WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le malaise identitaire et sa quete dans l'enfant des deux mondes de Karima Berger : vers une représentation romanesque de l'hybride


par Amar MAHMOUDI
UMMTO - Master 2 2021
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

1. L'héritage colonial :

L'histoire de l'Algérie coloniale et son idéologie ont joué un rôle suffisamment essentiel dans la problématique de l'identité, appréhendée désormais dans son cadre étroit et national. Pour peu qu'elle soit nationale, l'identité relève toujours de l'histoire et de l'ensemble de ses processus sous-jacents. En effet, la culture n'est jamais qu'une continuité subordonnée d'éléments propres à la mémoire (collective), comme à ses désaccords dûs à la complexité des rapports entre colonisé et colonisateur : identité par conséquent à sens unique qui fonde la domination du système colonial sur fond de réalisme ethnocentrique et racial. Or, l'on assiste particulièrement depuis les engagements de l'indépendance, à une inversion exacerbée des rapports de force entre l' « ici » et l' « ailleurs », en matière d'identification. Peu à peu s'est donc construite, des deux côtés, une représentation univoque de l'identité pour les ?Musulmans' comme pour les Européens d'Algérie encastrés dans une forme nouvelle de communautarisme. Dès lors, il est évident que l'identité soit relativement liée, dans ses rapports antérieurs, aux évolutions intrinsèques de l'histoire et demeure inséparable, dans ce cas, de la colonisation française.

Afin de suppléer davantage les manquements de l'histoire coloniale en Algérie, des penseurs des deux rives de la Méditerranée élaborent un programme de consistance visant à consolider la mémoire66(*) (plutôt la juste-mémoire67(*)) qui doit accompagner, d'une manière certaine, le travail des identités ainsi déterminé : c'est-à-dire dans ses rapports multiples à la culture des uns et des autres. Évoquer les espaces culturels de l'Algérie en temps normal, c'est donc convoquer « les différentes rencontres, les métissages divers, les jeux hybrides, les violences coloniales. »68(*) que renferment des pans mémoriels de l'histoire des relations transculturelles. De même qu'il y a, à l'opposé, une sorte de « rapport névrotique » entretenu par différentes contradictions au sein des discours politique et social, donnant sur une altérité non consentie et/ou biaisée. Les seuls liens qui valent encore aujourd'hui sont ceux qui résultent de l'opposition de deux mémoires, voire de deux Histoires qui n'étaient pas tout à fait sans accrocs :

La mémoire est porteuse des marques d'une identité traversée par les contradictions multiples et les différents jeux culturels charriant la nation caractérisée par la présence de plusieurs césures et fractures historiques.69(*)

En vrai, la relation à la colonie demeure suffisamment ambigüe dans l'esprit des Algériens qui revendiquent leur pleine appartenance à la nation moderne70(*) (sur le chemin de la renaissance) et à l'héritage musulman persistant sur le modèle de l'« épuration ethnique ». Cette dernière vient contrecarrer en l'occurrence la somme conséquente de tous les changements survenus par le biais du colonisateur, que par l'inversion des rapports de force qu'il engage dès l'abord de l'indépendance, soit à partir des modèles « imposés » par une « modernité opérant sous les figures de la pensée et de l'action coloniales. »71(*). L'usage de ces figures renversées témoigne ainsi d'un long passé calamiteux qui, seul, demeure figé dans les esprits retranchés et les imaginaires bordés de la postérité acquise à la pensée nationale. C'est dans ce sens que la modernité, envisagée dans le contexte de la globalisation, est accréditée d'une certaine forme de renouvellement idéologique de la pensée coloniale, à ce jour déniée sous couvert de radicalisme. Que ce soit du côté individuel ou collectif, les deux composantes de l'identité - la mémoire plus que la culture - sont toutes deux ruées dans un traditionalisme vulgaire (car il n'a plus de sens) et déroutant (c'est-à-dire reconduit sur le terrain de l'action proprement dite)72(*). De là, une foule conséquente d'événements éveillent la perplexité de l'enfant et, chemin faisant, viennent remettre en cause l'authenticité de ses origines :

Grâce à la medersa l'enfant avait acquis les bases culturelles indispensables de son éducation : Qassaman, la Fatiha et la Chahada. Mais pour elle, ce n'étaient que lettres et paroles, emblèmes inintelligibles de son origine. Lorsque devant la famille réunie, elle était conviée à exhiber ces signes d'appartenance, fièrement et d'une voix claire, elle commençait sa récitation légèrement troublée par ce qui lui semblait être un mensonge. Mais le léger vertige que provoquait en elle l'apparente maîtrise d'une langue étrangère, la sienne, était plus fort et semblait l'abuser elle-même. L'honneur de ses parents accusés parfois d'être trop « modernes » était sauf. (K. Berger, 1998, pp. 33-34)

Si la mémoire semble tenir un rôle majoritairement important, la question de l'altérité qui façonne encore aujourd'hui les projections idéologiques des deux côtés, porte en son sein les séquelles négatives d'une histoire avortée, sinon illégitime, de ce qu'elle intente à la communauté nationale un procès de reconnaissance, relativement compris comme une proposition hétéroculturelle. Ainsi, l'emploi de l'oxymore « étrangère ? sienne », loin de référer seulement à la nature équivoque des deux cultures, semble évoquer la dimension exclusive du travestissement accompli sur son être à part. Pour preuve, le discours colonial passe pour être entièrement recouvré quand, par ailleurs, son degré de correspondance au sein de la culture réelle est nul ou inexistant. L'adoption de ce nouveau discours, on l'aura compris, de par son changement radical, est tout aussi vain et préjudiciable que naguère « L'adoption des structures de la colonisation condamnait les formes autochtones à une tragique disparition. »73(*). Comme on le verra, il n'y a donc pas un mais deux discours qui reflètent à la fois ce rapport de force exercé, par les autorités indépendantes, sur le reste de la population : en effet, pour supplanter la présence tenace de l'Autre, il faut d'abord se substituer à soi. Ce cas-ci est déterminé dans les études postcoloniales sous deux figures paradoxales : une politique du néocolonial (relations transnationales) et une politique « anti-nationale »74(*) (relations infranationales). Les deux sont représentées dans l'extrait suivant :

En quelques jours, Médéa se métamorphosa en une ville étrangère, ce n'était plus cette fois le « Vive le FLN » écrit en français, depuis longtemps déjà familier au regard, mais une autre écriture, une autre langue, comme s'il s'agissait déjà d'un autre pays, habité par un autre peuple, souverain dans son expression. (K. Berger, 1998, p. 29.)

Le peuple en question, si l'on admet cette touche d'ironie, est loin d'être « souverain de son expression » ; bien au contraire, il la subit presque involontairement. Aussi bien, pour reprendre une célèbre phrase d'André Malraux, « L'individu s'oppose à la collectivité, mais il s'en nourrit. Et l'important est bien moins de savoir à quoi il s'oppose que ce dont il se nourrit. »75(*). En effet, ce subtil recours à la mémoire collective (l'Histoire, la religion ... qui ne sont pas des libertés mais des sortes de gages) contribue à façonner, pour ainsi dire, l'imaginaire de l'individu qui s'en imprègne volontiers dans les forts moments de crise. L'appui et/ou l'identification à la collectivité reste pour lui le seul moyen apte à délimiter son rapport à l'espace et aux maintes idéologies représentatives. De même la mémoire, par endroit, préfigure-t-elle l'origine - n'était-ce qu'ambigüe - de l'appartenance, de même elle participe en réalité d'une dialectique représentative des deux côtés. Dans cette perspective :

Le discours colonial est encore foncièrement vivant, il traverse les contrées de l'imaginaire social en Algérie et en France. Ni le colonisé ni le colonisateur ne peuvent sortir indemnes de la tragédie coloniale.76(*) 

En dérogeant à la règle et aux exigences du terrain, Bhabha affirme que la question de l'identification n'est donc jamais l'affirmation d'une identité pré-donnée (celle-ci pouvant s'exercer à contre-courant d'une autre) : « Il s'agit toujours de la production d'une image d'identité [le rêve, suivant Fanon, de l'inversion des rôles colonisé/colonisateur] et de la transformation du sujet par le fait qu'il assume cette image. »77(*) nouvellement instituée en lui. Aussi est-il illusoire de penser que l'on peut accéder, présentement dans l'état où nous sommes, à un ordre dans lequel le sujet moderne tenterait de rompre avec certaines déterminations socio-historiques. Suivant cette optique, Xavier Yacono ne pense pas si bien conclure en affirmant que « le repli ne pouvait être total » et qu'« un pays ne se débarrasse pas de son histoire, fût-elle coloniale. »78(*).

Que ce soit dans la foisonnante production littéraire algérienne ou au sein de domaines relatifs à la vie quotidienne, l'histoire de l'Algérie coloniale demeure un chapitre encore nos clos dans la quête mémorielle des hommes d'aujourd'hui, sans doute à la recherche de cette part sacrificielle de leur identité prohibée. C'est en tout cas dans cette mesure que vont naître et proliférer, suivant les préceptes socialistes et les enseignements figés de l'école, des courants de la tendance rigoriste dans une Algérie indépendante et nationaliste : ainsi, le surgissement « légitime » de cet abandon volontiers dans l'oubli caractérise-t-il, dans une atmosphère macabre et ludique, l'un des impératifs essentiels du déni instauré :

Il y a à l'ouest d'Alger, à saint Eugène-Bologhine, un cimetière chrétien laissé à l'abandon. Parfois un visiteur vient encore de loin, de France, se recueillir, prier, déposer quelques fleurs ou rameaux d'olivier sur les tombes désolées, gagnées par une végétation abondante et anarchique, heureuse présence du vivant parmi les morts. (K. Berger, 1998, p. 117.)

Cet extrait, loin de n'être qu'une expression simple empreinte de nostalgie, dévoile en fait l'idée selon laquelle « l'anarchie de l'après-indépendance ne pouvait pas permettre la mise en ouvre d'un discours culturel cohérent, autonome. »79(*). Ainsi, devant l'empressement de définir à nouveau les contours exacts de la culture, tout, dans le discours idéologique, semble privilégier un certain rapport au passé (de tradition), comme pour mieux éluder les contraintes de l'histoire et du présent : partant de cette idée que toute relation identitaire est plus ou moins marquée par les structures latentes de la colonisation, le devenir des rapports culturels de la nation est constamment rivé sur les jeux mémoriels, de sorte que le sujet semble s'accommoder à son tour de réalités historiques comme de faits banals. Ces « postures mémorielles » comme on tend à les appeler, sont les seules qui, une fois puisées dans l'intransigeance des rapports passés, prêtent inconsciemment à la sauvegarde de l' «ordre» établi, soit à la reconduction mythique des aspects de la colonisation, et à l'oubli (la rupture avec le présent, « un temps de crise »80(*), est synonyme de désillusion et de désenchantement), à cette forme de « distraction », de détachement apathique - ceux-ci presque par nature - promenés sur les décombres tout autour et, attestée à même le regard de l'enfant :

Pourtant, ces lieux ne sont qu'en apparence désertés, quelques présences - funestes - les envahissent parfois ainsi qu'ils le feraient de terrains de jeux, en y abandonnant les traces de leurs forfaits et les signes de leurs divertissements : corps déterrés, ossements mêlés, crânes pourvus encore de leur chevelure sont désignés comme autant d'objets de distraction, ballons de football, épées ou lances selon l'inspiration macabre qui vient à ces enfants, trompant leur ennui avec ces joyeuses horreurs que l'esprit de représailles posthumes n'habite même pas. (K. Berger, 1998, p. 117.)

* 66 À considérer par le nombre important d'associations commémoratives qui furent créées : la FMGACMT (Fondation pour la Mémoire de la Guerre D'Algérie, des Combats du Maroc et de Tunisie) ; l'UNC, etc. Ou encore, plus récemment dans notre cas, c'est-à-dire à l'initiative de K. BERGER : Écritures et spiritualités, sorte d'association hétéroculturelle réunissant des écrivains de tendances non conciliables, ou, autres.

* 67 Expression de Benjamin STORA, visant à la fidélité de la mémoire. Aussi, dans une moindre mesure, la « mémoire juste » de Paul RICOEUR.

* 68 Ahmed CHENIKI, op. cit., p. 2.

* 69 Ibid., p. 5.

* 70 Voir supra -page 8 et note 5- de l'introduction.

* 71 Mohammed ARKOUN, « Relire la période coloniale », in Camille & Yves LACOSTE (Dir.), L'état du Maghreb, Paris, la Découverte, coll. « L'état du monde », 1991, p. 137.

* 72 C'est dans ce sens qu'on a pu voir se manifester, chez Mohammed ARKOUN, un impératif de la déconstruction suivant une certaine critique de la « tradition », ou de ce qu'il nomme à juste titre les « idéologies de combat ».

* 73 Ahmed CHENIKI, op. cit., p. 40.

* 74 Voir la définition qui lui a été accordée en haut.

* 75 André MALRAUX, Le temps du mépris, Paris, Gallimard, 1935, 112 p.

* 76 Ahmed CHENIKI, op. cit., pp. 40-41.

* 77 Maria-Benedita BASTO, « Le Fanon de Homi Bhabha : ambivalence de l'identité et dialectique dans une pensée postcoloniale », in Sonia Dayan-Herzbrun (Dir.), Vers une pensée politique postcoloniale : à partir de Frantz Fanon, in Tumultes, (n° 31), octobre 2008/2, Paris, Kimé, p. 53.

* 78 Xavier YACONO, Les étapes de la décolonisation française, Paris, PUF, coll. « Que sais-je », 1982, p. 124.

* 79 Ahmed CHENIKI, op. cit., p. 57.

* 80 De même qu'il symbolise en fait l'apparition d'une entité temporelle anhistorique ou indéfinie : « Le présent est un temps souverain, celui à partir duquel sont mises en oeuvre les différentes constructions politiques et sociales. Le passé et le futur fonctionnent comme des constructions, des entités dont l'existence dépend du présent. Le présent est le centre de la quête historique et de la détermination du futur. Souvent, dans des situations de crise, le passé et le futur mettent au jour un certain désenchantement et un déficit de légitimité. Ces deux temps convoqués pour combler un vide et une absence sont des simulacres, des univers illusoires... » Ahmed CHENIKI, op. cit., p. 45.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault