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Dynamique professionnelle et transformations de l'action publique. Réformer l'organisation des soins dans les prisons françaises. Les tentatives de spécialisation de la « médecine pénitentiaire » (1970-1994).

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par Eric FARGES
Université Lyon 2 - Sciences Po - THESE EN SCIENCES POLITIQUES 2013
  

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ANNEXE 31 : LA CRÉATION DES SERVICES MÉDICO-PSYCHOLOGIQUES RÉGIONAUX (SMPR) EN 1986, ACTE DE DÉCÈS DE LA « PSYCHIATRIE PÉNITENTIAIRE »

Placés sous la cotutelle des ministères de la Justice et de la Santé en 1977, certains psychiatres exerçant en milieu carcéral critiquent au début des années quatre-vingt le règlement auquel ils sont soumis. Outre l'obligation qui leur est faite d'assister à la commission des peines, considérée comme une atteinte au secret médical, ils dénoncent le droit de veto que l'Administration pénitentiaire peut exercer sur les propositions de la commission paritaire2247(*). Mais c'est surtout le pouvoir dont dispose le directeur de l'établissement en matière d'hospitalisation des détenus au sein de l'infirmerie psychiatrique qui est le plus contesté. Une psychiatre ayant participé à la réforme de 1986 rappelle cette « faille » de la circulaire de 1977 : « Avant l'arrêté de 1986, le directeur de la prison pouvait dire : "Dupont est dingue, je le mets au CMPR" [...] Avant, ça dépendait des relations entre les médecins et le directeur de la prison »2248(*). Signe du peu de reconnaissance dont bénéficient alors les soins psychiatriques, un magistrat de la DAP, interrogé sur la capacité du directeur à « hospitaliser » les détenus, souligne le caractère pénitentiaire des « cellules CMPR » :

« Il y avait des locaux médicaux et puis vous aviez des cellules qui étaient véritablement à proximité des locaux médicaux pour faire de l'hospitalisation... mais entre guillemets ! [...] Le détenu restait deux jours... Mais de toute façon, de nuit, c'était le régime de droit commun qui s'appliquait dans ces quelques cellules CMPR »2249(*).

La difficile acceptation des règles régissant jusque-là l'exercice de la psychiatrie en prison (atteintes au secret médical, primauté de la DAP) traduit l'émergence d'une réflexion éthique, parmi les médecins hospitaliers nouvellement arrivés, quant au rôle du psychiatre : « Doit-il être un normalisateur cautionnant le système répressif ? Peut-il se démarquer de l'institution carcérale et ne risque-t-il pas alors d'être totalement inefficace ? Un médecin se doit de soulager la souffrance. Mais comment faire devant une souffrance codifiée ? », s'interroge une équipe de psychiatres hospitaliers2250(*). Témoigne de cette évolution le rejet par certains psychiatres de la mission criminologique qui leur a été confiée dès la Libération par le ministère de la Justice et qui justifiait la création des CMPR en 19662251(*). Ainsi, le médecin-chef du CMPR de Rennes s'alarme de la réforme du Code pénal dont un avant-projet datant de 1976 prévoyait la création d'un régime « médico-psychologique », éloigné du rôle soignant des psychiatres, avant de réclamer une réforme du statut des CMPR :

« Il s'agissait d'un mode d'exécution de la peine, et l'admission à ce régime était prononcée, soit ab initio par la juridiction de jugement, soit en cours d'exécution par le tribunal de l'exécution des sanctions. Ce tribunal était également compétent pour mettre fin au régime médico-psychologique. Les médecins n'avaient donc pas la maîtrise de l'admission dans ces structures. Il y avait donc une différence fondamentale avec les actuels CMPR, la finalité de l'institution n'étant pas thérapeutique au sens médical, mais criminologique. On voit tout de suite l'analogie entre ce régime et les établissements de défense sociale tels qu'ils existent dans certains pays, en particulier, la Belgique » 2252(*).

En second lieu, intégrée dans la sectorisation psychiatrique, la prison devient un lieu de travail pour de nombreux internes qui lui consacrent leur thèse de médecine où ils s'interrogent sur le rôle qui leur est imparti en milieu carcéral. « Le psychiatre est le garant du suicide. La présence du psychiatre suffit à couvrir l'angoisse de l'administration et à éviter la remise en cause de sa responsabilité », observe une interne de Fleury-Mérogis2253(*). Alors qu'il n'y a théoriquement selon l'article D.398 du Code pénal pas de malades mentaux en prison, remarque une autre interne de Fleury, les psychiatres se voient attribuer un rôle de maintien de l'ordre en détention : « La lutte est, dans ce contexte, permanente contre la "psychiatrisation" de ce qui ne doit pas l'être, pour que les responsabilités soient données ou rendues à qui de droit chaque fois qu'un conflit naît de la situation carcérale et que l'administration tente de l'éluder en le confiant au psychiatre »2254(*). C'est également cette ambiguïté qu'observe une autre interne de Fleury dans sa thèse:

«  Dans ce conteste a priori antithérapeutique quel peut-être le rôle du psychiatre ? [...] L'institution carcérale attend du psychiatre qu'il joue le rôle classique "d'auxiliaire de justice" [...] D'une part, nous ne savons pas où se trouve notre rôle soignant, d'autre part il nous semble impossible d'assumer entièrement la violence et la mort que l'institution ne veut plus prendre en charge. Le cours d'un entretien nous paraît "faussé" quand l'enjeu en est soit l'hospitalisation au C.M.P. "puisque le détenu est malade", soit la sanction "puisqu'il s'agit d'un simulateur". Toute possibilité de dialogue est apparue impossible. Or, si le symptôme présenté par le détenu ne nous semble pas toujours nécessiter une hospitalisation, il nous apparait difficile de "cautionner" la punition et de devenir à notre tour répressifs [...] Le psychiatre est donc l'objet de sollicitations multiples et l'on a l'impression, d'une certaine façon, de n'être qu'un intermédiaire entre deux groupes enfermés dans un rapport de force, être lesquels n'existerait plus de dialogue »2255(*).

A ces questions déontologiques s'ajoutent des problèmes relevés par les inspecteurs de l'IGAS dans un rapport consacré à la psychiatrie pénitentiaire : la cotutelle entre les ministères de la Santé et de la Justice favorise les tentatives de la part de chaque administration de se déresponsabiliser :

« La majorité des CMPR fait état de difficultés pour obtenir des crédits supplémentaires susceptibles d'être alloués par la DDASS, l'administration pénitentiaire et le CHS de rattachement, chacun s'en rejetant la responsabilité et la charge compte tenu de l'imprécision du règlement intérieur annexé à cette circulaire [...] Les CMPR sous soumis à au moins deux tutelles, Justice et Santé, et ne sont pas pour autant intégrés à l'une ou l'autre de ces administration mais plutôt écartelés entre elles. Dans l'établissement pénitentiaire d'accueil, les CMPR occupent une place à part mais restent soumis à des règles carcérales de fonctionnement. Ces caractéristiques les isolent en fait de l'ensemble des institutions de rattachement aussi bien au plan individuel des personnes qu'aux plans professionnel et structurel. Pour rompre cet isolement mal vécu, les responsables des CMPR ont éprouvé le désir et le besoin de se rencontrer périodiquement afin de confronter leurs idées et faire évoluer leur structure et de se relier plus étroitement au CHS de rattachement »2256(*).

Ainsi, au même moment, les psychiatres exerçant en milieu pénitentiaire recherchent le soutien de leurs confrères intervenant à l'hôpital psychiatrique, longtemps hostiles à l'intervention en détention. Paul Hivert rappelle ainsi « l'évolution de certains [psychiatres hospitaliers], hostiles au départ, devenus partisans en appréciant l'utilité du CMPR. En particulier le syndicat [le Syndicat des psychiatres des hôpitaux, SPH] qui en reconnaissant notre existence et en créant un groupe de travail permanent a contribué à nous faire progresser plus rapidement »2257(*). En effet, dans deux motions adoptées en 1983, le SPH rappelle « le droit des détenus (prévenus ou condamnés) aux soins, en particulier en ce qui concerne leur santé mentale » ainsi que le risque « d'aboutir à des ghettos psychiatriques » avec le projet du régime médico-psychologique que prévoient les articles 65 et 68 du Code pénal2258(*). Celle qui fut chargée de rédiger en 1986 l'arrêté relatif à l'organisation des soins psychiatriques en prison relativise cette intégration au sein de la psychiatrie hospitalière et souligne dans quelle mesure la nouvelle réforme fut imposée par les services ministériels :

« Et à l'époque entre 77 et 85, les psychiatres des prisons vivaient extrêmement mal, car ils étaient bannis... Même dans les syndicats [...] Car ils étaient pieds et poings liés avec l'Administration. Et je me rappelle vraiment, même si à l'époque je ne me rendais pas compte car je n'avais pas travaillé en prison, la joie d'Hivert et de Laurens quand il y a eu la réforme de 86. C'était une reconnaissance pour eux. Ils étaient heureux comme des enfants ! Et c'est devenu, au point de vue des recrutements, un service de psychiatrie comme un autre. Ça, ça été la révolution dans le milieu ! Les psychiatres non pénitentiaires l'ont très mal pris. A l'époque, j'avais des relations avec eux mais comme, moi, j'étais très liée au Syndicat, c'est passé. Et puis devant les tutelles, au ministère, ils ne pouvaient pas dire qu'ils les considéraient comme des sous-merdes [...] J'avais milité à l'époque et puis comme j'étais au ministère, ils me faisaient les yeux doux. Ils me prêtaient un pouvoir que je n'avais pas »2259(*).

Le décret n°86 du 14 mars 1986 relatif à la lutte contre les maladies mentales et à l'organisation de la sectorisation psychiatrique achève l'intégration de la psychiatrie exercée en prison à la psychiatrie hospitalière, en instaurant dans chaque région pénitentiaire « un ou plusieurs secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire », appelés Service médico-psychologique régional (SMPR)2260(*). L'arrêté du 14 décembre 1986 relatif au règlement intérieur type fixant l'organisation des SMPR modifie profondément les règles de fonctionnement des anciens CMPR. Le recours à des « surveillants-infirmiers » ou « auxiliaires sanitaires » est abandonné. Les admissions sont assimilées à une entrée à l'hôpital et sont, par conséquent, prononcées par le directeur de l'établissement hospitalier sur proposition du responsable du service. La circulaire du 5 décembre 1988 rappelle que les SMPR ne peuvent recevoir que des détenus consentants, satisfaisant les psychiatres « qui estiment qu'à la contrainte carcérale ne peut s'ajouter une contrainte de soins »2261(*). Elle cesse de rendre obligatoire la participation du psychiatre à la CAP et souligne l'importance du secret médical : « En particulier les attestations délivrées en application de l'article D.378 du Code de procédure pénale doivent se borner à un simple avis administratif sans renseignements médicaux »2262(*).

En affirmant l'autonomie des psychiatres en institution carcérale, cette réforme marquerait le passage d'une « psychiatrie pénitentiaire » à une « psychiatrie en prison », à l'image de la dénonciation lexicale établie en 1994 en matière de soins somatiques2263(*). Interrogés sur cette question, tous les praticiens rencontrés, même ceux travaillant depuis longtemps en prison, revendiquent d'ailleurs cette seconde appellation avant tout destinée à se démarquer du cadre carcéral dans lequel ils opèrent :

« Il n'y pas de psychiatrie pénitentiaire ! C'est de la psychiatrie en milieu carcéral. C'est un peu spécifique, c'est vrai... Mais des spécificités qui ne justifient pas cette appellation. Ça me choque parce que ça semble mettre la psychiatrie sous la dépendance de l'Administration pénitentiaire. Or, ce n'est pas le cas. C'est un terme qu'on a banni. Au niveau national. On en a souvent parlé avec des collègues. On a essayé de mettre en place une espèce de déontologie de la psychiatrie en milieu carcéral »2264(*).

« E.F : Justement en tant que psychiatre pénitentiaire... - Non, pas pénitentiaire ! Je ne suis pas pénitentiaire. On n'a jamais été pénitentiaire ! - Enfin, ayant travaillé en prison, je voulais dire... - Ah oui, ça c'est différent ! »2265(*)

« Non, nous on aime mieux psychiatrie en milieu pénitentiaire. C'est pour ça qu'on a appelé notre livre comme ça. C'est quelque chose qui me choque parce que c'est comme pour la médecine pénitentiaire, ça veut dire la médecine DE l'Administration pénitentiaire. Donc bon... Dans les trucs officiels, on fait attention. En parlant on peut dire "Je suis psychiatre pénitentiaire", mais c'est rare que je le dise »2266(*).

Cet unanimisme souligne l'absence de segment de psychiatres travaillant en prison hostile à un transfert auprès du service public hospitalier. On n'observe ainsi pas en matière de psychiatrie le phénomène de spécialisation qui a caractérisé la médecine pénitentiaire. Cette non-spécialisation est peut-être liée à l'absence de porte-parole à l'image du Médecin-inspecteur mais, surtout au courant critique apparu depuis les années soixante-dix quant aux institutions fermées.

* 2247 POUYOLLON François, « Problèmes éthiques et déontologiques soulevés par la pratique de la psychiatrie dans les centres médico-psychologiques pénitentiaires régionaux », L'information psychiatrique, 02/1983, p.167.

* 2248 Lucie, psychiatre, membre de la DGS de 1985 à 1988, médecin-chef du SMPR de Rouen de 1989 à 1996 et membre de la DGS de 1994 à 1996. Entretiens réalisés les 2/02/2006 et 5/05/2006, 4H et 2H45.

* 2249 Jacques, magistrat chargé à la DAP de la réglementation sanitaire de 1982 à 1989. Entretien réalisé le 11/01/2008, 3H30.

* 2250 ALEZRAH C., PECASTAING J.P., REYNAUD M.J., « Approche pénologique et psychiatrique du délinquant en milieu fermé », RPDP, 1983, n°1, pp.55-56.

* 2251 Cf. Annnexe 7 : « la création des CMPR en 1967 : un début de reconnaissance de la psychiatrie pénitentiaire ».

* 2252 POUYOLLON François, « Problèmes éthiques et déontologiques... », art.cit., p.167.

* 2253 ROBIN Isabelle, Le secteur psychiatrique en milieu carcéral. Une année d'expérience au centre médico-psychologique de Fleury-Mérogis, thèse de médecine, Faculté de médecine Necker Enfants-malades, Université René Descartes, 1983, p.88.

* 2254 PALANT Eliane, Essai d'analyse de deux ans et demi de pratique au Centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis, thèse de médecine, Faculté de médecine Paris IV, 1979, p.54.

* 2255 HEU Patricia, Psychiatrie en milieu carcéral. Expérience d'une année au CMP de Fleury-Mérogis, thèse de médecine, faculté de médecine de Paris IV, 1983, pp.72-74.

* 2256 REYNES Nicole, GREGOIRE G., TCHERIATCHOUKINE Jean, Rapport sur les Centres médico-psychologiques régionaux, Rapport IGAS, avril 1986, Rapport de l'IGAS n°860029, pp.10-11.

* 2257 HIVERT Paul, « Trente ans de prison », art.cit, p.224.

* 2258 « Le point de vue du Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux », L'information psychiatrique, vol.59, n°2, 02/1983, pp.211-212.

* 2259 Lucie, psychiatre, membre de la DGS de 1985 à 1988, médecin-chef du SMPR de Rouen de 1989 à 1996 et membre de la DGS de 1994 à 1996. Entretiens réalisés les 2/02/2006 et 5/05/2006, 4H et 2H45.

* 2260 Les secteurs de psychiatrie sont des aires géographiques délimitées selon la population, desservies par un service de psychiatrie, la même équipe médico-sociale assurant les soins intra- et extra-hospitaliers. Apparus dans une circulaire du 15 mars 1960, ils sont officialisés par la loi n° 85-1468 du 31 décembre 1985 relative à la sectorisation psychiatrique.

* 2261 DAVID Michel, Psychiatrie en milieu pénitentiaire, op.cit., p.51.

* 2262 Circulaire DGS n°1164 du 5/12/1988 relative à l'organisation de la psychiatrie en milieu pénitentiaire.

* 2263 GRAVIER Bruno, « Le délinquant "fou" en prison », Nervure, tome V, n°5, juin 1992, pp.70-74.

* 2264 Henri, psychiatre de la MC de Poissy de 1972 à 1977 puis médecin-chef du SMPR de Fresnes jusqu'en 1999. Entretien réalisé le 6/05/2006, 3H15.

* 2265 Gilles, psychiatre à Fresnes de 1975 à 2002. Entretien réalisé le 20/01/2006, 2H40.

* 2266 Lucie, psychiatre, membre de la DGS de 1985 à 1988, médecin-chef du SMPR de Rouen de 1989 à 1996 et membre de la DGS de 1994 à 1996. Entretiens réalisés les 2/02/2006 et 5/05/2006, 4H et 2H45.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry