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Le malaise identitaire et sa quete dans l'enfant des deux mondes de Karima Berger : vers une représentation romanesque de l'hybride


par Amar MAHMOUDI
UMMTO - Master 2 2021
  

Disponible en mode multipage

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République Algérienne Démocratique et Populaire

MINISTÈRE DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

Université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou

Faculté des Lettres et des Langues

Département de Français

N° d'Ordre : ............... Domaine : Lettres et langues.

N° de série : ............... Filière : Langue française.

MÉMOIRE DE MASTER - en lettres -

Spécialité : Littérature et Civilisation. Option : Langue et cultures francophones.

Présenté par : Amar MAHMOUDI

Sous la direction de : M. Hakim MAHMOUDI

Sujet Le malaise identitaire et sa quête dans L'enfant des deux mondes de Karima Berger : Vers une représentation romanesque de l'hybride.

Devant le jury composé de :

Mme. Fatima-Malika Boukhelou ; Pr. ; U/Tizi-Ouzou Présidente. M. Hakim Mahmoudi ; M.C.A ; U/Tizi-Ouzou Rapporteur. M. Mehdi Hamdi ; M.C.B ; U/Tizi-Ouzou Examinateur.

Octobre 2021.REMERCIEMENTS

Ce travail de réflexion est le fruit d'une recherche entamée depuis mars 2020, alors qu'on était en période de confinement. Elle n'a pu être réalisée qu'une fois le relâchement des mesures de sécurité approuvé, soit une année plus tard, [en mars 2021], pour aboutir à la forme présente. Nous avons donc accumulé un fonds documentaire suffisamment important, que nous avons exploité par la suite au cours de ces deux dernières étapes : prospection et intégration. Les deux requièrent un maximum de temps et d'engagements.

- Mes premiers remerciements vont donc à mon directeur de recherche, M. Hakim Mahmoudi, pour l'ensemble de ses efforts investis en la matière, à l'exemple de ses précieuses recommandations et de ses notables conseils. Comme je lui sais également gré de m'avoir conféré une certaine marge d'autonomie vis-à-vis de ce travail.

- Un grand Merci à Émilie Pézard, notre inspiratrice.

- À Fatima-Malika Boukhelou, professeure émérite à l'université de Tizi-Ouzou.

- À MM. mes enseignants, qu'ils trouvent ici l'expression de ma parfaite gratitude. Je pense plus particulièrement à M. Hamdi, A. Khati, B. Oumeddah (ex-chef de département), qui font la richesse et la fierté de notre département. Enfin à ces enseignants qui, à l'instar de bien d'autres, ont été d'une aide remarquable.

- À Monsieur R. Elhocine, l'actuel chef de département, de nous avoir accrédité d'une plateforme d'étude richement garnie en ouvrages, documents et manuels techniques.

- À mon ami T. Ibelaidene, pour avoir eu la bienveillante idée de mettre à ma disposition une partie de sa bibliothèque numérique.

- À mes parents, pour leur soutient de toujours et leur aide financière.

- À mes soeurs, support moral et lien indéfectible.

- À mes amis Y. Boucelkha et S. Seddiki, qui sont une véritable source d'inspiration, tant pour leur amour des mots que pour nos débats philosophiques.

- À mes camarades, pour leur assistance chaleureuse et aimable.

- Enfin, il y a lieu de remercier tous ceux qui ont contribué, d'une manière ou d'une autre, à la réalisation de ce modeste travail.

À Khalida, l'éternelle absence.

DÉDICACE

À tous les bi-ballad du monde qui, en étant doublement penchés sur leur sort, trouvent écho dans le goulet terrestre et le vacarme résiliant de l'astre boréal.

EXERGUE

C'était présent en moi depuis longtemps. Je tournais autour... je crois que je peux dire que ces dernières années m'ont poussée... Pas dans le sens d'un témoignage sur l'actualité. Non. Mais j'ai eu envie de dire ce que j'avais à dire pour qu'on le lise comme un des éléments de ce qui se passe, comme une part de l'histoire inconsciente de ce pays. Jai hésité entre un essai ou une fiction car je souhaitais faire un essai sur le dualisme, sur l'identité. Mais j'avais abandonné la recherche universitaire depuis de nombreuses années et un tel essai aurait nécessité des lectures, tout un travail de synthèse. Jai donc opté pour la fiction. Et c'est cette écriture qui est venue...

Karima Berger, juin 1998.

INTRODUCTION GÉNÉRALE

« Se situer au seuil, à la frontière d'une culture, d'une identité, d'un pays, voilà le destin du narrateur colonisé, de l'écrivain [...] de langue française à qui le contexte colonial a fait croire qu'il avait deux patries et qui prend maintenant conscience qu'il n'en a aucune. »

Ching Selao

Aborder de nos jours avec quelque aspect de recul la problématique en cours des identités au Maghreb et, plus précisément en Algérie, relève du domaine du circonspect. C'est pourquoi nous voulons définir d'emblée une approche raisonnable située à mi-chemin de la vie sociale et politique, de façon à concilier le fait littéraire avec nombre de données historiques permanentes : de ce fait, l'identité apparaît toujours en relation contigüe et/ou en rupture avec une structure politique donnée. Cela est d'autant plus vrai que la modernisation du pays devient à terme une entreprise instruite sur les bords de la politique anticoloniale de l'Algérie française (consécration des moyens politiques et accession au rang de Nation)1(*), avec l'émergence puis l'institution de courants de résistance expressément dédiés à la lutte des peuples. Ainsi, durant cette première phase de revendication, « l'entrée en modernité se fera, comme dans toutes les sociétés dominées, en réaction à la colonisation, c'est-à-dire au déni des droits politiques des Algériennes et des Algériens. »2(*).

Au-delà de la seconde phase des indépendances, c'est toute une idéologie de réduction, de par son profond remaniement de masse, qui est mise en place par le pouvoir politique afin de se soustraire durablement à l'héritage colonial, et de là à l'influence croissante de la culture libérale, individualiste... que renferme une certaine tendance envers la sécularisation des constantes morales et sociales : en effet, l'évacuation des identités spirituelles en Occident a généré, ipso facto, une forte mobilisation de la classe intellectuelle en faveur du paradigme des appartenances nationales et de l'individualisme « destructeur » (entendu par là de l'éclatement de la cellule familiale en Occident et, somme toute conséquente, de la désagrégation des structures sociales au Maghreb), et signe de la même manière son entrée à la modernité. C'est dans cette disposition empreinte au capital spirituel symbolique que sont récupérées, à fortiori, les principes d'un nationalisme traditionnel en face de se substituer aux exigences du monde pluriel. Ce projet de modernisation de la société coïncide en Algérie avec l'affirmation de la crise culturelle et économique3(*), dans la mesure où il y a modernisation sans modernité : en somme, « on veut bien [d]es effets de la mondialisation matérielle mais pas de la modernité »4(*) culturelle à proprement parler.

Il en est résulté, tout au long de ce processus, un programme compact de vulgarisation hétéronomique où le cumul de bon nombre de valeurs hétérogènes débouche sur une sorte de continuum infernal et palingénésique (ce que, à l'initiative de H. K. Bhabha, nous appelons ici le Tiers-espace). Tout ceci crée, vis-à-vis de la communauté nationale, un certain écart de conduite, un mouvement de décentralisation allant jusqu'à la rupture généalogique des traits communautaires établis. La question généalogique et celle des évolutions occupent de ce fait un espace relativement ambigu que le gouvernement s'efforce de rationner non plus dans la logique dualisante de l'époque mais à travers une démarche de revendication analogue à celle de Bugeaud, où le seul rapport à la modernité emprunte davantage à la « Renaissance Identitaire 5(*)», c'est-à-dire à un retour effréné aux mythes fondateurs de la nation musulmane (l'Umma), ainsi qu'aux lois qui la fédèrent. De ce fait, s'interroger sur l'identité en temps de « reconstruction» nationale, revient à établir de manière permanente des traits de culture suffisamment avancés/disproportionnés pour être altérés, mais qui se répartissent toutefois selon une vision tautologique et processionnelle de l'appartenance.

La littérature n'est pas en reste cependant. Lorsqu'on s'intéresse aux liens existants entre identité et littérature, il faut d'abord prendre en considération un certain nombre de facteurs nous permettant de visualiser l'identité comme un concept non plus statique que dynamique. « Il ne peut s'agir, affirme Rinner, que d'une identité en métamorphose, dynamique, en devenir, dont la fin serait non pas d'atteindre une identification du Même mais plutôt, comme dirait Gilles Deleuze, de « trouver la zone de voisinage, d'indiscernabilité ou d'indifférenciation « que l'on peut instaurer « avec n'importe quoi, à condition d'en créer les moyens littéraires «. »6(*). À travers elle, ce n'est donc pas tant le rôle du colonisateur français qui est mis en exergue que la fâcheuse tendance des nationalistes à briguer des manoeuvres en vue de communier leur idéologie restrictive.

En effet, une des spécificités de cette littérature qui réinvestie cette dynamique du dédoublement est la quête de la stabilité altérée ou du « provisoire définitif ». Dans un cas comme dans l'autre s'opère une rupture de filiation involontaire qui traduit un certain écart, sinon une déviance dans leur cadre conceptuel aux prises avec le paradigme de la modernité. À partir donc de l'écriture dite « double » ou « inachevée », il s'agira de voir au préalable comment ces deux extrémités façonnent une aire géographique mentale éventuellement conçue par le sujet comme autant d'espaces indissociables de son champ d'appartenance ambigu7(*), à mi-chemin entre Tradition et Modernité. Ce qui s'apparente alors à une formule rhizomatique de l'identité sert en fait à introduire l'idée d'une discontinuité qui se situe hors de la linéarité, dans les méandres de l'accomplissement transversal de l'événement protéiforme8(*). Cette « vision du monde », déjà introduite par Gilles Deleuze et Félix Guattari en 1972, débouche sur un terrain neutre et idéal tentant d'accréditer l'idée d'une appartenance gouvernée non plus tant par un « territoire-espace » que prônent les nationalistes, mais par un « territoire-temps », entre autres événementiel. Ce cas d'espèce partant, l'on voit s'établir la crise de la généalogie géo-ethnique qui procède à la formation de minorités modernes de subjectivation : ce principe des appartenances, bien que longtemps clamé sous la bannière des nationalismes, préfigure le dépérissement de l'État-Nation et rompt la marque de son identité assignée devant la montée des conjonctures historiques charriées par la consécration du sujet à l'actualisation ou « l'agencement » de ses repères. La « carte » de ce nouvel ordre mondial fait que « L'identité n'est plus que subsidiairement liée à une terre, une langue ; elle est avant tout une conscience9(*) » qui sert à l'émergence de nouveaux espaces identitaires de plus en plus insistants ou, difficiles à contenir selon une politique nationale unique et indivise.

L'écriture issue de cette dynamique ne fixe pas les origines d'une quelconque filiation rivée sur l''univocité, pour ainsi dire le « calque » substantiel convenu dans le modèle de gouvernance ethno-religieux, mais puise en elle-même la substance de sa créativité altruiste, entraînant ainsi une ouverture sur le fameux « Third space » de HOMI. K. Bhabha10(*). En d'autres termes, le recours assidu aux attributs de la modernité, que préfigure le contact avec la culture de l'Autre (notamment en matière d'écriture / la « poétique de l'errance » selon Lise Gauvin), signe l'avènement d'une littérature transnationale qui tarde cependant à s'épanouir dans l'espace local suite au centralisme de l'État et de ses structures auxiliaires, car portant atteinte à la légitimité légitimante de la Nation : nous avons affaire, d'une part, à l'exacerbation des minorités locales en vue de se soustraire au jacobinisme de l'État (qui plus est reproduit les mêmes schèmes comportementaux de la tendance patriarcale), conscients mais aussi, et d'une certaine façon, porteurs de l'ambivalence caractéristique de leurs identités propres (y compris de celles de leurs leaders politiques ou artistiques) ; d'autre part, à la position somme toute immuable adoptée par les autorités publiques en vue de soumettre l'activité citoyenne aux exigences nationales (que caractérise la célébration ostentatoire des rites orthodoxes en Algérie comme dans la plupart des pays du Maghreb).

Ce cas d'ambivalence admis, il est préférable de parler en termes de « dualisme » pour désigner l'état de précarité culturelle dans lequel gis le sujet « biculturel », notamment par rapport aux exigences axiomatiques qui découlent des deux systèmes culturels (traditionnel/moderne - oriental/occidental) en proie à leur antagonisme11(*), s'agissant de la présence simultanée de deux objets de nature exclusive ou ne pouvant tout simplement pas figurer parallèlement dans le même axe relationnel, appelant, par conséquent, à une économie de transition. De là le rôle quasi intransigeant que peut revêtir l'éducation (famille, société, école ...) dans le poids de l'héritage culturel dont bénéficie, généralement à son insu, tout individu. Cependant, les deux axiomes formulés à la fois ne peuvent que s'exclure mutuellement ou, chose plus rare, s'étendre sur l'axe temporel, c'est-à-dire évolutif dans le cas de la modernité. À contrario, l'on assiste, à défaut d'un métissage culturel plus adapté, à l'affirmation d'un syncrétisme rationnel noué autour de valeurs séculaires et contradictoires, notamment en raison de l'accumulation de facteurs socioculturels intrusifs de la structure culturelle endogène (à l'instar de la civilisation occidentale qui n'en demeure pas la seule)12(*). Ce cas d'espèce partant, la mise en vigueur, au XIX éme siècle, du principe des nationalismes a vraisemblablement tracé la voie de libération pour certains peuples - principalement européens - et pour d'autres, les ayant à tout le moins confinés dans une posture sensible de l'histoire et des enjeux que porte en son sein la modernité13(*). En effet, la culture « ayant perdu de sa vitalité, les valeurs qui la forment perdront proportionnellement de leur particularité pour s'amalgamer au bout du compte en un ensemble culturel original où se mêlent des modèles et symboles antithétiques. »14(*).

Ces dispositions étant assimilées à un plus haut point de la vie quotidienne au sein même de la colonie, elles débouchent sur une vision erronée de ce qu'est vraisemblablement une culture nationale. Celle-ci, devant à tout le moins discréditer les thèses exorbitantes et assimilationnistes, s'engouffre dans des perspectives anhistoriques reproduites sur les bases d'un savoir monolithique, univoque et passéiste, fondamentaliste et exclusivement nationaliste15(*). Or, l'usage limité et indéterminé des attributs de la modernité (se rapportant au seul aspect politique) en bute à ceux de la loi religieuse préétablis, constituera, au lendemain de l'indépendance, un syncrétisme culturel des plus virulents. On ne peut que constater dès à présent l'échec des efforts aménagés par les instances locales en vue de contenir rigoureusement, par le biais de l'oppression tout au moins, les abus de la modernité constatée. En ce sens, la production littéraire de ces dernières décennies reflète véritablement la charge de tous ces contresens survenus aux confluents des mondes traditionnel et moderne. Cette thématique de l'anéantissement identitaire ou de l'exil en soi permanent, quoique déjà largement sillonnée, permet d'entrevoir la somme de ces identités naissantes ou en métamorphose, à mi-chemin de l'hégémonisme politique. Cet amas de dispositions hétéroclites signe en l'occurrence l'entrée en vigueur de la mondialisation telle qu'annoncée par la troisième génération des écrivains algériens et renvoie à la littérature de l'entre-deux identitaire.

De ce fait, comme toutes les littératures africaines de la période postcoloniale, celle de la troisième génération en Algérie inscrit son parcours dans une longue tradition littéraire dite « de désenchantement »16(*). On a affaire ici à une littérature militante, d'engagement, en faveur d'une construction efficiente de la modernité. L'échec de la pensée nationaliste au sein même des discours politique et médiatique mobilise, à contrario, les visées citoyennes du plus grand nombre de la sphère intellectuelle. Cela étant, elle préside à l'éveil puis à la formation d'une conscience nationale en cédant plus de relief à la notion d'hybridité et aux valeurs conséquentes de la modernisation, entraînant, de suite, un passage vers le domaine de la transculturalité. « Mais le déchirement entre orient et occident est très perceptible ; les intellectuels sont réduits par les deux espaces civilisationnels qu'ils transcrivent dans leurs textes. »17(*). C'est la mise en perspective de la dualité de l'ambivalence culturelle contractée dans la conjoncture historique de la colonisation à travers les générations d'écrivains qui se sont succédées au Maghreb, mais également à travers la frange des bénéficiaires de la formation scolaire française et de sa politique d'assimilation18(*). Entendons que, si assimilation il y a, on parle aussi de résurgences dans les milieux de la culture indigène, à défaut de les résorber in extenso. De ce fait, « la problématique du conflit tradition-modernité est déjà posée et qui surgira très clairement durant le mouvement national et après l'indépendance à travers le choix des modèles de reconstruction. »19(*).

En effet, pour les écrivains de cette « génération identitaire », il devient définitivement malaisé d'arborer avec un semblant de quiétude et d'assurance leur statut d'intellectuels, encore moins d'afficher leur marque d'appartenance dûment assignée, sans faire l'objet d'un préavis portant réglementation et atteinte à la sûreté nationale (et donc aux symboles de la Nation acquise au capital religieux), si tant est que, dans le cadre de la citoyenneté, ces pratiques ne dérogent nullement aux décrets de la constitution de 1963 (1976, 1979 et supra) officiellement instruise aux idéaux de l'universalité20(*). C'est là tout le problème des appartenances pourvues d'un fond d'interaction communautaire divergent avec les idéaux de la Nation qui est mis en avant dans les textes de ces écrivains qui sont autant d'indices et d'éléments révélateurs d'une société en crise juridiquement - du moins tenue comme telle par tous les moyens, aussi bien par « en-bas » que par « en-haut »21(*) - et qui coïncide de moins en moins avec l'idée d'une nation moderne portant valeurs républicaines.

C'est en tout cas dans cette perspective que nombre d'écrivains - à l'instar de Karima Berger - mettent en scène des textes humainement tragiques pour dénoncer, sous forme de récits enclins à l'historicité et à la mémoire, les vices et leurres de l'État unitaire jacobin hostile à toutes les démarches libérales qui, d'une manière ou d'une autre, se dérobent à ce modèle de gouvernance désuet. Notre attention s'est donc volontairement rivée sur une oeuvre équivoque de la littérature algérienne contemporaine, de ce qu'elle met en scène un univers de tension et d'écartèlement entre des idéologies de l' « ici » et de l' « ailleurs », avec, en outre, l'idée de capitalisation de l'expérience face à la montée exacerbante de la mondialisation, à savoir : L'enfant des deux mondes22(*).

La rupture apparente avec l'héritage commun traditionnel toujours en vigueur à l'ère de la mondialisation et de ce qu'elle implique de valeurs prométhéennes (l'affranchissement de la pensée, le droit à la citoyenneté et l'exercice des libertés individuelles, l'intégration des minorités locales selon un processus démocratique préétabli ou encore l'accès à la modernité critique ou intellectuelle, etc.) entraîne de nouvelles réflexions sur la question identitaire, qui semble déboucher sur un compromis. Comme on le verra, notre corpus se démarque moins par ses qualités esthétiques plutôt modestes23(*) que par le fait que son protagoniste semble tenir le juste-milieu : sa quête de l'identité, quoique subjective, n'exclut pas la présence du groupe et ce qu'il incarne (sur le volet culturel tout au moins) dans la conscience du personnage de valeurs communautaires inhérentes à la vie du sujet qui ne demeure pas moins l'acteur de sa destiné. Or il s'avère que ce type de construction identitaire englobe dans un état parallèle les valeurs de la modernité et celles de la tradition comprises. Ce faisant, peut-on réellement envisager la consécration d'un juste-milieu en parallèle à l'entre-deux de la métamorphose identitaire, où le passage vers une identité contractuelle (identité-sujet) semble continuellement muré dans une position de repli susceptible d'accentuer les effets de la dynamique ascendante ?

Mais, fondamentalement, la question essentielle reste cependant le problème du déni identitaire (absence des libertés démocratiques) et des moyens investis en ce sens pour y parvenir ; ou encore, pour reprendre A. BERERHI et B. CHIKHI : « comment peut-on accepter que, sous prétexte de non-correspondance linguistique ou religieuse avec les idéologies dominantes, autant de belles expressions littéraires et artistiques, générées par des enfants de cette terre qu'on appelle aujourd'hui l'Algérie, ont fait et continuent24(*) de faire l'objet d'un tel déni institutionnel ? »25(*). Quels sont, dans ce cas, les principaux facteurs de l'ambivalence culturelle contenus dans notre corpus, et qu'est-ce que la modernité pour le roman algérien francophone ?

Est-il possible d'être Algérien dans la diversité et la différence ? Dans la négative, que signifie donc, sur le fond de la question morale et généalogique, le refoulement des diversités culturelles historiquement attestées ? Et comment le sujet, l'acteur pris dans la tourmente de la métempsychose et des évolutions culturelles, procède-t-il pour réajuster son identité et recouvrer son essence propre ? Quelles sont, enfin, les « stratégies identitaires » déployées à son égard ?

En somme, des questions qui empruntent au registre de la modernité intellectuelle et idéologique, auxquelles nous essayerons tant bien que mal d'y répondre, tout en favorisant une approche littéraire décentrée.

En raison de cet état de choses, il n'est pas anodin de quêter en profondeur les stratégies identitaires déployées au sein de notre corpus afin de contenir, implicitement ou explicitement, toute forme de discours (littéraire, politique, citoyen, artistique, etc.) ayant trait à l'identité dans des situations de métissages culturels et multilingues, favorisant ainsi l'espace à la rupture en somme d'avec l'idée de foyer d'appartenance à une culture nationale unique et de la maintenir, synchroniquement parlant, par tous les moyens susceptibles de l'y extraire au gouffre décentralisateur (la mondialisation) par lequel une Nation est dès lors vouée aux gémonies.

Nous sommes particulièrement convaincus que ce travail de longue haleine, d'emblée situé dans le flux majestueux d'idées confluentes au Maghreb, passe par le droit fil de ces questionnements parmi lesquels et au vu de leurs intérêts la question identitaire occupe, comme à son temps déjà jaugée par les nombreuses enquêtes qui nous précèdent, le grand avantage de nos considérations empiriques. Aussi bien tenterons-nous d'exploiter dans le même état d'esprit, sinon dans une disposition hétéroclite certes mais frôlant la jonction de leur variabilité, des éléments convergents vers l'ultime prétention de la recherche. Ce pour quoi nous avons pris le parti d'inscrire ce travail, autant ce faire que peut, dans le creuset de la littérature sociale où le roman, alors épris de ses exploits génériques, sert une fonction majeure outre sa finalité artistique : celle de « miroir à la société » selon la perspective stendhalienne, où la recherche de la vérité enfile des apparences similaires à la quête dite de l'identité.

En effet, pour notre auteure - Karima Berger26(*) -, l'écriture de ces dernières décennies est porteuse, de par son idéologie de libération, d'enjeux véritables à la limite de la crise culturelle et politique contractée, et est subsidiairement engagée en faveur de l'affranchissement des populations dépositaires d'un brassage culturel et multi-séculaire27(*). Il sera ainsi question de revoir, au moins en partie, les dispositions sociétales et culturelles d'un peuple réellement éprouvé par les revers de son histoire propre, jalonnée de tant de mésaventures ayant trait, les unes, à l'entreprise coloniale longtemps en vigueur sous le joug de l'impérialisme exogène ; d'autres, suivant la période plus ou moins macabre des indépendances et plus au-delà, aux processus d'endoctrinement engendrés par des organismes à vocation endogène et qu'on pourrait, à la suite de Rachid Ali-Yahia, qualifier d'« aliénation nationale »28(*).

Enfin, toutes ces raisons nous amènent à aborder ce fait littéraire de surcroît sous l'angle de la domination institutionnelle qu'induit la consécration officielle de l'oeuvre littéraire en fonction de son « comportement » orthodoxe ou subversif avec, entre autres, la rigueur de cette dichotomie qui fonde « l'espace complémentaire » pour reprendre les mots de Michel Foucault. Une brève incursion en terrain socio-politique (le contexte qui renseigne l'espace référentiel de l'oeuvre) nous paraît sans contexte la démarche idoine nous permettant de mener à terme cette réflexion autour de la crise identitaire dans l'oeuvre de Karima Berger.

Ainsi donc, pour donner plus de consistance à ce questionnement, nous souhaitons l'inscrire parmi une pluralité d'approches pluridisciplinaires, au sein desquelles et à titre principal, l'ensemble des théories dites postcoloniales (de Sartre à Fanon, de Balandier à Glissant, en passant par Bhabha et bien d'autres théoriciens du Tiers-Monde).

Notre analyse s'institue donc en deux parties distinctes mais complémentaires. Deux chapitres sont également disposés dans chacune de ces deux parties. Ainsi, par le biais de cet enchaînement, nous entendons fixer l'idée selon laquelle le texte obéit à des règles externes, et dont il tient à peu près son essence. Or, l'objectif que nous nous efforcerons de bien retenir, c'est de faire en sorte que l'identité dans L'enfant des deux mondes soit appréhendée à la fois dans son volet poétique et idéologique.

En effet, la partie inaugurale de ce travail établit (partiellement) l'état de la recherche autour de quelques notions-clés théoriques, nécessaires à la compréhension de ces identités complexes. Le premier chapitre de la présente partie s'élabore Autour de la notion d'identité, suivant une approche préliminaire différente. Le second chapitre, lui, consistant en une mise en relation de ces termes dans notre roman et rétablissant quelques traits d'ambivalence Sur la question nationale en Algérie.

La seconde partie s'intéresse quant à elle aux Processus de l'hybride. De même que la première, elle est elle aussi composée de deux chapitres. Le premier porte sur La dimension poétique et s'attache plus particulièrement à la manifestation des formes hybrides dans le texte suivant les différents niveaux d'hybridation, générique, linguistique... comme il tient compte également de la problématique de l'espace-temps relative à notre corpus. Le second quant à lui, toujours dans une logique de progression, est en quelque sorte le rebondissement des trois autres qui se déclinent ainsi sous l'effet des Stratégies postcoloniales.

Tel est notre plan aménagé en vue de souscrire convenablement aux exigences de cette étude, le but étant de s'étendre à la richesse et à la diversité de ce roman.

C'est donc à ce thème précis des ambivalences qu'il nous paraît urgent de réaliser un premier temps de réflexion, accompagné aussitôt par une analyse approfondie de l'oeuvre et de ses processus investis dans la problématique de l'hybride.

PARTIE PREMIÈRE : L'identité, entre processus et interaction

« Le plus court chemin de soi à soi passe par autrui. »

Paul Ricoeur

« On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. »

Héraclite d'Éphèse

? Approches préliminaires :

S'interroger sur les différentes constructions de l'identité comme processus itératif de la vie communautaire, régissant, à contrario, tout idéalisme émanant de la sphère individuelle ou privée, nous confère une tâche des plus difficiles, dans la mesure où notre corpus prend part à la grande problématique de la colonisation qui voit s'intensifier par ailleurs le problème du recyclage historique - la mise en évidence de son règne acculturatif vis-à-vis de l'appartenance nationale et de son auto-détermination -, en passant par les conflits essentiellement identitaires caractérisant les sociétés de l'après-indépendance (postcoloniales).

Cette partie liminaire du travail, comprenant l'état de la recherche, se veut en soi une discussion des visées et concepts retenus vis-à-vis de la notion de l'identité, telle qu'elle apparaît durablement dans les champs de la recherche scientifique. De fait, l'imperméabilité de l'univers au sein duquel évolue cette notion établit une situation particulièrement analogue au paradoxe de Zénon sur la pluralité numérique et la pluralité des lieux, tant la contradiction (l'ambivalence) qui la caractérise gagne en acuité. Dans le cas présent, nous souhaitons montrer tout en les confrontant, les divers aspects de l'identité individuelle et collective, passant par les compromis de l'une et l'intransigeance de l'autre. Cette partie du travail, dite théorique, s'institue d'emblée en deux chapitres : l'un, intitulé Autour de la notion de l'identité a pour principal objectif d'asseoir une analyse discursive ; l'autre consistant en une mise en relation de ces termes et rétablissant quelques traits d'ambivalence Sur la question nationale en Algérie.

? CHAPITRE PREMIER : Autour de la notion d'identité - approche socio-historique.

L'essence des choses ne se modifie pas par leurs rapports externes, et ce qui, abstraction faite de ces derniers, suffit à constituer la valeur absolue de l'homme, est aussi la mesure d'après laquelle il doit être jugé par qui que ce soit, même par l'Être suprême.

Emmanuel Kant.

Avant d'établir une approche du fait identitaire susceptible de définir au mieux cet univers de disgrâce caractérisant la notion de l'identité, il importe de redessiner son horizon d'attente et d'offrir, si possible, un visuel de son apparition en tant que phénomène social largement partagé par la majorité constituante de la communauté humaine. Il s'agira pour nous de franchir les limites du virtuel et de concentrer notre analyse sur des points variables et contradictoires, l'enjeu étant d'affirmer ou d'infirmer sa consistance dans l'être absolu ou le dasein29(*).

Afin de saisir toute l'envergure de ce sujet, gageons qu'il n'y a pas de sentiment d'identité sans crise d'identité apparente. Cette dernière étant le fruit d'une rencontre avec l'étranger30(*) (le colon), la conquête de l'Algérie - plurielle -, son long processus de libération seuls ont forgé une conscience nationale et constituent, de ce fait, l'origine d'une première affirmation concrète de l'identité. Naturellement, ce processus primaire d'identification passe par l'expression et l'émergence de mouvements nationalistes érigés en partis politiques et statuant sur l'identité nationale algérienne - identité à sens unique aux lendemains de l'échec des pseudo-assimilationnistes31(*). C'est donc sur le terrain de la collectivité que se positionnent tout particulièrement des modèles de gouvernance communautaires élaborés sous le double signe de l'arabo-islamisme - à défaut de sonder les particularités environnantes - et qui vont être à l'origine du prolongement de la crise identitaire nationale. Or, qu'est-ce que l'identité nationale (une et indivise à l'heure de la mondialisation) ? Afin de mieux exploiter l'enjeu de ce questionnement décisif, nous optons pour une expression de Nathalie Heinich32(*) dans sa tournure négative : « ce que n'est pas l'identité ».

En effet, suivant les travaux pionniers de Pierre Bourdieu (notamment dans La Reproduction qui donne sur l'« habitus » et sa relation au macrocosme), l'identité s'apparente en vrai et avant tout à une notion temporelle qui va s'épanouissant sur l'axe pluridimensionnel, et qui tôt ou tard, semble échapper à l'entendement théorique et rationnel, d'autant qu'elle est un « piège » dans un débat saturé de positionnement en passe de conclure aux seuls « bénéfices intellectuels, sinon politiques ». L'identité n'est donc pas une évidence, et, en tant que telle, suppose des connotations problématiques ayant arpenté, dans les champs de connaissances, jusqu'aux domaines de la sociologie et de la philosophie, en passant par la littérature et la politique.

1. L'identité, essai de définition.

1.1. L'identité nationale (collective) :

En tant que concept opérant dans l'ensemble des disciplines académiques, la problématique de l'identité s'affirme plus nettement dans l'entre-deux-guerres 33(*)(mondiales) exclusivement en tant qu'identité nationale définie sous une autorité politique affiliée aux idéaux officiels de la Nation. Elle est donc, et premièrement, une définition dans le tas, dis-cernée parmi le plus grand nombre d'adhérents à la vaste communauté nationale à travers le temps filial de la poursuite des origines. Identification au même (l'« idem » selon Paul Ricoeur) ; identité prescrite dans le destin originel d'une nation autour de valeurs (refuges) désignées comme étant les mêmes en dépit de l'épreuve temporelle qui les incarne, et constituant les invariants itératifs d'une dynamique culturelle : la personnalité de base qui fonde l'identité collective. Face à ce trait réactionnaire de l'identité nationale, P. Bourdieu parle d« illusions essentialistes » pour désigner ces identités collectives telles qu'elles sont véhiculées et reproduites au sein des modèles nationalistes. La critique moderne et même postmoderne d'une conception substantialiste de l'identité (ou de l'« illusion essentialiste34(*) ») s'appuie essentiellement sur trois constats : « celui de la temporalité, qui soumet toute identité au changement [interdisant de `concevoir' des éléments de culture comme étant une substance inaltérable] », de la « médiation d'une mise en forme », sorte de « continuité remémorée », ou tout simplement de récit (Paul Ricoeur). Celui enfin de la « pluralité » sans cesse renouvelée dans la personne qui la porte. C'est donc une conception erronée que celle « soumise aux aléas du temps, du récit et de la pluralité. » (Heinich, 2018, 19.).

« Identité malheureuse - embarras de l'identité - malaise identitaire - énigme de l'identité - piège de l'identité - hystérie identitaire ... », tout laisse entendre à la suite de Nathalie Heinich que le mythe de l'identité nationale, telle que la donne à lire P. Bourdieu, n'est ni une donnée objective ni un processus en soi illusoire, mais participe bel et bien de la norme historique et processuelle :

Mais ce n'est pas parce que l'identité nationale est variable et historiquement construite qu'elle est une pure illusion sans aucune consistance [Bourdieu] : ni illusion ni, à l'opposé, réalité objective, elle est une représentation mentale - une représentation largement partagée, exactement comme le sont les valeurs (et la nation est d'ailleurs bien, elle-même, une valeur, pour peu qu'elle fasse l'objet d'une valorisation. Autrement dit, l'identité nationale est une représentation que se font les individus de ce qu'est, ou de ce que doit être, un pays - donc une idée, au sens cognitif, en même temps qu'un idéal, au sens normatif.35(*)

De ce fait, l'identité ne se réduit pas à la seule identité nationale (idem, chap. 3) comme en Algérie, décrétée sur le modèle archétypal de l'arabo-islamisme - car l'ensemble des coutumes dont dispose le pays, généralement indistinctes et protéiformes, forment une culture et un patrimoine (parfois étranger dans le cas de la langue) qu'il conviendrait d'ériger en identité nationale. Au titre de ces composantes de l'identité, l'historien Pierre Nora énumère : l'État, la langue, la conscience historique - encore qu'inégalement répartie -, le patrimoine, la mémoire collective ..., ce qui, encore une fois, demeure uniquement envisageable sous le prisme du politique en matière des droits nationaux. Ce qui favorise le repli sur soi dès l'abord de l'indépendance du mouvement national de libération où prime, face à l'héritage colonial, une conception - un idéal - portée systématiquement sur le rejet de l'autre (étant particulièrement différent de soi et donc corruptible à son égard et à celui de la personnalité de base), mais aussi par bon nombre de préventions frôlant le cadre de l'anomie : l'instauration de nation séculaire et ancestrale sur le seul modèle de l'arabisme - que préfigure le culte du religieux -, la mise en place d'une politique mono-linguistique, l'uniformisation du patrimoine culturel, l'ancrage institutionnel ... et beaucoup d'autres stratagèmes36(*).

Irréversiblement, l'identité se confond en Algérie avec la seule « mémoire militante », laquelle est d'emblée située sous le joug d'un positionnement ultra-nationaliste :

Il existe cependant, parallèlement à cette réduction du monde à l'alternative entre réalité et illusion, une autre réduction préjudiciable à la compréhension de la question de l'identité : c'est sa réduction à la seule identité nationale - corrélative d'ailleurs de la réduction au politique.37(*)

Mais peut-on dès lors appréhender cette conception de l'identité (nationale) suivant le contexte d'assimilation dans lequel est sommée d'évoluer - d'agir tout au plus - une catégorie de personnes biculturelles ? Pour contrer l'identité psychologique d'obédience étrangère contractée dans le giron de l'humanisme occidental, l'État, à travers son institution, reconfigure le « paysage mental38(*) », ou la logique d'adhésion à la vaste communauté nationale. En effet, l'usage de la notion d'identité recouvre deux domaines encastrés de la vie quotidienne : d'une part le domaine traditionnel et moderne, de l'autre les appartenances multiples et variées, individuelle et collective mais qui, suivant une certaine logique, se retrouve réduite à la seule dimension nationale.

Face à la dualité caractéristique de l'identité collective, la culture nationale et son idéologie attenante ne peut prêter à une définition « d'en-haut », mais est l'expression d'une collectivité ou de plusieurs en voie de consensus paritaire, notamment en termes de pensée et d'organisation. Une problématique qui ne relève guère plus de l'opposition binaire colonisé/colonisateur, mais de la confrontation de ces cultures et idéologies dans l'espace national fortifié, livrant passage aux tensions qui ne cessent de croître entre les personnes d'une même famille ou entre des membres de la même société dédaignant les balises d'une culture étroite et sélective, caractéristique également de cette génération d'écrivains affrontant les déboires de l'édification nationale en matière de modernité et de droits de l'Homme. Ce propos est explicité par Frantz Fanon dans les damnés de la terre :

La culture nationale est l'ensemble des efforts faits par un peuple sur le plan de la pensée pour décrire, justifier et chanter l'action à travers laquelle il s'est constitué et s'est maintenu.39(*)

On ne peut que constater, en termes de « construction de l'appartenance », l'échec relatif de l'identité nationale comme héritage républicain, devant la nécessité impérieuse d'un ancrage culturel et affectif pour l'individu (l'originalité de son appartenance) où toutes les particularités sont dissoutes en faveur d'une appartenance commune. Pour référer une fois de plus à l'excellente synthèse de Nathalie Heinich, on dira que l'identité (nationale) n'est pas offerte selon le degré d'unilatéralisation caractérisant le modèle étatique, ni même constructible à partir du seul héritage commun traditionnel ; elle est ou n'est pas. Les lieux de la culture s'affirment non plus comme l'expression d'un bloc homogène, mais sont désignés dans un vaste mouvement traversé par des courants concordants mais aussi contradictoires40(*). Pour illustrer ce trait d'ambivalence référant à l'ordre symbolique de l'organisation identitaire, notons que la culture en Algérie (à dominante phallocentrique) est traversée de courants novateurs en matière de progrès qui sont non moins nocifs pour l'ancienne structure sociale et familiale, d'où son incohérence à coexister durant le passage du sacré (traditionnel) à l'historique (moderne)41(*). Ce passage de Platon à Kant42(*) inaugure une nouvelle voie d'affirmation pour l'identité nationale, hors de la violence stratégique consacrée aux dépens des évolutions sociales :

Mais il faut pour cela accepter de renoncer à une définition unilatérale, au profit d'une pluralité d'approches, dont la combinaison compose le sentiment de ce qu'on peut appeler « identité ». Bref, il faut accepter de prendre au sérieux la complexité du monde vécu, pour en faire non seulement la clé théorique de son déchiffrement mais aussi, concrètement, le cadre d'analyse des données observées.43(*)

Parallèlement à ces propos, il est évident que la nouvelle voie de progrès et de modernisation, influant sur la crise culturelle en Algérie, passe par la théorie du changement social et inclut, malgré soi, une psychologie de l'interculturel par rapport à la variation du patrimoine identitaire jusque-là implicitement désigné. Néanmoins, et face à la reconduction des ambivalences Tradition / Modernité, le choix est volontairement porté sur la revivification du discours confessionnel (et ontologique) à l'origine de la lutte anticoloniale. Ce procédé d'affirmation et de ré-enracinement de l'être dans sa perspective essentielle de globalisation semble tenir, en partie grâce à sa prééminence dans le passé, d'une stratégie revendicative (selon le triptyque : islamité - arabité - ancestralité), et ce pour une raison bien particulière :

Le fait qu'ici, la quête de l'origine, légitime au départ, soit déviée vers l'originalité psychologique par le truchement de la modernité, explique l'incapacité de l'identité ainsi réduite, à résister au déracinement et à restaurer l'équilibre dans l'être de l'homme.44(*)

Face à ce phénomène général de socialisation de l'identité, selon une perspective plus ou moins commune à l'ensemble des individus, il y a lieu de poser le problème de l'aliénation de l'identité individuelle, ou minoritaire, par celle majoritairement constituante du « groupe dominant » et établissant des rapports de force strictement univoques, ou en provenance du noyau central idéologique agissant sous le prisme de déterminismes sociaux et caractérisant les assignations identitaires, en fonction de leur rôle ou des idéologies établies. La remise en question de ces structures sociales telle que supposée par A. Touraine, devient, à terme, « un appel contre les rôles sociaux, à la vie, à la liberté, à la créativité. », au sens que lui confère par la suite A. Erikson en forgeant le concept de l'« identité-Harmonie », soit comme un « sentiment subjectif et tonique d'une unité personnelle » sur l'axe diachronique, préfigurant par là-même l'idée d'une continuité personnelle affective.

Mais sommes-nous concrètement, au jour d'aujourd'hui, en mesure d'affirmer que la culture - ses reliefs tout au moins - constitue un patrimoine qu'il convient de préserver tout entier vis-à-vis du fulgurant éclat de la modernité ? Si les troubles occasionnés par ce concept de l'identité relèvent pour une bonne partie de la psychopathologie individuelle (A. Adler), la crise qui s'en suit, témoigne sur le refus de l'acteur (sujet personnel) de se conformer au rôle qui lui est signifié par les instances collectives et sociales. En outre, face à la sinuosité du pluralisme culturel, l'accent est ici établi sur cet état de confrontation où l'identité (dans tous ses états) serait conjointement menacée de la tradition comme de la modernité. Demeure l'idée d'un juste-milieu, à l'heure actuelle où sont engagés des processus d'ordre naturel, capable de situer ce sentiment de l'identité comme une manifestation supposée de l'organique et du virtuel, nonobstant l'accumulation effrénée de facteurs idéologiquement succincts.

L'idée qu'on puisse ainsi avoir et donner (au sens de renvoyer, réfléchir, etc.) de l'identité n'est en soi pas importante, en tant que construction [pas plus abstraite qu'objective] sociale de l'ensemble des opérations par lesquelles « un prédicat est affecté à un sujet »45(*) ; le fait est que : « ni la famille, ni la nation, ni la religion, ni la langue n'assure au sujet le sentiment intérieur de son identité. »46(*). En ce sens, on pourrait dire que l'élément le plus concret de cette manifestation de l'être en particulier, réside dans son à-priori relatif à l'environnement de crise dans lequel les tensions entre l'Ipse et l'Idem stagnent sur le modèle de la stato-nationalité, et qui est donc une raison majeure de distorsion du « travail identitaire » dont se réclame le sujet, notamment en termes d'identification ou de présentation vis-à-vis des dispositions communautaires. Ce qui, de fait, rompt la particularité nationale et fonde une autre voie d'affirmation, divergente, celle-ci, du pacte intégral de reproduction, dite : l'identité personnelle.

1.2. L'identité-sujet (individuelle) :

Appréhender cette notion de l'identité personnelle dans son aspect dynamique avec soi-même et avec l'autre, donne matière à réfléchir sur les valeurs fondamentales de l'être en particulier et la diversité de la culture en général. Telles sont, entre autres : la liberté, l'individualisme et la possibilité du développement personnel. C'est également l'occasion de renouveler ses impressions, porter un regard dynamique sur l'autre, dès lors qu'il n'est plus question de penser l'identité comme un sentiment infus, ou quasi intangible dans ses rapports réduits à l'interculturel. Derrière cette conception type de l'identité (stato)nationale, se dissimule en fait le problème, résiduel, de l'ambivalence de l'identité culturelle dans ses particularités environnantes.

Face à ce trait intangible de la culture, le philosophe François Jullien estime qu'« il n'y a pas d'identité culturelle » au sens archaïque du terme47(*) (supposé de ?racine') mais tout au plus des « ressources culturelles » à déployer, en tant qu'elles n'appartiennent à personne dans leur état brut et qu'elles ne se réfèrent à la collectivité que dans l'esprit d'évacuer ces racines. L'avantage qu'il y a à parler ainsi, c'est que les ressources changent ou évoluent, tandis que la racine d'une propriété d'ensemble ne fait que permuter la caractéristique d'une nature première : l'on sait, de manière sûre, que les ressources progressent là où la racine aspire à la mort et au figement.

Le fait est que, pas de racines (spirituelles ou ethniques) authentiques donc au sens de valeurs communément admises, dans la mesure où celles-ci ne reflètent aucunement la chose vécue sur le plan individuel, et laisse penser à un travestissement général de la pensée48(*). De sorte que, aujourd'hui, la tâche la plus ardue sûrement consiste dans la manière de « délocaliser [cette] pensée » ennemie qui gît à même le pays, c'est-à-dire à ce bouillonnement fébrile des nationalistes qui naquît en dedans des frontières. La culture nationale est, selon ce même philosophe, affaire de positionnement (politique) au même titre que semble le suggérer davantage ce concept des « stratégies identitaires »49(*) cher à tout conservatisme. Partant de cette logique, figer la culture revient à envisager - chose non plus possible - « le tarissement des ressources » et des processus naturels et historiques, pour aboutir à une identité morale se complaisant dans le passif.

La question qui peut d'ores et déjà se poser en dehors de tout idéologisme est : peut-on être multinational (dans le cas de l'enfant des deux mondes) au même titre que sujet biculturel au service de la nation (algérienne) ? Ou encore, quelles sont à cet égard les ressources culturelles caractéristiques de l'identité individuelle et personnelle ? Qu'est-ce que l'identité personnelle par rapport à l'identité d'affirmation sociale ?

Pour répondre à ces questions d'ordre théorique, mais non moins dénuées de pragmatisme, nombreux sont les penseurs qui récusent la thèse de l'ethnocentrisme et privilégient une approche décentrée au profit de l'individu auquel ils confèrent une certaine marge d'autonomie :

L'identité se joue non seulement dans la relation entre le présent et le passé du sujet, mais aussi dans la relation entre ce qu'il est au présent et ce qu'il sera ou, plutôt, ce qu'il vise à devenir, ce qu'il projette de lui-même dans un futur plus ou moins défini.50(*)  

De ce fait, l'identité du sujet demeure largement incrustée dans la « culture réelle » et différente, « mais que nous devons nécessairement accommoder » eu égard aux autres qui se rapportent à une catégorie d'affirmation Sui generis et qui lui octroient le statut d'identité d'aspiration, car alors réduite à sa seule composante de base. Cependant, il y a, précisément, processus subjectif d'identification quand l'identification du sujet n'emprunte guère plus davantage la voie de légitimation objective tracée par l'organe collectif assidu. « L'identité, affirme François Jullien, est toujours singulière » du point de vue de la différence minimale (l'identification au père, aux traits de caractère personnels, à la psyché, etc.) propre au sujet, et qui malgré les circonstances qui peuvent les unir, entre individus, n'a rien de commun avec les autres. L'« écart » est ainsi une composante de base de la personnalité individuelle, à travers lequel toute tentative d'identification dans la pluralité culturelle est admise. Si identité collective il y a, elle serait finalement la somme commune de tous ces écarts établissant « la mise en tension de la culture » entre sujets et individus. Il demeure, le risque majeur qui pèse à l'encontre du sujet et qui est probablement cette standardisation de la culture sur les modèles national versus universel : tous deux visant à l'uniformité de l'action culturelle, au durcissement des ressources jusque-là en interaction.

La raison et le rationnel en identité ne sauraient constituer une voie d'affirmation légitime pour l'homme moderne. Il existe, selon Albert Camus, des systèmes paradoxaux où le truisme par vocation des autres crée, à l'évidence, une multitude de mécanismes visant à supplanter la connaissance de soi. Une connaissance certes limitée mais située à une part du subjectivisme conscient chez le sujet :

Mais cela n'est point tant une preuve de l'efficacité de la raison que de la vivacité de ses espoirs. Sur le plan de l'histoire, cette constance de deux attitudes illustre la passion essentielle de l'homme déchiré entre son appel vers l'unité et la vision claire qu'il peut avoir des murs qui l'enserrent.51(*)

L'identité personnelle du sujet, loin d'être une manifestation simple de l'esprit, converge avec la réalité concrète de la personne qui la conçoit, de l'autre qui la reçoit et du groupe qui les désigne. Cette tripartition de l'identité personnelle par un système complexe de perception reçoit l'appellation de « travail identitaire », de ce qu'il est le plus à même de lui dicter ses états de rupture. En effet, « toute forme de dissociation entre l'autoperception, la présentation et la désignation ouvre une crise identitaire » en lieu de la liaison rompue qui fait que le courant ne passe plus entre des éléments du dedans et du dehors (comme cela est fréquent chez le sujet biculturel pris de dédoublement) :

L'autoperception ne se manifeste qu'à la condition d'un dédoublement réflexif amenant le sujet à faire retour sur soi : retour qui opère et signale à la fois une rupture dans l'immédiateté et l'évidence du rapport au monde, symptomatique d'une tension, d'une contradiction, d'une incohérence entre les moments de l'identité.52(*)

Face à un certain nombre de repères privilégiés de la cellule collective (au même titre que l'épuration du sang filial en famille), l'individu, en tant que sujet, conçoit sa présence par rapport à l'autre sur les bases d'une cohérence qu'il a - malgré les idéologies intrinsèques de reproduction - incrustée au sein de lui-même. Ces « paramètres » comme on tend à les appeler, constituent l'essentiel de sa personne et de son être social : paramètres sociodémographiques entre autres (âges, orientations sexuelles, idéaux politiques et spirituels, statuts matrimoniaux ou professionnels...), en fonction desquels on appréhende sa propre valeur paradigmatique. Le sujet vit en fonction de ces paramètres qu'il considère dès lors comme émanant de lui et tient pour être distincts des autres, ceux relatifs à tout un chacun. Ce sont là quelques exemples de marqueurs identitaires sur lesquels se fonde l'identité du sujet propre à lui seul, en tant qu'elle est parallèlement ce qui le distingue des autres et ce qui l'en rapproche (en termes de différence) : de sorte qu'une personne peut avoir déjà acquis au préalable un certain nombre de marqueurs, qu'elle se reconnaît en commun avec quelque autre personne non reconnue, isolée ou éloignée (l'âge, le sexe, la profession, les idées...) ; et d'autres, qui la distinguent simultanément des individus qu'elle a pu côtoyer, s'en prenant à la dimension fondamentale de la personnalité individuelle (les croyances, la psyché, l'humeur, la caractéristique physique et génétique...).

Nous pourrons dire que l'identité, dans ce cas, « est tout à la fois ce qui distingue un individu des autres et ce qui l'assimile à d'autres. »53(*). En d'autres termes, qu'elle dépend de l'usage que l'on fait de ces facteurs, comme d'une catégorisation abstraite de signes :

La pertinence de ces différents paramètres identitaires dépend du contexte dans lequel un individu est amené à se définir. [...] l'importance de ces différentes façons de se définir est donc relative à la situation dans laquelle se pose la question de l'identité individuelle.54(*)

Il demeure que, d'un côté, cette manifestation sporadique de l'identité est entièrement réduite à son caractère mineur, par celle majoritaire et nationale. L'identité individuelle - la plus minoritaire qui soit - est à l'image de ce qui est fortuit et se réclame, pour subsister tout au moins, des pouvoirs de sa contingence : elle est, dans ses rapports à elle-même et à autrui, aujourd'hui instable et joue sur sa signification tant à passer d'un sens à l'autre, d'un regard à l'autre, d'une différence (l'Ipséité55(*)) à l'autre. Si individuelle est l'identité, elle ne peut s'empêcher toutefois de se confronter, voire de se conforter aux dépens de l'être social qu'incarne implicitement l'autre. Là réside sa particularité aporétique, supposée par le truchement de l'individu (acteur) et de la société (spectateur, critique, juge). En outre :

Ce dualisme méconnaît deux réalités fondamentales : d'une part, l'identité n'est pas faite seulement de ce que le sujet perçoit ou présente de lui-même, mais aussi de ce qui lui est renvoyé par autrui (ce que nous nommons le moment de la « désignation » ; d'autre part il existe, chez le sujet lui-même, un clivage entre deux images de soi, l'une tournée vers soi-même (ce que nous nommons le moment de l'« autoperception »), l'autre tournée vers autrui (ce que nous nommons le moment de la « présentation »). Autant dire que l'identité n'est ni unidimensionnelle ni bidimensionnelle, mais bien tridimensionnelle.56(*)

Face à cette ambivalence qui accompagne le sentiment de l'identité personnelle du sujet, Amin Maalouf convoque ainsi cette autre citation de Marc Bloch : « [L]es hommes sont plus les fils de leur temps que de leurs pères. ». L'identité ainsi définie se fonde sur une dichotomie de base : il s'agit pour A. Maalouf de distinguer entre un moment de l'histoire collective (celui-là réparti sur l'axe vertical), caractérisant cette part de l'héritage ancestral et commun auquel tout individu est plus ou moins sommé de se référer (diachroniquement parlant) ; et une conception propre, celle-ci, à la condition immédiate, spontanée, de l'être évoluant (sur l'axe horizontal) au sein de son univers contemporain, tout imprégné qu'il est de ses avancées relatives. Il n'est plus question dès lors de préséance en matière d'identité - l'appartenance collective et religieuse jouant un rôle central dans cet enfermement - mais seulement de pertinence à l'égard de tous ses choix. De même semble-t-il insister sur l'impératif de ces deux héritages à constituer une identité synchronique et dynamique, car elle est avant tout sujette à des processus physiques et spatio-temporels. Il n'est d'ailleurs pas exclu de le voir abonder dans le domaine partiel de la subjectivité plus que dans l'originalité spirituelle à laquelle pend une certaine image de tribalisme extrême :

Toutes ces appartenances n'ont évidemment pas la même importance, en tout cas pas au même moment. Mais aucune n'est totalement insignifiante. Ce sont les éléments constitutifs de la personnalité, on peut presque dire « les gènes de l'âme », à condition de préciser que la plupart ne sont pas innés57(*). Si chacun de ces éléments peut se rencontrer chez un grand nombre d'individus, jamais on ne retrouve la même combinaison chez deux personnes différentes, et c'est justement cela qui fait la richesse de chacun, sa valeur propre, c'est ce qui fait que tout être est singulier et potentiellement irremplaçable.58(*)

Ce principe auquel se réfère A. Maalouf va peu à peu s'implanter au coeur des études postcoloniales. En effet, dans le cas où le sujet est hybride, nous parlerons d'une dynamique existentielle qui est le résultat d'une ambivalence culturelle. Pour l'appréhender, on suppose qu'elle doit suivre le cheminement qui lui est consacré tout naturellement, c'est-à-dire la modernité, et rompre avec les idéaux de son passé. Mais, à mesure qu'elle croit, elle ne peut s'établir définitivement en mettant un terme à la perspective traditionnelle. Chez Karima Berger, elle se manifeste comme une obsession double, sorte de superposition douloureuse de son expérience des deux mondes. Par cela, elle affirme et soutient cette subjectivité qui est un peu la sienne, tout en étant aussi celle des autres.

Or, quête de l'identité ne doit pas signifier uniquement, dans ce cas de figure, quête de modernité... Car dans le cheminement inverse, cela revient à peu près au même. Et que cette dernière, c'est-à-dire la « la quête de la modernité [si elle avait lieu] n'a pas toujours signifié rupture avec les valeurs de la société. »59(*). Si l'on s'accorde ainsi aux dires des philosophes, c'est un processus qui s'insinue dans les deux sens, qui puise autant dans le passé commun que dans le devenir de l'individu, dans le tas que dans l'unité. D'ailleurs, fait important, un roman - tel que le nôtre - n'est jamais que l'expression d'une crise (identitaire), l'identité elle-même étant pure abstraction.

Il y a donc un certain fond commun, un parallèle qui s'établit entre affirmation de soi et appartenance à de plus grands ensembles. Cette jonction vient suppléer en l'occurrence les besoins du terrain en se prévalant d'une certaine neutralité à l'égard de ces acteurs potentiels présumés. Ces deux conceptions de l'identité sont partout à l'oeuvre, que ce soit au sein des sociétés nouvelles ou anciennes. Nous verrons qu'avec L'enfant des deux mondes, une conscience identitaire riche s'y trame d'un bout à l'autre.

En définitive, l'identité personnelle a ceci de différent avec l'identité dite sociale (collective) : elle est davantage appréhendée dans la rupture que dans la poursuite des liens d'origine. En effet, la somme de ces identités complexes repose sur le caractère fonctionnel de l'une (en dépit des rapports extérieurs) et l'exigence matérielle de l'autre (tout ce qui permet à autrui d'identifier un individu sur la base de données préexistantes). Elle est alors synchronique dans le premier cas et diachronique dans l'autre. L'absorption ainsi continue de ces deux aspects/moments de l'identité constitue de ce fait un ensemble de facteurs plus vastes à définir, qui fonde par conséquent l'identité culturelle, à la fois comme représentation subjective de soi (Ipse) et représentation objective de la société (Idem). On passe ainsi impunément d'un processus à l'autre sans pour autant renoncer à la particularité qui les distingue l'une et l'autre. Si, comme on l'a vu la culture ne relève ni du domaine de l'aristocratie, ni de celui plus abstrait de l'idéologie, elle est tout à la fois la matrice originelle de cet accomplissement pluriel en société et de la continuité excentrique propre au sujet dont elle est la synthèse.

RÉSUMÉ :

Depuis la parution du livre Essai sur l'entendement humain de John Locke et la régie des identités chez Aristote, l'identité est appréhendée dans la pluralité de ses rapports subjectifs à la personne humaine. La notion est depuis lors travaillée du point de vue objectif en épistémologie pour aboutir, au tournant des XVIII éme et XIX éme siècles, à une mise en enfermement de l'identité par rapport à tout dualisme inhérent au vécu subjectif de l'homme. L'identité est dès lors posée comme un phénomène mental, irréductible à la seule dimension physique, laquelle est dénuée de consistance face à la mobilité du caractère humain. Identité à sens national craignant le changement et l'évolution de ses rapports avec l'étranger : elle est, davantage dans son ambigüité, associée à une nation, une langue, une race, une ethnie ou à toute autre entité de définition abstraite, visant à l'unité des hommes dans leurs relations mutuelles. L'identité « logique » est celle qui ne rend pas compte de sa variabilité spatio-temporelle, et propose toute une gamme de modèles et de valeurs sur lesquels l'homme prochain doit appréhender son existence. Elle fait face, du reste, à de nombreuses considérations philosophiques en termes de mêmeté, de temporalité, de changement, de pluralité... survenus suite à des processus naturels mais aussi idéologiques (l'exclusion de toute altérité).

Déborder le cadre de cette logique de définition, suppose un autre regard sur la réalité subjective du sujet (qui du reste est polémique : voir la réception qu'en donne Nietzsche à propos du mythe personnel). La relativité du changement de la personne humaine durant son existence, demeure pour ainsi dire le principal écueil pour cerner, intégralement, la relation identitaire et ses interférences multiples. Ce qui lui confère, dès suite de Paul Ricoeur, un caractère de nos jours encore suffisamment abstrait : identification à soi-même, en partie dans l'Idem, mais aussi dans l'Ipse, qui fait que, l'identité d'un sujet confrontée à diverses épreuves temporelles équivaut à la même. Cette structure est dite permanente car elle est continue. Non pas qu'elle soit figée ou réifiée en elle, chose d'autant absurde que la visée ontologique dont se réclame l'identité nationale, mais (voir la métaphore du bâtiment60(*) chez Locke) qu'elle est porteuse, en quelque endroit de son évolution, d'une conscience figurative de soi. De même que l'identité-narration prouve cette particularité, de même le sujet conçoit en ses propres termes le rapport de son évolution.

Ainsi posée sur le terrain de la logique, l'identité est intimement liée à la pensée du devenir humain (dans son immuabilité et son intelligibilité platoniciennes61(*)), plutôt qu'à l'ensemble des processus subjectifs, susceptibles de corrompre cette union et de restituer à l'homme moderne sa véritable diversité naturelle. C'est en ce sens que naît une philosophie de l'être et une philosophie du devenir, réunies par Jean-Paul Sartre dans L'Être et le Néant. Le projet d'ensemble est en soi similaire à cette grande entreprise morale, là où elle trouve écho dans l'oeuvre générale de Kant. C'est, finalement, souscrire à une concession idéale de l'identité, tant individuelle (sur le plan affectif) que collective (sur le plan essentiel).

*

Le tableau ci-dessous est une représentation générale des propriétés spécifiques de chaque type d'identité abordées en corps de texte, dans le premier chapitre. Il est à vocation illustrative.

Identité personnelle

Identité sociale

Identité d'aspiration

Identité prescrite

Fonction interne

Fonction externe

Relation affective

Liens substantiels

Aspect dynamique

Aspect immuable

Spécificité concrète

Spécificité virtuelle

Opinion subjective

Opinion objective

Propriété expansive

Propriété rétroactive

État d'excentricité

Principe de circumduction

Situation irrégulière

Situation régulière

Forme hétéroclite

Apparence conforme

Irréductibilité

Référentialisation

À posteriori

À-priori

Eccéité

Orthodoxie

Descendante

Ascendante

Transversale

Linéaire

Synchronique

Diachronique

Res privatae

Habitus

Sui generis

Ad populum

Singulière

Plurielle

Ipse

Idem

(c) Tableau récapitulatif

? CHAPITRE DEUXIÈME : Sur la question nationale en Algérie62(*).

Mon Algérie à moi, c'est donc toute cette histoire et toute cette géographie, certes mouvementées, certes chamboulées mais avec cette permanence fabuleuse, cet ancrage dans le terroir et dans le territoire, toujours ouverts aux autres, aux vents et aux ressacs. À la vie vraie, quoi !

Rachid Boudjedra.

Les notions d'identité exhibées tout en haut, dans le chapitre un, reflètent à coup sûr l'imperméabilité de l'immensité du champ théorique dans lequel ont été précipitées, sinon prises au dépourvu, des réalités complexes mais non moins consistantes et qui - de par leur platitude théorique - nécessitent une contextualisation générale, compte tenu de l'ambigüité caractéristique de la situation culturelle en Algérie. Ce dont témoigne, par exemple, l'apparition de liens extravagants et amphibologiques dans le domaine de la société : il en va ainsi de l'identité et des valeurs ancestrales au temps de la modernité, comme au temps déjà lointain de la colonisation.

Abordée de surcroît sous cet angle-là de la domination plutôt que sous celui de la socialisation, la culture (et son désir de conformisme) semble réellement être le véritable enjeu - quitte à entraver les liens sociaux et garrotter le génie de l'individu - du maintient indéfectible du ressort communautaire, ainsi que le support central de toute identification en Algérie. Mais, s'il peut être dit par moment que l'identité soit de nature mouvante et diversifiée, la culture, elle, d'emblée représentée à l'échelle de la nation, paraît tout particulièrement figée dans ses rapports à la mémoire qui tendent à subsumer autant la personne humaine que la dure réalité de l'histoire. Or, dans ce cheminement d'idées-là, on puit s'apercevoir nettement que la résultante de ces deux composantes influe vers la réalisation d'une identité culturelle à part, n'eu égard aux exigences du terrain.

Seulement, cette mystification catégorique des identités ne tardera pas à percevoir, elle aussi, ses limites dans un monde fulgurant qui donne à voir d'incessants bouleversements : d'abord parce qu'on ne se définit guère plus que par une série de préventions futures (abstraction faite du présent et du passé) - le devenir qui, à l'instar des investissements économiques, étant désormais plus préoccupant - ; ensuite, par la somme de tous les changements survenus au niveau des structures sociétales anciennes. En effet, pour citer Stewart Hall, l'« l'identité culturelle est une question de « devenir » aussi bien que d' «être». »63(*). À cela s'ajoute la primauté de l'identité-sujet sur les valeurs héritées de la société. Néanmoins, dans le cas de l'Algérie comme dans celui de beaucoup d'autres pays, ce rapport ambigu à la modernité s'accompagne d'un regain d'affection pour le passé, et, le sujet, tout en excluant ses rapports avec l'étranger, contribue à façonner de la même manière son destin d'ancien colonisé et d'assumer, in petto, tout en la reproduisant dans son affirmation à venir, la suprématie dont s'est accommodé à juste titre l'ancien colonisateur. À la lueur de ces efforts investis dans la problématique sociale et identitaire, il semblerait que, face à l'écroulement de ce passé, le futur lui-même soit plus ou moins compromis. À cela, à cette « prise de conscience » qui s'accroche, il y a une raison. C'est qu'en effet :

Dans une société à transformations lentes, l'acteur se définissait par son appartenance à des collectivités et par ses rôles sociaux. [...] Dans une société à transformations rapides, [...] où l'héritage social perd de plus en plus des son importance, dans une société définie par son avenir plus que par son passé, par son changement plus que par ses règles, l'identité sociale perd de plus en plus de son contenu.64(*)

Un sérieux problème idéologique et politique résulte dès lors de cette conception de l'identité faite de rémanences et de dénis (la constitution d'une « identité frauduleuse » menant à une « culture de musée », c'est-à-dire, précisément, à cet « éloge suranné d'une authenticité biaisée. »65(*) qui engagent un positionnement ambigu, sitôt qu'elle est coincée entre des orientations pour le moins arbitraires. L'identité ainsi admise dans le contexte sociopolitique algérien entraîne, nécessairement, de nombreux problèmes relatifs à la conjoncture historique précédente. L'enjeu de ce chapitre étant de corroborer ces liens existants entre identité culturelle et relation mémorielle, il s'agira pour nous de voir à quelles manifestations près de l'identité donne lieu ce présent amalgame, et, partant, de retranscrire ces données sur la base des considérations formulées dans le premier chapitre, soit aux deux principes de figement (stato-nationalité) ou de métamorphose (contractualité).

Aussi, sommés d'interagir avec ces catégories d'ordre théorique, nous sommes ainsi dans la nécessité d'établir une approche politico-historique du fait (post)colonial dans toute sa durée relative, comprise sur le terrain de l'affirmation de l'identité nationale. Il sera question plus précisément d'établir une relation conséquente entre un état de pur conditionnement pratique (d'aspect colonial) et la formulation de ces identités dites « de désenchantement » ou postcoloniales. Pour ce faire, nous nous appuyons principalement sur l'apport des théories postcoloniales admises depuis Fanon, Sartre, Bhabha, Glissant ou Balandier.

1. L'héritage colonial :

L'histoire de l'Algérie coloniale et son idéologie ont joué un rôle suffisamment essentiel dans la problématique de l'identité, appréhendée désormais dans son cadre étroit et national. Pour peu qu'elle soit nationale, l'identité relève toujours de l'histoire et de l'ensemble de ses processus sous-jacents. En effet, la culture n'est jamais qu'une continuité subordonnée d'éléments propres à la mémoire (collective), comme à ses désaccords dûs à la complexité des rapports entre colonisé et colonisateur : identité par conséquent à sens unique qui fonde la domination du système colonial sur fond de réalisme ethnocentrique et racial. Or, l'on assiste particulièrement depuis les engagements de l'indépendance, à une inversion exacerbée des rapports de force entre l' « ici » et l' « ailleurs », en matière d'identification. Peu à peu s'est donc construite, des deux côtés, une représentation univoque de l'identité pour les ?Musulmans' comme pour les Européens d'Algérie encastrés dans une forme nouvelle de communautarisme. Dès lors, il est évident que l'identité soit relativement liée, dans ses rapports antérieurs, aux évolutions intrinsèques de l'histoire et demeure inséparable, dans ce cas, de la colonisation française.

Afin de suppléer davantage les manquements de l'histoire coloniale en Algérie, des penseurs des deux rives de la Méditerranée élaborent un programme de consistance visant à consolider la mémoire66(*) (plutôt la juste-mémoire67(*)) qui doit accompagner, d'une manière certaine, le travail des identités ainsi déterminé : c'est-à-dire dans ses rapports multiples à la culture des uns et des autres. Évoquer les espaces culturels de l'Algérie en temps normal, c'est donc convoquer « les différentes rencontres, les métissages divers, les jeux hybrides, les violences coloniales. »68(*) que renferment des pans mémoriels de l'histoire des relations transculturelles. De même qu'il y a, à l'opposé, une sorte de « rapport névrotique » entretenu par différentes contradictions au sein des discours politique et social, donnant sur une altérité non consentie et/ou biaisée. Les seuls liens qui valent encore aujourd'hui sont ceux qui résultent de l'opposition de deux mémoires, voire de deux Histoires qui n'étaient pas tout à fait sans accrocs :

La mémoire est porteuse des marques d'une identité traversée par les contradictions multiples et les différents jeux culturels charriant la nation caractérisée par la présence de plusieurs césures et fractures historiques.69(*)

En vrai, la relation à la colonie demeure suffisamment ambigüe dans l'esprit des Algériens qui revendiquent leur pleine appartenance à la nation moderne70(*) (sur le chemin de la renaissance) et à l'héritage musulman persistant sur le modèle de l'« épuration ethnique ». Cette dernière vient contrecarrer en l'occurrence la somme conséquente de tous les changements survenus par le biais du colonisateur, que par l'inversion des rapports de force qu'il engage dès l'abord de l'indépendance, soit à partir des modèles « imposés » par une « modernité opérant sous les figures de la pensée et de l'action coloniales. »71(*). L'usage de ces figures renversées témoigne ainsi d'un long passé calamiteux qui, seul, demeure figé dans les esprits retranchés et les imaginaires bordés de la postérité acquise à la pensée nationale. C'est dans ce sens que la modernité, envisagée dans le contexte de la globalisation, est accréditée d'une certaine forme de renouvellement idéologique de la pensée coloniale, à ce jour déniée sous couvert de radicalisme. Que ce soit du côté individuel ou collectif, les deux composantes de l'identité - la mémoire plus que la culture - sont toutes deux ruées dans un traditionalisme vulgaire (car il n'a plus de sens) et déroutant (c'est-à-dire reconduit sur le terrain de l'action proprement dite)72(*). De là, une foule conséquente d'événements éveillent la perplexité de l'enfant et, chemin faisant, viennent remettre en cause l'authenticité de ses origines :

Grâce à la medersa l'enfant avait acquis les bases culturelles indispensables de son éducation : Qassaman, la Fatiha et la Chahada. Mais pour elle, ce n'étaient que lettres et paroles, emblèmes inintelligibles de son origine. Lorsque devant la famille réunie, elle était conviée à exhiber ces signes d'appartenance, fièrement et d'une voix claire, elle commençait sa récitation légèrement troublée par ce qui lui semblait être un mensonge. Mais le léger vertige que provoquait en elle l'apparente maîtrise d'une langue étrangère, la sienne, était plus fort et semblait l'abuser elle-même. L'honneur de ses parents accusés parfois d'être trop « modernes » était sauf. (K. Berger, 1998, pp. 33-34)

Si la mémoire semble tenir un rôle majoritairement important, la question de l'altérité qui façonne encore aujourd'hui les projections idéologiques des deux côtés, porte en son sein les séquelles négatives d'une histoire avortée, sinon illégitime, de ce qu'elle intente à la communauté nationale un procès de reconnaissance, relativement compris comme une proposition hétéroculturelle. Ainsi, l'emploi de l'oxymore « étrangère ? sienne », loin de référer seulement à la nature équivoque des deux cultures, semble évoquer la dimension exclusive du travestissement accompli sur son être à part. Pour preuve, le discours colonial passe pour être entièrement recouvré quand, par ailleurs, son degré de correspondance au sein de la culture réelle est nul ou inexistant. L'adoption de ce nouveau discours, on l'aura compris, de par son changement radical, est tout aussi vain et préjudiciable que naguère « L'adoption des structures de la colonisation condamnait les formes autochtones à une tragique disparition. »73(*). Comme on le verra, il n'y a donc pas un mais deux discours qui reflètent à la fois ce rapport de force exercé, par les autorités indépendantes, sur le reste de la population : en effet, pour supplanter la présence tenace de l'Autre, il faut d'abord se substituer à soi. Ce cas-ci est déterminé dans les études postcoloniales sous deux figures paradoxales : une politique du néocolonial (relations transnationales) et une politique « anti-nationale »74(*) (relations infranationales). Les deux sont représentées dans l'extrait suivant :

En quelques jours, Médéa se métamorphosa en une ville étrangère, ce n'était plus cette fois le « Vive le FLN » écrit en français, depuis longtemps déjà familier au regard, mais une autre écriture, une autre langue, comme s'il s'agissait déjà d'un autre pays, habité par un autre peuple, souverain dans son expression. (K. Berger, 1998, p. 29.)

Le peuple en question, si l'on admet cette touche d'ironie, est loin d'être « souverain de son expression » ; bien au contraire, il la subit presque involontairement. Aussi bien, pour reprendre une célèbre phrase d'André Malraux, « L'individu s'oppose à la collectivité, mais il s'en nourrit. Et l'important est bien moins de savoir à quoi il s'oppose que ce dont il se nourrit. »75(*). En effet, ce subtil recours à la mémoire collective (l'Histoire, la religion ... qui ne sont pas des libertés mais des sortes de gages) contribue à façonner, pour ainsi dire, l'imaginaire de l'individu qui s'en imprègne volontiers dans les forts moments de crise. L'appui et/ou l'identification à la collectivité reste pour lui le seul moyen apte à délimiter son rapport à l'espace et aux maintes idéologies représentatives. De même la mémoire, par endroit, préfigure-t-elle l'origine - n'était-ce qu'ambigüe - de l'appartenance, de même elle participe en réalité d'une dialectique représentative des deux côtés. Dans cette perspective :

Le discours colonial est encore foncièrement vivant, il traverse les contrées de l'imaginaire social en Algérie et en France. Ni le colonisé ni le colonisateur ne peuvent sortir indemnes de la tragédie coloniale.76(*) 

En dérogeant à la règle et aux exigences du terrain, Bhabha affirme que la question de l'identification n'est donc jamais l'affirmation d'une identité pré-donnée (celle-ci pouvant s'exercer à contre-courant d'une autre) : « Il s'agit toujours de la production d'une image d'identité [le rêve, suivant Fanon, de l'inversion des rôles colonisé/colonisateur] et de la transformation du sujet par le fait qu'il assume cette image. »77(*) nouvellement instituée en lui. Aussi est-il illusoire de penser que l'on peut accéder, présentement dans l'état où nous sommes, à un ordre dans lequel le sujet moderne tenterait de rompre avec certaines déterminations socio-historiques. Suivant cette optique, Xavier Yacono ne pense pas si bien conclure en affirmant que « le repli ne pouvait être total » et qu'« un pays ne se débarrasse pas de son histoire, fût-elle coloniale. »78(*).

Que ce soit dans la foisonnante production littéraire algérienne ou au sein de domaines relatifs à la vie quotidienne, l'histoire de l'Algérie coloniale demeure un chapitre encore nos clos dans la quête mémorielle des hommes d'aujourd'hui, sans doute à la recherche de cette part sacrificielle de leur identité prohibée. C'est en tout cas dans cette mesure que vont naître et proliférer, suivant les préceptes socialistes et les enseignements figés de l'école, des courants de la tendance rigoriste dans une Algérie indépendante et nationaliste : ainsi, le surgissement « légitime » de cet abandon volontiers dans l'oubli caractérise-t-il, dans une atmosphère macabre et ludique, l'un des impératifs essentiels du déni instauré :

Il y a à l'ouest d'Alger, à saint Eugène-Bologhine, un cimetière chrétien laissé à l'abandon. Parfois un visiteur vient encore de loin, de France, se recueillir, prier, déposer quelques fleurs ou rameaux d'olivier sur les tombes désolées, gagnées par une végétation abondante et anarchique, heureuse présence du vivant parmi les morts. (K. Berger, 1998, p. 117.)

Cet extrait, loin de n'être qu'une expression simple empreinte de nostalgie, dévoile en fait l'idée selon laquelle « l'anarchie de l'après-indépendance ne pouvait pas permettre la mise en ouvre d'un discours culturel cohérent, autonome. »79(*). Ainsi, devant l'empressement de définir à nouveau les contours exacts de la culture, tout, dans le discours idéologique, semble privilégier un certain rapport au passé (de tradition), comme pour mieux éluder les contraintes de l'histoire et du présent : partant de cette idée que toute relation identitaire est plus ou moins marquée par les structures latentes de la colonisation, le devenir des rapports culturels de la nation est constamment rivé sur les jeux mémoriels, de sorte que le sujet semble s'accommoder à son tour de réalités historiques comme de faits banals. Ces « postures mémorielles » comme on tend à les appeler, sont les seules qui, une fois puisées dans l'intransigeance des rapports passés, prêtent inconsciemment à la sauvegarde de l' «ordre» établi, soit à la reconduction mythique des aspects de la colonisation, et à l'oubli (la rupture avec le présent, « un temps de crise »80(*), est synonyme de désillusion et de désenchantement), à cette forme de « distraction », de détachement apathique - ceux-ci presque par nature - promenés sur les décombres tout autour et, attestée à même le regard de l'enfant :

Pourtant, ces lieux ne sont qu'en apparence désertés, quelques présences - funestes - les envahissent parfois ainsi qu'ils le feraient de terrains de jeux, en y abandonnant les traces de leurs forfaits et les signes de leurs divertissements : corps déterrés, ossements mêlés, crânes pourvus encore de leur chevelure sont désignés comme autant d'objets de distraction, ballons de football, épées ou lances selon l'inspiration macabre qui vient à ces enfants, trompant leur ennui avec ces joyeuses horreurs que l'esprit de représailles posthumes n'habite même pas. (K. Berger, 1998, p. 117.)

2. L'après-guerre :

L'enfant des deux mondes est la représentation d'un avant et d'un après identiques. Ainsi, au sortir de la guerre de libération, l'Algérie est un pays qui demeure foncièrement ancré dans la tradition populaire et ancestrale. Les fondements, de fait, correspondent aux principes d'une structure ordinaire patriarcale (l'unité morale et sentimentale ; l'attachement au passé et à tout ce qu'il représentait ; le recours passionné aux us de la tradition ; bref, la résistance aux influences de dissolution81(*)). À la fois comme chant intarissable et « Éternel retour82(*) » du temps cyclique, l'extrait ci-dessous est particulièrement significatif de cette réalité qui s'y organise à la veille de l'indépendance :

La fièvre s'était emparée de la ville, des femmes mobilisées pour coudre en hâte drapeaux et fanions à arborer le grand jour, des mères à l'approche du retour de leurs fils, des enfants découvrant fièrement et au grand jour leur appartenance nationale, [...] On sortait les armes de leurs caches, [...] Du fond de leurs maquis, les hommes avaient mandaté leurs mères pour qu'à leur retour les attendent de fraîches jeunes filles, claires de peau et de noble souche. (K. Berger, 1998, pp. 29-30.)

Mais, faisant fi de cet héritage colonial persistant, les « nouveaux maîtres » ne tardent pas à percevoir la nécessité de nouvelles formes concrètes de représentation. Ainsi, face à l'émergence d'une conscience nationale fondamentalement radicale, l'élément fondateur du syncrétisme culturel demeure son attachement ambigu à l'expérience du colonisateur et sa pratique, à la fois comme une tentative de dépassement et une volonté politique inouïe de modernisation. À travers le récit que dresse l'enfant, on y décèle, davantage encore en termes de complémentarité, le refoulement que subissent les deux catégories ainsi proscrites, à savoir les Algériens francisées et les Français d'Algérie :

Ne vivaient-ils [les professeurs Pieds-noirs] pas le même retournement, ces jeunes Français nés dans une France coloniale et qui soudain devaient aller travailler dans cet ancien département français, non plus en maîtres mais en « coopérants techniques », belle formule qui ne parvenait pas à épuiser le souvenir de la gloire passée ni à ensevelir les traces de cette liaison que beaucoup de leurs compatriotes trouvaient coupable ? (K. Berger, 1998, p. 41.)

En l'occurrence aussi, le parcours de l'enfant, jusque là fait de rencontres et d'acquis, tend à s'accomplir sur les bases d'une nouvelle orientation précaire, faite de « filiations dangereuses83(*) » et de lignages surdéterminés, résultat du travestissement d'une situation présente, au profit de déterminations à venir rivées sur un long passé de mélancolie.

La revanche aurait été plus terrible, sans doute plus sauvage même que ce cauchemar de cette première année à Alger, cet an I de l'indépendance empreint de frayeurs, initiant l'enfant à sa nouvelle filiation. (K. Berger, 1998, p. 47.)

Or, fait marquant, devant l'exclusion de l'un de ces deux mondes, l'enfant qui jadis se considérait dans sa particule algérienne (bien que faisant partie de la minorité des francisés) se rend compte qu'elle vient d'être amputée subitement d'une part d'elle-même, avant d'être accréditée ensuite, dans son univers pétri d'étrangeté, de formes nouvelles - car surgies dans le tard - et exclusives... Signe, peut-être, d'une culture en plein désaccord : d'abord avec elle-même, sinon principalement avec autrui84(*). Dans la séquence à suive, on retrouve le thème de l'errance dans l'Alger (ville fantôme) fait de « frayeurs » et de dérélictions. De la même façon, l'enfant assiste impuissante à la métamorphose d'une ville « Fermée, où la ligne de démarcation entre les deux mondes avait été élevée tel un rempart infranchissable contre toute intrusion de l'étranger. » (K. Berger, 1998, p. 47.). À ce retournement brusque (le recouvrement d'une mythologie nationale ancestrale dès « l'an I de l'indépendance »), nous pouvons établir un parallèle avec les déclarations de Fanon (L'An V de la révolution algérienne85(*)) qui résonnent, par conséquent, comme une véritable mise en garde à l'endroit de cette mémoire meurtrie et toujours en proie à des régénérations sises au bord de l'effondrement. En effet, pour lui, assurément :

Le nationalisme n'était qu'une condition de la lutte de libération qu'il fallait dépasser86(*), et qu'un parti national avait toute chance de se transformer, comme il l'écrivait, en « dictature tribale ».87(*)

Dès lors, l'écrivain ne se sent plus impliqué dans un « nous » collectif ; il exprime son propre « je » et porte au monde ses idées, sa vocation et son être particuliers... Signe d'une modernité intellectuelle engagée : « écrire dans la modernité c'est rejeter un modèle autoritaire et un discours d'allégeance au pouvoir politique en place. »88(*). Ce « je » attentif, à la pronominalisation complexe (parfois anonyme, souvent indéterminé), est appréhendé au sein de notre corpus à la troisième personne du singulier, soit par l'entremise d'un narrateur omniscient (traditionnel) que, par un pacte de lecture et eu égard à quelques formules narratives (analepses et prolepses des pages 8, 32, 102 ...) nous tenons disposé dans la figure féminine de l'enfant. Dans ce cas, c'est également « se donner une prise sur sa propre identité. »89(*) qui n'est pas celle du discours officiel de l'après-indépendance.

Compte tenu de ces fragments précités, on perçoit d'emblée le positionnement hétéroclite de l'auteure, sujet existant à part entière, munie d'une écriture complexe face à des orientations alambiquées (frôlant le registre de l'interculturalité). Partant de cette logique d'ambivalence, nous nous trouvons devant une situation ambigüe - car prise dans la dualité du discours - qui transmet la réalité d'un univers symbolique et indique la présence d'un genre parcellaire, de même qu'elle fonde la non-pertinence de la notion d'identité en littérature : « N'y a-t-il pas un certain nombre d'auteurs qui souhaitent précisément prendre des distances avec ces prétendues identifications, ethniques ou autres, et qui cherchent à tendre vers l'universel... ? »90(*).

2.1. La quête mémorielle : vers une issue salvatrice.

Longtemps durant, on a pu opposer à la vision de Kateb Yacine (le rappel à une Algérie « multinationale ») le fantasme d'une terre unifiée de par son passé et ses hommes. Rêve sans trop de grandeur cependant car influencé par les idéologies de la mouvance nationaliste. La littérature dite moderne des années 1970 et plus, s'affirme alors essentiellement dans « l'opposition au régime en place. »91(*). Il ne s'agit plus dès lors de prendre part à la vaste campagne de décolonisation que de pointer du doigt les « nouveaux maîtres qui s'installent à Alger. » (K. Berger, 1998, p. 35.). En effet, un brusque changement s'opère qui fait qu'on ne s'intéresse guère plus au colonisateur qu'aux effets charriés par lui sur ces derniers. De là à considérer ses rapports substantiels à une Algérie caractérisée plus par son goût de l'oppression que par l'étanchéité de ses rêves empreints de chauvinisme : une problématique qui ne relève guère plus de l'opposition binaire colonisé/colonisateur, mais de la confrontation de ces cultures et idéologies dans l'espace national fortifié, et donc se rapportant aussitôt à l'ensemble de ces manoeuvres qui font que, irréversiblement, l'identité se confond avec la seule « mémoire militante » (V. supra : chap. 1, p. 20). De ce fait, notre roman s'inscrit tout entier dans cette tendance de la « désillusion », initiée par Dib aux abords de l'indépendance92(*).

Cependant, le désenchantement en question n'est pas tout à fait exempt de pouvoir face aux circonstances qui l'ont vu naître et apparaît alors comme la condition Sine qua none de la destitution d'un ordre de vie ancien, cher à la particule dirigeante, par celui de la colonisation-globalisation (l'Impérialisme fanonien), ou bien selon les mots de Max Weber « la destruction d'une harmonie séculaire. ». Outre la dimension sociale que prend ce propos, le désenchantement y figure ici de manière beaucoup plus individuelle, c'est-à-dire défini plutôt comme « un sentiment qui intervient dans l'histoire personnelle d'un individu lorsque celui-ci prend conscience du décalage qui existe entre la réalité et sa représentation idéalisée. »93(*). Autrement dit, dans l'ordre relatif aux différents processus de travestissement de l'Histoire, tant individuelle que collective. En ce sens, le seul dénominateur commun entre individu et société demeure la mémoire.

En effet, dans le cas de Karima Berger (écrivaine exilée), nous retrouvons son obsession pour ce thème de la mémoire confisquée qu'elle reprend aussitôt sous des allures subversives, car voyant dans l'Algérie de la post-indépendance une « Révolution détournée »94(*) : en particulier vis-à-vis de son être dont elle puise l'essentiel, et qui s'avère d'un militantisme autre en raison de son hybridité multiculturelle (proche du cosmopolitisme). Aussi bien pour contrer le vice d'une nature morte, le narrateur incarne-t-il la mémoire vivante (l'Agua Viva, cet être fluide aux apparences profondes, chap. XIII) des origines, objet de véritables incantations à l'endroit de l'Histoire qu'elle purifie ainsi de ses élans personnels et protecteurs.

C'est donc tout naturellement que survient cette image d'« eau vive », un beau jour incrustée dans l'imaginaire fluctuant de l'enfant en quête de repères désormais inexistants, imposant la figure de cet être vivant et fugace, évoluant - de par sa nature fugitive - dans un univers d'intermittence passagère voire discontinu. Vive, créature invétérée, enfouie dans les profondeurs des espaces maritimes, à l'image de l'enfant fouinant dans les replis de sa mémoire et guettant d'un état à l'autre la bande éphémère de sa jeunesse, nous paraît-il, incarne dans sa nature vulgaire (autant que salutaire), l'être « insaisissable au corps morcelé. »95(*), figure rompue et disloquée :

À chacun de ses voyages, là-bas, la jeune femme presque mûre mais encore fouineuse, animée d'une curiosité insatiable, cherchait toujours dans l'armoire maternelle, mais cherchait quoi ? Revivre l'intimité profonde que figurait l'antre sombre du meuble, retrouver ce temps où elle était dedans. Entre les piles de draps, entre les jours des voiles et dentelles, parmi les tresses de lavande, entre les transparences des flacons à parfums : là, sa mère recelait les reliques de ses maternités passées : dents de lait, mèches de cheveux, prépuces asséchés, et de sa fille, la jeune femme presque mûre, sa Soura, fragment d'ombilic. (K. Berger, 1998, pp, 123-124.)

Cette quête de soi, dès son retour en Algérie, son berceau d'origine, se révèle impossible. Dans son désir absolu de renouer avec les siens, l'ardeur de communier de sa chair avec la voix de cette île coupée du monde et de ses fils, elle s'ingénie à percer à bon coup l'étoffe rigide qui la porte : en vain cette « Chair asséchée » tente-t-elle de remonter vers la source qu'elle n'en trouve pas. Soit qu'elle fût altérée, ou renvoyée par quelque mésaventure, soit qu'elle n'a jamais existé envers elle. Pensive, elle demeure à cet égard « privée de son eau nourricière », et l'enfant assiste médusée à la dépravation de sa mémoire, pensant qu'un pays, qu'une patrie c'est avant tout le reflet et le produit de ses enfants, abrupts et divertis qu'ils sont, et non plus cette poignée d'êtres démesurément façonnés en une image sainte (à l'opposé des « mécréants ») tels qu'on les fait :

Chair asséchée par le temps, privée de son eau nourricière : laquelle ? Comment savoir qui en était la source, le corps de l'enfant ou celui de la mère ? « Les incrédules n'ont-ils pas vu que les cieux et la terre formaient une masse compacte ? Nous les avons ensuite séparés. » (K. Berger, 1998, p. 123.)

À la lumière de ce texte, nous croyons déceler à présent un des aspects figuratifs essentiels de l'« Agua viva », celle d'une Algérie natale et sourcière, vaste étendue féerique faite de rencontres et d'affluences, imposant et gros corps maternel, terre d'ablution où coulent les flots éternels96(*). Cette parabole des temps anciens, jointe à la parole sacrée de Dieu : « Et nous avons créé à partir de l'eau, toute chose vivante. » (K. Berger, 1998, p. 123.), imprime l'idée d'une originalité préséante, voire légitime et vivante. S'en rapportant à l'image de sa mère, l'enfant, « jeune femme presque mûre » en quête de reconnaissance, en perçoit donc la nécessité d'une telle démarche et poursuit son inspection jusque dans les recoins les plus éloignés de sa mémoire, en se projetant sans cesse vers le reflet imputrescible de cet être doublement symétrique, car seule en mesure de l'absoudre des préjugés que l'Histoire lui intente. Le don de la mère, ce fragment d'ombilic dont elle s'empare à présent est comme transposé tout entier dans la chair meurtrie de l'enfant. La pureté rituelle de ce geste (sa portée spirituelle pour l'auteure) émerge, à la surface houleuse de cette mer qui la tient en des élans saccadés, pareillement à une preuve éclatante de certitude (les reliques, gages de son historicité authentique) dans un océan de brume et de désespoir.

L'« Agua viva » nous incite par ailleurs à plonger dans cet univers de la mémoire fait de vie et de mort (vie de simplicité, de partage, vie spirituelle), en quête d'un état de légitimité provisoire, de ruines charnelles chéries par le bruissement de l'être authentique. Pétri dans cette forme de liberté qu'on ne reconnaît nulle part ailleurs qu'au sein de collines ondoyantes, saturées de mouvements de reflux, elle s'élance vers cet univers flottant où les deux rives s'entremêlent pareilles au cheminement de l'être hybride (mi-terrestre, mi-aquatique) :

Elle voulut un jour retrouver ses anciennes camarades d'école pour dérouler ensemble leur commune mémoire, elle espérait en secret découvrir ce que fut pour elles leur enfance algérienne, lire comme en un miroir offert, un partage où viendraient danser les reflets de leurs origines croisées. (K. Berger, 1998, p. 69.)

Cependant, dans son désir de témoigner à nouveau de tout son être sublime, dans cet authentique hymne à la mémoire ou ce qu'elle appelle modestement sa « quête de légitimité » (idem, p. 116.), l'enfant se surprend en train de « chuchoter des mots d'un autre âge », sans plus de vigueur car désormais il ne reste plus aucune trace consistante de ce qu'elle fût ou de ce que furent ses autres semblables sur cette terre :

Elle savait pourtant ce partage inégal. Elle savait que le miroir ne renverrait que de brèves et fugitives étincelles, des éclats brouillés, imparfaits... (K. Berger, 1998, p. 69.)

Comme le concède ce dernier extrait, toutes les sources authentiques sont inaccessibles à ses yeux et, de cela, toutes les chairs qui s'y désaltèrent périssent à présent de ce fluide retourné, à l'image de ce don inconsolable de l'enfant « retenant dans les plis de son velours une Agua viva, morte : morceau de son propre cordon ombilical conservé jusque-là par sa mère. » (K. Berger, 1998, p. 123.). L'enfant, de par les événements contraignants qui ont marqué son passé, sera confronté à la dureté de la réalité présente, aux retournements brusques et aux revirements de l'espace97(*) immédiat. Aussi bien, aux diasporas modernes qu'à tous ceux qui ne sont pas l'incarnation près du sacré (l'arabe et le coran pour seules références), « la ville arabe98(*), ce continent noir leur résistait, impénétrable et interdit. » (K. Berger, 1998, p. 70.). C'est le cas de la plupart des villes de la circonscription de l'enfant, à l'instar de Médéa qui, autrefois fierté de ses habitants, est désormais devenue « Médéa la conformiste, vouant à l'insigne religieux un culte sans mesure, [...] conjurant au moyen de corps rendus glabres, la moindre trace de l'impur ou de corruption des humeurs, des sueurs et des souillures,[...] Médéa esclave... » (K. Berger, 1998, p. 87.). De ce fait, c'est le concept d'« impureté » qui sert de catalyseur à la mémoire sollicitée en nous suggérant d'emblée « l'agilité de cet être aquatique et, partant, la difficulté de saisir son essence. »99(*).

À la pureté du corps lumineux (idem, p. 87.), à la salubrité de son lignage (obsession de cette nouvelle Algérie), l'auteure oppose la véracité émotionnelle « des coeurs purs » (idem, p. 113.) qui y échappe à la dévotion feinte de cette fratrie dissimulant à coup sûr « sa soumission, ce murmure incessant de patenôtres qui se dégageait de son corps, la nimbant dans un voile de chasteté qu'elle entretenait dévotement en ne se vêtant que de couleurs clairs, elle [qui] lui inspirait du dégoût. » (K. Berger, 1998, p. 96.). L'enfant, plus que jamais résolue à garder sa mémoire intacte, décide d'inverser à son tour l'ordre initial des choses : nous assistons au revirement d'une situation de départ (l'impureté) par une situation d'arrivée (l'exil), puis inversement de subvertir cet ordre en situation de départ (l'exil) par rapport à une situation d'arrivée (la pureté). L'une est nécessaire à l'autre, dans la mesure où le recouvrement de la mémoire, de la vraie mémoire, n'a d'autres issues favorables que le soin que fait naître en elle l'exil. L'enfant, en identifiant l'exil à la mort, c'est en effet à la pureté de l'âme sur le corps (de tout temps abdiqué) qu'elle aspire. De là l'idée que partir c'était en quelque sorte mourir, mais dans la dignité profonde de l'être conscient de soi et de sa misère. En effet :

Depuis, l'enfant savait que partir était un premier deuil, une façon de se purifier. [...] Cette dernière destination surtout déchaînait l'émotion des coeurs purs. [...] résisterait-elle au périple en ces terres inconnues, à la chaleur, la foule, au trouble qui étreint le fidèle [...]. Au moindre signe de fatigue, de lassitude, [...] la mort s'annonce, à genoux, figure de la délivrance, veillant sur la venue de l'Heure pour un être en état de plus que pureté. (K. Berger, 1998, pp. 113-114.)

La structuration du roman à l'image d'un long monologue, véritable « Mémoire de l'absent »100(*), insiste sur la façon dont l'auteure active la fonction individuelle et procède à la prospection des deux espaces temporellement disjoints : « Le coeur en liesse, elle écoutait, observait, goûtait, sentait les parfums d'une terre qu'elle cherchait à reconnaître dans la trame d'une mémoire rompue ou de celle d'un rêve nocturne ne livrant qu'au fil du jour les fragments de sa composition. » (K. Berger, 1998, p.125.). Le travail de l'écriture se fonde alors sur cette nature « voyageuse » car passeuse « d'une rive à l'autre, d'un monde à l'autre, dans un sens, dans l'autre, sans cesse. » (idem, p. 125). En effet, L'enfant des deux mondes, dans une trajectoire analogue à L'aventure ambigüe de C. H. Kane, met en scène une situation où se joint le déchirement inconsolable entre la société traditionnelle (arabe) et les valeurs héritées de l'occident (françaises). D'où le profond remaniement engendré par les deux extrêmes antithétiques, avec, toutefois, une inversion des rôles (les valeurs de la modernité étant une partie indispensable et vitale pour plusieurs générations d'Algériens).

En dépit donc de trancher une situation par une autre, à défaut de vouloir tronquer quelques éléments de son existence par d'autres, l'exil, et, dans une large mesure la mort, constituent autant de possibilités pour le dénouement (en partie, dans le cas où la cohésion de l'oeuvre succombe au tragique de la vie101(*)) de cette mésaventure : aussi bien, l'Agua viva, ce morceau de chair ombilicale mi-morte mi-vivante, vient-il maintenant la hanter dans ses nuits et, comme une « présence » maléfique et dérangeante, anéantie de part et d'autre et parsemée de ruines, lui inspire le geste définitif et salutaire :

Jusqu'au printemps, où lors d'une promenade près du Pont-Neuf, épuisée par ces longues nuits de rêves moites, le fleuve fut une délivrance. D'une incroyable liesse ce matin-là, il semblait l'inviter à incarner la destinée du pâle vestige. Le soir même, elle revint, sur le Pont-Neuf et d'un geste sûr et sans équivoque, elle le précipita dans les flots soyeux. (K. Berger, 1998, p. 125.)

Ce présage à la nature première, ce voeu du retour transposé peu à peu dans la qualité funeste de l'objet (devenu insignifiant), une fois projeté par-dessus le pont et parvenu au contact de l'eau, est-il aussi à prendre comme un gage de renaissance et de pureté. C'est alors seulement que l'objectif principal de l'enfant semble réellement atteint, celui de concilier à la fois le corps et l'âme que lui prête à nouveau sa destinée. Tout cela n'eut pu être possible sans la volonté introspective du narrateur qui se glisse spontanément dans l'univers de l'enfant et, pour davantage de considérations, nous rend ce témoignage dans un récit où « L'exploration de la mémoire [au prix d'un grand effort personnel] déjoue les falsifications de l'Histoire et les prétentions unificatrices des discours d'identité. »102(*).

3. L'étrange[r] aux sources du renouveau :

L'enfant des deux mondes retrace déjà dans sa première partie, celle d'avant l'exil, un monde enchanté et gracieux qui se déroule au rythme de la nature et des rencontres qui s'y pressent. Les sorties et les promenades, les jeux divers aussi bien que les voyages qu'elle entreprend avec sa famille (de parents tous deux instruits à la culture française), semblent donc l'initier d'abord à la culture de l'Autre et du Divers103(*). À ce rythme-là, en effet, « les eaux [...] jaillissent [encore] de leur source ... » (K. Berger, 1998, p. 12.). L'enfant du reste se complait dans son univers moderne, fait d'imaginaire et de réel, et ne tarde pas à s'enticher pour les figures livresques qui l'enceignent :

« Je vois ... les eaux qui jaillissent de leur source ... les branches des arbres qui dansent comme des pénitents, les feuilles qui battent comme des ménestrels », était-ce la lecture de Roumi en ce Generalife de Grenade qui instaura définitivement en elle la vision de l'oranger... [...] Le pommier [...] Arbre trop abstrait, juste découvert dans les livres français de lecture ... [...] Comme celles de cette collection de livres de Heidi... [...] Heidi n'était pas un nom français, c'était un nom singulier, énigmatique et il l'attirait parce qu'il était étranger. (K. Berger, 1998, pp. 12-13.)

Mais, si l'Autre constitue pour l'enfant une source certaine d'attraction, il est aussi le point de rupture avec le monde traditionnel - ce vers quoi il tend et s'oppose - et annonce la séparation d'avec son milieu natal. Deux étapes sont également constitutives de ce parcours : la rencontre avec l'Autre, et la redécouverte de ses origines propres.

L'univers original de l'enfant qui doit transfigurer en contrepartie celui des livres : « elle le connaissait ce pays par l'entremise de ses livres magiques. » (K. Berger, 1998, p. 121.), nous permet de voir en outre l'influence mystique exercée sur elle de part et d'autres des deux communautés. Ainsi, aux dires de sa grand-mère, seule l'enfant irait au paradis et quiconque n'est pas musulman, sous couvert d'impureté, y perd son doit de cité, à l'instar de ses nombreuses camardes d'école. Et elle alors de protester contre ce distinguo, cette révélation xénophobe de la grand-mère, plus peut-être par humanisme que par naïveté : « Un paradis, dit-elle, qu'est ce que cela peut bien être... ? Un immense jardin où les animaux sauvages vivent en harmonie avec les hommes, un royaume habité par des fées, un monde où il n'y a pas d'hiver, où les parents réparés sont réunis... » (K. Berger, 1998, p. 17.). Contrairement au monde rêvé et fantasmé par l'enfant, on retrouve, entassés dans l'esprit des siens, un grand nombre de clichés confectionnés en douce puis révélés au fur et à mesure que l'histoire évolue104(*). À travers donc ce discours porté sur l'Autre (le roman est un va-et-vient entre les mondes traditionnel [pur] et moderne [impur]), l'enfant voit en elle surgir un idéal de beauté autre auquel elle aspire et participe de par sa nature ambigüe, seule au contact de l'Autre, de son intimité qui l'incitent à cette prise de conscience en orientant sa vision du monde et l'image qu'elle s'en fait d'elle-même :

On aurait pu inventer une histoire où le paradis n'existait pas pour tous ou était différent pour les croyants de chaque religions, ou autre chose encore sans les exclure du paradis, comment un paradis pouvait-il être xénophobe ? Le paradis musulman était-il alors un vrai paradis ? (K. Berger, 1998, p. 18.)

En ce sens, en effet, « on pourrait être à la fois Français[e] et musulman[e] à part entière »105(*), là où, pour elle, les cultures ne s'entrechoquent pas, ni ne se guettent au détour de l'Histoire. L'identité ainsi définie, repose entièrement sur les visions d'altérité qui la mesurent et la fondent, car jouant de surcroît un rôle essentiel dans la détermination de soi. « Marquant la frontière de la société, l'étranger, tel que le conçoit J.-M. Moura, renvoie à la vérité de celle-ci, à ce qu'elle exclut et donc à ce qu'elle tient pour fondamentalement sien. »106(*).

Cette expérience nouvelle, profondément ancrée dans l'imaginaire de l'enfant, a son lot de renouveau au sein même de ces deux communautés rivales ; car, ne pouvant exclure ni l'une ni l'autre, elle endure tout simplement le fruit de cette complicité qui est le propre de l'identité commune et sociale. C'est cette révélation faite par la grand-mère, « la tempête qu'elle venait de semer dans l'esprit de l'enfant » (K. Berger, 1998, p. 17.), qui chamboule un moment sa vision du monde et crée en elle les conditions (durant lesquelles l'identité subit des changements notoires) propices à l'apparition d'un entre-deux, à un parallèle de ce qu'est déjà et sera précisément l'enfant, c'est-à-dire une personne qui, tout en étant imbue de son enseignement bilingue, de ses cultures supposées être ?inconciliables', affirme être à la charnière d'un monde multiple et conciliable :

De son côté, l'enfant, plus tard, en France, lorsqu'elle découvrit le mode railleur des caricatures de pieds-noirs, des moqueries évoquant leur accent, leur cuisine, leurs manières, curieusement elle ressentait une brûlure secrète comme si l'on se moquait de ses frères, de son peuple, des siens. (K. Berger, 1998, p. 102.)  

Une question semble particulièrement découler de ce texte : comment être soi, entièrement soi, en misant simultanément sur les deux bords sans plus jamais risquer l'exclusion ? En effet, l'altérité et l'identité sont, d'un point de vue philosophique, deux notions antithétiques et contradictoires, de ce que l'une suppose ce qui n'est pas soi, c'est-à-dire ce qui est différent en étant soi ; et l'autre, ce qui n'est qu'intérieurement soi et engendre de ce fait l'étrangeté de l'autre. Tout simplement parce qu'il n'y a pas d'« étrange » à proprement parler, l'étrangeté étant de ce fait la valeur partagée, celle-ci s'exclut d'elle-même, au profit d'une diversité « légale » et reconnue. En ce sens, B. Chikhi parle de conciliation comme de médiation entre les deux mondes :

Comment résorber le conflit sinon par une action de médiation. Établir des traits d'union entre les différents noms, les différents statuts, concilier les deux bords, que de part et d'autres, les sociétés exclusives voulaient contradictoires. Restaurer107(*) une espèce de continuité de complémentarité entre deux cultures, deux religions, deux peuples, deux civilisations.108(*)

De ce fait, la rencontre des langues109(*), d'abord riche pour l'enfant (français, arabe, tamazight...), aux dires de Charles Bonn, se fait « désirante »110(*). Même (et notamment) après l'exil, l'éloignement auquel elle aura tant espéré se retourne en une fracture affective et morale, lui désignant la dimension réelle et composite de son être : « Son voyage dans le monde de l'Autre [...] se présente paradoxalement comme un retour aux sources, aux racines à travers une double réexploration de son Moi et de sa Culture. »111(*).

Karima Berger, par les attributs que l'on sait, nous rappelle encore une fois à l'ordre en réinventant cette notion de l'étranger qui demeure, à bien des égards, recluse dans son passé colonial. Celle-ci s'affaire davantage dans la description et la sauvegarde d'une tragédie non plus passée qu'à venir. C'est ainsi que le roman (par l'intermédiaire et la démarche subversive de l'enfant, figure moderne de l'antihéros) pourrait à lui seul culminer dans la teneur d'une seule phrase, fort significative à son sens : « ... tout ce qui avait une consonance étrangère n'était pas forcément français... » (K. Berger, 1998, p. 111.).

3.1. L'effet boumerang :

Les événements tragiques liés à la conquête puis à la guerre d'Algérie, s'ils se réclament volontiers d'une mémoire de l'oubli, continuent à susciter dans l'esprit des Algériens enclins au pathos, la quête vertigineuse de leur Soi inaltéré. De ce fait, le passé colonial est toujours en marche, et, comme on l'aura vu, ces dispositions ainsi formulées rejoignent d'autres pour s'instituer en un espace administrativement clos, là où, de surcroît, « l'évocation de l'étranger n'est souvent qu'une ruse du nationalisme. »112(*). Plus tard, ces éléments constitueront de nouveau les assises d'un mouvement islamiste radical, qui n'est pas sans puiser dans la rigidité des lois patriarcales :

Oui, montrer aux siens qu'on tient à distance cet étranger, le garder anonyme, inanimé, sans esquisser le moindre mouvement d'approche ni de curiosité envers lui. Sans risques pour son honneur ni pour les bénéfices de l'inépuisable dette. (K. Berger, 1998, p. 109.)

Les notions de ?pureté' et d'?impureté' relevées un peu plus haut, fonctionnent à elles seules comme autant de gages à l'endroit de cette communauté d'origine filiale113(*). En effet, toutes les sources qui mènent à la souillure du culte et à l'étrangeté des origines - dussent-elles être établies de façon authentique - sont de ce fait rejetées, quitte à nier « la double référence qui entache leur origine » (K. Berger, 1998, p. 108.). Les mêmes attributs raciales ou ethniques constituent donc la norme référentielle par excellence du sujet mu par l'imaginaire sociétal de l'après-indépendance, et définissent sa personnalité de base :

Donner à sa communauté des gages de pureté raciale, religieuse, de refus du mélange, d'exclusion de celui qui n'est pas dans la communauté... (K. Berger, 1998, p. 109.)

Pourtant, à ce niveau, le rejet n'est pas entièrement accompli, et, cependant que « L'Islam comme la tradition tribale montrent, en actes, leur incapacité à fournir l'identité tant recherchée. »114(*), l'intérêt est de nouveau porté sur l'Autre, et l'exil, cette nébuleuse de l'être infinie, parvient de ce fait à achever « l'écho chimérique de la pureté. » (K. Berger, idem). C'est la raison pour laquelle l'enfant se découvre « nomade »115(*) dans son cheminement individuel alors même qu'elle fait parti d'un groupe de « sédentaires ». Le voyage en question ouvre dans l'univers du héros une brèche insoupçonnée, « un espace indéterminé [...] lui permettant non seulement de découvrir un ailleurs étranger, mais aussi de s'explorer soi-même. »116(*). « L'Autre est notre propre nuit » dira-t-on. Si le narrateur s'en rapproche petit à petit de l'univers romanesque de Malek Haddad, nous y voyons là un signe de réconciliation et non de rupture (l'exil aidant), en voie de rétablir l'innocence et la pureté des deux mondes.

Aussi, nous assistons maintenant à une trajectoire inversée : la position de l'autre jadis tout endiguée, demeure, à contrario, et d'un air quasiment naturel, présente à l'esprit de ceux qui imposent de tout temps l'oubli comme condition plus que nécessaire à la formation d'une ?conscience nationale' et devient élément central, exceptionnel d'une quête de la modernité confisquée. D'autant qu'elle suggère à sa manière, et par la force des choses, c'est-à-dire dans le droit fil de la désillusion, la présence inéluctable et tant recherchée de l'Autre :

Ironie de l'histoire, mais plusieurs années après l'indépendance retrouvée, comme en un miroir du temps la France hante à présent le rêve des Algériens. (K. Berger, 1998, p. 104.)

L'Autre et, de ce fait l'étranger, apparaissent donc comme des figures réinvesties et entièrement nouvelles, de par leur passé historique approuvé : « Une belle centaine d'années de vie presque commune... », de coexistence et de confrontation dans les champs de la recherche même et sans quoi le processus de modernisation n'en est que plus éprouvé. Partant de cette logique dualisante qu'on est plus à même d'accéder à la vérité en accédant à autrui, les liens se retournent et convergent vers un ultime but de reconnaissance :

Là-bas, de l'autre côté de la Méditerranée, la production intellectuelle sur la période coloniale, pourtant prolifique, n'a ni épuisé le sujet ni même soulevé le coin du voile de ce qu'est en vérité une histoire coloniale, redoutable machine à aimer et haïr en même temps, où la violence du maître ne parvient pas à étouffer la tendresse pour ses sujets, ni effacer la rencontre entre les mondes, fût-elle traversée de fureurs. (K. Berger, 1998, p. 105.)

En exigeant le départ forcené de l'Autre (les pieds-noirs, mais aussi et dans une moindre mesure, les élites autochtones francisées), l'Algérien d'aujourd'hui (de plus tard) se voit opérer, malgré lui, un retour inopiné à l'Autre, figure à la fois « mécréante » et conciliante. Là réside l'effet boomerang117(*), le retournement brusque de la situation et la réversibilité du geste envers l'Autre, qui jadis était considéré comme « incapable d'entrer dans l'Histoire, vivant dans un univers se cadavérisant par une profonde inhumanité et une extrême atemporalité. »118(*). En ce sens, nous pouvons citer les nombreux acquis dont fait état malgré soi la nouvelle nation (et notamment dans le domaine pédagogique, voir la seconde partie). Cependant, conte tenu du repli identitaire et idéologique permanent119(*), l'exil, dans son cheminement inverse vers « l'ennemi » d'hier, reste l'exemple le plus pertinent et le plus apte à retrouver des éléments de la culture jugés peu probables par les détenteurs zélés du discours anticolonial :

La France a été d'abord ce pays fait pour jouir de ce qu'elle peut leur offrir, jouir de ses richesses, de ses grands magasins, de sa démocratie, de ses papiers, de ses nouvelles identités françaises que l'on peut se procurer sans honte ni remords, du splendide anonymat que ce pays permet, de la liberté prodigieuse à en donner le vertige ; dévoiler sa femme, boire des bières aux terrasses des cafés, dévisager le corps dénudé des jeunes filles, se sentir libre comme jamais. (K. Berger, 1998, p. 107.)

Pour des écrivains de la tradition (issus de l'espace maghrébin), la quête d'une modernité favorable se situe donc irréversiblement du côté de l'étranger, non plus perçu comme figure menaçante d'aliénation que comme « une bouée de sauvetage [dotée d'un potentiel immense] à laquelle [on] doit s'accrocher afin d'échapper à la domination des siens si attachés aux habitudes qu'ils ont héritées de leurs ancêtres ou qu'ils ont parfois forgées eux-mêmes. »120(*). Sur le plan de l'écriture du reste, on assiste à l'intégration des codes divers par les écrivains de la « double-culture »121(*) qui favorisent, par rapport de concomitance, l'implantation de leurs écrits dans les deux univers indiqués.

En effet, devant « l'émergence d'une riche gamme de références culturelles, de quelque horizon ou héritage qu'elles proviennent... », le texte littéraire recouvre de sa vigueur et baigne dans l'abondance de ses nouveaux repères. De tels choix sont à la fois porteurs d'une modernité de pensée inouïe, que de nouveautés à part et d'originalité textuelles. La marque de l'altérité y est particulièrement investie, qui revêt une fonction fort symbolique, celle qui encense le rêve individuel et mène à l'illumination du sujet. À ce stade, la rencontre y est plus affirmée, et les auteurs nouvellement annoncés « se rejoignent pour refuser radicalement toute généalogie univoque. ». Ils conçoivent la ?maghrébinité' comme « une résultante de convergences culturelles diversifiées et ouvrent des brèches décisives dans « le Grand Code » occidental - langue, mythes, référents culturels, formes génériques - pour y engouffrer des éléments du (des) code(s) originel(s). »122(*).

PARTIE DEUXIÈME : Les processus de l'hybride en l'oeuvre

« Car si j'essaie de saisir ce moi dont je m'assure, si j'essaie de le définir et de le résumer, il n'est plus qu'une eau qui coule entre mes doigts. Je puis dessiner un à un tous les visages qu'il sait prendre, tous ceux aussi qu'on lui a donnés, cette éducation, cette origine, cette ardeur ou ces silences, cette grandeur ou cette bassesse. Mais on n'additionne pas des visages. Ce coeur même qui est le mien me restera à jamais indéfinissable. Entre la certitude que j'ai de mon existence et le contenu que j'essaie de donner à cette assurance, le fossé ne sera jamais comblé. Pour toujours, je serai étranger à moi-même. »

Albert Camus

? Quelques repères :

1. La vie de l'auteure :

Karima Berger est née à Ténès, en Algérie, durant les prémices de la guerre de libération. Fille de harki, elle rallie aussitôt l'école française de Médéa123(*) où elle reçoit, dès son plus jeune âge, une instruction de base qui l'accompagnera durant tout son parcours intime et professionnel. Peu après, elle découvre les mystères de l'enseignement religieux à la médersa, qui ne sera pas sans l'affecter durablement dans ses liens spirituels et affectifs. Elle est vouée, dès le départ, à une vie débordante de cultures et de sens, faisant la richesse et la rigidité de ses écrits. Prise entre ces deux mondes que sont les cultures Européenne et musulmane, elle reflète ainsi, à travers sa personne, toute une génération d'algériens (assimilés) au parcours imprévisible et stable. Ce paradoxe étant celui qui l'anime, toute son écriture en reçoit le sceau de la dualité dont elle est imprégnée.

Après les longs événements de la décennie 1970 caractérisée par la montée décisive des nationalismes, l'instauration du régime socialiste, la politique de l'arabe et son ancrage institutionnel124(*), le recul des libertés individuelles ou encore l'obstruction des voies libérales d'affirmation pour les minorités locales, Karima met un terme à ses études supérieures engagées à l'université d'Alger. La masse de ces revirements (changements brusques) énoncés par les autorités publiques, constituent, pour ainsi dire, le principal point de rupture à l'égard de sa personnalité profonde125(*). Ainsi, dans le but d'éluder toutes ces contraintes, est-elle sommée de répondre à l'exil depuis lors grandissant.

Elle poursuit, depuis l'année 1975, sa formation académique en France où elle prépare un doctorat de sciences politiques sur le thème du nationalisme, sorte de préambule à ses oeuvres littéraires en gestation. Dans une interview accordée à la revue Algérie : Littérature / Action et dirigée par Christiane Chaulet-Achour, elle concède, en juin 1998, son intérêt pour le dualisme culturel sous-jacent à la question de l'identité. À partir de ce moment, elle dispose d'un riche panorama littéraire édité à l'étranger126(*).

L'Ailleurs est de ce fait fort représentatif de la vie de l'auteure : « Pour moi, dira-t-elle, cet accueil de l'étranger, c'est le socle pour bâtir une histoire, un langage, un récit. C'est un vrai travail de culture qui nous attend... » dans un monde arpenté par d'étranges « rumeurs désertiques » (K. Berger, 1998, p. 125.).

2. Aperçu de ses oeuvres :

Le parcours professionnel de Karima Berger est relativement dense et varié. Après plusieurs publications universitaires, elle s'oriente vers l'écriture littéraire et publie plusieurs romans, suivant la thématique du dédoublement identitaire chère à son être personnel. Son oeuvre, façonnée désormais à son image propre, est porteuse de séquelles corrélatives aux racines profondes et aux travestissements de l'Histoire127(*). En ce sens, nous pouvons citer quelques unes de ses oeuvres principales éparpillées sur les nombreux domaines de la prose : romans, essais, recueils de nouvelles...

? L'enfant des deux mondes (1998) : Ce premier roman est fondamental pour l'expérience scripturale de l'auteure. Roman à vocation autobiographique qui relate l'enseignement et la vie de l'enfant (sujet) dans une Algérie réticente face à son héritage (post)colonial. L'écriture de cette oeuvre emprunte davantage la voie réaliste de témoignage. Elle s'apparente d'emblée au récit d'enfance parcouru, en premier lieu, par la présence effective du colon et de sa culture, face à la figure retranchée de l'indigène. À travers ce témoignage, l'enfant entend rétablir quelques traits de culture ambivalents caractérisant sa condition propre : la présence simultanée de deux cultures antithétiques au sein de la même personne. Ayant soulevé un point essentiel vis-à-vis de la mémoire collective, ce roman est couronné, dès suite de sa parution, par un commentaire de Mohammed Dib.

? La chair et le rôdeur (2002) : C'est un roman pleinement investi dans la problématique sociale et identitaire resurgissant après bien des années de mutilation réciproque. L'identité ainsi révélée dans sa mixité, sa différence, ses ruptures en même temps que ses liens tissés avec l'autre demeure constamment au centre de la réflexion. Le rapport de la femme musulmane à la culture étrangère est également exploité dans ce qui constitue, dans l'exil de Karima, une sorte de continuité relative et conséquente. L'auteure, aussi bien, peint avec force détails la réalité sordide d'un pays meurtri, de par son extrémisme virulent qui établit le conflit et la guerre.

? Éclats d'islam : Chroniques d'un itinéraire spirituel (2009) : sont autant de chroniques qui trouvent écho dans les grands événements de ce siècle passé. Cette oeuvre reflète véritablement la charge de tous ces contresens survenus aux confluents des mondes Traditionnel et Moderne. Profondément ancrées dans la culture humaniste, ces chroniques sont élaborées sous le signe avantageux de l'ouverture à l'autre et à sa culture. Par ailleurs, elles mettent en exergue la situation de l'islam vécu dans son exil et sa renaissance : « l'islam naît dans l'exil », dira-t-elle, comme aux temps prophétiques de l'hégire. La pensée de Karima Berger, empreinte de dualisme, se retrouve particulièrement illustrée dans cet ouvrage, où elle se livre à une déconstruction paradigmatique des concepts hérités sous le signe d'une dichotomie désuète : Occident/Orient - islam/laïcité - femme/sujet ... Éclats d'islam, se ressaisissent donc d'une pensée jadis d'actualité en Algérie, comprise dans le sens de l'élucidation de la mémoire historique et collective. En dehors de toute idéologie, elles augurent une série de ruptures remarquables dans le domaine de la pensée.

? Mektouba (2016) : est son quatrième roman, sorte de parabole réaliste sur son Algérie natale. La quête de l'identité y figure particulièrement dans cet écrit comme un inextricable lien qui s'affirme en elle, de plus en plus éloigné entre la « destiné », la bâtisse originelle, et ses fils exilés. Une partie du livre est consacrée à cette réalité pressante de l'héritage colonial obstrué par les nouveaux tenants de l'extrémisme. Ce livre est l'expression d'un repentir (d'un démenti ?) à l'endroit de la mémoire sacrée.

Par souci de concision, nous n'allons pas nous étendre sur l'ensemble de l'oeuvre de Karima Berger, d'autant qu'elle est l'expression d'un choeur en parfaite harmonie, c'est-à-dire mise au service d'une thématique largement investie. Tâchons de révéler néanmoins les autres titres, publiés respectivement comme suit : Filiations dangereuses (2007) ; Rouge sang vierge (2010) ; Les attentives (2014) ; Cinq éloges de la rencontre (2015).

3. Le corpus :

Son oeuvre que voici (L'enfant des deux mondes, éd. L'aube, 1998) sera très appréciée par la critique et recommandée par Mohammed Dib. Elle relate l'étreignant parcours d'une enfant vouée à une vie de sacrifice, étrangère à mi-chemin entre une culture imposée, captivante (occidentale) et une autre indispensable mais stérile (musulmane), confectionnée dans la marge des événements tragiques que connut le pays.

Ce témoignage d'une double culture franco-algérienne, à la fois « pudique » et saisissant, rend compte de tout l'enseignement inculqué à l'enfant paire qui, en vérité, n'était ni l'un ni l'autre. Se voulant également une réflexion sur le fait religieux, elle n'hésite pas à rompre le lien avec l'imaginaire imperméable professé avec tant de foi et de haine envers « l'autre ».

Le roman est aussi un parcours dans le temps et l'action, suivant la frise chronologique des événements d'avant et d'après la guerre : d'une page à l'autre, le lecteur se sent transporté vers une vérité tant recherchée - si ce n'est délivrer un bout d'histoire vécu par le concerné - jetant l'ancre sur les thèmes les plus frappants de l'histoire algérienne : l'assimilation, le dédoublement identitaire, la double répression, les manoeuvres des hauts tenants, la confusion des langues, l'hégémonie du culte, bref, les stigmates d'une tranche de la société ...

En outre, l'écriture de Karima Berger, quoique située aux limites de l'inclination postmoderniste caractérisant son époque128(*), s'inscrit tout entière dans la tradition réaliste introduite par les premiers romanciers algériens (ceux de la deuxième génération tout au moins). Son oeuvre prolifique est la structuration d'une profonde quête de l'identité altérée par les signes du dédoublement des cultures spirituelle et matérielle. Sa pensée, empreinte de dualisme, recouvre un large pan occulté de l'histoire de l'Algérie française, comme elle semble promener, du reste, un profond regard sur le renouveau de l'Algérie des temps modernes.

? CHAPITRE PREMIER : La dimension poétique.

Les formes imprévisibles que prennent les romans francophones contemporains naissent de cette rencontre entre une inquiétude identitaire profonde - et souvent douloureuse - et un genre littéraire nomade qui absorbe cette inquiétude, la fait circuler comme une sève et s'épanouit grâce à elle, en de multiples fleurs.

Charles Bonn.

Compte tenu des analyses qui ont précédé, nous avons pu voir se constituer plus haut des identités relativement opposées, sous des catégorisations variées et nombreuses. Telles que nous les avons disposées, il en ressort que les unes font appel à des entités nationales, alors que d'autres se réclament d'un héritage vaste en passe d'y inclure la dimension transnationale. Cette dernière regroupe tous les phénomènes hybrides des milieux socioculturels, tels que les métissages ou les brassages ethniques. L'identité ainsi établie, c'est-à-dire en rapport à une pluralité complexe, tient lieu de référence aux procédés d'écriture entamés sur la base de ces cinq dernières décennies. À sa manière, le texte littéraire reflète de ce fait le long débat qui a caractérisé ces identités et tend à lui infliger à son tour une marque durable, celle précisément d'un récit en proie à toutes les transgressions et subversions possibles. L'identité double est celle qui confère au texte les marques de l'incohérence et de l'hybride. Ainsi, les uns exaltent l'abondance ou la liberté des ressources tandis que d'autres clament plutôt l'incertitude ou l'état d'hésitation dans lequel ils gisent. De telles avancées sont plus apparentes sur le volet narratif, dans la mesure où le récit peine à mettre en place un dispositif capable de réunir et de raccommoder la somme de ces identités fuyantes129(*).

La situation historique (la colonisation, la décolonisation ou l'émigration entre autres) semble y contribuer à son tour à la formation de paradoxes forts concurrents, à mesure qu'elle procède sur le terrain de l'individualisme et perpétue le « choc » des cultures moderne et ancestrale. Les écrivains issus de ces espaces de la colonisation participent de cette logique hybride, en inscrivant leurs écrits dans une posture de l'entre-deux propre aux sujets postcoloniaux. En effet, muni de tendances culturelles confondues et d'éléments composites, leur héritage commun semble sous-tendre, en matière d'écrit également, leurs déambulations et leurs errances poétiques. Dans cette partie du travail, il sera question de voir en quoi le roman désigné, L'enfant des deux mondes, est-il lui aussi une représentation métissée de la vie de l'auteure et dans quelle mesure peut-il participer de l'esthétique hybride.

1. L'hybridation générique :

L'hybride désigne dans son acception la plus large, tout fait qui va dans le sens de l'extravagance, ou procède de l'anomalie à l'égard d'un individu. À l'hybridation culturelle d'un auteur s'ensuit celle générique de son oeuvre : Le roman est le genre le plus accueillant, le plus malléable et le plus susceptible de représenter, de part sa structure, la réalité complexe du sujet hybride. L'impureté du genre tient de ce fait à la transgression des normes génériques imposées (par l'occident) par l'assimilation de nombre d'éléments hétérogènes peu respectueux des conventions prosaïques établies130(*). Ce phénomène, d'abord existant depuis la période antique, s'est accru avec l'émergence des littératures francophones, et notamment avec la vague des écrits postcoloniaux. Ces auteurs nés dans les périphéries, leurs écrits s'en éloignent de beaucoup de ceux de la métropole131(*). Les codes récupérés sont ainsi investis dans l'imaginaire local pour signifier, sous d'autres cieux, d'autres réalités132(*). À telle enseigne que le texte devient le lieu d'affrontements incessants entre un substrat traditionnel (à l'instar des littératures religieuses : chants liturgiques, poésie mystique, etc.) et la modélisation théorique héritée des « Grands Codes » occidentaux. En fait, devant une telle conception inédite (et disproportionnée) de l'identité, « l'hybridation est devenu un dispositif qui sert à dévoiler l'identité plurielle de l'auteur qui reconnaît ainsi sa propre altérité. »133(*).

L'hybridité apparaît donc au lendemain des indépendances comme une nécessité esthétique devant transposer la réalité extrême de l'être face à son identité et, chemin faisant, remettre en question les critères de catégorisation imposés de part et d'autres des deux rives. En ce sens, nous pouvons dire qu'elle participe d'une « stratégie postcoloniale » du moment qu'elle vise à supplanter les interdits et aspire à disposer librement de son être (l'Habeas corpus) et de sa personnalité profonde. Tout texte récuse lui aussi, dans la position de son auteur, les tentatives de balisage qu'on lui assigne, car tant qu'il est le prolongement d'une manière d'être spécifique, d'une identité complexe, il demeure plus particulièrement ouvert à d'autres propositions. En effet, «... l'identité est désormais conçue comme un récit complexe, en perpétuelle évolution. »134(*). Cette identité, en plus d'y être transposée dans les écrits comme telle, influe sur l'ordre et l'organisation des récits. La question de la pureté des origines occupe de ce fait une place imposante au sein de notre corpus, non plus comme vaine affirmation substantielle, mais plutôt comme le donne à lire Cheniki, en tant que rejet des formes généalogiques adoptées par les institutions en place :

Dans un monde fait de métissages et de marques hybrides [...], dans un contexte traversé par les rumeurs identitaires, les aléas historiques, les atavismes culturels et rituels, les incidences schizophréniques dues aux différentes invasions coloniales, les locuteurs nourris de diverses instances mais prisonniers de discours relevant du mythe et d'attitudes passéistes, produisent une instabilité discursive et se mettent en quête d'identités illusoires, la langue et l'école constituant les deux éléments-clé de toute discussion.135(*)

Cependant, il reste encore à élucider l'obscurité sémantique étalée du côté de cette notion. L'hybride est à prendre, étymologiquement parlant, non au sens premier que lui confère l'univers ou le monde biologique, dans le croisement ou le métissage de deux espèces différentes, mais dans l'acte même de démembrement qui résulte d'une telle opération. Il y a donc rupture des liens de sang, et la relation devient clairement inauthentique, impure. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'hybridation survient uniquement au terme d'une longue déchirure, et la croyance à un métissage accompli serait alors toute vaine et prétentieuse. Une chose est sûre et qui révèle l'anxiété du sujet, c'est qu'il n'y a pas de « fusion ni de symbiose, mais une négociation souvent âpre et douloureuse. »136(*). En effet, comme l'indiques son titre, l'idée principale qu'il nous inspire et que nous retrouvons avant tout dans L'enfant des deux mondes est celle d'un dialogue forcé et insoutenable entre deux extrêmes vitaux, excessifs, renvoyant chacun à l'image de deux mondes imbriqués à priori mais qui sont finalement fort inconciliables :

Ce rêve de la rencontre, de l'assimilation, caressé dès l'origine comme une promesse, s'était à présent évanoui. (K. Berger, 1998, p. 65.) [...] elle qui cherchait toujours à comparer, faire correspondre les deux mondes, à traduire, intense travail de tous les instants, d'une langue à une autre, d'un signe à un autre, dans un sens, dans l'autre, sans cesse. (Idem, pp. 81-82.).

L'hybride, loin donc de constituer un univers d'harmonie et de métissage (de sang-mêlé) comme dans sa particule latine, est cependant « à l'image d'un dialogue fait de tensions, de contradictions et parfois [seulement] de points de rencontre. »137(*). C'est la raison pour laquelle il se situerait plutôt du côté de la « bâtardise ». Aussi est-il besoin de distinguer ce mot ?hybride' (français) de son homologue (anglais) ?hybrid', qui lui n'a pas d'équivalent propre en dehors de l'intégration et ne saurait, pour ainsi dire, relever de l'ordre de l'« hybris » grec, c'est-à-dire de celui de l'excès, du viol, du choc ou de la profanation.

C'est aussi en raison de cette profanation que l'enfant éprouve une certaine contrariété vis-à-vis de sa personnalité intime, et au regard de tous les malaises ou imbroglios que lui inspire sa filiation d'origine. Mais s'il est vrai que devant une telle indécision le sujet hybride est amené à se morfondre, l'enfant, elle, se met en devoir de chercher à concilier son héritage amer et discordant, dut-il être au prix d'un « perpétuel mouvement de balance », d'un pesant va-et-vient qui inaugure « une culture de type syncrétique paradoxale »138(*). En ce sens, nous relevons plusieurs états de transgressions qui s'acheminent sur des amalgames d'ordre logique et formel. D'ailleurs, « elle ne résistait pas au jeu de faire correspondre l'un et l'autre texte et de jouer au miroir des prophètes. » (K. Berger, 1998, p. 56.). C'est ainsi qu'elle s'adonne au transfert des valeurs qu'elle juge commode d'un signe à l'autre, au risque d'un éventuel blasphème, et procède au rapprochement quasi naturel de Corpus réputés être à la lisière de l'entendement (la Bible et le Coran). En effet, le collationnement de deux catégories de textes opposées, le texte coranique « pur » et le texte biblique « altéré », signe le positionnement hybride du sujet et brise l'unité corporelle du texte :

Notre Père / Au nom d'Allah, Notre Père qui êtes aux cieux / Seigneur des Mondes Que to nom soit sanctifié / Le Tout miséricorde Que vienne ton règne / c'est Toi que nous adorons, Donne-nous notre pain quotidien / Toi dont nous implorons l'aide ... Amen / Amîîîîîne. (K. Berger, 1998, p. 56.)

« Elle avait une conscience claire de son imposture mais ne se sentait point coupable. » (K. Berger, 1998, p. 28.). Ainsi, on aura vu se manifester tout au long de ces textes plusieurs formes narratives différentes. Certaines d'entre elles s'enfilent tour à tour et ponctuent par conséquent tout le récit. Nous parlerons alors d'un roman « polymorphe », dans la mesure où il admet dans sa structure interne des éléments représentatifs d'autres genres. En effet, l'exemple précédent nous met en présence d'un texte qui altère à la fois narration (voix du narrateur) et antiennes (Voix de Dieu). De telles combinaisons (p. 93.) ne vont pas sans rappeler l'exemple des structures narratives traditionnelles (poésie d'appellation publique et contes hagiographiques139(*)). D'autres voix sont également constitutives de ce texte comme celle du Cheik (p. 116.), du prophète proférant la parole de Dieu (pp. 13, 53, 54, 56, 123.) et de ses dévots (pp. 14, 17, 19, 57, 58, 83, 84, 85, 93, 101.), ou encore de ses livres (pp. 12, 13, 15, 26, 46, 48.). Autant de voix qui s'interpénètrent et viennent s'additionner à celle de l'enfant (pp. 12, 17, 18, 19, 26, 36, 51, 56, 58, 98.) pour affirmer une fois de plus au texte son inscription dans le milieu de la polyphonie.

Mais il ressort également que, de cet embrouillement volontaire, à travers la dissémination des voix narratives, l'auteure, en voulant témoigner de son flou identitaire favorise également les besoins du genre. Son destin assumé, le roman converge lui aussi vers un genre limitrophe, « une sorte de lieu qui serait entre deux » (K. Berger, 1998, p. 19.), capable d'accueillir ses élucubrations et ses doutes. « L'identité narrative devient alors pour l'individu postcolonial une exigence forte, [...] et si elle ne peut véritablement l'en préserver tout entier, [...] elle est nécessaire pour éviter [du moins à l'oeuvre] le sentiment d'une perte de sens. »140(*). C'est ainsi qu'elle reflète, sur le terrain de la diversité narrative (polyphonie, dialogisme, intertextualité), c'est-à-dire par l'emploi d'éléments aptes à faire figurer une parole complexe141(*), l'identité dans son ancrage multiple.

À l'image donc de l'enfant qui vogue dans un univers en chevauchement fait d'interdits et de limites, le sujet hybride tend à imprimer aussi à son récit, suivant le mode fractal, la somme de ses identités disparates. C'est ainsi que nous avons vu se manifester en la personne de l'enfant un sentiment pur de détachement mêlé à l'instabilité (l'impureté) et l'urgence de la situation, de façon à « rendre la quête identitaire interminable, lui ouvrir un horizon indéfini »142(*). En effet, l'identité comme représentation iconoclaste, tend à rejeter tout autre modèle de représentation unitaire visant au redressement d'un monologisme de départ, et favorise le recours continu à l'instance de dédoublement, quitte à s'insinuer davantage dans le sentiment de réclusion ou de perte. De ce fait, l'hybride « a conscience d'être un homme de la perte. Souffrant d'un manque originel, il vit en perpétuelle insatisfaction. »143(*). C'est probablement la raison pour laquelle il [le sujet] tente de pallier à nouveau ce manque sans jamais combler cet incommensurable désir qui guette l'union utopique des deux mondes. Inversement, l'enfant qui détient seule la clé de cet amalgame, décide d'accomplir les deux versants de sa double destinée par le recours à la subversion. Une telle chose ne devient permise que par le truchement d'autres, et c'est là que nous retrouvons le rapport à la nécessité. En dehors de ce confinement mystique dans la dualité du rationnel et de l'irrationnel, cette « intrusion du sacré dans le profane »144(*), que révèle la présence simultanée des Écritures Saintes (corps pur) au sein même du discours littéraire (corps impur), constitue elle aussi une des caractéristiques de l'hybride, tant pour l'usage discursif que pour les besoins du genre. Du reste, elle est clairement exposée dans le passage ci-dessous :

Voulant s'émanciper de la contrainte du sens, elle décidait alors de prier comme cela lui venait, avec ses mots à elle : elle commençait en langue arabe, puisque c'était la langue sacrée, celle du dialogue avec Allah mais s'arrêtait soudain, son vocabulaire était trop pauvre, truffé de mots appartenant à cette langue française bien trop impure pour s'adresser au Seigneur. Elle battait en retraite, reprenait en arabe la Fatiha, et puis non. Elle se perdait en chemin, chemin de sens, elle en reprenait de nouveau le cours, perdait patience, alors elle décidait de prier en français en débutant par la formule Bismillah pour en atténuer le caractère sacrilège. (K. Berger, 1998, pp. 56-57.)

Finalement, comme l'atteste ce dernier passage, le texte hybride n'en est pas plus défini ; il est celui qui est mu par un désir doublement inaccessible, de manière à se situer « entre la peur de l'éclatement et le désir d'ouverture. »145(*). Cet espace romanesque de l'entre-deux est clairement défini comme étant la proposition centrale de toute construction hybride (Bhabha), en tant qu'il est continuellement l'affirmation d'un non-lieu, d'une crise. Ce qui permet en effet à Bonn d'avancer qu'il est un « genre bâtard »146(*), un monstre composite. Ainsi, le texte postcolonial semble avoir hérité lui aussi de la complexité des relations identitaires, de ce qu'il montre davantage de signes relevant de « l'impureté, l'anomalie ou la monstruosité. »147(*). Il en résulte, par ailleurs, que notre corpus, en tant que roman, est lui aussi, par excellence, « ce genre de l'entre-deux, de l'indéterminé, du polymorphe... »148(*), dont se réclament à juste titre les littératures francophones postcoloniales. De ce fait, l'intention se porte volontairement sur l'ambigüité et le flou générique qui caractérisent ce texte.

1.1. Un roman autobiographique :

L'enfant des deux mondes possède toutes les caractéristiques du récit autobiographique, ou presque. Composé de treize chapitres, chacun d'eux a la particularité de traiter une thématique chère à l'auteure, suivant une logique de progression propre au récit. Selon l'ordre qui leur a été attribué, nous constatons une évolution certaine des procédés d'énonciation, qui font que le narrateur tente d'accomplir inversement, sur la base de données rétrospectives, le récit de vie de l'enfant. Muni généralement d'une parole (le narrateur semble se raconter à lui-même) qui frise le souvenir et la réminiscence, nous avons affaire à un récit diachronique dans la mesure où le narrateur (figure traditionnelle du romancier) fixe, du début jusqu'à la fin, l'évolution d'un quasi personnage, c'est-à-dire d' « un être imaginaire qui figure dans une oeuvre littéraire. »149(*) en tant qu'il figure déjà à travers la personnalité de l'auteure, puisqu'elle fait de sa vie le point de départ de sa production littéraire. Au Maghreb, en effet, les auteurs ont tendance à inverser les rôles, en assignant à leurs textes diverses fonctions et caractéristiques qui relèvent de l'hybridation générique : L'enfant des deux mondes oscille de ce fait entre roman et autobiographie, fiction et récit.

À l'inverse de l'Occident où l'autobiographie est souvent le premier (ou parmi les premiers) fruit de la créativité des écrivains, intervenant en guise de couronnement pour une oeuvre complète d'une personnalité déjà célèbre, au Maghreb, l'autobiographie ne vient pas vers la fin d'une carrière mais tout au début. Les auteurs maghrébins vont à l'encontre de cette tradition occidentale et commencent généralement leur carrière d'écrivain par « composer » le récit de leur vie, ou du moins, par un récit de vie - souvent inspiré d'une vie réelle. De même que la première, celle qui survient en fin de carrière, tend à être plus ou moins directe (c'est-à-dire appartenant à l'ordre du récit), de même la seconde, elle, favorise le tissage et la conception de liens indirects. Avant même de tenter une analyse de ce genre, nous nous sommes d'abord référés à la dimension extrinsèque au texte (épitexte), et donc aux dires de l'auteure, comme le suppose le pacte de lecture initié par Lejeune : « La problématique de l'autobiographie se fonde sur une analyse au niveau global de la publication, du contrat implicite ou explicite proposé par l'auteur au lecteur, contrat qui détermine le mode de lecture du texte et engendre les effets qui, attribués au texte »150(*), le donnent à lire comme tel. De là il s'avère que cette proposition tient la route et, plus encore, procure un élément clé pour l'intelligibilité de notre corpus. L'auteure peut s'exprimer du reste en ces termes :

Cette période faste a fondé mon imaginaire et fait la richesse de mes ressources culturelles mais en réalité, cette histoire nous est commune...151(*)

Ou encore, dans le même ordre du souvenir, « l'adulte se remémorant et observant l'enfant qu'il a été. »152(*), accède, de ce fait, non pas à une oeuvre parfaitement fictive qu'à une sorte de subversion attenante aux champs du récit : « Avec Karima Berger, on pénètre dans une atmosphère qui n'est pas celle d'un roman mais plutôt d'un récitatif du souvenir. »153(*). Récit d'enfance, mais récit d'une perte commune et assourdissante :

C'était présent en moi depuis longtemps. Je tournais autour... je crois que je peux dire que ces dernières années m'ont poussée... Pas dans le sens d'un témoignage sur l'actualité. Non. Mais j'ai eu envie de dire ce que j'avais à dire pour qu'on le lise comme un des éléments de ce qui se passe, comme une part de l'histoire inconsciente de ce pays.154(*)

Mais, s'il est dit que L'enfant des deux mondes est avant tout un ?roman', c'est qu'assurément il privilégie le rapport indirect aux formes d'expression romanesques et tient compte de certaines règles propres au genre. L'autobiographie, à ses débuts illégitime, ne peut que recourir à d'autres modalités pouvant asseoir son authenticité, d'où son insertion dans des formes plus privilégiées et importantes. Nous sommes ainsi devant une impasse : le livre est en soi un roman, « ainsi en ont décidé l'auteur[e] et l'éditeur ; le récit relaté le contredit puisqu'il s'agit d'un récit de vie. »155(*). Mais si le roman s'affiche, avec tous ses artifices, comme étant une composante principale, nous remarquons assez vite la présence d'indices révélateurs de la subjectivité des principaux acteurs qui se complaisent dans l'anonymat. De ce fait, la trahison qu'engendre, à l'égard de ce dépouillement romanesque, le désir de distanciation relève seul du domaine de l'artefact puisqu'elle favorise un mode d'énonciation dit ?ancré' et « produit, ainsi, un genre hybride de la littérature [étant donné que] le genre mentionné sur la couverture [roman] vient à l'encontre de celui affirmé dans le texte [récit]. »156(*).

Or, pour tout lecteur averti, l'on sait que le parcours de l'écrivaine se transpose dans celui de l'enfant, et qu'il n'est pas à exclure que leurs destins s'y soient mêlés. En effet, « À dix ans, Karima est invitée à la communion solennelle de son amie Patricia. Elle ressort de la cathédrale d'Alger avec cette question d'enfant qui embarrasse les adultes : pourquoi n'a-t-on pas tous le même Dieu ? »157(*). Dans un passage de l'oeuvre cette fois narré, nous retrouvons les mêmes propos que ceux-ci, du même contenu personnel, tandis que l'énonciation est prise en charge par une autre instance narrative. Dans ce cas présent, une analyse onomastique révélerait que l'oeuvre est romancée. Nous avons affaire à une autobiographie dite alors « masquée », ou indirecte :

Dans cette grande ville d'Alger, l'enfant ne s'était rendue qu'une seule fois, à l'occasion de la communion de son amie Hélène qui l'y avait invitée. [...] D'abord la cérémonie dans la cathédrale Saint-Charles où elle pénétra avec gravité, hésitant sur la posture spirituelle à adopter... [...] « Faisons comme si j'étais chrétienne », décida-t-elle, dans l'espoir de pénétrer une religion par laquelle elle pourrait éprouver l'innocence d'un sentiment tout neuf de l'amour divin : « Comment aiment-ils Dieu ? » (K. Berger, 1998, pp. 35-36.) 

L'oeuvre est ainsi romancée, c'est-à-dire élevée au rang de fiction, car elle constitue d'emblée la première expérience littéraire de l'auteure. Mais elle n'en garde pas moins le souvenir de sa propre conversion, qui du reste est énigmatique158(*). Car le passage d'une instance à l'autre, d'un genre (autobiographique) à l'autre (fictif) suppose nécessairement quelque accord ou compromis. Autant dire qu'il y a finalement plus de chance de négliger cet accord que de l'inclure, faute de critères probants et recevables. Dans ce cas, « la définition d'une littérature, de même que celle d'une identité dont elle est censée être l'emblème, reste problématique. »159(*). L'écriture de Karima Berger est semblable à cette vaste étendue féérique d'où naissent et se succèdent un à un les signes de la vie et de la discorde. Si l'oeuvre littéraire et, plus encore le roman, sont traditionnellement perçus comme étant le miroir de la société (Balzac), celle qui nous occupe ici est particulièrement le contre-miroir d'un individu aux prises avec le côté sombre et inébranlable de la société. Le miroir, s'il existe, n'est qu'un double reflet de la vie de l'auteure, une source de reconnaissance impure qui, de par son alternative entre cadre de vie réel et aspect figuratif, astreint le lecteur à la nébuleuse de l'être (fictif ou réel). Elle savait du reste quel impacte allait avoir ce récit - lui-même bâti à l'image de ce miroir - qui ne renvoie plus à l'ordre ancien de la clarté, mais reprend à son compte le morcellement et l'amplification des formules ambigües, vis-à-vis des autres procédés qui le situent dans sa dimension romanesque :

Elle savait que le miroir ne renverrait que de brèves et fugitives étincelles, des éclats brouillés, imparfaits : Patricia ou Hélène, Danielle ou Michèle y apparaissaient entières, bâties d'un seul tenant, bloc aux contours massifs et précis, [...] une sorte de saut à cloche-pied dans un monde puis dans l'autre. (K. Berger, 1998, p. 69.)

De ce fait, nous pouvons nous interroger tout simplement sur le caractère limité mais non abstrait d'une telle production, en tant qu'elle relève d'un certain effet de distanciation présent dans l'acte de narration. L'auteure, dans sa phase de productivité que nous pouvons appeler ?mise à l'écrit', tente en effet, à la suite de son histoire, d'égarer le lecteur par la mise en place d'une instance narrative autre (troisième personne du singulier/homodiégétique), neutre ou anonyme à l'égard d'elle-même et de son personnage. Tout aussi anonyme, ce dernier, loin d'en être la représentation parfaite de l'auteure tient lieu de son double160(*). Ainsi, interrogé par le biais d'une telle confusion (narrativité et fictionnalité), le personnage semble alors exister indépendamment de l'univers de l'auteure, tandis qu'effectivement il répond mieux aux besoins de la scénographie. À ce sujet, D. Maingueneau notait déjà que :

à la différence du bohémien, l'artiste ne va pas de ville en ville ; son nomadisme est plus radical. L'artiste bohème est moins un nomade au sens habituel qu'un contrebandier qui traverse les partages sociaux. Qu'il soit précepteur dans une riche famille, bibliothécaire de quelque prince ou de quelque ministère, rentier, professeur de lycée..., l'écrivain occupe sa place sans l'occuper, dans l'instable compromis d'un double jeu.161(*)

Ce passage de l'entre-deux à l'être-deux signifie donc, nécessairement, dans le champ des études postcoloniales, le recourt à une double signifiance (Barthes) par le biais d'une narration ultérieure établie dans sa phase de productivité. En d'autres termes, nous parlerons d'une « effigie du dialogue »162(*) comme d'une invention d'un double dont une partie est préalablement existante. De même, l'incorporation d'un genre traditionnel mineur (la Sîra) à un genre occidental majeur « confisqué », le roman, renouvelle le processus d'hybridation dont font figure les écrivains maghrébins. L'enfant des deux mondes, qui s'inscrit lui aussi dans cette lignée de la double appartenance, porte en soi les traces d'un dédoublement systématique en servant de relais, tant sur le côté formel qu'informel, à deux univers de cultures différents qui se référent chacun à ses modes d'expression propres. De ce fait, il reçoit également les marques de cette structuration double dont parle P. Gasparini : « Ce genre [roman autobiographique] regroupe à mon avis tous les récits qui programment une double réception, à la fois fictionnelle et autobiographique, quelle que soit la proportion de l'une ou de l'autre. »163(*). L'autobiographe se sert donc de son origine impure car elle est, à notre sens, la seule manière possible de convoquer ces deux extrêmes en dédoublement164(*). De la sorte, l'auteure se « re-découvre » en tant qu'être. Elle « opte pour cette dimension romanesque qu'[elle] finit par attribuer à sa vie, en ayant l'impression de raconter une «histoire» qui lui est étrangère. »165(*) :

Images d'une mise en scène qui se jouait là, dans les studios privés du jardin de la maison de Ténès qui avait vu naître l'enfant... (K. Berger, 1998, p. 9.)

Ainsi, le seul héros se trouve incarné par ce triptyque : personnage/biographie ; narrateur/histoire ; auteur/roman. Ces trois figures principales se relayent tour à tour le long du récit pour maintenir le dispositif d'anonymat engendré par le pacte générique (du romanesque en l'occurrence). « Dans l'autobiographie, affirme Lejeune, on suppose qu'il y a identité entre l'auteur d'une part, le narrateur et le protagoniste d'autre part. C'est-à-dire que le «je» renvoie à l'auteur. »166(*). En effet, l'autobiographie étant un retournement vers le genre « suprême » (Damien Zanon), le roman, celle-ci recouvre ses attributs et ses fonctions : c'est ainsi que, « l'autobiographe, auteur, narrateur et personnage principal va revêtir l'étoffe du héros romanesque, il sera le héros de son ouvre. »167(*), une oeuvre qui emprunte alors des airs d'apprentissage :

Elle se souvenait [...] de son enfance, [...] Il lui semblait [...] gagner des années d'apprentissage, elle savait désormais des choses... (K. Berger, 1998, p. 91.)

Dès lors, l'autobiographie s'immisce dans le roman pour occuper une large place, sinon la principale fonction. C'est la raison pour laquelle l'on pourrait se méprendre, aisément, sur la nature vraisemblable de ce récit. L'ambigüité narrative assimilée au parcours de l'auteure nous donne, du reste, une idée assez précise de ce que peut signifier la dissociation d'un genre trop limité, inapte à la représentation des deux extrêmes dont se revendique l'auteure et son double : « Mais ce n'était tenable, ni pour moi, ni pour le lecteur, sur toute une fiction ! »168(*). Bien que suffisamment réaliste, l'oeuvre s'insinue donc dans cet idéal de la transgression générique que révèlent les différentes catégories d'écriture amalgamiques. Par conséquent, elle rejoint l'idée selon laquelle « la sincérité fait basculer le personnage du statut de pseudo-personnage ou de personnage vraisemblable, à celui, plus complexe, d'être imaginaire qui frôle le seuil de l'inacceptable. »169(*). Cet «inacceptable» est rendu plus manifeste encore avec le concours d'une subjectivité latente, qui coïncide avec la voix du narrateur. Autrement dit, nous nous situons déjà dans le registre de témoignage, et il ne s'agit plus de décrire que de dévoiler une parole jusque-là consciente.

Il n'y a donc pas de frontières visibles qui puissent délimiter concrètement ce genre de roman-récit (même s'il n'est pas question de séparer des genres, « toute forme [étant] la résolution d'une dissonance fondamentale [nécessaire] au sein de l'existence... »170(*)), du fait que nous peinons à lui désigner un ensemble genrologique, et ce dès lors qu'on émet le voeu de l'instruire dans une catégorie qui lui soit propre. Deux propositions pourraient néanmoins entrer en jeu pour tenter de cerner au mieux ce à quoi nous avons affaire : dans un premier temps, l'auteure fait basculer l'écrit d'un genre à un autre et engendre ainsi un texte hybride. Dans un second temps, le récit de vie devient romancé et alterne tour à tour le mode libre et le couvert. Aussi bien, et pour peu que l'on admet cet enchevêtrement des genres, nous appellerons ce livre « roman personnel »171(*), ou bien roman autobiographique - au vue de sa qualité hybride - et non plus seulement ouvrage de fiction, c'est-à-dire fondé sur des personnages et des faits scénographiques dépourvus de toute notion historique. Cela s'affirmera du reste parmi le raisonnement à suivre, dans la mesure où le personnage (marqueur typologique) figure comme lieu d'investissement idéologique et personnel.

1.2. La pratique de la pseudonymie : de l'anonymat à l'être-deux :

Il est moins fréquent de tomber de nos jours (à l'ère de la postmodernité) sur des textes au profil limité, policé et qui portent en eux la marque de leur appartenance dûment assignée. Ceux-là sont généralement des récits de vie à la première personne, et qui n'ont rien à envier aux plus grands témoignages. En effet, dans le cas de l'autobiographie déclarée, le nom du personnage (organisateur textuel) se confond avec celui de l'auteur, dont il sert ainsi à rétablir l'unité. À ce sujet, le titre de l'oeuvre fonctionne comme un parallèle et demeure fort révélateur de la situation des acteurs pris en jeu. Là réside en effet la qualité essentielle du personnage éponyme reconnu comme étant « ce qui désigne l'oeuvre et l'amorce. »172(*). En revanche, Il est encore plus rare de tomber sur des textes qui prennent eux-mêmes en charge, comme L'enfant des deux mondes, leur autobiographie éclatée, et qui se distinguent par une nature douteuse souvent en marge de leur authenticité. Ceux-ci mettent plus en avant leur aspect vraisemblable, dans la mesure où ils confèrent à leurs acteurs (réels ou non) un statut d'observateurs quasi-anonymes. Mais là aussi nous allons voir qu'il peut s'y établir, en fait, une autre forme privilégiée d'identification. Ainsi, au patronyme marital de l'écrivaine par exemple (Berger173(*)) se joint celui du personnage « l'enfant », et inversement celui de Karima façonne le prénom présumé de l'enfant « Caroline ». Non plus fictive que réelle, cette double construction174(*) favorise du reste la dimension impersonnelle dans laquelle s'établit la narration :

Karima Berger joue sur la 3 éme personne mais aussi sur un appellatif que la grammaire française veut « asexué », « l'enfant ». On ne saura jamais le nom de cet enfant tout en apprenant assez rapidement qu'il est de sexe féminin.175(*)

Or, nous l'avons dit, ce voeu de distanciation participe d'un désir de masquer un dévoilement intime, tout en gardant à l'esprit la complicité que suppose la situation anonyme du protagoniste vis-à-vis de son auteure. Barthes nous rappelle qu'un nom propre doit être interrogé soigneusement car, « un nom propre est, si l'on peut dire, le prime des signifiants. »176(*). En effet, loin de lui instituer un nom propre et donc d'établir la cohérence, ou la « signifiance » (A. Compagnon) de l'oeuvre, Karima Berger opte pour sa dépersonnalisation et va jusqu'à lui verrouiller, en l'occurrence, tout autre accès à une identité de rechange, c'est-à-dire à une identité complètement effacée, en lui désignant un substantif d'ordre commun (et dont l'auteure peut se réclamer à son tour), tantôt « l'enfant » et tantôt « la jeune fille ». Cette pronominalisation se révèle d'ailleurs insignifiante pour quiconque s'y établit dans l'immanence de l'oeuvre. En agissant de la sorte, elle place son héroïne dans la tourmente du nom inefficace177(*), sans toutefois déroger aux exigences du genre et donc à la structuration éponyme de l'oeuvre. À l'évidence, on a tendance à séparer les formes les plus codifiées comme le récit et l'autobiographie, le roman et l'essai, « sauf dans le cas où l'entreprise d'auteur les relie étroitement. »178(*). C'est alors la rencontre allusive de deux genres ou plus. Ainsi, par le biais de cet appellatif, elle y échapperait à la catégorisation (fiction ou réalité). Le titre en lilote établit du reste la double signifiance de l'oeuvre (Barthes) : en effet, l'errance du personnage est d'abord signifiée par la complexité du nom (asémantème) qui lui est attribué au départ « l'enfant » (mais lequel ? sachant que nous n'avons ici aucun détail de type prosopographique - éléments constituants le portrait physique - si ce n'est celui du temps qui passe indéniablement sur une chair en perpétuel devenir), avant d'en revenir vers celle de l'oeuvre éponyme, qui révèle du reste le nom autour duquel gravitent des renseignements sur la vie de l'auteure.

L'importance de l'anonymat est rendue visible de ce qu'il sert justement à établir, de manière quasi indirecte, un lien entre le protagoniste et l'auteure d'une part (le pacte autobiographique) et entre l'enfant et la société d'autre part (la dimension de témoignage). De même qu'à poursuivre la « tracéologie » (P. Hamon) du personnage, il vise à enrichir par conséquent la fonction symbolique de l'oeuvre : « le personnage dépasse très souvent le domaine strictement individuel et sert à représenter une couche plus ou moins large de la population, un domaine plus ou moins large de convictions, de positions morales ou idéologiques. »179(*). L'effet de distanciation qui accompagne ce genre de compromis (se dire sans se dire) est rendu possible selon les principes de l'autobiographie masquée (les phénoménologues parlent d'?apprésentation'180(*) pour qualifier le comportement abstrait d'un personnage dont le processus de perception induit le recouvrement de plusieurs autres instances), où l'auteure peut assumer une position identitaire sollicitée historiquement par d'autres.

C'est aussi le projet d'un auteur réaliste : la présence d'une équivalence de la pseudonymie, à la fois chez les personnages (l'enfant, ses camarades...) et chez l'auteure, témoigne ainsi d'un dédoublement simultané du sujet écrivant et de son oeuvre, où les rôles, pareillement aux appellations, s'enfilent les uns et les autres. Face à ce brouillage inédit, auteure et personnage semblent relever du même. Rien n'est plus confus que tout est permis dans la structuration de l'oeuvre qui pouvait « dégénérer algarade de sens » (K. Berger, 1998, p. 72.). La notion de dédoublement semble le maître mot de ce récit. En effet, dans un passage de l'oeuvre (chap. VII), nous retrouvons, à peu de choses près, la même dynamique d'approximation qui fonde la nature comparatiste de l'auteure et son identité relative avec : 

Elles aimaient rechercher lors de mystérieuses cérémonies de baptême la réplique française la plus proche des prénoms algériens : c'est ainsi qu'elle s'appelait « en français » Caroline, que Fatima devenait Françoise ; Farida, Fanny ; Leila, Léa... L'exercice consistait à dénicher dans l'almanach celui qui par sa symétrie sonore répondait le mieux au nom arabe. (K. Berger, 1998, p. 71.)

Nous savons désormais, par le simple rapprochement des unités distinctives et la comparaison des effets sonores, que le nom de ?la' protagoniste correspond, phonétiquement parlant, aux sons ?K?-?R?-?L? du nom francisé, « Caroline » (seul passage où il est fait allusion au nom de l'enfant) avec en parallèle ou « en sourdine aussi, l'écho ?francisé' » du prénom inscrit sur la couverture, « Karima » ?K?-?R?-?M?. De même, en ce qui est de la syllabation, nous relevons du côté de chaque nom une répartition en trois syllabes, à savoir Ka/??/lin pour l'un, et Ka/?i/ma pour l'autre. Ce petit exercice analogique, conçu par l'auteure en guise d'alternative, pourrait du reste très bien s'articuler ainsi sur le plan symétrique : «Caroline Berger». La concordance de ces appellatifs n'est d'ailleurs pas en reste. Une fois l'opération accomplie, Karima Berger semble entretenir en effet ce « paradoxe qui consiste à projeter sur soi le regard de l'autre pour se sentir exister comme différend. »181(*).

Tour à tour donc personnage et auteure (les noms faisant défaut à l'un et l'autre), nous assistons à une dialectique de l'être-deux dans la mesure où la distanciation (par le dépouillement systématique des êtres fictifs) permet le rapprochement mesuré avec l'auteure qui lui prête alors son identité et ses caractéristiques vitales. Ainsi, « il laisse apparaître qu'il se confond à un moment ou à un autre avec son personnage. Le romancier lui attribue les souvenirs personnels qu'il puise dans sa propre existence. »182(*). Pour les autres personnages, ils bénéficient tous encore d'un référent réel dans le monde (d'où ce penchant primaire vers l'anonymat qui, s'il ne les efface complètement de la carte, leur confie des attributs non moins particuliers), de sorte à laisser subsister d'eux une trace qui paraisse assurer leur dédoublement : car, dira-t-elle, « Pour d'autres, j'ai conservé un écho du nom réel mais pas le nom véritablement. ». En ce sens, même si l'autobiographie est «déclarée» elle privilégie l'approche «masquée». Elle est donc, corrélativement à l'identité nominale de l'auteure ou de ses personnages, ce que nous pourrons appeler, à la suite de D. Belkacem (idem, p. 170), « une autobiographie entre-deux ».

L'auteure peut donc affecter le ton du récit et choisir tout à la fois de ne pas avouer qu'elle y raconte sa vie183(*). Ce qui fonde la complexité de l'oeuvre, c'est donc avant tout son caractère arbitraire et ambivalent : « C'est un récit plutôt qu'un roman. Ce n'est pas non plus une autobiographie. Disons que c'est la reconstruction d'éléments vécus ou observés. »184(*), dira-t-elle. Pourtant, une « vie » ne peut être enfermée tout entière dans un récit de souvenirs autour de quelques correspondances nominales (topographiques, onomastiques, etc.). S'il repose en partie sur les souvenirs de l'enfant (introspectivement de l'auteure), le récit demeure néanmoins le fruit d'une « créativité », s'entend, d'une mise en fiction qui le charge d'une certaine distance narrative tout au moins.

Enfin, comme on pourrait bien nous l'objecter, cela n'est pas aussi simple de pouvoir distinguer entre un genre et un autre sous prétexte qu'il met en scène un univers semblable à celui de l'auteure ; car, si elle est présente, ce n'est que par l'entremise d'un anonymat rendu possible par les substitutions métonymiques (et dans quel cas, le pseudonyme ne constitue pas une preuve tangible dans l'accaparement d'un rôle homodiégétique). C'est la raison pour laquelle les personnages sont eux-mêmes inscrits dans des espaces mouvants, et confèrent au genre (s'il peut être dit ainsi) cette mobilité qui est un peu la sienne.

1.3. Le parti-pris de l'Histoire :

Comme nous l'avons vu en haut, l'hybridation intervient maintenant sur plusieurs niveaux concomitants, de sorte à rajouter au texte fractal (transgenre) une couche d'égo surdimensionnaire. En réalité, L'enfant des deux mondes incarne un univers suffisamment proche de celui de l'auteure, pour ne pas dire excédant tout simplement celui diégétique. La véracité de cet axiome peut néanmoins se révéler aléatoire ou hypothétique, du fait d'une certaine incompétence théorique qui maintient brouillées les frontières du genre. Cependant, les critiques tardives nouvellement instituées en la matière, c'est-à-dire, pour la plupart, sur les bases de la postcolonialité, partent toutes d'un regain de réalisme à l'égard de ces oeuvres. Pour vérifier le bien-fondé de cette assertion, nous nous sommes d'abord référés à un certain nombre d'éléments qui permettent d'établir la véracité caractéristique de cet écrit (LDM), de son apport comme étant principalement autobiographique... mais pas que : dans la plupart des cas, l'auteure tente de montrer, à l'aune de ces dispositions autobiographiques, qu'« il est un passé dont on peut se revendiquer sans honte. »185(*). En effet, à travers le récit d'une enfance que le narrateur nous dresse, on suit peu à peu les avancements de l'Histoire, tant individuelle que collective, qu'elle laisse subsister aux dépens de l'intrigue sous-tendue, elle, par un fil conducteur qui frise la réminiscence. Ainsi, compte tenu de la nature (double) des dires de l'enfant, l'auteure se doit de recourir à des formes qui privilégient tantôt la valeur de témoignage (intrinsèque), tantôt l'aspect didactique (extrinsèque). Si l'on abonde dans ce sens, nous pourrons effectivement dire que, Histoire et autobiographie sont également liées : nous parlerons donc d'une interférence de l'une dans l'autre, car dans la plupart de « ces textes autobiographiques, l'auteur[e] a régulièrement raconté la vision du monde de la société dans laquelle [elle] a grandi et les conceptions de l'Histoire qui y régnaient. »186(*).

C'est de cette manière, par l'entrelacement de ces (semi)genres, que l'auteure entend rétablir un moment durant la cohérence de son oeuvre - vis-à-vis de sa personne - et réduire l'écart subsistant entre les deux facettes (interne et externe) du récit. Si on relate l'Histoire de son propre point de vue, tel un récitatif de souvenirs, c'est qu'elle nous est donc commune et, partant, susceptible à la reproduction de la façon la plus directe qui soit, sinon dans une forme de témoignage essayistique, du moins à travers le récit de vie. Bonn, de son côté, semble cautionner au roman maghrébin cet état de fait :

L'autobiographie d'un individu peut ainsi y être lue le plus souvent comme celle d'un groupe. L'individu qui se raconte narre, à travers sa propre biographie, celle d'un groupe et le choix de l'autobiographie n'est alors qu'une manière de rendre plus authentique, pour le lecteur, un témoignage sur la communauté d'appartenance.187(*)

Avec Karima Berger, nous assistons au recouvrement d'une mémoire collective à partir des seuls souvenirs de l'enfant (engrangés par un narrateur homodiégétique) pour tenter de donner un sens crédible à la « tragédie post-indépendance »188(*). L'Histoire y joue donc un rôle important dans le processus d'élucidation et confère au texte sa dimension réelle et présente de témoignage : un bon nombre d'éléments sont puisés directement dans le terroir (à l'exemple des noms, qui eux « ne s'inventent pas »189(*)) et trouvent aisément leur correspondance dans les grands documents officiels de l'époque. Mais la démarche adoptée par l'auteure est celle où l'Histoire cède le pas sur la vie personnelle (« Je souhaitais faire un essai [...] Jai donc opté pour la fiction... »190(*)) pour « signifier et comprendre au-delà d'une simple chronologie des faits qui n'explique pas grand-chose. »191(*) :

Migration moderne d'une famille de province, Septembre 1962 : nouvelles affectations, nouvelles nominations, les nouveaux maîtres s'installent à Alger, El Djezaïr capitale du Gouvernement de la République Algérienne Démocratique et Populaire. (K. Berger, 1998, p. 35.)

Le récit se construit donc sur la base d'éléments « vécus » et « observés » d'un point de vue régulier (celui de l'enfant et du narrateur qui s'interposent), où l'Histoire suit l'évolution du personnage et ne peut réellement déroger à son regard. Cela a un effet conséquent sur le texte dans la mesure où ?la' protagoniste, contrairement à l'objectivisme noyé des principaux acteurs politiques, y reçoit quelques privilèges de classe (les francisés. Bien qu'ils ne constituent pas souvent une classe, l'enjeu étant véritablement racial192(*)) la dispensant de s'en rapprocher davantage du terrain des extrémismes. Dans cette disposition particulière où l'exil aidant (par la narration ultérieure), l'Histoire y favoriserait en quelque sorte le primat du genre autobiographique, pourvu qu'il y observât le recul nécessaire à la mémoire. La matière chronique s'établit ainsi sous forme d'un « récit qui nous emporte dans la douce langue de la réminiscence [et] dont la violence [de la guerre tout au moins] ne se manifeste pas frontalement... »193(*) :

De cette guerre, l'enfant n'avait retenu vraiment que les longues fusillades qui déchiraient d'un trait les nuits de la ville de Duperré-Aïn Defla où la famille avait séjourné quelques années. Les tirs fusaient dans un périmètre que l'oreille s'exerçait peu à peu à délimiter : chapelets de rafales dont certains semblaient partir de très près de la maison, d'autres, en écho, semblaient provenir de la montagne toute proche où se terraient les combattants, ceux du Parti communiste algérien disait-on. (K. Berger, 1998, p. 30.)

Il n'est plus question dès lors de prendre part à la vaste entreprise de « récupération » (le mot est de Memmi194(*)) exagérément adoptée tantôt par les «envahisseurs» coloniaux et tantôt par les nouveaux maîtres des indépendances (voir le chapitre suivant). Ainsi, pour éluder les stratèges de la Grande Histoire, les auteurs « vont donc chercher à élaborer un autre rapport à l'Histoire, plus complexe, qui rende davantage justice au multiple et au contradictoire, caractéristiques de l'hybridité. »195(*). Autrement dit, l'Histoire plus que tout devient sujette du récit en question. Mais elle s'en éloigne, par le biais de cette réinscription rendue désormais palpable par la vision personnelle de l'auteure (celle d'un être en dédoublement), des représentations caractéristiques voire caricaturales de cette époque. L'écrivain vient alors au secours de l'Histoire. Si, comme le soutient P. Barbéris, toute oeuvre littéraire est le résultat d'un moment historique donné, et que celle-ci tend à reproduire inévitablement cette idéologie, L'enfant des deux mondes serait ainsi purement révolutionnaire, dans la mesure où il échappe à ce conditionnement et contracte un imaginaire subversif, véhiculé en termes d'opposition, d'antagonisme ou de contrastes par « l'idéologie du texte »196(*) ; et de rupture, d'éclatement, de fusion ou d'ouvertures au niveau de la structuration interne du texte.

L'on voit donc s'insinuer, dans un passage clé de l'oeuvre étudiée, ce voeu formel de rompre avec l'Histoire traditionnelle faite de préjugés et de « déclarations haineuses » (K. Berger, 1998, p. 106.). L'Histoire (celle des vainqueurs tout ou moins), en tant que partisane essentielle de l'oubli, instaure une barrière vulnérable (dans la mesure où les restrictions qu'elle apporte finissent par se retourner contre elle-même) à l'égard de tous ceux qui, comme l'enfant, se sentent estropiés d'une part d'eux-mêmes, et de ceux-là même pour qui désormais, « les seules informations «solides» sur le passé proviennent de l'Histoire occidentale. »197(*) :

Là-bas, de l'autre côté de la Méditerranée, la production intellectuelle sur la période coloniale, pourtant prolifique, n'a ni épuisé le sujet ni même soulevé le coin du voile de ce qu'est en vérité une histoire coloniale, redoutable machine à aimer et haïr en même temps, où la violence du maître ne parvient pas à étouffer la tendresse pour ses sujets, ni effacer la rencontre entre les mondes, fût-elle traversée de fureur. Rencontre sous le signe d'une énorme boule de désir qui s'amasse dans une atmosphère dont l'injustice de chaque jour entrave pourtant sa libération. (K. Berger, 1998, p. 105.)

Ce qui confère au texte sa dose probante de réel, c'est cela même qui l'inscrit dans la discorde, la contestation et les doléances types du registre plaintif. Le récit de vie se situe donc dans un cadre spécial où ?la' protagoniste apparaît comme un élément clé de l'Histoire. Cette intrusion du personnel dans le domaine du sacré (cette formulation n'est plus exagérée, car, en Algérie, tout ce qui touche au public, à l'historique ou au social passe pour être inévitablement du ressort de la religion) n'est pas sans rappeler d'ailleurs une pratique fort répandue chez la tendance nationaliste, celle des Mémoires de combat consignés par la majorité des acteurs politiques. En effet, à travers la démarche singulière de l'enfant (et son engagement personnel), nous assistons au procès de travestissement de l'Histoire contre une partie des élites algériennes francisées. Cet épisode douloureux de l'assimilation et du rejet qui établirent jadis la réalité du système colonial, tend à se reconnaître encore - et à se reproduire - tel quel sous le régime postcolonial198(*). La fonction cognitive apparaît donc clairement dans la mesure où le récit assume une part réflexive (problèmes idéologiques et historiques199(*)) aux côtés des exigences personnelles et cathartiques de l'auteure. Cette dernière qui se reconnaît dans son rôle d'historienne critique, cible ainsi une population aliénée par une autorité qui se complait dans le déni des origines ou la constitution d'une « identité frauduleuse »200(*) :

Aujourd'hui que disent les Algériens de ce désir ? Rien. Un grand blanc recouvre leur généalogie au prix d'une effroyable terreur livrée contre une part d'eux-mêmes... (K. Berger, 1998, p. 106.)

Ce point-ci apparait sous la critique précieuse de Christiane Chaulet-Achour (la première à avoir traité de ce corpus) comme véritablement ce qui fonde la nature de l'oeuvre : « Ce «roman», si l'on s'en tient à l'étiquette de couverture, est un essai d'un lyrisme distancé et rythmé sur la filiation non assurée. »201(*). Aussi voit-on s'introduire en lui la marque d'une époque bien déterminée : Le récit en question se caractérise par un apport sociologique et historiographique important qui recouvre la présence de trois grandes périodes historiques se précipitant successivement sous les regards de l'enfant : la colonisation (l'accès à l'Autre), la Révolution algérienne (la dénonce des inégalités raciales) et les déboires des indépendances (l'exclusion de tout ce qui s'identifie à l'Autre). Pour désigner donc ce genre d'écriture qui investit plus sur le réel que sur la fiction, nous parlerons d'une écriture de la référentialité202(*), en tant qu'elle transcende largement le cadre d'une représentation proprement diégétique, et déborde sur le récit d'événements parés d'une grande historicité : Pour y parvenir, l'auteure met en scène un espace scénographique doté d'une chronologie bien définie (D. Maingueneau, idem), pour que le témoignage s'élargisse et « s'intègre à la mémoire collective. »203(*). Ainsi, au référent précité (autobiographique) s'ajoute le référent historique qui lui est subordonné, par le fait d'un individu sur une collectivité : l'enfant remédiant aux travers de l'Histoire (aux tares psychologiques héritées par ses agents), moyennant des connaissances et une expérience personnelles. L'on ne s'étonnera donc pas si, pour rendre compte de son engagement intellectuel au récit, nous voyons d'abord en lui un témoignage sur l'Histoire, une sorte d'« écriture-manifeste collective »204(*) où l'identité est synonyme de désaliénation.

Mais, à côté de cela, il y a aussi la réhabilitation de l'individuel : l'option autobiographique constitue un appui singulier directement puisé dans l'expérience de l'auteure (« J'ai toujours tenu des journaux... »205(*)), pour parer à des fonds documentaires ancrés dans la susceptibilité des idéologies concurrentes. Ainsi vivait-on, à travers la situation bilingue de l'auteure, le retournement d'un destin médiocre :

Elle désirait s'engager davantage comme tant d'autres femmes [...] images d'un destin glorieux aux dimensions d'un pays [...] occasion inespérée pour cette jeune femme d'échapper aux dimensions étroites [...] de l'Histoire. [...] Le F.L.N. recrutait... [...] Alger n'était pas Médéa. [...] Dans ce lycée algérien et indépendant, [...] le français devint la langue mal-aimée, celle de la traitrise, l'enfant se faisant rudoyer [...] lorsqu'elle ne s'adressait pas à eux dans la langue de l'Algérie nouvelle. C'est en pleurs qu'elle revint plusieurs fois à la maison en se demandant, humiliée, si Médéa faisait bien partie du même pays... [...] Impuissante, elle éprouvait dans sa chair le brutal inachèvement de la culture française dont elle avait été nourrie jusque-là... (K. Berger, 1998, pp. 39-40.)

À travers la figure de l'enfant se reflète celle catégorique de l'auteure, comme faisant partie d'un double à la fois imposant et inaccessible. Dans son rapport particulier à l'Histoire, Karima Berger nous livre un récit non moins précaire, car soumis aux caprices du temps, aux oublis et à la confrontation moins directe des événements dont elle rend compte sur le tard. L'auteure aime ainsi à entretenir ce paradoxe, cet écart volontairement rapproché : de ce fait, l'enfant, dès son plus jeune âge, se trouve imbue des événements dont la narration ne pourra intervenir que beaucoup plus tard, en guise de parallèle à des principes génériques d'ordre différentiel. Elle permettrait alors une transition du mode direct, spontané, vers celui indirect ou transposé. En fait, « ce type d'oeuvres, où le narrateur s'identifie clairement avec l'auteur, mais où il lui arrive également de se glisser dans la peau de personnages extérieurs, possède un statut hybride... »206(*) où la frontière, la limite des genres (ici Histoire et autobiographie) se gâte aussitôt et s'altère. On pense ainsi à Heidi (pp. 13, 14, 111.), à Hassiba Ben Bouali (p. 39.), à toutes ces figures essentielles qui se meuvent d'un être à l'autre, d'une situation à l'autre ; de l'auteure vers l'enfant, de l'enfant vers l'auteure... de sorte à recouvrir tous les horizons.

C'est ce qui fait que, dans notre corpus, la présence de l'Histoire, des formes essayistiques, n'établissent pas de distinctions particulières entre un genre et un autre (un genre à part), mais qu'elles s'intègrent toutes au profit d'un seul et unique genre. De sorte qu'un genre (dominant) peut se réclamer de plusieurs distinctions à la fois sans y percevoir la marque infime d'un démembrement quelconque. Cette démarche est en soi essentielle, en tant qu'elle vise à rapprocher des genres et enrichir des perspectives communes. Ce sont pour la plupart des emprunts constructifs (ex. SE [séquences essayistiques] ? SE + SF [support fictionnel] = EF [essai fictionnel]) mus par une approche destructive, d'ouverture : les genres, indépendamment de leur hiérarchie de départ, désormais se côtoient. Le genre dominant peut accueillir indistinctement, selon qu'il est un roman, et donc une fiction (l'essai, l'autobiographie...), un essai (l'autobiographie, la fiction...), un récit (l'essai, la fiction...), etc. Pour excéder cette tourmente des lois génériques anciennes au sein de notre corpus, l'Histoire peut donc s'adjoindre au récit autobiographique, et, tous deux, se mêler à la fiction suivant une tripartition unique en son genre.

Prise dans ce destin particulier (où l'identité de l'auteure et celle de l'écrit ne font qu'une), « Karima Berger regarde prendre corps une écriture qu'elle ne peut définir selon les catégories génériques habituelles. »207(*). Elle est tout à la fois l'aboutissement d'une crainte personnelle (l'éclatement) et d'une appréhension collective (la rencontre). Ce qui tend à rapprocher encore une fois le volet idéologique du volet poétique, c'est cette même complicité qui allie les deux facettes interne et externe de l'oeuvre : la rupture avec les codes traditionnels est en effet « une manière de signifier que la transmission des valeurs ne peut plus se poursuivre sereinement. »208(*). De nouvelles valeurs doivent être créées à la lisière de ce nouveau monde, dont la seule complexité de l'héritage fait appel au renouvellement des genres. Le roman verse ainsi dans le récit des origines altérées, en étant lui-même l'altération des anciennes conventions génériques209(*) :

Oh ! Après tout, elle n'était pas orientale, mais occidentale, n'était-ce pas le sens littéral de « Maghreb », en arabe, les Algériens surtout, créatures déchirées, exilées du Levant de l'origine, n'ont cessé de mimer les moeurs culturelles de leurs frères orientaux... [...] Peuple coupable de son métissage, de sa singularité, nostalgique d'une chasteté de la filiation... (K. Berger, 1998, p. 61.)

Il en ressort donc une autre facette de ce roman (notamment à travers la constitution d'un cadre référentiel existant) et qui consiste à mettre en valeur un certain nombre d'éléments historiques (souvenirs de l'enfant sur la guerre d'Algérie, faits d'arme, politiques d'assimilation, détournement des indépendances...210(*)), suivant l'ordre habituel de la narration211(*). Nous savons du moins, à travers ce récit, que le texte emprunte davantage la voie de l'Histoire, présente dans la majorité des littératures postcoloniales mais aussi dans l'écriture féminine au Maghreb, du fait de son importance relativement incontournable dans le projet d'écriture. Ainsi, elles contribuent à la reconnaissance d'une mémoire locale, prégnante, leur permettant de « développer des modalités inédites de surgissement [...] d'une dimension littéraire imprévue. »212(*).

Ce qui est sûr, c'est qu'avec le soutient de l'autobiographie, la maxime « il n'y a de référence externe qu'à d'autres textes »213(*) est moins visible, et le recours motivé aux expressions du monde réel s'avère donc justifié. Ce qui nous permet de déceler la trace de l'essai dans notre corpus, ce sont justement tous les commentaires externes doués d'une part plus ou moins certaine de réflexivité, qui s'en rapportent soit à des contingentes humaines, sociales, politiques et historiques ; soit à des expériences d'ordre personnel relevant de la vie de l'auteure. En effet, dès lors que la dimension idéologique et politique prédominent dans le récit (dans LDM « la part réflexive - l'essai - prend le pas sur la part narrative... »214(*)), le texte est d'autant plus atteint et est perçu d'emblée comme un témoignage et non plus comme une oeuvre proprement littéraire. Bonn parle alors du « retour du référent » pour désigner certaines formes de témoignage contractées tout au long des indépendances par les littératures maghrébines postcoloniales. Ce qui nous fait penser, entre autres, à l'essai, ou à tout autre ouvrage se prévalant d'un « discours de vérité »215(*).

Dans le cas de L'enfant des deux mondes, les deux propositions se trouvent réunies, dans un cadre commun de confrontation intime. L'hybridation est, dans ce cas, l'intégration de particules élémentaires propres à d'autres situations et à d'autres genres, dans un genre à la fois unique et disparate. C'est ainsi que L'enfant des deux mondes semble, au vu de cet extrait, émettre le voeu de concilier des réalités à la fois connues et ignorées, d'y établir des liens subtils comme de cet épisode noir de l'Histoire coloniale de l'Algérie confronté, selon l'environnement expérimental de l'enfant, avec les pratiques discriminatoires de ses camarades d'école, des Français en général. À travers le fait de nommer, d'appeler tout simplement un être par son nom, d'interpeller sa conscience ou alors, dans le cas contraire, décider avec un air désinvolte de ne pas lui attribuer de distinction patronymique, l'enfant voit se restituer en elle cette logique discriminatoire d'antan, désormais frôlant son cadre personnel. Le texte verse lui aussi dans cette survivance des temps, qui l'inscrit dans le besoin d'emprunter tout à la fois au récit de souvenirs qu'à la chronique historique :

Nommer, nommer - en français - les Arabes. Privilège de l'État français qui pouvait priver une famille entière de son nom et la dénommer : S.N.P., Sans Nom Patronymique. Lorsque les fonctionnaires ne parvenaient pas à démêler les multiples liens entre fratries d'une même tribu ou d'un même clan comme à identifier le nom précis des familles et de leurs membres, ils décidaient de les doter du nom d'une localité proche ou, animés d'un zèle bureaucratique, ils les désignaient officiellement du très juridique nom de S.N.P., ... [...] Curieusement, cet attribut pourtant français jusque dans sa sonorité, conférait à ces nouveaux sujets de droit une auréole de résistance, comme s'ils opposaient au pouvoir colonial une représentation voilée de leur généalogie. Citoyens algériens, les S.N.P. retrouvèrent plus tard leurs vrais noms qu'en réalité ils n'avaient jamais perdu pour leur entourage proche, même si pour « la France », ils avaient été des « Sans Nom ». (K. Berger, 1998, p. 72.)

Car dès lors que l'autobiographie contracte le réel et l'historique, nous acheminons vers un autre ordre qui est celui de l'essai : « Je souhaitais faire un essai... »216(*) ? « Disons que c'est la reconstruction d'éléments vécus ou observés. »217(*), ou de ce que V. Ferré nomme précisément « l'essai fictionnel »218(*). Ce dernier peut en l'occurrence occuper des positions diverses et user simultanément de références externes, mais toujours sous l'égide d'un genre fictionnel, romanesque - étant le mieux disposé, le genre « fourre-tout » (d'A. Compagnon). Ainsi, nous avons pu voir à travers cette quête personnelle de l'identité quelle relation distincte pouvait unir la petite histoire et la Grande Histoire. À partit de ces points d'opposition, les genres (de part leur nature) y paraissent suffisamment ambigus ou éloignés, pour que dans tout rapport d'interférence ou d'intrusion, l'impureté s'impose de loin comme étant la règle du jeu219(*).

En effet, si la notion de genre tend à s'exprimer en dehors de son domaine de codification, ce n'est qu'en termes d'un certain éclectisme. Car à notre connaissance, il y a toujours un genre dominant (le roman) auquel viennent s'adjoindre par la suite d'autres éléments plus ou moins compétents (l'autobiographie, l'essai, etc.). Mais il y a également une phase intermédiaire (supposée) où le fragment de genre emprunté peut se sentir véritablement intégrer le récit : c'est le cas ici de deux genres - l'essai et l'autobiographie - qui peuvent s'accommoder de leurs différences dans ce qu'ils ont de plus près, s'agissant de leur dimension de témoignage. Passé le seuil de l'intrusion, nous parlerons alors d'une hybridation « coopérative » pour désigner ce dont V. Ferré rend compte comme étant « l'entrée dans la forme romanesque des parties qui semblent relever du genre essayistique. »220(*). Nous tenons pour exemple ce passage ironique - comme il en existe souvent d'ailleurs dans les derniers chapitres qui touchent à l'exil de l'enfant - qui s'apparente de beaucoup à celui d'un pamphlet politique, notamment à travers les procès qu'il dresse à la présidence et au gouvernement d'État, en faveur des expatriés :

Pourtant, dans leur quête de légitimité, les nouveaux maîtres de l'Algérie n'hésitèrent pas à transférer les cendres de l'Emir de Damas à Alger pour célébrer, dans un cimetière au cadre pompeux, dit « cimetière des martyrs », le retour du héros « parmi ses frères de combat de la Révolution ». Ignorant ce désir si cher au coeur de l'exilé de reposer près de son maître, le chef d'Etat procéda au transfert de sa dépouille, organisant une opération médiatique sans précédent par quoi l'Algérie entière devait retenir l'image d'un président au geste grave, recueillant avec d'autres membres du gouvernement la dépouille du saint homme avant de l'enfouir dans sa terre natale. Il déclara que la patrie recouvrait en ce jour son symbole national dont l'avait privé l'ennemi français. Tout en privant du même coup la sépulture de l'Emir de la proximité de son principal inspirateur... (K. Berger, 1998, p. 116.)

Ainsi, dans un roman autobiographique à vocation essayistique, « la figure de l'auteur[e] y paraît fonctionner comme conscience unique... »221(*) (Ironie et subjectivité), tandis qu'on y trouve en réalité, dans les soubassements du discours narratif, les signes obscurs de l'hétérogénéité. Ce n'est que par l'entremise des autres voix narratives (comme celle du narrateur omniscient et anonyme) qu'on peut espérer affranchir l'Histoire relatée des seuls souvenirs de l'enfant et l'affecter durablement dans ses instances narratoriales. La présence des séquences essayistiques (formes propres à l'essai) dans la fiction, si elle peut remédier aux carences, aux blancs, aux fameux interdits de l'Histoire (en allant du publique au privé, du général au particulier) n'y échappe pas entièrement aux besoins du genre, en matière de réadaptation, et demeure plus près encore de la fiction. Ce passage de l'essai à la fiction (genre intermédiaire) inaugure un rapport complexe entre le monde réel et celui diégétique, car il aborde souvent des réalités connues sous des regards personnels. Cette double fonctionnalité est exposée par V. Ferré comme suit :

Le rôle de l'essai fictionnel est double : en lui-même, il possède des qualités qui rappellent l'essai, dans sa relation à la vérité ; mais sa nature fictionnelle limite sa visée cognitive222(*) et ce n'est que dans le dialogue avec les parties diégétiques que l'essai fictionnel peut approcher la connaissance.223(*)

Ainsi, les processus d'observation sont soumis à l'oeil d'un narrateur qui se retrouve lui de même dans celui de l'enfant. Dans le passage à suivre, les séquences essayistiques (SE) sont le fruit d'un être polymorphe qui rompt volontairement son récit au profit d'une parole à part ; mieux, les intègre au sein de cette parole. Elles sont de ce fait romancées, puisqu'elles tendent à coup sûr vers le romanesque et viennent enrichir sa condition hybride :

[...] Ecole de filles bien entendu dans cette ville sévère, fermée sur elle-même et sur sa gloire passée de capitale de Beylik du Titteri. Ville séparée en deux : sur les hauteurs, le cartier français aux villas cossues, grandes, vastes... [...] plus bas, la ville arabe aux maisons hautement protégées les unes par les autres, masse compacte et blanche défiant toute intrusion du regard. [...] Puis au coeur même de la cité, une frontière... [...] le versant nord... [...] Au centre... (K. Berger, 1998, pp. 23-24.)

La présence de l'essai, (aspects social et ethnographique) jadis attribuée aux écrits primitifs d'indigènes, dans le roman moderne, semble témoigner à son tour du renouvellement d'une vision poétique de l'hybride. En ce sens et, comme le consigne B. Mohammedi-Tabti, « il faudrait préciser que l'histoire, dans ces romans224(*) constitue plus qu'une toile de fond et qu'elle est un des éléments essentiels de toutes ces oeuvres. »225(*). Aussi bien, le récit, pour opérer sa subsistance dans ces moments de rupture226(*), est-il contraint de les intégrer à son compte. De ce fait, la part (plus ou moins importante) d'Histoire qu'il recèle devient elle aussi romancée. Il n'y a pas d'effacement comme l'écrit cependant Gerhard Haas, mais bien plus intégration227(*). C'est parce que le destin de l'enfant est entièrement rattaché à celui de ses deux pays, que l'Histoire devient soudain le lieu privilégié et l'élément propice à la quête. Nous assistons alors, à travers la confrontation de deux points de vue et de deux histoires, au balancement de l'oeuvre d'une instance à l'autre, d'une idéologie à l'autre, d'un genre à l'autre. L'enfant des deux mondes s'appuie donc lui aussi sur une logique de dédoublement induite par contexte postcolonial, et réfute, de ce fait, toute tentative de catégorisation. L'auteure peut alors se livrer à cet exercice intime de la mémoire tout en étant rivée sur l'enjeu communautaire et universel228(*).

L'Histoire, qui est du reste une composante essentielle, peut s'étendre à toutes les productions intellectuelles parues en Algérie, aussi bien dans les domaines relatifs (les sciences sociales) que dans la pratique littéraire, c'est-à-dire au sein des écrits fictifs. En effet, « Sur cette trame en ébullition [l'Histoire], résout G. Hammadi, a pris naissance une littérature inscrite dans le désenchantement, l'exil, la mort. »229(*). Des éléments en provenance du dehors (proches de l'essai) sont donc récupérés et participent à la mise en place d'une scénographie qui signe le conditionnement de l'oeuvre par un rapport privilégié au monde.

2. L'hybridation linguistique :

À travers ce petit exposé, nous avons pu voir, dans L'enfant des deux mondes, la nécessité d'une telle démarche que celle d'un parallélisme établi à travers le prisme de la comparaison. L'auteure, en tant que sujet hybride, manifeste des signes de dédoublement qui lui sont inhérents jusque dans son ouvre. Or, de manière générale, l'hybride fait partie intégrante de la culture, sitôt que l'art, pareillement à la conception du monde, emprunte en bien des endroits à la complicité de la nature humaine. Mais dans un contexte bien précis qui est celui de la postcolonialité, les auteurs en question favorisent une logique de dualité pour leurs oeuvres qui fait que, naturellement, à l'hybridation générique s'ensuit celle linguistique. Car il est à présent bien connu que « l'identité d'une oeuvre littéraire, c'est d'abord sa langue »230(*), c'est-à-dire le matériau par lequel elle assoit véritablement son empreinte idéologique. Parmi ces auteurs-là, Karima Berger a su évoluer dans un espace linguistique culturellement très diversifié, et son écriture aujourd'hui porte aussi la marque de cette hybridité. En ce sens, elle rejoint le parti-pris hybride des oeuvres communément admises par Bonn dans le champ de la francophonie (bien que le terme soit toujours ambigu).

L'amour de deux patries, de deux langues (voire de langages pour Bakhtine) est expressément celui de l'oeuvre qui officie à la rencontre des codes discursifs divers (mots vernaculaires, expressions idiosyncratiques, emprunts linguistiques, tournures phrastiques et sémantiques...). Il ya dans L'enfant des deux mondes, contrairement aux écrits de la première génération où l'oralité revêt un rôle important dans la revalorisation du patrimoine traditionnel (renversement des codes hétéronomes d'énonciation231(*) et élaboration syntaxique), une image très caractéristique de l'ambivalence, et qui donne alors cette particularité d'être le fruit d'une reconfiguration linguistique de l'entre-deux. En effet, L'auteure insiste davantage sur la dimension intertextuelle et interdiscursive, qui doit permettre l'intégration de signes disparates par une pluralité hétérogène de voix narratives.

Compte tenu donc du contexte diglossique qui définit les rapports des écrivains postcoloniaux à leurs écrits, L'enfant des deux mondes se voit également reproduire cette domination langagière imposée de part et d'autres des deux communautés (française d'abord, arabe ensuite). Cette phase est pourtant nécessaire à l'épanouissement du sujet hybride, car contrairement à ce que peut penser Bonn232(*), la réhabilitation d'une langue maternelle (l'arabe) par celle paternelle (le français) ne se fait pas toujours en termes d'une quelconque affirmation prétextant le rejet de l'une par l'autre, mais en les intégrant toutes deux au sein d'une dynamique de dédoublement. L'enfant, étant elle-même métisse, sa relation à la langue est en effet problématique quant aux restrictions appuyées au devant de l'indépendance, étant donné qu'elle dépend maintenant de deux espaces monolinguistiques (ou en tout cas supposés comme tels). Cependant, la fatalité nationale échoue et l'hybridation, elle, ne tarde pas à se révéler dans les pratiques langagières de l'enfant :

Mais le léger vertige que provoquait en elle l'apparente maîtrise d'une langue étrangère, la sienne, était plus fort et semblait l'abuser elle-même. (K. Berger, 1998, p. 34.)

Ou encore : « Impuissante, elle éprouvait dans sa chair le brutal inachèvement de la culture française... » (K. Berger, 1998, p. 40.) qui la portait jusque-là. Ainsi, elle aboutit donc non pas à une langue-outil (Bonn) mais à une langue-choix. L'appréhender par ce compromis (c'est-à-dire comme simple outil) serait contradictoire aux principes flottants d'une littérature de l'entre-deux, mouvante et inflexible.

Le parcours existentiel de l'enfant (prise à part entre deux mondes) tout comme de celui de l'auteure se reflètent dans l'univers du roman au niveau de la structuration verbale de la langue. De part sa position médiane, l'enfant a désormais conscience de son malaise, qui est en quelque sorte la somme de tous ces écarts (langagiers) constatés. Mais en voulant les réduire, elle est également en proie à une chimère, croyant « pour le temps d'un mot [pouvoir] s'unir au choeur effréné. » (idem, p. 28.) et réaliser l'unité commune. Cette dernière, pour qu'elle subsista, doit maintenir malgré elle cette logique fragmentaire qui fait, à défaut de les absoudre ex arquo dans un même assortiment verbal, se superposer les éclats de langue dont parle indistinctement l'enfant :

Jamais pourtant l'enfant n'oublia ce cadeau, ce morceau de langue qu'elle portait en elle comme le signe le plus précieux de son origine... (K. Berger, 1998, p. 52.)233(*)

Todorov, tout en combinant « rêve » et « folie », place le sujet hybride dans un état de schizophrénie délirant, dans lequel toute une passiveté s'exprime sous les signes d'une diffraction langagière. Pour l'enfant aussi :

La langue ne comptait plus, ni la française, ni l'arabe [...] seule comptait cette lecture qui dessinait un espace clos dans lequel elle faisait se correspondre [les sons des deux univers réels]. (K. Berger, 1998, p. 58.)

Entre deux textes réputés êtres contradictoires, et dont le besoin est de les assimiler, l'enfant semble toucher du doigt la problématique de l'hybride qui est celle de sa raison d'être. Tel qu'elle le définit, il est une nécessité pleinement revendiquée et non une validité par moments assouvie. Ce n'est donc pas la capacité pour le sujet hybride de tout faire correspondre par la voie du raisonnement qui est mise ne avant, mais celle de maintenir face à soi la présence des deux extrêmes langagiers. L'enfant se voit donc obligée, parce que cela lui procure un sentiment de complétude et de bonheur ineffables, de se réciter soi-même pour la seule raison d'entendre des voix différentes, de se laisser imprégner par la profondeur et la résonnance des mots. « C'est une question d'oreille, affirme André Belleau. Il s'agit moins de comprendre le texte que de l'entendre... »234(*). En effet, la seule présence mêlée des mots semble suffire à créer ce que S. Pétillon appelle « un médium créatif de premier ordre. »235(*). L'enfant, « Voulant s'émanciper de la contrainte du sens, elle décidait alors de prier comme cela lui venait, avec ses mots à elle... » (K. Berger, 1998, p. 56.). Ou encore, « Elle récitait en aveugle, guidée par la seule mémoire des sons. » (idem, p. 53.).

Du reste, l'hybridation peut se manifester en termes de tension ou de rupture (jonctions de contraires dans un texte), comme elle peut se manifester également dans une atmosphère féconde, à travers une gamme de combinaisons textuelles riches236(*). C'est le cas de L'enfant des deux mondes qui réinvente à lui seul cette dynamique de dédoublement : en effet, la jonction des deux langues doit faciliter la régularisation des emprunts et l'organisation sémantique du texte. Tous les passages qui s'inscrivent dans ce registre de l'entre-deux peuvent attester de leur incapacité à manoeuvrer d'un monde à l'autre, d'un signe à l'autre sans l'aide de la traduction, qui elle, établit définitivement la fréquence du geste. Nous relevons respectivement cinq (05) occurrences (pp. 15, 70, 72, 82, 125.) pour le passage ci-dessous, qui attestent toutes de la prééminence d'un cheminement comparatiste au sein de l'oeuvre :  

... comptines à manger, à chanter, à traduire toujours, intense travail de tous les instants, d'une langue à une autre, d'un signe à un autre, dans un sens, dans l'autre, sans cesse. (K. Berger, 1998, p. 15.)

La présence symétrique des deux langues (« pour elle une même langue »237(*) idem, p. 12.) dans le texte est perçue par l'auteure comme une règle intangible. À partir de la page douze, cet accompagnement direct - manifestation en italique et presque sans guillemets - de mots arabes par une correspondance française est formulé clairement et ponctue ainsi tout le texte. On note à titre d'exemple : « firdaws/jenâa » (p. 12.) ; « le maître, El Ousted » (p. 33.) ; « Alger, El Djezaïr » (p. 35.) ; « les Chaouia - les paysannes » (p. 40.) ; « chouhadas, martyrs » (p. 47.) ; « Iqrâ ! Lis ! Récite ! » (p. 53.) ; « Gabriel-Jibraïl » (p. 54.) ; « Qalâme-l'Ecriture » (p. 54.) ; « Marie-Maryam » (p. 54.) ; « le Hadj, le lecteur du Coran » (p. 55.) ; « Farida, Fanny » (p. 71.) ; « Leila, Léa » (p. 71.) et même implicitement « Caroline » (p. 71.) pour les besoins du texte et « Karima » en surface de couverture. Pour l'enfant (et l'auteure), ce besoin de traduire, de passer d'une langue propre à une autre tout aussi propre (qui est la sienne), se révèle par la juxtaposition immédiate de mots ayant le même sens (en guise d'annotation) ou d'expressions qui peuvent rétablir une équivalence entre les deux systèmes :

La poésie arabe, le Coran, elle ne pouvait les lire qu'en miroir d'une traduction française, présence familière et rassurante à laquelle elle ne pouvait s'arracher. (K. Berger, 1998, p. 60.)

La traduction revêt un rôle important sinon obligatoire dans le processus de médiation : ainsi, au lieu d'excéder tout à fait les limites du genre (hybride) et procéder à sur une simple métamorphose238(*)... car dès lors que l'on veut assimiler entre deux langues, on doit pencher d'un côté de la balance plutôt que de l'autre (la langue majeure l'emporte sur la langue mineure), elle assure une neutralité et une continuité des dichotomies linguistiques et spatiales. Ainsi, contrairement au roman classique, dans le roman moderne (et postmoderne) « le sujet demeure sur la frontière entre les deux. »239(*) univers langagiers. C'est que, pour le sujet double, l'identité (linguistique) et l'appartenance culturelle n'est pas envisagée par rapport à l'instance d'énonciation suscitant le « Moi » et l'« Autre », l'« Ici » et l'« Ailleurs », mais par le truchement de catégories concrètement interchangeables à défaut de n'être simultanément admises. Ce sont alors deux voix et deux façons de se dire communément différentes, qui s'érigent en condition pour que l'hybride s'épanouisse de nouveau dans la multitude et la diversité des pratiques.

    Mais cela ne suffit pas encore : l'enfant étant bilingue, sa recherche effrénée de toute correspondance trahit en contrepartie le désir de distance qui partage le texte en deux blocs hémisphères, et ce par une attribution équivalente de signes (figures de la dualité et non de la conversion, juxtaposition synonymique...) qui est maintenu tout en passant d'un contexte à un autre et d'une langue à une autre. Par conséquent, « Les formes artistiques hybrides expriment le paradoxe manifeste né de la friction entre le besoin de libération vis-à-vis des déterminations identitaires traditionnelles et la recherche de rapports cohérents durables. »240(*). En effet, à mesure que le temps s'élève et que l'enfant grandit, ce n'est plus la même recherche du sens qui structure le besoin d'équilibre, n'étant plus dans le besoin (puisqu'elle parle et comprend l'arabe), mais une autre manière de concevoir le monde (l'oeuvre y compris) comme le renouvellement de toutes les formes poétiques et idéologiques constantes. C'est ainsi qu'elle peut formuler sans contraintes le voeu de transposer au texte arabe sacré (le Coran) une interprétation autre que celle qui a eu lieu jadis dans la langue d'origine, c'est-à-dire, désormais, par le biais d'une langue « impure », le français241(*), car enfin l'enjeu étant de briguer, au nom de ce qui lui revient de droit (le mélange, l'impur...) l'idéal de pureté qui sera acheminé d'une langue vers une autre :

... elle collectionnait les versions françaises du Livre dans l'attente du traducteur qui serait le plus proche de la vérité, celui qui lui offrirait la lecture d'un texte qui aurait - en français - la musique, le vocabulaire, la sonorité, le rythme, les ellipses, la beauté, la pureté, la profusion, l'âpreté, la puissance, la sévérité, la cruauté, la clémence du texte saint, qui accomplirait en fait le miracle de lui offrir la sensation de lire en arabe un texte écrit en français... (K. Berger, 1998, p. 60.)

L'hybride peut donc se manifester de toutes les manières possibles, hormis de celles qui s'appliquent à une intégration totale (pour ne pas dire aliénée). En ce sens, nous distinguons deux grands niveaux d'hybridation qui interviennent simultanément au sein de notre corpus, à savoir l'hybridation inter et intra-textuelle. Le premier consiste à établir un rapport d'interférence au sein d'énoncés qui interviennent entre une langue donnée, l'arabe, « ce fragment de chair qui venait se substituer au corps maternel. » (K. Berger, 1998, p. 53.242(*)) et une autre, « sa langue française, presque maternelle, spontanée et familière. » (idem, p. 46.). Outre les passages à suivre, les exemples énumérés ci-dessus peuvent attester de la complémentarité distante de ces deux langues. C'est le cas également des passages livresques précités, où il est question de faire correspondre deux versets des Écritures (l'un biblique et l'autre coranique), transcrits chacun dans une langue à part et reliés ensuite par l'intermédiaire de la langue française243(*), autrement dit par celui de la traduction qui ouvre un espace au croisement et à la rencontre des codes sémantiques :

Notre Père / Au nom d'Allah, Notre Père qui êtes aux cieux / Seigneur des Mondes Que to nom soit sanctifié / Le Tout miséricorde Que vienne ton règne / c'est Toi que nous adorons, Donne-nous notre pain quotidien / Toi dont nous implorons l'aide ... Amen / Amîîîîîne. (K. Berger, 1998, p. 56.)

Il convient de citer aussi dans ce registre de la mixité des langues le texte fractal éclaté qui, comme le nôtre, est composé d'incessants va-et-vient, de renvois, de raccords et d'adjonctions amalgamiques entre des unités langagières appartenant à divers horizons de langues (c'est l'exemple de l'arabe qui s'immisce dans le français [oralité] et du français dans l'arabe [connotation des mots empruntés et traduction des corpus coraniques]), et qui donnent à voir un récit régi par des compromis sémantiques et des emprunts langagiers : la succession de ces codes, également appelée « code-switching », désigne dans le langage moderne l'alternance au sein d'un même énoncé (texte) de deux ou plusieurs codes linguistiques, soit donc à ce que Lewis appelle « l'interpénétration horizontale des langues »244(*) sur le mode interlingual, pour aboutir à un multilinguisme littéraire qui se caractérise par la pénétration d'une langue (d'accueil) par une autre (d'arrivée).

Ce phénomène d'interférence langagière recouvre une bonne partie de l'oeuvre de Karima Berger, et notamment avec L'enfant des deux mondes qui la donne à voir comme étant une oeuvre hybride. Parmi ces interférences, nous avons pu relever : « hommes-moudjahidines » (p. 6.) ; « qachabya » (p. 7.) ; « haïk » (p. 8.) ; « medersa » (pp. 26, 40, 43, 45, 65.) ; « sourate » (pp. 27, 52, 57.) ; « Fatiha » (pp. 27, 33, 45, 52, 53, 55, 56, 57.) ; « Bismillah » (pp. 28, 57.) ; « Allah » (pp. 28, 56, 58, 65, 96.) ; « Amîîîîîne » (pp. 28, 51, 52.) ; « burnous » (p. 32.) ; « fez » (p. 33.) ; « Istiqlal » (p. 33.) ; « Qassaman » (p. 33.) ; « Chahada » (p. 33.) ; « moudjahiddines » (p. 39.) ; « djihad » (p. 39.) ; « speakers » (p. 44.) ; « l'establishment » (p. 45.) ; « Iqrâ ! » (pp. 53, 54, 55.) ; « Niyâ » (p. 57.) ; « Yâ Sin » (p. 57.) ; « Maghreb » (p. 61.) ; « drogman » (p. 62.) ; « tordjman » (p. 62.) ; « ben » (p. 63.) ; « chnougha » (p. 65.) ; « l'Aïd El Kebir » (p. 77.) ; « Baba Achour » (pp. 77, 78.) ; « henné » (p. 77.) ; « qalams » (p. 90.) ; « youyous » (p. 91.) ; « harem » (pp. 91, 100.) ; « chéchia » (p. 94.) ; « tolbas » (p. 109.) ; « Azraël » (p. 113.) ; « flene ou flene » (p. 114.) ; « Cheikh » (p. 115.) ; « Kaâba » (p. 116.) ; « l'Emir » (p. 116.) ; « gandourah » (p. 121.) ; « l'oued » (p. 121.) ; « couscous » (p. 121.) ; « L'Agua viva » (pp. 123, 124, 125.) ; « Soura » (p. 124.), qui sont des particules étrangères minoritaires au sein du texte français (langue majoritaire245(*)).

Tous ces emprunts ne dérogent pas aux besoins de la syntaxe, bien au contraire, ils enrichissent par leur mouvement cadencé la structure interne du récit (ce qui nous suggère alors de l'inscrire davantage dans le prolongement du courant moderniste plutôt que dans celui postmoderniste246(*)). Nous nous acheminons dès lors vers une poétique du divers qui instaure une sorte de « Chaos-Monde »247(*) fructueux, dans la mesure où la diversité devient la norme et la complexité l'usage. En ce sens, et pour davantage se positionner dans le contexte postcolonial, Christiane Chaulet-Achour affirme que « les oeuvres issues d'aires géographiques différentes ayant pour point commun la langue française ont [toutes ?] introduit l'étranger dans la littérature, par la grande porte, celle de la langue littéraire. »248(*). Tels sont donc les effets du multilinguisme sur l'écriture pour le sujet-double en quête de son identité hybride. Cette dernière, bien qu'elle soit souvent l'oeuvre d'un être en particulier, nous renseigne (selon les conjonctures historiques) sur la double généalogie de ses auteurs. W. Mackey constate que « certains écrivains multilingues sont incapables de s'exprimer, voire [de] penser, en une seule langue. »249(*). L'hybridation atteint donc un seuil conscient et agit conséquemment sur le texte. Parce qu'ils sont les dépositaires légitimés de deux systèmes culturels conquérants, leur oeuvre éparse est la consécration établie du multiple et du divers.

À travers la confrontation de ces deux langues, le lecteur, s'il peut apercevoir en filigrane les signes d'un quelconque « désordre » (postmoderne), ce n'est qu'en termes d'une certaine remise à l'ordre voulue, avant tout, comme un rapprochement insaisissable. En effet, le caractère instable de ces langues, conforté dans son positionnement double, est le plus à même de restituer au texte sa relation de stabilité et d'équilibre : car s'il assure « la permanence des deux langues chez l'écrivain bilingue, [ce n'est qu'au prix d'] une infinité de jeux de miroir et de déplacements culturels... »250(*). Ce qui confirme encore une fois la non-inscription de ce texte dans le courant postmoderniste, c'est sa vocation obstinée de faire coïncider ces deux espaces langagiers pour les confronter ensuite dans un lieu commun, c'est-à-dire dans un « Tiers-espace » (H. K. Bhabha), qui est l'aboutissement d'une querelle irréconciliable. Mais c'est alors un hybride inachevé et conscient de ses manques qui plus est considéré comme un parangon de la littérature hybride, que celui d'un texte en perpétuel devenir :

Les discussions [...] véritables joutes mettant en scène les qualités de leurs langues [...] la supériorité esthétique, sensuelle ou imaginative pouvaient s'éterniser ou parfois dégénérer en algarades de sens, autour de noms à traduire, traduire toujours, intense travail de tous les instants, d'une langue à une autre, d'un signe à un autre, dans un sens, dans l'autre, sans cesse. » (K. Berger, 1998, p. 72.)

On le voit, notamment à travers l'insistance redoublée de l'auteure, que cet espace nourrissant le « rêve de la rencontre, de l'assimilation » (K. Berger, 1998, p. 65.) est loin d'être en soi le fait d'une intégration accomplie, puisqu'il n'advient qu'en contrepartie d'un incessant affrontement... et la détermination qu'il y a à maintenir cet espace ouvert est catégorique. En ce sens, A. Khatibi parle de la « bilangue » comme d'un « nouvel espace langagier. »251(*), seul capable de réunir ces deux extrêmes antithétiques (ces « deux pôles de

tension conduits à coexister selon des modalités perpétuellement renégociées. »252(*)) que sont les langues de l'Occident (français) et de l'Orient253(*) (arabe, berbère...) :

Langue maternelle. Laquelle en vérité était la sienne ? (K. Berger, 1998, p. 51.)

Poétiquement parlant, le texte, en plus d'être un support idéologique de qualité, sert à illustrer cette dernière (« l'idéologie forgée »254(*)) par le truchement d'une pluralité de voix narratives255(*). Le texte hybride est en effet ce tissu d'interférences langagières dont parle Lewis (axe horizontal) mais aussi ce lieu extrême où se réalise le principe dialogique de Bakhtine (axe vertical). Le phénomène hétéroglossique, qui est tout à la fois présent dans les champs moderne et postmoderne, apparaît en second ordre dans notre corpus. Nous comptons de ce fait un autre niveau d'interférence codique qui relève de l'hybridation intratextuelle, c'est-à-dire qui procède de l'alternance de plusieurs registres de langue à l'intérieur d'un seul et même code linguistique. Nous avons pu voir, plus en haut, comment se faisait l'incorporation de la langue arabe classique [Coran : « Lam yaled oua lam yaouled » (K. Berger, 1998, p. 27.)] dans un français standard ; nous verrons maintenant comment a lieu l'emboitement des deux variantes (langue vernaculaire, expressions idiosyncratiques/langue classique ou standard) d'une même langue.

L'introduction d'une autre subjectivité langagière a un effet conséquent sur le texte de départ et sur celui d'arrivé (problème que peut poser la traduction). C'est le cas des passages portant les marques d'oralité (poésies, contes, proverbes...) et qui attestent de l'existence d'une littérature traditionnelle (orale) au sein d'une littérature moderne (écrite : en arabe et en française). On parle bien d'ailleurs, suivant les mots de Paulette Galand-Pernet, d'une « ethnolittérature-source » (française) et d'une « ethnolittérature-cible » (arabe, berbère). Ce passage de L'enfant des deux mondes admet donc la présence d'une poésie orale féminine (transcrite en arabe classique avant d'être traduite en français, mais qui continue de faire dans la vraie vie l'objet d'une déclamation orale256(*)) qui, contrairement à la récitation des textes Saints, se joue uniquement dans des rites païens (hétérodoxes) et solennels257(*) :

« Nous sommes filles de l'étoile du matin,  Nos cous sont armés de perles, nos cheveux parfumés de musc, Si vous combattez, nous vous prendrons dans nos bras, Si vous reculez, nous vous délaisserons, Adieu l'amour ». (K. Berger, 1998, p. 93.)

Dans les littératures hybrides (littératures de « l'intranquilité » selon F. Pessoa), le roman qui met en scène deux univers parallèles au sein d'une même « communauté [...] organique »258(*), se caractérise par une « diversité sociale de langages, parfois de langues et de voix individuelles, diversité littérairement organisée. »259(*), qui selon Bakhtine procède de l'ordre intentionnel des choses260(*). En effet, le langage littéraire serait à voir, selon lui, comme « un hybride linguistique » (effet), dans la mesure où il fait suite à un « hybride historique inconscient » (cause). Ce cas-ci d'interférence se caractérise par une parole externe au discours véhiculé par le texte, c'est-à-dire qu'il intervient indirectement par la plume de l'auteure261(*). En clair, il y a à peu près deux registres et deux discours différents qui circulent dans une même langue, l'arabe (dialectal/maghribi et classique262(*)). Nous comptons respectivement cinq interventions de ce genre : « Qum Tara » (p. 5.) ; « Aya belâredj » (p. 5.) ; « Netlâa ilal djebel » (p. 39.) ; « Morrammed-fissa-belek » (p. 70.) ; « macache-kaoua-bled » (p. 70.) qui sont à l'ordre de ces manifestations polyphoniques.

C'est, en somme, une étape nécessaire et cruciale dans la voie de l'affirmation continue d'une modernité romanesque. Tous ces éléments auxquels il est fait référence dans notre corpus, viennent renforcer en quelque sorte la stratégie de l'auteure, qui vise à inscrire ses personnages dans la tourmente et l'éclatement des espaces phonique, sémantique, symbolique, etc. À terme, nous pouvons dire que L'enfant des deux mondes est un roman hybride ; d'abord par son aspect doublement idéologique, puis par la mobilité de ses structures langagières.

3. Le cadre spatio-temporel :

L'hybride apparaît plus nettement encore dans la structuration interne du récit. En effet, l'ensemble des procédés paratopiques employés nous renseigneront davantage sur la disposition hétérogène du texte, suivant la logique de rupture (sauts temporels) ou de dédoublement (alternance spatiale). Ceux-ci participent tout simplement de l'effet de représentation ou de conditionnement de l'oeuvre vis-à-vis de son contexte d'apparition (Maingueneau), qui la donnent à lire comme étant une reproduction pure et simple des formes de l'ambigüité.

Dans un premier temps en effet, l'étude des passages descriptifs, érigés selon des modalités paratopiques revendiquées dans l'oeuvre, doivent conclure à la fragmentation de l'espace romanesque (dédoublement, diversité et interpénétration de lieux) ; dans un second temps, la prise en charge des séquences narratives nous permettra de dégager l'essentiel de la temporalité (la vitesse, le rythme et la fréquence) brouillée du texte. En somme, cette étude nous permettra d'énoncer clairement les enjeux poursuivis par l'auteure et de les appréhender selon les principes hybrides qui sous-tendent la composition de son texte.

3.1. Le dédoublement spatial :

L'espace romanesque représenté dans L'enfant des deux mondes est fort important dans la mesure où il excède la problématique idéologique de la période post-indépendance, et procède au décloisonnement des espaces. En effet, tantôt l'Ici est juste là, tantôt il est ailleurs. Il s'agit pour l'auteure de mettre en place une alternative à ces deux mondes qui sont désignés du doigt comme étant vivement antithétiques, et d'échapper ensuite à la politique ségrégationniste du régime en place : être présent en chacun de ces espaces, « hors de l'ennui, des murs263(*), du silence, de la claustration. » (K. Berger, 1998, p. 7.), telle est la raison d'être de ce livre. De ce fait, la multiplication des espaces au sein de notre corpus « brise cette fonction emblématique du territoire et conteste l'affirmation crispée d'une identité univoque... »264(*).

Il s'agit principalement des souvenirs de l'enfant. Le roman débute en Algérie, à la période coloniale, en même temps qu'il s'écrit en France, lieu d'exil. La narration ultérieure permet donc un moment le rapprochement de ces deux espaces tout en les confondant. Le passage d'un espace à l'autre est rendu aisé par l'enchâssement des séquences narratives et descriptives. L'ordre de narration emprunte la figure du sablier, c'est-à-dire qu'il résulte d'un va-et-vient (en allant du général au précis et du précis au général) entre ces deux espaces principaux que sont d'une part l'Algérie d'avant et celle d'après ; de l'autre, l'Algérie (indépendante) et la France (terre d'exil265(*)).

Ainsi, de cette Algérie natale, figure emblématique et ancestrale, l'enfant aura retenu le goût de sa nostalgie et de son rappel. Cet espace, divisé par l'auteure en deux axes symétriques (les premiers chapitres se situeraient [tous] en Algérie tandis que les derniers en France) correspond d'abord à l'Algérie, « Alger - Médéa » (p. 5.) ; « Tibhirine » (p. 13.) ; « Damiette » (p. 13.) ; « Borelli La Sapi » (p. 13.) ; « Duperré-Aïn Defla » (p. 30.) ; « Tipasa » (p. 48.) ; « Saint-Denis du Sig [...] l'Oranie » (p. 61.), etc., avant de parvenir en France, pour elle « l'autre France » (p. 111.), c'est-à-dire en fait la métropole : « France » (p. 111.) ; « Ici, en Auvergne » (p. 120.), « Clermont-Ferrand » (p. 112.) ; « Puy-de-Dôme » (p. 118.), etc. Le dédoublement est néanmoins le principe fondateur de ce livre. En une fraction de seconde, le récit peut se glisser d'un lieu à un autre et accumuler bon nombre de descriptions spatiales. C'est le cas, ci-après, de ces deux passages qui alternent entre deux espaces suffisamment lointains mais proches (ayant plusieurs dénominateurs communs), pour répondre aux besoins de la comparaison :


· Paris. Marché d'Aligre, un samedi de Ramadhan dans une boucherie musulmane... (K. Berger, 1998, p. 86.)


· Médéa, fief de la tribu, lieu de tous les rituels, des manies religieuses... (K. Berger, 1998, p. 87.)

Cette alternation des espaces accompagne sans doute l'état d'esprit de l'enfant, pour ne pas dire de l'auteure, et caractérise sa double personnalité. Comme elle ne peut véritablement s'en défaire ni de l'un ni de l'autre, ils sont tous deux présents dans la conscience de l'une et de l'autre. Il n'y a donc pas de réseau d'oppositions entre ces deux espaces, contrairement aux idéologies qui les représentent au sein des régimes postcoloniaux, mais des liens complémentaires qui insistent sur la continuité de l'un et de l'autre. Le roman en question, tout comme l'enfant d'ailleurs, invoque très souvent ces deux espaces en essayant de les contenir dans un jeu incessant de va-et-vient : « Aller, retour, Paris - Alger - Paris. » (idem, p. 122.). Pour le texte donc, l'identité hybride est celle qui « se dérobe à la fixité dans l'espace romanesque. »266(*).

3.2. Le temps discontinu :

Le temps de narration est également réfractaire à toute logique de barricadement. Bien que l'intrigue soit linéaire dans sa plus grande partie, quelques jeux de piste ne sont pas à exclure. C'est précisément de cette façon que l'autobiographie peut côtoyer l'Histoire, c'est-à-dire par l'enchâssement de l'une dans l'autre : le temps historique vient ainsi rompre le présent de narration267(*) et le présent se fondre à son tour dans le temps historique, qui nous donne à voir une temporalité brouillée. C'est un va-et-vient entre le passé et le présent, mais également entre plusieurs passés et présents (registres) dû à la présence simultanée de plusieurs genres.

La narration est elle aussi ultérieure268(*), c'est-à-dire qu'elle n'intervient que beaucoup plus tard et essentiellement de l'extérieur (en France, lieu d'exil) sur des événements qui ont eu lieu ici, en Algérie. Elle perpétue donc face à l écart spatial un autre écart temporel, comme peuvent en témoigner ces quelques verbes pris de manière non exhaustive : d'abord à l'imparfait et au passé simple, « passaient » (p. 5.) ; « s'emparait » (p. 7.) ; « quittaient » (p. 9.) ; « ornaient » (p. 10.) ; « retrouvait » (p. 13.) ; « réservaient » (p. 14.) ; « venait » (p. 17.) ; « entendit » (p. 18.) ; « se réfugia » (p. 18.) ; « demanda » (p. 19.) ; « revit » (p. 19.) ; « était » (p. 39.), etc., ensuite, ayant longé suffisamment dans le temps, au présent de l'indicatif, quand ce n'est pas alors au futur : « devient » (p. 89.) ; « appelle » (p. 89.) ; « sont » (p. 92.) ; « rajoutent » (p. 93.) ; « se souvient » (p. 102.) ; « hante » (p. 104.) ; « disent » (p. 106.) ; « déposera » (p. 124.) ; « se surprend » (p. 124.) ; « assiste » (p. 125.), etc. 

Ce type de narration peut être dit « intercalé »269(*), dans la mesure où il allie le mode ultérieur et le mode simultané. Aussi, l'enchaînement chronologique des chapitres passe pour être confus à un moment donné (à partir du chap. sept). Mais ce n'est pas plus simple en fait puisqu'elle admet également des passages relevant du mode antérieur. Ceux-ci sont principalement sous forme de prolepses (anticipations chronologiques) et d'ellipses (omission et/ou sauts temporels conséquents). Ces dernières, trop fréquentes, favorisent ainsi le passage d'un espace à l'autre. Citons, dans cet ordre-là, les exemples suivants : « sensation qu'elle retrouva plus tard dans la vallée de Petra... » (p. 6.) ; « Bien des années plus tard, en feuilletant l'album de photos familial, elle mesurait... » (p. 8.) ; « Lorsque plus tard l'enfant apprit qu'elle avait... » (p. 10.) ; « ... et lorsqu'adulte elle s'exila... » (p. 10.) ; « Mais plus tard, voyant ses enfants grandir aux frontières des rivages de ce nouveau monde... » (p. 12.) ; « ... plus tard, dans les paysages d'Auvergne... » (p. 13.) ; « Le lendemain » (p. 19.) ; « Ce soir-là » (p. 20.) ; « La veille » (p.24.) ; « Le lendemain » (p. 25.) ; « Lorsqu'alors âgée de vingt ans, bien des années plus tard » (p. 37.) ; « On le sut plus tard » (p. 42.), etc.

Le roman, du coup, repose sur ce principe des jonctions qui finissent par établir une sorte de paradoxe. Cela parce que l'auteure prend en compte les métamorphoses identitaires de l'enfant et suit une paradigmatisation systématique et étagée du texte, à travers notamment le choix des figurations (descriptives et narratives).

? CHAPITRE DEUXIÈME : Stratégies postcoloniales.

Nos enfants ne pourront même plus se sublimer comme leurs ancêtres dans les vers de poésie. Qu'ont-ils donc nos doctrinaires au fond des yeux ? Certainement pas des oiseaux migrateurs et des fées de toutes les couleurs. Qui se souvient de la cigogne ? Elle a rayé notre pays de son plan de vol.

Malika Boudalia-Greffou.

L'Histoire de l'Algérie contemporaine demeure à bien des égards une Histoire fabriquée et éminemment idéalisée. Celle-ci revendique déjà, dans le cadre de son héritage, son ralliement précoce à l'idéologie arabo-musulmane longtemps considérée comme seule apte à constituer son unité nationale, abstraite et controversée, voire inexistante270(*). Bien des années plus tard, on retrouve dans une autre disposition d'esprit certes, la réincarnation (ou métempsychose) des procédés de subversion susceptibles d'influer en contrepartie sur le mythe de l'algérianneté arabo-musulmane.

Caractérisées dans les études postcoloniales depuis Fanon, on parle souvent de stratégies d'identification postcoloniales pour désigner l'ensemble des moyens (politiques) mis à disposition des jeunes États indépendants, afin de sauvegarder - ou de réaliser par quelque artifice que ce soit - l'unité culturelle de la nation. Ces moyens, visibles pour la plupart, sont du reste bien représentés dans notre corpus.

En effet, il y a lieu de parler de stratégies d'identification lorsque l'ensemble des mécanismes référentiels à l'identité sont constitués ou élaborés - suivant une certaine arbitrarité du geste - de manière à susciter, par des réactions contraires, un état de considération univoque visant, dans le cas de L'enfant des deux mondes, à supplanter coûte que coûte la suprématie du discours colonial, ou à réduire de façon radicale la subsistance de ses effets271(*). De fait, la rencontre de ces deux consciences colonisé/colonisateur affectera durablement le choix des processus en charge des relations identitaires à venir, fondés en l'occurrence sur des rapports de rejet et de haine viscérale... réciproquement inversés :

L'enfant entend par la bouche de sa grand-mère, que seuls les membres de sa communauté iront au paradis. [...] La grand-mère supposée détenir tout le savoir du monde dit que seules l'enfant, elle et leur communauté arabe auraient accès au paradis. (K. Berger, 1998, p. 17.)

Ou encore :


· Les Français sont sales (K. Berger, 1998, p. 83.)
· J'aime pas les Français (idem, p. 106.)

C'est en soi une donnée préjudiciable et inversée de l'ancienne idéologie dominante, restituée celle-ci par des liens et des conventions opposées272(*). Ce sont, par exemple, tous ces procédés d'identification ethnocentriques et exclusifs, détériorant jadis l'image de « l'Arabe » (K. Berger, 1998, p. 100.) avant d'etre appliqués au « Français » - relevant de la VL (violence légitime) d'État et dont se servent les idéologies nationalistes -, qui figurent dans ces lieux réputés stratégiques :

Les Français ; qui s'en soucie ? Nul besoin de les connaître ni même les approcher, le réseau déjà implanté ici fonctionne parfaitement, reproduisant avec encore plus de zèle les modèles de relations familiales et toujours endogènes. « ...Et puis, ces Français, il faut s'en méfier, hypocrites, avares, égoïstes, racistes, ils ne donnent jamais rien, si peu généreux, si mesquins... », telle une célébration inversée de leur passion cachée, rappelant l'ordre d'un autre temps et d'un autre lieu... (K. Berger, 1998, p. 108.)

Dans ce cas, l'ambivalence des identités suggérées plus haut met en relief l'existence d'une situation idéologiquement antérieure, capable d'influer sur le destin de toute une nation. Si « la relation coloniale déshumanise et aliène »273(*) le colonisé, la relation postcoloniale, sommes-nous tentés de dire, désagrège sur le plan des libertés individuelles la volonté du sujet pour aboutir à la « souffrance mentale » dont parle Fanon. En effet, une nouvelle aliénation culturelle a lieu dans les milieux postcoloniaux. H. Carrier la définit comme « condition des individus ou des groupes qui sont atteints dans leur identité culturelle et leur sens de l'appartenance. Ce sentiment de désapprobation [de l'autre, résulte] des situations de violence, telle que la domination militaire, la colonisation, l'oppression économique ou idéologique »274(*) qu'il [le sujet], tend de reproduire ensuite en toute légitimité :


· « ...La France nous doit bien cela... »275(*) disent-ils... (K. Berger, 1998, p. 108.)
· Ne désirer de la France que la stricte matérialité de ses objets... (idem, p. 106.)

En somme, ce qui nous intéresse ici au sein de ce chapitre, c'est de voir comment et dans quelles conditions près d'élabore le transfert de cette idéologie coloniale pour au final muter dans une sorte de contre-discours caricatural. C'est à partir de ce questionnement que nous pourrons cerner la réalité complexe d'une identité nationale prise dans son évidence aporétique. De même, selon qu'on se situe dans une position politico-temporelle ou dans l'autre (suivant la distribution manichéenne transnationale/infranationale), l'on passe de la nation « hétérogène » aménagée par les penseurs coloniaux à la nation « homogène » décrétée par les postcoloniaux276(*).

1. Pour une politique du fait colonial inversée :

Avec l'avènement de l'indépendance, il n'y a plus aucune pensée égalitaire en mesure d'établir des rapports entre sociétés et individus. Au contraire, durant ce laps de temps, les rapports de forces se sont inversés entre colonisateur et colonisé d'une part, et entre sujet et communauté d'autre part... de sorte à pratiquer maintenant une politique vaine de l'enfermement vis-à-vis de cet «Autre» et de son héritage continu. En d'autres termes, c'est une démarche qui ne tient pas uniquement compte de l'étranger et de ses rapports avec l'ex-colonisé, celui-ci étant lui-même exclu de sa subjectivité. L'enfant des deux mondes nous apprend donc que la politique de discrimination est toujours en marche, avant et après l'indépendance, qu'elle a juste changé de lieu et qu'elle opère désormais au sein du camp adverse. En effet, l'ex-colonisé est, de nos jours, celui qui cherche à discriminer, à séparer son existence jadis relative à celles des autres. Comme si de l'avant à l'après, du colonial au postcolonial, « les deux zones [n'étaient] pas destinées à se compléter, loin de là..., mais à s'opposer. »277(*) :

En quelques jours, Médéa se métamorphosa en une ville étrangère, ce n'était plus cette fois le « Vive le FLN » écrit en français, depuis longtemps déjà familier au regard, mais une autre écriture, une autre langue, comme s'il s'agissait déjà d'un autre pays, habité par un autre peuple, souverain dans son expression. (K. Berger, 1998, p. 29.)

Aussi :

Alger depuis évoquait pou elle ce séjour de fête et de spiritualité offert par la grâce de l'amie étrangère. Mais lorsque sa famille s'y installa en cette fin d'été 62, elle ne retrouva plus guère les traces de cette atmosphère. Ce n'était plus la même ville. (idem, p. 38.)

Il s'avère de ce fait que l'indépendance n'a pas réellement sapé les fondements propres à la colonisation, loin s'en faut, mais qu'elle en véhicule et reproduit quelques uns de ses éléments discriminatoires, racistes, qui font que le colonisé se substitue et s'identifie désormais au colonisateur. Pour Fanon, conclue Tassadit Yacine, « il ya donc la discrimination opérée par le haut, par le colonisateur, mais il y a aussi cette autre distinction, celle qui vient du bas, que va opérer le colonisé avec la décolonisation. »278(*). Cette dernière consiste en fait, selon Edward Saïd, à renverser les rapports de force initialement établis par la présence du colon :

Oui, montrer aux siens qu'on tient à distance cet étranger, le garder anonyme, inanimé, sans esquisser le moindre mouvement d'approche ni de curiosité envers lui. (K. Berger, 1998, p. 109.)

Mais, pour l'enfant et pour tout sujet hybride, l'enjeu est de faire en sorte que « s'organise la rencontre de [ces] deux forces congénitalement antagonistes qui tirent leur originalité de cette sorte de substantification que secrète et qu'alimente [durablement] la situation coloniale. »279(*). C'est dire qu'à l'heure où nous sommes, des processus contradictoires perpétuent le « choc de civilisation »280(*) qui s'avère à chaque fois « interminable, implacable et irréversible. »281(*). Ainsi le colonisé serait l'oeuvre du colonisateur par le biais de ce retournement :

Mais, ironie de l'histoire, la France n'est-elle pas pour les Algériens d'aujourd'hui cette même image qui immobiliserait ses habitants dans des postures sans âme, foule anonyme, pour ne laisser danser et briller que les miraculeux objets de l'Occident... (K. Berger, 1998, p. 105.)

Ou encore lorsque l'enfant se penche sur le devenir des Pieds-noirs :

Ne vivaient-ils pas le même retournement, ces jeunes Français nés dans une France coloniale et qui soudain devaient aller travailler dans cet ancien département français, non plus en maîtres mais en « coopérants techniques » [...] ? Ils jouaient pourtant le jeu prescrit par le nouvel ordre, ils étaient « coopérants »... (K. Berger, 1998, p. 41.)

L'enfant des deux mondes traite donc de l'exacerbation de la politique anticoloniale appuyée au lendemain de l'indépendance, et qui tend à s'affirmer dans un espace de plus en plus monologique. À cela, le roman insiste sur la nécessité « de ne pas s'identifier [encore] à des modes de pensée occidentaux [la ségrégation, le rejet et l'homophobisme]. »282(*) pratiqués envers des sujets hybrides et assimilés, tout comme l'enfant, aux figures de l'étrange, car l'univers dans lequel elle évolue est celui-là même de l'étrangeté radicale : en effet, si elle est prétendument supérieur à l'une des sociétés (arabe), elle est aussi inférieure à l'égard de l'autre (française), ce qui, de fait, lui assigne d'emblée un espace plus particulier, non négociable : le Tiers-espace :

Tout comme à l'école Richard où elle ressentait sa singularité arabe, ici à la medersa, elle ressentait cette autre singularité qu'elle ne pouvait nommer française, mais étrangère en tout cas. (K. Berger, 1998, p. 27.)

Les racines de l'anticolonialisme remontent assez loin dans le temps (Hegel, Sartre, Césaire, Balandier...) pour être ainsi la discipline la mieux accueillie dans le vif de l'action anticoloniale. Toutefois, si elle devait survivre à la décolonisation, comme Sartre le donne à lire dans Orphée noir283(*), elle aboutirait aussitôt à une sorte de « racisme antiraciste » (voir supra, p. 36.)284(*). Si pour Sartre l'antiracisme et l'anticolonialisme devaient, au préalable, s'accommoder d'un certain républicanisme, ce n'est pas tout à fait le cas en Algérie où l'identité brigue à coup sûr une nouvelle vision du nationalisme.

La double appartenance est perçue comme une trahison par les pouvoirs en place285(*), de ce qu'elle suppose le recours aux avatars des idéologies impérialistes provenant de la modernité. De ce fait, la reproduction du discours colonial ou, plus précisément l'anti-discours, s'alimente pratiquement des mêmes enjeux passéistes - « hallucinations historiques »286(*) - qui font que l'identité est seule envisagée sous le prisme de l'univoque :


· Grâce à la medersa l'enfant avait acquis les bases culturelles de son éducation : Qassaman, la Fatiha et la Chahada. [...] elle commençait sa récitation légèrement troublée par ce qui lui semblait être un mensonge. (K. Berger, 1998, pp. 33-34.)


· Impuissante, elle éprouvait dans sa chair le brutal inachèvement de la culture française dont elle avait été nourrie jusque-là... (idem, p. 40.)

Ainsi, il y a toujours à proprement parler le désir d'uniformisation qui caractérise jadis les sociétés coloniales. De ce fait, elle persiste toujours à quelques détails près, car l'oppression est désormais nationale287(*). En d'autres termes, elle est entièrement renouvelée et fait suite à la domination coloniale. Or, nous dit encore T. Yacine dans le sillage de Fanon, « La colonisation et son envers (la décolonisation) n'est rien d'autre que ce rapport de force qu'il faut inverser. »288(*).

En effet, « L'anticolonialisme devient une arme »289(*) qui s'incruste durablement dans les politiques des nations nouvellement indépendantes. S'il sert à maintenir avec quelque effort intellectuel leur statut de liberté, il reste néanmoins favorable à la diffusion de ce qu'on pourrait appeler une « politique autoritaire »290(*), fondée presque aussitôt sur la même « politique de force »291(*) jadis à l'oeuvre dans les colonies. Pour l'État indépendant, ce n'est autre qu'une violence légitime (Bourdieu) que celle appuyée sur un ensemble de réformes académiques et institutionnelles, en vue de recouvrer la toute-puissance de l'APN (action politique nationale) :


· Dans ce lycée algérien et indépendant, ce n'étaient plus les mêmes camarades françaises qu'à l'école Richard, non, Alger n'était pas Médéa. Brusquement, le français devint la langue mal-aimée, celle de la traîtrise... (K. Berger, 1998, p. 40.)


· Des professeurs du Moyen-Orient parlant une langue arabe à peine compréhensible [...] tentaient d'enseigner une langue arabe, parlée par personne au monde292(*) - sinon de manière compassée par les nouveaux clercs de la culture et autres speakers de la Télévision ou de la Radio officielles. Une langue arabe morte à des enfants qui parlaient une autre langue, vivant mélange d'arabe, de berbère, de français et de langue pied-noir et de bien d'autres encore... (idem, pp. 44-45.)

Cette violence institutionnelle se décline comme suit : Action Pédagogique (AP) pour Bourdieu, politique d'arabisation institutionnelle pour M. Boudalia-Greffou, prépondérance et hégémonie du culte suivant la religion politique de Max et Durkheim... qui établit à contresens une autre forme d'ambigüité calquée sur le modèle de la colonie. Ainsi, aux procédés d'aliénation coloniale s'adjoignent ceux plus graves de la politique « anti-nationale » orchestrée par les rouages conformistes et rigoristes des pouvoirs postcoloniaux293(*).

Cette vague de transformations qui marquent les jeunes États du tiers-monde nous renseigne du reste sur les évolutions importantes que subit le monde d'aujourd'hui et nous rapproche davantage de l'impérialisme fanonien : l'ensemble des dérèglements sociaux qui accompagnent le passage d'une ère traditionnelle (pré/coloniale) à une ère subséquente de la modernité (postcoloniale), reflètent la «nécessité» d'une idéologie de l'ambivalence suscitée par des bouleversements politiques et culturels (le bouleversement du paysage social, la politique de l'enfermement, les phénomènes d'oppression, les désintégrations brutales...).

Dès lors, un sérieux problème idéologique et politique s'installe, qui va susciter d'autres réflexions sur la question nationale et identitaire telle qu'elle apparaît au devant de l'indépendance. C'est sur ce terrain en confusion que s'annoncent les principes de ces identités en métamorphose.

2. Stratégies d'accommodation en ambivalence culturelle294(*) :

Face à l'action politique menée par les pouvoirs en place, on assiste à l'apparition subséquente d'une nouvelle forme d'ambigüité relative aux techniques de conditionnement identitaire (suite notamment au travestissement de l'Histoire et de ses processus internes). Certains supports identificatoires s'en trouvent ainsi remis en cause dans ce qui semble être une régression constante des valeurs communautaires établies.

Le syncrétisme culturel en est la résultante de tous ces hiatus aménagés par les instances politiques dans la voie de la résistance, et atteste d'abord de « la faillite de tous les systèmes qui prétendent assigner tel modèle identitaire et en stigmatiser tel autre. »295(*). Ce qui, devant la coexistence agressive et troublante de ces valeurs, octroie à nombre de jeunes Algériens en quête d'identité le moyen de rompre radicalement le cercle infernal de l'ambivalence, soit par le repli volontaire, soit par l'acceptations de nouvelles stratégies identitaires aliénantes (à considérer par l'écart dangereux de la culture opéré par les nouvelles aristocraties, et qui, quelques décennies plus tard, y concède la montée de l'intégrisme) :

Ce repli dans les tréfonds de la personnalité culturelle [...] est généralement précipité quand il n'est pas d'abord encouragé par une vocation de type messianique dont se réclament bien souvent les gouvernements des jeunes États : réhabilitation de la culture et langues nationales, recherche puis élaboration d'un modèle « spécifique » pour le développement, etc., sont autant de projets légitimes, mais dont la fonction symbolique est d'abord « exorciste » de l'ombre du colonisateur qui continue de hanter et de déchirer la mémoire collective.296(*)

Ainsi donc, pour se dérober aux nouvelles contraintes idéologiques, l'État puise dans le réservoir de la Tradition des éléments aptes à faire basculer l'imaginaire social dans un espace ambigu de la modernité (principalement économique) requise. En effet, dans L'enfant des deux mondes, ces aspirations complexes à la modernité sont loin de conclure au relâchement des moeurs sociales ou à l'établissement d'un état d'affirmation provisoire en faveur de la modernité, mais participent d'un effet d'illusion défini dans une position tout à la fois médiane et imposée dans un espace contradictoire... lieu d'affirmations syncrétiques par excellence, tantôt orienté vers la modernité tantôt subissant les exigences de la tradition297(*). C'est plus particulièrement le cas quand il s'agit pour les dirigeants (ici le ministre) de fermer l'oeil au népotisme d'État :


· C'est que tout était désormais permis, on pouvait disposer de tout, le pays était libre et indépendant, il fallait savoir se servir, telle semblait être la nouvelle règle civique. (K. Berger, 1998, p. 50.)


· Tantôt, on se réfère à la «modernité» [économique], sans en définir les contours, tantôt, on porte les oripeaux d'un conservatisme rural négateur de toute «modernité». Double attitude, langage atrophié. Cette dualité discursive donne à voir un univers culturel marqué par les scories et les excroissances d'un discours politique ambigu, s'articulant autour de la puissance militaire et du jeu répressif dominant, hérités de la colonisation dont les pratiques et les attitudes sont paradoxalement présentes dans la pratique politique et le discours des gouvernants.298(*)

C'est donc tout naturellement que survient la désidentification (échec de la tentative de dépassement et désillusion) pour le sujet moderne ou hybride en quête de ses repères. Ceux-là sont généralement le produit d'une conscience en mal de son être qui se retrouve contrainte d'agir dans un « marginalisme actif »299(*) (fugues), pour échapper à l'arbitraire des normes sociales et mettre un terme aux conflits de valeurs qui caractérisent la majorité des sociétés postcoloniales.

2.1. L'exil, ou la renaissance dans l'ailleurs :

L'enfant des deux mondes est l'oeuvre d'un déracinement multiple qui surgit avant et après l'indépendance. D'abord le départ des colons, puis celui des Pieds-noirs ; ensuite le « choc de[s] systèmes »300(*) achève d'« effacer la rencontre entre les deux mondes » (K. Berger, 1998, p. 105.) et scelle définitivement le destin du pays. Le roman en question fonctionne comme un hymne à la redécouverte et à la recherche continue des origines.

Deux perspectives s'offrent désormais à l'enfant : assister impuissante à « l'injustice de chaque jour » (idem, p. 105.), et participer d'un air aphasique à la débâcle de sa propre histoire, au travestissement des ses origines ; ou alors contribuer à la réconciliation des deux mondes, à la sauvegarde et à l'authentification des mémoires :

Là-bas, de l'autre côté de la Méditerranée, la production intellectuelle sur la période coloniale, pourtant prolifique, n'a ni épuisé le sujet ni même soulevé le coin du voile de ce qu'est en vérité une histoire coloniale. (K. Berger, 1998, p. 105.)

Pour faire face aux manoeuvres somme toute aliénantes des nouveaux maîtres, l'enfant est en passe de conclure à une alternative qui s'avère inéluctable pour le devenir de toute une nation : l'exil, comme autre tentative de dépassement. Mais ce n'est pas tant un sacrifice à vrai dire qu'une opportunité de circonstance. En effet, « Depuis, l'enfant savait que partir était un premier deuil, une façon de se purifier. » (K. Berger, 1998, p. 114.). Aussi voit-on s'affirmer dans l'exil la nécessité d'un choix - affilié à l'être hybride dans ce qu'il a de plus complexe en termes de diversité ou d'hétérogénéité - qui s'affermit sous la dualité des regards et des espaces, c'est-à-dire d'un état à surmonter afin de réaliser la synthèse et non autrement. Le rejet et la révolte sont alors deux façons de faire prévaloir la rencontre. En effet :

La séparation revêt non seulement l'aspect d'une révolte juvénile contre les coutumes préétablies et les mentalités figées de ses concitoyens, mais aussi contre l'enracinement définitif dans le même cadre spatio-temporel et contre le sédentarisme séculaire.301(*)

C'est que dorénavant, tout, dans cet univers illusoire et incertain des indépendances, frise la voie du chaos et de la démesure. Aussi bien, pour l'enfant qui doit éviter de succomber à ses vaines tentations, l'exil revêt un rôle constructif dans la mesure où il a seul le pouvoir de stimuler sa mémoire, d'élargir son horizon d'attente au-delà des simples préoccupations raciales ou ethniques. En clair, de briguer une nouvelle vision du monde sur voie de réminiscence :


· Le coeur en liesse, elle écoutait, observait, goûtait, sentait les parfums d'une terre qu'elle cherchait à reconnaître dans la trame d'une mémoire rompue... (K. Berger, 1998, p. 120.)


· Ici, en Auvergne, les figures surgissaient en contrepoint de la réalité enfin découverte... (idem, p. 120.)

Dans l'exil, tout concourt au renforcement des liens, à la proclamation des « lieux [divers] de la culture », au refus de ce qui existe en soi comme indépendamment de l'Autre. Ainsi, la situation de l'enfant (hétéroculturelle) s'apparente de beaucoup à celle de Jean Amrouche (Kabyle, Algérien, chrétien, Français...). Outre la « Crise de dénomination »302(*), celle de l'exil achève de leur insuffler le goût de l'étrange.

Ce qui, en définitive, permet à l'enfant de mieux assumer le choc des valeurs face à des supports identificatoires depuis lors remis en cause - quand la plupart ne sont pas tout juste absents de signification. Eu égard à ces caractéristiques, nous pouvons dire en effet que l'exil, précédé de tous ces points, signe en l'occurrence l'échec des stratégies identitaires propres aux milieux postcoloniaux. C'est, à proprement parler, le triomphe du sujet.

CONCLUSION GÉNÉRALE

« Nous sommes donc le seul pont, par notre métissage, par notre double culture, par notre connaissance des deux milieux [...] Il est alors logique que tout créateur, digne de ce nom, affronte et tente de résoudre ce problème de définition identitaire, qui le met de fait en compétition avec le système idéologico-politique du pouvoir. »

Slimane Benaïssa

Il semblerait donc que la question identitaire s'y soit implantée chez l'écrivaine de manière tout aussi légitime qu'elle y apparaissait déjà en dehors de son oeuvre. Ce qui, d'ores et déjà, fait d'elle une oeuvre singulière (aussi réservée que générale303(*), « pudique et passionnée à la fois »), qui nous est été donnée en guise de témoignage et est destinée à l'intention de tout Algérien en quête de ses repères. Car enfin, l'oeuvre aussi bien que l'auteure, nous renseignent toutes deux sur la réalité postcoloniale d'un État confronté à des retombées néfastes de part et d'autres des deux rives, et sur la manière de transcender l'espace exigu de ces deux mondes. Deux traits sont représentatifs de ce corpus : d'abord une manière de se dire personnelle qui fait étalage du monde et aspire à une plus grande diversité de soi (c'est l'éternelle crise du sujet) ; ensuite un tempérament vague et confus de l'oeuvre qui assimile les voies narratives par le brouillage et l'éclatement (« l'écriture du désastre »304(*)) en usant d'une variété de choix hétérogènes. Ces derniers, en l'occurrence, ponctuent le texte et attestent de son ancrage dans des identités relatives à la situation de l'auteure. Cela nous a permis de prendre conscience des enjeux humanitaires qui s'y trament, ou tout simplement de l'intérêt que revêt son écriture pour l'Autre.

Comme on l'a vu, L'enfant des deux mondes recèle un pari idéologique fort important dans la mesure où il incarne une problématique bien particulière, l'identité, dans une situation de métissages. En effet, les complexifications dues à cette notion d'identité au sein de notre corpus sont toutes relatives à la situation d'extériorité que traverse ?la' protagoniste, et qui, à certain égard, se trouve être fatale pour l'ordre endogène établi. Nous avons vu qu'il était question pour l'enfant, pour l'auteure (pour tout sujet hybride...) d'affirmer et d'excéder à la fois cette dimension fondamentalement acquise de la personnalité individuelle, pour au final se limiter considérablement au règne collectif. Par là, nous voulons dire que « la personnalité maghrébine est [toujours] le produit d'une oscillation incoercible, d'un «balancement entre quête de l'identité et l'aspiration à la modernité»... »305(*), relativement admise en termes d'un va-et-vient entre tradition et modernité. Mais, n'était-ce pas justement pour elles le fait d'avoir été à la lisière de ces cultures, de ces mondes, qui les rend désormais aptes à raviver le lien existant entre l'Algérie et la France ? Travailler à une manifestation adéquate de l'altruisme et échapper aux prestations identitaires qui s'effondrent de par et d'autres, tel est l'objectif envisagé par l'auteure pour faire face au lot des inégalités raciales orchestrées au lendemain des indépendances.

Ces deux principes fédérateurs de l'oeuvre de Karima Berger, il s'agissait pour nous de les faire admettre au sein d'une proposition hétéroculturelle unique en son genre (le Tiers-espace de Homi. K. Bhabha306(*)). L'effort est entièrement culturel : pour arriver à un dépassement pratique de ces deux mondes que sont pour l'enfant la culture arabe (traditionnelle) et française (moderne), l'on suppose, par nécessité, la constitution d'un « Tiers-espace » potentiellement réduit à cette logique de réconciliation qu'est le dépassement. Dès lors, il n'est plus question pour l'enfant de succomber à un conservatisme moribond qui s'exerce uniquement face à des idéologies de « l'Ailleurs », mais de faire de sa personnalité ambigüe l'exemple même du parangonnage qui aboutirait, chemin faisant, à une sorte d'équilibre entre-deux, à l'union de ces deux extrêmes. Cela relève d'ailleurs de l'intention de l'auteure que de « faire correspondre les deux mondes » (K. Berger, 1998, pp. 81-82.) et d'y remédier enfin à l'impasse idéologique. L'identification a lieu ainsi dans un espace tiers ou métissé. L'oeuvre étant cet espace par excellence dont se réclament les éléments du dehors, on voit en effet poindre une dialectique qui associe entre deux univers différents et deux postures éminemment antithétiques, à savoir entre rationalisme et spiritualisme d'une part, et entre pluralisme et désir d'unité d'autre part. Ainsi se conçoit et s'effectue le passage d'une identité double à une écriture hybride.

En effet, il était question pour nous, au départ, de rechercher l'origine de cette dissémination idéologique qui culmine au sein de l'oeuvre. Cela ne pouvait se faire sans quêter davantage son enracinement dans « les grands récits axiologiques » (Angenot), alors en friction avec des éléments de la culture. Elle culmine, de fait, sous la bannière de certains facteurs qui se révèlent fort importants car, nous l'aurons vu, l'identité de l'enfant tient compte d'une manifestation particulièrement relative aux événements qui jalonnent le cours de l'Histoire coloniale. Tout semble ainsi privilégier un certain rapport au passé, et notamment sur « la nécessité de se nourrir de la culture du colonisateur »307(*) qui est un des fondements de la modernité.

Celle-ci, à son tour, retentit comme un credo au coeur de ce texte. On voit s'aligner tout à tour des procédés d'écriture empruntés à la tradition occidentale et, partant, romanesques, quand d'autres s'inscrivent dans le prolongement du patrimoine ancestral. De par le statut et le positionnement ambigus de l'écrivaine, le roman est aussi le produit de ces deux composantes.

L'hybride tient lieu de principe au sein de notre texte. À vrai dire, L'enfant des deux mondes représente cet univers où « L'écriture n'est jamais plus achevée, plus désirante que dans le mouvement même de sa perte... »308(*). Ce que nous avons tenté de démontrer par ailleurs dans la seconde partie de cet ouvrage. En effet, sur le plan poétique, l'idée principale qui ressort de la lecture de ce texte est celle d'un assortiment de genres qui côtoient à coup sûr une diversité de langues (pour ne pas dire de langages). L'écrivaine a eu recours à des formes qui privilégient la valeur de témoignage : le dévoilement comme recherche de l'authenticité auquel s'adjoint le récit autobiographique. Ce dernier est seul apte à accueillir le destin d'« un être considéré comme fou par certains ; mécréant par d'autres. »309(*). Car le personnage central, l'enfant, a tendance à favoriser les apparitions contradictoires, à s'approprier des amalgames somme toute vivants (musulmane et «athée», libérale et communiste...), dans le but de mettre à nue l'hypocrisie religieuse et les interdits de la morale.

Pour ce faire, elle use de cette mémoire qui est un peu la sienne tout en déliant la voie aux autres ressources communes. Mais c'est peut-être une mémoire double, étant donné la dualité des enjeux qui s'offrent au vu de cette mémoire. En effet, le renoncement à la mémoire officielle emprunte, selon Barbéris, une autre vision de l'Histoire. Or, nous avons constaté que le récit donnait sur une autre forme qui devait lui garantir un maximum d'ancrage dans le réel. Histoire et autobiographie s'accordent donc pour donner lieu à une autobiographie plurielle. À partir de là, nous avons vu qu'effectivement L'enfant des deux mondes invoquait une profusion de genres (à la fois roman et récit, fiction et essai...) dans le but d'y asseoir sa légitimité. C'est de la sorte qu'il consolide son ancrage dans le champ de la francophonie, c'est-à-dire non plus comme « écriture éruptive » (Bonn), que comme choc harmonieux. Aussi bien qu'à l'hybridation générique s'ensuit maintenant celle linguistique, qui plus est se répartit elle aussi sur plusieurs niveaux. Nous avons retenu, pour le compte de cet essai, deux grands niveaux d'hybridation linguistique : le premier correspond à l'hybridation intertextuelle (ou interdiscursive) que suppose la présence au sein d'un même texte de deux langues ou plus... c'est le cas de l'arabe (minoritaire) dans le français (majoritaire). Le second a lieu au niveau intratextuel et correspond à l'emboitement de plusieurs registres de langue au sein d'un même et unique code. En d'autres termes, nous passons ici d'un multilinguisme avéré (diglossie) à un multilinguisme latent (hétéroglossie).

L'identité du roman se tient donc uniquement sous le signe de la richesse et de « la rencontre féconde des codes divers. »310(*). De ce point de vue, on est en droit de se demander si la notion d'identité, telle qu'on l'a vue par le passé, compte encore de son audition ? Or il s'avère que sa légitimité aujourd'hui culmine dans le fait qu'elle se tient au croisement de ces deux cultures, sous ses deux aspects public et privé. Il s'agit de fait, pour notre auteure comme pour beaucoup d'autres, d'affirmer leur originalité et leur particularité hybride pour pouvoir « jouer de leur maghrébinité [et] développer une écriture véritablement littéraire dans la rencontre des différents langages culturels... »311(*). Par ailleurs, c'est dans cette ambivalence précise que le roman algérien de langue française s'insinue et revendique sa modernité.

Il était question pour nous ensuite d'élargir notre analyse aux figures de la postcolonialité maintenues dans le texte. Suivant cette optique, nous avons pu confronter des éléments de notre corpus avec nombre de données préexistantes, conformément aux principes d'une littérature de désenchantement. Ces derniers nous ont accoutumés à une série de faits hors normes (que nous avons appelés stratégies) aboutissant, dans l'ensemble, à une médiation obsolète des pouvoirs. Par conséquent, plus on tend à la modernité et à l'approche d'un nouvel ordre cosmique, plus on voit apparaître des indicateurs de cloisonnement régional propre à une idéologie donnée. Nous nous sommes donc focalisés plus sur ce dernier point que sur d'autres aspects secondaires. Car alors, ce qui prime dans le texte, c'est ce même rapport de forces qui figure dans la plupart des études postcoloniales.

Enfin, nous nous sommes tenus à l'apport considérable de Fanon et à l'idée selon laquelle, le postcolonialisme, en tant que théorie, ne doit pas être confondu dans les limites de son conditionnement temporel... où le ?post', loin de désigner une rupture du fait colonial suggère « un effort continu de décoloniser »312(*), autrement dit en rapport continu avec l'ensemble des mécanismes de subversion contractés par la voie de l'ancien colonisateur. Encore que, malheureusement, ces données font toujours l'objet d'une surinterprétation de la part des « nouveaux maîtres de l'Algérie » (K. Berger, 1998, p. 116.). Il est donc normal que l'idée de modernisation soit avant tout le fruit d'un processus mûr et réfléchi qui circule dans le droit fil des exigences structurelles et non plus dans le sillage insidieux des idéologies.  

Ces observations nous ont menés à une conclusion qui n'est pas des moindres : la confiscation de ces identités propres au sein de notre corpus intervient suite à l'instauration des régimes postcoloniaux (création d'un ordre néocolonial), redessinant ainsi les schémas de la conquête coloniale313(*) dans une sorte de « mimétisme inversé » (Berger). Et c'est justement pour cela qu'il est préférable pour le sujet (hybride) de substituer à l'extension des territoires (la globalisation), le rayonnement des idées neuves qui, elles, s'établissent dans un ensemble éclectique et cohérent.

En définitive, cette étude nous aura donc permis de faire le point sur le thème de l'identité abordé dans L'enfant des deux mondes, et ce, en puisant dans un réservoir analytique qui relie plusieurs approches. Les résultats auxquels nous avons abouti attestent des enjeux de cette notion affaiblie, et la donnent à voir comme étant le fruit d'une obsession endémique. Seul un état de conscience absolue peut, en l'occurrence, desservir une telle tragédie. Ainsi s'achève donc la lecture de ce roman. Cependant, il ne saurait être dans nos vues de conclure à l'exhaustivité de ce raisonnement, ni prétendre qu'une telle analyse ait épuisé le fond du sujet. Une chose est sûre et que nous aurons appris lors de ce travail, c'est que tout processus naturel, comme l'identité, ne peut être endigué s'il porte en soi, et depuis toujours, les germes de l'action. Cela étant, nous sommes persuadés qu'à l'avenir, d'autres études auront la relève de ce travail.

ANNEXES

I. Karima Berger, Le « saut hors du rang des meurtriers ».

II. Christiane Chaulet-Achour & Karima Berger, «Dans un sens, dans l'autre, sans cesse». - «Dialogue avec le texte L'enfant des deux mondes de Karima Berger».

III. Marion Muller-Colard, «Karima Berger : femme d'un seul monde».

IV. Informations en lien avec le corpus.

Annexe I.

----------FIGURE LIBRE----------

Le « saut hors du rang des meurtriers »

Karima Berger

A

près une longue histoire emplie de spiritualité et d'ouverture à l'autre (mais aussi de guerres comme toutes les grandes civilisations), mon islam (je dis MON car je ne parle que de mon expérience et non au nom d'une communauté abstraite ou imaginaire ) était une religion où l'on ne craignait pas d'honorer Marie à laquelle le Coran réserve une sourate entière, d'honorer Jésus, un temps où le prophète Mohammed ne craignait pas d'offrir l'hospitalité, à Médine, aux chrétiens de Najran qui, venus le voir en délégation, lui demandent à la fin de la discussion, de la controverse même, où peuvent-ils aller prier ? Mohammed leur répond : « Là, ici, dans ma mosquée ! »

Cette période faste a fondé mon imaginaire et fait la richesse de mes ressources culturelles mais en réalité, cette histoire nous est commune pour partie, un jour mais peut-être est-ce trop tôt, nous assumerons ensemble l'héritage de ces Lumières, de toutes ces Lumières.

Puis cette immense civilisation connut le sort réservé à ses soeurs, un déclin où, menacé de l'intérieur et de l'extérieur, l'islam s'est refermé, desséché, resserré sur lui-même jusqu'à l'asphyxie de ce qui faisait sa sève particulière, jusqu'à ces monstres qui occupent aujourd'hui nos esprits.

Ceci sur la scène publique, mais en privé, chacun dans son islam intime sentait venir le naufrage. J'ai vécu dans une Algérie coloniale, violente et injuste, et j'ai éprouvé combien mes parents, mes grands-parents, tout en s'inspirant du Coran, nous exhortaient avec ce verset : « C'est Lui qui a fait de vous les héritiers de la terre. » À vous, enfants, d'en être dignes ! Ils voulaient sauvegarder leur foi, sans jamais la confondre avec une quelconque revendication nationale ou identitaire. La résistance était « laïque », si je puis dire, et nullement orientée vers une guerre contre les chrétiens.

Ils se tenaient dans l'exercice périlleux d'élever leurs enfants à la fois dans les enseignements du Coran et de la nouvelle modernité, venue d'ailleurs, une découverte qui faisait leur admiration. La science, le savoir, le progrès, le péril les rendaient intelligents, alors ils se questionnaient : « De cette modernité, que prendre, que ne pas prendre ? Que transmettre ? Que ne pas transmettre ? ». Ils allaient commencer à vivre avec ces contradictions, ces premières divisions de l'homme oriental entre son pôle spirituel et l'appel du monde terrestre, en plein bouleversement.

Mais nous voilà aujourd'hui, défaits, nos mondes bouleversés. En fait, nous sommes à présent un seul monde, tenu sous la férule de cette gigantesque toile virtuelle qui nous enserre, et que nous appelons Mondialisation. Dans les pays arabes, on ne fait pas d'euphémisme, on n'y va pas par quatre chemins, on l'appelle Occidentalisation, perçue comme nivelant les cultures et voulant faire avaler à l'autre les couleuvres de l'universalité. Il n'y a qu'à voir, me disent mes amis, le redoutable savoir-faire technique, médiatique et managérial de Daech, du 100% pur occidental.

Et dans notre univers maintenant unifié, tel un animal blessé, longtemps ignoré, rejeté, l'islam revendique sa place au soleil en convoquant non pas, hélas, ses valeurs spirituelles, mais en privant le musulman de sa part intime, personnelle pour inoculer en lui le virus de l'appartenance. Travaillé par les situations d'exil qui sont devenues le modèle de notre condition d'homme contemporain, le musulman ne « se » reconnaît plus ni chez lui ni hors de chez lui. Alors, quoi de plus consolateur que l'attrait de la foule, cette matrice tiède et enveloppante qui fait oublier son exil et empêche de penser par soi-même, qui fait se croire le meilleur, oubliant ou ignorant plutôt ce principe coranique de la multiplicité des croyances : « Si Dieu l'avait voulu, il aurait fait de vous une communauté unique, mais Il voulait rivaliser en vos dons. »

Or, la stratégie de cette violence est redoutable et cynique, elle frappe là où les populations dites musulmanes sont « stigmatisées » afin d'accroître la défiance qui pèse sur elles, fragiliser encore davantage leurs positions sociales pour mieux les prendre dans leurs filets. Alors, le risque est que tous les diables se réveillent en nous tous, avec le pouvoir, en quelques actes meurtriers, de faire s'écrouler le patient travail tissé par la société civile avec ses multiples associations qui travaillent à vivre ensemble. Rancoeurs, histoire mal digérée (la perte de l'Algérie), l'islam (que peut apporter de neuf cette troisième religion qui s'invite dans le cercle très fermé du cénacle judéo-chrétien ?), l'arrogance occidentale, les mensonges, un vrai festin pour mauvais esprits qui se tiennent tassés au fond de nos cerveaux ; nos histoires sont leur oxygène...

C'est que le péril nous menace, nous aussi, musulmans d'Europe ; pour eux, l'islam court à sa perte à cause de son ouverture (pour moi, il sera sauvé) ; alors nous voilà tiraillés entre l'intégration ou la séparation. Comme s'il nous était interdit d'accéder au droit d'indifférence à la religion, au droit à la séparation entre une foi intime et personnelle et un engagement citoyen, il nous est interdit d'accéder au droit de se dire d'abord Français et de réfuter l'assignation religieuse. En réalité, c'est un suicide moral que nous serions sommés d'accomplir collectivement.

Et c'est ainsi que l'islam peu à peu est devenu un symptôme, mais ne serait-il pas plutôt le symptôme de la maladie du monde ? Secret, caché, oublié, voilé, intime : jusqu'aux années 1990, l'islam rasait les murs des villes minières du Nord ou le quartier Barbès, ou les chantiers de Billancourt. De l'image de soumission et de fatalisme, ma religion est devenue l'incarnation de la violence. Quelle redoutable réversibilité des images !

Violence dit-on, mais n'est-ce pas que tout est inquiétude ? L'effroi ne cesse de grandir en nous, du massacre d'Utoya en Norvège, des caranges récurrents aux États-Unis, de la catastrophe qui menace Gaïa, et cette terreur maintenant à nos portes, dans nos rues, cette violence s'est cristallisée autour de l'islam, identifiée comme une religion humiliée, dominée. L'islamisme est devenu la dernière idéologie radicale à la mode, nourrie de la frustration d'une jeunesse arabe, sous la coupe de dictatures qui ont fermé tout horizon, de l'échec de l'intégration en France, et du « deux poids deux mesures » de la politique internationale qui décrédibilise nos dirigeants et donc le politique, et donc la république, et donc la nation.

Nous avons cessé d'être en paix. La modernité promettait le progrès, mais une seule chose progresse, la peur. La modernité nous lègue la démesure. Mais quelle est la mesure ? Pour se mesurer il faut un repère, et ce repère est l'autre ! Plus d'autre, plus de Dieu, ne subsiste plus que l'homme, érigé comme désormais l'unique instance de référence, une autoréférence mortifère : « ni autre ni Dieu ».

Mais l'Orient me diriez-vous, n'était-ce pas le lieu même de ce pôle, cette quête de l'Autre vers lequel l'homme s'oriente jusqu'à le nommer du nom de Dieu ?

Oui, mais mon Orient est aujourd'hui défiguré, il n'existe plus ; la toile mondiale lui a arraché son âme, la vendant au pétrole, au marché et à la finance. Mon Orient est défiguré, ni l'homme ni la terre, ni l'hospitalité, ni la grande paix qu'implique l'abandon confiant en Dieu, ainsi que je traduis l'islam, ne survivent.

Mais ces fous de Dieu ne seraient-ils pas le signe d'un renouveau religieux ?

Non, le fou de Dieu ignore son Dieu, il le méprise en l'entravant dans son empressement d'idolâtre, il est fou de religion mais pas de Dieu ! C'est la religion qui est son idole, oublié le Dieu de miséricorde ! Le temps où on créditait les orientaux d'une spiritualité splendide dans laquelle l'Occiental allait puiser pour retrouver un peu de son âme, cette âme « qu'il cache comme une chose un peu indécente » nous disait Etty Hillesum, cet Orient est peut-être définitivement mort.

Car l'Orient n'était pas qu'un continent ou une terre, il était une idée, une vision, un horizon, une boussole pour le coeur ; aujourd'hui, il est devenu une immense plaie, une terre à occuper, détruire et... reconstruire pour les plus grands bénéfices futurs des marchés. Cette ère s'achève sous nos yeux de vivants du XXIe siècle et, sur mon Orient, s'amoncellent des nuages et des temps de plus en plus sombres ! L'Irak, la Syrie, Gaza, la Libye le Yémen, mon monde est à genoux, désolation, exil, fuite, une apocalypse lente, destruction des plus hauts lieux de l'islam, destruction des plus anciens sites de la chrétienté, destruction de ce qui faisait l'Orient majeur, c'est-à-dire, la renaissance, l'origine de Dieu même. Remontent à la surface de mes yeux Damas, Alep, Bagdad, Homs, Palmyre, villes trésors du monde, écrins de la civilisation, architectures, temples, jardins, beautés brûlées enfouies. Cendres sur non têtes, cendres sur ma culture.

Dieu ne serait-il de nouveau voilé à nos yeux depuis la Shoah, la plus grande catastrophe du XXe siècle ?

Mais la catastrophe est pour nous cette fois, elle est là avec sa religion de masse, alliées à la technique pour produire un cocktail désastreux et funeste.

Dans une sorte de mimétisme inversé, l'Orient a voulu rappeler à l'Occident que celui-ci avait oublié Dieu. Mais en affirmant que tout est Dieu, ne risque-t-on pas de parvenir au même oubli de Dieu ?

Oubli de Dieu, terreur. Nous sommes renvoyés tous à notre vide, cette aridité qui gouverne nos âmes, nos esprits, nos discours, une agonie disent même certains.

Certes, on peut soit se rassurer en voyant ces sauvages nous terroriser, se dire combien nous sommes civilisés et nous consoler ainsi de notre propre défaite car la France n'est plus ce qu'elle était, il faut désormais se battre pour exister, garder son rang, ses prétentions ; on peut aussi s'interroger comme beaucoup le font : mais nous que nous reste-t-il ? Ces musulmans semblent avoir une religion des valeurs, un ordre mais nous... ils révèlent notre manque, ils sont le miroir de ce qui a été perdu. Nous sommes en déclin, ils progressent, nous n'avons que des droits, ils ont encore des devoirs, des interdits, ils ont une religion mais nous, nous avons tout perdu et rien n'est venu occuper une place symbolique assez puissante pour ancrer notre culture dans les enjeux de notre monde contemporain. L'Autre nous renvoie à notre propre nuit.

Pourtant, il me semble que ce n'est pas derrière nous qu'il faut aller voir, ce n'est pas non plus devant, c'est ailleurs ! Ailleurs car nous n'avons pas le choix de ne pas rencontrer l'autre, il est notre chance. L'enjeu est aussi important que le soin que nous avons décidé d'apporter à Gaïa, et les migrations futures ne nous démentiront pas. L'autre est sans doute la chance d'une Visitation. Je pense à Louis Massignon qui n'a pas hésité à pénétrer l'univers islamique (du temps où l'Orient était l'Orient) et en retirer une expérience radicale de l'Autre et de l'hôte. Il a nommé « Visitation de l'étranger », l'épreuve mystique qui le mena à sa conversion, il a par la suite développé ce magnifique concept, la Badâlya, qui vient de badal, littéralement « substitution », être capable de se substituer à l'autre en un « expatriement » de soi vers l'autre, dit-il. Badâlya qu'a repris plus tard Christian de Chergé, dont l'assassinat reste pour moi, algérienne ayant joué enfant dans le jardin de leur monastère à Tibhirine, une mort inconsolable.

Nous n'avons pas tous l'envergure d'un Louis Massignon ou d'un Christian de Chergé, nous sommes juste ces « échafaudages de petits os cassants..., poupons rampants, bientôt chenus » comme dit le poète Hopkins.

Pour moi, cet accueil de l'étranger, c'est le socle pour bâtir une histoire, un langage, un récit. C'est un vrai travail de culture qui nous attend et qui a été entamé depuis cette année zéro de la terreur.

Ce travail qui nous attend a été très bien résumé par Sarah, cette jeune blogueuse qui, sur Facebook, au lendemain des attentats du 13 novembre, a fait un contre-appel à celui de continuer à aller en terrasses boire des verres...

« Si aller en terrasses est la seule réponse de la jeunesse française..., je ne suis pas sûre qu'on soit à la hauteur du symbole qu'on prétend être. L'attention que le monde nous porte en ce moment mériterait qu'on aille plus loin... Cela mérite que chacun se pose un instant à la terrasse de lui-même, et lève la tête pour regarder la société où il vit. Et qui sait... peut-être que dans un lambeau de ciel blanc accroché aux immeubles, il apercevra la société qu'il espère » et suit toute une série de résolutions pour transformer ses comportements individuels au quotidien, notamment l'attention à l'autre.

Elle m'a fait penser à cette autre jeune femme, Etty Hillesum, qui écrit en pleine tourmente nazie : « Mon faire consistera à être. »

Au fond, tout le monde a été paresseux ; je pensais, avant ces attentats, que seuls les musulmans n'avaient pas fait ce travail de pensée (ou d'interprétation pour reprendre l'antienne actuelle) pour répondre à la question majeure : quel islam veut-on aujourd'hui, en France, en Europe au XXIe siècle ? Au lieu d'y travailler, notre espace de réflexion s'est peu à peu gelé. Tétanisés, hébétés, nous sommes sous l'effet d'une sidération que, je vous assure, nul n'imagine, répétant de façon défensive et dérisoire, bégayant en boucle « Daech n'est pas l'islam » !

Et nous voilà, tous en train de découvrir, ahuris, que tout un territoire mental et spirituel de notre pays a été colonisé par un impérialisme culturel dont l'efficacité à coup de pétrodollars ne peut rivaliser qu'avec celle de l'Amérique, colonisé par des prosélytes du comportement unique, du littéralisme des textes, de modes vestimentaires, rituelles, communautaires semant la haine dans nos demeures spirituelles que sont les mosquées, fussent-elles des caves ou des garages. Comment a-t-on pu laisser une telle ingérence s'enraciner ? Il nous faudra expliquer cela. Mais Benjamin Stora nous prévient : « Ce qui est terrible avec l'Histoire, dit-il, c'est qu'on ne regarde toujours que la fin de l'histoire ».

En fait, c'est toute la France qui a été paresseuse, reposant sur les lauriers de sa gloire passée, de ses Lumières et droits de l'homme. Alors aujourd'hui, c'est quoi la France que nous désirons ? Comment vivre désormais avec cette religion, autre, dont la présence massive ravive l'arrachement colonial, cette indépendance de l'Algérie qui a amputé la France de trois de ses départements et qui fait, sur fond d'horreur islamique, le fonds de commerce du Front national.

Et nos hommes politiques qui ne viennent même pas à notre secours ! Je suis frappée par leur indigence concernant la chose religieuse ou disons sacrée, le politique n'entend pas le religieux. Je ne dis pas que la solution doit être religieuse mais comment le politique peut-il penser son action, sa vision sans faire une place à cet ordre symbolique qui occupe en secret nos consciences ? Nos gouvernants sont une tragédie à eux seuls, aucun souffle n'habite leurs bouches, ils ne lisent pas, ils ont juste le temps de tweeter, seul François... nous fait rêver de sa haute et grande vision, on le voudrait président de tous les pays du monde. Mais il n'est que le Pape...

Alors il nous revient non pas de définir une identité, je me méfie définitivement de cette chose-là, changeante, mouvante, trop vivante pour être enfermée, mais de renouveler ensemble le récit de notre pays ; vous l'aurez compris, j'aime les récits, j'aime les romans et nul ne peut vivre sans qu'on lui raconte des histoires. Comment refonder un roman national qui soit inclusif de tous ceux qui font ce pays ? Par exemple, ces grandes figures musulmanes, comme l'émir Abd el-Kader qui a écrit avec sa très noble reddition, une page de l'histoire française et quelques années plus tard, une nouvelle page de l'histoire chrétienne en protégeant en 1860 à Damas les chrétiens contre la furie extrémiste. Sa magnifique stature rendrait tellement fiers, dans leurs écoles, les petits Français de confession musulmane, et leur donnerait tant de dignité pour honorer la stature de leur ancêtre qui, à Mgr Pavy le remerciant pour sa protection, répond ainsi : « Toutes les religions apportées par le prophète depuis Adam jusqu'à Muhammad reposent sur deux principes : l'exaltation du Dieu Très-Haut et la compassion pour ses créatures. En dehors de ces deux principes, il n'y a que des ramifications sur lesquelles les divergences sont sans importance ».

Nous sommes responsables ensemble, y compris les écrivains (et Alexis Jenni s'est colleté avec cette tâche d'aller voir du côté de ce grand trou laissé par l'aventure coloniale), de ce travail de culture qui ne consiste pas à rejeter ou à révoquer hors-champ l'espace du religieux ou du spirituel ! Il s'agit au contraire d'en reconnaître l'aspiration existentielle, profondément humaine, et de se pencher sur sa métamorphose aujourd'hui ainsi que sur ses nouvelles formes d'expression.

Pour conclure, je dirai que la seule véritable « ressource culturelle collective » est celle de travailler ensemble à notre maison commune. Ce serait, pour moi, l'occasion d'une résurrection, une renaissance qui relèverait mon islam de l'épreuve tragique qu'il vit aujourd'hui car « Dieu ne modifie pas l'état d'un peuple qu'ils ne l'aient modifié de leur propre char... » nous dit le Coran.

Penser, croire, aimer, prier, écrire nous sauvent. Lorsque j'écris, je pense à cette parole de Kafka : « écrire, c'est faire un saut hors du rang des meurtriers... ».

Nous sommes donc responsables du saut qu'est en train d'accomplir notre destin, et plus spécifiquement, notre destin spirituel. Responsables totalement.

Karima BERGER

Annexe II.

----------ALGÉRIE LITTÉRATURE / ACTION----------

DIALOGUE

?

Karima Berger, L'enfant des deux mondes, roman. Editions de l'Aube,

1998, 127 p. ------------------------------

«Dans un sens, dans l'autre, sans cesse»

Karima Berger, ce nouveau nom des littératures algériennes, nous convie à lire un très beau récit de vie, L'enfant des deux mondes dans une région que les écrivains algériens ne nous ont pas fait «visiter» depuis longtemps et dans «un entre-deux» existentiel auquel nous ne sommes plus accoutumés.

«Alger - Médéa, voyage. Deux heures de route heureuse et chaotique parcourues presque chaque fin de semaine. A la sortie de la ville, très vite, la plaine généreuse que traversait la route de part en part jusqu'à pénétrer lentement dans les gorges de la Chiffa, du nom du fleuve qui prenait sa source dans les montagnes, dernière frontière avant les steppes désertiques du sud. Elle les appelait «les gorges de Chériffa», du prénom de sa mère.»

On entre dans le récit par ce mouvement du voyage et par cette pénétration heureuse dans le territoire maternel. On sait l'importance de ces seuils qui impulsent l'écriture et notre parcours de lecture. Ils se font sous le double du déplacement et de la mère.

Elle rapportera, après l'exil, à l'un de ses voyages une «Agua viva, morte : morceau de son propre cordon ombilical conservé jusque-là par sa mère. Chair asséchée par le temps, privée de son eau nourricière : laquelle ? Comment savoir qui en était la source, le corps de l'enfant ou celui de la mère ?» Elle la transférera de l'armoire maternelle à son armoire parisienne pour re-sceller le corps à corps mère-fille, cette filiation féminine si constante et si problématique dans les écritures des femmes. Mort, le cordon ombilical continue à vivre et provoque la remontée vertigineuse d'une mémoire de «morte maternité». Il lui faudra le jeter dans l'eau du fleuve pour se récupérer et habiter pleinement son présent : «Elle n'a jamais su s'il retrouva la mer et plus loin les gorges de la Chiffa, s'il voyagea, d'une rive à l'autre, d'un monde à l'autre, dans un sens, dans l'autre, sans cesse.»

Karima Berger, - un nom d'écriture, sésame d'une entrée en littérature -, est née à Ténès en 1952, quatrième fille d'une famille de cinq enfants dont le dernier est un garçon. On sait ce que cet «ordre» signifie !... Après des études supérieures à Alger de Sciences Politiques et de Droit, elle vient en France en 1975 pour faire un doctorat. Sa thèse porte sur le Nationalisme, l'idéologie de l'indépendance nationale qu'elle souhaite mieux cerner car elle y décèle de nombreux germes de l'enfermement de l'Algérie indépendante autour de l'unicité dans tous les domaines. Elle se consacre à la recherche universitaire et a une charge de cours à Dauphine en Sociologie du développement. Elle se dirige ensuite vers les métiers des ressources humaines. C'est dans ce domaine qu'elle travaille actuellement.

Karima Berger a publié plusieurs articles dans Le Monde Diplomatique, Le Cheval de Troie, Intersignes, La Revue de Psychanalyse...

Comment s'est donc fait ce passage à l'écriture de fiction ?

« C'était présent en moi depuis longtemps. Je tournais autour... Je crois que je peux dire que ces dernières années m'ont poussée... pas dans le sens d'un témoignage sur l'actualité. Non. Mais j'ai eu envie de dire ce que j'avais à dire pour qu'on le lise comme un des éléments de ce qui se passe, comme une part de l'histoire inconsciente de ce pays. J'ai hésité entre un essai ou une fiction car je souhaitais faire un essai sur le dualisme, sur l'identité. Mais j'avais abandonné la recherche universitaire depuis de nombreuses années et un tel essai aurait nécessité des lectures, tout un travail de synthèse. J'ai donc opté pour la fiction. Et c'est cette écriture qui est venue...»

Le jeu de l'écriture se construit entre échos et parallélismes ; le récit nous emporte ainsi entre ce début et cette fin que nous venons d'évoquer, dans la douce langue de la réminiscence où tout s'organise pour signifier et comprendre au-delà d'une simple chronologie des faits qui n'explique pas grand-chose.

«C'est un récit plutôt qu'un roman. Ce n'est pas non plus une autobiographie. Disons que c'est la reconstruction d'éléments vécus ou observés. Les noms par exemple ! Certains ne s'inventent pas, comme l'école Richard de Médéa... Pour d'autres, j'ai conservé un écho du nom réel mais pas le nom véritablement.»

La notion de «traduction» semble le maître-mot de ce récit. «D'une rive à l'autre, d'un monde à l'autre, dans un sens, dans l'autre, sans cesse.» Ce mouvement de flux et de reflux, vague qui submerge et se retire, avait déjà ponctué la fin du premier chapitre pour dire la formation scolaire initiale où l'enfant a été installée, d'emblée, dans la traduction, «intense travail de tous les instants, d'une langue à une autre, d'un signe à un autre, dans un sens, dans l'autre, sans cesse.» Il ponctue aussi la fin du chapitre VIII qui a comparé les cadeaux que l'on peut offrir aux petites filles, dans les deux «mondes» où «elle» doit se mouvoir : «elle qui cherchait toujours à comparer, faire correspondre les deux mondes, à traduire, intense travail de tous les instants, d'une langue à une autre, d'un signe à un autre, dans un sens, dans l'autre, sans cesse.» Mouvement de vague, mouvement du va-et-vient, mouvement du tissage qui, en suivant la trame, fait naître une oeuvre où les dessins progressivement prennent sens.

«Quand je pense «traduction», je pense en premier lieu à la langue, puis à deux mondes, deux univers. L'héroïne a vécu un véritable traumatisme linguistique : celui de grandir dans et en face de la langue arabe comme une langue étrangère avec tout l'attrait que représente l'étranger, attrait de mystère, de magie, d'inaccessibilité...»

Pourtant, lorsque la mère console les nuits de cauchemar, elle le fait en récitant dans un murmure une sourate qui fait dire à la petite fille qu'elle y trouve le refuge de «la langue maternelle»...

«Oui, c'était la langue du rêve. Le Coran de la consolation dans la nuit. C'est la langue secrète de la mère. Donc, c'est la vraie langue de la mère, celle qui semble interdite d'accès. Et quand elle arrive à Alger, en 1962, cette langue de rêve devient une langue menaçante parce qu'elle ne sait pas la parler, qu'on la lui enseigne dans les conditions qui sont rappelées dans le récit. Et parce qu'on lui demande d'abandonner le français. Il y a eu un livre très important pour moi, celui d'Antoine Berman, L'épreuve de l'étranger publié chez Gallimard, dans les années 80. Déjà ce titre !... André Berman y parle de la traduction : comment la traduction peut être un élément de vivification de la langue traduite. Il cite un poème de Goethe où celui-ci évoquait des fleurs offrant un tableau magnifique dans la campagne. On vient les cueillir, on les coupe, on les met dans un vase et elles vont vivre une seconde vie. Je me suis demandée alors si on traduisait beaucoup dans nos pays parce que je voyais et je vois la traduction comme un signe de vie et de santé intellectuelle...»

Signe de vie et de santé, signe d'échange et jeu de miroirs. Comment traduire les intérieurs, ceux des Français, ceux de la famille, les différences de l'école Richard et de la médersa ; comment comprendre les vêtements, les rites, les édifices, les villes et les cérémonies ? Comment s'adapter à un monde ou à l'autre sans trop se briser ici et là lorsqu'on ne parvient pas à les faire coïncider ?

«Quand je suis passée à l'écriture, j'ai publié un extrait dans la revue Intersignes, n° 10, «Penser l'Algérie», où j'ai mis en parallèle les deux univers, typographiquement. Mon texte se présentait en deux colonnes, l'une commençant par : O le goût de l'école ! Celle de l'école Richard à Médéa, etc... et l'autre par : Ce n'était pas à la médersa qu'elle fit de telles rencontres, lorsqu'elle en suivant les enseignements, etc...! Mais ce n'était tenable, ni pour moi, ni pour le lecteur, sur toute une fiction !»

Comment dire la guerre, l'indépendance, le remplacement des uns par les autres, en cherchant à rester au plus près des souvenirs et à ne pas trop laisser la distance parler en lieu et place du passé ?

La lecture de L'enfant des deux mondes se fait en douceur, même lorsque ce qui est dit relève d'une violence symbolique profonde. Comme s'il fallait ne pas bousculer les mots pour comprendre, comme s'il fallait prendre le temps d'accepter de remonter dans ce temps qui semble si lointain et étrange au regard de l'Algérie d'aujourd'hui. Voyage au pays de Mémoire pour «pister» le devenir...

Au centre du récit, le chapitre V s'attarde sur la langue «maternelle», cette sourate récitée et apprise dans les nuits du cauchemar comme nous venons de le rappeler, cette langue du Coran qu'elle affronte autrement à l'âge adulte et avec laquelle et se réconcilie au chevet de l'oncle mourant : «elle se rendit à son chevet munie cette fois d'une traduction du Livre, en ayant préalablement lu la Sourate Yâsîne, celle que l'on murmure à l'oreille des mourants (...) Pour la première fois, la langue ne comptait plus, ni la française, ni l'arabe, ni celle de tous les jours, ni la muette, seule comptait cette lecture qui dessinait un espace clos dans lequel elle faisait se correspondre le Seigneur et son mourant.»

Le chapitre VI peut alors explorer l'autre voyage, celui du fil reconstruit de la confrontation d'une langue savante à l'autre, le français et l'arabe, depuis l'aïeul, interprète-judiciaire : «Dès lors, la langue française, jusque-là ignorée, dédaignée - seule l'arabe, langue sacrée du Coran méritait d'être étudiée -, se glissa dans l'univers privé de la famille sans que quiconque n'ait imaginé la puissance qu'elle déploierait dans la formation de ses générations futures.»

«Le rapport au religieux : il est, pour moi, au même niveau que la langue, une sorte de nostalgie d'un monde de l'origine, il a le même statut que la langue. Aller vers l'islam en tant que culture est pour moi une nécessité très forte de réappropriation. J'ai équilibré ma méconnaissance de la langue arabe par une entrée dans la connaissance de l'islam, sa culture, ses repères historiques. J'en voulais aux intellectuels d'avoir laissé le monopole de l'islam aux autres... Il faut avoir une connaissance des textes fondateurs. Mon père est tout étonné de pouvoir dialoguer avec moi sur ce terrain-là. L'arabe algérien, je le parlais mais sans une véritable fluidité. L'arabe classique... je suis frustrée. J'ai une immense nostalgie. La traduction m'a permis d'aller vers ces textes de ma culture, de surmonter cette sorte de complexe...»

Dans L'enfant des deux mondes, il est beaucoup question du voile, de l'enfermement, de l'aveuglement, de l'enlaidissement de la mère lorsqu'elle doit mettre son haïk, dans la voiture, pour traverser Médéa...

«Il y a quelque chose d'essentiel pour moi : c'est de réfléchir sur le dedans et le dehors. Tout féministe que je suis, je ne suis pas dupe de la violence et de la virilité qu'affichent les hommes... Un autre livre important a été Le Harem et les cousins de Germaine Tillion... J'ai toujours senti le pouvoir qu'avaient les femmes dans la sphère domestique. Un certain pouvoir très subtil. Quand les hommes entrent dans cet espace du dedans, ils «se voilent», ils toussent pour signifier leur présence, signifiant qu'ils ne sont pas sur leur territoire... C'est toujours dans la revue Intersignes, un numéro consacré aux femmes, que j'ai réfléchi à l'envers de ce que l'on présente habituellement : «déplacer don le regard et lire dans le comportement masculin les marques d'un voilement, dont il faut se demander ce qu'il dissimule»... Les femmes représenteraient l'intimité de l'homme. Si elles sortent, l'homme se retrouve nu. D'où l'enjeu de la lutte des femmes en Algérie, par exemple : si les femmes sont libres, les hommes voient leur identité niée»

Ne peut-on pas parler plutôt alors d'une nécessaire re-définition identitaire, car si on reste dans la «compassion», les femmes ne sortiront jamais de ce statut qu'on peut valoriser par l'analyse mais qui n'en reste pas moins un statut peu enviable ? Est-ce seulement caractéristique des pays d'islam ? Je n'en suis pas sûre, pour ma part. Je pense à Une chambre à soi de Virginia Woolf : «les femmes ont pendant des siècles servi aux hommes de miroirs, elles possédaient le pouvoir magique et délicieux de réfléchir une image de l'homme deux fois plus grande que nature (...) si elles n'étaient pas inférieures, elles cesseraient d'être des miroirs grossissants. Et voilà pourquoi les femmes sont souvent si nécessaires aux hommes». Débat toujours ouvert et essentiel.

L'enfant des deux mondes, c'est aussi un regard tamisé sur les préjugés - le racisme habituel des Français certes -, mais surtout les idées toutes faites sur l'autre communauté à laquelle on se mesure et contre laquelle on se protège comme par une peur instinctive de trop de séduction ; c'est apprendre à aimer sans se renier, sans verser dans le mépris et la méconnaissance. Et cette fois la «leçon» ne s'adresse pas à l'Autre, Français, Européen, occidental qui aurait dans ses gènes l'évidence du racisme, mais à soi, aux siens. Le ton mesuré s'emballe quelque peu pour cette saine interpellation. La narration dénonce cette ambivalence des Algériens, les contradictions dans leur rapport à l'autre, l'ex-colonisateur. Une telle attitude détruit des potentialités de choix.

L'enfant des deux mondes, c'est un regard sur les femmes exprimé autrement, différemment comme une femme peut le faire quand elle cherche à dire avec pudeur et justesse l'éveil de la sensualité, la conscience du corps et du désir, du trouble et de l'interdit : «Éveil de la chair dans le noir ou dans les trouées des feuillages ou dans les champs de blé ou sur les terrasses dans la lumière aveuglante de midi.»

«L'écriture est venue... dans un état de grâce... J'y ai travaillé deux ans, surtout l'été. C'est tombé comme un fruit mûr, sans doute parce que ce que j'écrivais été porté par tout un travail antérieur. J'ai toujours tenu des journaux, des carnets, depuis l'âge de vingt ans. Le matériau était là, ce qui aide le travaille de mémoire. J'avais noté des flashes que je sentais porteurs de quelque chose et c'est à partir d'eux que j'ai construit ma fiction. Le premier titre était, Petits tableaux de mémoire.»

Les projets, il y en a bien sûr ! Quand le désir d'écrire enfin se libère... «Je travaille sur un sujet plus difficile : sur le sentiment de la peur. Je resterai toujours dans la fiction. Ce que peut ressentir une femme : peur de la violence, des hommes, du noir, de l'extérieur... Peur qui naît de cette crainte de sortir de l'enceinte...»

Christiane Chaulet-Achour et Karima Berger, juin 1998

Annexe III.

----------Réforme----------

Karima Berger : femme d'un seul monde

Cette femme d'écriture aime le grand large et le dialogue des cultures et des espérances.

Il est des gens que les tiraillements élargissent plus qu'ils ne déchirent. Karima Berger est une femme élargie. Tout en témoigne : la largesse du sourire et celle de la pensée. La largesse de l'accueil aussi, dans l'appartement lumineux qui domine les toits de Paris, bordé d'oliviers et de lavandes sur le point de fleurir.

Elle s'excuse d'un peu de fatigue, une lassitude à vrai dire. Pour cette femme de l'ouverture, se confronter aux replis est une douleur. Replis de ces deux mondes qui l'ont mise au monde : la France et l'Algérie, l'Europe et l'Afrique du nord ; ces deux cultures qui, à l'intérieur, se sont rejointes pour la faire grandir. Et qui, à l'extérieur, se choquent à n'en plus finir.

N'en parlons plus, un merle court sur le balcon entre la lavande et l'olivier ; ce matin Karima a enregistré son chant, elle en diffuse la mélodie dans l'appartement en suivant du doigt la hauteur de chaque note.

Karima est le prénom que ses parents algériens ont donné à leur quatrième fille. Berger est la traduction française du nom de son époux, Jean-Michel Hirt. En deux mots est dite l'identité nomade de celle qui n'a de maison que l'écriture.

Double culture

Née en 1952 à Ténès, petite ville au bord de la mer, Karima Berger passe une enfance heureuse. « Mon père, libéral, moderne, musulman, a poussé toutes ses filles vers les études. Il nous voulait instruites. J'ai goûté très tôt au bonheur de la double culture ! J'avais l'impression d'être deux fois intelligente », dit-elle avec un sourire espiègle qui laisse deviner la vive fillette dont il est question. « J'avais deux manières de dire les couleurs, deux manières de dire Dieu, deux manières d'entendre, de sentir... »

Mais la double culture, c'est aussi les premières blessures. À dix ans, Karima est invitée à la communion solennelle de son amie Patricia. Elle ressort de la cathédrale d'Alger avec cette question d'enfant qui embarrasse les adultes : pourquoi n'a-t-on pas tous le même Dieu ?

Plus tard, sa grand-mère posera un verdict intolérable à l'enfant, après un après-midi passé à jouer avec une camarade : « Ton amie, elle est charmante, mais elle n'ira pas au paradis. » « Alors je déploie un attirail d'arguments : «Imagine une vieille dame chinoise qui n'a jamais connu l'islam et jamais fait le mal, pourquoi irait-elle en enfer ?» » Une faille ébranle le verdict de la grand-mère, qui invite la fillette à retourner à ses jeux. L'enfant est trop intelligente pour ne pas saisir ce talon d'Achille de la religion. Trop exigeante pour le classer dans les affaires sans suite...

« Ce jour-là, ma grand-mère a instillé en moi la question de l'altérité. Ce n'est pas un hasard si j'écris toujours sur l'autre. Sur Etty Hillesum (1), avec Christine Ray (2)... » Pas un hasard si, aujourd'hui, Karima Berger préside l'association Écritures et Spiritualités qui oeuvre à faire connaître une littérature porteuse de sens, de souffle et d'ouverture. Au coeur de cette association composée d'écrivains et d'essayistes des trois religions monothéistes, l'autre encore. Le dérangeant, l'élargisseur.

Ce privilège de se laisser déranger par l'autre, Karima Berger en fera une vocation : études de droit et de sciences politiques à Alger, pour s'orienter vers la diplomatie. Pendant ses années d'étudiante, à la faveur d'un voyage dans le Sahara, elle achète son premier Coran. « L'achat de ce Coran, c'était mon premier acte de présence spirituelle à moi-même. » À partir de là, dans sa foi comme dans ses rencontres, tout sera aller-retour incessant entre sa propre intériorité et l'ouverture au monde. « Quand on est assis dans son for intérieur, le dialogue avec les autres peut se faire. Mais quand on commence à être inquiet sur sa propre identité, c'est là que les choses deviennent difficiles. » Elle connaît déjà son ancrage, la jeune fille qui quitte l'Algérie pour poursuivre sa thèse en France et entamer une psychanalyse. « Quand on creuse, on touche à la pâte humaine », ce fond de toute humanité qui permet d'aborder l'autre comme le frère étranger.

Psychanalyse, foi et écriture

Psychanalyse, foi et écriture partagent, dans la vie de Karima Berger, cet appel exigeant à la profondeur, à cette fouille de l'âme. Elle connaît toujours son ancrage, celle qui partage sa vie avec un mari psychanalyste, français et catholique, dans l'alliance intelligente de ceux qui se rencontrent sans fusionner. Celle qui fut L'enfant des deux mondes (3) est devenue la femme d'un seul monde où l'autre peut rester cette énigme d'altérité instillée jadis par sa grand-mère algérienne.

Son dernier roman, Mektouba, paru cette année aux éditions Albin Michel, comporte cette magnifique confession de foi : « Tous les antagonismes de Dieu pour éprouver Sa créature s'étaient confondus en lui mais Dieu sait ce qu'il fait avec Ses antagonismes. »

Dieu sait ce qu'il fait et Karima aussi, qui a choisi depuis quelques années la voie exclusive de l'écriture, cette voie tracée par ceux qui acceptent, précisément, de ne pas tout savoir. Ceux qui « manquent à leur devoir pour aller à leur désir », selon les termes du narrateur de Mektouba. « Mektouba, c'est le féminin de Mektoub, le destin et ce qu'il peut avoir d'écrasant. Je l'ai féminisé pour adoucir le sort... »

Ce roman est porté par une langue, une poésie, qui sourd de cette histoire ramassée à la matière brute de la vie. Karima cite Sylvie Germain : « L'écrivain n'écrit jamais de première main. »

L'islam, cadet des religions monothéistes, est aussi fait, bâti, nourri de tout ce qui dans la foi le précède. Alors, en écriture comme dans la foi, on invente peu et on hérite beaucoup ? Peut-être, mais le merle chante de nouveau à la fenêtre.

Sur la table basse est ouvert le conte perse d'Attar, Le langage des oiseaux. C'est peut-être cela, ce langage du fond de l'âme qui fait taire en l'homme ses querelles intestines et sa peur que l'autre le prive de lui-même. Il est temps de partir sur la pointe des pieds et laisser Karima répondre à l'invitation insistante de l'oiseau. Pour habiter finalement de deux manière un seul monde : politiquement et poétiquement à la fois.

(1). Les attentives, Albin Michel, 2014.

(2). Toi, ma soeur étrangère, éd. du Rocher, 2012.

(3). L'enfant des deux mondes, L'aube éditions, 1998.

Annexe IV.


· Auteure :
Karima Berger.
·
Roman : L'enfant des deux mondes.
·
Édition première : (éditions de) L'aube [31 mars 1998].
· ISBN : 2-87678-402-5.
· Réédition :
El ibriz (édition) ; [novembre 2012].
· ISBN : 9931-9114-2-5.

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- BELKACEM Dalila, « Du texte autobiographique au texte romanesque dans «Le fils du pauvre» de Mouloud Feraoun. », in Insaniyat, n°? 29-30, juillet-décembre, 2005, pp. 159-173.

- BENRABAH Mohamed, « La question linguistique », in Christiane CHAULET-ACHOUR & Yahia BELASKRI (Dir.), L'épreuve d'une décennie. Algérie, art et culture 1992-2002, Paris, Paris-Méditerranée, 2OO4, pp. 83-108.

- BOUKEZOULA Inès, « Oralité et préservation de la mémoire par l'écriture », in Revue des Sciences Humaines, Université de Constantine, (n° 50 / Vol B), décembre 2018, pp. 61-72.

- CHAULET-ACHOUR Christiane & Karima BERGER, « Dialogue avec le texte « l'enfant des deux mondes » », in Algérie : Littérature / Action, (n° 22-23), juin-septembre, 1998, 8 p.

- CHAULET-ACHOUR C., « SEGARRA Marta, Leur pesant de poudre : Romancières francophones du Maghreb », in Études littéraires africaines, 1998, pp. 88-90.

- CHAULET-ACHOUR C., L'écrivain francophone et la langue, 5 p.

- CHIKHI Beïda, « Jean Amrouche », in Charles BONN, Naget KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), Littérature maghrébine d'expression française, Paris, EDICEF/AUPELF, coll. « Universités Francophones », 1996, pp. 30-37.

- CIRET Yann, « Vers le Chaos-monde - Entretient avec Édouard Glissant », in Chroniques de la scène monde, Lyon, La passe du vent, 2000, 460 p.

- DERIVE Jean, La question de l'identité culturelle en littérature, Paris, 2007, 11 p. HAL, archives-ouvertes.fr

- DOUBINSKY Sébastien, « De la littérature et du genre comme notions ontologiquement instables », in Synergies Pays Scandinaves, (n° 9), 2014, pp. 11-22.

- FADWA Mohammad Abouzeid, « Identité et altérité : Le voyage vers l'Autre et la renaissance de Soi dans La goutte d'or de Michel Tournier », in Postures, L'Autre : poétique et représentations littéraires de l'altérité, hiver 2017/1 (n° 25), Montréal, 18 p.

- FELL Claude, « L'autobiographie aux frontières de l'histoire. La révolution mexicaine dans le récit autobiographique. », in América, Cahiers du CRICCAL, « Les frontières culturelles en Amérique latine », 1993, (série 2 éme / n° 13), pp. 227-240.

- FOURGNAUD Magali, « Pour une approche littéraire de l'identité », Université Bordeaux Montaigne, 11 p.

- GALLERANI Guido-Mattia, « L'Essai dans le roman et un cas d'hybridation générique, l'essai fictionnel. », in Acta fabula, (vol. 17/ n° 2), février-mars 2016, 10 p.

- HAGGERTY Harriet. K., « Le texte hybride : Les défis que pose la traduction », in Expressions - revue internationale de lettres -, (n° 8.), avril 2019, pp. 218-229.

- JULLIEN François, Il n'y a pas d'identité culturelle, Entretient France Culture, 2016.

- LEWIS R. A., « Langue métissée et traduction : quelques enjeux théoriques », in Meta, (vol. 48/n° 3), septembre 2003, pp. 411-420.

- LOUVIOT Myriam, « Poétique de l'hybridité dans les littératures postcoloniales. », Thèse de doctorat, Option : Littérature comparée, sous la direction de François-Xavier CUCHE, Université de Strasbourg, 2010, 969 p.

- MAAFA Amel, « L'Histoire, lieu de désenchantement dans le roman algérien post-colonial », in Synergies Algérie, (n° 26), 2018, pp. 97-105.

- MAHMOUDI Hakim, « La poésie de Mohammed Dib : entre bris-collage et bricolage. Éléments d'une esthétique postmoderne. », Thèse de doctorat en langue française, Option : Science des textes littéraires, sous la direction de Charles BONN & Khedidja KHELLADI, ENS d'Alger, 2015-2016, 297 p.

- MATHIS-MOSER Ursula, « « Littérature nationale « versus « littérature d'immigration « », in Fridrun RINNER (Dir.), Identité en métamorphose dans l'écriture contemporaine. Publications de l'université de Provence (PUP), 2006, pp. 111- 120.

- MAYA Ombasic, « Espace urbain et identité. », Thèse de doctorat, Option : Littérature générale et comparée, sous la direction de Monnet, Rodica-Livia, Montréal, 2012, 233 p.

- MOUSSAVOU Emeric, « La quête de l'identité dans le roman francophone postcolonial : Approche comparée des littératures africaine, insulaire, maghrébine et caribéenne... », Thèse de doctorat, sous la direction de Michel BENIAMINO, Université de Limoges, 2015, 323 p.

- MULLER-COLARD Marion, « Karima Berger, femme d'un seul monde », in Réforme, 2016, 4 p.

- NIZZI, Marie-Christine, « Le Propre et l'Etranger : Le concept d'identité vécue en première personne », Thèse de doctorat, sous la direction de Maximilian KISTLER, Paris I, 2011, 443 p.

- PÉTILON Sabine, « Multilinguisme et créativité littéraire, » (Dir.), Olga Anokhina, Louvain-la-Neuve, Academia/L'Harmattan, coll. « Au coeur des textes », n° 20 », 2012, pp. 204-205.

- PÉZARD Émilie, Les genres du roman au XIX éme siècle, Colloque, in Calenda - Le calendrier des lettres et des sciences sociales, juin 2015, 2 p.

- REDOUANE Najib, « Le roman algérien contemporain : Pour un renouvellement évolutif et dynamique », CSULB, pp. 63-89.

- avl? Füsun, « Interférences lexicales entre deux langues étrangères : anglais et français », in Synergies Turquie, (n° 2), 2009, pp. 179-184.

- SEBKHI Habiba, « identité rhizomatique », in Fridrun RINNER (Dir.), Identité en métamorphose dans l'écriture contemporaine. Publications de l'université de Provence (PUP), 2006, pp. 137-145.

- SCHONELING Manfred, « Le moi dissocié : Modernité et hybridité culturelle dans la littérature du XX éme siècle », in Fridrun RINNER (Dir.), Identité en métamorphose dans l'écriture contemporaine. Publications de l'université de Provence (PUP), 2006, pp. 11-21.

- YACINE Tassadit, « Discrimination et violence », in Sonia Dayan-Herzbrun (Dir.), Vers une pensée politique postcoloniale : à partir de Frantz Fanon, in Tumultes, (n° 31), octobre 2008/2, Paris, Kimé, pp. 17-27.

IV. Autres ouvrages exploités :

IV.1. Littérature :

- Dib Mohammed, Qui se souvient de la mer ?, Paris, Seuil, 1962, 187 p.

- FARÈS Nabile, Mémoire de l'absent, Paris, Seuil, 1974, 240 p.

- FERAOUN Mouloud, Lettres à ses amis, Paris, Seuil, 1969, 224 p.

- KATEB Yacine, Nedjma, Paris, Seuil, coll. « Points », 1956, 288 p.

- MALRAUX André, Le temps du mépris, Paris, Gallimard, 1935, 112 p.

IV.2. Philosophie :

- KANT Emmanuel, Fondements de la métaphysique des moeurs, trad. Victor Delbos, Béjaïa, Berri, 2016, 124 p.

- LOCKE John, Essai philosophique concernant l'entendement humain, trad. M. Coste, Amsterdam, édition originale, 1700, 368 p.

- NIETZSCHE Friedrich, Par-delà le bien et le mal, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1987, 288 p.

- NIETZSCHE F., Généalogie de la morale, Paris, Le livre de poche, 2000, 311 p.

- NIETZSCHE F., Ainsi parlait Zarathoustra, Paris, Le livre de poche, 2016, 416 p.

- Platon, Le Banquet, Béjaïa, Berri, coll. « Les classiques de la philosophie », 2020, 116 p.

INDEX DES NOMS CITÉS

A

Abbas, Ferhat, 104

Addi, Lahouari, 21

Adler, Alfred, 22

Ali-Yahia, Rachid, 10, 13, 20, 21, 30, 94, 95

Amrouche, Jean, 98

Angenot Marc, 102

Aristote, 28

Arkoun, Mohammed, 32, 33, 96

B

Bakhtine, Mikhaïl, 78, 85, 86

Balandier, Georges, 14, 31, 93

Balzac, Honoré de, 62

Barbéris, Pierre, 70, 85, 103

Barka, Mahmoud, 18, 47, 91

Barthes, Roland, 63, 65, 66

Belaskri, Yahia, 13, 86

Belkacem, Dalila, 67

Belleau, André, 80, 85

Benaïssa, Hamza, 10, 21, 37

Bendjelid, Faouzia, 10, 11, 37

Benmakhlouf, Ali, 20

Bererhi, Afifa, 8, 12

Berger, Karima, 10, 11, 12, 13, 14, 27, 32,

36, 39, 45, 48, 51, 52, 53, 54, 60, 61, 62,

64, 65, 67, 69, 72, 73, 75, 76, 78, 81, 83,

101, 134

Berque, Jacques, 21

Berry, Nicole, 22

Bhabha, Homi. K, 7, 9, 14, 34, 59, 84, 101,

Blanchot, Maurice, 101

Bloch, Marc, 26

Bonaparte, Napoléon, 51

Bonn, Charles, 12, 38, 43, 45, 46, 48, 52,

58, 59, 62, 66, 67, 69, 71, 72, 74, 78, 79,

87, 98, 102, 103

Boudalia-Greffou, Malika, 51, 95

Bourdieu, Pierre, 18, 19, 78, 94, 95

Brahim-Salhi, Mohammed, 7, 11, 18, 27

Bugeaud, 8

C

Camus, Albert, 24, 87

Carrier, Hervé, 91, 93

Césaire, Aimé, 93

Chaulet-Achour, Christiane, 13, 51, 60, 61,

64, 65, 67, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76,

83, 84, 86

Cheniki, Ahmed, 31, 32, 33, 34, 35, 41, 47,

56, 57, 97, 102

Chikhi, Beïda, 8, 12, 37, 45, 77, 98

Chraïbi, Driss, 48

Compagnon, Antoine, 65, 74, 75

D

Dayan-Herzbrun, Sonia, 37, 43, 91

Deleuze, Gilles, 8, 55

Derive, Jean, 38, 45, 78

Derrida, Jacques, 59, 61, 66, 75

Dib, Mohammed, 38, 52, 53, 101

Durkheim, Émile, 95

E

Erikson, H. Éric 22

F

Fanon, Frantz, 14, 20, 31, 34, 37, 38, 43,

46, 90, 91, 92, 94, 95, 101, 104

Farès, Nabile, 42

Feraoun, Mouloud, 62

Ferré, Vincent, 75, 76, 77

Foucault, Michel, 14

Fraisse, Émmanuel, 46, 47, 84, 85

Fraenkel, Béatrice, 25

G

Galand-Pernet, Paulette, 85

Gasparini, Philippe, 63

Gauvin, Lise, 9

Genette, Gérard, 89

Ghafa, Brahim, 93, 94, 95, 97, 104

Giraud, Yann, 83

Glissant, Édouard, 14, 31, 83, 84

Guattari, Félix, 8, 55

H

Haas, Gerhard, 77

Haddad, Malek, 46

Hall, Stewart, 30

Hammadi, Ghania, 78

Hamon, Philippe, 66

Harbi, Mohammed, 90

Hegel, 93

Heidegger, Martin, 18

Heinich, Nathalie, 18, 19, 20, 21, 22, 24,

25

Hirt, Jean-Michel, 65

J

Jenni, Alexis, 7

Jullien, François, 23, 24

K

Kane, Cheich Hamidou, 42

Kant Emmanuel, 29

Kassab-Charfi, Samia, 81

Kateb, Yacine, 7, 38

Khadda, Naget, 12, 38, 43, 45, 46, 48, 52,

62, 72, 87, 98, 102

Khati, Abdellaziz, 11

Khatibi, Abdelkébir, 85

Kundera, Milan, 58

L

Lacoste, Camille & Yves, 7, 32

Lejeune, Philippe, 60, 63, 64

Lewis, 83, 85

Locke, John, 28

Lukács, Georg, 64, 86

M

Maalouf, Amin, 26, 55

Mackey, W. F, 84

Maingueneau, Dominique, 62, 63, 72, 87

Malraux, André, 34

Mammeri, Mouloud, 58, 85

Memmi, Albert, 48, 70

Miraux, Jean-Philippe, 60, 64, 65, 66

Mohammedi-Tabti, Bouba, 69, 77, 94

Mokhtari, Rachid, 69, 78

Moudileno, Lydie, 23, 71, 88

Moura, Jean-Marc, 44, 46

N

Nietzsche, Friedrich, 28, 36

Nora, Pierre, 19

P

Passeron, Jean-Claude, 78

Pessoa, Ferdinand, 86

Pétillon, Sabine, 80

Platon, 28

R

Ricoeur, Paul, 19, 26, 28, 32

Rinner, Fridrun, 8, 82

S

Saïd, W. Édward, 43, 85, 92

Sartre, Jean-Paul, 14, 29, 31, 37, 93, 94

Saussure, 26

Senghor, L. Sédar, 94

Spivak, C. Gayatri, 71

Stendhal, 13

Stora, Benjamin, 7, 32, 36, 44, 92

T

Todorov, Tzvetan, 55, 79

Toualbi-Thaâlibi, Noureddine, 10, 95, 96,

97, 101

Touraine, Alain, 22, 31

V

Vauléon, Maud, 55

W

Weber, Max, 38, 95

Y

Yacine, Tassadit, 86, 92, 94

Yacono, Xavier, 34, 94

Z

Zanon, Damien, 63

Zénon, 17

INDEX DES MOTS-CLÉS

Altérité, 28, 32, 33, 44, 45, 48, 54, 56, 81, 98

Crise, 7, 9, 11, 13, 14, 18, 21, 22, 25, 27, 34, 35, 59, 98, 101

Croyance, 25, 56

Culture, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 27, 30, 31, 32, 33, 35, 36, 37, 38, 39, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 60, 63, 65, 72, 73, 78, 79, 81, 83, 84, 86, 90, 91, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 101, 102, 103

Dédoublement, 8, 25, 52, 53, 54, 58, 63, 65, 66, 67, 70, 73, 74, 77, 78, 79, 80, 86, 87, 88, 134

Devenir, 8, 24, 27, 28, 29, 30, 35, 66, 84, 93, 97

Dualisme, 7, 9, 23, 26, 28, 51, 53, 54, 55, 76

Hybridation, 14, 55, 56, 60, 63, 68, 74, 76, 78, 79, 80, 82, 84, 85, 103, 134

Hybride, 14, 26, 32, 40, 44, 51, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 61, 64, 65, 73, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 93, 97, 101, 102, 103, 104, 134

Hybridité, 11, 39, 54, 56, 70, 78, 81, 91, 134

Identité, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 37, 38, 41, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 58, 62, 63, 65, 66, 67, 71, 72, 73, 75, 78, 81, 82, 84, 87, 88, 90, 91, 94, 93, 95, 97, 98, 101, 102, 103, 104, 134

Idéologie, 7, 8, 11, 12, 13, 20, 22, 25, 27, 31, 33, 34, 38, 53, 70, 72, 77, 85, 88, 90, 91, 94, 95, 102, 104

Malaise, 19, 57, 79

Mémoire, 7, 11, 19, 20, 30, 32, 33, 34, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 45, 52, 53, 69, 71, 72, 74, 77, 80, 96, 97, 98, 134

Métissage, 9, 13, 32, 54, 56, 57, 73, 101

Nation, 7, 8, 9, 10, 11, 13, 14, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 28, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 41, 42, 44, 46, 47, 48, 51, 54, 57, 58, 69, 77, 76, 79, 90, 91, 92, 94, 95, 96, 97, 98, 101

Postcolonial, 9, 10, 14, 17, 23, 26, 31, 33, 34, 37, 43, 56, 58, 59, 63, 68, 71, 74, 77, 78, 84, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 97, 101, 103, 104, 134

TABLE DES MATIÈRES

REMERCIEMENTS .............................................................................................................. 2

DÉDICACE ............................................................................................................................. 4

EXERGUE ............................................................................................................................... 5

INTRODUCTION GÉNÈRALE ........................................................................................... 6

PARTIE I : L'identité, entre processus et interaction ....................................................... 16

Approches préliminaires ...................................................................................................... 17

CHAPITRE I : Autour de la notion d'identité - approche socio-historique .................. 17

1. L'identité, essai de définition ......................................................................................... 18

1.1. L'identité nationale (collective) ............................................................................. 18

1.2. L'identité-sujet (individuelle) ................................................................................ 23

Résumé ................................................................................................................................. 28

Tableau récapitulatif ............................................................................................................ 29

CHAPITRE II : Sur la question nationale en Algérie ....................................................... 30

1. L'héritage colonial ......................................................................................................... 31

2. L'après-guerre ................................................................................................................ 36

2.1. La quête mémorielle : vers une issue salvatrice ..................................................... 38

3. L'étrange[r] aux sources du renouveau .......................................................................... 43

3.1. L'effet boumerang .................................................................................................. 45

PARTIE II : Les processus de l'hybride en l'oeuvre .......................................................... 50

Quelques repères .................................................................................................................. 51

1. La vie de l'auteure .......................................................................................................... 51

2. Aperçu des ses oeuvres ................................................................................................... 52

3. Le corpus .........................................................................................................................53

CHAPITRE I : La dimension poétique ............................................................................... 54

1. L'hybridation générique ................................................................................................. 55

1.1. Un roman autobiographique ................................................................................... 59

1.2. La pratique de la pseudonymie : de l'anonymat à l'être-deux ............................... 64

1.3. Le parti-pris de l'Histoire ....................................................................................... 68

2. L'hybridation linguistique .............................................................................................. 78

3. Le cadre spatio-temporel ................................................................................................ 86

3.1. Le dédoublement spatial ........................................................................................ 87

3.2. Le temps discontinu ............................................................................................... 88

CHAPITRE II : Stratégies postcoloniales .......................................................................... 90

1. Pour une politique du fait colonial inversée ................................................................... 92

2. Stratégies d'accommodation en ambivalence culturelle ................................................ 95

2.1. L'exil, ou la renaissance dans l'ailleurs ................................................................. 97

CONCLUSION GÉNÉRALE ............................................................................................ 100

ANNEXES ............................................................................................................................ 106

I. Karima Berger, Le « saut hors du rang des meurtriers » .................................................. 107

II. Christiane Chaulet-Achour & Karima Berger, «Dans un sens, dans l'autre, sans cesse». - «Dialogue avec le texte L'enfant des deux mondes de Karima Berger» ............................... 113

III. Marion Muller-Colard, «Karima Berger : femme d'un seul monde» .............................. 118

IV. Informations en lien avec le corpus ................................................................................ 121

BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................. 122

INDEX DES NOMS CITÉS ............................................................................................... 129

INDEX DES MOTS-CLÉS ................................................................................................ 131

TABLE DES MATIÈRES .................................................................................................. 132

LISTE DES ABRÉVIATIONS .......................................................................................... 133

RÉSUMÉ ...............................................................................................................................134

LISTE DES ABRÉVIATIONS

AP. Action Pédagogique.

APN. Action Politique Nationale.

Cf. [Confer]. À comparer avec, voir avec.

Chap. Chapitre.

EF. Essai fictionnel.

EX. Exemple.

Ibid. [Ibidem]. Au même endroit, eu égard à la note précédente.

LDM. L'enfant des deux mondes.

N°. Numéro.

Op. cit. [Opus citatum]. Opus cité.

OSM. Organisme sémantiquement modifié.

PA. Politique Anti-nationale.

SE. Séquence essayistique.

SF. Support fictionnel.

SQ. [Sequiturque]. Désigne ce qui suit la citation et la prolonge. Traduit en « et suivant ».

Supra. Ci-dessus, plus haut.

V. Voir.

VL. Violence légitime.

Vol. Volume.

VS. Violence symbolique.

RÉSUMÉ

Notre étude portait sur une oeuvre ambigüe de la littérature algérienne. Elle s'attache à la représentation des identités dans le roman de Karima Berger : identité succédant à l'ère des grands nationalismes et prise à part dans celle des postcoloniaux. Nous étions partis de la double appartenance de l'auteure, de par ses enseignements arabe et français, pour aboutir à la double appartenance de l'oeuvre. En assumant cette hybridité, l'auteure fait fi des représentations manichéennes du monde abstrait, telles qu'elles sont véhiculées sous couvert de mondialisation. C'est, de fait, un « Tiers-espace » qui s'impose et auquel personnages et lecteurs adhèrent. Notre étude vise à expliciter ce sentiment d'identité tel qu'il est vécu par le sujet, en nous penchant davantage sur le volet idéologique, politique de l'identité. Nous avons, du reste, traité de la manière dont elle se réfléchit au sein de l'oeuvre, et notamment par la voix(e) de l'hybride, qui est la consécration même des poétiques du postcolonial.

Par ailleurs, il était question de redéfinir ce concept-là des identités nouvelles en leur attribuant un nom, suivant la stratégie de l'auteure qui s'évalue autour des cercles traditionnels, en même temps qu'elle brigue ceux de sa propre modernité. Cela fut donc l'objet de tout le travail, et notamment de la première partie qui prend en charge les deux grandes représentations de l'identité, à savoir l'identité nationale (collective) et l'identité-sujet (individuelle). Cela étant, nous avons étalé les ?excès' de l'une et de l'autre et établi un parallèle avec différents points de notre corpus : en effet, arrivée par « en haut », l'identité est forcément nationale, tandis qu'elle est, par « en-bas » beaucoup plus personnelle. C'est dire toute l'ambigüité qu'il y a là pour L'enfant des deux mondes à saisir potentiellement son essence, sans plus opérer dans un quelconque extrémisme. C'est précisément à ce point que l'hybride apparaît important et occupe toute notre attention.

Logiquement, la seconde partie fut consacrée quant à elle à la structuration inter et intratextuelle de notre corpus selon le principe des hybridations, et s'accroche plus spécifiquement à l'aspect poétique de l'oeuvre étudiée. Il y a différents niveaux d'hybridation auxquels nous avons eu affaire tout au long de cette analyse : nous retenons à titre d'exemple les niveaux formel, informel, générique, linguistique, etc. De même qu'on y dispose, au sein de chaque niveau, de différents registres sémantiques qui font la richesse et la particularité de ce texte. En dernier lieu, nous avons précisé le rôle que jouait cet hybride dans la déconstruction du mythe sacral des identités figées, et ce en faveur d'une pensée effective et dynamique.

Le constat final fut que, l'identité, telle qu'elle est devenue au lendemain des indépendances et eu égard à la nouvelle « carte » du monde, ne peut désormais subsister dans l'un de ces deux mondes que par l'effet d'un tiers. Cela étant, on s'aperçoit vite de l'effet décentralisateur (ou de dédoublement) induit et par l'un et par l'autre. En attendant, c'est le roman qui s'empare le mieux de ces représentations troublées et brosse le tableau de ces correspondances.

* 1 Benjamin STORA & Alexis JENNI, Les mémoires dangereuses, Alger, Hibr, 2016, 238 p. C'est également dans ce sens que nous interprétons les propos de Kateb Yacine : « mais la conquête était un mal nécessaire », supposé par là de s'élever au rang de Nation et d'acquérir un savoir moderne (en matière de lutte notamment) et des droits fondamentaux, dont, entre autres, l'exercice de la démocratie.

* 2 Mohammed BRAHIM-SALHI, Algérie : identité et citoyenneté, Tizi-ouzou, Achab, 2010, p. 309.

* 3Toutes les ères socialistes qui ont accompagné les premières décennies des indépendances au Maghreb se sont plus ou moins soldées par un échec flagrant. C'est le cas notamment de la fameuse politique agraire, en Algérie, érigée selon le modèle pro-marxiste et qui plongea le pays dans les affres d'une indigence matérielle et culturelle. Voir à ce sujet, Camille & Yves LACOSTE (Dir.), L'état du Maghreb, Paris, la Découverte, coll. « L'état du monde », 1991, 572 p.

* 4 Mohammed BRAHIM-SALHI, op. cit., p. 65.

* 5 De là le facteur idéologique : « L'Algérie s'inscrit désormais dans l'arabo-islamisme. L'Islam plus que jamais sera au centre de tous les débats. Le document de la charte nationale qui stipule, dans sa résolution de politique générale, « ... l'expression de la volonté du peuple algérien et de son parti de placer la politique du pays (...) sous le double signe du socialisme et de l'attachement à notre personnalité arabo-islamique « est élaboré avec les intellectuels « marxistes « ou marxisants de Ben Bella. » Farida AÏT FERROUKHE, « Situation d'impasse et agents de la culture », in Afifa BERERHI & Beïda CHIKHI (Dir.), Algérie : ses langues, ses lettres, ses histoires. Balises pour une histoire littéraire, Blida, Tell, 2002, p. 61.

* 6 Fridrun RINNER, « introduction », in Fridrun RINNER (Dir.), Identité en métamorphose dans l'écriture contemporaine. Publications de l'université de Provence (PUP), 2006, p. 5.

* 7 Le fragment qui présuppose littéralement un déchirement physique au sens de déracinement ou de déterritorialisation n'a pas lieu d'être dans notre analyse puisqu'il n'intervient qu'à la fin en guise d'issue salutaire à cette dynamique identitaire locale de dédoublement.

* 8 Gilles DELEUZE & Félix GUATTARI, Rhizome : Introduction, Paris, Minuit, 1976, 74 p.

* 9 Habiba SEBKHI, « identité rhizomatique », in Fridrun RINNER (Dir.), op. cit., p. 144.

* 10 HOMI. K. Bhabha, Les lieux de la culture. Une théorie postcoloniale, Paris, Payot, 2007, 411 p.

* 11 Soit par le biais de l'anéantissement de l'ordre de vie traditionnel dû à la conquête coloniale, soit par la confrontation directe avec les instances gouvernementales en bute face à l'action modernisatrice.

* 12 Voir, par exemple, la politique anti-nationale. Rachid ALI-YAHIA, Sur la question nationale en Algérie, Tizi-ouzou, Achab, 2011, 235 p.

* 13 Hamza BENAÏSSA, Tradition et identité : Introduction à l'anthropologie traditionnelle, Alger, El Maarifa, 2001, 200 p.

* 14 Noureddine TOUALBI-THAÂLIBI, L'identité au Maghreb : l'errance, Alger, Casbah, coll. « Essais », 2000, p. 48.

* 15 Rappelons à ce titre les quelques travaux de recherche effectués par Karima Berger lors de son parcours académique, notamment sa thèse de doctorat portant sur le Nationalisme en Algérie, sorte de préambule à ses activités littéraires en gestation.

* 16 Faouzia BENDJELID, Le roman algérien de langue française, Alger, Chihab, 2012, 196 p.

* 17 Ibid., p. 54.

* 18 Abdellaziz KHATI, La Kabylie par ses romanciers, (l'affrontement de deux mondes : la tradition face à la modernité), Alger, Casbah, 2017, 288 p.

* 19 Faouzia BENDJELID, Le roman algérien de langue française, op. cit., p. 55.

* 20 Sur l'État, on peut lire qu' « il est porté par le choix volontariste des citoyens et se considère, par conséquent, comme porte-parole de la « société « à laquelle peuvent être assimilés des individus et des communautés particulières. ». Ursula MATHIS-MOSER, « « Littérature nationale « versus « littérature d'immigration « », in Fridrun RINNER (Dir.), op. cit., p. 112.

* 21 Mohammed BRAHIM-SALHI, Algérie : identité et citoyenneté, op. cit., p. 14.

* 22 Karima Berger, L'enfant des deux mondes, Paris, l'Aube (éd. 1ère), 1998 ; El Ibriz (éd. 2ème), 2012, 128 p.

* 23 Dans tout récit (fiction) de témoignage, « La volonté de témoignage [bannit] tout effet littéraire qui pourrait être perçu comme une trahison par rapport à la « vérité » de cette description. ». Charles BONN & Naget KHADDA, « introduction », in Charles BONN, Naget KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), Littérature maghrébine d'expression française, Paris, Edicef, coll. « Universités Francophones », 1996, p. 8.

* 24 Nous soulignons.

* 25 Afifa BERERHI & Beïda CHIKHI, « BALISES pour une histoire des lettres algériennes », in Afifa BERERHI & Beïda CHIKHI (Dir.), Algérie : ses langues, ses lettres, ses histoires, op. cit., introduction, p. 1.

* 26 Christiane CHAULET-ACHOUR & Yahia BELASKRI (Dir.), L'épreuve d'une décennie. Algérie, art et culture 1992-2002, Paris, Paris-Méditerranée, 2OO4, 207 p.

* 27 À nouveau nous sommes donc confrontés à la question de l'engagement politique et artistique aux prises avec le pouvoir politique en Algérie, qui n'est pas en reste cependant dans cette région du monde qu'est le Maghreb.

* 28 Voir supra -note 12-. Rachid ALI-YAHIA, Sur la question nationale en Algérie, (« sur la culture »), op. cit., p. 58 et sq.

* 29 Avec M. HEIDEGGER, concept qui signifie littéralement « l'être-là », au sens de présence réelle ou concrète.

* 30 Mahmoud BARKA, Le Dilemme de l'Etranger, Béjaïa, (auto-édition), 2018, 252 p.

* 31 Sur la réforme des Uléma algériens au tournant des années 1930, puis successivement l'E.N.A. et le P.P.A. sous l'égide de Messali hadj. V. Mohammed BRAHIM-SALHI, Algérie : identité et citoyenneté, Tizi-ouzou, Achab, 2010, p. 32 et sq.

* 32 Nathalie HEINICH, Ce que n'est pas l'identité, Paris, Gallimard, 2018, 144 p.

* 33 Ce qui coïncide, dans la même marge temporelle en Algérie, à l'affirmation de la crise dite berbériste (1949) en sa qualité de noyau contestataire de l'orientation nationaliste sur le modèle de l'arabo-islamisme, réfractaire aux diversités locales entretenues sur le plan du communautarisme. En ce sens, peut-on interpréter la montée en puissance du thème identitaire cher à la diversité collective comme étant une tentative de sécularisation (sur le modèle individuel) envers le monopole arabo-islamique alors érigé par la droite nationaliste ?

* 34 Selon une définition de Pierre BOURDIEU, « l'illusion essentialiste consiste à figer et réifier ce qui est intrinsèquement fluctuant, mouvant et diversifié. ».

* 35 Nathalie HEINICH, Ce que n'est pas l'identité, op. cit., p. 21.

* 36 Nous nous référons au livre de Rachid ALI-YAHIA, Sur la question nationale en Algérie, Tizi-ouzou, Achab, 2011, p. 102.

* 37 Nathalie HEINICH, op. cit., p. 24.

* 38 Concept emprunté à Ali BENMAKHLOUF, désignant l'ambigüité conceptuelle de l'identité en situation de pluralité. Voir, Ali BENMAKHLOUF, L'identité, une fable philosophique, Paris, PUF, 2011, 180 p.

* 39 Frantz FANON, Les damnés de la terre, Alger, ANEP, 2006, pp. 182-183.

* 40 Rachid ALI-YAHIA, op. cit., p. 95.

* 41 Suivant l'otique de Jacques BERQUE. Dépossession du monde, Paris, Seuil, 1964, 221 p.

* 42 Lahouari ADDI, La crise du discours religieux musulman. Le nécessaire passage de Platon à Kant, Tizi-ouzou, Frantz Fanon, 2020, 390 p.

* 43 Nathalie HEINICH, op. cit., p. 42.

* 44 Hamza BENAÏSSA, Tradition et identité, op. cit., p. 108.

* 45 Nathalie HEINICH, op. cit., p. 75.

* 46 Nicole BERRY, Le sentiment d'identité, Paris, Éditions Universitaires, 2004, p. 11. Cité par Nathalie HEINICH, op. cit., p. 38.

* 47 Dans l'Europe ancienne, la culture était affaire de racines (spirituelles, intellectuelles...) au même titre que d'authenticité ethnique ou raciale.

* 48 À cet effet, François JULLIEN parle de la « délocalisation de la pensée » vers « un ailleurs de la pensée » en matière de culture. Il n'y a pas d'identité culturelle, Entretient France Culture, 2016. Source : https://www.Franceculture.fr/emissions/oeuvre/il-ny-pas-didentite-culturelle-0. Consulté le jeudi 27 mai 2021.

* 49 Voir Lydie MOUDILENO, Parades postcoloniales : la fabrication des identités dans le roman congolais, Paris, Karthala, coll. « Lettres du Sud », 2006, 170 p. 

* 50 Nathalie HEINICH, op. cit., p. 72. 

* 51 Albert CAMUS, Le mythe de Sisyphe : Essai sur l'absurde. Un raisonnement absurde. Les murs absurdes, Paris, Gallimard, coll. « Les classiques des sciences sociales », 1942, pp. 27-28. 

* 52 Nathalie HEINICH, op. cit., p. 51.

* 53 Béatrice FRAENKEL, La signature : genèse d'un signe, Paris, Gallimard, 1992, 336 p. - Citée par Nathalie HEINICH, op. cit., p. 34.

* 54 Nathalie HEINICH, op. cit., p. 30.

* 55 Paul RICOEUR, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 2015, 424 p.

* 56 Nathalie HEINICH, op. cit., p. 47.

* 57 À ce titre, la langue plus que la religion relève du ressort de l'individu : ce que Saussure appelle « langage » renseigne sur la capacité linguistique inhérente à tout être humain et diversement réalisée en chacun. Ferdinand DE SAUSSURE, Cours de linguistique générale, Béjaïa, Talantikit, 2002, 360 p.

* 58 Amin MAALOUF, Les identités meurtrières, Paris, Grasset, 1998, p. 17.

* 59 Mohammed BRAHIM-SALHI, op. cit., p. 14.

* 60 Le bateau de Thésée est une expérience de pensée philosophique corrélative à la notion de l'identité. Son emploi chez Locke résonne comme une réminiscence de l'ambigüité déjà présente chez les Grecs, celle de se situer dans le changement relatif à l'essence matérielle de l'être. Elle considère ainsi la situation : après bien des périples, le bateau subit quelques légers raccommodements avant de mouiller définitivement au port d'Athènes, où il stagne pendant des siècles. Afin d'assurer sa sauvegarde, il sera continuellement restauré par les Grecs, de sorte qu'aucune latte d'origine n'en fût la même dans toute sa composition. Ainsi, il n'en reste pratiquement rien de sa physionomie première qu'il demeure toujours la nef de Thésée. La question est : est-il réellement le même malgré tous ces revirements ?

* 61 Platon, Le Banquet, Béjaïa, Berri, 2020, pp. 88-89. Voir plus particulièrement la note de la page 88.

* 62 Ce titre est composé en référence à l'ouvrage pionnier de Rachid ALI-YAHIA.

* 63 Stuart HALL, Identités et cultures : Politiques des culturals studies, Paris, Amsterdam, 2017, 568 p.

* 64 Alain TOURAINE, Le retour de l'acteur : Essai de sociologie, Paris, Fayard, 1984, 348 p.

* 65 Ahmed CHENIKI, L'Algérie contemporaine : cultures et identités, Paris, 2019, p. 40. HAL, archives-ouvertes.fr : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02281109. Consulté le vendredi 11 juin 2021.

* 66 À considérer par le nombre important d'associations commémoratives qui furent créées : la FMGACMT (Fondation pour la Mémoire de la Guerre D'Algérie, des Combats du Maroc et de Tunisie) ; l'UNC, etc. Ou encore, plus récemment dans notre cas, c'est-à-dire à l'initiative de K. BERGER : Écritures et spiritualités, sorte d'association hétéroculturelle réunissant des écrivains de tendances non conciliables, ou, autres.

* 67 Expression de Benjamin STORA, visant à la fidélité de la mémoire. Aussi, dans une moindre mesure, la « mémoire juste » de Paul RICOEUR.

* 68 Ahmed CHENIKI, op. cit., p. 2.

* 69 Ibid., p. 5.

* 70 Voir supra -page 8 et note 5- de l'introduction.

* 71 Mohammed ARKOUN, « Relire la période coloniale », in Camille & Yves LACOSTE (Dir.), L'état du Maghreb, Paris, la Découverte, coll. « L'état du monde », 1991, p. 137.

* 72 C'est dans ce sens qu'on a pu voir se manifester, chez Mohammed ARKOUN, un impératif de la déconstruction suivant une certaine critique de la « tradition », ou de ce qu'il nomme à juste titre les « idéologies de combat ».

* 73 Ahmed CHENIKI, op. cit., p. 40.

* 74 Voir la définition qui lui a été accordée en haut.

* 75 André MALRAUX, Le temps du mépris, Paris, Gallimard, 1935, 112 p.

* 76 Ahmed CHENIKI, op. cit., pp. 40-41.

* 77 Maria-Benedita BASTO, « Le Fanon de Homi Bhabha : ambivalence de l'identité et dialectique dans une pensée postcoloniale », in Sonia Dayan-Herzbrun (Dir.), Vers une pensée politique postcoloniale : à partir de Frantz Fanon, in Tumultes, (n° 31), octobre 2008/2, Paris, Kimé, p. 53.

* 78 Xavier YACONO, Les étapes de la décolonisation française, Paris, PUF, coll. « Que sais-je », 1982, p. 124.

* 79 Ahmed CHENIKI, op. cit., p. 57.

* 80 De même qu'il symbolise en fait l'apparition d'une entité temporelle anhistorique ou indéfinie : « Le présent est un temps souverain, celui à partir duquel sont mises en oeuvre les différentes constructions politiques et sociales. Le passé et le futur fonctionnent comme des constructions, des entités dont l'existence dépend du présent. Le présent est le centre de la quête historique et de la détermination du futur. Souvent, dans des situations de crise, le passé et le futur mettent au jour un certain désenchantement et un déficit de légitimité. Ces deux temps convoqués pour combler un vide et une absence sont des simulacres, des univers illusoires... » Ahmed CHENIKI, op. cit., p. 45.

* 81 Benjamin STORA, Histoire de l'Algérie coloniale (1830-1954), Alger, Hibr, coll. « Repères Histoire », 2012, p. 37 et sq.

* 82 Ce concept initialement présent chez les présocratiques (héraclitéens et stoïciens) figure parmi les aphorismes de Nietzsche comme instrument de culture se dérobant à l'ordre civilisationnel.

* 83 Titre d'un roman de Karima BERGER, Filiations dangereuses, Montpellier, Chèvre feuille étoilée, 2007, 238 p.

* 84 Tout ce qui fait allusion à l'étrange(r), loin de le constituer, est désormais proscrit. Voir, Hamza BENAÏSSA, Tradition et identité. Alger, El Maarifa, 2016, p. 164.

* 85 Frantz Fanon, Sociologie d'une révolution (L'An V de la révolution algérienne), Paris, Maspero, 1972, 175 p. Voir aussi, La question anticoloniale : Chroniques de révolte (1952-1959), Béjaïa, Tafat, 2012, 156 p.

* 86 Frantz Fanon adopte le même positionnement quant au mouvement (de régénération identitaire) de la Négritude, lui-même constitué de tendances divergentes ... Il est jugé par ailleurs avec Sartre, dans Orphée noir, qu'« un pays colonial est un pays raciste » mais qu'un pays anticolonial est, à fortiori, également raciste.

* 87 Sonia DAYAN-HERZBRUN, « présentation », in Sonia DAYAN-HERZBRUN (Dir.), Vers une pensée politique postcoloniale : à partir de Frantz Fanon, op. cit., p. 8.

* 88 Faouzia BENDJELID, Le roman algérien de langue française, op. cit., p. 11.

* 89 Beïda CHIKHI, Maghreb en textes : écriture, histoire, savoirs et symboliques : essai sur l'épreuve de modernité dans la littérature de langue française, Paris, L'Harmattan, 1996, p. 41.

* 90 Jean DERIVE, La question de l'identité culturelle en littérature, Paris, 2007, p. 2. HAL, archives-ouvertes.fr : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00344040. Consulté le jeudi 15 juillet 2021.

* 91 Charles BONN & Naget KHADDA, « introduction », in Charles BONN, Naget KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), Littérature maghrébine d'expression française, Paris, Edicef, coll. « Universités Francophones », 1996, p. 12.

* 92 Mohammed Dib, Qui se souvient de la mer ?, Paris, Seuil, 1962, 187 p. De même que, dans le premier chapitre de L'enfant des deux mondes, le narrateur établit-il un lien entre la symbolique de l'univers décrit et La grande maison de M. Dib.

* 93 Amel MAAFA, « L'Histoire, lieu de désenchantement dans le roman algérien post-colonial », in Synergies Algérie, (n° 26), 2018, p. 98. L'auteure y cite également la trilogie de Rachid MIMOUNI, le recouvrement du monde traditionnel et l'engagement qui s'en suit : la souillure, la violence et le rejet, comme thèmes principaux.

* 94 Ibid., p. 98.

* 95 Hakim MAHMOUDI, « La poésie de Mohammed Dib : entre bris-collage et bricolage. Éléments d'une esthétique postmoderne. », Thèse de doctorat en langue française, Option : Science des textes littéraires, sous la direction de Charles BONN & Khedidja KHELLADI, ENS d'Alger, 2015-16, p. 25.

* 96 La Fontaine de Jouvence, aussi appelée « fontaine d'Immortalité » ou « fontaine de Vie » y figure comme un symbole de pérennité et de renouvellement. Cette source mythique, provenant de la mythologie biblique et classique, évoque l'idée de purification et de régénération.

* 97 La ville « comme espace politico-symbolique », Ombasic MAYA, « Espace urbain et identité. », Thèse de doctorat, Option : Littérature générale et comparée, sous la direction de Monnet, Rodica-Livia, Montréal, 2012.

* 98 Autre aspect important de la mésaventure sociale d'où figure la ruralisation des espaces urbains, s'avère être la « religiosité » implantée dans le très vaste panorama social que gouvernent des idéaux passéistes. En effet, comme le donne à lire A. CHENIKI, « Le ruralisme est réfractaire aux discours « modernistes », il s'illustre surtout par des attitudes conservatrices teintées de religiosité. ». Ahmed CHENIKI, op. cit., p. 47.

* 99 Hakim MAHMOUDI, op. cit., p. 26.

* 100 Nabile FARÈS, Mémoire de l'absent, Paris, Seuil, 1974, 240 p.

* 101 Appréhender « les problèmes politiques et sociaux d'une modernité maghrébine » au risque d'« occult[er] la dimension proprement littéraire » qui les met en évidence. Charles BONN & Naget KHADDA, « introduction », in Charles BONN, Naget KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), op. cit., p. 14.

* 102 Ibid., p. 18.

* 103 Les études postcoloniales accomplies dans cette optique investissent elles aussi dans leur champ cette réalité cosmique du regard produit sur l'Autre. À cet égard, É. Saïd parle de « théorie voyageuse » pour qualifier la pensée universaliste de Fanon : « En se formant à travers des déplacements dans l'espace, de la Martinique à la métropole, puis à l'Algérie et au continent africain, cette pensée y a acquis une dimension d'universalité, mais d'un universel ouvert, critique, conflictuel, toujours en mouvement. ». Sonia DAYAN-HERZBRUN, « présentation », in Sonia DAYAN-HERZBRUN (Dir.), Vers une pensée politique postcoloniale : à partir de Frantz Fanon, op. cit., p. 6.

* 104 « L'enfantement du sentiment national dans la société algérienne, essentiellement dans l'entre-deux-guerres, [...] s'appuie d'abord sur un mouvement de déception à l'encontre de la ?francisation' », qui débouche à l'exacerbation du sentiment indépendantiste, durant et après la colonisation. Néanmoins, certains sujets sont partagés entre deux sentiments, deux conceptions de l'identité ancrées dans la personne de l'Algérien : des sujets conscients se revendiquant de leur héritage hybride. Benjamin STORA, Histoire de l'Algérie coloniale (1830-1954), op. cit., p. 72.  

* 105 Ibid., p. 70.

* 106 Jean-Marc MOURA, Europe littéraire et l'Ailleurs. L'image de l'étranger : perspectives des études d'imagologie littéraire, Paris, PUF, 1998, p. 35.

* 107 Le verbe souligné nous renseigne avant tout sur le « travail de la mémoire ».

* 108 Beïda CHIKHI, « Jean Amrouche », in Charles BONN, Naget KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), Littérature maghrébine d'expression française, op. cit., pp. 31-32.

* 109 « L'identité d'une oeuvre littéraire, c'est d'abord sa langue. ». Jean DERIVE, La question de l'identité culturelle en littérature, op. cit., p. 3.

* 110 Charles BONN & Naget KHADDA, « introduction », op. cit., p. 17.

* 111 Mohammad Abouzeid FADWA, « Identité et altérité : Le voyage vers l'Autre et la renaissance de Soi dans La goutte d'or de Michel Tournier », in Postures, L'Autre : poétique et représentations littéraires de l'altérité, hiver 2017/1 (n° 25), Montréal, p. 14. Source : http://revuepostures.com/fr/articles/abouzeid-25. Consulté le jeudi 29 juillet 2021.

* 112 Jean-Marc MOURA, op. cit., p. 35.

* 113 On estime que le nationalisme algérien a donné lieu à un « résistantialisme » de base pour triompher à l'égard de la colonisation, plutôt qu'à un véritable projet libérateur tel que le consignait Fanon.

* 114 Charles BONN & Naget KHADDA, « introduction », in Charles BONN, Naget KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), op. cit., p. 14.

* 115 En raison de la pluri-appartenance culturelle et identitaire des individus, « les écrivains sont aussi et peut-être nécessairement ces nomades qu'évoque le sociologue Zygmunt Bauman quant il décrit notre univers mondialisé comme peuple de « touristes et de vagabonds». ». Emmanuel FRAISSE, Littérature et mondialisation, Paris, Honoré Champion, 2012, p. 107.

* 116 Mohammad Abouzeid FADWA, op. cit., p. 3.

* 117 Nous retrouvons, à quelques nuances près, le même usage concernant cette notion chez M. BARKA. Voir Mahmoud BARKA, Le Dilemme de l'Etranger, Béjaïa, (auto-édition), 2018, p. 116.

* 118 Ahmed CHENIKI, L'Algérie contemporaine : cultures et identités, op. cit., p. 9.

* 119 « ... à des phases d'extension ou de constitution de vastes ensembles [...] ont pu succéder des périodes de repli, d'éclatement, de dépècement... ». Emmanuel FRAISSE, Littérature et mondialisation, op. cit., p. 12. EN effet, face aux phénomènes de la mondialisation, le syncrétisme culturel n'en est que plus apparent : de sorte que la modernité n'est abordée que sous l'emprise de la tradition.

* 120 Mohammad Abouzeid FADWA, op. cit., p. 4.

* 121 Charles BONN & Naget KHADDA, « introduction », in Charles BONN, Naget KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), op. cit., p. 9. Parmi ces écrivains, nous pensons à Driss CHRAÏBI (Maroc), Karima BERGER (Algérie), et Albert MEMMI (Tunisie) qui est plutôt triculturel.

* 122 Ibid., p. 16.

* 123 En 1850 a lieu la création d'écoles « arabes-françaises » se destinant à la formation d'une élite indigène bilingue en Algérie. L'instruction primaire contenait une dizaine de manuels spécifiques de la production métropolitaine et autre. Trois établissements supérieurs ont été créés pareillement sous le décret Napoléon III, le 14 juillet 1850 à Tlemcen, Constantine et Médéa.

* 124 Voir, à ce sujet, l'excellente synthèse de Malika BOUDALIA-GREFFOU, L'école algérienne de IBN BADIS à PAVLOV. Alger, Laphomic, 1989, 144 p.

* 125 « ... mon Orient est aujourd'hui défiguré... dira-t-elle [...]. Nous avons cessé d'être en paix. La modernité promettait le progrès, mais une seule chose progresse, la peur. La modernité nous lègue la démesure. [...] Pour se mesurer il faut un repère, et ce repère est l'Autre ! ». Karima BERGER, « Le « saut hors des rangs des meurtriers» », in Cairn.info, mars 2016/3, Paris, SER, pp. 89-90. Source : https://www.cairn.info/revue-etudes-2016-3-page-87.htm. Consulté le samedi 31 juillet 2021.

* 126 Le roman en question paraît d'abord en France, « terre d'adoption », puis en Algérie, terre natale. Il participe de ce fait à l'affirmation de ce dualisme qui sous-tend la nature hybride de l'auteure.

* 127 « Ces écrivains partent d'ailleurs souvent d'une position d'observateurs, promenant un regard d'anthropologues sur la rencontre des codes culturels divers qui donne au Maghreb sa si grande richesse culturelle. ». Charles BONN & Naget KHADDA, « introduction », in Charles BONN, Naget KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), Littérature maghrébine d'expression française, Paris, Edicef, coll. « Universités Francophones », 1996, p. 17.

* 128 « Les romans modernes et postmodernes sont déterminés de façon particulièrement forte par la marque de l'altérité. ». Manfred SCHONELING, « Le moi dissocié : Modernité et hybridité culturelle dans la littérature du XX éme siècle », in Fridrun RINNER (Dir.), Identité en métamorphose dans l'écriture contemporaine. Publications de l'université de Provence (PUP), 2006, p. 11.

* 129 L'hétérogénéité est ainsi perçue comme un vagabondage d'un monde à l'autre, d'une situation à une autre, d'un genre à un autre. Elle est la somme de ces individus métissés, à part. A. MAALOUF les définit comme étant « des êtres frontaliers en quelque sorte, traversés par des lignes de fracture ethniques, religieuses ou autres. ». Amin MAALOUF, Les identités meurtrières, Paris, Grasset, 1998, p. 13.

* 130 Cependant, il ne suffit pas d'affecter des propriétés « historiques » à un genre pour que celui-ci y subsiste. TODOROV, dans « L'origine des genres » met en évidence le croisement des genres antiques avec d'autres qui doivent leur assurer la pérennité à l'ère présente. Ainsi, les genres « viennent [...], tout simplement, d'autres genres. ». Tzvetan TODOROV, La notion de littérature et autres essais, Paris, Seuil, coll. « Points essais », 1987, p. 47.

* 131 C'est de la sorte qu'on a pu parler d'une « langue majeure » (canonisée) et d'une « littérature mineure » (non-canonisée). Gilles DELEUZE & Félix GUATTARI.

* 132 Le « Grand Code » de « la langue française est détourné[e], réapproprié[e] par les francophones. ». Maud VAULÉON.

* 133 Hakim MAHMOUDI, « La poésie de Mohammed Dib : entre bris-collage et bricolage. Éléments d'une esthétique postmoderne. », Thèse de doctorat en langue française, Option : Science des textes littéraires, sous la direction de Charles BONN & Khedidja KHELLADI, ENS d'Alger, 2015-16, p. 254.

* 134 Myriam LOUVIOT, « Poétique de l'hybridité dans les littératures postcoloniales. », Thèse de doctorat, Option : Littérature comparée, sous la direction de François-Xavier CUCHE, Université de Strasbourg, 2010, p. 7.

* 135 Ahmed CHENIKI, L'Algérie contemporaine : cultures et identités, Paris, 2019, p. 65. HAL, archives-ouvertes.fr : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02281109. Consulté le jeudi 5 août 2021.

* 136 Myriam LOUVIOT, op. cit., p. 28.

* 137 Ibid., p. 28.

* 138 Ahmed CHENIKI, op. cit., p. 39.

* 139 Une littérature écrite sous-tendue par une littérature orale traditionnelle (mystique, rituelle...), in Mouloud MAMMERI (Dir.), Littérature orale : Actes de la table ronde, Alger, OPU, 1982, 170 p.

* 140 Myriam LOUVIOT, op. cit., p. 7.

* 141 Milan KUNDERA, L'art du roman, Paris, Gallimard, 1995, p. 30.

* 142 Charles BONN, Xavier GARNIER, Jacques LECARME (Dir.), Littérature francophone : le roman, Paris, Hatier, 1997, p. 22.

* 143 Myriam LOUVIOT, op. cit., p. 47.

* 144 Hakim MAHMOUDI, op. cit., p. 263.

* 145 Myriam LOUVIOT, op. cit., p. 29.

* 146 Charles BONN, Xavier GARNIER, Jacques LECARME, op. cit., p. 7.

* 147 Jacques DERRIDA, « La loi du genre », in « Maurice Blanchot est mort », Colloque, 1979, réédité in Parages, Strasbourg, Galilée, 2003, p. 253.

* 148 Charles BONN, Xavier GARNIER, Jacques LECARME (Dir.), op. cit., p. 19.

* 149 Jean-Philippe MIRAUX, Le personnage de roman : genèse, continuité, rupture, Paris, Nathan, coll. « 128 », 1997, p. 11.

* 150 Philippe LEJEUNE, Le pacte autobiographique, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1975, p. 44.

* 151 Karima BERGER, « Le « saut hors des rangs des meurtriers» », op. cit., p. 88.

* 152 Christiane CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ? Écrivaines algériennes à l'épreuve du moi : Karima Berger, Maïssa Bey et Malika Mokeddem, Francofonia, Université de Cadix, Cristina Boidard (coord.), octobre 2007, p. 4.

* 153 Ibid., p. 6.

* 154 Christiane CHAULET-ACHOUR & Karima BERGER, Dialogue avec le texte « l'enfant des deux mondes », in Algérie : Littérature / Action, (n° 22-23), juin-septembre, 1998, p. 2.

* 155 Dalila BELKACEM, « Du texte autobiographique au texte romanesque dans «Le fils du pauvre» de Mouloud Feraoun. », in Insaniyat, n°? 29-30, juillet-décembre, 2005, p. 165.

* 156 Ibid., p. 166.

* 157 Marion MULLER-COLARD, « Karima Berger, femme d'un seul monde », in Réforme, 2016, p. 2.

* 158 En effet, « toute énigme du genre se tient peut-être au plus près de ce partage entre les deux genres qui ne sont ni séparables ni inséparables, couple irrégulier de l'un sans l'autre dont chacun se cite régulièrement à comparer dans la figure de l'autre... ». Jacques DERRIDA, op. cit., p. 253.

* 159 Charles BONN & Naget KHADDA, « introduction », in Charles BONN, Naget KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), op. cit., p. 5.

* 160 Les propos de FERAOUN sont fort significatifs à cet égard : « Vous savez bien que Fouroulou, c'était à peu près moi. Un moi enfant tel que je le voyais il y a dix ans. Maintenant il se peut que je le voie autrement. ». Mouloud FERAOUN, « Lettre adressée à Mme Handi Benos », le 4 février 1955, in Lettres à ses amis, Paris, Seuil, 1969, p. 131.

* 161 Dominique MAINGUENEAU, Le contexte de l'oeuvre littéraire : énonciation, écrivain, société, Malakoff, Dunod, 1993, p. 27.

* 162 Dalila BELKACEM, op. cit., p. 272.

* 163 Philippe GASPARINI, Est-il je ? Roman autobiographique et autofiction, Paris, Seuil, 2004, p. 14.

* 164 Ainsi « les genres peuvent être des bannières à revendiquer ou, au contraire, des héritages à dissimuler. », Émilie PÉZARD, Les genres du roman au XIX éme siècle, Colloque, in Calenda - Le calendrier des lettres et des sciences sociales, juin 2015, p. 2.  

* 165 Dalila BELKACEM, op. cit., p. 166.

* 166 Philippe LEJEUNE, op. cit., p. 61.

* 167 Ibid., p. 168.

* 168 Christiane CHAULET-ACHOUR et Karima BERGER, op. cit., pp. 4-5.

* 169 Jean-Philippe MIRAUX, op. cit., p. 18.

* 170 Georg LUKÁCS, La théorie du roman, suivi de : Introduction aux premiers écrits de Georg Lukács, par Lucien GOLDMAN, Paris, Denoël, 1968, p. 55.

* 171 Philippe LEJEUNE, op. cit., p. 14.

* 172 Jean-Philippe MIRAUX, op. cit., p. 18.

* 173 Prise dans la tourmente des deux langues et l'indécision d'afficher son nom arabe au complet, elle opte pour une répartition équitable de son héritage commun. En véritable « passeuse des deux rives », elle reprend à son compte le nom germanique de son mari, ou du moins la traduction de son patronyme «Hirt» (Jean-Michel), en français, «Berger».

* 174 « Les écrivains sont ainsi amenés à définir leur position dans un jeu dialectique entre imitation et innovation... », Émilie PÉZARD, op. cit., p. 2.

* 175 Christiane CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ? op. cit., p. 4.

* 176 Cité par Jean-Philippe MIRAUX, op. cit., p. 29.

* 177 Cette démarche est typique du sujet en dédoublement, car elle nous renseigne sur la dualité de l'être hybride qui, en étant pris simultanément entre deux cultures, se voit mal attribuer pour nom le seul qui soit d'origine, c'est-à-dire celui du pays natal, et recourt généralement à un double lui permettant d'asseoir véritablement ce qu'il est. C'est le cas de K. Berger et de bien d'autres qui se reconnaissent dans leur particule étrangère.

* 178 Charles BONN, Xavier GARNIER, Jacques LECARME, op. cit., p. 5.

* 179 Jean-Philippe MIRAUX, op. cit., p. 13.

* 180 Ce seraient donc « les principes d'isolement et d'amplification qui offrent à l'auteur la possibilité d'accéder à l'universel humain. ». Jacques DERRIDA, op. cit., p. 66.

* 181 Charles BONN, Xavier GARNIER, Jacques LECARME, op. cit., p. 20.

* 182 Dalila BELKACEM, op. cit., p. 172.

* 183 Précisément parce qu'elle est un sujet double : « D'un côté parce que ses traditions ne le lui permettent [toujours] pas : se livrer aux étrangers n'en fait pas partie. Au Maghreb, on garde sa vie pour soi. Et de l'autre côté, [elle est] aussi lié[e] par des «contingentes» politiques, économiques, sociales et historiques. », en un mot, modernes. Ibid., p. 169.

* 184 Christiane CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?, op. cit., p. 8.

* 185 Myriam LOUVIOT, op. cit., p. 334.

* 186 Ibid., p. 312.

* 187 Charles BONN, Xavier GARNIER, Jacques LECARME (Dir.), op. cit., pp. 16-17.

* 188 Rachid MOKHTARI, Le nouveau souffle du roman algérien : essai sur la littérature des années 2000, Alger, Chihab, 2006, p. 31.

* 189 Christiane CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?, op. cit., p. 8.

* 190 Christiane CHAULET-ACHOUR & Karima BERGER, Dialogue avec le texte « l'enfant des deux mondes », op. cit., p. 2.

* 191 Christiane CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?, op. cit., p. 8.

* 192 Bouba MOHAMMEDI-TABTI, La société algérienne avant l'indépendance dans la littérature : Lecture de quelques romans, Alger, OPU, 1986. Voir plus particulièrement le Chap. I, pp. 27 à 128.

* 193 Christiane CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?, op. cit., p. 7.

* 194 Se référant à la part d'idéologie présente dans l'Histoire et aux tentations de retournement qui guettent plus à fortiori le colonisé. Albert MEMMI, Portrait du colonisé (précédé de) portrait du colonisateur, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2002, 161 p.

* 195 Myriam LOUVIOT, op. cit., p. 354.

* 196 Pierre BARBÉRIS, Le Prince et le Marchand. Idéologiques : la littérature, l'histoire, Paris, Fayard, 1980, pp. 41-42.

* 197 Myriam LOUVIOT, op. cit., p. 312.

* 198 Celui-ci se prévalant de l'« essentialisme stratégique » dont parle SPIVAK, comme d'un système à signification stable et anhistorique. Gayatri. C. SPIVAK, Nationalisme et imagination, Paris, Payot, 2011, p. 78.

* 199 C'est le propre des littératures postcoloniales, qui ont en commun « leur indétermination, leur reconnaissance problématique et les questions qu'elles posent à toute conception monologique de l'identité. », Charles BONN, Xavier GARNIER, Jacques LECARME, op. cit., p. 7.

* 200 Lydie MOUDILENO, Parades postcoloniales : la fabrication des identités dans le roman congolais, Paris, Karthala, coll. « Lettres du Sud », 2006, 170 p. 

* 201 Christiane CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?, op. cit., p. 7.

* 202 Parallèlement à Bonn qui a observé de près ces littératures de la post-indépendance et voyant en elles « le retour du référent ». Charles BONN & Naget KHADDA, « introduction », in Charles BONN, Naget KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), op. cit., pp. 19-21.

* 203 Claude FELL, « L'autobiographie aux frontières de l'histoire. La révolution mexicaine dans le récit autobiographique. », in América, Cahiers du CRICCAL, « Les frontières culturelles en Amérique latine », 1993, (série 2 éme / n° 13), p. 229.

* 204 Charles BONN, Xavier GARNIER, Jacques LECARME, op. cit., p. 17.

* 205 Aussi : « ce que j'écrivais était porté par tout un travail antérieur. Jai toujours tenu des journaux, des carnets, depuis l'âge de vingt ans. », in Christiane CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?, op. cit., p. 9.

* 206 Claude FELL, op. cit., p. 229.

* 207 Christiane CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?, op. cit., p. 9.

* 208 Myriam LOUVIOT, op. cit., p. 103.

* 209 L'auteure étant de nature métissée, le roman y fait oeuvre de ce dédoublement : plus encore, il alterne entre les procédés de narration propres à l'essai, au récit et à la fiction.

* 210 Ces derniers relèvent plus, à vrai dire, de la chronique que du récit. D'ailleurs, c'est uniquement de cette manière qu'elle brosse le tableau de l'aïeul, c'est-à-dire en suivant de plus près l'évolution d'une figure familière propre à une époque donnée.

* 211 Ici, on alterne entre focalisation interne et focalisation zéro. La régularité de dédoublement des instances narratives permet de prendre en charge l'intrusion des formes marquées plus en haut.

* 212 Charles BONN, Xavier GARNIER, Jacques LECARME (Dir.), op. cit., p. 13.

* 213 Credo de toutes les philosophies modernes du langage (formalisme, New criticism, structuralisme/ poststructuralisme, etc.). Antoine COMPAGNON, Le démon de la théorie, Paris, Seuil, coll. « Essais points », 1998, chap. 3, pp. 137 à 176.

* 214 Christiane CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?, op. cit., p. 7.

* 215 Charles BONN, Xavier GARNIER, Jacques LECARME (Dir.), op. cit., p. 5.

* 216 Christiane CHAULET-ACHOUR & Karima BERGER, Dialogue avec le texte « l'enfant des deux mondes », op. cit., p. 2.

* 217 Christiane CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?, op. cit., p. 8.

* 218 Vincent FERRÉ, L'essai fictionnel. Essai et roman chez Proust, Broch, Dos Passos, Paris, Honoré Champion, coll. « Recherches proustiennes », 2013, p. 346.

* 219 L'excès de genre est régit par « une loi d'impureté, un principe de contamination » d'un genre souverain par un autre mineur, qui fixe alors « une économie de parasite ». Jacques DERRIDA, La loi du genre, op. cit., pp. 254 et 256.

* 220 Guido-Mattia GALLERANI, « L'Essai dans le roman et un cas d'hybridation générique, l'essai fictionnel. », in Acta fabula, (vol. 17/ n° 2), février-mars 2016, p. 1. 

* 221 Vincent FERRÉ, op. cit., p. 342.

* 222 L'auteure peut du reste affirmer : « J'ai hésité entre un essai ou une fiction car je souhaitais faire un essai sur le dualisme, sur l'identité. Mais j'avais abandonné la recherche universitaire depuis de nombreuses années et un tel essai aurait nécessité des lectures, tout un travail de synthèse. J'ai donc opté pour la fiction. Et c'est cette écriture qui est venue... », Christiane CHAULET-ACHOUR & Karima BERGER, Dialogue avec le texte «l'enfant des deux mondes», op. cit., p. 2.

* 223 Vincent FERRÉ, op. cit., p. 476.

* 224 Partant d'un corpus d'étude constitué de neuf romans appartenant tous à la première génération des écrivains algériens, hormis peut-être le dernier, Le village des asphodèles (Ali BOUMAHDI : 1970) qui lui déborde son cadre d'analyse.

* 225 Bouba MOHAMMEDI-TABTI, op. cit., p. 12.

* 226 Les effets de ce genre de narration historique (objective) sur un récit de vie (subjectif) sont similaires à ceux de l'ekphrasis (descriptions précises et détaillées) quand ils s'avèrent présents dans le roman linéaire traditionnel.

* 227 « L'intégration de passages essayistiques dans un roman ne donne pas, à mon avis, naissance à une nouvelle forme de récit... » c'est-à-dire à une forme parfaitement substituée, étant l'affirmation subordonnée d'un genre au milieu d'un autre. Vincent FERRÉ, op. cit., p. 349.

* 228 On peut croire qu'au sein de certaines littératures engagées (à l'instar de la littérature algérienne), le « désir d'histoire » gagne toutes sortes d'écrits engendrés (qu'ils soient d'ordre personnel, autobiographique par exemple... ou publique). V. Beïda CHIKHI, Littérature algérienne : Désir d'histoire et esthétique, Paris, L'Harmattan, 1997, 236 p.

* 229 Préambule de Ghania HAMMADI, in Rachid MOKHTARI, La graphie de l'horreur : essai sur la littérature algérienne, (1990-2000), Alger, Chihab, 2018, p. 13.

* 230 Jean DERIVE, La question de l'identité culturelle en littérature, Paris, 2007, p. 3. HAL, archives-ouvertes.fr : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00344040. Consulté le dimanche 29 août 2021.

* 231 Cette pratique est une riposte énergique à l'égard du colonisateur, dans le but de mettre un terme à la tutelle française. P. BOURDIEU affecte à la situation diglossique l'appellatif VS, celui d'une « violence symbolique ». Pierre BOURDIEU & Jean-Claude PASSERON, La reproduction : Éléments pour une théorie du système d'enseignement. (Livre I) : Fondements d'une théorie de la violence symbolique, Paris, Minuit, p. 22 et sq.

* 232 « La ponte naturelle serait alors à l'introspection, à l'intimisation d'une écriture obsédée par son rapport à une langue maternelle ou paternelle mais, d'une façon ou d'une autre, prise dans une problématique oedipienne. », Charles BONN, Xavier GARNIER, Jacques LECARME (Dir.), op. cit., p. 14 et sq.

* 233 Cf. au moment où la famille se rejoint en choeur : « elles passaient indistinctement d'une mélodie à une autre, d'une langue à l'autre... » LDM, p. 5. 

* 234 André BELLEAU, « La dimension carnavalesque du roman québécois », in Notre Rabelais, Montréal, Boréal, 1990, p. 150.

* 235 Sabine PÉTILON, « Multilinguisme et créativité littéraire, » (Dir.), Olga Anokhina, Louvain-la-Neuve, Academia/L'Harmattan, coll. « Au coeur des textes », n° 20 », 2012, p. 204. Source : https://doi.org/10.4000/genesis.1009. Consulté le vendredi 3 septembre 2021.  

* 236 Ce transfert des langues, quand il s'établit dans le respect des règles (grammaticales, syntaxiques, etc.) est dit «positif». Dans le cas contraire, il relève de la confusion et est donc «négatif». Füsun avl?, « Interférences lexicales entre deux langues étrangères : anglais et français », in Synergies Turquie, (n° 2), 2009, pp. 181-182.

* 237 On aurait tord cependant de considérer qu'une telle démarche pourrait avoir un rôle à jouer dans la promotion d'un quelconque unilinguisme (d'État) au nom de l'auteure, cette dernière ayant alors fait de son oeuvre l'affirmation pure et simple d'un nouvel espace langagier (multilingue). 

* 238 Il arrive parfois que la syntaxe soit rudement malmenée, pour ainsi dire altérée. Il ne s'agit plus dès lors ni d'emprunts ni d'interférences, mais d'OSM (organisme sémantiquement modifié). V. Samia KASSAB-CHARFI (Dir.), Altérité et mutations dans la langue. Pour une stylistique des littératures francophones, Bruxelles, Academia bruylant, 2010, p. 78.

* 239 Manfred SCHMELING, « Le moi dissocié. Modernité et hybridité culturelle dans la littérature du XX éme siècle », in Fridrun RINNER (Dir.), Identité en métamorphose dans l'écriture contemporaine. Publications de l'université de Provence (PUP), 2006, p. 19.

* 240 Fridrun RINNER, « introduction », in Fridrun RINNER (Dir.), Identité en métamorphose dans l'écriture contemporaine, op. cit., p. 6.

* 241 Excepté peut-être pour ce seul passage de l'oeuvre : « Lam yaled oua lam yaouled », LDM, p. 27.

* 242 Aussi : « Jamais pourtant l'enfant n'oublia ce cadeau, ce morceau de langue qu'elle portait en elle comme le signe le plus précieux de son origine. », LDM, p. 52 et sq

* 243 Comme le donne à lire ce passage de L'enfant des deux mondes : « Ô âme pacifiée, retourne à ton Seigneur agréant et agrée », LDM, p. 114.  

* 244 R. A. LEWIS, « Langue métissée et traduction : quelques enjeux théoriques », in Meta, (vol. 48/n° 3), septembre 2003, p. 411.

* 245 Christiane CHAULET-ACHOUR, L'écrivain francophone et la langue, p. 2. Source : http://christianeachour.net. Consulté le vendredi 3 septembre 2021.

* 246 L'un et l'autre ne s'excluent pas cependant. Cf. Yann GIRAUD, Modernisme et postmodernisme, Cours de Culture Générale - Paris, Université de Cergy-Pontoise, 2015, p. 5.

* 247 Concept d'Édouard GLISSANT, in Traité du Tout-Monde, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 1997, 268 p. et Introduction à une poétique du divers, Paris, Gallimard, coll. « Littérature générale », 1996, 144 p. - cf. aussi : « ce que j'appelle le ?Chaos-Monde' [est] un bouleversement total, non seulement des rencontres de cultures, mais de chaque culture prise en soi changée par les autres. », ou encore comme « espace où les cultures occidentales peuvent rencontrer les cultures qui ne le sont pas... ».Yan CIRET, « Vers le Chaos-monde - Entretient avec Édouard Glissant », in Chroniques de la scène monde, Lyon, La passe du vent, 2000, 460 p.

* 248 Christiane CHAULET-ACHOUR, op. cit., p. 2.

* 249 Harriet. K. HAGGERTY, « Le texte hybride : Les défis que pose la traduction », in Expressions - revue internationale de lettres -, (n° 8.), avril 2019, p. 220.

* 250 Émmanuel FRAISSE, Littérature et mondialisation, op. cit., p. 162.

* 251 Abdelkébir KHATIBI, Amour bilingue, Montpellier, Fata Morgana, 1983, 130 p.

* 252 Émmanuel FRAISSE, Littérature et mondialisation, op. cit., p. 177.

* 253 Ou en tout cas d'un Occident («Maghreb»/«Couchant») orientalisé : « Oh ! Après tout, elle n'était pas orientale, mais occidentale, n'était-ce pas le sens littéral de «Maghreb», en arabe... » LDM, p. 61. - cf. aussi : Édward. W. SAÏD, L'Orientalisme : L'Orient créé par l'Occident, Paris, Seuil, coll. « La couleur des idées », 2005, 430 p.

* 254 Pierre BARBÉRIS, op. cit., p. 41.

* 255 En effet, « l'idéologie n'existe pas dans le texte sous une forme idéologique mais textuelle. ». André BELLEAU, Le romancier fictif : essai sur la représentation de l'écrivain dans le roman québécois, Presses de l'Université du Québec, 1980, p. 147. Ce qui résume d'ailleurs l'essentiel de la théorie bakhtinienne.

* 256 Malha BENBRAHIM parle d'une « poésie publique d'appel... », in Mouloud Mammeri (Dir.), Littérature orale : Actes de la table ronde, op. cit., pp. 34-37

* 257 Nous tenons pour exemple de ces manifestations verbales un bon nombre de pratiques ésotériques récurrentes dans la littérature écrite algérienne. Certaines sont à mettre du côté de l'occultisme (la Bouqala, Timsensit, le Gourara, etc.) comme relevant de la praxis. De fait, lorsqu'elles apparaissent au sein d'un texte, elles favorisent aussitôt son insertion dans les deux registres de langue précités...

* 258 Georg LUKÁCS, La théorie du roman, op. cit., p. 61.

* 259 Mikhaïl BAKHTINE, Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 1978, p. 88.

* 260 Ibid., p. 160.

* 261 Pour davantage de détails, voir Tassadit YACINE (Dir.), Les usages sociaux de la littérature en Afrique du nord, in Awal - Cahiers d'études berbères, (n° 45-46), 2014-2016, Paris- Boumerdès, Frantz Fanon, 2021, 238 p.

* 262 Pour une approche politique de ces langues, voir Mohamed BENRABAH, « La question linguistique », in Christiane CHAULET-ACHOUR & Yahia BELASKRI (Dir.), L'épreuve d'une décennie. Algérie, art et culture 1992-2002, Paris, Paris-Méditerranée, 2OO4, pp. 83 à 108.

* 263 Des « murs absurdes » sommes-nous tentés de dire, en référence à l'ouvrage déjà cité d'Albert CAMUS. Albert CAMUS, Le mythe de Sisyphe : Essai sur l'absurde, Paris, Gallimard, coll. « Les classiques des sciences sociales », 1942, 187 p. 

* 264 Charles BONN & Naget KHADDA, « introduction », in Charles BONN, Naget KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), op. cit., p. 20.

* 265 Cet exil est déterminé par la double identité de son l'auteure. Il n'est donc pas (forcément) imposé par l'État, ou du moins indirectement, ce qui lui permet alors, dans ou en dehors de ses romans, de circuler d'un espace à l'autre.

* 266 Lydie MOUDILENO, Parades postcoloniales : la fabrication des identités dans le roman congolais, op. cit.,

* 267 Ici, c'est la figure du triangle inversé qui prévaut. Le narrateur, ou indirectement l'enfant, reprend sa vie du tout début en employant le présent de narration. On aboutit dès lors, avec ce récit de souvenirs, à une double prospection.

* 268 Pour l'auteure (nous avons vu qu'elle entretenait des journaux), ce n'est rien d'autre qu'une « Renaissance d'une vie, antérieure. ». LDM, p. 122.

* 269 Gérard GENETTE, « Discours du récit », in Figures III, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1972, 285 p.

* 270 M. HARBI définit ce projet comme étant un « projet de communauté » et non véritablement un « projet de société ». Mohammed HARBI, L'Algérie et son destin : croyants ou citoyens, Paris, l'Arcantère, 1992, 247 p.

* 271 Pour Fanon, « la colonisation et son envers (la décolonisation) n'est rien d'autre que ce rapport de forces qu'il faut inverser. », Tassadit YACINE, « Discrimination et violence », in Sonia Dayan-Herzbrun (Dir.), Vers une pensée politique postcoloniale : à partir de Frantz Fanon, in Tumultes, (n° 31), octobre 2008/2, Paris, Kimé, p. 24.

* 272 Pour une approche socio-psychiatrique (psychopathologique) de ces violences (c'est-à-dire des violences postcoloniales), voir Mahmoud BOUDARÈNE, La violence sociale en Algérie, Alger, Koukou, 2017, 128 p.

* 273 Sonia DAYAN-HERZBRUN, « présentation », in Sonia DAYAN-HERZBRUN (Dir.), Vers une pensée politique postcoloniale : à partir de Frantz Fanon, op. cit., p. 6.

* 274 Hervé CARRIER, Lexique de la culture pour l'analyse culturelle et l'inculturation, Tournai, Desclée, 1992, p. 41.

* 275 Dans son discours chargé de souvenirs et de ressentiments, M. BARKA lui réserve l'expression de « l'effet boomerang ». Mahmoud BARKA, Le Dilemme de l'Etranger, Béjaïa, (auto-édition), 2018, p. 116. Cependant, dans LDM, le terme est délégitimé voire anéantit de nouveau, car, comme le dit Fanon, il participe d'une autre forme certaine d'aliénation qu'il conviendrait de dépasser. Ce que réussit à faire d'ailleurs, au vu de son hybridité, la protagoniste de notre roman. L'expression peut donc s'utiliser dans les deux sens, à savoir dans le positif et le négatif, et signifier un retour forcé à l'autre, au Français.

* 276 Benjamin STORA, Histoire de l'Algérie coloniale (1830-1954), Alger, Hibr, coll. « Repères Histoire », 2012, 126 p.

* 277 Tassadit YACINE, « Discrimination et violence », in Sonia Dayan-Herzbrun (Dir.), Vers une pensée politique postcoloniale : à partir de Frantz Fanon, op. cit., p. 19.

* 278 Ibid., p. 20.

* 279 Ibid., pp. 20-21.

* 280 Autrement dit le « choc culturel ». Dans le contexte postcolonial, ce choc résulte d'un « Sentiment de profonde désorientation qu'éprouvent les personnes et les groupes mis soudainement en contact avec un milieu culturel dont les traits se révèlent inconnus. ». Hervé CARRIER, op. cit., p. 100.

* 281 Édward. W. SAÏD, L'Orientalisme : L'Orient créé par l'Occident, Paris, Seuil, coll. « La couleur des idées », 2005, p. 4.

* 282 Brahim GHAFA, L'intellectuel et la Révolution algérienne, Alger, Houma, 2001, p. 12.

* 283 Léopold Sédar SENGHOR, Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, précédée de Orphée noir par Jean-Paul SARTRE, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 1948, 232 p.

* 284 Brahim GHAFA, tout en citant Fanon, conclue ainsi ses propos sur le nationalisme et la culture : « Ainsi sont accompagnés à leur dernière demeure les héros d'hier et d'aujourd'hui. C'est leur fin « bien que jamais fatigués». ». L'intellectuel et la Révolution algérienne, op. cit., p. 18.

* 285 Ceux-ci entendent réaliser l'unité nationale par le devoir de haine qui incombe aux autres générations postcoloniales. V. Bouba MOHAMMEDI-TABTI, La société algérienne avant l'indépendance dans la littérature, op. cit., 304 p.

* 286 Brahim GHAFA, op. cit., p. 16.

* 287 Rachid ALI-Yahia, Sur la question nationale en Algérie, Tizi-ouzou, Achab, 2011, pp. 60-61.

* 288 Tassadit YACINE, « Discrimination et violence », in Sonia Dayan-Herzbrun (Dir.), Vers une pensée politique postcoloniale : à partir de Frantz Fanon, op. cit., p. 24.

* 289 Xavier YACONO, Les étapes de la décolonisation française, Paris, PUF, coll. « Que sais-je », 1982, p. 71.

* 290 Ibid., p. 74.

* 291 Ibid.

* 292 Langue élitiste érigée par les anciennes et nouvelles aristocraties afin de parer à la diversité linguistique des populaces. R. ALI-YAHIA consacre la majeure partie de son ouvrage à la question des langues (et de la politique linguistique) en Algérie. V. Rachid ALI-YAHIA, Sur la question nationale en Algérie, op. cit., 235 p.

* 293 Pourtant, « Ce nationalisme ne doit pas rester à l'étroit. Il doit épouser les formes de notre temps [afin de se soustraire] à la diatribe, à la rancune, à l'invective contre l'ex occupant colonial... ». Brahim GHAFA, op. cit., p. 30.

* 294 Ce titre est en partie emprunté à Noureddine TOUALBI-THAÂLIBI, L'identité au Maghreb : l'errance, Alger, Casbah, coll. « Essais », 2000, p. 50.

* 295 Noureddine TOUALBI-THAÂLIBI, op. cit., p. 52.

* 296 Ibid., pp. 50-51.

* 297 Ce dévouement corps et âme à la tradition trouve audience auprès des basses strates populaires exemptes de « pouvoir critique » (ou de l'étude épistémologique de facture historique, pour reprendre M. Arkoun) ; tandis que, parmi les classes moyennes ou aisées (l'enfant appartenant à une famille néo-bourgeoise) ayant eu une éducation française, ne tarde pas à poindre le désir et la volonté de modernisation propre aux élites intellectuelles modernes. Voir, pour plus de précisions en la matière, Mohammed ARKOUN, Quand l'islam s'éveillera, Alger, Hibr, 2009, 252 p.

* 298 Ahmed CHENIKI, L'Algérie contemporaine : cultures et identités, op. cit., pp. 39-40.

* 299 Noureddine TOUALBI-THAÂLIBI, op. cit., p. 58.

* 300 Brahim GHAFA, op. cit., p. 52.

* 301 Mohammad Abouzeid FADWA, « Identité et altérité : Le voyage vers l'Autre et la renaissance de Soi dans La goutte d'or de Michel Tournier », op. cit., p. 4.

* 302 Beïda CHIKHI, « Jean Amrouche », in Charles BONN, Naget KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), Littérature maghrébine d'expression française, op. cit., p. 31.

* 303 Nous pensons à ces « écrivains publics » dont parle Dib pour évoquer cette sorte de contrat qui lie les écrivains algériens à leur peuple.

* 304 Maurice BLANCHOT, L'écriture du désastre, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 1980, 224 p.

* 305 Noureddine TOUALBI-THAÂLIBI, L'identité au Maghreb : l'errance, Alger, Casbah, coll. « Essais », 2000, p. 77.

* 306 BHABHA voit une dynamique possible là où FANON envisage la question selon une binarité colonisé/colonisateur... l'enjeu étant de transcender les frontières manichéennes au sein même des dispositions spatiotemporelles.

* 307 Ahmed CHENIKI, L'Algérie contemporaine : cultures et identités, Paris, 2019, p. 43. HAL, archives-ouvertes.fr : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02281109. Consulté le jeudi 23 septembre 2021.

* 308 Charles BONN & Naget KHADDA, « introduction », in Charles BONN, Naget KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), Littérature maghrébine d'expression française, Paris, Edicef, coll. « Universités Francophones », 1996, p. 19.

* 309 Amel MAAFA, « L'Histoire, lieu de désenchantement dans le roman algérien post-colonial », in Synergies Algérie, (n° 26), 2018, p. 100.

* 310 Charles BONN & Naget KHADDA, « introduction », in Charles BONN, Naget KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), Littérature maghrébine d'expression française, op. cit., p. 16.

* 311 Ibid., p. 17.

* 312 Maria-Benedita BASTO, « Le Fanon de Homi Bhabha : ambivalence de l'identité et dialectique dans une pensée postcoloniale », in Sonia Dayan-Herzbrun (Dir.), Vers une pensée politique postcoloniale : à partir de Frantz Fanon, in Tumultes, (n° 31), octobre 2008/2, Paris, Kimé, p. 64.

* 313 Pour parodier Ferhat ABBAS (La nuit coloniale, Alger, Anep, 2005, 190 p.), B. GHAFA parle de « La nuit postcoloniale » ou de ce qu'il appelle « la colonisation vers le passé ». Brahim GHAFA, L'intellectuel et la Révolution algérienne, Alger, Houma, 2001, p. 12.






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