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L'enfant naturel dans les quartiers musulmans de N'djamena

( Télécharger le fichier original )
par Mahamat Abdoulaye Malloum
Université de Ngaoundéré -  licence 2005
  

Disponible en mode multipage

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DEDICACE

Je dédie ce travail :

A mon père ABDOULAYE MALLOUM,

A ma mère ZENABA MAKAILA,

A mon défunt petit frère MAKAILA ABDOULAYE MALLOUM.

REMERCIEMENTS

La réalisation de ce rapport d'initiation a été possible grâce à la contribution de nombre de personnes à qui nous tenons à adresser nos remerciements.

En effet, ces remerciements vont à :

- Notre encadreur, Dr. HENRI B. AFANE qui, malgré ses multiples occupations a fait preuve de disponibilité pour superviser ce travail avec rigueur ;

- Nos enseignements du département de Sociologie-Anthropologie notamment Dr. DOMO JOSEPH, Dr. MOTAZE AKAM, Dr. JEAN PIERRE BELL, Dr. MOUHAMADOU DJINGUI, et Dr. MOUSSIMA HENRY pour l'enseignement qu'ils nous ont donné ;

- Notre cousin et ami MAHAMAT AHMAT HASSAN qui a été toujours présent quand nous avons eu besoin d'aide ;

- NAFISSATOU BOUBAKARY et MAHAMAT TAHER MAHAMAT pour leur soutien sur tous les plans ;

- Nos amis MAHAMAT ABDOULAYE ABAKAR, HAYATOU SEIDOU SAMBO, TAMBOUTOU HAOUA pour leur assistance morale et spirituelle ;

- Nos camarades de promotion notamment GUILDJA MAHAMAT, ABAKAR IDRISS, MBAIBAROUM JEAN pour leurs conseils, aides, et encouragements.

Que tous ceux dont nous n'avons pas nommément cités trouvent également l'expression de notre profonde gratitude.

SOMMAIRE

DÉDICACE....................................................................ii.

REMERCIEMENT..........................................................iii.

INTRODUCTION GENERALE ...................................... P. 1.

I- PRÉSENTATION DU CHAMP D'ÉTUDE ET DÉFINITION DE LA NOTION D'ENFANT NATUREL, FILIATION ET LÉGITIMATION ................................................P. 7.

A- Présentation du champ d'étude

B- Enfant naturel

C- Filiation

D- légitimation

II -LA NAISSANCE DE L'ENFANT : RÉACTION DE LA SOCIETE.........................................................................P. 13

A- Réaction des parents de la mère de l'enfant et impact de la naissance de l'enfant sur la vie de sa mère

B- La réaction du père biologique

C- Le regard porté par les congénères de l'enfant et ses effets

III -LES DROITS DE L'ENFANT NATUREL EN ISLAM......P.17

A- Les droits de l'enfant vis-à-vis de sa mère

B- Que peut attendre cet enfant de son père biologique ?

C- La filiation et légitimation de l'enfant naturel en islam

VI - LA VIE DE L'ENFANT NATUREL..............................P. 23.

A- Précarité matérielle et vulnérabilité

B- L'isolement et l'éloignement

C- Le devenir de l'enfant marqué à jamais

V-FACTEURS A L'ORIGINE DE LA SITUATION DE BATARDISE................................................................P. 28.

A- les facteurs éducatifs

B- les facteurs socio-économiques

C- les facteurs psychoaffectifs

CONCLUSION.....................................................................P. 31.

INTRODUCTION

Dans le cadre de notre initiation à la recherche nous nous intéressons à un phénomène qui est propre au champ d'étude de la sociologie de la famille. Il est évident que la famille est le fondement de toutes les sociétés humaines, elle est partout la cellule initiale de n'importe quel ensemble social, quelles qu'en soient les structures, les formes, les dimensions et la qualité des rapports unissant ou opposant les membres. Premier horizon auquel s'ouvre l'individu en venant au monde, c'est en son sein que se nouent les relations sociales, se tissent les liens interindividuels, se socialisent les êtres naissant et qu'ils se préparent aux nombreuses tâches qui les attendent. Cellule de reproduction, de création et de procréation, elle développe les potentialités du milieu et constitue la base même sur laquelle s'édifient la culture et la civilisation. « Tout le monde, en principe, appartient à une famille et en fonde une »1(*). Ainsi s'il y'a un phénomène qui nous est particulièrement familier c'est bien celui de la famille. Elle est la plus vieille institution humaine. Et comme toute institution son fonctionnement est régit par des normes. Or « l'existence des normes et le respect de ces normes problèmes distincts  sont deux»2(*). Et le non respect des normes fixées par la société peut être source de conflits. Les problèmes au sein de la famille sont multiples, et le « phénomène d'enfant né hors mariage » est celui qui a le plus attiré notre attention. Comme le mariage est la seule voie légitime de la propagation du genre humain, la naissance d'un enfant en dehors de ce cadre cause des polémiques. Ainsi, le thème : Enfant naturel dans les quartiers musulmans de N'djamena soulève sans doute une problématique du point de vue sociologique.

1- Problématique

La problématique est l'ensemble des questions que l'on se pose par rapport un phénomène social à observer.

Dans le cadre de ce travail nous nous interrogeons de savoir, quelles différences existent entre un enfant né hors mariage et un enfant légitime ? Est ce toujours un handicap social de naître des parents non mariés ? S'il existe en droit positif des procédures pour légitimer ces enfants, en est-il de même dans les sociétés musulmanes d'une manière générale et celle de la ville de N'djamena en particulier ?

Une telle problématique est liée aux objectifs visés.

2- Objectifs

Il s'agit des visées fondamentales du phénomène social observé. Deux types d'objectifs sont à distinguer ici. D'une part, nous avons les objectifs académiques et d'autre part des objectifs pratiques.

a- objectif académique et scientifique

Cette recherche nous permet de nous évaluer sur notre capacité de synthèse, conception et celle de mener une réflexion rigoureuse et cohérente partant une démarche scientifique bien précise. En plus de cela nous avons aussi un objectif pratique.

b- objectif pratique

Il s'agit ici de décrire la perception qu'a la société musulmane en général et celle de N'djamena en particulier des enfants nés hors mariage. Cet objectif nous amène à poser une hypothèse de travail.

3- hypothèse de travail

En matière de recherche, l'hypothèse de travail est une réponse préalable que l'on donne à la question de départ et qui peut être infirmé ou confirmé.

L'hypothèse que nous formulons est la suivante : On distingue la condition des enfants légitimes de celle des enfants naturels. Ces derniers sont marginalisés et mis à l'écart de la société. La vérification de cette hypothèse suit une démarche scientifique, d'où la méthodologie.

4- méthodologie

La méthodologie est la démarche scientifique qui permet d'accéder aux faits sociaux considérés comme données sociologiques. Elle se subdivise en deux parties, notamment la théorie et la pratique.

a- la théorie

La théorie consiste ici à un courant sociologique que nous avons choisi pour l'appréhension de notre objet d'étude.

Dans le cadre de ce travail, nous avons opté pour la théorie fonctionnaliste que nous avons jugé appropriée pour l'appréhension de ce phénomène. Le courant fonctionnaliste, faut-il le rappeler met un accent particulier sur les fonctions des éléments culturels dans le maintien de l'ordre et par là, la bonne marche de la société. Chaque élément culturel remplit une fonction particulière dans le système social. « La fonction d'un usage social particulier c'est la contribution qu'il apporte à la vie sociale considérée comme l'ensemble du fonctionnement du système social. Cette définition suppose qu'un système social (...) a une certaine unité, que nous pouvons appeler unité fonctionnelle, et définie comme un état de cohésion ou d'harmonieuse coopération entre tous les éléments du système social, ce qui écarte les conflits persistants, impossibles à régler. » (Idem : p.112-113). L'enfant né hors mariage est le produit de la violation d'une norme à savoir le mariage. Ce dernier comme nous l'avons souligné plus haut est présenté comme la seule forme d'organisation du couple qui assure véritablement la sécurité de l'enfant. « L'analyse fonctionnelle de la culture part du principe que, dans tous les types de civilisation chaque coutume, chaque objet matériel, chaque idée et chaque croyance remplit une fonction vitale quelconque. » (Idem : p.113). L'enfant naturel comme nous le savons tous est la résultante de la violation d'une norme à savoir le mariage. Et la violation d'une norme ne va pas sans conséquence, elle joue une fonction déstabilisatrice dans la société. Et pour l'analyse de ce fait social, le fonctionnalisme s'avère être la théorie la plus pertinente d'où notre choix. Comme toute recherche sociologique, notre recherche est aussi basée sur la pratique.

b- la pratique

La sociologie a pour objectif principal la compréhension du social : il s'agit pour elle de décrire la réalité sociale telle qu'elle est, d'où la nécessité d'effectuer des investigation sur le terrain afin de collecter les données. Pour ce faire, nous nous sommes servis des techniques telles que l'observation et l'entrevue.

b.1- l'observation

L'observation est une technique de collecte des données qui consiste à observer les phénomènes sociaux que l'on veut étudier. L'acte d'observer met le chercheur dans une situation de captage des données aussi bien observationnelles que non observationnelles. Elle nous a permis d'avoir d'amples informations sur le phénomène d'enfant naturel. En plus de cette technique, nous avons aussi fait recours à l'entrevue.

b.2- l'entrevue

L'entrevue est « un tête à tête et un rapport oral entre deux personnes dont l'une transmet à l'autre des informations »3(*). Il est une technique qualitative de recherche qui consiste en des entretiens oraux individuels ou des groupes avec plusieurs personnes soigneusement sélectionnées afin d'obtenir des informations sur des faits sociaux ou des représentations dont on analyse le degrés de pertinence, de validité, et fiabilités au regard des objectifs que nous nous sommes fixés.

Ces deux techniques nous ont permis de recueillir des informations auprès de notre population de l'étude.

5- Population de l'étude

La population d'étude est l'échantillon qui nous a servi pour le recueil des informations.

Nous avons effectué notre étude auprès des mères des enfants naturels (dix) d'une part et auprès des personnes âgées de cinquante ans et plus d'autre part (sept). Cette enquête s'est déroulée pendant une période bien déterminée.

6-delimitation temporelle.

Notre investigation s'est déroulée en deux phases. La première a eu lieu dans l'intervalle allant du 18 décembre au 30 décembre ; la deuxième quant à elle a débuté le 15 mars et a pris fin le 29 de ce même mois.

Comme tout travail scientifique, notre étude n'est pas à l'abri des imperfections d'où les limites.

6- les limites de l'étude.

Plusieurs facteurs ont contribué à l'imperfection de notre travail :

- le facteur temps, nous n'avons pas eu assez de temps pour observer de manière minutieuse notre objet d'étude ;

- la délicatesse du sujet, le phénomène d'enfant naturel est un sujet tabou dans les sociétés musulmanes en général et celle de la ville de N'djamena en particulier. L'on n'en parle pas à tout bout de champ de peur de blesser les familles qui ont été victimes. Ce qui explique la réticence des enquêtés ; et nous n'avons pas pu interrogé les enfants naturels, le fait de traiter une personne de « bâtarde »est perçu comme une des plus graves injures. Et le sujet indexé est prêt à riposter par la violence, ce qui explique notre abstinence ;

- La difficulté d'avoir des documents faisant l'état des lieux.

Tous ces facteurs ont contribué à rendre imparfait notre étude que nous laissons le soin aux lecteurs de critiquer.

Afin de ne pas nous éparpiller, nous avons limité notre champ d'étude sur la société musulmane de la ville de N'djamena. Notre travail s'articulera autour de cinq chapitres à savoir : la description de notre champ d'étude et la définition de la notion d'enfant naturel, filiation, légitimation ; la naissance de l'enfant : réaction de la société ; les droits de cet enfant en islam; la vie de cet enfant et enfin les facteurs qui contribuent à la bâtardise.

I - PRESENTATION DU CHAMP D'ETUDE ET DEFINITION DE LA NOTION D'ENFANT NATUREL, FILIATION, LEGITIMATION

Il s'agit pour nous dans cette première partie de décrire dans un premier temps notre champ d'étude à savoir la ville de N'djamena et dans un second temps de donner une tentative de définition à la notion d'enfant naturel, filiation et légitimation.

A- Présentation du champ d'étude

N'djamena, ville du sud-ouest du Tchad, capitale du pays, sur la rive droite du Chari, à sa confluence avec le Logone, au sud du lac Tchad, près de la frontière camerounaise.

Chef-lieu de la préfecture du Chari, établie dans une large plaine alluviale, N'djamena est le centre économique, administratif et culturel du pays. Port fluvial, elle est également un carrefour routier et aérien doté d'un aéroport international. Dominée par sa Grande Mosquée (1974-1978), la ville, à population majoritairement musulmane, abrite aussi une cathédrale élevée au temps de la colonisation française. Elle accueille l'université du Tchad (1971) et l'École nationale d'administration (1963).

Fondée par les Français en 1900 sous le nom de Fort-Lamy, la ville est un poste militaire et un centre de l'administration coloniale en Afrique Occidentale française. Elle devient la capitale du Tchad lors de l'indépendance du pays en 1960 et adopte son nom actuel en 1973. En 1980-1981, au cours de la guerre civile qui a débuté au milieu des années soixante, N'djamena est occupée par les forces libyennes. La ville a beaucoup souffert des conflits nationaux.

Selon les estimations de 1994, la Population de la ville de N'djamena est de : 750 000 habitants. A l'instar de toutes les capitales africaines, cette population n'djamenoise est composée de toutes les diversités ethniques du pays.

Composition ethno-linguistique en 1993 :
(groupes représentant plus de 2%).

Composante ethno-linguistique

Pourcentage

Arabes

11,08 %

Ngambay

16,41%

Hadjaray

9,15%

Daza

6,97%

Bilala

5,83%

Kanembou

5,80%

Maba

4,84%

Kanouri

4,39%

Gor

3,32%

Kouka

3,20%

Sar

2,24%

Barma

2,10%

Source : RGPH (Recensement général de la population et de l'habitat) 1993

Cette population se repartit en deux secteurs bien distincts. L'on parle du nord et du sud de la capitale.

Cette subdivision est faite à l'image du pays ; conséquence des guerres civiles fratricides qui ont déchiré cet Etat après les indépendances. Le nord de la capitale est occupé par les ressortissants du grand nord, essentiellement musulmans, et le sud occupé par les sudistes dont la majorité est chrétienne, et une infime partie animiste.

Dans ces deux pôles, nous assistons à deux modes de vie bien distincts. La partie sud se singularise par son libéralisme. Ici chacun mène sa vie comme bon lui semble ; caractéristique de la ville. Toutes les boites de nuit, la majorité absolue des débits de boissons, la prostitution au vu et au su de tout le monde, bref tout ce qui est du loisir se trouve dans ce secteur ; d'où sa domination du « secteur chaud » de la ville. Le nord de la capitale quant à lui est rythmé par le conformisme. La vie est régie par les normes strictes de la religion musulmane et chaque membre subit le poids de la société. Toute déviance ne passe pas inaperçue et est réprimée. Dans le cadre de ce travail, c'est cette seconde partie que nous avons choisie comme champ d'étude.

Si dans la partie sud de la ville de N'djamena le phénomène d'enfant né hors mariage est devenu un fait banal car un enfant illégitime peut être légitimé, il n'en est pas de même pour la partie nord. Ici l'enfant illégitime porte la marque indélébile des circonstances «  honteuses » de sa naissance, sa présence dans la famille constituant une preuve de «  l'infamie » et du  «  déshonneur ». Ce fait cause un problème réel et pertinent, d'où l'attraction de notre attention pour essayer de le comprendre. Mais avant d'observer de près ce fait social nous ne pouvons nous en passer de sa définition.

B- Enfant naturel

Enfant naturel, enfant illégitime ou encore bâtard, toutes ces expressions faut-il le signaler désignent un enfant né hors mariage.

Le terme illégitime évoque la non légitimité d'une relation et d'une naissance survenue en violation de la loi. La mise au monde de cet enfant menace les valeurs familiales et déstabilise la société. Le bâtard est donc un enfant né de l'union illicite de deux personnes, qui pouvaient contracter mariage ensemble au moment où il a été conçu.

On distingue :

-les « simples bâtards », enfants nés de deux personnes absolument libres, et qui pouvait se marier ensembles ;

- les « bâtards adultérins », enfants qui sont procrées par des personnes unies à d'autres par le sacré lien du mariage (ceux-ci sont adultérins tant de la part de leur père que de la part de leur mère, ou seulement de la part de l'un ou de l'autre) ;

-les « bâtards incestueux », enfants qui sont nés de personnes qui ne peuvent contracter mariage ensemble, à cause du lien de parenté ou d'alliance qui les unit.

L'enfant naturel, d'une manière générale est un enfant issu d'un homme et d'une femme qui ne sont pas unis ou qui ne peuvent s'unir par le lien de mariage. Ce dernier étant la seule voie légitime de la propagation de l'humanité, les bâtards subissent une situation particulière différente de celle des enfants légitimes. Le lien qui le rattache à leur géniteur (père) pose problème.

Pourtant toute personne a droit à une filiation.

C- Filiation

La filiation est le lien de droit existant entre une personne et ses parents. Deux types de filiation sont réglementées par la loi : la filiation « biologique » encore appelée filiation par le sang, qui résulte de la procréation, et la filiation « fictive » qui n'est issue d'aucun lien de sang, encore appelée filiation adoptive. Elle est créée par un jugement.

La filiation par le sang tient compte de la nature des rapports qui lient les parents. S'ils sont mariés et ont un enfant, ce dernier est légitime et on parle alors de filiation légitime. En revanche, on appelle filiation naturelle le lien qui unit un enfant à ses parents non mariés. La filiation est qualifiée de naturelle adultérine si l'un des parents était, lors de la procréation, marié avec un tiers. Elle peut aussi être qualifiée d'incestueuse lorsqu'elle résulte de deux personnes qui ne peuvent se marier à cause du lien du sang ou d'alliance.

La filiation légitime est fondée sur une présomption de paternité qui lie l'enfant au mari de la mère. Elle s'applique à tout enfant né pendant le mariage. La filiation naturelle est moins automatique, car elle est établie séparément par l'un et l'autre des parents. La filiation adoptive prend la forme d'une adoption plénière ou simple. La première donne à l'enfant le statut d'enfant légitime et est marquée par une rupture totale avec sa famille d'origine. La seconde fait subsister des liens avec cette famille et elle est révocable. Une fois la filiation établie, l'enfant naturel devient légitime. L'on parle de légitimation.

D- Légitimation

Un enfant né de parents non mariés, même vivant conjointement, n'est pas un enfant légitime. Cette légitimation ne peut avoir lieu que par mariage des parents ou si le mariage est impossible, par décision de justice. Par le mariage, la légitimation est automatique lorsque les parents se marient et s'ils ont reconnu l'enfant, soit avant, soit au moment de la célébration du mariage. Si la légitimation d'un enfant naturel intervient après le mariage de ses parents, celle-ci ne peut avoir lieu qu'à la suite d'un jugement. Ce dernier constate alors que l'enfant a eu, depuis la célébration du mariage, « la possession d'état d'enfant commun », c'est-à-dire qu'il vit et est considéré comme un enfant commun. La légitimation prend effet rétroactivement à la date du mariage. Lorsque le mariage est impossible entre les deux parents (l'un des parents est déjà marié sous un régime monogamique), le consentement de son conjoint est nécessaire.

Si en droit positif l'on peut légitimer un enfant naturel, il n'en est pas de même chez les musulmans. Chez les musulmans, un enfant naturel demeurera illégitime toute sa vie. Son calvaire commence dés sa naissance.

II - LA NAISSANCE DE L'ENFANT NATUREL : REACTION DE LA SOCIETE

Malgré une grossesse particulière, entachée de honte et de culpabilité, l'idée d'abandonner l'enfant est peu répandue dans cette population (dix mères non mariées) qui a fait l'objet de notre étude et le passage à l'acte est relativement exceptionnel. En général, l'abandon de l'enfant semble constituer une solution extrême pour une minorité de femmes (une sur dix, soit 10%), très jeunes et traumatisées, issues de milieux conservateurs, sans ressources financières, inquiétées par la perspective de la rue et de la prostitution, bouleversées par leur situation de femmes sans ressources, ou encore le fait d'être femmes psychologiquement fragiles. Aussi le passage à l'acte d'abandon constitue pour ces filles désespérées l'ultime recours. Mais malgré l'incertitude, la douleur et la complexité de la situation, le sentiment de maternité prévaudra et la mènera à gérer la responsabilité. Il s'agit là d'une attitude majoritaire chez les mères dès la naissance (neuf sur dix, soit 90%). Comme indiqué précédemment, l'abandon réel de l'enfant reste le fait de situations exceptionnelles.

Cette garde définitive sera effectivement vécue par la mère comme une lutte quotidienne inscrite hors d'un cadre de vie normale. Elle se cachera avec l'enfant n'apparaîtra physiquement tout en le dérobant du regard de l'autre, maintiendra le « fruit de la honte » en dehors de ce regard. Mais avant d'affronter l'extérieur, elle doit d'abord et surtout faire face à sa famille, leur faire accepter la conception illégitime de l'enfant.

A- Réaction des parents de la fille mère

Faire accepter la venue prochaine d'un enfant illégitime à ses parents est la phase la plus difficile pour la mère. Dans la plus part des cas, la grossesse est dissimulée jusqu'à son apparence. Elle est très mal perçue et constitue pour ces parents une preuve de l'infamie et du déshonneur. L'on en fait un drame qu'il faut dissimuler et sévèrement réprimer. Battue, insultée, et souvent chassée de la maison ; la mère a toute la société contre elle et doit dénoncer le concepteur.

Concevoir un enfant en dehors du mariage change considérablement la vie de la fille mère. L'on lui fait savoir qu'elle est une charge inutile et ne mérite plus les avantages d'un enfant, d'une fille, qui a besoin que ses parents pour s'occuper d'elle. Son état déstabilise le fonctionnement de la famille et la mère de la fille est souvent accusée d'en être la cause. Un conflit s'installe entre le père et la mère et de fois le divorce n'en est pas du reste. La fille quant à elle n'a plus aucun droit sinon à des injures, elle est une honte pour sa famille et passe tout son temps cachée, et soustrait de tout regard. Et la reconnaissance de l'enfant par le géniteur constitue une bouffée d'oxygène pour cette jeune mère, mais tel n'est pas souvent le cas.

B- La réaction du père biologique

Dés le début de la grossesse, avertir le géniteur de la situation est un réflexe pour la fille dans l'espoir que ce dernier reconnaisse les faits. Dans la plupart des cas cela n'est qu'une peine perdue. Le prévenu nie les faits et préfère fuir s'il en a la possibilité. Une infime partie reconnaît les faits et cette reconnaissance se traduit quelques fois par une aide matérielle. Elle se fait très souvent sous la pression du milieu.

Plusieurs paramètres expliquent ce refus des pères de reconnaître leur enfant. Il s'agit notamment de :

- la difficulté à assumer un rapport sexuel établi dans l'illégalité, confirmé par une paternité non consentie par la société ;

- la pression de l'entourage familial qui paraît prépondérante et détermine le choix du père amené à assumer la reconnaissance du lien avec une mère ayant enfreint les règles ;

- la pression du double regard que réserve la société à la fois à la mère et au père, ayant tout les deux enfreint des règles par un lien en dehors du cadre.

Toute la société porte un regard particulier sur cet enfant de même que ses congénères. Ce qui influe significativement le vécu quotidien de l'enfant.

C- le regard des congénères et ses effets

L'enfant naturel ressent davantage la particularité de sa situation avec ses congénères. Ces derniers se chargent de lui faire savoir et de lui rappeler qu'il est le fruit d'une relation impure, illégitime. Au fur et à mesure que l'enfant grandit, il ressent lui-même par les faits, aussi banals qu'ils soient, que sa situation se distingue de celle des autres enfants.

Dans les sociétés musulmanes d'une manière générale et celle de la ville de N'djamena en particulier le père a pour rôle et devoir d'entretenir sa famille. Il fait les courses, amène les enfants à l'école, les défend en cas de problèmes. La femme n'accomplit ce genre de tâche qu'en l'absence du père. Dans ce cas, soit le père est mort, soit il n'existe pas, du moins légalement. Et cela attire les regards et fait réfléchir l'enfant sur sa situation.

L'enfant constate par lui-même que là où les autres bambins se font accompagner par leur père, c'est sa mère qui se charge de le faire. Cette différence choque l'enfant car l'on trouve qu'il y'a une honorabilité particulière à se faire accompagner par son père à l'école. Cela a quelque chose de grandiose, de solennel et d'imposant. Le calvaire de l'enfant commence dés l'instant où tout le monde sait qu'il n'a pas de père et cela devient une arme redoutable dans la bouche de ses camarades de classe, des amis de jeux...bref des autres enfants. Pour n'importe quoi on lui rappelle qu'il est bâtard : « tais toi, enfant sans père » ou encore « farakh »4(*) expressions qui suffit à briser toute résistance et à émousser tout enthousiasme. Toutes les sorties de l'enfant finissent très souvent par des bagarres et surtout des pleurs, résultante des mots choquants et blessants. Il n'a pas grand chose à attendre de la société et surtout de son père. L'on se demanderait si cet enfant a des droits.

III - LES DROITS DE L'ENFANT NATUREL EN ISLAM

Le mariage est présenté comme la seule forme d'organisation du couple qui assure véritablement la sécurité de l'enfant. C'est accorder peu de place à beaucoup d'enfants qui n'ont pas choisis de naître des parents non mariés. C'est remettre en cause une évolution récente du droit positif qui tend à traiter de la même manière les enfants quelque soit le statut de leurs parents.

Dans la plupart des pays occidentaux, le droit supprime toute discrimination. Le droit de l'autorité parentale est désormais quasiment identique. En France par exemple, les enfants naturels sont reconnus pour la plupart par leur père. Les reconnaissances devraient dépasser 90%  dans les années 905(*).

Selon la convention européenne sur le statut juridique des enfants nés hors mariage, la filiation paternelle de tout enfant né hors mariage peut être constatée ou établie par reconnaissance volontaire ou par décision juridictionnelle. Le père et la mère de cette enfant ont la même obligation d'entretien à l'égard de cet enfant. Leurs droits dans la succession de leur père et mère et les membres de leur famille sont les mêmes que s'ils étaient nés dans le mariage. Le mariage entre le père et la mère de l'enfant confère à cet enfant le statut juridique d'un enfant né dans le mariage.

Comme nous le constatons dans ces sociétés l'on ne distingue pas la situation de l'enfant naturel de celle de l'enfant légitime. Ce phénomène social ne pose plus de problème. Mais si le droit positif réintègre cet enfant exclu de la société hier, le droit de la famille en islam leur donne un statut particulier, différent de celui des enfants légitimes.

A- Les droits de l'enfant vis-à-vis de sa mère en islam

Ici, l'on distingue la situation d'un enfant naturel de celle d'un enfant légitime. Un enfant est bâtard vis-à-vis de son père, mais il n'existe pas d'enfant bâtard par rapport à la mère. Cet enfant a les mêmes droits que celui qui est issu du mariage qu'elle soit en vie ou après sa mort c'est-à-dire qu'il a le droit d'hériter de sa mère. Il existe tout de même des cas de déshéritement liés notamment :

- à l'incroyance : « L'infidèle n'a pas le droit à la succession d'un musulman, de même que celui-ci n'hérite pas de lui »6(*). L'infidèle désigne ici le non musulman.

- à l'homicide : « L'assassin n'a pas le droit à la succession de sa victime. Il est condamné à en être exclu pour son crime, s'il a tué intentionnellement »7(*)

En dehors de ces deux cas de figure qui peuvent l'exclure de l'héritage, l'enfant naturel n'est pas marginalisé en ce qui concerne Les droits par rapport à sa mère et a le droit d'ester à la « charia » (justice musulmane) pour réclamer son dû. IL aura d'ailleurs raison sur quiconque veut l'opprimer. Mais telle n'est pas sa situation s'il s'agit de son père.

B- Que peut attendre cet enfant de son père biologique?

Chez les musulmans, l'enfant né d'une relation adultérine illégitime ne peut prendre qu la filiation de sa mère. Son père en revanche se voit interdit, conformément au texte coranique, de le reconnaître ou d'exercer une autorité sur lui. Si l'enfant légitime attend tout de son père, le bâtard ne peut rien espérer. Son concepteur n'a pas des devoirs envers lui.

La situation de l'enfant né hors mariage est toute différente. Il ne connaît son père que si ce dernier le reconnaît, encore que cette reconnaissance est interdite. Selon la loi islamique, la reconnaissance de l'enfant par le père sans l'existence d'un mariage n'est pas admise. Cet enfant ne bénéficie pas des mêmes avantages sociaux qu'un enfant légitime de la part de son concepteur de son vivant à savoir le vêtir, le soigner, le nourrir, l'instruire et n'hérite pas de lui après sa mort : « l'enfant appartient à la couche. Le libertin n'a que de la pierre »8(*)L'homme considéré comme l'initiateur de la relation adultérine est condamné à en assumer l'entière responsabilité. Sa sanction serait donc de le priver de sa descendance. C'est toutefois, une arme à double tranchant. En effet, « condamner » le père équivaudrait à sanctionner, indirectement, l'enfant. Mais, il arrive que sous la pression de la famille de la fille, le père biologique reconnaisse les faits et soit obligé d'apporter une aide matérielle, d'abord à la mère pendant la grossesse, et à l'enfant ensuite après sa naissance jusqu'à un certain âge.

Dans cette situation l'enfant peut bénéficier de quelques avantages. Le père reconnaissant sa progéniture, et conscient de cette situation d'illégitimité, qui le prive de toute prétention à l'héritage, lui fait des donations. Il s'agit là des biens que le père biologique de son vivant donne à son enfant conçu en dehors du mariage. La loi n'interdit pas cela et l'enfant peut entrer légalement en possession de ses biens même après la mort de son géniteur. Tel n'est pas souvent le cas, mais il est important d'en parler car ce sont des pratiques réelles dont la « ladjna » (justice islamique) de la ville de N'djamena ne nie pas l'existence même si elle ne donne pas son avis sur la question.

Un autre fait très rare est à noter. L'on parle d'un consensus entre les frères légitimes du même père que l'enfant naturel. Cette conciliation des frères consiste en une entente entre eux pour permettre à leur frère conçu illégalement par leur défunt père, qui l'a d'ailleurs reconnu de son vivant, d'hériter comme eux. Il s'agit cependant là d'un fait très rare que le droit musulman de la famille ne reconnaît pas, et qui se fait dans la famille sans qu'on le mentionne au grand jour.

Ces deux situations n'enlèvent pas à l'enfant l'adjectif de « bâtard », mais lui permettent de se sentir accepté par la société, du moins par son père dans la première situation et sa famille paternelle dans la deuxième situation. Tout de même l'enfant garde un mauvais souvenir de son père de qui il est un fruit impur, une impureté que rien ne peut purifier et que la société se chargera de lui rappeler au quotidien. Rien de tout ce que le père fera ne donnera à cet enfant la filiation et par là la légitimation.

C- Filiation et légitimation en islam

La filiation comme nous l'avons défini plus haut est le lien naturel existant entre deux personnes dont l'un est le géniteur de l'autre. A la différence de l'enfant né dans un couple marié, pour lequel la filiation est établie automatiquement dés sa naissance, celle de l'enfant né hors mariage doit être en principe, établie par une reconnaissance de deux parents. Elle peut être effectuée avec la déclaration de naissance. Si tel est le cas selon le droit positif, le droit musulman n'est pas du même avis. En islam les enfants issus d'un couple marié prennent la filiation de leur père et ceux conçus en dehors de ce cadre ont celle de leur mère. La reconnaissance d'un enfant naturel par son père biologique est interdite, ce qui hypothèque leur légitimation.

La notion de légitimation d'enfant naturel n'existe pas en islam. Soit un enfant est légitime, et donc conçu par un couple marié, soit il est naturel, donc issu d'un couple non marié, de ce fait illégitime et le restera toute sa vie. Mais dans la vie courante de cette société qui a fait l'objet de notre étude, il arrive que le père biologique reconnaisse son enfant. Dans ce cas, ce dernier peut bénéficier d'un soutient matériel et surtout du nom de son géniteur sans toutefois être légitimé. Il reste et demeurera un enfant illégitime ; une illégitimité que même le mariage de ses parents ne pourra supprimer.

Tout en faisant preuve de rigidité, le droit musulman introduit des techniques juridiques de nature à contourner les interdictions et régulariser, tant bien que mal, la situation de l'enfant illégitime. Ce dernier sera déclaré légitime, au cas où l'union est faite en méconnaissance de la loi, en vertu d'un mariage putatif ou frappé de nullité relative. A titre d'exemple, il suffit aux deux parents d'affirmer qu'en réalité, ils se sont mariés antérieurement sans témoins. L'enfant sera, alors, considéré légitime dés sa naissance. Il convient de noter que l'enfant illégitime ne peut mener une action de recherche de paternité au cas où le père refuse de le reconnaître.

S'agissant de la communauté musulmane tchadienne d'une manière générale et celle de N'djamena en particulier, l'UNICEF avait recommandée l'élaboration et l'adoption d'un « code de famille tchadienne » en 2005 ; code dans lequel on ne distinguera pas la situation de l'enfant naturel de celle de l'enfant légitime. Cette proposition n'a pu être concrétisée par le simple fait que la communauté musulmane s'est mobilisée comme un seul homme par le biais de l'Association des Cadres Musulmans Tchadiens (ACMT) pour marteler que l'islam, distingue la situation de l'enfant naturel qui est le fruit d'une relation impure, maudite par le créateur, de celle d'un enfant conçu dans le mariage donc pur et béni par le Tout Puissant. Les musulmans restent rigoureux là-dessus et ne sont pas prêts à céder. Ce projet a échoué parce qu'il va à l'encontre des lois confessionnelles d'une communauté majoritaire dans ce pays. L'on doit comprendre par là la fonction que joue le mariage dans cette société et la vie difficile que doit mener un enfant né hors mariage.

IV- LA VIE DE L'ENFANT NATUREL

Etre un enfant sans père, il n'y a pas douleur plus profonde, désarroi plus grand, tristesse plus corrosive. Précarité matérielle et vulnérabilité, isolement et éloignement, l'enfant naturel est marqué à jamais dans sa vie.

A- précarité matérielle et vulnérabilité

Pris en charge par sa mère, qui très souvent ne dispose d'aucune autonomie financière susceptible de lui donner une visibilité sur la gestion de leur quotidien en cours et moyen terme, le couple mère enfant dépend d'aléas sur lesquels il n'a aucune maîtrise.

Pour les mères qui travaillent, les secteurs dont elles dépendent ne leur offre aucune stabilité matérielle. Elles vivent au jour le jour avec de petit métiers informels (femmes de ménage, vendeuses ambulantes) et très souvent de la prostitution. Cette précarité matérielle caractérise leur vulnérabilité.

Exclus, marginalisés, isolés, les bâtards sont appréhendés comme faisant partie des populations les plus vulnérables. En effet dépourvus de moyens de subsistance pour ceux dont les mères ne travaillent pas et ne bénéficient d'aucune forme d'aide ou de soutien, ils sont exposés à la rue, à la mendicité et à une prostitution précoce pour les filles.

Sales, avec des habités déchirés et surtout sans éducation de base, ces enfants sont isolés et s'éloignent de la société.

B- Isolement et éloignement

Conséquence sociale de son statut, l'isolement est aussi psychologique que social. Isolé de la famille en tant que membre, méprisé et traité de tous les mots ; l'enfant naturel vit isolé et éloigné du réseau de parenté et de voisinage dont bénéficient naturellement les enfants. L'isolement du cercle familial et social, constat amer, souvent évoqué dans le discours, découvre l'une des facettes du vécu de l'enfant.

L'éloignement paraît revêtir la forme d'une auto-exclusion, effectuée par l'enfant et exercée contre lui-même. Il se dérobe ainsi du regard de l'entourage et des proches. Il évite tout contact avec ses congénères, qui d'ailleurs se soldent très souvent par des injures, des bagarres et des pleurs. Et dans ces situations de conflit, l'on s'en prend toujours à cet enfant qui n'a que sa mère pour le défendre ; elle qui d'ailleurs n'est pas à l'abri des injures et des moqueries. L'on voit en cet enfant l'incarnation du diable qui ne peut que nuire aux autres. «  Ce bâtard là est impossible » ou encore «  comme si ça ne lui suffisait pas qu'on s'occupe d'elle ; il a fallu qu'elle fasse un bâtard pour déranger les gens », « retiens ton bâtard de fils ». Ces expressions rythment le quotidien de l'enfant et de sa mère, et ces phrases ont l'art de blesser, et surtout d'inciter à la révolte ; une révolte qui s'affirme par la violence qui conduit très souvent au drame. Insulté, marginalisé l'enfant naturel ne peut s'épanouir et est marqué à jamais.

C- Devenir des enfants marqués à jamais

Cette différenciation homme/femme marquant les rapports dans la société va apparaître au niveau du discours porté par les mères célibataires et sur le quotidien de l'enfant naturel. L'itinéraire de ce dernier va être défini au niveau de l'imaginaire, par son appartenance ou son identité (sexe).

La fille, facile et obéissante au niveau de l'éducation, ne présentera pas les mêmes difficultés qu'un garçon et sera dans la bienveillance. Une fille est surtout « hanouna », c'est-à-dire dotée de « coeur » : ce qui transparaît dans les expressions telles que : « Gentille, elle comprendra, une fois grande... », « Une fille pourra avoir de la compassion et du coeur », « À une fille, tu peux tout dire et tout raconter de ce que tu as enduré, et elle comprendra et pardonnera... ».

Compassion, compréhension, gentillesse, acceptation du passé de la mère, soutien de la mère...telles sont les projections des mères célibataires à l'égard de leurs progénitures féminines. Plusieurs paramètres entrent en compte en faveur de la fille et font que la société est indulgente vis-à-vis d'elle.

Les filles d'une manière générale dans cette société sont à l'abri de la cruauté quotidienne. Tout se passe pour elles à l'intérieur de la maison donc en famille. Elle est plus facilement acceptée que le garçon. Une fois mariée ; elle mènera une vie plus ou moins normale. Vu que ses enfants prendront le nom de leur père, sa situation de « bâtarde » n'a pas de conséquences sur eux. La société ne voit pas mal le fait qu'un homme ayant le statut d'un enfant légitime prenne une épouse « bâtarde ».

Mais cette situation n'est possible que dans le cas où le couple mère -enfant a l'avantage d'avoir une assistance financière quelconque, où la mère a un emploi qui lui permet de subvenir aux besoins quotidiens. Dans le cas contraire, l'on s'attend à une répétition du phénomène. La précarité matérielle pousse cette fille à la rue, à la prostitution ; une nouvelle proie à la bâtardise.

S'agissant du garçon, l'optimisme qui marque le discours relatif aux filles cède la place à un grand pessimisme par rapport à leur futur. La relation (leur mère et la société) aux garçons est connotée négativement de manière dominante et l'évolution des rapports entretenus aboutira en définitive à la rupture. Le garçon investit assez jeune l'espace extérieur (la rue), échappe assez tôt à l'emprise affective de la mère et se trouve confronté à la dureté de la rue et les gens qui lui renverront une image négative de lui-même et de sa mère.

Il connaîtra ainsi seul, un jour, la vérité de sa condition en dépit du secret entretenu. Même révélée à l'enfant, la vérité n'arrivera pas à le protéger ni à le concilier avec son histoire et l'adolescence avec ses périls de délinquance sera le moment le plus dangereux. Une haine dirigée vers la mère, son père (s'il le connaît) et son entourage s'installe. Il en veut à toute la société qui d'ailleurs a été hostile avec lui. Sous l'influence de l'alcool, de la drogue, il va jusqu'à battre sa mère ou au pire l'assassiner. Son père court le même risque. Il s'autodétruit, en anéantissant une mère responsable de son « existence /délit ».

La société se montre moins indulgente quand il s'agit d'un garçon. Cette situation de bâtardise se répercute sur les enfants qu'il peut engendrer. L'on fait savoir à ces enfants que leur père est bâtard, donc ils descendent d'une lignée impure. Ce qui n'est pas sans conséquences sur le quotidien de ces enfants et de leur mère. Cela explique la difficulté d'un enfant naturel d'avoir une femme, du moins une femme issue des parents mariés. La société voit comme une injure qu'un bâtard ose venir demander la main d'une fille légitime. C'est d'ailleurs souvent l'occasion de rappeler à cet enfant les circonstances honteuses de sa naissance. Il serait, aux yeux de la communauté plus humble pour lui de prendre une épouse se trouvant dans la même situation que lui ; ce qui une fois de plus fait de lui un objet d'opprobre. Mais à observer de plus près, l'on se rend compte qu'il arrive que la société change son discours ou moins l'améliore à l'égard de cet enfant. Il est possible que malgré toutes les difficultés endurées pendant son enfance, que cet enfant réussisse dans la vie et surtout sur le plan matériel. Dans ce cas, il arrive très souvent qu'il soit réintégré dans la famille et par là dans la société. Son père qui ne l'avait pas reconnu, le reconnaît ; la société ne fait pas de lui un enfant légitime certes, mais évite de lui rappeler sa situation de « bâtard » du moins devant lui, pour gagner sa sympathie. Il peut se trouver une femme sans que l'on prenne en compte son statut. L'avoir lui permet de « racheter » sa dignité. Cela montre la fonction que peut jouer l'argent dans cette société en particulier et de toutes les sociétés en général.

Telles sont les réalités contenues dans un vécu de prévisions sociales et dispositions légales qui définissent le destin de ceux qui proclament leur innocence, réclament une reconnaissance, enfants naturels en quête d'un nouveau refuge du droit, requêtes de ces enfants pour une vie meilleure qui reste encore un voeu pieux. Cette observation nous permet de déterminer une multitude de facteurs prépondérants, clairement identifiés, à l'origine de la situation de bâtardise.

V- FACTEURS A L'ORIGINE DE LA BATARDISE

Ces facteurs peuvent être éducatifs, sociaux, économiques et psychoaffectifs.

A- Les facteurs éducatifs

Les facteurs éducatifs jouent une fonction non négligeable liée à la bâtardise. Par éducation, l'on fait allusion à «  l'apprentissage social » ; c'est le fait que « la société transmet des règles de conduite approuvées au jeune enfant à travers les autres et à travers certaines institutions. »9(*) et l'individu est le reflet de son éducation. S'il est en conformité avec les normes de la société, il est bien éduqué et s'il est en désaccord avec ces normes, il ne l'est pas. L'éducation a pour but de le redresser et de lui apprendre la bonne façon de se conduire. De ce fait, si l'on considère que le fait d'avoir d'enfant en dehors du mariage va à l'encontre des normes de la société ; nous pouvons affirmer, que l'auteur de ce délit n'est pas bien éduqué. Ce phénomène touche beaucoup plus les filles analphabètes et aussi celles qui ignorent tout de la sexualité. La plupart de ces filles tombent enceintes très jeunes ; elles adhèrent à la vie sexuelle sans en connaître les tenants et les aboutissants. Et la grossesse est souvent au rendez-vous. La sexualité en Afrique d'une manière générale, et dans la société musulmane de la ville de N'djamena en particulier, est un fait tabou. L'on n'en parle pas n'importe comment et avec n'importe qui, moins encore avec son enfant. Or, en ignorant tout du sexe, ces filles sont plus vulnérables et ne peuvent éviter les conséquences indésirables qui ne jouent qu'en leur défaveur. En plus de ces facteurs, il y'a aussi les facteurs sociaux.

B- les facteurs sociaux

Des éléments tels que l'exode rural, le milieu social peuvent contribuer à la prolifération de la bâtardise.

Les filles venant des zones rurales constituent des proies faciles pour les citadins. Naïves et surtout à la recherche du bien être, elles succombent facilement à la tentation et se retrouvent enceintes.

Le milieu dans lequel vit la fille peut être un facteur stimulateur. Il y'a ici le phénomène d' « influence du milieu » c'est-à-dire le poids qu'exerce le « milieu social » sur l'individu et change sa perception. Les facteurs économiques ne sont pas du reste.

C- les facteurs économiques

La précarité matérielle incite les jeunes filles à livrer leur corps pour avoir en contre partie une rémunération. Le statut professionnel de « filles domestiques », marchand ambulant...les expose à des propositions indécentes mais qui ont l'air intéressant. Issues des couches sociales fragiles, elles ne peuvent que céder.

La misère, la pauvreté incitent les filles à se prostituer et par ricochet à concevoir. Elles s'offrent à ceux ou celui qui peut leur offrir de quoi subvenir à leurs besoins. Cette situation n'est pas spécifique aux couches sensibles. Les filles issues des couches sociales moyennes et mêmes aisées ne résistent pas à la tentation de l'argent facile. En plus de ces phénomènes, nous pouvons ajouter aussi les relations  «  copains copines » ou encore les « amourettes » que tissent garçons et filles au lycée ou au quartier qui peuvent aboutir à des grossesses. D'autres facteurs tels que les facteurs psychoaffectifs peuvent contribuer à l'avènement de ce genre de situation.

D- les facteurs psychoaffectifs

Le phénomène de fille mère est plus récurent chez :

- les filles issues de l'abandon, elles n'ont aucune éducation de base, aucune influence parentale. Elles vivent sans éthique de la vie, moins encore de la sexualité ;

- filles de père et/ou mère décédés, en perdant l'un de ses parents ou les deux, ces filles bénéficient des marges de liberté qui peuvent les conduire à la débauche ;

- les filles issues d'une mère bâtarde, vu son statut, la « bâtarde » n'a de compte à rendre à personne, moins encore à sa mère ;

- les filles issues d'un couple divorcé, le divorce n'est pas sans conséquences sur les enfants, et surtout la fille. La déstabilisation de la famille va contribuer à la déstabilisation de l'éducation de la fille.

Ces facteurs qui se renforcent les uns les autres préfigurent le profil présent et futur de ces populations vulnérables.

CONCLUSION

Rejeté, exclu ou même raillé, l'enfant naturel porte, durant toute sa vie, la marque indélébile des circonstances honteuses de sa naissance ; sa présence au sein de la famille constituant une preuve de l'infamie et du déshonneur. Dissimulé ou abandonné, il subit les sanctions iniques d'un crime qu'il n'a pas commis, les dispositions défavorables du droit commun et des lois confessionnelles.

Devant tant d'injustice et de détresses, nous avons observé de plus prés ce phénomène social ; et il est évident que si la condition de la naissance était en notre pouvoir, chacun naîtrait non seulement d'une couche légitime, mais d'une tige illustre et glorieuse. Mais indépendamment de notre volonté, nous naissons, les uns sous le chaume d'une vile cabane, les autres sous le lambris d'un superbe palais ; les uns sous la loi d'un mariage légitime, les autres sous la licence d'une conjonction réprouvée. De ce fait ne faudrait-il pas revoir la situation de ces enfants qui d'ailleurs n'ont commis aucun péché de naître d'un couple non marié ; mais qui subissent les conséquences d'un délit qu'ils n'ont pas commis plus que les auteurs eux-mêmes? Telle est la triste réalité de ces enfants, et telle la résultante d'une norme violée. Une norme qui remplit une fonction bien définie.

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SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES

- Abou Baker Jabeur Jazairi, La voie du musulman, Paris, ASLIM édition, 1986, 570 pages.

- Béatrice Barbusse, Dominique Glayman, Introduction à la sociologie, Paris, Edition Foucher, 2000, 224 pages.

- Convention européenne sur le statut juridique des enfants nés hors mariage, série de traités européens, numéro 85, Strasbourg, 1975.

- Etude sur les mères célibataires et les enfants nés hors mariage dans la wilaya de Casablanca, 2002, UNFPA, UNIFCM, UNICEF.

- Mendras Henri, Elément de sociologie, Paris, Armand Colin-collection U, 1975,262 pages.

- Madeleine Grawitz, Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 2001, (11ème édition), 1019 pages.

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* 1 Béatrice Barbusse, Dominique Glaymann, Introduction à la sociologie, Paris, Foucher, 2000, p.113.

* 2 Mendras henri, Elément de sociologie, Paris, Armand Colin-collection u, 1975, p.100.

* 3 Madeleine Grawitz, Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 2001 (11ème édition), p.643

* 4 « farakh »veut dire « bâtard » en arabe locale.

* 5 Fiche d'actualité scientifique

* 6 Abou Baker Jabeur Jazairi, la voie du musulman, Paris, Aslim édition, 1986, p.485

* 7 Idem : p.485

* 8 Idem : p.485

* 9 Mendras Henri, Elément de sociologie, Paris, Armand Colin- collection U, 1975, p.29.






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