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Culture et progrès chez Hegel

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par Céline Ko Tine
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maitrise 2011
  

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PREMIERE PARTIE :

GENESE DES CONCEPTS HEGELIENS DE CULTURE
ET DE PROGRES CHEZ CONDORCET ET KANT

10

CHAPITRE I : L'apport de la pensée condorcéenne sur la question de la culture et du progrès

Le choix de Condorcet dans une étude consacrée à la question de la culture et du progrès chez Hegel n'est ni gratuit ni fortuit. L'importance que revét la pensée condorcéenne dans une telle thématique réside dans la particularité de sa démarche, notamment dans l'exposé des différentes époques qui retracent le progrès de l'esprit humain. C'est ce trajet de l'esprit qu'il décrit dans son ouvrage intitulé Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain et qu'il découpe en une dizaine d'époques.

Ce découpage montre la manière dont l'esprit s'élève de l'état le plus embryonnaire c'est-à-dire le plus élémentaire à la pleine maturité si nous nous référons par exemple à la terminologie kantienne. Le tableau que dresse Condorcet sur le progrès de l'esprit humain apparaît comme un bilan tiré à partir des faits constatés dans l'histoire. C'est à partir de cette démarche de Condorcet que nous allons appréhender la pensée hégélienne comme le parachèvement de cette problématique de la culture et du progrès. Ainsi, il s'agira de montrer comment de telles notions sont prises en charge par Condorcet.

1- L'apologiste du progrès

Considéré comme l'une des figures emblématiques du XVIIIe siècle mais également comme un des grands théoriciens du progrès, Condorcet, à l'instar de tous ses contemporains, a cherché, d'une certaine manière, à montrer le véritable statut de la raison dans le processus d'évolution de l'homme. En effet, il expose, à travers son Es1111111111 iqu'on peut considérer à juste titre comme une philosophie de l'histoire, le tableau historique des progrès de l'esprit humain. Pour ce faire, il délimite dès le départ le champ d'investigation de son projet en ces termes :

« je me bornerai à présenter ici les principaux traits qui caractérisent chacune d'elles [chacune des périodes de l'histoire] : je ne donnerai que les masses, sans m'arr~ter ni aux exceptions ni aux détails8. » En d'autres termes, le but de son projet n'est ni de se pencher sur l'étude des différents peuples de l'histoire ni sur l'étude des moeurs et des institutions mais bien au contraire : sa tâche se réduit en une exposition « des progrès de l'esprit humain 9» dans le souci « de rendre compte de ces moments de stagnations, voire de décadences10 » dont le seul protagoniste est « l'esprit humain11

. »

De ce fait, dans cet ouvrage qu'Alain Pons considère comme le testament du siècle des Lumières, Condorcet se donne pour tâche de dégager le trajet évolutif de l'esprit humain depuis l'état des populations primitives jusqu'au stade de l'état actuel. La division de son Esquisse en neuf époques dont une dixième qui pose les perspectives de l'état à venir de l'espèce humaine montre effectivement qu'il y a en l'homme un principe moteur qui le pousse sans cesse à aller de l'avant malgré les tumultes inhérents à ce parcours. C'est donc par le principe de perfectibilité qui apparaît comme un élan vital et une force motrice que l'homme peut se frayer un passage au milieu des épreuves qui jalonnent son chemin et c'est ce qui fonde d'ailleurs sa confiance par rapport au développement de l'espèce humaine .

Dans cette même dynamique de pensée, Condorcet considère la première époque comme une étape qui coïncide avec la réunion des hommes en peuplades qu'on pourrait nommer l'état primitif de l'existence humaine. Ces peuplades constituent un groupement humain ne formant pas encore une société structurée. En effet, Condorcet affirme clairement et sans ambages son optimisme par rapport au progrès du genre humain qui trouve son expression dans le principe de la perfectibilité. Tout comme les penseurs des Lumières, enthousiastes et optimistes quant à la progression réelle que prend le cours de l'histoire humaine, il est

8 CONDORCET, Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain, Paris, G.F Flammarion, 1988, p. 89.

9 CONDORCET, Op.cit., p. 44.

10 CONDORCET, Op.cit., p. 44.

11 CONDORCET, Op. cit., p. 44.

12

convaincu de l'allure irréversible de la marche de l'humanité vers le meilleur grace à une réelle prise de conscience.

Ainsi, cette première étape du développement de l'Esquisse qui marque la réunion des hommes en peuplades correspond à une période où l'esprit est plongé dans la substantialité naturelle, autrement dit, c'est le moment où il n'a pas encore pris conscience de lui-même, de sa véritable réalité. On retrouve d'ailleurs les échos d'une telle thèse chez Hegel pour qui cette étape « constitue le point de départ absolu dans l'histoire12. » On verra donc, qu'au fur et à mesure que l'homme invente de nouveaux matériaux, l'esprit se déploie vers son affirmation. Cette lecture globale de l'histoire à travers l'Esquisse permet de voir le progrès de l'humanité vers son perfectionnement. En effet, c'est pour avoir une saisie exacte de son projet qu'un retour au passé a paru nécessaire pour mieux recueillir les éléments qui lui permettent de poser les perspectives pour l'avenir. Le tableau général exposé par Condorcet dans l'Esquisse montre clairement la marche de la conscience humaine vers sa réalisation dans la mesure où le statut du développement constaté à chaque étape du processus ne permet en aucune manière une régression vers l'état primitif.

Par ailleurs, il faut dire que ce processus par lequel l'esprit acquiert une culture lui permet de se propulser dans la voie du progrès et le met face à des réalités avec lesquelles il doit entrer en relation pour pouvoir s'affirmer. Ce qui revient à dire qu'il y a certainement des moments de tensions et de ruptures dans le processus d'évolution de la conscience humaine. Mais à la longue, du fait de l'identité des intérêts et des secours mutuels, ces peuples finissent par se constituer en sociétés. C'est ce qui ressort de ces propos de Condorcet où il affirme que : « Les relations plus fréquentes, plus durables avec les mrmes individus, l'identité de leurs intér~ts, les secours mutuels qu'ils se donnaient, soit dans les chasses communes, soit pour résister à un ennemi, ont dû produire également et le sentiment de la justice et une affection mutuelle entre les membres de la société Bientôt cette affection s'est transformée en attachement pour la société elle-même13. » En d'autres termes, une

12 G.W.F. Hegel, Principes de la philosophie du droit ou droit naturel et science de l'État en abrégé Trad. de Robert Dérathé, Paris, Vrin, 1993, § 187, p. 339.

13 CONDORCET, Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain, Paris, G.F Flammarion, 1988Paris, p. 92.

certaine cohésion est donc née des liens qui se sont tissés entre les peuples partageant les mêmes intérêts. C'est cela qui montre d'ailleurs la manière dont l'homme a eu, face à l'urgence de certains besoins, à affronter certaines réalités, à adopter les meilleures solutions pour assurer son bien être. De ce fait, étant perfectible, l'homme peut, tout en transformant le monde, se transformer soi-même et transformer ses conditions d'existence en se créant un cadre de vie plus favorable. Cela nous permet d'introduire la deuxième étape où, de peuples pasteurs qu'ils étaient, ils passent à l'état de peuples agriculteurs. Au fur et à mesure que l'homme avance, il prend conscience de sa capacité créative et invente l'écriture alphabétique qui établit une rupture totale dans le changement des moeurs. L'intervention de l'écriture apparaît dès lors comme le début du renversement des moeurs qui est à l'origine des hostilités entre les peuples.

Cette période marque le début de la troisième époque où l'uniformité de la progression est brusquement interrompue car « les invasions, les conquêtes, les formations des empires, leurs bouleversements vont bientôt mêler et confondre les nations, tantôt les disperser sur un nouveau territoire, tantôt couvrir à la fois un même sol de peuples différents. Le hasard des événements viendra troubler sans cesse la marche lente mais régulière de la nature, la retarder souvent, l'accélérer quelquefois14. » Du coup, il apparaît évident que la capacité de l'homme à transcender l'immédiat reste liée à sa nature. Cette considération trouve sa justification dans le fait que malgré la confusion qui règne parfois dans le déroulement des événements, l'homme parvient tout de même à en assurer l'équilibre. En effet, il a envers lui-même un devoir qui s'impose comme un impératif, le sommant constamment et sans cesse d'aller dans le sens du progrès. Une telle thèse fait d'ailleurs échos chez Kant pour qui, l'autonomie de la raison est capitale pour permettre un plein épanouissement de l'homme afin que le progrès soit possible dans tous les domaines.

A cet égard, Condorcet mentionne que s'il y a un peuple qui a joué un rôle particulièrement décisif dans la réalisation de l'espèce humaine, c'est bien le peuple grec. En ce sens, il magnifie l'ingéniosité de l'esprit grec dans la mesure où il a

14 CONDORCET, Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain, Paris, G.F Flammarion, 1988, p. 105.

14

contribué de manière décisive à l'émergence et au développement scientifique et philosophique, « ce peuple qui a exercé sur les progrès de l'espèce humaine une influence si puissante et si heureuse, dont le génie lui a ouvert toutes les routes de la vérité, que la nature avait préparé, que le sort avait destiné pour être le bienfaiteur et le guide de toutes les nations, de tous les ~ges : honneur que, jusqu'ici, aucun autre peuple n'a partagé. Un seul a pu depuis concevoir l'espérance de présider à une révolution nouvelle dans les destinées du genre humain15. » A travers ces propos de Condorcet, il faut reconnaître que le peuple grec s'est illustré par le rôle essentiel qu'il a joué dans le domaine de la pensée. C'est en ce sens qu'il convient de voir que la Grèce a constitué un terrain propice à l'émergence et à l'épanouissement des sciences en tant que tel. Et selon lui, la Grèce n'a pu etre la terre d'élection de la philosophie et de la science que parce qu'elle offrait à tous la liberté de penser. Cette circonstance nous autorise à voir en la civilisation grecque la principale source de ces impulsions décisives que reçurent les sciences et les arts.

De plus, c'est une période qui marque un tournant essentiel dans l'évolution de la raison car « ce fut le caractère général de cette époque d'avoir disposé l'esprit humain pour la révolution.16 » On voit chez ce peuple grec, une réelle détermination à hisser la raison à son véritable statut, celui de décider de l'exactitude ou non des choses qui peuvent se présenter à son libre examen. La reconnaissance des droits de la raison a permis un réel développement dans tous les secteurs notamment dans le domaine de la science. Ainsi, avec l'avènement de la science, l'homme est maintenant capable de créer un monde de liberté intellectuelle, politique et sociale plus adéquate. Ce moment du développement de la conscience dans la Grèce marque, selon Condorcet, une étape essentiellement importante. On assiste à l'essor des sciences dans tous les domaines avec les penseurs grecs.

Par-delà cette considération sur le peuple grec, vient la cinquième époque qui correspond au progrès véritable des sciences dans la mesure où nous allons assister à leur division qui va permettre à chaque domaine de perfectionner ses méthodes comme par exemple la physique, l'astronomie, la chimie etc. Cette floraison des

15 CONDORCET, Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain, Paris, GF Flammarion, 1988, p. 121.

16 CONDORCET, Op.cit., Paris, G.F Flammarion, 1988, p.185.

sciences va coïncider avec « la décadence des lumières jusqu'à leur restauration vers le temps des croisades. » C'est l'époque des conquêtes et de la domination qui correspond à la sixième étape que Condorcet nous décrit.

A propos de cette époque il affirme que « la conquête avait soumis l'occident

des germes de liberté17 » Cette liberté, une acquise, permettra à l'homme d'opérer de géants progrès dans le domaine des sciences. Cela nous conduit à voir que dans la septième époque qui signe « les premiers progrès des sciences vers leur restauration dans l'occident jusqu'à l'invention de l'imprimerie », l'apparition d'une nouvelle technique sera à l'origine de l'expansion des écrits de certains penseurs qui dénonçaient l'autorité et la tyrannie des chefs.

Ce développement des sciences permettra de corriger d'une certaine manière les moeurs. Condorcet veut montrer que le développement des sciences est une occasion pour l'homme d'opérer un changement aussi bien du point de vue qualitatif, c'est-à-dire dans la manière d'appréhender les choses, que quantitatif, autrement dit l'effort noté dans la réalisation de leur dessein. En effet, malgré les troubles et les ruptures dans l'évolution de la conscience, il convient de mentionner qu'il y a toujours un développement ascendant qui tend vers la réalisation d'un but bien déterminé. L'homme est un être de désir et c'est ce qui fait qu'il est constamment poussé vers la satisfaction de ce désir en usant parfois de tous les moyens pour l'obtenir.

Ensuite, vient la huitième époque qui va de l'invention de l'imprimerie jusqu'au temps où les sciences et la philosophie secouèrent le joug de l'autorité. Il est de ce fait manifeste qu'après la tyrannie et l'anarchie observée à ce stade, les hommes prirent conscience de la réalité en secouant la domination de l'autorité. A partir de cette réforme, nous pouvons voir les jalons d'une réelle prise de conscience. Cette prise de conscience sera à l'origine des perspectives que Condorcet dégage dans la neuvième époque qui marque le temps du rationalisme avec des penseurs

17 CONDORCET, Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain, Paris, GF Flammarion, 1988, p. 167.

16

comme Descartes, Bacon etc. L'espoir renaît après une longue période de tourmentes et de soumissions grâce à la révolution opérée dans le champ de la pensée. C'est ainsi qu'il pose, dans la perspective de cet espoir, une dixième époque pour annoncer les « progrès futurs de l'esprit humain ». Cette époque peut être considérée comme un projet d'avenir qui doit être réalisée dans une échéance lointaine.

En parcourant ainsi les différentes étapes qu'il présente dans son tableau, en considérant l'évolution de l'esprit qui traduit en quelque sorte son élévation à la culture à travers les époques, il apparaît de manière presque certaine que la perfection de l'espèce humaine est assurée et devrait déboucher sur les principes que sont l'égalité et la liberté. Ceci justifie dans une certaine mesure le caractère contradictoire et négatif qui se dévoile dans la formation de la conscience humaine telle que le décrit ici Condorcet dans l'Esquisse et qui explique par la même occasion le progrès de l'esprit dans l'histoire.

En effet, Condorcet pose les différentes étapes du développement de la pensée humaine en montrant les moments de chutes, de tensions, de régressions mais aussi pour déceler les épisodes qui ont ponctué le processus véritable du progrès de l'homme. Il cherche en ce sens des repères, des points d'appui, des références qui puissent lui permettre de faire la jonction entre les différentes phases des progrès de l'esprit humain et celles des événements clés dans le cours de l'histoire. En d'autres termes, il veut étayer, par des faits, le processus évolutif de l'esprit humain depuis l'état primitif des hommes jusqu'à leur prise de conscience réelle. Il découle du sommaire tableau établi dans l'Esquisse que le progrès de la conscience entraine l'évolution de l'homme. En relevant la correspondance entre les deux pôles à savoir les différents moments de l'esprit et ceux des événements déterminants de l'histoire, Condorcet cherche à établir la rationalité dans le processus du développement de l'esprit humain. C'est donc cette méme évolution que nous retrouvons aussi chez Kant pour qui, l'antagonisme constitue un pilier fondamental dans l'évolution de l'homme. En effet, à partir de cet exposé, on voit parfaitement qu'il est resté optimiste quant au progrès de la conscience qui implique, par la même occasion, le développement de l'espèce humaine. Pour Condorcet, si ce développement a atteint son apogée, c'est parce qu'on a accordée à la raison humaine une autonomie lui permettant de se déployer.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe