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Le malaise identitaire et sa quete dans l'enfant des deux mondes de Karima Berger : vers une représentation romanesque de l'hybride


par Amar MAHMOUDI
UMMTO - Master 2 2021
  

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1.3. Le parti-pris de l'Histoire :

Comme nous l'avons vu en haut, l'hybridation intervient maintenant sur plusieurs niveaux concomitants, de sorte à rajouter au texte fractal (transgenre) une couche d'égo surdimensionnaire. En réalité, L'enfant des deux mondes incarne un univers suffisamment proche de celui de l'auteure, pour ne pas dire excédant tout simplement celui diégétique. La véracité de cet axiome peut néanmoins se révéler aléatoire ou hypothétique, du fait d'une certaine incompétence théorique qui maintient brouillées les frontières du genre. Cependant, les critiques tardives nouvellement instituées en la matière, c'est-à-dire, pour la plupart, sur les bases de la postcolonialité, partent toutes d'un regain de réalisme à l'égard de ces oeuvres. Pour vérifier le bien-fondé de cette assertion, nous nous sommes d'abord référés à un certain nombre d'éléments qui permettent d'établir la véracité caractéristique de cet écrit (LDM), de son apport comme étant principalement autobiographique... mais pas que : dans la plupart des cas, l'auteure tente de montrer, à l'aune de ces dispositions autobiographiques, qu'« il est un passé dont on peut se revendiquer sans honte. »185(*). En effet, à travers le récit d'une enfance que le narrateur nous dresse, on suit peu à peu les avancements de l'Histoire, tant individuelle que collective, qu'elle laisse subsister aux dépens de l'intrigue sous-tendue, elle, par un fil conducteur qui frise la réminiscence. Ainsi, compte tenu de la nature (double) des dires de l'enfant, l'auteure se doit de recourir à des formes qui privilégient tantôt la valeur de témoignage (intrinsèque), tantôt l'aspect didactique (extrinsèque). Si l'on abonde dans ce sens, nous pourrons effectivement dire que, Histoire et autobiographie sont également liées : nous parlerons donc d'une interférence de l'une dans l'autre, car dans la plupart de « ces textes autobiographiques, l'auteur[e] a régulièrement raconté la vision du monde de la société dans laquelle [elle] a grandi et les conceptions de l'Histoire qui y régnaient. »186(*).

C'est de cette manière, par l'entrelacement de ces (semi)genres, que l'auteure entend rétablir un moment durant la cohérence de son oeuvre - vis-à-vis de sa personne - et réduire l'écart subsistant entre les deux facettes (interne et externe) du récit. Si on relate l'Histoire de son propre point de vue, tel un récitatif de souvenirs, c'est qu'elle nous est donc commune et, partant, susceptible à la reproduction de la façon la plus directe qui soit, sinon dans une forme de témoignage essayistique, du moins à travers le récit de vie. Bonn, de son côté, semble cautionner au roman maghrébin cet état de fait :

L'autobiographie d'un individu peut ainsi y être lue le plus souvent comme celle d'un groupe. L'individu qui se raconte narre, à travers sa propre biographie, celle d'un groupe et le choix de l'autobiographie n'est alors qu'une manière de rendre plus authentique, pour le lecteur, un témoignage sur la communauté d'appartenance.187(*)

Avec Karima Berger, nous assistons au recouvrement d'une mémoire collective à partir des seuls souvenirs de l'enfant (engrangés par un narrateur homodiégétique) pour tenter de donner un sens crédible à la « tragédie post-indépendance »188(*). L'Histoire y joue donc un rôle important dans le processus d'élucidation et confère au texte sa dimension réelle et présente de témoignage : un bon nombre d'éléments sont puisés directement dans le terroir (à l'exemple des noms, qui eux « ne s'inventent pas »189(*)) et trouvent aisément leur correspondance dans les grands documents officiels de l'époque. Mais la démarche adoptée par l'auteure est celle où l'Histoire cède le pas sur la vie personnelle (« Je souhaitais faire un essai [...] Jai donc opté pour la fiction... »190(*)) pour « signifier et comprendre au-delà d'une simple chronologie des faits qui n'explique pas grand-chose. »191(*) :

Migration moderne d'une famille de province, Septembre 1962 : nouvelles affectations, nouvelles nominations, les nouveaux maîtres s'installent à Alger, El Djezaïr capitale du Gouvernement de la République Algérienne Démocratique et Populaire. (K. Berger, 1998, p. 35.)

Le récit se construit donc sur la base d'éléments « vécus » et « observés » d'un point de vue régulier (celui de l'enfant et du narrateur qui s'interposent), où l'Histoire suit l'évolution du personnage et ne peut réellement déroger à son regard. Cela a un effet conséquent sur le texte dans la mesure où ?la' protagoniste, contrairement à l'objectivisme noyé des principaux acteurs politiques, y reçoit quelques privilèges de classe (les francisés. Bien qu'ils ne constituent pas souvent une classe, l'enjeu étant véritablement racial192(*)) la dispensant de s'en rapprocher davantage du terrain des extrémismes. Dans cette disposition particulière où l'exil aidant (par la narration ultérieure), l'Histoire y favoriserait en quelque sorte le primat du genre autobiographique, pourvu qu'il y observât le recul nécessaire à la mémoire. La matière chronique s'établit ainsi sous forme d'un « récit qui nous emporte dans la douce langue de la réminiscence [et] dont la violence [de la guerre tout au moins] ne se manifeste pas frontalement... »193(*) :

De cette guerre, l'enfant n'avait retenu vraiment que les longues fusillades qui déchiraient d'un trait les nuits de la ville de Duperré-Aïn Defla où la famille avait séjourné quelques années. Les tirs fusaient dans un périmètre que l'oreille s'exerçait peu à peu à délimiter : chapelets de rafales dont certains semblaient partir de très près de la maison, d'autres, en écho, semblaient provenir de la montagne toute proche où se terraient les combattants, ceux du Parti communiste algérien disait-on. (K. Berger, 1998, p. 30.)

Il n'est plus question dès lors de prendre part à la vaste entreprise de « récupération » (le mot est de Memmi194(*)) exagérément adoptée tantôt par les «envahisseurs» coloniaux et tantôt par les nouveaux maîtres des indépendances (voir le chapitre suivant). Ainsi, pour éluder les stratèges de la Grande Histoire, les auteurs « vont donc chercher à élaborer un autre rapport à l'Histoire, plus complexe, qui rende davantage justice au multiple et au contradictoire, caractéristiques de l'hybridité. »195(*). Autrement dit, l'Histoire plus que tout devient sujette du récit en question. Mais elle s'en éloigne, par le biais de cette réinscription rendue désormais palpable par la vision personnelle de l'auteure (celle d'un être en dédoublement), des représentations caractéristiques voire caricaturales de cette époque. L'écrivain vient alors au secours de l'Histoire. Si, comme le soutient P. Barbéris, toute oeuvre littéraire est le résultat d'un moment historique donné, et que celle-ci tend à reproduire inévitablement cette idéologie, L'enfant des deux mondes serait ainsi purement révolutionnaire, dans la mesure où il échappe à ce conditionnement et contracte un imaginaire subversif, véhiculé en termes d'opposition, d'antagonisme ou de contrastes par « l'idéologie du texte »196(*) ; et de rupture, d'éclatement, de fusion ou d'ouvertures au niveau de la structuration interne du texte.

L'on voit donc s'insinuer, dans un passage clé de l'oeuvre étudiée, ce voeu formel de rompre avec l'Histoire traditionnelle faite de préjugés et de « déclarations haineuses » (K. Berger, 1998, p. 106.). L'Histoire (celle des vainqueurs tout ou moins), en tant que partisane essentielle de l'oubli, instaure une barrière vulnérable (dans la mesure où les restrictions qu'elle apporte finissent par se retourner contre elle-même) à l'égard de tous ceux qui, comme l'enfant, se sentent estropiés d'une part d'eux-mêmes, et de ceux-là même pour qui désormais, « les seules informations «solides» sur le passé proviennent de l'Histoire occidentale. »197(*) :

Là-bas, de l'autre côté de la Méditerranée, la production intellectuelle sur la période coloniale, pourtant prolifique, n'a ni épuisé le sujet ni même soulevé le coin du voile de ce qu'est en vérité une histoire coloniale, redoutable machine à aimer et haïr en même temps, où la violence du maître ne parvient pas à étouffer la tendresse pour ses sujets, ni effacer la rencontre entre les mondes, fût-elle traversée de fureur. Rencontre sous le signe d'une énorme boule de désir qui s'amasse dans une atmosphère dont l'injustice de chaque jour entrave pourtant sa libération. (K. Berger, 1998, p. 105.)

Ce qui confère au texte sa dose probante de réel, c'est cela même qui l'inscrit dans la discorde, la contestation et les doléances types du registre plaintif. Le récit de vie se situe donc dans un cadre spécial où ?la' protagoniste apparaît comme un élément clé de l'Histoire. Cette intrusion du personnel dans le domaine du sacré (cette formulation n'est plus exagérée, car, en Algérie, tout ce qui touche au public, à l'historique ou au social passe pour être inévitablement du ressort de la religion) n'est pas sans rappeler d'ailleurs une pratique fort répandue chez la tendance nationaliste, celle des Mémoires de combat consignés par la majorité des acteurs politiques. En effet, à travers la démarche singulière de l'enfant (et son engagement personnel), nous assistons au procès de travestissement de l'Histoire contre une partie des élites algériennes francisées. Cet épisode douloureux de l'assimilation et du rejet qui établirent jadis la réalité du système colonial, tend à se reconnaître encore - et à se reproduire - tel quel sous le régime postcolonial198(*). La fonction cognitive apparaît donc clairement dans la mesure où le récit assume une part réflexive (problèmes idéologiques et historiques199(*)) aux côtés des exigences personnelles et cathartiques de l'auteure. Cette dernière qui se reconnaît dans son rôle d'historienne critique, cible ainsi une population aliénée par une autorité qui se complait dans le déni des origines ou la constitution d'une « identité frauduleuse »200(*) :

Aujourd'hui que disent les Algériens de ce désir ? Rien. Un grand blanc recouvre leur généalogie au prix d'une effroyable terreur livrée contre une part d'eux-mêmes... (K. Berger, 1998, p. 106.)

Ce point-ci apparait sous la critique précieuse de Christiane Chaulet-Achour (la première à avoir traité de ce corpus) comme véritablement ce qui fonde la nature de l'oeuvre : « Ce «roman», si l'on s'en tient à l'étiquette de couverture, est un essai d'un lyrisme distancé et rythmé sur la filiation non assurée. »201(*). Aussi voit-on s'introduire en lui la marque d'une époque bien déterminée : Le récit en question se caractérise par un apport sociologique et historiographique important qui recouvre la présence de trois grandes périodes historiques se précipitant successivement sous les regards de l'enfant : la colonisation (l'accès à l'Autre), la Révolution algérienne (la dénonce des inégalités raciales) et les déboires des indépendances (l'exclusion de tout ce qui s'identifie à l'Autre). Pour désigner donc ce genre d'écriture qui investit plus sur le réel que sur la fiction, nous parlerons d'une écriture de la référentialité202(*), en tant qu'elle transcende largement le cadre d'une représentation proprement diégétique, et déborde sur le récit d'événements parés d'une grande historicité : Pour y parvenir, l'auteure met en scène un espace scénographique doté d'une chronologie bien définie (D. Maingueneau, idem), pour que le témoignage s'élargisse et « s'intègre à la mémoire collective. »203(*). Ainsi, au référent précité (autobiographique) s'ajoute le référent historique qui lui est subordonné, par le fait d'un individu sur une collectivité : l'enfant remédiant aux travers de l'Histoire (aux tares psychologiques héritées par ses agents), moyennant des connaissances et une expérience personnelles. L'on ne s'étonnera donc pas si, pour rendre compte de son engagement intellectuel au récit, nous voyons d'abord en lui un témoignage sur l'Histoire, une sorte d'« écriture-manifeste collective »204(*) où l'identité est synonyme de désaliénation.

Mais, à côté de cela, il y a aussi la réhabilitation de l'individuel : l'option autobiographique constitue un appui singulier directement puisé dans l'expérience de l'auteure (« J'ai toujours tenu des journaux... »205(*)), pour parer à des fonds documentaires ancrés dans la susceptibilité des idéologies concurrentes. Ainsi vivait-on, à travers la situation bilingue de l'auteure, le retournement d'un destin médiocre :

Elle désirait s'engager davantage comme tant d'autres femmes [...] images d'un destin glorieux aux dimensions d'un pays [...] occasion inespérée pour cette jeune femme d'échapper aux dimensions étroites [...] de l'Histoire. [...] Le F.L.N. recrutait... [...] Alger n'était pas Médéa. [...] Dans ce lycée algérien et indépendant, [...] le français devint la langue mal-aimée, celle de la traitrise, l'enfant se faisant rudoyer [...] lorsqu'elle ne s'adressait pas à eux dans la langue de l'Algérie nouvelle. C'est en pleurs qu'elle revint plusieurs fois à la maison en se demandant, humiliée, si Médéa faisait bien partie du même pays... [...] Impuissante, elle éprouvait dans sa chair le brutal inachèvement de la culture française dont elle avait été nourrie jusque-là... (K. Berger, 1998, pp. 39-40.)

À travers la figure de l'enfant se reflète celle catégorique de l'auteure, comme faisant partie d'un double à la fois imposant et inaccessible. Dans son rapport particulier à l'Histoire, Karima Berger nous livre un récit non moins précaire, car soumis aux caprices du temps, aux oublis et à la confrontation moins directe des événements dont elle rend compte sur le tard. L'auteure aime ainsi à entretenir ce paradoxe, cet écart volontairement rapproché : de ce fait, l'enfant, dès son plus jeune âge, se trouve imbue des événements dont la narration ne pourra intervenir que beaucoup plus tard, en guise de parallèle à des principes génériques d'ordre différentiel. Elle permettrait alors une transition du mode direct, spontané, vers celui indirect ou transposé. En fait, « ce type d'oeuvres, où le narrateur s'identifie clairement avec l'auteur, mais où il lui arrive également de se glisser dans la peau de personnages extérieurs, possède un statut hybride... »206(*) où la frontière, la limite des genres (ici Histoire et autobiographie) se gâte aussitôt et s'altère. On pense ainsi à Heidi (pp. 13, 14, 111.), à Hassiba Ben Bouali (p. 39.), à toutes ces figures essentielles qui se meuvent d'un être à l'autre, d'une situation à l'autre ; de l'auteure vers l'enfant, de l'enfant vers l'auteure... de sorte à recouvrir tous les horizons.

C'est ce qui fait que, dans notre corpus, la présence de l'Histoire, des formes essayistiques, n'établissent pas de distinctions particulières entre un genre et un autre (un genre à part), mais qu'elles s'intègrent toutes au profit d'un seul et unique genre. De sorte qu'un genre (dominant) peut se réclamer de plusieurs distinctions à la fois sans y percevoir la marque infime d'un démembrement quelconque. Cette démarche est en soi essentielle, en tant qu'elle vise à rapprocher des genres et enrichir des perspectives communes. Ce sont pour la plupart des emprunts constructifs (ex. SE [séquences essayistiques] ? SE + SF [support fictionnel] = EF [essai fictionnel]) mus par une approche destructive, d'ouverture : les genres, indépendamment de leur hiérarchie de départ, désormais se côtoient. Le genre dominant peut accueillir indistinctement, selon qu'il est un roman, et donc une fiction (l'essai, l'autobiographie...), un essai (l'autobiographie, la fiction...), un récit (l'essai, la fiction...), etc. Pour excéder cette tourmente des lois génériques anciennes au sein de notre corpus, l'Histoire peut donc s'adjoindre au récit autobiographique, et, tous deux, se mêler à la fiction suivant une tripartition unique en son genre.

Prise dans ce destin particulier (où l'identité de l'auteure et celle de l'écrit ne font qu'une), « Karima Berger regarde prendre corps une écriture qu'elle ne peut définir selon les catégories génériques habituelles. »207(*). Elle est tout à la fois l'aboutissement d'une crainte personnelle (l'éclatement) et d'une appréhension collective (la rencontre). Ce qui tend à rapprocher encore une fois le volet idéologique du volet poétique, c'est cette même complicité qui allie les deux facettes interne et externe de l'oeuvre : la rupture avec les codes traditionnels est en effet « une manière de signifier que la transmission des valeurs ne peut plus se poursuivre sereinement. »208(*). De nouvelles valeurs doivent être créées à la lisière de ce nouveau monde, dont la seule complexité de l'héritage fait appel au renouvellement des genres. Le roman verse ainsi dans le récit des origines altérées, en étant lui-même l'altération des anciennes conventions génériques209(*) :

Oh ! Après tout, elle n'était pas orientale, mais occidentale, n'était-ce pas le sens littéral de « Maghreb », en arabe, les Algériens surtout, créatures déchirées, exilées du Levant de l'origine, n'ont cessé de mimer les moeurs culturelles de leurs frères orientaux... [...] Peuple coupable de son métissage, de sa singularité, nostalgique d'une chasteté de la filiation... (K. Berger, 1998, p. 61.)

Il en ressort donc une autre facette de ce roman (notamment à travers la constitution d'un cadre référentiel existant) et qui consiste à mettre en valeur un certain nombre d'éléments historiques (souvenirs de l'enfant sur la guerre d'Algérie, faits d'arme, politiques d'assimilation, détournement des indépendances...210(*)), suivant l'ordre habituel de la narration211(*). Nous savons du moins, à travers ce récit, que le texte emprunte davantage la voie de l'Histoire, présente dans la majorité des littératures postcoloniales mais aussi dans l'écriture féminine au Maghreb, du fait de son importance relativement incontournable dans le projet d'écriture. Ainsi, elles contribuent à la reconnaissance d'une mémoire locale, prégnante, leur permettant de « développer des modalités inédites de surgissement [...] d'une dimension littéraire imprévue. »212(*).

Ce qui est sûr, c'est qu'avec le soutient de l'autobiographie, la maxime « il n'y a de référence externe qu'à d'autres textes »213(*) est moins visible, et le recours motivé aux expressions du monde réel s'avère donc justifié. Ce qui nous permet de déceler la trace de l'essai dans notre corpus, ce sont justement tous les commentaires externes doués d'une part plus ou moins certaine de réflexivité, qui s'en rapportent soit à des contingentes humaines, sociales, politiques et historiques ; soit à des expériences d'ordre personnel relevant de la vie de l'auteure. En effet, dès lors que la dimension idéologique et politique prédominent dans le récit (dans LDM « la part réflexive - l'essai - prend le pas sur la part narrative... »214(*)), le texte est d'autant plus atteint et est perçu d'emblée comme un témoignage et non plus comme une oeuvre proprement littéraire. Bonn parle alors du « retour du référent » pour désigner certaines formes de témoignage contractées tout au long des indépendances par les littératures maghrébines postcoloniales. Ce qui nous fait penser, entre autres, à l'essai, ou à tout autre ouvrage se prévalant d'un « discours de vérité »215(*).

Dans le cas de L'enfant des deux mondes, les deux propositions se trouvent réunies, dans un cadre commun de confrontation intime. L'hybridation est, dans ce cas, l'intégration de particules élémentaires propres à d'autres situations et à d'autres genres, dans un genre à la fois unique et disparate. C'est ainsi que L'enfant des deux mondes semble, au vu de cet extrait, émettre le voeu de concilier des réalités à la fois connues et ignorées, d'y établir des liens subtils comme de cet épisode noir de l'Histoire coloniale de l'Algérie confronté, selon l'environnement expérimental de l'enfant, avec les pratiques discriminatoires de ses camarades d'école, des Français en général. À travers le fait de nommer, d'appeler tout simplement un être par son nom, d'interpeller sa conscience ou alors, dans le cas contraire, décider avec un air désinvolte de ne pas lui attribuer de distinction patronymique, l'enfant voit se restituer en elle cette logique discriminatoire d'antan, désormais frôlant son cadre personnel. Le texte verse lui aussi dans cette survivance des temps, qui l'inscrit dans le besoin d'emprunter tout à la fois au récit de souvenirs qu'à la chronique historique :

Nommer, nommer - en français - les Arabes. Privilège de l'État français qui pouvait priver une famille entière de son nom et la dénommer : S.N.P., Sans Nom Patronymique. Lorsque les fonctionnaires ne parvenaient pas à démêler les multiples liens entre fratries d'une même tribu ou d'un même clan comme à identifier le nom précis des familles et de leurs membres, ils décidaient de les doter du nom d'une localité proche ou, animés d'un zèle bureaucratique, ils les désignaient officiellement du très juridique nom de S.N.P., ... [...] Curieusement, cet attribut pourtant français jusque dans sa sonorité, conférait à ces nouveaux sujets de droit une auréole de résistance, comme s'ils opposaient au pouvoir colonial une représentation voilée de leur généalogie. Citoyens algériens, les S.N.P. retrouvèrent plus tard leurs vrais noms qu'en réalité ils n'avaient jamais perdu pour leur entourage proche, même si pour « la France », ils avaient été des « Sans Nom ». (K. Berger, 1998, p. 72.)

Car dès lors que l'autobiographie contracte le réel et l'historique, nous acheminons vers un autre ordre qui est celui de l'essai : « Je souhaitais faire un essai... »216(*) ? « Disons que c'est la reconstruction d'éléments vécus ou observés. »217(*), ou de ce que V. Ferré nomme précisément « l'essai fictionnel »218(*). Ce dernier peut en l'occurrence occuper des positions diverses et user simultanément de références externes, mais toujours sous l'égide d'un genre fictionnel, romanesque - étant le mieux disposé, le genre « fourre-tout » (d'A. Compagnon). Ainsi, nous avons pu voir à travers cette quête personnelle de l'identité quelle relation distincte pouvait unir la petite histoire et la Grande Histoire. À partit de ces points d'opposition, les genres (de part leur nature) y paraissent suffisamment ambigus ou éloignés, pour que dans tout rapport d'interférence ou d'intrusion, l'impureté s'impose de loin comme étant la règle du jeu219(*).

En effet, si la notion de genre tend à s'exprimer en dehors de son domaine de codification, ce n'est qu'en termes d'un certain éclectisme. Car à notre connaissance, il y a toujours un genre dominant (le roman) auquel viennent s'adjoindre par la suite d'autres éléments plus ou moins compétents (l'autobiographie, l'essai, etc.). Mais il y a également une phase intermédiaire (supposée) où le fragment de genre emprunté peut se sentir véritablement intégrer le récit : c'est le cas ici de deux genres - l'essai et l'autobiographie - qui peuvent s'accommoder de leurs différences dans ce qu'ils ont de plus près, s'agissant de leur dimension de témoignage. Passé le seuil de l'intrusion, nous parlerons alors d'une hybridation « coopérative » pour désigner ce dont V. Ferré rend compte comme étant « l'entrée dans la forme romanesque des parties qui semblent relever du genre essayistique. »220(*). Nous tenons pour exemple ce passage ironique - comme il en existe souvent d'ailleurs dans les derniers chapitres qui touchent à l'exil de l'enfant - qui s'apparente de beaucoup à celui d'un pamphlet politique, notamment à travers les procès qu'il dresse à la présidence et au gouvernement d'État, en faveur des expatriés :

Pourtant, dans leur quête de légitimité, les nouveaux maîtres de l'Algérie n'hésitèrent pas à transférer les cendres de l'Emir de Damas à Alger pour célébrer, dans un cimetière au cadre pompeux, dit « cimetière des martyrs », le retour du héros « parmi ses frères de combat de la Révolution ». Ignorant ce désir si cher au coeur de l'exilé de reposer près de son maître, le chef d'Etat procéda au transfert de sa dépouille, organisant une opération médiatique sans précédent par quoi l'Algérie entière devait retenir l'image d'un président au geste grave, recueillant avec d'autres membres du gouvernement la dépouille du saint homme avant de l'enfouir dans sa terre natale. Il déclara que la patrie recouvrait en ce jour son symbole national dont l'avait privé l'ennemi français. Tout en privant du même coup la sépulture de l'Emir de la proximité de son principal inspirateur... (K. Berger, 1998, p. 116.)

Ainsi, dans un roman autobiographique à vocation essayistique, « la figure de l'auteur[e] y paraît fonctionner comme conscience unique... »221(*) (Ironie et subjectivité), tandis qu'on y trouve en réalité, dans les soubassements du discours narratif, les signes obscurs de l'hétérogénéité. Ce n'est que par l'entremise des autres voix narratives (comme celle du narrateur omniscient et anonyme) qu'on peut espérer affranchir l'Histoire relatée des seuls souvenirs de l'enfant et l'affecter durablement dans ses instances narratoriales. La présence des séquences essayistiques (formes propres à l'essai) dans la fiction, si elle peut remédier aux carences, aux blancs, aux fameux interdits de l'Histoire (en allant du publique au privé, du général au particulier) n'y échappe pas entièrement aux besoins du genre, en matière de réadaptation, et demeure plus près encore de la fiction. Ce passage de l'essai à la fiction (genre intermédiaire) inaugure un rapport complexe entre le monde réel et celui diégétique, car il aborde souvent des réalités connues sous des regards personnels. Cette double fonctionnalité est exposée par V. Ferré comme suit :

Le rôle de l'essai fictionnel est double : en lui-même, il possède des qualités qui rappellent l'essai, dans sa relation à la vérité ; mais sa nature fictionnelle limite sa visée cognitive222(*) et ce n'est que dans le dialogue avec les parties diégétiques que l'essai fictionnel peut approcher la connaissance.223(*)

Ainsi, les processus d'observation sont soumis à l'oeil d'un narrateur qui se retrouve lui de même dans celui de l'enfant. Dans le passage à suivre, les séquences essayistiques (SE) sont le fruit d'un être polymorphe qui rompt volontairement son récit au profit d'une parole à part ; mieux, les intègre au sein de cette parole. Elles sont de ce fait romancées, puisqu'elles tendent à coup sûr vers le romanesque et viennent enrichir sa condition hybride :

[...] Ecole de filles bien entendu dans cette ville sévère, fermée sur elle-même et sur sa gloire passée de capitale de Beylik du Titteri. Ville séparée en deux : sur les hauteurs, le cartier français aux villas cossues, grandes, vastes... [...] plus bas, la ville arabe aux maisons hautement protégées les unes par les autres, masse compacte et blanche défiant toute intrusion du regard. [...] Puis au coeur même de la cité, une frontière... [...] le versant nord... [...] Au centre... (K. Berger, 1998, pp. 23-24.)

La présence de l'essai, (aspects social et ethnographique) jadis attribuée aux écrits primitifs d'indigènes, dans le roman moderne, semble témoigner à son tour du renouvellement d'une vision poétique de l'hybride. En ce sens et, comme le consigne B. Mohammedi-Tabti, « il faudrait préciser que l'histoire, dans ces romans224(*) constitue plus qu'une toile de fond et qu'elle est un des éléments essentiels de toutes ces oeuvres. »225(*). Aussi bien, le récit, pour opérer sa subsistance dans ces moments de rupture226(*), est-il contraint de les intégrer à son compte. De ce fait, la part (plus ou moins importante) d'Histoire qu'il recèle devient elle aussi romancée. Il n'y a pas d'effacement comme l'écrit cependant Gerhard Haas, mais bien plus intégration227(*). C'est parce que le destin de l'enfant est entièrement rattaché à celui de ses deux pays, que l'Histoire devient soudain le lieu privilégié et l'élément propice à la quête. Nous assistons alors, à travers la confrontation de deux points de vue et de deux histoires, au balancement de l'oeuvre d'une instance à l'autre, d'une idéologie à l'autre, d'un genre à l'autre. L'enfant des deux mondes s'appuie donc lui aussi sur une logique de dédoublement induite par contexte postcolonial, et réfute, de ce fait, toute tentative de catégorisation. L'auteure peut alors se livrer à cet exercice intime de la mémoire tout en étant rivée sur l'enjeu communautaire et universel228(*).

L'Histoire, qui est du reste une composante essentielle, peut s'étendre à toutes les productions intellectuelles parues en Algérie, aussi bien dans les domaines relatifs (les sciences sociales) que dans la pratique littéraire, c'est-à-dire au sein des écrits fictifs. En effet, « Sur cette trame en ébullition [l'Histoire], résout G. Hammadi, a pris naissance une littérature inscrite dans le désenchantement, l'exil, la mort. »229(*). Des éléments en provenance du dehors (proches de l'essai) sont donc récupérés et participent à la mise en place d'une scénographie qui signe le conditionnement de l'oeuvre par un rapport privilégié au monde.

* 185 Myriam LOUVIOT, op. cit., p. 334.

* 186 Ibid., p. 312.

* 187 Charles BONN, Xavier GARNIER, Jacques LECARME (Dir.), op. cit., pp. 16-17.

* 188 Rachid MOKHTARI, Le nouveau souffle du roman algérien : essai sur la littérature des années 2000, Alger, Chihab, 2006, p. 31.

* 189 Christiane CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?, op. cit., p. 8.

* 190 Christiane CHAULET-ACHOUR & Karima BERGER, Dialogue avec le texte « l'enfant des deux mondes », op. cit., p. 2.

* 191 Christiane CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?, op. cit., p. 8.

* 192 Bouba MOHAMMEDI-TABTI, La société algérienne avant l'indépendance dans la littérature : Lecture de quelques romans, Alger, OPU, 1986. Voir plus particulièrement le Chap. I, pp. 27 à 128.

* 193 Christiane CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?, op. cit., p. 7.

* 194 Se référant à la part d'idéologie présente dans l'Histoire et aux tentations de retournement qui guettent plus à fortiori le colonisé. Albert MEMMI, Portrait du colonisé (précédé de) portrait du colonisateur, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2002, 161 p.

* 195 Myriam LOUVIOT, op. cit., p. 354.

* 196 Pierre BARBÉRIS, Le Prince et le Marchand. Idéologiques : la littérature, l'histoire, Paris, Fayard, 1980, pp. 41-42.

* 197 Myriam LOUVIOT, op. cit., p. 312.

* 198 Celui-ci se prévalant de l'« essentialisme stratégique » dont parle SPIVAK, comme d'un système à signification stable et anhistorique. Gayatri. C. SPIVAK, Nationalisme et imagination, Paris, Payot, 2011, p. 78.

* 199 C'est le propre des littératures postcoloniales, qui ont en commun « leur indétermination, leur reconnaissance problématique et les questions qu'elles posent à toute conception monologique de l'identité. », Charles BONN, Xavier GARNIER, Jacques LECARME, op. cit., p. 7.

* 200 Lydie MOUDILENO, Parades postcoloniales : la fabrication des identités dans le roman congolais, Paris, Karthala, coll. « Lettres du Sud », 2006, 170 p. 

* 201 Christiane CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?, op. cit., p. 7.

* 202 Parallèlement à Bonn qui a observé de près ces littératures de la post-indépendance et voyant en elles « le retour du référent ». Charles BONN & Naget KHADDA, « introduction », in Charles BONN, Naget KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), op. cit., pp. 19-21.

* 203 Claude FELL, « L'autobiographie aux frontières de l'histoire. La révolution mexicaine dans le récit autobiographique. », in América, Cahiers du CRICCAL, « Les frontières culturelles en Amérique latine », 1993, (série 2 éme / n° 13), p. 229.

* 204 Charles BONN, Xavier GARNIER, Jacques LECARME, op. cit., p. 17.

* 205 Aussi : « ce que j'écrivais était porté par tout un travail antérieur. Jai toujours tenu des journaux, des carnets, depuis l'âge de vingt ans. », in Christiane CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?, op. cit., p. 9.

* 206 Claude FELL, op. cit., p. 229.

* 207 Christiane CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?, op. cit., p. 9.

* 208 Myriam LOUVIOT, op. cit., p. 103.

* 209 L'auteure étant de nature métissée, le roman y fait oeuvre de ce dédoublement : plus encore, il alterne entre les procédés de narration propres à l'essai, au récit et à la fiction.

* 210 Ces derniers relèvent plus, à vrai dire, de la chronique que du récit. D'ailleurs, c'est uniquement de cette manière qu'elle brosse le tableau de l'aïeul, c'est-à-dire en suivant de plus près l'évolution d'une figure familière propre à une époque donnée.

* 211 Ici, on alterne entre focalisation interne et focalisation zéro. La régularité de dédoublement des instances narratives permet de prendre en charge l'intrusion des formes marquées plus en haut.

* 212 Charles BONN, Xavier GARNIER, Jacques LECARME (Dir.), op. cit., p. 13.

* 213 Credo de toutes les philosophies modernes du langage (formalisme, New criticism, structuralisme/ poststructuralisme, etc.). Antoine COMPAGNON, Le démon de la théorie, Paris, Seuil, coll. « Essais points », 1998, chap. 3, pp. 137 à 176.

* 214 Christiane CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?, op. cit., p. 7.

* 215 Charles BONN, Xavier GARNIER, Jacques LECARME (Dir.), op. cit., p. 5.

* 216 Christiane CHAULET-ACHOUR & Karima BERGER, Dialogue avec le texte « l'enfant des deux mondes », op. cit., p. 2.

* 217 Christiane CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?, op. cit., p. 8.

* 218 Vincent FERRÉ, L'essai fictionnel. Essai et roman chez Proust, Broch, Dos Passos, Paris, Honoré Champion, coll. « Recherches proustiennes », 2013, p. 346.

* 219 L'excès de genre est régit par « une loi d'impureté, un principe de contamination » d'un genre souverain par un autre mineur, qui fixe alors « une économie de parasite ». Jacques DERRIDA, La loi du genre, op. cit., pp. 254 et 256.

* 220 Guido-Mattia GALLERANI, « L'Essai dans le roman et un cas d'hybridation générique, l'essai fictionnel. », in Acta fabula, (vol. 17/ n° 2), février-mars 2016, p. 1. 

* 221 Vincent FERRÉ, op. cit., p. 342.

* 222 L'auteure peut du reste affirmer : « J'ai hésité entre un essai ou une fiction car je souhaitais faire un essai sur le dualisme, sur l'identité. Mais j'avais abandonné la recherche universitaire depuis de nombreuses années et un tel essai aurait nécessité des lectures, tout un travail de synthèse. J'ai donc opté pour la fiction. Et c'est cette écriture qui est venue... », Christiane CHAULET-ACHOUR & Karima BERGER, Dialogue avec le texte «l'enfant des deux mondes», op. cit., p. 2.

* 223 Vincent FERRÉ, op. cit., p. 476.

* 224 Partant d'un corpus d'étude constitué de neuf romans appartenant tous à la première génération des écrivains algériens, hormis peut-être le dernier, Le village des asphodèles (Ali BOUMAHDI : 1970) qui lui déborde son cadre d'analyse.

* 225 Bouba MOHAMMEDI-TABTI, op. cit., p. 12.

* 226 Les effets de ce genre de narration historique (objective) sur un récit de vie (subjectif) sont similaires à ceux de l'ekphrasis (descriptions précises et détaillées) quand ils s'avèrent présents dans le roman linéaire traditionnel.

* 227 « L'intégration de passages essayistiques dans un roman ne donne pas, à mon avis, naissance à une nouvelle forme de récit... » c'est-à-dire à une forme parfaitement substituée, étant l'affirmation subordonnée d'un genre au milieu d'un autre. Vincent FERRÉ, op. cit., p. 349.

* 228 On peut croire qu'au sein de certaines littératures engagées (à l'instar de la littérature algérienne), le « désir d'histoire » gagne toutes sortes d'écrits engendrés (qu'ils soient d'ordre personnel, autobiographique par exemple... ou publique). V. Beïda CHIKHI, Littérature algérienne : Désir d'histoire et esthétique, Paris, L'Harmattan, 1997, 236 p.

* 229 Préambule de Ghania HAMMADI, in Rachid MOKHTARI, La graphie de l'horreur : essai sur la littérature algérienne, (1990-2000), Alger, Chihab, 2018, p. 13.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote