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Dynamique professionnelle et transformations de l'action publique. Réformer l'organisation des soins dans les prisons françaises. Les tentatives de spécialisation de la « médecine pénitentiaire » (1970-1994).

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par Eric FARGES
Université Lyon 2 - Sciences Po - THESE EN SCIENCES POLITIQUES 2013
  

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DELIMITATION SPATIO-TEMPORELLE DU SUJET

Ce travail a pour objet la sociohistoire de l'organisation des soins en prison, de ses réformes et de ses professionnels, jusqu'à la loi n°94-43 du 18 janvier 1994 qui transfert la médecine somatique au ministère de la Santé. Le dispositif de prise en charge de la santé mentale pénitentiaire avait en effet déjà été rattaché au système hospitalier public en 1986. Bien qu'elle ne constitue pas notre objet d'étude en tant que telle, la médecine psychiatrique est néanmoins une dimension importante de la thèse, et ce tout d'abord parce que ces deux activités n'ont pendant longtemps pas été distinguées. La médecine pénitentiaire fut même historiquement davantage l'oeuvre de psychiatres que de généralistes. Intervenant en prison dès le XIXème siècle en tant qu'experts ou que criminologues, les psychiatres ont exercé pendant longtemps une forte influence sur l'organisation des soins en prison. La mise en perspective de ces deux prises en charge médicales permettra également de mieux comprendre les conditions de réforme de la médecine somatique.

Tout en privilégiant l'étude des médecins généralistes, on évoquera, d'autre part, la question des personnels infirmiers pour deux raisons. Tandis que les praticiens n'effectuaient que quelques heures de vacation hebdomadaires, les infirmières assuraient l'essentiel de la prise en charge sanitaire des détenus. Ces dernières formaient, en second lieu, un « corps » pénitentiaire accédant au statut de fonctionnaire par voie de concours144(*). A l'inverse les médecins, en dépit des tentatives, ont toujours eu un statut de vacataires. Les médecins pénitentiaires exercèrent d'autre part un rôle privilégié dans la réforme par le recours à l'espace public ainsi que la mise en forme de la médecine pénitentiaire en tant que discipline, par le biais notamment de colloques et de publications scientifiques.

Afin de restituer l'évolution du dispositif de prise en charge de la santé des détenus, il aurait été possible de réaliser l'étude d'un ou de deux établissements pénitentiaires dont on aurait dressé la monographie. On a certes tenté, notamment par le biais des entretiens, de privilégier l'investigation de quelques établissements dont les praticiens ont joué un rôle important dans la structuration du secteur de la médecine pénitentiaire. C'est notamment le cas de Fresnes et des Baumettes, où étaient situés les deux seuls « hôpitaux pénitentiaires », ou encore de Lyon où exerçait une équipe de praticiens particulièrement active. On a également tenté de dresser la situation de deux autres établissements de moindre dimension, à savoir les Maisons d'arrêt (M.A) de Bois d'Arcy et de Pontoise en Ile-de-France. Ce travail local s'est cependant rapidement heurté à d'importants obstacles. Il n'existe tout d'abord presque aucune archive concernant le dispositif d'organisation des soins dans les établissements, les entretiens demeurant l'outil d'investigation incontournable pour comprendre les situations locales. Il est cependant apparu très difficile de retrouver de façon presque exhaustive les médecins et infirmières ayant travaillé dans une même prison. Le renouvellement rapide du personnel explique l'absence de mémoire collective relative aux différents professionnels de santé ayant exercé dans l'établissement. Outre ces considérations pratiques, l'approche « localiste » a semblé peu pertinente au regard du sujet. L'extrême hétérogénéité entre les différents établissements rendait en effet difficile toute montée en généralité. Mais surtout, cette approche rendait difficilement observables les interactions ayant permis l'émergence d'un segment de médecine pénitentiaire. Il est par conséquent progressivement apparu préférable de privilégier l'analyse du dispositif national de prise en charge des détenus, et notamment les relations entre les praticiens et leur autorité de tutelle.

La délimitation d'une période d'étude fut plus délicate. Rappelons que la Libération est considérée comme le moment à partir duquel ont été recrutés les premiers soignants en milieu carcéral145(*). En dépit de l'intérêt alors accordé à la question sanitaire en prison, l'accès aux soins se heurte à la faiblesse des moyens que l'Administration consacre au nouveau dispositif. C'est néanmoins à cette époque qu'émergent les premières formes de spécialisation de l'activité médicale en prison. Outre la création en 1947 d'un corps d'infirmières pénitentiaires, la DAP, soucieuse de ne pas grever son budget par des admissions dans les hôpitaux civils et de prévenir les risques d'évasion, annonce en 1951 « la construction dans la région parisienne d'un hôpital pénitentiaire » et la création d' « infirmeries régionales sur l'ensemble du territoire » (LM, 15/12/1951).

En dépit des articles optimistes publiés par quelques médecins exerçant en prison146(*), les praticiens souffrent au cours des années cinquante d'une faible reconnaissance institutionnelle. En atteste cette lettre du généraliste de la M.A de Pau envoyée au médecin-chef de l'Hôpital des prisons de Fresnes : « Je vous serais très reconnaissant de bien vouloir vous pencher sur les conditions d'exercice de la Profession pour les médecins des Maisons d'arrêt en province. Pour deux visites par semaine des détenus entrants et malades, visites urgentes possibles et surveillance du personnel l'Administration alloue 10.000 francs par mois !»147(*). La référence faite par ce praticien à une profession de « médecin des Maisons d'arrêt » témoigne de l'amorce d'une spécialisation du corps médical exerçant en prison.

La création du poste de Médecin-inspecteur en 1960 avait, dans un premier temps, été retenue comme point de départ de cette thèse148(*). Le manque de sources (presque aucun interviewé et très peu d'archives) nous a cependant contraint à en resserrer le cadre149(*). Une autre raison vient justifier ce choix : jusqu'au début des années soixante-dix, l'activité des médecins en milieu pénitentiaire demeure discrète. Ils sont alors invisibles au sein de l'espace public : aucun article de presse, aucun ouvrage et très peu d'articles scientifiques leur sont consacrés. La spécialisation entreprise par Georges Fully demeure durant les années soixante largement interne.

Ainsi, faire débuter cette thèse au début des années soixante-dix présentait trois avantages. Il s'agit d'une période d'une importante médiatisation de l'institution pénitentiaire dont subsistent de nombreuses traces, notamment concernant la prise en charge médicale des détenus. Fortement remis en cause par les militants de la cause carcérale, les praticiens exerçant en prison ont alors pour la première fois pris la parole au sein de l'espace public (en témoignant dans les médias ou en publiant des livres) et au sein du secteur médical (par des articles ou dans leur thèse). Enfin, troisième raison venant justifier l'étude de cette période, les témoins de cette époque sont plus facilement localisables.

On a choisi par conséquent de faire débuter cette recherche à la forte contestation du milieu carcéral survenue à partir de 1970 qui a pour la première fois mis en cause les carences de l'organisation des soins amenant certains soignants pénitentiaires à réclamer davantage d'autonomie professionnelle. D'autres, à l'inverse, témoignèrent leur attachement à l'Administration pénitentiaire, laissant apparaître ainsi les points de divergence entre segments professionnels. Le choix du point d'achèvement de la période d'étude apparut plus simple. La loi du 18 janvier 1994, en transférant les personnels sanitaires exerçant en prison au ministère de la Santé, clôt un chapitre de l'histoire et ainsi cette recherche. Retracer l'évolution de l'organisation des soins en prisons, de ses réformes et de ses professionnels, entre 1970 et 1994 requiert de recourir à de nombreuses sources tant orales qu'écrites.

* 144 Plus exactement, les infirmières travaillant en prison se divisaient entre celles ayant un statut Croix-Rouge et celles ayant un statut pénitentiaire.

* 145 C'est pourtant au XIXème siècle que la présence des médecins fut pour la première fois instituée. Un règlement sur les Maisons centrales en date du 5 octobre 1831 commande l'affectation d'un chirurgien et d'un médecin tenus de résider dans l'établissement. Le 30 octobre 1841, un règlement général des prisons départementales établit les attributions du médecin nommé par le préfet. Le rôle réel conféré aux praticiens serait cependant très réduit comme en attesterait l'exclusion du médecin de la commission de surveillance de l'établissement ou le visa apposé par le surveillant-chef à ses prescriptions. Dans un rapport adressé au ministre de l'intérieur en 1838, l'inspecteur général des prisons observe que l'Administration « doit se tenir en garde et opposer le plus d'obstacles qu'elle peut contre la propension qu'ont généralement les médecins de prison à faire de la médecine philanthropique et à traiter les malades comme ils le feraient de petites maîtresses ou de clients accoutumés à jouir, dans le monde, de toutes les aisances de la vie » (Cité dans FULLY Georges, « Médecine pénitentiaire et criminologie », Annales internationales de criminologie, 1er semestre, 1966, pp.9-16).

* 146 Selon le Dr Fernand Masmontheil, médecin-chef de l'infirmerie centrale de Fresnes, « l'administration pénitentiaire soucieuse de la santé des individus dont elle a la charge n'hésite pas à rechercher les solutions les plus modernes et les plus efficaces » (MASMONTHEIL Fernand, « L'infirmerie centrale des prisons de Fresnes », La santé de l'homme, n°77, 03-04/1953, pp.37-38). De la même façon, le docteur Viallier affirme que même si « tout n'est pas parfait, et ne peut pas l'être [...] un effort continu a été effectué pour que tout détenu puisse bénéficier à l'intérieur de l'établissement où il se trouve de soins exactement superposables à ceux qu'il recevrait s'il était libre » (VIALLIER, « L'Hygiène des prisons. Les malades à la prison », La santé de l'homme, n°77, 03-04/1953, pp.33-36).

* 147 Lettre du médecin de la M.A de Pau au médecin-chef de l'Hôpital des prisons de Fresnes datée du 12/05/1959 (CAC. 19830701. Art.481).

* 148 Cf. Annexe 5 : « La création du poste de Médecin-inspecteur des prisons dans le contexte de la guerre d'Algérie ».

* 149 En outre, Georges Fully ayant été assassiné en 1973, la plupart de ses archives personnelles et professionnelles ont été saisies par la Justice qui n'a jamais résolu cet homicide.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery