DEDICACE
Je dédie ce travail :
A mon père ABDOULAYE MALLOUM,
A ma mère ZENABA MAKAILA,
A mon défunt petit frère MAKAILA ABDOULAYE
MALLOUM.
REMERCIEMENTS
La réalisation de ce rapport d'initiation a
été possible grâce à la contribution de nombre de
personnes à qui nous tenons à adresser nos remerciements.
En effet, ces remerciements vont à :
- Notre encadreur, Dr. HENRI B. AFANE qui, malgré ses
multiples occupations a fait preuve de disponibilité pour superviser ce
travail avec rigueur ;
- Nos enseignements du département de
Sociologie-Anthropologie notamment Dr. DOMO JOSEPH, Dr. MOTAZE AKAM, Dr. JEAN
PIERRE BELL, Dr. MOUHAMADOU DJINGUI, et Dr. MOUSSIMA HENRY pour l'enseignement
qu'ils nous ont donné ;
- Notre cousin et ami MAHAMAT AHMAT HASSAN qui a
été toujours présent quand nous avons eu besoin
d'aide ;
- NAFISSATOU BOUBAKARY et MAHAMAT TAHER MAHAMAT pour leur
soutien sur tous les plans ;
- Nos amis MAHAMAT ABDOULAYE ABAKAR, HAYATOU SEIDOU SAMBO,
TAMBOUTOU HAOUA pour leur assistance morale et spirituelle ;
- Nos camarades de promotion notamment GUILDJA MAHAMAT, ABAKAR
IDRISS, MBAIBAROUM JEAN pour leurs conseils, aides, et encouragements.
Que tous ceux dont nous n'avons pas nommément
cités trouvent également l'expression de notre profonde
gratitude.
SOMMAIRE
DÉDICACE....................................................................ii.
REMERCIEMENT..........................................................iii.
INTRODUCTION GENERALE
...................................... P. 1.
I- PRÉSENTATION DU CHAMP D'ÉTUDE ET
DÉFINITION DE LA NOTION D'ENFANT NATUREL, FILIATION ET
LÉGITIMATION ................................................P.
7.
A-
Présentation du champ d'étude
B- Enfant naturel
C-
Filiation
D- légitimation
II -LA NAISSANCE DE L'ENFANT : RÉACTION
DE LA
SOCIETE.........................................................................P.
13
A- Réaction des parents de la mère de
l'enfant et impact de la naissance de l'enfant sur la vie de sa
mère
B- La réaction du père
biologique
C- Le regard porté par les
congénères de l'enfant et ses effets
III -LES DROITS DE L'ENFANT NATUREL EN
ISLAM......P.17
A- Les droits de l'enfant vis-à-vis de sa
mère
B- Que peut attendre cet enfant de son père
biologique ?
C- La filiation et légitimation de l'enfant
naturel en islam
VI - LA VIE DE L'ENFANT
NATUREL..............................P. 23.
A- Précarité matérielle et
vulnérabilité
B- L'isolement et l'éloignement
C- Le devenir de l'enfant marqué à
jamais
V-FACTEURS A L'ORIGINE DE LA SITUATION DE
BATARDISE................................................................P.
28.
A- les facteurs éducatifs
B- les facteurs socio-économiques
C- les facteurs psychoaffectifs
CONCLUSION.....................................................................P.
31.
INTRODUCTION
Dans le cadre de notre initiation à la recherche nous
nous intéressons à un phénomène qui est propre au
champ d'étude de la sociologie de la famille. Il est évident que
la famille est le fondement de toutes les sociétés humaines, elle
est partout la cellule initiale de n'importe quel ensemble social, quelles
qu'en soient les structures, les formes, les dimensions et la qualité
des rapports unissant ou opposant les membres. Premier horizon auquel s'ouvre
l'individu en venant au monde, c'est en son sein que se nouent les relations
sociales, se tissent les liens interindividuels, se socialisent les êtres
naissant et qu'ils se préparent aux nombreuses tâches qui les
attendent. Cellule de reproduction, de création et de
procréation, elle développe les potentialités du milieu et
constitue la base même sur laquelle s'édifient la culture et la
civilisation. « Tout le monde, en principe, appartient
à une famille et en fonde une »1(*). Ainsi s'il y'a un
phénomène qui nous est particulièrement familier c'est
bien celui de la famille. Elle est la plus vieille institution humaine. Et
comme toute institution son fonctionnement est régit par des normes. Or
« l'existence des normes et le respect de ces normes
problèmes distincts sont deux»2(*). Et le non respect des normes
fixées par la société peut être source de conflits.
Les problèmes au sein de la famille sont multiples, et le
« phénomène d'enfant né hors
mariage » est celui qui a le plus attiré notre attention.
Comme le mariage est la seule voie légitime de la propagation du genre
humain, la naissance d'un enfant en dehors de ce cadre cause des
polémiques. Ainsi, le thème : Enfant naturel dans les
quartiers musulmans de N'djamena soulève sans doute une
problématique du point de vue sociologique.
1- Problématique
La problématique est l'ensemble des questions que l'on
se pose par rapport un phénomène social à observer.
Dans le cadre de ce travail nous nous interrogeons de savoir,
quelles différences existent entre un enfant né hors mariage et
un enfant légitime ? Est ce toujours un handicap social de
naître des parents non mariés ? S'il existe en droit positif
des procédures pour légitimer ces enfants, en est-il de
même dans les sociétés musulmanes d'une manière
générale et celle de la ville de N'djamena en
particulier ?
Une telle problématique est liée aux objectifs
visés.
2- Objectifs
Il s'agit des visées fondamentales du
phénomène social observé. Deux types d'objectifs sont
à distinguer ici. D'une part, nous avons les objectifs
académiques et d'autre part des objectifs pratiques.
a- objectif académique et
scientifique
Cette recherche nous permet de nous évaluer sur notre
capacité de synthèse, conception et celle de mener une
réflexion rigoureuse et cohérente partant une démarche
scientifique bien précise. En plus de cela nous avons aussi un objectif
pratique.
b- objectif pratique
Il s'agit ici de décrire la perception qu'a la
société musulmane en général et celle de N'djamena
en particulier des enfants nés hors mariage. Cet objectif nous
amène à poser une hypothèse de travail.
3- hypothèse de travail
En matière de recherche, l'hypothèse de travail
est une réponse préalable que l'on donne à la question de
départ et qui peut être infirmé ou confirmé.
L'hypothèse que nous formulons est la suivante :
On distingue la condition des enfants légitimes de celle des enfants
naturels. Ces derniers sont marginalisés et mis à l'écart
de la société. La vérification de cette hypothèse
suit une démarche scientifique, d'où la méthodologie.
4- méthodologie
La méthodologie est la démarche scientifique qui
permet d'accéder aux faits sociaux considérés comme
données sociologiques. Elle se subdivise en deux parties, notamment la
théorie et la pratique.
a- la théorie
La théorie consiste ici à un courant
sociologique que nous avons choisi pour l'appréhension de notre objet
d'étude.
Dans le cadre de ce travail, nous avons opté pour la
théorie fonctionnaliste que nous avons jugé appropriée
pour l'appréhension de ce phénomène. Le courant
fonctionnaliste, faut-il le rappeler met un accent particulier sur les
fonctions des éléments culturels dans le maintien de l'ordre et
par là, la bonne marche de la société. Chaque
élément culturel remplit une fonction particulière dans le
système social. « La fonction d'un usage social
particulier c'est la contribution qu'il apporte à la vie sociale
considérée comme l'ensemble du fonctionnement du système
social. Cette définition suppose qu'un système social (...) a une
certaine unité, que nous pouvons appeler unité
fonctionnelle, et définie comme un état de cohésion
ou d'harmonieuse coopération entre tous les
éléments du système social, ce qui écarte les
conflits persistants, impossibles à régler. »
(Idem : p.112-113). L'enfant né hors mariage est le produit de la
violation d'une norme à savoir le mariage. Ce dernier comme nous l'avons
souligné plus haut est présenté comme la seule forme
d'organisation du couple qui assure véritablement la
sécurité de l'enfant. « L'analyse fonctionnelle de
la culture part du principe que, dans tous les types de civilisation chaque
coutume, chaque objet matériel, chaque idée et chaque croyance
remplit une fonction vitale quelconque. » (Idem : p.113).
L'enfant naturel comme nous le savons tous est la résultante de la
violation d'une norme à savoir le mariage. Et la violation d'une norme
ne va pas sans conséquence, elle joue une fonction
déstabilisatrice dans la société. Et pour l'analyse de ce
fait social, le fonctionnalisme s'avère être la théorie la
plus pertinente d'où notre choix. Comme toute recherche sociologique,
notre recherche est aussi basée sur la pratique.
b- la pratique
La sociologie a pour objectif principal la
compréhension du social : il s'agit pour elle de décrire la
réalité sociale telle qu'elle est, d'où la
nécessité d'effectuer des investigation sur le terrain afin de
collecter les données. Pour ce faire, nous nous sommes servis des
techniques telles que l'observation et l'entrevue.
b.1- l'observation
L'observation est une technique de collecte des données
qui consiste à observer les phénomènes sociaux que l'on
veut étudier. L'acte d'observer met le chercheur dans
une situation de captage des données aussi bien observationnelles que
non observationnelles. Elle nous a permis d'avoir d'amples informations sur le
phénomène d'enfant naturel. En plus de cette technique, nous
avons aussi fait recours à l'entrevue.
b.2- l'entrevue
L'entrevue est « un tête à
tête et un rapport oral entre deux personnes dont l'une transmet
à l'autre des informations »3(*). Il est une technique
qualitative de recherche qui consiste en des entretiens oraux individuels ou
des groupes avec plusieurs personnes soigneusement sélectionnées
afin d'obtenir des informations sur des faits sociaux ou des
représentations dont on analyse le degrés de pertinence, de
validité, et fiabilités au regard des objectifs que nous nous
sommes fixés.
Ces deux techniques nous ont permis de recueillir des
informations auprès de notre population de l'étude.
5- Population de l'étude
La population d'étude est l'échantillon qui nous
a servi pour le recueil des informations.
Nous avons effectué notre étude auprès
des mères des enfants naturels (dix) d'une part et auprès des
personnes âgées de cinquante ans et plus d'autre part (sept).
Cette enquête s'est déroulée pendant une période
bien déterminée.
6-delimitation temporelle.
Notre investigation s'est déroulée en deux
phases. La première a eu lieu dans l'intervalle allant du 18
décembre au 30
décembre ; la deuxième quant à elle a
débuté le 15 mars et a pris fin le
29 de ce même mois.
Comme tout travail scientifique, notre étude n'est pas
à l'abri des imperfections d'où les limites.
6- les limites de l'étude.
Plusieurs facteurs ont contribué à
l'imperfection de notre travail :
- le facteur temps, nous n'avons pas eu assez de temps pour
observer de manière minutieuse notre objet d'étude ;
- la délicatesse du sujet, le phénomène
d'enfant naturel est un sujet tabou dans les sociétés musulmanes
en général et celle de la ville de N'djamena en particulier. L'on
n'en parle pas à tout bout de champ de peur de blesser les familles qui
ont été victimes. Ce qui explique la réticence des
enquêtés ; et nous n'avons pas pu interrogé les
enfants naturels, le fait de traiter une personne de
« bâtarde »est perçu comme une des plus
graves injures. Et le sujet indexé est prêt à riposter par
la violence, ce qui explique notre abstinence ;
- La difficulté d'avoir des documents faisant
l'état des lieux.
Tous ces facteurs ont contribué à rendre
imparfait notre étude que nous laissons le soin aux lecteurs de
critiquer.
Afin de ne pas nous éparpiller, nous avons
limité notre champ d'étude sur la société musulmane
de la ville de N'djamena. Notre travail s'articulera autour de cinq chapitres
à savoir : la description de notre champ d'étude et la
définition de la notion d'enfant naturel, filiation, légitimation
; la naissance de l'enfant : réaction de la
société ; les droits de cet enfant en islam; la vie de cet
enfant et enfin les facteurs qui contribuent à la bâtardise.
I - PRESENTATION DU CHAMP D'ETUDE ET DEFINITION DE LA
NOTION D'ENFANT NATUREL, FILIATION, LEGITIMATION
Il s'agit pour nous dans cette première partie de
décrire dans un premier temps notre champ d'étude à savoir
la ville de N'djamena et dans un second temps de donner une tentative de
définition à la notion d'enfant naturel, filiation et
légitimation.
A- Présentation du champ d'étude
N'djamena, ville du sud-ouest du Tchad,
capitale du pays, sur la rive droite du Chari, à sa confluence avec le
Logone, au sud du lac Tchad, près de la frontière
camerounaise.
Chef-lieu de la préfecture du Chari,
établie dans une large plaine alluviale, N'djamena est le centre
économique, administratif et culturel du pays. Port fluvial, elle est
également un carrefour routier et aérien doté d'un
aéroport international. Dominée par sa Grande Mosquée
(1974-1978), la ville, à population majoritairement musulmane, abrite
aussi une cathédrale élevée au temps de la colonisation
française. Elle accueille l'université du Tchad (1971) et
l'École nationale d'administration (1963).
Fondée par les Français en 1900
sous le nom de Fort-Lamy, la ville est un poste militaire et un centre de
l'administration coloniale en Afrique Occidentale française. Elle
devient la capitale du Tchad lors de l'indépendance du pays en 1960 et
adopte son nom actuel en 1973. En 1980-1981, au cours de la guerre civile qui a
débuté au milieu des années soixante, N'djamena est
occupée par les forces libyennes. La ville a beaucoup souffert des
conflits nationaux.
Selon les estimations de 1994, la Population de la ville de
N'djamena est de : 750 000 habitants. A l'instar de toutes les
capitales africaines, cette population n'djamenoise est composée de
toutes les diversités ethniques du pays.
Composition ethno-linguistique en 1993 :
(groupes représentant plus de 2%).
Composante ethno-linguistique
|
Pourcentage
|
Arabes
|
11,08 %
|
Ngambay
|
16,41%
|
Hadjaray
|
9,15%
|
Daza
|
6,97%
|
Bilala
|
5,83%
|
Kanembou
|
5,80%
|
Maba
|
4,84%
|
Kanouri
|
4,39%
|
Gor
|
3,32%
|
Kouka
|
3,20%
|
Sar
|
2,24%
|
Barma
|
2,10%
|
Source : RGPH (Recensement
général de la population et de l'habitat) 1993
Cette population se repartit en deux secteurs bien distincts.
L'on parle du nord et du sud de la capitale.
Cette subdivision est faite à l'image du pays ;
conséquence des guerres civiles fratricides qui ont
déchiré cet Etat après les indépendances. Le nord
de la capitale est occupé par les ressortissants du grand nord,
essentiellement musulmans, et le sud occupé par les sudistes dont la
majorité est chrétienne, et une infime partie animiste.
Dans ces deux pôles, nous assistons à deux modes
de vie bien distincts. La partie sud se singularise par son libéralisme.
Ici chacun mène sa vie comme bon lui semble ;
caractéristique de la ville. Toutes les boites de nuit, la
majorité absolue des débits de boissons, la prostitution au vu et
au su de tout le monde, bref tout ce qui est du loisir se trouve dans ce
secteur ; d'où sa domination du « secteur
chaud » de la ville. Le nord de la capitale quant à lui
est rythmé par le conformisme. La vie est régie par les normes
strictes de la religion musulmane et chaque membre subit le poids de la
société. Toute déviance ne passe pas inaperçue et
est réprimée. Dans le cadre de ce travail, c'est cette seconde
partie que nous avons choisie comme champ d'étude.
Si dans la partie sud de la ville de N'djamena le
phénomène d'enfant né hors mariage est devenu un fait
banal car un enfant illégitime peut être légitimé,
il n'en est pas de même pour la partie nord. Ici l'enfant
illégitime porte la marque indélébile des circonstances
« honteuses » de sa naissance, sa présence
dans la famille constituant une preuve de «
l'infamie » et du «
déshonneur ». Ce fait cause un problème
réel et pertinent, d'où l'attraction de notre attention pour
essayer de le comprendre. Mais avant d'observer de près ce fait social
nous ne pouvons nous en passer de sa définition.
B- Enfant naturel
Enfant naturel, enfant illégitime ou encore
bâtard, toutes ces expressions faut-il le signaler désignent un
enfant né hors mariage.
Le terme illégitime évoque la non
légitimité d'une relation et d'une naissance survenue en
violation de la loi. La mise au monde de cet enfant menace les valeurs
familiales et déstabilise la société. Le bâtard est
donc un enfant né de l'union illicite de deux personnes, qui pouvaient
contracter mariage ensemble au moment où il a été
conçu.
On distingue :
-les « simples bâtards »,
enfants nés de deux personnes absolument libres, et qui pouvait se
marier ensembles ;
- les « bâtards
adultérins », enfants qui sont procrées par des
personnes unies à d'autres par le sacré lien du mariage (ceux-ci
sont adultérins tant de la part de leur père que de la part de
leur mère, ou seulement de la part de l'un ou de l'autre) ;
-les « bâtards incestueux », enfants
qui sont nés de personnes qui ne peuvent contracter mariage ensemble,
à cause du lien de parenté ou d'alliance qui les unit.
L'enfant naturel, d'une manière générale
est un enfant issu d'un homme et d'une femme qui ne sont pas unis ou qui ne
peuvent s'unir par le lien de mariage. Ce dernier étant la seule voie
légitime de la propagation de l'humanité, les bâtards
subissent une situation particulière différente de celle des
enfants légitimes. Le lien qui le rattache à leur géniteur
(père) pose problème.
Pourtant toute personne a droit à une filiation.
C- Filiation
La filiation est le lien de droit existant entre une personne
et ses parents. Deux types de filiation sont réglementées par la
loi : la filiation « biologique » encore
appelée filiation par le sang, qui résulte de la
procréation, et la filiation « fictive »
qui n'est issue d'aucun lien de sang, encore appelée filiation adoptive.
Elle est créée par un jugement.
La filiation par le sang tient compte de la nature des
rapports qui lient les parents. S'ils sont mariés et ont un enfant, ce
dernier est légitime et on parle alors de filiation légitime. En
revanche, on appelle filiation naturelle le lien qui unit un enfant à
ses parents non mariés. La filiation est qualifiée de naturelle
adultérine si l'un des parents était, lors de la
procréation, marié avec un tiers. Elle peut aussi être
qualifiée d'incestueuse lorsqu'elle résulte de deux personnes qui
ne peuvent se marier à cause du lien du sang ou d'alliance.
La filiation légitime est fondée sur une
présomption de paternité qui lie l'enfant au mari de la
mère. Elle s'applique à tout enfant né pendant le mariage.
La filiation naturelle est moins automatique, car elle est établie
séparément par l'un et l'autre des parents. La filiation adoptive
prend la forme d'une adoption plénière ou simple. La
première donne à l'enfant le statut d'enfant légitime et
est marquée par une rupture totale avec sa famille d'origine. La seconde
fait subsister des liens avec cette famille et elle est révocable. Une
fois la filiation établie, l'enfant naturel devient légitime.
L'on parle de légitimation.
D- Légitimation
Un enfant né de parents non mariés, même
vivant conjointement, n'est pas un enfant légitime. Cette
légitimation ne peut avoir lieu que par mariage des parents ou si le
mariage est impossible, par décision de justice. Par le mariage, la
légitimation est automatique lorsque les parents se marient et s'ils ont
reconnu l'enfant, soit avant, soit au moment de la célébration du
mariage. Si la légitimation d'un enfant naturel intervient après
le mariage de ses parents, celle-ci ne peut avoir lieu qu'à la suite
d'un jugement. Ce dernier constate alors que l'enfant a eu, depuis la
célébration du mariage, « la possession
d'état d'enfant commun », c'est-à-dire qu'il vit
et est considéré comme un enfant commun. La légitimation
prend effet rétroactivement à la date du mariage. Lorsque le
mariage est impossible entre les deux parents (l'un des parents est
déjà marié sous un régime monogamique), le
consentement de son conjoint est nécessaire.
Si en droit positif l'on peut légitimer un enfant
naturel, il n'en est pas de même chez les musulmans. Chez les musulmans,
un enfant naturel demeurera illégitime toute sa vie. Son calvaire
commence dés sa naissance.
II - LA NAISSANCE DE L'ENFANT NATUREL : REACTION DE
LA SOCIETE
Malgré une grossesse particulière,
entachée de honte et de culpabilité, l'idée d'abandonner
l'enfant est peu répandue dans cette population (dix mères non
mariées) qui a fait l'objet de notre étude et le passage à
l'acte est relativement exceptionnel. En général, l'abandon
de l'enfant semble constituer une solution extrême pour une
minorité de femmes (une sur dix, soit 10%), très jeunes et
traumatisées, issues de milieux conservateurs, sans ressources
financières, inquiétées par la perspective de la rue et de
la prostitution, bouleversées par leur situation de femmes sans
ressources, ou encore le fait d'être femmes psychologiquement fragiles.
Aussi le passage à l'acte d'abandon constitue pour ces filles
désespérées l'ultime recours. Mais malgré
l'incertitude, la douleur et la complexité de la situation, le sentiment
de maternité prévaudra et la mènera à gérer
la responsabilité. Il s'agit là d'une attitude majoritaire chez
les mères dès la naissance (neuf sur dix, soit 90%). Comme
indiqué précédemment, l'abandon réel de l'enfant
reste le fait de situations exceptionnelles.
Cette garde définitive sera effectivement vécue
par la mère comme une lutte quotidienne inscrite hors d'un cadre de vie
normale. Elle se cachera avec l'enfant n'apparaîtra physiquement tout en
le dérobant du regard de l'autre, maintiendra le « fruit
de la honte » en dehors de ce regard. Mais avant d'affronter
l'extérieur, elle doit d'abord et surtout faire face à sa
famille, leur faire accepter la conception illégitime de l'enfant.
A- Réaction des parents de la fille mère
Faire accepter la venue prochaine d'un enfant
illégitime à ses parents est la phase la plus difficile pour la
mère. Dans la plus part des cas, la grossesse est dissimulée
jusqu'à son apparence. Elle est très mal perçue et
constitue pour ces parents une preuve de l'infamie et du déshonneur.
L'on en fait un drame qu'il faut dissimuler et sévèrement
réprimer. Battue, insultée, et souvent chassée de la
maison ; la mère a toute la société contre elle et
doit dénoncer le concepteur.
Concevoir un enfant en dehors du mariage change
considérablement la vie de la fille mère. L'on lui fait savoir
qu'elle est une charge inutile et ne mérite plus les avantages d'un
enfant, d'une fille, qui a besoin que ses parents pour s'occuper d'elle. Son
état déstabilise le fonctionnement de la famille et la
mère de la fille est souvent accusée d'en être la cause. Un
conflit s'installe entre le père et la mère et de fois le divorce
n'en est pas du reste. La fille quant à elle n'a plus aucun droit sinon
à des injures, elle est une honte pour sa famille et passe tout son
temps cachée, et soustrait de tout regard. Et la reconnaissance de
l'enfant par le géniteur constitue une bouffée d'oxygène
pour cette jeune mère, mais tel n'est pas souvent le cas.
B- La réaction du père biologique
Dés le début de la grossesse, avertir le
géniteur de la situation est un réflexe pour la fille dans
l'espoir que ce dernier reconnaisse les faits. Dans la plupart des cas cela
n'est qu'une peine perdue. Le prévenu nie les faits et
préfère fuir s'il en a la possibilité. Une infime partie
reconnaît les faits et cette reconnaissance se traduit quelques fois par
une aide matérielle. Elle se fait très souvent sous la pression
du milieu.
Plusieurs paramètres expliquent ce refus des
pères de reconnaître leur enfant. Il s'agit notamment de :
- la difficulté à assumer un rapport sexuel
établi dans l'illégalité, confirmé par une
paternité non consentie par la société ;
- la pression de l'entourage familial qui paraît
prépondérante et détermine le choix du père
amené à assumer la reconnaissance du lien avec une mère
ayant enfreint les règles ;
- la pression du double regard que réserve la
société à la fois à la mère et au
père, ayant tout les deux enfreint des règles par un lien en
dehors du cadre.
Toute la société porte un regard particulier sur
cet enfant de même que ses congénères. Ce qui influe
significativement le vécu quotidien de l'enfant.
C- le regard des congénères et ses
effets
L'enfant naturel ressent davantage la particularité de
sa situation avec ses congénères. Ces derniers se chargent de lui
faire savoir et de lui rappeler qu'il est le fruit d'une relation impure,
illégitime. Au fur et à mesure que l'enfant grandit, il ressent
lui-même par les faits, aussi banals qu'ils soient, que sa situation se
distingue de celle des autres enfants.
Dans les sociétés musulmanes d'une
manière générale et celle de la ville de N'djamena en
particulier le père a pour rôle et devoir d'entretenir sa famille.
Il fait les courses, amène les enfants à l'école, les
défend en cas de problèmes. La femme n'accomplit ce genre de
tâche qu'en l'absence du père. Dans ce cas, soit le père
est mort, soit il n'existe pas, du moins légalement. Et cela attire les
regards et fait réfléchir l'enfant sur sa situation.
L'enfant constate par lui-même que là où
les autres bambins se font accompagner par leur père, c'est sa
mère qui se charge de le faire. Cette différence choque l'enfant
car l'on trouve qu'il y'a une honorabilité particulière à
se faire accompagner par son père à l'école. Cela a
quelque chose de grandiose, de solennel et d'imposant. Le calvaire de l'enfant
commence dés l'instant où tout le monde sait qu'il n'a pas de
père et cela devient une arme redoutable dans la bouche de ses camarades
de classe, des amis de jeux...bref des autres enfants. Pour n'importe quoi on
lui rappelle qu'il est bâtard : « tais toi, enfant
sans père » ou encore
« farakh »4(*) expressions qui suffit à briser toute
résistance et à émousser tout enthousiasme. Toutes les
sorties de l'enfant finissent très souvent par des bagarres et surtout
des pleurs, résultante des mots choquants et blessants. Il n'a pas grand
chose à attendre de la société et surtout de son
père. L'on se demanderait si cet enfant a des droits.
III - LES DROITS DE L'ENFANT NATUREL EN ISLAM
Le mariage est présenté comme la seule forme
d'organisation du couple qui assure véritablement la
sécurité de l'enfant. C'est accorder peu de place à
beaucoup d'enfants qui n'ont pas choisis de naître des parents non
mariés. C'est remettre en cause une évolution récente du
droit positif qui tend à traiter de la même manière les
enfants quelque soit le statut de leurs parents.
Dans la plupart des pays occidentaux, le droit supprime toute
discrimination. Le droit de l'autorité parentale est désormais
quasiment identique. En France par exemple, les enfants naturels sont reconnus
pour la plupart par leur père. Les reconnaissances devraient
dépasser 90% dans les années 905(*).
Selon la convention européenne sur le statut juridique
des enfants nés hors mariage, la filiation paternelle de tout enfant
né hors mariage peut être constatée ou établie par
reconnaissance volontaire ou par décision juridictionnelle. Le
père et la mère de cette enfant ont la même obligation
d'entretien à l'égard de cet enfant. Leurs droits dans la
succession de leur père et mère et les membres de leur famille
sont les mêmes que s'ils étaient nés dans le mariage. Le
mariage entre le père et la mère de l'enfant confère
à cet enfant le statut juridique d'un enfant né dans le
mariage.
Comme nous le constatons dans ces sociétés l'on
ne distingue pas la situation de l'enfant naturel de celle de l'enfant
légitime. Ce phénomène social ne pose plus de
problème. Mais si le droit positif réintègre cet enfant
exclu de la société hier, le droit de la famille en islam leur
donne un statut particulier, différent de celui des enfants
légitimes.
A- Les droits de l'enfant vis-à-vis de sa
mère en islam
Ici, l'on distingue la situation d'un enfant naturel de
celle d'un enfant légitime. Un enfant est bâtard vis-à-vis
de son père, mais il n'existe pas d'enfant bâtard par rapport
à la mère. Cet enfant a les mêmes droits que celui qui est
issu du mariage qu'elle soit en vie ou après sa mort c'est-à-dire
qu'il a le droit d'hériter de sa mère. Il existe tout de
même des cas de déshéritement liés
notamment :
- à l'incroyance : « L'infidèle
n'a pas le droit à la succession d'un musulman, de même
que celui-ci n'hérite pas de lui »6(*). L'infidèle
désigne ici le non musulman.
- à l'homicide : « L'assassin n'a pas
le droit à la succession de sa victime. Il est condamné à
en être exclu pour son crime, s'il a tué
intentionnellement »7(*)
En dehors de ces deux cas de figure qui peuvent l'exclure de
l'héritage, l'enfant naturel n'est pas marginalisé en ce qui
concerne Les droits par rapport à sa mère et a le droit d'ester
à la « charia » (justice musulmane) pour
réclamer son dû. IL aura d'ailleurs raison sur quiconque veut
l'opprimer. Mais telle n'est pas sa situation s'il s'agit de son
père.
B- Que peut attendre cet enfant de son père
biologique?
Chez les musulmans, l'enfant né d'une relation
adultérine illégitime ne peut prendre qu la filiation de sa
mère. Son père en revanche se voit interdit, conformément
au texte coranique, de le reconnaître ou d'exercer une autorité
sur lui. Si l'enfant légitime attend tout de son père, le
bâtard ne peut rien espérer. Son concepteur n'a pas des devoirs
envers lui.
La situation de l'enfant né hors mariage est toute
différente. Il ne connaît son père que si ce dernier le
reconnaît, encore que cette reconnaissance est interdite. Selon la loi
islamique, la reconnaissance de l'enfant par le père sans l'existence
d'un mariage n'est pas admise. Cet enfant ne bénéficie pas des
mêmes avantages sociaux qu'un enfant légitime de la part de son
concepteur de son vivant à savoir le vêtir, le soigner, le
nourrir, l'instruire et n'hérite pas de lui après sa
mort : « l'enfant appartient à la couche. Le
libertin n'a que de la pierre »8(*)L'homme considéré comme l'initiateur de
la relation adultérine est condamné à en assumer
l'entière responsabilité. Sa sanction serait donc de le priver de
sa descendance. C'est toutefois, une arme à double tranchant. En effet,
« condamner » le père équivaudrait
à sanctionner, indirectement, l'enfant. Mais, il arrive que sous la
pression de la famille de la fille, le père biologique reconnaisse les
faits et soit obligé d'apporter une aide matérielle, d'abord
à la mère pendant la grossesse, et à l'enfant ensuite
après sa naissance jusqu'à un certain âge.
Dans cette situation l'enfant peut bénéficier
de quelques avantages. Le père reconnaissant sa progéniture, et
conscient de cette situation d'illégitimité, qui le prive de
toute prétention à l'héritage, lui fait des donations. Il
s'agit là des biens que le père biologique de son vivant donne
à son enfant conçu en dehors du mariage. La loi n'interdit pas
cela et l'enfant peut entrer légalement en possession de ses biens
même après la mort de son géniteur. Tel n'est pas souvent
le cas, mais il est important d'en parler car ce sont des pratiques
réelles dont la « ladjna » (justice
islamique) de la ville de N'djamena ne nie pas l'existence même si elle
ne donne pas son avis sur la question.
Un autre fait très rare est à noter. L'on parle
d'un consensus entre les frères légitimes du même
père que l'enfant naturel. Cette conciliation des frères consiste
en une entente entre eux pour permettre à leur frère conçu
illégalement par leur défunt père, qui l'a d'ailleurs
reconnu de son vivant, d'hériter comme eux. Il s'agit cependant
là d'un fait très rare que le droit musulman de la famille ne
reconnaît pas, et qui se fait dans la famille sans qu'on le mentionne au
grand jour.
Ces deux situations n'enlèvent pas à l'enfant
l'adjectif de « bâtard », mais lui
permettent de se sentir accepté par la société, du moins
par son père dans la première situation et sa famille paternelle
dans la deuxième situation. Tout de même l'enfant garde un mauvais
souvenir de son père de qui il est un fruit impur, une impureté
que rien ne peut purifier et que la société se chargera de lui
rappeler au quotidien. Rien de tout ce que le père fera ne donnera
à cet enfant la filiation et par là la légitimation.
C- Filiation et légitimation en islam
La filiation comme nous l'avons défini plus haut est le
lien naturel existant entre deux personnes dont l'un est le géniteur de
l'autre. A la différence de l'enfant né dans un couple
marié, pour lequel la filiation est établie automatiquement
dés sa naissance, celle de l'enfant né hors mariage doit
être en principe, établie par une reconnaissance de deux parents.
Elle peut être effectuée avec la déclaration de naissance.
Si tel est le cas selon le droit positif, le droit musulman n'est pas du
même avis. En islam les enfants issus d'un couple marié prennent
la filiation de leur père et ceux conçus en dehors de ce cadre
ont celle de leur mère. La reconnaissance d'un enfant naturel par son
père biologique est interdite, ce qui hypothèque leur
légitimation.
La notion de légitimation d'enfant naturel n'existe pas
en islam. Soit un enfant est légitime, et donc conçu par un
couple marié, soit il est naturel, donc issu d'un couple non
marié, de ce fait illégitime et le restera toute sa vie. Mais
dans la vie courante de cette société qui a fait l'objet de notre
étude, il arrive que le père biologique reconnaisse son enfant.
Dans ce cas, ce dernier peut bénéficier d'un soutient
matériel et surtout du nom de son géniteur sans toutefois
être légitimé. Il reste et demeurera un enfant
illégitime ; une illégitimité que même le
mariage de ses parents ne pourra supprimer.
Tout en faisant preuve de rigidité, le droit musulman
introduit des techniques juridiques de nature à contourner les
interdictions et régulariser, tant bien que mal, la situation de
l'enfant illégitime. Ce dernier sera déclaré
légitime, au cas où l'union est faite en méconnaissance de
la loi, en vertu d'un mariage putatif ou frappé de nullité
relative. A titre d'exemple, il suffit aux deux parents d'affirmer qu'en
réalité, ils se sont mariés antérieurement sans
témoins. L'enfant sera, alors, considéré légitime
dés sa naissance. Il convient de noter que l'enfant illégitime ne
peut mener une action de recherche de paternité au cas où le
père refuse de le reconnaître.
S'agissant de la communauté musulmane tchadienne d'une
manière générale et celle de N'djamena en particulier,
l'UNICEF avait recommandée l'élaboration et l'adoption d'un
« code de famille tchadienne » en 2005 ; code dans
lequel on ne distinguera pas la situation de l'enfant naturel de celle de
l'enfant légitime. Cette proposition n'a pu être
concrétisée par le simple fait que la communauté
musulmane s'est mobilisée comme un seul homme par le biais de
l'Association des Cadres Musulmans Tchadiens (ACMT) pour marteler que
l'islam, distingue la situation de l'enfant naturel qui est le fruit d'une
relation impure, maudite par le créateur, de celle d'un enfant
conçu dans le mariage donc pur et béni par le Tout Puissant. Les
musulmans restent rigoureux là-dessus et ne sont pas prêts
à céder. Ce projet a échoué parce qu'il va à
l'encontre des lois confessionnelles d'une communauté majoritaire dans
ce pays. L'on doit comprendre par là la fonction que joue le mariage
dans cette société et la vie difficile que doit mener un enfant
né hors mariage.
IV- LA VIE DE L'ENFANT NATUREL
Etre un enfant sans père, il n'y a pas douleur plus
profonde, désarroi plus grand, tristesse plus corrosive.
Précarité matérielle et vulnérabilité,
isolement et éloignement, l'enfant naturel est marqué à
jamais dans sa vie.
A- précarité matérielle et
vulnérabilité
Pris en charge par sa mère, qui très souvent ne
dispose d'aucune autonomie financière susceptible de lui donner une
visibilité sur la gestion de leur quotidien en cours et moyen terme, le
couple mère enfant dépend d'aléas sur lesquels il n'a
aucune maîtrise.
Pour les mères qui travaillent, les secteurs dont elles
dépendent ne leur offre aucune stabilité matérielle. Elles
vivent au jour le jour avec de petit métiers informels (femmes de
ménage, vendeuses ambulantes) et très souvent de la prostitution.
Cette précarité matérielle caractérise leur
vulnérabilité.
Exclus, marginalisés, isolés, les bâtards
sont appréhendés comme faisant partie des populations les plus
vulnérables. En effet dépourvus de moyens de subsistance pour
ceux dont les mères ne travaillent pas et ne bénéficient
d'aucune forme d'aide ou de soutien, ils sont exposés à la rue,
à la mendicité et à une prostitution précoce pour
les filles.
Sales, avec des habités déchirés et
surtout sans éducation de base, ces enfants sont isolés et
s'éloignent de la société.
B- Isolement et éloignement
Conséquence sociale de son statut, l'isolement est
aussi psychologique que social. Isolé de la famille en tant que membre,
méprisé et traité de tous les mots ; l'enfant naturel
vit isolé et éloigné du réseau de parenté et
de voisinage dont bénéficient naturellement les enfants.
L'isolement du cercle familial et social, constat amer, souvent
évoqué dans le discours, découvre l'une des facettes du
vécu de l'enfant.
L'éloignement paraît revêtir la forme d'une
auto-exclusion, effectuée par l'enfant et exercée contre
lui-même. Il se dérobe ainsi du regard de l'entourage et des
proches. Il évite tout contact avec ses congénères, qui
d'ailleurs se soldent très souvent par des injures, des bagarres et des
pleurs. Et dans ces situations de conflit, l'on s'en prend toujours à
cet enfant qui n'a que sa mère pour le défendre ; elle qui
d'ailleurs n'est pas à l'abri des injures et des moqueries. L'on voit en
cet enfant l'incarnation du diable qui ne peut que nuire aux autres.
« Ce bâtard là est impossible »
ou encore « comme si ça ne lui suffisait pas qu'on
s'occupe d'elle ; il a fallu qu'elle fasse un bâtard pour
déranger les gens », « retiens ton
bâtard de fils ». Ces expressions rythment le
quotidien de l'enfant et de sa mère, et ces phrases ont l'art de
blesser, et surtout d'inciter à la révolte ; une
révolte qui s'affirme par la violence qui conduit très souvent au
drame. Insulté, marginalisé l'enfant naturel ne peut
s'épanouir et est marqué à jamais.
C- Devenir des enfants marqués à
jamais
Cette différenciation homme/femme marquant les rapports
dans la société va apparaître au niveau du discours
porté par les mères célibataires et sur le quotidien de
l'enfant naturel. L'itinéraire de ce dernier va être défini
au niveau de l'imaginaire, par son appartenance ou son identité
(sexe).
La fille, facile et obéissante au niveau de
l'éducation, ne présentera pas les mêmes difficultés
qu'un garçon et sera dans la bienveillance. Une fille est surtout
« hanouna », c'est-à-dire dotée
de « coeur » : ce qui transparaît
dans les expressions telles que : « Gentille, elle
comprendra, une fois grande... », « Une fille pourra avoir
de la compassion et du coeur », « À une fille, tu peux
tout dire et tout raconter de ce que tu as enduré, et elle comprendra et
pardonnera... ».
Compassion, compréhension, gentillesse, acceptation du
passé de la mère, soutien de la mère...telles sont les
projections des mères célibataires à l'égard de
leurs progénitures féminines. Plusieurs paramètres entrent
en compte en faveur de la fille et font que la société est
indulgente vis-à-vis d'elle.
Les filles d'une manière générale dans
cette société sont à l'abri de la cruauté
quotidienne. Tout se passe pour elles à l'intérieur de la maison
donc en famille. Elle est plus facilement acceptée que le garçon.
Une fois mariée ; elle mènera une vie plus ou moins normale.
Vu que ses enfants prendront le nom de leur père, sa situation de
« bâtarde » n'a pas de conséquences
sur eux. La société ne voit pas mal le fait qu'un homme ayant le
statut d'un enfant légitime prenne une épouse
« bâtarde ».
Mais cette situation n'est possible que dans le cas où
le couple mère -enfant a l'avantage d'avoir une assistance
financière quelconque, où la mère a un emploi qui lui
permet de subvenir aux besoins quotidiens. Dans le cas contraire, l'on s'attend
à une répétition du phénomène. La
précarité matérielle pousse cette fille à la rue,
à la prostitution ; une nouvelle proie à la
bâtardise.
S'agissant du garçon, l'optimisme qui marque le
discours relatif aux filles cède la place à un grand pessimisme
par rapport à leur futur. La relation (leur mère et la
société) aux garçons est connotée
négativement de manière dominante et l'évolution des
rapports entretenus aboutira en définitive à la rupture. Le
garçon investit assez jeune l'espace extérieur (la rue),
échappe assez tôt à l'emprise affective de la mère
et se trouve confronté à la dureté de la rue et les gens
qui lui renverront une image négative de lui-même et de sa
mère.
Il connaîtra ainsi seul, un jour, la
vérité de sa condition en dépit du secret entretenu.
Même révélée à l'enfant, la
vérité n'arrivera pas à le protéger ni à le
concilier avec son histoire et l'adolescence avec ses périls de
délinquance sera le moment le plus dangereux. Une haine dirigée
vers la mère, son père (s'il le connaît) et son entourage
s'installe. Il en veut à toute la société qui d'ailleurs a
été hostile avec lui. Sous l'influence de l'alcool, de la drogue,
il va jusqu'à battre sa mère ou au pire l'assassiner. Son
père court le même risque. Il s'autodétruit, en
anéantissant une mère responsable de son
« existence /délit ».
La société se montre moins indulgente quand il
s'agit d'un garçon. Cette situation de bâtardise se
répercute sur les enfants qu'il peut engendrer. L'on fait savoir
à ces enfants que leur père est bâtard, donc ils descendent
d'une lignée impure. Ce qui n'est pas sans conséquences sur le
quotidien de ces enfants et de leur mère. Cela explique la
difficulté d'un enfant naturel d'avoir une femme, du moins une femme
issue des parents mariés. La société voit comme une
injure qu'un bâtard ose venir demander la main d'une fille
légitime. C'est d'ailleurs souvent l'occasion de rappeler à cet
enfant les circonstances honteuses de sa naissance. Il serait, aux yeux de la
communauté plus humble pour lui de prendre une épouse se trouvant
dans la même situation que lui ; ce qui une fois de plus fait de lui
un objet d'opprobre. Mais à observer de plus près, l'on se rend
compte qu'il arrive que la société change son discours ou moins
l'améliore à l'égard de cet enfant. Il est possible que
malgré toutes les difficultés endurées pendant son
enfance, que cet enfant réussisse dans la vie et surtout sur le plan
matériel. Dans ce cas, il arrive très souvent qu'il soit
réintégré dans la famille et par là dans la
société. Son père qui ne l'avait pas reconnu, le
reconnaît ; la société ne fait pas de lui un enfant
légitime certes, mais évite de lui rappeler sa situation de
« bâtard » du moins devant lui, pour gagner
sa sympathie. Il peut se trouver une femme sans que l'on prenne en compte son
statut. L'avoir lui permet de « racheter » sa
dignité. Cela montre la fonction que peut jouer l'argent dans cette
société en particulier et de toutes les sociétés en
général.
Telles sont les réalités contenues dans un
vécu de prévisions sociales et dispositions légales qui
définissent le destin de ceux qui proclament leur innocence,
réclament une reconnaissance, enfants naturels en quête d'un
nouveau refuge du droit, requêtes de ces enfants pour une vie meilleure
qui reste encore un voeu pieux. Cette observation nous permet de
déterminer une multitude de facteurs prépondérants,
clairement identifiés, à l'origine de la situation de
bâtardise.
V- FACTEURS A L'ORIGINE DE LA BATARDISE
Ces facteurs peuvent être éducatifs, sociaux,
économiques et psychoaffectifs.
A- Les facteurs éducatifs
Les facteurs éducatifs jouent une fonction non
négligeable liée à la bâtardise. Par
éducation, l'on fait allusion à « l'apprentissage
social » ; c'est le fait que « la
société transmet des règles de
conduite approuvées au jeune enfant à travers les autres et
à travers certaines institutions. »9(*) et l'individu est le reflet de
son éducation. S'il est en conformité avec les normes de la
société, il est bien éduqué et s'il est en
désaccord avec ces normes, il ne l'est pas. L'éducation a pour
but de le redresser et de lui apprendre la bonne façon de se conduire.
De ce fait, si l'on considère que le fait d'avoir d'enfant en dehors du
mariage va à l'encontre des normes de la société ;
nous pouvons affirmer, que l'auteur de ce délit n'est pas bien
éduqué. Ce phénomène touche beaucoup plus les
filles analphabètes et aussi celles qui ignorent tout de la
sexualité. La plupart de ces filles tombent enceintes très
jeunes ; elles adhèrent à la vie sexuelle sans en
connaître les tenants et les aboutissants. Et la grossesse est souvent au
rendez-vous. La sexualité en Afrique d'une manière
générale, et dans la société musulmane de la ville
de N'djamena en particulier, est un fait tabou. L'on n'en parle pas n'importe
comment et avec n'importe qui, moins encore avec son enfant. Or, en ignorant
tout du sexe, ces filles sont plus vulnérables et ne peuvent
éviter les conséquences indésirables qui ne jouent qu'en
leur défaveur. En plus de ces facteurs, il y'a aussi les facteurs
sociaux.
B- les facteurs sociaux
Des éléments tels que l'exode rural, le milieu
social peuvent contribuer à la prolifération de la
bâtardise.
Les filles venant des zones rurales constituent des proies
faciles pour les citadins. Naïves et surtout à la recherche du bien
être, elles succombent facilement à la tentation et se retrouvent
enceintes.
Le milieu dans lequel vit la fille peut être un facteur
stimulateur. Il y'a ici le phénomène d' « influence
du milieu » c'est-à-dire le poids qu'exerce le
« milieu social » sur l'individu et
change sa perception. Les facteurs économiques ne sont pas du reste.
C- les facteurs économiques
La précarité matérielle incite les
jeunes filles à livrer leur corps pour avoir en contre partie une
rémunération. Le statut professionnel de
« filles domestiques », marchand
ambulant...les expose à des propositions indécentes mais qui ont
l'air intéressant. Issues des couches sociales fragiles, elles ne
peuvent que céder.
La misère, la pauvreté incitent les filles
à se prostituer et par ricochet à concevoir. Elles s'offrent
à ceux ou celui qui peut leur offrir de quoi subvenir à leurs
besoins. Cette situation n'est pas spécifique aux couches sensibles. Les
filles issues des couches sociales moyennes et mêmes aisées ne
résistent pas à la tentation de l'argent facile. En plus de ces
phénomènes, nous pouvons ajouter aussi les relations
« copains copines » ou encore les
« amourettes » que tissent garçons et
filles au lycée ou au quartier qui peuvent aboutir à des
grossesses. D'autres facteurs tels que les facteurs psychoaffectifs peuvent
contribuer à l'avènement de ce genre de situation.
D- les facteurs psychoaffectifs
Le phénomène de fille mère est plus
récurent chez :
- les filles issues de l'abandon, elles n'ont aucune
éducation de base, aucune influence parentale. Elles vivent sans
éthique de la vie, moins encore de la sexualité ;
- filles de père et/ou mère
décédés, en perdant l'un de ses parents ou les deux, ces
filles bénéficient des marges de liberté qui peuvent les
conduire à la débauche ;
- les filles issues d'une mère bâtarde, vu
son statut, la « bâtarde » n'a de compte à rendre
à personne, moins encore à sa mère ;
- les filles issues d'un couple divorcé, le divorce
n'est pas sans conséquences sur les enfants, et surtout la fille. La
déstabilisation de la famille va contribuer à la
déstabilisation de l'éducation de la fille.
Ces facteurs qui se renforcent les uns les autres
préfigurent le profil présent et futur
de ces populations vulnérables.
CONCLUSION
Rejeté, exclu ou même raillé, l'enfant
naturel porte, durant toute sa vie, la marque indélébile des
circonstances honteuses de sa naissance ; sa présence au sein de la
famille constituant une preuve de l'infamie et du déshonneur.
Dissimulé ou abandonné, il subit les sanctions iniques d'un crime
qu'il n'a pas commis, les dispositions défavorables du droit commun et
des lois confessionnelles.
Devant tant d'injustice et de détresses, nous avons
observé de plus prés ce phénomène social ; et
il est évident que si la condition de la naissance était en
notre pouvoir, chacun naîtrait non seulement d'une couche
légitime, mais d'une tige illustre et glorieuse. Mais
indépendamment de notre volonté, nous naissons, les uns sous le
chaume d'une vile cabane, les autres sous le lambris d'un superbe palais ;
les uns sous la loi d'un mariage légitime, les autres sous la licence
d'une conjonction réprouvée. De ce fait ne faudrait-il pas revoir
la situation de ces enfants qui d'ailleurs n'ont commis aucun
péché de naître d'un couple non marié ; mais
qui subissent les conséquences d'un délit qu'ils n'ont pas
commis plus que les auteurs eux-mêmes? Telle est la triste
réalité de ces enfants, et telle la résultante d'une norme
violée. Une norme qui remplit une fonction bien définie.
+
SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES
- Abou
Baker Jabeur Jazairi, La voie du musulman, Paris, ASLIM
édition, 1986, 570 pages.
- Béatrice Barbusse, Dominique Glayman,
Introduction à la sociologie, Paris, Edition Foucher, 2000, 224
pages.
- Convention européenne sur le statut juridique des
enfants nés hors mariage, série de traités
européens, numéro 85, Strasbourg, 1975.
- Etude sur les mères célibataires et les
enfants nés hors mariage dans la wilaya de Casablanca,
2002, UNFPA, UNIFCM, UNICEF.
- Mendras Henri, Elément de sociologie, Paris,
Armand Colin-collection U, 1975,262 pages.
- Madeleine Grawitz, Méthodes des sciences
sociales, Paris, Dalloz, 2001, (11ème édition),
1019 pages.
.
* 1 Béatrice Barbusse,
Dominique Glaymann, Introduction à la sociologie, Paris,
Foucher, 2000, p.113.
* 2 Mendras henri,
Elément de sociologie, Paris, Armand Colin-collection u, 1975,
p.100.
* 3 Madeleine Grawitz,
Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 2001
(11ème édition), p.643
* 4
« farakh »veut dire
« bâtard » en arabe locale.
* 5 Fiche d'actualité
scientifique
* 6 Abou Baker Jabeur Jazairi,
la voie du musulman, Paris, Aslim édition, 1986, p.485
* 7 Idem : p.485
* 8 Idem : p.485
* 9 Mendras Henri,
Elément de sociologie, Paris, Armand Colin- collection U, 1975, p.29.
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