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Le chehabisme ou les limites d'une expérience de modernisation politique au Liban

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par Harb MARWAN
Université Saint-Joseph de Beyrouth - DEA en sciences politiques 2007
  

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2,1- Le régime politique libanais : une monarchie oligarchique à prédominance féodal-politique.

Le régime politique libanais peut dans son application pratique être rattaché au régime monarchique. Bahige Tabbara, dans « Les forces actuelles au Liban » a soutenu en 1954 que « la réalité du pouvoir au Liban réside entre les mains du président de la République et derrière une façade de démocratie parlementaire on assiste à un quasi-absolutisme du chef de l'Etat. »63(*)

Charles Rizk a écrit dans «Le régime politique libanais » que le président de la République libanaise est « l'héritier du Haut-Commissaire français, du Gouverneur ottoman et de l'Emir libanais. Une tradition séculaire de pouvoir personnel et du culte oriental de la puissance incarnée dans la personne du Chef. »64(*) 

Si le régime libanais dispose à sa tête d'un roi non couronné qui personnalise le pouvoir durant son mandat, ce régime n'est pas pour autant une monarchie autoritaire. Jacques Nantet a mentionné dans «Histoire du Liban » que « les Libanais ont choisi la République en vue d'éviter la monarchie.»65(*)

Michael Hudson a noté que le régime libanais qui contient « des éléments confus qu'il est extrêmement difficile de classifier dans les typologies en vigueur », ne peut prendre nullement la forme d'une « oligarchie totalitaire.»66(*) 

H. & P. Willemart ont souligné aussi dans « Dossier du Moyen-Orient » que le régime politique libanais qui possède « le prestige de l'originalité » est une hétérogénéité67(*) indivisible formée d'un « style monarchique » et d'un « parlementarisme pluraliste.»68(*)

Michel Chiha avait classifié le régime politique libanais comme étant une « dictature oligarchique »69(*), et Hudson comme une « démocratie oligarchique.»70(*) Le régime libanais n'est pas en effet, une monarchie totalitaire ou autoritaire mais une monarchie oligarchique.

Hudson distingua en effet trois piliers qui forment l'oligarchie libanaise : le clergé, les commerçants et les descendants des familles féodales. Si Hudson a évoqué le rôle du clergé, des commerçants et des féodaux, il a cependant négligé le rôle important de la presse, il a écarté l'influence des commerçants, des banquiers et des industriels et surtout de l'armée qui a joué un rôle particulièrement important durant la période 1958-1970.

L'oligarchie libanaise est formée des communautés religieuses, des descendants des familles féodales, des forces capitalistes, de la Presse et de l'Armée.

Le Liban est en fait « une mosaïque de communautés religieuses ». Nous employons mosaïque au sens figuré qui est: « une juxtaposition d'éléments divers et nombreux » dans une perspective politique et institutionnelle et non pas sociale car loin d'être simplement juxtaposées dans une rencontre actuelle, elles sont de longue date incluses et imbriquées dans une construction durable, éprouvée par le temps.

Comme l'indique Pierre Rondot dans « Les communautés dans l'Etat libanais », que « cette formule évoque certes, de façon frappante, la diversité libanaise ; mais elle laisse, à tort, l'impression arbitraire, combinant des éléments disparates réunis par un ciment artificiel. »71(*) De même, nous ajoutons que cette formule laisse entendre que les barrières communautaires sont infranchissables et intangibles. « Mieux vaut dire, sans doute, que le Liban a été façonné par l'histoire comme un ensemble de communautés, actives de longue date dans tous les domaines de la vie étatique et publique, et par là même fortement associées. »72(*)

Pierre Rondot a cité dans « Les institutions politiques du Liban » que la montagne difficile d'accès et facilement défensable et qui évoquait « un profil d'une fortification classique, avec glacis, contrescarpe, fossé, rempart »73(*) a « servi de refuge à différents groupes religieux. » 74(*) La thèse de la Montagne-refuge défendue par Henri Lammens75(*) qui considère que pendant l'époque islamique le Liban offrait un refuge montagnard pour les persécutés en Syrie ; est critiquée par Kamal Salibi en tant qu'elle est devenue « un article de foi. »76(*) Kamal Salibi sans pour autant démentir la thèse de Henri Lammens considère que « les ancêtres de la plus grande partie de la population du Mont-Liban et de ses environs immédiats n'arrivèrent pas au Liban en fuyant les persécutions en Syrie. A l'époque islamique, ils étaient déjà établis localement, comme d'autres tribus et clans arabes avant l'Islam, pour certains d'entre elles peut-être dès le troisième siècle. »77(*)

Oubliant les querelles historiques. Parmi les 17 communautés reconnues officiellement (maronite, grecque-orthodoxe, grecque-catholique, arménienne-orthodoxe, arménienne-catholique, chaldéenne-catholique, chaldéenne-nestorienne, syriaque-orthodoxe, syriaque-catholique, latine, protestante, Israélite, sunnite, chiite, druze, israélite et alaouite)78(*) six seulement ont eu, cependant, accès au pouvoir politique depuis l'instauration du régime confessionnel, au Liban, par Chékib effendi, ministre ottoman des Affaires Etrangères.

Les (tartibates) «arrangements» de Chékib Effendi du 22 juin 1845 qui avaient consolidé le régime des deux districts dans la Montagne (Nazam al Kaem-makamiyateyn) (accord du 7 décembre 1842), avaient établi une Assemblée de notables, composée de deux maronites, deux druzes, un sunnite, un grec-orthodoxe, un grec-catholique et un chiite79(*).. Ce dosage n'a connu, 130 ans plus tard, qu'un changement minime, à savoir l'affaiblissement de la communauté druze et sa substitution par la communauté sunnite. Les deux règlements organiques du 9 juin 1862 et du 6 septembre 1864 et les huit «Protocoles» du 27 juillet 1868, 22 avril 1873, 8 mai 1883, 15 avril 1892, 14 août 1892, 27 septembre 1902, 7 juillet 1907 et 23 décembre 1912, adoptés par le représentant de la Sublime Porte ceux des cinq Grande Puissances80(*) (France, Grande-Bretagne, Prusse, Autriche, Russie) ont consacré le régime confessionnel établi par Chékib effendi.

Fernand L'Huillier a écrit dans «Le Moyen-Orient contemporain (1945-1958) » que «le Liban politique moderne à des caractères qui remontent à 1860 seulement. Auparavant les fiefs constituaient l'assise de l'autorité des émirs dans un Liban cohérent et fort, refusant de mêler religieux au politique. Depuis, l'Europe et la France (régime du Mandat) ont donné une assise confessionnelle à un Liban désormais privé d'unité interne. »81(*)

Michel Chiha avait souligné en 1952 dans « Politique intérieure » : « Comme en Suisse, il y a des cantons, au Liban il y a des communautés confessionnelles associées. Les premiers ont pour base un territoire, les seconds seulement une législation.»82(*)

Ghassan Tuéni, ancien ministre et ancien représentant du Liban à L'ONU, a, en outre, noté que «l'Etat de l'indépendance a été bâti à la remorque des communautés. »83(*)

Elizabeth Picard souligne que le Liban est « de tous les pays arabes d'aujourd'hui (...) celui qui a le mieux conservé la tradition ottomane de la division sociale et politique en communautés. »84(*) Pierre Rondot rappelle ici que « dans le système libanais, les communautés sont égales en droits, et qu'un citoyen libanais peut librement et en tous sens passer de l'une à l'autre, caractéristiques qui manquaient au système ottoman marqué par la prépondérance et l'exclusivisme de la communauté musulmane. »  

L'emprise des communautés est en effet, de plus en plus grande à mesure que l'Etat faiblit, d'autant que ces communautés jouent le rôle des partis politiques ; le pouvoir politique libanais ne peut se passer de l'autorité multi-communautaire. Georges Corm, souligne que l'Etat n'a jamais pu acquérir une existence autonome car la classe politique trouva plus aisé de tirer son pouvoir des appareils communautaires, et « ces appareils communautaires tirent eux-mêmes leurs forces de leur puissance économique, de leur influence au travers des institutions spirituelles et éducatives, et de leurs liens avec les forces externes régionales et internationales.»85(*)

Joseph Aboujaoudé cite à juste titre dans « Les partis politiques » que « les structures qui sous-tendent les fondements de la vie libanaise sont d'ordre communautaire ou plutôt d'ordre politico-communautaire. Au lieu de marquer une évolution vers un dépassement de ces structures, les appartenances se rabattent, dans l'opération de choc et de contrechoc, sur les structures elles-mêmes. Une dysfonction entre le pouvoir politique et les groupes communautaires apparaît. Chacun d'eux cherche le monopole de la scène politique. »86(*)

Il est, toutefois, possible d'affirmer que le féodalisme politique présente le caractère dominant dans la hiérarchie de l'oligarchie libanaise. Depuis les années 1930, jusqu'à aujourd'hui les mêmes personnalités politiques ou leurs enfants ont le monopole quasi exclusif de la vie politique officielle du pays. Pierre Rondot a précisé dans « Destin du Moyen-Orient » que « le maintien de l'équilibre traditionnel à l'intérieur du Liban conduit à préserver le rôle non seulement socio-politique des communautés religieuses mais l'influence des notables quasi-féodaux et des clans. »87(*) Joseph Moughaizel a de même souligné que « le régime féodal qui a régi le Liban tout au long de son histoire, s'est perpétué jusqu'à nos jours.»88(*)

Le système politique continue d'être géré par des élites déjà présentes au temps du Mandat français malgré les très graves crises qui l'ont secoué89(*). La totalité du système repose sur la protection (himaya, wasta) que chacun obtient de quelqu'un d'autre auquel il accorde en échange du pouvoir ou de l'argent. Yves Schemeil précise que « les élites politiques Libanaises ne sont pas dégagées par le mérite, mais par leur connaissance des règles du système patrimonial.» 90(*)

Si le féodalisme politique est héréditaire, il se distingue, cependant, du féodalisme traditionnel par le fait qu'il n'a pas comme fondement la propriété agricole mais la pression politique.

Le féodalisme politique, comme groupe de pression, peut prendre soit la forme tribale (Jaafar, Dandache), soit familiale (Assaad, Osseirane, Zein, Frangié, Arslane), soit terrienne ( Iskaff ), soit mercantiliste ( Salha, Sehnaoui, Aboou-Adal, Najjar, Trad, Majdalani, Murr, Bustani ...) ou encore peut se cantonner à l'intérieur des partis politiques91(*) ( la famille Eddé à l'intérieur du parti du Bloc National, de la famille Joumblatt à l'intérieur du Parti Socialiste Progressiste, de la famille Gemayel à l'intérieur du parti des Phalanges, de la Famille Chamoun à l'intérieur du Parti National Libéral, de la famille khoury à l'intérieur du parti de l'Union Constitutionnelle.)

L'influence pesante de ce caractère laisse quelquefois à ces « zams », « ras », « beys », « émirs » ou « cheikhs » la possibilité de se heurter au président de la République. La confrontation peut être soit violente et entraîner des engagements sanglants dans le pays, comme ce fut le cas en 1958, soit non-violente, le président préférant se démettre de ses fonctions (Béchara El-Khoury en 52) ou encore refuser de se faire réélire. (Fouad Chéhab en 1964 et 1970)

La presse joue un rôle important, le Liban étant souvent qualifié de « nation de journalistes ». Une multitude de journaux quotidiens et hebdomadaires sont publiés à Beyrouth et plusieurs agences d'informations locales, arabes et étrangères y sont installées.

L'influence des industriels et des commerçants est considérable. Les ressources de la prospérité libanaise résident dans les activités commerciales qui ont « contribué à créer des facteurs positifs de développement, comme pas un parmi tous les pays venus récemment à l'indépendance92(*). » Kamal Joumblatt avait déclaré que les « gouvernements successifs ont toujours représenté le pouvoir des commerçants.»93(*)

Voulant conserver ses intérêts politiques et économiques, l'oligarchie libanaise trouve avantage à conserver le régime politique, aussi bien le Pacte National que la Constitution, et à s'opposer à toute réforme du pouvoir. La tentative modernisatrice du général-président Fouad Chéhab ne sera-t-elle pas contourner par cette oligarchie même ?

Quant à l'Armée elle a été soucieuse tout au long de la période de 1945, date de sa création à 1975, date du déclenchement de la guerre civile, de respecter religieusement la Constitution. Le colonel Joseph Bitar a souligné que « la mission des forces armées se limite à protéger la Constitution libanaise.»94(*)

René Aggiouri a noté dans « l'Orient » que « le général Fouad Chéhab vouait à la Constitution un respect absolu. »95(*) Le président Camille Chamoun a, aussi, précisé dans son discours d'investiture, prononcé le 23 septembre 1952 à l'Assemblée96(*) que « le commandant en chef de l'armée, le général Fouad Chéhab est sincèrement attaché à la Constitution.»

C'est avec l'appui de l'armée et le ralliement de l'oligarchie libanaise à l'ordre civil et son soutien à l'ordre politique que l'Etat a pu préserver la Constitution. Mais quand le président Chéhab optera pour la réforme du système avec l'appui de l'armée, les autres composants de l'oligarchie libanaise lui barreront la route.

* 63 - Bahige TABBARA, Les forces actuelles au Liban, Université de Grenoble, 1954, p.304, (331pages).

* 64 - Charles RIZK, Le régime politique libanais, préface de Maurice Duverger, L.G.D.J, Paris, 1966, p. 32, (170 pages)

* 65- Jacques NANTET, Histoire du Liban, Préface de François Mauriac, Ed. de Minuit, 1963, p.257 (358 pages)

* 66 - Hudson a repris la typologie d'Edward Shils dans «Political development in the new States» (1959 mimeo). ( suite) Shils avait distingué cinq formes de gouvernements politiques: la démocratie politique classique, la démocratie tutélaire, l'oligarchie traditionnelle, l'oligarchie moderne et l'oligarchie totalitaire.

* 67 -«La République libanaise est le pays le plus exceptionnel et le plus insolite dans le monde» Hudson op.cit. p. 3.

* 68- H. et P. WILLEMART, Dossier du Moyen-Orient Arabe , Marabout Université, Verviers, 1969, p.187. (350 pages)

* 69 - Michel CHIHA, Politique intérieure,  Publications de la fondation Chiha, Beyrouth, 1964, p. 234, (316 pages).

* 70 - Michael HUDSON, The precarious Republic, op.cit.

* 71 - Pierre RONDOT, Les communautés dans l'Etat libanais, les cahiers de l'association France nouveau Liban n04, Ed. du Pylone, FABAG- 1er trimestre 1979, p. 7. ( 75 pages)

* 72- Idem.

* 73 - Pierre RONDOT, Les communautés dans l'Etat libanais.... op.cit. p. 44

* 74- Pierre RONDOT, Les institutions politiques du Liban , publications de l'institut d'Etudes de l'Orient Contemporain, Paris, 1947.

* 75- Henri LAMMENS, La Syrie, précis historique, publiée par la presse catholique de Beyrouth, 1921.

* 76 - Kamal SALIBI, Une maison aux nombreuses demeures ...... op.cit. p.170

* 77 - Idem.

* 78 - « La réalité du Liban politique» Ed. Dar An-Nahar, 1976, p.9

* 79 - Adel ISMAIL, History of a people, Beyrouth, 1972, p.164. ( 244 pages).

* 80 - Négib DAHDAH, Evolution historiques du Liban, Mexico, Ed. Oasis 1964, pp. 207 et 320-325.

* 81 - Fernand L'HUILLIER, Le Moyen-Orient contemporain (1945-1958), Marabout Université, Verviers, 1969 p. 187 ( 350 pages) 

* 82 - Michel CHIHA, Politique intérieure ...... op.cit. p 261.

* 83 - An-Nahar, 15 janvier 1973. p.1

* 84 - Elizabeth PICARD, Liban, Etat de dsicorde, Des fondations aux guerres fratricide, Paris, Flammarion, 1988. p.29. ( 264 pages).

* 85 - Georges CORM, Le Liban contemporain, histoire et société ... op.cit. p. 60

* 86 - Joseph ABOUJAOUDE, Les partis politiques, Bibliothèque de l'Université Saint-Esprit, Kaslik, 1985, p.4 (445 pages)

* 87- Pierre RONDOT, Destin du Moyen-Orient, Ed. du Centurion, Collection « Le Poids du Jour », Paris, 1959, p. 25.

* 88 - Joseph MOUGHAIZEL, Le Liban et la cause arabe (en arabe), Beyrouth, 1959, p. 68

* 89- R. Hrair DEKMEJIAN, Patterns of political leadership, Lebanon, Israel,Egypt, State University of New York Press, Albany, New York, 1975.

* 90- Yves SCHEMEIL, « Les élites politiques au Proche-Orient » In Revue Française de Sciences Politique. n03, 1978, p. 555

* 91- le Liban connaît à l'époque actuelle une épidémie de partis politiques crées et dominés par des personnalités politiques voulant donner à leur action politique un vernis de modernité.

* 92- «Le Liban au tournant », Institut de recherches et de formation en vue de développement, Beyrouth, 1963.

* 93- Al-Anwar  - 4 avril 1975.

* 94- Joseph BITAR, Armée de métier et service militaire au Liban, Imprimerie Catholique, Beyrouth, 1973, p. 35 (96 pages).

* 95 - L'Orient, - « les faits du jour », 13 septembre 1964, N01179, p.1

* 96 - L'Orient, du 24 septembre 1952, N07757.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe