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La république démocratique du Congo et le défi planétaire du réchauffement climatique. Responsabilités et opportunités conventionnelles internationales.


par Matthieu MUKENGERE NTAKALALWA
Université de Kinshasa - Diplôme d’Etudes Supérieures en Relations Internationales 2018
  

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Paragraphe 2. Cadre théorique

Dans cette section, nous menons une grande discussion sur certaines théories susceptibles d'expliquer le sujet sous examen. Ces théories expliquent soient les contradictions au sujet des potentialités ou ressources de la RDC, soit proposent des pistes de solution pour une contribution réussie de la RDC dans la lutte contre le réchauffement climatique, soit encore les deux à la fois.

74 Guinchard, S., Lexique des termes juridiques 23ème éd., Campus LMD, Dalloz, Charmonix et Lyon, 1er Mai, 2015, p.287.

75 Cornu, G, Vocabulaire juridique, PUF, Janvier 2014p.270 ; Idem, Vocabulaire juridique, PUF, Avril 2007, pp.239.

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L'obligation d'interdisciplinarité d'un travail de troisième cycle76 nous plonge tant dans les théories de Relations Internationales que de Science Politique, de Sociologie, d'Economie et de Management.

Nous avons, comme pour la méthodologie, trouvé mieux expliquer cette étude par la triangulation entre l'analyse stratégique et le politique par le bas en Afrique noire, une étude nous inscrivons dans le paradigme constructiviste, plutôt que ceux idéaliste, réaliste ou marxiste, une étude qui se situe au troisième niveau d'analyse des Relations Internationales, selon le schéma conçu par le Professeur Jean Barrea, à savoir le système, tel que nous l'avons démontré dans la méthodologie.

I.1.2. 1. Paradigme constructiviste Relations Internationales A. Présentation

Avant d'aborder le constructivisme comme théorie des Relations Internationales, parlons tout d'abord du constructivisme social.

a) Constructivisme social

Les constructivistes critiquent en même temps les tenants des paradigmes objectiviste et ceux du paradigme subjectiviste ou actantiel. En effet, les tenants du paradigme constructiviste soutiennent que même si les objectivistes et les subjectivistes disent ce qui est acceptable, ils ont des insuffisances. Les premiers reconnaissent l'institution (structure, organisation) et ignore les acteurs, les seconds prônent le contraire. Pour les constructivistes, un phénomène social ne peut être mieux appréhendé, mieux compris, mieux étudié que lorsqu'il tient compte à la fois de la logique des acteurs et de la dynamique des structures (de l'institution) ; il faut donc le concours ou la combinaison des deux77.

? Postulats de base

Le constructivisme est un espace réflectif qui renvoie dos à dos les oppositions stériles héritées de la philosophie qui ont émaillé les sciences sociales depuis leur essor. Il s'agit des antinomies

76Shomba Kinyamba, S, Op.cit., p. 7.

77 Battistella, D. et alii, Dictionnaire des relations internationales, 3ème éd, Dalloz, Paris, 2012, pp.71-75 ; Tshibwabwa Kuditshini, J., Séminaire de Méthodologie de Recherche, DEA/SPA, UNIKIN, 2016-2018, Inédit, pp.20-21.

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telles que matériel/idéel, objectif/subjectif, collectif/individuel, macro/micro, société/individu, explication/compréhension, déterminisme/liberté, etc. contre ces oppositions devenues stériles, le constructivisme pose que la réalité sociale n'est pas naturelle ou donnée une fois pour toute, elle est plutôt construite. Elle synthétise en elle me double aspect mis en opposition par la science classique.

Cette conception de la réalité sociale est partagée par plusieurs auteurs des sciences sociales depuis la deuxième moitié du vingtième siècle. Bourdieu est l'un des auteurs qui ont donné au constructivisme une formulation originale et la plus exploitée par les sociologues d'expression française, en général et congolais, en particulier.

Pour caractériser sa démarche, Pierre Bourdieu la nomme constructivisme structuraliste. Il la situe à la jonction de l'objectif et du subjectif comme il le relève dans son ouvrage « Choses dites ». En effet, pour lui, « par structuralisme ou structuraliste, je veux dire qu'il existe, dans le monde social lui-même, (...) des structures objectives indépendantes de la conscience et de la volonté des agents, qui sont capables d'orienter ou de contraindre leurs pratiques ou leurs représentations. Par constructivisme, je veux dire qu'il y a une genèse sociale, d'une part des schèmes de perceptions, de pensée et d'action qui sont constitutifs de de ce que j'appelle habitus, et d'autre part, des structures sociales, et en particulier de ce que j'appelle des champs ».

Dans cette double dimension, objective et construite, de la réalité sociale, une certaine primauté continue toutefois à être accordée aux structures objectives. C'est ce qui conduit Pierre Bourdieu à distinguer deux moments de l'investigation, un premier moment objectiviste et un deuxième moment subjectiviste : « d'un côté, les structures objectives que construit le sociologue dans le moment objectiviste, en écartant les représentations subjectives des agents, sont le fondement des représentations subjectives et elles constituent les contraintes structures qui pèsent sur les interactions ; mais d'un autre côté, ces représentations doivent aussi être retenues si l'on veut rendre compte notamment des luttes quotidiennes, individuelles et collectives, qui visent à transformer ou à conserver ces structures ».

Cette priorité chronologique et théorique donnée à la dimension objective de la réalité sociale puise, d'une part, de ses racines dans une réflexion épistémologique, exprimée par Pierre Bourdieu, Jean-Claude Chamboredon et jean-ClaudePasseron en 1968 dans « Le métier de sociologue » et réitéré depuis Pierre Bourdieu.

78Shomba Kinyamba, S., Op.cit., pp135-136 ; Idem, Séminaire de Méthodologie de la Recherche Scientifique, 20162018, pp.21-22.

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On trouve au coeur de cette orientation, la notion de « rupture épistémologique », rupture entre la connaissance scientifique des sociologues et « la sociologie spontanée » des acteurs sociaux ; ce qui rapproche les sciences sociales des sciences de la nature. Elle trouve une de ses sources dans l'impératif sociologique de rupture avec « les prénotions » des acteurs avancé par Emile Durkheim dans « les règles de la méthode sociologique ». Toutefois, malgré la réaffirmation de ce principe, la démarche de Pierre Bourdieu, ne serait-ce que par le deuxième moment subjectiviste, apparaît, souvent, dans le détail des analyses, plus complexe qu'une simple dichotomie entre connaissance savante et connaissance ordinaire78.

? Deux notions-clés : habitus et champ

Selon Pierre Bourdieu, « le principe de l'action historique, celle de l'artiste, du savant ou du gouvernant comme celle de l'ouvrier ou du petit fonctionnaire, n'est pas un sujet qui s'affronterait à la société comme à un objet constitué dans l'extériorité. Il ne réside ni dans la conscience ni dans les choses mais dans la relation entre deux états du social, c'est-à-dire l'histoire objectivée dans les choses, sous forme d'institutions, et l'histoire incarnée dans les corps, sous la forme de ce système de dispositions durable que j'appelle habitus ».

C'est donc la rencontre de l'habitus et du champ, de « l'histoire faite corps » et de « l'histoire faite chose » qui apparaît comme le mécanisme principal de production du monde social. Pierre Bourdieu a spécifié ici, en cherchant à le rendre opératoire pour des travaux empiriques, le double mouvement constructiviste d'intériorisation de l'extérieur et de l'extériorisation de l'intérieur.

L'habitus, ce sont en quelque sorte les structures sociales de notre subjectivité, qui se constituent d'abord au travers de nos premières expériences (habitus primaire), puis de notre vie d'adulte (habitus secondaire). C'est la façon dont les structures sociales s'impriment dans nos têtes et dans nos corps par l'intériorisation de l'extériorité. Pierre Bourdieu définit alors la notion, comme un « système de dispositions durables et transposables ».

Dispositions, c'est-à-dire des inclinaisons à percevoir, sentir, faire et penser d'une certaine manière, intérioriser et incorporer le plus souvent de manière non consciente, par chaque individu, du fait de ses conditions objectives d'existence et de sa trajectoire sociale.

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Durable, car si ces dispositions peuvent se modifier dans le cours de nos expériences, elles sont fortement enracinées en nous et tendent, de ce fait, à résister au changement, marquant ainsi une certaine continuité dans la vie d'une personne.

Transposable, car des dispositions acquise dans le cours de certaines expériences (familiales, par exemple) ont des effets sur d'autres sphères d'expériences (professionnelles, par exemple) ; c'est un premier élément d'unité de la personne.

Enfin, système, car ces dispositions tendent à être unifiées entre elles. Mais pour Pierre Bourdieu, l'unité et la continuité de la personne à l'oeuvre tendanciellement avec l'habitus ne sont pas en général celles que se représente consciemment et rétrospectivement la personne en elle-même, ce qu'il appelle « illusion biographique ».

Mais, une unité et une continuité largement non conscientes reconstruite par le sociologue (en fonction de la place dans l'espace et classes sociales, des positions institutionnelles occupées, des expériences successives au sein des différents champs, etc., et donc aussi du trajet effectué dans le monde social. Ces perspectives se distinguent de celles (...) qui conçoivent la personne comme dotée des dispositions et d'identités davantage éclatées, la question de leur unification, apparaissent plus problématique.

Unifiant, les habitus individuels sont également singuliers car, s'il y a des classes d'habitus (des habitus proches, en termes de conditions d'existence et de trajectoire du groupe social d'appartenance, par exemple), et donc des habitus de classe, chaque habitus individuel combine de manière spécifique une diversité plus ou moins grande d'expérience sociale. Mais cet habitus est-il simplement reproducteur des structures sociales dont il est produit ?

L'habitus est constitué des « principes générateurs », c'est-à-dire que peu à la manière d'un logiciel d'ordinateur (mais un logiciel en partie autocorrectible), il est amené à apporter de multiples réponses aux diverses situations rencontrées à partir d'un ensemble limité des schémas, d'actions et de pensées. Ainsi, il reproduit plutôt quand il est confronté à des situations habituelles et il peut être conduit à innover quand il se trouve face à des situations inédites.

Les champs constituent la face extérioration de l'intériorité du processus. C'est la façon dont Pierre Bourdieu conçoit les institutions non comme des substances, mais de manière rationnelle, comme des configurations de relations entre des acteurs individuels et collectifs (Pierre Bourdieu parle plutôt des agents pour indiquer que ceux-ci sont autant agis, de l'intérieur et de l'extérieur, qu'ils n'agissent librement).

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Le champ est une sphère de la vie sociale qui s'est progressivement autonomisée à travers l'histoire autour des relations sociales. Les gens ne courent ainsi pas pour les mêmes raisons dans le champ économique, dans le champ artistique, dans le champ journalistique, dans le champ politique ou dans le champ sportif. Chaque champ est alors à la fois un champ de forces, il est marqué par une distribution inégale des ressources et donc un rapport de forces entre dominants et dominés, un champ de luttes, les agents sociaux s'y affrontent pour conserver ou transformer les rapports de forces.

Pour Pierre Bourdieu, la définition même et la délimitation de ses frontières (qui a le droit d'y participer ? etc.) peut être aussi enjeu dans ces luttes ce qui distingue cette notion de celle habituellement plus fermées de « système ». Chaque champ est marqué par des relations de concurrence entre ses agents (Bourdieu parle aussi de marché), même si la participation au jeu suppose un minimum d'accord sur l'existence du champ.

Chaque champ est caractérisé par des mécanismes spécifiques de capitalisation de ressources légitimes qui lui sont propres. Il n'y a donc pas chez Pierre Bourdieu une sorte de capital comme tendanciellement chez Marx et les «marxistes » (le capital économique), mais une pluralité des capitaux (capital culturel, capital politique, etc.).79

? Critiques

On reproche à Pierre Bourdieu, le fait d'avoir accordé une prédominance aux structures (les structures dans les têtes et les corps et les structures dans les choses et les institutions) au détriment des agents sociaux. Ce qui a conduit à Pierre Bourdieu, d'après ses détracteurs, à négliger le point des interactions de face à face dans le processus de construction de la réalité sociale. Pour lui, les interactions « cachent des structures qui s'y réalisent » et ne constituent alors que « l'actualisation conjoncturelle de la relation objective ».

Le plus souvent, elles ont donc un rôle d'avantage passif qu'actif dans la formation du monde social. Un tel présupposé théorique de conduite ainsi à être peu actif à ce qui s'y passe, qui renforce leur marginalisation. La priorité donnée par Bourdieu aux aspects objectifs de la réalité

79Shomba Kinyamba, S., Op.cit, 2016, pp136-139; Lire aussi à ce sujet Maindo Monga Ngonga, A., Sociologie politique, G3 RI et L1 Sociologie, U.O.B., Janvier 2008, 2011-2012, p.12, Inédit.

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l'amène aussi parfois à réactiver le couple apparence/réalité, qui tendrait à éloigner sa sociologie de l'univers constructiviste. C'est par exemple le cas dans sans réflexion sur « l'illusion biographique », où le moi est considéré comme « la plus réelle, en apparence, des réalités ». L'analyse de la construction sociale de la réalité est alors quelque peu limitée par une telle opposition entre une vraie réalité (objective) et une fausse réalité (subjective), car la dialectique de subjectif et de l'objectif y apparait enrayée.

Dans tous les cas, les observations renseignées ci-dessus ne remettent pas en cause le socle de construit social au centre de constructivisme de Pierre Bourdieu. Elles plaident et à juste titre, pour l'élargissement de l'horizon et l'affinement du paradigme constructiviste. D'ailleurs, Pierre Bourdieu lui-même s'y penche. Le constructivisme gagne de plus en plus du terrain dans les recherches des sciences sociales portant notamment sur les représentations sociales80.

a) Le Constructivisme en Relations Internationales

Cette approche considère qu'un sentiment de l'appartenance commune, un respect mutuel, une identité similaire, contribuent à la coopération et à son institutionnalisation. De plus, des facteurs transnationaux peuvent jouer un rôle significatif dans l'établissement d'une communauté de sécurité garantissant le développement de la confiance au-delà d'un Accord minimal : le refus de recours à la force dans le règlement des différends. Dans cette perspective, la contrainte extérieure est moins importante que le sentiment collectif créateur d'une communauté pluraliste dont l'OTAN, l'ONU, la CNUCC, par exemple, seront une émanation. Les identités transnationales peuvent donc contribuer à créer une communauté même dans l'anarchie internationale81.

80Shomba Kinyamba, S., Op.cit. p.139.

81Ndabereye Nzita M'Mugambi, P., Cours de Théories de la Coopération Internationale et Techniques de Négociation, L1 R.I., U.O.B., 2012-2013, p.8, Inédit.

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Le constructivisme en Relations Internationales vient de l'adaptation par des auteurs comme Alexander Wendt, Nicholas Onuf, Peter J. Katzenstein, Michael Barnett, Kathryn Sikkink, John Ruggie et Martha Finnemore, du constructivisme social, une école née en sociologie dans les années 1960, au champ des relations internationales dont il est devenu la troisième école de pensée en importance.

? Les grands traits du constructivisme

Trois éléments font du constructivisme une théorie à part entière des théories des Relations Internationales.

Premièrement, la politique mondiale est définie comme guidée par les idées partagées, des normes et des valeurs qu'ont les différents acteurs. Le constructivisme se penche tout particulièrement sur l'intersubjectivité du savoir parce qu'il désire mettre l'accent sur l'aspect social de l'existence humaine, sur l'influence du milieu et des interactions sur la constitution de nos comportements. Rien à voir avec la force causale du néo-réalisme, la structure du système, qui est intemporelle et imposée aux agents (on parle d'acteurs dans le constructivisme pour montrer le libre arbitre des unités et d'agents dans les théories réalistes où l'unité est forcée d'agir par le système).

Deuxièmement, la structure idéelle (l'espace intersubjectif) a un rôle constitutif et non seulement constitutif sur les acteurs. C'est-à-dire que la structure invite les acteurs à redéfinir leurs intérêts et leurs identités dans un vaste processus d'interactions.

Au contraire des théories dîtes « rationalistes » (néo-libéralisme et néo-réalisme) qui posent les intérêts des États comme des constantes invariables pour définir la force causale qui sous-tend les relations internationales, le constructivisme se penche sur la structure idéelle qui forme la façon dont les acteurs se définissent (qui ils sont, leurs intérêts et comment atteindre leurs buts). Rupture avec néo-réalisme, néo-libéralisme et, partiellement, avec le globalisme : pour le constructivisme, les identités expliquent, non seulement les actions, mais aussi les intérêts (pas postulés a priori).

Des explications néomarxistes dépassent les intérêts de classe mais intègrent des explications sociologiques par des valeurs de classes, des normes dans une classe sociale qui fait qu'on peut avoir des concepts dans le marxiste comme le concept d'aliénation. Dans le marxisme

[77 ]

il y a des éléments idéels au-delà de la superstructure qui rendent l'analyse marxiste riche. Il s'agit d'identifier les acteurs, voir leurs intérêts, grâce à l'explication rationnelle on a ce que les acteurs font afin de servir pour le mieux leurs intérêts ; il y a une théorie des intérêts construit par les acteurs internationaux eux-mêmes.

L'homo sociologicus (et non homo oeconomicus) :

- N'est pas seul, mais socialisé par des normes et valeurs sociales ;

- Joue divers rôles selon son statut social, se comporte suivant les attentes de rôle que les autres ont à son égard ; ce jeu est sanctionné par les autres ;

- Il n'a pas de choix, mais est poussé par la société à laquelle il s'identifie : cf. Ferdinand Tönnies (1887) Gemeinschaft und Gesellschaft (concepts de communauté vs. Société).

Troisièmement, la structure idéelle et les acteurs se constituent et se définissent constamment l'un et l'autre. Si la structure définit le comportement et les intérêts des acteurs, ceux-ci altèrent la structure par leurs agissements. C'est qu'il est difficile, mais pas impossible pour un acteur d'agir en dehors de la structure ou de manière originale. Ce type d'agissements transforment les dialogues et contribuent ainsi à altérer la structure. Les individus ou les États peuvent ainsi défier la structure et se sortir de certaines situations dysfonctionnelles qui perpétuent des pratiques de confrontation par exemple.

Ainsi, pour les constructivistes, il est essentiel de reconnaître que la réalité d'un acteur est toujours historiquement construite. Elle est le produit de l'activité humaine et peut, au moins en théorie, être transcendée en instituant de nouvelles pratiques sociales. Ce processus de transformation peut être lent, les acteurs affrontant parfois des milliers d'années de socialisation. Seulement, même les structures les mieux enracinées peuvent être remises en question par la simple volonté. L'affirmation néo-réaliste voulant qu'il y ait des schémas universels de la politique internationale, contrainte par la structure inaltérable de l'anarchie du système mondial, est très sévèrement critiquée par les constructivistes.

Il faut voir les relations internationales comme des relations inter-identitaires ; pour les constructivistes ce qui est au coeur sont les identités des uns et des autres : si les États se comportent, veulent, ou croient que le monde est anarchique alors il le sera.

[78 ]

Wendt analyse les relations de pouvoir montrant que les relations de pouvoirs elles-mêmes sont le résultat d'une construction de la société internationale, dans le sens ou la société internationale est construite par ceux qui participent à cette société.

? Contre paradigmes « rationalistes » : néo-réalisme, néo-libéralisme, globalisme ; exemple : néo-réalisme ne peut prédire si deux Etats sont amis ou ennemis, ou si un État est statuquo ou révisionniste. La démarche constructiviste est une critique du réalisme, du libéralisme mais aussi du globalisme.

? L'anarchie n'est pas « donnée » par la structure du système international, mais résulte de la manière dont celle-ci est construite par la pratique sociale des acteurs :

- Anarchie à la Hobbes (« ennemis ») : réalisme offensif, dans le « dilemme du prisonnier », la motivation offensive est la motivation d'espérer que l'autre va collaborer afin de profiter de cette situation et l'exploiter. Pour Jean-Marc Siroën, le Dilemme du prisonnier consiste en ceci : « Tu as le choix entre dénoncer ton complice ou non. Si tu le dénonces et qu'il te dénonce aussi, vous aurez une remise de peine d'un an tous les deux. Si tu le dénonces et que ton complice te couvre, tu auras une remise de peine de 5 ans, mais ton complice tirera le maximum. Mais si vous vous couvrez mutuellement, vous aurez tous les deux une remise de peine de 3 ans ».82

- Anarchie à la Locke (« rivaux ») : ceci sera développé dans la théorie de jeu ;

- Anarchie à la Kant (« amis ») : c'est la vision du libéralisme qui met l'accent sur l'échange, on peut créer de la valeur par l'échange, chacun gagne.

C'est une démarche holiste, la manière dont le système international et le constituant voient les autres États et ce système international faisant que les relations internationales sont construites par la pratique des acteurs.

La politique de la puissance et le self-help sont des institutions, non des données matérielles des RI : en dernière analyse il n'y a que les pratiques, si on change les pratiques on va changer le monde international qui va devenir un autre monde international ; les conceptions alternatives de la sécurité possibles sont coopératives ou même collectives car la sécurité des autres a de la valeur

82Siroën, J.-M., Relations Economiques Internationales, 2 006-2007, p.49 ; siroen@dauphine.fr; www.dauphine.fr/siroen.

83En parlant des arguments, disons que la menace du réchauffement climatique est bien un argument valable qui eut poussé les Etats à créer la CCNUCC et à se réunir régulièrement en COP.

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pour soi ; les postulats ontologiques définissent le monde par ceux qui ont une vision constructiviste des relations internationales.

Les interactions entre agents sont essentiellement déterminées par des facteurs idéels : identité, culture, valeurs, normes, représentations, arguments83, etc., plutôt que directement par des forces matérielles. Les facteurs idéels les plus importants étant ceux partagés par les acteurs de façon intersubjective (normes régulatrices ; normes constitutives d'identités) ; ils ne sont pas donnés par la nature. La subjectivité est entendue ou on comprend ce que les tiers veulent dire, ce n'est pas objectif : du point de vue logique il est vrai qu'il y a une anarchie sur le système international, il y a des forces diverses qui ne sont pas toujours en communion les unes avec les autres.

L'Etat n'est pas unitaire et d'autres agents que les États interviennent en RI ; les identités et les intérêts des agents sont changeants. Par exemple, si l'Iran réintègre pleinement la Communauté internationale, l'identité de l'Iran telle qu'elle est perçue va changer. Le système international, étant construit par les significations sociales des acteurs le constituant, est changeant : c'est un système dynamique.

Structures sociales et acteurs se construisent/constituent mutuellement par leurs interactions ; c'est un processus se référant au « Le feu rouge » de Wendt, Jean-Christophe Graz résume le constructivisme en disant qu'il s'agit des approches qui sont aussi apparues dans un contexte déjà connu. « Il est difficile de situer le positivisme car il est difficile à positionner ; il se situe entre le rationalisme et le réflectivisme. C'est le double statut de la connaissance (construction sociale et représentation sociale de la réalité). On relativise la théorie générale ; c'est plutôt une façon d'analyser les relations sociales qu'une théorie. Enfin, le principal objet d'investigation est la nature des acteurs ; remettre la nature des acteurs et leurs relations avec leur environnement (rapport entre agent et structure) ».

Trois postulats principaux :

1) Importance de la structure normative, car la politique mondiale ne peut pas être saisie dans une structure normative du système des RI, on dépasse ces structures matérielles pour réfléchir aux structures cognitives (idées, croyances, valeurs normes) cristallisées dans les institutions ;

[80 ]

2) Ces structures cognitives constituent les acteurs : les structures ne font pas que contraindre ou faciliter le comportement du système, ces infrastructures ont aussi une influence sur l'identité des acteurs (le sens que se font les acteurs de leur propre préférence à agir dans un sens ou un autre). Les acteurs n'existent que par rapport à l'identité qu'ils se font eux-mêmes de leur environnement ;

3) L'identité est constituée par les acteurs et les structures. Exemple de la prolifération nucléaire, elle passe aussi par la représentation que se font les Etats sur l'usage de l'arme nucléaire, et de la relation entre ces représentations et d'autres inscriptions du système international84.

T. Chrisiansen E et A. Bieler85 soutiennent que dans le constructivisme on, s'intéresse à la mise sur agenda plus que sur le processus décisionnel. Pour les critiques, ce sont les structures historiques qui contraignent les processus de décision. Ici, les idées et les valeurs sont importantes en ce qui concerne les constructivistes. Autre élément, c'est la mondialisation. Enfin, le rôle des acteurs non-étatiques. En effet, le nouveau régionalisme qui met en relation ces nouveaux phénomènes d'intégration régionale dans le contexte de la mondialisation et qui vont bien au-delà du domaine économique. Ce nouveau régionalisme interprète plus finement ces mécanismes d'intégration. Les concepts-clés sont l'intégration et le régionalisme.

B. Essai d'application

Dire que certains acteurs ont des valeurs nous fait penser à certains Etats qui ont de vastes réseaux forestiers et hydrographiques tandis que d'autres, pourtant menacés par le réchauffement climatique, ont des moyens financiers à mettre à la disposition des PVD, conservateurs de leur écosystème.

Inviter les acteurs à redéfinir leurs identités et leurs intérêts par la structure ferait allusion au fait qu'à chaque assise internationale sur le climat, il est revu le degré de réchauffement dont on tiendrait compte et l'année à laquelle on attend atteindre ce résultat. Il est également révisé les droits et obligations tant des pollueurs que des détenteurs des écosystèmes encore viables et vivables.

84Graz, J.-Ch., Théories des relations Internationales, Alexandre Dayer, 2009, p.30. 85Chrisiansen, T. E et Bielercités, A., cités par Graz, J.-Ch., p.41, Idem.

[81 ]

La structure définit les comportements et les intérêts des acteurs. C'est par rapport aux résultats réalisés conformément aux objectifs assignés dans les assises précédentes, que se résolvent les Etats lors d'une Conférence internationale sur le climat ; les droits et obligations des parties ne vont pas, eux aussi, en dehors de cette logique.

I.1.2. 2. L'analyse stratégique

A. Présentation

Dans la société francophone, l'évocation de la méthode stratégique fait spontanément venir à l'esprit les noms de Michel Crozier et Erhard Friedberg dont les oeuvres ont construit l'édifice de l'analyse stratégique en tant qu'approche rénovée de l'étude des organisations. Leur grand mérite a été celui de rompre avec une vision synchronique ou intégrationniste caractéristique dans le domaine de la sociologie des organisations.

En effet, avec principalement Michel Crozier ainsi que ses disciples dont le cercle s'élargit de façon croissante, on est venu à une nouvelle problématique qui conçoit l'activité organisée comme un champ où se prennent des décisions, se concluent des partenariats, de réseautages mais aussi où s'affrontent des intérêts divergents, des contradictions, source des conflits, des antagonismes, des crises. (...) on s'empresse d'indiquer le sceau de la spécificité de la méthode stratégique par rapport à d'autres courants diachroniques comme la dialectique, l'histoire immédiate, etc. Ce propos interrogatif n'appelle pas un long développement de la matière y relative. L'expose qui suit s'arrête à l'essentiel. Il emprunte beaucoup aux oeuvres disponibles à cet effet86.

B. Essai d'application

Dans la mesure où, in speci, nous prenons la planète pour un champ où la lutte contre le réchauffement climatique est l'activité organisée, nous comprenons facilement comment dans ce champ se prennent des décisions telles que la mise en place de la Convention-cadre des Nations Unies sur le Réchauffement climatique « CCNUCC » avec ses corollaires que sont les différentes Conférences des Parties sur le climat « COP », le Groupe Intergouvernemental d'Experts sur

86Crozier, M., La Société bloquée, Paris, Seuil 1971, cité par Shomba Kinyamba, S., Op.cit.,pp.130-131 ; Idem, Op.cit., pp.21; Crozier, M .et Friedberg, E., L'Acteur et le système, Paris, Seuil, 1977; Mukoka Nsenda, F., « L'analyse stratégique comme mode d'approche à l'études des organisations : une évaluation critique » In MES, Kinshasa, 2011 ; Maindo Monga Ngonga, A., Op.cit.,p.19., ; Crozier, M., On ne change pas la société par Décret, Fayard, Paris, 1979, cité par Shomba Kinyamba, S., Op.cit., pp130-131.; Crozier, M.,Etat moderne, Etat modeste : stratégies pour un autre changement, Paris, Fayard,1986 cité par ShombaKinyamba, S., Idem ; Crozier, M., , L'Entreprise et l'écoute, Interdictions, Paris,1989, cité par Shomba Kinyamba, S., Ibidem ; Crozier, M., A qui sert la sociologie des organisations ? , Arslan, Paris, 2000, cité par ShombaKinyamba, S., Ibidem.

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l'Evolution du Climat « GIEC» ; d'autres décisions sont par exemple, la répartition des sacrifices et/ou contributions selon que l'Etat est pollueur ou non, le devoir pour tous les participants de fournir un document dans lequel ils font un rapide état des lieux de leur pays (sociétal, économique, énergétique, transports...), de leurs actuelles émissions de gaz à effet de serre « GES », leurs objectifs ainsi que les moyens envisagés pour les atteindre, ceci quelques jours avant les assises de la COP.

Sur le plan national, des décisions sont prises par la RDC telles que la mise en place d'un cadre institutionnel de préservation de l'écosystème, la tenue des assises sur le réchauffement climatique, la participation à des conférences internationales pour cette fin. S'agissant des partenariats se concluant dans le champ, nous pouvons faire allusion à ceux qui se concluent entre les pays pollueurs et ceux disposant encore des potentialités susceptibles de permettre la lutte contre le réchauffement climatique ; pour la RDC, par exemple, plusieurs Etats (...), organisations gouvernementales (...) et non gouvernementales (...) interviennent pour financer la préservation de l'écosystème. Parlant de l'affrontement des intérêts divergents, des contradictions, source des conflits, des antagonismes, des crises, nous pensons aux compensations revendiquées par les pays encore détenteurs des forets et des eaux qui ne sont pas toujours libérées par les pays dits « pollueurs-payeurs ».

La RDC a aux assises de la COP21, sollicité que les besoins en financement de la Contribution prévue déterminée du pays (CPDN/RDC s'élèvent à 21,622 milliards de dollars dont 12,54 milliards de dollars pour la mise en oeuvre des initiatives d'atténuation annoncées et 9,08 milliards de dollars destinés aux mesures d'adaptation ». Plus concrètement, la RDC sollicite de la COP21 cet appui financier pour assurer un meilleur accompagnement dans la lutte internationale contre les changements climatiques.

Le postulant fondateur de l'analyse stratégique fut de repenser l'organisation comme un champ politique structuré par des relations de pouvoir entre ses principaux acteurs. Ce modèle d'analyse s'articule autour de la saisie des relations entre les acteurs interdépendants. Cette analyse met en évidence la nature des relations de pouvoir qui structurent l'organisation. Dans ce cas, les comportements des acteurs s'analysent sous la forme de stratégies personnelles visant à garantir une position de pouvoir ou au contraire à se prémunir du pouvoir des autres acteurs. La notion de pouvoir est donc tout à fait centrale dans ce paradigme. A cet effet, la typologie des ressources quoi que non exhaustive élaborée par Michel Crozier et Erhard Friedberg rend bien compte des principales relations bien présentées dans une organisation. « L'expertise, le réseau,

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l'information et les règles offrent une multitude de jeux possibles qui positionnent les acteurs dans une relation de pouvoir réciproque ».

De manière plus explicite encore, le terme « pouvoir » se conçoit ici comme « la capacité qu'a un acteur de se rendre relativement incontournable dans le fonctionnement de l'organisation et donc d'imposer ses exigences dans la négociation qui fonde la coopération ». S'agissant des principales sources de ce pouvoir, on aligne : l'expertise, la maîtrise des relations à l'environnement, la maîtrise de circuit de l'information et de communication interne, la maîtrise de sources financières, la maîtrise de sources symboliques et la connaissance des règles de fonctionnement de l'organisation87.

Se rendre incontournable dans la négociation qui fonde la coopération signifierait pour la RDC, montrer que sans son consentement pour la préservation de sa forêt et de son hydrographie, le réchauffement paraît toujours difficile à contenir ou à atténuer ; imposer ses exigences, c'est comme nous venons de l'expliquer ci-haut « besoins en financement de la Contribution prévue déterminée du pays `CPDN/RDC' s'élèvent à 21,622 milliards de dollars dont 12,54 milliards de dollars pour la mise en oeuvre des initiatives d'atténuation annoncées et 9,08 milliards de dollars destinés aux mesures d'adaptation » ; nous pouvons aussi ajouter le social de paisibles citoyens congolais qui dépendent ne fût-ce que de l'exploitation de cette forêt. Parlant des principales sources du pouvoir, expliquons ici seulement trois de ces sources qui nous paraissent trop pertinents entre autres l'expertise, la maîtrise de sources financières, et la connaissance des règles de fonctionnement de l'organisation ; pour ce qui est de l'expertise, nous savons bien que la RDC a envoyé aux assises de la COP22, une délégation d'environ deux cents délégués de la RDC, parmi lesquels des représentants du gouvernement et de la société civile ainsi que des experts ; quant à ce qui est relatif à la maîtrise de sources financières et celle des règles de fonctionnement de l'organisation, la RDC ne pouvait pas revendiquer des compensations en contrepartie de la préservation de son écosystème si elle ne connaissaient pas d'où doivent provenir celles-ci et comment fonctionne cette politiques de compensation.

La démarche de recherche de l'analyse stratégique s'organise en cinq ordres de considération autour du concept-clé de « stratégie », à savoir :

87Mukoka Nsenda, F., 2011, p.59, Op.cit., cité par Shomba Kinyamba, Op.cit., p.131.

? Il n'y a donc plus de comportement irrationnel : c'est là l'utilité du concept de « stratégie ».

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? L'acteur n'a que rarement des objectifs clairs et encore moins des projets cohérents (exemple : des conséquences imprévues de son action l'amenant à reconsidérer sa position) ;

Pour la Communauté internationale, ce sont les signes du réchauffement climatique qui ont conduit à l'adoption de la CCNUCC. Pour la RDC, la demande de compensation et les politiques nationales de lutte contre le réchauffement ne sont intervenues que parce que la lutte contre le réchauffement climatique a et est d'actualité.

? Son comportement est affectif s'il est toujours contraint et limité, il n'est jamais totalement limité ;

Dans la mesure où la RDC serait contrainte par la Communauté internationale de continuer à préserver son écosystème sans que ses revendications ne sont pas prises en compte, certes qu'elle peut le faire, mais pas au même titre que si ces Etats-pollueurs répondait à ses attentes ou récompenses.

? Ce comportement a toujours un sens. Cette rationalité est liée non à des objectifs clairs et explicites, mais s'organise par rapport au comportement des autres acteurs ;

Si la RDC pose donne telle ou telle autre revendication, elle a toujours évoqué le cas du brésil avec sa forêt, première de la planète.

? Ce comportement présente un double aspect : un aspect « offensif » (la saisie d'opportunités en vue d'améliorer sa situation) et un aspect « défensif » (le maintien et l'élargissement de sa marge de liberté) ;

L'aspect offensif est que la RDC veut toujours avoir des sommes d'argent parce qu'il y a menace du réchauffement climatique étant donné son massif forestier et un important réseau hydrographique. Sous l'angle défensif, la RDC pense que, par exemple, certains de ses citoyens ne vivent que de l'exploitation de cette forêt et qu'en dehors de cette dernière, ils ne peuvent vivre autrement ; un autre exemple est le refus par les délégués congolais à la COP22 du transfèrement des eaux congolaises au Tchad.

88Pirottong, G., Une interprétation de l'analyse stratégique, selon Crozier et Freiberg ; cité par Shomba Kinyamba, S., Op.cit., p.13.

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Au cas où les Etats dits pollueurs et qui se disent pouvoir récompenser les autres le faisaient normalement et, dans le cas d'espèce, en faveur de la RDC, celle-ci devrait répondre aux préoccupations de la CCNUCC et du reste de toutes les activités vouées à l'atténuation des risques liés au réchauffement climatique.

Ces réflexivités et positionnement de l'acteur sont fonction des enjeux qui se situent à des niveaux différents. Parmi ceux-ci, notons les enjeux résultant des rapports entre l'homme et son travail, sa vie de groupe, sa vie dans l'entreprise et entre lui et la vie hors du travail. Ces divers rapports que l'acteur entretient avec son environnement socio-professionnel le prédisposent à des stratégies, selon le cas, des fuites, d'évitements, d'opposition conflictuelle, de négociation, de soutien, d'alliances avec d'autres acteurs, ...

Les enjeux à différents niveaux peuvent signifier, dans le contexte qui est le nôtre, le fait que la vision de la lutte contre le réchauffement climatique n'est pas la même pour les Etats qui ont fini toutes leurs forêts et ceux qui en disposent encore, les Etats qui polluent la planète et ceux qui en subissent, les Etats qui revendiquent la mise en placent des mécanismes susceptibles de contenir ou atténuer le réchauffement et ceux ciblés ou négocier pour contribuer énormément à ce noble dessein. Rappelons encore que la vision qu'a la communauté internationale sur la forêt équatoriale n'est pas nécessairement celle dont y apportent les dirigeants et les citoyens congolais.

Pour cette communauté, la forêt congolaise peut encore servir les pays qui n'en ont plus et lutter ainsi contre le réchauffement planétaire ; pour les dirigeants congolais, grâce à cette forêt, la RDC pourrait être dotée de sommes d'argent ; pour le bas peuple, la déforestation n'est pas volontaire car on doit cultiver, même sur brulis, pour vivre, on a besoin du bois...

De ce qui précède, il ressort que l'acteur passe par un autre concept central dans l'analyse stratégique. En effet, par acteur il faut entendre « un individu ou une catégorie d'individus qui est censé réagir de manière spécifique à l'annonce d'un changement. Sa réaction est logique de son point de vue, en fonction de ce qu'il pense pour gagner ou perdre dans le changement ou dans le projet (rationalité limitée par sa marge de liberté et d'informations88.

Le changement ou le projet renvoie ici à une situation où les menaces du réchauffement climatiques seraient évitées ou ébranlées ; les acteurs sont ici à deux pôles : la Communauté

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internationale et la RDC ; la réaction de l'un ou de l'autre de ces deux acteurs se justifie par ce qu'il voit pouvoir penser ou perdre dans ce projet de lutte contre le réchauffement climatique.

Certes, de nos jours, toute réflexion sérieuse sur le phénomène organisationnel se positionne par rapport à l'analyse stratégique, mais celle-ci renferme quelques limites. Parmi les plus dénoncées, s'alignent :

+ L'analyse stratégique ne rend pas compte de tous les modes d'influence prévalant au sein

d'une organisation (elle n'ouvre pas le champ sur les autres formes d'influence) ;

+ Le pouvoir n'est pas le seul moyen d'exercer une influence sur le comportement des autres

acteurs ;

+ L'analyse stratégique ne permet pas de comprendre l'ensemble des phénomènes

organisationnels ;

+ La négociation concrète entre les individus n'est pas analysée à sa juste mesure ;

+ La question de la légitimité des conduites n'est pas abordée ;

+ La question de la normativité sociale demeure sous silence.

A en croire le Professeur Sylvain Shomba Kinyamba, toutes ces controverses, du reste en gestation en construction, n'ébranlent ni l'élan, ni la pertinence et le succès que l'on reconnaît à l'analyse stratégique dans l'interprétation des relations entre acteurs interdépendants dans l'étude des organisations. D'ailleurs, les critiques renseignées ci-dessus militent plus pour sa consolidation plutôt que sur sa remise en question.

I.1.2. 3. Le politique par le bas en Afrique noire89 A. Présentation

D'après les auteurs du politique par le bas en Afrique noire, l'étude du politique dans les sociétés africaines contemporaines s'est longtemps confondue avec celle de l'Etat postcoloniale. Il s'agissait d'en exalter les oeuvres (...) ou, au contraire, de les soumettre à la critique (...). Lorsque la consistance de cet Etat était niée, par exemple par les « dépendantistes », c'était pour mieux souligner l'asservissement des peuples du sous-continent, broyés par une histoire qui ne leur appartenait plus. La part du fantasme, dans ces prémisses, était souvent patente. Mais la

89 Le Professeur Omeonga Onakudu Jean, quant à lui, préfère l'expression « Mode populaire d'action politique », terme, selon lui, plus utilisé en Relations Internationales.

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science politique, dans ce qu'elle avait de plus sérieux, avait elle aussi pris le parti de privilégier l'objet autoritaire, voire totalitaire90.

Ainsi, fort de ce constat amer, Jean-François Bayart, assisté d'Achille Mbembe et de ComiToulabor, créèrent, en 1980, au sein du Centre d'Etudes et de Recherches Internationales, de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, en liaison avec le Laboratoire associé des Sciences de l'Information et de la Communication et modes populaires d'action politique, s'est d'emblée proposé d'inverser la perspective de ces recherches, d'en retourner le questionnement et de s'interroger sur la face cachée des situations politiques en les approchant non plus « par le haut », mais « par le bas ».

A ce propos, Jean-François Bayart fait remarquer dans l'introduction qu'il consacre à l'ouvrage mieux identifié, qu'il « n'a pas toujours été compris, à la lecture de nos premiers travaux (...) que notre propos n'était naturellement pas de nous enfermer dans une problématique binaire. Certes, le numéro de lancement de Politique africain, dont les premiers pas ont été indissolublement liés à ceux du Groupe d'analyse des modes populaires d'action politique, s'intitulait : « La politique en Afrique noire : le haut et le bas »91.

D'après le Professeur Sylvain Shomba Kinyamba, les chercheurs ne cherchaient rien d'autre cependant, dans cette formule, que de mettre un clin d'oeil malicieux... mais aussi un tantinet marchand. Bien plus, ils ne cherchent nullement à déduire la façon qu'il convenait de raisonner en termes typologique quand bien même les acteurs sociaux, eux-mêmes, recourent volontiers à une symbolisation de cette nature en se définissant comme les « nous », par opposition à l'Etat, aux « gens à décret ».

De cette façon, leur intention n'était pas de s'enquérir d'une entité imaginaire du « politique populaire », un « populaire » que l'approche fallaloriste a érigé en isolat stable et indifférencié mais dont l'historiographie et l'anthropologie ont bien montré qu'il était défini de la sorte par les dominants. Par-là, les auteurs espéraient saisir le jeu intime des relations entre les différents acteurs du système social, du point de vue des acteurs subordonnés plutôt que celui du pouvoir.

90Bayart, J.-Fr., Mbembe, A. et Toulabor, C., Les politiques par le bas en Afrique noire, Karthala, Paris, 2008, p.19 cité par Shomba Kinyamba, S., Op.cit,, 2016, p142.

91Shomba Kinyamba, S., Op.cit., 2016, p.143.

92Bayart, J.-Fr., L'Etat au Cameroun, Presse de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1979, p.17 cité par Shomba Kinyamba, S., Op.cit., p.144.

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En procédant à cette inversion du pyramide, les auteurs se défendent d'avoir été animés d'une quelconque préoccupation révolutionnaire particulière encore moins d'une vague sympathie populiste, car s'il leur était impossible d'apparenter les pratiques « populaires » du politique au résiduel, au traditionnel, au folklorique selon la démarche évolutionniste et développementaliste éculée, il n'en devenait pas pour autant licite de les identifier à la « force motrice fondamentale de l'histoire » comme proposaient de le faire les marxistes.

Sous cet angle, la problématique du « politique par le bas » se voulait, d'après ceux qui l'ont inventé, sociologie politique et historique des « petits riens », de même que cette problématique pousse à nous reposer la question de la démocratie en tant que question historique. D'après les tenants de cette approche, il ne leur appartenait pas d'identifier l'Afrique en termes de sa maturité ou de son immaturité, pour la démocratie, ni de supputer les effets de l'arrivée au pouvoir de la gauche française sur les autoritarismes du « pré-carré », ni enfin, de gloser sur l'adéquation, ou non, du modèle occidental aux réalités du sous-continent.

Dès lors que nous reconnaissons l'historicité des sociétés africaines, souligne Jean-François Bayart, « la seule incertitude tenait aux stratégies respectives des acteurs en lice : à leur teneur et à leur efficacité »92.Une telle perspective permet de confirmer pourquoi les secousses de 1989-1991 ont confirmé la complexité et la diversité des réponses que les sociétés subsahariennes apportent à cette question de démocratie. Ainsi, le rôle de déclencheur des « dynamiques du dehors » (arrivée de la gauche au pouvoir en France, en 1981 ; chute des partis communistes en Europe de l'Est, et notamment le renversement de la dictature familiale des Ceancesces à l'issue de l'une de ces manifestations « spontanées » de soutien que les africains connaissent si bien ; libération de Nelson Mandela en R.S.A.) a été patent, au point d'avoir été surestimé par de nombreux observateurs. Mais cette poussée démocratique a d'abord été une pulsation propre des systèmes politiques subsahariennes.

Quant à l'intervention du « bas », elle s'est aussi accélérée sous la forme de la contremanifestation légitimiste, de l'meute, du pillage, du massacre, de la délinquance, de la déconstruction quotidienne de l'Etat, les villes mortes, « les parlementaires debout » ; en bref, le

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peuple s'est volontiers inscrit « contre la démocratie », selon la formule provoquante de Guy Hermet93.

Cela étant, l'intérêt de la problématique du politique par le bas est donc relativement limité pour repérer les fondements sociaux de réveil démocratique de l'Afrique noire. Ce qui signifie, en d'autres termes, que le grand apport de cette démarche est d'éclairer les symboliques et les idiomes constitutifs au concept de démocratie tel que se l'approprient les acteurs autochtones, et singulièrement les « bas du bas»94.

Cela démontre que les situations de contrôle politique accentué, qui prédominaient jusqu'il y a peu en Afrique noire sous les formes de régimes de parti unique, des régimes dits « militaires », des dictatures personnelles et des régimes ségrégationnistes, n'évacuent jamais complètement l'intervention des groupes sociaux subordonnés. Théories et paradigmes s'accordent à reconnaître le rôle de ceux-ci dans le fonctionnement des systèmes politiques (David Easton), ou au sein des appareils de domination (N. Poulantras), ou dans la production de la société (Alain Tourraine).

Cependant, au plan de la connaissance empirique que l'on a des sociétés politiques subsahariennes, le bilan scientifique de ces dernières décennies demeure insatisfaisant. Il en résulte, dans l'ensemble, une image délibérément moniste des régimes africains : l'accent est mis sur la dénomination qui s'exerce à l'encontre des masses, présumées passives, ou tout au moins, impuissantes.

En définitive, l'approche du « politique par le bas » telle que nous venions de la cerner est loin d'apparaître comme une théorie encore moins une méthodologie en bonne et due forme. Elle est surtout un état d'esprit, une forme d'hétérodoxie et d'insolence face aux courants établis des Sciences Sociales, une expression de cynisme heuristique vis-à-vis des croyances et des convenances académiques. C'est, sans doute, la raison pour laquelle elle a tour à tour séduit et irrité. Ce faisant, l'une des préoccupations de l'approche du « politique par le bas » était la restitution de l'hétérogénéité des sociétés au regard de la normativité des Etats et du système d'Etats. Montrer que la « mission civilisatrice » coloniale n'épuisait pas la réalité sociale et historique des sociétés colonisées, que ces dernières sont pareillement irréductible à leur formatage national et nationaliste, que le « nouvel ordre international » de l'âge néolibéral ne sonne pas la « fin de l'histoire », que c'est au fond, mettre en lumière, ainsi que le stipulent les

93Hermet, G., Le peuple contre la démocratie, Paris, Fayard, 1989 cité par ShombaKinyamba, S., Op.cit., p.144. 94Bayart, J.-Fr. et alii, Op.cit., p.151, cité par Shomba Kinyamba, S., idem, p.142.

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auteurs, rappelons-le une fois de plus, de l'ouvrage le politique par le bas en Afrique noire, pour qui, l'autonomie du social vis-à-vis du politique se doit de procéder :

- Restituant l'inaccessibilité du « vernaculaire » pour l'Etat colonial ;

- Reconnaissant, dans un mouvement socialiste ou islamiste, ou dans un régime, fût-il autoritaire, des pratiques et des enjeux autres que les idéologies avouées et les politiques publiques ;

- Admettant que le terrorisme ou diverses formes odieuses de violence véhiculent des revendications vécues comme légitimes et qui finiront, peut-être, par être acceptées en tant que telles ;

- Identifiant les limites et l'ambivalence des rapports de pouvoir même lorsque la dénonciation de l'impérialisme ou du totalitarisme leur confère une clarté trompeuse ;

- Sériant les interpénétrations et les ramifications dont se nourrit l'Etat-rhizome au-delà de l'opposition canonique entre Etat et société ;

- Repérant les registres de la « servitude volontaire » et de ce consentement qui est « la part du pouvoir que les dominés ajoutent à celle que les dominants exercent directement sur eux ;

- Dissipant les faux-semblants du réformisme volontariste d'inspiration socialiste, dirigiste, nationaliste ou néolibérale ;

- Se souciant de l'économie politique et morale de la domination ;

- Démêlant l'écheveau de l'imbrication des durées inhérentes à l'historicité des sociétés et en précisant les plans de continuité et de discontinuités sous-jacents à ces dernières ;

- Abandonnant les distinctions rigides entre le local, la national et global qui condamnent à penser ces dimensions sur le mode d'un jeu à somme nulle et en e occultant la concaténation de l'une à l'autre.

Scientifiquement, cela revient à faire de l'interdisciplinarité un impératif catégorique, et de la comparaison un exercice nécessaire. De cette façon, toutes ces leçons demeurent valides, même si le champ de leur application se transforme au gré des tâtonnements de la recherche95.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo