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Le chehabisme ou les limites d'une expérience de modernisation politique au Liban

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par Harb MARWAN
Université Saint-Joseph de Beyrouth - DEA en sciences politiques 2007
  

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DEUXIEME PARTIE

LES DIFFICULTES DE LA MODERNISATION POLITIQUE OU L'ETAT INACHEVE

Chapitre 1 :

Une expérience de modernisation : les causes d'un échec

« Ceux qui pensent et agissent avec raison savent que l'Histoire

ne trahit tous ceux qui croient, ceux qui n'attendent d'elle

qu'autant qu'ils lui donnent ou y investissent. Il y a dans

l'Histoire ni échecs immérités, ni gloires gratuites. »

Ghassan Tuéni

Il n'y a qu'une façon d'échouer,

c'est d'abandonner avant d'avoir réussi !

Olivier Lockert

Section É

- Les obstacles devant le passage d'une politique d'équilibre à une politique de décision.

1 - La relation dialectique entre la modernisation et le développement politique.

C.E. Black définit la modernisation comme étant : « le processus à travers lequel l'évolution historique des institutions s'adapte rapidement aux changements causés par l'accumulation de la connaissance humaine qui lui permet de contrôler son environnement vital269(*). »  De même, Dankwark Rostow écrit que la modernisation est un processus « de contrôle rapidement élargit de la nature à travers une coopération étroite entre les hommes270(*). » 

La modernisation est communément définie comme un processus à travers lequel les hommes augmentent le contrôle de leur environnement vital. La large variété des réponses aux défis relatifs au milieu, en produit de très différents résultats ; cet héritage est perceptible dans les différents pays développés, de même qu'au Liban. Sous le chéhabisme, l'industrialisation, le développement économique et communicationnel ont engendré une transformation physique qui révèle un apparent développement technologique.

Contrairement aux sociétés modernisées pour qui le processus de modernisation a donné un résultat évident, la société libanaise souffre d'un gap entre les aspirations affirmées et les résultats obtenus. Ces frustrations par conséquent engendrent des tensions sociales et de l'instabilité politique. L'initiation de la modernisation et la force de son élan sont largement déterminées par le système politique. L'élite chéhabiste a pris les décisions essentielles pour mettre le Liban sur les voies de la modernisation. En retour, la modernisation a réduit la capacité du système politique pour régler les défis politiques qui se sont posés. Pour cette raison, et pour plusieurs autres, l'importante question du développement politique est fortement liée au problème de la modernisation.

Plusieurs confusions existent concernant la relation entre le concept de modernisation et celui du développement politique. Parfois, voire souvent, les deux concepts sont considérés comme synonymes, et d'autrefois, ils sont clairement distingués l'un de l'autre. A travers cette étude, nous considérons les deux processus comme analytiquement distincts mais effectivement liés.

Alfred Diamant avance que « le développement politique est un processus à travers lequel le système politique acquière une capacité croissante dans le but de soutenir continuellement et avec succès de nouveaux buts, de nouvelles revendications et de créer les types d'organisation adéquates271(*). »

S.N. Eisenstadt donne une définition similaire en considérant la modernisation comme étant « la capacité du système politique à contenir les revendications sous forme de décisions politiques et d'assurer sa continuité à absorber les nouvelles revendications et les nouvelles formes d'organisations politiques272(*). »

La capacité des décisions politiques à créer du développement n'est pas seulement une capacité pour surmonter les divisions et gérer les tensions créées par les différenciations croissantes, mais la capacité de contenir et de satisfaire les revendications de participation et de distribution engendrées par les impératifs de l'égalité. C'est aussi la capacité d'innover et de gérer des changements continuels. Si le chéhabisme a réussi à surmonter les divisions, il échoua dans l'innovation d'un changement continuel. Masferd Halpern définit le développement politique comme « la capacité durable de générer et d'absorber les transformations persistantes273(*). »

En effet, le système politique n'est pas simplement un mécanisme réactif qui absorbe les revendications, mais c'est essentiellement un système doté d'une autonomie qui lui permet d'introduire et de gérer le développement. Le système politique guide, dirige et innove. Les revendications et les programmes du gouvernement puisent leur source au sein du système politique.

Parmi les principales revendications que le système politique doit favoriser et satisfaire sont les revendications relatives à l'égalité des chances, à la participation politique et à la justice sociale. Ces revendications sont plus difficiles à satisfaire que celles qui relèvent du domaine économique et technologique. Le processus de développement politique inclut la capacité de produire de plus en plus d'individus capables d'améliorer leurs conditions sociales sur la base du mérite personnel et non sur celle des relations interpersonnelles. De même, de nouvelles classes et de nouveaux groupes apparaissent continuellement dans la société et doivent être introduits efficacement au sein des instituions politiques.

En définissant le développement politique en termes de capacités à stimuler les revendications et à résoudre les problèmes, nous dépassons le risque de tomber dans le piège de l'ethnocentrisme qui accompagne les études sur le développement politique.

Pour élargir leur pouvoir et leur autorité, l'élite chéhabiste a cherché à générer et à accélérer le processus de modernisation. Quoique, de tels efforts précipités favorisent l'apparition de nouveaux défis. Cependant, une fois que le processus de modernisation est déclenché, il tend à devenir persuasif et persistant. Le groupe politique qui a stimulé et encouragé le mouvement modernisateur voit souvent son habilité à contrôler et à réguler le système diminuer. En même temps, les forces de modernisation influencent le comportement et les décisions politiques de l'élite politique.

L'augmentation et la prolifération des revendications devancent énormément la capacité du système à les traiter. Les difficultés affleurent et s'inscrivent dans les agendas politiques non pas séquentiellement mais simultanément, ce qui rend d'autant plus difficile la mise en place de politiques de changements graduels. La maîtrise des tâches exige une grande dose de patience et de confiance, mais aussi et surtout parce que les préférences temporelles des différents segments de la population sont fortement variables. La capacité d'attendre, de préférer le court terme au long terme, est en effet inégale. La préférence pour le présent étant d'autant plus accentuée que les attentes et les aspirations des individus sont importantes. Il s'agit donc de synchroniser les différentes modalités sociales, au moment de forte désynchronisation.

En effet, nous pourrions admettre qu'il y a toujours un intervalle spatio-temporel entre les revendications qui accompagnent le processus de modernisation d'un côté, et l'habilité du système politique à les absorber de l'autre. Ainsi, il est plus aisé de générer du changement que de l'absorber et de le contenir. Cette délicate dialectique est au centre de l'expérience de modernisation tentée par le chéhabisme et du processus de développement politique dont le résultat est pourtant façonné par le degré et le niveau de modernisation. Cette dynamique peut retarder ou bien promouvoir le développement politique.

Ainsi, le progrès atteint par les forces de modernisation au niveau économique et technologique sous le chéhabisme, ne déboucha point sur une profonde altération dans le système politique. Les puissantes forces traditionnelles qui monopolisent une large partie de l'autorité politique ont résisté farouchement à tout changement de fond. De plus, l'élite politique chéhabiste s'est tellement investie pour la réussite de son projet politique qu'elle a énormément réduit sa capacité à confronter les revendications de participation politique, de justice sociale et d'égalité. Toutefois, le développement politique ne peut aboutir sans qu'il ait le souffle continu pour prendre en charge les problèmes sociaux et politiques.

Peu importe le niveau de progrès économique et technologique, il n'y aurait aucune modernisation politique sans une transformation des structures du pouvoir et des formes de l'autorité légitime.

Le processus de développement donc est dirigé par une dialectique entre les revendications socio-politique et la capacité du système à les satisfaire. Cette confrontation résulte du combat pour la sécurité d'un côté et celui de la liberté de l'autre. Sous le chéhabisme celle-ci s'est manifestée entre le rôle sécuritaire du Deuxième Bureau, et les opposants au chéhabisme qui refusaient ce rôle au nom d'une liberté « immature ».

Les revendications liées à la liberté et aux valeurs telles que la participation politique, la justice et l'égalité sont séculières au Liban. Il devrait y avoir un pouvoir capable de les satisfaire et les réprimer en même temps. La satisfaction de ces revendications est d'habitude remplie par une forte institutionnalisation, par de nouvelles méthodes, et un style efficace de gouvernement. Ceci exige la centralisation et la concentration du pouvoir et en même temps la disparition des relations traditionnelles au profit de nouvelles relations rationalisées.

Comme il est visible dans la figure 1274(*) , le processus de développement est une trajectoire qui oscille entre la répression et l'instabilité anarchique. Ce processus est une délicate balance d'équilibre entre les revendications sociales et les capacités du système politique à les satisfaire. L'augmentation des revendications requiert de plus en plus d'habilité pour les confronter. Le développement implique un constant va et vient entre les deux pôles de cette dialectique. En attendant, la vague de modernisation continue à avancer et devient de plus en plus persistante. Ce qui complique le processus de développement en modifiant et en déplaçant l'équilibre social, les revendications populaires, les capacités du système politique et les décisions du gouvernement.

Le progrès dans le domaine de l'éducation et de la technologie a donné naissance à une nouvelle classe moyenne. Kamal Dib affirme que le chéhabisme a réussi à créer trois groupes d'alliés275(*) :

1- Une nouvelle classe moyenne qui commença à prendre forme grâce au développement équitable et harmonisé et à travers un nouveau concept de la citoyenneté. Ainsi, l'élargissement de l'intervention de l'Etat-Providence, et l'augmentation des dépenses sociales ont crée des emplois, de facilités sanitaires, l'éducation universitaire aux classes défavorisées; comme ils ont permis la création de nouvelles dynamiques sociales.

2- Le rassemblement d'une nouvelle élite connue sous le nom des « nahgistes ».

3- L'élite militaire et les membres du Deuxième Bureau

Aucune de ces nouvelles catégories politiques et sociales ne fut introduite dans le système politique de manière à engendrer du développement politique : la nouvelle classe moyenne en tant que telle demeura incapable de constituer le socle humain durable du chéhabisme ; les « naghgistes » ne réussirent pas à s'organiser au sein d'un parti politique organisé et démocratique, enfin l'élite militaire se disgracia par « les débordements » du Deuxième Bureau.

En échouant dans l'absorbation de ses nouvelles catégories sociales, politiques et militaires, l'élite politique chéhabiste a donné la preuve de son incapacité à institutionnaliser les transformations socio-économiques. Charles Rizk voit que le président Chéhab s'est contenté « de court-circuiter les institutions, tout en les maintenant et les magnifiant en apparence276(*). » Le court-circuitage et la dépolitisation des institutions au profit des technocrates et des bureaucrates n'ont pas débouché sur une repolitisation dans le cadre d'un régime politique moderne, et sur un aboutissement de la réforme administrative, économique et sociale.

Cet échec a engendré une situation dans laquelle les gaps s'élargissaient pour s'enchevêtrer telles des poupées gigognes. Le fossé entre la modernisation socio-économique et le développement politique s'élargit en fonction de la capacité de générer du changement et par l'échec d'absorber ce dernier.

Par conséquent, le système politique libanais, par sa médiocrité congénitale, a été incapable de relever le défi auquel devait faire face la démocratie libanaise, inapte à résoudre les problèmes du développement dont la solution était aussi urgente qu'était pressante la progression démographique et grave le déséquilibre socio-économique du pays.

* 269 - C.E. BLACK, The dynamics of modernization, Harper and Row, New York, 1966, p.7

* 270 - Dankwark ROSTOW,  A world of Nations : Problems of Political modernization , The Brookings Institutions, Washington, 1967, p.3

* 271 - Alfred DIAMANT, «The nature of political development», in Political Development and social change, Ed, ) (suite) Jason L. Finkle and Richard W. Gable, New York, John Willy and Sons, 1966, p. 92.

* 272- S.N.EISENSTADT, Political modernization  Ed. Claude Ewelch, Jr Belmort, Wadsworth, Californie, 1967. p. 252.

* 273- Masferd HALPERN, « The Rates and Costs of Political Developement », Annales, Mars 1965, p. 21.

* 274- Source : « Political Developpement and the challange of Modernization » In  Political Parties and political developpemnt  , édité par Joseph La Palombara et Myron Weiner, Princeton Universitry Press, New Jersey, 1966, p.10

* 275 - Kamal DIB, Les seigneurs de la guerre et les marchants du temple, les hommes du pouvoir et de l'argent au Liban, Préface de Georges Corm, ( en arabe) Dar Annahar, Beyrouth, 2007, p, 193, ( 605 pages)

* 276 -Charles RIZK,  Le régime politique libanais , op.cit. p. 7

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand