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Dynamique professionnelle et transformations de l'action publique. Réformer l'organisation des soins dans les prisons françaises. Les tentatives de spécialisation de la « médecine pénitentiaire » (1970-1994).

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par Eric FARGES
Université Lyon 2 - Sciences Po - THESE EN SCIENCES POLITIQUES 2013
  

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Les leçons de l'échec italien dans l'analyse de la réforme française : que sont devenus les « médecins pénitentiaires »?

Le transfert, au moins partiel, de la prise en charge médicale des détenus du ministère de Santé au ministère de la Justice n'est pas un fait spécifique à la France puisqu'on peut observer une évolution similaire dans plusieurs pays de l'Union européenne. L'Italie a adopté une réforme dite de Riordino della medicina penitenziaria (Réorganisation de la médecine pénitentiaire) par la loi n°419 de 1998 qui prévoit que soit transférée, à compter du 1er janvier 2000, au Servizio sanitario nazionale la mission de soin remplie jusqu'alors par l'Amministrazione penitenziaria29(*). En Angleterre et au Pays de Galles, le Prison medical service, relevant du ministère de la Justice, a connu une réorganisation en 1990, devenant le Health care service for prisoners30(*). Des rapports ont cependant préconisé au cours des années quatre-vingt-dix une participation du service public de santé et un transfert progressif a lieu depuis 200331(*). Les Primary care trusts, responsables de l'organisation des soins au niveau local dans toute l'Angleterre, sont chargés de cette mission en prison, même si subsistent quelques Medical officers dépendant de l'Administration pénitentiaire. En Suisse, les Instituts de médecine légale, qui dépendent du ministère de la Santé, sont chargés de l'organisation des soins qui peuvent être prodigués par des médecins privés contractuels ou des médecins fonctionnaires effectuant une partie de leur tâche en milieu carcéral32(*).

Cette relative convergence entre plusieurs pays confrontés, de manière plus ou moins accentuée, à une aggravation des problèmes de santé en prison nous avait convaincu, dans un premier temps, de l'explication tendant à justifier la réforme par les seules raisons sanitaires. Pourtant confrontés à des difficultés semblables, certains pays ont maintenu une tutelle pénitentiaire, choisissant de mieux doter financièrement le ministère de la Justice. La réorganisation de la prise en charge des détenus a, par exemple, fait l'objet d'un débat en Belgique qui s'est conclu par un refus de transférer cette mission vers le système sanitaire national33(*). En Espagne et au Portugal la prise en charge sanitaire des détenus relève toujours de la seule responsabilité du ministère de la Justice34(*).

En outre, l'analyse comparée des réformes française et italienne a permis d'établir, au-delà des similitudes, un lien entre le contexte dans lequel ont été adopté ces dispositions et les conditions de leur mise en oeuvre. Tandis que la loi du 18 janvier 1994 n'a pas rencontré de difficultés majeures et fut même saluée pour la rapidité avec laquelle elle fut appliquée étant donné l'ampleur du changement35(*), la réforme italienne semble avoir abouti, en revanche, à un échec. Elle se situait en effet, au moment de notre DEA, dans un état d'immobilisme presque total. Un seul des décrets d'application avait alors été publié. Le budget qui devait selon l'article 5 de la L.419/98 être confié au minitero della Sanità n'avait pas été transféré et demeurait sous le contrôle de l'Amministrazione penitenziaria.

Plusieurs différences expliquaient cet échec. La remise en cause de l'organisation des soins en prison n'a pas, en Italie, été l'objet d'une médiatisation aussi forte qu'en France, où éclata peu de temps avant la réforme le scandale des collectes de sang contaminé en milieu carcéral. Le système de santé italien à qui fut confié cette mission ne dispose pas, en outre, d'une légitimité aussi forte que le système hospitalier français. Enfin, troisième facteur explicatif, la réorganisation des soins ne réalisait pas un consensus parmi les « medici penitenziari» italiens. Leur syndicat était même très défavorable à cette réforme susceptible de désorganiser la cogestion que ces derniers avaient pu établir avec l'Amministrazione penitenziaria.

La mobilisation des « médecins pénitentiaires » italiens contre leur transfert auprès du ministère de la Santé contrastait avec le cas français. Tous les praticiens rencontrés au cours du DEA présentaient une adhésion totale aux principes énoncés au moment de la réforme : les détenus devaient pouvoir bénéficier d'une prise en charge identique à celle dont bénéficie tout citoyen et le rattachement au ministère de la Santé apparaissait pour eux dès lors « naturel ». Tous ces médecins, sauf un devenu grâce à la réforme chef de service hospitalier, étaient cependant intervenus en milieu carcéral après 1994 et aucun n'avait connu l'ancien système. Tous étaient d'ailleurs critiques à son égard. Une analyse de la presse généraliste et spécialisée permettait d'observer le même unanimisme. Plusieurs médecins, travaillant depuis plus ou moins longtemps en milieu carcéral, avaient en effet plaidé en faveur de cette réforme au début des années quatre-vingt-dix36(*). Mais surtout, aucune voix discordante n'avait émergé au sein de l'espace public pour s'opposer à cette loi. Cette absence d'opposition était-elle réelle ou le fruit d'un manque de visibilité ?

L'échec de la réforme italienne nous amena ainsi à nous interroger sur l'existence en France d'un groupe professionnel de « médecins pénitentiaires » dont il ne fut jamais question après la réforme. Qu'étaient devenus ces médecins exerçant avant 1994 ? Pourquoi ne les a-t-on pas entendus au sein de l'espace public durant la réforme ? N'étaient-ils pas en mesure de s'opposer à ce transfert auprès du ministère de la Santé, tels leurs confrères italiens, ou au contraire étaient-ils favorables à la loi du 18 janvier 1994 ? Ces questions prenaient tout leur sens au vu de la critique unanime de l'appellation de « médecine pénitentiaire » faite par les partisans de la réforme.

* 29 SARZOTTI Claudio, « L'assistenza sanitaria: cronaca di una riforma mai nata », dans ANASTASIA Stefano, GONNELLA Patrizio (dir.), Inchiesta sulle carceri italiane, Carocci, Roma, 2002, pp.109.

* 30 BIENVENU Noémie, Le médecin en milieu carcéral : étude comparative France / Angleterre et Pays de Galle, L'Harmattan, coll. Bibliothèques de droit, Paris, 2006, p.16.

* 31 HAYTON Paul, BOYINGTON John, « prisons and health reforms in england and wales », American journal of public health, 10-2006, vol 96, n°10, pp.1730-1733.

* 32 BERNHEIM Jean, « Ethique en milieu pénitentiaire », Médecine et hygiène, 49, 2/10/1991, pp.2494-2501.

* 33 FERON Jean-Marc, « La santé en prison : Santé publique ou ministère de la Justice ? », Santé conjuguée, octobre 2002, n°22, pp.95-96.

* 34 TCHERIATCHOUKINE Jean, Rapport relatif à la prise en charge sanitaire des détenus des pays du sud-Ouest de l'Europe : France, Espagne, Portugal, rapport de l'IGAS, décembre 1993 ; MINISTERE DE LA JUSTICE, Service des affaires européennes et internationales, Etudes sur les prisons en Europe : les droits des détenus et la viabilité du système pénitentiaire : le cas de l'Espagne, Juriscope, 13/06/2007.

* 35 Début 1996, tous les établissements pénitentiaires avaient signé un protocole avec un hôpital de proximité.

* 36 C'est notamment le cas du Dr Gonin exerçant depuis les années soixante, et dont on a cité l'ouvrage à succès précédemment, ou les Dr Espinoza et Emmanuelli, arrivés au cours des années quatre-vingt, qui publièrent de nombreux articles en faveur d'un transfert auprès du ministère de la Santé.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams