III. Les "communautés de loisir"74
Julien parle d'une "communauté hardcore" pour
décrire les amateurs de hardcore en Espagne." À Ibiza, tu as
de la Trance Psychédélic, à mort aussi, qui est une
communauté plus petite que celle de la House mais tu as des très
grandes soirées", a également indiqué Renaud. "Le
monde est petit quand même, c'est une petite famille, sur toute la
France", a même renchérit Amélie. Je ne cache pas que
les concepts de "néo-communauté", de "néo-tribu" me
dérange tout autant que la "postmodernité" ou l'
"hypermodernité". Pourquoi abosolument essayer de comprendre la
fête techno au regard du sacré ? Pour décrire le groupe
social regroupé dans l'organisation de soirées techno, je
privilégie ici l'aspect du loisir au détriment de la
ritualité. Ma recherche sémantique s'est donc portée vers
les études sur les phénomènes sportifs. Or, le terme de
"communauté" y est également employé dans l'expression
"communauté de loisir" soulignant la sociabilité, en tant qu'
"élément fondamental de loisir". Norbert Elias et Eric
Dunning qualifient les groupes de loisir dans leur dimension sociabilisante de
communautés de loisir avec prudence. Ils rejettent en effet
l'assimilation de la communauté de loisir avec la "communauté de
village" : "les exemples que nous avons à l'esprit permettent de se
débarrasser des connotations romantiques traditionnellement
associées à ce terme. Les gens qui, dans leur loisir, aiment se
joindre à des "Gemeinschaft de pub" ou se rendre à des
réceptions susceptibles d'encourager l'intégration à un
niveau plus élévé d'attractivité
déclarée et plus ou moins amicale n'ont pas nécessairement
le même état d'esprit que les âmes romantiques qui
rêvent d'un retour des Gemeinshaften des villages d'antan". Cette
définition correspond au point de vue de l'organisateur de la fête
et non du participant car ces appropriations des termes "famille",
"communauté", "tribu" fait partie du jeu et de l'esthétique de
la
74 Elias N. et Dunning E., Sport et
Civilisation : La violence maîtrisée, 1998, Fayard p. 165.
"Gemeinschaft de loisir". Ce chapitre intitulé Les Loisirs dans le
Spectre du Temp Libre est la version revue de l'article dont un extrait
est paru en 1972 dans Sociology of Sport : Foundations and Research
Methods, sous la direction de Rolf Abonico et Katarina Pfister-Binz,
Bâle.
techno qui sont encore plus fort dans la "sous-culture
trance"75. Les activités de loisirs sont des temps où
les individus se libèrent de la routine et des contraintes liées
au travail, des échanges impersonnels et de la retenue des
émotions inhérentes aux relations professionnelles ce que nomment
les deux auteurs le "carcan". Ils s'étaient d'ailleurs
intéressés à la place de l'alcool dans la levée des
inhibitions cérébrales facilitant "la stimulation
réciproque amicale à un niveau relativement élevé
d'affectivité, qui est l'essence de la sociabilité du
loisir"76(Elias N., Dunning E., 1986). La fête est un
temps où se joue des relations collectives et la
libération des émotions individuelles. À propos du metal,
l'utilisation des icônes extrémistes taboo, les auteurs parlent de
"jeu subversif et de théâtralité"77
(Mombelet A. et Walzer N., 2005). Le jeu de la
transgression des normes induites par la fête techno dépasse le
simple cadre des loisirs lorsqu'il devient lui-même la norme.
Après, confondre le jeu et la réalité relève du
champs de la psychanalyse où je ne m'aventurais pas ici. Du point de vue
de l'organisateur, la "communauté" signifie plus un groupe d'amateurs de
tels ou tels styles et non pas d'une "tribu" ou "néo-tribu" au sens
anthropologique. Alors, ces revendications d'appellations par les organisations
n'ont pour les besoins de cette étude que le sens de production de
mythes rassembleurs et comme le conclu Lionel Pourtau dans un article
dédié à la définition du néo-tribalisme :
"les technoïdes se rattachent à un tribalisme qui n'a jamais
existé. Les administrations coloniales ont défini un tribalisme
qui n'a jamais existé. Au niveau des effets, cela n'a pas grande
importance"78 (Pourtau L., 2000).
"Mais c'est quoi « être organisateur » ?
moi, comment je le vois, c'est participer à un projet et se faire
plaisir. Et si tu peux faire plaisir au gens en te faisant plaisir, c'est
super" (Stéphane). De ce point de vue, le sens de
l'organisation de soirées techno ne fait aucun doute. Le motif ici
exprimé est de l'ordre du loisir.
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