7. CONCLUSION GÉNÉRALE
À l'issue de notre travail, nous rappelons que la
problématique est organisée autour de différentes
questions de recherche que nous avons traitées tout au long du
développement. Partant de l'idée de la famille comme institution
attitrée dans la transmission des langues, et de l'hypothèse de
l'émergence des langues véhiculaires comme L1 transmises, nous
nous sommes mis à étudier les usages des langues à Gamboma
; à vérifier les langues hautement et faiblement transmises par
les parents aux enfants et les langues premières déclarées
par les enfants. Nous avons cherché à saisir les raisons pour
lesquelles les parents transmettent aux enfants telle ou telle langue. Enfin,
nous avons abordé la question de la sauvegarde des langues faiblement
transmises.
Avant d'aborder le phénomène dans son ampleur,
nous avons examiné la situation sociolinguistique de la commune de
Gamboma. Nous y avons identifié onze langues bantoues : deux langues
véhiculaires, le lingala et le kituba, et neuf langues vernaculaires, le
gangoulou, le mbochi, le boma, le téké, le koyo, le laari,
l'akwa, le moyi et le kikoongo. Le français et l'anglais sont les deux
langues étrangères répertoriées.
Des deux méthodes employées, le questionnaire et
l'observation, les deux générations des enquêtés
(parents et enfants) usent plus des langues véhiculaires que des langues
vernaculaires, notamment en milieux cosmopolites.
Globalement, les langues véhiculaires sont hautement
transmises par rapport aux langues vernaculaires. Toutefois dans les
détails, le lingala étant la langue transmise à un plus
haut degré, est suivi de très près par le
93
gangoulou. Langue vernaculaire et autochtone de la commune, le
gangoulou est fortement transmise et supplante les deux autres langues
véhiculaires du pays. Le français est la troisième langue
transmise suivi du mbochi. Les autres langues vernaculaires sont faiblement
transmises. Elles le sont surtout en situations de bilinguisme et de
trilinguisme, caractérisées par la présence d'une ou de
deux langue(s) véhiculaire(s).
Les parents natifs du centre urbain, particulièrement
les hommes ont transmis à un haut degré à leurs enfants
les langues véhiculaires. Par contre, ceux qui sont venus des villages,
en particulier les femmes ont en général transmis les langues
vernaculaires. Les parents ayant un niveau intellectuel (Bac et plus) ont
généralement transmis le français, qualifié de
langue des élites. Le gangoulou est fortement transmis
étant la L1 de ceux-ci.
L'évolution de la transmission des langues entre les
générations des grands-parents et des parents a
révélé que toutes les langues vernaculaires sont de moins
en moins transmises. À la génération des grands-parents,
elles exerçaient la suprématie de la transmission, alors
qu'à celle des parents, ce sont les langues véhiculaires qui
l'exercent.
Les langues véhiculaires sont plus L1 des enfants
enquêtés dont l'âge varie entre 10 et 14 ans. Les enfants
des tranches d'âge de 15 à 18 ans et de 19 à 25 ans ont
plus de langues vernaculaires comme L1. Plus les années
s'écoulent, plus le phénomène de l'émergence des
langues véhiculaires comme L1 des enfants gagne du terrain.
Nous avons vu que les facteurs qui sont à l'origine de
la progression et de la régression de la transmission des langues, des
parents aux enfants sont multiples : la concurrence des langues
véhiculaires, l'hétérogénéité
linguistique des couples, le phénomène de
véhicularité et le niveau intellectuel des parents.
L'environnement dans lequel les langues sont parlées
94
est aussi un facteur important de la progression de la
transmission de certaines langues (dominantes du milieu) et de la
régression d'autres. Néanmoins les enquêtés ont
affirmé transmettre les langues vernaculaires parce qu'elles sont les
langues des aïeux.
Les enquêtés ont reconnu la
nécessité de sauvegarder les langues locales qui sont en voie
d'extinction parce que la diversité linguistique doit être
maintenue à travers le monde. Ces langues locales sont les langues des
aïeux, et les locuteurs de ces langues s'identifient par elles. Elles
doivent être conservées parce qu'elles véhiculent les
cultures des communautés qui les parlent. Elles sont aussi utiles dans
l'apprentissage des langues européennes chez les locuteurs ayant ces
langues locales comme L1. Elles sont les seules langues de communion et de
communication des personnes n'ayant pas appris une langue véhiculaire
comme L2. Selon les enquêtés, la maitrise de ces langues est aussi
nécessaire en cas de conflits interethniques.
Plusieurs institutions peuvent s'impliquer dans la
conservation des langues vernaculaires. Chaque instance intervenant a un
rôle bien précis. Il s'agit de l'État ; des linguistes ;
des communautés de locuteurs, particulièrement des parents et
même des églises.
En dépit des différentes questions que nous
avons abordées et des réponses apportées, nous rappelons
que nous n'avons pas traité toutes les questions relatives à
cette étude. Les fiches des deux méthodes d'enquêtes
utilisées sont immenses et n'ont pas été
entièrement exploitées. D'autres questions auraient dû
être étudiées. Il s'agit des questions comme le rôle
des médias (Radio, T.V.) dans la transmission des langues ; les langues
parlées correctement par les enquêtés ; leurs
préférences linguistiques; les attitudes des
enquêtés vis-à-vis des langues locales dans une
génération où les individus aspirent à apprendre
à écrire et à parler les langues dominantes du territoire
national et les langues étrangères, de grande diffusion.
95
Ce travail ne constitue qu'un jalon des différents
travaux de sociolinguistique urbaine qui seront menés dans la ville de
Gamboma. Comme il se présente, il est à prendre comme un appel
à la valorisation, à la transmission et à la conservation
des langues locales, particulièrement des langues africaines ; car :
« Nous considérons la transmission des langues
comme un aspect important de la vitalité linguistique. Lorsqu'elle est
quantitativement bien assurée d'une génération à la
suivante, la langue gagne en locuteurs jeunes et est promis à un bel
avenir. Moins la transmission est assurée, plus la langue perd en
locuteurs potentiels et en vitalité au profit des variétés
concurrentes sur le marché linguistique. Les langues effectivement
transmises par les parents à leur progéniture sont exclusivement
celles que les parents utilisent quotidiennement avec leurs enfants.
52»
52 Bitjaa Kody, Zachée
Denis, « Vitalité des langues à Yaoundé : choix
conscient », in Le plurilinguisme urbain, actes du colloque de
Libreville "Les villes plurilingues" (25-29 septembre 2000), Calvet, L.-J.
& Moussirou-Mouyama, A., Institut de la Francophonie, Diffusion Didier
Érudition, Paris, 2000, p.171.
96
|