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Multi ethnicité et refondation des nations démocratiques en Afrique noire. Perspective d'un humanisme de la diversité.

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par Essodina BAMAZE Nà¢â‚¬â„¢GANI
Université de Lomé - Master II en Philosophie politique et du droit 2015
  

Disponible en mode multipage

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    UNIVERSITÉ DE LOMÉ

    FACULTÉ DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES
    DÉPARTEMENT DE PHILOSOPHIE

    LABORATOIRE D'ANALYSE DES MUTATIONS POLITICO-JURIDIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES (LAMPES)

    MULTIETHNICITÉ ET REFONDATION DES NATIONS
    DÉMOCRATIQUES EN AFRIQUE NOIRE : PERSPECTIVE D'UN
    HUMANISME DE LA DIVERSITÉ

    Mémoire : /SHS en vue de l'obtention du

    Grade de master recherche

    Domaine : Sciences de l'homme et de la société Mention : Philosophie

    Spécialité : Philosophie politique et du droit

    Présenté par :

    BAMAZE N'GANI Essodina

    Sous la direction de :

    M. BROOHM Nicoué Octave, Maître de Conférences

    Décembre 2015

    1

    MULTIETHNICITÉ ET REFONDATION DES NATIONS
    DÉMOCRATIQUES EN AFRIQUE NOIRE : PERSPECTIVE D'UN
    HUMANISME DE LA DIVERSITÉ

    2

    DÉDICACE

    À mon Père, BAMAZE N'GANI Maherkaya, et ma Mère, MONA Lékéhéda, qui ont eu foi en cette institution qu'est l'Université.

    3

    REMERCIEMENTS

    Nous tenons à remercier toutes les personnes qui, placées sur notre chemin, ont contribué de près ou de loin à l'accomplissement de ce mémoire.

    Nous tenons à remercier spécialement, Monsieur Octave Nicoué BROOHM, qui a accepté d'être notre directeur de mémoire et qui tout au long de la réalisation de ce travail a été d'une aide inestimable par ses conseils éclairés et avisés.

    Notre profonde gratitude pour la réalisation de ce mémoire va à Monsieur Bantchin NAPAKOU dont l'entière disponibilité et les recommandations nous ont permis de réaliser ce travail a priori très exigeant.

    Nous adressons également des remerciements à tous les responsables, de même que tous les enseignants-chercheurs du Laboratoire d'Analyse des Mutations Politico-juridiques, Économiques et Sociales (LAMPES).

    Nos remerciements vont ensuite :

    À notre Grand frère, Eyaba GNASSINGBE, qui s'est investi pour notre inscription en Master ;

    À notre Grand frère, Kassalo BAMAZI, pour son soutien financier ;

    À nos soeurs cadettes, Essozimina BAMAZE N'GANI et Akla-Esso BAMAZE N'GANI, pour leur encouragement et leur soutien moral ;

    À toutes les personnes que nous avons été amené à rencontrer pour leur contribution directe à l'accomplissement de ce mémoire. Nous remercions particulièrement Monsieur Ekoué FOLIKOUE, Monsieur Essohanam BATCHANA pour leur apport documentaire et Monsieur Kofi Adjété Da SILVEIRA pour ses orientations et ses conseils durant tout ce parcours universitaire ;

    À Monsieur Yawo AMEWU ;

    À tous nos amis, nos camarades et nos proches qui nous ont tous de manière indéfectible toujours soutenu et encouragé durant ces deux années du parcours Master.

    4

    SOMMAIRE

    Pages

    Introduction générale 6

    PREMIÈRE PARTIE : De la multiethnicité à la crise de l'État-nation

    démocratique en Afrique noire . 16
    Chapitre I : Problématique de l'ethnicité en Afrique

    noire . 18
    Chapitre II : De la crise de l'État-nation africain à la politique des identités

    ethniques 42 DEUXIÈME PARTIE : Refondation de l'État-nation démocratique en Afrique

    noire à la lumière d'un humanisme de la diversité 62
    Chapitre III : De la problématique de la diversité à un humanisme de la

    diversité 64
    Chapitre IV : Humanisme de la diversité et reconstruction des nations

    démocratiques en Afrique noire 99

    Conclusion générale .. 119

    Bibliographie . 127

    Index

    Table des matières

    137

    139

    5

    « Profondément divisés qu'ils sont par des désaccords qu'il serait exclu de prétendre résorber, ils découvrent ou découvriront progressivement, en Afrique du Sud, au Rwanda ou ailleurs, qu'il peut exister néanmoins entre eux un terrain d'entente, précisément sur les principes d'une gestion de la diversité qui soit suffisamment tolérante et respectueuse du pluralisme ».

    A. Renaut, Quelle éthique pour nos démocraties ?, Paris, Buchet/Chastel, 2011, p. 51.

    6

    INTRODUCTION GÉNÉRALE

    7

    Tout État se veut une synthèse visant à concilier unité et diversité. À titre d'illustration, l'article 2 de la Constitution française dispose que « la France est une République indivisible ». Dans ce sens, l'article premier de la Constitution de la République du Congo stipule : « La République du Congo est un État souverain, indivisible (...) ». Même son de cloche au Togo où l'article premier de la Constitution dispose que « La République Togolaise (...) est une et indivisible ». À partir de ces exemples, on peut conclure que la Constitution de chaque État consacre la prépondérance du principe unitaire et le sentiment d'unité nationale s'est toujours inscrit dans ce cadre « indivisible ». Mais si constitutionnellement les États africains apparaissent régis par ce principe unitaire, il n'en demeure pas moins vrai que ce principe se trouve mis à rudes épreuves dans la réalité. Le constat paraît moins réfutable puisque la construction des États-nations africains se nourrit toujours du syndrome de l'identitarisme lié à une multiplication des mobilisations ethniques. Par exemple, le passage du monopartisme au pluralisme politique sera marqué du sceau de l' « ethnocentrisme partisan1 », socle des affrontements entre différents groupes ethniques mettant de côté l'intérêt général, le bien commun, gage de la démocratie. Sur ce point, la composition des partis politiques au Congo nous en donne une illustration convaincante : tandis que l'ancien Parti unique, le Parti Congolais du Travail (PCT dont le fondateur était du Nord-Congo) se constituait pour l'essentiel des populations issues des ethnies du Nord-Congo, le Mouvement Congolais pour la Démocratie et le développement Intégral (MCDDI) et l'Union Panafricaine pour la Démocratie Sociale (UPADS), dont les fondateurs étaient du Sud-Congo, se partageaient les populations issues des ethnies du Sud-Congo2.

    Les implications directes de cette « imposture ethnocentriste3 » en sont depuis toujours les processus de « purification ethnique » qui essaiment le continent noir en donnant du crédit aux thèses affirmant l'attachement de l'individu à sa communauté « primordiale » comme une marque distinctive de la tradition africaine. Une brève analyse des débats suscités par cette expression politique des appartenances ethniques laisse entrevoir la complexité de la cohésion démocratique qui passe pour

    1 Nous empruntons cette expression à cette C. Z. Bowao, L'imposture ethnocentriste. Plaidoyer pour une argumentation éthique du politique, Brazzaville, les Éditions Hemar, 2014, p. 26.

    2 C. Z. Bowao, Ibid., p. 48.

    3 L'expression est de C. Z. Bowao, Ibid.

    8

    un problème crucial (au sein des États africains) avec surtout en amont la persistance des identitarismes ethniques. Cette complexité appelle des clarifications et de nouvelles représentations théoriques. Et dans la foulée, il faudrait, au regard de la politique des États africains jouant essentiellement sur des appartenances ethniques dans l'exercice du pouvoir politique, dire un mot sur ce qu'on entend par « ethnicité ».

    Notion récurrente à travers l'analyse de la réalité politique africaine, l'ethnicité est aujourd'hui soumise à de multiples interprétations. Elle est abordée dans une perspective double : une perspective psychologique et une perspective anthropologique. La perspective psychologique est celle qui met la « conscience » au fondement de l'expression du sentiment d'appartenir à un groupe humain distinct des autres. Elle se comprend plus amplement en se rapportant aux peuples « Hutu » et « Tutsi » ; deux peuples parfaitement homogènes aux plans linguistique et culturel et dont le conflit n'a cessé et ne cesse encore de faire écho. Dans ce sens, l'ethnicité qui détermine lourdement les choix politiques est compréhensible au niveau de l'imaginaire collectif. La perspective anthropologique, est celle qui articule l'ethnicité autour d'un référentiel commun fondé sur des critères « naturels » réels (liens de sang, appartenance à une même origine historique). L'analyse de ces deux perspectives suggère que l'ethnicité est quelque chose de fluctuant, c'est-à-dire mouvant. En considérant son impact aussi bien sur l'organisation sociale et politique que sur les imaginaires et les comportements en Afrique noire, l'ethnicité peut se rapporter à « la conscience d'appartenir à un groupe humain différent des autres et de le revendiquer4 ». Considérée comme telle, l'ethnicité reste en liaison étroite avec le concept d'ethnie. Puisque toutes les controverses introduites par la place de l'ethnicité dans la construction des États-nations démocratiques en Afrique noire ne se comprennent que par rapport à une gestion « défectueuse » de la diversité ethnique.

    En ce sens, ce qui explique la peine éprouvée aujourd'hui à édifier la démocratie en Afrique noire réside dans la difficulté de concilier la diversité ethnique des États-nations comme un « fait », avec la promotion de la diversité comme une

    4 R. Otayek, « L'Afrique au prisme de l'ethnicité : perception française et actualité du débat », Revue internationale et stratégique, n° 43, Paris, 2001, p. 129.

    9

    « valeur », c'est-à-dire comme une nouvelle clé de justification apportée au point de vue cohésion démocratique par la nécessité d'une politique managériale des différences ethniques. En réalité, pendant longtemps, la construction des nations africaines s'est opérée à travers un « dépassement ethnique », ou encore une abstraction des appartenances ethniques. Or, lorsqu'on tente de cerner la logique qui conduit à l'expression politique des identités ethniques, un élément de réponse non moins douteux réside dans la pérennisation de cette conscience collective dans la mentalité africaine depuis l'époque coloniale. Pérennisation et même survalorisation5 dont l'impact sur la vie politique en Afrique noire ne saurait faire économie de la réflexion. En réalité, au lieu d'être un simple qualificatif des groupes, l'ethnie sera l'occasion de divisions, de revendications antagonistes et, de facto, l'occasion d'une expression des replis identitaires entravant de tout bord l'émergence d'un sentiment d'appartenance nationale. N'en serviraient ici pour preuves que les multiples conflits à vocation ethnique6 dont la récurrence et l'existence à foison dans les États africains font de l'Afrique noire aujourd'hui le lieu idéal pour affronter les multiples difficultés issues de l'ambiguïté qui s'attache fondamentalement aux notions d'ethnie (ou d'ethnicité), de nation, d'État-nation et de démocratie. Tout y concourt : le désajustement entre la forme d'État-nation et le sentiment d'appartenance communautaire, la multiplication de ces revendications à forte résonance ethnique se réclamant d'une marginalisation par les pouvoirs en place, la désarticulation entre valeurs africaines et valeurs occidentales. Tous ces facteurs ont remis au goût du jour, la nécessité d'une refondation de l'État-nation démocratique en Afrique noire.

    Dans cet esprit, une position dominante est celle qui plaide pour une politique revalorisant les différences ethniques. Sous sa forme initiale, la politique des différences ethniques a pour ambition de mettre fin aux logiques mobilisatrices et calculatrices des identités ethniques en institutionnalisant les différences ethniques au plan juridique. En témoigne sur ce point le concept de « justice ethnique » à travers lequel Mbonda précise qu'

    5 Par survalorisation nous ne nous référons pas seulement aux populations et hommes politiques qui trouvent un prétexte pour se conserver au pouvoir, un ressourcement aux multiples revendications mais aussi aux intellectuels qui en font une spécificité des États africains.

    6 Nous pensons essentiellement aux violences ethniques qui suivirent les élections du 27 décembre 2008 au Kenya et qui ont fait d'après les estimations 3500 blessés, environ 350000 déplacés et plus de 1200 morts.

    10

    il s'agit de montrer que la forme de justice qui pourrait rendre possible une coexistence pacifique des entités ethniques composant les sociétés africaines doit pouvoir commencer par « prendre l'ethnicité au sérieux » en prenant la bonne mesure de sa signification politique (...)7.

    Mbonda qui défendait cette position avait en vue l'institutionnalisation de l'ethnicité comme facteur de paix dans les sociétés multiethniques d'Afrique. La politique des différences ethniques entend désormais parler au nom des différents groupes ethniques marginalisés qu'elle présente comme des nations à part entière au sein d'un même espace sociopolitique. Cette tendance se trouve renforcée par un discours sur la justice, qui suit la perspective d'une refondation des nations démocratiques en revalorisant de plus en plus l'appartenance à une communauté ethnique comme seul gage du lien social et politique en Afrique noire. Cette nouvelle orientation de la justice est celle qui se fonde sur les quotas ethniques. D'où le recours à la politique des quotas ethniques. Satisfaisant de ce point de vue, ce modèle ne semble néanmoins pas exempt de critiques.

    En réalité, la politique des différences ethniques pouvait passer autrefois pour un antidote aux dérives unitaires de l'État-nation africain. Mais aujourd'hui l'évidence qui se fait jour est que cette politique réintroduit de nouveaux problèmes plutôt que de résoudre ceux déjà existants. Par exemple, à travers l'idéal diffusé par la justice ethnique, toutes les démarches politiques et intellectuelles tendent vers le rejet de l'État-nation, présenté comme une réalité exogène à l'Afrique, au profit d'une distinction tranchée entre « nation ethnique » et « nation civique ». Or, pareille distinction contient le risque d'une fragmentation de la souveraineté étatique et celle de la société en différents groupes ethnoculturels incapables de réaliser une solidarité transcommunautaire. Du coup, une lecture différentialiste du lien social et politique dans les États africains comporte des limites. Ainsi donc, loin de prétendre à l'exhaustivité dans l'analyse de la situation démocratique actuelle en apportant une solution claire et distincte, les bouleversements actuels dans les États africains multiethniques permettent d'envisager la notion de « justice ethnique » de manière critique.

    7 E.-M. Mbonda, «La « justice ethnique » comme fondement de la paix dans les sociétés pluriethniques. Le cas de l'Afrique.», in J. Boulad-Ayoub et L. Bonneville (dir.), Souveraineté en crise, Québec, L'Harmattan et Les Presses de l'Université Laval, 2003, p. 27.

    11

    Dans une certaine mesure, plaider pour une prise en compte institutionnelle de l'ethnicité dans les États africains, fait preuve de l'impossibilité d'une entente transcommunautaire. En ce sens, se sentir toujours « Hutu » sans aucune possibilité de transcender ce sentiment au plan politique ne permet pas d'envisager une identité civique en tant que cette dernière repose sur le respect des valeurs étatiques situées au-delà des valeurs communautaires. D'ailleurs, un enracinement communautaire de ce genre réintroduit sur le chantier de la réflexion la question consistant à nous demander « si nous pouvons, d'une façon générale, transcender le contexte de la langue et de la culture ou si tous les critères de rationalité restent attachés à des visions du monde et à des traditions déterminées8 ».

    Dans ce cas, si l'on convient qu'il faut institutionnaliser l'ethnicité, avec pour souci qu'une telle institutionnalisation éviterait des heurts, l'on nous saura gré de reconnaître que pareille valorisation institutionnelle de l'ethnicité n'éloigne pas de la déchirure du tissu social. Puisque, dans les États qui ont fondé l'intégration politique sur le partage des principaux postes gouvernementaux entre les différentes composantes ethniques, on n'a pas véritablement abouti au résultat escompté en raison de la persistance de conflits interculturels. Sur ce point, le constat de Dahl se paye d'une attention particulière : « Les compromis les plus ingénieux, qui avaient provisoirement apporté la stabilité au Liban, au Nigéria et au Sri Lanka, n'ont pas résisté à la violence des conflits ethniques ni pu éviter que ces pays connaissent la guerre civile ou l'instauration d'un régime autoritaire9 ».

    En d'autres termes, la politique des quotas ethniques, parce qu'elle ne garantit pas les conditions d'un véritable « interchange » ethnique, compromet à la fois le lien social et politique. Ceci nous invite à repenser les conditions d'un véritable décloisonnement des identités ethniques en Afrique noire. Par où l'on voit se spécifier l'éventualité qu'il faut recourir à un « humanisme de la diversité » compris comme l'exigence de synthèse entre l'affirmation communautaire particularisante et la quête de l'universel. En se fondant sur la nécessité d'une « décolonisation des identités » et sur un « universalisme ouvert à la diversité », Renaut s'investit tout particulièrement dans la promotion de la diversité comme valeur à travers

    8 J. Habermas, L'intégration républicaine. Essais de théorie politique, Paris, Fayard, 1998, p. 217.

    9 R. Dahl, De la démocratie, Chicago, Nouveaux Horizons, 1998, p. 189.

    12

    l'humanisme de la diversité : placé au carrefour des revendications particularistes et la nécessité de sauvegarder l'universel, il affirme l'urgence d'un dépassement de l'universalisme dogmatique et celui du différentialisme radical au profit d' « une pensée de l'universel ouvert à la diversité10 » ; laquelle pensée de l'universel s'articule, dans le cadre de ses analyses, autour d'une forme de justice se fermant à la politique des quotas11. Et c'est en cela, qu'il nous livre la clé de la problématique contemporaine du « savoir-vivre au pluriel12 » des différentes ethnies composant les États-nations africains. De là procède au fond le choix du thème intitulé : « Multiethnicité et refondation des nations démocratiques en Afrique noire : perspective d'un humanisme de la diversité ».

    Le choix de ce thème a pour préoccupation fondamentale de sortir l'État-nation africain des particularismes ethniques, en tant que donnant lieu à des traitements idéologiques, pour l'inscrire dans le registre d'une véritable intégration politique. Mieux dit, il sera question de promouvoir la perspective d'une conciliation de la diversité des intérêts particularistes avec l'unité de la loi. Dans ce sens, une interrogation majeure se dégage : comment promouvoir la diversité ethnique sans compromettre l'idéal de cohésion démocratique en Afrique noire ?

    Le moins que l'on doive accorder à cette interrogation est qu'elle nous invite, en tout état de cause, à questionner à nouveau certaines représentations les plus solidement établies de notre tradition politique. C'est plus particulièrement évident en Afrique noire, où l'interprétation dominante du principe politique de l'unité s'est exprimée, par l'intermédiaire de l'héritage politique colonial, sous la forme de l'idéal de l'unité nationale. Pierre angulaire de notre univers politique, cet idéal, que personne ne songerait à remettre en question comme tel, a engendré la suppression du pluralisme politique. Mais avec le vent démocratique qui souffle sur le continent noir au début des années mille neuf cent quatre-vingt-dix, la question de l'unité nationale pose la formule de l'irréductibilité et l'immuabilité des « ethnicités

    10 A. Renaut, Un humanisme de la diversité. Essai sur la décolonisation des identités, Paris, Flammarion, 2009, p. 372.

    11 Il s'agit de la « justice compensatrice » qu'il développe amplement dans son ouvrage Égalité et discriminations, Paris, Seuil, 2007.

    12 Nous reprenons l'expression de F. Constant, Le multiculturalisme, Paris, Dominos-Flammarion, 2000, p. 89.

    13

    africaines » comme un défi à la construction nationale. Or, à l'analyse, même dans les « démocraties les mieux réussies13 », il n'existe pas d'État-nation parfaitement homogène au plan ethnique ou culturel. Au constat de cette analyse, il faudra alors s'interroger : qu'est-ce qui justifie l'échec de l'État-nation en Afrique noire ? Quel modèle théorique pourrait éclairer ce débat et le guider vers la réalisation d'une liberté civique en Afrique noire ? Mieux encore : comment penser et pratiquer la cohabitation, au sein d'un même État-nation africain, de plusieurs identités ethniques ?

    Ceci étant, l'hypothèse de notre recherche est la suivante : pour promouvoir la diversité ethnique sans compromettre l'idéal de cohésion démocratique, il faudrait promouvoir la perspective d'une éthique postcommunautaire. Celle-ci consiste à sortir l'identité ethnique de l'enclave d'une communauté particulière en donnant à son « altérophobie » la possibilité de « savoir-vivre au pluriel ». Il s'agit ici, au-delà des positions plaidant pour une institutionnalisation de l'ethnicité, d'assurer un traitement politique et un traitement éthique de l'ethnicité. Telle est l'hypothèse qui anime ce travail et à laquelle nous nous emploierons à donner corps à la lumière du concept de l' « humanisme de la diversité » qui

    correspond à un universalisme ouvert à la diversité, où la valorisation de l'arrachement n'exclut pas toutes formes concevables d'attachements, mais ceux qui, en se neutralisant, riveraient et livreraient sans possibilité de distance (y compris de distance critique) l'individu et le groupe à leurs propres racines14.

    Pour soutenir notre hypothèse, nous avons adopté une démarche descriptive qui fonde le prescriptif. Une démarche du type de celle dont Mesure et Renaut nous ont invités à faire un élément de méthode dans l'approche des connaissances. Ces derniers nous invitaient justement à « faire nôtres cette constatation (descriptive) et cette appréciation (normative)15 ». Tel est au fait, ce dont témoigne avec une grande clarté la formule du philosophe Walzer dans son Traité sur la tolérance : « La philosophie doit s'appuyer sur l'information historique et faire preuve de

    13 Pour parler comme F. Fukuyama, La fin de l'histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, 1989, p. 15.

    14 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 280.

    15 S. Mesure et A. Renaut, Alter ego. Les paradoxes de l'identité démocratique, Paris, Flammarion, 1999, p. 23.

    14

    compétence sociologique si elle veut éviter le « mauvais utopisme » et prendre la juste mesure des choix difficiles qui sont souvent ceux de la vie-politique16 ». L'intérêt de cette démarche pour la présente recherche se situe à plusieurs degrés : d'abord, elle permet de comprendre les enjeux des débats que soulève l'ouverture au pluralisme à partir du détour par l'exploration de la thématique identitaire dans les démocraties occidentales ; ensuite, cette démarche nous rendra plus attentif à l'égard des effets pervers que les solutions centrées sur la valorisation institutionnelle des particularismes ethniques entraîneraient en Afrique noire ; enfin, cette démarche orientera l'imagination et la créativité intellectuelle vers des avenues lucides et où le risque de tomber dans l'exacerbation de fortes appartenances viscérales serait exclu.

    Dans l'optique de cette démarche, nous envisagerons une sorte d' « autopsie » de la réalité politique en Afrique noire, pour pouvoir « repérer les labelisations, les assignations et définitions tant pragmatiques que symboliques ou encore notionnelles qui encombrent les soi-disant cultures collectives17 ». À la suite, une mise au point théorique devrait essayer de « caler » l'examen de tous les facteurs évoqués par le biais de cette posture descriptive afin de ne pas céder aux fantasmes qui, en se fondant sur la persistance des revendications ethniques, ambitionnent de recroqueviller le continent noir sur ses propres valeurs à une période de l'histoire où plus rien ne doit s'inscrire hors du champ de l'universel. La tradition philosophique de l'universalisme, s'impose alors comme le cadre normatif de référence. Nous nous inscrirons donc, du point de vue normatif, dans la tradition philosophique de l'universalisme. C'est ainsi tout un ensemble de liens subtils entre universalisme, humanisme, diversité et démocratie qu'il va falloir démêler. De ce fait, en raison des fortes disparités au sein de l'universalisme en tant que courant de pensée philosophique, et au-delà de la tension entre un « universalisme niveleur18 » et un « universalisme réitératif de la tribu universalisante 19 », nous prendrons appui sur

    l' « universalisme ouvert à la diversité » dont la teneur scientifique se résume en un

    16 M. Walzer, Traité sur la tolérance, Paris, Gallimard, 1998, p. 18.

    17 J. Copans, La longue marche de la modernité africaine, Paris, Karthala, 1990, p. 12.

    18 J. Habermas, op. cit., p. 208.

    19 M. Elbaz, « L'inestimable lien civique dans la société-monde », in M. Elbaz et D. Helly (dir.), Mondialisation, citoyenneté et multiculturalisme, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 2000, p. 25.

    15

    juste milieu entre « le mouvement vers l'universalité (...) et l'affirmation de la diversité20 ».

    L'intérêt de cet universalisme pour la présente recherche est à situer dans un sens double. Dans un premier sens, il permet d'entrevoir l'éventualité par laquelle les Africains pourraient accéder à la culture de l'universel sans une perte de repères culturels : en élaguant par exemple certaines pratiques anciennes au profit de nouvelles valeurs héritées de la démocratie. Dans un second sens, l'intérêt du nouvel universalisme, celui ouvert à la diversité, réside en ceci que seul cet universalisme peut permettre d'accéder « à une nouvelle décolonisation des consciences individuelles et collectives21 » africaines en conciliant la multiethnicité des États africains avec l'exigence d'universalité promue par la démocratie. Ceci, contre tous ceux qui, à l'instar de Tshiyembe, Bayart, Badie, affirment une dichotomie entre la multiethnicité des États africains et le projet de construction de la démocratie sur le continent noir.

    À la lumière de cette clarification méthodologique, notre travail s'articulera autour de deux grandes parties. La première partie, intitulée « De la multiethnicité à la crise de l'État-nation démocratique en Afrique noire», présente les difficultés politiques qui émaillent l'Afrique noire relativement à la mobilisation perverse des identités ethniques. Ceci, tout en montrant comment les identités ethniques participent activement à la création, de ce que Kipré qualifie à juste titre, de « frontière de séparation22 ». La seconde partie est consacrée à l'apport du concept de l' « humanisme de la diversité » dans la refondation des États-nations démocratiques en Afrique noire. D'où son intitulé « Refondation de l'État-nation démocratique en Afrique noire à la lumière d'un humanisme de la diversité ». En partant de l'exigence moderne qui consiste à penser les conditions d'un pluralisme démocratique, nous y essayerons de clarifier la pensée de Renaut. Nous dégagerons sa portée en Afrique noire en montrant comment cette pensée pourra permettre aux Africains, par-delà leur diversité ethnique, de tracer des « frontières de contact » entre eux.

    20 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 342.

    21 Ibid., p. 265.

    22 P. Kipré, « La crise de l'Etat-nation en Afrique de l'Ouest », Outre-Terre, n°11, Paris, 2005, p. 22.

    16

    PREMIÈRE PARTIE :

    DE LA MULTIETHNICITÉ À LA CRISE DE L'ÉTAT-NATION DÉMOCRATIQUE EN AFRIQUE NOIRE

    17

    Introduction de la première partie

    Si l'on envisage de considérer la problématique de l'ethnicité à la lueur du contexte sociopolitique particulier de l'Afrique noire, plusieurs traits du débat s'éclairent. D'abord, l'État-nation ne coïncide pas véritablement avec les réalités africaines, notamment parce que ses référents idéologiques ont été importés de l'Occident et qu'originairement il ne correspond pas exactement aux réalités vécues de l'Afrique. Il est d'ailleurs significatif de constater à quel point la constitution de chaque État-nation s'y est opérée au forceps des populations se trouvant dans les limites territoriales. Cet état de fait conditionne une certaine attitude d'hostilité vis-à-vis des valeurs occidentales. Ainsi que le montre Otayek, la multiplication des mobilisations communautaires dans le contexte africain « a remis au goût du jour la supposée incompatibilité entre démocratie - idée et mode de régulation politique - et sociétés africaines23 ». Plus significatif ensuite est la place prépondérante accordée à l'ethnicité dans l'univers africain. En effet, en s'inspirant du bilan presque déplorable des revendications identitaires, on a stigmatisé comme une greffe la démocratie libérale en Afrique noire tout en y voyant le trait discriminant du politique.

    À partir de ces considérations, deux interrogations s'ouvrent dès lors que nous envisageons de saisir la spécificité de la crise de l'État-nation démocratique dans le contexte africain : comment la multiethnicité sape-t-elle le comportement civique dans le champ politique africain ? Comment s'est pensée jusqu'à présent la cohabitation, sur un même sol, de plusieurs composantes ethniques ?

    23 R. Otayek, « La démocratie entre mobilisations identitaires et besoin d'État : y a-t-il une exception africaine ? », in R. Otayek (dir), Afrique : les identités contre la démocratie ?, Autrepart (10), 1999, p. 5.

    18

    CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE DE L'ETHNICITÉ EN AFRIQUE NOIRE

    Introduction

    Prenant acte du regain du communautarisme qui affecte le politique en Afrique noire, la construction des États-nations démocratiques semble s'y confronter à un dilemme : d'un côté, un modèle d'État-nation faisant fi de l'ethnicité et de l'autre, un modèle d'État-nation valorisant l'ethnicité avec son corollaire la multiethnicité comme une réalité purement africaine. Pendant longtemps, la construction des États africains s'est opérée à travers la mise en quarantaine du second modèle (en raison de sa propension à générer des conflits interethniques) au profit d'un évanouissement de toutes les ethnies. Or, dès lors qu'on accorde une attention particulière à cette gestion « homogénéisante » de la diversité ethnique, celle-ci paraît revêtir des pratiques sociales et une culture de la haine ethnique passant, comme l'écrit Dussey, par l' « ethnisation du pouvoir24 ». Une telle pratique, en tant qu'elle compromet l'essence du politique, devient un phénomène saisissant et déconcertant, qui n'appellerait pas une réflexion spécialement attentive s'il ne s'accompagnait de réactions, de commentaires et d'analyses témoignant que tout ce qui s'y joue ainsi de façon récurrente engage davantage que de simples discours. En effet, sous l'influence de ce que Premdas nomme volontiers « explosion ethnique nucléaire25 », ce qui se donne à lire à travers le réveil des ethnicités dans le contexte particulier de l'Afrique noire est moins l'expression d'une prise de conscience effective des valeurs ethniques à préserver qu'une stratégie politique, c'est-à-dire une sorte d' « imposture ethnocentriste ». Dans une telle optique, il faut assurément insister sur la façon dont l'ethnicité (à partir de la colonisation) participe au jeu politique dans les États postcoloniaux en Afrique noire.

    24 R. Dussey, Pour une paix durable en Afrique. Plaidoyer pour une conscience africaine des conflits armés, Abidjan, Les Editions Bognini, 2002, p. 148.

    25 Repris par E.-M. Mbonda, « La « justice ethnique » comme fondement de la paix dans les sociétés pluriethniques. Le cas de l'Afrique.», op. cit., p. 7.

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    1.1 Ethnie, diversité ethnique, ethnicité : la tâche d'élucidation

    La question ethnique apparaît en Afrique sous une quadruple dimension : elle apparaît comme la réalité africaine fondamentale, comme la cause de l'échec de l'État-nation, comme une fiction idéologique, ou encore comme la base d'une solution des problèmes politiques africains. En fait, toute la controverse induite par la question ethnique dans l'analyse du champ politique africain trouve sa justification à partir de la difficulté à dire ce que l'on désigne par « ethnie ». Notion récente, parce que la science qui en fait son objet d'étude (c'est-à-dire l'ethnologie) lui est antérieure, l'ethnie dans le contexte intellectuel n'est pas moins complexe. Encore faut-il préciser que cette complexité se laisse appréhender à double titre. Dans la littérature, une telle complexité se justifie par la diversité de définitions qui foisonnent le lexique. Et dans la réalité, cette complexité s'illustre à travers la diversité de groupes ethniques rangés parfois dans un seul ensemble ethnique. Pour se faire une vue panoramique de la seconde idée, on pourra se reporter à la réalité congolaise au sein de laquelle le groupe ethnique « M'bochi » compte à lui seul une quinzaine d'ethnies dont les plus connues sont les « kouyou », les « bakouélé », les « Moye » et bien d'autres encore. Cette précision a souvent redonné vigueur aux thèses rejetant l'existence réelle d'une ethnie. Ce qui actualise l'interrogation d'Amselle et M'bokolo : « Si l'ethnie n'existe pas (...) que nous reste-t-il à étudier ?26». Cette inquiétude, nous pouvons la reformuler en des termes dont la teneur ne trahit pas la pensée de ces deux auteurs : comment peut-il manquer d'existence à un être si riche en attributs ?

    À l'instar de cette inquiétude, et en se fondant sur le raisonnement a contrario, nous commencerons par définir l'ethnie en disant ce qu'elle n'est pas. Ainsi, il faudrait en premier signaler que la réalité pour laquelle la notion d'ethnie est souvent utilisée diffère de la « race » et de la « tribu » qui correspondent à une identification primaire de l'individu. Ensuite convient-il de souligner que malgré la place que tient la question ethnique dans les opinions, les médias, les réactions populaires, il est impérieux de l'isoler d'autres discours tout aussi lancinants et efficaces, mais fondés sur d'autres bases. En effet, le fait national en Afrique noire, loin de se réduire au

    26 J.-L. Amselle, E. M'bokolo (dir.), Au coeur de l'ethnie. Ethnies, tribalisme et État en Afrique, Paris, La Découverte, 1999 [1985], p. III.

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    face-à-face entre État et ethnie, met en jeu de nombreuses composantes ; lesquelles constituent autant de foyers de mobilisations éventuelles à côté du foyer ethnique. Il convient d'évoquer, même brièvement, certaines de ces composantes alternatives.

    L'une de ces composantes au sujet de laquelle une confusion est souvent faite avec le fait ethnique, en raison de son caractère identitaire, est le régionalisme. Le champ sociopolitique à caractère régional, correspondant dans la plupart des pays d'Afrique noire au clivage nord-sud, repose sur une opposition d'ordre géographique, économique et culturelle. Tout en ayant à l'esprit la conviction qu'au sein de l'opposition nord-sud s'inscrivent d'autres clivages, on pourra se référer à la réalité du paysage congolais justifiant en partie

    l'inégale répartition de la population entre le Sud qui attire pratiquement l'essentiel de la population en raison des conditions naturelles plus propices au développement des activités humaines et le Nord faiblement peuplé parce que couvert de forêts à l'exception de quelques zones telles que les plateaux Batékés et les M'bochi27.

    Cette opposition naturelle entre une région du Sud attractive et une région du Nord répulsive permet de comprendre aujourd'hui les fortes disparités de traitement politique et administratif résultant de la fusion en un seul territoire de ces différentes régions.

    Une seconde composante que l'on pourrait apparenter au fait ethnique est le fait socioreligieux. Il s'illustre à travers les affrontements interreligieux surtout dans les États où différentes religions sont appelées à coopérer. Dans ce cas de figure, la difficulté émerge du fait qu'une religion aspire à elle seule au monopole du politique en reléguant au second plan, voire parfois à l'effacement, les autres religions avec lesquelles elle doit partager le même espace socioculturel. L'histoire de l'Islam sur le continent africain fourmille d'exemples à ce sujet. Pour ne repérer que quelques-uns parmi ces exemples, citons au passage les revendications des groupes « jihadistes » au Mali et celles du groupe « Boko Haram28 » au Nigéria. Les fortes tensions introduites par cette seconde composante se dégagent clairement, au Nigéria

    27 X. Ktsimbou, La démocratie et les réalités ethniques au Congo, Thèse de Doctorat en Sciences Politiques, Université de Nancy II, 2001, p. 13.

    28 Dont la version française se traduit clairement à travers cette formule : « l'éducation occidentale est un péché ».

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    précisément, à partir d'une opposition devenue classique entre un « Nord musulman » et un « Sud chrétien ou animiste ».

    Une troisième composante que l'on pourrait apparenter aussi au fait ethnique, et qui s'en démarque pourtant, est ici le fait « historico-communautaire ». Il rassemble les anciens royaumes, empires, émirats, confédérations et « chefferies », dont la prégnance sur la politique actuelle reste tributaire de l'héritage précolonial et colonial. D'après le témoignage que fournit Nicolas de cette idée : « Ce cadre a supporté diverses stratégies électorales ou de contestation sous la seconde République et peut soutenir de vifs affrontements intratribaux, intrarégionaux, intrareligieux, etc., dont le pouvoir mobilisateur est parfois important29 ».

    La quatrième composante, pour finir la liste de ces faits auxquels l'on apparente souvent le fait ethnique, et qui pourtant s'en démarque, est la composante socio-économique : elle oppose la minorité de « nantis » qui contrôle le pouvoir économique à la grande masse du peuple. En effet, l'inégalité économique, dont le reflet social laisse percevoir une minorité de « nantis » à l'actif du pouvoir politique tout à côté de la grande masse formée par les « démunis », facilite la manipulation des consciences. Ce qui rend difficile l'enracinement de la démocratie sur le continent africain. Cette précision s'explicite davantage si l'on évoque l'évidence selon laquelle, la responsabilité incombant à l'individu dans le jeu démocratique se trouve obnubilée par sa position de « défavorisé » qui l'amène souvent à « marchander » ses convictions personnelles à la recherche de quoi vivre.

    En clair : les faits évoqués montrent que le champ ethnique, en tant que champ politique en Afrique noire, n'est pas le seul à se situer en face de l'État. Pour bonne mesure, rappelons que les champs socioreligieux, « historico-communautaire », socio-économique et le champ régionaliste constituent des composantes concurrentielles du fait ethnique. Mais le constat qui s'impose est que chaque africain pris isolément appartient simultanément à toutes ces composantes. Ce constat engage notamment, la nécessité d'un approfondissement du fait ethnique, une définition de l'ethnicité et un examen du discours identitaire : celui portant sur

    29 G. Nicolas, « Stratégies ethniques et construction nationale au Nigéria », in (J.-P.) Chrétien et (G.) Prunier (dir), Les ethnies ont une histoire, Paris, Karthala, 1989, p. 374.

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    l'identification de l'individu à son groupe d'appartenance ethnique. Or la réflexion sur cette identification a fait apparaître, que non seulement la manipulation du fait ethnique est un instrument d'action politique, mais qu'en outre il y a une difficulté de définition de ce qu'on range sous le vocable d' « ethnie ». Dans ces conditions, une seule interrogation paraît encore légitime : comment appréhender l' « ethnie » à partir de la présente recherche ?

    En écartant toute confusion entre ethnie et race ou tribu, ethnie et région, ethnie et religion, il faut souligner que l'ethnie peut être définie par rapport à un référentiel commun fondant l'adhésion des membres de la communauté se réclamant de cette appartenance. Cette logique implacable actualise sans cesse les observations d'Ake lorsque, parlant de l'ethnogenèse chez Nietzsche, il écrit :

    Pour affirmer leur identité, pour assurer la cohésion de leurs membres, surtout aux époques de crise, les ethnies produisent des mythes. Le mythe de l'arya que Nietzsche emploie dans la généalogie, mythe de la pureté et de la supériorité naturelle se trouve dans le groupe iranien et le groupe slave (...) L'appartenance à l'ethnie aryenne se décèle à certaines nouveautés techniques : la domestication du cheval, l'usage de chars de guerre, mais surtout à l'emploi d'une langue de la famille indo-européenne30.

    En prenant au pied de la lettre le contenu de cette affirmation, on découvre que l'ethnie n'est pas une réalité fondamentalement africaine. Et de surcroît, elle se comprend hors de l'Afrique comme le socle d'une identité collective. Raison pour laquelle, la distinction opérée par Kymlicka31 entre « minorités nationales » et « minorités ethniques », présente les secondes comme étant des populations homogènes. En tant que socle de l'identité collective, l'ethnie y relève plus exactement d'une double projection : projection dans le passé et projection dans le futur. La projection dans le passé s'articule autour du projet de reconstruction d'une mémoire et d'une tradition commune. La projection dans le futur, quant à elle, s'articule autour de la nécessité pour chaque ethnie de se doter d'un projet politique « national » au nom duquel elle exige une reconnaissance politique et juridique au

    30 J. P. Ake, « De l'ethnogenèse à la généalogie chez Nietzsche : quels enseignements pour l'ethnie ? », Le cahier philosophique d'Afrique, N° 006, Ouagadougou, 2008, p. 120.

    31 Pour lui, les « minorités nationales » sont issues d'un processus de conquête ou d'incorporation tandis que les « minorités ethniques » sont issues d'un processus d'immigration. Confer H. Guéguen, G. Malochet, Les théories de la reconnaissance, Paris, La Découverte, 2012, p. 85

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    sein de l'État-nation. Aussi faudrait-il ajouter que cette double projection ne se comprend que dans les États où l'identité nationale assigne une perte de repères aux minorités qui se sentent lésées. Cet ajout nous éclaire davantage dans la quête de sens de la notion d'ethnie en Afrique noire.

    Dans les États africains où la question ethnique n'est pas tant le reflet d'une perte de repères culturels à l'avantage d'une « ethnie dominante », la réalité pour laquelle la notion d'ethnie est utilisée est quelque chose de mouvant, de fluctuant, de variant. En ce sens, ce qu'on entend par « ethnie » au Rwanda n'a rien à voir avec l'ethnie au Congo ou encore en Côte d'Ivoire. Pour attester de l'assise scientifique de cette idée, esquissons-en quelques exemples. Il est d'abord important de signaler que ce qu'on identifie comme « opposition ethnique » au Rwanda, est une lutte armée entre « Hutu » et « Tutsi », deux populations homogènes si l'on se réfère à la langue et à la culture en usage dans ces deux milieux. Et pour reprendre la surprenante affirmation de Chrétien : « Voici des « ethnies » qui ne se distinguent ni par la langue, ni par la culture, ni par l'histoire, ni par l'espace géographique occupé32 ». D'où vient alors ce violent affrontement qui occasionna ce qu'on désigne aujourd'hui, sous l'expression avilissante de « génocide rwandais » ?

    Sans vouloir tout de suite donner une réponse à cette interrogation, repartons du côté congolais pour percevoir, avec l'analyse de ce qu'on y entend par ethnie, toute l'ambiguïté qui s'attache à la définition exacte de cette notion en Afrique noire. L'analyse porte sur le néologisme apparu en 1992 lors de l'élection présidentielle au Congo-Brazzaville. En effet, à partir des initiales des groupes « Niari », « Bouenza » et « Lékoumou », la notion à « consonance ethnisante » de « Nibolek » fut forgée pour désigner l'ensemble des régions favorables au candidat Lissouba. Analysant minutieusement ce néologisme, Dorier-Apprill33 souligne que « Nibolek » ne correspond à aucune réalité culturelle ni à aucune entité ethnique précise mais qu'il constitue plutôt une stratégie politique efficace. En partant des deux exemples analysés, on prend effectivement conscience de la complexité du fait ethnique.

    32J.-P. Chrétien, « Hutu et Tutsi au Rwanda et au Burundi », in J.-L. Amselle, E. M'bokolo (dir.), op. cit., p. 129.

    33 E. Dorier-Apprill, « Géographie des ethnies, géographie des conflits à Brazzaville », in P. Yengo (éd.), Identités et démocratie, Paris, L'Harmattan, 1997, p. 168.

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    Cette complexité sera relayée au plan théorique par deux courants de pensée. L'un, d'inspiration « primordialiste » ou « substantialiste », partage une conception figée de l'ethnie qu'il considère comme « un donné, un état que définit un ensemble de traits invariants comme la culture, les liens de sang ou les affinités naturelles34 ». En fondant ses arguments sur des éléments objectifs identifiables dans la définition même de l'ethnie, cette approche écarte l'idée de manipulation ethnique comme prouvant à elle seule les crispations identitaires. Dans la logique de ce premier courant de pensée, l'ethnie peut être définie comme un code identitaire, un sentiment d'appartenance fondé sur des critères réels (tels que les liens du sang, l'origine historique et une langue communes), et surtout sur l'auto-désignation. Le grief qu'on pourrait faire à cette première approche est qu'elle appréhende l'ethnie comme figée. Ce qui rend, de facto, les frontières entre les groupes ethniques comme fixées une fois pour toutes. Or, dans la réalité, il n'existe pas de communauté culturelle ou ethnique close sur elle-même, c'est-à-dire placée dans un tête-à-tête avec les autres. Bien au contraire, la réalité du vécu communautaire est celle qui invite à reconsidérer la relation d'échanges culturels dans une perspective interactionniste. D'après la conclusion formulée par Leach, à l'issue de ses travaux consacrés au peuple Kachin, « l'ethnicité des Kachin des Hautes Terres de Birmanie ne s'appréhende qu'au regard des échanges que cette population entretient avec les sociétés qui l'entourent et entre les différents groupes qui la composent, indépendamment de toute unité culturelle ou linguistique « primordiale »35 ».

    L'autre courant de pensée, d'inspiration constructiviste, procède par une « désubstantialisation » de l'ethnie. Il nous paraît le mieux indiqué pour comprendre le fait ethnique d'Afrique noire en tant que mise en ordre par le colon. En effet, en suivant de près la logique de cette seconde approche, on se rend compte que le fait ethnique n'a rien de juridique encore moins de biologique. Ceci d'autant puisque, l'histoire du continent noir nous apprend qu'en Afrique, la notion d'ethnie est sous-jacente à l'arrivée du colon qui, pour des raisons d'intérêt calculé a procédé au classement des groupes humains selon des traits spécifiques que sont le physique

    34 R. Otayek, « La démocratie entre mobilisations identitaires et besoin d'État : y a-t-il une exception africaine ? », op. cit., p. 9.

    35 Précise R. Otayek, « L'Afrique au prisme de l'ethnicité : perception française et actualité du débat », op. cit., p. 133-134.

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    (distinction entre Hutu et Tutsi) et l' « ethnie » reposant sur l'idée fondamentale de culture traduite dans les faits par le genre de vie (paysans, pêcheurs), le système de la parenté (matrilinéaire ou patrilinéaire), l'organisation politique (segmentaire, chefferie), et enfin la langue. De la sorte, cette seconde approche nie toute existence réelle d'une ethnie.

    Procédant par une « désubstantialisation », cette seconde approche présente l'ethnie comme une pure « création », ou pour le dire en d'autres termes, comme l'oeuvre du colonisateur. À l'appui de ce propos, on pourra se référer à l'exemple de

    l' « ethnie » bété comme une « production » et une « création » coloniales. Pour son radicalisme à l'égard de la conception de l'ethnie comme « substance », cette seconde approche n'est pas à l'abri de critiques : en réalité, en ne voyant dans l'ethnie qu'une simple invention coloniale, elle ignore d'abord l'évidence qu'une telle création ne s'est pas faite ex nihilo. Puisque, comme l'a souligné avec insistance Otayek : « pour « inventer » une ethnie, il faut qu'il y ait le minimum de substrat historique nécessaire à la cristallisation, d'un sentiment d'être différent36 ». Ensuite, en concevant toujours l'ethnie comme une création, les tenants de ladite approche oublient aussi que le fait pour certaines personnes de se reconnaître dans des entités ethniques devient un critère valide de l'existence d'une ethnie. Comme le professe Bazin : « Si celui que j'interpelle se tourne, c'est qu'il « répond » effectivement à ce nom37 ». Du coup, si des gens se retrouvent pleinement dans le tracé colonial des frontières bété, c'est qu'ils acceptent une telle désignation. Comment saurions-nous de ce fait, nier l'existence d'une « réalité coloniale » qui se concrétise dans les consciences individuelles et collectives ? On pourra d'ailleurs poursuivre cette réflexion en distinguant une réalité du monde physique et une réalité du monde psychologique, avec pour ambition d'affirmer l'existence de l'ethnie au plan psychologique.

    Ceci étant, l'articulation entre approche « primordialiste » et approche « constructiviste » nous permet d'afficher clairement notre définition de l'ethnie : l'ethnie renvoie ici à un sentiment d'appartenir à un groupe humain distinct des

    36 R. Otayek, « L'Afrique au prisme de l'ethnicité : perception française et actualité du débat », op. cit., p. 135.

    37 J. Bazin, « A chacun son Bambara », in J.-L. Amselle, E. M'bokolo (dir.), op. cit., p. 123.

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    autres par des critères réels ou supposés. Cette définition emprunte, tout de même, des grilles d'analyses aux travaux anthropologiques issues des réflexions d'Amselle. Consacrant ses réflexions à la définition de l'ethnie dans son texte datant de 1985, Amselle, après un passage en revue des différentes définitions mettait en place, en guise de dénominateur commun à toutes les différentes définitions, un nombre de critères communs en liaison étroite : « la langue, un espace, des coutumes, des valeurs, un nom, une même descendance et la conscience qu'ont les acteurs sociaux d'appartenir à un même groupe38 ».

    Il serait intéressant de relever à travers cette pensée d'Amselle, des éléments servant de repères normatifs dans l'élucidation du concept d'ethnie. En ce sens, lorsqu'on garde en mémoire ce propos de l'anthropologue, il devient aisé de saisir l'ethnie à travers trois éléments : un contenu anthropologique (mettant en exergue des traits culturels particuliers) ; un contenu géographique (relatif à l'espace occupé par le groupe de personnes concernés) et enfin un contenu psychologique illustré par Chrétien à partir de son étude sur les rapports entre « Hutu » et « Tutsi » : « Qu'est-ce qu'être hutu ou tutsi ? Ce n'est ni d'être bantu ou hamite, ni d'être serf ou seigneur ! C'est de se rappeler qui a tué un de vos proches il y a quinze ans ou de se demander qui va tuer votre enfant dans dix ans, chaque fois avec une réponse différente39 ».

    Ces trois éléments contenus dans la définition de l'ethnie nous illuminent dans la recherche d'une définition de l'ethnicité, ce « phénomène à la fois omniprésent et insaisissable, profond et sujet à de multiples jeux politiques et culturels40 », qui représente un défi au monde intellectuel. L'évidence paraît moins réfutable puisqu'elle s'inscrit depuis longtemps dans le discours intellectuel. En partant des différentes réflexions qui ont été consacrées à ce concept, il se dégage un rapport de synonymie entre ethnie et ethnicité : on emploie tantôt « ethnie » pour désigner « ethnicité » tantôt « ethnicité » pour désigner « ethnie ». Mieux dit, ethnie et

    38 J.-L. Amselle, « Ethnies et espaces : pour une anthropologie topologique », in J.-L. Amselle, E. M'bokolo (dir.), op. cit., p. 18.

    39 J.-P. Chrétien, « Pluralisme démocratique, ethnismes et stratégies politiques. La situation du Rwanda et du Burundi », in G. Conac (dir.), L'Afrique en transition vers le pluralisme politique, Paris, éd. Economica, 1990, p. 142.

    40 Comme le remarquait J.-P. Chrétien, « Introduction. Dimension historique de l'ethnicité en Afrique », in J.-P. Chrétien et G. Prunier (dir.), op. cit., p. 8.

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    ethnicité sont utilisées dans une logique interchangeable. Sans toutefois prendre le contre-pied total de ce rapport de synonymie, nous envisageons l'ethnicité comme l'expression du sentiment d'appartenir à un groupe ethnique. Dès lors que nous concevons l'ethnicité de la sorte, il n'est nul besoin de rechercher au plus profond une quelconque nuance terminologique entre ethnie et ethnicité : l'une, c'est-à-dire l'ethnie, renvoyant à l'auto-désignation collective et l'autre, l'ethnicité, comprise comme expression concrète de cette auto-désignation. En conservant ces deux définitions, il est question de retenir, d'ores et déjà, que ces deux concepts seront utilisés dans une logique interchangeable.

    Il reste maintenant à déterminer si l'expression concrète d'une appartenance à un groupe ethnique relève de l'ordre naturel des choses ou plutôt de l'ordre d'un artifice humain. Formulée autrement, cette préoccupation se ramène à ceci : l'ethnicité est-elle naturelle ou artificielle ? La précision de cette interrogation invite déjà à distinguer deux niveaux de compréhension dans l'appréhension du phénomène de l'ethnicité : d'une part, une « ethnicité naturelle » (laquelle s'articule autour de la conviction que l'expression concrète d'une appartenance ethnique découle de la nature même de l'homme) et, d'autre part, une « ethnicité artificielle » (qui considère cette expression collective comme le résultat des dynamiques sociales). Cette dernière peut être qualifiée de « scientifique », parce que résultant du souci des pouvoirs en place de nommer, classer, pour régner. Pour cela, il importe de noter, pour l'heure, que c'est l' « ethnicité artificielle » qui dévie vers des formes de vie humaines contestées à l'instar de l'ethnisme ou encore de toutes les tendances à l'enfermement sur son groupe (ethnocentrisme, tribalisme).

    Cette précision prend toute son ampleur à partir d'une lecture de l'article41 de Ménissier qui permet de comprendre, en dernière analyse, que toute la controverse introduite par la problématique de l'ethnicité ne se perçoit que sous le prisme de l'ethnicité artificielle. Pour lui en effet, les bouleversements actuels, entraînant une conception critique de la notion d'ethnie, remettent en question le caractère naturel de l'ethnicité : « Au lieu de signifier le niveau élémentaire et spontané de

    41 T. Ménissier, « Identités ethniques et politiques dans la construction de l'Union européenne », Cités, n° 29, Paris, 2007, p. 81-95.

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    l'identification individuelle ou collective, cette dernière paraît en effet être ou pouvoir être fabriquée par des forces économiques, sociales et politiques42 ».

    Ceci étant, lorsqu'on replace le débat autour de l'ethnicité dans le cadre de l'État-nation d'Afrique noire, il convient de distinguer aussi deux niveaux de compréhension de l'ethnicité. D'abord, un niveau qui présente l'ethnicité en Afrique comme effet de l'extérieur. En abordant l'ethnicité de ce point de vue, on pourra établir un lien entre ce que nous avons caractérisé comme « ethnicité artificielle » et ce qu'on désigne par effet des dynamiques du « dehors ». Dans cette perspective, on n'expliquerait pas autrement l'ensemble du projet entrepris par le colon qui, pour asseoir son autorité en Afrique, procédait par une fixation des différences entre les identités ethniques. Dans ce sens, on peut dire que la colonisation a consisté en une stratégie politique de fabrication de l'ethnicité. Ensuite, l'ethnicité en tant que stratégie politique conserve au sein de l'État d'Afrique noire une dynamique interne. À l'inverse de cette tendance à voir en l'ethnicité la seule responsabilité active du colon, il faut aussi évoquer la question de la « réappropriation » par les populations et les dirigeants politiques de cet héritage colonial. Fidèles, en réalité, aux tracées des « frontières de séparation » entre différentes identités ethniques, les populations africaines reproduisent à l'identique la mentalité ayant prévalu à l'ère coloniale. On aura reconnu, en cela, la pertinence de l'idée d'après laquelle l'État postcolonial est aussi le cadre privilégié d'une fabrication de l'ethnicité. Cette logique implacable donne du relief à Ménissier lorsqu'il écrit : « Les États, notamment, peuvent ou ont pu fabriquer de l'ethnicité en fonction de stratégies précises43 ».

    En suivant donc, les réflexions de Ménissier, on découvre la teneur scientifique de l'hypothèse selon laquelle l'ethnicité a une connotation artificielle. Puisque, bien que l'expression d'une appartenance à un groupe distinct des autres soit de toute évidence inscrite dans la conscience de tout un chacun, l'ethnicité surgit en contexte de crispations identitaires rendues possibles par le lourd héritage colonial dont se départissent difficilement les acteurs politiques africains.

    42 T. Ménissier, op. cit., p. 85.

    43 Ibid., p. 85.

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    1.2 La colonisation, un ferment de la diversité ethnique

    Au compte des exigences qui imposent aux sociétés contemporaines d'en venir à s'interroger sur les règles ou les principes qu'elles doivent s'imposer à elles-mêmes pour assurer un traitement différencié de l'identité humaine (ou encore une prise en compte de la diversité humaine), il se trouve en amont la colonisation. À la lecture de l'Essai sur la décolonisation des identités, on est tout de suite frappé par l'insistance avec laquelle Renaut souligne l'hypothèse que « la problématique de la diversité humaine entretient un lien étroit avec la question coloniale et postcoloniale44 ». Tout le pari de Renaut est de montrer que parmi ce qu'il a nommé volontiers, à la lumière de Rawls, « circonstances de la diversité45 », pointe la colonisation. Pour clarifier cette idée, un argument fondamental est à considérer : la colonisation est un profond réducteur de la diversité humaine et donc de la diversité culturelle.

    D'une façon globale, le projet de répandre une civilisation aux autres contrées de la terre avait comme fondement l'imposition d'une culture dominante (techniquement et scientifiquement) aux autres cultures. L'Occident, en se plaçant dans la posture de culture dominante, brisait ainsi les autres cultures qui devaient désormais se conformer à l'unique modèle de civilisation que constituait la civilisation occidentale. Du coup, en procédant à cette réduction de la diversité des cultures à une culture identique, mieux dit, en procédant à « la mise sous tutelle culturelle des populations indigènes46 », la colonisation sacrifie de ce fait la richesse culturelle contenue dans la diversité ambiante des cultures. C'est à ce prix que la colonisation, puissant vecteur d'un arrachement au « monde vécu », s'affirme comme l'expression d'un traitement violent de la diversité culturelle. L' « esclavagisation » des Noirs ainsi que la constellation des États-nations fournissent des exemples édifiants. Dans chacun de ces deux cas, ce qui fait apparaître la colonisation comme l'un des plus puissants négateurs modernes de la diversité culturelle réside dans la volonté manifeste de méconnaître l'autre dans sa différence culturelle comme un semblable devant jouir des droits identiques aux siens. Ceci a eu pour implication

    44 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 287.

    45 Renaut Précise lui-même que la notion de « circonstances de la diversité » telle qu'il la conceptualise trouve ses repères philosophiques chez Rawls qui, en empruntant la notion à Hume, développe la notion de « circonstances de la justice ». Voir A. Renaut, Ibid., p. 73.

    46 Ibid., p. 101.

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    directe, au sein de l'État-nation, le principe de l'assimilation culturelle comme valeur indispensable à l'affirmation de l'humain en l'homme.

    Soulignant le lien étroit entre colonisation et diversité ethnique des États d'Afrique noire, il faut dire que les effets déstructurant de la colonisation ont occasionné la mise en commun de populations hétérogènes au sein d'un même creuset national. Reprenant les propos de Debray, on reconnaîtra ici que la colonisation a laissé l'État d'Afrique noire « dans un monde réenchanté, fragmenté en identités closes et où toutes sortes d'intégrismes (...) donnent le ton47 ». À titre illustratif, dans son article de 198948, Nicolas soulignait que le Nigéria au lendemain des indépendances comptait environ 200 ethnies. De ce foisonnement de populations diverses, mises sous tutelle de l'État-nation, une seule difficulté mérite d'être évoquée : celle consistant à penser l'intérêt général en ayant à l'esprit les intérêts de ces populations diversifiées.

    L'idée est que la colonisation a imposé l'État-nation à des réalités politiques et socioculturelles dont la difficile gestion postcoloniale est le reflet de la balkanisation. En procédant à une mise en rapport forcé de populations hétérogènes dans le creuset de l'État-nation, la colonisation posait ainsi les jalons d'une opposition entre les différents groupes ethniques ou entre les ressortissants d'espaces géographiques différents. Cette opposition trouvait sa source dans des politiques de gestion discriminatoire de ces populations. De ces politiques de gestion discriminatoires, la conséquence en est aujourd'hui l'existence à foison de conflits qui font de l'Afrique une terre de conflits. Pour preuve : à entendre, Côte-d'Ivoire, Soudan, Centrafrique, Libéria, Burundi, horreurs, cruautés et atrocités traversent les esprits de plus d'une personne. L'analyse de chacun de ces conflits témoigne de l'effectivité des politiques internes de marginalisation de certains groupes de population, lesquels groupes se sentent exclus de toute participation significative à la gestion des affaires étatiques. Sur ce point, les exemples à mobiliser pour s'en convaincre sont aussi multiples que connus. Simplement pour mémoire, retenons l'opposition devenue classique entre « Hutu » et « Tutsi » au Rwanda.

    47 R. Debay, L'intellectuel face aux tribus, Paris, CNRS Éditions, 2008, p. 10.

    48 Intitulé « Stratégies ethniques et construction nationale au Nigéria », in J.-P. Chrétien et G. Prunier (dir.), op. cit., p. 368.

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    Au Rwanda en effet, l'idée de colonisation comme ferment de la diversité ethnique trouve ses repères dans la hiérarchisation raciale et sociale induite par la politique du colon belge. « Hutu » et « Tutsi », ces deux peuples parfaitement homogènes au plan linguistique et culturel, ont vu leur conflit naître à partir du ferment idéologique qu'a véhiculé la politique coloniale de répartition du pouvoir, du savoir, des positions sociales et des richesses. Le qualificatif de « Seigneurs » Tutsi que brandissait le colon contre celui d' « esclaves » Hutus contribuait ainsi à asseoir une haine entre ces deux peuples. Plus significatif encore est cette inégalité forgée de toute pièce entre ces deux peuples par le colon belge : « Les Batutsi étaient destinés à régner, leur seule prestance leur assure déjà, sur les races inférieures qui les entourent, un prestige considérable...49 ». Ce sont de pareils propos qui impliquent, en bonne logique, l'enracinement de la problématique identitaire en Afrique et qui y réconfortent la vie de ghetto ethnique vécue comme un traumatisme à partir de la colonisation. C'est dans ce cadre d'analyse que se situe Renaut, lorsqu'il écrit :

    les États (...), notamment en Afrique subsaharienne, font eux aussi avec douleur l'apprentissage de la manière dont le retrait de la domination coloniale libère (...) des antagonismes pour l'apaisement desquels la réconciliation passera par un apprentissage de la démocratie50.

    Faisant suite à ce qu'il désigne par « apprentissage de la démocratie », la tendance à l'édification de l'État-nation sera confrontée à des discours identitaires dont le plus en vogue est le discours « ethniciste ». Ce discours, perçu dans ce travail comme le résultat d'une « stratégie politique », participe depuis longtemps à la fermeture des identités ethniques surtout en périodes électorales. Ce qui suggère l'idée de la difficile émergence des nations démocratiques en Afrique noire.

    1.3 Le « ghetto » ethnique, obstacle à l'émergence d'une conscience nationale

    Il n'y a jamais d'État qui n'ait fait de l'unité nationale, la valeur cardinale ou encore la valeur des valeurs. Ce constat s'illustre à plus d'un niveau dans l'univers

    49 J.-P. Chrétien, « Hutu et Tutsi au Rwanda et au Burundi », in J.-L. Amselle, E. M'bokolo, op. cit., p. 138

    50 A. Renaut, Quelle éthique pour nos démocraties ?, Paris, Buchet/Chastel, 2011, p. 50.

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    politique moderne. Le processus de création des identités nationales en Europe51 est un exemple phare. Tout comme l'Europe, l'Afrique ne déroge pas au constat. En Afrique en effet, la valeur de l'unité nationale s'est affirmée contre toute tendance à l'expression des particularismes ethno-régionaux. Ainsi, aux lendemains de la colonisation, l'idée de construire la nation au sein de chaque État africain sera fondée sur des mythes entretenus autour des « pères de la nation ». Ces derniers, en vertu des prérogatives qui leur étaient dévolues se révélèrent hostiles à toute tendance visant l'expression des particularismes ethniques ou régionaux : « L'unité nationale veut dire qu'il n'y a sur le chantier de la construction nationale ni Ewondo, ni Douala, ni Bamileké, ni Boulou, ni Foulbé, ni Bassaã, etc., mais partout des Camerounais52 », déclarait Ahidjo, premier président du Cameroun.

    Notons en sus que dans le sillage de cette compréhension de l'unité nationale furent entreprises des démarches historiques dont l'enjeu était de faire accéder l'ensemble des populations hétérogènes, circonscrites dans les frontières de l'État moderne en Afrique, à la véritable histoire de leur passé. L'histoire étant considérée comme source de la fraternité, les historiens africains vont procéder à la définition d'une « personnalité collective nationale » tout en réifiant la population nationale dans les limites d'une identité unique et en dépassant l'hétérogénéité et les contradictions internes afférentes aux États postcoloniaux d'Afrique noire. Ceci à partir d'un recul historique qui permet à des peuples « différents à l'origine de finir par se considérer comme membres indissociables d'une même nation53 ». Avec pareilles démarches historiques, on ne comprendrait pas pourquoi l'idée de « ghetto ethnique » est encore évoquée ici comme un obstacle à l'émergence d'une conscience nationale. Si l'on a le désir de comprendre, il faudrait, à l'évidence, analyser de plus près la notion même de « nation ».

    En partant du vocable romain « Natio » qui désignait la déesse de la naissance et de la provenance, la nation a d'abord fait référence à des « peuples (...) qui n'ont pas

    51 Pour une documentation bien fournie, nous renvoyons au très éclairant ouvrage d'A.-M. Thiesse, La création des identités nationales. Europe XVIIIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 2001.

    52 Cité par E. Mbuyinga, Tribalisme et problème national en Afrique. Le cas du Kamerun, Paris, L'Harmattan, 1989, p. 29.

    53 N. Gayibor, « Des défis de l'écriture d'une histoire nationale en Afrique : l'exemple du Togo », in N. A. Goeh-Akue & N. L. Gayibor (dir.), Histoires nationales et/ ou identités ethniques. Un dilemme pour les historiens africains ?, Paris, L'Harmattan, 2010, p. 28.

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    encore acquis la forme organisée de l'unité politique54 ». En s'inscrivant dans cette tradition, le mot « nation » correspondait à une situation prépolitique des hommes unis pour autant par des liens de sang. Ce premier sens incarné par la tradition romaine sera répandu à travers l'histoire du Moyen Âge jusqu'au début des Temps modernes. Mais avec les Temps modernes, cette unité sémantique sera éclatée : nation sera alors comprise comme « protagoniste de la souveraineté55 », la souveraineté du peuple à l'égard du roi. À ce point, le modèle de la nation française, advenue historiquement à la suite de la Révolution, est un exemple fécond. À partir de cette Révolution, lorsqu'on analyse le climat politique ambiant dans la modernité, la simple évocation du mot « nation » invite à le considérer soit comme une communauté d'origine soit comme une communauté résultant de l'artifice humain basé sur le schème contractualiste. Mieux dit, la nation aura deux implications : l'une valorisant l'aspect culturel (la théorie du « jus sanguinis ») et l'autre prenant en compte l'aspect politique (la théorie du « jus soli »). À ce titre, les travaux de Herder et Renan sur cette question suggèrent clairement que le mot « nation » comporte bel et bien une dimension objective, c'est-à-dire culturelle, et une dimension subjective, c'est-à-dire politique.

    Sous le couvert de cette distinction opérée par ces deux auteurs, la « nation objective » défendue par Herder donnera lieu au nationalisme culturel. Cette conception de la nation privilégie les liens de sang, la langue, la coutume, bref la culture. Cette conception, dont les racines remontent à Blyden dans le contexte africain, est présentée par Jeffers, dans ses travaux consacrés à Wiredu, comme « une idéologie et/ou un mouvement social cherchant à établir et protéger l'autonomie d'un peuple en l'encourageant à préserver et cultiver sa culture dans ce qu'elle a de singulier56 ». Dans le cadre de ce nationalisme se comprennent le mouvement de la « négritude » prônée par Senghor, le « communalisme » de Nyerere et l' « idéologie de l'authenticité » mise en avant par Mobutu. Ces figures historiques que l'on vient d'évoquer, préconisaient chacune à son niveau le retour aux valeurs de la civilisation du monde noir en tant que condition d'émergence de ce continent. Conçu comme tel,

    54 J. Habermas, op. cit., p. 70.

    55 Id.

    56 C. Jeffers, « Kwasi Wiredu et la question du nationalisme culturel », Philosopher en Afrique, LXVII, n° 771-772, Brazzaville, août-septembre 2011, p. 640.

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    on ne peut certes nier que ce nationalisme correspond à un sentiment d'appartenir à une communauté culturelle dont il s'agit de préserver les valeurs ; on ne peut non plus nier qu'il est l'expression d'un retour aux sources. Mais, dans une certaine mesure, ce nationalisme tel que proclamé par ces trois figures participait d'une hostilité à l'égard des valeurs occidentales. Or, quand on prend du recul, tout nous indique clairement que l'histoire de l'Europe occidentale ayant dominé largement celle du reste du monde, les valeurs accompagnant cette domination doivent plutôt être perçues comme un héritage dont on ne pourrait totalement s'en débarrasser et avec lequel il faudrait composer.

    En ce qui concerne la « nation subjective », elle trouve son porte-parole le plus brillant chez Renan dont le propos suivant a fini par avoir force de slogan : « L'existence d'une nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l'existence de l'individu est une affirmation perpétuelle de la vie57 ». Par ce propos, Renan mettait en évidence l'idéal de la nation comme un désir de vouloir vivre-ensemble, comme une quête permanente et non achevée. Ce propos témoigne en faveur de la transcendance des liens culturels (ethniques, identitaires) comme fondement de la nation moderne. Au-delà du fait que la position défendue ici par Renan se situait dans le cadre de la controverse franco-allemande sur l'Alsace-Lorraine, dont la formule de Renan permettait à la France de récupérer les Alsaciens-Lorrains chez les Allemands, ce penseur offrait à la démocratie moderne son assise théorique. Cette dernière est apparue historiquement comme transcendance des liens sociaux primaires avec pour fondement, une forme de citoyenneté axée sur le modèle contractuel de la société. En tant que « source du lien social58 », la citoyenneté, dans le monde moderne, traduit ce vivre-ensemble au sein des mêmes institutions politiques et sociales ; un vivre-ensemble fondé sur l'égale dignité de tous. C'est cette citoyenneté qui caractérise la démocratie moderne.

    En effet, contre une forme antique de démocratie, la démocratie moderne a révélé ses prouesses à travers la place prépondérante accordée à l'individu dans la sphère politique. Ce dernier, dans la jouissance de ses droits et devoirs de citoyen,

    57 E. Renan, Qu'est-ce qu'une nation ? Et autres écrits politiques, Paris, Imprimerie nationale, 1996, p. 241.

    58 D. Schnapper, Qu'est-ce que la citoyenneté ?, Paris, Gallimard, 2000, p. 11.

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    prend part à la vie politique de son État, en désignant lui-même ses propres gouvernants au moyen d'élections libres. L'élection étant elle-même définie comme « l'instrument de désignation des gouvernants59 », elle permet la participation des citoyens à la gestion de la chose publique. De ce fait, l'élection devient un repérage saisissant lorsqu'on ambitionne de distinguer la démocratie moderne de la démocratie antique où avait lieu par exemple la pratique du tirage au sort, au hasard ou prédictions des oracles, à l'hérédité ou à la cooptation.

    Cet écart entre démocratie moderne et démocratie antique se renforce avec l'apparition des partis politiques rassemblant des hommes unis pour favoriser, par leurs efforts communs, l'intérêt national. Pour reprendre l'Article 51 de la Constitution congolaise en date du 20 janvier 2002, « Le parti politique est une association dotée de personnalité morale, qui rassemble des citoyens pour la conquête et la gestion pacifiques du pouvoir autour d'un projet de société démocratique dicté par le souci de réaliser l'intérêt général ». Le parti politique est le lieu de débats contradictoires, le lieu de discussions idéologiques, le lieu où s'offrent des instruments d'analyse prospective des projets concurrentiels ou alternatifs. Il est à rappeler également que, dans l'esprit démocratique, l'adhésion à un parti politique quelconque se fait sur la base des idées défendues ou sur la base du programme de société promu par le parti politique en question. Conformément à l'idéal démocratique moderne considérant l'individu comme « un moi non encombré60 », le parti politique ne saurait s'identifier à une ethnie, encore moins à un département, à une religion ou à une secte. Là réside la difficulté d'un ancrage de la démocratie en Afrique noire depuis les processus de démocratisation datant des années quatre-vingt-dix.

    Contrairement à cet idéal démocratique, la réflexion sur la démocratie en Afrique noire se complexifie parce qu'elle prend en compte des facteurs subjectifs que sont les sentiments d'appartenance, les identités ethniques, ou plus encore, les intérêts des élites dirigeantes. Ainsi, à l'inverse de l'individualisme posé comme fondement de la démocratie moderne, c'est l'appartenance ethnique qui devient

    59 D. Kokoroko, « Les élections disputées : réussites et échecs », Pouvoirs, n° 129, Paris, 2009, p. 115.

    60 Nous reprenons la formule de M. Sandel, citée par S. Mesure et A. Renaut, Alter ego, op. cit., p. 84.

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    synonyme de compétition électorale dans la plupart des pays en Afrique noire. Sans être excessif dans les propos, soulignons que la compétition électorale devient non pas la confrontation pacifique des projets de société concurrentiels mais l'exhibition de la représentativité ethnique. Dans une approche récente, Mazrui écrit :

    Il importe de se rappeler qu'en Afrique, à l'ère postcoloniale, la représentativité se mesure souvent selon des critères ethniques et non pas électoraux. L'arithmétique de la représentation ethnique contribue souvent à rassurer les membres des différents groupes ethniques, qu'ils fassent ou non réellement partie des agents et des bénéficiaires du régime politique. Les gouvernements sont considérés comme plus ou moins représentatifs, selon que leur composition ethnique reflète plus ou moins celle de la population61.

    Dans la logique de cette affirmation, il est aisé de souligner qu'en Afrique la composition même des partis politiques est aussi le lieu d'une expression du sentiment d'appartenance à une ethnie. C'est ce qui fait que l' « imposture ethnocentriste », en prenant le dessus sur l'intérêt supérieur de la nation, occasionne toute sorte d'intrigues politiciennes. Ce qui, notons-le immédiatement, met à mal la préservation du bien public, c'est-à-dire le bien commun. Ceci met à rude épreuve la possibilité d'envisager l'intérêt général dans la participation de la vie collective de la nation, nation au sens bien entendu de Renan. Ainsi par exemple, se trouvant seul face à l'urne dans un isoloir, ce n'est point comme citoyen détenteur du destin politique de son État qu'il élit tel ou tel autre candidat. Son choix reste motivé par son appartenance à une communauté dont l'absence de représentativité dans la gestion des affaires publiques est perçue par lui comme une source d'enlisement de sa communauté dans la misère. En retour, cette tendance illustre la difficulté à intégrer les intérêts des membres appartenant à d'autres communautés et à avoir, par le biais d'une démarche critique, un profond respect pour la chose publique. Plus loin, tout porte à considérer que ce que l'on désigne par « bien public » n'est que la propriété de la communauté ethnique hissée au devant de la scène politique62.

    61 Repris par B. A. Davakan, Citoyenneté et identités comme enjeux d'une « démocratisation ancrée » en Afrique noire : illustration par les trois villes autonomes du Bénin, Thèse de Doctorat en Sociologie, Université du Québec à Montréal, Mars 2009, p. 23.

    62 En développant cette idée, nous nous référons au travail réalisé par E.-M. Mbonda au sujet de l'État camerounais, in « La « justice ethnique » comme fondement de la paix dans les sociétés pluriethniques. Le cas de l'Afrique.», op. cit., p. 24 sq.

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    De là résultent multiples crises, entraînant une crise de la citoyenneté ; citoyenneté sans laquelle on ne parvient pas à agir en fonction de l'intérêt général. Ce manque de lucidité dans la poursuite de l'intérêt national fait que dans beaucoup de pays d'Afrique noire, la composition des différents partis politiques fait état d'une imposture ethnocentriste. À ce premier élément, s'ajoute la persistance de la tradition de l'enrichissement par le pouvoir politique63. Ce dernier trait témoigne en faveur de l'ethnicité comme production, comme stratégie politique diffusant dans la mémoire collective des préjugés tenaces. Bowao l'a bien démontré, en s'inspirant de la réalité congolaise, lorsqu'il laissait entendre :

    Le Congo a été dirigé successivement par les Kongo, les Lari, les Kouyou, les Mbochi, les N'zébi noyés dans le « NiBoLek ». Les ethnies qui ont accompagné les autres ethnies au pouvoir jusque-là, attendent, à leur tour, qu'un enfant téméraire du terroir réussisse à se frayer le chemin d'un destin national pour honorer les siens64.

    Ce visage politique au Congo nous donne déjà un aperçu sur le terme « ghetto65 » et son rapport à la conscience nationale. Il est souhaitable, en ce sens, de commencer par définir la « conscience nationale ». Par conscience nationale en effet, nous entendons ici la formation de la conscience individuelle et collective qui présuppose une appropriation du vivre-ensemble dans le sens d'une participation à la construction de l'unité politique malgré nos différences ethniques. La conscience nationale, telle que définie, est en liaison étroite avec la nation politique qui s'articule autour d'un idéal de projet de société. Mais que dire du « ghetto » ? Employé étymologiquement pour désigner les quartiers juifs des grandes villes, le terme « ghetto » par extension désignait un milieu refermé sur lui-même. Ce qui est frappant à travers l'usage de ce terme, c'est la difficulté d'accès ou la marginalisation de certains milieux au sein d'un même État. C'est ainsi que, lorsque ce terme apparaît dans le rapport de l'Institut Montaigne, il désigne « Ces quartiers que la

    63 Confère à ce propos J.-F. Bayart, L'État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 2006 [1989], p. 288-296.

    64 C. Z. Bowao, L'imposture ethnocentriste. Plaidoyer pour une argumentation éthique du politique, Brazzaville, les Éditions Hemar, 2014, p. 38-39.

    65 Le ghetto désigne au Moyen Âge les quartiers dans lesquels les juifs étaient tenus de résider en Italie. Par extension, il a ensuite désigné les quartiers juifs des grandes villes. Puis le ghetto est devenu la configuration classique de l'habitat des Noirs américains pendant plus de 80 ans. La plupart des définitions insistent sur la tendance à l'uniformité socio-ethnique de ces territoires et sur l'existence de multiples barrières rendant la sortie du ghetto difficile. Confer le rapport de l'Institut Montaigne, Les oubliés de l'égalité des chances, 2004, p. 154.

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    France appelle pudiquement des Zones Urbaines Sensibles (ZUS) (...) des quartiers à part66 ». Mais, lorsque nous l'employons dans ce travail il ne caractérise pas la condition de groupes ethniques refermés sur eux-mêmes au nom d'une pureté ou homogénéité parfaite, puisqu'à travers des pratiques courantes comme les mariages interethniques, il est impossible de parler aujourd'hui d'une « pureté ethnique ». Par « ghetto », nous voulons affirmer cette incapacité des africains à transcender les liens ethniques dans l'optique de faire porter le débat démocratique autour du véritable projet de société.

    Pour attester l'assise scientifique de cette idée, tâchons de recourir à la réalité politique au Togo. Au plan politique en effet, l'opposition entre Nord-Sud, que le commun des hommes réduit à tort à une opposition entre l'ethnie « Ewé » (que l'on identifie volontiers à tout le Sud du Togo) et l'ethnie « Kabiyè » (à laquelle on résume toute la diversité ethnique qui compose le Nord), se reflète à travers la composition des partis politiques et les résultats issus des urnes. Ainsi par exemple, lors des législatives de 2007, l'obtention des sièges par les trois grands partis politiques que sont le Rassemblement du peuple togolais (RPT), l'Union des Forces du Changement (UFC) et le Comité d'action pour le renouveau (CAR) faisait état d'un primat de l'appartenance ethnique sur le sentiment national. En raison des provenances ethniques qui s'identifient au régionalisme au Togo, le Sud vote majoritairement pour le parti dont les membres étaient majoritairement du Sud tandis que le Nord manifeste sa préférence au parti dont le fondateur est du Nord. À ce titre, les résultats des législatives de 2007 au Togo nous en donne une ébauche d'analyse :

    En effet, sur 81 sièges à pourvoir, le Rassemblement du peuple togolais (RPT) a obtenu 50 députés soit la majorité absolue. Mais surtout, sur les 38 sièges disponibles au Nord, il enleva 37, un seul siège, celui de Sokodé ville lui ayant échappé. Les 13 autres sièges ont été obtenus notamment dans les circonscriptions où les ethnies Kabiyè, lamba et nawdba sont importantes. Les scores des autres partis confirment ce vote ethnique. L'Union des forces du changement (UFC) dont les cadres sont majoritairement éwé a obtenu 27 sièges dont un seulement au Nord. Il remporta la totalité des sièges dans les Lacs, le Zio, l'Avé, le Golfe et 4 sièges sur les 5 de Lomé-commune. L'aire culturelle « éwé » est donc dominée par l'UFC. Le Comité d'action pour le renouveau (CAR) a gagné les 3 sièges de Yoto et 1 dans le Vo. Ces deux préfectures

    66 Institut Montaigne, Les oubliés de l'égalité des chances, Paris, 2004, p. 153-154.

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    sont majoritairement peuplées par les Ouatchi, ethnie de Maître Y. Agboyibo, alors premier ministre et président du CAR67.

    À partir de ces résultats, le constat qui s'impose à toute analyse est celui d'après lequel les électeurs se trouvent moins concernés par les programmes politiques ou par les projets de sociétés que par l'appartenance ethnique des candidats. Une telle prédisposition de l'imaginaire collectif des populations africaines est de nature à favoriser la logique mobilisatrice et calculatrice des identités ethniques. Plus encore, elle illustre aussi la difficulté à se départir de ses liens ethniques pour penser le bien commun dans un univers composé d'une diversité ethnique. Dans cette logique, l'expression « ghetto ethnique », qui tire ainsi sa pertinence, se laisse appréhender comme une entrave à l'émergence d'une conscience nationale ; cette dernière ayant été définie comme l'articulation des différentes aspirations autour d'un projet de société. Précisons en outre, que cette évocation ne se comprendrait parfaitement que si deux arguments sont pris en considération :

    Le premier argument repose sur la conviction que, le repli sur la sphère ethnique est une sorte de subconscience vécue individuellement et/ou collectivement. C'est d'ailleurs ce qui rend possible les manoeuvres politiciennes et la personnalisation du pouvoir malgré la vague de dirigeants se succédant au pouvoir depuis les indépendances. En réalité, si le repli sur la sphère ethnique ne justifiait pas ce type de subconscience vécue au plan individuel et collectif, comment saurions-nous prouver la logique instrumentale de l'appareil d'État ? On découvre dans une certaine mesure que, la conception la plus répandue, celle-là qui attribue l'usage des leviers ethniques aux seuls gouvernants demande néanmoins à être réexaminée et peut-être nuancée. Puisque dans ce que l'on a identifié comme génocide sur le continent noir, les différents facteurs ayant engendré ces différents affrontements ont souvent mis en exergue la part active des populations elles-mêmes dans le renforcement des clivages ethniques à travers l'éducation familiale68.

    67 E. Batchana, « Le Togo face au défi de la construction nationale : comment l'ethnie et la région déterminent-elles le comportement des électeurs togolais (1958-2007) », Journal de la Recherche scientifique de l'Université de Lomé, Vol. 1, N° 3, 2013, p. 16.

    68 Pour une remarquable analyse des différents facteurs éducatifs engendrant les guerres au sein des États africains, voir J.-P. Chrétien (dir), Rwanda : les médias du génocide, Paris, Karthala, 1995.

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    Le second argument nous invite à considérer ce que Renaut, en analysant le multiculturalisme américain, désignait par l'absence d'un « interchange des ethnies69 ». En effet, perçus comme « une société multiethnique », les États-Unis dans la perspective d'assurer un traitement convenable de leur diversité ont débouché, d'après les termes propres à Renaut, sur une pure et simple « juxtaposition » ethnique. Symétriquement, une telle juxtaposition peut être mobilisée pour refouler l'apparent brassage interethnique des africains ; lequel brassage porte d'ordinaire à affirmer un parfait métissage desdites populations. En ce point de la réflexion, refouler le brassage interethnique qui pourrait être interprété comme l'indice de cohésion des populations africaines revient à penser au véritable moteur d'un dialogue interethnique. La recherche de cet élan vers l'autre, centrée sur la nécessité d'un principe fédérateur, serait un fondement incontournable du vivre-ensemble à partir duquel les États africains pourraient se soustraire de l'emprise des différentes guerres ethniques. Car :

    Lorsque des identités peuvent tout au plus coexister parce qu'il n'y a rien qui puisse les motiver à étendre, leur partialité ou leurs préférences sympathiques à des identités autres, cela les prédispose à une dangereuse juxtaposition qui risque de déboucher sur la guerre, tant leurs appétits ne sont pas régulés par un principe à la fois transcendant et fédérateur (...)70.

    Conclusion

    En définitive, ce chapitre s'est proposé d'aborder la question de l'ethnicité à partir de certains repères. Nous en reconnaissons trois : la colonisation, l'État-nation et la démocratie, tous servant de support à un investissement identitaire. Ce chapitre s'est ensuite proposé de cerner le sens des concepts d'« ethnie » et « ethnicité » dans le champ précis de l'Afrique noire à partir des débats entre la tendance primordialiste et la tendance constructiviste. Ainsi, nous avons, le temps de l'analyse normative, considéré « ethnie » et « ethnicité » dans une dimension double. Une dimension anthropologique en référence à la culture servant de référentiel commun au groupe

    69 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 341.

    70 L. Ayissi, « L'État postcolonial d'Afrique et le problème du vivre-ensemble », in E.-M. Mbonda (dir.), La refondation de l'État en Afrique, justice, efficacité et convivialité, Annales du CERJUSP, n° 001, Yaoundé, éditions terroirs, 2009, p. 143.

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    qui s'identifie à cette même appartenance ; et une dimension psychologique, faisant en cela référence à la conscience qu'ont les acteurs d'appartenir à ce groupe. Au vu de ces deux dimensions, l'ethnie, qui apparaît aux yeux de Weber comme « un fourre-tout71 », est présentée dans ce travail comme la conscience d'appartenir à un groupe humain distinct des autres par des critères réels ou supposés ; et l'ethnicité, quant à elle, est présentée comme l'expression de cette conscience d'appartenance à ce groupe.

    Aussi avons-nous insisté, tout au long de ce chapitre, sur la place prépondérante de la colonisation dans la production de l'ethnicité africaine. Toutefois, loin que cette étude se limite à la part importante occupée par la colonisation, elle a mis en avant la question de la « réappropriation » par les populations locales dont les élites dirigeantes en ont fait une stratégie d'accès au pouvoir d'État. Fidèles à cette entreprise coloniale, les dirigeants vont s'évertuer à poursuivre et à amplifier, dans une certaine mesure, cette entreprise dont les bases remontent à l'époque coloniale. Le résultat le plus choquant de cette « rétroaction » est que, la diversité ethnique des populations réunis au sein du nouveau creuset national sera évoquée pour éluder le projet moderne de démocratisation. Et c'est cette conception de la diversité ethnique comme obstacle à la construction des nations démocratiques qui nous suggère l'idée d'un alibi, c'est-à-dire un faux prétexte. Pour comprendre plus en profondeur le sens de cet alibi, la suite de ce travail sera consacrée à l'État-nation et à la démocratie, le premier, c'est-à-dire l'État-nation, constituant un repère, puisque nous l'identifions comme le seul support dont la crise exige une reformulation de la démocratie. Par ailleurs, il convient de préciser que notre traitement de la question sera, infailliblement, informé par un arrière-plan sensible à la diversité multiculturelle, multiethnique et multinationale.

    71 M. Weber, Economie et société, t. 2, Paris, Plon, 2003, p. 139.

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    CHAPITRE II : DE LA CRISE DE L'ÉTAT-NATION AFRICAIN À LA POLITIQUE DES IDENTITÉS ETHNIQUES

    Introduction

    Le souci de construire des « nations civiques », trait marquant de la modernité politique, s'est traduit par l'exigence d'un référentiel commun devant fonder la cohésion sociale. Dans cette logique, il faudrait prendre acte du fait que la démocratie moderne, placée au défi de former un contrat politique entre les citoyens, a recours à un arsenal légitimant la nécessité d'une culture publique commune, d'une conscience historique commune, des institutions publiques communes pour créer l'unité politique et la solidarité entre les citoyens. À la lumière de cet arsenal juridico-politique, fondant désormais l'identité nationale, c'est donc l' « État-nation », en tant que volonté manifeste de concilier une notion d'ordre juridique avec celle d'ordre identitaire, qui va recevoir ses lettres de noblesse. Et ceci pour plusieurs raisons qui tiennent toutes à la clarté de cette formule : « L'État-nation demeure la forme limitée et souveraine des droits et des devoirs des gouvernés en dépit des fragmentations intra-nationales ou ethniques et des restructurations supranationales à l'oeuvre dans les fédérations territoriales et multinationales72 ». Cette formule témoigne à suffisance que l'État-nation, pure invention de la modernité politique, vise la conciliation de l'unité et de la diversité, c'est-à-dire la conciliation de la diversité des appartenances avec l'unité de la loi. En sorte que, à travers cet objectif, on est en droit de dire que le concept d'État-nation a une résonance éminemment régulatrice.

    Cependant, dans le strict contexte de l'Afrique noire, au lieu que l'État-nation soit le véritable creuset de la cohésion sociale comme on pouvait le lire au tréfonds de son invention en Occident, la cohabitation des peuples hétérogènes y est plutôt vécue « comme la conséquence d'un mauvais sort jeté à l'État par un Destin

    72 M. Elbaz, « L'inestimable lien civique dans la société-monde », op. cit., p. 16.

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    politiquement malveillant73 ». Ceci a pour fondement le renforcement des forces centrifuges à l'oeuvre dans la déstabilisation du lien social et politique. Se trouve ainsi posée « l'hétérogénéité ethnique des sociétés africaines comme un obstacle insurmontable à leur démocratisation74 ». À la lueur de cette formule, deux pistes de réflexion sont à explorer dans ce chapitre : la crise de l'État-nation africain d'une part, et, d'autre part, le projet de refondation de la nation démocratique à la lumière de la politique des identités ethniques.

    2.1 De la difficile conciliation du Même avec le Divers à la crise de l'État-nation africain

    Penser l'Un dans le Multiple, le Semblable dans le Dissemblable, ou si l'on préfère, l'Unité dans la Diversité, tel paraît plus que jamais la préoccupation de la philosophie politique moderne. Et si l'on s'interroge sur le rapport du Même avec le Divers dans l'État-nation africain, ce n'est pas parce que ce type de rapport (dans le cadre d'un règne du Même exclusif du Divers) nous conduit vers des tensions identitaires donnant lieu à des horizons meurtriers. Mais c'est surtout parce qu'il y a nécessité de construire un « Nous » politique dans les États d'Afrique noire. Ainsi donc, le rapport entre le Même et le Divers prend une envergure telle qu'il devient impérieux de poser sur ces deux concepts un regard de précision. De là vient que, antérieurement à ce rapport controversé, il faudra avant toute analyse concentrer tout particulièrement l'attention sur la signification du « Même » et du « Divers » : qu'est-ce que le Même et qu'est-ce que le Divers ?

    En se fondant sur ses sources latines, le « Même » se laisse appréhender comme ce qui marque la similitude, la réduction à l'identique ou, de surcroît l'identité totale d'une chose avec une autre. Dans cette perspective étymologique, le « Divers » apparaît comme la marque du pluriel, c'est-à-dire ce qui présente des aspects différents. Par le biais de l'étymologie, nous nous assurons déjà de façon réflexive d'un entrelacement difficile entre ce qui s'affirme comme identique et ce qui pourrait

    73 L. Ayissi, « L'État postcolonial d'Afrique et le problème du vivre-ensemble », in E.-M. Mbonda (dir), La refondation de l'État en Afrique, justice, efficacité et convivialité, Annales du CERJUP N° 001, Yaoundé, éditions terroirs, 2009, p. 142.

    74 R. Otayek, « L'Afrique au prisme de l'ethnicité : perception française et actualité du débat », op. cit., p. 130.

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    s'affirmer dans une différence radicale. Nous insistons sur l'approche étymologique de ces deux concepts en établissant un lien étroit avec l'analyse philosophique qui nous suggère l'idée de l'universel (induite par le Même) et celle de la différence (induite par le Divers). Renaut s'investit tout particulièrement dans l'analyse de ce que constituent le Même d'une part, et, le Divers d'autre part. Sous sa plume, le Même représente « ce par quoi, culturellement, les humains sont semblables75 », « ce qui est humainement même76 » ; tandis que le Divers est « ce par quoi les humains sont dissemblables77 ». Toute la controverse suscitée par le rapport du Même au Divers tient au règne du Même exclusif du Divers. Par exemple, en concevant le premier comme l'uniforme ou l'identique, la culture occidentale qui étendait son emprise sur le reste du monde procédait à une « néantisation des particularités », au nom d'une hégémonie culturelle placée sous la férule de l'Occident. Ce traitement de la diversité, en termes de « différence sublimée » ou de l'universel se fermant aux particularismes, apporte des éclaircissements au sujet de l'émergence de l'État-nation et sa planétarisation.

    Ainsi, lorsqu'on considère le Même comme ce qui est homogène et le Divers comme ce qui est hétérogène, il y a lieu de voir en l'État-nation ce souci de concilier la diversité des intérêts avec l'affirmation des particularismes communautaires. D'un point de vue analytique, l'État représente l'universel juridique régi par des lois et des institutions à caractère universel tandis que la nation, elle, se laisse définir dans un sens comme « un effort d'arrachement aux identités et aux appartenances vécues comme naturelles78 ». En suivant les explications proposées par Broohm, l'État-nation se laisse définir comme le projet rationnel de la modernité politique visant à concilier les différences ethno-identitaires avec les droits civiques et universels. Par État-nation, nous entendons donc, la transcendance des particularismes identitaires au profit d'une culture de l'universel ouverte aux différences.

    Ce qui est à révéler, à partir de cette définition de l'État-nation, c'est l'échec du projet de démocratisation dans le contexte africain. En Afrique noire où l'État-nation

    75 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 314.

    76 Ibid., p. 315.

    77 Ibid., p. 314.

    78 N. O. Broohm, « Nationalité et citoyenneté : défis et enjeux dans les Etats pluriethniques africains aujourd'hui », Mosaïque, N° 001, Lomé, décembre 2003, p. 51.

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    s'est imposé par le biais de la colonisation, et ce d'abord indépendamment de la démocratie, il y a une réelle tension entre la diversité ethnique et l'universel abstrait tel que diffusé par l'État-nation démocratique. En réalité, le principe qui régit la démocratie libérale est celui de l'individu maintenu dans l'horizon de sujet abstrait agissant en toute autonomie et indépendance. Ce qui ne s'accorde pas avec l'esprit communautaire africain en fonction duquel, les acteurs politiques tendent toujours à agir en faveur de leur communauté d'origine. Dans son étude portant sur Les mirages de la démocratie en Afrique subsaharienne francophone, Akindès rendait compte assez objectivement de cette contradiction entre esprit communautaire africain et esprit individualiste de la démocratie libérale. Ainsi écrit-il :

    Cette idéologie de l'individualisme et le « contrat social » qu'il appelle semblent directement entrer en contradiction avec l'esprit communautaire africain où le droit se voudrait non pas le droit de l'homme- en tant qu'agrégat- mais le droit des communautés. Selon ce droit communautaire, l'individu n'existe que par rapport au groupe social auquel il appartient79.

    Dans le sens des idées défendues par Akindès, lorsque l'on considère le Même comme la culture occidentale dont l'expansion à travers le monde est vue par certains comme l'expression d'un nouvel impérialisme culturel, on pourrait entrevoir l'idée d'un règne du Divers exclusif du Même. Cette idée se lit clairement à travers le rejet de l'État-nation en Afrique en partant de l'idée d'un mimétisme systématique des structures du colonisateur. Partant du constat de Médard selon lequel « L'État en Afrique ne fonctionne pas parce qu'il est une copie de l'État occidental (ou de l'État colonial)80 », nous pouvons comprendre, plus en profondeur, ce rapport d'exclusion entre le Même et le Divers en Afrique noire en parlant de L'Etat importé81 avec Badie ou encore de La Greffe de l'État82 avec Bayart. Tout au long de leurs ouvrages, le lecteur constatera une crise de l'État-nation en Afrique noire, découlant d'un mimétisme informel et d'une discrimination ethnique. Pour attester ce propos, on peut essayer d'interroger la réalité politique de certains États africains à travers un recul historique.

    79 F. Akindès, Les mirages de la démocratie en Afrique subsaharienne francophone, Paris, Karthala, 1996, p. 168.

    80 J.-F Médard, « L'État en Afrique ne fonctionne pas parce qu'il est une copie de l'État occidental (ou de l'État colonial) », in G. Courade (dir.), L'Afrique. Des idées reçues, Paris, Belin, 2006, p. 191-196.

    81 B. Badie, L'Etat importé, Paris, Fayard, 1992.

    82 J.-F Bayart (dir.), La Greffe de l'État, Paris, Karthala, 1996.

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    Ainsi, historiquement parlant, l'idée de la crise de l'État-nation africain trouve sa traduction concrète dans la réalité politique rwandaise où la politique d'exclusion ethnique occasionnée par la « révolution sociale » Hutu de 1959 engendre une guerre inter-ethnique. Au Rwanda en effet, la crise de l'État-nation se présente comme la résultante d'une longue histoire de discrimination ethnique qui débute avec la colonisation. En un sens, la crise de l'État-nation s'y est posée en termes de clivage Hutu-Tutsi. Depuis la colonisation qui a participé au renforcement de préjugés tenaces entre ces deux groupes ethniques, le repli ethnique a contribué à former des bastions ethniques se transformant, au demeurant, en bastions électoraux. Ainsi, le régime « Habyarymana » une fois au pouvoir en 1973 aura comme objectif le renversement de l'hégémonie des Tutsi, la condamnation de ces derniers à l'exclusion, à l'exil ou même à la mort. Toutefois, la contre-offensive des Tutsi à travers le Front patriotique rwandais (FPR) visant la restauration de leur ancienne domination sera au fondement de l'inoubliable affrontement connu sous le nom de génocide rwandais. À titre indicatif, précisons que ces affrontements inter-ethniques que l'on considère ici comme relevant de la « crise de l'État-nation » reste tributaire de la difficile cohabitation de ces différentes ethnies dont la gestion au plan étatique passe par la politique d'exclusion ethnique.

    Cette politique d'exclusion ethnique, expression d'une difficile conciliation du Même avec le Divers, est la source de multiples affrontements au sein des États-nations africains. N'en servirait aussi pour preuve que le concept d' « ivoirité » ayant alimenté le processus de crispation sur le référentiel de l'identité nationale ivoirienne. Définie comme « la marque d'une conception essentialiste et exclusive de l'identité nationale ivoirienne83 », l' « ivoirité » est une rationalisation du discours portant sur les origines et dont la portée en terre ivoirienne consistait à opérer une nette distinction entre « vrais » et « faux » ivoiriens en insistant sur l'ascendance ivoirienne « pure ». Résultat d'une rivalité politique entre Bédié et Ouattara, l' « ivoirité » s'est imposée dans le contexte politique ivoirien à la suite d'un référendum en mai 2000. Depuis lors, elle y a occasionné des guerres civiles. Or, comme l'écrivait déjà, il y a belle lurette, Hobbes : « les lois se taisent là où parlent

    83 J.-F. Havard, « Histoire (s), mémoire (s) collective (s) et construction des identités nationales dans l'Afrique subsaharienne postcoloniale », Cités, n° 29, Paris, 2007, p. 77.

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    les armes84 ». Du coup, la démocratie, ou encore le gouvernement de la loi, se voit spoliée par cette tension entre le « Même » et le « Divers » compris respectivement comme la « nation civique » et la « nation ethnique ».

    L'heure étant à la crise de l'État-nation dans notre contexte sociopolitique, il est en tout cas patent d'évoquer le difficile entrelacement entre le Divers et le Même. En ce sens, écoutons Ndebi Biya, ressaisir toute l'acuité du problème :

    le problème de la forme de l'État et de la cohabitation ethnique en Afrique est celui de la dialectique de l'Un et du Multiple. Comment réussir un État fort, pacifique et prospère grâce à une forme de cohabitation des ethnies qui ne doivent pas se supprimer, mais plutôt éclore avantageusement dans leurs diversités et différences respectives. Si l'État les phagocyte pour survivre seul, il disparaît lui-même avant elles. Mais si au contraire, les ethnies rejettent l'État, considéré concurrent par chacune d'elles, elles se détruiront toutes par les guerres tribales, l'hégémonie possible de l'une serait à jamais menacée par les autres et son développement dans le temps serait le destin de Sisyphe85.

    À partir du réveil des appartenances ethniques, occasionné par le vent démocratique qui souffle sur le continent noir dans les années mille neuf cent quatre-vingt-dix, il est désormais question de déterminer les conditions d'un « savoir-vivre au pluriel ». D'après cette nouvelle exigence, la solution consistant autrefois à maintenir l'unité nationale au détriment des identités ethniques semble inappropriée. Reste alors à rappeler que le Même et le Divers correspondent pour nous dans ce travail à deux sphères où nous pouvons apercevoir le plus nettement, la distinction entre la « nation ethnique » et la « nation civique » en tant que cette distinction permet de comprendre à la fois, la crise de la citoyenneté démocratique, le déficit de justice sociale et la récurrence des violences. Sous cet angle, il y a d'abord nécessité de cerner le sens exact de ces deux types de nations. Utilisée au préalable par Coquerel86 pour caractériser le sentiment d'appartenance des Zulu d'Afrique du Sud à une même tradition et par Lamoureux87 qui s'en est servi pour caractériser le projet d'autonomie revendiquée par le Québec au sein de l'unité canadienne, la « nation

    84 T. Hobbes, Le citoyen ou les fondements de la politique, Trad. de S. Sorbière, 1649, p. 67.

    En ligne sur le site http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html

    85 Cité par L. Ayissi, op. cit., p. 148.

    86 P. Coquerel, « Les Zulu dans l'Afrique du Sud contemporaine », in J.-P. Chrétien et G. Prunier (dir.), Les ethnies ont une histoire, Paris, Karthala, 1989, p. 418-421.

    87 D. Lamoureux, «Citoyenneté, nationalité, culture», in M. Elbaz et D. Helly (dir.), Mondialisation, citoyenneté et multiculturalisme, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 2000, p. 9.

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    ethnique » sous la plume de ces deux auteurs s'inscrit dans le registre de la reconnaissance institutionnelle variée qu'exigent certains groupes ethniques : indépendance, autonomie, participation réglée à un État-nation. En d'autres termes, la nation ethnique n'aura été que le résultat de la résurgence au sein de l'État-nation d'un sentiment d'appartenance ethnique exigeant une reconnaissance politique voire même juridique. Dans une perspective assez comparable, nous utiliserons dans la suite de ce travail cette notion d'un point de vue double : d'un point de vue conceptuel en référence au « Divers » qui est le signe de la diversité ethnique et, d'un point de vue politique pour désigner la prise en compte institutionnelle par les acteurs politiques des quotas ethniques dans la gestion des affaires de l'État. Aussi comme nous le verrons ultérieurement, ce type de nation aboutit aujourd'hui, dans les États qui s'emploient à en faire un mode particulier de gouvernance, à des violences interethniques88. Puisqu'il a pour effet direct, l'absence d'une conscience patriotique.

    Quant à la « nation civique », elle n'est rien d'autre que l'expression de l'unité nationale étatique fondée sur le respect des valeurs communes qu'exige la poursuite d'un destin commun. En cela, nous nous référons à l'oeuvre de Manent89 ; une oeuvre dont le chapitre90 quatre en retraçant l'histoire de la nation en Europe fournit, d'après notre analyse, le fondement de la nation civique : celui d'une « communauté de destin ». En résulte de ses travaux notre appréhension de la nation civique comme la poursuite d'un destin commun en dépit de la diversité ethnique composant les États d'Afrique noire. Elle est essentiellement circonstancielle parce que les nations modernes, fondées non plus sur les liens de sang mais sur un contrat politique, ont besoin d'un consensus. On pourrait, à bon droit, lui affecter le caractère de « patriotisme rationnel91 » tel qu'il apparaît sous la plume de Menissier comme une exigence de synthèse entre l'ethnique et le civique. L'idée de « destin commun » inhérente à la nation civique nous achemine tout naturellement vers une autre idée, celle de « la communauté de citoyens92 », trait marquant de la citoyenneté moderne.

    88 Voir le développement consacré au vécu de l'ethnicité au Cameroun, in E.-M. Mbonda, « La « Justice ethnique » comme fondement de la paix», op. cit., p. 18-27.

    89 P. Manent, Cours familier de philosophie politique, Paris, Fayard, 2001.

    90 « L'Europe et l'avenir de la nation », in P. Manent, ibid., p. 101-116.

    91 T. Menissier, op. cit., p. 91.

    92 Confère D. Schnapper, La communauté des citoyens, Paris, Gallimard, 1994.

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    Ainsi s'établit le lien entre nation civique et citoyenneté. En effet, en tant que membre d'une communauté nationale, le citoyen agit voire interagit avec d'autres membres de la communauté. Son action est rendue possible grâce à une armature juridico-institutionnelle qui consacre l'égalité de tous devant la loi. C'est cette armature juridico-institutionnelle qui rend possible, au sein des nations civiques, l'exercice de la citoyenneté entendue comme ce qui lie un citoyen « aux autres membres de la communauté politique, ce qui le place dans leur dépendance tout en lui conférant une part de responsabilité dans leur destin93 ». La nation civique se réfère ici au « Même » qui fait appel à la construction d'une identité collective malgré la diversité des appartenances ethniques. Comprises respectivement comme le Divers et le Même, la nation ethnique et la nation civique sont situées dans un dualisme contradictoire rigide en Afrique noire. Ce qui génère aujourd'hui la difficulté à construire une identité civique au sein des États-nations africains.

    Lorsqu'on tente d'appréhender cette difficulté à partir du discours philosophique, la tension entre nation ethnique et nation civique en Afrique noire trouve une justification dans l'absence du « peuple » comme fondement de la nation civique. Mais alors, qu'est-ce qu'un « peuple » ? Rousseau à qui revient le mérite d'avoir élevé l'interrogation au rang d'un discours philosophique formulait l'interrogation de la façon suivante : « Avant donc d'examiner l'acte par lequel un peuple élit un roi, il serait bon d'examiner l'acte par lequel un peuple est un peuple. Car cet acte étant nécessairement antérieur à l'autre est le vrai fondement de la société94 ». La réponse à cette préoccupation consacre chez Rousseau l'évidence bien connue de tous, celle du contrat social comme fondement de la société et donc comme fondement du peuple. Dans les dispositions prévues par le contrat de Rousseau, le peuple ainsi constitué se compose désormais des individus qui se reconnaissent réciproquement des droits et se les garantissent les uns les autres. En ce sens, l'idée maîtresse, servant de fil d'Ariane au modèle de contrat proposé par Rousseau, est celle du peuple comme acteur historique de son propre destin. Ce qui

    93 J. Habermas, op. cit., p. 111.

    94 J.-J. Rousseau, Du contrat social, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, p. 50.

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    fera dire plus tard à Habermas que « Selon Rousseau et Kant les destinataires du droit doivent en même temps être à même de se concevoir comme ses acteurs95 ».

    Cette définition du peuple comme acteur historique de son propre destin est celle qui nous éclaire dans l'analyse de la réalité politique africaine. En effet, lorsqu'on soumet à la sanction analytique les différentes manipulations du « peuple » aussi bien par les pouvoirs en place que par les leaders de l'Opposition, on s'aperçoit que l'ensemble des populations réunies jusqu'à présent dans le creuset de l'État-nation africain ne forment qu'un ensemble sociologique qui ne se laisse pas appréhender comme acteur de son destin collectif. En ce sens, ce qui manque en Afrique, c'est la conception du peuple comme « groupe de gens en mesure d'agir collectivement et en particulier de conférer une autorité aux institutions politiques96 ». Par conséquent, ce dont les États africains ont plus besoin aujourd'hui, c'est ce corps du peuple capable d'agir collectivement. En un sens, l'état d'esprit des acteurs politiques tentant toujours de vivifier les sentiments d'appartenance ethnique, tire prétexte de l'absence d'un contrat social comme pacte fondateur de la citoyenneté.

    En réalité, l'absence d'un pacte instituant le peuple au sens rousseauiste dans les États d'Afrique noire fait que, le peuple qui se donne un chef pour favoriser l'organisation de la vie collective, est plutôt mis au service de la survie des chefs d'États africains. Ce qui suggère, en bonne logique, les difficultés à construire un « Nous » politique auquel doivent s'articuler les différentes composantes de l'État. Le résultat le plus probant, pour emprunter des termes à Hallowell, en est que « chaque politique ne s'applique plus à travailler pour l'Etat, mais pour devenir l'Etat97 ». Dans ces conditions, comment envisager la construction du peuple comme acteur de son destin collectif dans les États-nations africains ? Comment parvenir à une identité civique à partir de la diversité ethnique ? Ou encore, pour emprunter cette inquiétude à Renaut:

    95 Repris par N. O. Broohm, « Nationalité et citoyenneté : défis et enjeux dans les Etats pluriethniques africains aujourd'hui », op. cit., p. 51.

    96 Affirmation de Miller, reprise par D. Ipperciel, « Refonder la Nation : devrait-on réhabiliter la congolité ? », in E.-M. Mbonda (dir.), La refondation de l'État en Afrique, justice, efficacité et convivialité, op. cit., p. 180.

    97 J. Hallowell, Les fondements de la démocratie, Chicago, Nouveaux Horizons, 1954, p. 60.

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    (...) semblables, mais divers, divers, mais semblables. De quelle manière pouvons-nous parvenir à nous représenter tous, donc universellement, comme des semblables, selon l'optique de ce qu'on désigne comme un universalisme, sans que les principes de cet universalisme entraînent l'exclusion ou la dévalorisation de la diversité ?98

    Conformément à cette exigence, comment la construction de structures politiques impliquant la reconnaissance du pluralisme comme un axe majeur de la démocratisation en Afrique noire, saurait-elle trouver sa traduction la plus concrète ? Face à ce défi, il importe de réexaminer les thèses plaidant en faveur d'une « communauté politique plurinationale » comme perspective d'une consolidation de la démocratie dans l'État-nation africain.

    2.2 Fonder l'État-nation africain sur la politique des identités ethniques ?

    Pendant longtemps, la démocratie en Afrique noire a été décriée sous tous les cieux parce que ne correspondant à aucune réalité africaine ; une Afrique dont la posture traditionnelle témoignait de l'entière subordination de l'individu à la communauté. Et de ce fait, l'horizon nouveau qui pointe à l'avènement de la démocratie (c'est-à-dire l'affirmation des droits individuels) a été battu en brèche. Ainsi, pour les détracteurs de la démocratie en Afrique, seul le retour aux sources purement africaines est condition de l'unité politique nationale. À bon escient, ils présentent la démocratie en Afrique comme une réalité exogène, comme un « mal qui répand la terreur » et dont la cause fondamentale, d'après Tshiyembe, est inhérente à « l'inadaptabilité du modèle étranger de l'Etat-nation aux logiques internes des sociétés africaines plurinationales99 ».

    Forts de leur grille d'analyse, ces détracteurs de la démocratie en Afrique noire proposent à leur tour la valorisation institutionnelle des ethnies comme condition unique de reconstruction du lien politique dans les États africains. Dans ce registre, deux positions dominantes sont actuellement aux prises dans le sens d'une reformulation de la démocratie en contexte africain, et aucune d'elle n'échappe à des objections de fond ou ne se trouve exempte de limites.

    98 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 252.

    99 M. Tshiyembe, Etat multinational et démocratie Africaine. Sociologie de la renaissance politique, Paris, L'Harmattan, 2001, p. 235.

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    2.2.1 L' « État multinational » comme condition de renaissance politique de l'Afrique : une lecture critique

    L'exigence d'un État multinational en Afrique que développe Tshiyembe et que l'on présente comme la première position théorique se déduit de l'histoire même du continent africain. En Afrique noire, la question de l'identité collective nationale en politique est toujours pensée, par référence à l'idée de diversité, en fonction des raisons intellectuelles de fond et des causes proprement historiques. Raisons intellectuelles de fond : l'Afrique noire, comme l'ont clamé les écrivains au lendemain des indépendances, est le lieu d'une socialisation de l'individu. Ainsi donc, le recentrage de l'individu sur lui-même, caractéristique de la démocratie moderne, semble s'inscrire hors de la réalité africaine. Causes historiques, parce que la réalité politique actuelle est tributaire de l'histoire coloniale à l'issue de laquelle différentes « nations précoloniales » se retrouvent au sein des mêmes frontières étatiques. Le regroupement de ces nations précoloniales, considérées comme des réalités « purement » africaines, au sein des mêmes entités politiques a été interprété par certains auteurs comme source de l'échec de la démocratisation des États africains.

    Ainsi en est-il de Tshiyembe qui évoque le caractère multinational des États africains pour y justifier l'échec de la démocratie. En définissant la nationalité et la citoyenneté respectivement comme « le lien et le statut d'appartenance à une communauté de caractères » et comme « lien et le statut d'appartenance à un Etat100 », il propose l'État multinational comme condition de renaissance politique de l'Afrique. Pour lui, l'État multinational serait le plus approprié à la réalité africaine parce qu' « il est l'union sacrée des nations et des citoyens (Etat fédéral) et des Etats (Etat confédéral), ancrée dans le sol par les terroirs, à la fois lieux des mémoires et d'activités unissant dans le même destin, les morts et les vivants101 ».

    Pour rendre sa thèse crédible, deux considérations importantes sont à souligner à travers ses analyses : contrairement à l'idéal démocratique hostile à la filiation des individus à certaines appartenances préétablies la première est celle qui insiste sur

    100 M. Tshiyembe, op. cit., p. 249.

    101 Ibid., p. 252.

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    l'attachement réel de l'individu à un lien social préalable. Car, comme il a eu l'occasion de le rappeler, « s'il est possible en théorie de postuler l'existence d'hommes détachés de tout lien social préalable, dans la réalité des choses ne se présentent pas de la sorte102 ». La seconde met en exergue les avantages liés à l'institution de ce type nouveau d'État en Afrique. Ainsi soutient-il que l'État multinational est l'expression du pluriel des sociétés africaines. La pertinence de son nouveau modèle d'État réside dans la volonté de concilier légitimité traditionnelle avec la légitimité moderne en mettant ensemble la diversité des appartenances avec l'unité de la loi. On peut lire la pertinence de son nouveau modèle d'État à travers son désir de rapprocher la gestion des affaires publiques des citoyens et des communautés ethniques : « le bon sens oblige que les nations puissent participer à l'activité politique, en élisant leurs propres représentants, dans des collèges spécifiques103 ».

    Certes, il est vrai, Tshiyembe en bien de ces points d'analyse suscite intérêt et attention de la part du chercheur en quête de légitimité du politique en Afrique. Toutefois, en affirmant la nécessité d'une traduction institutionnelle des appartenances ethniques, considérées par lui comme des nations sociologiques, l'État multinational comme condition d'une renaissance politique de l'Afrique, ne met pas cette première position théorique à l'abri de critiques.

    Dire, en effet, que l'État africain est multinational et tenir l'échec de la démocratie en Afrique pour un corollaire porte à considérer les États occidentaux, démocratiquement avancés, comme étant culturellement homogènes. Conception erronée d'autant puisque l'histoire des sociétés humaines, depuis l'Antiquité marquée par l'apparition des Cités jusqu'à l'époque moderne caractérisée par l'émergence des États-nations, témoigne de la cohabitation de différentes ethnies ou cultures au sein d'un même espace public. De surcroît, survaloriser l'ethnie en Afrique comme expression parfaite d'entrave à l'émergence d'un sentiment national, revient à présenter le fait ethnique en lui-même comme étant culturellement homogène. Ce que ne confirme pas la division des Bantous en neuf « ethnies » territorialisées par les bantoustans ; division portant la marque d'une diversité de

    102 M. Tshiyembe, op. cit., p. 248.

    103 Ibid., p. 254.

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    pratiques culturelles non identiques. Pour tout dire en une seule formule, disons qu'« En Afrique comme ailleurs, le tableau actuel des identités et des ethnies n'est que la conclusion provisoire d'un long cheminement : leur architecture sans cesse recomposée cumule legs ancestraux, découpes coloniales, et manipulation du temps présent104 ».

    Aussi pourrions-nous justifier le rejet de l'État multinational à partir de la persistance des crises dans le contexte européen où l'on a vu s'édifier l'État-nation. En réalité, en s'appuyant sur les revendications du peuple « Ogoni » dans le Delta du Niger et bien d'autres revendications du genre, Tshiyembe considérait l'État-nation comme une réalité exogène à l'Afrique et écartait, par contrecoup, ce modèle d'État de la réalité politique africaine. Il est vrai, l'État-nation a eu pour principal mérite de penser l'unité dans la diversité. Mais, au moment où l'on s'accorde à voir en cette invention moderne l'expression d'une intégration des différences, l'actualité en Occident ne plaide pas pour une adhésion naïve à cette position. Preuves en sont les revendications des Kurdes en Irak et en Turquie, des Basques en Espagne, des Tamouls en Inde. S'il importe de le rappeler, c'est que par une sorte d'illusion rétrospective, on aurait tendance à garder toujours à l'esprit cet idéal d'intégration ayant conduit à l'émergence de l'État-nation alors que, des pressions internes et externes qui le secouent nous suggèrent l'idée d'une « mondialisation » de la crise de l'État-nation. Crise à partir de laquelle on pourra s'inscrire en porte-à-faux avec la position défendue par Tshiyembe.

    De ces différentes critiques, il s'ensuit que l'exigence d'un État multinational en Afrique noire s'exclut du débat. Car, le problème étant de déterminer ce qui peut unir politiquement les Africains plutôt que d'insister sur ce qui les divise « ethniquement », un tel État se présente en opposition à la recherche de l'unité nécessaire pour une identité civique. Cet appel à une revalorisation des appartenances ethniques au sein de l'État en Afrique pourrait certes, trouver sa justification dans la persistance des liens sociaux mécaniques dans le psychisme collectif ou encore dans la forte socialisation africaine laissant peu de place ou même pas du tout à l'individualisme. À l'analyse cependant, cette « réappropriation » de

    104 J.-C. Bruneau, « Les ethnies ont une origine précoloniale », in G. Courade (dir.), op. cit., p. 137.

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    l'État démocratique par les Africains relève d'une impertinence. Et ceci pour au moins deux raisons : d'un côté en effet, sauf à mobiliser une forte conscience de l'individu, il est aisé de se convaincre qu'une telle réappropriation donnerait lieu à des manoeuvres politiciennes lesquelles seraient à la faveur de quelques-uns ; de l'autre côté, absence des liens primaires dérogeant ici au constat, il serait tentant pour une ethnie d'exclure les autres de l'espace public (si cet espace en venait à exister). Exclusion qu'on pourrait prévoir à travers les tentatives des dirigeants à renforcer les liens ethniques. Ces deux raisons, éventuelle expression d'une désaffection citoyenne et politique, nous invitent à une lecture critique de l'État multinational qui présente les ethnies comme des nations à part entière. Par conséquent, il s'agit de montrer que l'ethnie ne saurait être « fétichisée » dans le processus de refondation de la nation démocratique africaine.

    2.2.2 « Justice ethnique » et refondation des nations africaines : enjeux et apories conceptuelles

    Dans un lien significatif avec la première position dominante, la deuxième position théorique est celle qui plaide ouvertement en faveur d'une institutionnalisation de l'ethnicité en Afrique. Cette position est l'aboutissement des réflexions de maints auteurs dont Mbonda qui présente son modèle de « justice ethnique » comme le fondement de la paix dans les sociétés multiethniques d'Afrique. Son plaidoyer en faveur de la prise en compte institutionnelle105 de l'ethnicité met l'accent sur la politique des quotas, la décentralisation et la représentativité. Et ce point mérite d'être clarifié : il engage à la fois la justice sociale et la justice politique.

    Du point de vue de la répartition équitable des ressources et avantages sociaux en vue d'épargner les hommes d'un état de misère incompatible avec le sentiment de leur dignité (justice sociale) il est question pour Mbonda de mettre en place des mécanismes assurant la répartition égalitaire des ressources entre les différents groupes ethniques. Sous cet angle, il fait appel à la politique des quotas ethniques comme une solution propice : « la pratique des quotas dans les représentations des

    105 Nous reviendrons dans la seconde partie, sur ce point, avec Kymlicka qui, à travers cette idée d' « institutionnalisation » distingue trois droits spécifiques sur lesquels il n'est nul besoin de s'attarder pour l'heure.

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    groupes peuvent, à cet égard, si elles sont appliquées en toute équité, constituer une solution efficace106 ». Sans reprendre déjà dans une tournure critique cette idée, reconnaissons aussi que la bonne application des principes démocratiques modernes est aussi facteur de stabilité. En ce qui concerne la justice politique, il s'agit de promouvoir la participation des différents groupes à la vie collective de l'État. Les partisans de cette approche considèrent, au regard des revendications communautaires, qu'il importe de créer un cadre politique favorable à la poursuite de l'intérêt général et des intérêts particuliers. Dans ce sens, si l'on tente de cerner la logique qui a pu conduire Mbonda à épouser l'institutionnalisation de l'ethnicité, il apparaît clairement que son plaidoyer tire constat, en fait, de l'approche clientéliste de l'ethnicité qui a occasionné des génocides :

    Comme on le voit, les « circonstances (historiques) de la justice » sont plutôt celles où l'on a vu se mettre en place des structures d'iniquité qui à certains endroits, ont occasionné des génocides et ailleurs, font effectivement planer le spectre d'une « explosion ethnique nucléaire »107.

    Ainsi apparaît-il en toute clarté que Mbonda avait pour objectif, en associant, dans la démocratie, la justice ethnique et l'unité nationale, une prise en compte consciente de l'ethnicité qui se traduirait dans la politique des quotas, la décentralisation et la représentation. Respectivement, chacune de ces trois sphères a pour avantage d'assurer un équilibre du pouvoir en termes de pourcentage ethnique, de promouvoir la participation des citoyens au niveau d'une administration locale de proximité puis de donner la possibilité à chaque groupe ethnique d'avoir des représentants dans les institutions étatiques. Ainsi admettra-t-on volontiers, avec lui, que cette manière de concevoir l'ethnicité dans la gestion des affaires publiques « répond sans doute à un besoin vital de reconnaissance des identités et de participation qui aujourd'hui s'affirme avec plus de force en Afrique et ailleurs108 ».

    106 E.-M. Mbonda, «Crises politiques et refondation du lien social : quelques pistes philosophiques», Texte non publié d'une conférence prononcée à l'Université catholique de l'Afrique centrale, Centre d'études et de recherches sur la justice sociale, 2003, p. 18.

    107 E.-M. Mbonda, «La « justice ethnique » comme fondement de la paix dans les sociétés pluriethniques. Le cas de l'Afrique.», op. cit., p. 27.

    108 Ibid., p. 41.

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    Ainsi faut-il inscrire à la gloire du philosophe camerounais le fait d'avoir pensé la prise en compte des différences ethniques comme gage d'une réponse aux multiples demandes de reconnaissance. L'exigence de reconnaissance étant de nos jours un besoin humain vital, la justice ethnique comprise comme gestion rationnelle des différences ethniques participerait à l'instauration de la paix et au renforcement de la cohésion sociale. En réalité, ce qu'il y a de remarquable dans ce contexte précis de revalorisation de la différence ethnique, c'est que les analyses auxquelles se livrent les adjuvants de cette revalorisation sont rapportées par eux, de manière insistante, aux bénéfices qu'ils trouvent à concevoir la paix et la cohésion nationale à partir de l'inclusion des différences. Ainsi soutiennent-ils, par exemple, que la « ré-ethnisation » de l'espace politique en Afrique pourrait aider à dissiper les violences issues de l'exploitation clientéliste des référents ethniques.

    Mais plus important encore que cet apparent avantage est la difficulté réelle qui s'attache à cette politique de la différence fondée sur les quotas, la décentralisation et la représentation ethnique. Force est donc, dans cette nouvelle dimension, de considérer les choses de plus près. À considérer la version politique des quotas telle qu'elle est pratiquée actuellement dans certains États, on se rend compte qu'elle porte préjudice à une politique de la différence dans l'État démocratique. L'exemple qui s'impose le plus à la réflexion est celui de l'État camerounais dont les dispositions, en matière d'accès à la Fonction publique, prévoyait une répartition des places par « province d'origine » : « Au Cameroun, un décret (No 75/496) du 3 juillet 1975, modifié et complété par un autre en 1982 (No 82/407 du 7 septembre) fixe les quotas de places par « province d'origine » des parents des candidats dans toutes les écoles de l'administration civile et militaire109 ».

    Dans le sillage de ce décret, nul ne saurait méconnaître les limites de la gestion des quotas à partir des difficultés qui ont fait écho. Dans ce contexte, la gestion politique fondée sur les quotas s'est révélée inefficace. Pour le comprendre, il suffit de ressasser la difficulté dans la définition même de « province d'origine » et des conditions d'appartenance à telle ou telle autre province. Elle a occasionné une répartition arbitraire et absolue des postes. Pour en percevoir davantage de limites,

    109 E.-M. Mbonda, «La « justice ethnique » comme fondement de la paix dans les sociétés pluriethniques. Le cas de l'Afrique.», op. cit., p. 36.

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    tâchons d'opérer un rapprochement entre Mbonda et Taylor. On pourrait établir ce rapprochement en se fondant sur la notion de « justice ethnique » que le premier envisage comme « une prise en compte des différences ethniques110 ». Pour sa part, Taylor plaide pour une reconnaissance politique des identités culturelles à partir de son ouvrage Multiculturalisme, différence et démocratie. Conscient au demeurant de la difficulté qui entourait sa nouvelle politique, il écrit : « La variante hospitalière que je préfère - tout comme les formes les plus rigides - doit savoir où s'arrêter111 ».

    De ce côté réside justement l'ambiguïté qui s'attache aux solutions préconisant la reconnaissance des identités culturelles et l'institutionnalisation de l'ethnicité : jusqu'où l'exigence de s'arrêter comme l'affirme bien Taylor peut-elle se situer ? En réalité, Taylor tout en évoquant les préjugés racistes comme limitation à tout projet de reconnaissance ne nous dévoile pas pour autant toute l'ambiguïté du problème. Le constat de cette part d'ombre inscrite dans l'ouvrage de ce penseur de la reconnaissance culturelle soulève en vérité une impressionnante série d'interrogations : jusqu'où la valorisation de la différence fondée sur l'appartenance à une culture peut-elle se justifier sans porter atteinte à l'intégrité de l'individu ? Jusqu'où cette valorisation culturelle peut-elle se légitimer sans porter atteinte à la cohésion entre les différentes communautés culturelles réunies au sein d'un même espace social ? On sera d'emblée conduit à douter, pour peu du moins que l'on reconnaisse du crédit à ce modèle de reconnaissance, de sa pertinence en matière de recomposition du lien social et politique. Ceci donne du relief à la conclusion sans cesse renouvelée de Cahen :

    l'important est de trouver le biais permettant pleinement de tenir compte politiquement de l'ethnicité ; sans lui donner institutionnellement des pouvoirs qui eux, forcément, auraient tendance à figer les groupes dont les élites voudraient ainsi s'autoreproduire112.

    110 E.-M. Mbonda, «La « justice ethnique » comme fondement de la paix dans les sociétés pluriethniques. Le cas de l'Afrique.», op. cit., p. 48.

    111 C. Taylor, op. cit., p. 86.

    112 Cité par O. N. Broohm, « L'intellectuel, la modernité politique et l'alibi ethnique », Repères, Vol. 2, n° 1, Abidjan, 2000, p. 136.

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    Conclusion

    À l'évocation de tous les aspects de la crise inhérente à l'État-nation en Afrique noire, il apparaît que celle-ci relève à la fois de deux logiques différentes : celle de l'homogénéisation du divers, qui tend de plus en plus vers un sacrifice des différentes ethnies, et celle de la prise en compte institutionnelle des différences ethniques (cette seconde logique relève d'une visée à la fois participative et protectrice des minorités ethniques). La seconde, c'est-à-dire la prise en compte institutionnelle des différences ethniques, est à l'évidence, la plus en vogue de nos jours. En effet, fondé sur la conviction que l'ethnie est une réalité purement africaine, l'idée d'une reformulation spécifiquement africaine de la démocratie militait en faveur de la revalorisation de l'ethnicité :

    Peut-on faire l'impasse, en Afrique notamment, sur les identités collectives les plus solidement attestées : les solidarités régionales, c'est-à-dire, pour parler franc, ethniques ? Rares sont les partis - et même ceux qui ont réussi à devenir partis-État - qui n'ont pas été à l'origine des partis régionalistes. (...) À trop vouloir chasser le « naturel » des sociétés africaines - qui est sans doute la meilleure part de leur culture -, on risque de réduire singulièrement « l'ouverture »113.

    À partir de cette affirmation, Savonnet-Guyot mettait l'accent sur la place importante des allégeances communautaires dans l'esprit africain. Par cette affirmation, elle faisait appel à une « ré-ethnisation » de la vie politique comme horizon incontournable au sein des États africains se trouvant dans l'incapacité à effacer les solidarités ethniques. Toutefois, les raisons évoquées pour montrer le risque d'un effacement de la solidarité transcommunautaire nous poussent à refonder la démocratie en nous basant sur une gestion plus « avisée » de la diversité ethnique. D'ailleurs, à considérer la version qu'en fournit Renaut, à la fin de son élaboration, la reconnaissance de la diversité en termes de richesse est complexe en ce que cette reconnaissance relève d'un jugement de valeur qui ne peut se fonder empiriquement :

    Nous penser comme divers, mais semblables, ou comme semblables, mais divers : comment pouvons-nous désormais remplir ce programme de réflexion et d'action, sans reconduire la

    113 C. Savonnet-Guyot, « Réflexions sur quelques objets politiques à identifier : crise de l'État, crise de la « société civile », ouverture démocratique », in G. Conac (dir.), op. cit., p. 128.

    colonisation des identités par une dynamique mondiale de réduplication à l'identique ? Et d'abord selon quelles étapes tenter d'y parvenir ?114

    Pour essayer de répondre à cette préoccupation, il est urgent de se référer à un modèle normatif susceptible de déverrouiller la relation exclusiviste qui lie l'individu à sa communauté.

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    114 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 251.

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    Conclusion de la première partie

    En faisant état de toutes les circonstances qui conduisent les africains à s'enrôler dans les frontières ethniques, nous nous trouvons face à deux difficultés. Première difficulté : prenant acte des bouleversements de la conscience nationale au sein des États d'Afrique noire, nous avons relevé l'impossibilité dans laquelle se trouvent les africains de constituer une identité civique au sein de leurs espaces étatiques. Puis, nous avons établi que cette identité civique ne s'actualiserait que lorsque l'ethnique et le civique iraient de pair. Seconde difficulté : nous n'avons pas découvert jusqu'à présent le modèle théorique susceptible de préciser exactement les conditions de ce nouvel ajustement et, par suite, de refonder les modalités de la communauté politique dans les États-nations d'Afrique noire. Devrions-nous en conclure que les États-nations du continent noir sont voués à l'errance aussi bien à propos de leur diversité ethnique qu'à propos de la conscience politique vers laquelle doivent converger toutes les identités ethniques ? Les conditions de cohabitation, sur un même sol, de plusieurs composantes ethniques ne pouvant se réduire à la politique des identités ethniques, on en convient à l'issue de l'analyse précédente, comment alors repenser la cohabitation de cette diversité au sein de l'État-nation africain ?

    Pour percevoir les enjeux et la portée de ces deux interrogations, il serait important de recourir à un autre modèle théorique, susceptible d'éclairer le champ de la réflexion. Ainsi peut-être, nous le verrons in fine, est-ce sur le terrain d'une nouvelle trajectoire libérale qu'il faut rabattre les problèmes liés à l'enracinement de la problématique de l'ethnicité en Afrique noire aujourd'hui : non plus celle de la tradition libérale valorisant excessivement l'individu ou celle valorisant péremptoirement l'appartenance à une communauté particulière, mais celle de la troisième voie libérale qui est en passe de se généraliser à l'échelle planétaire. Et si tel devait être le cas, expliciter le concept d'un « humanisme de la diversité » et dessiner les modalités de sa mise en oeuvre seraient là un objectif à ne pas négliger dans la seconde partie.

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    DEUXIÈME PARTIE :

    REFONDATION DE L'ÉTAT-NATION DÉMOCRATIQUE EN AFRIQUE
    NOIRE À LA LUMIÈRE D'UN HUMANISME DE LA DIVERSITÉ

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    Introduction de la deuxième partie

    Partant du développement précédent, nous nous sommes rendu à l'évidence de l'acuité des revendications liées à des appartenances ethniques en Afrique noire. Et, de ce point de vue, nul ne saurait négliger l'hypothèque que ces revendications font peser sur le vivre-ensemble dans les États africains postcoloniaux au sein desquels, non seulement les dirigeants comme le souligne Tshiyembe mais les gouvernés eux aussi « ont une fausse idée de l'intérêt public115 ». États au sein desquels la précarité du lien social finit par renvoyer chaque acteur politique à son appartenance ethnique, tribale ou régionale. Mais face à cela, il importe de ne pas céder trop rapidement aux différentes solutions mobilisées jusque-là et qui tendent toutes à proposer « un plaidoyer en faveur d'une certaine institutionnalisation de l'ethnicité116 » ou à rejeter la démocratie, interprétée comme une valeur purement occidentale, au profit de la politique des identités ethniques. Le refus des solutions déjà évoquées tient compte du fait que le phénomène identitaire imprégnant la démocratie n'est pas spécifique à notre contexte d'analyse. Rappelons, pour bonne mesure, que si la diversité ethnique apparaît comme un cran d'arrêt au bon fonctionnement de la démocratie, la notion même de « diversité » sous d'autres cieux ne pose pas moins de problèmes. Il en résulte de nos jours toute une problématique dont l'analyse conduit Renaut à théoriser un « humanisme de la diversité » centré sur le projet de construire un monde commun conscient des différentes identités qui le composent, mais capable d'entrer en coalescence avec des valeurs communes de référence. Cet humanisme, qui se formule expressément comme une « éthique de la diversité », nous aidera à reconstruire le lien social et politique au sein des États postcoloniaux d'Afrique noire.

    115 M. Tshiyembe, op. cit., p. 232.

    116 Confère E.-M. Mbonda, « La « Justice ethnique » comme fondement de la paix», op. cit., p. 7.

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    CHAPITRE III : DE LA PROBLÉMATIQUE DE LA DIVERSITÉ À UN HUMANISME DE LA DIVERSITÉ

    Introduction

    La notion de « diversité », dont différents textes117 internationaux font déjà un usage enthousiaste, est revenue à la mode ces dernières années d'une manière insistante, sinon prépondérante, dans les pays démocratiques. Sous forme de nom, on lui accole différents adjectifs. Ainsi parle-t-on d'une diversité culturelle, d'une diversité sexuelle, d'une diversité ethnique, d'une diversité linguistique. Dans cette acception très large, la diversité renvoie à ce qui est divers, c'est-à-dire ce qui présente des différences de nature et qui par conséquent fait appel à « Ce qui est varié » (c'est la diversité comme un « fait »). Mais si l'on veut bien considérer le regain d'intérêt que connaît cette notion depuis les années deux mille, on est amené, au-delà de cette première définition, à appréhender la diversité comme une « valeur » dont le principe consiste à prendre en compte la variété des profils humains dans les différents secteurs tels que l'économie, le droit, l'emploi, l'entreprise et la politique. Appréhendée comme une valeur à promouvoir, la diversité répond à ce souci fondamental de respecter « l'autre dans son altérité118 ».

    En tant que valeur à promouvoir, la diversité se comprend donc comme une politique managériale des différences identitaires. Lorsqu'on l'envisage ainsi, c'est à des références historiques, géographiques et démographiques que l'on a recours pour mieux comprendre sa problématique contemporaine. Par exemple, historiquement parlant chaque État en fonction de son histoire particulière adopte une attitude vis-à-vis de la diversité comme valeur à promouvoir. Ce pourquoi, elle a pu véhiculer un lot de « stéréotypes et de préjugés119 » en France, et aux États-Unis, un « manque d'auto-estime120 ». À prendre à la lettre ce qu'enregistre ainsi la démocratie contemporaine au sujet de la promotion de la diversité, une difficulté appelle

    117 Déclaration sur la diversité culturelle du 02 novembre 2001. Et Charte de la diversité, 2004.

    118 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 72.

    119 Ibid., p. 3.

    120 A. Semprini, Le multiculturalisme, Que sais-je ?, Paris, PUF, 1997, p. 76.

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    cependant, d'ores et déjà, l'attention : comment penser et pratiquer la diversité, comprise désormais comme une valeur, dans un État sans entrer en conflit avec l'idéal de cohésion démocratique ?

    3.1 La diversité entre humanisme abstrait et différentialisme radical

    En considérant toute différence comme une valeur absolue qui ne doit comme telle être sacrifiée à une quelconque norme collective dans l'optique de permettre la vie commune, la diversité a connu un regain d'intérêt dans le monde contemporain à travers la mise en place de politiques managériales aussi bien dans les espaces publics que privés. Mais, parler d'une politique managériale de la diversité paraît redondant et tautologique. Tautologique en effet, parce que le « « Il y a » du divers », expression proclamée et consacrée par Bruyeron, apparaît comme l'essence de toute société. Ceci étant, d'où vient alors le fait que la diversité dans les démocraties contemporaines soit problématique au point que le débat philosophique en fasse son champ de réflexion le plus visible ? En réalité, à tout prendre, le souci d'éradiquer les différences, celui d'homogénéiser le divers et le désir de réduire l'autre au même, ont pris une allure telle que « la différence des cultures, en tant que fait » finit par se heurter à cette « sensibilité démocratique, ouverte par définition à la pluralité121 ».

    Dans cette logique, lorsqu'on s'engage à soumettre à la sanction analytique, les fondements de la problématique de la diversité, il sera impérieux d'insister d'abord sur le débat entre une conception d'extrême individualisation justifiant l'idée d'un humanisme abstrait et celle d'un attachement manifeste de l'humain à un groupe quelconque comme conduisant, en raison de la multiplicité des groupes auxquels peuvent s'attacher les individus, « à la problématique de la pluralité des systèmes de valeurs et aux implications de cette pluralité122 ». Se pose du coup la question de savoir : comment s'opère la gestion de la diversité dans la perspective d'un humanisme allant d'une extrême valorisation de l'individu à son ré-enracinement communautaire ?

    121 S. Mesure et A. Renaut, La guerre des dieux. Essai sur la querelle des valeurs, Paris, Grasset & Fasquelle, 1996, p. 37.

    122 Ibid. p. 38.

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    Vaste mouvement intellectuel qui prit naissance au XVIe siècle avec les travaux123 de Pétrarque et Boccace, l'humanisme était focalisé sur l'affirmation du pouvoir et l'autonomie de l'homme, et aussi sur le rejet d'une quelconque transcendance divine pouvant obnubiler les capacités de l'homme au sein d'une nature abordée en termes de mystère. L'humanisme ainsi présenté repose l'interrogation portant sur l'homme et sur la place que ce dernier est censé occuper dans l'univers. Les quelques réflexions qui se sont développées autour de cette question n'ont eu d'autre réponse que celle consistant à affirmer l'entière responsabilité de l'homme dans son existence. Compris de la sorte, l'humanisme retrouve ses traces depuis l'Antiquité grecque à partir de l'affirmation de Protagoras d'après laquelle « l'homme est la mesure de toutes choses ». Il trouve ses prolongements au XVIIIe siècle, où il sera récupéré par le mouvement des Lumières fondant la connaissance sur la raison humaine débarrassée de toutes sortes de croyances et de traditions. D'où ce retour à l' « autonomie » et à l' « indépendance » du sujet de la connaissance. Tout ceci indique clairement que l'humanisme est un vaste mouvement, à la fois intellectuel et philosophique, que l'on retrouve à travers l'histoire de l'humanité. Nonobstant cette large diffusion, Renaut qui a eu le mérite de le porter au rang d'un concept philosophique souligne trois grands moments caractérisant chacun une conception particulière de l'identité humaine.

    Ainsi, sous le prisme renautien, on distingue une première idée d'humanisme allant de Grotius (ou Pufendorf) à Wolff. De ce point de vue, l'humanisme sera caractérisé par l'idée d' « une nature ou essence, dont peut être déduit le contenu des droits de l'homme124 ». Elle correspond donc à l'aspiration abstraite de la notion juridique des droits de l'homme. Elle évoque également les prétentions européennes à incarner l'humanité. Car, en réalité, l'idée des droits de l'homme abstraits et universels n'est que la résultante des visées impérialistes de l'Occident dominateur. De ces visées au fondement desquelles figure l' « universalisme abstrait », se révèlent souvent des revendications du type de « Boko Haram » au Nigéria. Pour certains, ce n'est là qu'une attitude fanatique. Mais à nos yeux, c'est une

    123 Caractérisés par un retour aux textes anciens en vue de récupérer, de manière critique, les valeurs culturelles que ces auteurs anciens avaient exaltées.

    124 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 276.

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    revendication profondément révélatrice. Révélatrice de ce que peut signifier la référence à des valeurs communes dans un espace qui n'est pourtant pas homogène ; révélatrice aussi de ce que peuvent être les réactions des uns et des autres dans un contexte d'universalisme se fermant aux différences. Que de gens, en effet, ne voient à travers toutes ces revendications qu'un seul aspect : l'hostilité à l'égard des valeurs occidentales.

    Mais pour tout analyste attentif, il s'agit d'une « tyrannie de l'universel » qui invite à repenser autrement les rapports entre les cultures. En cause cette fois, non plus l'universalisme mais l'universalisme par exclusion des particularismes. Une inquiétude des plus répandues, et qui a été à l'origine de nombreux conflits sanglants, notamment les génocides occasionnés par la colonisation, ainsi que d'innombrables tensions. Cette inquiétude peut se formuler comme suit : l'humanisme abstrait, que Semprini désigne par l'expression d' « universalisme « borgne »125 », se distingue-t-il d'une « occidentalisation du monde » ? N'aura-t-il pas eu, pour principale préoccupation, d'imposer au monde entier une même échelle de valeurs ? À en croire les partisans de « la politique de la différence », l'ensemble du projet entrepris par l'humanisme des Lumières n'est qu'un déguisement sous lequel se dissimulerait une entreprise de domination. Et, on peut même légitimement se demander si l'universalisation des valeurs qui rime avec ce premier type d'humanité ne va pas conforter l'hégémonie d'une culture. Ce qui présenterait deux périls graves : le premier, celui de voir peu à peu disparaître les valeurs des autres cultures ; le second, celui de voir les porteurs de ces cultures menacées adopter des attitudes de plus en plus radicales et suicidaires. En ce sens, l'humanité, après avoir frôlé ce premier type d'humanisme a procédé à sa relecture permettant ainsi le passage à un second type d'humanisme.

    Ce dernier se voulant soucieux à l'égard des différences correspond à

    l' « humanisme différencié », lequel repose sur le postulat qu' « il y a bien une nature humaine, mais une nature originellement différenciée126 ». Ce second type d'humanisme procède au « ré-enracinement » de l'individu dans une communauté particulière. Du coup, il se situe à l'antipode de cette première idée d'humanité qui

    125 A. Semprini, op. cit., p. 9.

    126 Confère A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 277.

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    procédait à un « déracinement » de l'individu de son contexte social. Du même coup, l'humanisme différencié s'inscrit en faux contre cette première vision de l'humanisme, parce que cet humanisme (essentiellement abstrait) dépouille l'individu de ses liens naturels. Le second type d'humanisme est incarné par le romantisme qui reproche à la modernité dans sa globalité d'avoir arraché l'homme à ses liens communautaires an ayant recours à une « abstraction méthodique de son insertion originaire dans une humanité particulière127 ». Bien évidemment, à partir des réflexions du romantisme, la notion de « différence » n'a cessé de gagner du terrain pour devenir une valeur en soi. Ceci devient particulièrement évident dans l'univers juridique. Désormais donc, les droits de l'homme placent la « différence » au centre de leurs dispositions en démontrant le rapport intrinsèque entre différence et démocratie. L'idée alors d'une « identité différenciée » gagne progressivement les esprits.

    Pourtant, bien que critique de la première idée d'humanité, cette seconde idée n'est pas épargnée de critiques. Renaut lui reproche justement sa tendance au « différentialisme dogmatique » ou encore au « différentialisme radical ». C'est pourquoi : « elle ne saurait, selon lui, nourrir la recomposition d'une représentation de l'humanité capable de résister aux séductions d'un différentialisme radical128 ».

    Partant des défaillances de ces deux types d'humanisme, Renaut envisage la troisième idée d'humanité située au-delà de l'alternative d'un humanisme naturaliste ou essentialiste et d'un antihumanisme différentialiste de type radical. Cette prise de distance radicale, Renaut la pose encore sur le terrain de l'universalisme. Il établit par voie de conséquence une relation dialectique entre humanisme et universalisme. Ceci à plus d'un niveau : « Cette troisième idée d'humanité correspond à une autre manière de prendre ses distances avec l'humanisme naturaliste ou essentialiste : cette prise de distance, pour radicale qu'elle soit, reste cette fois sur le terrain de l'universalisme129 » ou encore : « La troisième idée d'humanité, que je crois devoir

    127 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 277.

    128 Id.

    129 Ibid., p. 278.

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    défendre, reste en effet visiblement dans le cadre de l'humanisme, en ceci qu'elle préserve la perspective de l'universalisme130 ».

    Dans le contexte de la présente étude, il y a lieu de distinguer un universalisme abstrait d'un universalisme ouvert. L'universalisme abstrait désigne non seulement le modèle des droits de l'homme abstraits mais aussi et surtout, il caractérise l'idéal incarné par la République française, laquelle République au nom de son histoire, sape tous les fondements d'un « droit à la différence ». Mais, devrait-on en réalité tirer une relation d'opposition entre ce droit et la pensée française de l'universalisme qui se nourrit d'une représentation homogène et rationnelle de l'humanité ? En effet, en parfaite connivence avec l'histoire de la République qui naît à la suite de la Révolution, la France accède à l'universel par la notion de l' « individu ». Ce passage à l'universel caractérise une nouvelle conception du droit. Désormais donc, les « droits individuels » expriment la transcendance de l'individu alors que les « droits collectifs » sont censés l'obscurcir. Or, une telle conception des droits de l'homme, par sa tendance à affirmer l'universel comme valeur en excluant du champ de l'humain tout ce qui ne s'y réduit pas « vient arracher l'humain à ses appartenances et détruire son inscription dans une nature particulière131 ».

    Dans la même logique, si nous percevons la résurgence des différences au sein de l'espace public comme exigence d'un universalisme ouvert, ce nouvel universalisme n'est pas sans conséquence sur la vie sociale, politique et économique. L'attachement manifeste des individus à des identités collectives, résultat d'une perversité de l'universalisme dogmatique, témoigne d'après Renaut de « l'exclusion quotidienne et la discrimination économique, sociale ou politique132 » de ces différentes identités. C'est à la lumière de ce constat que le passage d'un universalisme abstrait à un universalisme ouvert à la diversité sera marqué par une nouvelle conception de la justice et de l'injustice :

    L'injustice n'est pas aujourd'hui perçue au premier chef dans les différences de niveau de vie, du moins à l'intérieur de certaines limites. Pour des consciences convaincues que tous « naissent et demeurent libres et égaux en droits », l'injustice, voire la discrimination résident

    130 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 279.

    131 Ibid., p. 275.

    132 Ibid., p. 286.

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    bien davantage dans le fait que certains sont moins favorisés que d'autres du point de vue de la capacité qui leur est ménagée de démontrer leurs qualités par l'acquisition de compétences et par la mise en oeuvre professionnelle133.

    En effet, à partir de ce qui s'exprime de plus en plus en termes de respect des différences ou encore de reconnaissance des identités et des différences culturelles, on assiste à une nouvelle demande de justice qui ne s'inscrit plus dans une dynamique de l'égalité démocratique telle qu'elle a longtemps contribué à l'exclusion de certains groupes au nom d'une réduction de la différence à l'identique. Plus précisément, la conception de l'égalité démocratique comme abstraction des différences avait favorisé une forme d'injustice comprise comme injustice collective, c'est-à-dire celle commise à l'encontre de certains groupes culturels. Dans cette optique, les revendications liées à l'identité culturelle, en tant qu'elles témoignent d'un « tournant culturel » des sociétés contemporaines, introduisent une nouvelle conception de la justice : « les revendications de justice ne s'exprimeraient plus uniquement en fonction de principes de redistribution économique, mais emprunteraient également et en priorité le vocabulaire de la reconnaissance culturelle134 ».

    En considérant ce que Fraser nomme « tournant culturel » des sociétés contemporaines, on est porté à s'interroger sur les conditions d'une véritable répartition des ressources et des biens dans une société démocratique qui se doit désormais d'avoir un droit de regard envers les plus défavorisés. Dans ces conditions, comment envisager de manière satisfaisante la poursuite pluraliste d'intérêts divers, qui sont en conflit les uns avec les autres ? À la lumière de ce défi, l'apport de Renaut ne s'appréhende que par rapport à un héritage philosophique qu'il convient d'analyser dans les lignes suivantes.

    3.2 Aux fondements d'un humanisme de la diversité

    L'apport de Renaut peut et doit être compris à partir d'une analyse de la pensée de Rawls, d'une analyse de la réhabilitation des appartenances communautaires

    133 A. Renaut, Égalité et discriminations, op. cit., p. 8-9.

    134 H. Guéguen, G. Malochet, Les théories de la reconnaissance, op. cit., p. 92.

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    comme premier gage du lien social et d'une analyse du discours portant sur le droit à la différence.

    3.2.1 L'héritage rawlsien du libéralisme politique

    L'apport essentiel de Rawls dans la reconstruction du lien social et politique réside dans la place prépondérante accordée à la justice. Ainsi écrit-il tout au début de son ouvrage phare135 : « La justice est la première vertu des institutions sociales comme la vérité est celle des systèmes de pensée ». En effet, à l'opposé de l'utilitarisme136, Rawls envisage de mettre en place une société juste fondée sur la conviction que « chaque personne possède une inviolabilité fondée sur la justice qui, même au nom du bien-être de l'ensemble de la société, ne peut être transgressée137 ». Ayant ce but présent à l'esprit, Rawls envisage de construire une nouvelle vision de la justice dans laquelle tous les hommes s'accordent sur les principes censés définir les termes de base de leur association. Pour ce faire, il part de la fiction méthodologique de la « position originelle » dans laquelle les individus contractants agissent en êtres rationnels et autonomes, « mutuellement désintéressés ». Pour donner du crédit à sa nouvelle théorie, il évoque la nécessité d'un « voile d'ignorance » grâce auquel un choix des principes de la justice pourrait s'opérer en toute impartialité. Compris dans le sens ordinaire du voile, le « voile d'ignorance » recouvre les différences auxquelles pourraient s'attacher chaque individu contractant. C'est en ayant recours à ce voile que le modèle rawlsien de la justice s'affirme comme « équité » ou, si l'on préfère, comme impartialité : le voile d'ignorance « garantit que personne n'est avantagé ou désavantagé dans le choix des principes par le hasard naturel ou par la contingence des circonstances sociales138 ».

    De cette démarche, Rawls en déduit deux principes fondamentaux de la justice que sont : le principe d' « égale liberté pour tous », le principe de la « différence » qui voudrait que les inégalités soient organisées de manière à avantager les plus

    135 J. Rawls, Théorie de la justice, Paris, Editions du Seuil, 1987 [1971], p. 29.

    136 En tant que courant de pensée philosophique, l'utilitarisme classique, à en croire Rawls, a pour postulat de base l'idée qu' « une société est bien ordonnée et, par là même, juste, quand ses institutions majeures sont organisées de manière à réaliser la plus grande somme totale de satisfaction pour l'ensemble des individus qui en font partie », Ibid., p. 49.

    137 Ibid., p. 30.

    138 Ibid., p. 38.

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    démunis et le principe d'égalité des chances dans l'accès à toutes les positions sociales. Ce n'est qu'à ce prix que la justice, en tant que première vertu des institutions sociales, devient garante de la stabilité sociale. Mais pour mieux comprendre cela, il faut commencer par définir avec Rawls la stabilité sociale. L'état de stabilité sociale, nous dit Rawls, est un état qui « persiste indéfiniment dans le temps, aussi longtemps que des forces extérieures ne le troublent pas », au point que « si l'on s'en écarte, sous l'influence, par exemple, de perturbations extérieures, il existe des forces à l'intérieur du système qui tendent à le reconstituer, sauf si les chocs extérieurs sont trop grand139 ». Ainsi, l'idée que la justice rawlsienne est gage de stabilité est soutenable d'un point de vue double : d'abord, elle garantit et promeut le respect des droits de chacun ; ensuite, elle met en place une procédure politique qui permet aux individus de participer à la vie politique. Considérant la question de ce double point de vue, les principes de la justice rawlsienne, en assurant un ensemble de droits à l'individu et en proposant une répartition des biens sociaux et économiques ouverte à tous (sans perdre de vue les plus défavorisés), sont sources de stabilité. Puisque chacun s'y déploierait à soutenir ce qui garantit son bien :

    Quand les deux principes sont respectés, les libertés de base de chaque personne sont garanties et, en raison du principe de différence, chacun tire un avantage de la coopération. Nous pouvons ainsi expliquer l'acceptation du système social et des principes qu'il respecte par la loi psychologique selon laquelle les personnes tendent à aimer, chérir et soutenir tout ce qui favorise leur propre bien. Puisque le bien de chacun est respecté, tout le monde acquiert le désir de soutenir le système140.

    Par ailleurs, les publications qui vont suivre la publication de la Théorie de la justice annoncent une nouvelle orientation de la pensée de Rawls. Plus exactement, il est question dans ces publications de repenser la stabilité sociale et politique à partir du pluralisme inhérent aux sociétés libérales. Ainsi s'inscrit-il dans le débat qui engage libéralisme politique et pluralisme ambiant des visions du monde. Au fondement de ce débat qui engage nombreux d'auteurs contemporains, figure la problématique de la diversité des visions du monde. En effet, les sociétés démocratiques contemporaines se voulant pluralistes sont mises à bord de conflits en raison de la pluralité des conceptions se partageant l'espace public. Face à cela,

    139 J. Rawls, Théorie de la justice, op. cit., p. 498.

    140 Ibid., p. 207-2O8.

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    l'urgence de fournir à l'humanité des perspectives susceptibles de rétablir le lien social et politique, découle d'une nécessité qui n'est plus à démontrer. Dans ce sillage, Rawls porte une attention particulière à la stabilité en proposant sa nouvelle théorie désormais bien connue de tous : le « consensus par recoupement ».

    Pour lui en effet, même si à première vue, la pluralité des visions du monde semble prédisposer nos sociétés à des conflits, il convient de préciser que la possibilité des conflits ne doit pas être l'apanage des sociétés pluralistes. Pour ce faire, il importe de concevoir une structure politique susceptible de faire de nos différences une source mutuelle d'entente, gage de stabilité et de paix sociale. C'est ainsi que, partant de la pluralité des valeurs auxquelles se trouvent confrontées les démocraties contemporaines, Rawls, soucieux de restaurer la stabilité et le lien politique, met en avant le problème suivant : « Comment est-il possible qu'existe et se perpétue une société juste et stable, constituée de citoyens libres et égaux, mais profondément divisés entre eux en raison de leurs doctrines compréhensives, morales, philosophiques et religieuses, incompatibles entre elles bien que raisonnables ?141 ».

    À la suite de cette interrogation, il s'agit de mettre en place un modèle réflexif capable d'élaborer des règles communes de coexistence pacifique. Il est question d'une réflexion consacrée à la recherche des principes communs de justice dans l'optique de garantir la coexistence au sein d'un même espace de plusieurs doctrines raisonnables mais incompatibles entre elles. Rawls se situe ainsi dans la nécessité de concilier le pluralisme comme un fait avec l'urgence d'une argumentation universaliste ; cette dernière étant posée comme le socle d'une vie harmonieuse entre les hommes. Résultat du « consensus par recoupement », Rawls souligne que ce consensus est un compromis commode entre les différentes doctrines. C'est donc un consensus au-delà du dissensus rendu possible grâce à la « position originelle » et à sa composante essentielle le « voile d'ignorance ». Ces deux concepts, considérés comme le fondement de l'éthique de la diversité chez Rawls, assurent la réalisation d'un consensus parce qu'ils recouvrent les situations de différences auxquelles peuvent se rattacher les partenaires de la discussion. On en conviendra à l'idée que le

    141 J. Rawls, Libéralisme politique, Paris, PUF, 1995, p. 6.

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    consensus en tant qu'une oeuvre de la raison humaine fonde et garantie l'unité sociale. C'est pourquoi chez lui :

    L'unité sociale se fait grâce à un consensus sur la conception de la justice ; et la stabilité est possible quand les doctrines qui forment le consensus sont, d'une part, soutenues par les citoyens politiquement actifs de la société et que, d'autre part, les exigences de la justice ne sont pas trop en conflit avec les intérêts essentiels que possèdent les citoyens et qui ont été engendrés ou encouragés par leur organisation sociale142.

    Il convient d'insister, à travers l'analyse de cette affirmation précitée, que Rawls se place dans la posture traditionnelle du libéralisme affirmant l'individu ainsi que l'inviolabilité de sa personne comme unique sujet de droit. Dans ce sens, il est capital de souligner que sa pensée perpétue un universalisme abstrait « compris comme un grave facteur de déshumanisation et d'aliénation143 ». En réalité, la théorie libérale qui procède de l'analyse rawlsienne nous a conduit à une harmonisation des formes sociales afin de poser les fondements d'une société politique stable et donc juste. Partant de cette version libérale, il s'agissait en fait de trouver une base commune pour sauvegarder l'unité politique au-delà de la pluralité des conceptions. Ce faisant, cette perspective finit par renvoyer l'expression des différentes identités à l'espace privé. Ainsi est-il question à travers ce type de libéralisme de promouvoir les droits individuels en consacrant l'inviolabilité de la personne de l'individu. Abstraction faite des exigences communautaires, la valorisation de l'individu se fait accompagner de la diffusion des valeurs universelles d'égalité, de dignité et d'unité.

    Cette tendance affirmant l'individu contre la communauté couronne un débat dans le monde contemporain, dont Mesure et Renaut vont circonscrire les enjeux en ces termes-ci : « Dans ce débat, la question centrale est avant tout de déterminer si les principes libéraux, en valorisant exclusivement les libertés de l'individu considéré comme tel, isolément, n'ont pas fait preuve jusqu'ici, dans leur reformulation classique, d'une abstraction excessive144 ». Ce constat invite d'autres auteurs comme Taylor et Kymlicka à une relecture de la pensée rawlsienne au regard des luttes entreprises dans l'État de droit démocratique pour « protéger l'intégrité

    142 J. Rawls, Libéralisme politique, op. cit., p. 172.

    143 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 277.

    144 S. Mesure et A. Renaut, Alter ego, op. cit, p.15.

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    des formes de vie et des traditions dans lesquelles les membres des groupes discriminés peuvent se reconnaître145 ». On y voit poindre alors la question des différences culturelles, ou, si l'on préfère, la question des droits culturels collectifs.

    3.2.2 La réhabilitation de l'appartenance communautaire comme premier gage du lien social : apport de Taylor et Kymlicka

    À partir de l'analyse rawlsienne du libéralisme, le droit moderne sous tous ses aspects (que ce soit à l'intérieur d'un État ou entre les États) se voit confronté à une exigence : celle de garantir l'intégrité toujours vulnérable des individus singuliers, devenus désormais sujets de droits. En réalité, Rawls se situait dans la perspective libérale d'après laquelle, l'individu devenu l'unique sujet de droit, il fallait militer en faveur d'un approfondissement de ses droits individuels. Ce qui n'est pas sans rappeler l'interrogation d'Habermas : « une théorie des droits dont la structure est à ce point individualiste peut-elle rendre compte des luttes pour la reconnaissance dans lesquelles il semble s'agir d'articuler et d'affirmer des identités collectives ?146 ».

    En réalité, la question des droits culturels telle qu'elle apparaît avec acuité au sein du libéralisme ne devait a priori poser de problème si l'on s'en tenait au propos de Gutmann :

    La reconnaissance publique pleine et entière comme citoyens égaux peut requérir deux formes de respect : respect pour l'identité unique de chaque individu, sans considération de sexe, de race ou d'ethnie, et respect pour ces activités, pratiques et conceptions du monde particulièrement appréciées par - ou associées à - des groupes désavantagés : femmes, américains d'origine asiatique, africaine ou indienne (et une multitude d'autres groupes aux Etats-Unis)147.

    Il y a à travers ce propos, deux horizons des droits humains : les droits individuels abstraits et les droits culturels collectifs. Mais, dans le débat engagé entre partisans des droits humains individuels et droits humains collectifs, toute la difficulté surgit quand on vient à s'interroger sur l'éventuel rapport entre le libéralisme 1 (favorable aux droits individuels) et le libéralisme 2 (préoccupé par le

    145 J. Habermas, L'intégration républicaine, op. cit., p. 208.

    146 Ibid., p. 205.

    147 A. Gutmann, « Introduction », in C. Taylor, op. cit., p. 20.

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    respect des droits culturels). Pour reprendre Habermas, il s'agit de savoir si le libéralisme 2 se déduit du libéralisme 1 ou si, dans certaines circonstances, ces deux types de libéralisme pouvaient entrer en conflit. Pour en déterminer le sens avec plus d'exactitude, Taylor, convaincu d'un éventuel conflit entre ces deux tendances des droits humains, plaide en faveur des droits collectifs. Il part des mouvements de reconnaissance qui sont à l'oeuvre dans les démocraties contemporaines pour articuler son raisonnement autour du « besoin » et l' « exigence » de reconnaissance :

    Plusieurs courants politiques actuels tournent autour du besoin - parfois de l'exigence - de reconnaissance. Le besoin, peut-on dire, est l'une des forces à l'oeuvre derrière les mouvements politiques nationalistes. Quant à l'exigence, elle vient au premier de bien des façons, dans la politique actuelle des groupes minoritaires ou subalternes, dans certaines formes de féminisme et dans ce qu'on appelle aujourd'hui la politique du «multiculturalisme»148.

    Cette formule ci-dessus mentionnée révèle l'évidence que le discours de Taylor n'engage plus l'individu isolé de tout ancrage culturel. Et c'est justement pourquoi, il reproche aux modernes d'avoir considéré les valeurs universelles de « liberté » et

    d' « égalité » indépendamment de la communauté culturelle qui procède à leur reconnaissance : « [l'J individu libre qui s'affirme comme tel a déjà une obligation de parfaire, de restaurer ou de soutenir la société dans laquelle cette identité est possible149 ». C'est dans ce sens, que son apport s'inscrit dans ce qu'on appelle aujourd'hui la politique du multiculturalisme. Il est à cet égard symptomatique que son raisonnement qui préside à l'édification du multiculturalisme nous invite à nous interroger sur les fondements du vivre-ensemble dans les sociétés multiculturelles. En effet, le multiculturalisme, en brandissant les « luttes pour la reconnaissance » des différents groupes culturels comme le fondement de leurs inventions théoriques, invite aussi à reconsidérer la question de l'invention de nouvelles formes démocratiques. À ce point, tout l'apport de Taylor peut se résumer en cette phrase : « La reconnaissance n'est pas simplement une politesse que l'on fait aux gens : c'est un besoin humain vital150 ». À cet égard, deux points sont à souligner pour que la perspective ouverte par Taylor soit clairement appréhendée :

    148 C. Taylor, Multiculturalisme, différence et démocratie, op. cit., p. 41.

    149 C. Taylor, La liberté des modernes, Paris, PUF, 1997 [1979], p. 253.

    150 C. Taylor, Multiculturalisme, différence et démocratie, op. cit., p. 42.

    77

    D'une part, « la politique de la reconnaissance » dont une analyse approfondie déchaîne des critiques à Rousseau, que Taylor considère comme l'un des initiateurs du discours sur la reconnaissance. Pour Rousseau à travers sa théorie de la volonté générale, l'honneur, qui était dans les sociétés anciennes le privilège de certaines personnes par rapport à leur position sociale, devient l'apanage de tous les humains au nom de « la politique de l'égale dignité ». Toutefois, Rousseau finit par tomber dans une défection : d'abord, pour le fait qu'il se révèle hostile à tout processus de différenciation (la condition d'une société libre étant que tous les individus qui la composent soient tous traités à l'identique, c'est-à-dire en faisant abstraction de leurs différences) ; ensuite, parce qu'il apparaît chez lui une conception monologique de l'identité en concevant la conscience individuelle comme source de la morale. Or, contrairement à lui, Taylor souligne avec insistance le dialogisme de l'identité : « Ma propre identité, écrit Taylor, dépend vitalement de mes relations avec les autres151 ». Dans la même foulée, il adresse des critiques à la neutralité de l'État ; laquelle neutralité trouvait ses repères philosophiques dans le « libéralisme de la dignité égale » s'affirmant « aveugle aux différences ». Cette neutralité libérale ne connaît pas l'approbation de Taylor qui tente à partir de ses analyses de montrer que le libéralisme étant un terrain de rencontre de toutes les cultures ne saurait revendiquer une neutralité complète.

    D'autre part, « la politique de la différence » pour le développement de laquelle il prend appui sur le modèle de société distincte revendiquée par le Québec au nom de l'appartenance à une même origine culturelle : la culture française. En effet, contre ce libéralisme neutre, hostile à toute expression des singularités culturelles, Taylor propose un nouveau modèle plus attentif à l'égard de la protection des minorités culturelles. Il envisage ainsi la possibilité d'un « pluralisme libéral » tout en condamnant sans réserve la neutralité de l'État. Dit autrement, il y a lieu pour le libéralisme de reconnaître les différences culturelles : « On pourrait avancer qu'il serait possible, après tout, d'intégrer un objectif comme la survivance dans une société libérale opératoire152 », précise Taylor. Sous le couvert de cette formule précitée, on le voit bien, Taylor cherche à créer un cadre servant de garantie à

    151 C. Taylor, Multiculturalisme, différence et démocratie, op. cit., p. 52.

    152 Ibid., p. 80.

    78

    l'expression des cultures minoritaires au sein du libéralisme. C'est dans un registre similaire, que la « théorie libérale du droit des minorités » se donne à comprendre chez Kymlicka.

    Kymlicka, à travers son ouvrage153 dont le sous-titre en porte d'ailleurs une mention significative, se propose de dégager des éléments constitutifs d'une pensée proprement libérale du droit des minorités. Si l'on se donne pour tâche de rechercher les causes ayant conduit Kymlicka à plaider pour une théorie libérale du droit des minorités, deux raisons peuvent être mobilisées : d'abord, il y a une sorte d'échanges inégalitaires entre culture majoritaire et culture minoritaire ; débouchant dans la plupart des cas sur une domination culturelle. La domination du peuple chinois Han (majoritaire) sur le peuple indigène du Tibet (minoritaire), en fournit l'exemple le plus pertinent. Faisant suite à ce constat désastreux, Kymlicka vise « le rétablissement de l'équité entre les minorités et la majorité154 ». Ensuite, à ses yeux, la reconnaissance du droit des minorités ne constitue pas une menace pour l'individu. En effet, contrairement au libéralisme, il démontre que la culture sociétale promeut plutôt la liberté individuelle. Il y a donc, chez lui, une interdépendance entre la liberté individuelle et la culture sociétale.

    Dans le sillage de la seconde raison développée par le penseur du droit des minorités, ce dernier s'inscrit en faux contre la tendance libérale qui procédait à une mise à découvert du lien possible entre liberté individuelle et appartenance culturelle. Le libéralisme pose le primat de l'individu et l'indépendance de celui-ci en envisageant, par là-même, l'exclusion de toute forme de reconnaissance des différences culturelles. Le libéralisme prend en considération l' « antériorité »,

    l' « extériorité » et l' « autonomie » de l'individu vis-à-vis de sa culture d'origine. Et c'est ce que conteste Kymlicka en proposant une nouvelle trajectoire libérale. Pour lui, la liberté individuelle conçue essentiellement comme une « construction (...) n'est possible qu'à l'intérieur d'une culture déterminée » en tant que cette culture se traduit dans « un langage, des institutions et des pratiques communs » et comme telle, elle « représente un « contexte de choix » à partir duquel

    153 W. Kymlicka, La Citoyenneté multiculturelle. Une théorie libérale du droit des minorités, trad. P. Savidan, Paris, La Découverte, 2001 [1995].

    154 H. Guéguen, G. Malochet, Les théories de la reconnaissance, op. cit., p. 83.

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    seulement un individu est en mesure d'opérer des choix et de réviser ses propres fins155 ».

    Ce lien entre liberté individuelle et culture sociétale, une fois admis, il serait aisé de se convaincre qu'en « déracinant » l'individu de toute appartenance communautaire, la tendance libérale empêche la réalisation de la liberté individuelle. Pour comprendre plus en détails cette idée de Kymlicka, il serait bienveillant de recourir à la signification du multiculturalisme telle qu'il se présente sous la plume de ce philosophe. Ainsi, d'entrée de jeu, convenons-en, le multiculturalisme tel qu'il s'impose aux démocraties contemporaines désigne moins le constat du pluralisme culturel que cette exigence de penser à une véritable articulation entre les différentes cultures. Par où l'on voit que le multiculturalisme est, chez Kymlicka, une valeur découlant de l'exigence de la réflexion visant à une élaboration théorique. De là son caractère « prescriptif » porté au sommet de la réflexion théorique par lui. Comme l'écrivent conjointement Guéguen et Malochet :

    Concernant d'abord la notion de multiculturalisme, notons que la diversité à laquelle elle renvoie ne désigne pas chez W. Kymlicka l'ensemble des cultures présentes dans une société, mais le rapport et la recherche d'un équilibre entre la culture majoritaire et les cultures minoritaires156.

    Ce trait particulier du multiculturalisme amène Kymlicka à opérer une distinction entre « minorités nationales » et « minorités ethniques ». Les premières minorités, à en croire ce philosophe du multiculturalisme libéral, sont constituées par des groupes géographiquement rassemblés et donc autonomes. Pour cette raison, ces groupes donnent lieu à des États multinationaux : les Bretons et les Basques en France, les Québécois et les Indiens au Canada en fournissent l'exemple le plus révélateur. Quant aux minorités dites « ethniques », celles-ci concernent les populations homogènes à la base issues de l'immigration. Elles débouchent sur des États multiethniques. Ces deux types de minorités, nul ne saurait le nier, constituent aujourd'hui un défi à l'exigence unitaire de l'État-nation démocratique. Toute la pertinence de la pensée de Kymlicka, dans le sens d'édifier l'État-nation démocratique, réside dans sa mise en place de mécanismes juridiques distincts

    155 Précisent H. Guéguen, G. Malochet, op. cit., p. 84.

    156 Id.

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    susceptibles de rendre effectivement compte de la présence de ces groupes. Au constat de son analyse, il distingue trois sortes de droits spécifiques : « l'autonomie gouvernementale , les droits polyethniques , les droits spéciaux de représentation politique157 ».

    Du moins ne peut-on guère nier qu'il éclaire d'un jour très révélateur le débat entre libéraux et communautariens à partir d'une distinction entre les mesures de « protection externe » et les mesures de « protection interne », « distinction ignorée autant, selon lui, par ceux qui défendent le multiculturalisme que par ceux qui s'y opposent158 ». Cette distinction résulte à la fois de deux logiques. Une logique de la politique multiculturelle cherchant à protéger une culture minoritaire de la domination d'une culture majoritaire (correspondant à la mesure de protection externe) ; et une pensée libérale du multiculturalisme refusant toute forme de contrainte exercée sur l'individu à l'intérieur de la culture sociétale (correspondant à la mesure de protection externe). Dans le cadre de sa théorie libérale du droit des minorités, il prend parti pour les mesures de « protection externe » des minorités culturelles. On peut, dès lors, résumer toute sa pensée par la redéfinition de la citoyenneté démocratique pensée désormais comme une « citoyenneté multiculturelle ».

    Eu égard à l'ampleur des revendications identitaires, dont le mûrissement

    intellectuel engendre la notion de « droits collectifs », il s'agit désormais
    d'introduire ces « droits collectifs » dans le type de libéralisme rawlsien. Il s'ensuit alors que la notion de « droits collectifs » éclate la compréhension traditionnelle du libéralisme, ouvrant ainsi la voie à un autre horizon libéral. Ce nouvel horizon du libéralisme a trouvé son heure de gloire dans l'idéal incarné par Kymlicka à travers sa notion de « justice ethnoculturelle » visant essentiellement à introduire le « droit des minorités » dans ce premier type de libéralisme. Son rapprochement à Taylor caractérise cette seconde forme de libéralisme qui, en s'attaquant au noyau constitutif du libéralisme traditionnel ne vise qu'à corriger la compréhension du libéralisme traditionnel. À l'analyse toutefois, ce nouveau modèle n'est pas épargné de critiques. L'attachement manifeste de l'individu à sa communauté culturelle, pour le moins,

    157 Rappellent H. Guéguen, G. Malochet, op. cit., p. 85.

    158 Ibid., p. 86.

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    pourrait conduire à un différentialisme susceptible de fragiliser « la référence à des principes ou à des valeurs comme les droits de l'homme159 ». Nous n'en voulons pour preuve que le rapprochement fait au Canada entre le droit et certains comportements culturels. Ainsi, en novembre 2003, l'avocat Boutellier dont le client d'origine haïtienne était accusé de proxénétisme à l'égard des mineurs n'hésita pas à déclarer, pour sauver son client, que « la prostitution fait partie de la culture haïtienne tout comme fumer fait partie de la culture jamaïcaine160 ». Pareille démarche, oeuvre d'une transposition au plan juridique du multiculturalisme canadien, contribue à enfermer de manière irrémédiable chaque membre d'une communauté dans des systèmes culturels singuliers sans possibilité d'une référence à des valeurs universelles censées régir la coexistence de différentes cultures.

    Dans cette optique par exemple, un droit spécifique comme l'autonomie gouvernementale peut porter préjudice au modèle innovant de Kymlicka. Comprise en effet comme droit spécifique accordé à une minorité essentiellement nationale, l'autonomie gouvernementale renvoie à la gestion (par une minorité nationale) des langues ou de l'éducation. À cet égard, l'exemple le plus instructif est celui du modèle d'autonomie gouvernementale du Québec à travers la loi 101 dont les dispositions prévoyaient : l'exigence pour les entreprises de plus de cinquante employés d'être administrées en français, l'interdiction de toute signature commerciale dans une autre langue que le français et enfin l'interdiction aux francophones d'envoyer leurs enfants dans les écoles anglophones. En étant dans la posture des dispositions de cette loi, il devient du coup aisé d'entrevoir la difficulté que charrie avec elle, ce droit spécifique relatif à l'autonomie gouvernementale. Ainsi, en prétendant redonner plus d'autonomie à une langue par rapport à une autre qui a longtemps assuré une domination, ce droit à l'autonomie porte à nouveau des atteintes à l'endroit d'autres langues perçues en retour comme minoritaires. Si bien que, la même difficulté d'intégration que l'on rencontre à l'échelle du Canada fédéral pourrait bien réapparaître dans le contexte plus restreint du Québec. Comme le rappelle d'ailleurs Habermas : « Le Québec devenu culturellement autonome se

    159 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 278.

    160 Y. Assogba, « Les effets pervers de l'hyperrelativisme culturel », Le Devoir, Montréal, le 7 janvier 2OO4, p. 1-2.

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    trouverait lui aussi dans la même situation et n'aurait fait que remplacer une culture majoritaire anglaise par une culture majoritaire française161 ».

    Il s'ensuit alors que le multiculturalisme en tant qu'une approche philosophique porte en son sein des déficits à combler. Pour en vérifier l'exactitude de cette affirmation, il suffit de se référer au débat autour du multiculturalisme dans le contexte anglo-saxon. En effet dans le modèle nord-américain, on l'a vu notamment au Canada, la défense très poussée des « droits collectifs » a finalement contribué à asseoir un « hyperrelativisme culturel » que le sociologue Assogba considère à juste titre comme pouvant « induire à des idées, des croyances ou des pratiques susceptibles de briser la cohésion sociale et même constituer une menace à la démocratie162 ». Ceci ne suffit pas encore pour étayer les limites inhérentes à ce second type de libéralisme inauguré par Kymlicka et Taylor : le cas bien connu de l'intégration des différentes cultures dans les juridictions canadiennes et le rapprochement entre le droit et des prétendus comportements culturels de citoyens reconnus coupables d'actes de barbarie illustre davantage ces critiques. Raison pour laquelle Mesure et Renaut, en s'inscrivant contre le particularisme multiculturel, récusent aussi de « Conclure pour autant de ces mutations de l'identité démocratique que la meilleure façon de les prendre en compte consisterait à différencier la citoyenneté elle-même en attribuant aux citoyens des droits spécifiques en vertu de leurs appartenances collectives163 ». Par conséquent, quand bien même Taylor et Kymlicka souhaitent préserver l'héritage culturel, ils ne pourraient plus éviter de répondre aux interrogations légitimes découlant d'une gestion politique fondée sur le « droit à la différence ».

    3.2.3 Le « droit à la différence » et ses apories

    Avec la politique de l'égalité qui a connu un regain d'intérêt à la suite de l'effondrement des sociétés anciennes, ce qui était important c'est l'établissement de principes universellement reconnus et valables tels que les droits de l'homme. Ce faisant, les partisans de cette politique d'égalité en luttant contre toutes les formes de discriminations sont restés aveugles aux façons dont les citoyens diffèrent entre eux.

    161 J. Habermas, op. cit., p. 224.

    162 Y. Assogba, op. cit., p. 1.

    163 S. Mesure et A. Renaut, Alter ego, op. cit., p. 251.

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    Or, à partir des différentes revendications de type identitaire, il est plus question de redéfinir la non-discrimination en se référant à la diversité des identités comme fondement d'un traitement différencié. Ainsi : « L'affirmation de l'identité commune à tous les êtres, marque distinctive de la modernité, a fini par ne plus apparaître suffisante, si elle fait abstraction de toute reconnaissance de leur différence et notamment de leurs appartenances à des identités collectives qui les différencient164 ».

    Cette démarche d'inspiration multiculturaliste, en redéfinissant la nondiscrimination, s'inscrit dans la logique de la promotion de la diversité culturelle. Ainsi, le thème de la « diversité culturelle » tire sa pertinence d'un constat. En effet, encouragée par la mondialisation, l'universalisation des droits de l'homme « abstraits » nous a fait assister à « l'imposition de certaines cultures sur d'autres, et avec la supériorité présumée qui détermine cette imposition165 ». Or, avec la résurgence du discours portant sur l'attachement manifeste aux appartenances culturelles spécifiques, il est clair qu'il existe d'autres cultures avec lesquelles il faudrait vivre de plus en plus ensemble, tant à l'échelle mondiale qu'à l'échelle nationale. Ainsi importe-t-il de rappeler que le « droit à la différence » n'est pas sans influence sur la conception de la citoyenneté. En effet, à partir de la valorisation des différences comme objet de droit, la citoyenneté devient sous l'influence des droits culturels collectifs une « citoyenneté multiculturelle ».

    Toutefois, à partir de la valorisation des différences ou mieux à partir du « droit à la différence » une difficulté demeure. C'est qu'en réalité, une stricte observation des revendications identitaires (encouragées par le droit à la différence) nous amène à distinguer entre « différences légitimes » et « différences nuisibles ». Le vocabulaire rawlsien ne disait pas autre chose lorsqu'il précisait qu' « il se peut qu'une société comporte aussi des doctrines déraisonnables et irrationnelles, voire folles166 ». Dans ce cas, quelle attitude faut-il adopter vis-à-vis de la résurgence des différences dans les espaces démocratiques contemporains? Jusqu'à quel niveau devrait-on accepter l'affirmation des différences dans les États actuels ? Bref, pour

    164 S. Mesure et A. Renaut, Alter ego, op. cit., p. 54.

    165 C. Taylor, Multiculturalisme, différence et démocratie, op. cit., p. 56.

    166 J. Rawls, Libéralisme politique, op. cit., p. 4.

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    emprunter cette inquiétude à Lochack : « Jusqu'à quel point peut-on consentir des dérogations à la loi commune ?167 ». À toutes ces questions, l'héritage renautien d'un humanisme ouvert à la diversité nous offre des perspectives éclairantes par elles-mêmes à partir du moment où il distingue clairement entre le traitement politique et le traitement éthique de la diversité.

    3.3 L'horizon d'un humanisme de la diversité

    L'observation de l'analyse qui précède révèle que, malgré la pertinence des théories élaborées jusqu'ici pour assurer un traitement de la diversité, la promotion de celle-ci n'est pas encore au rendez-vous. À partir de ce constat, il urge de penser encore la diversité à travers une autre approche libérale. En effet, à partir de l'existence réelle de différences culturelles, une nouvelle vision de la société démocratique s'impose : celle-là qui fait de la diversité un creuset du lien social au point que la nouvelle société qui pourrait en résulter soit fondée, d'après l'heureuse formule de Mesure et Renaut, sur « la conviction qu'une telle diversité doit absolument être érigée en valeur168 ».

    C'est à la lumière de cette nouvelle exigence démocratique que Renaut conçoit sa troisième voie libérale dont il résume la préoccupation centrale en ces termes-ci :

    Jusqu'où le discours identitaire et celui de l'appartenance à une culture ou à un groupe quelconque peut-il se déployer au sein des démocraties modernes sans assigner aux individus des identités semblables à celles qui caractérisaient les sociétés traditionnelles et sans le risque d'un « ré-enracinement » en des lieux et en des histoires dont ils voudraient, en tant qu'individus, s'arracher ? À quelles conditions pouvons-nous rendre compatibles les droits universels de l'humanisme abstrait avec certaines revendications du droit à la différence culturelle, religieuse ou sexuelle et à la différence de l'âge, avec des références historiques et politiques particulières, sans courir le risque d'un impérialisme culturel ?169

    3.3.1 D'un humanisme de la diversité à une éthique de la diversité

    Ce nouveau projet de l'humanisme oriente vers deux pistes essentielles de réflexion. Notons d'abord que dans la logique d'un approfondissement de la

    167 D. Lochack, Les droits de l'homme, Paris, La Découverte, 2009, p. 88.

    168 S. Mesure et A. Renaut, La guerre des dieux, op. cit., p. 38.

    169 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p.54.

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    dynamique démocratique, le libéralisme dans une perspective classique avait considéré l'individu comme un être débarrassé de toute subordination extérieure. Cet être est celui dont l'autonomie, l'indépendance et la liberté de choix étaient affirmées. Mais la prise de conscience d'une nouvelle forme d'injustice, relative aux communautés culturelles, va générer dans le courant de la démocratie libérale, une nouvelle vision. Celle-ci repose essentiellement sur l'attachement manifeste de l'humain à un groupe quelconque. Dans la logique de cette nouvelle vision défendue essentiellement par le multiculturalisme, il s'agira pour la démocratie libérale de procéder à une reconnaissance institutionnelle des identités particulières sans toutefois courir le risque d'« une résingularisation proprement différentialiste des groupes, consistant à opposer à l'universalisme formel des droits de l'homme le particularisme de valeurs spécifiques à certaines cultures170 ». Ainsi, au-delà des débats entre libéraux et communautariens, Renaut envisage un traitement à la fois « politique » et « éthique » de la diversité en distinguant entre responsabilité liée à l'État et responsabilité liée à l'individu.

    Au plan politique, il s'agit de faire porter l'interrogation sur la justice distributive fondée sur le principe : « à chacun ce qui lui revient selon ses mérites ou ses besoins171 ». Dans l'optique de cette justice en effet, s'est affirmée une conception de l'égalité se fermant aux différences réelles entre les hommes. Le pire, dans le cadre de cette justice distributive, ayant consisté à discriminer certains individus non point sur la base du « mérite » et du « talent » mais sur la base de certains critères tels que l'appartenance à une communauté (ethnique, raciale, culturelle) distincte. Faisant suite à ce que de nombreuses personnes ont subi comme injustice liée aux paramètres172 de la diversité, il devient impérieux de repenser la justice de façon à y inclure l'extension de l'égalité au domaine de la société. Reste alors à penser l'articulation de cette idée nouvelle d'égalité sans recourir à une pure et simple revalorisation des droits communautaires : comment concevoir l'égalité des

    170 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 273.

    171 A. Renaut, Égalité et discriminations, op. cit., p. 121.

    172 Les paramètres de la diversité regroupent l'ensemble des dix-huit critères possibles de discrimination que sont : « l'origine, le sexe, les moeurs, l'orientation sexuelle, l'âge, la situation familiale, les caractéristiques génétiques, l'appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou race, les opinions politiques, les activités syndicales ou mutualistes, les convictions religieuses, l'apparence physique, le patronyme, le handicap, l'état de santé, l'état de grossesse », A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 71.

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    chances, en y intégrant le sort des plus défavorisés, sans se fonder sur la politique des différences ethniques par exemple ?

    C'est pour répondre à cette interrogation que Renaut, dont les positions sur ce point restent en étroite relation avec le tournant libéral de la pensée rawlsienne, publie son ouvrage Égalité et discriminations. Il y apporte son innovation à travers l'idée de « justice compensatrice », qui se présente comme une « justice correctrice » (en suivant en ce sens la terminologie aristotélicienne), ou encore une « justice réparatrice ». À travers cette justice, qu'il conçoit à côté de la justice distributive, il est question de corriger les discriminations relatives aux appartenances communautaires. Il pose comme principe fondamental de cette nouvelle justice : « à chacun ce qui lui revient en fonction de ce dont il a été privé ou spolié173 ».

    On peut en outre se demander si cette nécessité de réparer des injustices commises au nom de l'abstraction des différences culturelles, par exemple, ne rend pas crédible aux yeux Renaut la « politique de la différence ». Perspective contraire, on en conviendra sans réticence, à l'esprit du nouveau penseur libéral qui s'élève contre toute tentative à l'instauration d'une « citoyenneté différenciée » ou « citoyenneté multiculturelle » laquelle compromet de toute évidence l'idéal de cohésion démocratique. C'est dans cette logique qu'il rejette la politique des quotas telle qu'elle s'est pratiquée dans le contexte américain. En effet, en raison de leur histoire qui découle de l'immigration, les États-Unis ont très tôt senti la nécessité de mettre en place un mécanisme de gestion de la diversité. Preuve en est, la théorie de l' « affirmative action » dont l'expression la plus accomplie est sa transposition au plan politique et juridique. Mise en place à partir de la fin des années soixante-dix, l' « affirmative action » avait pour soubassement la politique des quotas. Tournée essentiellement vers les « minorités raciales », ladite théorie visait à compenser les inégalités de fait résultant des discriminations précédentes. La difficulté d'accès des Noirs aux Universités américaines offre un repérage illustratif des circonstances présidant à l'émergence de l' « affirmative action ». Comme tel, dans le contexte américain, elle repose sur deux principes fondamentaux que retrace Semprini :

    173 A. Renaut, Égalité et discriminations, op. cit., p. 121.

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    Le premier est que les minorités - et notamment les Noirs - qui ont été tenues à l'écart de l'Université par une politique de discrimination méritent une compensation à cette injustice. Le second est la conviction que l'accès à l'instruction supérieure, en ouvrant la voie à la mobilité sociale, représente le meilleur moyen pour accélérer l'intégration des groupes marginalisés174.

    Toutefois, cette gestion de la diversité à l'américaine ne voile pas les dommages causés au lien social. L' « affirmative action » plutôt que d'être source d'une intégration effective a contribué à maintenir chaque identité culturelle dans son système de valeurs. Elle a ainsi contribué à former des « assemblages de ghettos culturels », repris par Renaut sous le label de « juxtaposition de cultures ». Plus encore, cette politique, en ayant recours aux quotas ethniques, engendrait des injustices à l'égard des individus appartenant depuis longtemps à des groupes ethniques favorisés dans l'accès aux universités, parce qu'avec la politique des quotas certains parmi ces étudiants voient leur dossier rejetés malgré leurs qualités parfois supérieures aux dossiers retenus. Considérant sur ce point l'ensemble des controverses suscitées par la gestion politique des quotas, Renaut précise que la justice compensatrice consiste à ouvrir les candidatures aux emplois, l'accès aux universités à tous les étudiants sans aucune distinction que celle fondée sur le mérite et le talent. En mettant à l'écart la politique des quotas, il souscrit volontiers aux politiques préférentielles ; lesquelles considèrent que « pour un temps, la loi devait favoriser ou privilégier les représentants de groupes qui, jusqu'alors, avaient vu leurs membres souvent exclus de certaines carrières ou études pour d'autres considérations que celle de leurs talents175 ».

    Au plan éthique, il faut dire que l'orientation qu'il donne à la gestion de la diversité résulte de ses lectures critiques des penseurs libéraux et communautariens. Pour rendre sa thèse plausible, deux arguments fondamentaux sont à considérer. Le premier argument est celui procédant à une rectification de la trajectoire libérale classique qui considérait l'individu comme un « moi désengagé176 », c'est-à-dire un moi privé de toute filiation communautaire. Contre ce modèle libéral classique, Renaut souligne le risque inhérent à cette forme d'extrême individualisation en

    174 A. Semprini, op. cit., p. 33.

    175 A. Renaut, Égalité et discriminations, op. cit., p. 15.

    176 L'expression est de M. Sandel et est reprise par S. Mesure et A. Renaut, Alter ego, op. cit., p. 84.

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    évoquant la dispersion plus forte des choix normatifs effectués au nom de la liberté. Dans ce cadre, il rejette toute « situation d'extrême individualisation des choix effectués par les uns et par les autres, comme s'ils ne pouvaient être libres qu'en s'affirmant comme irréductiblement différents177 ». Le second argument de la position défendue par Renaut, dans le même temps, insiste sur la place prépondérante de l'individu dans l'adhésion aux valeurs communes afin d'éviter de remettre en cause la cohabitation entre les personnes et le respect de leurs inévitables divergences sur de quelconques valeurs. La conscience individuelle devient ce cadre privilégié où se joue l'essentiel de la promotion de la diversité. De la sorte, il reproche au multiculturalisme d'avoir assujetti l'individu à son groupe d'appartenance en réduisant l'identité de ce dernier à l'ensemble des interactions entre les membres de son groupe. Face aux critiques adressées à ces deux tendances, Renaut précise l'orientation de sa nouvelle piste de réflexion :

    le type de fondation de l'éthique que je pratique et que je mets ici en oeuvre sous la forme particularisée d'une éthique appliquée à la diversité, ne consiste certes pas à réarmer la postulation purement métaphysique d'une pure autonomie du sujet moral, décidant souverainement des fins de ses actions à partir de lui-même, sans autre source de ses valeurs que sa volonté d'agir par devoir : simplement m'apparaît-il indispensable de distinguer la genèse de l'éthique, où le rôle de l'extériorité est indispensable, et sa fondation proprement dite, qui engage un moment où je suis l'auteur de mes actes et des choix qui y président178.

    De cette affirmation découle l'urgence de mettre au clair la part importante de la conscience individuelle comme lieu où doit se jouer désormais la promotion de la diversité. Prise donc au pied de la lettre, la perspective renautienne de l'éthique met au centre de ses préoccupations, l'individu, dans sa relation avec les autres comme celui devant manifester une propension à l'ouverture vers la diversité des visions du monde. Même si une part de responsabilité devrait revenir au politique, dont l'essence se résume à l'organisation de la société dans le sens du vivre-ensemble harmonieux, à travers le choix des contenus d'enseignements par exemple, cela pour autant ne suffirait pas pour traiter de la diversité sous l'angle purement politique. Encore faudrait-il préciser que l'adoption par le politique d'un modèle éducatif favorisant l'ouverture à la diversité ne vise in fine que la responsabilisation de

    177 A. Renaut, Quelle éthique pour nos démocraties ?, op. cit., p. 26.

    178 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 428.

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    l'individu dans les relations interpersonnelles. Conçue comme responsabilisation de l'individu, la perspective éthique incarnée par Renaut, une fois parvenue à son paroxysme chez l'individu porteur d'une culture spécifique, favoriserait l'ouverture entre les cultures. De là découle la compréhension de l'éthique de la diversité comme une « éthique de la relation179 » laquelle génère de nouvelles valeurs en partant d'une construction dialectique entre les valeurs composant les différentes communautés culturelles.

    Dans ce sens, l'éthique de la diversité qui s'appuie chez Renaut sur les « identités ouvertes » consiste donc à mettre en dialogue les différents groupes culturels pour asseoir un minimum de valeurs collégialement partagées. Faisant en ce sens appel à une « quête de compromis social », l'éthique de la diversité de Renaut tire sa justification de la « querelle des valeurs180 » qui mine les démocraties contemporaines à partir du moment où l'irruption de l'individu comme valeur des valeurs consacre l'impossibilité de recourir à une quelconque tradition ou sagesse comme devant servir de référence normative à la conscience collective. Dans ces conditions, la nécessité de trouver l' « éthique susceptible de faire surgir, dans un monde de pluralisme et de liberté, la possibilité d'accords eux-mêmes libres, mais néanmoins assez convergents et consistants pour fournir les conditions de possibilité d'un véritable vivre-ensemble (...)181 », amène Renaut à s'inspirer du modèle de

    l' « éthique publique minimale182 » dont l'importance se révèle dans un univers où le « polythéisme des valeurs » dégénère en des conflits. Ce modèle éthique que l'on rencontre au Québec engage les interrogations relatives au vivre-ensemble ainsi qu'aux conditions devant favoriser un vivre-ensemble harmonieux. Pour résumer tout en une seule formule :

    L'éthique publique surgirait ainsi au point de croisement de « valeurs différentes parfois conflictuelles : intérêt public et bien commun ; respect des droits et des libertés des individus ;

    179 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 343.

    180 Nous rejoignons en ce sens, Mesure et Renaut qui ont approfondi cette idée à partir de la métaphore wébérienne de la « guerre des dieux » induite par le « polythéisme des valeurs ». Voir donc, S. Mesure et A. Renaut, La guerre des dieux, op. cit., p. 41.

    181 A. Renaut, Quelle éthique pour nos démocraties ?, op. cit., p. 27.

    182 Elle trouve sa traduction concrète au Québec avec les travaux réalisés par la commission Bouchard-Taylor dont la préoccupation, à travers les débats, était de « déterminer jusqu'où une personne peut aller pour faire accepter aux autres les expressions et conséquences publiques de ses convictions culturelles ou religieuses », in Quelle éthique pour nos démocraties ?, op. cit., p. 70.

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    respect de la pluralité sociale, de la diversité culturelle et des particularismes moraux ; équité et justice »183.

    Pour assurer le passage de la diversité comme « un fait » à cette nouvelle compréhension de la diversité comme « une valeur » sans toutefois conduire à une dégénérescence des droits en simple consécration des désirs, Renaut évoque la nécessité d'une « décolonisation des identités » comme une pierre angulaire de son nouveau modèle d'humanisme.

    3.3.2 Humanisme de la diversité et décolonisation des identités

    La décolonisation est une notion historique, politique et juridique. Mais lorsque Renaut en fait un fondement de sa pensée, il met aussi en évidence l'aspect humain de la décolonisation, c'est-à-dire l'aspect lié à la conscience de l'individu. Ainsi dit, la décolonisation sous sa bannière ne sera pas simplement ce processus ayant conduit à la libération des identités nationales avec pour effet immédiat la résurgence du droit des minorités à disposer d'elles-mêmes. Bien plus, il s'agira d'une activité de la conscience consistant, au plan individuel et collectif, à se départir de ce qui semble constituer un obstacle à l'ouverture au nom du repli sur soi. Pour en percevoir la signification avec plus de clarté, il importe de commencer par dire un mot à propos de l'identité. En ce sens, rappelons d'abord que la notion de l' « identité », qui se laisse appréhender d'un point de vue étymologique comme ce qui est « le même », est un « Concept polymorphe184 ». On parle en effet d'une « identité individuelle », d'une « identité collective », d'une « identité sociale », d'une « identité nationale ». La liste reste ouverte quand on vient aux « identités » dites « meurtrières ». Au fond, qu'est-ce que l'identité ?

    Considérant le sens étymologique et tous les réseaux conceptuels auxquels elle peut être associée, l'identité peut être considérée comme le trait référentiel qui distingue un individu d'un autre (identité individuelle) ou qui caractérise un groupe par rapport à un autre (identité collective) ou encore comme le référentiel commun à toute l'humanité (identité générique). Définie comme telle, la notion de l' « identité »

    183 A. Renaut, Quelle éthique pour nos démocraties ?, op. cit., p. 69.

    184 G. Ferréol & G. Jucquois, Dictionnaire de l'altérité et des relations interculturelles, Paris, Armand Colin, 2003, p. 155.

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    draine toute une problématique dont une mise au clair s'avère indispensable pour la compréhension de la décolonisation chez Renaut.

    En effet, avec l'avènement de la modernité fondée sur une égale considération de tous les êtres humains, on passe d'une société hiérarchisée à une société égalitaire. Ainsi assiste-t-on, aux premières heures de la modernité, à l'émergence d'un nouveau concept, celui de la « dignité de l'être humain ». La dignité de l'être humain apparaît désormais au coeur de la politique libérale ; laquelle en voulant supprimer les classes sociales antérieures à son avènement s'appuie sur le principe de l' « égale dignité » de tous les individus en tant que jouissant des mêmes droits universellement reconnus. De ce point de vue, la conception antique de l'identité, assimilée à la position sociale occupée par l'individu, sera repensée dans le nouveau contexte de la modernité en rapport avec la dignité de l'être humain. Ainsi, en se fondant sur le nouveau concept de la « dignité humaine », telle que développée chez Rousseau et chez Kant, la tendance moderne a tiré prétexte d'une égalité naturelle entre les hommes pour affirmer l'identité de l'espèce humaine, une identité « essentialisante ». On passe ainsi d'une identité « tronquée » à une identité « reconnue ». À en croire Mesure et Renaut : « avec la naissance des sociétés modernes et à travers leur devenir, nous sommes passés de la méconnaissance de l'autre comme étant lui aussi un « moi », au même titre et avec les mêmes droits que moi, à sa reconnaissance comme tel sous le régime de l'identité185 ».

    Mais, à nouveau, cette reconnaissance de l'autre comme un « moi » semble elle aussi s'être déplacée en raison de l'obligation qu'elle implique en termes de valorisation de l' « autre » dans sa différence, c'est-à-dire dans son altérité. Le difficile « entrelacement du même et de l'autre », qu'analysent avec lucidité Mesure et Renaut, attire l'attention au sujet d'un éventuel « paradoxe de l'identité démocratique ». Puisque, en réalité, la démocratie moderne avait pris pour acquis un paramètre d'égalité qui neutralisait toutes les différences. Or, à l'analyse, on découvre, à partir des revendications inhérentes à la catégorisation de l'individu, que l'identification de l' « autre » ne saurait se passer de la reconnaissance de sa différence. Toute la difficulté tient à cette possibilité d'articuler la reconnaissance

    185 S. Mesure et A. Renaut, Alter ego, op. cit., p. 43.

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    des individus en tant qu'êtres humains situés hors de toute appartenance avec leur reconnaissance comme des êtres humains appartenant à des groupes spécifiques. Sous cet angle, l'identité devient le spectre d'un large questionnement : comment un individu ou un groupe parvient-il à la conscience de son identité ? L'identité résulte-t-elle d'une construction monologique ou d'une construction dialogique ?

    Ces questions indiquent déjà qu'une parfaite appréhension de la problématique identitaire nécessite une analyse systématique de diverses questions : l'une d'elles met en avant la conscience individuelle comme source de construction de l'identité et l'autre privilégie la culture comme cadre de construction des identités personnelle et collective. Le traitement intellectuel de la problématique de l'identité est donc assuré par deux tendances que présente plus amplement Ballong :

    La première tendance s'oriente vers la subjectivité comme fondement de toute identité personnelle en mettant l'accent sur le sujet. La seconde qui est plus globalisante que la première, enrôle la culture en tant qu'elle détermine à la fois l'identité collective aussi bien que l'identité individuelle186.

    De par les orientations induites par ces deux tendances, on peut en déduire une tension entre identité individuelle et identité collective ; une tension dont la meilleure compréhension exige que soit analysée de façon explicite la question posée par Mesure et Renaut dans l'élaboration de quelques réflexions sur les représentations modernes de l'identité : « Qui suis-je ?187 ». Signalons que cette question, que l'on pourrait adresser à tout individu, mobilise à elle seule trois types de réponses correspondant chacune à trois types d'identité. Ainsi, à cette question que l'on pourrait adresser à Taylor par exemple, trois styles de réponses correspondant à trois types d'identités peuvent être mobilisés. Ce dernier peut dans sa tentative de réponse mettre en valeur son individualité, c'est-à-dire ce qui fait de lui un être humain distinct de tous les autres êtres de la même espèce. En apportant à cette question la réponse de type « Je suis Charles Taylor », il mettrait ainsi en exergue ce qu'il a d'authentiquement unique ; donc son « ipséité ». Cette première réponse correspond à ce que Mesure et Renaut ont désigné par « l'identité distinctive ».

    186 I. B. Ballong, « Essai sur la crise de l'identité culturelle », Échanges, Vol. 1, N° 001, Lomé, 2013, p. 97.

    187 S. Mesure et A. Renaut, Alter ego, op. cit., p. 9.

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    Aussi faut-il ajouter qu'une seconde réponse, différente de la première, peut être apportée à la même interrogation : « Je suis québécois ». Cette seconde réponse paraît revêtir l'identification de l'individu à un groupe, fût-il ethnique, clanique, tribal ou encore culturel. À ce niveau, la définition de l'identité prend en compte l'héritage culturel en assurant une nette distinction entre les différents groupes identitaires. Cette seconde réponse renvoie à « l'identité commune » chez Mesure et Renaut. En raison de la prégnance de la communauté sur l'individu, dans le contexte africain, toute la difficulté tient à la distinction possible entre ces deux niveaux de l'identité. Ceci au point que la citoyenneté, entendue comme la transcendance de la communauté au plan individuel, se trouve mise en branle. Une telle difficulté n'est pas étrangère à Mesure et Renaut qui la rattachent fondamentalement aux paradoxes de l'identité : « notre identité s'affirme ainsi comme le produit énigmatique de deux dynamiques potentiellement antagoniques, en vertu desquelles chacun ne peut dire « je » qu'en pensant et en disant « nous »188 ».

    Enfin, cette même interrogation (« Qui suis-je ? ») peut générer une troisième réponse différente des deux précédentes. Et sur ce point, il s'agira de prendre en compte la dimension universelle de l'humanité dans la définition du singulier que représente par exemple Taylor. Ceci en identifiant les traits communs caractéristiques à tous les êtres humains. On pourra alors évoquer la réponse du personnage de Térence telle qu'elle nous a été rapportée par Mesure et Renaut : « Je suis homme, et je ne considère rien de ce qui est humain comme m'étant étranger189 ».

    Au point de vue philosophique, le traitement de l'identité a souvent eu pour référence la théorie de la reconnaissance et celle de la différence telle que préconisée par Taylor. Toutefois, une difficulté subsiste toujours à l'analyse esquissée par ce dernier : jusqu'où peut-on consentir à l'affirmation des identités sans compromettre l'idéal de cohésion incarné par la démocratie ? Au-delà de Taylor et Kymlicka qui ont tous plaidé pour la reconnaissance politique et juridique des différentes identités, il revient à Renaut le mérite d'avoir insisté sur la « décolonisation des identités ».

    188 S. Mesure et A. Renaut, Alter ego, op. cit., p. 12.

    189 Ibid., p. 9.

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    Mais alors, une interrogation reste ouverte : comment la décolonisation se laisse-t-elle appréhender pour ce philosophe contemporain ?

    D'entrée de jeu, soulignons que la décolonisation est une notion historique, en parfaite relation avec la colonisation qui se présente comme une période au cours de laquelle plusieurs individus sont parvenus à la prise de conscience de leur identité en raison de la mauvaise image de soi que véhiculait le colon. Elle reste politique, puisqu'au lendemain de la guerre froide qui avait mis face-à-face le bloc libéral et le bloc communiste, la victoire du premier sur le second a consacré la libération des identités nationales et des minorités qui y étaient enfouies. Ces dernières trouvaient à partir de ces moments la justification de leur lutte pour l'indépendance et l'expression de ce qui en elles-mêmes marquaient leur singularité. La décolonisation reste aussi une notion juridique puisqu'à partir des années 1940, « le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes » consacre, « le droit des minorités à disposer d'elles-mêmes ». De ce point de vue, la décolonisation a favorisé la libération des peuples autrefois soumis au joug du colon. En octroyant ainsi la liberté à ces peuples, ceux-ci acquièrent « leur droit à la présence au monde190 ». En se référant à cette notion à la fois historique, politique et juridique, Renaut va distinguer trois grands moments dans la décolonisation :

    la voie de l'indépendance totale acquise par les pays anciennement colonisés, celle de l'autonomie par intégration au sein d'une communauté rassemblant des États membres et l'ancienne métropole, ou encore la démarche aboutissant à l'assimilation d'anciennes colonies à la structure politique et l'ancien État colonisateur191.

    Tout en insistant sur la troisième phase de la décolonisation, en raison de son rapport étroit avec la diversité des nations devant à la suite intégrer des ensembles régionaux à l'image de la politique métropolitaine, Renaut assigne à cette notion une originalité en ce qui concerne la diversité culturelle et la diversité sexuelle où la différenciation des rôles entre les sexes (masculin et féminin) avalise la thèse de l'identité comme relevant du construit. Lorsqu'on parcourt Un humanisme de la diversité, l'interprétation qui s'est néanmoins imposée comme la plus globale est celle qui s'appuie sur la conviction que « la relativité historique et sociale des rôles

    190 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 314.

    191 Ibid., p. 145.

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    et des représentations génériques est le signe que le genre relève plus du « construit » que du « donné »192 ».

    En faisant appel à la « décolonisation » dans les deux domaines de la culture et du genre, l'originalité de son apport réside dans sa tentative de lui accorder une activité essentiellement mentale, c'est-à-dire qu'il ne s'agit plus d'une perspective politique de la décolonisation en tant que cette perspective met l'accent sur la responsabilité des États dans le processus de libération des identités. Contrairement à cette perception de la décolonisation devenue « classique », l'essentiel de son apport se jouera dans la conscience des individus ainsi que dans les imaginaires collectifs auxquels se réfèrent toujours les individus au nom de valeurs collégialement partagées. Sur cette lancée, la décolonisation aura pour synonyme la « déconstruction » impliquant en amont un processus de construction des identités. Et c'est justement pourquoi sa référence à la culture et au sexisme se révèle significative.

    En réalité, accentuées par la colonisation (qui procède, du point de vue genre, par une sorte de « domestication193 » des rôles de la femme en Afrique noire et, du point de vue culturel, par la diffusion de la conviction d'après laquelle la culture occidentale était le modèle parfait de progrès), les différences culturelles et sexuelles ont conduit à la construction des imaginaires sociaux portant sur une domination naturelle du sexe masculin vis-à-vis du sexe féminin et sur la conviction largement répandue d'après laquelle certaines cultures étaient supérieures aux autres. À travers la décolonisation, qui n'est qu'une autre désignation de la « déconstruction », il s'agit de se défaire de tous ces préjugés hypothéquant le vivre-ensemble des différentes identités construites par l'intermédiaire de la colonisation.

    De ce fait, il existe un lien indéniable entre colonisation et décolonisation. En réalité, la colonisation en réduisant tout le « divers » à l'unique horizon de la culture occidentale a engendré le mépris des autres ou encore leur méconnaissance. Or, cette méconnaissance qui s'opère à travers l'abstraction des différences sera revisitée au début des années quatre-vingt-dix avec la fin de la guerre froide consacrant

    192 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 259.

    193 Ibid., p. 354.

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    l'émergence des identités, notamment les identités nationales. À partir de cette période au cours de laquelle commencent à émerger différentes identités, c'est leur reconnaissance qui annonce l'avènement d'un nouveau monde : celui-là qui envisage la reconnaissance des identités comme un impératif pour la conscience démocratique. Mais ce nouvel impératif s'accompagne toutefois d'un risque, celui de voir les différentes identités se refermer sur leurs propres valeurs.

    C'est en prenant conscience de cet éventuel risque que le penseur du concept de l' « humanisme de la diversité » accorde une place importante à la décolonisation à partir de laquelle pointe désormais une nouvelle compréhension de l'identité : en tant qu'une caractéristique fondamentale propre à un individu ou à un groupe, l'identité sera désormais comprise comme « Relation », comme ouverture et non plus comme fermeture sur soi, fermeture de soi aux autres. En témoigne, le passage, dans l'argumentation de Renaut, de la « créolité », concept « fixiste et immobile », à la « créolisation » entendue comme « processus vers », c'est-à-dire vers l'altérité. D'où découle sa formule profondément révélatrice de sa pensée : « ce sont les plantes, non les hommes, qui tiennent à leurs racines (...)194 ».

    Il faut ajouter par ailleurs que la décolonisation des identités va de pair avec l'ouverture à la diversité. Développant, au nom de la promotion de la diversité, la reconnaissance des identités, Renaut précise que le passage de la notion d'« identité » à celle de la « diversité » n'est qu'un changement de lexique. Mais plus important qu'un simple changement de lexique, la notion contemporaine de la « diversité » engage une véritable politique mettant en exergue l'ouverture à la diversité comme valeur. Cette ouverture à la diversité des identités, qui se veut essentiellement critique chez Renaut, situe le différentialisme radical et l'universalisme dogmatique en deçà de la décolonisation étant donné que l'affirmation contemporaine de la différence culturelle comme objet du droit a conduit, contrairement à l'universalisme abstrait, à un différentialisme radical avec pour corollaire la construction des identités fermées les unes aux autres. L'histoire du multiculturalisme qui ne reconnaît des cultures, aux États-Unis, que par leur juxtaposition confirme bien cette idée.

    194 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 439.

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    Dans cette disposition d'esprit, la première exigence d'un universalisme ouvert consisterait selon Renaut en une « décolonisation des identités ». À travers ce nouveau modèle de l'universalisme, il est donc question de promouvoir un nouveau monde censé composer avec les différentes identités qui le composent. Aussi est-il question de penser aux conditions devant permettre d' « apprivoiser la panthère identitaire ». C'est pourquoi son « humanisme de la diversité » qui procède par une « déconstruction des identités » passe aussi pour une « éthique de la diversité » en raison de l'esprit d'ouverture et celui de la relation qui y prévalent :

    (...) il est vrai qu'un autre espace, celui de l'éthique, demeure ouvert pour que chacun se saisisse de l'exigence de procéder en la matière, celle de la diversité culturelle comme d'autres figures de la diversité, à des choix de valeurs induits par la déconstruction de l'universalisme assimilationniste et du différentialisme se fermant à l'universel195.

    Conclusion

    En définitive, il appert que l'idée d'un humanisme de la diversité qui fait ici l'objet d'analyse est le résultat d'un ensemble d'interrogations autour de la pluralité des valeurs ou encore de la diversité qui s'affiche de nos jours comme le noyau constitutif de la démocratie. Cet humanisme est le prolongement de la réflexion philosophique telle qu'elle s'est développée entre libéraux et communautariens. Les débats entre libéraux et communautariens, symboles de la dynamique inhérente à la démocratie moderne, vont en effet permettre à Renaut de concevoir sa troisième voie libérale comme l'exigence de synthèse entre l'affirmation des particularismes et la quête de l'universel posé comme un a priori à la réglementation d'une matière dans l'intérêt égal de tous. Aux yeux de Renaut, rien n'illustre au mieux cette réalité complexe que la notion d' « humanisme » et celle de « diversité », seuls actes intellectuels capables de comprendre les paradoxes de l'identité démocratique.

    Son ouvrage196, adressé aux sociétés démocratiques, démontre avec l'aide des arguments éthiques, qu'il est plus commode de recourir à l'éthique comme médiatrice des tensions démocratiques plutôt que de traiter de la diversité dans le

    195 A. Renaut, Un humanism de la diversité, op. cit., p. 344.

    196 Jl s'agit bien sûr de Un humanisme de la diversité. Essai sur la décolonisation des identités, op. cit.

    strict champ de la politique. Sous cet angle, son analyse va au-delà de Taylor et Kymlicka qui, en plaidant pour une prise en compte institutionnelle des différences culturelles sont restés dans un contexte purement politique et juridique. À en croire Renaut, seule l'éthique peut permettre un engagement véritable en faveur de la promotion de la diversité. Il s'agit donc pour lui, de mettre la conscience de l'homme au fondement de tout traitement de la diversité. Comme il a eu l'occasion de le rappeler lui-même :

    En tout état de cause et au point où nous en sommes de cette construction, tenons seulement pour acquis que c'est ultimement de l'entrecroisement de décisions individuelles de type éthique que résulte, au-delà du politique et de ses initiatives, une perception collective de cette diversité197.

    En résumant son apport au plan politique, par le modèle de « justice compensatrice » qui ne passe en rien par l'établissement des quotas, et au plan éthique par la nécessité de valeurs collégialement partagées aussi bien par différents groupes culturels que par les individus, il devient clair que le penseur du concept de l'« humanisme de la diversité » défend bien, à nos yeux, non pas seulement un modèle spécifique à un pays donné, mais un modèle universalisable, où toutes les sociétés pluralistes pourraient puiser des ressources nécessaires pour leur édification. Même si son apport se limite à la réalité de l'État-nation français, il revient à chaque chercheur d'y puiser de la matière pour analyser la réalité politique de son milieu car, comme l'écrivait Rawls : « Les fins de la philosophie politique dépendent de la société à laquelle elle s'adresse198 ». De la sorte, il nous est loisible d'envisager la portée de cet humanisme en Afrique noire.

    98

    197 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 429-430.

    198 J. Rawls, Justice et démocratie, Paris, Seuil, 1993, p. 245.

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    CHAPITRE IV : HUMANISME DE LA DIVERSITÉ ET RECONSTRUCTION DES NATIONS DÉMOCRATIQUES EN AFRIQUE NOIRE

    Introduction

    Le constat de la problématique induite par le vivre-ensemble à l'échelle nationale permet d'envisager la nécessité d'une refondation des liens sociaux en faisant de la diversité des appartenances ethniques une source favorable au vivre-ensemble harmonieux. Mais, ce constat soulève une question délicate qui est le ressort de toutes les polémiques qu'elles déchaînent : pourquoi cette « mutation planétaire » et quelles en sont les conséquences en Afrique noire ? Akindès, Bayart, Tshiyembe et bien d'autres encore se sont attachés à formuler, dans cette perspective, ce qu'ils ont appelé la « crise du lien social ». Pour en clarifier les enjeux, ils ont tout d'abord révélé la spécificité de cette crise en Afrique noire en posant comme hypothèse de base, dans le contexte africain soumis à cette crise, « l'incapacité des puissances, structures et institutions publiques, à redéfinir une philosophie des liens sociaux qui se projetterait dans le fonctionnement des services publics199 ». Ensuite, ont-ils souligné, à l'instar de Mbonda, que « La recomposition du lien social dans un contexte pluriethnique ne consiste donc pas à prêcher l'unité nationale ad nauseam, mais à mettre en place des mécanismes de péréquation entre les revendications concurrentes exprimées par les différents groupes ethniques200 ».

    Animées par le projet d'explorer l'espace de leurs pistes de réflexions, les réflexions proposées dans ce chapitre auront pour point de départ et pour point d'ancrage principal, l'humanisme de la diversité, qui a été théorisé ces dernières années dans les travaux de Renaut et qui a pris la forme d'une nouvelle discussion sur le pluralisme. Derrière cette vision d'approfondir les idées de Renaut, se nourrit l'ambition pour nous de refonder la démocratie dans le contexte purement africain.

    199 F. Akindès, «Le lien social en question dans une Afrique en mutation», in J. Boulad-Ayoub et L. Bonneville (dir.), Souverainetés en crise, Québec, L'Harmattan et Les Presses de l'Université Laval, 2003, p. 5.

    200 E.-M. Mbonda, «Crises politiques et refondation du lien social : quelques pistes philosophiques», op. cit., p. 18.

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    Dans ce registre, il sera question, en partant de la difficulté pour les États africains à créer de nouveaux liens sociaux, de poser, sous la houlette du nouvel humanisme, les conditions d'émergence de nouveaux liens sociaux au sein de ces États. Et pour finir ce chapitre, nous n'esquiverons pas la relation entre paix, démocratie et différences identitaires. Dans la logique d'une telle relation, nous prendrons un tant soit peu du recul vis-à-vis de la perspective renautienne en mettant en exergue la nécessité d'une responsabilité communautaire dans la gestion de la diversité.

    4.1 Éthique et refondation de la démocratie en Afrique noire

    Si l'on considère, en suivant Renaut, l'espace dans lequel se déploie la pensée éthique, on se rend compte qu'il n'existe pas une différence entre éthique et morale. Disons tout de suite, pour illustrer cette idée, que du point de vue étymologique, « éthique » et « morale » se réfèrent à un seul et même objet : la sphère des moeurs et des façons de vivre. Ainsi, tout comme « Éthique » (à partir de son origine grecque « ethos ») fait référence aux moeurs, « Morale » renvoie à cette même sphère en partant de son origine latine « mos ». Comme tel, il n'existe pas du point de vue étymologique une distinction tranchée entre ces deux notions. En se fondant sur cette clarification étymologique, l'auteur de Kant aujourd'hui adopte un usage identique des termes « Éthique » et « Morale ». C'est pourquoi, conclut-il, « Ils désigneront ici, de manière globale, la sphère des valeurs et du discours sur les valeurs201 ».

    Considérant l'éthique de ce point de vue, sa nécessité dans la reconstruction de la démocratie en Afrique relève d'une inquiétude philosophique au sens renautien du terme :

    Pas une journée sans que désormais le vécu démocratique ne suscite, à tous ses niveaux, des interrogations sur le rapport entretenu par les acteurs de nos sociétés aux valeurs que nous sommes supposés partager. Au point que c'est aujourd'hui le plus souvent sur le mode de l'indignation morale que la conscience du citoyen trouve, entre les périodes électorales, à exprimer sa voix202.

    Dans la logique de ce constat, lorsqu'on se place dans le modèle analytique renautien et on observe la dynamique sociale au sein des États africains, il apparaît

    201 A. Renaut, Quelle éthique pour nos démocraties ?, op. cit., p. 27.

    202 Ibid., p. 7.

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    clairement que cette dynamique est de faible consistance en matière d'adhésion commune à des valeurs référentielles. Cette faiblesse se lit à travers les difficultés rencontrées dans la gestion de l'ordre social postcolonial. En effet, construits indépendamment des populations hétérogènes, les État africains sont le lieu où les difficultés du vivre-ensemble trouvent leur plus claire expression. Dans le même esprit, et au nom de la démocratie, ces États se trouvent dans l'obligation de se donner de nouvelles valeurs sur la base d'une adhésion commune. Et ce, pour deux raisons permettant d'entrevoir quels avantages charrie avec elle, la mise en place d'une véritable politique de promotion des valeurs qui se réaliserait au-delà des différences identitaires :

    D'une part, placés au défi de la reliance autour d'un projet national, les États africains doivent au préalable chercher à résoudre les contradictions internes des appartenances identitaires au plan national. Admettre cette nécessité revient à se forger des modalités susceptibles de créer le lien social qui se comprend « comme ce qui maintient, entretient une solidarité entre les membres d'une communauté, comme ce qui lutte en permanence contre les forces de dissolution toujours à l'oeuvre dans une communauté humaine203 ».

    D'autre part, la réflexion sur la nécessité des valeurs préalables à toute unité politique en Afrique noire a comme effet positif de mettre fin à la « difficulté à s'auto-instituer » ; difficulté à laquelle se trouve confrontés les États d'Afrique noire depuis la fin des indépendances. C'est donc en termes de « capacité à s'auto-instituer », à se donner un sens à la fois dans le présent et dans l'avenir, qu'un échiquier de valeurs préalables à tout projet politique s'avère obligatoire. Ceci tout en demeurant convaincu que « l'état des valeurs et des institutions fondatrices des liens sociaux en un temps t renseigne sur la capacité d'une société à agir sur elle-même, dans le sens d'une organisation de sa survie dans l'histoire204 ».

    Toutefois, la construction par le chercheur de ces valeurs devant agir en interface entre l'individu et l'État dans le contexte sociopolitique de l'Afrique noire exige que soit clairement appréhendé le concept de « valeur ». Valeur indiciaire,

    203 Cette citation est de Farrugia, reprise par F. Akindès, «Le lien social en question dans une Afrique en mutation», op. cit., p. 8.

    204 F. Akindès, Ibid., p. 9.

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    valeur sociale, valeur économique, sont quelques-uns de ces domaines dans lesquels la notion de valeur se prête, d'ordinaire, à l'analyse. Mais prise en elle-même, la valeur peut se comprendre comme un idéal fondant l'adhésion des membres d'une même communauté (nationale, étatique, culturelle, par exemple) ; un idéal au nom duquel la réalité de ladite communauté serait autre chose que la barbarie. À cet égard, il devient aisé de souscrire à l'idée selon laquelle, la valeur s'identifie à l'importance qui lui est dévolue par les membres d'une communauté pour la survie205 de celle-ci. Inscrite dans ce contexte, toute notre compréhension de la valeur peut se résumer à quelque chose à quoi un individu ou une société accorde de l'importance. Qui plus est, la valeur relève aussi de l'imaginaire social et se trouve inscrite aussi bien dans la conscience individuelle que collective. Ainsi se laisse-t-elle appréhender comme fondatrice du lien social. En tant qu'elle relève de l'imaginaire social, la nécessité de recourir chaque fois à de nouvelles valeurs s'impose notamment dans les États confrontés à une difficulté de gestion d'un ordre social nouveau. Ainsi donc, comprise comme porteuse d'une bonne gestion de l'ordre social nouveau, surtout dans un contexte africain qui signe l'incapacité des valeurs anciennes et importées à répondre à cet impératif postcolonial, c'est la nécessité de recourir à l'éthique (en tant que discours sur les valeurs) qui s'impose pour la relance de la démocratie en Afrique noire.

    De ce point de vue, la pertinence de l'apport renautien consiste à mettre l'accent sur la conscience individuelle : « il me semble que conscience soit prise par chacun206 ». Ce propos de Renaut paraît revêtir de toute nécessité, l'urgence d'un retour à l'humain dans le cadre de la démocratisation des États africains. Par conséquent, ce propos nous éclaire davantage sur ce que l'on doit entendre par le retour à l'humain. Ce retour à l'humain ou encore le surgissement éthique consiste à mettre la conscience humaine au centre même de tout projet de démocratisation. En effet, une opinion largement répandue est celle qui propose un modèle de consolidation de la démocratie en Afrique noire en procédant au renforcement des

    205 Dans un registre qui n'est pas si différent, Taylor évoque la préservation de la langue et de la culture française comme une valeur pour le Québec. Notre point de vue en ce qui concerne la définition de la valeur retrouve sa consistance philosophique chez C. Taylor, «Le pluralisme et le dualisme», in A. Gagnon (dir.), Québec : Etat et société, T.1, Montréal, Les Editions Québec/Amérique, 1994, p. 8.

    206 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 440.

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    mécanismes institutionnels. Ceci, sans toutefois accorder une place à la conscience humaine. Or, à l'analyse, l'évidence qui s'affiche est que dans beaucoup d'États du continent noir, les textes relatifs à la sphère politique ne souffrent d'aucune légitimité. Et pour autant, il est aisé de remarquer que la démocratie peine à s'y enraciner. Prenant conscience de ce constat, il y a plutôt nécessité d'envisager un retour à l'éthique qui est synonyme d'un retour à l'humain. C'est donc aux individus censés jouer la partition au sein de la démocratie moderne qu'il faut s'adresser avant tout. Puisque, les principes institutionnels de la démocratie seront d'un effet très limité tant que les individus eux-mêmes ne sentiront pas la nécessité d'intégrer, dans leur vécu quotidien, les valeurs démocratiques. À bon droit, les analyses de Pathé-Gueye méritent d'être évoquées.

    Ce dernier souligne aussi le fait que les réflexions sur l'amélioration de la démocratie ont mis l'accent généralement sur la définition des mécanismes institutionnels d'un État de droit et sur les principes politiques, légaux et juridiques devant régir son fonctionnement normal et efficace. Ceci en reléguant au second plan la dimension éthique du problème. Or, de nos jours, l'évolution de la démocratie exige que l'on mette les valeurs au centre de toute pratique démocratique. En partant de ce qui s'exprime dans ses analyses, on peut donc conclure qu'il n'y a pas de démocratie sans valeurs. Ainsi, une fois cette conclusion admise, c'est l'éthique en tant que sphère des valeurs qui refait surface. Seule elle, peut donner véritablement sens à toute pratique démocratique parce que cette dernière « présuppose des valeurs et des normes qui la fondent, l'orientent et lui assignent un sens207 ».

    Il devient dès à présent indispensable pour les États africains de souscrire à une politique éducative centrée sur l'éthique. C'est justement l'éthique, dans son entrecroisement avec les mécanismes institutionnels légaux et juridiques, qui peut se présenter comme un véritable remède au problème des replis ethniques en Afrique noire. Car, elle permettrait l'expression des différences ethniques tout en les transcendant dans l'optique de préserver un destin commun. L'éthique est donc à la fois ce qui permet à l'individu de s'épanouir dans la communauté de valeurs spécifiques à son groupe ainsi que dans celles fondant l'existence d'un monde

    207 S. Pathé-Gueye, Du bon usage de la démocratie en Afrique. Contribution à une éthique et à une pédagogie du pluralisme, Dakar, NEA, 2003, p. 11.

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    commun à plusieurs groupes. À partir de cette clarification, il y a lieu d'orienter l'éducation vers une éducation éthique, c'est-à-dire vers une éducation aux valeurs se trouvant au fondement de la nation. À ce sujet, une formule d'Abdallah-Pretceille nous illumine :

    Toute éducation non reliée à une visée éthique n'est qu'une pragmatique éducative qui, pour réussir, demandera toujours plus de règlements, de contrats, de contraintes, de savoirs, d'exigences [...]. Si la société civile ne cherche pas à combler dans un projet de société le vide éthique, il est à craindre que ce que l'on appelle le retour (...) des replis identitaires, ne soit qu'un palliatif et donc un prélude à des conflits208.

    Pour rendre effectif la consolidation de la démocratie dans les États africains, une mise au clair des responsabilités dévolues à toutes les composantes sociales nationales s'avère nécessaire.

    4.2 Décolonisation et diversification des responsabilités en Afrique noire

    Pour comprendre la logique à laquelle répond la décolonisation des consciences en Afrique noire, il s'avère indispensable de situer notre analyse à partir de ce que fit la colonisation dans le contexte africain. Dans le contexte africain en effet, la récurrence des ethnicismes paraît se nourrir du syndrome de fermentation de la diversité ethnique liée à la colonisation des identités. De ce fait, le regain d'intérêt pour la décolonisation des identités telle que défendue par Renaut réside dans la promotion d'une « ouverture maintenue à un universel se débarrassant à l'infini des démons de la colonisation des identités209 ». Dans le sillage de cette colonisation des identités, lorsqu'on ambitionne d'appréhender les problèmes africains ou d'évoquer le sort de l' « Afrique désemparée », l' « Afrique déboussolée » ou encore

    l' « Afrique désenchantée », le salut de cette Afrique a toujours été présenté comme résidant dans la seule responsabilité de ses acteurs politiques. Et une raison paraît justifier cette tendance : c'est celle d'après laquelle, placés au-devant de la scène politique, seuls les dirigeants ont une vision de la société idéale à construire.

    208 Cité par Institut national de recherche pédagogique, Approches interculturelles en éducation, septembre 2007, p. 23.

    209 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 433.

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    Mais à partir du moment où toutes leurs actions tendent à avaliser le propos de Lissouba, d'après lequel, « On n'organise pas des élections pour les perdre210 », il y a lieu de réexaminer et même de nuancer cette prise de position justifiant la seule responsabilisation des dirigeants africains. En réalité, l'intérêt personnel prévalant dans l'esprit des gouvernants africains, on ne saurait pour cette même raison faire appel à leur unique responsabilité et de surcroît, ayant observé aussi comment les cellules familiales ont contribué à la crispation du sentiment identitaire notamment dans le cas du génocide rwandais, il y a urgence de diversifier les responsabilités. Par conséquent, le propos de Lissouba ainsi que la crispation autour du sentiment d'appartenance Hutu et Tutsi rendue possible par l'éducation familiale représentent quelques-unes de ces perspectives qui engagent la responsabilité de toutes les composantes sociales comme une condition essentielle à une « démocratisation ancrée » en Afrique noire.

    C'est précisément à partir de ce constat que se justifie actuellement la nécessité d'une décolonisation des consciences dans les États postcoloniaux d'Afrique noire. Dans ce registre, ce qu'on ne perçoit pas encore, et dont il faut dire quelques mots, c'est le lien entre décolonisation des consciences et responsabilité. Pour établir ce lien, on se référera à l'éthique (comprise comme la morale) dans la pensée de Renaut : « il est extrêmement difficile, même si certaines philosophies morales de grande ampleur l'ont tenté, de concevoir la moralité sans recourir à l'idée de responsabilité (...)211 ». En partant de cette affirmation, qui établit un lien entre moralité et responsabilité, le lien entre décolonisation et responsabilité se laisse percevoir dans la conscience comme dénominateur commun à la responsabilité et à la décolonisation. En effet, la décolonisation comme pierre angulaire d'un humanisme de la diversité est présentée sous le prisme renautien comme une activité de déconstruction des préjugés véhiculés dans la conscience (individuelle et collective) par la colonisation. La responsabilité, consistant à répondre de ses actes, met en exergue la place prépondérante de la conscience que l'on définit ici comme une connaissance claire que chacun peut avoir à l'égard du monde environnant et à l'égard de soi-même. Dans le contexte de l'Afrique noire où, les conditions d'un

    210 Propos repris par D. Kokoroko, « Les élections disputées : réussites et échec », op. cit., p. 115.

    211 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 254.

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    véritable décollage politique sont laissées à la charge des gouvernants, il est question de déconstruire une telle mentalité en procédant en retour à une sorte de détection des responsabilités à tous les niveaux de l'appareil étatique.

    Sur ce mode, lorsqu'on se place dans cette posture consistant à situer les responsabilités, il faut s'apercevoir qu'il existe, en premier lieu, des responsabilités liées à la cellule familiale et à l'école. La famille, en tant qu'elle révèle son impact sur l'insertion sociale de tout individu, est le lieu réputé pour la formation et la maturation de ce dernier. Elle facilite, à tort où à raison, l'intégration de l'individu dans une communauté d'égaux. De ce fait, elle pose les bases d'une véritable personnalité de l'individu ; laquelle personnalité pourra se parfaire à l'école. Du coup, il existe un lien étroit entre la cellule familiale et l'école. La première après avoir posé les fondements d'une maturation de l'individu, nous permet alors de tourner les regards vers l'école qui se trouve investie d'une mission particulière : rendre libre et responsable l'individu en lui permettant d'établir un pont entre ses liens sociaux primaires et l'intégration dans une communauté d'égaux. À travers l'instruction, l'école permet à l'individu d'obéir à une règle impersonnelle tout en lui donnant la possibilité de se forger le sentiment d'appartenir à une entité commune qu'est la nation. Pour ces raisons, la cellule familiale et l'école doivent être les lieux privilégiés où l'éducation à la démocratie, à la citoyenneté doivent s'enraciner en Afrique noire. Elles doivent constituer ce contexte dans lequel les valeurs cardinales de « cohésion sociale », de « respect de la diversité » (culturelle, ethnique, sexuelle et religieuse) sont largement diffusées. C'est à ce prix que l'individu qui serait porté au sommet des instances de décisions politiques peut agir en ayant en vue l'intérêt national. On conclut alors que la famille et l'école doivent jouer les rôles d'avant-garde dans l'édification des États-nations démocratiques en Afrique noire : « L'école, aidée par la famille, mais aidant aussi la famille à faire siennes certaines valeurs d'ouverture, peut assurément jouer un rôle (...)212 ».

    Aussi doit-on préciser que l'Université, en tant qu'un ferment de la diversité humaine, se trouve concernée. En tant que ce lieu de diffusion d'un plus haut savoir, l'espace universitaire est celui au sein duquel on voit poindre des tendances à

    212 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 426.

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    l'ethnocentrisme. Preuve en est : le regroupement de différents groupes sur la base des référents ethniques ou régionalistes servant de « lit de Procuste » lors des processus électoraux. Face à cela, il y a lieu de « désethniciser » le fait ethnique dans l'espace universitaire. Ce qui ne peut s'opérer véritablement que par une recomposition sociale procédant par l'exploration des thèmes touchant à l'ouverture à la diversité dans la perspective du partage d'un espace civique commun à préserver. Il s'agira d'y renforcer, par exemple, les capacités en matière de « politique managériale des différences ethno-identiatires », de « pluralisme démocratique », de « relativisme culturel » et la nécessité de son dépassement. Encore faudrait-il rappeler que, pour obtenir le résultat escompté, les universitaires doivent mobiliser leur bagage intellectuel pour deux motifs essentiels : d'abord, pour offrir une perspective qui permet d'allier conviction individuelle à la responsabilité collective ; ensuite, pour offrir ce cadre propice à une véritable refondation politique nationale. Ils ont donc une lourde mission en tant qu'éclairés et éclaireurs :

    C'est une tâche qui attend partout les hommes de culture de concilier les indispensables résistances identitaires au rouleau compresseur de la société du vide, pour maintenir ici et là nos vitalités historiques (...) avec la non moins indispensable exigence de recul et de refroidissement, le non à l'inféodation, que l'on peut et doit exiger de ce nom, où qu'il se trouve213.

    Quant aux dirigeants politiques, ils n'ont d'autres responsabilités que celle exigeant d'eux des dirigeants exemplaires dans leurs relations avec le peuple. Il serait par exemple requis de tenir à leur parole, de s'engager véritablement en faveur du bien commun dans un esprit de vérité et de sincérité. Car, comme l'écrivait si pertinemment Junior : « Même si la politique est l'art du mensonge, il faut que les dirigeants démontrent un minimum de vertus cardinales, d'honnêteté, de franchise et de recherche de l'intérêt général au détriment des ambitions par trop personnelles214 ». En aspirant toujours au bien commun, les dirigeants africains favoriseraient ainsi une répartition équitable des ressources de l'État. Une telle exigence augure la responsabilité de l'État dans la répartition des ressources.

    213 R. Debray, L'intellectuel face aux tribus, op. cit., p. 59.

    214 D. F. Junior, Quand l'Afrique s'éveillera..., Yaoundé, Nouvelles du Sud, 1998, p. 175.

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    En considérant tout ce qui a été dit au sujet de la politique des quotas, on en conclut que les États africains doivent fonder leur politique de répartition des ressources sur le principe de l'égalité des chances qui ne fait aucunement appel à une « politique de la différence ». Mais faire abstraction des différences ne signifie pas qu'il faut « attribuer à toutes les personnes, en mettant entre parenthèses leurs différences, la même quantité d'une charge ou d'une ressource quelconque215 ». Une précision mérite alors d'être faite au sujet de la notion de « différence ». La « différence » dont il s'agit de faire abstraction concerne ici les distinctions fondées sur des appartenances ethniques induites par la politique des quotas. En revanche, la différence qu'il s'agit de ne pas mettre entre parenthèses, à la lumière du propos de Renaut, sus indiqué, concerne le « mérite ». En traitant chacun avec le même respect et la même attention dans l'accès à l'emploi, par exemple, le seul critère de différenciation serait le mérite et non point la référence à une appartenance ethnique. Puisque, avec ce retour vers la politique des quotas ethniques dans la répartition des avantages sociaux et économiques dans les États africains, on pourrait régresser vers l'édification d'une nation ethnique (ce dernier entravant profondément l'enracinement de la nation civique).

    Toutefois, pour rendre plus effective cette égalité des chances sans faire courir le bruit d'un privilège accordé à une ethnie, il faut alors faire appel à la justice compensatrice qui, comme nous l'avons déjà signalé, ne passe en rien par l'établissement des quotas ethniques. Plus grande, est ici encore, la proportion accordée à l'humanisme de la diversité présentée comme synthèse des deux exigences : celle de concilier la diversité dans les consciences (individuelles et collectives) et celle de promouvoir la répartition équitable des ressources de l'État à partir de la politique préférentielle. La politique préférentielle s'affiche comme une perspective idoine en Afrique noire.

    Il appert alors que le choix de l'humanisme de la diversité comme perspective d'un enracinement de la démocratie en Afrique noire se révèle fécond pour la raison suivante : cet humanisme permet de distinguer clairement entre un traitement politique (engageant la responsabilité de l'État) et un traitement éthique (engageant

    215 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 18.

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    la conscience de l'individu) ; démarche longtemps ignorée par ses pairs qui n'ont vu que la responsabilité de l'État. Certes, il est vrai, la véritable promotion de la diversité se joue dans la conscience de l'individu porteur d'une culture. Mais, en réduisant tout le processus de promotion de la diversité à la responsabilité de l'État et à celle de l'individu, une inquiétude surgit relativement aux appartenances communautaires surtout quand on a à l'esprit l'évidence d'après laquelle « L'identité de l'individu est liée à des identités collectives et ne peut être stabilisée que dans le cadre d'un réseau culturel216 ». Formulée de façon interrogative, cette inquiétude se ramène à ceci : comment concilier les attentes communautaires de reconnaissance avec l'exigence démocratique de cohésion sociale ? Ne pourrait-on pas, au-delà de l'État et de l'individu, engager la responsabilité communautaire des représentations culturelles ? Il importe alors de dire qu'une exploration de cette inquiétude déchaîne des critiques à l'endroit de Renaut.

    4.3 De la critique de l'éthique de la diversité à la nécessité d'une « éthique postcommunautaire »

    Cette notion d'un « humanisme de la diversité » ou encore d'une « éthique de la diversité » peut susciter des dénégations. Pour mener à bien cette analyse et dégager par là-même ce qui manque encore à l'éthique prônée par Renaut, il nous semble nécessaire de prendre en compte les deux composantes de sa perspective d'une promotion de la diversité. En effet, son engagement en faveur de la promotion de la diversité se résume en deux points fondamentaux : la gestion de la diversité dans l'État (engageant la responsabilité de l'État) et la gestion de la diversité dans la conscience individuelle (engageant la responsabilité de l'individu). Mais entre l'État et l'individu, il y a la communauté (par exemple, la communauté culturelle à laquelle appartient chaque individu) qui a été exclue par Renaut. Exclusion à partir de laquelle, on pourrait entrevoir une critique de sa pensée. À l'insistance de Renaut, dans sa perspective d'une promotion de la diversité qui met l'accent sur la responsabilité de l'État et celle de l'individu, nous envisagerons à la suite la nécessité qu'il faut accorder une place à la communauté culturelle dans la gestion de la diversité comme valeur. Disons d'abord que pour lui, c'est l'individu en tant que

    216 J. Habermas, op. cit., p. 225.

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    sujet moral qui peut, en choisissant de s'approprier les valeurs de la diversité, contribuer à une véritable gestion du potentiel humain de la diversité. Tel est le sens de son apport au point de vue éthique :

    dans l'espace propre de l'éthique, c'est le sujet moral qui, au-delà de tels apprentissages, ne peut ultimement que s'obliger lui-même à souscrire aux principes éthiques de son existence, ce sujet m'apparaît, dans le choix qu'il fait de sa vie, l'acteur indépassable qui décide de la place tenue dans sa vie par sa perception de la diversité humaine217.

    En un sens, Renaut en s'adressant avant tout à l'individu semble se tirer d'affaire pour la simple raison que c'est l'individu qui se trouve porteur d'une culture. Cependant, l'acuité des revendications collectives face à un « universalisme niveleur » exige une nouvelle politique managériale de la diversité : « La prochaine guerre mondiale, s'il y en a une, sera une guerre entre civilisations218 », écrit sur un ton prophétique, Huntington. Cette formule, à elle seule, suffit à s'apercevoir que le défi de paix, posé en termes de capacité à faire cohabiter différentes communautés culturelles sans avoir recours à une stérilisation de leurs différences, fait appel à une responsabilité collective des différentes communautés.

    Dans cette optique, l'analyse que nous envisageons de faire ici prend le contre-pied de toute tendance visant à un simple appel à la décolonisation des identités, en projetant de proposer des perspectives plus concrètes susceptibles de réaliser cette décolonisation. Mais, avant d'en repérer les fondements les plus manifestes, il nous paraît plus utile de fournir quelques précisions propres à l'éthique postcommunautaire. Et ce à double titre. Il s'agira non seulement de préciser que cette éthique signe la récupération de la diversité culturelle par les communautés, mais de rappeler le sens exact de l'éthique dans ce cas. À notre sens, l'éthique dans ce cas désigne la sphère des valeurs quand il s'agit, pour une culture, de rendre compte de ses valeurs à une autre culture. Mieux encore, il s'agit de réfléchir avec d'autres cultures sur l'établissement de valeurs référentielles communes et ce que ces valeurs impliqueraient en termes de cohésion politique et sociale. De ce point de vue, l'éthique ne serait que le résultat d'une réflexion collective entreprise par les communautés sur leurs propres représentations culturelles désormais soumises à la

    217 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 427.

    218 Repris par E.-M. Mbonda, « La « Justice ethnique » comme fondement de la paix», op. cit., p. 5.

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    nécessité de s'ouvrir les unes aux autres. Engageant la conscience collective de différentes communautés, l'éthique postcommunautaire fait d'abord appel à

    l' « auto-réfléchissement de l'humain219 » et c'est justement en cela qu'elle se distingue de l'éthique publique réalisée par la commission Bouchard-Taylor au Québec qui reposait sur un dialogue public portant sur les accommodements reliés aux différences culturelles. À ce niveau, sans reprendre à notre compte les éventuelles différences entre l'éthique publique réalisée au Québec et l'éthique postcommunautaire que nous proposons, précisons que la seconde exige une reconnaissance mutuelle de la part des différentes appartenances culturelles. C'est justement cette exigence qui pourrait assurer l'intégration au sein des États-nations placés sous le joug du multiculturalisme.

    Cette « intégration », essentiellement « éthique », bien entendu, se révèle indispensable pour faciliter l' « intégration politique » qui ne prend en compte que les citoyens maintenus dans l'horizon d'individu. De cette distinction entre « intégration éthique » et « intégration politique » peut résulter une parfaite imbrication entre la culture nationale et les exigences communautaires particularisantes occasionnant ainsi l'émergence d'une « intercommunauté ». À travers l'émergence de cette « intercommunauté », il est question de promouvoir la perspective d'une « culture devenue réflexive » ; cette dernière, pour utiliser les mots d'Habermas, est le lieu privilégié où « peuvent se maintenir les traditions et les formes de vie qui engagent ceux qui y adhèrent, bien qu'elles se soumettent à leur examen critique, et qui accordent aux générations nouvelles l'option de s'instruire auprès d'autres traditions ou de se convertir à elles et de prendre un nouveau départ220 ». Ainsi présentée, l'éthique postcommunautaire tire sa pertinence du fait que la solution jadis trouvée, qui consistait à placer certaines cultures sous la protection des espèces menacées en leur conférant des droits particuliers, finissait par présenter la culture majoritaire comme menacée elle aussi. D'où par conséquent cette nécessité d'envisager une intégration éthique passant par le dialogue entre les cultures conçu en termes d' « écart » et de « fécondité » et non plus en termes

    219 Tel que développé par F. Jullien, De l'universel, de l'uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures, Paris, Fayard, 2009, p. 259 sq.

    220 J. Habermas, op. cit., p. 226.

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    d' « identité » et de « différence ». De facto, le dialogue s'impose comme le premier fondement de cette nouvelle éthique.

    Évoquer, toutefois, le dialogue culturel comme fondement de l'éthique postcommunautaire paraît nourrir une ambiguïté puisqu'au quotidien on voit un dialogue permanent entre les cultures. Ceci à travers les emprunts, les contaminations et les quiproquos. Dans ces différents cas de figure, il s'agit bien sûr d'un dialogue culturel mais un dialogue culturel dans lequel certaines cultures, pour des raisons diverses, obnubilent les autres cultures qui voient leurs valeurs s'effriter. Face à cela, l'attention de tout chercheur se voit sollicitée pour penser, avec Jullien, les conditions d'un « dialogue intelligent221 » entre les cultures. On comprend déjà qu'à partir de ce dialogue taxé d' « intelligent », il n'est nullement question d'une « oblitération des différences222 » encore moins une sorte de « voile d'ignorance » neutralisant les différences fondamentales entre les cultures. Étant donné que les valeurs longtemps admises n'ont été que celles de l'Occident dominateur, penser à un dialogue culturel « intelligent » requiert que l'on conçoive ce cadre formel au sein duquel, chaque entité culturelle tout en s'accrochant à ce qui la distingue des autres cultures se mette dans une posture d'auto-évaluation de ses propres valeurs, dans une posture d'accessibilité à d'autres cultures sans prétention aucune à un nouvel impérialisme culturel. Ainsi par exemple, pour dialoguer, il revient à chaque communauté culturelle de « déclôturer sa position, la mettre en tension et l'instaurer en vis-à-vis223 ».

    Fort de cette référence, il est donc question ici de revenir sur ses propres valeurs après un contact avec la culture de l'autre dans sa diversité. On pourra, à la lumière de cette exigence, reprendre l'analyse que fait Jullien à propos de l'interrogation portant sur la langue dans laquelle doit avoir lieu le dialogue. Avant de comprendre la teneur et l'usage de son analyse, soulignons que cet auteur rejette d'emblée l'idée d'une langue unique dans laquelle pourrait se dérouler le dialogue, puisqu'une fois cette langue prédéfinie, celle-ci imposerait des normes au dialogue. À l'opposé de cette idée, il plaide pour une traduction de l'autre dans sa langue. Une attitude visant

    221 F. Jullien, op. cit., p. 10.

    222 M. Walzer, Traité sur la tolérance, op. cit., p. 123.

    223 F. Jullien, op. cit., p. 247.

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    à réaliser l'ouverture sans renonciation de soi. À ce prix, la diversité des langues, en elle-même, devient un facteur qui permet de penser au plan local de chaque langue, les conditions non d'une uniformisation (cette dernière favorisant l' « auto-reflet »), non plus d'un repli sur soi (comme l'atteste l'attitude des chinois à l'égard des autres cultures), mais plutôt les conditions d'un retour critique sur ses propres représentations culturelles : « De là ce dispositif d'auto-réfléchissement de l'humain dans lequel la pensée contemporaine est engagée : l'humain se réfléchit - à la fois se mire et se médite- dans ses vis-à-vis divers224 ». Ceci permet alors de se rendre compte que le « dialogue culturel « intelligent » » est le canon indispensable et donc incontournable, si l'humanité voudrait que le pluriel qui est consubstantiel aux cultures ne débouche pas sur la réalisation d'une culture unique.

    De plus, pour déroger au constat d'après lequel le pluriel des cultures est une source nouvelle des conflits du monde à venir, il est important de recourir à l'éducation. En tant que maître mot de tous les temps, l'éducation a toujours été envisagée comme le remède à beaucoup de maux dans toutes les sociétés. Ainsi, de Platon jusqu'aux philosophes modernes l'éducation a pour tâche de participer à la construction de la cité idéale ou de pourvoir à l'enfant des potentialités qui puissent lui permettre de s'épanouir dans le corps social. Les différentes tâches assignées à l'éducation permettent de comprendre que, à chaque problème social clairement identifié correspond un modèle particulier d'éducation : l'éducation au développement, à la démocratie, à la paix, à la citoyenneté, l'éducation anti-raciste, l'éducation dans une perspective mondiale (« global education ») constituent autant de modèles particuliers permettant d'élucider notre propos. Dans ce contexte, nous ne pouvons mieux faire que de citer le parfait commentaire que fournit Ouattara au sujet de l'éducation chez Walzer : « Le philosophe américain Michael Walzer caractérisait l'éducation comme une entreprise de survie sociale répondant à des exigences concrètes, aux difficultés rencontrées dans la mise en forme de la diversité sociale, aux stratégies pour atteindre certains buts essentiels225 ».

    224 F. Jullien, op. cit., p. 262.

    225 A. Outtara, « Apprendre la civilité pour vivre ensemble », Le Cahier philosophique d'Afrique, N° 006, Ouagadougou, 2008, p. 150

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    Ainsi est-on porté à s'interroger sur le modèle éducatif approprié dans une société en perte de repères culturels. Posée autrement : dans un univers où toutes les attitudes tendent à l'éclosion d'un marché des cultures différenciées, quelle éducation convient-elle le mieux ? La précision de cette interrogation met en avant l' « éducation interculturelle » qui devient ainsi le second fondement de l'éthique postcommunautaire. Rappelons que l'interculturalité, comme telle, se distingue du pluriculturalisme qui ne saurait en aucun cas être facteur d'intégration en raison du fait qu'il se limite à la simple existence de différentes cultures. Tandis que le pluriculturel et le multiculturel renvoient à cette situation de fait, à la réalité d'une société composée de plusieurs groupes culturels (dont chaque groupe se fonde sur un ensemble de valeurs et de normes distinctes des autres groupes), l'interculturel signale la réalité d'un dialogue, d'un échange ou d'une interdépendance culturelle. Cette nuance terminologique revêt toute sa portée quand on s'attarde sur le préfixe « inter ». Ce préfixe souligne justement la relation vers l'autre, en mettant en évidence l'altérité. Il s'ensuit que l'interculturel révèle les interactions entre des individus ou des groupes culturels lesquels, a priori, devraient être traversés d'oppositions en raison de la spécificité des valeurs fondant l'adhésion de leurs membres.

    C'est donc face à l'éventualité de conflit qui mine les différentes communautés, dont la simple juxtaposition se révèle hostile à la paix, que se développe l'interculturel en éducation. Ce développement s'appuie sur la conviction selon laquelle l'interculturel est l'expression d'un dialogue, d'une ouverture vers l'autre, l'acceptation de l'autre malgré sa différence. Toute la réflexion d'Abdallah-Pretceille226 le démontre aisément. À lire attentivement toutes les pistes explorées par cet auteur, on pourrait conclure que l'éducation interculturelle est un préalable à la paix entre les différentes cultures. Elle se fonde également, c'est-à-dire l'interculturalité, sur l'égalité et le respect entre les cultures ; idée qui permettra à Triki de proposer une définition plus riche et plus étoffée de l'interculturalité :

    l'interculturalité est la philosophie qui permet à la fois de respecter les différences structurelles des cultures, leur égalité quant à leurs valeurs intrinsèques et de considérer toute culture

    226 M. Abdallah-Pretceille, L'éducation interculturelle, Paris, PUF, 1999.

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    comme ayant une dimension universelle, celle qui la constitue aussi comme bien commun offert à toute l'humanité227.

    Cette compréhension de l'interculturalité permet d'entrevoir son importance sur le continent noir. L'idée que l'interculturalité s'avère indispensable en Afrique noire se justifie par le fait que l'éducation y est close soit sur la culture (ou l'ethnie) ou soit sur la religion ou soit encore sur l'appartenance politique. On pourra, pour donner du crédit à cette idée, se référer à l'instrumentalisation des chaînes de télévisions et de radios lors des processus électoraux, à l'allure fratricide prise par les messages religieux qu'illustre parfaitement « un islamisme infidèle à la paix coranique228 ».

    En proposant, en outre, l'éthique postcommunautaire comme une alternative efficace à la difficulté de conciliation des particularismes ethniques avec l'unité démocratique en Afrique noire, cette alternative éthique aura pour troisième fondement la « discussion pratique ». Ceci précisément parce qu'il y a nécessité de sortir chaque identité ethnique de l'enclave d'une communauté particulière pour l'ouvrir à la différence des autres identités ethniques dans un espace politique appelé à devenir un espace public. Dans ce registre par exemple, les conditions d'une discussion pratique sont celles qui exigent que soient mises en dialogue, à l'échelle des différentes composantes ethniques, les questions d'intérêt national. En ce sens, les participants à la discussion se trouveraient non pas dans une « position originelle » qui génère une désubstantialisation des différences mais dans la posture de membres appartenant à la fois à des communautés ethniques et à une même communauté nationale à la survie desquelles ils ont le devoir et le droit de participer.

    Il s'agira donc, d'envisager de façon récurrente des forums nationaux réunissant toutes les composantes ethniques de l'État ; forums au cours desquels il sera question d'éclairer tous les participants sur les réels enjeux de la poursuite d'un intérêt national. Car, seul un peuple suffisamment informé des enjeux de la vie nationale est gage d'une soustraction à toute instrumentalisation clientéliste. La mise en abîme de toute tentative d'instrumentalisation ethnique de la gouvernance nationale ne serait possible que par le biais de discussions portant sur l'identité

    227 Cité par B. Napakou, « Transculturalité et universalité des droits de l'homme », Mosaïque, N° 009, décembre 2009, p. 29.

    228 A. Ouattara, op. cit., p. 151.

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    collective à construire. Ces discussions permettront d'articuler le domaine des intérêts particuliers avec ceux de l'État. En fondant l'éthique postcommunautaire sur une « politique délibérative », c'est-à-dire sur une pratique argumentative, nous pointons du doigt la nécessité des espaces publics qui traduisent une exigence démocratique fondamentale, celle consistant à ouvrir aux débats publics les sujets d'intérêt général au-delà même de l'instance parlementaire. À la suite de ces débats portant sur les questions d'intérêt commun, il s'agira de préciser l'orientation politique appropriée tout en indiquant les responsabilités à tous les niveaux: d'abord en tant qu'individu, ensuite en tant que membre d'une communauté et enfin en tant que citoyen ayant une position publique. Car, comme le précise Taylor, « La nature du bien exige qu'on cherche à l'obtenir en groupe, et c'est pourquoi il constitue un objectif politique229 ».

    C'est à partir de ces échanges que la conception du peuple, inscrite depuis toujours dans le formalisme juridique abstrait, coïnciderait avec le peuple réel des citoyens ayant une conscience avertie des responsabilités qui leur reviennent dans la poursuite du destin commun. Ce n'est qu'à cette condition également que l'ethnique et le civique iraient de pair dans les États-nations africains. Puisque, les résultats obtenus à l'issue des discussions portant sur l'identité nationale collective, trouveraient l'accord des membres de toutes les composantes ethniques. Et du coup, les identités ethniques s'enrôleraient facilement dans la poursuite de ce destin commun qui est le préalable à tout ancrage des nations civiques dans les États postcoloniaux en Afrique noire. De cet arrimage entre l'ethnique et le civique en Afrique noire résulteraient deux implications : d'une part, à partir de cette cohésion fonctionnelle entre l'ethnique et le civique pourrait s'ériger des règles universelles devant désormais régir l'institution d'une « société politique rationnelle » dans les États-nations africains ; et cette cohésion fonctionnelle, d'autre part, permettrait l'enracinement de la citoyenneté fondée non par un ensemble de traits communs, ethniques et culturels, mais par l'exercice des droits démocratiques de participation et de communication. C'est à cette condition que les membres des sociétés africaines pourront se représenter « (...) comme des frères et des soeurs, de manière à induire

    229 C. Taylor, « Le pluralisme et le dualisme », op. cit., p. 29.

    entre eux des façons de procéder suffisamment solidaires pour que personne ne soit retranché et exclu du souverain dont il est membre de droit230 ».

    Conclusion

    De par l'importance accordée aujourd'hui à la question du vivre-ensemble en tant que résultat des dynamiques de changements sociaux, on s'aperçoit que le vivre-ensemble n'est pas une donnée naturelle, encore moins le résultat d'une simple homogénéisation du potentiel humain de la diversité. Dès lors, il ne pourrait résulter que d'un artéfact de l'intelligence humaine se donnant pour tâche de décloisonner les identités (collectives et individuelles) en faisant de l'expression des différences une source mutuelle d'entente. Ainsi compris, à la lecture de Un humanisme de la diversité, nous nous sommes proposé d'établir les conditions d'une existence, non de type monadique, mais d'une existence ouverte au pluralisme. Replacée dans le contexte de l'Afrique noire, cette lecture nous a donc permis d'assurer les conditions de passage d'une nation ethnique à une nation civique. Pour en rappeler les mots clés à partir desquels pourrait émerger le sentiment d'appartenir à une seule et même nation : retour à l'éthique comme gage d'une consolidation de la démocratie, responsabilité de tout un chacun à tous les niveaux, éducation à la citoyenneté (partant de la cellule familiale), discussions ouvertes aux identités ethniques dans des espaces publics nationaux, forums d'échanges et sensibilisations populaires consacrés aux défis et aux enjeux d'une construction nationale dans les États d'Afrique noire.

    117

    230 A. Renaut, Quelle éthique pour nos démocraties ?, op. cit., p. 77.

    118

    Conclusion de la deuxième partie

    En définitive, il apparaît qu'il n'y a pas de rupture nette entre les réalités africaines et l'idéal de la démocratie, mais ce simple constat ne nous satisfait pas. On a toute raison, nous semble-t-il, d'imputer l'échec de la démocratie en Afrique noire au traitement idéologique de la diversité ethnique. Sans toutefois que cela implique un changement fondamental de perspective. Cela peut même nous amener à lire la modernité en Afrique noire contre la modernité elle-même quand on reconnaît, à l'unisson aujourd'hui, que la récurrence du phénomène identitaire paraît se nourrir du syndrome de « démodernisation231 » liée à une mondialisation inquiétante. Ceci d'autant puisque, le vécu actuel de la démocratie en Occident invite déjà, sous le regard des revendications communautaires, à penser autrement la cohésion démocratique. Mais penser autrement l'unité démocratique ne saurait nous ramener à l'idéal du multiculturalisme qui, en bien de ces points, notamment celui de la politique des identités, constitue aussi une sorte d'alerte à une nouvelle déchirure sociale. Ainsi donc, en se proposant de remettre aussi bien l'individualisme démocratique que la perspective du multiculturalisme sur le chantier de la réflexion, c'est donc l'humanisme de la diversité qui devient un repère saisissant dans l'analyse de la réalité politique africaine écartelée entre affirmation des particularismes ethniques et exigence démocratique de l'intérêt général. En effet, le lourd héritage colonial, dont le poids sur l'organisation politique actuelle s'avère inestimable, place le citoyen africain au milieu du face-à-face entre exigence communautaire et besoin d'État. L'intérêt de ce recours à l'humanisme de la diversité tient au fait que ce nouvel espace conceptuel éclaire la possibilité de médiation entre individu (appartenant à une communauté spécifique) et individu-citoyen (en tant que celui appartenant à un État se voulant homogène dans sa quête d'unité).

    231 R. Otayek, « L'Afrique au prisme de l'ethnicité : perception française et actualité du débat », op. cit., p. 129.

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    CONCLUSION GÉNÉRALE

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    Au terme de cette étude, il appert que les pages qui précèdent ont eu pour ambition d'essayer de comprendre de quelle manière l' « ethnicité » exacerbe les comportements civiques dans le champ politique africain et de quelle manière un traitement rationnel peut en être opéré. Il s'agissait, à travers ces pages, de partir d'une notion récurrente pour opérer une nouvelle conceptualisation apte à rendre compte d'une « réalité » donnée. Dans ce sillage, nous avons défini l'ethnicité comme l'expression du sentiment d'appartenance à un groupe humain différent des autres. Nous l'avons vu déjà, le référentiel commun fondant l'adhésion à ce groupe peut être la langue, une même tradition ou origine historique. Mais dans la présente étude, nous avons mis plus l'accent sur la culture comme ce référentiel commun. Bref, il était question d'une référence à la culture définie par une même origine historique, et des pratiques socio-économiques déterminées dans un espace donné. La référence à la culture, comprise dans ce sens, a eu pour principal avantage d'ouvrir le débat vers d'autres tendances à l'identification individuelle en vogue dans la démocratie moderne, notamment le multiculturalisme.

    En établissant ainsi le lien entre ethnicité et culture, ce qui débouche sur le lien entre multiethnicité et multiculturalisme, il s'est avéré trop hâtif de considérer la multiethnicité comme prouvant à elle seule l'urgence d'un retour à l'idéal d'un État multinational ou multiethnique. En un sens, la thèse défendue par Mbonda, a eu pour principal mérite de mettre en avant la défaillance ou, pour en parler avec plus de consistance, la « crise du lien social » inhérente à l'avènement de la démocratie moderne en Afrique noire. Sans reprendre, pour l'heure, les débats auxquels ont donné lieu cette crise, rappelons que la spécificité de cette crise en Afrique noire réside dans la difficulté de définition d'un projet national en raison de la persistance des liens sociaux mécaniques dans le psychisme collectif :

    Au coeur donc de cette difficulté à s'auto-instituer, se trouve la faillite de la puissance publique, en tant qu'instance dont la vocation première est d'impulser cette dynamique et d'entretenir une mystique de la reliance autour d'un projet national, et par conséquent, de nationalisation des liens sociaux232.

    232 Voir F. Akindès, «Le lien social en question dans une Afrique en mutation», op. cit., p. 6.

    121

    On perçoit alors que la « faillite de la puissance publique », comme le désigne Akindès, est le résultat de la persistance des liens sociaux primaires fonctionnant comme des contraintes sociales aussi bien dans le psychisme individuel que collectif. D'où d'ailleurs la persistance des mouvements tribalistes, ethnocentristes et ethnicistes ; lesquels conduisent à affirmer la prévalence des modes d'identification tribale ou ethnique sur l'individualisme démocratique en Afrique noire. Mais, à partir d'une évidence de la pérennité de ces cadres de références traditionnels infligeant des échecs à la reliance autour d'un projet national, quelle perspective idoine pour un véritable ancrage de la démocratie dans les États d'Afrique noire ? À cette question, beaucoup de pistes explorées par certains penseurs africains n'ont eu pour recours que le rejet de la démocratie occidentale au nom de la persistance des liens sociaux mécaniques. Ce qui, en bonne logique, suggère l'idée d'un alibi ethnique parce que la résurgence du sentiment d'appartenir à un groupe distinct des autres est identifiable au sein même des sociétés contemporaines. En témoignent à ce sujet les luttes pour la reconnaissance culturelle entreprises dans les « démocraties développées ». Ainsi, bien que ces penseurs africains aient pour principal mérite de souligner « les déphasages entre les niveaux de conscience collective, les mentalités, plutôt réfractaires au changement (...)233 », ils finissent par réconforter l'idée de stéréotypes africains incapables de s'ouvrir à la diversité ambiante du monde. En considérant l'ethnicité comme réalité purement africaine, celle-ci (c'est-à-dire l'ethnicité) constituerait une sorte de pesanteur que les processus modernes articuleraient difficilement.

    Par conséquent, bien que les analyses auxquelles se livrent Tshiyembe ne soient pas dépourvues d'intérêts, elles présentent le défaut de concevoir la démocratie institutionnelle, avec son corollaire l'État-nation, comme étant en inadéquation avec les réalités africaines. Justement parce que la démocratie elle-même est de nos jours le lieu d'une résurgence des revendications communautaires. Par conséquent, faisant en ce sens écho aux valeurs portées par les aspirations au multiculturalisme, l'Afrique est loin d'avoir le monopole des exigences communautaires affectant la démocratie. Plus exactement, cette précision indique qu'il faut trouver une pensée

    233 J.-P. Dozon, « Les Bété : une création coloniale », op. cit., p. 51.

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    qui dans le même temps se doit de refuser le repli identitaire et s'ouvrir à la diversité de l'autre.

    Et, en ce point de notre réflexion, on se bornera en tout état de cause à préciser que c'est la pensée de Renaut, dont les fondements sont à repérer dans les débats entre libéraux et communautariens, qui s'impose. Son essai de 2009, portant sur la « décolonisation des identités », offre un repérage saisissant : en effet, s'il y appelle à « exorciser » la mentalité coloniale qui réduisait toute la diversité culturelle à l'unique trajectoire culturelle de l'Occident, Renaut résume la pertinence de son essai à un traitement « aux plans politique et éthique où se joue aujourd'hui le devenir de la diversité234 ». Au plan politique, Renaut met l'accent sur la responsabilité de l'État à travers des programmes d'action positive couronnés par la justice compensatrice. Au plan éthique, il fait appel à la conscience de l'individu comme lieu privilégié d'une promotion des valeurs accompagnant l'idéal de la diversité. Parce que, dans le sillage de son humanisme, seul l'individu est « l'être capable d'autonomie, doué qu'il se trouve de la faculté de penser, de juger et d'agir « par lui-même », donc de s'arracher à tout ce qui, en l'assujettissant à une « situation », pétrifie ou chosifie son potentiel d'arrachement, donc sa liberté235 ».

    Dès lors que les débats autour de l'unité démocratique ont été mis au clair, on voit que les questions se différencient du point de vue politique et du point de vue éthique : les questions politiques d'une vie en commun menée selon des principes de recherche de l'intérêt général se séparent d'un côté, des questions éthiques relatives aux valeurs concurrentielles dans l'espace socioculturel de l'autre côté. Du point de vue politique, la justice compensatrice, telle que promue par l'auteur de Égalité et discriminations, permet de mettre de côté la politique des identités ethniques de laquelle découle en priorité l'institutionnalisation de l'ethnicité. Une telle mise en quarantaine tient au fait que la politique des différences, en se fondant en Afrique noire sur les quotas ethniques, revaloriserait la nation ethnique qui entrave l'émergence d'une conscience d'appartenir à une même communauté politique à la survie de laquelle devrait se vouer chaque citoyen. Il est donc clair que, pour nous, il n'est pas question d'institutionnaliser l'ethnicité au plan politique. En revanche, il

    234 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 421.

    235 Ibid., p. 278.

    123

    s'agit pour nous d'avoir recours à la justice compensatrice dans des contextes où certaines appartenances ethniques ont, pendant longtemps, été exclues de la sphère politique. Ceci étant, et tout en nous inspirant de Renaut, quel serait l'apport de la présente recherche ? Pour saisir la spécificité de cette recherche, revenons-en au plan éthique.

    Certes, Renaut admet, d'une part, que l'homogénéisation des différences fait entrave au vivre-ensemble harmonieux dans le contexte d'identification culturelle et, d'autre part, que l'ouverture vers la différence culturelle est l'expression d'un rapport inégalitaire de domination entre différentes valeurs culturelles concurrentes. Mais ces restrictions ne sont pas prises en compte dans son dispositif éthique où il donne du relief à l'individu en tant que seul être doué d'autonomie. Or, s'il est possible en théorie de postuler l'existence d'hommes détachés de tout lien communautaire, le fondamentalisme et le « choc des cultures236 » sont autant de preuves que dans la réalité ce détachement n'est pas si aisé à concevoir. C'est pourquoi il est nécessaire de se tourner vers un nouveau concept pour compléter l'apport de l'humanisme de la diversité : l' « éthique postcommunautaire ».

    La nécessité d'une telle éthique, dans le courant des débats entre libéralisme et communautarisme, se situe à plus d'un niveau. D'abord, l'éthique postcommunautaire, est cette perspective éthique assurant désormais le passage d'un « multiculturalisme éclaté » à un « multiculturalisme bien pensé ». Ensuite, et surtout dans le cas précis de l'Afrique noire où on observe une faible consistance en matière d'adhésion commune à des valeurs référentielles, cette éthique aura pour tâche de permettre l'élaboration de nouvelles valeurs aptes à rendre compte de la capacité des populations africaines à « s'auto-instituer », à se donner un sens à la fois dans le présent et dans l'avenir. Elle assure aussi le passage d'une multiethnicité mal comprise à une multiethnicité bien pensée. Ces deux horizons nous donnent des éclaircissements par rapport à l'enjeu de cette éthique s'adressant aux représentations collectives. Ainsi, à travers cette éthique il est question d'affranchir chaque communauté ethnique de son « « altérophobie » et en donnant ensuite à son vouloir-vivre ensemble la possibilité de s'ouvrir à la différence de manière à acquérir le

    236 En évoquant cette notion, nous pensons à S. Huntington dont la célébrité remonte à la publication de son ouvrage Le choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, 1997.

    124

    « savoir-vivre au pluriel » indispensable à la réalisation d'un vivre-ensemble juste et pacifique237 ».

    De surcroît, nous proposons cette éthique parce qu'elle se présente comme une réponse appropriée à la gestion de l'hétérogénéité ethno-identitaire et plus loin, parce qu'elle signe la diffusion de l'idéal de la diversité dans les représentations culturelles communautaires. Dans cette perspective, en penchant le concept d' « éthique » vers celui de la « responsabilité », on voit à l'oeuvre une exigence de la part de ces appartenances ethniques en Afrique noire. Par conséquent, en raison du lien entre éthique et responsabilité, l'éthique postcommunautaire recommande que chaque identité ethnique se départisse, sans se supprimer, de ce que Touraine désigne par « le garant métapolitique238 » qui renferme les catégories non politiques (telles que la race, dieu, la langue) auxquelles on rattache souvent l'action politique et qui sape toujours la construction de ce lien politique à la faveur duquel se déploie cette recherche.

    Il est donc clair que, à la problématique de l'enracinement d'une conscience nationale dans les États-nations africains, est liée la question de la gestion postcommunautaire de la diversité. Celle-ci consiste à sortir l'identité ethnique de l'enclave d'une communauté particulière en l'ouvrant à la différence dans un espace politique appelé à former une communauté nationale. C'est ici que se fait pressentir le détachement opéré à l'égard de Renaut. Ce dernier en effet, considérait que la véritable promotion de la diversité comme valeur nécessitait la responsabilité de l'État et une forte conscience de l'individu. En le concevant ainsi, il a mis en quarantaine la possibilité d'assurer un traitement éthique de la diversité culturelle au sein des représentations culturelles collégialement partagées. Il évoquait pour donner du crédit à sa nouvelle théorie, la nécessité d'une « éthique personnelle ». Sans prendre le contre-pied de cette éthique, il a été question d'envisager une éthique postcommunautaire engageant la responsabilité collective des identités communautaires. Dans un registre qui n'est pas si éloigné du sien, bien d'auteurs avaient inscrit à l'actif des combats d'arrière-garde les revendications exigeant la préservation des identités culturelles. Or, à l'analyse, le constat est que de

    237 Nous empruntons les mots de mots L. Ayissi, op. cit., p. 151.

    238 A. Touraine, Qu'est-ce que la démocratie ?, Paris, Fayard, 1994, p. 101.

    125

    nombreuses violences en cours dans la société globalisée tirent prétexte de la marginalisation faite à certains groupes culturels au nom d'un « hypercapitalisme culturel239 ». Par voie de conséquence, à l'opposé d'une mondialisation culturelle unilatérale, il est question pour nous d'attirer l'attention sur la nécessité d'une gestion postcommunautaire de la diversité dont les circonstances se trouvent aujourd'hui à plus d'un niveau : le recours à l'éthique postcommunautaire se trouve justifié par l'homogénéisation périlleuse du divers, et le défi de paix posé en termes de capacité à faire cohabiter les différences entre différentes communautés culturelles.

    L'enjeu d'une telle éthique dans les États africains consiste à amener le « Même » et le « Divers », c'est-à-dire la « nation civique » et la « nation ethnique », à sortir du dualisme contradictoire dans lequel ils ont tendance à s'enfermer. Une fois ce dualisme dépassé en Afrique noire, c'est la citoyenneté comprise comme transcendance des liens sociaux qui se trouverait enraciné. En dissipant le monisme de l'identité collective au sein de laquelle se déploient les consciences individuelles, l'éthique postcommunautaire consolide les bases d'une véritable citoyenneté démocratique en Afrique noire. Dans ce sens, lorsqu'un membre d'une ethnie est élu à la tête d'un État, cette éthique voudrait bien que les représentants de ladite ethnie ne se sentent pas a priori privilégiés pour la simple raison que le Chef de l'État est de « chez eux ». L'éthique postcommunautaire engage donc la responsabilité collective des représentations culturelles en exigeant de se départir d'un certain nombre de stéréotypes affectant l'esprit communautaire africain en matière de gestion du pouvoir politique.

    Encore faudrait-il rappeler que cette éthique a pour fondements le dialogue culturel « intelligent », l'éducation interculturelle et la discussion pratique. Le dialogue culturel « intelligent » et l'éducation interculturelle assurent la médiation entre différents pôles culturels. Une médiation à partir de laquelle pourraient résulter des valeurs transcendant les valeurs spécifiques à chaque communauté. La transcendance des premières valeurs ne signifie pas qu'elles sont extérieures et imposées à la société dans son ensemble comme cela l'était sous la férule de

    239 Confère J. Habermas, op. cit., p. 199.

    126

    l' « Autorité ». L'idée de transcendance renvoie ici à une dimension essentielle de toute organisation sociale : celle exigeant un minimum de valeurs permettant la cohésion sociale au sein d'un espace démocratique. Ce pourquoi, par exemple, malgré les efforts des romantiques pour revaloriser les principes de la tradition et de la hiérarchie, les idéaux d'égalité et de liberté se sont toujours affirmés comme des valeurs indépassables des sociétés modernes. Pour comprendre davantage cette notion de valeurs transcendant les autres valeurs, on pourra faire également une distinction entre d'une part, les valeurs se rapportant le plus souvent aux conditions de vie et aux intérêts de la société qui les produit, et d'autre part, les valeurs que pourraient se donner les différentes composantes communautaires faisant partie intégrante d'un tout. L'idée de valeurs transcendant d'autres valeurs s'inscrit tout logiquement dans la première dimension. L'élaboration de ces valeurs transcendantes ne serait qu'un aboutissement de la discussion pratique engagée entre les différentes composantes identitaires. De ce fait, la discussion pratique, comme troisième fondement de l'éthique postcommunautaire, se révèle féconde en ceci que, à partir d'elle résulteraient des exigences et responsabilités trouvant l'accord de tous.

    Ainsi donc, revenant à notre préoccupation fondamentale, celle consistant à concilier dans l'État postcolonial d'Afrique noire l'unité de la loi avec la diversité des intérêts, nous dirons qu'il est impérieux de promouvoir l'« éthique postcommunautaire » laquelle recommande que l'État suscite et développe en chaque citoyen, au moyen de plusieurs formes d'incitations politiques, le sentiment d'appartenir non seulement à une communauté ethnique, mais aussi et surtout celui d'être membre d'une communauté politique nationale au devenir de laquelle il a le droit et le devoir de participer. Ce n'est qu'à ce prix que, le citoyen, qui appartient simultanément à l'État et à une communauté ethnique, exercerait en toute liberté ses droits et devoirs. C'est à cela que se résume l'intérêt de la présente recherche pour l'enracinement des nations démocratiques en Afrique noire. Toutefois, dans le souci de conformer la société, dans sa diversité au besoin d'égalité, des recherches postérieures à celle qui vient d'être entamée ici pourront porter sur l'extension du droit à la famille des homosexuels dans les États-nations africains.

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    * TEXTES NATIONAUX ET INTERNATIONAUX Charte de la diversité, janvier 2004.

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    http : // www. charte-diversite.com

    http : // classiques.uqac.ca

    INDEX

    A

    Abdallah-Pretceille, 104, 114

    Discrimination ethnique, 45, 46 Diversité, 7, 14, 40, 42, 43, 44, 52, 53,

    Afrique noire, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,

    54, 59, 61, 63, 64, 65, 72, 83, 84, 85,

    15, 17,

     

    18, 19, 20, 21, 23, 24, 30, 31,

    87, 88, 90, 94, 96, 97, 98, 99,

    100,

    32, 35,

     

    37, 40, 42, 43, 44, 45, 48, 49,

    106, 108, 109, 110, 112, 113,

    117,

    50, 51,

     

    52, 54, 59, 61, 63, 95, 98, 99,

    121, 122, 124, 125, 126

     

    101,

    102, 103, 104, 105, 106, 108,

    Diversité culturelle, 64, 83, 94,

    110,

    115,

    116, 117, 118, 120, 121, 123,

    124

    124,

    125

    Diversité ethnique, 8, 12, 18, 30, 38,

    Ake, 22

    Akindès, 45, 99, 121 Amselle, 26

    Amselle et Mbokolo, 19

    B Badie, 15, 45 Ballong, 92 Bayart, 15, 45, 99 Bazin, 25

    Bowao, 37 Broohm, 44

    C

    Cahen, 58

    Chrétien, 23, 26

    Citoyenneté, 34, 37, 47, 48, 49, 50, 52, 83, 93, 106, 116

    Cohésion démocratique, 7, 12, 13, 65, 86, 118

    Communauté, 7, 13, 22, 24, 33, 36, 45,

    48, 51, 60, 61, 67, 74, 76, 80, 81, 85,

    93, 102, 103, 106, 109, 110, 112, 115,

    116, 118, 122, 123, 124, 125, 126 Coquerel, 47

    Crise de l'État-nation, 45, 46, 47

    D

    Dahl, 11

    Debray, 30

    Décolonisation des identités, 11, 90,

    93, 96, 97, 104, 110, 122

    Démocratie, 7, 14, 15, 17, 21, 31, 34, 35, 40, 41, 42, 44, 45, 47, 51, 52, 53, 56, 59, 63, 64, 68, 85, 91, 93, 97, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 106, 108,

    117, 118, 120, 121

    Différence, 43, 58, 65, 68, 70, 91, 93,

    96, 108, 115, 123, 124 Différentialisme radical, 12, 68, 96

    137

    39, 41, 44, 48, 50, 59, 61, 63, 64, 104, 118

    Dorier-Apprill, 23

    Droit à la différence, 71, 82, 83 Dussey, 18

    E

    État multinational, 52, 53, 54, 55 État-nation, 7, 9, 10, 12, 13, 17, 19, 23, 28, 30, 31, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 48, 49, 50, 51, 54, 59, 61, 79, 98, 106, 111, 116, 121, 124, 126

    Éthique de la diversité, 63, 73, 89, 97, 109

    Éthique postcommunautaire, 13, 110, 111, 112, 114, 115, 116, 123, 125, 126 Ethnicité, 8, 11, 13, 17, 18, 22, 26, 27, 28, 37, 40, 41, 55, 56, 59, 61, 120, 121 Ethnie, 8, 9, 19, 20, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 35, 36, 41, 53, 55, 59, 108, 125

    F

    Fraser, 70

    G

    Génocide rwandais, 23, 46, 105 Gutmann, 75

    Guéguen et Malochet, 79

    H

    Habermas, 49, 75, 81, 111

    Hallowell, 5O

    Herder, 33

    Hobbes, 46

    Humanisme abstrait, 67

    Humanisme de la diversité, 11, 12, 13,

    15, 61, 63, 96, 97, 98, 99, 105, 108,

    109, 117, 118, 123

    Humanisme différencié, 67, 68

    Hutu, 8, 11, 23, 26, 30, 31, 46, 105

    I

    Imposture ethnocentriste, 7, 18, 36 Individu, 7, 21, 22, 34, 35, 45, 51, 52, 55, 58, 60, 61, 65, 67, 68, 69, 71, 74, 75, 76, 78, 79, 80, 85, 87, 88, 89, 90,

    91, 92, 93, 96, 101, 102, 103, 106, 109, 110, 111, 116, 118, 122, 123, 124 Institutionnalisation de l'ethnicité, 10, 13, 55, 56, 58, 122

    J

    Jeffers, 33

    Jullien, 112

    Junior, 107

    Justice compensatrice, 86, 87, 98, 108,

    122, 123

    Justice ethnique, 9, 10, 56, 58,

    K

    Kant, 91 Kipré, 15 Kymlicka, 22, 74, 78, 79, 80, 81, 82, 93, 98

    L

    Lamoureux, 47 Leach, 24

    Libéralisme, 72, 77, 80, 82, 85, 123 Lochack, 84

    M

    Manent, 48

    Mazrui, 36

    Mbonda, 9, 10, 55, 56, 58, 99, 120

    Médard, 45

    Ménissier, 27, 28, 48

    Mesure et Renaut, 13, 74, 82, 84, 91,

    92, 93

    Multiculturalisme, 76, 79, 80, 81, 82,

    88, 96, 111, 118, 120, 121 Multiethnicité, 15, 18, 120

    N

    Nation ethnique, 10, 48, 49, 108, 117,

    122, 125

    Nation civique, 10, 42, 49, 108, 116,

    117, 125

    Ndebi Biya, 47

    Nicolas, 21

    O

    Otayek, 17, 25 Ouattara, 113

    138

    P Pathé-Gueye, 103

    Politique des quotas, 10, 11, 55, 56,

    86, 108

    Premdas, 18

    Promotion de la diversité, 8, 11, 64,

    88, 98, 109, 124

    Q

    Quotas ethniques, 10, 48, 55, 87, 108, 122

    R

    Rawls, 29, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 98 Reconnaissance, 47, 48, 51, 57, 58, 59, 70, 76, 77, 78, 85, 91, 93, 96, 109, 111 Renan, 33, 34, 36

    Renaut, 11, 15, 29, 31, 40, 44, 50, 59,

    63, 66, 68, 69, 70, 84, 85, 86, 87, 88,

    89, 90, 91, 93, 94, 96, 97, 98, 99, 100,

    102, 104, 105, 108, 109, 110, 122, 123, 24

    Rousseau, 49, 77, 91

    S

    Savonnet-Guyot, 59

    Savoir-vivre au pluriel, 12, 13 Semprini, 67, 86

    T

    Taylor, 58, 74, 76, 77, 80, 82, 92, 93,

    98

    Touraine, 124

    Triki, 114

    Tshiyembe, 15, 51, 52, 54, 63, 99, 121

    Tutsi, 8, 23, 26, 30, 31, 46, 105

    U

    Unité nationale, 7, 12, 31, 32, 47, 48, 56

    Universalisme, 14, 15, 67, 68, 69, 97 Universalisme dogmatique, 12, 69, 96 Universalisme ouvert, 11, 69, 97 Universel, 11, 12, 14, 15, 43, 44, 69, 97

    V

    Valeur, 14, 31, 34, 63, 64, 68, 69, 89, 101, 102, 109

    Vivre-ensemble, 34, 37, 40, 63, 76, 88,

    89, 95, 99, 101, 117, 123

    W

    Walzer, 13, 113

    139

    TABLE DES MATIÈRES

    Pages

    Dédicace .. 2

    Remerciements 3

    Sommaire 4

    Introduction générale .. 6
    PREMIÈRE PARTIE : De la multiethnicité à la crise de l'État-nation

    démocratique en Afrique noire 16

    Introduction de la première partie .. 17
    Chapitre I : problématique de l'ethnicité en Afrique

    noire 18

    Introduction 18

    1.1 Ethnie, diversité ethnique, ethnicité : la tâche d'élucidation 19

    1.2 La colonisation, un ferment de la diversité ethnique 29
    1.3 Le « ghetto » ethnique, obstacle à l'émergence d'une conscience

    nationale .. 31

    Conclusion .. 40

    Chapitre II : De la crise de l'État-nation africain à la politique des

    identités ethniques . 42

    Introduction . 42

    2.1 De la difficile conciliation du Même avec le Divers à la crise de l'État-

    nation africain . 43
    2.2 Fonder l'État-nation africain sur la politique des identités

    ethniques ? 51
    2.2.1 L' « État multinational » comme condition de renaissance politique de

    l'Afrique : une lecture critique 52
    2.2.2 « Justice ethnique » et refondation des nations africaines : enjeux et

    apories conceptuelles .. 55

    Conclusion .. 59

    Conclusion de la première partie 61

    140

    DEUXIÈME PARTIE : Refondation de l'État-nation démocratique en

    Afrique noire à la lumière d'un humanisme de la diversité .. 62

    Introduction de la deuxième partie .. 63

    Chapitre III : De la problématique de la diversité à un humanisme de la

    diversité .. 64

    Introduction . 64

    3.1 La diversité entre humanisme abstrait et différentialisme radical 65

    3.2 Aux fondements d'un humanisme de la diversité . 70

    3.2.1 L'héritage rawlsien du libéralisme politique . 71

    3.2.2 La réhabilitation de l'appartenance communautaire comme premier gage

    du lien social : apport de Taylor et Kymlicka . 75

    3.2.3 Le « droit à la différence » et ses apories 82

    3.3 L'horizon d'un humanisme de la diversité 84

    3.3.1 D'un humanisme de la diversité à une éthique de la diversité 84

    3.3.2 Humanisme de la diversité et décolonisation des identités 90

    Conclusion .. 97
    Chapitre IV : Humanisme de la diversité et reconstruction des nations

    démocratiques en Afrique noire .. 99

    Introduction . 99

    4.1 Éthique et refondation de la démocratie en Afrique noire 100 4.2 Décolonisation et diversification des responsabilités en Afrique

    noire 104
    4.3 De la critique de l'éthique de la diversité à la nécessité d'une « éthique

    postcommunautaire » .. 109

    Conclusion .. 117

    Conclusion de la deuxième partie 118

    Conclusion générale 119

    Bibliographie 127

    Index . 137






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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld