionnement. 11

    ? Le désert sahélo-saharien : définition par la limitation climatique, étatique, et conceptuelle d'une

    étendue ouverte. 11

    ? Hydrologie et topologie : les conditions physiques de la mobilité. 13

    ? La représentation nomade de l'espace : une géographie de la mobilité. 16

    2. Du Sahel-Sahara à l'Azawad : l'identité touareg et les revendications territoriales au Mali. 20

    A. Organisation et structure des sociétés touaregs : l'identité d'un peuple du désert. 21

    B. Politisation et militarisation de la revendication touareg dans l'Azawad : le filigrane de la

    conflictualité malienne. 25

    II - Les ressources de l'espace sahélo-saharien : mutations d'une terre d'échange dans la

    mondialisation. 30

    1. Les routes du désert sahélo-saharien : de la caravane à la caravelle. 32

    A. Le réseau et les échanges : une structure initiale inchangée. 33

    B. Trafics criminels dans les couloirs de sable : les nouveaux produits du commerce saharien et

    transsaharien. 37

    o Le trafic d'armes 40

    o Le trafic d'hommes 41

    o Le trafic de cigarettes 42

    o Le trafic de drogues 43

    2. Le paradoxe des ressources naturelles : disponibilités locales inexploitées, concurrence internationale,

    et conflits d'intérêts. 45

    A. L'exploitation des ressources souterraines : attraction et répulsion d'un espace riche conflictuel. 46

    B. Le Mali au pied de la « mer de sable », au large de la mer d'eau : la situation géopolitique de

    l'enclavement. 49

    CONCLUSION PARTIELLE 52

    Deuxième Partie - Le conflit malien dans son contexte : les inerties humaines de l'espace

    sahélo-saharien. 53

    I. Les structures sociales ante - étatiques : le poids historique des ethnies au Mali. _____ 55

    1. Portrait des ethnies du Mali : différences anthropologiques, et particularités psychologiques. _____ 56

    2. Le Moyen-âge sahélien : les Empires de la route et l'historicité des ethnies maliennes. 61

    o Empire du Ghana (VIIIème - XIIIème) 63

    o Empire du Mali (XIIIème - XVème) 64

    o Empire songhaï (XVème - XVIème) 65

    II. Les islams en Afrique : De la conquête arabe aux djihads précoloniaux. 67

    1. De l'islam arabe aux islams africains : Une religion localement adaptée. 68

    178

    2. Dissidences et unité : des islams africains aux djihads précoloniaux 73

    o Ousmane Dan Fodio et le Califat de Sokoto 77

    o Sékou Amadou et le Califat peul du Macina 77

    o El Hedj Omar et le Califat toucouleur 78

    III. Islam et modernité : des temporalités en concurrence. 80

    1. La genèse de l'islam comme idéal-type. 81

    1. L'islam dans la modernité : les métastases de la contestation. 87

    CONCLUSION PARTIELLE 91

    Troisième Partie - Le conflit malien en action : La déflagration des tensions sahélo-

    sahariennes 92

    I. Al-Qaïda et AQMI : des menaces glocalisées. 93

    1. Genèse et mutation d'Al-Qaïda : continuité des ruptures. 94

    o Hégire afghan 96

    o Djihad moderne 98

    o Etats takfirs 99

    o Hégire soudanais 100

    2. L'affiliation top-down de la conflictualité : d'Al-Qaïda à AQMI, une stratégie de l'ubiquité. 104

    A. La stratégie médiatique d'Al-Qaïda : Iconographie d'une religion aniconique. 105

    B. La stratégie territoriale d'Al-Qaïda : l'affiliation par contagion. 108

    I. La conflictualité sahélo-saharienne et le détonateur malien. 112

    1. La construction bottom-up de la conflictualité : du GSPC à AQMI, une stratégie de la représentation. 113

    A. La métamorphose du GSPC algérien : une matrice idéologique importée. 114

    B. Le fonctionnement d'AQMI : des modes opératoires croisés. 118

    o La zone d'action 118

    o Le recrutement 120

    o Le financement 121

    2. Le conflit malien : l'enchevêtrement géopolitique. 124

    ? Contexte régional immédiat : la poudrière sahélo-saharienne. 125

    ? La rupture politique interne : l'étincelle malienne. 126

    ? Le territoire de l'Azawad : la déflagration. 129

    CONCLUSION PARTIELLE 132

    CONCLUSION GENERALE 133

    Annexes 136

    Cartographie 138

    I - Géographie de l'espace sahélo-saharien 140

    A - Le Sahel-Sahara : un espace aride 140

    B - Les Touareg : une population nomade 141

    C - Le Sahel-Sahara : un espace mobile 143

    D - Le Sahel-Sahara : un espace de trafic 147

    E - Le Sahel-Sahara : un espace de ressources 151

    II - Les identités de l'espace sahélo-saharien 154

    179

    III - Le Conflit malien de 2012 158

    Bibliographie 160

    Table des Matières 177






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera