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Internet sous l'oeil des services de renseignement

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par Isabelle Laumonier
Université Paris I Sorbonne - DEA Communication, Technologie et Pouvoir 2003
  

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I. Internet, incompatible avec les services de renseignement ?

Aux yeux de très nombreux internautes, la Toile est un lieu de liberté d`expression totale, sans contrainte, qu`aucune institution n`est habilitée à régir. Affirmer à ceux-là qu`Internet et les services de renseignement sont consubstantiels est presque un sacrilège. Cette affirmation s`oppose également aux discours dominants des années 90, durant lesquelles on prêta à Internet toutes les vertus, notamment celle de mettre fin aux conflits. Si Internet était un vecteur de pacification, alors son lien avec les services de renseignement semblerait douteux, puisque la mission de ceux-ci est systématiquement liée à des situations de confrontation potentielle ou existante. Nous allons donc dans un premier temps nous intéresser à ces discours, qui nient ou contestent farouchement l`imbrication d`Internet avec les services de renseignement. Trois types de discours sont étudiés : le premier, d`obédience cybernétique, sur la fin des conflits, le second, de tendance déterministe, sur la fin de l`Etat-Nation, et enfin le troisième, de tendance anarchiste, sur le « libre chaos ».

En se basant sur la théorie du Panoptique de Bentham, analysé par Michel Foucault17, nous tenterons de montrer que contrairement à ce que prétendent les discours présentés, Internet peut se révéler un véritable lieu de pouvoir, d`où son association nécessaire avec les services de renseignement. Les théories de Paul Virilio18 nous permettront d`apporter un nouvel éclairage sur cette question. Nous verrons ensuite à travers le concept grec de métis oeintelligence rusée- qu`Internet et services de renseignement partagent finalement de nombreuses caractéristiques, rendant leur association, semble-t-il, logique.

Enfin, un panorama sur les techniques de renseignement actuelles permettra de montrer combien les services de renseignement ont vite compris l`intérêt que pouvait représenter le réseau.

17 Michel Foucault (1926-1981) : Philosophe français, auteur entre autre de Folie et déraison : histoire de la folie à l`Age classique.

18 Paul Virilio (1932 -), urbaniste et philosophe français. Il est particulièrement connu pour ses essais critiques sur la technique. Parmi ses OEuvres majeures, Vitesse et Politique, Esthétique de la disparition, Cybermonde ,la politique du pire.

A . Les discours sur Internet : entre idéologie, utopie et science-fiction.

a. Les discours sur la fin des conflits : l`information triomphante

Pour Norbert Wiener, faire circuler constamment l`information était, aux lendemains de la Seconde Guerre Mondiale, la condition sine qua non pour l'avènement d`une paix universelle. Retenir l`information, empêcher une circulation fluide, cela signifiait créer de l`entropie, du désordre, contribuer à la conflictualité du monde. Cette idée, vulgarisée par la cybernétique, est à la base-même de tous les discours utopiques sur Internet. Dans l`optique wienérienne, Internet devrait se révéler comme un merveilleux instrument, capable d`enrayer tous les blocages, toutes les retenues d`information. En 1978, le rapport Nora-Minc sur L`informatisation de la société s'inspire de cette pensée et laisse entendre que l`informatique apportera la résolution de toutes les crises. En 1994, Al Gore s`inscrit dans cette lignée lorsqu`il annonce dans un discours à Buenos Aires, que les autoroutes de l`information vont amener la paix et la démocratie mondiales : --The GII will not only be a metaphor for a functioning democracy, it will in fact promote the functioning of democracy by greatly enhancing the participation of citizens in decision-making. And it will greatly promote the ability of nations to cooperate with each other. I see a new Athenian Age of democracy forged in the fora the GII will create«19. Près d`une décennie plus tard, on peut dire que le « rêve » d`Al Gore est loin de s`être réalisé. Internet n`a pas tenu toutes ses promesses. Les conflits se sont multipliés malgré la croissance perpétuelle du Réseau.

Ce discours de tendance "cybernétique" peut cependant faire réfléchir sur la libre circulation d'informations vantée par Wiener. De fait, elle existe sur Internet, bien que le secret y ait aussi sa place. Pourtant cette libre circulation n'a pas engendré la paix universelle escomptée. A l'exact opposé de la pensée wienérienne, le réseau a très vite été investi par des entités criminelles et terroristes. Internet peut ainsi se révéler un terrain propice au développement ou à l`organisation de conflits. Du côté des Etats, les services de renseignement se sont également positionnés sur la Toile, qu`ils considèrent comme un véritable enjeu stratégique. On peut même se demander si Internet n`a pas été une sorte d`aubaine pour ces services. En effet, dans le domaine de

19 « [La Global Information Infrastructure] ne sera pas seulement une métaphore de la démocratie en marche; dans les faits, elle encouragera le fonctionnement de la démocratie en accroissant la participation des citoyens à la prise de décision et elle favorisera la capacité des nations à coopérer entre elles », Al Gore, Discours devant l`International Telecomunications Union, 21 mars 1994.

l`information ouverte (c`est-à-dire non confidentielle), ils ont désormais accès à de gigantesques bases de données online. Alors qu`auparavant ils devaient compulser journaux, magazines, dépêches, comptes-rendus publics de réunion, pour dénicher des informations, celles-ci sont désormais presque toutes accessibles sur un même support.

b. Les discours déterministes : l`affaiblissement de l`Etat

A côté des discours « utopiques » qui envisageaient la fin des conflits, on trouve en effet un autre type de discours également propre au développement des nouvelles technologies et en particulier d`Internet. Ces discours qu`on peut qualifier de « déterministes » prétendent que la technologie provoque systématiquement des changements autant au niveau des sociétés qu`au niveau des institutions. «Now, as in revolutions past, technology is profoundly affecting the sovereignty of governments »20. Cette citation révèle un état d`esprit que l`on retrouve chez de nombreux auteurs en relations internationales, qui considèrent que la révolution technologique signe la fin de l`Etat-nation, et l`avènement de nouveaux groupes de pouvoir (ONG, associations, que l`on regroupe généralement sous le nom de « société civile »). Cette tendance au déterminisme technologique se retrouve aujourd`hui chez de très nombreux chercheurs en sciences sociales (Philippe Quéau, Manuel Castells21 en sont de bons exemples). La technologie serait en train de bouleverser l`état du monde.

Certains théoriciens reprennent une idée-force de Wiener pour qui les technologies de la communication devaient permettre d`atteindre « l`anarchisme rationnel », c`est à dire un mouvement qui vise à libérer l`individu de la tutelle de l`Etat et à restaurer un lien social fort et égalitaire. Pour ceux-là, l`affaiblissement de l`Etat viendrait d`un renforcement de la société civile. Internet permettrait de tisser de nouveaux liens sociaux, permettant l`émergence d`une identité transfrontière basée sur une culture et des centres d`intérêts communs. Les ONG et

20 --Aujourd`hui, comme dans les révolutions passées, la technologie affecte profondément la souveraineté desgouvernements, l`économie mondiale, et la stratégie militaire«, Walter B. Wriston, Foreign Affairs, sept/oct 1997, p.

21 Philippe Quéau, Directeur de la division Information et Informatique, auteur de L`Eloge de la Simulation, Levirtuel : vertus et vertiges. Manuel Castells : Professeur de sociologie à l`université de Berkeley, Spécialiste des transformations liées auxnouvelles technoilogies, auteur de La société en réseaux.

associations qui se sont développées sur la toile en sont un bon exemple. Si la disparition de l`Etat n`est pas nécessairement visée, du moins les théoriciens voient-ils Internet comme un nouveau moyen de pression de la société civile sur l`Etat : le réseau peut « permettre aux citoyens de renforcer leur contrôle sur l`Etat, en les mettant en mesure d`accéder de plein droit à l`information dans des banques de données publiques, d`entrer en interaction « en ligne » avec leurs représentants, d`assister aux séances des assemblées politiques et finalement de les commenter sur le vif »22.

D`autre part, les Etats se sont vus affaiblis car Internet leur pose de nombreux problèmes juridiques. Aucune législation nationale n`est applicable aux informations circulant sur le Net, qui, par essence, sont sans frontières. Qui est responsable du contenu? L`opérateur, l`hébergeur, l`internaute ? A l`heure actuelle aucun Etat n`a statué définitivement. Si en l`espace de deux décennies, le vide juridique autour d`Internet s`est peu à peu comblé, certains points essentiels restent sans réponse. Manuel Castells renchérit sur ce point : « Les Etats-Nations vont devoir lutter pour s`assurer le contrôle des informations qui circulent dans les réseaux de télécommunications interconnectées au niveau mondial. Or je suis prêt à parier que cette bataille sera perdue. Et avec la défaite finale, c`est l`une des pierres angulaires du pouvoir de l`Etat qui s`en ira »23. Il nous semble cependant que l`Etat a pris la mesure de ces changements et qu`il cherche actuellement à s`y adapter. S'ils ne peuvent définir précisément les responsabilités et appliquer les législations nationales, de nombreux Etats se sont décidés à suivre l'évolution du réseau, et mènent d'importantes réflexions sur le nouveau rôle de l'information et de sa circulation sur Internet. On peut donc s'interroger sur la réelle capacité d`Internet à dissoudre les structures étatiques établies.

Comme l'indiquent Robert Keohane et Joseph Nye, spécialistes des relations internationales24, "l`information ne circule pas dans le vide mais dans un espace politique déjà occupé". C'est pourquoi parler de la disparition des Etats-Nations, suite au développement d'Internet paraît pour le moins abusif. Selon David Lonsdale, « il ne faut pas surestimer l`importance de la

22 Manuel Casltells, op. cité, p. 362 23 Manuel Castells, L`Ere de l`Information, Tome 1, La société en réseaux, Fayard, Paris, 1998, p. 313 24 Joseph Nye est professeur à l`université d`Harvard, et Robert Keohane, professeur à Duke University.

révolution de l`information »25. Prétendre qu`Internet va abolir temps, distance et localisation géographique, est un jugement qui manque de nuance. Internet reste une entité virtuelle (à l`exception notable des infrastructures). La géographie physique na va pas se dissiper du jour au lendemain. Les informations qui circulent sur le Net concernent en effet des lieux et des hommes qui ont une réalité géographique et un environnement politique définis.

La meilleure preuve qu`Internet ne peut entraîner la disparition annoncée des Etats-Nations, c`est l`utilisation qui en est faite dans les Etats autoritaires. « Loin de hâter sa propre disparition en permettant à Internet de pénétrer ses frontières, un Etat autoritaire peut l`utiliser à son bénéfice et accroître sa stabilité en se familiarisant avec sa technologie ».26 Ainsi en Chine, le Web est utilisé par le gouvernement comme un moyen de propagande. Parallèlement, l`Etat contrôle très étroitement les activités des internautes. Les cyberdissidents qui osent attaquer la politique du gouvernement sont condamnés à des peines de prison. Du côté des Etats démocratiques, la situation est incomparable. Néanmoins, la surveillance du réseau opérée par les services de renseignement peut laisser penser que les Etats sont loin d'être passifs face au développement d'Internet.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius