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Le declin du mythe imperial: proces du colonialisme et de l'apartheid dans Au coeur des tenebres (1902) de Joseph Conrad et dans L'Age de fer (1992) de John Maxwell Coetzee

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par Amadou Hame NIANG
Université Cheikh Anta Diop de DAKAR - Maitrise 2007
  

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3.2 : Chez les Africains

Sur les populations autochtones, le déclin de l'empire s'exprime par une prise de conscience de leur essence humaine et de la vulnérabilité des occidentaux. Dans Heart of Darkness, la présence des indigènes, moindre dans la trame narrative, n'enlève rien à leur résistance à l'empire ; en atteste la fin tragique de Fresleven, tué par un Noir et même du destin de Kurtz. Pour le premier, sa mort confirme un trait important chez les indigènes : la fierté. En effet, si le Danois a rossé le chef noir au milieu de son peuple, dans le but de « réaffirmer d'une façon d'une autre son respect de lui-même. »(C.t.93), le coup de lance assassin du fils du chef met en lumière le sentiment élevé de l'honneur des Africains.

Cette anecdote, placée avant le début du récit de voyage proprement dit, est significative à plus d'un titre. A première vue, Marlow semble conforter les théoriciens de l'impérialisme, dans l'idée du Blanc, comme « être supérieur ». Car l'aventurier anglais montre qu'après le coup fatal à Fresleven : « La population s'était évanouie. Une terreur folle l'avait dispersée, hommes, femmes, enfants, dans la brousse, et ils n'étaient jamais revenus. » (C.t.93). Mais au fil de la narration, l'ironie s'approprie ce discours, pour déconstruire le mythe de l'Européen surnaturel. Ce n'est qu'au milieu du récit, au coeur de la jungle obscure que Conrad avouera son projet, avec l'introduction de Kurtz, vaincu par l'indicible force des ténèbres. L'Anglo-polonais se démarque ainsi du « Narrative of Empire » de Kipling et montre la résistance de l'Afrique et des Africains contre l'impérialisme.

C'est dans cette veine que Coetzee présente dans Age of Iron la guerre idéologique à laquelle se prêtent les enfants noirs devant Elizabeth Curren : 

« Nous, on ne fait rien, on dit juste qu'on ne veut pas aller à l'école. Et maintenant, voilà ils ont déclenché la terreur contre nous. (...) _ A quoi sert l'école ? Elle sert à nous adapter au système d'apartheid. (...) _ Qu'est-ce qui est le plus important : que l'apartheid soit détruit ou que j'aille à l'école ? » (A.f.76-77).

C'est dans l'aspect puéril de ce discours, que la fiction narrative du roman exalte la résolution des Africains à précipiter la décadence de l'apartheid.

Dans l'histoire politique de l'Afrique du Sud, la révolte des écoliers noirs qui d'ailleurs constitue le fond historique de L'Age de fer, a eu pour conséquence l'éveil d'un nationalisme fort dans les Townships.

On a remarqué chez Marlow que la résistance des indigènes n'est prise en compte que dans sa subjectivité : « Des bâtons, de petits bâtons volaient drus : il me sifflaient devant le nez, ils tombaient devant moi, ils frappaient derrière moi contre ma cabine de pilotage. »(C.t.150). Dans la description de cette attaque, il y a une volonté de ridiculiser la riposte armée. Pour Conrad, la résistance à l'empire est plus farouche quand elle est métaphysique : le regard des Africains ou le silence inquisiteur de la jungle hostile. La dérision se lit à travers les flèches qui ont toutes raté leur cible. Marlow dira même qu' « Elles étaient peut-être empoisonnées, mais elles n'avaient pas l'air bonnes à tuer un chat. »(C.t.151). Coetzee, dans une certaine mesure, rejoint Conrad. Mais la différence des contextes fait que l'héroïne de L'Age de fer s'est emplie de contradictions quant à sa perception de la lutte armée. Les Noirs Sud-africains ne sauraient donc résister comme les indigènes du récit conradien : 

« La détermination, la soif de liberté dans le coeur des jeunes enfants étaient telles qu'ils étaient prêts à faire face aux mitrailleuses avec des pierres. C'est ce qui arrive quand on est assoiffé de liberté, quand on veut briser les chaînes de l'oppression. Tout le reste semble sans importance.120(*) ».

Ce discours est la vérité de l'Afrique du Sud. Sa virulence répugne fort Elizabeth Curren, outrée qu'il s'applique à des enfants : 

« Pauvre John, dont la destinée aurait fait autrefois un boy jardinier, qui aurait mangé à la porte de derrière son déjeuner de pain et de confiture et bu de l'eau dans une boîte de conserve, et qui se bat aujourd'hui pour tous les insultés et les humiliés, tous ceux qu'on foule aux pieds et qu'on ridiculise, pour tous les boys d'Afrique du Sud ! »(A.f.171-172).

La volonté de libération du joug colonial atteste l'intensité de la résistance. Dans les deux récits, s'exprime la prise de conscience de l'imposture idéologique de l'empire. Par rapport à la déshumanisation des Noirs, Marlow laisse entendre que ces derniers sont conscients de l'aspect creux de la « mission civilisatrice ». Le regard de son timonier agonisant a ébranlé en lui ses convictions les plus profondes : « Et l'intime profondeur de ce regard qu'il me donna quand il fut frappé reste jusqu'à ce jour dans ma mémoire_ comme un droit de lointaine parenté affirmé en un moment suprême. »(C.t.160). Conrad se démarque ici des théories douteuses sur la mentalité primitive. Il reconnaît aux indigènes l'essence humaine. André Gide, dans sa relation de voyage, s'inspire beaucoup du concept conradien de l'indigène. Mais c'est dix ans après le Voyage au Congo que l'on découvrira les « vraies » conséquences du déclin de l'empire sur les Africains, avec le reportage de Simenon pour la revue Voilà. En fait, « L'Heure du nègre » est « l'antichambre » de la décolonisation. Si Conrad a esquissé le « nègre assimilé », dans le personnage de son timonier : « Il aurait dû battre des mains et des pieds sur la rive, au lieu de quoi il besognait dur, dans l'esclavage d'une étrange sorcellerie, riche en savoir et en progrès. »(C.t.137), Simenon en fera l'archétype du « Noir évolué », conscient de l'égalité des hommes : « Les clercs le savent ! Ce sont eux qui tapent à la machine les procès-verbaux et les rapports de commissariats de police et des tribunaux. Ils savent que les Blancs volent, que les sociétés font faillite et que telle femme blanche a passé telle nuit avec un nègre.121(*) ».

Coetzee, aussi, ne s'éloigne pas de ce processus d'éveil de la conscience africaine, illustré par la présence d'intellectuels (M.Thabane) parmi les résistants. L'histoire de l'apartheid a montré que des penseurs, de grands écrivains ont défendu l'idéologie des formations politiques comme l'A.N.C. (African National Congress). Dans son roman autobiographique, Tell freedom, Peter Abrahams relate sa découverte de L'Ame du Peuple Noir de W. du Bois : « Au fond de mon coeur je criais presque : le monde n'appartiendra plus jamais aux seuls blancs ! Plus jamais !122(*) ».

Dans nos deux récits, la littérature a traité le colonialisme et l'apartheid avec une radicalisation qui a soulevé l'indignation du monde libre, face à la souffrance de la race prétendue « inférieure ». Celle-ci, par ses armes, aura versé son sang jusqu'à recouvrer sa dignité, mais en réalité : « Le maître, le vrai maître, celui qui conduit le troupeau à peau noire et à peau blanche, les bêtes et les plantes, c'est l'Afrique !123(*) ».

* 120 Winnie Mandela, Une part de mon âme, op.cit. ; pp.135-136.

* 121 Georges Simenon, « L'Heure du nègre », op.cit. ; p.412.

* 122 Peter Abrahams, Je ne suis pas un homme libre, op.cit. ; p.190.

* 123 Georges Simenon, op.cit. ; p.395.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery