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De la diversité culturelle, linguistique et migratoire à  l'établissement du locuteur en langue franà§aise. Cas d'adultes migrants à  Bruxelles.


par Stéphanie NASS
Université de Bourgogne - Master 2 Recherche didactique du franà§ais 2014
  

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2.2. Les signes et les comportements linguistiques se renouvellent

La pratique des langues en situation de plurilinguisme implique la construction d'une ou d'identités linguistiques, en l'occurrence des personnalités qui se façonnent au gré des dynamiques interculturelles environnantes. La composante ontologique faite d'idiomes et de morceaux de soi, favorise l'intégration sociale du locuteur non confirmé. Dans le champ de la

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linguistique-didactique, on parle d'assimilation linguistique comportementale (Bajriæ, 2013 : 63). Nous tenterons donc de l'identifier dans les fragments issus des entretiens individuels.

Revenons à l'informatrice J qui n'apparaissait pas capable de nommer les choses dans leur temporalité et qui par conséquent, ne parvenait pas à s'établir dans la langue in fieri.

279. J : Non, sinon je commence à pleurer je parle pas (rires).

L'énoncé correspond à un thème cher à J, celui des échanges qu'elle entretient avec un migrant de même origine. Sur le plan syntaxique la construction reste simple et correcte si l'on prend en compte la dominante orale dont est dotée la production. Ainsi, l'absence de la particule négative « ne » finalisant le refus pourrait être recevable, autant de la part d'un locuteur francophone que de J. Ce qui nous interpelle ici c'est plutôt la polysémie du verbe « parler », qui signifie prononcer des sons, des paroles, exprimer sa pensée, communiquer. Comment l'interpréter dans son cas ? A notre sens et au vu des exemples développés auparavant, nous pensons que l'informatrice n'exprime pas sa pensée face à son interlocuteur de même langue in esse. Certes, J a ses raisons qu'elle expose, cependant d'après son entretien individuel, nous estimons que la locutrice présente une inertie identitaire qui s'introduit dans ses idiomes. On l'a observé dans le précédent paragraphe 2.1., l'énonceur réitère les mêmes constructions phrastiques aux tournures neutres : « c'est », « ça ». Son actuelle maladresse linguistique nous pousse à opiner que J est un « moi » élément de l'écologie humaine (cf. Annexe 15). En cela, nous entendons que l'énonciateur ne réussit pas à entrer dans une dynamique linguistique in fieri.

A contrario AL met en exergue un comportement de locuteur accompli, allant même jusqu'à différencier les langues françaises de son pays :

204. AL : Non non non je parle euh... tu sais en Côte d'Ivoire y a le français de la rue et y a le français de l'école... et le français de la rue voilà ils parlent entre eux, toi t'y es là [...]

Dans cette phrase AL distingue les deux types de français qu'il connait à l'aide du morphème de présentation « y a ». Une fois encore, c'est un clin d'oeil à l'usage oral de l'idiome et nous ne pouvons le reprocher à un énonciateur non confirmé. Ici l'énonceur opère un choix

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linguistique entre la variété des langues possibles en Côte d'Ivoire c'est-à-dire qu'il établit une sélection au niveau de son répertoire langagier. C'est ainsi que s'explique tout locuteur affirmé qui opte, qui fait des choix en connaissance des choses, de son « être » et du vouloir-dire de la langue. À notre sens, AL relève d'un « moi » conscientiel bien dans ses langues (cf. Annexe 16).

Confronté à une dichotomie langue in esse/ langue in fieri au sein même de l'association, M expose un comportement d'un tout autre registre.

2. M : Bien (silence)... Je suis parti du Maroc pour la Belgique car j'a ::: j'avais besoin de l'argent. L'économie était difficile là-bas à xx xxx je pensais beaucoup et après beaucoup de solutions, je je trouvais : traverser la Méditerranée !

3. S : Traverser la Méditerranée ?

4. M : Je ..... je vois pas autre solution, tu vois.... Je suis ma- je pars par la Méditerranée 1968. Et là j'arrive gare du Midi (sourire)... la gare de l'espoir on appelle (silence) avant. Je sais pas qui qui.... dit ça... mmm ça.

5. S : Ah c'est joli la gare de l'espoir

6. M : euh ::: je sais pas. On croit du bonheur, pour la famille, les enfants. On était beaucoup beaucoup beaucoup pas savoir quoi faire ou ou quelqu'un mmm mais bon.... Mon père a fait avant et je sais là là on savait trouver du travail vite.

Nous assistons ici à une interférence comportementale sachant que le discours émis par M procède d'une attitude linguistique à la française : la figure rhétorique. De manière générale, on trouve ce genre de constructions métaphoriques dans les propos d'un locuteur confirmé. Pourtant, M est le second après AL, à faire usage de ce genre de processus. Que peut-on objecter ? Selon nous la présence de substantifs au contexte métaphysique tels que « la gare de l'espoir » s'inscrit dans une certaine idéologie corrélée aux origines. En effet, il semblerait que l'informateur adhère au canon historique de la migration et en conséquence, au canon linguistique de la langue française. Soyons prudents néanmoins, supra nous avons pu constater que M n'est pas au bout de son appropriation de l'idiome in fieri. En d'autres termes, son comportement linguistique s'avère nettement modifié hors de toute interférence comportementale maîtrisée. En définitive, il nous a paru judicieux de dénommer M comme un

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« moi » perpétué (cf. Annexe 17). Son parcours linguistique est intrinsèquement corroboré à celui du voyage migratoire. Les représentations sociales sont largement véhiculées par l'usage qu'il fait de la langue.

46. I : Oui non bilingue. Non non je suis pas bilingue en français. Français je parle seulement ici en cours ou bien dans la rue ou non ben quand c'est pas Saint-Josse ou que je connais pas les gens.... (silence). Tu vois c'est... c'est un peu un peu... [...]

D'un point de vue sémantique, on saisit parfaitement l'idée générale de I qui consiste à s'affirmer en tant qu'individu appartenant à une communauté linguistique. En réalité, le pronom personnel non prédicatif « je » se rattache à des situations qui ne lui sont pas familières, dans le sens où elles concernent le domaine public : « en cours », « dans la rue », « quand c'est pas Saint-Josse ». Ces détails comportementaux au-delà de l'aspect interculturel, renseignent sur l'état langagier de l'énonceur et transforme le discours en une communication porteuse de message identitaire. « Être dans une langue » c'est aussi contrôler nos attitudes mentales, voilà pourquoi nous choisissons de définir I comme un « moi » adapté fidèle (Annexe 18).

Pour ce qui de E, il convient d'orienter l'analyse vers la théorie de l'expansibilité du temps. Imprégnés par les moeurs actuelles qui nous poussent dans la course folle contre la satisfaction, on utilise sans modération les termes « je n'ai pas le temps », « oui mais très rapidement alors», « oui mais je pourrai pas rester tard ». Ces vocables renvoient à un paradoxe humain où l'on croit à la maîtrise des durées, bien que nous soyons inaptes psycholinguistiquement à exister parmi la succession des évènements. On retrouve dans ce phénomène la problématique contemporaine de l'anomie. Cela dit, des sujets parlant telle que E, nous rappelle que le temps est cyclique et que, pour sûr, nous ne le dominons pas.

297. E : Je te dis : je peux écrire un livre. T'auras jamais fini avec moi, je te jure t'auras jamais fini. Parce que si je dois raconter, oh yayaille. [...]

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En ce qui concerne la syntaxe, la positon de l'adverbe « jamais » entre l'auxiliaire et le participe passé, donne un sentiment confirmé de l'usage de la langue. La maîtrise de ces entités favorise grandement l'appropriation in fieri et, de fait, participe à la construction identitaire de son énonciateur. E se retrouve en langue nouvelle puisqu'elle va même jusqu'à caractériser notre travail d'enquêtrice comme une tâche stérile, voire interminable : « « t'auras jamais fini avec moi ». Sa réflexion n'est pas sans nous évoquer le mythe de Sisyphe (cf. introduction, Partie 3) et l'absurdité de son activité. En cela, l'énonceur extériorise ici l'ensemble des contenus cognitifs caractérisant sa vision du monde, tout comme elle le ferait sans nul doute dans son idiome originel. Pour nous, après la prise en compte des fragments examinés dans cette partie, E s'assimile à un « moi » hypertrophié qui se pense dans le temps (cf. Annexe 19).

Si les échanges en communication possèdent une portée symbolique, il nous faut veiller en tant que professeure FLE à nos attitudes linguistiques et comportementales comme à celles des locuteurs non confirmés. Dans le contexte plurilingue de l'association Avenir de Saint-Josse, il est nécessaire de prendre conscience de la diversité linguistique et comportementale environnante. Ainsi, nous avons pu dresser le portrait, somme toute inachevé, de cinq énonciateurs bien distincts, indépendamment de la comparabilité de leurs langues in esse. « Mois » élément de l'écologie humaine, perpétué, adapté fidèle ou hypertrophié dans le temps, nous constatons que leur identité linguistique repose, en premier lieu, sur la connaissance et l'acceptation de leur propre culture humaine. Par-là, nous nous référons à l'expérience ontologique de l'énonceur en tant que sujet parlant in esse. Nous en revenons au concept d'anomie qui, à défaut de temps, entrave l'élaboration de toute histoire identitaire. Par la suite, une dynamique langagière doit se mettre en place, passant par les aléas des erreurs, du contrôle(le « monitor ») et de la subjectivité ou du vouloir-dire de l'idiome. L'objectif réside, en évitant le « ne plus en pouvoir »91, dans la reconnaissance sociale d'une communauté de langue et de culture différente : l'altérité.

91 Nous faisons allusion à la chronogénèse de Guillaume et plus spécialement, à l'image-temps in posse telle une étape potentiellement harassante.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld