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De la diversité culturelle, linguistique et migratoire à  l’établissement du locuteur en langue franà§aise. Cas d’adultes migrants à  Bruxelles.


par Stéphanie NASS
Université de Bourgogne - Master 2 Recherche didactique du franà§ais  2014
  

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Chapitre 2 : L'appropriation du Français Langue in posse : enjeux socioculturels et psycholinguistiques30

Aussi vrai que nous ne choisissons pas nos langues in esse et (souvent) in posse, il nous est malgré tout possible (en tant qu'individu rationnel) de nous responsabiliser et « de prendre en main » notre « destin linguistique » (Caron, 2005). Cela suppose d'accepter que se modifie notre rapport au monde et à nous-mêmes. La langue, en tant qu' « espace d'appropriation symbolique » (Hagège, 1985: 386), implique aussi des bouleversements qui rendent compte de l'intériorisation d'un nouvel idiome. Par conséquent, dans ce deuxième chapitre, c'est l'approche interdisciplinaire des langues qui sera favorisée.

29 Thématique de la formation « Travailler l'histoire et la mémoire de l'immigration » organisée les 24, 29 avril et 6 mai 2014, par l'ASBL Collectif Formation Société (CFS) de Bruxelles. L'association organise des formations continuées à l'intention des travailleurs du secteur associatif bruxellois dans le cadre des décrets Cohésion sociale et Éducation permanente.

30 Le terme fait référence à la psycholinguistique cognitive issue de la théorie générativiste de Chomsky.

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2.1. Les complexités de compréhension de la langue française et les répertoires langagiers

La langue française est généralement dite « difficile » parce que « incompréhensible » phonologiquement et scripturalement. Ce qui frappe l'énonceur non spécialiste quand il tente de la comprendre ou de la lire, c'est son herméticité. Cela va de soi, car l'appropriation d'une nouvelle langue impose une certaine gestion mentale. Or, peut-être qu'à examen langagier égal, la langue in posse s'avère moins ou autant complexe que celle in esse. Cette évaluation hésitante résulte de l'emploi référentiel, par l'énonciateur expert, de l'instantanéité de l'idiome. En effet, plus on comprend une langue, plus elle apporte du sens à notre être et plus, on sait la vivre. De plus, à l'oral, le locuteur français in esse recourt à des discours moins spécialisés qu'à l'écrit. Cela signifiant, qu'en général, il utilise peu de longues phrases subordonnées. Par ailleurs, la méconnaissance du système phonétique de quelque langue suscite bien des vicissitudes et détresse linguistique. Par exemple, si l'on reprend la citation d'Alonso, préambule à notre première partie, le code langagier est éventuellement perçu comme virulent. En somme, la complexité, entendue dans le sens extraordinaire ou curieux, n'est pas une particularité qui caractérise tout idiome in posse. Le tiraillement cognitif réside plus dans les interdépendances que le nouvel arrivant entretient avec les langues qui constituent son répertoire langagier que dans la structure de l'idiome à acquérir. Entre les deux, nous supposons que l'on ait affaire à une linguistique en gestation. Qui sont alors les locuteurs en langue in fieri ?

En premier lieu, il convient de fournir quelques précisions quant au syntagme clé de notre recherche, celui de « locuteur ». Son éclaircissement nous facilitera grandement la tâche lors de l'examen des développements oratoires. Selon Soutet (2011 : 146), il définit l'individu qui produit un discours. Le linguiste le rapproche du terme d' « énonciateur » en ce sens où la personne garantit la littéralité de ses propos. Pour Salcedo, le locuteur se définit conformément à sa « langue initiale », à son système maternel de lecture/écriture ainsi qu'à l'idiome utilisé lors des échanges. Ailleurs, Courthiade ajoute qu'un locuteur pour exister,

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doit être rattaché à un territoire 31 . Le concept relève donc d'une question de liaisons linguistiquement construites à l'écologie humaine. A priori pas seulement, puisque Bajriæ (2013: 313) l'identifie à l'aide de caractéristiques cognitives telles que « le sentiment linguistique » ou « la maîtrise de la langue ». Les trois chercheurs mettent ainsi en exergue le fait que le système locutoire repose sur un code linguistique certes, mais aussi culturel et langagier. Le locuteur suit, de ce fait, des règles renvoyant à des fonctions de communication et de socialisation. Pourtant, sa portée langagière n'a pas de limites naturelles (on peut dire des idiomes potentiels autant qu'on le souhaite) et s'apprécie par l'indice linguistique. Seul le comportement de l'énonciateur permet de déterminer quand et jusqu'où il y a appropriation d'une langue. Un signe de cette manifestation se retrouve dans l'utilisation correcte et réfléchie du répertoire langagier. De fait, parler plusieurs idiomes et variétés de langue constitue le « répertoire verbal » d'un locuteur si l'on se réfère à une communauté linguistique (Fishman, 1971:17). Dabène préfère le terme de « répertoire communicatif » attendu qu'elle adjoint au « répertoire verbal », les paramètres non verbaux de la communication (1994: 153). Les langues qui composent le répertoire langagier sont nommées, en sociolinguistique, langue maternelle, langue seconde et langue étrangère.

Nous ne participerons pas au débat qui entoure la dénomination de ces locutions nominales. Nous effectuerons plutôt un nouveau cadrage sous l'angle du champ qui nous intéresse, celui de la linguistique-didactique. Bajriæ met en avant l'importance de parler comme « être, au sens le plus philosophique du terme ». Lorsque nous possédons un « degré très élevé de sentiment linguistique », nous possédons une réalité (2013: 61). En cela, la langue maternelle ou langue in esse résulte de la nature même de l'Être32 et non pas d'une action externe, tel que l'enseignement par exemple. L'homme ayant le souci de « l'étant », soit de son existence, c'est au travers des mots qu'il se révèle au monde (Heidegger, 1927). Un macrocosme ontologique qui nous invite à reprendre la théorie d'Aristote selon laquelle « les sons émis par la voix sont les symboles des états de l'âme » (Auroux, Deschamps, Kouloughli, 2004: 83).

31 Extraits du Colloque International sur les « Gestions des minorités linguistiques dans l'Europe du XXI° siècle », organisé par le laboratoire DIPRALANG, à l'université Paul Valéry de Montpellier, les 10 et 11 janvier 2013.

32 Nous utilisons expressément la majuscule pour souligner le sens philosophique du nom.

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Au-delà de la relation idéologique dont nous la revêtons, la langue in esse détient une tangibilité organique qui se traduit par les figures symboliques de la terre et de la mère. Cordon ombilical, tel un glottonyme du répertoire langagier, l'idiome initial procure un sentiment d'appartenance ainsi que d'auto-protection qui la rend légitime (Puolato, 2013)33. Exemplairement, pour la communauté Rom, « Celui qui a honte de la langue, a honte de sa mère » (Karamagiola, 2013).34

Dans son ouvrage, Cuq exclut la langue française du concept de langue seconde vu que la finalité du locuteur migrant, en France, réside dans un monolinguisme comportemental et linguistique (1991: 140) c'est-à-dire un individu capable de parler une langue et d'utiliser un système de rationalisation35. Toutefois, si l'on situe cette notion en Belgique, c'est-à-dire, en contexte francophone36, d'autres paramètres d'ordre relationnel et social sont à retenir. En soi, la langue seconde s'établit comme un idiome « à valeur ajoutée » (Cuq, 1991: 133) puisqu'elle favorise l'intégration professionnelle et humaine en pays d'accueil. C'est pourquoi, en linguistique-didactique, on la qualifie d'in posse. Cela signifiant une langue dans laquelle on ne peut ni s'exprimer de manière phonologique ni « être » mais qui sera susceptible de s'inscrire au sein du répertoire langagier. Les énonciateurs francophones ont donc l'opportunité de jouir d'une attitude psycholinguistique plurielle étant donné que la langue française est composante du plurilinguisme belge.

Ce faisant, pour Dabène, l'idiome étranger se définit comme « un objet potentiel d'apprentissage » (1994: 29). Par conséquent, elle rejoint la théorie de Bajriæ selon laquelle la langue in posse, tel un élément brut, peut être éventuellement, identifiable phonologiquement

33 Extraits du Colloque International sur les « Gestions des minorités linguistiques dans l'Europe du XXI° siècle », organisé par le laboratoire DIPRALANG, à l'université Paul Valéry de Montpellier, les 10 et 11 janvier 2013.

34Ibid.

35 En France métropolitaine, l'idéologie monolingue reste dominante et pourtant, on dénombre dans le pays plus de quatre cent langues in esse (Source : enquête famille de l'INSEE). En Guyane, par exemple, département d'outre-mer français, prime la philosophie de la mosaïque des langues. De fait, une langue officielle unique n'induit pas l'existence d'un seul idiome in esse, ni même sa popularité.

36« Se dit d'un pays où le français est langue officielle, seule ou parmi d'autres, ou bien où il est l'une des langues

parlées ». Source électronique : page officielle de l'encyclopédie « Larousse » :
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/francophone/35064?q=francophone#35034

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par un individu. Sous-entendu que l'intuition linguistique et comportementale est méconnue et qu'elle sera donc comprise par le biais d'activités cognitives.

Finalement, n'est-ce pas rendre les locuteurs non confirmés responsables de leur trajectoire linguistique que de leur faire établir leur propre répertoire langagier ? D'une biographie ordonnée, où chaque idiome s'exprime par un rang (langue première, langue seconde), nous accédons à une composition de ressources naturelles (soit innées : la ou les langue(s) in esse) et idéales (telle l'appropriation parfaite de la langue in posse : la langue in fieri). De ce fait, pour vivre un état puis l'autre, l'énonciateur consent à dépasser son « Être » sensible pour aller au-delà des achoppements psychologiques.

D'ordinaire, les chocs initiaux face à une nouvelle langue se rapportent à ses origines. Le français, par exemple, est un idiome qui appartient à l'ensemble des langues indo-européennes telles que l'albanais, le néerlandais ou l'espagnol. Plus précisément, elle est une langue italique qui se rattache aux langues d'oïl37, tels que le picard et le wallon. Les idiomes indo-européens présentent des spécificités structurelles et stylistiques comme la déclinaison à six cas, deux formes du verbe communes, passives et actives ou encore des analogies étymologiques. D'autres familles linguistiques comme la chamito-sémitique 38 , d'où proviennent les langues berbères39, possèdent un système différent. On y dénombre vingt-sept phonèmes consonantiques et seulement trois timbres vocaliques : a, i, u. Son système verbal repose sur la notion immanente du temps et non sur sa manifestation. La valeur chronologique y est secondaire (Cohen, 1968: 1307). Mais voyons au-delà de la seule conception biologique.

37 « Ensemble des dialectes romans parlés dans la moitié nord de la France. Le phénomène majeur propre à cet ensemble linguistique (francien) est que, sur la base des parlers de la région parisienne située au centre de la zone d'oïl, s'est élaboré le français ». Source électronique : Page officielle de l'encyclopédie « Larousse » : http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/langue_do%C3%AFl/74630

38 Dénommées également afro-asiatiques ou afrasiennes, les langues dites « chamito-sémitiques » n'ont pas été établies par la linguistique historique tels que les idiomes indo-européens. Source : Colloque International sur les « Gestions des minorités linguistiques dans l'Europe du XXI° siècle », organisé par le laboratoire DIPRALANG, à l'université Paul Valéry de Montpellier, les 10 et 11 janvier 2013.

39 Langues arabes du Maroc fragmentées en une trentaine de variétés. Les idiomes berbères sont reconnus comme seconde langue officielle du pays. Source électronique : page officielle de « l'Ethnologue » : http://www.ethnologue.com/country/MA/status , visitée le 23.07.14.

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D'un point de vue descriptif, et pour reprendre la classification typologique de Bajriæ 40, la langue française est, dans son ensemble, tels l'anglais ou le chinois, une langue analytique. C'est-à-dire qu'à l'aide de différents mots (prépositions, pronoms, auxiliaires), elle organise les relations grammaticales. L'analyse des procédés de construction mentale sont donc indispensables. En revanche, une langue agglutinante reste difficilement analysable. Comme le turc, les vocables se conglutinent (ainsi dans un même mot peuvent se combiner le pronom et le verbe) générant des structures phrastiques complexes (Saussure, 1960: 242).

A la pluralité des idiomes correspond une variété de communautés linguistiques. Depuis que la langue est devenue un moyen politique et idéologique de construction identitaire, on est passé du spirituel au fait. Soit de l'étude des processus mentaux à l'étude du langage. En Belgique, État fédéral, trois langues officielles cohabitent : l'allemand, le français et le néerlandais. Par opposition à la France, les Belges se reconnaissent dans la richesse véhiculaire de leur pays. Le concept d'union nationale reste quelque peu éloigné de la pensée des autochtones ce qui illustre l'hétérogénéité de groupes de langues au coeur d'un même État, si petit soit-il.

Que penser alors de la mosaïque des langues qui caractérisent le Maroc ? Le Royaume, comme d'autres pays ayant enduré le protectorat français, connaît une politique linguistique différentialiste. Constitutive des situations plurilingues, le territoire demeure en mal identitaire sous le joug d'une langue unificatrice, l'arabe classique, qui contraste avec la reconnaissance récente par la Constitution, des langues berbères (2011)41.

La pluralité originelle, taxinomique et sociétale des idiomes met en évidence la richesse des rencontres d'ordre langagier et comportemental qui se profilent dans la langue in fieri. Cependant, ce chemin n'est pas sans obstacle, en ce sens où il s'avère abondant en dispositions conscientisées. En effet, comment sinon le locuteur non confirmé pourrait-il s'approprier une langue in posse (si) éloignée de celle in esse ? Comment maintenir au mieux l'équilibre du maillage cognitif entre deux idiomes porteurs d'histoire, d'hérédité et de

40 Bajriæ S., 2012, « Plurilinguisme », Master 2 Recherche Didactique du Français, C.F.O.A.D. « La Passerelle », Université de Bourgogne, 16D593/3, p.66.

41 Source électronique : page officielle « Le Figaro » : http://www.lefigaro.fr/international/2011/06/30/01003-20110630ARTFIG00748-l-identite-berbere-enfin-pleinement-reconnue.php , visitée le 23.07.14.

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cultures particulières ? L'approche de la langue française et de quelques migrantes, sous forme d'analyse, met en relief les représentations linguistiques qui sous-tendent la compréhension de tout nouvel idiome. Ces dernières sembleraient également traverser le répertoire langagier du locuteur. Difficile alors de ne pas glisser vers un « échiquier linguistique » (Benzakour, 2012)42, source de véritables perceptions paradoxales.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon