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Dynamique professionnelle et transformations de l'action publique. Réformer l'organisation des soins dans les prisons françaises. Les tentatives de spécialisation de la « médecine pénitentiaire » (1970-1994).

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par Eric FARGES
Université Lyon 2 - Sciences Po - THESE EN SCIENCES POLITIQUES 2013
  

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ANNEXE 19 : L'OBSTACLE RÉCURRENT DE LA RÉMUNÉRATION DANS LE PROJET DE LA CRÉATION D'UN CORPS DES SOIGNANTS PÉNITENTIAIRES

Dès la Libération, l'Administration se heurte à de fortes contraintes budgétaires dans sa tentative de constituer un corps médical pénitentiaire. La faiblesse des rémunérations est notamment à l'origine de « grandes difficultés dans le recrutement des infirmières »2138(*), dont le nombre évolue peu (soixante sept contractuelles en 1958 contre trente en 1946)2139(*). Le ministère de la Justice a alors largement recours aux infirmières vacataires de la Croix Rouge (deux cent une en 1950). La difficulté à embaucher des infirmières pénitentiaires s'aggrave durant les années soixante comme en atteste le rapport d'activité de 1965 : « Le recrutement de ces personnels souffre énormément des conditions pécuniaires qui leur sont offertes, surtout lorsqu'on les compare à celles en vigueur dans le secteur public ou semi-public. C'est ainsi qu'une dizaine de postes n'ont pas pu être pourvus faute de candidats »2140(*).

Aux problèmes de recrutement s'ajoutent plusieurs démissions d'infirmières mécontentes aussi bien de leur salaire que de leurs conditions de travail2141(*). Dans une lettre adressée au Médecin-inspecteur, le médecin-chef de l'Hôpital de Fresnes souligne les répercussions du sous-effectif au sein de ses services : « Mme Bienvenu, notre panseuse offre également sa démission car elle ne peut faire face seule aux exigences des chirurgiens en salle d'opération [...] Voilà quinze jours nous avons eu une chaude alerte avec le réveil d'un opéré non surveillé par manque de personnel. C'est un miracle que l'anesthésiste et le chirurgien aient récupéré ce malade [...] Toutes ces doléances revêtent à mes yeux une importance telle que si satisfaction ne m'était pas donnée je me verrais contraint d'abandonner moi-même la direction des services »2142(*). Pour faire face au manque de personnel, la DAP est une fois de plus contrainte de recourir aux services de la Croix-Rouge française qui facture ses prestations de façon beaucoup plus onéreuse2143(*). Le ministère de la Justice envisage alors, d'une part, d'assimiler les infirmières pénitentiaires, jusque-là considérées comme celles de dispensaires, à celles employées dans les établissements hospitaliers et, d'autre part, d'obtenir la création du grade d'infirmière-chef.

Le problème touche avec autant d'acuité les médecins pénitentiaires qui, par la voix de leur syndicat, conteste et fait annuler, par un recours auprès du Conseil d'Etat, certaines dispositions de l'arrêté du 31 janvier 1962 fixant le prix des rémunérations allouées aux praticiens. Constatant le « malaise ressenti par le corps médical », l'Administration remarque que « les rémunérations allouées aux praticiens demeurent très insuffisantes et il n'a pu, cette année encore, être procédé qu'à des réajustements de détail en faveur des médecins les moins favorisés »2144(*). Les rapports d'activité confirment l'importance que les services pénitentiaires consacrent aux questions de la rémunération et du sous-effectif : « L'effectif du personnel sanitaire doit être augmenté rapidement et ce personnel doit bénéficier d'un statut comparable à celui existant dans les autres formations sanitaires nationales. Si ces conditions ne sont pas remplies, le service de santé des prisons va au devant d'une crise grave qu'il faut éviter à tout prix sous peine de porter atteinte à l'esprit même de la réforme pénitentiaire »2145(*). Le ton alarmiste des notes adressées par le Médecin-inspecteur à sa hiérarchie témoigne également de la mesure du problème :

« La situation actuelle devient de plus en plus difficile et peut être considérée sans exagération comme dramatique. La pénurie de nos moyens actuels, tant en ce qui concerne la rémunération du personnel médical que l'augmentation en nombre du personnel infirmier est telle que les soins sont difficilement assurés et que la vie même des détenus est en danger dans certains cas. De plus, le mécontentement qui existe déjà depuis longtemps chez les médecins pénitentiaires va grandissant. Le rythme des démissions s'accroît, le recrutement est très difficile et il n'est pas exclu de penser à un prochain mouvement revendicatif qui pourrait se faire sous la forme d'une grève des soins »2146(*).

En dépit de ces alertes, la rémunération des médecins évolue peu puisque l'arrêté du 31/01/1962 susmentionné n'est modifié qu'en 1974 (arrêté du 1/02/1974), date à laquelle le prix des vacations est aligné sur celui des médecins des services de prévention auquel se réfèrent les autres administrations pour des activités relevant de la médecine du travail2147(*). Malgré deux nouvelles revalorisations (arrêtés du 1/09/1975, 20/10/1977), les difficultés de recrutement persistent, comme le constate une note de l'Administration pénitentiaire qui envisage de réformer leur mode de traitement : « Si la revalorisation périodique constitue un progrès sensible, il n'en demeure pas moins vrai que les taux actuellement en vigueur sont nettement insuffisants compte tenu de l'importance des tâches qui sont dévolues aux médecins en milieu pénitentiaire. [...] Il est donc de la plus haute importance que soit revalorisée leur rémunération en s'orientant vers la mise en place d'une nouvelle échelle de tarifs applicables à une médecine de soins et non plus préventive »2148(*).

Les autres professions médicales demeurent largement sous-payées comme le souligne une thèse de médecine carcérale. Les pharmaciens touchent une « indemnité forfaitaire annuelle dérisoire » comprise entre 1.500 et 3.100 francs par an, somme revalorisée de 65% en 19782149(*). Les chirurgiens-dentistes, payés selon un mode très complexe, « font presque du bénévolat »2150(*). Malgré une revalorisation de 46% en 1973, les internes de première et de deuxième année perçoivent 1.960 francs par mois pour 140 heures, soit un salaire horaire de 13,80 francs de l'heure (contre 16 francs pour une femme de ménage à la même époque). Enfin, les infirmières pénitentiaires titulaires ont un salaire de 2.795 F par mois pour un temps plein, demeurant sous-payées de 30 à 40% par rapport à leurs collègues hospitalières2151(*) ce qui explique en partie que le nombre de postes vacants passe de quinze en 1973 (sur cent quatre postes) à trente cinq en 1975 (sur cent dix-huit postes)2152(*). Le sous-effectif constant s'explique essentiellement par les mauvaises conditions de travail du personnel infirmier (contraintes pénitentiaires, charge de travail considérable, absence de collègues, peu de contacts avec le médecin) qui se traduisent par de nombreuses démissions : « Le recrutement des infirmières est sans doute l'un des plus difficiles à résoudre pour l'administration pénitentiaire. Normalement le recrutement se fait par concours [...] Mais en 1975 seulement trois postes ont été pourvus de cette façon alors que la même année 23 infirmières ont cessé leur fonction dont 18 par démission »2153(*).

Le nombre d'infirmières cessant leur fonction (pour cause de démission, départ à la retraite ou décès) est en effet loin d'être compensé par le recrutement interne ou externe, comme en témoigne la comparaison, chaque année, du nombre de départs et d'embauches : on compte en 1975, quatre recrutements contre quinze départs ; en 1976, quatorze embauches contre vingt-trois départs ; en 1977, dix recrutements contre quinze démissions; vingt-et-une démissions contre zéro embauche en 1978 où le concours n'a pas lieu ; en 1979, seize recrutements contre trente-deux départs ; en 1979, treize embauches contre vingt-et-une démissions2154(*). Pour pallier les difficultés de recrutement, l'Administration a largement recours aux infirmières de la Croix-Rouge (cent quarante trois en 1975) dans les établissements trop petits pour employer du personnel à plein temps ainsi qu'à l'Assistance publique qui accepte de détacher des infirmières à l'Hôpital de Fresnes. Les difficiles conditions de travail et la faiblesse des rémunérations au regard du monde extérieur expliquent alors largement que, comme le remarque un médecin, le personnel sanitaire travaillant en prison « a souvent l'impression que l'Administration Pénitentiaire se moque de lui »2155(*).

* 2138 « Conseil Supérieur de l'Administration Pénitentiaire », dans RPDP, 04-05-06/1948, p.158.

* 2139 FAUGERON Claude, LE BOULAIRE Jean-Michel, « La création du service social des prisons...», art.cit., p.355.

* 2140 DAP, « Rapport général pour l'année 1965 », art.cit., p.789.

* 2141 Cf. Lettre de démission de Mme Pelou, infirmière-chef au Médecin-inspecteur G. Fully, 17/03/1966 (CAC. 19960136. Art. 112. (E4580). M 11 : Personnel sanitaire)

* 2142 Lettre du Dr Petit au Médecin-inspecteur G. Fully, 28/03/1966 (CAC. 19960136. Art. 112. M 11).

* 2143 DAP, « Rapport général pour l'année 1965 », art.cit., p.789.

* 2144 DAP, « Rapport général pour l'année 1964 », art.cit., p.586.

* 2145 DAP, « Rapport général pour l'année 1965 », art.cit.., p.692.

* 2146 Note du Médecin-inspecteur, Georges Fully, au directeur de l'Administration pénitentiaire pour le « projet de budget 1967 », 10/02/1966 (CAC. 19960136. Art. 112. M 11).

* 2147 Bureau des méthodes et de la réglementation, « Note sur la situation sanitaire dans les établissements pénitentiaires », 05/1976, 17 pages (CAC. 19960136. Art. 112 M 0 : Généralités).

* 2148 Bureau des méthodes et de la réglementation, « Note sur la situation sanitaire... ». Document cité.

* 2149 SCHMITT Jean-Noël, La médecine carcérale, op.cit., p.121.

* 2150 Ibidem, p.119.

* 2151 LIVROZET Serge, Aujourd'hui, la prison, op.cit, p.158.

* 2152 DAP, « Note sur l'organisation des services médicaux en prison à l'attention de M. Darmon, Conseiller technique auprès du garde des Sceaux en vue de l'entretien avec le Dr Petit », 1/10/1973 (19960136. Art. 112. (E4580). M1 : Organisation sanitaire).

* 2153 ALOZY, « Attestation d'études relatives à la médecine pénitentiaire », Paris VII, 1978. Cité dans SCHMITT Jean-Noël, La médecine carcérale, op.cit., p.113

* 2154 On renvoie ici aux rapports d'activités de l'Administration pénitentiaire consultés à la bibliothèque de la DAP.

* 2155 SCHMITT Jean-Noël, La médecine carcérale, op.cit., p.126.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein