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Les OGM face à la question de la sécurité alimentaire: controverse et dilemme

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par Jean-Paul SIKELI
Université Cocody Abidjan en partenariat avec le Centre de Recherche et d'Action pour la Paix - DESS droits de l'homme 2005
  

Disponible en mode multipage

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Titre:les biotechnologies modernes à l'épreuve des droits de l'homme:les OGM face à la question de la sécurité alimentaire, dilemme, controverses et contrastes.

INTRODUCTION

Considéré comme un droit fondamental de l'homme, le droit à l'alimentation ou à la nourriture jouit d'une certaine préséance et d'un certain prestige tant il fait l'objet d'une importante consécration juridique au plan international et au plan interne des Etats. Cependant, cette reconnaissance textuelle ou formelle contraste fortement avec la réalisation effective de ce droit. En effet, bien que la communauté internationale ait fréquemment réaffirmé l'importance du respect intégral du droit à l'alimentation, il se trouve que, entre les normes énoncées et la situation qui règne dans de nombreux pays du globe, l'écart reste préoccupant. Plus de huit cent cinquante quatre millions de personnes à travers le monde, pour la plupart dans les pays en développement, souffrent chroniquement de la faim. Des millions de personnes sont en proie à la famine par suite de catastrophes naturelles, de la multiplication des troubles civils et des guerres dans certaines régions. Ce tableau déjà sombre de la situation alimentaire mondiale se trouve davantage assombries par les prévisions des démographes qui estiment que dans les trente ou cinquante années à venir, la population du globe aura augmenté de deux à trois milliards d'habitants, et quatre vingt quinze pour cent de ceux-ci vivront dans les pays en voie de développement.

Depuis les années soixante dix, les préoccupations de l'humanité en matière d'alimentation se sont accrues, favorisant ainsi l'émergence du concept nouveau de sécurité alimentaire. La sécurité alimentaire en tant que concept englobant, commande d'assurer l'accès à une alimentation suffisante, saine et de qualité. Comment alors garantir cette nécessité vitale? Telle est la grande équation qui devra impérativement être résolue, au risque de rendre illusoire la jouissance des autres droits, et donc compromettre tous les acquis et ruiner tous les espoirs de l'humanité.

Comme le fait si bien remarquer le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, la sécurité alimentaire est indissociable de la dignité intrinsèque de la personne humaine et est indispensable à la réalisation des autres droits fondamentaux consacrés dans la charte internationale des droits de l'homme.

Les politiques entreprises jusque-là au niveau des instances gouvernementales et même à l'échelle internationale, en vue de résorber le déficit alimentaire, n'ont pas connu le succès attendu. Les espoirs qui ont été suscités par le passage d'une agriculture biologique à une agriculture conventionnelle à l'ère de la révolution verte se sont heurtés à la rigueur de la réalité dans la mesure où dans l'ensemble, les résultats obtenus ne sont pas à la hauteur des attentes de l'humanité en matière d'alimentation. Dans cette recherche quelque peu désespérée de solutions, certains esprits pensent qu'une rupture de technologie reste la seule alternative à la catastrophe alimentaire mondiale.

C'est dans ce contexte sur fond de crise que les biotechnologies modernes notamment les Organismes Génétiquement Modifiés ou OGM font leur irruption dans le débat public. Pourtant, le rapport des OGM à la sécurité alimentaire de façon spécifique et aux droits de l'homme en général n'est pas du tout aisé à définir. C'est la raison pour laquelle cette technologie nouvelle se trouve au coeur d'une controverse qu'on pourrait qualifier d'épique. Débordant le cadre des laboratoires scientifiques, le débat sur les OGM prend ainsi l'allure d'une querelle idéologique qui polarise les énergies et captive les attentions. De ce point de vue, deux thèses antagonistes extrêmes semblent se livrer une lutte sans merci ; d'un côté, les pro-OGM qui pensent que seul un bond technologique prodigieux et révolutionnaire peut juguler l'actuelle crise alimentaire mondiale, brandissent les vertus messianiques de cette technologie qui, à les croire, est incontournable; de l'autre côté, les anti-OGM, farouches opposants à ces « aliments artificiels » soulèvent les risques supposés ou réels que les biotechnologies modernes font peser sur notre humanité.

L'intérêt social du sujet réside dans son actualité. En effet alors que des populations dans certaines régions du monde notamment les pays en développement souffrent d'un accès difficile à la nourriture, le risque d'intoxication alimentaire n'a jamais paru aussi élevé dans les pays développés. Encéphalopathie Spongiforme bovine (ESB) communément appelée maladie de la « vache folle », maladie de Creutzfeldt Jakob, forme humaine de la « vache folle », fièvre aphteuse, et aujourd'hui grippe aviaire. Toutes ces maladies liées à l'alimentation nous invitent à nous intéresser de plus près à la question du rapport OGM / sécurité alimentaire. Ces inquiétudes sont d'autant plus justifiées qu'elles dessinent en filigrane les droits des consommateurs. Les débats autour de la dialectique OGM / sécurité alimentaire traduisent au fond une différence de représentations entre les différentes couches de la société. Par exemple, alors que les consommateurs font une nette distinction entre les aliments donnés aux animaux et ceux qui aboutissent dans leurs assiettes, les professionnels de l'alimentation raisonnent en termes de nutriments. Les profanes quant à eux effectuent des catégorisations des espèces animales en distinguant les carnivores et les herbivores quand les zootechniciens et les vétérinaires situent leur catégorisation au niveau des protéines.

Le génie génétique est considéré par beaucoup comme une transgression des lois de la nature, comme une pratique de sorciers, qui induisent forcément des conséquences néfastes. Face aux raisonnements parfois froids des professionnels, des scientifiques et des politiques qui parlent de faibles probabilités des risques, les réactions des consommateurs généralement exprimées avec une profonde émotion traduisent bien le très grand fossé. Ce que les consommateurs considèrent comme normal c'est-à-dire conforme à leur système de valeurs est nettement divergent des normes et des règles existantes auxquelles se réfèrent les professionnels et les responsables politiques. Dans ce débat sur les OGM d'autres interrogations non moins légitimes suscitent l'intérêt du public. Les risques sur l'environnement et la biodiversité, l'hypothèque du droit à la souveraineté alimentaire, et celui des communautés villageoises insidieusement entretenue à travers la mainmise des multinationales sur le commerce des semences et les droits de propriété intellectuelle, les questions éthiques et religieuses soulevées par la recombinaison d'ADN dans la fabrication in vitro des OGM et le brevetage du vivant ...sont autant de préoccupations qui n'ont pas encore trouvé de réponses satisfaisantes. Dans cet océan de doutes, de craintes persistantes et d'incertitudes croissantes, la confrontation des vues reste la seule arme de lutte des différents acteurs sociaux.

D'un point de vue scientifique et académique, la présente étude est une modeste contribution à la matière des droits de l'homme considérée comme la fondation de notre humanité. La richesse du débat réside dans le fait que le sujet rapproche deux notions qui sont a priori inconciliables. A y regarder de près les OGM et les droits de l'homme se disputent un même terrain de prédilection, celui de l'interdisciplinarité. Discipline des sciences sociales matrice par excellence, les droits de l'homme considérés comme des prérogatives attachées à la personne humaine et intangibles par nature, jouissent de l'avantage d'être à l'interface de toutes les disciplines.

Comme nous l'avons indiqué un peu plus haut, les enjeux des OGM regardent la société en différents aspects: enjeux scientifiques, alimentaires et sanitaires, enjeux écologiques ou environnementaux, enjeux politiques et économiques, enjeux éthiques, philosophiques et religieux. Le sujet fonde ainsi dans un même moule deux notions qui atteignent l'homme dans sa double dimension, corps et esprit.

Cette situation montre bien pourquoi le débat sur les OGM a déchaîné autant de passions dans le cercle des universitaires, des intellectuels, des spécialistes et autres écrivains qui n'ont pas renoncé à leur droit naturel d'écrire. L'abondante littérature qui s'est construite autour de la question sensible des OGM est en fait à la mesure de tout l'intérêt qu'on accorde à cette technologie, véritable phénomène de société. Dans une vision simpliste des choses, les lectures auxquelles nous nous sommes adonnées, montrent bien que deux principales tendances se neutralisent dans le débat sur les OGM. C'est pour l'essentiel des documents spécialisés élaborés par des experts d'organismes intergouvernementaux tels que l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture ( FAO) et certaines fédérations paysannes et Organisations non gouvernementales (ONG) telles que l'Institut Africain de Développement Economique et Social (Inades-formation), lieu de notre stage académique. Pour la circonstance l'ensemble des ouvrages mis à notre disposition dans le cadre du stage reflète bien la position de cette institution sur la question des OGM. Inades-formation qui travaille à la promotion sociale et économique des populations rurales en accordant une place toute particulière à leur participation libre et responsable à la transformation de leur société, soutient que l'utilisation des OGM à l'heure actuelle ne peut qu'être préjudiciable à tout point de vue. Dans deux ouvrages simples à la lecture et accessibles, BEDE (Bibliothèque d'échange de documentation et d'expériences), GRAIN (Genetic Resources Action International) et Inades-formation, trois organismes de développement démontrent à travers une approche très simple, comment les OGM constituent une menace vivante pour nos sociétés. Le premier ouvrage intitulé Les Organismes Génétiquement Modifiés en Afrique : comprendre pour agir traite de manière générale des différents problèmes liés à l'utilisation des OGM en Afrique tandis que le second ouvrage intitulé Les droits des communautés africaines face aux droits de propriété intellectuelle. met en évidence de façon bien singulière les inconvénients des OGM pour le monde paysan.

Parmi les documents trouvés sur place dans les locaux de Inades-formation et qui brisent l'enthousiasme créé par l'avènement des biotechnologies modernes, on citera de façon toute particulière, Le plaidoyer en faveur d'un monde soutenable sans modification génétique, document conçu par le Panel pour une science indépendante. Ce manuel s'évertue à discréditer les OGM qu'il appréhende comme de la simple poudre aux yeux. Il met en évidence de façon assez virulente les problèmes et les risques liés aux plantes génétiquement modifiées et met en avant les nombreux atouts de l'agriculture durable pour la sécurité alimentaire. Toujours dans le même esprit, on citera également La piraterie des ressources biologiques ou biopiraterie en Afrique, document assez pessimiste quant à la situation actuelle de l'Afrique face au problème de brevet sur des organismes vivants modifiés génétiquement et exportés hors de leur environnement vers les laboratoires des sociétés multinationales où ils perdent la majeure partie de leurs constituants.

On n'oubliera pas d'évoquer Le commerce de la faim, ouvrage d'ordre général dans lequel l'auteur, John MADELEY dénonce l'actuel système commercial international gouverné par l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) qui subordonne un besoin fondamental de l'homme - se nourrir - aux froides règles de la philosophie libre-échangiste. Il démontre ainsi comment la sécurité alimentaire a été sacrifiée et continue de l'être sur l'autel du libre-échange. Les Organismes Génétiquement Modifiés participeraient de ce paysage laid, cruel et inique de la mondialisation. Enfin, les colonnes du quotidien français Le monde diplomatique d'avril 2006 ont été largement consacrées aux OGM. Plusieurs articles abordent cette question sous l'angle des risques, des dangers, des périls et de la menace qui

pèsent sur notre planète relativement à l'utilisation des biotechnologies modernes.

A l'opposé, certains documents vantent les mérites des OGM : il s'agit en partie, de documents conçus par l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO). Par exemple dans son rapport sur la situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 2003 / 2004 intitulé Les biotechnologies agricoles, une réponse aux besoins des plus démunis?, la FAO estime que le problème de la sécurité alimentaire dans le monde ne trouvera de réponse efficace qu'en étant circonscrit dans le «cercle vertueux» de l'accroissement de la productivité, de l'amélioration des niveaux de vie et de la croissance économique. La révolution génétique serait un maillon essentiel de cette chaîne sociale.

Dans un document scientifique intitulé Mythes populaires concernant la sécurité sanitaire des aliments et de l'environnement en relation avec les plantes cultivées GM, le Centre Mondial de Connaissances sur la Biotechnologie des Plantes Cultivées présente les conclusions d'une enquête sur les OGM. La Commission Royale néo-zélandaise auteur des recherches entreprises marquait son enthousiasme pour le génie génétique quand elle affirmait que « les modifications génétiques représentent une promesse exceptionnelle non seulement pour vaincre les maladies, éliminer les pestes et contribuer aux économies du savoir mais aussi pour augmenter la compétitivité internationale du secteur primaire...».

La méthodologie utilisée dans ce document a consisté à détruire par des preuves scientifiques tous les arguments qui discréditent les biotechnologies modernes.

Devant cet enlisement sans issue qui présage des lendemains incertains sur la question des OGM, laquelle oppose même les scientifiques entre eux, Jean-Paul OURY dans La querelle des OGM nous invite à prendre du recul sur un sujet brûlant d'actualité. Etude des controverses scientifiques, analyse du suivi médiatique, réflexion philosophique et juridique, l'ouvrage en question permet d'envisager le sujet autrement que sous le prisme déformant de l'idéologisation croisée nourrie à la sève d'intérêts divergents .

Si le débat sur les OGM fait couler autant d'encre et de salive au point d'ameuter toutes les couches de la société, c'est parce qu'il est avant tout soutenu par une problématique.

La problématique soulevée par le phénomène des biotechnologies modernes prend tout son sens au regard de la question cruciale de la sécurité alimentaire en tant que droit fondamental de l'homme. Bien évidemment, à partir des données en notre possession, il s'agira pour nous d'examiner si les OGM peuvent constituer une réponse efficace au problème de l'alimentation dans le monde. Quelque complexe qu'elle soit, la problématique ainsi posée ne nous oblige pas à y répondre de façon péremptoire, au risque de se voir catégoriser de pro- ou d'anti-OGM. Mais il serait peut-être encore plus difficile de nous dérober honnêtement à cette tâche qui est aussi la nôtre, c'est-à-dire la recherche inconditionnelle de la vérité par la confrontation des thèses en présence. N'est-il pas vrai que, c'est la contradiction qui enfante la vie et la fait éclore? La recherche de la vérité passe inéluctablement par l'épreuve du feu; voilà pourquoi il nous paraît tout indiqué de faire passer les thèses en présence au crible de la critique intellectuelle. C'est à ce prix seul que le débat sur les OGM sera fécond.

Toutefois on doit avouer que le débat sur les OGM réduit à la seule question de l'alimentation ne nous livre qu'une vision à la fois fragmentaire, parcellaire et partielle des nombreux enjeux qui découlent de l'utilisation des biotechnologies modernes; aussi faudrait-il tenir compte des rapports que les OGM entretiennent avec les droits de l'homme tout court. La délicate question qui en résulte est de savoir si les OGM respectent les autres droits de l'homme à l'instar du droit à l'alimentation qui fera l'objet d'un examen préalable, en principal.

Le sujet tel que pensé impose d'emprunter l'approche interdisciplinaire. Le droit, la sociologie, l'histoire, la science, la philosophie, l'éthique et la morale, aucun de ces domaines n'échappe à la matière des droits de l'homme. Bien que n'étant pas de formation sociologue, l'esprit sociologique devra nous habiter dans la conduite du débat pour éviter ce qu'il est convenu de considérer comme les pièges tendus à la recherche de la vérité: il s'agit du sens commun ordinaire et de l'abstraction. En tant que phénomène social, les OGM mériteraient d'être saisis par la méthode sociologique qui consiste, d'un côté à éviter les apriorismes non éprouvés et infondés, de l'autre côté à verser dans un excès de théorie sans lien avec la réalité. Pour ce faire une enquête à petite échelle sera menée dans notre environnement immédiat pour analyser les différentes perceptions que les Ivoiriens ont des OGM.

Les hypothèses émises devraient pouvoir nous situer sur le degré de connaissance des Ivoiriens sur les enjeux des biotechnologies modernes et leur approche du sujet.

Face à aux incertitudes liées à l'utilisation des OGM, le droit apparaît comme un instrument de contrôle des risques biotechnologiques. L'étude appelle donc à l'examen des différents textes organisant la biosécurité. Pour la circonstance il s'agira pour nous de faire une lecture de quatre textes principaux : le Protocole de Carthagène, les deux lois modèles africaines, et le cadre de biosécurité en Côte d'Ivoire.

Afin de tenter de répondre aux différents problèmes que pose le sujet, l'étude mettra en évidence dans une première partie, la controverse qui se fait jour autour de la dialectique OGM / sécurité alimentaire (Première partie) pour ensuite dépasser cette controverse, en abordant les autres enjeux des biotechnologies modernes ( Deuxième partie ). Mais bien avant, il faudra définir les différents notions et concepts qui intéressent l'étude. (Chapitre préliminaire)

CHAPITRE PRELIMINAIRE : APPROCHE CONCEPTUELLE ET HISTORIQUE

Les concepts de biotechnologies modernes et de sécurité alimentaire relèvent d'un certain mystère pour le commun des mortels. Le mystère qui les entoure procède à la fois de leur technicité et de leur irruption très récente dans le débat public. Mais à quoi peuvent-ils bien correspondre ? Pour comprendre le sujet dans ses subtilités, il importe de préparer le lecteur à la compréhension des différentes notions. Le présent chapitre qui y sera consacré est une sorte de voyage initiatique qui nous conduira d'une part à définir les différents concepts et d'autre part à en faire un bref historique.

Section 1 : Définition des notions et concepts

Il s'agira pour nous de tenter de donner des définitions satisfaisantes aux différentes notions ; On procédera arbitrairement à une définition de la notion de biotechnologies modernes d'abord, après quoi on en fera de même pour la sécurité alimentaire.

Paragraphe 1 : La notion de biotechnologies modernes

La notion de « biotechnologie moderne » commande de définir au préalable celle plus

Simple de « biotechnologie ». Selon le dictionnaire Le Petit Larousse illustré, la biotechnologie est la « technique visant à provoquer et à diriger, en laboratoire, des bioconversions, en vue d'en préparer l'utilisation industrielle ». Cette définition quelque peu complexe qu'elle soit, commande de définir des notions connexes telles que la bioconversion. La bioconversion est « la transformation d'une substance organique en une ou plusieurs autres par l'action des micro-organismes ».

Cette première définition se trouve modifiée dans la mesure où la biotechnologie ou biotechnique y est désormais définie comme la « technique produisant par manipulations génétiques des molécules biologiques ou des organismes transgéniques, en vue d'applications industrielles (agroalimentaire, pharmacie, chimie...) »

A l'analyse, les différentes définitions obtenues rendent plus compte des biotechnologies modernes. En effet l'emploi des termes comme « laboratoire », « manipulations génétiques » ou « organismes transgéniques » renvoie tout de suite à l'idée d'Organismes Génétiquement Modifiés ou OGM qui ne sont qu'un aspect des biotechnologies. Sans pour autant les récuser, il faut quand même reconnaître que ces définitions ignorent en réalité l'utilisation de la biotechnologie par les sociétés traditionnelles. Or il est établi que, les sociétés traditionnelles y ont également recours. En effet, en Afrique par exemple, la biotechnologie mobilise le vivant dans le processus de fabrication de plusieurs substances alimentaires. C'est le cas de la fermentation du lait pour la fabrication des fromages, de la farine de blé pour le pain, du maïs pour la bière traditionnelle, du manioc pour la fabrication du couscous traditionnel...de ce point de vue, la biotechnologie doit être comprise comme la technique ou le procédé par lequel le vivant est transformé. D'ailleurs le mot « bio technologie » est assez révélateur dans la mesure où il est formé de deux principales particules qui le caractérisent. Il s'agit notamment de « bio » qui fait référence à la vie et donc au vivant et de « technologie » qui est l'ensemble des savoirs et des pratiques, fondé sur des principes scientifiques dans un domaine technique. Le mot « technologie » désigne également les moyens matériels et organisations structurelles qui mettent en oeuvre les découvertes et les applications scientifiques les plus récentes. On oppose habituellement « biotechnologies traditionnelles » à « biotechnologies

modernes. » Les biotechnologies modernes permettent, à partir d'êtres vivants naturels, de créer des organismes vivants artificiels, alors que dans l'autre cas, c'est-à-dire celui de la fermentation, processus habituel des biotechnologies traditionnelles, on utilise les propriétés de la nature.

La différence est d'autant plus marquée que les biotechnologies modernes donnent lieu à la création artificielle d'organismes vivants ou OGM, ce qui n'est pas nécessairement le cas dans l'autre procédé.

Ainsi la naissance de la transgenèse en tant que science apparaît-elle intrinsèquement liée à l'avènement des Organismes Génétiquement Modifiés (OGM). De ce point de vue, la définition des OGM permettra de mieux comprendre la conception des biotechnologies modernes.

Au plan juridique, une définition assez intéressante nous est fournie par la directive européenne 90/220 rectifiée par la directive 2001/18. On y entrevoit les OGM comme des organismes dont le matériel génétique a été modifié d'une manière qui ne s'effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle. La définition légale montre bien que les OGM ne résultent pas d'un procédé naturel. Bien au contraire ils procèdent d'un processus scientifique assez complexe qu'il convient d'expliquer simplement. Comme le reconnaît Hervé le GUYADER, spécialiste de biologie de développement à l'Institut National de Recherche Agronomique (INRA) en France, l'OGM est une « molécule artificielle fabriquée de la main de l'homme... ».

Les OGM ou Organismes Génétiquement Modifiés sont des êtres vivants (plantes, animaux ou microorganismes) dont le patrimoine héréditaire a été modifié en laboratoire. Les modifications génétiques permettent à une plante, à un animal ou un microorganisme d'exprimer un caractère qu'il ne possédait pas naturellement. On dit que ces organismes ont été génétiquement transformés parce que des éléments étrangers porteurs du caractère désiré ont été intégrés dans leur patrimoine génétique. Le processus de modification s'appelle la manipulation génétique. La manipulation ainsi réalisée porte sur le gène de la plante, de l'animal ou du microorganisme. L'objectif réel recherché par la transgenèse est d'introduire un ou plusieurs gènes étrangers spécifiques dans le matériel génétique d'une plante ou d'un animal de telle sorte que l'organisme en question présente des caractéristiques nouvelles. La fabrication des OGM a été rendue possible grâce aux progrès considérables des techniques de biologie moléculaire au cours du dernier quart du siècle passé. Le génie génétique permet d'intervenir directement sur la molécule d'ADN (acide désoxyribonucléique), support de l'information héréditaire pour l'ensemble des êtres vivants. La capacité d'isoler des gènes et de les transférer d'une espèce à une autre permet de produire des organismes vivants possédant une combinaison de caractères nouveaux qui n'aurait pas naturellement existé. De ce point de vue, les OGM sont souvent présentés comme des objets scientifiques et sont restés pendant longtemps dans un débat d'experts. Or par le biais des questions soulevées de plus en plus par les mouvements écologiques, les organisations paysannes, les éthiciens et les religieux, il est apparu que les OGM appellent un profond débat social. Les enjeux touchent le développement de la société à travers des questions telles que celles liées, à la médecine, aux progrès de la science, et celle non moins importante de la sécurité alimentaire.

Paragraphe 2 : Le concept de sécurité alimentaire

Le concept de sécurité alimentaire fait de plus en plus l'objet d'un usage euphorique, tant il transparaît dans les programmes et les discours politiques, au plan international aussi bien qu'au plan interne des Etats. Cet état de choses témoigne bien du grand intérêt qu'on lui voue. Mais au fait, à quoi peut bien correspondre ce concept ?

Pour une grande partie de l'humanité, le terme de « sécurité alimentaire » est synonyme de recherche de la couverture quantitative et qualitative des besoins élémentaires en aliments et en eaux. Comme l'affirme clairement le traité des ONG sur la sécurité alimentaire, « la sécurité alimentaire, c'est avoir les moyens, en tant qu'individu, famille, communauté, région ou pays, de pouvoir satisfaire ses besoins nutritionnels sur une base journalière et annuelle. Cela comprend à la fois de n'être menacé ni par la famine ni par la malnutrition ». De cette définition, il résulte que le concept de sécurité alimentaire revêt une double dimension, l'une quantitative et l'autre qualitative. Du point de vue quantitatif, un premier facteur concerne les problèmes de production des denrées alimentaires qui ont longtemps été considérés comme la cause explicative des manifestations de la faim. Dans cette perspective, comme le notent Nicole TERCIER et Beat SOTTAS, un lien univoque est établi entre la production et la satisfaction des besoins. Ainsi que le fait remarquer Robert MALTHUS, « toute augmentation de la production alimentaire devrait conduire à la réduction de la malnutrition et de la faim ». Un second facteur est ensuite apparu prépondérant, il s'agit de l'accès aux denrées alimentaires par tous les groupes de population. La vraie question n'est pas la disponibilité totale de nourriture mais son accès par les individus et les familles. Si une personne manque de moyens pour acquérir la nourriture, la présence de nourriture sur les marchés n'est pas d'une grande consolation.

La sécurité alimentaire est aussi perçue comme la capacité des pays déficitaires ou des régions déficitaires à atteindre des niveaux de consommation souhaitables. Cette définition s'appuie sur le niveau de consommation annuelle alimentaire comme élément déterminant.

Pour la Banque Mondiale, « la sécurité alimentaire réside dans l'accès de tous les individus à tous les moments à suffisamment de nourriture pour mener une vie saine et active ». Cette autre définition lie à l'évidence la disponibilité des biens et la capacité des individus à les acquérir. Très fondamentalement, la sécurité alimentaire reste intrinsèquement attachée à l'idée d'autosuffisance alimentaire.

D'un point de vue qualitatif, la sécurité alimentaire est de plus en plus comprise comme intégrant l'hygiène et la santé publique. Au-delà donc de l'aspect quantitatif qui tient à la peur très ancienne de manquer de nourriture, du fait de la forte augmentation de la population, on peut comprendre la sécurité alimentaire dans son volet qualitatif. La première phrase de la déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire mondiale, de 1996, réaffirme, « le droit de chaque être humain d'avoir accès à une nourriture saine et nutritive conformément à une nourriture adéquate et au droit fondamental de chaque être d'être à l'abri de la faim ». Cela supposerait qu'au plan qualitatif, pour que la sécurité alimentaire existe, les aliments doivent non seulement être sains c'est-à-dire exempts de toute maladie et donc sans risque pour la santé du consommateur, mais également être riches en valeur nutritive, c'est-à-dire contenir en abondance des éléments ayant la propriété de nourrir. L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime qu'à l'heure actuelle, plus de la moitié des jeunes enfants vivant en Asie du sud souffrent de carences en protéines et en calories. Les estimations pour l'Afrique subsaharienne situent la prévalence à environ trente pour cent. Dans une telle situation la sécurité alimentaire serait compromise.

Si pour les pays les moins avancés de la planète, la sécurité alimentaire se confond à l'autosuffisance alimentaire, en revanche dans les pays à l'abri de la pénurie et de la malnutrition, ce qui est le cas de la population des pays développés, elle désigne la sécurité sanitaire des produits destinés à l'alimentation humaine. La prise en compte de la dimension sanitaire rejoint les craintes liées au productivisme agroalimentaire et les graves problèmes que celui-ci a engendrés. En effet, ces dernières années ont vu l'émergence d'un nouveau type de maladies liées à l'alimentation. Il y a que cette situation correspond étrangement à l'essor des OGM dans le monde. Serait-ce là une simple coïncidence ?

Il serait donc tout indiqué de faire un bref historique des différents termes.

Section 2 : Bref historique

Pour mieux appréhender les concepts et notions objet de notre étude, il convient de compléter les définitions précédemment fournies par un bref rappel historique. Cette section y sera essentiellement consacrée. Ainsi s'agira-t-il pour nous de faire un état des lieux des OGM dans le monde dans un premier paragraphe, puis aborder la question de l'évolution et l'élargissement du concept de sécurité alimentaire dans un second paragraphe.

Paragraphe 1 : l'état de la transgenèse dans le monde

L'avènement des OGM dans le monde n'est pas le fruit d'une génération spontanée, mais au contraire le résultat d'un long processus scientifique. Plusieurs étapes ont donc précédé l'essor des biotechnologies modernes.

-Avant la transgenèse:

1 L'amélioration génétique par sélection et par croisement : l'amélioration génétique des végétaux est pratiquée depuis très longtemps. Plusieurs siècles avant Jésus-Christ, dans la vallée de l'Euphrate, des fermiers sélectionnaient les meilleurs plants en conservant minutieusement leurs semences pour la saison suivante. La pratique de la sélection s'est transmise jusqu'aux Amériques. Par la suite s'est ajoutée une nouvelle méthode d'amélioration génétique : le croisement entre espèces proches parentes. Les techniques de

croisement se sont imposées dans le domaine agricole au XIXème siècle. La plupart des

végétaux que nous consommons aujourd'hui seraient des hybrides résultant de nombreuses années de sélection et de croisement des meilleurs descendants de plantes. Le croisement est considéré comme une technique d'amélioration génétique puisque le matériel génétique des plantes résultantes est différent des plantes souches ou plantes mères. Jusque-là, cet échange de gènes par croisement n'était possible qu'entre espèces proches parentes. Ce n'est que beaucoup plus tard que l'amélioration génétique entre espèces éloignées sera réalisée par le biais de la transgenèse.

2 La découverte de la structure de l'ADN

La molécule d'acide désoxyribonucléique ou ADN est au centre de la transgenèse. Incluse dans chaque cellule de la majorité des êtres vivants, elle contient les éléments d'informations nécessaires à l'accomplissement de diverses fonctions des cellules de l'organisme. Cette longue molécule est divisée en milliers d'unités nommées « gènes ». Ce sont les gènes qui sont transférés d'une espèce à l'autre lors d'une modification génétique par

trangenèse. En 1944, Oswald Théodore AVERY et ses collaborateurs, les scientifiques canadiens Colin MACLEOD et Maclin Mc CARTY font la preuve que l'ADN porte les éléments d'informations nécessaires au maintien de la vie. Puis en 1953, James Watson et Francis Crick parviennent à dévoiler la structure à double hélice de l'ADN. Cette découverte est d'autant plus importante, qu'elle permettra ultérieurement, de comprendre le fonctionnement de cette molécule fondamentale.

3 L'universalité de l'ADN

Dans les années 60, l'universalité du code génétique est démontrée. Les scientifiques cumulent les preuves que la molécule d'ADN est présente chez la majorité des êtres vivants et que son mode de fonctionnement est universel. En fait les différences que l'on observe d'une espèce à une autre sont le résultat de variations dans la disposition des composantes de l'ADN.

4 Franchir la barrière des espèces

La découverte de l'universalité de l'ADN et de son fonctionnement a permis aux scientifiques d'envisager qu'un gène de n'importe quelle espèce puisse être ajouté et fonctionner chez n'importe quelle autre espèce. A l'époque, cette idée défiait l'imagination et ouvrait la porte à un éventail de nouvelles possibilités d'amélioration génétique notamment chez les plantes cultivées.

- La naissance de la transgenèse

5 Les premiers OGM

Les années 70 marquent probablement la naissance des premiers OGM. Une première transgenèse est réalisée en 1973 lorsqu'un gène d'amphibien est inséré dans l'ADN d'une bactérie. En 1978, un gène codant pour l'insuline est introduit dans la bactérie Escherichia Coli afin que cette dernière produise de l'insuline humaine. En 1983, le Canada autorise la production commerciale d'insuline à partir de l'Escherichia Coli génétiquement modifiée. Aujourd'hui, cette insuline est utilisée dans le traitement du diabète.

6 Les années 80 et le développement d'une technique d'insertion chez les végétaux

La technique la plus fréquemment utilisée pour accomplir une transgenèse chez les végétaux est le transfert du gène par l'entremise d'une bactérie du sol appelée agrobacterium tumefaciens. Cette bactérie est utilisée comme véhicule du gène d'intérêt, cest-à-dire, le gène précisément recherché pour ses propriétés. C'est dans les années 80 que des chercheurs comprennent comment cette bactérie a la capacité de transférer son ADN dans le matériel génétique de certaines plantes. De nouvelles voies sont donc explorées. Est-ce que cette capacité pourrait être utilisée aux fins de la transgenèse?

Des chercheurs de l'Université de GAND en Belgique développent alors des bactéries aptes à être insérées dans un gène d'intérêt dans l'ADN de la plante.

7 Les années 90 et l'approbation des OGM

Les années 90 sont marquées par l'approbation des OGM dans le domaine agricole principalement. C'est au cours de cette période que la multiplication commerciale des semences génétiquement modifiées a commencé dans un très petit nombre de pays, au Canada et aux Etats-Unis d'Amérique notamment. Mais l'apparition des OGM sur le marché mondial ne s'est faite que récemment, en 1994. C'est d'ailleurs là une cause explicative de leur quasi méconnaissance par le grand public.

Avec l'apparition des OGM, une question peut être soulevée, selon les opinions de chacun. La transgenèse peut être perçue comme une méthode scientifique au même titre que les méthodes utilisées précédemment. Il est également possible de considérer qu'il s'agit d'une rupture importante dans la manipulation du vivant car elle permet de franchir la barrière des espèces. Il s'agit là d'une question très importante qui remet en cause certaines représentations culturelles et spirituelles sur ce qu'est la vie.

Au demeurant, l'étude historique des OGM depuis dix ans montre bien les différences entre les Etats. Les Etats-Unis d'Amérique, pionniers en matière d'OGM depuis 1986 ont largement fait des adeptes dans de nombreuses régions du globe. Sans nul doute, l'attitude des Américains face aux OGM a contribué au développement de cette nouvelle technologie dans

l'industrie agroalimentaire. Depuis seulement quelques mois, des groupes de personnes scandant des slogans « non aux OGM » ont fait leur apparition dans ce pays qui compte déjà une vingtaine de plantes transgéniques commercialisables dont le coton, le maïs, le soja et le

colza en sont les principales. L'avancée mondiale dans l'exploitation des plantes transgéniques laisse la France et l'Europe quelque peu en retrait. Les biotechnologies modernes sont en France très mal perçues par une franche importante de la population. L'affaire du sang contaminé et la crise de la vache folle y ont fortement contribué. A l'heure actuelle, la politique européenne est influencée par deux courants contradictoires : celui de la marche en avant vers les OGM dans un contexte de concurrence mondiale, de potentialités économiques dont il est difficile de s'exclure, et celui de la prévention et de la précaution. Quant à l'Afrique, elle vient en dernière position dans la production et la commercialisation des OGM, juste derrière l'Europe et l'Asie. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce manque d'engouement des africains à l'égard des biotechnologies modernes : le fort Ancrage dans la coutume, la tradition et même la religion et le manque de technologie appropriée dans une Afrique scientifique balbutiante encore confrontée au sempiternel problème de pauvreté. Dans cette indifférence quelque peu conditionnée des Africains à l'égard des biotechnologies modernes, à l'heure actuelle, seule l'Afrique du Sud est reconnue officiellement comme producteur de cultures commerciales d'OGM sur le continent noir.

Aujourd'hui, on estime à un peu plus de quarante millions d'hectares, la surface de terres qui fait l'objet d'expérience de cultures génétiquement modifiées dans le monde. C'est une véritable révolution génétique qui se produit sous nos yeux. Une chose est certaine, c'est que la transgenèse a gagné du terrain ces dernières années avec tout de même des fortunes diverses. La principale entrave qui ralentit son expansion résulte des préoccupations liées au besoin de plus en plus croissant de sécurité alimentaire.

Paragraphe 2: l'évolution et l'élargissement du concept de sécurité alimentaire

8 La sécurité alimentaire, une idée ancienne et universellement partagée

Si le concept de sécurité alimentaire ne date que de notre époque, l'idée n'en demeure pas moins très ancienne. En fait, les sociétés anciennes avaient mis en place des politiques de sécurité alimentaire prévoyant une réglementation sévère des marchés vivriers, à l'image du système des greniers africains. Dès le moyen âge, les villes européennes dotées progressivement d'un degré avancé d'organisation économique et politique sont à même de garantir l'approvisionnement d'une ville croissante.

Dans une perspective biblique, le récit de Joseph, fils de Jacob, devenu gouverneur en Egypte après avoir été vendu par ses propres frères, nous en fournit un bel exemple. L'idée même de sécurité alimentaire est née de la peur très ancienne de manquer de nourriture. Elle participerait de ce fait de l'instinct de survie humaine, voilà pourquoi elle est inhérente à toute société. En réalité elle fait partie de l'histoire naturelle des hommes et constitue de la sorte la fondation de l'édifice sociétal et social.

9 Les années 70 et l'émergence du concept

Le concept de sécurité alimentaire est né des années 70. Apparaissant à cette époque dans de nombreux discours officiels, il a aujourd'hui évolué de considération, englobant plusieurs aspects d'ordre, économique et politique.

10 Les années 80 et l'enrichissement du concept

Si dans les années 70, on appréhendait la sécurité alimentaire comme liant la disponibilité des biens et la capacité à les acquérir, le retour au libéralisme dans les années 80, va en consacrer une autre définition reposant sur les nécessités de l'ajustement structurel afin de résoudre la crise de l'endettement. On y réserve un champ d'intervention en faveur des couches les plus vulnérables de la population. L'approche la plus récente de la sécurité alimentaire est certainement liée à l'émergence du concept de développement humain. Celle-ci comporte principalement deux aspects:

1 La création de capacités personnelles par les progrès en matière de santé, de savoir, et d'aptitude,

2 L'emploi que les individus font de ces capacités dans leurs loisirs, à des fins productives ou culturelles, sociales et politiques.

On y retrouve les trois indicateurs-clés suivants: espérance de vie, alphabétisation, accès aux biens et service de base.

La sécurité alimentaire est une notion transversale qui renvoie à de nombreuses

Considération : développement économique, politique agroalimentaire, relations Nord-Sud...

Dans le contexte des relations Nord-Sud, la sécurité alimentaire se double d'une autre notion, celle de la souveraineté alimentaire. La souveraineté alimentaire désignerait le droit des populations, de leurs Etats ou fédérations à définir librement leur politique agricole alimentaire, sans fausser le jeu de la concurrence à travers le dumping. Elle inclut donc la priorité donnée à la production agricole locale pour nourrir la population, l'accès des populations rurales (notamment les paysans) à la terre, à l'eau, aux semences et aux crédits. Certains y voient l'occasion d'opérer des réformes agraires et de lutter contre le phénomène des OGM considéré comme une véritable entrave au libre accès aux semences. L'idée de souveraineté alimentaire promeut donc le droit des paysans à produire des aliments de leur choix et le droit des consommateurs à pouvoir décider librement ce qu'ils veulent consommer.

11 L'internationalisation du concept

Le moins qu'on puisse dire, c'est que le concept de sécurité alimentaire se meut dans le courant controversé de la mondialisation et de l'internationalisation. Au plan international, la sécurité alimentaire constitue une des préoccupations majeures de la communauté internationale. Cet intérêt s'est traduit par la mise sur pied de la FAO principalement chargée des questions alimentaires dans le monde. En dépit du fait que les situations d'insécurité alimentaire soient toujours localisées, elles peuvent être qualifiées de mondiales. C'est d'ailleurs à juste titre que l'organisation mondiale en a fait son cheval de bataille comme en témoignent les nombreuses conférences qu'elle organise autour de cette question cruciale. A l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture vont se greffer d'autres organismes dans le traitement de la question de la sécurité alimentaire. Il s'agit de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l'Office International des Epizooties (OIE), la Commission Codex Alimentarius et l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC)

Le problème de la juridicité du concept

Si le droit à l'alimentation fait l'objet d'une consécration juridique officielle, il n'en va pas de même de la notion de sécurité alimentaire qui a glissé dans le discours politique des années 70. En effet, aucun texte contraignant au plan international ne fait usage du concept de façon expresse. Cela s'explique par le fait que le concept en lui-même a été dégagé bien tard après l'adoption de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et le Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qui eux consacrent clairement le droit à la nourriture. Mais cela ne doit pas nous faire perdre de vue le fait que la sécurité alimentaire repose d'abord sur le droit à la nourriture qui en est la pierre angulaire. Considérer la sécurité alimentaire comme un droit à part entière aide à se concentrer sur les questions cruciales de la responsabilité et de la non discrimination, qui ont aussi leur fondement dans la loi des droits de l'homme. En résumé, la sécurité alimentaire en tant que droit socio-économique, concerne la bonne gouvernance et l'attention aux plus démunis et aux marginalisés.

Le principal problème est que la reconnaissance de ce droit sous-entendrait des prestations de la part des Etats vis-à-vis de leurs populations respectives. Or il a souvent été argué que le contenu de l'article 11 du Pacte International relatif aux droits économiques sociaux et culturels qui consacre justement le droit à la nourriture était trop vaste pour conférer des obligations matérielles à la charge des Etats. Il est considéré comme ayant une simple valeur programmatoire. Pour Magaret VIDAR du bureau juridique de la FAO, « les gens ont la responsabilité de se procurer leur nourriture, aussi ne peut-on automatiquement s'en prendre à l'Etat pour la malnutrition. « Mais l'Etat peut être responsable d'une circonstance qui la cause; par exemple les populations doivent disposer de revenus suffisants ou d'un accès à la terre pour acheter ou cultiver de la nourriture », fait-elle remarquer.

Cependant, même lorsqu'au plan interne, le droit à la nourriture fait l'objet d'une constitutionnalisation comme c'est le cas en Afrique du Sud, il est rarement justiciable dans la mesure où « les gens qui meurent de faim n'ont guère les moyens d'intenter un procès. »

De ce point de vue, la sécurité alimentaire reste une équation quasi-insoluble, insolubilité rendue plus critique par l'imbroglio entretenu autour de la dialectique OGM / sécurité alimentaire.

PREMIERE PARTIE / LE DIFFICILE CONSENSUS AUTOUR DE

LA DIALECTIQUE OGM / SECURITE ALIMENTAIRE

Arrachage de plants génétiquement modifiés, accusations d'obscurantisme, différends transatlantiques, le débat sur les OGM est entré dans l'arène sociale où il a acquis une nouvelle dimension. En effet, cette technologie des temps modernes alimente régulièrement la une des médias, car une virulente controverse s'est instaurée autour de cette question. Opposants et partisans, en souhaitant faire entendre leur voix, s'affrontent en un dialogue apparemment de sourds. Source de progrès et de promesse d'un avenir meilleur pour les uns qui y voient une opportunité de rendre possible les objectifs en matière de sécurité alimentaire, menace pour le consommateur pour les autres, les OGM sèment la discorde. L'ampleur du débat mondial sur les OGM est sans précédent. Ce dernier parfois empreint d'une forte charge affective, a mobilisé tant les scientifiques, les producteurs, les consommateurs, les groupes de défense de l'intérêt public que les pouvoirs publics et les décideurs. Mais afin de mieux appréhender la controverse sur les OGM, il convient d'identifier les différents protagonistes, d'analyser leur attitude et d'examiner les causes des impasses et incompréhensions actuelles.

CHAPITRE I : L'utilisation des OGM est un atout pour la sécurité

alimentaire

Comme indiqué, la sécurité alimentaire doit se concevoir à un double point de vue, dans sa dimension quantitative, et sa dimension qualitative. Au plan quantitatif, la sécurité alimentaire doit s'orienter dans le sens de l'accès des populations à une nourriture suffisante. Au plan qualitatif, elle doit prendre en compte les préoccupations en matière de sécurité sanitaire des aliments. Les défenseurs des OGM pensent que cette technologie des temps modernes pourrait bien répondre à ce double besoin.

Section 1: Du point de vue quantitatif

Plusieurs arguments sont avancés par les défenseurs des OGM qui pensent que le problème du lourd déficit alimentaire mondial peut être corrigé par l'utilisation des biotechnologies modernes. Au nombre de ces arguments, on retiendra que les OGM ont l'avantage d'améliorer la production alimentaire à travers des techniques agricoles révolutionnaires.

Paragraphe 1: Les OGM augmentent la production alimentaire

L'on ne saurait nier le lien nécessaire qui existe entre production agricole et sécurité alimentaire. L'agriculture est dans l'alimentation ce que représenterait par exemple le sang pour le corps humain. En d'autres mots, l'agriculture est le poumon de l'alimentation car tout l'édifice alimentaire repose à l'évidence sur le fondement de l'agriculture. Dans une telle situation la sécurité alimentaire ne pourra devenir réalité que pour autant que la production alimentaire atteindra des proportions acceptables. La question reste alors de savoir si la recherche biotechnologique peut permettre d'accroître les rendements et la production agricoles. Les principaux arguments avancés par les promoteurs des biotechnologies modernes, restent que celles-ci ont la capacité de corriger le déficit alimentaire dans le monde par une augmentation significative de la production agricole. Le sommet mondial sur l'alimentation qui a lieu en 1996 à Rome, a souhaité que se réduise de moitié les quelques huit cent millions de personnes sous-alimentées, au plus tard en 2015. Pour y arriver, l'on estime qu'il faut augmenter de quatre pour cent par an la production alimentaire pendant les vingt prochaines années . Il est donc nécessaire et urgent d'accroître les rendements surtout dans les pays du sud. Mais, comme le pense Albert SASSON, l'amélioration de la production agricole et nutritionnelle dépend des ressources en terres, en eau et en énergie, qu'on considère généralement comme limitées, en dépit des possibilités d'accroissement de leur disponibilité. Cette amélioration est aussi fonction des ressources d'origine biologique, renouvelables, que sont les plantes cultivées, les animaux domestiques et les micro-organismes. L'accroissement de la productivité de ces derniers, c'est-à-dire de la productivité biologique, représente un domaine actif de la recherche en sciences de la vie. Les techniques biotechnologiques modernes y contribuent de plus en plus. Dans ce vaste domaine, l'un des objectifs visés par les recherches entreprises consiste à ouvrir la possibilité de mettre sur pied des cultures à haut rendement en vue d'obtenir une production supérieure. Depuis quelques temps, semble-t-il, les recherches ont permis de réaliser cet exploit agricole. En effet, les firmes qui sont en amont du progrès biotechnologique et certains scientifiques prétendent que le génie génétique a amélioré la productivité dans les pays où les OGM font l'objet d'expérimentation. Des chiffres montrent par exemple que l'adoption en Afrique du Sud de semences améliorées, de nouvelles variétés a permis une augmentation des rendements par hectare de cinq fois pour le maïs et d'un peu plus de quatre fois pour le blé. De même, quelques douze millions de bananiers produits à partir d'OGM dont la moitié ont été exportés, auraient permis d'accroître la production. On estime pour cela que les rendements ont augmenté d'un peu plus de deux pour cent, depuis l'avènement des biotechnologies modernes dans cette partie du monde. Ainsi en considérant le besoin d'augmenter fortement la production d'aliments destinés aux hommes et aux animaux, en améliorant la productivité, la rentabilité, il faut trouver des solutions pour maximiser les bénéfices, et cela resterait une possibilité gracieusement offerte par les biotechnologies végétales modernes. La biotechnologie ne serait certes pas le seul outil qui peut diminuer la faim dans le monde, mais un outil dont notre planète dispose pour résoudre sa pénurie alimentaire. Pour certains, en Afrique, la biotechnologie devrait être considérée dans le contexte des besoins africains qui sont entre autres l'augmentation de la production alimentaire, la diminution de la pauvreté...

Si on admet que la transgénèse peut accroître significativement la production alimentaire et donc résoudre l'un des aspects fondamentaux de la sécurité alimentaire, à savoir l'accès à une nourriture suffisante, c'est parce que celles-ci reposent avant tout sur des techniques agricoles révolutionnaires sans précédent.

Paragraphe 2 : Les biotechnologies agricoles, une révolution doublement

Verte

Le terme de révolution verte désigne le bond technologique réalisé en agriculture au cours de la période allant de 1944 à 1970, à la suite de progrès scientifiques de l'entre deux guerres. Elle a été possible par la mise au point de nouvelles variétés de cultures à haut rendement, notamment de céréales (blé et riz), grâce à la sélection variétale. L'utilisation des engrais chimiques et des produits phytosanitaires a fortement contribué au succès de cette agriculture, lequel succès s'est traduit par un accroissement soutenu de la productivité agricole. La révolution verte a permis d'éviter des famines catastrophiques, qui seraient la conséquence naturelle de l'augmentation sans précédent de la population mondiale depuis 1950. Le Mexique, premier pays à s'engager dans cette voie en 1949 est ainsi passé entre 1956 et 1964 d'un statut d'importateur net de blé pour la moitié de sa consommation à un statut d'autosuffisance, permettant l'exportation de cinq cent mille tonnes par an. La révolution verte a connu ses plus grands succès en Inde et au Pakistan où l'on estime qu'elle a permis de sauver un milliard de personnes de la faim. Pour aller plus loin sur la révolution verte, consulter Wikipedia, l'encyclopédie libre sur le site http://fr.wikipedia.org). Pourtant force est de constater que la révolution verte qui eut un écho favorable à une certaine époque se trouve dépassée devant les défis sans précédent auxquels est confrontée l'agriculture au 21ème siècle. En effet, au cours des trente années à venir, nos ressources d'une fragilité croissante devront nourrir deux milliards de gens de plus. Pour aider à assurer la sécurité alimentaire, aux huit milliards d'habitants escomptés en 2025, l'Organisation des Nations pour l'Alimentation et l'Agriculture estime que le monde a besoin d'une autre révolution verte comme l'auraient demandé de nombreux délégués au sommet de l'alimentation en 1996. S'il est vrai qu'en doublant ou en triplant les rendements, elle a accordé aux pays en développement un répit qui leur permet de commencer à s'attaquer au problème de leur rapide croissance démographique, on doit tout de même avouer avec Normand BORLAUG que la révolution verte n'a été qu'un « succès limité ». En effet, si la première révolution verte a fait augmenter la productivité des trois principales cultures alimentaires de base que sont le riz, le blé et le maïs, Entre 1950 et 1990, les rendements céréaliers ont augmenté de près de 1,06 tonnes à 2,52 une deuxième révolution verte devrait aussi permettre de relever la productivité d'autres cultures vivrières importantes, comme le sorgho, le millet, et le manioc, aliments produits et surtout consommés par les pauvres. Un changement de paradigme est donc prôné pour apporter un souffle nouveau à l'agriculture mondiale. Les apports que l'on anticipe de l'emploi du génie génétique sont notables. L'augmentation de la production agricole sur les quarante dernières années serait davantage due à une amélioration du rendement à l'hectare qu'à un accroissement des superficies. De ce point de vue les biotechnologies modernes ne manquent pas d'arguments en leur faveur. En effet, la transgénèse en tant que science du vivant permet d'accroître les connaissances de base du fonctionnement cellulaire, du déterminisme génétique, des voies métaboliques et de leur régulation dans le règne végétal. Les retombées pratiques pour l'agriculture pourraient être considérables. Déjà, comme le pense Didier SPIRE, des solutions originales et d'utilisation simple ont été apportées pour répondre aux problèmes et difficultés rencontrées avec certaines productions. Par exemple les biotechnologies ont permis grâce à la description plus précise du polymorphisme intra variétal, de mieux gérer et conserver les espèces. Le génie génétique a sûrement l'avantage de franchir la barrière des espèces. En effet de nombreux végétaux cultivés ont des difficultés d'hybridation. La transgénèse permet de s'affranchir de ces barrières de stérilité et d'incompatibilité qui posent problème à l'amélioration des cultures. Les nouvelles cultures permettent aussi d'introduire des gènes nouveaux intéressant le rendement, à travers des caractères de résistance ou de tolérance. Par exemple, enrichie de quelques gènes prélevés sur la bactérie bacillus thuringiensis, une plante peut fort bien devenir toxique pour les insectes ravageurs. En ce sens, les biotechnologies modernes peuvent aider les fermiers à réduire leur dépendance vis-à-vis des insecticides et des herbicides. On a souvent reproché à l'agriculture conventionnelle l'utilisation excessive d'intrants chimiques, ce qui a des répercussions néfastes certaines sur la sécurité alimentaire. L'agriculture biotechnologique comblerait cette lacune par la mise sur pied de cultures peu exigeantes en produits chimiques et phytosanitaires.

Avec le génie génétique, il serait désormais possible de transférer les gènes intéressants sans redistribuer les autres. La précision est considérablement plus grande qu'avec la génétique classique ou naturelle, le transfert du matériel génétique se fait au hasard. Considérés à bien des égards comme une percée technique, les OGM ouvrent des perspectives immenses. Aujourd'hui, grâce à la transgénèse, on peut ralentir le pourrissement de certains fruits et légumes (tomates à mûrissement retardé) ; lutter contre les herbicides (soja) ; éviter certaines maladies aux plantes cultivées (maïs résistant aux virus et à la maladie) ; s'affranchir des contraintes climatiques ou géographiques avec la culture de plantes résistant à la sécheresse, à la salinité ou au froid (blé)... Alain WEIL fait remarquer que l'un des avantages principaux des OGM serait de faire pousser des plantes sur des terrains qui ne sont pas pour l'instant propices à l'agriculture, à cause de la salinité ou de la toxicité des sols...Les biotechnologies agricoles modernes permettront selon lui, aux agriculteurs d'envisager des plantes plus rustiques, qui résistent mieux aux agressions de parasites ou de virus, à la sécheresse ou au froid54.

En théorie, l'éventail des possibilités est sans limite et certaines équipes consacrent aujourd'hui des moyens importants à des projets aussi étonnants, par exemple, que la création de variété de bananes dont la consommation immuniserait contre l'hépatite ou le choléra ou la fabrication de vaccins qui protègent les animaux dans la nature contre la rage. Comme le pense le chercheur, «Les biotechnologies modernes peuvent apporter aux pays du sud des solutions originales, et d'utilisation simple à des problèmes qui leur sont plus spécifiques: variétés de plantes rustiques à haut rendement, peu exigeants en intrants, tolérantes à la sécheresse, au froid ou à la salinité...». Elles permettraient aux paysans d'utiliser plus efficacement des fertilisants, de disposer d'un temps de récolte uniforme ouvrant la voie à de petites perspectives commerciales grâce à la qualité de leurs produits.

Section 2: Du point de vue qualitatif

Contre certains arguments tendant à discréditer les OGM du point de vue de leur qualité, les promoteurs des biotechnologies modernes prétendent que, non seulement la transgénèse améliore la qualité, mais que les aliments qui en sont issus ne présentent pas de risque réel pour la santé du consommateur.

Paragraphe 1 : La transgénèse améliore la qualité des aliments55

Pour les créateurs de variétés végétales, la transgénèse est d'abord un outil de connaissance remarquable des processus physiologiques et de la génétique. Les plantes transgéniques permettent en particulier d'étudier les conséquences des modifications de tout ou partie des gènes et donc d'en analyser la fonction et la régulation. Le séquençage des génomes de certaines plantes réalisé ou en cours de réalisation, peut être effectué grâce aux outils qui ont été développés pour la transgénèse. Cette science fait partie des techniques qui permettent de localiser précisément l'endroit où se situe un gène sur un chromosome, de déterminer sa fonction précise. La connaissance des enzymes56 et des gènes-clefs dans les processus physiologiques essentiels des plantes permet d'avoir une action sur le métabolisme et sur le produit final. Ainsi, des modifications physiologiques, biochimiques et structurales peuvent permettre d'améliorer la qualité. Par exemple, l'inactivation des enzymes responsables de la dégradation des parois de cellule des fruits permet une meilleure conservation. Actuellement des travaux portent sur des maïs contenant moins de lignine ou de la lignine modifiée en vue de soutenir l'alimentation destinée aux animaux57.

La sécurité alimentaire a été aussi déterminée comme devant remédier aux carences nutritionnelles. Une frange importante des pays du Sud souffre de maladies liées non plus à un manque de nourriture mais plutôt de maladies qui sont occasionnées par une alimentation très pauvre. Cette malnutrition réside dans le fait que les repas consommés sont dépourvus de vitamines, ce qui a nécessairement de graves conséquences sur la santé humaine. Chez les enfants, la malnutrition entrave le développement physique et cognitif et provoque une moindre résistance à la maladie. L'insuffisance pondérale (poids trop faible par rapport à l'âge) chez les enfants de moins de cinq ans est un bon indicateur de ce fléau. La question qui reste entière est donc de savoir si les OGM peuvent résoudre cette carence alimentaire qui est de nature à rendre illusoire l'objectif de sécurité alimentaire, même si on parvenait à atteindre l'objectif de l'accès à une alimentation suffisante. On admet de plus en plus dans le monde de la recherche scientifique, la possibilité de modifier certains de nos aliments de manière à ce qu'ils apportent des éléments favorables à la santé, sans pour autant mériter le nom de médicament. Ces produits ont pour cette raison été appelés « alicaments ». Certains scientifiques estiment que le génie génétique peut, en principe, puissamment contribuer à leur préparation. Par exemple, il est possible d'agir par transgénèse sur la qualité du lait de vache pour rendre sa composition plus compatible avec l'alimentation du nouveau-né58. Mais le succès le plus éloquent de la transgénèse en ce domaine semble être la mise en culture d'une nouvelle variété de plantes « à haute valeur nutritive ». L'exemple dont on a fait beaucoup de publicité est le Golden rice ou riz doré, une variété de riz génétiquement modifié mise en culture pour produire de la vitamine A59. La possibilité de créer du riz ayant une teneur accrue en micronutriment est présentée comme un exemple de la contribution potentielle du génie génétique à la réduction de la malnutrition. La carence en vitamine A, très répandue dans les pays en développement, peut accroître la morbidité, causer la mortalité, la cécité et contribuer à la mortalité infantile. Le génie génétique dit-on, peut offrir des opportunités uniques dans ce domaine. Tous ces avantages laissent quelque peu supposer que les OGM ne comportent pas de risques réels pour la santé du consommateur.

Paragraphe 2 : les OGM sont sans risque pour la santé du consommateur

Il existe un lien évident entre sécurité alimentaire et contrôle de l'innocuité des aliments. Par « innocuité des aliments », on entend l'absence à des niveaux acceptables et sans danger, de toxines naturelles ou de toutes autres substances susceptibles de rendre l'aliment nocif pour la santé de manière aigue ou chronique. Les maladies transmises par les aliments constituent un problème mondial d'une ampleur considérable du fait des souffrances humaines qu'elles entraînent. Même lorsqu'elles ne sont pas fatales, ces maladies accentuent considérablement les effets d'un mauvais régime alimentaire, ce qui peut entraîner l'arriération mentale et des incapacités physiques60. Aujourd'hui plus que jamais, le problème de la qualité des aliments se pose avec acuité, parce qu'amplifié par la résurgence ou l'émergence de certaines maladies liées à l'alimentation. Devant cette situation, certains esprits arrivent à établir un lien direct entre la transgénèse et l'intoxication alimentaire dont sont victimes de nombreuses personnes, surtout que la naissance de cette science coïncide bien avec la recrudescence des maladies liées à l'alimentation61. Des scientifiques estiment pourtant que les thèses tendant à faire croire que l'ingestion des OGM par l'homme ou par les animaux comporte des risques pour la santé, relèvent du « mythe populaire »62 car « les aliments issus de cultures génétiquement modifiées disponibles actuellement (principalement le maïs, le soja et le colza) ont été jugés propres à la consommation et l'on considère que les méthodes utilisées pour les tester sont appropriées.» Ces conclusions rendues par le Conseil International pour la Science (CIUS)63 en 2003 concordent avec les vues de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS). En effet, l'OMS précise que les OGM présentement commercialisés ont subi toutes les évaluations de risques nécessaires avant leur entrée sur le marché, et qu'ils sont examinés plus

soigneusement que les aliments traditionnels pour la recherche d'effets potentiels sur la santé64... Pour l'académie française de médecine et de pharmacie, il n'existe aucun risque particulier lié au mode d'obtention des OGM, l'ADN de leur génome étant semblable à celui des autres génomes. Ce faisant, il est comme eux dégradé dans l'intestin lors de la digestion. En schématisant, on pourrait, comme le laisse supposer l'Académie, dire qu'en mangeant des carottes ou des laitues, on ne court pas le risque d'introduire dans son génome des gènes de carottes ou de laitues et que ce n'est pas parce que l'on aurait introduit un gène de laitue dans le génome d'une carotte que l'on ferait apparaître ce risque. Poursuivant, l'institution médicale et pharmaceutique estime que les risques éventuels des OGM pour la santé du consommateur sont contrôlables tout comme ceux que comporterait l'ingestion des aliments ordinaires65. Dans l'ensemble, les défenseurs des biotechnologies modernes soutiennent que l'alimentation à base d'OGM ne comporte pas plus de risque que l'alimentation biologique ou conventioneelle, dans la mesure où dans la pratique, les OGM sont consommés quotidiennement depuis de nombreuses années par des centaines de millions de personnes dans les plus grands pays du monde (Etats-Unis, Canada, Argentine, Brésil, Inde, Chine) sans qu'aucun effet nocif sur la santé n'ait été rapporté. En effet, à ce jour, selon les informations réunies par le GM Science Review Panel66, à l'échelle mondiale, aucun laboratoire n'a signalé

d'effets toxiques au plan nutritionnel, découlant de la consommation d'aliments ayant pour origine des cultures génétiquement modifiés. Ce faisant les partisans des OGM préconisent pour l'évaluation des risques biotechnologiques dans l'alimentation, la prise en compte du principe de l'équivalent substantiel ou d'équivalence en substance67 qui affirme que les OGM ne doivent pas faire l'objet d'un traitement spécial en ce qui concerne l'évaluation des risques sanitaires des aliments, dans la mesure où ceux-ci présentent autant de garantie que leurs équivalents classiques au niveau de l'innocuité des aliments. Dans cette même logique, l'OCDE estime à son tour que «la biotechnologie industrielle est un domaine rigoureusement maîtrisée.. » et que «tout risque posé par les organismes à ADN recombiné devraient être de même nature que ceux présentés par les organismes classiques. »68 étant donné que souvent, la prévisibilité des techniques de l'ADN sera plus grande que celle des méthodes classiques de modifications des organismes.

En définitive, les promoteurs des OGM pensent que la transgénèse est un outil essentiel

de connaissances sur l'organisation des gènes, sur les parentés génétiques et sur le parti que l'on peut tirer de la sélection de variétés végétales améliorées. Elle constitue à ce titre un outil irremplaçable qui permet d'élargir « la base génétique » dans laquelle les sélectionneurs vont pouvoir puiser des gènes destinés à obtenir des variétés meilleures, en termes de rentabilité pour le producteur, de qualité pour le consommateur et donc de sécurité alimentaire. Des utilisations non alimentaires nouvelles, médicales ou industrielles apparaissent aussi. Les enjeux de ce côté-ci paraissent donc séduisants.

Et bien pourtant des voix hostiles s'élèvent des quatre coins du monde pour dénoncer les risques que font peser les OGM sur la sécurité alimentaire.

CHAPITRE II : les OGM compromettent la sécurité alimentaire

Plusieurs auteurs africains et occidentaux ainsi que les plaidoyers d'associations diverses jettent le discrédit sur les OGM dont ils énoncent une kyrielle de risques sur la sécurité alimentaire. D'abord ils remettent en cause l'argument selon lequel la transgénèse permet d'augmenter la production alimentaire, ensuite ils font valoir l'idée selon laquelle, l'ingestion des OGM comporte des risques pour la santé du consommateur.

Section 1 : Du point de vue quantitatif

« Les résultats constants des recherches indépendantes et des expérimentations en champs menés depuis 1999 montrent que les plantes génétiquement modifiées n'ont apporté les bénéfices annoncés, notamment en ce qui concerne l'augmentation des rendements et la réduction de l'utilisation des herbicides et pesticides ».Tel est le résumé du « Plaidoyer en Faveur d'un Monde Soutenable Sans Modification Génétique » rédigé par le Panel pour une Science Indépendante69, lequel semble ruiner les espoirs d'une bonne partie de l'humanité qui avait vu en les biotechnologies modernes, une voie royale de sortie de la crise alimentaire que connaît le monde.

Paragraphe 1: les OGM n'augmentent pas la production alimentaire

Les populations dont l'alimentation est insuffisante sont, pour les deux tiers, des familles paysannes possédant de petites propriétés, équipées d'outils exclusivement manuels et dotées de systèmes de culture et d'élevage insuffisants pour se nourrir elles-mêmes ou pour permettre des achats alimentaires. Ainsi pour le commun des mortels, c'est par un accroissement de la productivité et des revenus agricoles des paysans les plus pauvres que l'on parviendra à réduire la prévalence de la faim et de la malnutrition dans le monde. L'une des raisons avancées par les promoteurs des biotechnologies modernes et qui justifient leur bien-fondé se trouve dans le fait que certaines applications de la transgénèse pourraient améliorer la production alimentaire. Or en réalité, «Rien n'indique que le recours aux OGM permette d'atteindre cet objectif » faisait observer Marc DUFUMIER70 dans les colonnes du journal français Le Monde Diplomatique d'avril 2006. Cette affirmation jette le doute sur les certitudes qu'on avait jusque-là sur l'amélioration des rendements agricoles par la transgénèse. Si les tenants de cette thèse brandissent des exemples pour soutenir leurs propos, il n'en demeure pas moins que des arguments bien contraires trahissent toutes ces affirmations. En effet certains opposants aux OGM sont formels lorsqu'ils remettent en question tous les avantages reconnus aux biotechnologies modernes. Des auteurs comme John MADELEY estiment à ce propos, qu'il convient à l'heure actuelle de se méfier des biotechnologies modernes. L'une des raisons de cette méfiance réside dans le fait que l'argument de l'amélioration des rendements agricoles par le génie génétique n'est pas vérifié, dans la mesure où les cultures expérimentales récentes ont démontré que les semences génétiquement modifiées n'augmentent pas la production. Selon lui, plusieurs années après leur introduction, il n'a pas encore été démontré que les semences génétiquement modifiées peuvent accroître les rendements à l'hectare71. En effet une étude du Service de Recherche Economique du Département Américain de l'Agriculture indique qu'en 1998, la différence de rendement entre les cultures génétiquement modifiées et les cultures traditionnelles n'était pas significative. Ces résultats ont été confirmés par une autre étude qui a permis d'évaluer les récoltes de plus de huit mille parcelles de cultures expérimentales de soja : le soja Roundup Ready (génétiquement modifié) aurait donné moins de boisseaux à l'hectare que les variétés comparables issues de croisements classiques. Un rapport publié en septembre 2002 par une association anglaise, Soil Association, indiquait que les plantes génétiquement modifiées avaient coûté aux Etats-Unis la somme de douze milliards de dollars en subventions, pertes de ventes et retours de produits à cause de la contamination transgénique. Ce rapport peut se résumer comme suit : « les conclusions de notre rapport montrent...qu'aucun des bénéfices annoncés des plantes génétiquement modifiées n'a été atteint. Au contraire, les agriculteurs annoncent, outre des pertes de rendements, une dépendance inchangée aux pesticides et herbicides ...». Ces résultats concordent bien avec les conclusions des recherches entreprises en 1999 par l'agronome américain Charles BENBOOK, lesquelles sont formelles : « les bénéfices des plantes génétiquement modifiées n'ont jamais été atteints. Des milliers d'essais réalisés en plein air sur des parcelles de soja transgéniques ont révélé une réduction du rendement par rapport à des surfaces plantées avec du soja non transgénique. » Ainsi par exemple en 2001, les variétés de soja Roundup Ready ont obtenu des rendements inférieurs de six à onze pour cent en moyenne par rapport aux variétés conventionnelles72 . Des conclusions similaires auraient été faites en Grande-Bretagne sur des plantations de colza d'hiver et sur des champs d'expérimentation de betteraves73. Ces différents points de vue contredisent en toute hypothèse les avantages des OGM liés à l'amélioration des rendements agricoles.

Dans leur volonté manifeste de mettre fin à l'avancée des OGM dans nos sociétés, les détracteurs des biotechnologies modernes n'hésitent même pas à s'attaquer à ce qui en fait le fondement, ce qui légitime leur utilisation, au point de rejeter l'argument de l'amélioration des rendements agricoles par cette technologie des temps modernes. La cause des incohérences et des faibles rendements des plantes génétiquement modifiées serait liée à un facteur biologique, l'instabilité du transgène, un problème identifié et décrit par les chercheurs FINNEGAN et Mc ELLROY. L'instabilité du transgène peut s'expliquer de trois façons: dans la première hypothèse, les mécanismes de défense qui protègent l'intégrité de l'organisme peuvent réduire au silence ou désactiver le gène étranger qui a été intégré dans le génome, pour qu'il ne puisse pas s'exprimer. Dans la deuxième hypothèse, l'instabilité du transgène serait due à sa construction structurelle plutôt prédisposée à se fragmenter, à partir de joints artificiels fragiles, pour se recombiner incorrectement avec l'ADN qui se trouve autour. Enfin, il semble selon des études qu'il existe des « endroits privilégiés pour réceptionner » le transgène à l'intérieur du génome, aussi bien dans celui de la plante que dans le génome humain. On estime donc que ces endroits privilégiés pourraient également être des « endroits privilégiés pour la recombinaison ». De ce fait on imagine bien que des transgènes peuvent se détacher de leur construction pour se recombiner ou envahir d'autres génomes74. En pareille circonstance on peut avouer que la transgénèse aura manqué son but. Pour Le Panel pour une Science Indépendante, l'échec manifeste du coton transgénique en Inde, et de différentes plantes génétiquement modifiées dans d'autres parties du monde serait principalement dû à l'extrême instabilité de ces cultures. Dans cette perspective les opposants au génie génétique ne manquent pas de faire l'apologie de l'agriculture biologique au détriment de celle biotechnologique qui apparaît à leurs yeux comme une «aberration».

Paragraphe 2 : les biotechnologies agricoles modernes, une technologie

Approximative

L'enthousiasme créé par la révolution génétique en agriculture se trouve fragilisé devant les thèses favorables à une « agriculture soutenable sans modification génétique ». Plusieurs arguments démontrent la vacuité des affirmations tendant à faire croire que les biotechnologies agricoles pourraient constituer une réponse efficace à l'épineuse équation de la sécurité alimentaire. Si on estime de ce côté-là que les OGM ne peuvent pas augmenter la production agricole comme le pensent certains esprits euphoriques, c'est parce que l'agriculture biotechnologique a, de diverses façons, montré ses lacunes. De ce fait, certains auteurs n'hésitent pas à dénoncer le rapport jubilatoire de la FAO sur les opportunités réelles que pourraient offrir les biotechnologies agricoles en vue de faire face à la crise alimentaire que connaît l'ensemble des pays pauvres75. Ce rapport jugé complaisant éveille des soupçons sur le parti pris de l'organisation mondiale dans le débat sur les OGM. Certains estiment que la FAO à travers ce rapport semble n'avoir pas retenu les enseignements tirés des problèmes issus de la révolution verte. Comme on le sait, la révolution verte n'a pas eu que des effets positifs. En effet elle a entraîné un usage excessif de pesticides, occasionnant un appauvrissement des sols. Elle a aussi causé des bouleversements culturels à travers des phénomènes tels que l'exode rural massif avec à la clé la déperdition du savoir traditionnel agricole. Elle est par ailleurs accusée de contribuer à réduire la biodiversité et de mettre les agriculteurs sous dépendance de l'industrie agrochimique. Comme le fait si bien remarquer Delvin KUYEK76, on peut tirer deux leçons de l'échec de la révolution verte en Afrique : d'une part le succès limité que peuvent avoir des technologies «révolutionnaires» importées de l'extérieur dans l'écologie complexe de l'Afrique ; les sols africains n'étant généralement pas propices à une production intensive de monocultures à causes des pluies excessives dans certains cas et insuffisantes dans d'autres cas, de la fréquence élevée des maladies et des ravageurs ainsi que d'autres facteurs. Aussi les conditions politiques économiques et sociales conviennent mal aux technologies « révolutionnaires ». D'ailleurs, poursuit-il, la Banque mondiale estime que la moitié de ses projets agricoles a échoué en Afrique parce qu'elle n'avait pas tenu compte des limites des infrastructures nationales. On présume que ces problèmes vont connaître une amplification avec l'agriculture biotechnologique. En effet si on estime dans un certain sens que la révolution génétique est une double révolution verte, on pourrait également s'accorder à croire que les problèmes apparus sous cette révolution auraient tendance à connaître une double amplification à l'ère des biotechnologies modernes.

Pour Jacques TESTART et Arnaud APOTEKER77, les cultures génétiquement modifiées le plus souvent citées n'ont pas d'existence réelle : par exemple la tomate à longue conservation, première culture génétiquement modifiée en 1994, a vite été abandonnée, son goût rebutant les consommateurs des Etats-Unis. Ces derniers sont formels sur l'échec du riz doré ou Golden Rice produisant de la vitamine A. En effet, expliquent-ils, il faudrait en manger plusieurs kilogrammes pour obtenir la dose quotidienne requise de vitamine. En outre, les plantes capables de pousser en terrains peu propices à l'agriculture, notamment les terrains très riches en sel ou les terrains désertiques en sont toujours au stade de promesse.

Dans l'ensemble, les cultures génétiquement modifiées qui font l'objet d'une grande admiration par leurs défenseurs sont des plantes capables soit de produire elles-mêmes leur propre insecticide, soit de tolérer les épandages d'herbicides. Dans le premier cas, l'effet bénéfique initial risque de s'atténuer en quelques années, car les pestes ainsi combattues parviennent à s'adapter. Des études révèlent que dans le cas des plantes Bt génétiquement modifiées pour produire des protéines insecticides provenant de gènes de bactérie Bacillus thuringiensis, certains insectes ont développé une résistance à toutes ces toxines. Le drame, c'est que des souches d'insectes résistantes utiliseraient la toxine pour en tirer une source nutritive supplémentaire, ce qui les rendrait encore plus dangereux pour les plantes78. Dans le cas des plantes génétiquement modifiées tolérantes aux herbicides des résultats de recherches évoquent la possibilité que celles-ci se transforment par la suite en «super mauvaises herbes» nécessitant davantage de produits chimiques pour leur élimination, ce qui n'est pas sans conséquence pour la santé de l'agriculture79. Le moins qu'on puisse dire, c'est que les plantes génétiquement modifiées n'auraient pas permis jusqu'à ce jour, une réduction significative de l'épandage d'herbicides, d'insecticides et de pesticides sur les champs. Bien au contraire, certaines cultures transgéniques auraient besoin de plus d'intrants chimiques que d'autres systèmes de gestion des mauvaises herbes ou des pestes. Par exemple, le soja Roundup Ready (RR) aurait besoin de deux à cinq fois plus d'herbicides que son équivalent conventionnel. De même, des résultats relevés en l'an 2000, par le Département de l'Agriculture des Etats-unis (USDA) montrent qu'en moyenne, il est nécessaire d'utiliser trente pour cent de plus d'herbicides pour traiter un arpent de maïs Roundup Ready(RR) par rapport à une surface similaire plantée avec du maïs conventionnel. On évoque le plus souvent le problème des gènes terminator80 qui stérilisent les graines des récoltes, obligeant ainsi les paysans à se procurer de nouvelles semences auprès des firmes productrices des semences OGM. Et même lorsqu'il ne s'agit pas de semences stériles, la logique marchande des industries agroalimentaires oblige les paysans à acheter les semences grâce au système des brevets81.

Dans le sillage du paradigme de l'agriculture intensive, productiviste et chimique, la mission assignée à certaines plantes génétiquement modifiées est l'éradication des mauvaises herbes et des insectes parasites. Cette pratique rompt avec l'attitude traditionnelle du paysan, résolu à préserver sa récolte par une sorte de « pacte armé » avec la nature plutôt que par l'éradication de certaines populations végétales ou animales considérées comme nuisibles. En effet le paysan sait que l'ensemble du vivant auquel il appartient est beaucoup trop complexe pour s'autoriser des actions radicales sans risquer des catastrophes. Le moins qu'on puisse dire, c'est que les cultures génétiquement modifiées favorisent les systèmes agricoles industriels : alors que l'agriculture des pays développés est très mécanisée, l'agriculture de la plupart des pays du tiers-monde dépend de la traction humaine et animale. De plus, on avance que si les chercheurs en génie génétique visent à trouver des solutions en s'intéressant seulement au gène, les praticiens de l'agriculture durable se préoccupent de l'état des sols, de la gestion de l'eau, ... ils tiennent compte de la situation socio-économique, des questions de relations entre hommes et femmes, et des besoins des agriculteurs tels qu'ils les expriment eux-mêmes. Ainsi pour Delvin KUYEK, « l'agriculture durable intègre complexité et diversité alors que le génie génétique se fonde sur la simplicité et l'uniformité »82.

Le prix élevé des semences OGM, associé à l'utilisation accrue des herbicides, et à un rendement qui laisse à désirer, auquel s'ajoutent les redevances sur l'utilisation des semences et les marchés réduits, permet de conclure que tous ces facteurs mis bout à bout font perdre de l'argent aux agriculteurs83.

Au total les cultures génétiquement modifiées telles qu'on les connaît à ce jour relèveraient aux yeux de plusieurs d'un énorme « bluff technologique » auquel participent certaines institutions et certains chercheurs pour des raisons qui échappent à la logique de la sécurité alimentaire. En effet, la transgénèse abusivement présentée comme preuve de la maîtrise humaine du vivant apparaît aux yeux de Jacques TESTART et de Arnaud APOTEKER comme une « manipulation aléatoire », « une technologie approximative »84. Par ailleurs, le problème des risques liés à l'ingestion des produits dérivés des OGM accroît davantage l'hostilité de nombreuses personnes à l'égard de ces « aliments artificiels ».

Section 2 : Du point de vue qualitatif: des risques pour le consommateur.

Les préoccupations des consommateurs à propos des OGM concernent principalement la sécurité sanitaire des aliments. Etant donné que les problèmes posés par certaines denrées alimentaires non transgéniques, comme les questions des résidus de pesticides, des contaminants micro biologiques et, ces derniers temps de certaines autres formes de maladies, prennent leur source dans l'alimentation, les consommateurs ont parfois des doutes au sujet de la sécurité sanitaire des aliments produits dérivés des OGM. On évoque pour cela des risques allant des simples allergènes aux risques toxicologiques plus graves. En effet, bien que plusieurs scientifiques aient prétendu que les OGM sont inoffensifs, des études récentes indiquent que leur ingestion comporte des risques. Ainsi que le fait remarquer John MADELEY, les nouvelles protéines présentes dans ces aliments pourraient avoir un effet allergisant ou toxique susceptible de modifier le métabolisme de la plante ou de l'animal destiné à la consommation, qui se mettrait à produire de nouvelles substances allergisantes ou toxiques85.

Paragraphe 1 : Des risques allergéniques

Les aliments sont des mélanges complexes de composés caractérisés par la grande diversité de leur composition et de leur valeur nutritionnelle. Leur manipulation en laboratoire apparaît aux yeux de plusieurs comme une pratique malsaine qui induit forcément des répercussions négative sur la santé humaine. Aussi évoque-t-on des risques potentiels et réels d'allergie liés à l'ingestion des aliments dérivés des OGM. L'allergie est la réaction de l'organisme à une substance normalement inoffensive. De ce fait, l'organisme de la victime se révèle ainsi très

sensible à cette substance qu'il considère comme un intrus. Les allergies peuvent se manifester sous la forme de boutons, d'eczémas (petites plaies) sur la peau, de vomissements ou de diarrhées. Les risques potentiels seraient dus à la constitution structurelle hybride des OGM qui explique le phénomène de l'instabilité des lignées transgéniques. Certains scientifiques affirment que ces risques peuvent prendre différentes formes: le risque d'allergie croisée d'une protéine transgénique avec des allergènes existants, le risque de modification d'allergie de cette protéine par modification de son métabolisme dans la plante transgénique, le risque de modification d'allergie des protéines propres de la plante transgénique, et enfin , la possibilité pour une protéine transgénique d'être sensibilisante par dissémination aérienne, avec comme effet potentiel, une allergie alimentaire. En effet, si la voie d'exposition aux allergènes alimentaires est généralement digestive, des allergies peuvent également résulter d'une sensibilisation respiratoire86.

Ainsi contre les arguments selon lesquels les allergies liées à la consommation d'aliments ne constituent pas un phénomène propre à l'ingestion des OGM87, les détracteurs du génie génétique soulignent que les risques allergéniques dus à la consommation des plantes transgéniques sont trop élevés pour qu'on les compare avec les risques liés à la consommation de tout autre aliment. Comme preuve, on avance par exemple que les allergies au soja ont augmenté de cinquante pour cent depuis la mise sur le marché du soja transgénique88.

De ce point de vue, le principe de l'équivalence en substance apparaît comme une « mystification »89. Ce faisant, on n'hésite pas à relever des risques allergéniques réels pour le consommateur. En effet plusieurs exemples de cas d'allergies provenant de l'alimentation transgénique sont signalés un peu partout dans le monde pour sensibiliser l'opinion publique sur les effets nocifs des OGM pour la santé du consommateur. Il semble qu'aux Philippines, des villageois qui habitaient près des parcelles de maïs génétiquement modifié Bt ont souffert de vertiges et de vomissements au moment de la pollinisation de plantes génétiquement modifiées. De même, des cas d'allergies ont été signalés aux Etats-Unis après la consommation de maïs génétiquement modifié Starlink90 par de nombreuses personnes. Ce maïs qui avait été interdit par l'Union Européenne à cause des risques d'allergie a été autorisé aux Etats-Unis mais seulement pour nourrir le bétail. Cependant en 2000, ce maïs a été introduit illégalement dans l'alimentation humaine provoquant des douleurs, des vomissements et des diarrhées chez les victimes. Certaines sources rapportent également que la possibilité d'un transfert d'allergènes causé par le génie génétique est apparue au grand jour lorsqu'un producteur de méthionine91 provenant de la noix du Brésil a été incorporé au soja pour améliorer sa teneur nutritionnelle par la société Pioneer Hi-Bred aux Etats-Unis92.

Enfin selon des informations recueillies par le Panel Pour une Science Indépendante, les toxines Bt seraient des allergènes actuels et potentiels pour les êtres humains dans la mesure où des travailleurs exposés à des épandages ont souffert d'allergies de la peau93.

Qu'en est-il des risques toxicologiques ?

Paragraphe 2: Des risques toxicologiques

La lutte anti-OGM a atteint sa vitesse de croisière avec la publication des résultats des recherches entreprises par le Docteur Arpad PUSZTAI. Lorsqu'il était encore chercheur à Rowett Reasearch Institute à Aberdeen en Ecosse, PUSZTAI a obtenu des résultats préliminaires inquiétants : après avoir mangé des pommes de terre transgéniques, des rats ont souffert d'un retard de croissance, de problèmes de développement de plusieurs organes vitaux tels que le foie et le cerveau, et d'une déficience alarmante du système immunitaire.

Ses travaux allaient donner lieu à l'une des plus grandes querelles scientifiques (parce que largement médiatisée) de notre époque dans la mesure où les résultats des recherches concluaient à la nocivité des OGM94. De cette expérience, certains scientifiques déduiront des risques toxicologiques certains liés à la consommation de l'alimentation transgénique.

Le transfert horizontal de gène95, la technique qui consiste à transférer directement du matériel génétique dans le génome d'organismes d'espèces totalement différentes semble être le plus sérieux problème de sécurité que pose le génie génétique96. Cela est d'autant plus vrai que certaines constructions artificielles créées par le génie génétique nécessitent l'utilisation de virus et de bactéries qui ne sont en réalité que les véritables vecteurs de maladie97. Or selon des études, il n'est pas exclu qu'au cours d'une ingestion d'aliments transgéniques issus de la recombinaison de l'ADN de bactéries ou de virus, l'estomac humain soit infecté. On rapporte à ce sujet que des recherches, autorisées par le gouvernement du Royaume-Uni pour étudier l'éventualité d'un transfert de gène horizontal dans des bactéries de l'estomac de volontaires, ont donné lieu à des résultats positifs98. Les dangers les plus insidieux du génie génétique résideraient donc dans la technologie elle-même puisqu'elle augmente grandement la portée et la probabilité des transferts horizontaux de gènes et de recombinaison, la voie décrite comme idéale pour la création de virus et de bactéries qui pourraient provoquer des épidémies. Il semble que les techniques nouvelles, comme la recombinaison de l'ADN, permettent aux généticiens de créer en laboratoire, en quelques minutes, des millions de virus recombinants qui n'ont jamais existé durant les milliards d'années de l'évolution de notre monde. Or les virus et les bactéries susceptibles de provoquer des maladies et leur matériel génétique sont en toute hypothèse les matériaux et les outils prédominants du génie génétique, les mêmes sont utilisés pour la création intentionnelle d'armes biologiques. Diverses possibilités au service d'une attaque biologique seraient envisageables par manipulations génétiques : rendre pathogène une bactérie naturellement offensive, en y insérant des gènes de toxicité prélevées sur le génome de bactéries dangereuses, modifier une bactérie pathogène afin d'empêcher sa reconnaissance par le système immunitaire ou de la rendre résistante aux antibiotiques, introduire un virus silencieux dans une population ciblée puis réveiller ce virus par un signal chimique99 . Une autre forme de bioterrorisme pourrait être de déclencher des maladies dites agricoles, ce qui serait à la fois efficace et discret, un laboratoire agronomique se distinguant avec peine d'un laboratoire militaire et certains OGM agricoles présentant des points communs avec des agents bactériologiques militaires100. Le pire est donc à craindre.

De plus, l'ADN transgénique serait reconnu pour survivre à la digestion dans l'intestin et pour sa capacité à pénétrer dans le génome de cellules de mammifères, ce qui augmenterait la possibilité de déclencher le cancer101. Par ailleurs, il existe une ample documentation scientifique montrant que l'augmentation massive des produits chimiques et phytosanitaires dans le traitement des plantes fait courir un risque important sur la santé humaine. Et pourtant, des statistiques102 révèlent que, plus de soixante quinze pour cent des plantes génétiquement modifiées ont été conçues pour être tolérantes à des herbicides. On avance que non seulement ces herbicides tuent les plantes sans discrimination, mais ils sont également dangereux pour les animaux et les êtres humains. Certains herbicides à l'instar du glufosinate d'ammonium et du glufosate sont reconnus pour leur toxicité. Le glufosinate d'ammonium ou phosphinothricine utilisé dans le traitement de certaines plantes génétiquement modifiées est réputé pour sa nocivité pour les systèmes neurologiques, respiratoire, gastro-intestinal et hématologique et provoquerait des malformations chez les humains et les mammifères103. En ce qui concerne le glyphosate couramment utilisé dans le traitement des plantes transgéniques appelés «Roundup Ready» conçues par la firme MONSANTO, des études révèlent que ce produit constitue la cause principale d'empoisonnements et de plaintes au Royaume-Uni. En effet on rapporte que nombreuses sont les personnes qui après avoir inhibé ce produit par voie alimentaire ont perdu l'usage de certaines fonctions vitales : pertes d'équilibre, vertiges, réductions des capacités cognitives, troubles de la vue et perte de l'odorat, troubles de l'ouie et du goût, maux de tête, baisse de tension, paralysies des muscles, neuropathies, extrême fatigue104 ... Certains scientifiques vont jusqu'à faire admettre que l'exposition à ce produit peut doubler le risque de fausse couche105 et que les enfants de parents qui l'utilisent seraient plus aptes à développer des troubles de comportement106. Le Docteur Jorge KACKZEWER107, médecin à Buenos Aires note à ce propos que le glyphosate vendu aux agriculteurs n'est pas pur. En effet selon lui, « dans les formules commerciales, des ingrédients inertes sont ajoutés pour que le produit pénètre mieux dans la plante », lesquels pourraient également avoir des conséquences désastreuses sur la santé. Mais ce qui préoccupe surtout le médecin argentin, c'est leur combinaison avec le glyphosate car il « crée une synergie qui produit des symptômes nouveaux, non explicables par la symptomatologie de chacun des produits ». Enfin l'un des problèmes sérieux que soulève le génie génétique dans l'alimentation est le risque de résistance aux antibiotiques. De quoi s'agit-il ? En général, une expérience de transgénèse nécessite un grand nombre de cellules eu égard à son faible taux de réussite. Elle requiert en conséquence la présence d'un système de repérage permettant de sélectionner les organismes issus de cellules manipulées ayant intégré le transgène. Le plus souvent, les chercheurs introduisent avec le transgène un gène de résistance à un antibiotique, dit gène marqueur, ce qui permet, par application de l'antibiotique, de détruire les cellules non modifiées. La source du problème est la possibilité de transmission du gène de résistance d'une plante transgénique à des bactéries pathogènes pour l'homme par le phénomène des transferts horizontaux. Il en résulterait inéluctablement une recrudescence de la maladie causée par l'agent pathogène dans la mesure où il serait quasiment impossible de lutter contre ces gènes pathogènes résistants aux antibiotiques, transférés à l'organisme humain avec les antibiotiques actuels. Peut être alors faudra-t-il « surdoser » les antibiotiques pour espérer avoir la guérison. De ce point de vue, le développement de résistance aux antibiotiques peut être envisagé comme une fatalité. Si la recrudescence de microorganismes pathogènes due au développement de résistance aux antibiotiques est réelle, nous pouvons espérer une parade dans les progrès incessants de la biologie moléculaire, qui ne se contentera bientôt plus de produire en masse des substances antibiotiques naturelles, mais inventera certainement de nouvelles molécules entièrement synthétiques108. Compte tenu des problèmes posés par le

génétique en ce domaine, la Commission Européenne a entrepris des travaux en vue d'identifier les gènes de résistance aux antibiotiques qui devraient être éliminés des futures constructions génétiques parce que pouvant présenter un danger pour la santé humaine et l'environnement109.

Les OGM sont donc perçus ici comme une menace potentielle et réelle pour le consommateur. C'est ce qui ressort en tout cas des analyses de certains professionnels de la santé nutritionnelle.

A ce niveau de la réflexion, on retiendra que l'introduction des OGM dans l'alimentation et l'agriculture est a priori le domaine le plus controversé des biotechnologies modernes110.

Cette situation est liée à la place de choix qu'occupe l'alimentation dans les sociétés humaines. La question qui reste entière est de savoir si les motivations profondes qui animent les pro- et les anti-OGM dans ce débat d'une rare complexité, sont légitimes. Il est certain que derrière cette confusion totale se cache bien une guerre idéologique larvée, entretenue par des intérêts divergents. D'un côté, les promoteurs des OGM sont représentés par de grands groupes capitalistes à la recherche de profits, de l'autre côté, se trouvent des mouvements écologistes et les altermondialistes111 qui luttent contre le phénomène de mondialisation dont les OGM feraient partie. De toute évidence toutes ces contradictions méritent d'être prises en compte pour faire naître un minimum de consensus autour des opportunités réelles que pourraient offrir les biotechnologies modernes. Pour être plus juste, la plupart des partisans des biotechnologies modernes n'affirment pas que les cultures génétiquement modifiées peuvent résoudre tous les problèmes. Ils disent que le génie génétique est seulement un outil essentiel parmi tant d'autres et qu'il pourrait à cet effet ouvrir de grandes perspectives dans le domaine agroalimentaire. Mais le génie génétique entraîne une série de problèmes pour la sécurité biologique, ce qui exige forcément des ressources considérables pour en assurer la gestion. Il transfère la recherche développement en agriculture du secteur public au secteur privé via les firmes multinationales, et perturbe un processus collectif de sélection des plantes qui existait depuis des temps immémoriaux. C'est donc à juste titre que Richard HORTON éditeur de la revue scientifique anglaise The Lancet, affirme qu'« il y a un grand potentiel dans la recherche (...) qui pourrait venir des industries de technologies alimentaires et toute préoccupation sur la sécurité pourrait mettre en danger cet investissement gigantesque. On peut donc comprendre que les scientifiques soient inquiets de mettre en danger cet investissement » 112. En réalité, les OGM placent la société toute entière au coeur d'un profond dilemme entretenu par la volonté de résorber le déficit alimentaire grâce aux progrès de la science et les exigences de survie humaine qui réside dans le besoin de sécurité. Nous pensons avec Georges POSTE, directeur scientifique du groupe pharmaceutique SMITH KLINE BEECHMAN que « l'angoisse du public face à des évolutions technologiques que nous tenons désormais comme acquises ou plutôt non, que nous considérons et exigeons comme des droits inaliénables trouve sa source commune dans l'ignorance du public en matière scientifique, et dans la menace ressentie par les pouvoirs économiques et politiques établis lorsque (...) subsistent des incertitudes. On devrait tenir compte des ambiguïtés et prendre des mesures afin de réduire lesdites incertitudes ...»113. La communauté scientifique est donc appelée à construire le consensus nécessaire autour de la dialectique OGM / sécurité alimentaire. Certes toute technologie nouvelle est susceptible d'entraîner des risques directs ou indirects, cependant les problèmes posés par les OGM surtout dans l'alimentation exigent une surveillance plus accrue. Il ne s'agit pas pour nous de vouer cette technologie agricole aux gémonies, mais plutôt de tenir compte des préoccupations des uns et des autres pour faire avancer le débat. Sans pour autant entrer dans les considérations d'ordre scientifique, nous pensons en toute honnêteté que le principe de l'équivalence en substance est intellectuellement dépourvu de sens dans la mesure où la composition organique des aliments transgéniques est bien différente de celle des aliments conventionnels. Il faudra donc tenir compte de cet aspect des choses dans l'évaluation des risques sanitaires des aliments.

Somme toute, il faut avouer que la complexité du débat réside dans la difficulté de discerner entre la vérité et les rumeurs.

En tout état de cause, rien ne garantit que des plantes ayant absorbé une quantité importante d'herbicides ne soient pas toxiques. Les risques croissants d'allergies alimentaires ne sont pas à écarter, ainsi que la possibilité d'infection des cellules du corps humain par des vecteurs viraux après ingestion d'aliments transgéniques. Une recombinaison avec divers éléments génétiques ou des virus endogènes dans les cellules de l'hôte pourrait également favoriser l'émergence de virus pathogènes. Le risque le plus redouté pour l'homme, mais qui reste encore théorique, est le transfert aux microorganismes de la flore intestinale de gènes de résistance aux antibiotiques. De toute évidence, l'apparition très récente des OGM sur le marché ne permet pas d'avoir le recul suffisant pour évaluer tous les avantages et tous les risques qui en résulteraient. Tout ceci doit tempérer les euphories et les angoisses et pousser à la prudence.

La polémique actuelle sur les OGM, souvent réduite à leurs avantages et à leurs inconvénients dans leur rapport à la sécurité alimentaire, n'est rien d'autre que la partie visible de l'iceberg d'un débat qui intéresse divers domaines de la société. La question des OGM cache certains enjeux qui pourraient aussi bien expliquer les contradictions profondes qui existent entre les acteurs en présence. Il importe donc d'aborder ces questions qui gardent toute leur importance dans ce débat multidimensionnel.

DEUXIEME PARTIE : DEPASSER LA CONTROVERSE AUTOUR DE LA

DIALECTIQUE OGM/SECURITE ALIMENTAIRE

Après avoir analysé, les enjeux alimentaires liés aux OGM, la deuxième partie du travail consistera à exposer, les autres enjeux des biotechnologies modernes (chapitre 1) sans bien sûr omettre l'analyse des questions juridiques s'y rapportant (chapitre 2).

CHAPITRE I : Les autres enjeux des biotechnologies modernes

Au delà de la question de la sécurité alimentaire, les OGM soulèvent des enjeux de divers ordres : enjeux économiques et politiques, enjeux écologiques et éthiques, enjeux juridiques, la question des OGM ne manque pas de réveiller des débats d'école et des querelles de doctrine.

Section 1: Les OGM, des enjeux économiques, commerciaux et de stratégie géopolitique

Nous aborderons successivement dans cette section, les enjeux économiques et commerciaux d'une part, et d'autre part, les enjeux de stratégie géopolitiques liés aux OGM.

Paragraphe 1 : Les enjeux économiques et commerciaux

D'après le rapport de la FAO sur la situation de l'alimentation et de l'agriculture 2003/2004, la recherche en biotechnologie agricole est essentiellement le fait de grands groupes privés implantés principalement dans les pays industrialisés. Il s'agit là d'une orientation profondément différente par rapport à la révolution verte, où le secteur public joua un rôle de premier plan pour diriger la recherche agronomique sur les problèmes de la faim et de pauvreté rurale dans le monde en développement. Pour l'Organisation, ce changement de paradigme a des répercussions importantes sur le type de recherche, les types de technologies élaborées, et la façon dont ces technologies sont utilisées. « La domination du secteur privé dans les biotechnologie agricoles suscite des préoccupations sur le fait que les agriculteurs des pays en développement, et en particulier les paysans pauvres ne pourront en profiter, soit parce qu'ils ne disposent pas des innovations appropriées, soit parce qu'elles sont trop coûteuses »114indique-t-elle. Comme le fait remarquer Stephane DAZIE du Centre Africain pour les études technologiques : « le développement des biotechnologies dans l'Est et le Sud de l'Afrique n'est pas basé sur des politiques particulières que les gouvernements ont mis en place mais sur les intérêts de certains chercheurs et quelques fondations procurant les financements»115

Les sociétés transnationales vivent de leur commerce. Près du tiers des échanges commerciaux se pratiquent entre les transnationales et leurs propres organisations : une filiale vend des produits ou en achète à une autre filiale installée dans un autre pays, par exemple, ou fait du commerce avec la société mère. Elles sont particulièrement actives dans les secteurs de la transformation et de la commercialisation des produits agroalimentaires. Il n'est pas rare que plus de quatre vingt pour cent du commerce d'un produit agricole se retrouve entre les mains d'une poignée de méga-entreprises. Les OGM n'échappent pas à la logique mercantile de ces multinationales. Comme le fait remarquer John MADELEY116, il existe un lien étroit entre les règles commerciales élaborées par l'Organisation Mondiale du Commerce et l'essor du commerce des cultures génétiquement modifiées. Les impératifs de la croissance économique et de l'accumulation ont amené les pays industrialisés à s'investir activement dans le domaine des biotechnologies modernes et à rechercher des marchés. Ils ont tenté de s'assurer un accès au marché mondial au moyen des accords de libre-échange, notamment lors des négociation du cycle de l'Uruguay (Uruguay Round) dans le cadre du GATT, dont les résultats sont maintenant inscrits dans les statuts de l'OMC. A ce jour une poignée de méga-entreprises règnent sur l'industrie des aliments génétiquement modifiés : il s'agit des firmes Monsanto (USA), de Sagynta (Suisse), de Dupont (USA) pour ne citer que ces dernières. Pour maximiser leur profit, ces transnationales doivent vendre leurs semences génétiquement modifiées partout dans le monde. Cela est rendu possible par l'instauration des droits de propriété intellectuelle (DPI) dans les relations commerciales. L'un des principaux facteurs à l'origine des investissements croissants du secteur privé dans la recherche sur les biotechnologies est le fait que depuis vingt cinq ans, entrent en jeu des mesures internationales vigoureuses pour protéger les droits de propriété intellectuelle. Le secteur privé  a reçu des incitations économiques pour investir dans la recherche et le développement des biotechnologies modernes. Mais si les droits de propriété intellectuelle ont fortement stimulé la recherche du secteur privé dans les pays développés, ils peuvent en retour restreindre l'accès aux outils de recherche pour les scientifiques des pays en développement. En effet, de nombreuses innovations de la génétique sont protégées par des DPI, ce qui signifie que les pays en développement se heurtent à des coûts croissants d'accès et d'utilisation des nouvelles technologies.

Mais qu'est-ce qu'un droit de propriété intellectuelle ?

Le droit de propriété intellectuelle reconnaît à un individu ou à une firme, la propriété exclusive sur une invention, sur les nouveaux résultats d'une recherche ou d'une sélection. Pour certaines ONG africaines, la société industrielle et la logique de profit qui la soutient ont permis de développer ce mécanisme pour protéger les créations de l'esprit. Un DPI est accordé à toute firme qui en fait la demande et qui peut montrer que le produit à protéger est un nouveau produit. Les brevets qui matérialisent ces DPI117 assurent aux inventeurs ou créateurs, le droit exclusif d'exploiter leur invention pendant une certaine période. De façon plus concrète, les DPI empêchent les autres d'exploiter cette invention ou création et permettent ainsi aux créateurs de tirer un bon profit, monétaire généralement de leur invention. Après cette période, l'invention tombe dans le domaine public et peut être exploitée par d'autres individus ou d'autres firmes.

Le brevet accorde à son titulaire l'exclusivité de son innovation, exclusivité qui comprend la fabrication, la vente, ou la distribution de l'article ou de la matière brevetés, de même que l'utilisation ou l'exploitation de la méthode ou du procédé en vue de fabriquer un article ou une substance. Le brevet serait le mode de protection de la propriété intellectuelle qui rapporte plus de profit à son propriétaire ; il lui confère un monopole d'exploitation de vingt à vingt cinq ans. Mais la procédure d'obtention des brevets serait également coûteuse118. Toutefois le propriétaire d'un brevet peut autoriser un tiers à utiliser son produit ou son procédé contre le paiement d'une redevance ou royalty. L'accord de l'OMC accorde une place dominante aux brevets. En effet, à travers les Accords sur les Droits de Propriété intellectuelle touchant au Commerce (APDIC), l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) oblige les Etats-parties à se doter d'un système de protection de la propriété intellectuelle. L'accord sur les APDIC est l'entente internationale la plus exhaustive qui existe sur les droits de propriété intellectuelle ; elle complète les conventions de la propriété intellectuelle en les assortissant d'obligations substantielles découlant des règles de l'OMC119. Tout en autorisant les pays membres à interdire le brevetage des plantes et des animaux, l'article 27,3(b) requiert néanmoins une forme de protection de la propriété intellectuelle pour les nouvelles variétés végétales. Les firmes biotechnologiques se servent bien évidemment de ce cadre juridique pour non seulement amortir le coût des investissements opérés mais également réaliser de gros profits.

Dans le cas des brevets sur la vie, il s'ensuit que leurs détenteurs peuvent empêcher tout autre personne de fabriquer ou d'utiliser les semences, plantes et animaux ainsi brevetés. Pour Ralph NADER, « Sous le régime autocratique et secret de l'OMC, les transnationales, convoitent le monopole international des brevets, et non seulement sur les médicaments mais sur les semences, la flore et la faune. Les règles visent à soumettre les normes des pays membres en matière de santé et de sécurité alimentaire aux impératifs du commerce international ». A en croire certains esprits hostiles à la philosophie libre-échangiste qui guide les relations commerciales actuelles dont l'OMC passe pour être le porte voix, les

transnationales se servent de cette instance pour « instaurer un marché mondial déréglementé qu'elles pourront contrôler et où il n'y aura pas de place pour des lois efficaces destinées à protéger l'environnement et les droits de l'homme »120. Les transnationales favorisent la monoculture et, partout où c'est possible, exigent des agriculteurs qu'ils achètent leurs intrants, en plus de leur interdire de conserver ou de vendre leurs propres semences. En contrôlant le matériel génétique de la semence au marché et en obligeant les fermiers à payer des prix parfois au-dessus de leurs moyens, pour leurs semences et leurs intrants, les grandes firmes tentent de tirer le maximum de profits de leurs investissements. Les grandes firmes semencières n'ont certainement pas inventé les semences génétiquement modifiées pour aider les petits agriculteurs des pays du Sud. Ces derniers craignent que les OGM ne nuisent à leur agriculture et à leur sécurité alimentaire, tout particulièrement en permettant à des transnationales de contrôler leur approvisionnement alimentaire. Dans les pays du Sud en particulier, ces monopoles menacent grandement les bases de la sécurité alimentaire dans la mesure où le contrôle des semences échappe de plus en plus aux agriculteurs. La technologie « terminator » mise au point par la firme MONSANTO et qui oblige les paysans à renouveler leurs semences chaque saison trahit bien les velléités d'expansion économique des industries biotechnologiques. Or la majorité des petits agriculteurs du tiers-monde n'ont pas les moyens d'acheter de nouvelles semences chaque année. Et comme la plupart des banques sont réticentes à accorder des prêts à des paysans qui ne peuvent offrir de garanties, il leur est difficile d'emprunter. De toute façon, même s'ils avaient accès au crédit, bon nombre d'agriculteurs sont d'avis que les semences, trop importantes pour être laissées entre les mains d'entreprises étrangères, doivent demeurer sous le contrôle des communautés locales. Dan GLICKMAN, secrétaire américain à l'agriculture sous l'administration CLINTON attira d'ailleurs l'attention sur « le risque que les petits agriculteurs deviennent dépendants des technologies brevetées par des entreprises privées, notamment les OGM, soulignant que les choix motivés par les intérêts commerciaux en matière de développement technologique ne répondent pas aux besoins des agriculteurs démunis et, pire encore, qu'ils risquent de les réduire à la condition de serfs. »121 Le système des brevets et le rôle que jouent les grandes firmes dans le secteur des aliments transgéniques représentent un risque pour les petits agriculteurs au profit des grandes firmes monopolistiques. Les brevets apparaissent comme un outil vital des transnationales. Les grandes firmes de la biotechnologie possèdent les ressources pour mettre au point des produits brevetables et les protéger légalement, ce que favorisent d'ailleurs les règles de l'OMC. Pour Mark CURTIS, « les règles du commerce international sur les brevets permettent à des entreprises colossales d'accaparer le contrôle des produits du Sud aux dépens des affamés. »122

De nos jours, des compagnies, des universités, des chercheurs et, en particulier, des gouvernements semblent jouer gros en se lançant dans une chasse au trésor des brevets dont la vente leur rapportera des milliards de dollars. Ainsi, on a pu voir à la fin du vingtième siècle des brevets être accordés à l'égard du savoir et des plantes des indigènes, des mictro-organismes, des gènes, des animaux, voir des cellules et des protéines humaines.

La mondialisation des systèmes de DPI à l'occidentale dans un monde où règnent de profondes inégalités vient saper directement les droits économiques des pauvres.

Ainsi que le signalait Deepak NAYYAR, « Il est essentiel de garantir une récompense aux innovateurs, mais la protection des bénéfices monopolistiques ne doit certes pas avoir la préséance sur les intérêts des consommateurs dans un monde qui se caractérise par un développement inégal»123. Le défi consiste dans l'atteinte d'un équilibre : une protection qui encourage l'innovation sans nuire au bien commun. L'Accord sur les ADPIC a malheureusement dépassé ces limites en protégeant les droits des investisseurs sans créer un régime de protection de l'intérêt public. Tout ceci soulève le problème du commerce équitable dans les relations Nord-Sud. En effet, les règles actuelles du commerce international font peser sur les petits producteurs marginalisés une pression de plus en plus forte contre laquelle ils n'ont pas les moyens de lutter. Le commerce équitable124 propose un nouveau modèle basé sur une relation plus équilibrée entre les différents partenaires commerciaux. Soutenu par les consommateurs, ce commerce garantit aux producteurs des pays en voie de développement l'achat de leurs marchandises à un prix « juste » à l'abri des fluctuations du marché.

Paragraphe 2 : Les enjeux de stratégie géopolitique

Le débat sur les OGM remet en selle la problématique des relations Nord-Sud et la querelle idéologique qui la soutend. La question du brevetage du vivant dans les relations commerciales contribue fortement à entretenir ce débat. Vandana SCHIVA125 note à ce propos que dans l'histoire, le brevet a pendant longtemps été utilisé comme un instrument de conquête coloniale. Aujourd'hui, les brevets sont souvent perçus par le tiers-monde comme des outils d'un néocolonialisme, mais les puissances occidentales les assimilent à un « droit naturel » ; un conflit naît ainsi de l'opposition entre les DPI et les droits des communautés villageoises. Ce conflit est curieusement entretenu par l'opposition marquée entre la convention sur la biodiversité et l'accord sur les ADPIC. En effet, alors que la convention de Rio, entrée en vigueur en 1993 entend promouvoir la reconnaissance des droits des communautés locales et des populations autochtones à leurs ressources biologiques, en se fondant sur le « principe d'un partage équitable des avantages découlant de l'utilisation des ressources génétiques, l'accord sur les ADPIC, ne promeut pas le partage des profits mais la privatisation des ressources génétiques »126 . Plusieurs observateurs du Sud voient dans la convention sur la biodiversité, un moyen de contrebalancer les droits accordés par les ADPIC.

L'appropriation du vivant à travers les brevets est considérée comme un acte de biopiraterie par les populations autochtones du Sud qui estiment que l'accord sur les ADPIC favorise le vol de leurs ressources naturelles. A ce propos, un rapport d'Action Aid indique que soixante deux brevets « seraient reliés à la biopiraterie (...), ceux-ci permettant à des entreprises de nations riches d'exploiter des ressources aux dépens de paysans pauvres et de leurs

Familles »127. Lors de la rencontre ministérielle de Seattle, les représentants des pays du tiers-monde ont exprimé de vives inquiétudes concernant les droits relatifs à la propriété intellectuelle. Il est affirmé dans l'une de leurs déclarations ceci :

« Certaines plantes que des peuples autochtones ont découvertes et qu'ils cultivent et utilisent pour se nourrir, se soigner ou s'adonner à leurs rituels sacrés ont déjà été brevetées aux Etats-Unis, au Japon et en Europe. En voici quelques exemples : l'aya-huasca, le quinoa et le sangre de drago, qui poussent dans les forêts d'Amérique du Sud ; le kava, dans le Pacifique ; le curcuma et le melon amer, en Asie. Notre accès à la biodiversité environnante et le contrôle que nous exerçons sur nos ressources génétiques ainsi que sur notre savoir traditionnel et notre héritage intellectuel sont menacés par l'Accord sur les ADPIC. L'article 27,3(b) de cet accord autorise en effet le brevetage des formes de vie et établit une distinction artificielle entre plantes, animaux et micro-organismes. En ce qui nous concerne, ce sont tous là des formes et des processus de vie qui sont sacrés et ne sauraient être considérés comme une propriété privée»128. Le problème de la privatisation du vivant au moyen des brevets est aussi lié à celui des OGM. Il est évident que la question des OGM n'est pas réductible à celle des brevets et que réciproquement, la problématique de la privatisation du vivant dépasse le domaine strict de l'agriculture et de l'alimentation. Cette dernière question touche également aux domaines de la santé et du médicament. Le brevetage du vivant et les manipulations génétiques constituent de véritables menaces pour les droits des communautés de base.

Visiblement l'idée de transfert de technologie sert souvent de prétexte à l'Occident pour drainer la technologie du Sud vers le Nord. Les tentatives de mainmise sur l'héritage génétique du tiers-monde en général, et l'héritage génétique africain en particulier participeraient d'un projet bien défini: il s'agit d'intégrer dans la sphère de l'échange marchand, les pratiques séculaires de gestion des écosystèmes et de la biodiversité développées par les sociétés locales, en particuliers les agriculteurs. Ces tentatives visent même à subordonner ces pratiques à des règles commerciales édictées au niveau mondial, bien souvent pour le bénéfice des opérateurs privés. La connaissance des ressources génétiques qu'ont acquises les paysans profite tant aux habitants qu'aux entreprises du Nord. Cependant, les agriculteurs du Sud ne touchent aucune « redevance » pour leur « propriété intellectuelle ». Alors qu'il n'a jamais été question que les agriculteurs acquièrent des brevets sur les semences qu'ils améliorent, les transnationales, elles, font breveter de nouvelles variétés qu'elles prétendent avoir inventées alors que ce sont les paysans qui travaillent à les mettre au point depuis des siècles. Les peuples autochtones se sentent ainsi floués. L'exemple de biopiraterie dont on fait le plus souvent cas est celui de la thaumatine, un édulcorant naturel extrait des fruits d'un arbuste appelé katemfe (thaumatococcus daniellii) qui pousse dans les forêts de l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique centrale. Depuis des siècles apparemment, les populations de ces régions utilisent les fruits de cet arbuste pour sucrer les aliments ou pour renforcer leur goût. Des chercheurs de l'université d'Ifé au Nigeria ont découvert que la protéine extraite de cette plante est environ deux mille fois plus sucrée que le saccharose (le sucre ordinaire).

Depuis quelques années, la thaumatine est utilisée par les industries de l'alimentation et de la confiserie dans plusieurs pays. Plusieurs sociétés ont tenté d'utiliser la technologie de l'ADN recombinant sur le gène producteur de la protéine de la thaumatine. Beatrice Food, une firme agroalimentaire a obtenu un brevet aux Etas-Unis pour le procédé de clonage du gène dans la levure. Il semble également que des chercheurs de la société Lucky Biotech Corporation et de l'université de Californie ont reçu un brevet américain pour tous les fruits, les semences et légumes trangéniques renfermant le gène qui produit la thaumatine. A ce rythme, il est fort probable que des plantations de katemfe ne seront bientôt plus nécessaires ; les pays où le katemfe est cultivé ne pourront alors même plus en exporter les fruits129.

Les agriculteurs des pays en développement craignent que le fait d'accorder des brevets sur des produits agricoles à des sociétés transnationales ne mette leur indépendance en péril et ne les contraignent à quitter leurs terres. Ils craignent également que cela ne favorise la prolifération de variétés génétiquement uniformes et réduisent leur choix aux semences. Les agriculteurs revendiquent le droit de conserver, d'utiliser, et d'échanger les semences qu'ils ont mis des années à obtenir. Ils veulent s'assurer que les brevets ne compromettront pas leurs pratiques agricoles et qu'ils pourront toujours semer des variétés brevetées sans demander de permission, ni payer des redevances. Ainsi que le fait remarquer Wangari Maathai,

du Greenbelt Movement au Kenya, « Pour assurer leur sécurité alimentaire, les communautés locales doivent avoir accès aux semences, pouvoir les améliorer et les échanger librement, et produire suffisamment de nourrture pour subvenir à leur besoins.(...) Le recours au génie génétique menace la sécurité alimentaire de la génération actuelle et des générations futures. »130. Au-delà même de la sécurité alimentaire, c'est la question de la souveraineté alimentaire131 qui est mise en cause avec l'introduction des OGM dans la sphère alimentaire. Il est essentiel de bien percevoir que, derrière les OGM, se dessine plus généralement la question des semences. En effet en contrôlant désormais les semences qu'elles mettent au point, les firmes biotechnologiques ne s'assurent-elles pas également du contrôle des approvisionnements alimentaires ? La maîtrise des semences garantit le contrôle de la production alimentaire. Se couper de toute une partie du développement des semences reviendrait à renoncer à une large part de l'indépendance alimentaire. N'est-il pas vrai que le meilleur moyen de dominer une communauté, c'est de s'assurer le contrôle de son alimentation ?  Il est donc permis de se poser des questions sur la pureté d'intention de ceux qui proposent les semences ou les aliments transgéniques sur les marchés. On peut légitimement soupçonner les firmes détentrices des brevets sur les OGM d'avoir avant tout pour ambition de rendre leurs clients agriculteurs dépendants de leurs fournitures, et d'être essentiellement des commerçants pour qui toutes les stratégies sont permises pour écouler leurs produits avec le maximum de profit. Mais l'on peut surtout s'étonner de l'agressivité assortie parfois de menaces, dont font preuve les USA pays d'origine de la plupart de ces firmes. Elle fait douter de leur générosité pour l'Afrique, d'autant plus qu'il est démontré que les USA peuvent aider l'Afrique à éviter la famine sans recourir aux OGM, avec les stocks alimentaires mondiaux actuels. Pour le professeur Johnson EKPERE, les pays du Sud subissent « une pression pour accepter les biotechnologies de la part des pays qui y ont de gros intérêts. Cela se manifeste de différentes manières : politique, économique et scientifique. La pression politique est la plus forte. Accepter les biotechnologies est désormais souvent une condition pour obtenir une aide financière »132. Le lobby occidental des brevets voudrait convaincre tout le monde de la nécessité de ces derniers pour favoriser la croissance et atteindre un niveau de vie élevé dans le cadre de marchés libres réalisés grâce à l'invention technologique. Les DPI stimuleraient l'investissement, le transfert de la technologie du Nord vers le Sud ainsi que la recherche et l'innovation. Or la réalité est tout autre. Les systèmes de brevets drainent à l'heure actuelle la technologie et la richesse du Sud vers le Nord. Les exemples du riz basmati et de la plante neem sont édifiants. Le riz basmati, communément appelé le « joyau de la couronne » en Asie pour son arôme, ses grains longs et fins et son goût unique est beaucoup prisé au Pakistan et en Inde. Dans ces deux pays, des centaines de milliers de petits fermiers cultivent depuis plusieurs siècles diverses variétés de ce riz, qu'ils sélectionnent et préservent eux-mêmes. En septembre 1997, Rice Tec inc., une petite firme du Texas a obtenu un brevet controversé sur le riz basmati. « Le brevet que détient Rice Tec sur le basmati est considéré par plusieurs comme un cas classique de biopiraterie  » signale La Rural Advancement Foundation International (RAFI, aujourd'hui Action Group on Erosion, Technology and Concentration ), car « non seulement il usurpe le nom de basmati, mais il tire profit du génie génétique des agriculteurs d'Asie du Sud. Le brevet en question s'applique à des croisements touchant vingt deux variétés de riz basmati mis au point par des paysans du Pakistan et de l'Inde ». De son côté, l'entreprise américaine prétend avoir découvert la texture du riz après la cuisson en mesurant l' « indice d'amidon » d'un grain. Or d'après KR Bhatttachrya, ancien directeur du département des sciences céréalières de l'Institut central de recherche sur les techniques alimentaires de Myrose, en Inde, « le prétendu rapport entre l'indice d'amidon et le comportement du riz à la cuisson est faux, artificiel, et fallacieux ; il y a tout lieu de croire qu'il s'agit là d'un subterfuge dont Rice Tec s'est servi pour obtenir son brevet »13 3. Ceux qui contestent le brevet de la compagnie Rice Tec soutiennent que l'utilisation qu'elle fait du nom basmati est frauduleuse car seul le riz cultivé dans le nord de l'Inde et au Pakistan a droit à cette appellation.

En ce qui concerne, le neem (margousier, Azadiracta indica ) cette plante est utilisée à de nombreuses fins depuis des siècles, notamment en médecine et en agriculture. Les valeurs culturelles, médicinales et agricoles conjuguées du neem ont contribué à sa diffusion à grande échelle et à sa popularité. C'est ainsi qu'en Inde, le neem est appelé l'«arbre gratuit ». Pendant des siècles, le monde occidental a ignoré l'existence de cette plante et de ses propriétés. Depuis quelques années, cependant l'opposition croissante aux produits chimiques en Occident, en particulier aux pesticides, a provoqué un enthousiasme soudain pour les propriétés pharmaceutiques du neem, de sorte qu'en 1985 aux Etats-Unis, des sociétés américaines et japonaises ont obtenu plus d'une dizaine de brevets sur des formules stables de solution et d'émulsion à base de nems, y compris un dentifrice. Ainsi la multinationale Grace, une fois ses brevets obtenus et devant la perspective d'une licence d'exploitation de l'Agence de Protection de l'Environnement, a cherché à commercialiser son produit en s'établissant d'abord en Inde.

La demande de semences de la compagnie a eu trois effets : le prix des graines de neem est maintenant hors de la portée des simples citoyens ; en fait l'huile de neem utilisée dans les lampes est quasiment introuvable parce que les huileries ne peuvent plus se procurer les graines. La compagnie achète presque toutes les graines recueillies, les agriculteurs et les fournisseurs autochtones de soins de santé n'y ont plus accès, emportant comme conséquences l'inaccessibilité des pauvres à une ressource essentielle pour leur vie, ressource qui leur était auparavant offerte facilement et à bon marché. Le vif intérêt de Grace pour la production du neem a soulevé une vive protestation des scientifiques, des agriculteurs et des militants politiques indiens. Pour eux, les multinationales n'ont pas le droit de s'approprier les résultats obtenus après des siècles d'expérimentations autochtones et des décennies de recherche « scientifique » indienne. De son côté, pour se justifier, la multinationale prétend que les procédés modernes d'extraction constituent bel et bien une invention. Bien que les travaux de recherche et de développement ayant débouché sur ces compositions et procédés brevetés se soient inspirés du savoir traditionnel, le résultat a été jugé suffisamment nouveau et différent du produit naturel original et des modes d'utilisation traditionnels pour être brevetable.

Du reste, les OGM posent le problème de l'aide alimentaire. En effet, malheureusement celle-ci est de plus en plus utilisée comme arme pour créer des marchés au profit de l'industrie de la biotechnologie et des aliments génétiquement modifiés. L'exemple le plus frappant de cette forme d'«aide inhumaine» fut la tentative de l'USAID de fournir du maïs transgénique aux pays d'Afrique australe frappés par la famine, tels que la Zambie, le Zimbabwe et le Mozambique qui ont pourtant refusé. La combinaison des changements climatiques et des programmes d'ajustement structurel imposés par la Banque Mondiale, a fait de cette région une victime de la sécheresse et de la famine. En 2003, plus de trois cent mille personnes y étaient confrontées directement et la politique qui consiste à leur envoyer une aide alimentaire contenant des OGM est devenue un problème sérieux. Déjà lors de la première session qui clôtura le sommet de la terre à Johannesburg en Afrique du Sud en 2002, l'ex-Secrétaire

d'Etat américain Collin POWELL fut hué à la fois par les ONG et les gouvernements, alors qu'il insistait pour que les pays africains importent les aliments génétiquement modifiés en provenance des USA. Mieux, des centaines de représentants des paysans africains ont condamné la pression exercée par les USA pour distribuer une aide alimentaire à base d'OGM. A la place, ils ont proposé des solutions locales, reposant sur le droit à la terre,

à l'eau et aux semences. Dans la même foulée, le président zambien Levy MWANAWASSA avait déclaré que son peuple préférerait mourir plutôt que de manger des aliments toxiques134. Le président Zambien avait par ailleurs condamné la FAO, l'OMS et le PAM qu'il accusait

d'irresponsabilité en raison de leur soutien aux USA135. « Nous sommes peut être pauvres et nous faisons peut être face à une pénurie alimentaire, mais nous ne sommes pas prêts à exposer le peuple à des risques de maladies » avait-il insisté136. La mondialisation sert souvent de prétexte à l'Occident et tout particulièrement aux Etats-Unis qui veulent accéder librement à tous les pays pour trouver des fournisseurs et vendre leurs produits partout où les entreprises alimentaires peuvent avoir des coûts plus bas et faire de gros profits. Le gouvernement des Etats-Unis a généralement profité de certaines crises et a cherché à protéger et à renforcer sa domination dans le système alimentaire mondial en étendant le contrôle monopolistique de ses entreprises sur les secteurs clés du système alimentaire, s'assurant ainsi que les profits et les royalties continueront à affluer vers ce pays. Dans ce nouveau contexte mondial, les cultures génétiquement modifiées ne sont pas seulement une nouvelle technologie pour l'agriculture des Etats-Unis ; elles sont en première ligne de la politique étrangère de ce pays. En effet le gouvernement américain a de plus en plus recours à des accords de libre-échange bilatéraux et multilatéraux et à une pression diplomatique au plus haut niveau pour pousser les pays à adopter des réglementations favorables aux multinationales concernant les cultures transéniques137. Tout ceci faire dire à Peter HENRIOT que la controverse sur les OGM participe du « paysage plus large de la mondialisation. Elle met bien en évidence les connivences géopolitiques du commerce mondial alliées aux influences politiques et aux intérêts des grandes sociétés multinationales »138.

Section 2 : Les enjeux écologiques et éthiques

Nous aborderons tour à tour les questions écologiques et environnementales et les questions éthiques découlant de la problématique des OGM

Paragraphe 1 : les enjeux écologiques ou environnementaux

Considéré comme un droit de l'homme à part entière, le droit à un environnement sain est reconnu dans l'ordre juridique interne139 des Etats et dans l'ordre juridique international.

Le principe 1 de la Déclaration de Stockholm (1972) lie cependant les normes de protection de l'environnement aux droits humains stipulant que : « l'homme a un droit fondamental à la liberté, à l'égalité, et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être, il a le devoir solennel de protéger et d'améliorer l'environnement pour les générations présentes et futures ». Il existe bien sûr un lien étroit entre le droit à un environnement sain et les autres doits de l'homme, mais il est souvent plus facile d'aborder les problèmes liés à l'environnement par d'autres droits de l'homme que par le droit à un environnement sain lui-même. La détérioration de l'environnement affecte le droit à la vie, à la santé, au travail, à l'éducation, entre autres droits. C'est autant dire que le droit à l'environnement est un droit fondamental de l'homme.

Certains aspects de la problématique des OGM touchent à ce droit fondamental. En effet, le débat que les OGM suscitent dans le monde entier a donné lieu à des alliances entre groupes disparates s'intéressant à la sécurité sanitaire des aliments mais également à la protection de l'environnement. Il semble que les risques concernant l'environnement diffèrent à plusieurs

égards. De l'avis de certains écologistes, la pratique des plantes génétiquement modifiées est préjudiciable à l'environnement. En effet le développement de l'agriculture biotechnologique favorise la monoculture généralement pratiquée sur de grandes surfaces. Une telle situation peut conduire à l'évidence à une perte substantielle de la biodiversité à travers l'adoption d'un système agricole moderne bien aux antipodes des techniques culturales traditionnelles telles que adoptées en Afrique par exemple. En effet, en Afrique alors que la tendance est à une diversification des cultures sur une même parcelle de terre (diversité génétique), ce qui a pour avantage de sauvegarder la biodiversité, l'agriculture biotechnologique monoculturale repose sur l'uniformité génétique. De plus, les cultures génétiquement modifiées peuvent avoir une influence sur les autres cultures, mais aussi sur les autres organismes qui vivent dans les champs, dans le sol et autour des champs. On note donc des risques de dissémination, de pollution et de contamination liés à l'invasion des cultures génétiquement modifiées.

Les plantes génétiquement modifies se conduisent comme toutes les autres plantes, c'est-à-dire qu'elles se fécondent entre elles, se croisent avec les plantes du champ voisin, produisent des graines qui se multiplient et se disséminent. Les OGM plantés en plein champ vont donc se croiser avec les plantes voisines sous l'effet du vent ou par le canal des insectes et envahir leur environnement, contaminant les autres cultures. Les OGM peuvent donc se répandre de façon incontrôlée dans la nature sous l'effet de la pollinisation croisée. L'histoire de Percy SCHMEISER illustre bien cette possibilité. Agriculteur canadien, Percy SCHMEISER cultive du colza, une plante oléagineuse des pays froids, depuis des dizaines d'années. Il a développé sa propre variété locale qui résiste bien aux maladies et qui a peu de mauvaises herbes. En 1996, ses voisins achètent à Monsanto, la variété de colza transgénique qui tolère l'herbicide Round Up, lui-même commercialisée par Monsanto.

En 1997, Percy SCHMEISER pulvérise comme d'habitude de l'herbicide Round Up sur les bords de son champ afin d'éliminer les mauvaises herbes et les repousses de colza. Deux semaines plus tard, il remarque que ces plants de colza ont survécu et résistent à l'herbicide. Ce qui signifie que son champ de colza conventionnel a bien pu être contaminé par les cultures voisines de colza génétiquement modifié. La preuve : il récolte son colza et, comme il l'a toujours fait, il utilise une partie de sa semence pour l'année suivante. En 1998, Monsanto l'accuse d'avoir utilisé son colza transgénique breveté sans payer le prix de la licence d'utilisation. L'affaire est portée en justice140. La possibilité de la contamination des cultures biologiques ou conventionnelles par les cultures transgéniques pose le problème de la coexistence entre les différentes filières. En effet est-il techniquement possible de faire coexister les filières génétiquement modifiées et les filières non génétiquement modifiées sans que les premières ne nuisent aux secondes. Les scientifiques semblent être pour le moins unanimes sur la question. En effet suite à l'affaire Percy SCHMEISER qui constitue un exemple en la matière, une frange non moins négligeable de la communauté scientifique

Estime que le principe de la coexistence des différentes filières est un leurre. Dans un rapport présenté à la Commission Européenne en janvier 2002, l'Institut d'Etudes Technologiques Prospectives du Centre Européen des Recherches Conjointes affirmait que « La coexistence entre l'agriculture OGM et non-OGM ou l'agriculture biologique est impossible... »141. Des tests sur le flux de pollen ont montré que le pollen de blé peut voler au moins une heure, ce qui voudrait dire qu'il peut, selon la vitesse du vent, parcourir une distance très longue. Le pollen de colza, qui est encore plus léger, peut voler entre trois et six heures. Un vent normal de soixante dix kilomètres à l'heure, se « moque des distances de séparation de quelques centaines de mètres prévues par la loi » commente Percy SCMEISER qui semble tourner en dérision ceux des scientifiques qui estiment que le risque de contamination peut être efficacement contrôlé, à condition de prévoir des mesures rigoureuses qui sont entre autres, « L'établissement des zones-tampons entre les cultures des deux types, le recours à des pièges à pollen ou la bonne gestion des dates de semis et de récolte pour créer un décalage entre les périodes de pollinisation des plantes génétiquement modifiées et les autres plantes, le respect scrupuleux des distances d'éloignement entre ces cultures avec la possibilité de les moduler en fonction des espèces d'une part, et des conditions particulières de la zone, d'autre part.»142. Contrairement à Percy SCHMEISER, certains écologiques favorables aux OGM vont plus loin pour affirmer que l'utilisation des plantes génétiquement modifiées peut avoir des effets bénéfiques sur l'environnement dans certains cas, notamment par la réduction de quantité de produits phytosanitaires avec des plantes génétiquement modifiées peu exigeantes en pesticides ou en insecticides. On évoque même de plus en plus la possibilité de l'utilisation de produits moins polluants parce que biodégradables à partir des manipulations génétiques143.

Si ces solutions méritent qu'on y prête une oreille attentive, on ne peut néanmoins s'empêcher de se poser quelques questions sur la coexistence des différentes filières ; en effet, comment peut-on éviter que les graines de maïs génétiquement modifié tombent par terre et germent plusieurs années après ? Comment un agriculteur pratiquant les cultures biologiques ou conventionnelles peut-il être sûr que son tracteur, sa charrette et même ses bottes ne transportent pas de grains transgéniques ? Comment alors peut-on éviter les mélanges de semences sur les lieux de stockage ? C'est à autant de questions qu'il faudra répondre si on veut appliquer le principe de la coexistence des différentes filières.

Concrètement, il est extrêmement difficile de faire coexister deux filières étanches, l'une transgénique, l'autre biologique ou conventionnelle. En effet, quand les semences sont mélangées dans les charrettes ou les greniers, il est souvent difficile de faire le tri entre les OGM et les cultures traditionnelles, car les grains se ressemblent beaucoup. Seule une analyse technique complexe (analyse PCR) permet de vérifier si le patrimoine génétique d'une semence a été modifié ou non144. De plus en plus les transnationales intervenant dans le domaine des biotechnologies s'activent en vue de sauvegarder la diversité génétique des semences des plantes cultivées145. Pour certains observateurs à l'instar de Robert Ali Brac De La PERRIERE et Frederick PRAT, « Si les industriels promoteurs des cultures transgéniques prennent au sérieux la nécessité de sauvegarder les ressources génétiques des plantes, c'est parce que de nombreux indices attestent la contamination des plantes conventionnelles par les plantes génétiquement modifiées »146. La dispersion du pollen des plantes génétiquement modifiées dans la nature et précisément dans les mauvaises herbes pourrait rendre ces dernières plus résistantes aux herbicides et aux insectes, ce qui nécessiterait pour leur traitement l'usage de produits plus puissants et plus toxiques. De plus, on admet que l'utilisation répétée d'un même herbicide peut entraîner une modification de la flore car sous l'effet des pressions très fortes qui s'exercent sur elles, un processus de sélection fait apparaître des biotypes résistants aux herbicides associés aux plantes transgéniques conçues pour posséder une tolérance à l'égard de ces herbicides. Autre risque : la possibilité d'une colonisation du sol par les plantes génétiquement modifiées. Le génie génétique permet en effet qu'une fois utilisé, par exemple du soja génétiquement modifié sur un sol donné, il ne soit plus possible d'y cultiver du soja biologique. Les effets écologiques ou génétiques de l'introduction d'OGM dans l'environnement peuvent inclure :

- Des effets non voulus sur la dynamique des populations animales et végétales dans le milieu récepteur résultant des impacts sur les espèces non ciblées pouvant subir des répercussions directes du fait de la prédation ou de la concurrence, ou indirecte à cause des changements intervenus dans l'utilisation des terres ou les pratiques agricoles. Certaines recherches relatives à l'impact des OGM sur les espèces non ciblées ont donné des résultats qui ne sont pas de nature à rassurer. Il a par exemple été constaté que les variétés Bt secrètent des toxines Bt dans la rhizosphère ; ces toxines sont alors présentes dans des concentrations plus élevées que dans les conditions normales, ce qui pourrait avoir des conséquences sur les populations d'insectes du sol qui se nourrissent de ces plantes. Le vif intérêt suscité par les papillons Monarque (Danaus Plexippus) très populaire en Amérique du Nord a donné lieu aux travaux les plus importants sur l'impact des OGM sur les espèces sauvages, et les consommateurs s'intéressent de très près à cette question. Ces travaux dont les résultats ont été largement diffusés ont révélé la toxicité du pollen Bt pour les larves de Monarque élevés en laboratoire. Ces travaux vérifient ainsi l'hypothèse selon laquelle la biodiversité pourrait bien disparaître sur le long terme, sous la menace des OGM. Par le pollen, des échanges de gènes peuvent avoir lieu entre les plantes génétiquement modifiées et les espèces sauvages apparentées qui poussent dans les forêts, dans les prairies et les savanes. Ces échanges peuvent transformer les propriétés des plantes sauvages utilisées en agriculture pour l'obtention de plantes cultivées ou pour l'amélioration des plantes cultivées. Ces échanges peuvent également changer les propriétés des plantes sauvages utilisées par la médecine traditionnelle.

-On n'exclut pas la possibilité de contamination des micro-organismes du sol par les OGM. En effet, il n'est pas rare de rencontrer dans la nature des micro-organismes capables d'introduire des gènes de plantes dans leur propre patrimoine héréditaire à l'occasion d'un flux de gènes. Il pourrait donc y avoir un transfert de gènes entre la plante OGM et le micro organisme environnant. Une telle possibilité existerait, qu'elle conduirait sûrement à un

dérèglement de l'équilibre écologique, quand on sait que certains micro-organismes jouent un rôle catalyseur dans le maintien de cet équilibre.

Par sa nature même, le risque environnemental éventuellement associé aux OGM est souvent beaucoup plus difficile à appréhender que le risque sanitaire. D'une part, la sécurité sanitaire concentre ses moyens sur les effets directs pour l'homme, là où la sécurité environnementale doit évaluer un large champ d'espèces végétales et de populations animales, ainsi que leurs innombrables interactions. D'autre part, et surtout, les effets environnementaux sont nécessairement des effets à terme, et donc logiquement beaucoup plus difficiles à évaluer a

priori. Il convient d'insister d'emblée sur un point fondamental, qui explique les inquiétudes des populations : les OGM sont perçus comme une évolution irréversible. Dans ces conditions, le droit à l'erreur ne serait vraiment permis, ce qui confère au débat une tension dramatique qui explique sans doute les incompréhensions parfois animées de violences. Enfin le débat sur les OGM met en confrontation deux visions du développement durable : d'un côté les partisans d'une durabilité faible, estiment que l'épuisement et la dégradation de l'environnement naturel peuvent être compensés par l'investissement et le progrès technologique qui permettent la découverte de substituts. Cette hypothèse de substituabilité présente et future entre le capital naturel et les autres formes de capital, combinée à une vision très optimiste des possibilités de la technologie, aboutit à nier la spécificité des actifs naturels, et donc l'existence de contraintes écologiques absolues.

De l'autre côté, dans sa version la plus rigide, la durabilité forte souligne la spécificité du capital naturel. Alors que le capital technique reproductible peut toujours être modifié en hausse ou en baisse, la diminution du capital naturel est, elle, souvent irréversible. Le progrès technique est impuissant à y remédier et l'hypothèse de totale substituabilité entre le capital technique et naturel est rejetée147.

Paragraphe 2 : Les enjeux éthiques, moraux, philosophiques et religieux

Les manipulations génétiques soulèvent de nombreuses questions d'ordre éthique. Le recours aux techniques de la transgénèse est parfois considéré comme illégitime d'un point de vue philosophique lorsque la transgénèse heurte les conceptions que l'on peut avoir à l'égard de la nature, ou religieux lorsque la trangénèse est perçue comme un blasphème. Les expérimentations biotechnologiques reposant sur la transgression des barrières génétiques contredisent un ordre inscrit dans la conscience collective et dont les racines peuvent être trouvées dans les premières pages de la Bible : « La terre produisit de la verdure : des herbes portant semence selon leur espèce, des arbres donnant selon leur espèce des fruits contenant leur semence, et Dieu vit que cela était bon » et plus loin, « Dieu fit les bêtes sauvages selon leur espèce, les bestiaux selon leur espèce et toutes les bestioles du sol selon leur espèce, et Dieu que cela était bon »148. Modifier artificiellement le vivant et créer de nouveaux organismes ne sont pas des actes ordinaires et certains y voient, la manifestation d'une volonté démiurgique pernicieusement hérétique de l'homme, qui tend à défier Dieu dans son absolutisme. La dimension culturelle et religieuse du débat sur les OGM est d'autant plus prégnante qu'elle est souvent subliminale. Au Mali par exemple, « OGM » en langue Bambara se dit Bayèrè ma'shi c'est-à-dire « mère nourricière déformée » ; dans une conception animiste très présente dans ce pays, sous un vernis simpliste, le génie génétique consiste à prendre les gènes d'une espèce pour les introduire dans une autre - de quoi susciter de l'aversion à l'égard de cette pratique aux antipodes d'un modèle culturel fortement teinté de sacralité, où l'ordre naturel passe pour être un ordre intangible149.

Que dire des interdits totémiques dans les traditions ou les religions ? Les OGM pourraient bien être perçus dans certaines situations comme une violation de ces interdits, lesquels font partie intégrante de certaines traditions ou religions. L'enquête que nous avons réalisée dans le cadre de nos recherches nous a permis de mesurer le de sensibilité accordé au sacré dans le débat sur les OGM. En effet lorsqu'on entre dans la sphère du sacré, le discours rationnel devient inopérant car les dogmes ne se discutent pas. On y souscrit ou on n'y souscrit pas. De ce fait, on aboutit à une certaine cristallisation des positions enlevant au débat toute sa raison d'être. On présume qu'en Afrique en général et en Côte d'Ivoire en particulier, les OGM auront du mal à connaître le rayonnement qu'ils ont connu aux Etats-Unis par exemple. La variable explicative de cette situation est l'emprise de la tradition et de la religion sur les populations. Notre hypothèse de départ s'est vérifiée sur le terrain. Sur un échantillon de cent personnes choisies dans notre environnement immédiat pour se prononcer sur les enjeux des OGM, seulement cinq pour cent se sont prononcées en faveur des OGM, le reste constitué des quatre vingt quinze pour cent a montré son aversion pour ces aliments artificiels, évoquant ça et là des raisons liés aux traditions et aux religions. Dans la religion musulmane, la consommation de la viande de porc est interdite. Qu'adviendrait-il si des OGM mis sur le marché contiennent des gènes de porc ? Cela serait perçu comme un blasphème. Il en irait certainement de même dans certaines traditions africaines où la consommation de certains aliments est interdite.

Par ailleurs, l'irruption des OGM dans l'agriculture fait ressurgir un vieux débat relatif aux différentes conceptions autour des relations entre l'homme et la nature. Les OGM ravivent ainsi la querelle philosophique entretenue par les naturalistes et les utilitaristes. Pour les naturalistes, la nature prime sur l'homme. Cette approche dite biocentrée, privilégie la préservation de la nature pour elle-même indépendamment de son utilité pour l'homme, et même au détriment des activités humaines. La nature a une valeur intrinsèque, indépendante de l'usage qui peut en être faite, et tous ses éléments, humains et non humains, sont égaux en valeur intrinsèque. Au plan éthique, cela signifie que l'homme est situé à égalité avec les éléments non humains. Cette approche est anti-utilitariste et profondément opposée à l'anthropocentrisme qui place l'homme au-dessus de la nature150. Les partisans comme les adversaires des OGM empruntent les uns et les autres des conceptions philosophiques et religieuses pour défendre leur point de vue. Certains opposants aux OGM critiquent leur application à la modification génétique des végétaux et des animaux, tandis que des partisans des OGM estiment qu'une conception de la nature fondée sur la notion de « pureté génétique » est suspecte. Si nous nous abstenons de faire une immixtion partisane dans les querelles philosophiques, il nous est toutefois permis de nous interroger avec Arsène Brice BADO sur certains aspects du problème :

La nature a-t-elle une valeur en soi, ce qui appellerait le respect de la part de l'homme des principes naturels ? Ou n'a-t-elle qu'une valeur utilitaire, auquel cas l'homme est habilité à la modifier, à la transformer fondamentalement151 ? Ou peut-être doit on grossièrement penser comme Francis BACON, philosophe des sciences sociales, que « la nature est une femme publique. Nous devons la mâter, pénétrer ses secrets et l'enrichir selon nos désirs »152 ?

S'il est vrai que par son travail et son oeuvre, l'homme a toujours transformé la nature en y procédant par artifice pour produire de la « culture », ces transformations s'inspiraient, en général, jusqu'à présent des règles même de la nature : on pouvait encore parler de l'homme et de la nature, juxtaposer l'homme à la nature, ce qui conférait à l'homme une responsabilité et des devoirs à l'endroit de la nature. Mais le génie génétique qui permet de modifier la nature dans son essence, d'introduire de nouveaux gènes dans certaines espèces, de modifier, voire de perturber ainsi la biodiversité ne viole-t-elle pas la nature ? Pour Hillel PARIENTE, l'arrivée des OGM fait entrer les pays africains, notamment le Sénégal dans une sphère tout à fait inconnue et engendre un bouleversement terrible au sein des populations qui, jusque-là, suivaient le cours tranquille de leurs vies proches de la « nature ». Que restera-t-il de l'évolution naturelle de ces pays ? Des traditions et moeurs bafouées par une soudaine occidentalisation ?153

Ne faut-il pas plutôt se départir de la vision anthropocentrique pour reconnaître à la nature des droits propres, le droit de chaque espèce de garder son identité ou son intégrité génétique ? N'y a t-il pas urgence, à côté des droits humains à promouvoir des droits de la nature ?

Au-delà de cet aspect, les OGM soulèvent une autre question d'ordre éthique, celle relative à la brevetabilité du vivant. Est-il juste de breveter le vivant au profit de quelques firmes ? Beaucoup se sont interrogés sur les enjeux moraux du brevetage du vivant. Le sénateur Mark HATFIELD, chef de file de la lutte contre le brevetage animal américain résume ainsi la situation « le brevetage du vivant soulève une question essentielle d'ordre moral, celle de la vénération que doit inspirer la vie. Les prochaines générations vont-elles adopter l'éthique de cette politique du brevetage et percevoir la vie comme une simple usine chimique et une invention qui n'a pas plus de valeur ou de signification que les produits industriels ? Ou bien le sentiment de vénération l'emportera-t-il sur la tentation de réduitre la vie, qui vient de Dieu, à un simple objet de commerce ?»154. S'il n'est pas douteux que les OGM soient des « créations » nouvelles, elles le sont cependant à partir d'organismes vivants, les gènes qui constituent le patrimoine de l'humanité. Et le droit de propriété intellectuelle sur les OGM peut-il être reconnu en ignorant simultanément le droit des populations locales sur les ressources génétiques de leur terroir ? Il est pourtant connu que les pays en développement représentent quatre vingt dix pour cent des ressources biologiques mondiales, mais que la presque totalité des brevets appartient à quelques firmes du Nord.

La question de l'appropriation du vivant, des semences notamment se combine avec des aspects d'ordre culturel. Dans certaines civilisations, en Afrique ou en Inde, la semence est le premier maillon de la chaîne alimentaire. Elle incarne la continuité de la vie et sa reproductibilité, sa diversité biologique et culturelle. Pour les agriculteurs de ces régions, elle n'est pas seulement la promesse des plantes et de la nourriture à venir, mais représente leur culture ancestrale et leur histoire. Elle est l'ultime symbole de la sécurité alimentaire. L'échange des semences entre agriculteurs est à la base du maintien de la biodiversité et de la sécurité alimentaire. Cet échange repose sur la coopération et la réciprocité. Celui qui veut échanger des semences offre en général, en retour des semences obtenues, une quantité égale provenant de son propre champ. Le libre échange entre agriculteurs dépasse le simple échange de semences et comporte aussi le partage d'idées et de connaissances renforçant ainsi les liens d'amitié. Il s'agit du cumul des traditions et des connaissances sur la façon de faire fructifier les semences. Les agriculteurs se renseignent sur celles qu'ils veulent cultiver en regardant la récolte pousser dans le champ du voisin. La signification religieuse de la plante, ses propriétés naturelles ...façonnent le savoir de la collectivité au sujet de la semence et de la plante qui en sortira. Le riz paddy par exemple possède un sens religieux presque partout en Inde et constitue un élément essentiel de la plupart des festivals religieux de même que l'igname a une signification symbolique chez le peuple Agni de l'Est de la Côte d'Ivoire. Non seulement les semences jouent un rôle important dans les rituels et les coutumes communautaires, mais elles représentent également les connaissances accumulées à travers les siècles, et comme elles reflètent les options offertes aux collectivités, elles représentent leur choix. La culture de la conservation et de l'échange des semences, aux fondements de l'agriculture du tiers-monde est de nos jours menacée. Les nouvelles technologies, comme celle de la révolution verte ainsi que des biotechnologies agricoles dévaluent le savoir culturel et traditionnel relatif aux semences et érodent le savoir holistique de la collectivité. Si bien que la semence risque elle-même de disparaître, son existence étant intimement liée à ce savoir. Le processus d'érosion de ce riche savoir traditionnel s'accélère avec l'universalisation des droits de propriété intellectuelle par le système de l'OMC. De plus en plus, des personnes opposent une vive protestation à l'encontre de la prétendue stimulation de la créativité et de l'inventivité par les brevets155. Pour Vandana SCHIVA156, cette conception de la créativité à l'occidentale, comme produit de systèmes faits pour protéger la propriété intellectuelle, est une négation pure et simple de la créativité telle qu'elle existe dans la nature, et de la créativité qui obéit à d'autres motifs que le profit dans les sociétés, tant industrialisés que non industrialisés. Elle nie le rôle de l'innovation dans les cultures traditionnelles. En effet, pour lui le mot «science» ne peut pas renvoyer exclusivement à la science moderne et occidentale. Par sa nature même, pense-t-il, le savoir est le fruit d'une entreprise collective et cumulative. Fondé sur les échanges au sein de la collectivité, il est l'expression de la créativité humaine, ainsi bien individuelle que collective. Il doit donc englober les systèmes employés à travers les cultures et les âges pour produire la connaissance. Pourtant, les brevets sont des titres de propriété intellectuelle privée et repose sur la fiction d'une intervention scientifique à caractère purement individuel. Il y a donc conflit entre cette façon de sanctionner l'innovation et la créativité individuelles et la perception du savoir en tant qu'entreprise collective.

Le brevetage du vivant appauvrit les sociétés d'un point de vue moral et culturel. Avec les OGM, c'est la problématique de la place de l'éthique dans la science qui est mise en évidence. La bioéthique a-t-elle aujourd'hui de la voix dans une société du productivisme maximaliste, qui bien souvent malheureusement place le progrès scientifique au-dessus des autres valeurs

sociales telles que l'éthique et la morale ? Le Docteur Mae-Wan HO décrit à ce propos « le marécage nauséabond qu'est devenue l'éthique en science génétique » sous les assauts répétés des industriels de la chimie qui veulent vendre à tout prix leurs OGM. Il avertit que la seule motivation pour produire et vendre les OGM, c'est le profit157.

CHAPITRE II/ le droit, instrument de contrôle des risques biotechnologiques

Devant la menace réelle ou potentielle que peuvent représenter les OGM sur l'existence humaine, le droit est un instrument de contrôle des risques découlant de l'invasion biotechnologique. Le présent chapitre nous permettra non seulement de faire l'état des lieux de la réglementation (Section 1) mais aussi de réfléchir sur la problématique de la responsabilité et de la réparation (Section 2) en cette matière.

Section 1 : l'état des lieux de la biosécurité dans le monde

On envisagera dans un premier paragraphe, l'étude de la biosécurité au plan international, puis dans un second paragraphe, la biosécurité dans le contexte régional africain

Paragraphe 1 : au plan international

On entend généralement par biosécurité, « L'ensemble des politiques et procédures adoptées pour assurer une application saine de la biotechnologie moderne dans tous les domaines notamment ceux de la médecine, de l'agriculture, de l'industrie et de l'environnement, en évitant de mettre en danger la santé publique et l'environnement »158. En droit international, un certain nombre de dispositions engagent les Etats à la prudence. Le chapitre 16 de l'Agenda 21 ne rejette pas les biotechnologies mais précise qu'à elles seules, ces dernières ne sauraient résoudre l'ensemble des problèmes de l'environnement et que « le réalisme doit tempérer les espoirs qu'elle suscite ». La Convention sur la diversité biologique de 1992 est plus réservée : chaque partie contractante doit mettre en place des moyens pour « réglementer, gérer ou maîtriser les risques associés à l'utilisation et à la libération d'organismes vivants modifiés résultants de la biotechnologie »159. L'article 8 al.g rappelle les risques que font peser les OGM sur l'environnement, en particulier sur la biodiversité et même sur la santé de l'homme. De façon moins directe, mais cependant explicite, la Convention sur le droit de la mer de 1982 envisage, dans son article 196, les dangers de l'introduction non seulement d'espèces exotiques, mais aussi d'espèces nouvelles pouvant provoquer dans le milieu marin des changements considérables et nuisibles. De même, l'article 22 de la Convention de New York, du 21 mai 1997, sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation, engage les Etats riverains du cours d'eau à prendre « toutes les mesures nécessaires pour prévenir l'introduction dans un cours d'eau international d'espèces étrangères ou nouvelles qui risquent d'avoir des effets préjudiciables pour l'écosystème du cours d'eau ».

Un sérieux pas en avant a été fait avec l'adoption dans le cadre de la Convention sur la Diversité Biologique(CDB), le 29 janvier 2000, du Protocole de Carthagène sur les risques biotechnologiques biologique. Il importe de faire une analyse de cet instrument inédit.

A Le Protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques relatif

à la Convention sur la diversité biologique

Après en avoir décrit le contexte, nous en fournirons les stipulations.

1- Le contexte 

- Le protocole de Carthagène, prolongement de la Convention sur la Diversité Biologique 

La CDB adoptée au sommet de Rio le 22 mai 1992 et entrée en vigueur le 29 septembre 1994 a pour but de protéger la diversité biologique, qu'il s'agisse d'écosystèmes, d'espèces ou de ressources génétiques. Pour ce faire, elle établit un cadre commun destiné à servir de référence aux politiques nationales traitant à la fois de la conservation et de l'exploitation des ressources biologiques. Ratifiée par la plupart des pays, cette convention est un instrument innovant : d'une part elle a rompu avec la logique des accords sectoriels en traitant les problèmes dans leur globalité ; d'autre part, elle reconnaît à chaque pays le droit souverain d'exploiter ses ressources biologiques, à charge pour lui de les gérer de manière durable au travers de stratégies nationales.

L'article 19 paragraphe 3 de la convention ouvre la possibilité en outre de conclure un protocole « comprenant notamment un accord préalable donné en connaissance de cause définissant les procédures appropriées dans le domaine du transfert, de la manutention et de l'utilisation en toute sécurité de tout organisme vivant modifié résultant de la biotechnologie qui risquerait d'avoir des effets défavorables sur la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique ». C'est dans ce cadre qu'ont été entreprises en 1996 des négociations à Carthagène (Colombie) qui se sont achevées à Montréal le 29 janvier 2000 et qui ont abouti à la rédaction du Protocole de Carthagène sur les risques biotechnologiques160.

Comme l'indiquent Kyn ANDERSON et Chantal M. Pohl NIELSEN, dans un article intitulé

Cultures transgéniques, politiques commerciales et OMC, « Ce protocole n'a pas été uniquement adopté sous l'impulsion des pays riches ; certains pays en voie de développement le soutiennent également, car ils craignent que leurs territoires puissent être utilisés pour des expérimentations de mises en culture de produits OGM ». Cet élément de contexte permet de mieux comprendre le contenu du protocole et les enjeux de sa mise en oeuvre.

2- Les stipulations du protocole de Carthagène

L'objectif du protocole est d'encadrer la manipulation et les échanges transfrontières d'organismes vivants modifiés résultant de la biotechnologie. Cet objectif doit être mis en oeuvre par les Etats signataires, qui conservent par ailleurs le droit de prendre des mesures plus rigoureuses que celles prévues par le protocole, à condition qu'elles soient compatibles avec ses objectifs, mais aussi avec les autres obligations imposées par le droit international161. La conséquence de ces stipulations est de permettre à un pays de restreindre l'importation d'organismes vivant modifiés même en l'absence de preuves scientifiques quant au caractère nuisible de ces organismes tant sur la diversité biologique que sur la santé humaine. Le protocole procède en outre à une définition précise des notions suivantes : l'utilisation en milieu confiné l'exportation et l'importation, l'organisme vivant modifié, la biotechnologie moderne162,...de la sorte, le champ d'application du protocole est clairement défini : il s'applique aux mouvements transfrontières, au transit, à la manipulation et à l'utilisation de tout organisme vivant possédant une combinaison de matériel génétique inédite obtenue par recours à la biotechnologie moderne. Les produits pharmaceutiques à usage thérapeutique humain et les organismes vivants modifiés destinés à être utilisés en confinement n'entrent pas dans le champ d'application du protocole163. On pourrait en déduire que ces différents domaines de la biotechnologie moderne, a priori ne font pas peser de risque sur l'existence humaine.

Le protocole institue par ailleurs un cadre permettant d'assurer la transparence des échanges d'organismes vivants modifiés : tout mouvement transfrontière de ces organismes doit faire l'objet d'une procédure de contrôle et d'information164. L'exportateur est obligé d'informer la partie importatrice d'éléments techniques précis, qui permettent à celle-ci, après en avoir accusé réception, d'évaluer les risques de sa transformation ou de sa dissémination dans l'environnement et dans l'alimentation humaine et animale. Le principe de précaution est pleinement affirmé, puisque la partie importatrice peut interdire ou soumettre à des conditions tout mouvement transfrontière d'un organisme vivant modifié dont elle est destinataire, même en cas d'insuffisance des informations scientifiques disponibles ou d'absence de certitudes scientifiques165.

Le protocole renvoie aux Etats parties le soin de prendre les mesures appropriées en matière de gestion des risques et en cas de mouvements non intentionnels166.

Il définit également de manière précise et contraignante les standards applicables à la documentation devant accompagner tout organisme vivant modifié, afin d'en assurer la traçabilité167. Il revient à chaque partie de désigner un correspondant national chargé d'assurer la liaison avec le secrétariat de la Conférence des Parties. Chaque partie devra en outre désigner quelles sont les autorités nationales compétentes pour la mise en oeuvre du protocole. Dans le cadre de l'avant-projet de loi ivoirien de biosécurité, il s'agit d'un organe spécial dénommé Comité national de biosécurité168. Un centre d'échange pour la prévention des risques biotechnologiques sera créé afin de faciliter les échanges d'informations sur les produits vivants modifiés et le protocole précise le régime de publicité des informations recueillies par ce centre169. Ce centre d'échange d'informations doit constituer la tête d'un réseau d'informations regroupant trois types d'informations : les réglementations nationales afférentes aux organismes vivants modifiés ; les résumés des évaluations des risques ou des études relatives à ces organismes qui ont été conduites en application des réglementations nationales ; les décisions finales prises par chaque partie au terme de ces évaluations et études. Les opérateurs économiques pourront ainsi obtenir des informations sur les réglementations nationales auxquelles ils doivent satisfaire. Les autorités nationales pourront pour leur part échanger des informations de telle sorte que la prise de décision leur sera facilitée. Toute personne aura par ce biais accès aux informations non confidentielles remises au centre d'échange. Par ailleurs, le protocole encourage l'éducation et la sensibilisation du public sur les risques que présentent les organismes vivants modifiés170 et il invite les parties à procéder à des études de l'impact socioéconomique de l'importation de ces organismes171. Un processus d'élaboration de règles et de procédures internationales en matière de responsabilité et de réparation pour les dommages résultant de mouvements transfrontières d'organismes vivants modifiés doit être enclenché dès la première réunion des Parties et aboutir dans un délai indicatif de quatre ans172. Enfin le protocole définit les institutions chargées de mettre en oeuvre ses stipulations173 et prévoit le mécanisme de financement de ces institutions174. Aucune institution nouvelle n'est créée puisque la Conférence des Partie de la Convention de 1992 reçoit la charge d'assurer l'application du protocole. Son secrétariat en sera assuré par le secrétariat existant.

L'intérêt majeur du Protocole de Carthagène est d'imposer le principe de précaution dans le droit international, y compris commercial. Même s'il n'est pas très exigeant sur l'information des consommateurs sur les risques que présentent certains produits dérivés d'OGM, il dépasse de loin la position des principaux pays exportateurs d'OGM

3- Quelle articulation avec les accords de l'OMC ?

Les accords multilatéraux en matière d'environnement constituent une catégorie d'accords à part entière. Ils n'entraînent donc aucune relation de subordination par rapport aux autres corpus de règles internationales, tels que les accords de l'OMC. La question de l'articulation de ces accords avec ceux de l'OMC se pose avec acuité. Il est en effet possible qu'une mesure de nature environnementale ayant un impact commercial prise par une partie au protocole soit attaquée par un Etat devant l'organe de règlement des différends de l'OMC. L'OMC est de plus en plus regardante sur la question de la compatibilité des accords multilatéraux en matière d'environnement avec les règles du commerce international. Mais les discussions actuelles au sein du comité du commerce et de l'environnement, n'ont pour l'instant pas débouché sur une position commune. Cette situation souligne la difficulté constante d'articulation entre le droit international de l'environnement et le droit international du commerce ; en dépit de tout, il apparaît indispensable que l'OMC intègre certains principes, tels que le principe de précaution, dans son corpus de règles, afin que le commerce des OGM soit encadré et transparent conformément aux dispositions du protocole de Carthagène.

On peut penser qu'avec le protocole de Carthagène, on entre dans la problématique d'une future organisation mondiale de l'environnement, comme la France le préconise. En tout état de cause, l'articulation du droit international de l'environnement avec les règles de l'OMC doit être améliorée. Le prochain cycle de négociations devrait ainsi permettre que le principe de précaution soit enfin consacré par cette organisation. Il s'agit en effet qu'en cas de doute sérieux sur les risques induits par la consommation ou l'utilisation d'un produit, celui-ci puisse être retiré sans qu'un Etat n'encourre de sanctions prévues par l'organe de différends

de l'OMC. L'entrée en vigueur du protocole de Carthagène et le prochain cycle de négociations de l'OMC sont donc décisifs pour conforter le principe de précaution, tout en évitant son instrumentalisation à des fins protectionnistes, dans un domaine où la connaissance scientifique peut évoluer rapidement.

En somme, le protocole de Carthagène constitue une avancée en termes de transparence et d'informations tant à l'égard des Etats que des consommateurs. En jetant par ailleurs les bases d'une coopération renforcée entre les pays développés et les autres du tiers-monde, il s'inscrit bien dans la logique de développement durable défendue au sommet de Johannesburg. Dans l'attente d'une meilleure articulation entre le droit international de l'environnement et les règles de l'OMC, le protocole de Carthagène constitue un signal fort adressé aux pays réticents à l'égard du principe de précaution. Il consacre en effet, la nécessité d'améliorer la transparence et l'information du public sur l'impact des manipulations génétiques.

B- Le cadre de biosécurité dans l'espace communautaire européen

1- Présentation de la réglementation

Le 22 septembre 2003, la communauté européenne a adopté formellement deux règlements sur la traçabilié et l'étiquetage des OGM. Le premier vise à définir une procédure communautaire centralisée et transparente d'évaluation de la sécurité sanitaire et d'autorisation des aliments à destination des hommes et des animaux lorsqu'ils ont été génétiquement modifiés ou produits à partir d' OGM, ainsi que des prescriptions d'étiquetage harmonisées et complètes en vue d'offrir aux consommateurs et aux utilisateurs des informations exactes sur les produits, leur composition et leur qualité.

Le second règlement modifie la directive 2001/18/CE177et fournit un cadre harmonisé pour la traçabilité des OGM et des produits destinés à l'alimentation humaine ou animale produits et dérivant d'OGM dans le but de faciliter l'étiquetage exact, la surveillance des effets sur l'environnement et le retrait de ces produits.

2- Objectifs de la réglementation :

L'adoption d'un cadre réglementaire régissant la traçabilité et l'étiquetage des OGM vise à prévenir les risques biotechnologiques. D'une manière générale, la traçabilité permet de suivre chaque ingrédient depuis sa source jusqu'au produit fini. Dans le cas des OGM, la mise en place d'un système uniformisé de traçabilité permet l'identification et la surveillance des effets indésirables à long terme sur l'environnement et la santé humaine ou animale et, donc, de retirer du marché des produits quand un risque est établi. Par ailleurs, elle donne à tout acteur susceptible d'être en contact avec les OGM des informations sur la composition d'un produit. Grâce à la traçabilité, le contrôle de l'étiquetage est alors plus aisé car il est possible de vérifier la validité et la fiabilité des informations. Ainsi, la traçabilité est un outil de gestion des risques a posteriori et vise à assurer une plus grande transparence dans la production, la commercialisation, l'utilisation et la consommation des OGM. Pour pouvoir suivre le produit tout le long de la chaîne, des méthodes de détection analytique sont nécessaires. Concrètement, la traçabilité repose sur une documentation papier ou informatisée répertoriant des informations sur l'identité, le passé et la source d'un produit à chaque étape de sa mise sur le marché. L'étiquetage est supposé permettre au consommateur d'effectuer un choix éclairé sur ce qu'il achète.

3- Champ d'application de la réglementation :

Les règles d'étiquetage et de traçabilité concernent désormais l'alimentation pour le bétail comme l'alimentation humaine, que le produit final contienne ou non de l'ADN ou des protéines dérivées d'OGM. Ainsi, par exemple, l'huile de soja hautement raffinée obtenue à partir de soja transgénique et dans laquelle la transformation génétique n'est plus détectable est soumise à l'étiquetage. Cependant, les produits issus d'animaux nourris avec des aliments OGM comme la viande, le lait, ou les oeufs sont exclus de la réglementation. Les semences ont été incluses dans le champ d'application du règlement, uniquement lorsqu'elles sont destinées à usage alimentaire.

2 La traçabilité des OGM :

Les règlements définissent la traçabilité comme « la capacité de retracer le cheminement d'OGM et de produits dérivés d'OGM, à tous les stades de leur mise sur le marché, le long de la chaîne de production et de distribution »176. Cette traçabilité a été conçue pour susciter la confiance des consommateurs : l'innocuité des produits OGM sera évaluée par l'Autorité européenne de sécurité alimentaire avant qu'ils ne soient autorisés à la mise sur le marché. Elle devrait aussi permettre de faciliter la surveillance des effets sur l'environnement et l'exactitude des allégations figurant sur les étiquettes.

-L'étiquetage de tous les OGM :

Aujourd'hui déjà en Europe, les détaillants ont l'obligation d'étiqueter des produits contenant des OGM, à condition qu'ils soient détectables dans le produit final. L'étiquette doit porter la mention : « Ce produit contient des OGM » ou « Produit à partir d'OGM ». Lorsque la denrée alimentaire est mise en vente au consommateur final ou aux collectivités sans emballage ou dans de petits conditionnements préemballés, la présence d'OGM devra être affichée, soit sur le présentoir de l'aliment ou à proximité immédiate de celui-ci, soit sur le matériau d'emballage. Les produits alimentaires dans lesquels 0,9177 pour cent des ingrédients sont génétiquement modifiés devront être étiquetés. Par contre, si ces ingrédients n'ont pas été autorisés par l'Union Européenne (UE), mais sont estimés sans danger pour la santé, le seuil de tolérance est fixé à 0,5 pour cent, à condition que la présence de ces ingrédients soit accidentelle ou techniquement inévitable. Cette tolérance est valable dans un premier temps pour trois ans ; après ce délai, les OGM non autorisés seront définitivement proscrits. Au-delà de ce seuil, le produit ne sera plus admis sur le marché. Enfin pour les OGM jamais autorisés

dans l'Union Européenne, aucune trace n'est admise. L'ancienne directive 2001/18/CE reposait sur une procédure d'autorisation et d'évaluation scientifique des OGM, partagée entre les Etats et la Communauté. La nouvelle réglementation établit désormais une procédure selon le principe « une seule clé par porte » pour l'autorisation et l'évaluation scientifique. Selon cette procédure centralisée, un opérateur devra introduire une seule demande d'autorisation, auprès des instances communautaires.

4- L'application des règlements : vers une levée du moratoire ?

Le « moratoire de facto » sur les OGM de 1999 n'avait pas reçu de fondement légal mais se justifiait par la nécessité de mettre en place un régime juridique strict sur les OGM, dont la législation sur la traçabilité et l'étiquetage est un élément parmi d'autres. L'adoption de ces règlements n'entraîne pas ipso facto la levée du moratoire, mais la facilitera politiquement. Si levée il y a, la mise en culture de nouveaux OGM ne devrait pas s'accélérer car, faute de débouchés, peu d'agriculteurs ont opté pour ce mode de culture. A priori, les achats de produits contenant des OGM ne devraient pas augmenter non plus dans la mesure où plus de 70 pour cent des Européens refuse les OGM dans l'alimentation178. En définitive, on retiendra que cette double réglementation européenne sur la traçabilité et l'étiquetage est une avancée significative en termes de prévention et de gestion des risques biotechnologiques et de choix du consommateur. Greenpeace la qualifie même de meilleur texte en comparaison d'une part, de la réglementation américaine qui souffre de l'absence d'obligation d'étiquetage des produits OGM, d'autre part en comparaison des réglementations coréenne et japonaise qui fixent le seuil de déclaration obligatoire à cinq pour cent, seuil jugé trop tolérant aux yeux de certains observateurs avisés et autres spécialistes qui considèrent que ces deux dernières réglementations pèchent par leur trop grande souplesse.

Paragraphe 2 : au plan régional africain

Il s'agira pour nous d'examiner successivement la législation africaine et celle ivoirienne

A La législation africaine

Au plan africain, il existe deux lois dénommées lois modèles africaines ; la première est relative à la protection des droits des communautés locales tandis que la seconde est relative à la sécurité en biotechnologie. Nous les étudierons successivement.

1- La loi modèle africaine pour la protection des droits des communautés locales, des

agriculteurs et des obtenteurs, et des règles d'accès aux ressources biologiques

a- Le contexte

Les sociétés africaines ont constamment innové et fait évoluer leurs connaissances et technologies, pour les adapter à différentes conditions, comme l'ont fait toutes les sociétés humaines. La période coloniale a imposé des changements sans laisser de choix aux peuples locaux. Le « paradigme de développement » d'aujourd'hui continue d'imposer des valeurs et des priorités étrangères. Cependant, de plus en plus les gens commencent à réagir. Ils estiment que les nouvelles technologies doivent être adaptées aux valeurs et aux besoins des communautés, aux traditions culturelles différentes, à qui elles sont destinées. Il faut que ces nouveautés contribuent à la qualité de vie d'une société, en harmonie avec l'environnement et il ne faut pas qu'elles sapent ou détruisent les modes de vie des populations locales. Au cours du vingtième siècle, les sciences et technologies occidentales ont fait des progrès rapides dans tous les domaines, modifiant considérablement la structure de la société dans son ensemble, le pouvoir politique et économique et, surtout, le contrôle et l'accès aux différentes ressources biologiques nécessaires aux moyens de subsistance durables179.

Il est généralement admis que la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique sont nécessaires au bien-être des systèmes vitaux de la planète, dont dépend l'humanité toute entière. Certains tentent au contraire de réclamer des droits de monopole privé sur la diversité biologique d'une communauté. La mainmise des monopoles industriels sur les ressources naturelles des populations autochtones a d'importantes conséquences au niveau local, national et régional sur la sécurité et la souveraineté alimentaires, l'agriculture, le développement rural ainsi que la santé et l'environnement végétal. Le brevet sur les organismes vivants ou sur les plantes ou leurs éléments signifie la reconnaissance légale de droits exclusifs privés sur ceux-ci et leur descendance.

Pour les Africains, les brevets ou toute autre forme de droits de propriété intellectuelle sur les organismes vivants ont de graves conséquences sur le mode de vie des communautés qui se sont succédées sur le continent pendant plusieurs générations. La Convention sur la Diversité biologique (CDB) reconnaît dans son préambule le rôle et les réalisations des communautés locales et autochtones dans la conservation de la biodiversité et par là même, la nécessité de réaffirmer et de protéger les droits des communautés. Les Accords sur les ADPIC qui confèrent aux droits de propriété intellectuelle la possession privée, individuelle et exclusive sur les formes de vie, sont en totale contradiction avec les principes de base de la Convention.

Il semble de plus en plus que les régimes de propriété intellectuelle (DPI) ne peuvent pas protéger les technologies, les innovations, les pratiques et la biodiversité locale. Ces Systèmes favorisent le biopiratage, le pillage de la créativité et des innovations et autres pratiques des communautés locales, les privant des bénéfices économiques tirés de ces produits. Dans un tel contexte, un système qui reflète et protège le caractère essentiel de la richesse culturelle de l'Afrique s'impose. C'est pour répondre à ces différentes préoccupations tenant compte des spécificités africaines des agriculteurs que la loi modèle africaine relative à la protection des droits des communautés locales, des agriculteurs et des obtenteurs, et des règles d'accès aux ressources biologiques, a été adoptée à Lusaka en Zambie en 2001, par le sommet des chefs d'Etat dans le cadre de la défunte Organisation de l'Unité Africaine (OUA).

La loi modèle africaine relative à la protection des droits des communautés locales, des agriculteurs et des obtenteurs, et des règles d'accès aux ressources biologiques reconnaît la nature dynamique des modes de vie riches en biodiversité des populations locales et leur importance dans le patrimoine humain. Ainsi que le pense le Docteur J.A EKPERE180, si certaines lois favorisent les intérêts des puissants qui cherchent à limiter le développement des autres peuples, cette loi cherche plutôt à défendre les modes de vie des communautés. Elle définit une limite claire entre les systèmes des communautés d'une part, et le contrôle exclusif de la privatisation du vivant d'autre part. Elle permet donc à la communauté de se protéger. Pour l'essentiel cette loi s'adosse à la Convention sur la biodiversité qui impose de respecter et préserver les styles de vie innovants des communautés locales et autochtones, dont le consentement doit par ailleurs être obtenu pour avoir accès à leurs ressources biologiques, à leurs connaissances et à leurs pratiques. Elle leur garantit une part des bénéfices obtenus par ceux à qui l'accès est autorisé. C'est donc un système légal qui définit les règles d'accès et de partage des bénéfices ainsi que les droits des communautés, notamment les droits des agriculteurs, en tenant compte des caractéristiques particulières de l'Afrique et l'énorme diversité biologique et culturale qui distingue ses sociétés à dominante rurale.

L'un des principaux accords de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), les accords sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle touchant au commerce (ADPIC) oblige ses Etats-membres à adopter soit des brevets181, soit un système « sui generis effectif »182pour une nouvelle variété végétale. Les pays du Nord et le Secrétariat de l'Union pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV) essayent de promouvoir la Convention de l'UPOV de 1991 en tant qu'option « sui generis » appropriée. Les pays africains rejettent de plus en plus cette convention parce que pour ces derniers, elle n'est qu'un instrument qui permet aux monopoles étrangers d'obtenir des droits sur la diversité locale. La loi modèle africaine inclut donc des droits d'obtenteur, formulés de telle façon que la longue tradition d'innovation et de sélection des communautés d'Afrique ne soit pas menacée par les nouvelles normes commerciales de sélection et d'innovation, largement dictées par les groupes d'intérêts et /ou pour les marchés étrangers. De ce fait, elle remplirait pour certains juristes les obligations prévues par l'article 27.3 (b) des Accords ADPIC en faveur d'une option sui generis, tout en respectant les obligations prévues par la Convention sur la Diversité biologique.

Plusieurs principes découlent de ce texte juridique dont nous étudierons les plus fondamentaux :

C- Les principes

- La souveraineté et la sécurité alimentaires183 :

La monopolisation des produits agrochimiques, les semences homogènes, la monoculture et maintenant le génie génétique tendent à réduire la biodiversité. Non seulement le génie génétique sert à produire des semences homogènes, mais il est sous le contrôle des grandes compagnies des pays industrialisés. Ainsi, l'agriculture industrielle protégée par les brevets telle que nous la connaissons actuellement empêche le contrôle local et national sur la production alimentaire. On peut craindre que ces systèmes et technologies qui limitent la biodiversité aient de graves conséquences sur la sécurité et la souveraineté alimentaire de l'Afrique. Devant cette situation, la loi modèle africaine réagit vigoureusement en s'assignant entre autre comme objectif de « veiller à l'utilisation efficace et équitable des ressources biologiques afin de renforcer la sécurité alimentaire nationale »184. La véritable sécurité alimentaire, qui assure l'autosuffisance des communautés et des nations, nécessite la décentralisation plutôt que la centralisation. Il faut donc un système décentralisé de production qui permet aux communautés locales de rester autonomes dans leurs choix et dans la maîtrise et la gestion des ressources et des moyens de subsistance. Il s'agit d'un droit fondamental inscrit dans la Déclaration Universelle des Droits de l'homme185 . Seuls les produits agricoles en excédent devraient être exportés et une fois seulement que les besoins alimentaires du pays ont été satisfaits. Les droits coutumiers des agriculteurs à garder, utiliser, échanger et vendre les semences sont reconnus par la loi modèle africaine, parce qu'ils sont le fondement des pratiques agricoles et ont toujours été pratiqués par les communautés agricoles.

- Souveraineté, droits et responsabilités inaliénables de l'Etat186 :

L'Etat est l'entité légalement reconnue pour représenter le peuple. C'est au peuple qu'il appartient de lui conférer sa souveraineté et son autorité. L'Etat a donc la responsabilité et le devoir de défendre les droits de ses populations et de les protéger contre des interventions extérieures non sollicitées. Le principe de l'égalité souveraine des Etats et les principes de non-intervention qui en découlent sont inscrits dans l'article 2 de la Charte des Nations-Unies et l'article 3 de la Convention sur la Diversité Biologique qui établit que les Etats ont le droit souverain d'exploiter leurs propres ressources avec la responsabilité de les conserver et de les gérer de façon durable. En son sein, l'Etat doit donc protéger la diversité culturelle de la population, tenir compte de ses opinions et concilier des intérêts divergents. C'est le contrat social établi entre le peuple et lui. Ainsi, il faut clarifier la relation entre les droits d'un Etat et ceux des communautés locales. L'Etat doit protéger les droits des communautés locales dont les systèmes socioculturels sont indissociables des principes de durabilité et assurent la création, le maintien et la protection de la biodiversité187. La loi modèle africaine est fondée sur le principe que les connaissances, innovations et pratiques associées à la biodiversité des communautés locales sont le résultat de nombreuses pratiques vérifiées et expérimentées par les générations passées et présentes188. Pour préserver et garantir leur continuité et leur évolution, elles doivent être transmises aux générations futures. C'est un droit fondamental et une responsabilité de chaque génération envers celle qui lui succède. Ainsi, personne n'a le droit de s'approprier, de vendre ou de monopoliser un quelconque élément d'une ressource biologique et des connaissances, innovations et pratiques qui lui sont associées. En ce sens, les droits des communautés sont considérés comme inaliénables189 et ceux qui les détiennent ne doivent en être privés. Il s'agit de droits et de responsabilités intergénérationnels. Nul ne peut, de son propre chef, affaiblir ou abolir ces droits par ses décisions, mais au contraire, a le devoir de les défendre et de les transmettre aux générations futures.

-Les droits et responsabilités des communautés190:

La loi modèle de l'unité africaine définit les « communautés locales » comme des populations humaines vivant dans une zone géographique donnée. Elles créent, utilisent, gèrent, et transmettent leur richesse biologique, connaissances, innovations et pratiques. Celles-ci sont régies par leurs propres lois coutumières qu'elles soient écrites ou orales. Les droits des communautés revêtent une importance majeure dans la mesure où les rédacteurs de la loi y consacrent toute la Quatrième Partie.

Les droits des communautés reconnaissent que les pratiques coutumières des communautés locales dérivent de devoirs et de responsabilités a priori des générations passées et futures des espèces humaines et non humaines. Cette conception traduit une relation fondamentale avec toute forme de vie et s'imprègne d'un profond besoin de respect. Les droits et responsabilités des communautés qui régissent l'utilisation, la gestion et le développement de la biodiversité, ainsi que les connaissances, innovations et pratiques traditionnelles qui lui sont associées, ont existé bien avant l'émergence des droits privés sur la biodiversité et les concepts de propriété et de possession individuelle. Les droits des communautés sont donc considérés comme naturels, inaliénables, préexistants ou primaires. La loi modèle africaine reconnaît leur caractère a priori dans son préambule. Ces droits conduisent à formaliser l'existence du contrôle communautaire sur la biodiversité. Ce système de droits qui favorise la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique et encourage l'utilisation et le développement des connaissances et technologies, est tout à fait essentiel à l'identité des communautés locales et au rôle irremplaçable qu'elles jouent dans la conservation et l'utilisation durable de cette diversité. Les droits des communautés sont particulièrement importants pour la nature multiethnique de l'Afrique. La loi offre ainsi l'opportunité de reconnaître et de soutenir le riche héritage culturel et les ressources biologiques de l'Afrique par la reconnaissance d'un système de droits préexistants. L'ONU a reconnu l'existence des droits collectifs des communautés locales et autochtones dans le Projet de Déclaration des droits des peuples autochtones, et a recommandé que tous les Etats appliquent ces droits dans leur législation nationale191. Le droit international reconnaît à l'Etat des droits souverains sur ses ressources biologiques192. Cependant, le caractère intangible des connaissances relatives à ces ressources et technologies n'est pas protégé. La CDB a fort heureusement évoqué cette situation en son article 8(j) en reconnaissant l'importance des connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales en rapport avec la conservation de la biodiversité et son utilisation durable et équitable.

L'existence, presque partout dans le monde, de droits collectifs des communautés doit être reconnue avant que ces droits ne soient complètement laminés par les intérêts commerciaux. La loi modèle africaine place les droits et responsabilités des communautés au coeur même de l'utilisation de la biodiversité et des connaissances innovations et pratiques associées pour défendre le riche héritage de l'Afrique en matière de diversité biologique et de culture.

-La valeur des connaissances autochtones193 :

Les sociétés rurales ont de grandes connaissances écologiques parfois spécifiques aux différents sols, minéraux, espèces et cycles saisonniers, parfois relative à une interprétation dynamique des écosystèmes sur lesquels elles ont co-évolué. Les cultures autochtones ont donc une conception écologique du monde qui rappelle que, comme toutes les autres espèces, nous sommes tous intimement soumis aux lois de la nature. Cela les amène à respecter les cycles dynamiques de la vie et ses interactions et à se sentir responsables et constructifs au sein d'écosystèmes dont elles font intégralement partie. La loi modèle africaine donne à l'Afrique les moyens de protéger sa richesse culturelle et au-delà, sa richesse biologique. Non seulement elle reconnaît officiellement la diversité dans la loi, mais elle soutient et renforce activement les capacités d'adaptation et développement des diverses cultures du continent

- Participation totale à la prise de décision194:

La loi modèle africaine cherche à garantir la participation réelle des communautés locales dans la prise de décision sur toutes les questions relatives à leurs richesses biologiques, connaissances et technologies. Ainsi, il faut que les communautés locales et autochtones participent à l'élaboration et à l'exécution de plans, politiques, programmes et processus qui ont une incidence sur leur vie et leur territoire, et qui ont un rapport avec la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité.

Chaque culture a ses propres conceptions du monde, qui déterminent son évolution au cours des siècles. Si la diversité des traditions et des connaissances des communautés doit être préservée et transmise aux générations à venir, il faut que ces communautés soient à même de prendre des décisions selon leur us et coutumes. En effet, c'est leur développement qui est en cause. On doit également tenir compte de la diversité culturelle de l'Afrique lors de tout processus de participation. D'après la loi modèle africaine, les communautés locales doivent être consultées lors du partage des bénéfices tirés de l'accès et de l'utilisation de leurs ressources biologiques, connaissances et technologies. C'est le seul moyen pour que les communautés participent de façon totale et équitable et selon leurs us et coutumes, aux décisions qui touchent à la biodiversité.

- L'accès à la diversité biologique et génétique195 :

L'article 15 de la CDB établit que l ' « accès aux ressources génétiques » doit être limité à une utilisation raisonnable de ces ressources d'un point de vue environnemental. Les systèmes traditionnels d'accès, d'utilisation ou d'échange de la biodiversité ne doivent pas être remis en cause. La loi modèle donne une définition large de l' « accès » qu'elle décrit comme « l'acquisition de ressources biologiques, de leurs produits dérivés, des connaissances, d'innovations, de technologies ou de pratiques des communautés telle qu'elle est autorisée par l'autorité compétente nationale.» Elle définit le contrôle de l'accès à la biodiversité et aux connaissances et technologies des communautés comme « le devoir de l'Etat et de son peuple »196. Dans ce contexte, elle prévoit un système d'accès soumis au consentement donné en connaissance de cause des communautés locales concernées ainsi que l'Etat.

- Le Consentement donné en connaissance de cause197:

La CDB établit que l'accès aux ressources génétiques doit être soumis à l'obtention du consentement donné en connaissance de cause du pays d'origine, sauf si celui-ci en décide autrement198 . Sur le fondement de cette dispositions, l'article 3.1 de la loi modèle africaine stipule que « l'accès à toute ressource biologique et /ou connaissances ou technologie des communautés locales dans toute partie du pays devra être soumis à une demande en vue d'obtenir le consentement donné en connaissance de cause et une autorisation écrite ». La loi modèle africaine contient des dispositions spécifiques relatives à la consultation des communautés concernées. Elle donne à l'autorité compétente nationale l'obligation de garantir que cette consultation a bien lieu. L'accès aux ressources biologiques est invalide si le consentement donné en connaissance de cause n'a pas été donné. C'est aussi le cas si la permission a été accordée mais que la procédure de consentement donné est incomplète, ou encore si elle n'est pas en conformité avec les critères d'une participation réelle et équitable.

La loi modèle africaine reconnaît que le partage des bénéfices est un « droit » des communautés locales. Il correspond à l'un des trois objectifs de la CDB qui dispose dans son article 1 que « le partage juste et équitable des avantages découlant de l'exploitation des ressources génétiques, notamment grâce à un accès satisfaisant aux ressources génétiques et à un transfert approprié des techniques pertinentes, compte tenu de tous les droits sur ces ressources et aux techniques, et grâce à un financement adéquat », doit être une réalité.

-Le partage des bénéfices justes et équitables199:

L'Etat doit garantir qu'un pourcentage déterminé (minimum cinquante pour cent) de tout profit financier est restitué à la communauté locale. Dans la partie consacrée aux droits des agriculteurs, la loi modèle insiste su ce droit fondamental dû aux communautés locales.

Les bénéfices non financiers sont au moins aussi intéressants que les bénéfices financiers. Il s'agit notamment de la participation à la recherche et au développement en vue du renforcement des capacités, l'accès aux technologies utilisées pour étudier et améliorer la ressource biologique, le retour des informations relatives aux ressources biologiques auxquelles l'accès a été autorisé...

-Les droits d'obtenteur200 :

La loi modèle africaine reconnaît le droit des obtenteurs sur les variétés qu'ils élaborent, tout en favorisant un système d'obtention commerciale adapté aux systèmes agricoles africains. La loi modèle consacre toute une section aux droits d'obtenteurs. La loi modèle reconnaît que les agriculteurs sont, et ont toujours été, des obtenteurs et elle cherche à garantir que les obtenteurs exclusivement commerciaux ne portent pas atteinte aux pratiques coutumières des agriculteurs. Pour les Africains, la section de la loi modèle relative aux droits d'obtenteurs remplit bien les obligations de l'article 27.3 (b) des Accords ADPIC en faveur d'un système sui generis pour les variétés végétales. Les droits des agriculteurs font cependant partie des droits des communautés, et de ce fait n'ont pas à satisfaire les obligations des ADPIC. Elle reconnaît ainsi les efforts et les investissements, tant des individus que des institutions, dans l'élaboration de nouvelles variétés végétales et propose une reconnaissance et une récompense économique. L'obtenteur acquiert les droits exclusifs de produire et de vendre la nouvelle variété. Cependant, ces droits doivent être protégés conformément aux dispositions relatives aux droits des agriculteurs de la ladite loi. Ceci signifie que les agriculteurs peuvent conserver, utiliser, échanger et vendre les semences et boutures de leur exploitation. Les Africains estiment que l'UPOV est une fausse alternative au brevet dans la mesure où la révision de cet accord en 1991 le place quasiment sur le même terrain que le système des brevets.

- Pas de brevet sur le vivant201:

Le groupe de travail de la Commission scientifique, technique et de recherche de l'OUA estime que « la privatisation des formes de vie à travers le régime des droits de propriété intellectuelle viole le droit fondamental à la vie et va à l'encontre du concept africain du respect de la vie. »202

La loi modèle africaine partage les inquiétudes exprimées dans la position commune du groupe africain concernant les accords sur les ADPIC. La loi est claire à ce sujet tant dans son préambule que dans la troisième partie relative à l'accès aux ressources biologiques, où elle déclare que les brevets sur les formes de vie et sur les processus biologiques ne sont pas reconnus et donc, pas applicables.

La loi préconise l'interdiction des brevets sur les végétaux et les animaux, ainsi que sur les micro-organismes et tous les organismes vivants et leurs éléments. Elle déclare également que les processus naturels qui permettent la production de végétaux, d'animaux et tout autre organisme vivant ne peuvent faire l'objet de brevet.

- Vers l'égalité des sexes- un principe transversal203:

Partout dans le texte de la loi modèle africaine, des dispositions sont prévues qui reconnaissent la contribution des femmes dans la conservation de la biodiversité. En effet elles jouent un rôle majeur et vital au sein des communautés locales et agricoles. Leur apport est déterminant dans tous les pays riches en biodiversité, et les pays africains ne font pas exception. Paradoxalement, les procédures de prise de décisions menacent souvent le rôle coutumier de ces dernières. La loi modèle est une alternative de solution à la promotion des droits des femmes, ce parce qu'elle reconnaît formellement leurs droits coutumiers et leur droit à participer de façon pleine et entière aux processus de décision.

Elle prévoit clairement que les femmes soient consultées et impliquées dans des décisions prises dans le cadre du consentement donné en connaissance de cause, en tant que membres à part entière de la « communauté locale concernée ». Les intérêts des femmes sont aussi pris en compte dans le partage des bénéfices tirés de la diversité biologique, puisque ceux-ci sont restitués à la communauté locale et doivent être redistribués « d'une façon qui traite les hommes et les femmes équitablement ». Cette loi évoque le rôle essentiel des femmes et leur contribution dans la conservation de la biodiversité dans toutes ses sections. Il ne pourra y avoir d'égalité des sexes si cet élément fondamental n'est pas pris en compte dans l'ensemble du droit national.

Dans l'ensemble la loi modèle africaine sur la protection des droits des communautés locales, des agriculteurs et des obtenteurs, et des règles d'accès aux ressources biologiques est profondément enracinée dans la philosophie des droits de l'homme. Elle pourrait largement contribuer à l'amélioration des conditions de vie des agriculteurs des pays africains dans la mesure où elle se donne comme un instrument décisif dans la protection de leurs différents droits.

1 La loi modèle africaine sur la sécurité en biotechnologie

a Contexte et champ d'application

L'article 19.3 de la Convention sur la diversité biologique appelle les parties contractantes à déterminer les modalités d'un protocole sur la biosécurité. La création d'un groupe de travail sur la biosécurité a permis d'entamer les négociations dès 1996. La sixième rencontre de ce groupe de travail à Carthagène (Colombie) a vu se renforcer les oppositions entre les différents groupes de négociation. Les consultations informelles à Vienne (Autriche) ont permis de faire évoluer ces négociations entre représentants de chaque groupe de pays, avec des consultations entre les pays du Sud, rarement réunis et des consultations informelles avec la société civile et les industriels. La conférence extraordinaire des parties à Montréal (Canada) en janvier 2000 a donné naissance au Protocole de Carthagène dont s'inspire largement la loi modèle africaine sur la sécurité en biotechnologie. Cette loi adoptée en 2001, s'applique à l'importation, à l'exportation, au transit, à l'utilisation confinée, à la dissémination ou la mise sur le marché de tout OGM, qu'il soit destiné à être disséminé dans l'environnement ou utilisé comme produit pharmaceutique, denrée alimentaire, aliment pour bétail ou produit de transformation, ou d'un produit dérivé d'OGM204.

b- Les stipulations de la loi

L'autorisation préalable donnée en connaissance de cause et la notification écrite205 sont exigées par ladite loi, avant l'importation, le transit, l'utilisation confinée, la dissémination ou la mise sur le marché d'OGM. Elle accorde une importance particulière à l'évaluation et à la gestion des risques206. Aucune décision d'importation, d'utilisation confinée, de dissémination ou de mise sur le marché d'un OGM ou dérivé d'OGM ne peut être prise par l'Autorité compétente sans évaluation des risques pour la santé humaine, la diversité biologique et l'environnement207. L'autorité compétente peut, entre autres, interdire l'importation, l'utilisation confinée, la dissémination ou la mise sur le marché de tout OGM ou dérivé si ses caractéristiques ou traits spécifiques entraînent des risques inacceptables pour la santé humaine, la diversité biologique, l'environnement, les conditions socio-économiques ou les normes culturelles. C'est une loi qui tient largement compte de la volonté et de la spécificité de chaque pays dans la mesure où « Si un organisme génétiquement modifié ou un produit dérivé (...) a fait l'objet d'une interdiction légale dans le pays d'origine, son exportation ne pourra être en aucun cas autorisée »208. On pourrait en déduire qu'un OGM peut faire l'objet d'une mesure d'interdiction dans un pays africains en raison de plusieurs facteurs d'ordre sanitaire, environnemental, socio-économique, éthique, culturel ou religieux. Cette disposition tend donc à protéger les pays dans leur spécificité, par le respect scrupuleux des valeurs socioculturelles qui guident leurs choix de société.

La dissémination involontaire est soumise à des mesures d'urgence209 et la loi modèle fait obligation d'identifier et d'étiqueter tout OGM ou tout produit qui en est dérivé210.

Au total, tout comme son inspirateur (le protocole de Carthagène), la loi modèle africaine sur la sécurité en biotechnologie repose sur le principe de précaution, qui fait l'objet d'une consécration formelle et officielle au paragraphe 3 de son préambule. En consacrant le principe de précaution, les rédacteurs de la présente loi ne cachent pas leur inquiétude devant les risques potentiels découlant de l'utilisation incontrôlée des biotechnologies modernes.

B- La législation ivoirienne

1- Le contexte :

La Côte d'Ivoire, comme de nombreux pays en développement a pris une part très active à la Conférence de Rio de 1992 sur l'Environnement et le Développement, au cours de laquelle ont été discutés et adoptés au niveau mondial, l'Agenda 21 qui présente les biotechnologies comme un outil de promotion susceptible de contribuer à atteindre les objectifs du développement durable, et la convention sur la diversité biologique dont l'article 19 est relatif à la biotechnologie et au partage des avantages qui en découlent. Toutefois, comme les effets secondaires des produits dérivés des biotechnologies modernes restent encore incertains, la communauté internationale invite à la précaution. Dans le cadre de la recherche des moyens de gestion des risques biotechnologiques, un atelier sous-régional sur les technologies nouvelles et les produits qui en découlent a été organisé dans la capitale économique ivoirienne. Cet atelier a définit les enjeux de la biotechnologie nouvelle pour l'Afrique et particulièrement pour les régions Ouest et Centre. Il a été noté que la biotechnologie moderne présente des potentialités pour l'amélioration des productions agricoles. Mais certaines manipulations pourraient constituer une menace pour les ressources naturelles. En considération des enjeux socio-économiques, environnementaux, sanitaires et éthiques, le gouvernement ivoirien a mis sur pied un comité ad hoc pour réfléchir sur cette nouvelle donne et surtout proposer une réglementation pour l'importation, la production, l'expérimentation, l'utilisation, ou la mise sur le marché national des OGM. Parallèlement à cette démarche, la Côte d'Ivoire participait très activement aux réflexions du Comité intergouvernemental sur la prévention des risques biotechnologiques. Le Protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques qui en a résulté fait peser sur les Etats-parties une obligation majeure ; son article 2 dispose que : « chaque partie prend les mesures juridiques, administratives et autres nécessaires et appropriées pour s'acquitter de ses obligations au titre du protocole ».

C'est dans ce cadre que la Côte d'Ivoire a sollicité et obtenu du Fonds pour l'Environnement (FED) des ressources pour définir sa politique de gestion et d'utilisation des OGM sur son territoire. Un cadre national de biosécurité a été proposé, il s'agit de l'avant-projet de loi portant prévention des risques liés aux biotechnologie. Le texte est dans sa mouture très fidèle à la loi modèle africaine qui retrace les directives du Protocole de Carthagène.

2- OGM et régime juridique en Côte d'Ivoire

L'étude de la législation en matière de biotechnologie et de biosécurité a révélé que bien qu'il n'existe pas de textes réglementaires spécifiquement relatifs aux OGM, l'on ne saurait évoquer un quelconque vide juridique. En effet, soucieux de protéger son couvert végétal d'où il tire la quasi-totalité de ses ressources alimentaires, le gouvernement ivoirien a dès le début de son indépendance pris des mesures de protection de ses cultures. Ainsi, les importations de semences et autres végétaux ont été soumises à des règles très strictes. Cependant, compte tenu des risques potentiels que les OGM présenteraient pour la santé de l'homme et l'environnement, ceux-ci constituent aujourd'hui une spécificité qui commande des précautions particulières. Or, la législation gouvernant la sécurité en matière de biotechnologie est quasi inexistante. On trouve quelques dispositions dans des textes réglementant des secteurs similaires. Mais elles sont parcellaires et insuffisantes. Un renforcement de la réglementation nationale s'impose, à l'effet de l'adapter à l'environnement international et aux nouvelles technologies.

Mais, avant de suggérer ces mesures à prendre, il est important de présenter le cadre normatif existant.

a Le cadre normatif existant :

En l'absence de législation nationale spécifique à la prévention des risques biotechnologiques, des dispositions de textes existants peuvent aisément s'appliquer à certains aspects des OGM. Il s'agit notamment de textes relatifs à l'introduction des végétaux en Côte d'Ivoire, à la protection des végétaux existants et de la prévention d'atteinte à la diversité biologique, à l'utilisation de produits phytosanitaires...

- Introduction des végétaux en Côte d'Ivoire

En Côte d'Ivoire, aucune opération d'introduction, d'importation et d'exportation de toute espèce animale ou végétale ne peut se faire sans une autorisation préalable de l'autorité compétente. Ce principe est posé par l'article 16 de la loi n° 96-766 du 30 octobre 1996 portant code de l'environnement. Mieux, le gouvernement s'est très tôt doté de mesures préventives contre les végétaux et autres matières susceptibles de véhiculer des organismes dangereux pour les cultures nationales avec la mise en oeuvre du décret n° 63-457 du 07 novembre 1963 fixant les conditions d'introduction et d'exportation des végétaux et autres matières susceptibles de véhiculer des organismes dangereux pour les cultures. Ce texte conditionne l'importation des végétaux à l'obtention préalable d'un certificat phytosanitaire attestant de l'état sanitaire des végétaux en cause. Ce permis d'importation est délivré par le Ministère en charge de l'agriculture à travers les services spécialisés de la protection des végétaux. Par application de ces dispositions, le gouvernement de Côte d'Ivoire dispose d'un texte pour se prononcer sur le transfert et l'importation de certains types d'OGM dont la dangerosité est avérée ou probable ailleurs. En outre, le décret n° 92-392 du 1er juillet 1992 relatif à l'homologation et à la protection des variétés végétales, à la production et à la commercialisation des semences et plants qui soumet à homologation les variétés végétales nouvelles avant leur multiplication, permet au gouvernement d'opérer une stricte sélection des semences et plants, y compris les semences et plants génétiquement modifiés.

3 Protection phytosanitaire

L'utilisation des produits phytosanitaires a fait également l'objet d'une réglementation. Ceci s'explique par le fait que l'économie du pays repose essentiellement sur l'agriculture. Ainsi, l'utilisation de tout pesticide qui peut s'avérer dangereux pour la santé de l'homme et les ressources naturelles, a été soumise à agrément par le décret n° 89-02 du 04 janvier 1989 relatif à l'agrément, la fabrication, la vente et l'utilisation des pesticides. Les articles 4 à 7 fixent les conditions et formalités d'obtention de l'agrément. L'agrément est accordé par un arrêté du ministre de l'agriculture sur proposition d'un comité interministériel dit « comité de pesticides ». Cette procédure très intéressante peut être utilisée pour les demandes concernant des expérimentations et utilisations en usine de certains types d'OGM tolérants aux herbicides et pesticides.

4 Etude d'impacts environnementaux

En application des principes de développement durable, la loi n° 96-766 du 03 octobre 1996 portant code de l'environnement fait obligation à tout initiateur de projets de développement d'obtenir une autorisation du Ministère en charge de l'environnement. Cette autorisation est accordée sur la base d'une étude préalable des conséquences du projet sur l'environnement. Le décret n° 96-894 du 08 novembre 1996 déterminant les règles et procédures applicables aux études relatives à l'impact environnemental des projets de développement définit les différents types de projets en trois catégories. Ainsi, on distingue les projets qui de par leur nature sont exemptés des études d'impacts environnementaux, les projets ne présentant pas de risques sérieux pour l'environnement soumis à un simple constat d'impact et les projets qui en raison de leur nature, de leurs dimensions, de la sensibilité des sites qui les accueillent, peuvent présenter des risques sérieux pour l'environnement, soumis à une étude d'impacts environnementaux complète. Certaines activités concernant les OGM peuvent entrer dans la dernière catégorie, notamment les essais en champ. En plus, l'article 16 fait obligation de consulter le public en réalisant une enquête publique dans la zone d'implantation du projet. La prise en compte de l'avis des populations bénéficiaires du projet ou susceptibles d'êtres perturbées par le projet est un facteur important dans la prise de décision. Cette procédure est très intéressante à utiliser dans la phase transitoire d'autant plus que l'étude des risques éventuels, l'information et la consultation du public sont des étapes incontournables dans le cadre de certaines utilisations des OGM.

b- Nécessité de renforcement de la réglementation sur les OGM

Après l'inventaire de l'arsenal juridique relatif à la problématique biosécurité / OGM, on constate que les textes sont anciens et mal ou pas tout à fait adaptés à la nouvelle donne des biotechnologies modernes. Les dispositions existant aussi bien en matière d'importation, d'homologation des végétaux qu'en matière de dissémination demeurent insuffisantes s'agissant des OGM. En effet, les préoccupations concernant la prévention des risques potentiels, réels ou supposés des OGM ne sont pas tout à fait pris en compte par ces textes. Il y a donc lieu de prendre des dispositions qui viseraient à garantir la sécurité ou à minimiser ces risques. L'avant-projet de loi nationale sur la biosécurité a été initié pour combler ce quasi-vide juridique. Inspiré de la loi modèle africaine sur la sécurité en biotechnologie, il en est une copie conforme. Il se présente sous cinq titres qui sont :

Titre 1 : Les dispositions générales

Titre 2 : L'utilisation confinée des OGM et leur dérivés

Titre 3 : La responsabilité et les dispositions pénales

Titre 4 : Les disposions finales

En attendant la transformation de cet avant-projet de loi en projet, puis en loi adoptée par le parlement et compte tenu de la situation sociopolitique du pays et de l'urgence en la matière, il est nécessaire de prendre un décret pour définir un régime juridique sui generis sur les OGM en Côte d'Ivoire. Ce régime devra contenir des règles pour prévenir les éventuels effets nuisibles des OGM sur la santé humaine et l'environnement.

Section 2 : La responsabilité et la réparation des dommages découlant de l'utilisation des

biotechnologies modernes

Tous les systèmes de droit comportent, plus ou moins élaborés, des mécanismes organisant la responsabilité de leurs sujets. Cela suppose que les sujets de droit engagent leur responsabilité lorsque leurs comportements portent atteinte à l'ordre public ou aux droits et intérêts des autres sujets de droit.

Dans l'ensemble, les textes juridiques qui font l'objet de notre étude montrent que les biotechnologies ont un caractère ambivalent. En effet, s'il est reconnu que celles-ci peuvent contribuer au développement des sociétés, l'on ne saurait pour autant nier les risques que leur utilisation pourrait faire peser sur la santé humaine et l'environnement. Pour circonscrire ces risques et les minimiser ces textes organisent des régimes de responsabilité et de réparation sur les OGM. Les OGM posent un problème général lié à l'environnement. Les problèmes de la responsabilité qui seront traités ici le seront nécessairement dans le cadre du droit de l'environnement.

Paragraphe 1 : le problème de la responsabilité

La responsabilité environnementale se donne en droit comme le moyen par lequel celui qui occasionne une atteinte à l'environnement est amené à réparer le dommage qui en résulte. Les références à la responsabilité apparaissent dans de nombreux traités internationaux qui préviennent sur l'obligation de réparer les torts occasionnés. Dans la plupart des textes, cette obligation s'applique à des individus ou à des opérateurs privés auteurs de l'action211. La responsabilité est généralement stricte : le plaignant n'a pas à prouver que le responsable était bien en faute, mais simplement que l'activité ou le service fourni est bien la cause du dommage pour lequel il cherche compensation. La plupart des Etats sont déjà pourvus de lois nationales sur la responsabilité obligeant les responsables d'un dommage causé par leur activité ou leur produit à dédommager les victimes. Ces lois devraient aussi s'appliquer aux dommages causés par les OGM. De plus l'article 27 du protocole de Carthagène demande aux parties d'adopter « un processus visant à élaborer des règles et procédures internationales appropriées en matière de responsabilité et de réparation pour les dommages résultant de mouvements transfrontières d'organismes vivants modifiés ». Récemment, face à la diffusion des biotechnologies modernes, certains Etats et régions ont entrepris d'élaborer des régimes de responsabilité spécifiques aux dommages liés aux OGM, comme c'est le cas par exemple de la loi modèle africaine sur la sécurité en biotechnologie. Un régime international sur la biosécurité pourrait correspondre en partie au schéma des régimes de responsabilité fixés par traité, étant donné la nature transnationale de l'activité en cause et les risques qu'elle comporte. Certaines des solutions adoptées dans les régimes de responsabilité internationaux existants pourraient servir utilement de modèle aux Etats signataires du protocole de Carthagène lors de leurs débats sur l'article 27. Mais, sur d'autres aspects, le régime de biosécurité se montera plus novateur. Le degré d'incertitude quant aux effets des OGM sur l'environnement et le rôle du principe de précaution dans ce contexte seront probablement à l'origine d'âpres discussions lorsque les Etats aborderont la question de la mise en forme des règles et procédures de responsabilité dans ce domaine. L'avant-projet de loi sur le cadre national de biosécurité a été déterminant sur cette question dans la mesure où son mécanisme de responsabilité prévoit des sanctions pénales.

Le processus initié sous l'article 14 de la Convention sur la Biodiversité devrait particulièrement intéresser les signataires du Protocole de Carthagène. Cet article invite en effet la Conférence des parties à se pencher sur la question de la responsabilité et de la réparation pour les dommages causés à la diversité biologique sur la base des « études qui seront entreprises ». Ceci prend en compte des questions de restauration et de compensation mais omet d'examiner la responsabilité dans la mesure où celle-ci est « d'ordre strictement interne ». Même s'il y a quelque double emploi dans les questions abordées dans les articles 14 de la Convention sur la biodiversité et 27 du Protocole de Carthagène, d'importantes différences existent. L'article 14 se rapporte aux dommages causés par les organismes vivants modifiés et ne se préoccupe que des atteintes à la biodiversité en ignorant les autres types de dommages tandis que le régime de responsabilité du protocole devra finalement prendre en compte, les atteintes à la santé humaine et à la propriété.

En outre, il convient de rappeler que dans tout régime international de responsabilité, les parties doivent s'entendre sur la nature des dommages à couvrir. Certains instruments juridiques couvrent un éventail de dommages tels que la perte de vie, les dommages personnels et les atteintes à la propriété212, tandis que certains instruments précisent que pour entrer dans la définition du dommage, le préjudice subi par l'environnement ne doit pas être insignifiant. On peut se demander ce qu'il en est pour les dommages environnementaux imputables aux OGM : existe-il un niveau de contamination par du matériel génétiquement modifié suffisamment élevé pour constituer un dommage signifiant à l'environnement ? Doit-on fixer un seuil à partir duquel la contamination sera considérée comme effective et signifiante ? Sinon au regard du principe de précaution, est-il utile de fixer un tel plafond ?

Enfin, dans les régimes de responsabilité stricte, la responsabilité est portée sur une personne en particulier qui devient alors le référent pour toute poursuite ou demande d'exonération. Divers instruments viennent résoudre la question de qui doit être tenu responsable. Selon le cas, ce peut être l'opérateur ou la personne chargée de contrôler l'installation ou l'activité mise en question. Dans d'autres cas, le responsable peut être une personne qui n'est pas directement chargée de ce contrôle mais qui est partie prenante de l'activité à un moment donné, par exemple l'armateur dans les régimes sur la pollution par hydrocarbures. Dans un certain nombre de cas, le poids de la responsabilité peut être partagé entre les différents acteurs impliqués dans l'activité. Dans le cas des mouvements transfrontières des organismes vivants modifiés, si l'on adopte la responsabilité stricte, les Etats devront prendre en compte les différents acteurs de la chaîne : les fabricants, les producteurs, les exportateurs, les transporteurs et les importateurs. Ils devront aussi déterminer sur qui doit reposer la responsabilité tout en assurant une répartition équitable de la charge.

Paragraphe 2 : le problème de la réparation

Comme toutes les innovations, les OGM peuvent comporter des risques. La nouveauté de ces produits justifie que leur développement soit inscrit dans un cadre législatif ou réglementaire très exigeant. Une société créatrice peut-elle être une société sans risques ? Assurément non ; mais il convient de les encadrer.

Ce paragraphe sera consacré à l'examen de certains principes clés qui jouent un rôle moteur dans le déclenchement du mécanisme de la réparation. Le premier principe identifié est le principe de précaution. Il met en évidence les rapports entre le droit et la science. Il a pour ambition d'exercer un certain contrôle sur la technique et la science. Il s'efforce de remonter en amont alors que, souvent, le droit court, plus ou moins essoufflé derrière cette dernière. En termes caricaturaux, il se traduit par le dicton « Dans le doute, abstiens-toi » et aussi à un impératif : « Mets tout en oeuvre pour agir au mieux ». La mise en oeuvre du principe signifie soit ne pas agir c'est-à-dire respecter une obligation d'abstention, renoncer à une action non maîtrisée, soit prendre des mesures juridiques et autres pour limiter les futurs effets sur l'environnement et la santé. Il faut cependant reconnaître avec Jean-Marc LAVIEILLE que « plus on attend pour légiférer, plus il est difficile de le faire. Plus on attend pour résister, moins on est capable de dire non, d'effectuer des remises en cause »213. Il existe certainement une nuance entre prévention et précaution. En effet lorsqu'il y a certitude sur un phénomène et sur les conséquences d'une action face à celui-ci, on se trouve dans une situation de prévention. On a la connaissance du risque. Par contre la précaution est une attitude qui consiste à prendre des mesures face à un risque inconnu ou mal connu. Sur la responsabilité pour manquement aux obligations découlant du principe de précaution, on retiendra que peut être jugé responsable, non seulement celui qui n'a pas pris de mesures de prévention du risque mais aussi celui qui en cas d'incertitude n'aura pas eu une démarche de précaution. Le principe de précaution consiste désormais à dire que « non seulement nous sommes responsables de ce que de ce que nous savons, de ce que nous aurions dû savoir, mais aussi, de ce dont nous aurions dû nous douter. » Tel que présenté, le principe de précaution laisse peu de chance aux contrevenants (Etats ou individus) d'échapper à leur responsabilité pour dommage causé par l'utilisation des OGM, à l'environnement ou à la santé. Invoqué régulièrement, le principe de précaution est également controversé. Pour certains, sa mise en oeuvre va conduire insensiblement à le transformer en un principe d'inaction ou d'abstention. Cette dérive, forme de « mutagenèse dirigée » du principe de précaution, l'a progressivement éloigné du concept originel, qui désignait plutôt une forme d'action prudente. Cette évolution, voire cette dérive est, à en croire le sociologue Alain TOURAINE, l'expression de la société d'inquiétude dans laquelle nous vivons214. Concrètement, la première sanction découlant de la violation d'une règle de droit international est la réparation « in integrum » c'est-à-dire la remise de la chose dans son état initial. Généralement, cette sanction est difficilement

applicable. On a donc trouvé la solution dans le principe pollueur-payeur qui veut que celui qui pollue par exemple l'environnement s'acquitte d'une certaine somme d'argent en guise de compensation. Mais comme le fait si bien observer Jean-Marc LAVIEILLE215, certains sont inquiets de la mise en oeuvre de ce principe qui peut freiner l'esprit d'entreprise, remettre en cause des projets de développement. D'autres insistent plutôt sur les dérives possibles du principe. Autant le principe est nécessaire en termes de responsabilité autant il ne faut pas qu'il devienne ici une incitation à la pollution. Des opérateurs peuvent par exemple polluer l'environnement par une utilisation incontrôlée des OGM pour autant qu'il leur sera possible de payer l'amende ou réparer pécuniairement le dommage. C'est la raison pour laquelle les amendes doivent être dissuasives.

Il reste que le droit international de l'environnement remet en cause les règles traditionnelles de la responsabilité. En effet, comme peuvent le constater avec regret Patrick DAILLIER et Alain PELLET216, les mécanismes de responsabilité en Droit International de l'Environnement ont plutôt abouti à une dilution du domaine de la responsabilité avec l'apparition de mécanismes de responsabilité « molle » découlant de la conjugaison de plusieurs facteurs dont la fluidité et l'imprécision des normes, la difficulté dans l'appréciation des manquements, le caractère diffus des dommages, la difficulté dans l'identification de la source de pollution en raison des incertitudes scientifique, si bien que le lien nécessaire entre le manquement et le dommage, indispensable à la mise en oeuvre de la responsabilité, ne peut, dans bien des cas, être établi avec certitude. L'affaire Percy SCHMEISER que nous avons évoquée précédemment révèle peut-être bien toutes ces difficultés. Revenons sur cette affaire qui constitue un précédent historique dans les annales de la justice. L'histoire de Percy SCHMEISER est particulièrement tragique et met en exergue le flou juridique entretenu face aux nouvelles technologies.

En 1998, la firme Monsanto accuse l'agriculteur canadien d'avoir utilisé son colza transgénique breveté sans payer le prix de la licence d'utilisation. L'affaire est portée devant le tribunal. Monsanto déclare que sa variété transgénique est protégée par un droit de propriété intellectuelle, un brevet et que le brevet a été violé. Le géant agro-industriel réclame à Percy SCHMEISER le prix des semences, un pourcentage de la récolte et une amende de 175000 dollars c'est-à-dire plus 9 millions de FCFA. Percy SCHMEISER affirme devant le tribunal qu'il n'a jamais délibérément planté des semences génétiquement modifiées. Au contraire, la contamination de son champ par des plantes transgéniques fait que son travail en tant que sélectionneur, sa variété, son sol et ses bénéfices ont souffert de sérieux dommages puisqu'il ne peut plus vendre son colza comme « non OGM . Et pourtant en 2000, le tribunal rend son jugement en faveur de Monsanto qui déclare que « peu importe comment les gènes génétiquement modifiés sont parvenus dans le champ de M. SCHMEISER, il aurait dû donner sa récolte au propriétaire du brevet »217. Le verdict du tribunal condamnant SCHMEISER est stigmatisé par bon nombre d'observateurs qui estiment qu'il y a eu là une application à la renverse du principe pollueu-payeur, dans la mesure où plutôt que de faire payer le pollueur, c'est le pollueur qui a été payé.

CONCLUSION

En définitive, on note que les OGM mettent en cause toute une panoplie de droits de l'homme : droit  à l'alimentation, droit à un environnement sain, droit à la santé, droit du consommateur à la sécurité et à la souveraineté alimentaires, droit de participer aux prises de décision, droits des communautés locales, droit aux progrès de la science...et il est frappant de constater que certains droits entrent directement en conflit avec d'autres. En effet, les droits de propriété intellectuelle se heurtent par exemple aux droits des communautés locales, le droit aux progrès de la science butant sur l'éthique. Sans pour autant prétendre à l'exclusivité et à l'exhaustivité de la vérité sur un sujet inépuisé tel que celui des OGM, nous nous proposons de frayer les pistes de réflexion suivantes dans cette vaste forêt de confusion intellectuelle.

Privilégier une approche de solution au cas par cas

L'examen des OGM montre que cette technologie peut avoir une incidence sur une vaste gamme de produits végétaux et animaux et que ses multiples conséquences peuvent, en ce qui concerne l'agriculture, dépasser le cadre de la production alimentaire. La biotechnologie moderne, si elle se développe de façon appropriée, peut offrir de nombreux moyens nouveaux de contribuer à la sécurité alimentaire. En même temps, la rapidité avec laquelle peuvent survenir les modifications entraînées par le génie génétique peut avoir des effets encore mal connus ou inconnus sur la santé humaine et la biosphère. Toute généralisation à propos des OGM est toutefois impossible. Chaque application doit être analysée en profondeur et de façon individuelle. Il y aura moins de controverses et le débat sera plus constructif si les applications des OGM sont évaluées de façon exhaustive et transparente, et si leurs répercussions éventuelles à court et long terme sont prises en considération. Il faut donc privilégier l'approche du cas par cas dans l'évaluation des OGM.

Respecter la liberté de choix du consommateur, assurer la participation du public au débat

Durant le développement de toute technologie agricole ou alimentaire, il faut se pencher à chacune des étapes sur diverses questions et préoccupations qui vont du rendement du produit et de son intérêt économique à la sécurité alimentaire du consommateur, et à la réaction de la société. Il est important de se demander « pourquoi on procède à la mise au point d'un produit déterminé ? », « quelles sont ses utilisations » et « qui décide de son utilité ? », il faut répondre à ces questions avec la plus grande transparence. Lorsqu'il met en balance tout à fait rationnellement les risques, ou la perception qu'il en a, et les avantages perçus, le consommateur conclut qu'il n'a pas besoin d'OGM. Il en déduit qu'aucun risque ne mérite d'être pris, d'autant plus que l'utilité des OGM ne lui paraît avérée que pour les producteurs qui y trouvent la source de nouvelles rentes. Le public n'a pas été informé de façon satisfaisante de l'application de la technologie génétique à la production alimentaire et de ses effets potentiels sur la santé humaine et l'environnement.

L'inquiétude de l'opinion à l'égard des OGM est diffuse et complexe et l'analyse en est, de ce fait éminemment délicate. A l'examen, il apparaît toutefois que le terreau de cette inquiétude est parfois nourri de faits et de symboles. Le risque associé aux OGM est une chose, la conception que l'on a des OGM en est une autre. Une autre source de méfiance à l'égard de la gestion de l'innovation que constituent les OGM tient aux graves erreurs de communications sur le sujet, notamment de la part des grands semenciers. La communication des vendeurs de semences transgéniques a initialement été tournée vers leurs clients directs, à savoir les professionnels de l'agriculture, qu'il s'agissait de convaincre de l'utilité du recours aux OGM. Les semenciers ont ainsi longtemps mésestimé l'importance d'une communication à l'adresse des non-professionnels, c'est-à-dire des consommateurs finaux. Lorsqu'ils ont été conduits à rectifier le tir, ils ont invoqué des arguments inspirés d'un nouveau messianisme : vaincre la faim dans le monde, sauver l'environnement planétaire..., que l'opinion, devenue défiante, jugea suspects et interpréta comme une tentative de manipulation. Devoir de vérité oblige donc. Les questions que soulèvent les OGM débordent fréquemment le simple cadre de la science. En effet, un produit OGM, n'est pas un produit neutre, il est considéré comme l'emblème d'un choix de société, d'une vision du monde. Les attributs des produits OGM renvoient à des valeurs. Cette symbolique associée aux OGM est à la fois d'ordre culturel, éthique religieux, voire politique. Les développements alimentaires du recours à la transgénèse nourrissent d'autant plus l'inquiétude que l'identité alimentaire est un puissant vecteur de la conscience nationale. L'assiette est un repère culturel et le sentiment que « l'on ne sait plus ce que l'on mange » est déjà répandu. Ainsi que le précisait Axel KHAN, à propos des OGM, « c'est bien plus la question des valeurs que celle de la sécurité qui est posée par l'utilisation du génie génétique en agriculture». En effet le consommateur assure sa survie avec les aliments, mais en pensant qu'il devient ce qu'il mange, il construit également son identité. Comme l'a conclu Lionel Jospin lors du colloque final du 13 décembre à Paris 2000: « répondre à la question que voulons-nous manger, c'est en partie dessiner la société dans laquelle nous voulons vivre »218. La question des biotechnologies modernes, notamment des OGM renvoie à de nombreux aspects des choix collectifs de notre société : la liberté de chacun d'entre nous de choisir, et notamment de savoir ce qu'il mange ; la confiance ou la défiance de l'opinion publique dans le progrès et la recherche ou dans les institutions garantes de la sécurité sanitaire, alimentaire et environnementale ; la capacité de nos sociétés à organiser un large débat démocratique permettant de définir, dans des conditions acceptées par le plus grand nombre, des choix collectifs qui apparaissent conformes à l'intérêt collectif.

Le débat est de savoir quels risques la société décide de prendre collectivement en vue d'un plus grand bien et à quelles conditions. Il est frappant de constater de ce point de vue que la société fait jouer l'équilibre entre les risques et les bénéfices à attendre en matière d'OGM. En effet, on rencontre très peu de remises en cause des efforts de recherche menés dans le domaine des thérapies génétiques. De manière générale, l'opinion semble bien disposée  à l'égard des modifications génétiques dans le domaine médical. Le caractère génétiquement modifié d'un nombre croissant de vaccins dans les domaines médical et pharmaceutique ne suscite pas d'émotion comparable à celle constatée dans le domaine alimentaire.

Il est indispensable que les risques et les avantages soient soigneusement envisagés et que ceux qui se trouvent être les plus nombreux à y perdre c'est-à-dire les agriculteurs soient impliqués de manière très active dans le processus de prise de décision comme ça été le cas au Mali. De plus les cultures génétiquement modifiées entraînent avec elles des risques sociaux, économiques potentiels, de même que les brevets et les processus biologiques avec lesquels les compagnies parviennent à contrôler les ressources alimentaires. Cela a un impact profond sur l'agriculture et devrait être pris en compte dans l'évaluation des risques et des bénéfices. Etant donné le risque évident inhérent aux cultures génétiquement modifiées, leur diffusion devrait être envisagée avec beaucoup de prudence, or ce n'est pratiquement jamais le cas. Le problème commence avec l'absence totale d'informations concernant les OGM. En Afrique, les services de diffusion et le système éducatif manquent de compétence et de personnel formé pour informer les agriculteurs sur les OGM.

Repenser le rôle des médias

Les journalistes jouent un rôle fondamental dans la polémique sur les OGM. Les médias se font l'écho de toutes sortes de prises de décision contradictoires, de désaccords entre les chercheurs scientifiques et de déclarations trompeuses concernant les recherches effectuées, si bien que le public a de moins en moins confiance.

Il importe certainement que le débat et la diffusion de l'information s'inscrivent dans la transparence. Favorables ou défavorables aux OGM, les informations devraient passer par un filtre critique plus exigeant, ce qui contribuerait à dépassionner le débat. Si les journalistes ne disposent naturellement pas de l'expertise et des moyens matériels pour apprécier la validité des résultats scientifiques, il leur appartient nécessairement de rendre compte de façon équilibrée de la position de la communauté scientifique. Est ainsi posée la question de l'interférence entre la parole scientifique et l'amplification médiatique excessive de certaines informations par rapport à d'autres.

Impératif de développement et responsabilité des scientifiques

On a souvent affirmé qu'il fallait s'abstenir de certains développements pour protéger les générations futures. Oui mais, comment savoir aujourd'hui quelles seront les technologies de demain ? Ne risque-t-on pas, en faisant l'impasse sur une technologie de rendre au contraire les générations futures dépendantes des autres nations qui auront développé la technologie, si celle-ci rencontre un succès historique ? Que vaut cependant le devoir de recherche sans audace ? En effet, partant du principe que le risque fait partie de toute entreprise technologique, l'impératif d'audace est ce qui permet d'entreprendre librement, et c'est ce qui définit aussi l'essence de la liberté de l'homme. Les controverses scientifiques sur les OGM semblent un débat infini pour la bonne et simple raison que les questions posées par certains restent sans réponses concrètes : l'allergénécité, la toxicité des OGM, le transfert d'un gène à l'organisme, l'apparition d'insectes résistants, le flux de pollen OGM. L'innovation technologique doit privilégier le caractère concret de bénéfice qualitatif plutôt que les objectifs productivistes. La notion de progrès est en effet attachée à l'importance des apports sociaux d'une innovation, lesquels ne sont pas perçus d'emblée, s'agissant des OGM, mais méritent pourtant d'être mis en perspective et encadrés par une nécessaire régulation. Cette régulation doit viser à prévenir les dérives, dont la plus visible est l'appropriation du vivant et dont les enjeux sont mobilisateurs car porteurs de rapports de force entre les hommes. Elle doit également permettre de mobiliser l'effort de recherche au bénéfice des pays en développement et contribuer au rééquilibrage des rapports Nord-Sud. Les chercheurs sont libres de leurs recherches, dès lors que celles-ci se conforment au cadre législatif ; mais parallèlement, les citoyens sont en droit de demander des comptes à la recherche. Le droit pour le consommateur de choisir et de savoir ce qu'il mange implique l'étiquetage et la traçabilité des produits. Cela devra nécessairement passer par l'amélioration du système de diffusion de l'information scientifique. Il appartient aux scientifiques de restaurer la qualité du débat scientifique, en ne précipitant pas le nécessaire travail d'examen critique et de validation des publications.

Tenir compte de la spécificité des pays en voie de développement

Certes, les problèmes que soulèvent les OGM ne sont pas de nature différente dans les pays du Nord et les pays du Sud, mais ils seront plus difficiles à traiter dans les pays du Sud en raison précisément de leur moindre développement et de leurs valeurs culturelles. Le recours aux OGM pose aussi la question du choix par les pays africains d'une agriculture intensive reposant sur l'uniformité génétique ou une agriculture extensive. Le continent décidera de privilégier l'efficacité à court terme grâce aux OGM ou de s'inscrire dans la continuité en sachant que les résultats seront plus lents mais plus respectueux de la biodiversité. Pour M. GLASZMANN, le recours aux OGM ne devrait intervenir qu'en dernier ressort. Il faudrait chercher au maximum à valoriser la diversité naturelle des espèces utilisées et drainer des moyens vers l'exportation de la diversité génétique naturelle, « Consolidant ainsi un système de conservation des ressources génétiques, d'exploitation et d'échange qui est absolument essentiel aux agriculteurs africains »219. Encore faut-il le rappeler, les problèmes de malnutrition dans le monde proviennent moins d'une insuffisance de la production agricole globale que de situations de crise et de la faiblesse des revenus d'une partie de la population.

Peut-on transférer la transgénèse aux pays en voie développement ? Si cette question s'est posée, c'est que très souvent, les opposants ont accusé les industriels de vouloir appauvrir davantage les paysans les moins favorisés. Il importe donc de repenser le systèmes des brevets afin de préserver au mieux les droits des communautés locales. La loi modèle africaine est une louable alternative, une voie salutaire que l'ensemble des Etats sous-développés devrait emprunter.

Au demeurant, si l'exploitation des OGM devait se généraliser dans les pays du Sud, notamment en Afrique, elle devra impérativement se faire dans le respect des valeurs qui fondent nos sociétés.

Sortir de la querelle idéologique

Il importe de sortir de la sphère idéologique dans laquelle se sont enfoncés les acteurs. Très souvent, les promoteurs de l'agriculture transgénique ont eu tendance à affirmer que l'opposition aux OGM était de nature idéologique. Or ne doit-on pas également s'interroger pour savoir si la promotion des OGM est également de nature idéologique.

Avec l'étude des polémiques sur les OGM, on passe d'un discours sur l'évaluation des risques à un discours sur les valeurs. Pour ce qui concerne le discours, on passe de la démonstration à la revendication. Les ONG revendiquent la dangerosité de la technologie alors que les industriels en font la publicité. La querelle des OGM n'est sans doute pas prête de se terminer. Pourtant viendra peut-être un jour où la technologie sera banalisée. En attendant ce jour, on peut supposer que les controverses se poursuivront, faisant ainsi progresser la science. En finir avec ce débat sans fin, c'est distinguer entre discours idéologique et évaluation scientifique. Comme le souligne Dominique LECOURT, on retrouve techno-prophètes et bio-catastrophistes dans un duel. Les querelles idéologiques condamnent le discours sur les OGM, conduisent à l'impasse, et mènent directement à la violence, dont le meilleur exemple est l'arrachage des plantes transgéniques. Sortir de la querelle idéologique est un impératif car la violence n'est pas la solution dans l'Etat de droit220.

Les dix mots-clés du mémoire

Droits de l'homme - sécurité alimentaire - biotechnologies modernes - OGM - transgénèse - droits de propriété intellectuelle - biosécurité - protocole de Carthagène - loi modèle africain - principe de précaution.

BIBLIOGRAPHIE

I- Ouvrages généraux

1 Alexandre KISS et Jean Pierre BEURRIER, droit international de l'environnement, Ed. Pedone

2 Jean Marc LAVIEILLE, droit international de l'environnement, Ed ellipse

3 Patrick Dalier et Alain pelé droit international public, Ed. LGDJ

4 Annie VALLEE, économie de l'environnement, Ed du Seuil, octobre 2002

5 Claire NEIRINK, de la bioéthique au bio-droit, Ed droit et société, mai 1994

6 Olivier NAY, histoire des idées politiques

II- Ouvrages spéciaux

1- Panel pour une science indépendante, plaidoyer en faveur d'un monde soutenable sans

modification génétique

2 John MADELEY, le commerce de la faim, collection enjeu planète

3 Vandana SHIVA, la vie n'est pas une marchandise, collection enjeu planète

4 Robert Ali Brac de la PERRIRE et Franck SEURET, graines suspectes, collection enjeux planète

5 Peter PRINGLE, agrobusiness, Ed. nouveaux horizons

6 Bede, Inf'OGM GRAIN, Inades Formation, les organismes génétiquement modifiés en Afrique : comprendre pour bien agir

7 Bede, Inf'OGM GRAIN, Inades formation, les droits des communautés africaines face aux droits de propriété intellectuelle

8 Jean-Paul OURY, la querrelle des OGM, Ed Odile Jacob, avril 2006

9- Nicole STAUBLE, Beat SOTTAS, la sécurité alimentaire en question : dilemmes, contrastes et controverses, Paris Karthala, 2000

III- Revues spécialisées et articles de journaux

1 Equilibres et populations, n° 76, avril 2002, sécurité alimentaire :

la recherche publique sur les OGM est indispensable par Sainte LAURETTE

2 Marchés tropicaux et méditerranéens, n° 29966, 13 septembre 2002

Biotechnologies : la polémique sur les OGM bat son plein par Christelle MAROT

3 le courrier de l'UNESCO, n° 9, sept 2002

les OGM nourriront-ils le tiers-monde ?, par Philippe DEMENET

4- Débats-courrier de l'Afrique de l'Ouest, n° 12, février 2004

les OGM :des enjeux pour l'Afrique, par Arsène Brice BADO

5 Altrenatives Sud, vol 11, n° 3, 2004 

Famines et aliments génétiquement modifiés : une aide inhumaine, par Vandana SHIVA

6 l'autre oeil de l'Afrique, n° 2, août 2005

les OGM comme solution au problème alimentaire en Afrique : le cas concret du Sénégal, par Hillel PARIENTE

7 GARIN, Cotonou, 2003

Les cultures génétiquement modifiées et leurs conséquences pour les petits agriculteurs,

Par Delvin KUYEK

8 Alger, AREA-ED, 2004

Impacts des organismes génétiquement modifiés sur les agricultures paysannes et participation du public dans le processus de biodiversité et la protection des ressources génétiques

9- Agriculture et développement rural, vol 4, n° 2, 1997

vers une révolution doublement verte, par Muche GRIFFON

10- Cahiers d'études et de recherche francophone, vol 7, n° 6, nov. 1998

Les biotechnologies, source de sécurité alimentaire pour demain ?, par Sylvie BONY

11- Rapport FAO, la situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 2003/2004 :

Les biotechnologies agricoles, une réponse aux besoins des plus démunis ? FAO-Rome 2004

12- consultation d'experts FAO sur la sanitaire des aliments : science et éthique, FAO-Rome 2002

13- l'évaluation de la sécurité sanitaire des aliments issus d'animaux génétiquement y compris des poisons, FAO-Rome, 2003

14- Fraternité Matin, n° 12502, 10 juillet 2006,

Biotechnologies, les enjeux pour la Côte d'Ivoire

15- Le Monde Diplomatique, avril 2006

V- Textes de lois

1 Déclaration universelle des droits de l'homme, 1948

2 Convention de Rio sur la diversité biologique, 1992

3 Protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques

4 Loi modèle africaine sur la sécurité en biotechnologies

5- Loi modèle africaine pour la protection des droits des communautés locales, des

IV- Dictionnaires

1- Le Petit Larousse illustré, 1986

2- Le Petit Larousse illustré, 2000

3- Wikipedia, l'Encyclopédie libre

4- Noella BARAQUIN et Jacqueline LAFFITE, Dictionnaire des philosophes, Ed.

Armand Colin

V- Sites Internet

1 www.wikipedia. fr

2 http://www.ogm.org

3 http://www.ogmdangers.org

4 http://www.ogm-info.com

5 http://www.ogm.gouv.fr

6 http://www.inra.fr

7- www.greenpeace.org

Table des matière

Sommaire

Spéciales abréviations






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