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Multi ethnicité et refondation des nations démocratiques en Afrique noire. Perspective d'un humanisme de la diversité.

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par Essodina BAMAZE Nà¢â‚¬â„¢GANI
Université de Lomé - Master II en Philosophie politique et du droit 2015
  

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CONCLUSION GÉNÉRALE

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Au terme de cette étude, il appert que les pages qui précèdent ont eu pour ambition d'essayer de comprendre de quelle manière l' « ethnicité » exacerbe les comportements civiques dans le champ politique africain et de quelle manière un traitement rationnel peut en être opéré. Il s'agissait, à travers ces pages, de partir d'une notion récurrente pour opérer une nouvelle conceptualisation apte à rendre compte d'une « réalité » donnée. Dans ce sillage, nous avons défini l'ethnicité comme l'expression du sentiment d'appartenance à un groupe humain différent des autres. Nous l'avons vu déjà, le référentiel commun fondant l'adhésion à ce groupe peut être la langue, une même tradition ou origine historique. Mais dans la présente étude, nous avons mis plus l'accent sur la culture comme ce référentiel commun. Bref, il était question d'une référence à la culture définie par une même origine historique, et des pratiques socio-économiques déterminées dans un espace donné. La référence à la culture, comprise dans ce sens, a eu pour principal avantage d'ouvrir le débat vers d'autres tendances à l'identification individuelle en vogue dans la démocratie moderne, notamment le multiculturalisme.

En établissant ainsi le lien entre ethnicité et culture, ce qui débouche sur le lien entre multiethnicité et multiculturalisme, il s'est avéré trop hâtif de considérer la multiethnicité comme prouvant à elle seule l'urgence d'un retour à l'idéal d'un État multinational ou multiethnique. En un sens, la thèse défendue par Mbonda, a eu pour principal mérite de mettre en avant la défaillance ou, pour en parler avec plus de consistance, la « crise du lien social » inhérente à l'avènement de la démocratie moderne en Afrique noire. Sans reprendre, pour l'heure, les débats auxquels ont donné lieu cette crise, rappelons que la spécificité de cette crise en Afrique noire réside dans la difficulté de définition d'un projet national en raison de la persistance des liens sociaux mécaniques dans le psychisme collectif :

Au coeur donc de cette difficulté à s'auto-instituer, se trouve la faillite de la puissance publique, en tant qu'instance dont la vocation première est d'impulser cette dynamique et d'entretenir une mystique de la reliance autour d'un projet national, et par conséquent, de nationalisation des liens sociaux232.

232 Voir F. Akindès, «Le lien social en question dans une Afrique en mutation», op. cit., p. 6.

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On perçoit alors que la « faillite de la puissance publique », comme le désigne Akindès, est le résultat de la persistance des liens sociaux primaires fonctionnant comme des contraintes sociales aussi bien dans le psychisme individuel que collectif. D'où d'ailleurs la persistance des mouvements tribalistes, ethnocentristes et ethnicistes ; lesquels conduisent à affirmer la prévalence des modes d'identification tribale ou ethnique sur l'individualisme démocratique en Afrique noire. Mais, à partir d'une évidence de la pérennité de ces cadres de références traditionnels infligeant des échecs à la reliance autour d'un projet national, quelle perspective idoine pour un véritable ancrage de la démocratie dans les États d'Afrique noire ? À cette question, beaucoup de pistes explorées par certains penseurs africains n'ont eu pour recours que le rejet de la démocratie occidentale au nom de la persistance des liens sociaux mécaniques. Ce qui, en bonne logique, suggère l'idée d'un alibi ethnique parce que la résurgence du sentiment d'appartenir à un groupe distinct des autres est identifiable au sein même des sociétés contemporaines. En témoignent à ce sujet les luttes pour la reconnaissance culturelle entreprises dans les « démocraties développées ». Ainsi, bien que ces penseurs africains aient pour principal mérite de souligner « les déphasages entre les niveaux de conscience collective, les mentalités, plutôt réfractaires au changement (...)233 », ils finissent par réconforter l'idée de stéréotypes africains incapables de s'ouvrir à la diversité ambiante du monde. En considérant l'ethnicité comme réalité purement africaine, celle-ci (c'est-à-dire l'ethnicité) constituerait une sorte de pesanteur que les processus modernes articuleraient difficilement.

Par conséquent, bien que les analyses auxquelles se livrent Tshiyembe ne soient pas dépourvues d'intérêts, elles présentent le défaut de concevoir la démocratie institutionnelle, avec son corollaire l'État-nation, comme étant en inadéquation avec les réalités africaines. Justement parce que la démocratie elle-même est de nos jours le lieu d'une résurgence des revendications communautaires. Par conséquent, faisant en ce sens écho aux valeurs portées par les aspirations au multiculturalisme, l'Afrique est loin d'avoir le monopole des exigences communautaires affectant la démocratie. Plus exactement, cette précision indique qu'il faut trouver une pensée

233 J.-P. Dozon, « Les Bété : une création coloniale », op. cit., p. 51.

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qui dans le même temps se doit de refuser le repli identitaire et s'ouvrir à la diversité de l'autre.

Et, en ce point de notre réflexion, on se bornera en tout état de cause à préciser que c'est la pensée de Renaut, dont les fondements sont à repérer dans les débats entre libéraux et communautariens, qui s'impose. Son essai de 2009, portant sur la « décolonisation des identités », offre un repérage saisissant : en effet, s'il y appelle à « exorciser » la mentalité coloniale qui réduisait toute la diversité culturelle à l'unique trajectoire culturelle de l'Occident, Renaut résume la pertinence de son essai à un traitement « aux plans politique et éthique où se joue aujourd'hui le devenir de la diversité234 ». Au plan politique, Renaut met l'accent sur la responsabilité de l'État à travers des programmes d'action positive couronnés par la justice compensatrice. Au plan éthique, il fait appel à la conscience de l'individu comme lieu privilégié d'une promotion des valeurs accompagnant l'idéal de la diversité. Parce que, dans le sillage de son humanisme, seul l'individu est « l'être capable d'autonomie, doué qu'il se trouve de la faculté de penser, de juger et d'agir « par lui-même », donc de s'arracher à tout ce qui, en l'assujettissant à une « situation », pétrifie ou chosifie son potentiel d'arrachement, donc sa liberté235 ».

Dès lors que les débats autour de l'unité démocratique ont été mis au clair, on voit que les questions se différencient du point de vue politique et du point de vue éthique : les questions politiques d'une vie en commun menée selon des principes de recherche de l'intérêt général se séparent d'un côté, des questions éthiques relatives aux valeurs concurrentielles dans l'espace socioculturel de l'autre côté. Du point de vue politique, la justice compensatrice, telle que promue par l'auteur de Égalité et discriminations, permet de mettre de côté la politique des identités ethniques de laquelle découle en priorité l'institutionnalisation de l'ethnicité. Une telle mise en quarantaine tient au fait que la politique des différences, en se fondant en Afrique noire sur les quotas ethniques, revaloriserait la nation ethnique qui entrave l'émergence d'une conscience d'appartenir à une même communauté politique à la survie de laquelle devrait se vouer chaque citoyen. Il est donc clair que, pour nous, il n'est pas question d'institutionnaliser l'ethnicité au plan politique. En revanche, il

234 A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 421.

235 Ibid., p. 278.

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s'agit pour nous d'avoir recours à la justice compensatrice dans des contextes où certaines appartenances ethniques ont, pendant longtemps, été exclues de la sphère politique. Ceci étant, et tout en nous inspirant de Renaut, quel serait l'apport de la présente recherche ? Pour saisir la spécificité de cette recherche, revenons-en au plan éthique.

Certes, Renaut admet, d'une part, que l'homogénéisation des différences fait entrave au vivre-ensemble harmonieux dans le contexte d'identification culturelle et, d'autre part, que l'ouverture vers la différence culturelle est l'expression d'un rapport inégalitaire de domination entre différentes valeurs culturelles concurrentes. Mais ces restrictions ne sont pas prises en compte dans son dispositif éthique où il donne du relief à l'individu en tant que seul être doué d'autonomie. Or, s'il est possible en théorie de postuler l'existence d'hommes détachés de tout lien communautaire, le fondamentalisme et le « choc des cultures236 » sont autant de preuves que dans la réalité ce détachement n'est pas si aisé à concevoir. C'est pourquoi il est nécessaire de se tourner vers un nouveau concept pour compléter l'apport de l'humanisme de la diversité : l' « éthique postcommunautaire ».

La nécessité d'une telle éthique, dans le courant des débats entre libéralisme et communautarisme, se situe à plus d'un niveau. D'abord, l'éthique postcommunautaire, est cette perspective éthique assurant désormais le passage d'un « multiculturalisme éclaté » à un « multiculturalisme bien pensé ». Ensuite, et surtout dans le cas précis de l'Afrique noire où on observe une faible consistance en matière d'adhésion commune à des valeurs référentielles, cette éthique aura pour tâche de permettre l'élaboration de nouvelles valeurs aptes à rendre compte de la capacité des populations africaines à « s'auto-instituer », à se donner un sens à la fois dans le présent et dans l'avenir. Elle assure aussi le passage d'une multiethnicité mal comprise à une multiethnicité bien pensée. Ces deux horizons nous donnent des éclaircissements par rapport à l'enjeu de cette éthique s'adressant aux représentations collectives. Ainsi, à travers cette éthique il est question d'affranchir chaque communauté ethnique de son « « altérophobie » et en donnant ensuite à son vouloir-vivre ensemble la possibilité de s'ouvrir à la différence de manière à acquérir le

236 En évoquant cette notion, nous pensons à S. Huntington dont la célébrité remonte à la publication de son ouvrage Le choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, 1997.

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« savoir-vivre au pluriel » indispensable à la réalisation d'un vivre-ensemble juste et pacifique237 ».

De surcroît, nous proposons cette éthique parce qu'elle se présente comme une réponse appropriée à la gestion de l'hétérogénéité ethno-identitaire et plus loin, parce qu'elle signe la diffusion de l'idéal de la diversité dans les représentations culturelles communautaires. Dans cette perspective, en penchant le concept d' « éthique » vers celui de la « responsabilité », on voit à l'oeuvre une exigence de la part de ces appartenances ethniques en Afrique noire. Par conséquent, en raison du lien entre éthique et responsabilité, l'éthique postcommunautaire recommande que chaque identité ethnique se départisse, sans se supprimer, de ce que Touraine désigne par « le garant métapolitique238 » qui renferme les catégories non politiques (telles que la race, dieu, la langue) auxquelles on rattache souvent l'action politique et qui sape toujours la construction de ce lien politique à la faveur duquel se déploie cette recherche.

Il est donc clair que, à la problématique de l'enracinement d'une conscience nationale dans les États-nations africains, est liée la question de la gestion postcommunautaire de la diversité. Celle-ci consiste à sortir l'identité ethnique de l'enclave d'une communauté particulière en l'ouvrant à la différence dans un espace politique appelé à former une communauté nationale. C'est ici que se fait pressentir le détachement opéré à l'égard de Renaut. Ce dernier en effet, considérait que la véritable promotion de la diversité comme valeur nécessitait la responsabilité de l'État et une forte conscience de l'individu. En le concevant ainsi, il a mis en quarantaine la possibilité d'assurer un traitement éthique de la diversité culturelle au sein des représentations culturelles collégialement partagées. Il évoquait pour donner du crédit à sa nouvelle théorie, la nécessité d'une « éthique personnelle ». Sans prendre le contre-pied de cette éthique, il a été question d'envisager une éthique postcommunautaire engageant la responsabilité collective des identités communautaires. Dans un registre qui n'est pas si éloigné du sien, bien d'auteurs avaient inscrit à l'actif des combats d'arrière-garde les revendications exigeant la préservation des identités culturelles. Or, à l'analyse, le constat est que de

237 Nous empruntons les mots de mots L. Ayissi, op. cit., p. 151.

238 A. Touraine, Qu'est-ce que la démocratie ?, Paris, Fayard, 1994, p. 101.

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nombreuses violences en cours dans la société globalisée tirent prétexte de la marginalisation faite à certains groupes culturels au nom d'un « hypercapitalisme culturel239 ». Par voie de conséquence, à l'opposé d'une mondialisation culturelle unilatérale, il est question pour nous d'attirer l'attention sur la nécessité d'une gestion postcommunautaire de la diversité dont les circonstances se trouvent aujourd'hui à plus d'un niveau : le recours à l'éthique postcommunautaire se trouve justifié par l'homogénéisation périlleuse du divers, et le défi de paix posé en termes de capacité à faire cohabiter les différences entre différentes communautés culturelles.

L'enjeu d'une telle éthique dans les États africains consiste à amener le « Même » et le « Divers », c'est-à-dire la « nation civique » et la « nation ethnique », à sortir du dualisme contradictoire dans lequel ils ont tendance à s'enfermer. Une fois ce dualisme dépassé en Afrique noire, c'est la citoyenneté comprise comme transcendance des liens sociaux qui se trouverait enraciné. En dissipant le monisme de l'identité collective au sein de laquelle se déploient les consciences individuelles, l'éthique postcommunautaire consolide les bases d'une véritable citoyenneté démocratique en Afrique noire. Dans ce sens, lorsqu'un membre d'une ethnie est élu à la tête d'un État, cette éthique voudrait bien que les représentants de ladite ethnie ne se sentent pas a priori privilégiés pour la simple raison que le Chef de l'État est de « chez eux ». L'éthique postcommunautaire engage donc la responsabilité collective des représentations culturelles en exigeant de se départir d'un certain nombre de stéréotypes affectant l'esprit communautaire africain en matière de gestion du pouvoir politique.

Encore faudrait-il rappeler que cette éthique a pour fondements le dialogue culturel « intelligent », l'éducation interculturelle et la discussion pratique. Le dialogue culturel « intelligent » et l'éducation interculturelle assurent la médiation entre différents pôles culturels. Une médiation à partir de laquelle pourraient résulter des valeurs transcendant les valeurs spécifiques à chaque communauté. La transcendance des premières valeurs ne signifie pas qu'elles sont extérieures et imposées à la société dans son ensemble comme cela l'était sous la férule de

239 Confère J. Habermas, op. cit., p. 199.

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l' « Autorité ». L'idée de transcendance renvoie ici à une dimension essentielle de toute organisation sociale : celle exigeant un minimum de valeurs permettant la cohésion sociale au sein d'un espace démocratique. Ce pourquoi, par exemple, malgré les efforts des romantiques pour revaloriser les principes de la tradition et de la hiérarchie, les idéaux d'égalité et de liberté se sont toujours affirmés comme des valeurs indépassables des sociétés modernes. Pour comprendre davantage cette notion de valeurs transcendant les autres valeurs, on pourra faire également une distinction entre d'une part, les valeurs se rapportant le plus souvent aux conditions de vie et aux intérêts de la société qui les produit, et d'autre part, les valeurs que pourraient se donner les différentes composantes communautaires faisant partie intégrante d'un tout. L'idée de valeurs transcendant d'autres valeurs s'inscrit tout logiquement dans la première dimension. L'élaboration de ces valeurs transcendantes ne serait qu'un aboutissement de la discussion pratique engagée entre les différentes composantes identitaires. De ce fait, la discussion pratique, comme troisième fondement de l'éthique postcommunautaire, se révèle féconde en ceci que, à partir d'elle résulteraient des exigences et responsabilités trouvant l'accord de tous.

Ainsi donc, revenant à notre préoccupation fondamentale, celle consistant à concilier dans l'État postcolonial d'Afrique noire l'unité de la loi avec la diversité des intérêts, nous dirons qu'il est impérieux de promouvoir l'« éthique postcommunautaire » laquelle recommande que l'État suscite et développe en chaque citoyen, au moyen de plusieurs formes d'incitations politiques, le sentiment d'appartenir non seulement à une communauté ethnique, mais aussi et surtout celui d'être membre d'une communauté politique nationale au devenir de laquelle il a le droit et le devoir de participer. Ce n'est qu'à ce prix que, le citoyen, qui appartient simultanément à l'État et à une communauté ethnique, exercerait en toute liberté ses droits et devoirs. C'est à cela que se résume l'intérêt de la présente recherche pour l'enracinement des nations démocratiques en Afrique noire. Toutefois, dans le souci de conformer la société, dans sa diversité au besoin d'égalité, des recherches postérieures à celle qui vient d'être entamée ici pourront porter sur l'extension du droit à la famille des homosexuels dans les États-nations africains.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle