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Dynamique professionnelle et transformations de l'action publique. Réformer l'organisation des soins dans les prisons françaises. Les tentatives de spécialisation de la « médecine pénitentiaire » (1970-1994).

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par Eric FARGES
Université Lyon 2 - Sciences Po - THESE EN SCIENCES POLITIQUES 2013
  

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ANNEXE 5 : LA CREATION DU POSTE DE MEDECIN-INSPECTEUR DES PRISONS DANS LE CONTEXTE DE LA GUERRE D'ALGERIE

Les « événements d'Algérie » et les tensions sociales qui leur sont associées achèvent, comme précise Claude Faugeron, la dissociation entre réformateurs « idéalistes » et gestionnaires de la prison1985(*). On assiste tout d'abord à une inversion de tendance de l'évolution du nombre de détenus. Alors que les effectifs avaient chuté, passant de 62.033 détenus en 1946 à 19.540 en 1956, on observe une hausse soudaine, d'abord modérée (elle est de 12% entre 1957 et 1958, passant de 20.231 à 23.360 détenus) puis très accentuée à partir de 1958 où l'on assiste à une augmentation annuelle de 22%. Les mouvements indépendantistes algériens, du Front de libération national (FLN) et du Mouvement national algérien (MNA) dans une moindre mesure, remplissent les prisons. Une multiplication des mutineries en détention s'ensuit. Le FLN dispose alors d'une forte influence au sein des établissements où les détenus algériens se seraient dotés d'une organisation propre en matières sociale et sanitaire, formant une sorte d'« administration parallèle »1986(*). C'est alors que se ressent le besoin de mieux structurer le service de santé aux détenus selon un magistrat alors affecté à la DAP :

« Donc on a été confronté en plus à la nécessité d'organiser en détention des soins. C'était une population beaucoup plus consciente de ses droits que le détenu de base... Bon c'est un peu méchant ce que je vais dire mais le détenu de base, délinquant, il subit la détention alors que les autres en faisaient une arme de combat politique, en disant : "On est malade. Il faut nous soigner. On a des droits". Et à l'époque, il y avait les généraux putschistes des barricades, il y avait des gens qui n'étaient pas des détenus de base comme l'escroc ou le pickpocket, qui eux s'accommodaient des exigences carcérales. Et là, on a vu apparaître des revendications et des exigences de soins [...] Vous avez deux pôles de problèmes qui sont consécutifs à la guerre d'Algérie. Vous avez les problèmes de santé et les problèmes d'éducation. C'est dans le même temps qu'on a vu se développer en détention, les études et notamment les études supérieures. J'ai le souvenir, pour l'avoir organisé, du premier centre universitaire en prison pour des détenus OAS qui étaient en cours d'étude à l'université d'Alger et qui avaient fait le coup de poing des barricades et qui se sont retrouvés à La Santé. Qu'est-ce qu'on fait ? Ces gens-là allaient ressortir. Et c'est pourquoi on avait organisé avec l'Université de Paris un centre d'examen en détention » 1987(*).

Edmond Michelet, ancien directeur de l'Administration pénitentiaire, est nommé garde des Sceaux en janvier 1959. Son passé de déporté l'amène à adopter une politique de détente à l'égard des détenus. « J'aime autant vous prévenir, moi, je suis du côté de ceux qu'on enferme », déclare-t-il alors devant un aréopage de magistrats et de fonctionnaires de la DAP1988(*). Il nomme à la tête de l'Administration pénitentiaire un magistrat réputé pour son libéralisme, ancien déporté de Dachau, Pierre Orvain. Plusieurs assouplissements au régime d'exécution des peines sont adoptés : possibilité de lire la presse et de recevoir des colis de la Croix-Rouge, régime des parloirs. L'Administration engage en 1962 une nouvelle politique en faveur des personnels avec la revalorisation des statuts de surveillants et d'éducateurs. L'innovation la plus importante est l'arrivée d'un personnel extérieur à l'Administration pénitentiaire : les instituteurs, mis à disposition par l'Education nationale1989(*). L'apparition du Juge d'application des peines (JAP) en détention, qu'inaugure le Code de procédure pénale (CPP) de 1958, renforce l'ouverture d'une brèche entre le dedans et le dehors. Désormais, comme le souligne Claude Faugeron, « la ligne de clivage ne passe plus seulement entre l'intérieur et l'extérieur mais, à l'intérieur de la prison, entre personnels à missions différentes »1990(*).

C'est dans ce contexte qu'Edmond Michelet nomme en 1960 Georges Fully, avec lequel il fut déporté à Dachau, en tant que Médecin-inspecteur des prisons françaises, et ce à la demande des Dr A. Marsault et A. Bohn tous deux également anciens de Dachau1991(*). Directement rattaché auprès du DAP, il dispose d'une grande importance. Bien au-delà d'un rôle strict de contrôle, Georges Fully est amené, grâce à ses relations « permanentes et quotidiennes » avec les différents services de l'Administration pénitentiaire, à exercer la fonction d'une « sorte de dirigeant d'un service de santé pénitentiaire devant la plupart des problèmes qui se posent sur le plan médical » selon les termes d'un rapport d'activité de la DAP : «Très rapidement, les services intéressés de l'administration centrale se sont adressés à lui pour l'organisation générale des services médicaux, le recrutement du personnel, les problèmes d'équipement, les questions d'ordre thérapeutique, les transferts pour raison médicale, la mise sur pied des institutions nouvelles (centres médico-psychologiques, établissements pour psychopathes, infirmeries spécialisées) »1992(*). Probablement, parce qu'il fut confronté lui-même à la question de l'incarcération, mais aussi en raison de sa personnalité, Fully s'investit pleinement dans sa nouvelle tâche. C'est ce que rappelle un magistrat l'ayant connu à cette époque :

« Edmond Michelet est le premier garde des Sceaux à s'être vraiment préoccupé de la condition des détenus. C'était un chrétien social, très engagé, très croyant, très engagé sur ce plan-là. Il a eu l'idée de créer ce poste. Il s'agissait, d'une part, de contrôler le fonctionnement, la façon dont étaient dispensés les soins dans les établissements pénitentiaires et aussi en arrière-plan, non avoué à l'époque parce qu'on tâtonnait à peine, de voir comment assurer non seulement la qualité des soins mais un service médical permanant [...] Alors Fully lui, il était sur le terrain. Il allait toujours par monts et par veaux d'abord à mettre en place des services médicaux et infirmiers cohérents et satisfaisants. Sa vision, c'était d'avoir quelque chose le mieux possible et capable de dispenser des soins de qualité. C'était un peu la quadrature du cercle mais il s'y est attaché avec beaucoup de volonté. Et souvent il me disait : "Tout ça c'est du rab". "Du rab par rapport à ce que je n'ai pas eu. J'ai failli y laisser ma peau dans les camps donc... ". Il avait une vie très active. Il faisait le rallye de Monté Carlo, il skiait comme un fou... Et il avait un côté chaleureux et il a rallié à lui tout un groupe de médecins, qui pour certains d'entre eux avaient été prisonniers de guerre, il amené tout un ensemble de médecins. Qui avaient amené peu ou prou la privation de liberté à s'intéresser aux prisons [...] Fully il essayait de convaincre, c'était l'apôtre de l'humanisation des prisons. Il avait un peu cette auréole de son passé. Les gens le connaissaient, le respectaient beaucoup, les Pénitentiaires le respectaient beaucoup. Il avait été jeune résistant, jeune déporté. Ils avaient incontestablement beaucoup de respect pour lui [...] Il était gaulliste. Il était le compagnon de Michelet et c'est ce qui apparaissait en premier. Il avait été mis là par Michelet, puis il a été maintenu [...] Il était très écouté. Il était surtout très en symbiose avec le directeur qui était Schmelck. Ils étaient très proches, même sur le plan personnel. Ils chassaient ensemble. Ils étaient très sportifs. Ils allaient tous les deux à la chasse au sanglier » 1993(*).

Hostile à la création d'établissements spécialisés (il s'oppose au centre antialcoolique créé à Lyon en 19581994(*)), Georges Fully désire avant tout mieux doter les infirmeries pénitentiaires et former un corps de médecins pénitentiaires. Outre une revalorisation de leurs émoluments, il tente de donner vie à une nouvelle spécialité médicale par le biais de publications scientifiques ou de journées d'études1995(*). Il se rapproche pour cela de l'école de criminologie lyonnaise composée notamment de médecins-légistes. Fully est alors proche du Pr Marcel Colin, qui dirige la chaire de psychiatrie à Lyon où il a réussi à crééer un service de santé à Lyon relativement bien intégré au service hospitalo-universitaire. Le Médecin-inspecteur partage avec celui-ci un même souci pour la question de l'enfermement1996(*). Le Dr Gonin des prisons de Lyon décrit leur engagement commun durant la guerre d'Algérie :

« Le Pr Colin a fait partie du mouvement de résistance « Témoignage chrétien ». Diffusion de journaux. C'était en 44. Il a connu Fully qui a été déporté à dix-sept ans qui était inspecteur général de l'Administration pénitentiaire [...] Colin et Fully avaient été envoyés en mission dans les prisons algériennes pour constater les exactions. Du coup, ils ont été aussi voir les détenus FLN ou MNA qui étaient incarcérés à Saint-Paul. Ils étaient autour de 150 à ce moment-là. Ils sont arrivés en prison au moment du conflit algérien. On ne peut pas dire qu'ils étaient pour le FLN mais ils n'étaient pas pour ceux qui maintenaient la présence française en Algérie. Donc il y a eu aussi des sympathisants ou des amis qui eux sympathisaient ou protégeaient le FLN. A ce moment-là, on a vu, moi je n'y étais pas, on a vu l'état des prisons, en particulier lyonnaises. Fully qui était sensibilisé à la détention ne pouvait pas supporter l'état des prisons à ce moment-là [...] Il n'était pas médecin légiste mais était intéressé par la médecine légale. Il n'a jamais fait d'autopsie. Il n'a pas eu la formation que nous avons tous eu, classique. Sa formation a plus été une formation psycho-sociale, politique aussi. Dans le sens de la gauche, résistant, voulant une démocratie active. Je ne crois pas qu'il était dans un parti »1997(*).

En dépit de son volontarisme, l'action de Georges Fully se heurte au peu de moyens mis à sa disposition. En témoignent les courriers au ton alamiste par lesquels le Médecin-inspecteur relaie les doléances des soignants en haut lieu. « La situation actuelle devient de plus en plus difficile et peut être considérée sans exagération comme dramatique », relève Georges Fully dans une note au DAP pour le budget de 19671998(*). Transmettant la lettre de démission de l'infirmière-chef de l'Hôpital de Fresnes (« Ma vie familiale étant incompatible avec les 11 ou 12 heures de présence à l'hôpital, je vous donne, et cette fois irrévocablement, ma démission »1999(*)) et la lettre de plainte de son médecin-chef (« Voilà quinze jours nous avons eu une chaude alerte avec le réveil d'un opéré non surveillé par manque de personnel. C'est miracle que l'anesthésiste et le chirurgien aient récupéré ce malade »2000(*)), le Médecin-inspecteur met en avant tout son poids afin d'obtenir davantage de moyens :

« Nous allons au-devant de catastrophes si des mesures ne sont pas prises d'urgence. Ces lenteurs administratives deviennent intolérables et si l'urgence du problème médical n'est pas enfin comprise il faut accepter l'éventualité de conséquences aussi inévitables que tragiques [...] Je ne dispose personnellement d'aucun pourvoir de décision et d'aucun moyen d'exécution. Le découragement a cette fois gagné tout le personnel médical, y compris moi-même »2001(*).

Bien que disposant d'une autorité morale certaine au sein de l'Administration pénitentiaire, Georges Fully semble avoir été confronté au manque de moyens mis à sa disposition. D'autre part, ne disposant pas d'importantes ressources dans le secteur médical et universitaire, il échoue, contrairement à celle qui lui succède, Solange Troisier, à doter la médecine pénitentiaire d'une véritable reconnaissance en tant que spécialité médicale.

* 1985 FAUGERON Claude, « De la Libération à la guerre d'Algérie...», art.cit., p.315.

* 1986 FAUGERON Claude, LE BOULAIRE Jean-Michel, « La création du service social... », art.cit., p.354.

* 1987 Yvan Zakine, magistrat affecté à la DAP de 1962 à 1970 puis directeur de la DAP de 1981 à 1983. Entretien réalisé le 20/03/2008. Durée : 3H00.

* 1988 SCHMELCK Robert, « Evolution de la politique pénale et pénitentiaire », Gazette du Palais, 28-30 octobre 1979, cité in FAVARD Jean, Des prisons, op.cit.,p.17.

* 1989 FAUGERON Claude, « Les prisons de la Vème République : à la recherche d'une politique », art.cit. p.322.

* 1990 Ibid., pp.327-328

* 1991 Georges Fully (1926-1973) né à Saint-Etienne est arrêté en janvier 1944 pour des faits de résistance. Il est déporté en juillet 1944 à Dachau où il sauve Edmond Michelet du typhus. A son retour, avec l'aide du Dr Léon Dérobert à qui il fut recommandé, Fully réalise ses études de médecine à Paris. Il effectue en 1954 dans le cadre de la Fédération des anciens combattants la reconnaissance de corps au sein des camps de concentration, sujet auquel il consacre sa thèse en 1955 sous la direction du Pr Piedelièvre. Après sa nomination en tant que médecin-inspecteur, il délaisse le domaine de la médecine légale où il avait publié plusieurs articles remarqués (notamment en élaborant une méthode de reconstitution du squelette avec le Dr Perdrot) pour se consacrer à la « médecine pénitentiaire » (STEWARD T.D., « A tribute to the French Forensic Anthropologist Georges Fully (1926-1973) », Journal of Forensic Science, octobre 1979, vol.24, n°4, pp.916-924).

* 1992 DAP, Rapport général pour l'année 1965 (extraits), dans RPDP, 10-12/1966, p.691.

* 1993 Yvan Zakine, magistrat affecté à la DAP de 1962 à 1970 puis directeur de la DAP de 1981 à 1983. Entretien réalisé le 20/03/2008. Durée : 3H00.

* 1994 FULLY Georges, « Les problèmes posés par les alcooliques en prison », RPDP, 07-09/1966, p.420.

* 1995 Georges Fully fut à l'origine de quatres « journées d'études » consacrées à la médecine pénitentiaire : en 1963 à Paris, en 1968 à Fleury-Mérogis, en 1970 à Marseille et en 1972 à Strasbourg.

* 1996 Cf. Encadré : « L'intégration de la psychiatrie pénitentiaire dans le champ hospitalo-universitaire : l'exemple lyonnais ».

* 1997 Daniel Gonin, psychiatre travaillant comme généraliste à la M.A de Lyon de 1962 à 1989. Entretiens réalisés les 25/02/2008, 10/03/2008, 26/03/2008. Durées : 2H ; 2H ; 2H.

* 1998 Note de Georges Fully au DAP pour le « projet de budget 1967 »  datée du 10/02/1966 (CAC.19960279, art. 112 (E4580). M11. Personnel sanitaire)

* 1999 Lettre de démission de Mme Pelou, infirmière-chef de l'Hôpital de Fresnes, datée du 17 mars 1966 (CAC.19960279, art. 112 (E4580). M11).

* 2000 Lettre du Dr Petit à Georges Fully datée du 28 mars 1966 (CAC.19960279, art. 112 (E4580). M11).

* 2001 Lettre de G. Fully au DAP datée du 31/03/1966. CAC.19960279, art. 112 (E4580).

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