WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

VIH/sida: défi au développement de l'Afrique. Une étude de l'impact économique et social de la pandémie au Rwanda

( Télécharger le fichier original )
par Michel Segatagara KAMANZI
Université pontificale grégorienne - Licence en sciences sociales 2003
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

VIH/SIDA: DEFI AU DEVELOPPEMENT DE

L'AFRIQUE

Une étude de l'impact économique et social de la pandémie au Rwanda

Par
Michel Kamanzi Segatagara, SJ
***A.M.D.G***

DEDICACE

A la mémoire de ma regrettée tante Tuyishime Penina, infirmière dévouée, qui m'a enseigné « la mystique des yeux ouverts1 », l'attention aux personnes souffrantes et marginalisées.

A la mémoire de Chance, jeune orpheline rencontrée à Butare durant ses derniers mois de maladie, ainsi qu'à son petit frère Abdou, aujourd'hui à l'orphelinat Sainte Elisabeth de Ngoma à Butare.

A la mémoire de Mado, jeune congolaise rencontrée à quelques jours de son décès à l'hôpital des soeurs des pauvres de Kingasani, Kinshasa.

Aux veuves et aux orphelins du génocide rwandais de 1994.
Aux jeunes orphelins de l'ex-CENA de Cyangugu.

Au Réseau Jésuite Africain contre le SIDA (AJAN)

« Il y a des choses qu'on ne peut voir comme il faut qu'avec des yeux qui ont pleuré2. »

« ...Ma petite fille est à l'extrémité, viens, impose-lui les mains, afin

qu'elle soit sauvée et qu'elle vive3. » (Marc 5,23)

1 Expression du théologien allemand Jean-Baptiste Metz.

2 Cf. R. ETCHEGARAY, Homélie pour la clôture du centenaire de l'Eglise au Rwanda, Kigali, 8 février 2001.

3 Ce tableau fait partie du chemin de croix du Père E. Mveng, jésuite camerounais, mort assassiné en 1995. Il est conservé dans la chapelle de Hekima College à Nairobi, Kenya. Il représente la 8ème station du chemin de

REMERCIEMENTS

Au seuil de cette étude, je voudrais exprimer ma profonde gratitude à toutes les personnes qui, d'une manière ou d'une autre, m'ont aidé à mener ce travail de recherche.

Je pense en particulier au P. Michael Czerny SJ, coordinateur de l'AJAN, qui m'a encouragé et donné l'opportunité de publier cette étude dans le cadre du Réseau Jésuite Africain contre le SIDA.

Mes remerciements vont aussi aux P.Théoneste Nkeramihigo SJ et au Père Rafael Carbonell de Masy SJ pour les conseils et l'aide apportés tout au long du travail de recherche et de rédaction.

Un grand merci aussi à tous ceux qui m'ont aidé de différentes manières pour la documentation et à tous ceux qui n'ont cessé de me soutenir matériellement et moralement, de manière spéciale, je voudrais mentionner ici : le P. Octave Ugirashebuja SJ, M. Silas Nzabonakura, M. Déogratias Munyamakuba Mugisha, M. Ali Rudahunga, le P. John W. Padberg SJ, le P. Frank Brennan SJ, le P. Augustin Karekezi SJ, le P. Jean-Pierre Karegeye SJ, Elphège Quenum SJ, Ronney Gemayel SJ, Aloys Mahwa SJ, Christian Uwe SJ et tous les Compagnons Jésuites travaillant à Kigali.

Enfin, un sincère et cordial merci à mes parents, Léonard et Marthe Segatagara, à mes frères et soeurs, Musana, Uwera, Ngoga, Lydia et Manu Segatagara, ainsi qu'aux amis et connaissances pour leur soutien, conseils et encouragements.

croix où Jésus rencontre les femmes de Jérusalem qui pleurent sur lui. Ici nous avons voulu l'associer aux veuves et aux orphelins du SIDA à qui nous dédions cette étude.

INTRODUCTION

Il y a environ 20 ans, apparaissait une maladie étrange et coriace qu'on nomma SIDA, Syndrome de l'Immunodéficience Acquise. Get ensemble des signes et symptômes était difficile à saisir ; et contre cette maladie, qui progressait à un rythme hallucinant, on ne trouva aucun remède curatif. Le SIDA est d'autant plus particulier que, à la différence des autres maladies, le virus qui le cause, appelé Virus de l'Immunodéficience Humaine (VIH), connaît une longue période d'incubation avant que la maladie ne se déclare. Et une fois celle-ci déclarée, la personne infectée est presque inéluctablement destinée à mourir d'une maladie opportuniste dans les années qui suivent l'infection.

L'on découvrit aussi que le VIH avait plusieurs sous-types, qu'il se développait surtout dans les fluides du corps humain et que c'est lors des échanges de ces fluides qu'il pouvait être transmis d'une personne à une autre. On détecta que ce virus ne résiste pas longtemps à l'air libre et qu'il se transmet surtout lors des transfusions sanguines, injections intraveineuses, relations sexuelles, grossesse et allaitement pour la contamination de l'enfant par la mere. Dans les premieres années de son apparition, la maladie frappait les prostituées, les personnes homosexuelles et les héroïnomanes ; l'on crut alors que la maladie ne concernait que les déviants sociaux et on lui infligea le cachet de maladie de la honte. Ge dernier cachet contribua à véhiculer des idées erronées sur le VIH/SIDA et les personnes qui en sont infectées, et à favoriser une ultérieure progression de l'épidémie qui, même si l'on s'évertuait à la cacher, n'en continuait pas moins à sévir.

L'expansion mondiale, qu'elle connut dans les années 1980, fit prendre conscience que le SIDA n'a pas de frontière assignable, ni sociale ni encore moins géographique. Il s'avéra effectivement que ce sont les populations mobiles, notamment les routiers, les commerçants, les travailleurs immigrés, touristes et autres populations déplacées, qui contribuent surtout à sa propagation dans le monde, et, plus particulièrement, en Afrique subsaharienne où l'épidémie connaît la plus grande expansion.

Au Rwanda, la maladie fut initialement perçue comme un problème des gens de la ville. Mais très vite, elle se répandit dans les milieux ruraux ; ce qui, encore une fois, prouve que l'épidémie ne peut être contenue dans des limites géographiques bien précises et qu'elle peut toucher tout le monde. Comme dans d'autres pays de l'Afrique

subsaharienne, la maladie, qui se transmet surtout par la voie hétérosexuelle, s'est diffusée rapidement dans la population rwandaise et est devenue une véritable pandémie. En effet, tandis que, en 1986, on comptait environ 150 000 sujets infectés du VIH/SIDA au Rwanda, à la fin de l'année 2004, le programme commun des Nations Unies sur le SIDA (ONUSIDA), estimait que, environ 250 000 rwandais (adultes et enfants) vivaient avec le VIH/SIDA. Cette progression significative de l'épidémie montre que le Rwanda fait face à une véritable catastrophe sanitaire comme, d'ailleurs, l'ensemble du continent africain qui compte environ 66,1% du total des infections mondiales, bien qu'il existe des différences significatives entre les différents pays. L'Organisation Mondiale de la Santé sonna l'alarme et l'ONUSIDA fut créé pour aider les différents gouvernements à établir des programmes nationaux de lutte contre le SIDA. Au Rwanda, le PNLS, Programme National de Lutte contre le SIDA, fut créé en 1987. Le PNLS, qui faisait partie du Ministère de la santé, établit plusieurs programmes de prévention et de sensibilisation nationale face à la progression du VIH/SIDA.

Il faut dire que, jusque-là, l'on considérait le SIDA comme un problème de santé publique, comme cela était le cas dans plusieurs autres pays. Mais, avec l'augmentation des décès survenant surtout dans la population active, plus touchée par l'épidémie, l'on commença à percevoir le danger d'une catastrophe démographique. Il aura donc fallu du temps pour que l'on comprenne que le SIDA est une maladie complexe dont les effets dépassent la sphère strictement sanitaire et qui, par ses causes et conséquences, constitue un réel problème de développement et une menace pour la survie de l'économie et de la société rwandaise dans son ensemble. On commença timidement à se rendre compte que, par sa progression, le VIH/SIDA avait un réel impact économique et social sur le pays. Les premieres études sur cet aspect de l'épidémie n'eurent lieu que vers le début des années 1990, pendant que la maladie avait déjà fait ses ravages. Durant cette même période, le Rwanda vivait la plus dure épreuve de son histoire : la guerre déclenchée en 1990 et le génocide perpétré en 1994. En particulier, le génocide, qui se consomma dans l'indifférence totale de la communauté internationale, aggrava la situation économique et sociale du pays, et contribua aussi à la diffusion de l'épidémie dans la population, notamment avec les viols des femmes et le déplacement massif des populations.

Lorsque, après le génocide de 1994, on s'avisa que l'épidémie, loin de se réduire uniquement à un problème de santé publique, constituait un danger pour le développement

et la reconstruction du pays, le gouvernement créa, en 2001, une structure de coordination multisectorielle, la CNLS, qui avait, entre autres, comme objectif d'étudier l'impact économique et social du VIH/SIDA sur le pays. A la suite de cette prise de conscience, le Ministère des finances et de la planification économique introduisit la lutte contre le VIH/SIDA dans les objectifs de sa stratégie de lutte contre la pauvreté et dans son programme de développement à long terme, appelé « vision 2020 ". Toutefois, bien que l'on fît un pas non négligeable, on confina, là aussi, le VIH/SIDA dans les priorités sanitaires avec la malaria, premiere cause de mortalité au Rwanda. C'en ft de même pour le Nouveau Partenariat pour le Développement de l'Afrique, NEPAD, plan de développement de l'Afrique par l'Afrique, qui, tout en reconnaissant qu'il restera impossible de véritablement mettre en valeur les ressources humaines du continent si l'épidémie n'est pas éradiquée, la plaça seulement au nombre des actions prioritaires pour la promotion de la santé en Afrique.

Pour notre part, la pandémie du VIH/SIDA au Rwanda et, en général, en Afrique est véritablement un problème de développement humain, qui touche tous les secteurs de la vie nationale : l'économique, le social, le culturel aussi bien que le politique. Comme nous nous proposons de le démontrer dans cette étude, nous pensons que les causes et les conséquences de cette maladie induisent suffisamment à établir l'existence d'une corrélation négative entre son expansion et le développement intégral de la société. Bien que notre propos soit principalement de nous limiter à l'impact économique et social de l'épidémie au Rwanda, il nous a paru utile de situer la question dans le contexte beaucoup plus global de l'Afrique subsaharienne et, dans une moindre mesure, dans le contexte mondial. Effectivement, le SIDA a, dans chaque pays, sa façon propre d'honorer le phénomène de la mondialisation.

Pour analyser les implications économiques et sociales de la pandémie SIDA au Rwanda, nous recourrons au principe de « triangulation " qui, pour la recherche en sciences sociales, associe les méthodes quantitatives à celles qualitatives. Cette option méthodologique est commandée par notre thèse, à savoir que, dans le cadre de cette étude, nous entendons considérer l'épidémie du VIH/SIDA comme un problème en rapport avec l'économie du développement. Cette dernière cherche à étudier l'économie des pays pauvres, les problèmes du sous-développement , et les défis des pays du « tiers monde " par une approche interdisciplinaire. Elle vise aussi, face aux situations socioéconomiques

souvent difficiles et complexes de ces pays, à proposer des solutions adaptées aux différentes réalités. Nous estimons que l'économie du développement offre une grille intéressante pour aborder le problème du SIDA dans ses conséquences économiques et sociales, conséquences qui hypothèquent lourdement les efforts des décennies de développement de nombreux pays pauvres dont le Rwanda. En adoptant, par conséquent, le principe méthodologique de « triangulation », notre dessein est de placer le SIDA dans la perspective des sciences sociales, d'étudier les causes de son expansion au Rwanda, ses conséquences actuelles et potentielles pour l'économie rwandaise, et ses incidences sur toute la société dont elle menace le progrès dans la durée.

Notre étude comprend trois chapitres. Le premier décrit la réalité du VIH/SIDA et son expansion actuelle dans le monde, en portant une attention particulière au continent africain et, surtout, en se focalisant sur la situation concrète du Rwanda, qui est le sujet même de notre recherche. Le deuxième chapitre aborde les implications économiques de l'épidémie du VIH/SIDA au Rwanda tant au niveau micro qu'au niveau macroéconomique. Enfin, le troisième chapitre relève les répercussions de l'épidémie sur la société en choisissant de considérer uniquement trois dimensions de la réalité sociale : la démographie, la condition féminine et les droits humains. Nous terminons ce chapitre en proposant des pistes de solutions à partir des actions et initiatives qui existent déjà au niveau local avec la collaboration internationale des différents bailleurs de fonds et organismes internationaux.

Nous nous rendons compte que le défi est de taille et qu'il dépasse les moyens humains et financiers dont le pays dispose. Aussi avons-nous le sentiment que cette étude est peut-être trop prétentieuse devant une réalité aussi complexe. Mais faudrait-il attendre encore plus longtemps pour tirer, encore plus fort, la sonnette d'alarme quand plusieurs familles rwandaises et africaines connaissent déjà des situations dramatiques à cause du VIH/SIDA, et, que les pauvres s'appauvrissent davantage? Faudrait-il attendre des statistiques plus significatives pour renforcer l'action et impliquer tous les secteurs de la vie nationale et internationale? Allons-nous continuer à jouer aux pompiers quand des signes annonciateurs d'une potentielle catastrophe humanitaire pointent déjà à l'horizon ? Faudrait-il continuer à enterrer les morts et à pleurer quand il existe des moyens et des stratégies à tous les niveaux de la société globale pour redonner espoir à des milliers de personnes victimes de la pauvreté et du VIH/SIDA ? Faudrait-il continuer à louer les

bienfaits du « village global » quand on sait que les exclus de ses bienfaits sont nombreux et que le fossé entre riches et pauvres, tant au niveau national qu'international, se creuse davantage ? Faut-il rester indifférent face au SIDA qui menace toute la société, et qui devient, de plus en plus, le syndrome de la marginalisation éthique, économique et sociale des femmes et des hommes de notre temps ?

CHAPITRE I LE VIH/SIDA

Dans cette première partie de notre étude, nous voudrions décrire le phénomène du VIH/SIDA. Cette démarche, que nous voulons essentiellement descriptive, se fera en trois points. Tout d'abord, nous donnerons quelques éclaircissements sur le phénomène du VIH/SIDA. Ensuite, nous situerons la pandémie au niveau mondial, avec une attention particulière à la situation du continent africain. Enfin, nous aborderons la situation du VIH/SIDA au Rwanda ; nous tenterons de voir sa portée dans le pays à travers des éléments quantitatifs et qualitatifs.

1. Clarifications sur le VIH/SIDA

1.1 La découverte de la maladie

C'est en 1979 aux Etats unis, en Californie et à New York, qu'ont été décrit les premiers cas de la maladie identifiée deux après comme le SIDA. En effet, c'est en 1981, toujours aux Etats-Unis, que la maladie est reconnue officiellement et désignée par le sigle AIDS, en français SIDA, signifiant Syndrome de l'Immunodéficience Acquise. Les premiers malades diagnostiqués sont pour la plupart homosexuels ou héroïnomanes, et ceci pèsera beaucoup dans la perception sociale de la maladie. Celle-ci sera considérée durant ces premières années comme une sanction de la nature à ces « déviants sociaux ». Mais, dans les années qui suivront, la maladie sera aussi découverte chez des personnes hétérosexuelles, et, en particulier, chez des sujets hémophiles ou polytransfusés.

1.2 Caractéristiques

Ce Syndrome est causé par l'infection du VIH (Virus de l'Immunodéficience Humaine) qui, une fois contractée, s'attaque aux globules blancs, affaiblissant ainsi la capacité de résistance de l'organisme aux différentes infections. Il existe à ce jour deux types de virus : VIH-1 et VIH-2. Le premier, VIH-1, est le plus répandu et responsable de la majorité des infections dans le monde ; il compte au moins 10 sous-classes génétiques. Le second, VIH-2, découvert en Afrique de l'Ouest en 1986, est beaucoup moins virulent que le type 1 ; il n'a pas connu une expansion mondiale. Le VIH est donc un agent

destructeur du système immunitaire qu'il affaiblit progressivement jusqu'au développement de la maladie, le SIDA.

Ce syndrome, ensemble de plusieurs symptômes et signes, occasionne plusieurs infections opportunistes telles que la pneumonie, la tuberculose, la méningite, la diarrhée ou les cancers. Parmi ces infections, la tuberculose (TB) est la plus fréquente ; elle est responsable de la mort d'un tiers des malades du SIDA en Afrique Subsaharienne. C'est lorsque le système immunitaire n'est plus en mesure de maîtriser l'infection du virus que les patients avancent vers la phase symptomatique du SIDA proprement dit.

Il est important de distinguer le virus VIH de la maladie SIDA, il est existe en effet suffisamment de confusion quant à la perception de ces deux réalités distinctes mais liées. Toutefois, en partie par souci de synthèse, la combinaison VIH/SIDA est souvent utilisée dans la littérature courante, c'est elle que nous adopterons aussi dans cette étude.

En général, Le virus progresse lentement dans l'organisme et se réplique pendant une dizaine d'années environ, jusqu'à arriver au stade final de la maladie. Il y a donc une longue période d'incubation du virus pendant laquelle la personne infectée ne manifeste aucun symptôme de la maladie, le SIDA n'étant pas encore déclenché. La personne est dite séropositive c'est-à-dire que son sérum contient des anticorps spécifiques d'un antigène donné, des anticorps anti-VIH. La personne infectée ne soupçonne souvent rien et se considère en bonne santé, mais elle peut déjà infecter d'autres.

1.3 Symptômes

Certains symptômes reconnaissables caractérisent les personnes atteintes par le SIDA : amaigrissement, diarrhée chronique, nausées continues, fièvres persistantes, démence et apparition chez certains des tâches noires, pourpres ou roses sur la peau. Bien qu'il existe des symptômes et des signes reconnaissables pour identifier les personnes atteintes par le VIH/SIDA, le seul moyen fiable pour connaître le statut sérologique, est le test de dépistage VIH, qui détermine si la personne est séropositive ou non. On estime qu'il y a un délai variable de 8 semaines à 8 mois entre le moment où une personne peut avoir été infectée par le virus et le moment où le test peut se révéler positif4.

4 K.RAEN, Où est le Bon Samaritain. Un défi à relever pour combattre le SIDA, publication de L'Aide de l'Eglise Norvégienne et l'Alliance Biblique Universelle, Kigali, 2002, p.6.

1.4 Voies de transmission du VIH

Trois sont les voies principales par lesquelles advient la transmission du virus d'une personne à une autre : la voie sanguine, la voie sexuelle, la voie verticale ou celle de la mere à l'enfant (grossesse et allaitement.)

1.4.1 La voie sanguine

La voie sanguine est la plus directe ; elle advient à travers la transfusion de sang infecté, la transplantation d'organes provenant de donneurs séropositifs, l'usage d'aiguilles ou rasoirs infectés ou encore l'usage d'ustensiles de chirurgie infectés.

Cette transmission par voie sanguine a surtout touché les personnes hémophiles qui recevaient du sang provenant de plusieurs donneurs dont ceux infectés par le VIH. Aujourd'hui ces risques de transmission par transfusion sanguine ont sensiblement diminué grâce aux nouvelles techniques de chauffage et de purification du sang destiné à la transfusion. Les risques de contamination par cette voie ont été pratiquement annulés dans plusieurs pays, mais le risque demeure réel dans plusieurs pays en voie de développement, notamment dans les zones rurales pauvres. En Chine, par exemple, des milliers de personnes vivant en milieu rural, dans des villages pauvres, sont en train de mourir du SIDA qu'ils ont contracté à travers la transfusion sanguine5.

Toutefois, il faut préciser que la voie sanguine demeure aussi importante dans les pays « développés », notamment à travers l'échange des seringues parmi les usagers des drogues intraveineuses (héroïnomanes). Ce mode de transmission est particulièrement répandu en Europe et aux Etats-Unis.

Il existe aussi le risque de contamination à travers des objets tranchants infectés, comme les rasoirs, ciseaux, perceuses d'oreilles, mais il est plutôt réduit car le virus ne résiste généralement pas longtemps au contact de l'air libre.

1.4.2 La voie sexuelle

La contamination par voie sexuelle est à nos jours la plus répandue (environ 90% des infections) et elle advient lors d'une relation sexuelle avec un partenaire porteur du virus. En général, il est reconnu qu'une infection génitale ou un traumatisme des

5 E.ROSENTHAL, «AIDS Scourge in Rural China leaves villages of Orphans», in New York Times, 25th August 2002, pp.1 et 4.

muqueuses augmentent les risques de contamination. C'est le cas, par exemple, des maladies sexuellement transmissibles (MST) qui exposent fortement au risque de contraction du VIH lors d'une relation sexuelle.

Les femmes sont reconnues comme étant les plus vulnérables à la transmission par voie sexuelle, à cause notamment des facteurs d'ordre physiologiques et sociologiques. Toutefois, il est aussi reconnu que « la contagiosité d'une personne porteuse du VIH est variable dans le temps, car la quantité de virus présente dans les sécrétions sexuelles est fonction de l'état, latent ou non, de ce dernier. Cela explique qu'un porteur du virus puisse contaminer plusieurs partenaires dans un laps de temps très court et que, à l'inverse, on connaisse de nombreux couples dont l'un des membres est séropositif et n'a pas contaminé son (ou sa) partenaire6i

1.4.3 La grossesse et l'allaitement

La grossesse et l'allaitement sont aussi des voies par lesquelles une mere séropositive peut transmettre le virus au foetus ou à son nouveau-né. Cette transmission advient aussi à travers des fluides corporels comme pour les autres voies de contamination citées plus-haut. Une mère séropositive peut transmettre le VIH à son bébé pendant la grossesse ou au moment de l'accouchement, il existe aussi des risques durant la période d'allaitement. Le risque de transmission de la mere séropositive à l'enfant lors de la grossesse a diminué sensiblement grâce à la découverte des traitements associant plusieurs médicaments, toutefois le risque de contagion demeure élevé pour une mère en phase avancée de l'infection.

LT4T4 AuLfle1 vIUI1

A part les principales voies de transmission évoquées ci-haut, on a constaté aussi la présence du virus dans les larmes et la salive, mais les risques de contamination à travers ces voies demeurent insignifiantes. Les moustiques ont été suspectés mais il a été prouvé qu'ils ne transmettent pas le virus. Contrairement à certaines opinions diffuses sur les modes de contamination, le risque de transmission du VIH à travers les contacts de la vie quotidienne, le manger ou le simple toucher, est inexistant. Dans les années 1980, au début de l'épidémie du VIH/SIDA, il y eut beaucoup de crainte au sujet d'une probable

6 Cf. YAHOO! ENCYCLOPEDIE, Le sida, p.1. Disponible sur Internet :

< http://fr.encyclopedia.yahoo.com/articles/so/so_245_p0.html#so_245.4>

transmission à travers le toucher, le partage de nourriture, de vêtement, etc. Même certains médecins et dentistes refusèrent de soigner les personnes atteintes du SIDA. De nos jours, en partie à cause du manque d'informations adéquates, il existe encore des conceptions erronées quant aux modes de transmission du virus, et cela a pour conséquence que plusieurs personnes infectées par le virus sont arbitrairement stigmatisées et discriminées par la société.

1.5 Groupes vulnérables

Avec quelques variations selon les pays, comme nous le verrons plus loin dans ce chapitre, les enfants et les femmes demeurent largement le groupe le plus exposé à l'infection du VIH. Certaines catégories sociales, souvent marginalisées, sont dites à hauts risques de contamination. Ce sont : les prostituées, les personnes homosexuelles, les usagers des drogues intraveineuses, les enfants de la rue, les prisonniers et les populations mobiles, notamment les routiers, les militaires et les réfugiés.

1.6 Traitements disponibles

Le SIDA conduit presque toujours à la mort, bien qu'elle survienne après plusieurs années de l'infection. Durant les premieres années de la découverte du VIH/SIDA, être diagnostiqué séropositif était synonyme de mort prochaine et certaine. Bien qu'aucun vaccin efficace n'ait été encore trouvé jusqu'à nos jours, il existe néanmoins des traitements qui permettent de stopper la réplication du VIH, permettant ainsi le prolongement de la vie des personnes infectées.

En 1986, la communauté scientifique redécouvre l'AZT, l'azidothymidine, communément connu sous le nom de Zidovudine et Retrovir. Ce médicament, développé en 1964 contre le cancer, avait déjà démontré à l'époque son efficacité à combattre les rétrovirus. L'AZT devient ainsi l'un des premiers antirétroviraux capables de stopper la reproduction et la mutation du VIH dans l'organisme humain.

Les antirétroviraux sont des composants pharmaceutiques destinés à prévenir la reproduction des rétrovirus, dont le VIH fait partie. Il existe plusieurs types utilisés dans le traitement contre le VIH, notamment les inhibiteurs nucléosidiques (dont l'AZT), les inhibiteurs non nucléosidiques, et les inhibiteurs de la protéase. Les inhibiteurs nucléosidiques et non nucléosidiques fonctionnent de la même manière, à la différence que

le premier a besoin d'être catalysé (chimiquement altéré) par l'organisme pour être actif et le second est immédiatement actif une fois dans le sang. Tandis que ces deux types d'inhibiteurs, nucléosidiques et non nucléosidiques, empêchent les cellules saines d'être infectées par le VIH, les inhibiteurs de la protéase empêchent plutôt les cellules déjà infectées par le VIH de reproduire d'autres VIH7.

Au cours des dernières années, le traitement à l'AZT a fait ses preuves en réduisant de presque deux-tiers le risque de transmission de mère à enfant pour les femmes enceintes séropositives. Cependant, l'AZT s'est révélé être un médicament très toxique et à la longue inefficace. En effet, après plusieurs mois de traitement, certains patients ont développé une résistance face au traitement à l'AZT. Les chercheurs et médecins ont ensuite découvert qu'il est plus approprié de traiter les personnes séropositives et les malades du SIDA avec un traitement multiple, associant plusieurs autres médicaments plutôt qu'avec l'AZT seul. Il a été constaté que lorsque le traitement s'effectue à l'AZT seul (monothérapie), quelques particules du virus non anéanties par le médicament sont susceptibles de muter et de créer une autre variété du VIH plus résistante.

Cherchant à remédier à la résistance du VIH, un traitement associant trois thérapies simultanément (trithérapie) a été étudié. Avec l'association de ces trois thérapies, on a constaté que la mutation du virus devenait plus difficile et le traitement plus efficace8. Plusieurs études ont montré par la suite qu'en combinant un inhibiteur de protéase avec deux inhibiteurs nucléosidiques, combinaison appelée HAART (Higly Active Antiretroviral Therapy), la progression de la maladie diminuait sensiblement et la réplication du VIH dans l'organisme se faisait à un très faible taux, et cela pour une longue période de temps9.

Aujourd'hui, la trithérapie représente un grand espoir pour toutes les personnes séropositives et les malades du SIDA. En est témoin, l'étude présentée par la firme pharmaceutique Merck lors de la XIe conférence mondiale sur le SIDA (tenue à Vancouver, au Canada, en juillet 1996). Selon cette étude, sur 18 patients ayant reçu en

7 R. A. SMITH, Encyclopedia of AIDS: a social, political, cultural and scientific record of the HIV epidemic, Fitzroy Dearborn, Chicago, 1998, p. 70.

8 G.TRACY IRONS (project editor), Health Issues, vol.1, Salem Press, California, 2001, pp. 33-34.

9 R. A. SMITH, Encyclopedia of AIDS: a social, political, cultural and scientific record of the HIV epidemic, Fitzroy Dearborn, Chicago, 1998, pp.71-72.

association l'AZT, le 3 TC et l'indinavir, pour une période de 48 semaines, 15 n'ont plus eu de trace détectable du virus dans leur plasma. La difficulté de ce traitement se situe au niveau des effets collatéraux nombreux et de la nécessité d'un régime approprié.

Au-delà des contraintes liées directement à la rigueur du traitement, le grand défi demeure sa diffusion au niveau mondial. Ces médicaments étant très coûteux, le traitement reste pratiquement inaccessible pour les pays en voie de développement. Seuls les pays industrialisés et ceux disposant des revenus élevés ont pu faire bénéficier à leurs patients de ces découvertes. L'accès au traitement, pour ces malades des pays riches, a rapidement entraîné une baisse significative de la mortalité à cause du VIH/SIDA. En Italie, par exemple, l'accès aux médicaments anti-SIDA, a permis une baisse spectaculaire de la mortalité parmi les personnes infectées par le VIH, passant de 83,9% en 1993 à 9,2% en 200110.

Devant l'impossibilité pour plusieurs pays, dont certains sont les plus frappés par l'épidémie, de faire face aux coüts que comportent ces traitements antirétroviraux, plusieurs voix se sont levées au niveau international pour réclamer la réduction des prix de ces médicaments pour les pays en voie de développement. Des espoirs ont été suscités à Doha en novembre 2001 lors de la réunion de l'OMC (Organisation mondiale du Commerce), mais aucun accord significatif, favorable aux pays en développement, n'a pu être trouvé, laissant ainsi des millions des malades sans autre issue que celui de mourir. Nous reviendrons plus en détail sur cette question du monopole des médicaments antirétroviraux dans le second et le troisième chapitre de notre travail, en la situant d'abord dans le contexte des importations et ensuite celui des droits humains.

1.7 La prévention

Devant le manque de vaccin curatif contre le VIH/SIDA, la prévention demeure encore aujourd'hui le seul remède efficace contre le VIH/SIDA. La prévention se concrétise à travers plusieurs moyens, notamment l'information, l'éducation et la communication sur le SIDA, l'abstinence sexuelle, la fidélité des couples, l'utilisation du préservatif lors des rapports à risque, l'utilisation de seringues et autres matériels stériles ainsi que le dépistage du sang destiné à la transfusion.

10 A. GINORI, «Veto USA sui farmaci anti-AIDS. No agli sconti per i paesi poveri: Nuova apartheid», in La Repubblica, 22 dicembre 2002, pp.14-15.

Bien que controversée, l'utilisation du préservatif est souvent présentée comme l'unique solution pour se protéger de la contamination du VIH. En plus des considérations éthiques qu'il faudrait faire à ce sujet, il est aussi important d'émettre des réserves sur l'efficacité du préservatif à protéger de l'infection du VIH. Une étude effectuée par Susan

C. Weller du département de médecine préventive et santé communautaire de l'université de Texas (USA), publiée en 1993 dans la revue Social Science & Medicine11, a révélé que, même si le condom (masculin) est efficace à 87% comme contraceptif face à la grossesse, il est moins efficace face au VIH dont il réduit les risques de transmission d'environ 69%.

Tout en considérant les limites que pourrait avoir cette étude de Susan Weller, nous estimons qu'elle donne des éléments non négligeables sur les limites du condom dans la prévention au VIH/SIDA. Dans les différentes campagnes contre le VIH/SIDA, ces limites du préservatif ne sont malheureusement pas mentionnées, laissant ainsi les personnes dans l'ignorance. En des termes économiques, nous dirons qu'il s'agit là d'une flagrante asymétrie d'information sur le produit proposé. Cette asymétrie d'information est certainement liée aux intérêts financiers énormes qui se cachent souvent derrière ces campagnes en faveur de l'utilisation du préservatif en masse.

Il existe aussi d'autres moyens de prévention contre l'infection du VIH qui sont moins répandus. C'est le cas des microbicides, sorte de « préservatif chimique »12 pour les femmes et destinés à prévenir de l'infection du VIH. Les microbicides peuvent être produits sous plusieurs formes : gel, crème, suppositoire, et pourraient posséder des propriétés contraceptives, en plus de la capacité de neutraliser le VIH. A notre avis, bien qu'ils soient encore sujet de recherche, les microbicides constituent, dans l'avenir, une grande chance pour les femmes, car ils leur permettront de se protéger contre l'infection de manière plus autonome. Il faudra espérer cette fois que les intérêts économiques ne l'emporteront pas sur les intérêts des populations à haut risque. Zeda Rosenberg et George Brown estiment que le développement d'un microbicide efficace et accessible placerait la

11 S. C. WELLER, «A meta-analysis of condom effectiveness in reducing sexually transmitted HIV», in Social Science & Medicine, Volume 36, Issue 12, June 1993, pp.1635-1644.

12 ONUSIDA, Rapport sur l'épidémie mondiale de VIH/SIDA, Genève, juillet 2002, p.107.

prévention au VIH dans les mains des femmes et permettrait potentiellement d'éviter entre 2,5 millions et 3,7 de million d'infections sur trois années13.

2. Une pandémie mondiale

Deux décennies sont passées depuis que les premiers cas du VIH/SIDA ont été reconnus et l'épidémie a pris une ampleur sans précédent au niveau mondial. L'expansion de la maladie à un grand nombre de personnes sur tous les cinq continents de la planète en a fait une véritable pandémie mondiale.

2.1 Les estimations au niveau mondial

Les chiffres de personnes vivant avec le SIDA à travers le monde se sont énormément accrus. « Avec l'apparition du sida, il y a vingt ans, nous avons redécouvert ce qu'est une épidémie : on a vu resurgir des morts rapides en nombre croissant, selon une dynamique qui semblait incontrôlable, des paniques collectives et la stigmatisation des victimes. Cette nouvelle épidémie avait pour spécificité d'atteindre surtout les jeunes hommes, de classe moyenne. Vingt ans plus tard, le sida s'est diffusé à l'ensemble du globe, mais sa réalité s'est transformée et elle s'est dédoublée14. » En effet, aux débuts de l'épidémie en 1983, l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) avait recensé 4000 cas de SIDA au niveau mondial, aujourd'hui l'ONUSIDA (programme commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA) estime qu'il y a déjà eu plus de 20 millions de personnes décédées à cause du VIH/SIDA depuis la première constatation clinique du VIH/SIDA en 198115. Un récent rapport, publié par l'OMS et l'ONUSIDA en juin 200416, estime à 37,8 millions le nombre de personnes vivant avec le VIH/SIDA dans le monde entier, 4,8 millions le nombre des nouvelles infections à VIH, dont 630 000 enfants (moins de 15 ans), et environ 2,9 millions de décès. Le rapport a révélé en outre que de la majorité des personnes vivant avec le VIH/SIDA sont des femmes.

13 Z.ROSENBERG and G.BROWN, «Placing HIV Prevention in the Hands of Women: The promise of Microbicides», Family Health International, Arlington, VA, 2002.

14 C. HERZLICH, « Vingt ans après~l'évolution d'une épidémie », in Etudes, février 2002, p. 185.

15 ONUSIDA, Rapport sur l'épidémie mondiale de VIH/SIDA, Genève, juin 2004, p.13.

16 Ibid., p.10.

Ces estimations peuvent sembler alarmistes et exagérées, mais nous pensons que, aussi imparfaites et générales qu'elles soient, elles sont cependant des indicateurs clairs de la gravité de la situation ; et il n'est pas du tout exagéré de penser que nous assistons là, à l'épidémie la plus dévastatrice de l'histoire humaine17. Nous le montrerons dans la suite, de manière plus détaillée, avec la situation de l'Afrique subsaharienne, qui est la région la plus touchée du monde, et avec le point sur la situation des autres continents.

17 P.LAMPTEY, M. WIGLEY, D.CARR, AND Y. COLLYMORE, «Facing the HIV/AIDS Pandemic», in Population Bulletin, vol.57, No.3, September 2002.

Nombre de personnes vivant avec le VIH/SIDA Total 37,8 millions

Adultes 35,7 millions

Femmes 17,0 millions

Enfants <15 ans 2,1 millions

Nouveaux cas d'infection à VIH en 2002 Total 4,8 millions

Adultes 4,1 millions

Enfants <15 ans 630 000

Décès dus au SIDA en 2002 Total 2,9 millions

Adultes 2,4 millions

Femmes 1,2 million

Enfants <15 ans 490 000

2.2 La situation de l'Afrique subsaharienne

2.2.1 L'expansion de l'épidémie

L'Afrique subsaharienne est la zone la plus touchée par le VIH/SIDA avec environ 66,1% du total des infections du VIH dans le monde. Dans les premières années de l'apparition de l'épidémie, la plus haute prévalence se concentrait dans les régions que traversent les principales routes de transport commercial du continent : Ouganda, Tanzanie, République Démocratique du Congo et Côte d'Ivoire. Les premiers infectés furent les militaires, les routiers, les travailleurs immigrés, les hommes d'affaires et les prostituées ; ces derniers portèrent ensuite le virus dans leurs communautés et leurs familles19. Le SIDA s'est par la suite répandu dans ces pays et à travers toute la région de l'Afrique subsaharienne.

18 Source: ONUSIDA, Rapport sur l'épidémie mondiale de VIH/SIDA, Genève, juin 2004, p.10.

19 P.LAMPTEY, M. WIGLEY, D.CARR, AND Y. COLLYMORE, «Facing the HIV/AIDS Pandemic», in Population Bulletin, vol.57, No.3, September 2002, p.10.

En 1986, on estimait entre 5 et 10% le taux des adultes infectés par le VIH en Ouganda et au Burundi ; pour 10 autres pays de la région, les taux variaient de 1 à 5%. En 2001, on estimait qu'au moins 5% des adultes étaient infectés par le VIH dans des nombreux pays d'Afrique subsaharienne20. En juin 2004, l'OMS et l'ONUSIDA ont estimé à 25 millions le nombre des personnes vivant avec le VIH/SIDA en Afrique subsaharienne. Les nouvelles infections pour l'année 2003 sont estimées à 3 millions et le nombre de décès à environ 2, 2 millions. Le même rapport estime que 6,9% des jeunes filles (entre 15 et 24 ans) vivent avec le VIH tandis que 2,1% environ des jeunes garçons de la même tranche d'age vivent avec le VIH 21.

2.2.2 La situation des différentes régions du continent

a) Afrique australe

La forte prévalence du VIH/SIDA se concentre surtout dans la région sud du continent. Certains pays de l'Afrique australe ont déjà dépassé le seuil de 30% de prévalence dans leur population adulte. C'est le cas du Botswana avec 37,8%, où les personnes vivant avec le SIDA sont estimées à 350.000 (adultes et enfants) pour une population totale de 1,554 millions d'habitants ; le Botswana est le deuxième pays qui enregistre le taux le plus élevé du monde entier. La situation de ce pays est d'autant plus inquiétante que les estimations de la prévalence du VIH parmi les femmes enceintes en milieu urbain est passé de 39% à 45% entre 1997 et 2001, et, selon les estimations de l'ONUSIDA, la prévalence est encore plus élevée parmi les jeunes femmes ; ce qui entraînera une ultérieure hausse de la prévalence pour toute la population adulte22. L'Afrique du Sud, avec un taux de prévalence (chez les adultes) estimé à 21,5%, est le pays qui compte le plus grand nombre des personnes vivant avec le VIH/SIDA, environ 5,3 millions (adultes et enfants). Le Swaziland enregistre le taux de prévalence le plus élevé chez les adultes (38,8% à la fin de l'année 2003 selon l'ONUSIDA).

b) Afrique de l'Est

20 Ibid.

21 ONUSIDA, Rapport sur l'épidémie mondiale de VIH/SIDA, Genève, juin 2004, p.30.

22P.LAMPTEY, M. WIGLEY, D.CARR, AND Y. COLLYMORE, «Facing the HIV/AIDS Pandemic», in Population Bulletin, vol.57, No.3, September 2002, p.10.

Les taux de prévalence sont aussi élevés dans la région Est du continent. Cependant, durant ces dernières années, l'Ouganda a pu diminuer sensiblement l'extension de l'épidémie sur son territoire, en faisant baisser de moitié le taux de prévalence du VIH dans la population adulte. La prévalence est passée de 10% au début des années 1990 à un taux de 4,1 % en juin 2004. Une baisse significative est enregistrée parmi les femmes enceintes ; le taux de prévalence chez les femmes enceintes de Kampala, par exemple, a baissé pendant huit années consécutives, de 29,5% en 1992 à 11,25% en 2000. Ces résultats ont fait de l'Ouganda un exemple pour les pays du continent, et montré que la maîtrise de l'épidémie du VIH/SIDA est possible. Mais tous ne partagent pas l'avis concernant le succès de l'Ouganda dans la lutte contre le SIDA ; et, selon certaines presses, le gouvernement ougandais semble exagérer les résultats accomplis dans la lutte contre le VIH/SIDA23.

c) Afrique centrale et Afrique de l'Ouest

Les pays de l'Afrique centrale et ceux de l'Afrique de l'Ouest ont, pour leur part, enregistré un développement plus lent de la pandémie. En Afrique de l'Ouest, le faible taux de prévalence est attribué en partie à la présence d'un autre type de virus (VIH-2) beaucoup moins virulent que le type I répandu sur le reste du continent. Toutefois, l'ONUSIDA dans son rapport 2004, constate une progression récente et rapide du VIH dans certains pays de l'Ouest de l'Afrique comme le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d'Ivoire, le Nigeria et le Togo où les taux de prévalence des populations adultes semblent avoir déjà dépassé les 4 %. Le Cameroun avec 6,9% en fin 2001 et le Nigeria avec 5,4% (soit environ 3, 6 millions de personnes vivant avec le SIDA en fin d'année 2004) enregistrent les plus grandes progressions de la prévalence du VIH dans leurs populations adultes. Dans les autres pays de la région les taux sont restés relativement stables durant la dernière décennie, et on y retrouve les taux les plus bas du continent, notamment au Sénégal (0,8% de la population adulte en juin 2004) et au Mali (1,9% de la population adulte en fin 2004).

23 Cf. « AIDS in Uganda. Was the miracle faked? No, but possibly exaggerated», in The Economist, August 17th 2002, pp. 38-39.

2.2.3 Spécificité de la transmission du virus

En Afrique subsaharienne, la transmission du VIH se fait principalement par voie sexuelle. En particulier c'est la voie hétérosexuelle qui est la plus commune, contrairement aux pays industrialisés où la maladie est surtout répandue parmi les populations homosexuelles et héroïnomanes. La voie verticale, c'est-à-dire de la mere à l'enfant, constitue la seconde voie la plus répandue en Afrique subsaharienne. La voie sanguine est beaucoup moins répandue grâce aux nouvelles techniques de contrôle sanguin. Cette dernière affirmation n'est peut-être pas valable pour les milieux ruraux où, souvent, font défaut des centres de santé bien équipés et capables d'effectuer des contrôles de sang fiables, et où beaucoup de personnes fréquentent des tradi-praticiens chez qui la stérilité du matériel n'est pas toujours garanti.

2.2.4 Causes de la grande expansion du VIH/SIDA sur le continent

Il existe des controverses sur l'explication des causes de la forte expansion du VIH/SIDA sur le continent africain. Plusieurs experts ont cherché à donner une explication de ce phénomène en se limitant à un ou quelques aspects de la question. Ainsi certains ontils voulu expliquer les causes de l'expansion de la pandémie sur le continent, en ne considérant que les facteurs purement culturels, ou socioéconomiques, ou politiques et organisationnels, ou encore psychosociaux. Ces approches, que nous considérons réductives et généralisantes ont tendance à considérer qu'il n'existe qu'une seule culture en Afrique. Elles oublient que les cultures sont nombreuses sur le continent, et que celles-ci varient énormément selon les pays. Et même à l'intérieur d'un même pays il est prétentieux de parler d'une unique culture, entendant par-là une manière de faire, de sentir et de penser propre à une collectivité humaine.24

a) les facteurs culturels

La controverse sur les causes de l'expansion de l'épidémie du VIH/SIDA en Afrique a surtout porté sur les facteurs culturels. Certains anthropologues et chercheurs ont retenu que certaines pratiques culturelles, propres à l'Afrique, expliquaient la forte expansion de l'épidémie sur le continent. C'est, par exemple, le cas de l'étude de Caldwell,

24 Cf. AA VV. , Dicionnaire d'Économie et de Sciences Sociales, sous la direction de C.-D. Echaudemaison, Nathan, Paris, 1998, p. 106.

Caldwell et Quiggin25 qui a attribué la rapide expansion du VIH/SIDA à la permissivité sexuelle dans la société africaine. Cette étude prétendait avoir découvert les habitudes de permissivité sexuelle en Afrique, qui s'enracinaient dans l'absence de contraintes morales et institutionnelles spécialement à l'égard des femmes. Elle reconnaissait cette permissivité notamment par deux phénomènes, le « multipartenariat sexuel » et les relations extra maritales26. Outre qu'elle généralise à outrance, cette étude reprend des stéréotypes et préjugés de la littérature de la période coloniale qui racontait beaucoup d'histoires sur le comportement sexuel des africains. A ce propos, Green, dans une étude menée en 1994, a fait une observation qu'il est intéressant de mentionner. Il montre comment au 19ème siècle, on a écrit un grand nombre de récits très ethnocentriques, sensationnels et moralisants au sujet du comportement sexuel des africains. Ces études, affirme Green, avaient clairement l'intention de choquer et peut-être même d'exciter le lecteur en voulant montrer que les Africains ne contrôlaient pas leur comportement sexuel ou qu'ils avaient des faibles restrictions morales à ce sujet27.

Or, les préjugés ont la vie longue. Pempelani Mufune, dans une récente publication sur le SIDA en Afrique, estime que la première partie du 20ème siècle n'a pas été meilleure par rapport aux récits des anthropologues culturels du 19ème siècle. Pour lui, par exemple, l'assertion selon laquelle les relations sexuelles extra-maritales sont plus répandues en Afrique que dans le reste du monde, est ressortie des mêmes stéréotypes et préjugés que ceux qui avaient cours durant la période coloniale28. Et, pour notre part, nous estimons que même de nos jours, il n'y a pas de grand changement concernant ces stéréotypes sur les Africains. En 1994, lors de la 10ème conférence internationale sur le SIDA à Yokohama, le docteur Yuichi Shiokawa déclara que l'épidémie du SIDA en Afrique pouvait être mise sous contrôle, seulement si les Africains diminuaient leurs envies sexuelles29. Le professeur Nathan Clumeck de l'Université Libre de Bruxelles se montra sceptique sur un

25 Cf. J. CALDWELL, P. CALDWELL, AND P.QUIGGIN, «The Social Context of AIDS in Sub-Saharan Africa», in Population and Development Review 15 (2), 1989, pp.185-234.

26 Cf. PEMPELANI MUFUNE, «Social Science explanations of the AIDS Pandemic in Africa», in AIDS and Development in Africa, Kempe Ronald Hope, editor, The Haworth Press, New York, 1999, p. 23.

27 E.C. GREEN, AIDS and STDs in Africa: Bridging the Gap between Traditional Healing and Modern Medicine, University of Natal Press, Pietermaritzburg, South Africa, 1994, p.95.

28 PEMPELANI MUFUNE, «Social Science explanations of the AIDS Pandemic in Africa», in AIDS and Development in Africa, Kempe Ronald Hope, editor, The Haworth Press, New York, 1999, p. 25.

29 Cf. C. L. GESHEKTER, « Outbreak? AIDS, Africa, and the Medication of Poverty, in Transition, Issue 67, 1995, pp. 8-9.

changement de comportement des Africains en matière sexuelle. En 1994, dans une interview au journal Le Monde, il avait déclaré que « le sexe, l'amour et la maladie ne veulent pas dire la même chose pour les Africains que ce qu'ils disent aux européens occidentaux [parce que]. la notion de culpabilité n'existe pas pour eux comme elle est dans la culture judéo-chrétienne de l'occident30. » Charles Geshekter qui rapporte cette interview31, se dit particulièrement irrité par ce qui est écrit sur l'Afrique, avec des grosses généralisations qui ignorent complètement la diversité culturelle sur le continent, et des stéréotypes racistes qui sont fréquentes dans les discussions sur le SIDA en Afrique. Ces discussions mettent en avant la « prédilection » sexuelle des Africains et ne disent rien sur les facteurs socioéconomiques et environnementaux qui contribuent au désordre immunologique32. Le même Charles Geshekter se demande pourquoi les occidentaux n'écoutent pas la voix des scientifiques africains, qui affirment que l'explosion de l'épidémie n'est pas liée à des habitudes sexuelles anormales de la part des Africains, mais plutôt à l'existence des « vieilles maladies » telles que les soins de santé inadéquats, la malnutrition, les infections endémiques et le manque d'eau salubre33. Peut-être que, comme le suggèrent les évêques Catholiques du Kenya dans leur lettre sur l'épidémie du SIDA et son impact, la crise du SIDA en Afrique nous dit combien nous sommes devenus pauvres et non, comme certains le supposent, combien nos peuples sont ignorants34.

Avec cette mise au point, il faut, toutefois, reconnaître qu'il existe, sur le continent, certaines traditions et pratiques culturelles qui exposent à la contamination facile du VIH/SIDA et qui peuvent favoriser son expansion. C'est le cas, par exemple, du lévirat ou du sororat35qui sont encore répandus dans plusieurs pays du continent, notamment dans les milieux ruraux qui, en général, gardent encore une forte fidélité aux coutumes et aux traditions. Le lévirat ou le sororat prévoit les circonstances où les hommes ont le devoir d'avoir des rapports sexuels, avec les veuves ou autres membres de la famille endeuillée

30 Ibid., p. 9.

31 Ibid.

32 Ibid., p.6-7.

33 Ibid., p. 9.

34 Cf. CATHOLIC BISHOPS OF KENYA, The AIDS Pandemic and Its Impact on our people, Paulines Publications Africa, Nairobi, December 1999, p. 9.

35 Le lévirat, en anthropologie sociale, est défini comme une coutume très générale qui oblige un homme à épouser la veuve de son frère. Le sororat, terme introduit en 1910 par Frazer, désigne une coutume complémentaire du lévirat, le mari épouse la soeur de sa femme défunte ; dans certains cas, le mari en a le droit même si sa femme vit encore. Cf. Lexique des sciences sociales, éditions DALLOZ, Paris, 1999.

sans que l'on se soucie du statut sérologique des uns et des autres. Cela constitue un grand risque de contamination pour toutes les personnes impliquées dans ces rapports et pour leurs conjoints ou partenaires36. En évitant toute généralisation, il faut noter aussi que la polygamie, répandue dans certaines régions du continent, peut aussi favoriser l'expansion rapide du VIH/SIDA.

Enfin, des pratiques comme l'excision, les scarifications, l'allaitement des enfants par une autre femme, etc., exposent dangereusement à la contamination du VIH. Au Rwanda, par exemple, une étude conjointe du Ministère de la santé et du programme national de lutte contre le SIDA, effectuée en 2000, reconnaissait qu'il existe des pratiques, influencées par la culture, qui exposent à la propagation du VIH/SIDA au Rwanda, notamment certaines pratiques sexuelles durant la période de grossesse et celle postpartum37.

b) les facteurs économiques

Les facteurs économiques jouent certainement un grand rôle dans l'expansion rapide du VIH/SIDA sur le continent africain, en particulier la pauvreté expose des nombreuses personnes à la contamination facile du VIH. Cela s'explique par le fait que de par leur condition, des personnes pauvres sont souvent contraintes par les circonstances à se livrer à des comportements qui les mettent en situation de haut risque de contracter le VIH. C'est le cas notamment de la prostitution causée par le manque de ressources pour faire face aux besoins essentiels de la vie quotidienne, et de la migration dans les centres urbains à la recherche d'un emploi rémunérateur, car, souvent, l'agriculture n'arrive pas à satisfaire les besoins des familles. Poussées donc par la pauvreté, les personnes déplacées, souvent loin de leur famille, se livrent ainsi à des comportements susceptibles de leur faire contracter le virus.

La pauvreté est aussi responsable du fait que, une fois infecté par le virus, on soit plus vulnérable aux infections opportunistes qui entraîneront très vite la mort, vu le manque d'accès à un régime alimentaire et à des soins de santé adéquats, ainsi qu'aux traitements et moyens de prévention qui pourraient prolonger la vie des malades et leur permettre de faire

36 COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS), Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006, Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002, p. 22.

37 Voir à ce sujet PNLS/MINISANTE, Définir les voies pour la prévention du VIH/SIDA : leçons apprises sur les aspects comportementaux, revue de la littérature dans la période post-génocide 1994-2000, novembre 2000, p. 13.

face au virus. Sont également dûs au facteur économique le faible taux d'alphabétisation et le manque d'accès à l'information adéquate, notamment en matière de prévention du VIH/SIDA. Il faudra tout de même noter les efforts qui ont été fournis ces dernières années sur le continent pour la sensibilisation et l'information des populations, bien sür à des degrés différents selon les pays et l'engagement des gouvernements.

c) la pauvreté des femmes

Les femmes pauvres sont les plus vulnérables à la contamination. Etant les moins instruites dans la plupart des pays et, de par leur statut social inférieur, elles sont, pour la plupart d'entre elles, complètement dépendantes de leurs maris ou des hommes qui possèdent les moyens financiers et économiques. On peut comprendre que les femmes pauvres n'aient pas beaucoup de choix devant des hommes possédant l'avoir, le savoir et le pouvoir, et que, devant assumer leurs responsabilités de nourrir toute la famille et leurs enfants en particulier, elles se trouvent à la merci des hommes qui pourraient être porteurs du virus ou de leurs maris qui ont contracté le virus en dehors du foyer. La vulnérabilité des femmes est donc liée à leur statut social et à leur faible niveau d'instruction, en plus de leur faible pouvoir économique.

d) facteurs politiques et structurels

Les facteurs politiques et structurels, relèvent, eux, de l'organisation politique et sociale des pays africains ; ainsi le manque d'infrastructures sociales et médicales expose les populations du continent à développer plus facilement le SIDA. On reproche aussi aux gouvernements de favoriser l'expansion de la maladie, à cause de leur peu d'engagement politique dans la lutte contre le SIDA. Sans vouloir atténuer la responsabilité des gouvernements dans les choix faits dans l'allocation des ressources publiques, il faudrait reconnaître que la pauvreté de la plupart des pays africains et leur forte dépendance de l'aide extérieure rendent difficiles la disponibilité des moyens pour la lutte contre le SIDA.

Au niveau structurel, comme la plupart des structures de production, par exemple les usines, se situent dans les milieux urbains, elles obligent de nombreuses personnes à émigrer pour trouver de l'emploi. Les travailleurs séparés ainsi de leur famille et de leur milieu d'origine, connaissent souvent une grande solitude et une baisse du contrôle social qui les exposent à des comportements sexuels qui peuvent avoir des conséquences néfastes dans la suite pour leurs conjoints restés au village. En effet, lors de l'apparition de

l'épidémie, le SIDA était considéré comme une maladie des villes ; mais tres vite elle s'est répandue aussi en milieu rural, occasionnant ainsi une généralisation de la maladie dans la population de plusieurs pays. Le problème est plus préoccupant dans les milieux ruraux où vivent la grande partie des populations et où très peu de moyens sont déployés pour faire face à l'épidémie, alors que, par ailleurs, ces milieux constituent les greniers de la plupart des économies africaines.

L'instabilité politique de plusieurs pays du continent ainsi que les nombreux conflits armés ont aussi donné lieu à une plus grande vulnérabilité des populations. Ainsi des nombreuses populations déplacées et réfugiées, à cause de ces instabilités politiques, sont contraintes à vivre dans une grande promiscuité, tandis que les conflits et les guerres continuent d'occasionner des actes de barbarie comme les viols, susceptibles de transmettre le virus ; cela s'est vérifié par exemple durant le génocide rwandais de 1994 qui a laissé plusieurs jeunes femmes et filles contaminées. En plus de la situation de promiscuité créée par le déplacement des populations à cause des conflits, le manque de nourriture et les conditions sanitaires précaires dans lesquels vivent ces populations les rendent encore plus vulnérables au VIH/SIDA et aux infections opportunistes associées à ce dernier. Une récente étude menée au Rwanda, Burundi et dans l'Est de la République Démocratique du Congo montre combien les conflits contribuent à aggraver la propagation du VIH/SIDA dans la région38.

e) facteurs psychosociaux

En ce qui concerne les facteurs dits psychosociaux, ils sont plus difficiles à cerner et à percevoir. Les comportements et pratiques sexuels, bien qu'ils soient en partie liés à la culture et aux traditions, demeurent de la sphère strictement intime et ils sont souvent très peu rationnels. Toutefois, il y a certainement une grande influence de la dynamique des groupes sur les comportements adoptés par les personnes en cette matière, en particulier chez les jeunes. C'est pourquoi, par exemple, le désespoir face à un passé difficile, ou à un avenir incertain, exposent plusieurs africains et africaines à des comportements susceptibles de les faire contracter le VIH.

38 V. BENSMANN, HIV/AIDS & Conflict, Research in Rwanda, Burundi, and Eastern DRC, Save the Children-UK, UNICEF and UNAIDS, May 30, 2003.

Au niveau des comportements, il faudrait aussi signaler le phénomène qu'on appelle en économie « effet de démonstration » ou effet d'imitation, c'est-à-dire la propagation, dans une société, de normes de comportement à partir d'un modèle extérieur à celle-ci. On constate souvent que les pays sous-développés imitent les normes de consommation et les styles de vie importés des pays industrialisés. Aussi, certains chercheurs ont affirmé que les changements sociaux, apportés par l'influence occidentale dans les sociétés africaines, ont prolongé la période d'adolescence et ont affaibli les valeurs traditionnelles et familiales en matière de comportement sexuel, occasionnant ainsi une anomie sociale qui favorise des comportements à hauts risques face au SIDA39.

2.2.5 limites des statistiques

Il nous semble nécessaire, à ce niveau, de faire quelques considérations au sujet des statistiques disponibles sur l'état de la pandémie en Afrique. Sans remettre en cause la validité de ces données statistiques, nous estimons qu'il est plus approprié de les considérer comme des indicateurs généraux qui peuvent aider les gouvernements et les autres organismes impliqués dans la lutte contre le SIDA à planifier leur action et à se rendre compte de l'état de la situation. Les méthodes utilisées ne peuvent prétendre à l'exactitude, mais elles permettent une approximation.

L'ONUSIDA et l'OMS ont développé durant ces dernières années des enquêtes de surveillance et des sites sentinelles où sont testées des populations cibles comme les femmes enceintes et les personnes malades, ainsi que d'autres groupes à risque comme les prostituées, les routiers, les prisonniers et les militaires. Ces enquêtes locales permettent une estimation assez proche de la réalité, bien que des surestimations ou des sous-estimations ne soient pas à exclure. Il est clair, par exemple, que si l'enquête est menée dans un bidonville où plusieurs personnes vivent dans une grande promiscuité et qu'on y relève une forte prévalence du virus, ces résultats ne peuvent pas être généralisés ou extrapolés à toute la population habitant cette ville.

La réalité de plusieurs pays africains nous prouve aussi qu'il y a une carence des structures de collecte de données et des divisions statistiques nationales qui pourraient permettre des enquêtes plus appropriées et des résultats plus objectifs. Il y a donc nécessité

39 Cf. PEMPELANI MUFUNE, «Social Science explanations of the AIDS Pandemic in Africa», in AIDS and Development in Africa, Kempe Ronald Hope, editor, The Haworth Press, New York, 1999, p. 23-25.

d'investir dans des structures permettant de faire un véritable état des lieux, et de connaître la vraie caractéristique et l'amplitude de la pandémie en Afrique subsaharienne.

2.2.6 Conclusion

Comme nous venons de le voir, le problème est très complexe et, à la base de la propagation du virus sur le continent, se trouvent de nombreux facteurs liés entre eux ; aucun facteur ne saurait à lui seul expliquer l'amplitude du VIH/SIDA sur le continent africain. Dans le débat sur les causes de la forte propagation du SIDA en Afrique Subsaharienne, les différentes approches proposées ont eu tendance à limiter leur explication du phénomène SIDA à l'un des facteurs mentionnés ci-dessus. Elles sont souvent teintées d'arrière fond idéologique et entachées de stéréotypes inavoués qui manifestent leur insuffisance et leur unilatéralité. Il faut plutôt admettre que tous ces facteurs jouent de façon interdépendante un rôle important dans l'expansion de l'épidémie. On pourrait dire que ces différents facteurs s'engendrent et se complètent mutuellement dans une sorte de cercle vicieux.

Ce qui est indéniable, c'est qu'il est existe un lien de réciprocité entre la pauvreté et le VIH/SIDA. La pauvreté prédispose à l'infection du SIDA, et le SIDA à son tour aggrave la pauvreté. Toutefois la pauvreté, bien qu'elle ait un rôle prépondérant et même principal dans la propagation du virus, ne peut pas à elle seule expliquer toute l'ampleur de l'épidémie en Afrique. Autrement on ne saurait expliquer le fait qu'on enregistre une forte prévalence du VIH aussi bien parmi les riches que parmi les pauvres.

Le statut de la femme dans la plupart des sociétés africaines, certaines pratiques traditionnelles, l'anomie sociale résultant de la dépendance et de l'influence occidentale, les conflits et les guerres, le désespoir face à la précarité de la vie et la pauvreté, nous semblent constituer les facteurs principaux qui rendent l'Afrique une terre fertile à l'expansion du VIH. Nous estimons que pour comprendre la propagation du virus sur le continent africain et trouver des remèdes efficaces, il faudrait prendre en compte tous ces différents aspects et même ceux qui ne sont pas souvent pris en considération, comme par exemple les facteurs biologiques qui rendent les femmes plus vulnérables que les hommes, car, comme on le sait, la transmission du virus sur le continent est essentiellement hétérosexuelle. Une approche holistique et interdisciplinaire s'avère par conséquent

nécessaire pour éviter toute parcellisation ou fragmentation40. Face à un problème aussi complexe que celui-ci, seule une explication différenciée et multiple a plus de chance d'être proche de la vérité. La réponse à donner pour combattre l'expansion du VIH/SIDA sur le continent doit donc tenir compte de cette complexité et de l'urgence d'agir de manière globale. Tous les éléments doivent nécessairement être pris en compte car il s'agit d'une question de vie ou de mort, car, comme le rapportait la revue « Jeune Afrique », « si rien n'est fait, il suffira d'une décennie pour tuer 40 millions de personnes en Afrique, décimer une génération de population active, multiplier les orphelins, plomber les économies déjà balbutiantes41. »

Faut-il répéter ici que le faible accès du continent aux médicaments et traitements antirétroviraux aggrave sa situation et fait que le SIDA soit responsable d'une plus grande mortalité en Afrique Subsaharienne? Quant à la recherche de vaccin, le manque de revenus fait qu'elle n'est pas très avancée sur le continent. Comme l'affirmait le rapport de l'ONUSIDA en 2002 : « Les sous-types les plus courants du VIH sont le A et le C, présents dans plusieurs régions d'Afrique, mais la majorité des vaccins actuellement à l'essai sont préparés sur le profil génétique du sous-type B qui est le plus répandu dans les pays à revenu élevé 42. »

Il existe néanmoins des signes réels de la possibilité de changer le cours de la propagation du virus. Ces signes encourageants proviennent de l'Ouganda et du Sénégal qui ont pu sensiblement baisser les taux de prévalence dans leur population, grâce à une forte action des dirigeants politiques en collaboration avec la société civile, les différentes organisations locales et internationales ainsi que le déboursement des ressources importantes pour la lutte et la prévention du VIH/SIDA.

40 Cf. EDGAR MORIN, La tête bien faite, Seuil, Paris, 1999.

41 J. BASTIN,» Assez de discours!», in Jeune Afrique l'intelligent, N°2142, du 29 janvier au 4 février 2002, p. 46.

42 ONUSIDA, Rapport sur l'épidémie mondiale de VIH/SIDA, Genève, juillet 2002, p.108.

Pays d'Afrique subsaharienne plus affectés par le VIH/SIDA à la fin de

l'année 2003

(taux de prévalence supérieur à 4%)

Pays

Taux chez les Adultes (%)

Adultes et

enfants

Adultes (15-49)

Orphelins (0-17) en vie

Swaziland

38,8

220 000

200 000

65 000

Botswana

37,3

350 000

330 000

120 000

Lesotho

28,9

320 000

300 000

100 000

Zimbabwe

24,6

1 800 000

1 600 000

980 000

Afrique du Sud

21,5

5 300 000

5 100 000

1 100 000

Namibie

21,3

210 000

200 000

57 000

Zambie

16,5

920 000

830 000

630 000

Malawi

14,2

900 000

810 000

500 000

R. Centrafricaine

13,5

260 000

240 000

110 000

Mozambique

12,2

1 300 000

1 200 000

470 000

Tanzanie

8,8

1 600 000

1 500 000

980 000

Gabon

8,1

48 000

45 000

14 000

Côte d'Ivoire

7,0

570 000

530 000

310 000

Cameroun

6,9

560 000

520 000

240 000

Kenya

6,7

1 200 000

1 100 000

650 000

Burundi

6,0

250 000

220 000

200 000

Liberia

5,9

100 000

96 000

36 000

Nigeria

5,4

3 600 000

3 300 000

1 800 000

Rwanda

5,1

250 000

230 000

160 000

Congo

4,9

90 000

80 000

97 000

Tchad

4,8

200 000

180 000

96 000

Ethiopie

4,4

1 500 000

1 400 000

720 000

R.D. Congo

4,2

1 100 000

1 000 000

770 000

Burkina Faso

4,2

300 000

270 000

260 000

Ouganda

4,1

530 000

450 000

940 000

Togo

4,1

110 000

96 000

54 000

Source: Tableau réalisé à partir des données de : ONUSIDA, Rapport sur l'épidémie mondiale de VIH/SIDA, Genève, juin 2004.

2. 3 Le reste du monde

Bien que l'Afrique demeure la région de loin la plus touchée par le virus à VIH/SIDA, une nette progression de la pandémie se signale aussi dans les autres parties du monde, en particulier en Asie du sud, dans les Caraïbes et dans les pays de l'ex bloc soviétique.

2.3.1 Asie du sud

En Asie, l'Inde et la Chine enregistrent des taux élevés qui n'apparaissent pas sur les statistiques à cause de leur population nombreuse. En juin 2004, l'ONUSIDA estimait le taux de prévalence dans la population adulte indienne entre 0,4 et 1,3% ; cela peut apparaître insignifiant, mais en réalité, il y a environ 4 millions d'indiens vivant avec le VIH/SIDA. C'est pratiquement le second pays avec le plus grand nombre de personnes infectées après l'Afrique du Sud. La Chine, pays le plus peuplé du monde, d'après les faibles données disponibles de juin 2004, compte au moins 840 000 personnes déjà infectées du VIH. L'ONUSIDA estime que ces données sont destinées à augmenter dans les années qui viennent43. L'épidémie est en train de progresser aussi dans d'autres pays d'Asie comme le Myanmar (Burma), le Népal et l'Indonésie. Le Cambodge et la Thaïlande, qui comptaient dans les années passées des taux élevés de prévalence dans leur population adulte, les ont vus sensiblement diminuer, montrant aussi qu'il est possible de changer « le cours naturel » de l'épidémie44.

2.3.2 Europe de l'Est

L'Europe de l'Est et les anciennes républiques soviétiques sont en train d'enregistrer une forte progression de l'épidémie surtout parmi les jeunes. C'est la plus forte progression par rapport au reste du monde. En 2001, l'ONUSIDA y estimait à 250 000 le nombre des nouvelles infections, portant ainsi à 1 million le nombre de personnes vivant avec le VIH/SIDA. Cette rapide progression de l'épidémie dans ces pays de l'ex bloc soviétique est attribuée à la détérioration du secteur sanitaire, à la crise économique, et au grand changement social survenu durant ces dix dernières années. Tous ces facteurs ont

43 ONUSIDA, Rapport sur l'épidémie mondiale de VIH/SIDA, Genève, juin 2004, p. 26.

44 ONUSIDA, Rapport sur l'épidémie mondiale de VIH/SIDA, Genève, juillet 2002, p. 31.

facilité les infections au VIH, en particulier à travers l'usage de la drogue par injection parmi les jeunes45. La Russie compte le plus grand nombre de personnes vivant avec le VIH/SIDA, environ 860 000 russes vivaient avec le VIH/SIDA en juin 2004. L'Ukraine enregistre le plus haut taux de sérovalence dans la région, 1,4% de la population adulte soit 300 000 personnes. Les experts craignent que les mauvaises conditions socioéconomiques et l'augmentation des jeunes héroïnomanes entraînent une plus grande propagation du virus dans la région.

2.3.3 Caraïbes et Amérique latine

Les Caraïbes comme ensemble, enregistrent la plus grande concentration de prévalence du VIH après l'Afrique subsaharienne. Le Haïti a le taux le plus élevé de la région, 5,6% de la population adulte (juin 2004).

En Amérique latine, l'épidémie a surtout frappé les populations homosexuelles, les prostituées et les héroïnomanes. Mais, d'après les enquêtes de l'ONUSIDA, l'épidémie est en train de se déplacer progressivement dans le reste de la population, notamment à travers la voie hétérosexuelle. Le Brésil, qui est le pays le plus peuplé de la région, compte le plus grand nombre de personnes vivant avec le VIH/SIDA, estimées à 660 000 en juin 2004. Cependant, depuis la fin des années 1990, le Brésil enregistre une baisse du taux d'infections à cause en partie du programme de prévention qui vise les populations les plus exposées comme les personnes homosexuelles et les héroïnomanes. Toujours en Amérique latine, le taux de prévalence le plus élevé se retrouve en Guyane, avec 2,5% de la population adulte vivant avec le VIH/SIDA, soit environ 11 000 personnes46.

2.3.4 Amérique du Nord

En Amérique du Nord, en juin 2004, l'ONUSIDA estimait à 1 000 000 le nombre d'adultes et enfants vivant avec le VIH/SIDA. On estimait, en fin 2001, à 45 000 le nombre des nouvelles contaminations pour le Canada et les Etats-Unis d'Amérique. Les relations homosexuelles demeurent la principale voie de transmission du virus dans ces deux pays, le partage des seringues parmi les héroïnomanes et de plus en plus les relations hétérosexuelles constituent d'autres voies importantes de transmission du VIH. Malgré la

45 P.LAMPTEY, M.WIGLEY, D.CARR, AND Y.COLLYMORE, «Facing the HIV/AIDS Pandemic», in Population Bulletin, vol.57, No.3, September 2002, p.4.

46 Cf. ONUSIDA, Rapport sur l'épidémie mondiale de VIH/SIDA, Genève, juin 2004.

croissance de la prévalence chez les femmes, le SIDA reste une maladie des hommes dans cette partie du globe. Il est à relever aussi la croissance de l'épidémie parmi les minorités raciales, comme les Africains-américains et les Hispaniques. Par exemple, 54% des nouvelles infections en 2000 étaient recensées parmi les Africains-américains, pendant qu'ils ne constituent que 13% de la population des Etats-Unis. D'après le Centre américain pour le contrôle des maladies et la prévention (CDC), 80 % des femmes infectées par le VIH sont Africaines-américaines ou Hispaniques47.

2.3.5 Europe occidentale

En Europe occidentale, le taux de prévalence se situe en dessous de 0,5% pour la population adulte, exception faite de l'Espagne qui enregistre un taux de 0,7% pour sa population adulte en juin 2004. Dans cette partie du monde, la transmission du VIH est longtemps restée concentrée parmi les populations homosexuelles et les héroïnomanes. Toutefois, comme nous l'avons vu pour l'Amérique du Nord, le VIH est aussi en train de se répandre lentement dans le reste de la population, prouvant ainsi qu'il existe de plus en plus des contaminations par voie hétérosexuelle.

2.3.6 Océanie

L'Australie et la Nouvelle Zélande maintiennent des taux faibles : 0,1% à la fin de 2001, environ 13 200 personnes vivant avec le VIH. D'après l'ONUSIDA, l'homosexualitémasculine reste la voie prédominante de transmission du virus dans ces pays ; cela vaut

également pour le Japon. Allant dans le même sens, le même rapport de l'ONUSIDA constate qu' « en Australie, au Canada, aux Etats-Unis d'Amérique et dans les pays d'Europe occidentale, une augmentation apparente des rapports non protégés entraîne des taux plus élevés d'infections sexuellement transmissibles et dans certains cas une incidence plus élevée du VIH chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes.48 »

2.3.7 Afrique du Nord et Moyen Orient

Il nous reste à voir la situation de l'Afrique du Nord et du Moyen Orient l'épidémie est apparue tardivement par rapport aux autres régions du monde. Les taux de

47 Cf. P. LAMPTEY, M.WIGLEY, D.CARR, AND Y.COLLYMORE, «Facing the HIV/AIDS Pandemic», in Population Bulletin, vol.57, No.3, September 2002, p. 15.

48 ONUSIDA, Rapport sur l'épidémie mondiale de VIH/SIDA, Genève, juillet 2002, p.42.

personnes vivant avec le SIDA restent tres faibles. D'après le rapport de l'ONUSIDA, 75 000 personnes y ont été infectées en 2003, portant ainsi à 480 000 le nombre de personnes vivant avec le VIH/SIDA dans cette région. « On n'a malheureusement que peu analysé systématiquement jusqu'ici les moteurs de l'épidémie dans la plupart des pays de la région49 », alors que ceux-ci connaissent des situations qui favorisent l'expansion du virus, notamment la grande mobilité des populations et les inégalités socio-économiques importantes. La plupart des infections dans les pays de l'Afrique du Nord et du Moyen Orient, adviennent en général par la voie des drogues injectables, exception faite du Yémen et du Soudan. Une enquête de surveillance en Algérie a néanmoins fait apparaître l'évidence des taux de prévalence du VIH de 1% parmi les femmes enceintes dans le sud du pays, région plus touchée par les conflits civils. Ces résultats, selon l'ONUSIDA, font craindre le risque d'une épidémie généralisée dans le pays50. Au Maroc, malgré le faible taux de prévalence inférieur à 1% en 2001, le programme national de lutte contre le SIDA a noté pour la même année une prévalence relativement élevée d'autres MST ; ce qui laisse présager que les comportements à risque sont plus répandus qu'on ne le croyait51. Ici aussi, comme ailleurs en Afrique, les jeunes, les populations mobiles, les personnes déplacées demeurent des populations à risque.

Un facteur qui, à notre avis, mérite d'être exploré et étudié, en corrélation avec la faible prévalence du VIH dans ces pays, est le rôle de la religion sur les comportements des populations. Ces pays à grande majorité musulmane, comme certains pays de l'Afrique de l'Ouest aussi, enregistrent une propagation de l'épidémie très contenue (à en croire les différentes statistiques disponibles). Notre hypothèse est que l'éthique musulmane, les normes sociales inspirées par la religion musulmane (commune aux pays de cette région du monde), une certaine cohésion sociale ainsi que le contrôle social caractéristiques de ces sociétés, jouent un certain rôle dans la limitation du VIH/SIDA dans cette région du monde. Cependant, la présence des nombreux conflits dans cette partie du monde nous laisse craindre une augmentation de la propagation du VIH, dans la mesure précisément où ils font sauter les normes et la stabilité sociales, qui, nous le croyons, jouent un grand rôle dans la limitation de l'expansion de l'épidémie de SIDA.

49 Ibid., p. 38.

50 Cf. Ibid., p. 39.

51 Ibid.

2.4 Conclusion

De ce survol de la situation de l'épidémie dans le monde, nous pouvons relever quelques éléments qui nous semblent importants pour comprendre les caractéristiques et les particularités de la pandémie. Nous venons de voir que toutes les régions de la planète sont touchées, l'Afrique en premier, suivi des pays du pacifique et ceux d'Asie. Il nous apparaît clair que l'épidémie du VIH/SIDA trouve un terrain privilégié d'expansion dans les pays en voie de développement, et en particulier dans les pays les plus pauvres. L'Afrique subsaharienne et les Caraïbes, régions plus pauvres, sont aussi les régions avec la plus grande concentration de personnes vivant avec le VIH/SIDA.

La forte progression de la pandémie dans les pays de l'ex bloc soviétique, confrontée à une forte crise économique et à une anomie sociale, semble confirmer que la maladie se répande plus facilement dans les pays en difficulté. On pourrait dire que la crise économique associée à la crise sociale et à l'instabilité politique, notamment avec la présence des conflits armés, rassemblent les conditions pour que se répande l'épidémie du VIH dans les populations de ces régions ainsi fragilisées.

Dans les pays à revenus élevés, l'épidémie semble aussi être la maladie des personnes considérées aux marges de la société : homosexuels, héroïnomanes, prostituées, émigrés et minorités raciales. Empruntant le langage des sociologues « dépendantistes », nous oserons dire que le SIDA est devenu la maladie de la périphérie, tandis que le centre trouve les moyens de se protéger et de se sauver. La périphérie au niveau mondial, ce sont les pays en voie de développement ; la périphérie à l'intérieur de chaque pays, ce sont les populations les plus pauvres et celles marginalisées. Reprenant le titre du livre de Gunder Frank, sociologue de la théorie de la dépendance, nous pouvons dire aujourd'hui que la propagation du VIH/SIDA dans le monde est un symptôme du « développement du sousdéveloppement52. » et quelque part de l'échec de la mondialisation.

3. Rwanda

Les points précédents nous ont permis de prendre connaissance des modes de transmission du VIH/SIDA, des différents facteurs qui causent l'expansion de l'épidémie

52 A.GUNDER FRANK, Le développement du sous-développement. L'Amérique latine, Maspero, Paris, 1970.

ainsi que des différents groupes de population particulièrement vulnérables au VIH/SIDA. Ce qui a été dit pour l'Afrique Subsaharienne vaut aussi, en général, pour le Rwanda. En assumant ces éléments déjà mentionnés, dans cette partie spécifique au Rwanda, nous donnerons d'abord quelques données de base du pays, utiles pour le reste de notre étude. Ensuite, nous verrons quelques statistiques sur le VIH/SIDA au Rwanda, et, dans un dernier point, nous articulerons les tendances et l'évolution de l'épidémie au Rwanda, en nous basant sur les résultats des différentes enquêtes effectuées précédemment dans le pays.

3.1 Quelques données de base

Le Rwanda est un pays d'Afrique Centrale situé à l'est de la République Démocratique du Congo, au sud de l'Ouganda, à l'ouest de la République Unie de Tanzanie, et au nord du Burundi. Pays enclavé, il a une superficie de 26 338 km2 pour une population estimée à 8 162 715 d'habitants selon le dernier recensement du mois d'août 200253 ; sa densité est donc de 316 habitants au km2, l'une des plus élevées du continent africain. Les femmes sont estimées être plus nombreuses que les hommes: 4 267 983, soit 52,3% de l'ensemble de la population rwandaise tandis que les hommes sont estimés à 3 894 732, soit 47,7%. La population rwandaise est très jeune, 49 % de la population est estimée avoir moins de 15 ans et 3 % plus de 65 ans. Ainsi environ 51% du total de la population rwandaise est dépendante, c'est-à-dire à charge de la population adulte (15-49 ans). Ce taux élevé de dépendance signifie des besoins énormes en matière d'alimentation, de santé, d'emploi et d'éducation, surtout qu'environ 27% des enfants n'ont plus au moins l'un des deux parents54.

La population rwandaise est essentiellement rurale, environ 85 %. Toutefois on assiste ces dernières années à une croissance de la population urbaine, de 6% estimée en1999, elle est passé à 16,7% selon les dernières estimations de 200255. Selon les mêmes estimations, la ville de Kigali (la capitale) aurait à elle seule les 7,5% de la population totale, et,

53 Cf. site Internet du Gouvernement rwandais : < http: //www.rwanda1.com/>, premiers résultats du 3ème recensement national du mois d'aoüt 2002, donnée lors de la conférence de presse du ministre des finances et de la planification économique, Donald Kaberuka, Kigali, le 17 décembre 2002.

54 Cf. COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS), Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006, Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002, p. 16.

55 Cf. Premiers résultats du 3ème recensement national du mois d'aoüt 2002 donnés lors de la conférence de presse du ministre des finances et de la planification économique, Donald Kaberuka, Kigali, le 17 décembre 2002. Disponible sur Internet : < http: //www.rwanda1.com/>.

contrairement au reste du pays, les hommes y seraient plus nombreux que les femmes, 54,7% et 45,3% respectivement ; cela laisse percevoir que l'exode rural frappe plus les hommes que les femmes56.

Le taux de croissance de la population estimée à 2,5% (moyenne des années 1980- 99) est aujourd'hui estimé à 1,16 % (2002 ) 57. L'espérance de vie à la naissance est passée de 44,6 années (1970-1975) à 39, 4 (1995-2000)58. Le taux de fertilité total (TFT) par femme est passé de 8,3 (1970-1975) à 6,2 (1995-2000)59. La mortalité infantile (pour 1000 naissances) est passée de 124 (1970) à 100 (2000)60. Le taux brut de mortalité est estimé à 21 décès pour 1000 habitants ( 2001)61. Le taux d'alphabétisation de la population adulte (15 ans et plus) est passé de 46,5% en 1985 à 66,8 % en 2000, avec une différence significative entre les sexes : 60,2% pour les femmes et 73,7% pour les hommes.

La population rwandaise dépend essentiellement de l'agriculture, c'est l'activité économique principale. La population est dans sa grande majorité pauvre, le PNUD estime qu'en 2000, 51,2 % de la population rwandaise vivait en dessous du seuil de pauvreté et 35,7% vivait en dessous du seuil de 1$US par jour62. Entre 1997 et 1999, 40% du total de la population était considérée sous-alimentée et seulement 8% (en 2000) avait accès à des soins de santé adéquats63. La population ayant accès à l'eau potable était estimée à 41% (2000)64, avec une grande différence entre les villes et le milieu rural : 60% de la population en milieu urbain et 40% en milieu rural65.

3.2 Données sur le VIH/SIDA

Le SIDA est apparu relativement tôt au Rwanda, c'est en 1983 que les premiers cas ont été décrits. Trois ans après, en 1986, la première enquête a eu lieu, et elle a montré que la

56 Ibid.

57 Selon les estimations du The World Factbook 2002. Disponible sur Internet :

http://www.odci.gov/cia/publications/factbook/geos/rw.html

58 Cf. PNUD, Indicateurs du Développement Humain 2002.

59 Ibid.

60 Ibid.

61 Cf. POPULATION REFERENCE BUREAU, 2001 World Population Data Sheet. Disponible sur Internet: < http://www.prb.org/pdf/Rwanda_Fr.pdf>

62 Cf. PNUD, Indicateurs du Développement Humain 2002.

63 Ibid.

64 Ibid.

65 Cf. MINISTERE DES FINANCES ET DE LA PLANIFICATION ECONOMIQUE, Le Rwanda en Chiffres, Edition 2001, p. 14.

prévalence globale de l'infection à VIH dans la population était d'environ 13,3% avec une grande différence entre le milieu urbain et le milieu rural, respectivement 18,1% et 1,7%66. Le SIDA est apparu dans les premières années comme une maladie des citadins, mais dans la suite sa présence a été constatée dans tout le pays. L'enquête menée en 1997, qui semble être la plus fiable à ce jour, révèlait une prévalence globale de 11,1% pour l'ensemble de la population adulte, avec une progression impressionnante en milieu rural, de 1,7% (1986) à 10,8% (1997). Au contraire, en milieu urbain, la prévalence baisse passant de 18,1% (1986) à 11,6% (1997).

Taux de prévalence du VIH, 199767 (en pourcentage)

Age

Hommes

Femmes

M. Urbain

M. Rural

Total Général

12-14

4,3

4,0

3,0

4,8

4,1

15-19

6,4

5,9

3,4

8,5

4,1

20-24

8,6

13,9

15,8

9,6

12,3

25-29

13,6

21,5

24,2

15,5

18,8

30-34

10,8

20,1

24,2

12,4

17,1

35-39

16,3

16,4

21,3

13,6

16,4

40-44

17,4

14,5

20,4

13,5

15,6

45-49

18,7

10,9

13,2

14,1

13,9

50-+

14,0

7,4

6,5

11,8

10,3

Total Général

10,8

11,3

11,6

10,8

11,1

Source : Programme National du Lutte contre le SIDA (PNLS)

De 1998 à 2001, le système national d'information sanitaire a notifié 17 950 nouveaux cas. Les données épidémiologiques du TRAC (Treatment and Research on AIDS Center) en 2002 estimaient la prévalence nationale à environ 13%68. Pour 2002, Les sujets infectés étaient estimés à 400 000, soit une augmentation de 250 000 sujets par rapport à 198669. Les estimations du dernier rapport de l'ONUSIDA 2004 sont plus optimistes quant au taux de prévalence, estimé à 5,1% de la population adulte, mais les personnes vivant avec le

66 Cf. MINISTRE DE LA SANTE, Rapport annuel 2001, République Rwandaise, mars 2002.

67 Cf. MINISTERE DES FINANCES ET DE LA PLANIFICATION ECONOMIQUE, Le Rwanda en Chiffres, Edition 2001, p. 10.

68 COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS), Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006, Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002, p. 30.

69 Ibid., p. 24.

SIDA (adultes et enfants) sont tout de même estimées à 250 000. Le Rwanda est classé parmi les pays les plus touchés par la pandémie sur le continent africain, il vient en 19ème position dans le classement de l'ONUSIDA en 2004.

Sans vouloir entrer dans la querelle des chiffres, parfois idéologiques suivant les intérêts qu'on veut défendre, nous estimons que ces données suffisent pour démontrer la gravité de l'épidémie sur le territoire national, et peut-être que ceux-ci ne constituent qu'une partie de l'iceberg. Selon le rapport annuel du Ministère de la Santé 2001, ces données ne représentaient que la partie visible de l'épidémie dans les services sanitaires du pays. En effet, plusieurs malades du SIDA ne sont pas soignés dans les hôpitaux publics et il y a un manque d'informations sur les malades soignés dans d'autres secteurs. En outre, de nombreux malades du SIDA meurent d'autres pathologies liées ou non au SIDA ; cela arrive souvent avant que le diagnostic du SIDA n'ait pu être posé. De plus, de nombreux soignants n'attachent pas beaucoup d'importance au diagnostic des cas de SIDA. Enfin la notification des cas dans certains services de santé est défaillante70. Il faut dire ici qu'en général, les données disponibles sur les connaissances et les comportements des Rwandais en matière de VIH/SIDA sont encourageants, plus de 70% des Rwandais connaissent ou ont déjà entendu parler du SIDA ; mais, constate le rapport annuel du Ministère de la Santé 2001 : « beaucoup d'efforts restent à faire dans le domaine de la sensibilisation de la population pour le changement du comportement71. »

3.3 Tendances et évolution de l'épidémie

C'est à partir des données sur la sérosurveillance du VIH/SIDA qu'on est arrivé à estimer l'étendue de l'épidémie du VIH et à identifier les groupes de population plus vulnérables. Au Rwanda, ces données proviennent de deux principales sources : la surveillance sentinelle du VIH/SIDA et l'enquête populationnelle du VIH/SIDA. La surveillance sentinelle est née à partir des exigences de l'OMS, qui demanda au Programme National de lutte contre le SIDA de sélectionner des populations sentinelles représentatives des adultes sexuellement actifs72.

70 MINISTRE DE LA SANTE, Rapport annuel 2001, République Rwandaise, mars 2002.

71 Ibid.

72 Cf. COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS), Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006, Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002, p. 33.

Les femmes enceintes fréquentant les centres de santé pour les consultations prénatales ainsi que les patients des infections sexuellement transmissibles (IST ou MST) ont régulièrement été sélectionnés comme population sentinelle. Les deux premiers sites de surveillance sentinelle ont démarré en 1988 dans la ville de Kigali, le site de Muhima et celui de Gikondo. En 1991, la surveillance sentinelle s'est étendue à dix autres sites répartis en milieu urbain et en milieu rural, donnant lieu à une vision plus complète de l'épidémie sur le territoire national. Ces sites semblent avoir bien fonctionné jusqu'en 1994, à part les endroits où l'insécurité et le génocide de 1994, ont empêché l'accessibilité73. De ces sites, quelques tendances générales sur l'épidémie ont pu être constatées. Les données sur les femmes enceintes ont démontré en 1988 que l'épidémie frappait plus le milieu urbain, notamment Kigali, la capitale. Les données provenant de la sérovsurveillance entre 1991 et 1999, ont dans la suite démontrée que l'épidémie avait sensiblement diminué en milieu urbain et pratiquement doublé en milieu rural. Ceci peut s'expliquer en partie à cause des efforts de prévention et les campagnes de sensibilisation qui ont privilégié le milieu urbain, souvent au dépourvu des zones rurales.

Les données sur les patients atteints des IST avaient démontré en 1988 qu'en moyenne 60% étaient porteurs du VIH/SIDA, prouvant ainsi le lien fort entre ces infections et la contamination du VIH. Ces tendances connaîtront une grande régression entre 1988 et 1996, passant de 60% en 1988 à 35% en 199674.

Les données sur les donneurs de sang, voie importante de transmission du VIH/SIDA durant les premieres années de l'épidémie, ont aussi enregistré une grande diminution entre 1985 et 2000 ; la prévalence est passée de 13,5% en 1985 à 1,5% en 2000. Cette évolution positive prouve, selon la CNLS, que la transfusion sanguine a fait l'objet d'une grande attention de la part du Gouvernement, des acteurs nationaux ainsi que des différents partenaires75.

Les premieres données sur les prostituées en 1985 faisaient état d'une prévalence supérieure à 80% au sein de ce groupe. Mais depuis lors, déplore la CNLS, il n'y a eu aucun programme spécifique de prévention et de prise en charge pour celles qui sont

73 Ibid., p.34.

74 Ibid., p.35.

75 Ibid., p.37.

atteintes des IST et contaminées du VIH. C'est seulement en 1998, qu'est né le programme PSI-Rwanda orienté vers les prostituées76.

Les données de la sérosurveillance sont nécessaires et même très utiles, mais elles s'avèrent incomplètes pour une extrapolation sur l'ensemble de la population ; c'est pourquoi on y associe souvent des enquêtes dites populationnelles à partir d'un échantillon plus représentatif de la population résidant dans le pays. Cette combinaison de méthode permet d'obtenir des estimations plus exactes sur l'étendue de l'épidémie dans la population nationale. En décembre 1986, le Rwanda fut l'un des premiers parmi les pays du monde entier, à réaliser ce type d'enquête. Une autre enquête fut conduite, 10 ans après, en 1997. L'enquête de 1997, menée dans la population générale autour de 5 sites sentinelles de sérosurveillance, a pu montrer que la sérovalence avait diminué en milieu urbain par rapport à 1986, et qu'elle avait prise des proportions inquiétantes en milieu rural, passant de 1,3%(1986) à 10,8%, comme nous l'avons déjà relevé auparavant. Cette enquête montrait l'urgence d'une action en milieu rural.

3.4 Conclusion

Les données et caractéristiques que nous venons de voir, nous montrent l'ampleur de la menace que constitue l'épidémie du VIH/SIDA pour le Rwanda. Ce fléau touche désormais tout le pays, ce n'est plus seulement la maladie des citadins. La pauvreté et les autres facteurs déjà évoqués au sujet de l'Afrique subsaharienne contribuent largement à l'expansion de l'épidémie dans le pays. « En particulier, la guerre et le génocide de 1994 ont sérieusement aggravé la situation à travers plusieurs voies : les viols ont considérablement augmenté, le nombre d'enfants non accompagnés et des veuves a augmenté entraînant une grande pauvreté, d'où plusieurs d'entre eux se tournent vers le sexe pour l'argent77. » Cette situation demande une prise de conscience sérieuse de la part des différents décideurs et de tous les acteurs de la vie nationale.

Le VIH/SIDA a largement dépassé la sphère sanitaire, et, constitue, désormais, un réel défi social et économique pour le développement durable du Rwanda. A plus de 20 ans de l'apparition de l'épidémie au Rwanda, la population séropositive est aujourd'hui estimée à

76 Ibid.

77 MINISTERE DES FINANCES ET DE LA PLANIFICATION ECONOMIQUE, Indicateurs de Développement du Rwanda 2001, Direction de la Statistique, Juillet 2001, p.291.

environ 250 000 personnes (ONUSIDA juin 2004). En plus des différents défis et problèmes que le pays connaît déjà, notamment après le génocide de 1994, les conséquences de l'expansion de l'épidémie du VIH/SIDA risquent d'être catastrophiques pour la vie économique et sociale des familles, communautés, villages et villes de l'ensemble du pays. Ce sont précisément ces conséquences que nous voulons étudier dans le second chapitre, en montrant par la suite que tous les acteurs de la vie nationale, en collaboration avec la communauté internationale, devraient s'engager de manière plus décisive, coordonnée et planifiée dans la lutte contre le VIH/SIDA.

CHAPITRE II
IMPACT ECONOMIQUE DU VIH/SIDA

Nous venons de voir que, au Rwanda comme partout ailleurs en Afrique, l'expansion de l'épidémie du VIH/SIDA a des origines économiques et sociales. Il y a un peu plus de 20 ans que l'on a découvert le premier cas du VIH/SIDA au Rwanda ; et, depuis lors, la maladie continue, à travers sa progression, à menacer et à décimer une population déjà confrontée à plusieurs autres problèmes qui se sont aggravés avec les conséquences de la guerre du début des années 1990 et avec le génocide de 1994. C'est dans ce contexte complexe que nous voulons analyser et prévoir quelles contraintes l'épidémie du VIH/SIDA vient poser à l'économie rwandaise dans son ensemble. Notre démarche adopte la vision de Louis Joseph Lebret : « Nous n'acceptons pas de séparer l'économique de l'humain, le développement des civilisations où il s'inscrit. Ce qui compte pour nous, c'est l'homme, chaque homme, chaque groupement d'hommes, jusqu'à l'humanité tout entière.78 »

Nous nous proposons d'étudier la menace réelle que constitue le VIH/SIDA pour le présent et l'avenir du Rwanda. En effet, comme le constatait Koffi Annan, secrétaire général de l'ONU, lors de la journée mondiale pour la lutte contre le SIDA, le 1er décembre 2001: « le sida n'est pas seulement voleur de présent, il vole aussi l'avenir. » L'analyse, dans ce chapitre, de l'impact économique du VIH/SIDA au Rwanda sera conduite d'abord au niveau microéconomique, et puis ensuite au niveau macroéconomique.

1. Au niveau microéconomique

La microéconomie est la partie de la théorie économique qui s'occupe des comportements des individus, des groupes et institutions, comme le sont, par exemple, les entreprises. Elle analyse leurs comportements, leurs interactions ainsi que leurs décisions dans le domaine de la production, de la consommation, de la fixation des prix et des

78 L.J LEBRET, Dynamique Concrète du développement, Economie et Humanisme, Les Editions Ouvrière, 1961, p.28. Voir aussi PAUL VI, Populorum Progressio, Vatican , 26 mars 1967, n.14.

revenus79. « Les besoins de l'analyse - notamment en ce qui concerne la prise de décision - conduisent toutefois à envisager non pas des individus à proprement parler, mais des entités, les ménages et les entreprises80. » Ce sont ces deux unités de base que nous allons envisager dans leur rapport avec l'épidémie du VIH/SIDA. Nous tenterons de voir ce que l'épidémie implique pour les choix et les décisions des ménages et des différents secteurs de l'économie dans lesquels oeuvrent les entreprises en vue de la production, distribution, échange et consommation des biens et services pour la satisfaction des besoins de la population.

1.1 Les ménages

Les ménages constituent les cellules de base de l'économie. Ils sont définis comme étant, en même temps, des unités de production et de consommation formés par un ou plusieurs individus81. Un ménage frappé par le VIH/SIDA, notamment par la contamination d'au moins un de ses membres, se retrouve rapidement confronté à une situation où ses dépenses augmentent tandis que ses revenus diminuent. Les coûts augmentent pour la prise en charge de la personne infectée. Les revenus se font rares car il y a moins d'entrées provenant du travail du membre infecté et, les épargnes, quand ils existent, sont soumises à une forte réduction par la prise en charge du malade et les dépenses ménagères ordinaires auxquelles le membre malade ne peut plus contribuer.

Le ménage est davantage frappé lorsque le membre infecté par le VIH constituait le principal « gagne pain », en d'autres mots, lorsque ses revenus contribuaient en grande partie, si pas totalement à la satisfaction des besoins de la famille. On assiste donc à une situation où augmente la demande des biens et services, et en particulier ceux de la personne malade, tandis que les ressources déjà limitées diminuent avec la perte du revenu de la personne « nourricière » devenue malade. On comprend alors que les ménages, ayant un membre infecté, soient les premiers à être directement touchés par l'épidémie du VIH/SIDA.

79 Cf. Dictionnaire d'Économie et de Sciences Sociales, sous la direction de C.-D. Echaudemaison, Nathan, Paris, 1998, p. 281.

80 B.GUERRIEN, La théorie économique néoclassique, tome 1 : Microéconomie, La Découverte, Paris, 1999, p.11.

81 A.T. PRICE-SMITH, The Health of Nations, The Massachussetts Insitute of Technology Press, Cambridge, 2002, p. 83.

Au Rwanda, où plus de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, la situation des ménages affectés par le VIH/SIDA se révèle encore plus dramatique.

En milieu rural, qui abrite environ 85% de la population rwandaise, les ménages sont non seulement confrontés aux difficultés de la vie quotidienne comme le manque d'accès à l'eau potable et aux infrastructures sociales de base, mais, en cas de maladie d'un de leurs membres, ils doivent encore faire face aux coûts de santé. Bien plus, comme le SIDA affaiblit progressivement la personne infectée, il la rend, après un certain temps, inapte au travail. Et, dans les zones rurales, il s'agit souvent du travail agricole intensif que le malade ne peut plus, à moyen terme, soutenir. Ainsi, avec la diminution graduelle de ses forces, la personne malade devient finalement incapable de subvenir aux besoins de sa famille et de sa communauté. Avec le déclenchement du SIDA, au contraire, c'est le ménage qui, alors qu'elle est, par ce fait même, privé de revenus, doit aussi consentir à des nouvelles dépenses pour soigner les infections opportunistes de son membre malade. De la sorte, ces familles déjà pauvres subissent deux formes de privation qui aggravent leur pauvreté : la perte du travail du membre malade et la perte des épargnes ou des ressources dont elles disposaient pour faire face aux besoins domestiques ordinaires et qui augmentent avec la prise en charge de la personne malade du SIDA.

Devant ces nouvelles contraintes dues à l'infection du VIH/SIDA, les choix pour l'allocation des ressources dont dispose encore le ménage se trouvent aussi limités, car il y a des besoins plus urgents auxquels il faut satisfaire. Le coüt d'opportunité, c'est-à-dire la quantité des biens et services auxquels il faut renoncer pour obtenir un autre bien ou service82, devient très élevé. Les ménages se trouvent, par exemple, devant un dilemme : ou continuer à envoyer les enfants à l'école ou les garder à la maison pour assurer le travail agricole que la personne malade ne peut plus assurer ; ou encore renoncer à travailler pour prendre soin du malade qui progressivement devient totalement dépendant, en particulier dans la phase terminale de la maladie.

Les coûts liés à la prise en charge de la personne malade sont souvent très élevés, et, en cas de décès, il faut y ajouter les frais des funérailles. A cause de leur pauvreté, plusieurs ménages n'arrivent pas souvent à faire face à ces dépenses et doivent ou vendre une partie de leur patrimoine ou contracter des dettes qui seront dans la suite très difficiles à

82 S.FISCHER, R. DORNBUSCH, R. SCHMALENSEE, Economia, HOEPLI, Milano, 1992, p. 12.

rembourser. Une étude, menée par l'ONUSIDA au niveau du Rwanda83, révèle cette situation dramatique des ménages. Elle constate la difficulté, et même l'impossibilité, pour la majorité des ménages ayant des membres vivants avec le VIH/SIDA, de satisfaire leurs besoins de nourriture, de logement, d'éducation et d'habillement84. Après avoir relevé que les familles ayant des membres séropositifs en leur sein sont confrontés à des sérieux défis quant à leur bien-être, la même étude précise que, en plus du poids des dépenses pour les médicaments et traitements des infections liés au VIH/SIDA, plusieurs familles affrontent difficilement la contrainte de la perte de revenu due aux jours de travail perdus soit par le membre infecté soit par le membre de famille qui doit prendre soin du malade (absentéisme).

Ce qui alourdit encore davantage le poids des dépenses liées aux personnes vivant avec le VIH/SIDA dans les ménages, c'est que ces dépenses sont supportées, pour la grande partie, par des fonds privés, et donc, en général, par les familles elles-mêmes. En effet, d'après l'étude de l'ONUSIDA, plus de 90% des fonds alloués à la prise en charge des personnes vivant avec le VIH, proviennent des sources privées. Cela veut dire que la possibilité pour un ménage, qui a des membres séropositifs en son sein, d'affronter les dépenses liées à leur prise en charge, dépend souvent entièrement de ses propres ressources. Or, en tenant compte de la pauvreté de plusieurs de ces ménages, l'étude de l'ONUSIDA au Rwanda a révélé que seulement 28% des ménages étaient capables de faire face à ces coûts à partir de leurs propres ressources, tandis que 72% ne pouvaient pas payer les soins de santé par eux-mêmes. Ces derniers ménages se sont résolus à chercher d'autres sources de financement dont l'assistance financière, l'emprunt ou la vente du patrimoine familial85.

L'on peut voir, par là, qu'il existe une grande inégalité dans la possibilité de faire face aux différents coüts qu'implique le VIH/SIDA pour une simple famille rwandaise. L'étude de l'ONUSIDA, à laquelle nous continuons à nous référer, estime les dépenses en soins de santé par malade séropositif en moyenne à 63$US par an ; elle indique que les résidants du milieu urbain dépensent plus que ceux des zones rurales, que les hommes

83 UNAIDS, Paying for HIV/AIDS services. Lessons from National Health Accounts and community-based health insurance in Rwanda 1998-1999, UNAIDS Best practice collection, Geneva, September 2001.

84 Ibid., p. 8.

85 Ibid., p. 7.

dépensent deux fois plus que les femmes et que ceux qui vivent en milieu urbain visitent les centres de santé plus de 10 fois que ceux qui habitent en milieu rural86. Cette inégalité d'opportunité peut s'expliquer, probablement, par le manque des ressources financières et par le peu d'infrastructures sanitaires dont disposent les milieux ruraux. Ces dernières considérations prouvent également que l'impact de l'épidémie sur les familles est davantage plus lourd dans des zones rurales et sur les femmes. Et pourtant, les zones rurales constituent, en plus de leur importance en population, le grenier de l'économie nationale qui repose essentiellement sur l'agriculture avec 41% du Produit Intérieur Brut et environ 80 % du total des exportations87. De leur côté, les femmes constituent plus de la moitié de la population rwandaise et sont nombreuses à la tête des ménages. Ce dernier phénomène est surtout la conséquence du génocide de 1994, qui a laissé plusieurs familles monoparentales, essentiellement dirigées par les femmes et dont 60% sont sans revenus et sans soutien88.

Jusqu'ici, nous avons parlé de l'impact direct que le SIDA a sur les ménages ayant au moins un membre infecté. Nous allons maintenant considérer brièvement ses conséquences indirectes mais réelles pour les ménages qui sont en relation avec la famille d'une personne infectée. Les retombées du SIDA s'étendent en effet au-delà du cercle familial directement concerné par la maladie. Plusieurs familles sont indirectement touchées. Il y a celles, par exemple, qui doivent prendre soin des orphelins laissés par le malade décédé du SIDA, aider dans les soins de santé et les frais des funérailles, intervenir pour pallier au manque créé par la disparition du travailleur malade du SIDA89. En particulier, la famille élargie est souvent obligée de prendre en charge les orphelins laissés par leurs parents décédés à cause du SIDA. Souvent, ces familles élargies, outre le fait qu'elles sont déjà pauvres, sont composées des personnes âgées, parents de la personne défunte et qui, elles-mêmes, dépendaient, pour vivre, de l'aide de leur fils ou fille décédé. Ainsi, en dépit de ses ressources limitées ou inexistantes, la famille élargie est confrontée à son obligation d'assurer la survie des orphelins et même de la veuve laissée par son

86 Ibid., p.6.

87 Cf. MINISTERE DES FINANCES ET DE LA PLANIFICATION ECONOMIQUE, Le Rwanda en Chiffres, Edition 2001.

88 COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS), Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006, Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002, p. 51.

89 Cf. A.T. PRICE-SMITH, The Health of Nations, The Massachussetts Insitute of Technology Press, Cambridge, 2002, p. 83.

conjoint. La perte d'un membre de famille signifie aussi, pour le ménage et la communauté, une perte en ressources humaines en tant que le défunt représente une expérience non transmise et un capital social perdu. Nous le verrons davantage au niveau des différents secteurs de l'économie, en particulier au niveau de l'agriculture.

Faisons le point à ce niveau. L'impact du VIH/SIDA sur le ménage s'atteste particulièrement par la perte de revenus du membre infecté qui entraîne une baisse de revenus de toute la famille et qui rend ainsi plus limitées l'épargne et la consommation de celle-ci. La présence d'un membre infecté par le VIH/SIDA comporte des coüts élevés pour le ménage qui dispose souvent des ressources déjà très limitées et qui se voit parfois contraint à vendre son patrimoine ou à contracter des dettes. Les coüts se font d'ailleurs plus élevés avec la progression de l'infection car, très vite, la personne infectée devient totalement dépendante des autres membres de la famille, qui doivent affronter un coût d'opportunité élevé pour faire face aux différents besoins de la personne malade et, en cas de décès, aux dépenses des funérailles. Les autres ménages sont aussi affectés de manière indirecte, car ils doivent prendre en charge les orphelins ou la veuve, ou encore les dépenses liées à la perte du membre de la communauté infectée par le VIH/SIDA. A un niveau micro, ces coûts sont souvent énormes pour des familles déjà très pauvres et souvent monoparentales. La croissance de la pandémie de VIH/SIDA dans les milieux ruraux laisse entrevoir que, si rien n'est fait, l'impact au niveau des ménages pourrait être encore plus catastrophique en s'étendant au niveau macroéconomique, qui est l'agrégation de la production de ces agents de base de l'économie que sont les ménages.

1.2 Les différents secteurs

1.2.1. L'agriculture

Le Rwanda, comme nous l'avons déjà noté, est un pays essentiellement agricole, que ce soit au niveau de l'occupation ou celui de l'activité économique. Il dépend en particulier de l'exportation du thé et du café qui constituent, à eux seuls, plus de 50% des exportations nationales. Le Rwanda dépend donc de son secteur primaire, qui est caractérisé par des activités du type « work intensive », c'est-à-dire qui emploie une grande main d'oeuvre, la mécanisation étant encore fort limitée. On comprend alors que ce secteur a besoin de beaucoup de personnes, des personnes en bonne santé !

Particulièrement concentré dans les milieux ruraux qui sont habités par plus de 80% de la population, ce secteur se trouve menacé directement par l'ampleur que prend l'épidémie du VIH/SIDA. Comme nous l'avons vu dans le premier chapitre, la population séropositive en milieu rural est en croissance et le taux de prévalence y est passé de 1,7% en 1986 à 10,8% en 1997. Le faible acces à l'information et aux infrastructures sanitaires adéquates, la grande mobilité des populations ces dernières années, ainsi que le phénomène nouveau de « l'exode urbain » ou le retour des personnes malades du SIDA dans leurs villages, peuvent justifier l'ampleur du VIH/SIDA dans ces milieux longtemps restés à l'abri de l'épidémie.

Comme nous le faisions remarquer dans le point précédent, le milieu rural constitue la base de l'économie nationale. En 2000, ce secteur a rapporté, à lui seul, 41% du PIB et plus de 70% des recettes d'exportations avec notamment le thé et le café. Pour la même année 2000, le secteur primaire se basait à 83% sur les cultures vivrières, à 9% sur l'élevage, à 4% sur les forêts, à 3% sur les cultures d'exportations (en particulier le café et le thé) et à 1% sur la pêche.

Avec la hausse du taux de prévalence du VIH/SIDA dans ces milieux où s'effectue cette agriculture intensive, c'est toute l'économie du pays qui est menacée. D'après les estimations de la FAO (Organisation internationale pour l'agriculture et l'alimentation), Le SIDA a déjà emporté environ 7 millions d'agriculteurs depuis 1985 dans 25 pays les plus frappés par l'épidémie en Afrique dont le Rwanda. La FAO estime aussi que, pour ces mêmes pays, l'épidémie pourrait causer une perte qui irait jusqu'à 26% de la force de travail agricole au cours des 20 prochaines années90. Ceci signifie que le VIH/SIDA menace sérieusement la sécurité alimentaire présente et future de ces pays à forte prévalence du VIH, en diminuant le nombre de travailleurs agricoles et leur productivité. Bollinger et Stover, dans leur recherche sur l'impact économique du SIDA au Rwanda91, constataient que dans des pays où la sécurité alimentaire a toujours été un problème, en partie, à cause de la sécheresse, une diminution dans la production agricole peut avoir des conséquences néfastes pour l'approvisionnement de toute la population. De plus, ajoutaient-ils, la diminution de travailleurs agricoles pourrait pousser ceux qui restent à changer d'activités économiques en passant à des cultures qui demandent un travail moins

90 Cf. FAO, HIV/AIDS, food security and rural livelihoods, World Food Summit, 10-13 June 2002.

91 L. BOLLINGER, J. STOVER, The Economic Impact of AIDS in Rwanda, September 1999.

intensif. Le SIDA pourrait donc ainsi affecter, d'une part, la production des cultures d'exportations qui, en général, exigent un travail intensif et, d'autre part, l'importance de la production vivrière qui occupe la grande partie de la population rurale92. Une autre étude prospective de l'impact du SIDA sur le système agricole au Rwanda, réalisée en 198993, allait dans le même sens. Elle prévoyait qu'un des rapides effets de la diminution du travail agricole à cause du SIDA serait la réduction voire la cessation de la production des cultures d'exportation comme le café94.

Si l'on en juge par les statistiques concernant le café, il y aurait lieu de croire que ce scénario catastrophique est en train de se réaliser. La production du café connaît, en effet, une diminution qui a pour conséquence la baisse des revenus associés à son exportation. Les récentes statistiques de l'OCIR-Café95 montrent une réduction de la production du café au niveau national : elle est passée de 21 952 tonnes en 1995 à 14 830 tonnes en 1997 avant de connaître une légère hausse en 2000 avec 16 098 tonnes. Du côté des exportations, la chute est encore plus significative : en 1990, les exportations de café rapportaient 65,7 millions de $US, en 1998 28,1 millions de $US, et seulement 22,5 millions de $US en 200096. Ces données pourraient plaider en faveur des prévisions de Gillespie sur la réduction des cultures d'exportation comme le café à cause de l'épidémie du VIH/SIDA. Cependant, les statistiques sur la production du thé vont dans le sens contraire, et nous font croire que la diminution de la production du café ainsi que celle des revenus associés à son exportation, ne sont pas à attribuer à l'épidémie du VIH/SIDA. Mais il nous semble que l'on ne peut pas, non plus, exclure toute corrélation entre la chute de la culture du café et la progression du VIH/SIDA au Rwanda. Comme la culture du café requiert beaucoup de travailleurs, ces derniers pourraient avoir diminué à cause du SIDA, entraînant ainsi une baisse de la production et une réduction des revenus associés à cette production. L'augmentation de la production du côté thé semble donc prouver que les raisons de la récession dans la culture du café sont ailleurs, notamment dans la chute des prix sur le marché mondial. Le thé est devenu en 2000 la première source de revenus

92 Cf. Ibid, p. 5.

93 S. GILLESPIE, «Potential Impact of AIDS on farming systems: a case-study from Rwanda», in Land Use Policy, October 1989, pp. 301-312.

94 Ibid., p. 312.

95 Cf. MINISTERE DES FINANCES ET DE LA PLANIFICATION ECONOMIQUE, Le Rwanda en Chiffres, Edition 2001, p. 19.

96 Ibid., p. 26.

d'exportations au Rwanda, dépassant ainsi pour la premiere fois le café. Les statistiques de l'OCIR-Thé97 parlent d'elles-mêmes : la production du thé noir en 1996 était estimée à 9 057 579 kg, elle est passée à 13 239 399 kg en 1997, et à 14 481 248 kg en 2000. Du côté des revenus d'exportations, en 1990 le thé rapportait 21 millions de $US, 22,9 millions en 1998 et 24,3 millions en 200098. Il nous semble que seule une étude plus spécifique pourrait évaluer et estimer le véritable impact du VIH/SIDA sur les cultures d'exportation, en particulier sur la baisse de production du café ; cela suppose bien sür qu'il y ait des données actualisées sur la mortalité des travailleurs de ce secteur ainsi que sur la cause de leur décès. Peut-être qu'avec des structures organisées comme l'OCIR-Café et l'OCIR-Thé cela pourrait être assez facile à vérifier. Nous ne tirons donc aucune conclusion à ce sujet et nous estimons seulement qu'une étude, comme celle suggérée précédemment, ferait davantage de lumière sur la menace réelle du VIH/SIDA et son impact sur les cultures d'exportations dont dépendent principalement les revenus de l'économie nationale.

Quoi qu'il en soit, la forte progression de l'épidémie en milieu rural (11% de taux de prévalence dans la population adulte selon l'enquête de 1997, soit une progression de 9% en 9 ans), laisse présager des pertes significatives en travailleurs agricoles pour les années à venir. Une action pour stopper l'épidémie du VIH/SIDA s'avère donc nécessaire et urgente pour éviter une catastrophe économique et garantir la sécurité alimentaire des populations déjà pauvres.

1.2.2. L'Industrie

Le secteur industriel n'est pas très développé au Rwanda. Il est caractérisé par des activités de manufactures (textiles, meubles, boissons, impression, tabac, alimentaires, produits chimiques, etc.) qui constituent 52% des activités de ce secteur appelé secondaire. Les activités de construction classées dans ce même secteur constituent 44% des activités, l'électricité, le gaz et l'eau 3% tandis que les Mines et carrières 1%. L'industrie rapporte 19% du PIB (selon les statistiques de l'année 2000)99 et occupe environ 24 603 personnes, dont 2 174 femmes (pour l'année 1999)100. Comme le montrent ces données sur

97 Ibid., p. 20.

98 Ibid., p. 26.

99 Cf. MINISTERE DES FINANCES ET DE LA PLANIFICATION ECONOMIQUE, Indicateurs de développement du Rwanda 2001, Juillet 2001, p. 61.

100 MINISTERE DES FINANCES ET DE LA PLANIFICATION ECONOMIQUE, Le Rwanda en Chiffres, Edition 2001, p. 22.

l'occupation, un pourcentage tres réduit de la population rwandaise travaille dans ce secteur, environ 2% de la population active. Cela est dü en partie au type d'activités qui sont « capital intensive » et qui utilise donc une forte mécanisation et une faible main d'oeuvre. Ces données confirment aussi le faible développement que connaît ce secteur pour l'ensemble du pays ; les industries demeurent encore concentrées dans les centres urbains où ne vivent qu'environ 15% de la population rwandaise. En effet, selon une analyse régionale, rapportée par le Ministère des finances et de la planification, la plupart des établissements de ce secteur opèrent dans la région de Kigali, suivi de Butare et Gisenyi. En considérant le peu de personnes employées dans ce secteur de l'économie nationale, l'épidémie du VIH/SIDA serait elle alors négligeable ?

Les grands centres urbains, comme ceux mentionnés ci-dessus, enregistrent aussi les taux les plus élevés de prévalence du VIH/SIDA. Selon les estimations de 1997, le taux de prévalence du VIH dans la population urbaine âgée entre 25 et 44 ans se situe au dessus de 20%. Ce fait laisse supposer que l'épidémie connaît également une forte expansion dans la population citadine active, de laquelle proviennent les travailleurs des différentes industries du pays. Il n'y a aucun doute, nous semble-t-il, que ce secteur est aussi touché et/ou menacé par l'épidémie du VIH/SIDA, bien que nous ne disposions pas des données sur la productivité de ces dernières années ainsi que sur la mortalité des travailleurs à cause du SIDA pour établir les corrélations opportunes. S'il était vérifié qu'un pourcentage important des travailleurs de ce secteur vivent avec le VIH/SIDA, alors cela entraînera des coûts supplémentaires pour les entreprises, tandis que le rendement diminuera même si ces entreprises dépendent beaucoup des machines.

Ces coûts peuvent être directs et indirects. Une entreprise, qui connaît une prévalence relativement haute du VIH parmi ses employés, se trouvera confrontée de façon directe à une hausse de ses dépenses pour les soins médicaux des travailleurs infectés, à une perte progressive de sa productivité provenant de l'absentéisme et de l'affaiblissement des travailleurs et aux dépenses liées au décès des travailleurs comme les frais de funérailles. De façon indirecte, l'entreprise devra affronter avec le décès des travailleurs, des coûts pour leur remplacement.

Les coûts liés au remplacement des travailleurs décédés, peuvent être encore plus importants lorsqu'il s'agit de substituer un employé hautement qualifié comme peut l'être un ingénieur. Ces personnes sont déjà rares dans le pays et, même au niveau de la formation dans les instituts supérieurs spécialisés, les étudiants pouvant travailler dans l'avenir dans ces filières ne sont pas nombreux. La perte d'un travailleur qualifié, comme par exemple dans le domaine de l'eau, entraînerait non seulement une perte pour l'entreprise, mais aussi pour tout le pays, et l'impact dépasserait largement le seul secteur secondaire. On pourrait multiplier les exemples de ce genre, mais nous pensons que ceux que nous avons cités donnent suffisamment l'idée des coüts énormes que représenterait la contamination d'un travailleur expérimenté dans ce secteur et illustrent, en même temps, que le VIH/SIDA constitue effectivement une menace réelle pour la productivité et le développement du secteur industriel. Aussi les entreprises ont-elles intérêt à combattre l'expansion de l'épidémie pour protéger leurs travailleurs et leur niveau de production ; il en va de leur efficacité et efficience. Ceci est d'autant plus crucial que le pays compte beaucoup sur ce secteur pour son développement économique comme il compte sur les différents produits vivriers qu'une modernisation de l'agriculture et une transformation industrielle accroîtrait et rendrait plus compétitifs sur le marché international.

Il nous semble aussi qu'une attention particulière devrait être portée aux PME (Petites et Moyennes Entreprises) qui ont l'avantage de pouvoir s'étendre plus facilement en milieu rural. Etant de plus petite dimension, elles sont aussi les plus menacées lorsque quelques uns de leurs travailleurs sont infectés par le VIH.

1.2.3. Les services

La production des services correspond grosso modo au secteur tertiaire de l'économie. Les économistes entendent par services, toute prestation en travail directement utile pour l'usager sans transformation de la matière101. Ce secteur est en train de prendre plus d'importance dans l'économie rwandaise, à travers le développement du commerce de gros et de détail, les restaurants et les hôtels, le transport et les moyens de communications, les entreprises d'assurances, les institutions bancaires, l'administration publique et les institutions sans but lucratif (asbl). Ce secteur, qui emploie environ 7% de

101 Cf. Dictionnaire d'Économie et de Sciences Sociales, sous la direction de C.-D. Echaudemaison, Nathan, Paris, 1998, p. 396.

la population102, a produit, à lui seul, 40% du PIB pour l'année 2000, concurrençant sérieusement le secteur agricole (41%) qui emploie la majorité de la population active. Le secteur des services, malgré son développement, demeure aussi, comme le secteur industriel, essentiellement basé dans les grandes villes du pays. Ces milieux urbains, où, comme déjà mentionné dans le point précédant, l'épidémie du VIH/SIDA est plus répandu, en particulier dans la population jeune et active. On comprend donc le risque qu'il représente pour ce secteur prometteur de l'économie nationale.

Ce secteur utilise aussi du personnel hautement qualifié, en particulier dans certains services comme les institutions bancaires, les entreprises de communication, l'informatique et l'administration publique. Tous ces différents services ont besoin d' experts dans plusieurs domaines. Une expansion de l'épidémie du VIH/SIDA parmi cette population tellement indispensable au fonctionnement des institutions économiques et sociales du pays, représenterait des pertes énormes pour ce secteur et pour tout le pays dans son ensemble. L'impact consisterait, ici aussi, en des coüts supplémentaires pour les soins médicaux des employés malades, des coûts de recrutement et de remplacement des travailleurs qualifiés malades ou décédés, la perte de productivité pendant la période de maladie et, en cas de décès, la perte de leur savoir-faire.

En général, on peut reprendre ici ce qui a été dit à propos des travailleurs et des entreprises dans le secteur industriel. La différence est toutefois que le secteur des services, malgré l'utilisation des nouvelles technologies de communication, continue à nécessiter d'un personnel important car la mécanisation ne peut y remplacer qu'une partie des services. Bien que le personnel de ce secteur soit numériquement inférieur au personnel engagé dans l'agriculture, il est cependant plus qualifié et nécessite une longue préparation professionnelle, comme par exemple pour les médecins, les avocats, les banquiers et autres techniciens. Il est évident par conséquent que leur diminution, à cause du SIDA, coûterait cher au pays.

102 Cf. COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS), Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006, Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002, p. 19.

2. Au niveau macroéconomique

La macroéconomie est la partie de l'économie qui s'intéresse aux quantités globales agrégées que ce soit au niveau régional, national ou continental. Elle s'occupe aussi des relations commerciales entre pays. Elle a en général pour but d'éclairer la politique économique d'un pays donné103. Comme cela est suggéré par le nom, « la macroéconomie adopte donc d'emblée un point de vue global, « macro » ; elle raisonne sur des indicateurs d'ensemble, ou agrégats, qui intéressent l'économiste pour une raison ou pour une autre104. »

Au niveau macroéconomique, le Produit National Brut, valeur totale de la production de l'économie pour une période donnée (généralement une année), est largement utilisé comme mesure fondamentale des résultats d'une économie dans la production des biens et services105 ; certains l'utilisent même comme indicateur du niveau de bien-être d'une nation. La valeur du PNB est obtenue en faisant la somme de ses différentes composantes: consommation des privés, investissements, dépenses de l'administration publique et exportations nettes qui sont la différence entre les exportations et les importations nationales. Sous forme d'équation, appelée équation Keynésienne, le PNB = C + I + G + NX.

Nous partirons des composantes de cette équation pour les différents points que nous allons analyser dans cette partie macroéconomique. Nous verrons d'abord l'impact du VIH/SIDA sur le revenu national et, en particulier, sur la consommation privée (C). Nous envisagerons ensuite son impact sur les investissements (I). Nous considérerons, en troisième lieu, les conséquences de l'épidémie pour les dépenses de l'État (G) en portant une attention particulière aux secteurs de l'éducation, de la santé, et à la politique fiscale. Nous déterminerons, en quatrième lieu, les effets de la maladie sur les exportations nettes (NX). Et, dans un dernier point, nous ferons la synthèse de cette partie macroéconomique en voyant l'impact du VIH/SIDA sur le Produit Intérieur Brut (PIB) que nous préférerons au PNB.

103 Cf. Dicionnaire d'Économie et de Sciences Sociales, sous la direction de C.-D. Echaudemaison, Nathan, Paris, 1998, p. 262.

104 B.GUERRIEN, La théorie économique néoclassique, tome 2 : Macroéconomie, théorie des jeux, La Découverte, Paris, 1999, p.6.

105 S.FISCHER, R. DORNBUSCH, R. SCHMALENSEE, Economia, HOEPLI, Milano, 1992, p. 769.

2.1. Le revenu national

Le revenu national est le revenu total reçu des propriétaires des facteurs de production : travail, capital et terre106 (on a désormais tendance à ajouter aussi la technologie parmi les facteurs de production). Ce revenu global de la nation se décompose principalement en revenu des ménages et revenu des entreprises107. Nous avons déjà vu, dans la partie microéconomique, l'impact de l'épidémie du VIH/SIDA sur les ménages et les entreprises des différents secteurs. Nous avons vu, en particulier, que la croissance de l'épidémie affecte sérieusement les revenus de ces deux entités. Comme les ménages dépendent souvent des revenus d'un ou deux membres de famille, la contamination de ces derniers ainsi que leur décès entraînent une baisse significative des revenus de leurs familles. De même les entreprises enregistrent une perte des revenus associés à la diminution de la productivité des travailleurs atteints par le VIH/SIDA et aux coûts supplémentaires qu'elles doivent payer (augmentation des dépenses pour les soins médicaux et pour le recrutement d'un remplaçant).

Au niveau global de l'économie, si l'on fait la somme de la perte des revenus que les ménages aussi bien que les entreprises ont encourue à cause de l'épidémie du VIH/SIDA, on se rend compte aussi de la diminution accusée par le revenu national dans son ensemble. Ce raisonnement simple et hypothétique pourrait être malheureusement entrain de se vérifier même si des statistiques et données macroéconomiques récentes ne le laissent pas transparaître, comme le montre, par exemple, le tableau suivant portant sur les dépenses pour la consommation des privés.

Années

1998

1999

2000

Consommation privée (C) en millions de Frw108

463 559

474 460

467 661

Source : Ministère des Finances et de la Planification économique, Direction de la statistique

106 Ibid., p. 774.

107 Cf. Dicionnaire d'Économie et de Sciences Sociales, sous la direction de C.-D. Echaudemaison, Nathan, Paris, 1998, p. 381.

108 Frw: sigle utilisé pour la monnaie nationale, le Franc rwandais. Les statistiques rapportées ici, sont établis en millions de Francs rwandais calculés aux prix constants de l'année 1995. Pour le reste des données que nous reporterons en Francs rwandais (Frw), nous utiliserons les données de la direction de statistique du Ministère des Finances et de la Planification économique (MINECOFIN), que nous supposons actualisés, ainsi nous nous permettrons de faire des comparaisons entre différentes années, assumant que les valeurs ont été actualisées.

Ces données des années successives à l'enquête de 1997 sur la situation de l'épidémie du VIH/SIDA au Rwanda, ne nous permettent pas, en effet, de démontrer une quelconque corrélation négative entre la progression du VIH/SIDA et la consommation privée, car, à part une baisse enregistrée en 1999, la consommation privée a augmenté de 1998 à 2000. Faudrait-il alors penser qu'il existe une corrélation plutôt positive entre l'expansion du VIH/SIDA et l'augmentation des revenus des ménages et celui des entreprises, en relation avec la hausse de la consommation privée ? En d'autres mots, pouvons-nous établir que, plus le VIH/SIDA augmente, plus la consommation privée augmente aussi, parce que les revenus ont aussi augmenté ? A part peut-être le cas des entreprises qui oeuvrent dans le domaine du SIDA, comme les entreprises de commercialisation des préservatifs, Centres de dépistage ou quelques pharmacies et hôpitaux privés, nous pensons qu'on ne peut pas arriver à établir une corrélation positive et qu'une conclusion de ce genre est très peu probable.

En conclusion, même si nos données sont partielles et insuffisantes pour vérifier le lien véritable entre les deux variables, rien n'empêche, cependant, de penser que, avec l'expansion du VIH/SIDA, nous assisterons à la diminution du revenu national dans son ensemble comme résultat de la diminution des revenus des ménages et des entreprises, et que cela apparaîtra à long terme.

2.2. Les investissements

En économie, un investissement est une opération par laquelle un particulier ou une entreprise effectue l'achat ou la rémunération des facteurs de production (terre, capital, travail et technologie) en vue de renouveler ou accroître ultérieurement son stock de capital. En macroéconomie, l'investissement est considéré comme étant l'équivalent de l'épargne, c'est-à-dire que les revenus non consommés sont utilisés pour un accroissement ultérieur des revenus. Il faut préciser ici que cette égalité épargne/investissement vaut dans une économie dite fermée, c'est-à-dire qui n'entretient pas de relation commerciale avec l'extérieur. Dans une économie ouverte, par contre, en plus de l'épargne intérieur, il existe aussi des transferts des ressources provenant de l'étranger tels que les recettes des exportations et les investissements étrangers. Le Rwanda ayant une économie ouverte, nous tenterons de voir quel impact le VIH/SIDA pourrait avoir sur les investissements

financés par les nationaux ainsi que sur ceux provenant de l'extérieur. Nous le ferons partant des données relatives au budget national consolidé109, reportées ci-dessous.

Budget consolidé (en million de Francs rwandais actualisés)

Années

1990

1998

1999

2000

Recettes propres (en million de Frw)

21 583

66 045

63 865

68 626

Dons de l'extérieur (en million de Frw)

5 871

32 967

38 700

63 800

Recettes totales et dons (en millions de Frw)

27 454

99 012

102 565

132 426

Dépenses courantes (en millions de Frw)

31 118

75 345

87 055

89 622

Investissement par financement intérieur (en million de Frw)

2 210

2 500

5 300

1 458

Investissement par financement extérieur (en million de Frw)

10 443

39 747

35 500

42 000

Prêts nets

104

-161

-400

474

Dépenses totales (en million de Frw)

43 875

117 431

127 455

133 554

Source : Direction du budget, Ministère des Finances et de la Planification économique (MINECOFIN)

Dans le tableau rapporté ci-dessus, on constate toute de suite que le budget est déficitaire car les dépenses sont supérieures aux recettes, on constate par là même combien le budget national dépend énormément des financements extérieurs.

2.2.1. Les investissements nationaux

Les investissements nationaux sont financés en grande partie par l'extérieur comme le relève le tableau du budget national consolidé reporté précédemment. La part du financement intérieur est faible, il a même baissé en 2000, tandis que la part de financement extérieur a continué à augmenter, à part la baisse de 1999.

L'objectif des investissements, comme nous l'avons dit plus-haut, est celui de renouveler ou d'accroître le capital disponible. En macroéconomie, on considère que les investissements sont fonction du taux d'intérêt, c'est-à-dire qu'ils dépendent du profit que

109 Cf. MINISTERE DES FINANCES ET DE LA PLANIFICATION ECONOMIQUE, Le Rwanda en Chiffres, Edition 2001, p. 28.

l'emploi des ressources peut rapporter à l'investisseur. Or, l'expansion du VIH/SIDA, comme nous l'avons vu, comporte des coüts supplémentaires énormes pour les ménages et les entreprises ; il risque donc de décourager les investisseurs car les profits possibles deviennent incertains avec l'expansion de cette maladie. Au niveau intérieur, l'épidémie du VIH/SIDA devrait impliquer une augmentation des dépenses courantes en termes de transferts pour les soins des malades du SIDA, transferts aux ménages affectés par le VIH/SIDA, notamment aux veuves et aux orphelins, dépenses pour la mise en place d'une stratégie de lutte contre le SIDA, etc. Le financement intérieur, déjà faible, risque de se voir encore plus réduit pour d'éventuels investissements en d'autres secteurs tout aussi importants que la lutte contre le SIDA. Vu la croissance de l'épidémie et les risques que cela comporte pour les profits économiques, les financements de l'investissement provenant de l'extérieur pourraient aussi diminuer, car l'intérêt des bailleurs de fonds extérieurs pourrait se réduire en fonction de la perte de productivité due à l'épidémie. A moins que ces bailleurs de fonds extérieurs ne puissent être sensibles au défi apporté par le VIH/SIDA, comme l'est la Banque Mondiale110, et qu'ils continuent à financer le pays malgré le peu de profit prévisible avec l'épidémie du VIH/SIDA.

2.2.2. Les investissements étrangers

Les investissements directs à l'étranger (IDE)111 sont, à notre avis, plus à risque que les investissements nationaux. En effet, une fois obtenu le financement extérieur, les investissements nationaux peuvent se réaliser, car en général le gouvernement reste maître des décisions à prendre sur l'allocation des ressources disponibles. Au niveau des IDE, le problème est plus complexe, car ce sont les investisseurs étrangers qui directement achètent ou rémunèrent des facteurs de production locaux, en vue de réaliser des profits ; c'est notamment le cas des sociétés multinationales qui cherchent des marchés où peuvent fleurir leurs activités, et cela à moindre coûts. Comme ils ne cherchent normalement que leurs propres intérêts, ces entrepreneurs étrangers investissent difficilement dans un pays où le VIH/SIDA est en train de faire des ravages, à moins bien sür qu'ils offrent des produits en lien avec le traitement ou la lutte contre le SIDA (antirétroviraux, préservatifs, etc.). Mais, là aussi, le profit n'est pas assuré dans un pays comme le Rwanda, car, comme

110 Cf. THE WORLD BANK, Intensifying Action against HIV/AIDS in Africa, Responding to a Development Crisis, Washington, D.C, 2000. Voir aussi THE WORLD BANK, The Multi-Country HIV/AIDS Program for Africa (MAP), December 2002.

111 Engagements de capitaux effectués en vue d'acquérir un intérêt durable, voire une prise de contrôle, dans une entreprise exerçant ses activités à l'étranger, d'après le FMI.

le dit Andrew Smith : « les investisseurs rationnels chercheront à mettre leur capital dans des sociétés politiquement stables et économiquement productives112. » Une baisse des investissements étrangers serait lourde pour l'économie rwandaise qui en a beaucoup profité comme le rapporte cette rubrique de la balance des paiements.

2

Années

 
 

1

 
 

1

 
 
 

990

 

998

999

 

000

 

Investissements directs étrangers (en million de $US)

 

7

 
 

1

 

1

 

,7

 

,1

,7

 

6,2

 

Source : Ministère des Finances et de la Planification économique113.

Ici aussi les données disponibles, notamment les estimations pour l'année 2000, ne laissent pas entrevoir une chute de ces investissements directs étrangers à cause de l'expansion de l'épidémie du VIH/SIDA. Il est vrai qu'en 1999, on peut constater une baisse vertigineuse des IDE, mais par la suite, la reprise pour l'année 2000 est encore plus impressionnante ; rien ne peut donc être conclu ici également. Toutefois, il y a des facteurs qui expliquent cette hausse des investissements directs étrangers, notamment les privatisations ; celles-ci consistent au transfert du capital des entreprises publiques à des actionnaires privés pour la plupart étrangers. On ne pourrait donc pas dire que le SIDA a attiré les investisseurs étrangers ; à part les cas particuliers mentionnés précédemment, le mérite revient plutôt au gouvernement qui a entrepris ces privatisations.

2.3. Les dépenses publiques

Les dépenses publiques constituent l'ensemble des ressources économiques employées par l'État ou d'autres entités publiques en vue de produire des biens et services

112 A.T. PRICE-SMITH, The Health of Nations, The Massachussetts Insitute of Technology Press, Cambridge, 2002, p. 105.

113 Cf. MINISTERE DES FINANCES ET DE LA PLANIFICATION ECONOMIQUE, Le Rwanda en Chiffres, Edition 2001, p. 25.

pour la collectivité ou effectuer des transferts en faveur des citoyens du pays114. Les ressources pour ces dépenses proviennent en général du prélèvement fiscal, des bons du trésor115 ou des différents prêts qui constituent la dette publique. Ces ressources sont généralement employées dans différents secteurs publics comme la santé et l'éducation, elles sont aussi utilisées pour la distribution des revenus (salaires, subventions, transferts, etc.) et le contrôle du cycle économique. Le niveau et la composition des dépenses publiques reflètent les choix opérés par les autorités politiques et administratifs, l'évolution de la structure socioéconomique, les comportements des opérateurs économiques ainsi que ceux des citoyens116. Aux dépenses publiques est, en général, associée la politique fiscale du pays, par laquelle est financée la consommation publique à travers les impôts et les transferts aux citoyens nécessiteux (chômeurs, orphelins, indigents, personnes handicapées, etc.). Est aussi associée aux dépenses publiques l'intervention de l'État dans les différents secteurs économiques et sociaux, en particulier à travers les subventions.

Nous nous limiterons ici à voir le lien entre les dépenses associées aux secteurs de la santé et de l'éducation, et la menace posée par l'épidémie du VIH/SIDA. Nous ferons ensuite quelques considérations sur la politique fiscale et économique actuelle dans un contexte où le VIH/SIDA crée et aggrave la pauvreté.

2.3.1 Le secteur de l'éducation

Le développement du secteur de l'éducation constitue une priorité pour un pays en développement comme le Rwanda. L'éducation de la population permet de rendre efficiente les ressources humaines qui sont incontournables dans tout processus de développement, car comme disait Jean Bodin, économiste mercantiliste du 16ème siècle, « Il n'y a ni richesse ni force que d'hommes ».

Pour arriver à combattre l'analphabétisme, estimée en 2000 à environ 33%117, et faire face à l'insuffisance des infrastructures d'éducation, le gouvernement devrait allouer des ressources importantes à ce secteur. Un effort remarquable a été réalisé ces dernières années par le gouvernement rwandais avec l'augmentation de sa part des dépenses

114 Cf. L'Enciclopedia dell'Economia, Istituto Geografico De Agostani, Novara, 1998, p. 813.

115 Les Bons du trésor sont des titres émis par le Trésor public et destinés à opérer un financement à court terme.

116 Cf. L'Enciclopedia dell'Economia, Istituto Geografico De Agostani, Novara, 1998, p. 813.

117 Cf. BANQUE AFRICAINE DE DEVELOPPEMENT (BAD), Rapport sur le Développement en Afrique 2001. Renforcement de la bonne gouvernance en Afrique, Economica, Paris, 2001, p. 249.

publiques destinées à l'éducation nationale. Le gouvernement a pu ainsi démontrer l'importance qu'il accorde à la promotion de l'éducation dans tout le pays. Les statistiques qui suivent l'illustrent éloquemment.

Dépenses pour l' éducation118

Années

1997

1998

1999

2000

Dépenses du gouvernement pour l'éducation (en million de Frw)

10

865

11

937

12

448

23

650

Dépenses publiques pour l'éducation (en % du PIB)

1,9

 

1,9

 

2,0

 

3,5

 

Dépenses publiques pour l'éducation (en % du budget)

17

 

21

 

20

 

30

 

Dépenses publiques par étudiant (en $US)

23

 

27

 

26

 

42

 

Source : Ministère de l'Educaion et Ministère des Finances et de la Planification économique .

118 Cf. MINISTERE DES FINANCES ET DE LA PLANIFICATION ECONOMIQUE, Le Rwanda en Chiffres, Edition 2001, p. 11.

L'épidémie du VIH/SIDA, comme nous l'avons vu dans le premier chapitre, frappe particulièrement les populations jeunes ; parmi celles-ci se retrouvent en particulier les étudiants et la majorité des professeurs. Vu la vulnérabilité de la population estudiantine et celle chargée de la formation, le secteur de l'éducation se voit aussi sérieusement menacé par l'expansion du VIH/SIDA.

Dans ce secteur, comme dans ceux étudiés au niveau microéconomique, les coûts liés au VIH/SIDA sont énormes pour les particuliers et les différents établissements. Ici les coûts retombent particulièrement sur le gouvernement qui dépense et investit beaucoup pour l'amélioration de ce secteur. En plus des investissements importants que le gouvernement perdrait avec l'expansion de l'épidémie du VIH/SIDA dans la population estudiantine, des dépenses supplémentaires s'ajouteraient aussi pour le remplacement des enseignants et le soutien de la scolarisation des orphelins laissés par les parents décédés du SIDA.

Ces coûts seraient pesants pour un pays comme le Rwanda qui compte déjà une forte population orpheline suite au génocide de 1994, et il faut reconnaître que le gouvernement fait déjà un gros effort pour soutenir cette population orpheline à travers les transferts effectués par le FARG (Fonds d'Assistance aux Rescapés du Génocide). Avec l'expansion du VIH/SIDA, les orphelins sont en train d'augmenter, et L'État se trouve dans une situation encore plus compliquée où il doit intervenir pour assurer un minimum de vie décente et l'éducation nécessaire aux orphelins laissés par le génocide et ceux laissés par le SIDA. On compte aujourd'hui environ 400.000 orphelins au Rwanda, dont 95.000 orphelins du SIDA119.

Le gouvernement, qui est déjà confronté à plusieurs situations dans laquelle il doit intervenir, doit aussi affronter le problème de la diminution des enseignants, qui ne sont pas faciles à remplacer. Comme le constate le Ministère chargé des finances et de la planification économique dans son rapport 2001, « L'épidémie du VIH/SIDA a un impact négatif sur le secteur de l'éducation réduisant ainsi le nombre d'enseignants qui deviennent malades ou qui meurent, et place le poids de la responsabilité sur les

119 Cf. COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS), Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006, Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002, p. 23.

élèves120. » Le vide laissé par le décès d'un professeur est d'autant plus important qu'en général, un enseignant s'occupe de la formation de plusieurs élèves, et, avec sa disparition, les conséquences retombent aussi sur les élèves qui perdent ainsi leur formateur.

Vu la forte menace et les coüts énormes que l'expansion de l'épidémie peut comporter pour ce secteur essentiel au développement du pays, il nous semble urgent qu'un programme spécifique de lutte contre le SIDA soit envisagé dans ce secteur et financé par le gouvernement dans le cadre du budget alloué à l'éducation nationale, programme qui inclurait l'information et la communication sur le VIH/SIDA dans le curriculum scolaire. Dans une logique purement économique, nous estimons qu'il s'agirait là d'un moyen de diminuer les risques et garantir l'efficacité des investissements et des dépenses importants que l'État fait en matière d'éducation.

2.3.2 Le secteur de la santé

Le secteur de la santé constitue également un secteur clé pour le développement et le bien-être général de toute la population. La bonne santé de la population est une condition sine qua non à toute activité économique car sans hommes sains on ne peut rien envisager en termes de production, distribution et consommation des biens et services en vue de la satisfaction des besoins de la société. Mais pendant longtemps, au niveau international, la dimension santé n'a pas été prise en considération comme un élément essentiel pour le développement d'une nation. C'est seulement au début des années 1990 que le PNUD a intégré, dans son nouvel indicateur du développement humain (IDH), la dimension santé à côté du niveau d'éducation et du traditionnel PIB per capita (Produit Intérieur Brut par habitant). En effet, les institutions financières internationales, notamment le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale, ne considéraient que la croissance du PIB par habitant comme indicateur du développement d'une nation. Ils ont souvent négligé les aspects qualitatifs du développement comme l'éducation, la santé et les droits humains. Le PNUD a tenté de remédier à cette situation à travers l'IDH, un indice composite qui, en plus de la croissance du PIB par habitant, prend en compte le taux d'alphabétisation et l'espérance de vie à la naissance. C'est en particulier l'espérance de

120 MINISTERE DES FINANCES ET DE LA PLANIFICATION ECONOMIQUE, Indicateurs de développement du Rwanda 2001, Juillet 2001, p. 291.

vie à la naissance qui mesure les conditions générales des populations, notamment les conditions sanitaires.

L'espérance de vie au Rwanda est continuellement en baisse depuis les années 1970. Elle était estimée à 44,6 ans entre 1970 et 1975, et 20 ans après, pour la période allant de 1995 à 2000, elle est estimée à 39,4 ans121. Cette baisse de l'espérance de vie à la naissance est en partie due à la guerre et au génocide de 1994, mais aussi à la progression du VIH/SIDA avec ses conséquences directes sur la santé de la population. Une étude de la corrélation existante entre l'expansion du VIH/SIDA au Rwanda et la diminution de l'espérance de vie à la naissance, est en effet positive, montrant clairement, comme cela est d'ailleurs prévisible, que l'épidémie du VIH/SIDA a sérieusement détérioré les conditions sanitaires au Rwanda. En témoigne aussi l'analyse faite par Véronique Mugisha, directrice du service d'épidémiologie et d'hygiene publique au Ministère de la santé, qui constate qu'en 1990, les lits d'hôpitaux étaient occupés à 40% par des malades du SIDA et que, en 2000, au CHK de Kigali, le pourcentage est passé à 80%122. Le secteur de la santé est pratiquement dépassé par la croissance de l'épidémie du VIH/SIDA et ne peut y faire face seul. Et, du côté du gouvernement, la réponse, notamment à travers l'allocation des ressources supplémentaires au secteur sanitaire pour faire face à cette situation d'urgence, semble encore très timide. Voyons de manière synthétique, l'évolution des dépenses publiques en matière de santé au cours de la dernière décennie.

Années

 

1

 

1

 

1

 

2

 

990

 

995

 

999

 

000

 

Dépenses de santé en million de Frw (valeur actualisée)

 

1

 

1

 

3

 

3

 

,003

 

,738

 

,720

 

,660

 

% de dépenses de santé par rapport au total

 

2

 

2

 

3

 

3

 

,3

 

,5

 

,4

 

,1

 

121 Cf. PNUD, Rapport mondial sur le Développement Humain 2002, De Boeck, Bruxelles, 2002.

122 V. MUGISHA, « La situation de l'épidémie du VIH/SIDA et sa dynamique au Rwanda », in actes de l'atelier des ouvriers apostoliques sur la pastorale de lutte contre le VIH/SIDA, Archidiocèse de Kigali, 17- 20 Octobre 2000, p.6.

% de dépenses de santé par rapport au PIB

 

0

 

0

 

0

 

0

 

,5

 

,5

 

,7

 

,6

 

Dépenses de santé par personne ($US)

 

1

 

1

 

1

 

1

 

,8

 

,1

 

,4

 

,2

 

Source :Ministère de la santé (MINISANTE)

Après une nette augmentation de la part du budget destinée au secteur sanitaire au cours des années allant de 1990 à 1999, on a assisté, par la suite, à une baisse des dépenses du gouvernement pour la santé passant de 3,720 millions de Francs rwandais en 1999 à 3,660 millions en 2000. Au niveau du PIB, il y a eu aussi une baisse de 0,7% en 1999 à 0,6% en 2000, tandis que la moyenne de ces dépenses pour les autres pays de l'Afrique subsaharienne était estimée à 2% du PIB pour l'année 2000124. Les récentes statistiques du Ministère des finances estiment que le pourcentage des dépenses de santé par rapport au PIB est même descendu jusqu'à 0,4% pour l'année 2001125, atteignant ainsi le niveau le plus bas depuis 1990, tandis que la malaria et le SIDA continuent de tuer de nombreux rwandais et rwandaises. En 2000, le Ministère de la santé rapportait que le nombre des personnes atteints de paludisme était d'environ 480 569 et l'ONUSIDA, dans son rapport de l'année 2002, estimait à 49 000, le nombre de décès düs au SIDA à la fin de l'année 2001. Pour cette même année 2001, le nombre des décès général était estimé à 156 000126.

Ces quelques chiffres prouvent à suffisance la nécessité d'allouer beaucoup plus de ressources au secteur sanitaire pour combattre de manière plus directe ces maladies qui déciment la population rwandaise. Il est étonnant, en comparant les dépenses nationales, de voir comment celles destinées au service de la dette127 sont supérieures et en augmentation par rapport à celle consacrées à la santé. En effet, le service de la dette est passé de 39,5 million de $US en 1999 à 48,1 million de $US en 2000, tandis que les dépenses de santé

123 Cf. MINISTERE DES FINANCES ET DE LA PLANIFICATION ECONOMIQUE, Indicateurs de développement du Rwanda 2001, Juillet 2001, p. 278.

124 Ibid., p.2.

125 Ibid.

126 Cf. POPULATION REFERENCE BUREAU, 2001 World Population Data Sheet. Disponible sur Internet: < http://www.prb.org/pdf/Rwanda_Fr.pdf>

127 Le service de la dette est la somme versée chaque année au titre des remboursements du capital emprunté (amortissement) et du paiement des intérêts par un pays endetté.

par personne, déjà insignifiantes, ont baissé de 1,4 $US à 1,2 $US pour la même période. Cette dernière comparaison nous permettra dans la suite de faire quelques considérations sur la politique économique et fiscale du gouvernement en ce qui concerne les priorités des dépenses publiques, dans le contexte de la pandémie du VIH/SIDA. Ces chiffres et indications nous montrent qu'il existe une certaine incongruité entre les politiques des dépenses publiques en matière de santé et le coüt réel de l'épidémie du VIH/SIDA qui ne cesse d'alourdir sérieusement ce secteur. « Obsédés par l'exigence de limiter les dépenses de santé, nos dirigeants ne se rendent pas compte qu'en soignant les personnes séropositives, on finit à moyen terme par réduire ces dépenses128. »

Nous estimons que le gouvernement devrait plutôt, vu l'impact grandissant du VIH/SIDA sur ce secteur, allouer beaucoup plus de ressources, notamment arriver à court terme au niveau de 2% du PIB, moyenne des autres pays d'Afrique subsaharienne. Ces ressources supplémentaires pourraient donc contribuer à mieux soigner les personnes déjà atteintes du SIDA, faciliter l'accès aux antirétroviraux, former davantage du personnel sanitaire et augmenter la capacité des centres de santé et hôpitaux déjà existants ; ces derniers sont les premiers à souffrir de l'impact croissant de l'épidémie du VIH/SIDA.

2.3.3. Politique économique et fiscale

Après avoir mis en lumière la priorité que constitue l'épidémie du VIH/SIDA pour les choix des dépenses publiques, nous voudrions maintenant faire quelques considérations générales à propos de l'orientation que prend la politique économique et fiscale actuelle du pays.

Comme nous l'avons déjà fait remarquer précédemment et nous le verrons de manière plus explicite dans le point suivant, le Rwanda dépend en grande partie pour ses dépenses publiques, des prêts et de l'aide extérieure ; cette situation de dépendance financière fait que le Rwanda, déjà fortement endetté comme la plupart des pays en voie de développement, doit souvent recourir au FMI et à la Banque Mondiale pour financer son activité économique et assurer ses différents investissements. Cette situation de dépendance financière rend le Rwanda pratiquement esclave des conditions des prêts imposés par ces organismes financiers internationaux qui exigent, en contre partie, une

128 Cf. Interview à ZACKIE ACHMAT, «En Afrique du Sud, on a encore rien vu de l'épidémie du SIDA», in Courrier International, 7 février 2003. Disponible sur Internet: < http://www.courrierinternational.com/interview/avec/Achmat.htm>

série des mesures de rigueur financière dites « politiques d'ajustement structurel ». Ces mesures, supposées redresser les économies des pays en voie de développement, exigent, entre autres, la diminution des dépenses sociales, la diminution des salaires, la diminution des transferts du gouvernement pour les populations défavorisées, la diminution des subventions, la privatisation des entreprises publiques, l'augmentation des taxes sur la consommation, etc.

Au Rwanda, on est en train d'assister à la mise en oeuvre de ces politiques de libéralisation qui signifient en résumé : faible intervention de l'État et libre marché. Cela se constate particulièrement avec la vague des privatisations et la forte augmentation des impôts. Elsa Assidon, économiste du développement, constatait avec raison que « plus faible est le pouvoir de négociation de l'État demandeur, plus le Fonds et la Banque imposent le tout marché. On assiste ainsi au recul de l'État providence dans les pays débiteurs129. » Cela risque d'arriver au Rwanda, tandis que les défis sociaux sont nombreux et ne cessent d'augmenter, notamment avec l'épidémie du VIH/SIDA et les conséquences du génocide de 1994.

La politique fiscale expansive que le gouvernement exerce actuellement, à travers l'office Rwandais de Recettes (Rwanda Revenue Authority), nous laisse particulièrement perplexe. Le lourd fardeau des impôts, que la population doit aujourd'hui supporter, risque à moyen terme d'asphyxier les petites et moyennes entreprises et d'anéantir le secteur privé qui est pourtant encouragé par les mêmes institutions financières. Cette situation risque aussi à la longue d'exaspérer la population et la pousser à la révolte, comme cela est arrivé récemment en Bolivie130. Malgré que l'imposition fiscale soit progressive, c'est-àdire que son taux augmente avec le revenu et les recettes obtenues, elle demeure très élevée. La TVA (taxe à la valeur ajoutée)131 a atteint 18% et l'impôt sur le revenu (IR)132

129 E.ASSIDON, Les théories économiques du développement, La découverte, Paris, 2000, p. 68. Ici il s'agit bien entendu du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale.

130 Cf. «Bolivia» in L'Osservatore Romano, Sabato 15 Febbraio 2003, p. 2.

131 La TVA, Taxe à la valeur ajoutée, est un impôt sur la consommation dont le principe consiste à taxer un produit sur la valeur qui lui est ajoutée par les entreprises qui participent aux différentes étapes de sa production, et à faire payer son montant par le consommateur.

132 L'impôt sur le revenu (IR) est l'impôt dont l'assiette est constituée par le revenu des personnes physiques ou des entreprises constituées sous forme de société. L'IR s'applique non seulement aux salaires, mais à toutes les catégories de revenus perçus par le foyer fiscal : bénéfices industriels et commerciaux, revenus financiers, loyers, etc.

est de 35% sur les bénéfices réalisés au cours de l'année133. Cette politique est d'autant plus austere et controversée qu'elle s'applique aussi aux activités qui ne tiennent pas une rigoureuse comptabilité et à certaines activités de l'économie informelle ; ces dernières se voient taxées un montant forfaitaire qui ne tient pas compte de leur faible chiffre d'affaire. Nous estimons donc qu'une population pauvre comme celle du Rwanda ne peut, à moyen terme, soutenir cette imposition fiscale, encore moins dans un contexte pandémique du VIH/SIDA.

En ce qui concerne la politique économique de privatisation des entreprises nationales, nous estimons, tout en reconnaissant les bénéfices de celle-ci, notamment pour les caisses de l'État et le progrès des entreprises à travers l'innovation technologique, qu'elle risque de davantage marginaliser les milieux ruraux et aggraver le phénomène de l'exode rural. Cette situation est prévisible car, par souci d'efficience économique, les entreprises devenues privées investiront difficilement dans ces milieux ruraux, à moins qu'ils n'y trouvent une demande et des marchés alléchants qui peuvent leur permettre de réaliser des profits. Et pourtant ce sont ces milieux qui ont le plus besoin d'investissements notamment en infrastructures de base comme l'eau, l'électricité, le transport et la communication, infrastructures qui y font sérieusement défaut. Nous pensons que seul l'État, qui a une vision globale de la réalité nationale et les moyens de faire des gros investissements, peut, tout en impliquant de manière opportune le secteur privé, assurer la satisfaction des besoins d'intérêt public, comme ceux énumérés plus-haut. En se référant à Keynes, Joseph Stiglitz, ancien vice-président de la Banque mondiale et prix Nobel de l'économie 2001, a d'ailleurs affirmé que le marché est irrationnel et que « si la faiblesse du marché des capitaux est une des différences majeures entre pays en développement et pays développés, il n'a jamais cru que la libéralisation financière pouvait en venir à bout134. » En d'autres mots, il n'y a pas de main invisible qui tienne et qui puisse sans le vouloir, programmer et travailler à l'intérêt de la société, comme pensaient Adam Smith et les économistes classiques. Sans pour autant devenir Keynésien, même si cela serait opportun dans une situation de crise comme celle de la pandémie SIDA, nous sommes d'avis que l'État doit continuer à intervenir dans l'économie pour orienter les choix et constituer un « garde-fou » au libre marché.

133 Cf. informations de l' Office Rwandais des Recettes (Rwanda Revenue Authority), disponible sur Internet : < http://www.rra.gov.rw/informations_generales.htm>.

134 Cf. E.ASSIDON, Les théories économiques du développement, La découverte, Paris, 2000, pp. 84 et 86.

Nous estimons, en définitive, qu'il ne faut pas, dans le contexte de l'épidémie du VIH/SIDA et celui d'après génocide, laisser les choix des investissements nationaux aux mains des privés, même s'ils peuvent être plus efficients et plus efficaces dans la gestion des entreprises et la maximisation des profits, car ils ne sont pas, en général, mus par l'intérêt général de la société . Il faudra certainement promouvoir l'efficience dans l'économie, en rendant les marchés plus efficaces et en diminuant les coûts de production, comme le suggèrent les politiques d'ajustement structurel du FMI, mais plus encore, et cela est plus important à nos yeux, veiller à maximiser aussi les profits sociaux en investissant pour le bien commun ; et ceci est en premier lieu le rôle de l'État.

2.4. Exportations et importations

Le Rwanda, étant un pays à économie ouverte, entretient des relations commerciales avec d'autres pays, qui sont selon le cas, demandeurs ou offreurs des biens et services. Le Rwanda joue donc les deux rôles dans ses transactions internationales : il offre des biens et services produits localement (café, thé, minerais, peaux, quinquina, électricité, etc.), ce sont les exportations ; et il achète des biens et services produits à l'étranger (biens d'équipements, produits énergétiques et autres biens de consommation), ce sont les importations.

Commerce extérieur (en million de $US)135

Années

90

19

98

19

99

19

000

2

Exportations, fob136 (total)

 

10

 

64

 

62

 

6

 

3,0

 

,1

 

,0

 

6,2

 

Café

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

65

 

28

 

26

 

2

Thé

,7

 

,1

 

,5

 

2,5

 

Autres

 

21

 

22

 

17

 

2

 

,0

 

,9

 

,5

 

4,3

 

135 Cf. MINISTERE DES FINANCES ET DE LA PLANIFICATION ECONOMIQUE, Le Rwanda en Chiffres, Edition 2001, p. 26.

136 FOB (Free On Board), méthode de comptabilisation qui consiste à retenir la valeur du produit sans inclure les coüts de transport et d'assurance sur le trajet international.

 

,3

16

,1

13

,0

18

9,4

1

Importations, caf 137 (total)

 

31

 

29

 

25

 

2

 

5,1

 

7,9

 

7,2

 

65,9

 

Biens durables (équipement)

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

58

 

60

 

44

 

3

Biens intermédiaires ( approvisionnement)

,4

 

,2

 

,8

 

0,8

 

Produits énergétiques

 

96

 

65

 

38

 

4

Biens de consommation

,8

 

,7

 

,8

 

0,3

 

Autres ajustements

 

44

 

39

 

38

 

5

 

,7

 

,1

 

,4

 

4,0

 
 
 

79

 

13

 

13

 

1

 

,2

 

2,9

 

5,2

 

27,8

 
 
 

36

 

-

 

-

 

1

 

,0

 
 
 
 
 

3,0

 

Sources : Banque Nationale du Rwanda et Ministère des Finances et de la Planification économique

Une analyse des rubriques de la balance des paiements138 reportées ci-dessus, révèle un déséquilibre entre les exportations et les importations nationales, du même type que celui que nous avons constaté au niveau du budget national. En d'autres termes, on pourrait dire que le Rwanda consomme plus qu'il ne produit, qu'il achète plus qu'il ne vend. Pour effectuer les importations, le gouvernement doit recourir à l'aide extérieure et aux prêts, qui viennent par la suite gonfler la dette extérieure. Cette situation montre encore

137 CAF (Coüt, Assurance, Fret), méthode de comptabilité qui consiste à retenir leur valeur à l'entrée ou à la sortie du territoire en incluant le coüt de transport et d'assurance.

138 document comptable où sont enregistrés systématiquement l'ensemble des flux réels, monétaires et financiers correspondant aux échanges commerciaux entre les résidents et les non-résidents d'un pays pour une période donnée

davantage la dépendance financière du Rwanda par rapport aux bailleurs de fonds extérieurs, comme nous le constations déjà précédemment.

Années

 

1

 

1

 

1

 

1

 

1

 

980

 

990

 

995

 

998

 

999

 

Dette extérieure totale (en millions de $US)

 

1

 

6

 

1

 

1

 

1

 

89,8

 

75,3

 

066,8

 

222,1

 

201,0

 

Source : Banque Africaine de Développement (BAD)

2.4.1. Les exportations

Du côté des exportations, source d'entrées et de revenus, nous constations, déjà précédemment, qu'ils reposent essentiellement sur le secteur primaire, en particulier sur la production du café et du thé. Nous l'avions déjà relevé au niveau microéconomique et nous savons quel impact l'épidémie du VIH/SIDA a sur ce secteur en termes de pertes d'agriculteurs et de productivité, ainsi que tous les autres coüts et effets collatéraux. Nous ne reviendrons pas sur cela. Seulement, nous voulons faire remarquer que, étant donné l'impact du VIH/SIDA sur le secteur primaire, sur lequel repose toute l'économie du pays et qui emploie plus de 90% de la population active, les exportations sont davantage menacées de diminuer avec l'expansion de la pandémie du VIH/SIDA. La diminution des exportations augmenterait encore plus le déséquilibre de la balance des paiements en détériorant davantage les termes de l'échange140, et le Rwanda deviendrait davantage dépendant des capitaux extérieurs et donc moins maître de ses décisions de politique macroéconomique.

L'expansion du VIH/SIDA dans les zones rurales, où sont produits l'essentiel des biens et services destinés à l'exportation, menace aussi la qualité de la production avec la perte des agriculteurs compétents. Le Rwanda risque ainsi de perdre aussi son avantage comparatif dans la production du thé et du café, principales sources de revenues. Comme la

139 BANQUE AFRICAINE DE DEVELOPPEMENT (BAD), Rapport sur le Développement en Afrique 2001. Renforcement de la bonne gouvernance en Afrique, Economica, Paris 2001, p. 261.

140 Les termes de l'échange indiquent les conditions économiques de l'échange ; appliqué à l'étude du commerce international, il indique les conditions dans lesquelles un pays échange ses importations contre ses exportations.

production de ces deux cultures est essentiellement destinée au marché extérieur où règne une grande concurrence, il est crucial de pouvoir maintenir la qualité des produits pour pouvoir rester sur le marché. Vu que c'est grace à cet export du thé et du café que le pays peut obtenir des devises et effectuer l'importation des inputs, machines et biens manufacturés dont il a besoin141, le Rwanda a donc tout intérêt à veiller à la qualité de sa production, surtout que les prix sont fixés selon les critères des pays demandeurs, qui sont pour la plupart des pays à revenus élevés. Par exemple, les trois grands importateurs de café sont l'Union Européenne, les Etats-Unis d'Amérique et le Japon, qui à eux seuls consomment environ 70% de l'offre mondiale142. La demande dépend donc essentiellement de ces pays qui font varier les prix comme ils veulent, sans souvent tenir compte des producteurs locaux ; d'ailleurs ces derniers n'ont pas beaucoup à négocier car ces biens produits sont facilement substituables et ne peuvent faire l'objet d'une consommation importante au niveau local. Avec l'expansion du VIH/SIDA et ses conséquences sur la quantité et la qualité de la production de ces cultures d'exportations, particulièrement le thé et le café, le Rwanda risque de se voir obliger de quitter le marché international car il ne sera plus compétitif et ne pourra plus soutenir la concurrence du côté de l'offre.

Nous estimons donc que la lutte contre le SIDA devrait faire partie des mesures destinées à soutenir l'export dont dépend l'entrée des devises. Il faudra inclure ce programme au niveau du secteur primaire d'où proviennent ces cultures et penser aussi de manière parallèle à la diversification de la production nationale, vu surtout la grande fluctuation des marchés de ces cultures d'exportations comme le café et le thé. Avec la diversification des exportations, il faudrait aussi envisager une industrialisation progressive du secteur primaire qui pourrait augmenter la valeur ajoutée des différents biens exportés et les rendre plus compétitifs sur les marchés internationaux. Et afin que ces investissements soient efficaces, il faudrait veiller à les rendre efficients à travers la prévention et la lutte contre la progression du VIH/SIDA.

2.4.2. Les importations

Nous avons remarqué que les importations sont beaucoup plus importantes que les exportations. Or, comme nous l'avons dit parlant des exportations, les importations sont

141 Cf. E.R. MSHOMBA, Africa in the Global Economy, Lynne Rienner Publishers, London, 2000, p. 36.

142 Ibid., p. 166.

financées essentiellement par les devises obtenues lors des exportations des produits locaux. Mais, nous l'avons vu aussi, comme les bénéfices des exportations ne suffisent pas pour assurer la satisfaction de la demande intérieure, il faut recourir à d'autres formes de financement extérieur.

Le Rwanda importe essentiellement des biens d'équipements, des produits énergétiques, et autres biens de consommation. Cette forte dépendance des produits extérieurs, en plus de la dépendance financière, affaiblit encore davantage l'économie rwandaise. La situation est d'autant plus grave que les prix de ces biens importés sont rarement négociables, vu que la demande de ces biens est pratiquement inélastique. Ainsi les producteurs extérieurs en profitent pour varier les prix à leur avantage. C'est, par exemple, le cas des produits énergétiques comme le pétrole qui varient énormément au détriment des pays non producteurs et qui occasionnent une inflation interne dans les pays demandeurs. Comme ces derniers ne peuvent pas faire fonctionner leurs économies sans ces produits, la demande demeure pratiquement constante ; le seul choix qu'ils ont est soit s'adapter aux prix de ces biens, soit diminuer leur consommation, dans le cas extrême, renoncer purement et simplement à leur consommation.

L'épidémie du VIH/SIDA a non seulement apporté de nouveaux besoins au niveau des familles atteintes, mais aussi au niveau du secteur sanitaire et nous dirons même au niveau national. Autant il y a une forte demande des médicaments pour soigner les infections opportunistes, autant il y a une forte demande des antirétroviraux et d'autres moyens de prévention contre le VIH, tels que les préservatifs. Cette demande supplémentaire, des biens et services étrangers vient donc augmenter le volume des importations et par conséquent le déficit. On peut même penser que cette demande s'accroîtra puisque les cultures et les ressources internes qui pouvaient la satisfaire sont destinées à diminuer. Cette dernière situation obligera le gouvernement à davantage s'endetter pour rééquilibrer la balance des paiements, mais surtout pour faire face aux nouveaux besoins créés par l'épidémie du VIH/SIDA.

A ce niveau, nous nous attarderons un peu sur la question des antirétroviraux qui font partie de ces biens importés dans le contexte de l'épidémie du VIH/SIDA. Ces produits sont jusqu'ici le monopole de quelques firmes pharmaceutiques occidentales surnommées « Big pharma », qui, avec la protection de l'OMC à travers les accords

TRIPS143, contrôlent leur offre de ces produits et en fixent les prix. Au Rwanda, ces traitements sont encore inaccessibles à la grande majorité des personnes atteintes par le VIH/SIDA malgré les efforts fournis par le gouvernement. Il n'y a que 3 ou 4 grands hôpitaux situés dans les villes de Kigali et Butare qui offrent ces traitements pour tout le pays. En 1999, le patient payait à peu près 400 $US par mois pour une cure mensuelle ; mais, grâce aux négociations entre le gouvernement rwandais et les firmes pharmaceutiques, le prix des antirétroviraux a été réduit à 100 $US par mois en janvier 2001144. En comparant ces coüts avec le PNB par habitant, estimé à 220 $US pour l'année 2001145, on se rend bien compte que très peu de rwandais peuvent se permettre le « luxe » des traitements antirétroviraux. Au Centre Hospitalier de Kigali (CHK), de janvier 1999 à août 2000, au total 222 patients séropositifs ont suivi le traitement aux antirétroviraux146. Le Ministère de la santé rapporte qu'au 31 décembre 2001, 1507 malades sous antirétroviraux étaient enregistrés au CHK et à l'hôpital Roi Faycal de Kigali147. En dépit de la croissance du nombre des patients qui ont accès aux traitements antirétroviraux, ces derniers demeurent encore inaccessibles pour la grande majorité des personnes séropositives (500 000 selon l'ONUSIDA). Satisfaire la demande croissante de ces traitements voudra dire augmenter sérieusement le budget destiné à la santé et continuer à négocier avec les firmes pharmaceutiques pour obtenir des prix de préférence ou des réductions, en attendant que l'OMC se décide à lever le veto qui pèse sur la production de ces médicaments. De manière courageuse, certains pays en développement ont refusé de ratifier les accords TRIPS. C'est le cas du Brésil, de l'Inde et de l'Afrique du Sud qui produisent déjà des médicaments génériques, c'est-à-dire des médicaments dont le brevet est tombé dans le domaine public et qui sont par conséquent meilleur marché. En espérant que les négociations de l'OMC vont prochainement aboutir, ces nouveaux producteurs pourront donc offrir des médicaments meilleur marché que ceux des firmes pharmaceutiques qui détiennent encore le monopole (jusqu'en 2016 pour les thérapies

143 Les accords TRIPS ( Trade Related Aspects of Intellectual Property Rights) approuvé en 1994 dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) accordent le monopole de 20 ans aux entreprises ayant inventés des nouveaux produits.

144 Cf. MINISTERE DE LA SANTE, Rapport Annuel 2001, République Rwandaise, Mars 2002, section 4 sur la lutte contre le SIDA.

145 Cf. The World Bank data 2003. Disponible sur Internet: http://www.worldbank.org/data/wdi2003/

146 Cf. M. TWAGIRUMUKIZA, «Les patients sous anti-rétroviraux au Rwanda», in La Santé Tropicale sur Internet : < http:// www.santetropicale.com/rwanda/antiretro.htm>.

147 Cf. MINISTERE DE LA SANTE, Rapport Annuel 2001, République Rwandaise, Mars 2002, section 4 sur la lutte contre le SIDA.

contre le VIH/SIDA148). Et, cela pourra permettre d'importer ces médicaments en quantité consistante et les rendre plus accessibles à la majorité des personnes vivant avec le VIH/SIDA.

Il faudrait ajouter ici que, comme l'épidémie du VIH/SIDA cause la perte du personnel local qualifié, on risque d'assister à une autre forme d'importation, celle des ressources humaines qualifiées extérieures. Cela est déjà le cas dans certains pays d'Afrique australe touchés sérieusement par la pandémie, notamment le Botswana.

2.5 Le Produit Intérieur Brut

Ce point sur le Produit Intérieur Brut veut être une synthèse de cette partie macroéconomique et montrer la complexité qui existe pour évaluer l'impact macroéconomique de l'épidémie du VIH/SIDA. Nous sommes partis de l'équation Keynésienne PNB = C + I + G + NX, et nous avons développé les différents éléments qui la composent. Voyons maintenant l'autre partie de l'équation, la somme des différentes composantes de la production nationale, le PNB, mieux le PIB. En effet, ici au lieu du PNB qui apparaît dans l'équation, nous avons préféré son équivalent, le PIB. Ce dernier nous semble plus adapté à la réalité de l'économie rwandaise car il mesure la production réalisée par les facteurs de production localisés dans le pays, quels que soient les propriétaires149. Vu que le PNB mesure plutôt la production réalisée par les facteurs de production nationaux d'un pays (internes et externes) et qu'il exclut la production locale provenant des facteurs de production étrangers, et vu que le Rwanda ne reçoit pas des revenus significatifs de ses résidants à l'étranger, du moins ils sont difficiles à estimer, le PIB nous semble donc l'indicateur plus adapté pour mesurer les performances de l'économie nationale ; c'est d'ailleurs aussi celui que la comptabilité nationale préfère.

PIB (réel) du Rwanda et ses composantes (en millions de Frw constants 1995) 150

Années

1998

1999

2000

 
 
 

(est.)

148 Cf. A. GINORI, «Veto USA sui farmaci anti-AIDS. No agli sconti per i paesi poveri: Nuova apartheid», in La Repubblica, 22 dicembre 2002, pp. 14-15.

149 Cf. S.FISCHER, R. DORNBUSCH, R. SCHMALENSEE, Economia, HOEPLI, Milano, 1992, p. 773.

150 Cf. MINISTERE DES FINANCES ET DE LA PLANIFICATION ECONOMIQUE, Le Rwanda en Chiffres, Edition 2001, p. 35.

Consommation privée (C)

463,559

474,460

467,661

Investissement (I)

70,288

80,539

83,799

Consommation publique (G)

40,870

43,773

39,604

Exportations nets (NX)

-96,496

-92,627

-54,689

Total Produit Intérieur Brut

(PIB)

478,221

506,145

536,904

Tableau élaboré à partir des données statistiques du Ministère des Finances et de la Planification économique.

Ici, comme c'était le cas pour les composantes de l'équation Keynésienne que nous avons analysées précédemment, la corrélation négative entre le PIB et la progression de l'épidémie du VIH/SIDA n'apparaît pas sur les données disponibles. Faudrait-il alors conclure que l'épidémie du VIH/SIDA n'influence pas la production nationale et qu'elle n'a aucun impact significatif sur le bien être économique ainsi mesuré?

Au début des années 1990, certains économistes s'intéressant à l'épidémie du VIH/SIDA sont arrivés à conclure que l'épidémie n'avait pas d'impact sur l'économie dans son ensemble. Ce fut le cas de Over151 en 1992, et de Bloom et Mahal152 en 1995. Ces derniers estimèrent, à partir de leurs études macroéconomiques, que l'épidémie du VIH/SIDA ne constituait pas une menace au bien être économique. L'étude effectuée par Over, dans le cadre de la Banque Mondiale, a même affirmé que la baisse de la population causée par l'épidémie du VIH/SIDA ne constituait pas une entrave à la croissance économique des pays les plus touchés par l'épidémie. Ces derniers étant pourvus d'un surplus de main d'oeuvre, ils n'auraient pas de difficulté à remplacer les travailleurs atteints par le VIH/SIDA et, par conséquent, il n'y aurait pas de perte de productivité153. Cela pourrait-il se dire aujourd'hui pour le Botswana par exemple? Une telle affirmation a

151 M. OVER, The Macroeconomics Impact of AIDS in sub-Saharan Africa, Technical working Paper Nr.3, World Bank, Washington, 1992.

152 D.E. BLOOM ET A.S. MAHAL, Does the AIDS Epidemic Really Threaten Economic Growth ?, Working Paper 5148, National Bureau of Economic Research Inc., Cambridge MA, 1995.

153 Cf. M. OVER, The Macroeconomics Impact of AIDS in sub-Saharan Africa, Technical working Paper Nr.3, World Bank, Washington, 1992.

certainement sous-estimé les effets dévastateurs du VIH/SIDA et s'est limité à considérer des données qui ne reflètent pas toute la réalité économique et sociale. En effet, même si cela n'apparaît pas dans les statistiques macroéconomiques, la Banque Mondiale estime que sur le plan économique, « le SIDA colite chaque année à l'Afrique un point de pourcentage de croissance économique. Dans le cas des pays les plus durement touchés par l'épidémie, ce coüt avoisine les 3 ou 4 points. En l'espace d'une décennie, la

production totale de ces pays pourrait être de 35% inférieure à celle qu'elle aurait étésans le SIDA.154 ».

En ce qui concerne les données macroéconomiques disponibles, il nous faut faire quelques clarifications pour mieux comprendre la difficulté d'établir une corrélation entre le PIB et l'épidémie du VIH/SIDA. Martha Ainsworth, économiste du groupe de recherche à la Banque Mondiale, a affirmé que les statistiques standard comme le PIB par habitant sont des mauvais instruments pour mesurer l'impact du SIDA en Afrique, et que l'impact de l'épidémie a besoin d'être plutôt considéré dans le contexte plus large du bien-être humain, car le PNB par habitant ou la croissance du PIB ne considère pas la dimension perte de bien-être, et en particulier la perte de bien-être de ceux qui meurent155. Pour David Tarantola, spécialiste en matière de SIDA auprès du centre pour la santé et les droits humains de la Harvard School of Public Health, l'ampleur de l'épidémie est tellement grande aujourd'hui que les chiffres ne sont plus nécessaires pour établir des arguments en faveur des conséquences économiques de l'épidémie156. En plus de ces « arguments d'autorité » que nous venons d'évoquer, il nous faudrait aussi signaler qu'il y a des raisons proprement économiques qui empêchent d'établir une corrélation négative avec l'épidémie du VIH/SIDA. La difficulté naît d'abord du fait que la comptabilité nationale ne considère que les éléments quantitatifs de la production nationale pour mesurer le bien-être économique d'un pays sans tenir compte des activités du secteur informel (secteur important au Rwanda), des coûts sociaux résultant du processus de production (externalités), et d'autres aspects qualitatifs qui contribuent tout aussi au bien- être économique au-delà des simples revenus reçus et distribués. Le PIB comporte donc des

154 G. MUTUME, «Les dirigeants africains partent en guerre contre le SIDA», in Développement et Coopération, Juillet/Août 2001, p. 11.

155 Cf. P. WEHRWEIN, «The Economic Impact of AIDS in Africa», in Harvard AIDS review, Fall 1999/Winter 2000. Disponible sur Internet: < http://www.hsph.harvard.edu/hai/news_publications/har/fallwin_1999/fallwin99-4.html>

156 Ibid.

limites comme mesure du bien-être économique et il ne faudrait pas s'étonner qu'il soit inadéquat pour mesurer l'impact macroéconomique du VIH/SIDA qui est à la fois au niveau quantitatif et qualitatif. Abondant dans le même sens, le scientifique canadien Joseph Decosas, lors de la 11ème Conférence internationale sur le SIDA, déclara que « le manque de preuves en faveur d'un impact macroéconomique négatif du SIDA, ou même le fait de suggérer que, dans certaines conditions, le VIH puisse stimuler l'économie, ne devraient au fond surprendre personne (...) les mesures de la performance macroéconomique ne suffisent pas comme indicateurs du bien-être ou du développement d'une société. Les économies peuvent être stimulées par un grand nombre d'événements différents, dont certains sont carrément abominables, comme les guerres et les épidémies. Le fabricant de cercueils contribue autant à l'économie que le fabricant de berceaux157. »

Il est aussi intéressant de constater que même ceux qui avaient des doutes sur l'impact économique du VIH/SIDA commencent à changer d'opinion. Bloom , professeur d'économie et de démographie à la Harvard School of Public Health, qui était l'un des irréductibles dans la controverse sur l'impact macroéconomique du VIH/SIDA, est arrivé à reconnaître, notamment après un voyage effectué en Afrique du Sud (pays qui compte le plus grand nombre de personnes vivant avec le VIH/SIDA), qu'avec le VIH/SIDA, c'est toute l'économie qui est en danger158. Over, partant des estimations de la Banque Mondiale, a aussi reconnu les effets négatifs de l'épidémie du VIH/SIDA sur l'économie, notamment il estime que l'épidémie créera un retard dans l'amélioration des conditions économiques des générations futures159. Faudrait-il attendre tout ce temps pour se rendre compte des conséquences néfastes de l'épidémie ?

Nous estimons, pour notre part, un peu dans le sens de ce que faisait remarquer David Tarantola, que pour ceux qui vivent et travaillent au Rwanda, l'impact de l'épidémie du VIH/SIDA sur l'économie des individus, des familles et des communautés, est évidente. La maladie, le décès, et la perte des capacités productives dans les communautés

157 J. DECOSAS, Le VIH et le Développement, exposé en plénière dans le cadre de la 11ème Conférence internationale sur le sida, Vancouver, 1996. Disponible sur Internet : < http://www.Ccisd.org/fra/f_documents/decosas.htm>

158 Cf. P. WEHRWEIN, «The Economic Impact of AIDS in Africa», in Harvard AIDS review, Fall 1999/Winter 2000. Disponible sur Internet: < http://www.hsph.harvard.edu/hai/news_publications/har/fallwin_1999/fallwin99-4.html>

159 Ibid.

nécessitent à peine d'être appuyés par des statistiques160. Nous estimons alors qu'il ne faudra pas attendre de constater une baisse de la croissance économique au niveau du PIB, qui peut-être n'apparaîtra que à long terme, pour commencer à réagir à la menace que constitue le SIDA. Comme disait Keynes, « le long terme est un mauvais guide pour les affaires courantes. A long terme nous serons tous morts. Les économistes se fixent une tâche (...) peu utile s'ils peuvent seulement nous dire que lorsque l'orage sera passé, l'océan sera plat à nouveau. 161»

160 Ibid.

161 Cf. Citations du Dictionnaire d'Économie et de Sciences Sociales, sous la direction de C.-D. Echaudemaison, Nathan, Paris, 1998.

CHAPITRE III
INCIDENCES SOCIALES ET PROPOSITIONS

Nous venons de voir l'impact économique du VIH/SIDA au Rwanda et la difficulté, éprouvée par certains économistes, d'accepter les répercussions macroéconomiques de l'épidémie. Toutes fois, comme nous l'avons signalé également, ces économistes ont fini par se rétracter en constatant les effets nocifs de la pandémie sur la société, même si ces effets ne transparaissaient pas dans les statistiques et autres indicateurs macroéconomiques. Certains experts, comme David Tarantola, que nous avons cité plus-haut, sont même allés plus loin en reconnaissant que les statistiques n'étaient plus indispensables pour démontrer les effets négatifs du VIH/SIDA sur l'économie. C'est donc à partir des incidences sociales de l'épidémie du VIH/SIDA que ces économistes ont changé d'avis. Ce sont, précisément, ces répercussions sociales que, dans un premier temps, nous voulons aborder en considérant seulement l'impact du SIDA sur trois niveaux de la réalité sociale : le niveau démographique, celui de la condition féminine et celui des droits humains. Dans un second temps, nous formulerons quelques propositions pour la lutte contre le VIH/SIDA au Rwanda, lutte que nous considérons comme prioritaire et urgente pour le développement « soutenable162» du pays. Dans le sillage du développement « soutenable », qui préconise de « protéger la nature, soutenir le bien-être économique et rendre la société plus juste163 », nous proposons une approche globale à la lutte contre le VIH/SIDA, approche qui inclut et traverse tous les secteurs de la vie nationale et internationale.

162 Nous préférons parler ici de « développement soutenable » plutôt que de « développement durable » comme cela est d'usage dans la littérature contemporaine. En effet, le terme durable nous semble ambiguë et, à notre avis, ne traduit pas exactement le concept de « sustainable development » comme énoncé en 1987 par la Commission Brundtland. Gilbert Rist fait un commentaire intéressant à ce sujet, Cf. G. RIST, Le Développement. Histoire d'une croyance occidentale, Presses des Sciences Po, Paris 1996, p. 294.

163 P. HENRICI, «Il senso del tempo e la società sostenibile», in La civiltà Cattolica, 4 gennaio 2003, p. 37.

1. Incidences sociales

1.1 Au niveau démographique

En nous référant au schéma suivi par le démographe Pedro Beltrão dans son étude sur l'écologie humaine164, nous considérerons trois niveaux de la variable démographique : la dynamique démographique, l'occupation territoriale, et le profil professionnel. En considérant ce niveau démographique, il nous faudra recourir à certaines informations déjà mentionnées précédemment et voir comment, en touchant directement la variable population (en causant la mort), le VIH/SIDA a des conséquences à tous les niveaux de la vie sociale et économique du pays.

1.1.1. La dynamique démographique

La menace apportée par le VIH/SIDA est essentiellement une menace de mort, autrement dit de diminution croissante de la population. En effet, en 1999, l'ONUSIDA estimait la population adulte vivant avec le VIH/SIDA au Rwanda à 370 000 et le nombre des décès dûs au SIDA étaient estimés à 40 000165. En 2001, 430 000 adultes vivaient avec le VIH/SIDA et le nombre des décès dûs au SIDA étaient passés à 49 000166. Pour l'année 2001, le nombre des décès à cause du SIDA représentent plus du quart des décès survenus durant l'année au Rwanda (156 000 décès selon les estimations du PRB167). La mortalité de la population adulte s'est ainsi accrue avec l'augmentation des infections du VIH/SIDA.

Aujourd'hui, de fait, après la malaria, le SIDA est devenu la deuxième cause de mortalitéau Rwanda168. Cette décroissance de la dynamique de la population se constate de manière

plus évidente dans la baisse du taux de croissance de la population, taux qui est passé de 2,5% (moyenne des années 1980-99) à 1,16% (estimation de l'année 2002)169.

Selon les projections du bureau de l'OMS Afrique, que nous reporterons dans la suite, la mortalité à cause du VIH/SIDA est destinée à augmenter dans les années qui

164 P.C. BELTRAO, Ecologia Umana e valori etico-religiosi, PUG, Roma, 1985, pp. 33-34.

165 Cf. ONUSIDA, Rapport sur l'épidémie mondiale de VIH/SIDA, Genève, Juin 2000.

166 Cf. ONUSIDA, Rapport sur l'épidémie mondiale de VIH/SIDA, Genève, Juillet 2002.

167 Cf. POPULATION REFERENCE BUREAU (PRB), 2001 World Population Data Sheet. Disponible sur Internet: < http://www.prb.org/pdf/Rwanda_Fr.pdf>

168 PNLS/MINISANTE, Définir les voies pour la prévention du VIH/SIDA : leçons apprises sur les aspects comportementaux, revue de la littérature dans la période post-génocide 1994-2000, novembre 2000, p. 2.

169 Selon les estimations du The World Factbook 2002. Disponible sur Internet :
< http://www.odci.gov/cia/publications/factbook/geos/rw.html>

viennent. Ces prévisions catastrophiques pour la société rwandaise, signifient que nous pourrions assister à un changement au niveau de la structure démographique de la population. En effet, le taux de dépendance augmenterait car la portion de la population âgée de 0 à14 ans et celle âgée de plus de 65 ans serait encore plus nombreuse que celle active, âgée de 15 à 64 ans. Cela voudrait dire aussi que les grands-parents devront s'occuper davantage de leurs petits-fils, en assurant leur nutrition, les soins de santé et l'éducation de ces derniers. Quand on sait que cette population vieille est minoritaire (environ 3% du total de la population) et qu'elle n'a plus les moyens, ne serait-ce que physiques, d'exercer des activités rémunératrices, on peut alors imaginer le poids économique et psychologique énorme que cette situation représenterait pour eux et pour toute la société. Il faut ici espérer que le système de sécurité sociale « traditionnelle ", c'est-à-dire la famille élargie, si elle n'est pas aussi touchée par le VIH/SIDA et si elle en a les moyens, pourra venir à la rescousse et soutenir le nombre croissant d'orphelins, sans oublier de venir en aide aux vieillards qui, pour la plupart, dépendent des revenus de leurs fils et filles.

On court donc le risque d'une augmentation massive des orphelins au Rwanda. Cette situation serait encore plus dramatique quand on sait que le nombre d'orphelins est déjà important. Comme nous l'avons déjà signalé, on évalue le nombre d'orphelins à 400 000 au Rwanda dont 95 000 à cause du SIDA170. On peut alors imaginer le poids que devra porter toute la société rwandaise pour subvenir aux différents besoins de ces jeunes qui sont, comme on aime le dire, « le Rwanda de demain ". Cette situation peut devenir encore plus tragique pour ceux qui se sentent abandonnés par leur communauté, et choisissent la rue comme moyen de survie.

La situation des jeunes orphelins en augmentation suite à l'augmentation de la mortalité adulte, représente à nos yeux, l'un des plus grands défis pour la société rwandaise dans son ensemble. Il faudra qu'à travers les valeurs de solidarité qui unissent les différentes communautés, l'on puisse arriver à faire jouer le capital social, compris ici à la manière de Pierre Bourdieu comme étant « les relations " ou le réseau des

170 COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS), Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006, Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002, p. 23.

« connaissances »171, pour soutenir ces jeunes générations desquelles dépend la durée de la société rwandaise. Il est vrai que le capital social a été sérieusement fragilisé par les différents conflits et le génocide de 1994, mais nous estimons que cela est une raison de plus pour travailler à la réconciliation des rwandais en pensant aux générations futures.

Nous reportons, ci-dessous, les projections faites par le bureau de l'OMS/Afrique concernant l' évolution de l'épidémie du VIH/SIDA et le nombre des décès düs au SIDA au Rwanda pour la période allant de 1996 à 2010. Ces données peuvent mieux illustrer l'impact démographique de l'épidémie du VIH/SIDA au Rwanda et la menace qu'elle constitue pour l'avenir du pays. Il faut noter que ces projections ne sont pas des estimations exactes et qu'elles sont donc à considérer comme des tendances générales de l'évolution que pourrait avoir l'épidémie du VIH/SIDA au Rwanda.

171 Cf. Dicionnaire d'Économie et de Sciences Sociales, sous la direction de C.-D. Echaudemaison, Nathan, Paris, 1998, p. 45.

Projections du nombre de personnes infectées par le VIH ou décédées de suite du SIDA au Rwanda, 1996-2010172

Années

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Population séropositive (en milliers)

Femmes

113,83

148,21

168,42

180,49

192,25

209,38

221,15

232,93

250,63

269,11

282,20

295,01

314,61

348,13

369,76

Hommes

141,35

142,73

160,09

170,68

180,69

195,01

204,65

215,17

231,18

249,55

262,93

275,37

293,51

324,98

345,82

Total

255,18

290,94

328,51

351,17

372,94

404,39

425,70

448,10

481,81

518,66

545,13

570,38

608,12

673,11

715,58

Nouveaux cas de SIDA (en milliers)

Femmes

3,91

4,50

4,40

5,71

6,14

7,86

9,74

12,35

14,17

16,72

19,67

21,45

22,99

25,01

26,84

Hommes

4,09

4,71

4,66

5,07

5,83

6,37

7,92

9,60

11,67

13,87

16,38

18,88

20,60

22,69

24,86

Total

8,00

9,21

9,06

10,78

11,97

14,23

17,66

21,95

25,84

30,59

36,05

40,33

43,59

47,70

51,70

Naissances séropositives annuelles (en milliers)

Total

4,58

5,18

6,36

7,05

7,66

8,64

8,61

9,04

9,69

10,34

10,72

10,04

10,52

11,46

11,88

Décès annuels dus au SIDA (en milliers)

Femmes

3,11

3,91

4,84

5,25

6,10

7,34

9,04

11,32

13,42

15,51

18,28

20,62

22,27

24,05

25,96

Hommes

3,26

4,09

5,05

5,05

5,61

6,43

7,38

9,05

10,81

12,85

15,23

17,71

19,81

21,71

23,81

Total

6,37

8,00

9,89

10,30

11,71

13,77

16,42

20,37

24,23

28,36

33,51

38,33

42,08

45,76

49,77

Décès cumulatifs dus au SIDA (en milliers)

Femmes

3,11

7,02

11,86

17,11

23,20

30,34

39,58

50,90

64,32

79,82

98,10

118,72

140,99

165,04

191,00

Hommes

3,26

7,36

12,41

17,46

23,07

29,50

36,88

45,94

56,74

69,59

84,82

102,53

122,34

144,05

167,86

Total

6,37

14,38

24,27

34,57

46,27

59,84

76,46

96,84

121,06

149,41

182,92

221,25

263,33

309,09

358,86

Tableau ré-élaboré à partir des données du bureau régional de l'Organisation Mondiale de la Santé pour l'Afrique (OMS/AFRO) aoIit

2000173

172 Cf. COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS), Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006, Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002, pp 49-50.

173 Il faut noter que les projections sur le VIH/SIDA sont faites à partir de programmes d'informations intégrant plusieurs hypothèses théoriques et ne peuvent donc être considérées comme des données exactes. Il faut considérer que ces résultats peuvent varier énormément en fonction du poids donné à certains paramètres informationnels du modèle de projection. Ces données sont à prendre donc comme des tendances et des indications qui pourraient varier énormément selon le cours que connaîtra l'épidémie dans les années qui viennent.

1.1.2. La distribution de la population sur le territoire

La grande majorité de la population rwandaise, comme nous l'avons déjà fait remarquer, habite en milieu rural, environ 85% selon les estimations du 3ème recensement national du mois d'aoüt 2002. Ce dernier recensement constate que la population citadine est en croissance, elle est estimée aujourd'hui à environ 16,7% du total de la population rwandaise174. C'est une augmentation significative si l'on considère les données de 1999 qui estimaient la population urbaine à 6% du total de la population nationale. Ces données font comprendre que le phénomène d'exode rural est en train de prendre de l'importance dans tout le pays ; il y a donc de plus en plus des jeunes qui quittent les villages pour s'installer dans les villes. Or, comme nous l'avons déjà signalé, l'épidémie du VIH/SIDA est plus répandu dans ces centres urbains où les jeunes émigrent. Ceux-ci se retrouvent par conséquent encore plus exposés que dans leurs milieux d'origine, et, vu la baisse du contrôle social et l'anonymat caractéristique des grandes villes, on peut craindre que ces jeunes ne soient hautement à risque face au VIH/SIDA. Le phénomène de la prostitution qui s'est accentué durant ces dernières années175 et qui est particulièrement répandu dans les villes, constitue un autre facteur qui rend l'exode rural dangereux pour les populations qui émigrent. En conséquence, le déplacement de population, en particulier l'exode rural, entraîne un plus grand risque face au VIH/SIDA.

Un autre problème lié à la distribution de la population sur le territoire est celui des populations concentrées dans certains milieux, comme les habitats regroupés (imidugudu), les camps de réfugiés ou encore les prisons. Dans les prisons, par exemple, sur une population estimée à 100 000 prisonniers, on dénombrait 13 000 séropositifs176. Vivant dans une grande promiscuité, les populations de ces milieux à forte densité, sont particulièrement à risque face au VIH/SIDA qui peut facilement être transmis ou contracté. L'expansion rapide de l'épidémie du VIH/SIDA risque de rendre ces milieux encore plus précaires et plus vulnérables aux autres maladies.

174 Cf. Premiers résultats du 3ème recensement national du mois d'aoüt 2002 donnés lors de la conférence de presse du ministre des finances et de la planification économique, Donald Kaberuka, Kigali, le 17 décembre 2002. Disponible sur Internet : < http: //www.rwanda1.com/>.

175 PNLS/MINISANTE, Définir les voies pour la prévention du VIH/SIDA : leçons apprises sur les aspects comportementaux, revue de la littérature dans la période post-génocide 1994-2000, novembre 2000, p. 11.

176 COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS), Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006, Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002, p.45.

Ainsi, nous estimons que la politique de décentralisation, initiée par le gouvernement, a un réel défi à relever. Elle doit voir comment redistribuer la population en tenant compte de la menace du VIH/SIDA notamment dans les habitats regroupés, sensibiliser et prévenir la population tout en prenant en charge ceux qui vivent déjà avec le VIH/SIDA.

1.1.3. Le profil professionnel

La principale activité professionnelle au Rwanda est l'agriculture qui occupe environ 91% de la population active tandis que le secteur secondaire n'emploie que 2% et le secteur tertiaire 7%177.

Comme nous l'avons fait remarquer, l'agriculture rwandaise, étant très peu mécanisée, dépend essentiellement de la force physique des agriculteurs (work intensive). L'épidémie du VIH/SIDA, qui tue progressivement, entraîne dans un premier temps l'affaiblissement de la personne malade et, dans un second temps, quand le SIDA se déclare, le décès. Le travailleur voit ses forces décliner graduellement et est obligé de changer d'activité, ne pouvant plus fournir l'effort exigé par le travail des champs. Cette situation peut entraîner l'abandon de certaines cultures, en particulier les cultures de café et de thé, qui exigent un effort physique intense. Bien plus, le décès d'un agriculteur qualifié empêche, comme nous le notions déjà, la transmission de sa compétence aux jeunes générations.

L'épidémie du VIH/SIDA représente donc une menace sérieuse pour le profil professionnel, surtout au niveau du personnel chargé de la formation comme les enseignants. C'est le cas, par exemple, du Botswana qui, du fait de l'incidence du SIDA sur l'offre de travailleurs formés, est contraint d' « importer » du personnel qualifié178. Il est vrai que le secteur primaire ne demande pas une grande compétence et que, à la limite les agriculteurs décédés pourraient facilement être remplacés. Mais il faut considérer aussi le fait que les jeunes générations ne sont pas assurées face au VIH/SIDA, et que, par conséquent, il est difficile de prévoir si ces dernières prendront la relève des générations décimées par le VIH/SIDA.

177 Ibid., p. 19.

178BANQUE AFRICAINE DE DEVELOPPEMENT (BAD), Rapport sur le Développement en Afrique 2001. Renforcement de la bonne gouvernance en Afrique, Economica, Paris, 2001, p. 46.

1.2 Au niveau de la condition féminine

L'épidémie du VIH/SIDA a mis au grand jour le problème du Genre179, les inégalités sociales qui existent entre les hommes et les femmes. En effet, comme le constate Eleonora Masini, les femmes sont souvent marginalisées en termes d'emploi et de qualité de vie180 ; elles ne jouissent pas des mêmes opportunités socioéconomiques que les hommes. Au Rwanda, ces différences sont assez significatives. Par exemple, en 2002, au niveau de l'instruction, le taux d'alphabétisation des femmes était estimé à 60,2% tandis que celui des hommes est de 73,7%181. Au niveau de l'occupation, le Ministère du commerce, de l'industrie et du tourisme, rapportait, selon ses estimations de l'année 1999, que sur 24 603 employés, 2 174 étaient des femmes 182. Les femmes ont donc peu « de voix au chapitre » et, comme l'affirmait le rapport du PNUD sur le développement humain 2002, « si les femmes sont moins bien loties sous de multiples aspects du développement humain, c'est notamment parce que leur voix se fait moins entendre que celle des hommes dans les décisions qui déterminent leur existence183. »

Cependant, du côté du secteur informel, qui joue un rôle non négligeable dans l'ensemble de l'économie rwandaise, notamment à travers les activités commerciales et artisanales, les femmes sont bien représentées. Le secteur primaire, notamment avec l'agriculture, est aussi porté par les femmes. De même, au niveau des ménages, les femmes jouent un rôle de premier plan ; en effet, on estime environ que 36% des ménages rwandais sont dirigés par les femmes seules184.

Au niveau juridique, le statut de la femme rwandaise est de droit égal à celui de l'homme ; mais, au niveau social, il est en fait inférieur à celui de l'homme. « Malgré les changements introduits dans le code de la famille du Rwanda, notamment en matière de propriété, beaucoup de Rwandais se réfèrent encore à la coutume pour refuser aux femmes

179 Le terme « Genre » sera utilisé ici comme traduction littéraire du terme anglais « Gender », utilisé pour décrire les questions liées aux différents sexes, en particulier à celui des femmes. Plus spécifiquement, il se réfère aux problèmes posés par le statut et le rôle qu'occupe les femmes dans la société.

180 Cf. E.B. MASINI, « Limits to Sustainability in Sustainable and Equitable Development », in The 50th anniversary of the United Nations and the Italian contribution toward the realization of the «Earth Charter», Accademia Nazionale delle Scienze, Roma, 1998, pp. 93-94.

181 Cf. PNUD, Indicateurs du Développement Humain 2002.

182 Cf. MINISTERE DES FINANCES ET DE LA PLANIFICATION ECONOMIQUE, Le Rwanda en Chiffres, Edition 2001, p. 22.

183 PNUD, Rapport mondial sur le Développement Humain 2002, De Boeck, Bruxelles, 2002, p.23.

184 COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS), Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006, Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002, p.23.

le droit de propriété sur le bétail, sur la terre et sur la gestion des fruits de leur labeur185. »

Cette situation d'inégalité flagrante est d'autant plus préoccupante qu'environ 52,3% de la population rwandaise est féminine. Cette tranche de la population, vulnérable au VIH/SIDA pour des raisons évoquées au premier chapitre, est effectivement la plus touchée par l'épidémie. A la base des problèmes de la condition féminine, se trouve certainement le statut social inférieur attribué à la femme. « Ce statut influence directement la possibilité de prise de décision dans les domaines importants comme la santé (dépistage, traitement des IST, contraception, etc.) où seulement 23% des femmes en union peuvent prendre des décisions concernant leur propre santé alors que dans 48% des cas, c'est le mari seul qui a le dernier mot. La majorité des filles célibataires (52%) voient les décisions sur leur santé prises par quelqu'un d'autres sans les consulter186.» Cette situation fait que l'épidémie du VIH/SIDA touche plus les femmes que les hommes. On peut le constater facilement en se référant au tableau des projections sur le VIH/SIDA au Rwanda reporté plus-haut et au rapport de l'ONUSIDA 2002, qui mentionnait que sur un total de 430 000 adultes vivant avec le VIH/SIDA au Rwanda, 250 000 étaient des femmes187.

Il nous faut aussi rappeler que le génocide de 1994 a constitué un facteur aggravant de l'épidémie du VIH/SIDA dans le pays et que les femmes en ont été les principales victimes. Une enquête menée par l'association des veuves du génocide (AVEGA) démontre bien cela. Cette étude, qui a été faite sur une population limitée à 1125 femmes violées pendant le génocide de 1994, a révélé que sur ces 1125 veuves testées, 70% étaient infectées du VIH/SIDA188. Sachant que des nombreuses femmes ont été violées pendant le génocide de 1994, on peut imaginer combien cette tragédie a contribué à la contamination de nombreuses d'entre elles.

185 Ibid., p. 22.

186 Ibid., p. 23.

187 Cf. ONUSIDA, Rapport sur l'épidémie mondiale de VIH/SIDA, Genève, Juillet 2002, p. 196.

188 COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS), Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006, Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002, p. 42. Voir aussi l'article paru récemment sur New York Times Magazine : PETER LANDESMAN, « A woman's work », 15 septembre 2002, paru aussi sur la revue Internazionale, « Lo stupro come arma di guerra,», 13/19 dicembre 2002, pp.28-36.

Les différents éléments et données, que nous venons de voir brièvement, montrent l'importance de l'impact du VIH/SIDA sur la condition féminine et la grande vulnérabilité des femmes par rapport à cette épidémie.

Nous considérons par conséquent que le changement du cours de l'épidémie est en grande partie liée à l'importance qu'on accordera aux femmes, et aux moyens qu'on leur donnera pour prendre en main leur avenir et assurer leur protection elles-mêmes. Cela passe nécessairement, à notre avis, par le relèvement de leur niveau d'éducation et la sensibilisation des hommes aux problèmes du Genre. Nous estimons que le cadre juridique et institutionnel rwandais, qui a déjà fait beaucoup en faveur de la femme, ne suffit pas. Il faudra des actions au niveau des communautés locales grâce à la politique de décentralisation et l'implication des nombreuses associations féminines qui sont en train de devenir importantes au niveau de la société civile rwandaise. Il faudrait qu'on arrive, comme on aime dire aujourd'hui, « to empower women », pas seulement en termes de pouvoir de décision au niveau public et institutionnel, mais aussi et surtout - ce qui nous semble le plus important - en termes d'autorité et de pouvoir de décision en ce qui concerne leur propre vie et leur foyer.

1.3 Au niveau des droits humains

En rapport avec l'épidémie du VIH/SIDA, le problème des droits humains a pris une importance particulière ces dernières années. Comme l'épidémie évoluait, on s'est rendu compte que les malades du SIDA étaient de plus en plus stigmatisés et marginalisés par la société. Cette situation de discrimination, que connaissent des nombreuses personnes vivant avec le VIH/SIDA, a commencé à être progressivement reconnue comme un non-respect à la dignité de la personne humaine et une violation flagrante des droits humains. C'est dans ce sens que le Programme commun des Nations Unies sur le SIDA (ONUSIDA) a lancé sa campagne 2002-2003 contre la stigmatisation et la discrimination sociale des personnes vivant avec le VIH/SIDA. En refusant aux personnes atteintes par le VIH/SIDA certains droits humains essentiels, la société risque d'accroître la honte et la peur qui entourent l'épidémie du VIH/SIDA, et occasionner par là même une ultérieure progression de celle-ci. C'est donc avec raison que l'organisation de défense des droits de l'homme,

Human Rights Watch, affirmait dans son rapport 2002 que « Le VIH/SIDA prospère grâce à la discrimination et la répression dont ses victimes sont la cible189.»

L'épidémie du VIH/SIDA constitue ainsi un défi en termes de respect des droits des personnes vivant avec le VIH/SIDA. Celles-ci ont en effet droit à la protection sociale et à l'accès aux traitements disponibles. Si, dans la suite, nous ne montrons que ces deux droits, nous n'oublions pas cependant qu'il est tout aussi important de garantir le droit à la prévention, notamment à travers l'information, l'éducation et la communication adéquate sur la réalité du VIH/SIDA.

1.3.1 Stigmatisation et discrimination des personnes vivant avec le VIH/SIDA

La prise de conscience des droits des personnes vivant avec le VIH/SIDA est récente au Rwanda et il nous semble que la question n'a pas encore été traitée, avec tout le sérieux qu'elle requiert par les différents acteurs de la lutte contre le SIDA. En effet, le cadre stratégique de lutte contre le SIDA 2002-2006 mentionne le problème de manière très générale et l'insère dans le cadre de la bonne gouvernance qui doit accompagner la lutte nationale contre le VIH/SIDA. La Commission Nationale de Lutte contre le SIDA (CNLS) reconnaît toutefois la réalité de la stigmatisation et de l'exclusion sociale des personnes atteintes par le VIH/SIDA, affirmant que « la réalisation universelle des droits de la personne et des libertés fondamentales est indispensable si l'on veut réduire la vulnérabilité face au VIH/SIDA. Dans cette optique, le respect des droits des personnes atteintes par le VIH/SIDA entraîne l'adoption des mesures visant à éliminer toutes formes de discrimination pouvant conduire à la stigmatisation et à l'exclusion sociale190. » La CNLS recommande ensuite que la Commission des droits de l'homme au Rwanda (CNDH) puisse, dans le cadre des politiques du gouvernement en lien avec la promotion des droits humains, participer à la protection des droits des personnes vivant avec le VIH/SIDA, en étroite collaboration avec les ONG nationales et internationales191. La CNLS demande en plus que l'environnement juridique pour le respect des droits des

189 Cf. HUMAN RIGHTS WATCH, «SIDA et Droits humains», in Rapport Mondial 2002, disponible sur Internet : < http://www.hrw.org/french/reports/wr2k2/sida.html>

190 Cf. COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS), Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006, Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002, p. 29.

191 Ibid.

personnes infectées ou affectées par le VIH/SIDA, et particulièrement ceux des populations vulnérables, puisse être redynamisé en un réseau éthique et juridique192.

La stigmatisation associée au VIH/SIDA naît, comme le constatait Peter Piot, directeur exécutif de l'ONUSIDA, de la combinaison de la peur et de la honte qui caractérisent la pandémie193. En effet, il arrive souvent qu'une fois que le statut sérologique d'une personne est connu par la communauté ou parfois seulement suspecté à partir de certains symptômes extérieurs, la personne soit, par peur ou par honte, marginalisée de la communauté. En plus de l'effet psychologique négatif, qui n'est pas d'ailleurs le seul, que cette exclusion sociale provoque chez la personne atteinte par le VIH/SIDA, la discrimination s'étend aussi souvent aux proches membres de famille, épouse (ou mari) et enfants de la victime du VIH/SIDA.

Nous considérons que ces attitudes de stigmatisation, qui se traduisent souvent par la négation des besoins essentiels comme l'accès aux soins de santé, la protection sociale, le droit au travail et le droit à la propriété, sont des violations des droits essentiels de chaque personne humaine. En effet, l'article 7 de la déclaration universelle des droits de l'homme stipule que « tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination.194 ».

Face à la stigmatisation et à la discrimination qui entourent l'épidémie du VIH/SIDA, nous considérons que le gouvernement et les leaders de la société civile doivent prendre position et dénoncer ces situations. Ils pourraient le faire, comme la CNLS l'a suggéré, à travers la Commission Nationale des droits de l'homme et un cadre juridique clair qui assure la protection et le respect des droits des personnes vivant avec le VIH/SIDA ainsi que celui de leurs membres de famille, en particulier celui des veuves et des orphelins. Ces situations pourraient aussi être confiées à des tribunaux internationaux, vu que la pandémie du SIDA est devenue mondiale.

192 Ibid.

193 Cf. Discours de Peter Piot à la conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance, Durban, Afrique du Sud, 5 septembre 2001. Disponible sur Internet : < www.unaids.org/whatsnew/speeches/eng/piot040901racism.htm>

194 ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES, Déclaraion universelle des droits de l'homme, 10 décembre 1948, article 7.

Une piste de solution, face à la stigmatisation et discrimination des personnes vivant avec le VIH/SIDA, nous semble avoir été tracée par le BIT (Bureau International du Travail) à travers un recueil de directives pratiques sur le VIH/SIDA et le monde du travail. Dans ce recueil, le BIT déclare le principe de non-discrimination face aux travailleurs séropositifs : « dans l'esprit du travail décent et dans le respect des droits de l'homme et de la dignité des personnes infectées par le VIH ou malades du SIDA, les travailleurs ne devraient pas faire l'objet de discrimination au motif de leur statut VIH, qu'il soit réel ou supposé195. » Au-delà de la simple affirmation du principe de nondiscrimination, ce recueil demande même aux employeurs de ne pas exiger le dépistage aux demandeurs d'emploi ni aux personnes occupant un emploi, car, selon le BIT, rien ne justifie cette requête qui concerne des informations personnelles liées au VIH196. Le BIT demande, en outre, que les personnes atteintes par les maladies associées au VIH puissent continuer à travailler aussi longtemps qu'elles sont médicalement aptes à occuper un emploi disponible et approprié197. Le même recueil ajoute que : « tous les travailleurs, y compris ceux qui sont infectés par le VIH, ont droit à des services de santé accessibles. Ni eux ni les personnes à leur charge ne devraient faire l'objet de discrimination dans l'accès aux prestations de sécurité sociale et à celles des régimes professionnels prévus par la loi198. »

1.3.2 Droit aux traitements

L'ONUSIDA affirme dans son rapport 2002 que « le VIH/SIDA a creusé plus profondément les clivages sociaux et économiques des communautés et des sociétés et il continue d'élargir le fossé. Partout dans le monde, ceux qui sont les plus affectés par le VIH/SIDA sont des personnes et des communautés qui ont un accès limité aux droits sociaux et économiques fondamentaux.199 » Cette situation d'accès limité aux droits sociaux et économiques fondamentaux est particulièrement flagrante en ce qui concerne l'accès aux traitements disponibles et l'accès à l'information adéquate pour combattre l'expansion du VIH/SIDA. Sans négliger l'importance du droit à l'information sur le VIH/SIDA, nous nous limiterons ici au problème de l'accès aux traitements

195 BIT, Recueil de directives pratiques du BIT sur le VIH/SIDA et le monde du travail, Organisation Internationale du Travail, Genève, 2001, p.5.

196 Ibid., p. 6.

197 Ibid., pp. 6-7.

198 Ibid., p. 7.

199 ONUSIDA, Rapport sur l'épidémie mondiale de VIH/SIDA, Genève, Juillet 2002, p. 63.

antirétroviraux, problème que nous avions déjà mentionné précédemment, et qui constitue, à nos yeux, l'une des principales entraves à la lutte contre le VIH/SIDA dans la majorité des pays en voie de développement.

Nous avons vu que, malgré les efforts louables du gouvernement rwandais, l'accès aux traitements antirétroviraux demeure limité pour la majorité des rwandais et rwandaises atteints par le VIH/SIDA. Selon le rapport du MINISANTE 2001, au 31 décembre 2001, seuls 1507 malades, enregistrés au CHK et à l'hôpital Roi Faycal de Kigali, avaient accès aux traitements antirétroviraux200. Ce nombre est insignifiant par rapport au nombre de personnes vivant avec le VIH/SIDA au Rwanda.

La raison de ce manque d'accès aux traitements a déjà été évoquée précédemment. Les traitements antirétroviraux sont le monopole de certaines firmes pharmaceutiques internationales des pays industrialisés, monopole que protègent notamment les Etats-Unis et les accords de l'OMC sur la propriété intellectuelle (TRIPS). Ainsi à cause de leurs prix élevés, les antirétroviraux demeurent-ils inaccessibles à la majorité des populations pauvres. Les intérêts économiques ont de fait pris la primauté sur les droits humains. Les différentes firmes pharmaceutiques qui refusent de rendre accessibles ces traitements aux pays pauvres, soit par une baisse significative des prix ou le retrait des brevets qui empêchent aux autres pays de produire ces médicaments à des coûts mineurs, se justifient par le droit à la propriété intellectuelle.

Il est certes vrai que le paragraphe 2 de l'article 27 de la déclaration universelle des droits de l'homme stipule que « chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l'auteur », mais tout aussi vrai, et à notre avis plus important, est ce que le paragraphe 1 du même article stipule en déclarant que « toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent ». Il nous faut aussi faire remarquer que l'article 25 de la même déclaration universelle est encore plus explicite lorsqu'il parle du droit à la santé: « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit

200 Cf. MINISTRE DE LA SANTE, Rapport annuel 2001, République Rwandaise, mars 2002.

à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d'invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. » Nous considérons que cet aspect doit davantage être présenté face au VIH/SIDA et en particulier dans le cas des traitements antirétroviraux. Il s'agit tout d'abord d'une question de droit à la vie et d'assistance à personne en danger de mort. Le catéchisme de l'Eglise Catholique a des paroles pertinentes à ce sujet : « la loi morale défend d'exposer sans raison grave quelqu'un à un risque mortel ainsi que de refuser l'assistance à une personne en danger~L'acceptation par la société humaine des famines meurtrières sans s'efforcer d'y porter remède est une scandaleuse injustice et une faute grave. Les trafiquants, dont les pratiques usurières et mercantiles provoquent la faim et la mort de leurs frères en humanité, commettent indirectement un homicide. Celui-ci leur est imputable201. »

Toutefois, des signes positifs vers une amélioration de l'accès aux traitements antirétroviraux proviennent des pays en développement comme l'Inde, l'Afrique du Sud qui ont pu produire des médicaments anti-rétrovirus à moindre prix, permettant ainsi de prolonger la vie des personnes atteintes par le VIH/SIDA dans leurs pays respectifs.

Malheureusement, l'OMC n'a pas permis à ces pays d'exporter ces médicaments bon marché vers d'autres pays qui en ont besoin. Ces pays courageux ont même été traînés en justice par les grands laboratoires pharmaceutiques producteurs des antirétroviraux. C'est notamment le cas de l'Afrique du Sud qui s'est vu accuser pour avoir adopté en 1997 une loi facilitant la production nationale et l'importation à moindre prix d'antirétroviraux génériques (non brevetés)202. Grâce à la pression internationale de plusieurs organisations non-gouvernementales, les trente-neuf grandes sociétés pharmaceutiques internationales ont fini par retirer leur plainte contre le gouvernement d'Afrique du Sud. L'exemple sudafricain est assez emblématique de la position des firmes pharmaceutiques et notamment de certains gouvernements qui les soutiennent, en particulier celui des Etats-Unis. Un autre exemple éloquent est celui de mars 2001 lorsque le Brésil présenta une résolution à la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU affirmant le droit de toute personne à un traitement contre le VIH/SIDA, y compris les anti-rétrovirus ; la résolution fut adoptée à

201 Catéchisme de l'église Catholique, Editrice Vaticane, 1992, n. 2269.

202 Cf. HUMAN RIGHTS WATCH, «SIDA et Droits humains», in Rapport Mondial 2002, disponible sur Internet : < http://www.hrw.org/french/reports/wr2k2/sida.html>

l'unanimité avec la seule abstention des Etats-Unis203. Cette situation de veto de la premiere puissance économique mondiale, s'est reproduite encore lors de la rencontre de l'OMC à Genève en décembre 2002. Les Etats-Unis avaient carrément empêché l'aboutissement des négociations portant sur l'accès des pays pauvres aux médicaments génériques, en faisant prévaloir le préjudice que cela pourrait porter à l'effort de l'industrie pharmaceutique pour trouver de nouveaux médicaments204.

Nous restons sceptiques au sujet de ce dernier prétexte des Etats-Unis sur la recherche pharmaceutique, car il est suffisamment démontré que très peu de recherches pharmaceutiques sont menées en faveur des maladies qui sévissent dans les pays pauvres. Par exemple, pour la période allant de 1975 à 1997, sur la totalité des médicaments inventés au niveau mondial, seulement 4% des inventions concernaient les maladies qui frappent les populations des zones tropicales205. Dans le même sens, Michael Kremer, professeur d'économie à l'université Harvard de Cambridge (aux Etats-Unis), constate que, on investit davantage dans la recherche des médicaments sophistiqués contre le SIDA, médicaments qui sont utiles et adaptés aux pays développés, mais que très peu est fait pour les pays en développement, notamment avec la recherche des vaccins ; ceux-ci pourraient, pourtant, être plus abordables et bénéfiques que les autres traitements, vu qu'ils n'exigent souvent pas de grande dose et peuvent être administrés par du personnel avec formation médicale limitée206.

Nous assistons donc à une autre forme de stigmatisation et discrimination au niveau international, où, comme diraient les sociologues de la dépendance, le développement des pays du « centre " entraîne le sous-développement des pays de la « périphérie ". Ironiquement, c'est du même « centre " que nous provient la déclaration universelle des droits de l'homme, adopté le 10 décembre 1948, pendant que le Rwanda et plusieurs autres pays africains étaient encore des colonies. Ce sont les mêmes « pères fondateurs " des droits de l'homme qui les violent aujourd'hui, les inventeurs de la « welfare state " qui

203 Ibid.

204 Cf. « les Etats-Unis empêchent d'aboutir les négociations à l'OMC sur l'accès des pays pauvres aux médicaments génériques " disponible sur Internet : < http://fr.news.yahoo.com/021221/5/2wi5s.html>. Voir aussi A. GINORI, «Veto USA sui farmaci anti-AIDS. No agli sconti per i paesi poveri: Nuova apartheid», in La Repubblica, 22 dicembre 2002, pp. 14-15.

205 Cf. B. PECOUL et al., «Access to Essential Drugs in Poor Countries : A lost Battle ?», in Journal of the American Medical Association, January 1999, pp. 361-67.

206 Cf. M. KREMER, «Pharmaceuticals and the Developing World», in Journal of Economic Perspectives, Fall 2002, p. 69.

refusent aujourd'hui le droit universel à la santé, à la participation au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent, à la dignité et à l'égalité en droits de tous les hommes et toutes les femmes, bref qui refusent le droit à la vie pour une partie importante de l'humanité.

2. Propositions

Après avoir vu les répercussions sociales de l'épidémie du VIH/SIDA, qui reprennent pour beaucoup les conséquences que nous avions déjà constatées au niveau économique, nous allons à présent faire des propositions pour la lutte contre le VIH/SIDA au Rwanda. Si nous reprenons ici les paroles de Jean-Paul II, c'est pour exprimer, encore une fois,

notre refus de séparer l'économique de l'humain, car « aujourd'hui plus que par le passépeut-être, on reconnaît plus clairement la contradiction intrinsèque d'un développement

limité au seul aspect économique. Il subordonne facilement la personne humaine et ses besoins les plus profonds aux exigences de la planification économique ou du profit exclusif207. » Nos propositions s'inspirent des trois principes clés de l'enseignement social de l'Eglise Catholique, à savoir les principes de responsabilité, de subsidiarité et de solidarité. Nous estimons que ces principes peuvent animer et orienter les différentes actions du secteur public, privé et communautaire, sans oublier les initiatives au niveau international. C'est à ces quatre niveaux que nous situerons nos propositions en partant chaque fois des initiatives qui existent déjà, mais qui sont à renforcer. Nous recommandons une approche visant à combattre toute forme de marginalisation et de pauvreté qui sont les causes, comme nous l'avons constaté, de la progression de l'épidémie du VIH/SIDA dans le monde et au Rwanda. Il s'agit d'une approche transectorielle qui traverse toutes les sphères de la vie nationale et qui rallie les connaissances pour combattre un ennemi commun, le VIH/SIDA, ennemi qui risque, s'il n'est pas déjà en train de le faire, d'hypothéquer le futur du Rwanda.

2.1 Au niveau du secteur public

Des l'apparition du VIH/SIDA au Rwanda, notamment lors de la déclaration des premiers cas en 1983, les autorités publiques ont commencé à mettre sur pied des projets et des actions pouvant lutter contre la nouvelle inconnue. Mais la progression qu'a connu

207 JEAN-PAUL II, Sollicitudo rei socialis, 1987, n. 33.

l'épidémie dans la suite, a prouvé qu'une action encore plus intensifiée devrait être entreprise par les hautes autorités du pays.

En 1987 fut créé le Programme National de Lutte contre le SIDA (PNLS). Ce dernier, comme nous le faisions remarqué au premier chapitre, s'est surtout occupé de la sphere médicale. Son premier plan d'action (1988-1992) était axé, en effet, sur la transfusion sanguine, la surveillance épidémiologique et les enquêtes CAP (Connaissances, Attitudes et Pratiques) et périnatales ; elle commençait à prévoir la sensibilisation nationale à la réalité du VIH/SIDA. Les années qui suivirent, furent caractérisées par une difficulté d'organiser la lutte contre le SIDA à cause de la guerre du début des années 1990 et le génocide en 1994. Après plusieurs étapes de réorganisation, par le gouvernement, du plan stratégique de lutte contre le SIDA, on est arrivé à l'élaboration d'un cadre stratégique (2002-2006) et à la mise sur pied d'un plan multisectoriel (2002-2006) mis sous la responsabilité de la CNLS qui a de ce fait remplacé le PNLS208.

Le Ministère de la santé (MINISANTE) qui avait la tutelle du PNLS, s'est particulièrement investi dans la lutte contre le SIDA en organisant, depuis 1987, plusieurs programmes, et depuis novembre 2000, des programmes avec la CNLS. Ces programmes consistent essentiellement en la formation du personnel sanitaire en matière de VIH/SIDA, la prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH/SIDA et les campagnes de sensibilisation dans tout le pays209. Dans le cadre des programmes du MINISANTE, il nous semble important de rappeler l'effort que le gouvernement a fourni pour la réduction du prix des traitements antirétroviraux et celui de l'augmentation des centres de conseil et dépistage volontaire (VCT). Le rapport du MINISANTE 2001 rapportait en effet que le nombre des sites VCT n'a cessé d'augmenter, passant de 4 sites en 1997, à 22 à la fin de l'année 2001210.

D'autres Ministères se sont aussi impliqués en développant des programmes de lutte contre le VIH/SIDA. C'est notamment le cas du Ministère de la défense (MINADEF) avec un programme pour les militaires, le Ministère de l'éducation (MINEDUC) avec des programmes et manuels pour les écoles, le Ministère de la jeunesse, sport et loisir

208 Cf. COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS), Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006, Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002, pp. 52-53.

209 Ibid., p. 53.

210 Cf. MINISTERE DE LA SANTE, Rapport annuel 2001, République Rwandaise, mars 2002.

(MIJESPOC) avec des activités auprès des jeunes. Cependant, il faut aussi faire remarquer, comme le constate la CNLS, que d'autres Ministères n'ont pas encore développé des programmes de lutte contre le SIDA, bien que certains d'entre eux se soient impliqués de manière indirecte dans la lutte contre le VIH/SIDA. C'est le cas du Ministère du Genre et de la promotion de la femme (MIGEPROFE) qui a organisé deux études CAP sur la prostitution et les questions de Genre dans la société rwandaise, le Ministère de l'administration locale et des affaires sociales (MINALOC) qui a intégré la sensibilisation dans ses services sociaux et qui apporte un soutien matériel et nutritionnel à des groupes d'orphelins du SIDA, et le Ministère de la fonction publique et du travail (MIFOTRA) qui continue à faire soigner les travailleurs malades et à leur verser leur salaire jusqu'au décès211. Il faut ajouter, parmi les initiatives au niveau du secteur public, la création récente d'un Ministère d'État chargé du VIH/SIDA et d'autres maladies infectieuses.

On voit bien que la lutte contre le VIH/SIDA a une importance non-négligeable pour le secteur public au Rwanda, notamment avec la création de la CNLS, comme organe de coordination de lutte contre le VIH/SIDA qui dépend directement de la présidence de la république. Cependant, nous estimons que le leadership des autorités publiques n'est pas encore suffisamment incisif pour entraîner des changements dans la progression de l'épidémie, comme cela a été le cas en Ouganda. En effet, les bons résultats enregistrés par l'Ouganda et le Sénégal ont reposé principalement sur la prise de position et l'engagement fort des autorités publiques qui n'ont pas lésiné devant les moyens de lutter contre le SIDA, et cela en collaboration avec différentes forces sociales locales et internationales.

C'est pourquoi nous proposons que toutes les instances gouvernementales puissent s'impliquer de manière explicite dans la lutte contre le VIH/SIDA, notamment tous les Ministères de l'exécutif. Il est par exemple étonnant, vu la menace que l'épidémie apporte au secteur primaire de l'économie, que le Ministère de l'agriculture ne développe pas un programme spécifique pour son secteur, que le Ministère des finances et de la planification économique, ne mette pas explicitement la lutte contre le VIH/SIDA parmi les premiers objectifs de la lutte contre la pauvreté et la « vision 2020 », que le Ministère des infrastructures ne s'implique pas dans la lutte, que le Ministère de la justice n'intervienne pas dans la mesure où le problème du SIDA affecte les droits humains ainsi que la

211 Ibid., p. 54.

nombreuse population carcérale séropositive. Il est également étonnant que le Ministère des affaires étrangères ne s'implique pas dans la négociation des traitements anti-SIDA meilleurs marchés ou dans la coopération internationale pour obtenir du personnel de formation qualifié et autres nouvelles technologies capables de rendre plus efficaces les programmes existants. Ce ne sont là que quelques exemples pour montrer que chaque Ministère a un rôle important à jouer dans la mise sur pied d'une stratégie nationale de lutte contre le SIDA car, comme nous l'avons vu dans le deuxième chapitre et au niveau des incidences sociales, tous les secteurs de la vie nationale sont touchés et donc menacés. Nous pensons alors que la lutte contre l'épidémie devrait clairement faire partie des priorités de l'exécutif et qu'un Ministère d'État ne suffit pas pour résoudre les problèmes causés par la pandémie SIDA au Rwanda. Il faudrait vraiment insérer la lutte contre le VIH/SIDA à tous les niveaux, en faire une priorité commune du gouvernement.

Tout en intervenant pour arrêter l'épidémie du VIH/SIDA et prévenir son ultérieure expansion, le gouvernement devrait veiller à décentraliser son action et à développer les milieux ruraux en adoptant une stratégie de développement rural intégré qui favorise les groupes intermédiaires comme les coopératives, qui crée des nouvelles infrastructures et qui garantit l'accès à l'information. Il nous semble que l'action du gouvernement gagnera encore en efficacité dans la mesure où, dans sa lutte contre le SIDA, elle intégrera toutes les provinces et collaborera avec la société civile. Il s'agit au fond de tenir compte du principe de subsidiarité. Nous pensons aussi que le gouvernement devrait revoir sa politique économique et fiscale actuelle en tenant compte du fait que le VIH/SIDA représente un cas d'urgence pour la société rwandaise. Il y a des grands défis à affronter et on risque de faire des choix inopportuns pendant qu'il y a des énormes besoins sociaux à satisfaire et une épidémie de grande envergure à combattre. Aussi nous estimons que le gouvernement doit d'abord investir dans les personnes, dans les ressources humaines, car, comme disait Bernard Lonergan, « celui qui guérit est essentiellement un réformateur : avant tout et surtout il fait confiance au meilleur qu'il y a dans l'homme212. » A notre avis, la clé de la lutte efficace contre l'impact du VIH/SIDA se trouve précisément dans une politique qui promeut la responsabilité de l'homme et sa solidarité avec ses pairs. C'est dans ce même sens que le Ministre de l'agriculture et de la terre de l'Afrique du Sud, Angela Thoko Didiza, avait déclaré que l'on doit certes investir en infrastructures, mais

212 B. LONERGAN, «Guarigione e creatività nella storia», in La Civiltà Cattolica, 15 settembre 2001, p.503.

que l'on doit - et nous ajoutons surtout - investir en ressources et capacités humaines. En effet, c'est seulement ainsi que l'on peut investir pour le futur213.

2.2 Au niveau du secteur privé

D'après la CNLS, l'implication du secteur privé dans la lutte contre le SIDA reste faible. Certaines entreprises ont pu, néanmoins, développer en leur sein des actions de prévention et de prise en charge médicale de leur personnel. La CNLS se félicite du fait que ce secteur commence à s'intégrer davantage dans le forum national de lutte contre le SIDA et devient partie prenante de la commission.

La réponse de ce secteur demeure toutefois timide et limitée à quelques grandes entreprises. Nous estimons, pour notre part, qu'il faut arriver à un engagement de tout le secteur privé pour la lutte efficace contre le VIH/SIDA ; surtout que, comme nous l'avons montré dans le chapitre précédant, la menace est sérieuse au niveau microéconomique des entreprises. Nous pensons que le BIT, comme nous l'avons déjà fait remarquer précédemment, a fourni, à travers son recueil de directives pratiques sur le VIH/SIDA et le monde du travail, un plan d'action intéressant, qui pourrait être repris avec beaucoup de profit par le secteur privé. Comme ce secteur apporte à l'économie nationale une contribution dans le sens des profits à réaliser en termes d'économie d'échelle, nous estimons donc que ces entreprises ont toutes les raisons de s'investir dans la lutte contre le SIDA en faveur de leurs travailleurs et de leurs familles et d'éviter ainsi ou du moins de réduire l'impact négatif de l'épidémie qu'elles pourraient encourir.

Ce secteur pourrait aussi tirer beaucoup de profit à exercer le principe de solidarité envers tous ses travailleurs atteints par le VIH/SIDA et leurs familles. Par solidarité, il faut comprendre ici ce que rappelait Jean-Paul II dans son encyclique Sollicitudo rei socialis de 1987 : la solidarité « n'est (...) pas un sentiment de compassion vague ou d'attendrissement superficiel pour les maux subis par tant de personnes proches ou lointaines. Au contraire, c'est la détermination ferme et persévérante de travailler pour le

213 Cf. INTERNATIONAL FOOD POLICY RESEARCH INSTITUTE, Sustainable Food Security for All by 2020, Proceedings of an International Conference, Bonn, September 4-6 2001, IFPRI, Washington DC, 2002, p. 27.

bien commun ; c'est-à-dire pour le bien de tous et de chacun parce que, tous, nous sommes vraiment responsables de tous214. »

2.3 Au niveau du secteur communautaire

Le secteur communautaire, que nous pouvons identifier ici à la société civile, a été le plus entreprenant dans la lutte contre le SIDA au Rwanda notamment à travers plusieurs projets et initiatives. Ces derniers se sont surtout focalisés dans la sensibilisation et les ateliers de formations suivant la méthode Information, Education et Communication (IEC)215. Il convient ici de souligner particulièrement l'importante contribution des confessions religieuses et des associations nationales comme l'ARBEF et le collectif PROFEMMES TWESE HAMWE qui, déjà engagées dans des programmes de santé pour la Reproduction, ont intégré l'IEC sur les MST et le VIH/SIDA dans leurs programmes d'éducation de base216.

Il faut noter pourtant qu'il y a encore beaucoup à faire pour la prise en charge communautaire des personnes vivant avec le VIH/SIDA ainsi que celle des personnes affectées indirectement par l'épidémie, en particulier les veuves et les orphelins. On constate, en effet, un faible engagement dans ce sens. Comme le montre l'étude menée conjointement par le MINISANTE, le PNLS et l'OMS sur le rôle des ONG et les associations impliquées dans la lutte contre le SIDA au Rwanda, 46% des interventions de ces différents groupes en 1999 étaient essentiellement des activités d'information, d'éducation et de sensibilisation217 ; mais, par contre, très peu se faisait pour la prise en charge des personnes vivant avec le VIH/SIDA. Toutefois, les intervenants des confessions religieuses, notamment l'Eglise Catholique, les Eglises Protestantes et les Musulmans se sont impliqués, non seulement dans les programmes d'IEC, mais aussi dans la prise en charge médicale, l'appui psychosocial, matériel et nutritionnel des personnes vivant avec le VIH/SIDA et celui de leurs membres de familles218. En ce qui concerne l'Eglise Catholique, par exemple, l'apport de la Caritas-Rwanda depuis 1989 est remarquable et a

214 JEAN-PAUL II, Sollicitudo rei socialis, n.38

215 Cf. COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS), Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006, Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002, p. 55.

216 Ibid.

217 Ibid.

218 Ibid.

été opportunément relevé par les évêques Catholiques du Rwanda dans leur récente lettre sur la lutte contre le SIDA219.

Les initiatives qui cherchent à impliquer davantage les personnes vivant avec le VIH/SIDA dans les différentes campagnes de lutte contre le SIDA sont à encourager, car elles permettent de combattre d'une part la stigmatisation et la discrimination, et d'autre part, de rendre plus efficace les campagnes d'information et de sensibilisation. Une initiative comme celle du collectif ANSP+, qui regroupe plus de 30 associations de personnes vivant avec le VIH/SIDA au Rwanda et qui plaide pour leurs droits, est à encourager avec tous les moyens disponibles. Ce collectif a pu déjà, grace à l'aide de certains partenaires, apporter un soutien matériel aux personnes séropositives et à leurs familles.

Il nous faut aussi ajouter, même si cela n'entre pas directement dans le secteur communautaire, le rôle important joué par les structures de coordination, comme le PNLS dans un premier temps et maintenant la CNLS. Ces structures ont été essentielles pour la planification et la coordination nationale des différents programmes de lutte contre le SIDA. Elles sont à rendre encore plus efficaces notamment à travers un budget plus consistant et une décentralisation des différents services. C'est dans ce sens qu'il faut signaler la création du TRAC (Treatment and Research on AIDS Center) au niveau du Ministère de la santé. Le TRAC coordonne les activités à orientation médicale, cherchant une plus grande efficacité de ces activités par rapport au passé. Un forum d'ONGs oeuvrant dans le domaine de lutte contre le VIH/SIDA a été aussi créé. Ce forum a l'avantage, en collaborant étroitement avec la CNLS, de faire le trait d'union entre les activités gouvernementales, l'ONUSIDA et les ONGs. S'il est bien géré, il peut constituer une structure décisive pour l'organisation et l'efficacité de la lutte contre le SIDA. Dans l'esprit de la subsidiarité, ces différentes Organisations Non Gouvernementales peuvent ainsi être efficaces dans l'effort national de lutte contre le SIDA, effort qui rejoindrait peutêtre alors tous les milieux, notamment les zones rurales qui sont souvent oubliées.

Toujours au niveau communautaire, une attention particulière devrait être faite aux différents groupes et clubs de jeunes, notamment avec les initiatives comme celle de « peer

219 Cf. Lettre des évêques Catholiques du Rwanda sur la lutte contre le SIDA : « Hitamo Ubugingo ureke Urupfu », Kigali, avril 2003, n. 16.

education », l'éducation des jeunes par les jeunes de la même tranche d'age, où ceux-ci peuvent facilement s'exprimer et poser des questions qui demeurent encore tabous entre les générations. Ces différentes associations ont besoin d'être stimulées et promues que ce soit au niveau des écoles, des paroisses, des clubs sportifs, etc.

Nous avons noté, plus haut, l'engagement significatif des confessions religieuses, et notamment de l'Eglise Catholique dans la lutte contre le SIDA à travers la prise en charge des personnes séropositives. En plus de cet aspect, la récente lettre des évêques Catholiques du Rwanda adressée aux chrétiens dans le cadre de la lutte contre le SIDA cherche aussi, entre autres, à donner des éclaircissements opportuns sur le sujet du préservatif comme moyen de protection contre le VIH. Les évêques du Rwanda, loin d'esquiver cette question, reconnaissent qu'on reproche à l'Eglise Catholique de ne pas faire campagne pour ceux-ci, et ils répondent en rappelant que dans la ligne des enseignements de l'Eglise, la fidélité des couples et la chasteté demeurent les moyens de prévention efficace contre le VIH/SIDA220. Nous estimons que, devant la généralisation de l'épidémie et considérant sa menace pour le développement du pays, l'Eglise Catholique du Rwanda, à laquelle appartient environ 60% de la population, a bien fait de sortir du silence en proposant des principes de réflexions, de critères de jugements et des directives d'action221 en ce qu'elle considère essentielle pour la prévention face au VIH/SIDA, pour favoriser une ligne de conduite en faveur de la vie, comme le suggère le titre de la lettre des évêques. En effet, comme le recommandait les évêques Catholiques du Kenya dans leur lettre de décembre 1999, à laquelle nous avons déjà fait allusion, « Nous devons concentrer nos efforts en éduquant et en informant nos populations sur la prévention. Il est nécessaire d'éviter des certitudes sans fondement ou des peurs inutiles afin que l'information soit disséminée prudemment et avec responsabilité222. » Nous pensons donc que l'Eglise Catholique, en collaboration avec les autres confessions religieuses, pourrait constituer un autre « son de cloche » aux campagnes de sensibilisation pro-préservatif qui ne sont souvent que des campagnes de marketing en faveur de quelques firmes multinationales. Ces confessions religieuses, qui jouissent d'une grande autorité morale et sociale au Rwanda, pourraient donc contribuer à donner l'information adéquate au sujet

220 Cf. Lettre des évêques Catholiques du Rwanda sur la lutte contre le SIDA : « Hitamo Ubugingo ureke Urupfu », avril 2003, n. 11.

221 Cf. PAUL VI, Octogesima adveniens, 1971, n.4.

222 Cf. CATHOLIC BISHOPS OF KENYA, The AIDS Pandemic and Its Impact on our people, Paulines Publications Africa, Nairobi, December 1999, p. 8.

des moyens de protection face au VIH/SIDA et influer sur le changement des comportements.

Nous estimons aussi que, comme le déclarait le docteur Dalil Boubakeur, recteur de l'institut musulman de la mosquée de Paris, repris par la commission sociale de l'épiscopat de France en 1996, « il n'est plus question que le religieux se cantonne dans une attitude moralisatrice, ni de se contenter d'énoncer des permis ou des interdits comme seul système représentant l'attitude spirituelle et humaniste aujourd'hui223. » C'est dans ce sens que nous nous félicitons de la prise de position commune prise en avril 2002 par les évêques Catholiques du Rwanda avec les pasteurs des églises Protestantes dans le cadre de la lutte contre le SIDA. Dans cette déclaration commune, les autorités ecclésiastiques Catholiques et Protestantes du Rwanda, s'engagent à renforcer leur collaboration avec toutes les instances compétentes pour la lutte contre le SIDA, en particulier avec celles qui s'occupent de l'éducation de la jeunesse ; elles s'engagent aussi à établir des bureaux de lutte contre le SIDA au niveau des diocèses, à encourager et recommander la fréquentation des centres de conseil et de dépistage volontaire (VCT) ainsi que le dépistage sérologique volontaire de la population, en particulier pour ceux qui veulent se marier224. Outre à ces recommandations, les pasteurs des églises chrétiennes s'engagent à venir en aide, en collaboration avec le secteur public, aux personnes vivant avec le VIH/SIDA, aux malades du SIDA ainsi qu'aux familles pauvres affectées par la perte des leurs à cause de la pandémie225. Ces initiatives prises au niveau des églises sont louables et elles sont à concrétiser. C'est un exemple de collaboration et communication dans la lutte contre le SIDA et nous la considérons très positive, surtout qu'elle contribue à lutter contre cette culture du silence qui entoure très souvent la question du VIH/SIDA. Nous considérons que, comme le rapportait un pasteur protestant lors d'une rencontre oecuménique sur le VIH/SIDA en Afrique, « il nous faut maintenant parler librement de cette maladie car pour nous ce n'est pas une honte226. »

223 COMISSION SOCIALE DE L'EPISCOPAT, SIDA, la société en question, Centurion, Paris, 1996, p. 120.

224 Lettre des évêques Catholiques du Rwanda sur la lutte contre le SIDA : « Hitamo Ubugingo ureke Urupfu », Kigali, avril 2003, n. 18.

225 Ibid.

226 Cf. WORLD COUNCIL OF CHURCHES, The Ecumenical response to HIV/AIDS in Africa, Plan of Action, Global Consultation on the Ecumenical response to challenge of HIV/AIDS in Africa, Nairobi, Kenya 25-28 November 2001, p.5.

Le secteur communautaire a donc un rôle de premier plan dans la lutte contre le SIDA et dans l'arrêt de son expansion à tous les niveaux. Soutenues concrètement par les secteurs public et privé ainsi que par les structures de coordination, ce secteur peut jouer un rôle important dans le changement de la tendance de l'épidémie, à travers l'information (radio, télévision, journaux, Internet, etc.), l'éducation (parents, éducation des pairs, club des jeunes, paroisses, écoles, etc.), la communication (sites de conseil et dépistage volontaire) et la prise en charge des personnes infectées et affectées par le VIH/SIDA (nutrition, soutien psychosocial, soins de santé, accompagnement spirituel, etc.)

2.4 Au niveau international

Dans un monde de plus en plus globalisé, il est désormais impossible, de penser pouvoir s'en sortir seulement au niveau local. D'ailleurs comme nous l'avons fait remarquer, le Rwanda dépend beaucoup des relations internationales, notamment de l'appui financier extérieur pour la survie de son économie. Cela est aussi le cas pour la lutte contre le VIH/SIDA. La CNLS constate, en effet, qu'une grande partie des financements des différents projets de lutte contre le VIH/SIDA, provient des bailleurs de fonds extérieurs227. La communauté internationale a donc beaucoup à apporter en termes d'appui financier et technique pour la réalisation de la stratégie nationale de lutte contre le VIH/SIDA.

L'importance donnée au VIH/SIDA par des nombreux dirigeants, lors du sommet du Millénaire en septembre 2000, fait espérer que la communauté internationale se mobilisera concrètement pour combattre le VIH/SIDA qui est devenu une pandémie à échelle mondiale et qui frappe sévèrement les pays en voie de développement. Les objectifs de développement du Millénaire prévoient notamment, d'ici 2015, de réduire de moitié l'extrême pauvreté et la faim, de réaliser l'éducation primaire universelle et l'égalité des sexes, de diminuer de deux tiers la mortalité des enfants de moins de 5 ans et de trois quarts la mortalité maternelle, d'inverser la tendance en matière de propagation du VIH/SIDA et du paludisme, et d'assurer la viabilité de l'environnement. Ces objectifs comprennent aussi l'établissement d'un partenariat mondial pour le développement qui propose une nouvelle vision de l'aide et des échanges et préconise l'allégement de la

227 Cf. COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS), Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006, Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002, p. 56-58.

dette228. Toutefois, il y a encore beaucoup à faire car, comme le constatait le PNUD dans une publication sur le VIH/SIDA et les stratégies de réduction de la pauvreté, « le peu d'attention accordée au VIH/SIDA par la conférence de Monterrey sur le financement du développement 2002 et le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD) est symptomatique de l'incapacité de prendre à bras le corps toutes les répercussions sur le développement de l'épidémie de l'histoire moderne229. »

Rappelons cependant que les résultats positifs réalisés par l'Ouganda et le Sénégal offrent des signes d'espoir sur la possibilité réelle de changer le cours de l'épidémie du VIH/SIDA et de pouvoir relancer le développement, sans trop courir le risque d'annuler les efforts d'une décennie déjà douloureuse pour le pays, décennie caractérisée par la guerre et le génocide de 1994. Reprenant les paroles du premier Ministre sénégalais lors du forum pour le développement de l'Afrique à Addis Abeba en 2000, nous pouvons dire en définitive que « beaucoup d'efforts restent à faire, dans l'implication des communautés de base, des structures traditionnelles, du secteur privé national, des leaders politiques et religieux, et des partenaires au développement, pour renforcer notre capacité de lutte contre le VIH/SIDA230 . »

228 Cf. PNUD, Rapport mondial sur le Développement Humain 2002, De Boeck, Bruxelles, 2002, p.17.

229 Ibid.

230Cf. Allocution de son excellence MOUSTAPHA NIASSE, premier ministre sénégalais lors du forum pour le développement de l'Afrique «le SIDA: un défi sans précédent pour les dirigeants», Addis-Abeba, 3-7 décembre 2000. Disponible sur Internet : < www.uneca.org/adf2000/daily_updates/speeches_and_press_releases/120700stat...>

CONCLUSION

Tout au long de cette étude, notre propos fut de mettre en évidence la menace réelle que représente l'épidémie du VIH/SIDA pour le développement du pays. Il est apparu que si l'épidémie n'est pas maîtrisée dans les années qui viennent, nous risquons un véritable scénario catastrophe pour l'économie et la société rwandaise dans leur ensemble. Aussi s'avère-t-il nécessaire d'entreprendre une action globale et transectorielle, qui implique tous les acteurs de la vie nationale et internationale. La lutte contre le VIH/SIDA, qui est l'une des priorités nationales, doit s'intégrer dans tous les efforts et plans de développement en y allouant toutes les ressources humaines et financières nécessaires. Le Rwanda, qui doit déjà combattre sur plusieurs fronts après le génocide de 1994, se voit encore dans l'obligation d'intensifier son action pour lutter contre le VIH/SIDA afin de réduire son impact socioéconomique, s'il ne veut pas rendre inutiles tant d'efforts pour la reconstruction et le développement du pays.

Le point de départ de notre étude est la constatation de l'asymétrie qui, 20 ans après l'apparition de l'épidémie, existe encore au niveau de l'information adéquate au sujet du VIH/SIDA, en particulier sur ses modes de transmission, les moyens de prévention et le traitement. C'est pourquoi le premier chapitre s'est proposé comme premiere tâche de donner des éclaircissements sur le Syndrome de l'Immunodéficience Acquise (SIDA), en évoquant successivement son apparition, ses caractéristiques, ses symptômes, les groupes qu'il frappe le plus, les traitements disponibles et les moyens de prévention. Jusqu'à ce jour, il n'existe pas de traitement curatif pour la maladie, aussi la prévention demeure-t-elle le seul moyen de se protéger contre le VIH/SIDA. Les traitements disponibles, pour le moment, permettent simplement de juguler la réplication du VIH (Virus d'Immunodéficience humaine) et, ainsi, de prolonger la vie des personnes atteintes par le VIH/SIDA qui, autrement, mourraient des infections dites opportunistes, une fois le SIDA déclaré. Bien qu'ils soient accolés dans le binôme VIH/SIDA, il existe une réelle différence entre les deux termes, le VIH désignant le virus tandis que le SIDA la maladie proprement dite. Le SIDA se manifeste lorsque le système immunitaire est très affaibli, occasionnant ainsi plusieurs infections comme la tuberculose, le cancer, la diarrhée etc., que le corps ne peut plus combattre et qui, dans la suite, entraînent le décès du patient.

Ces clarifications faites, une deuxième tâche a retenu notre attention toujours dans le cadre du premier chapitre. Il convenait de montrer, à travers les données statistiques sur les taux de prévalence du VIH, l'ampleur mondiale de l'épidémie devenue pandémique et plus particulièrement en Afrique subsaharienne. D'après les données consultées, l'Afrique subsaharienne est effectivement la région qui accuse la plus grande concentration des personnes vivant avec le VIH/SIDA, avec environ 70% des cas. Contrairement à ce que des nombreux chercheurs et experts internationaux pensent, les causes de l'expansion de l'épidémie sur le continent africain sont complexes. Il convient, des lors, d'éviter toute généralisation déplacée et inopportune qui imputerait l'ampleur de l'épidémie à une hypothétique culture africaine, qui favoriserait des comportements sexuels permissifs et dangereux face au VIH/SIDA. Certes, on ne peut nier l'existence des traditions et coutumes qui, dans les nombreuses cultures des peuples d'Afrique, peuvent favoriser la contamination du virus. Mais on ne doit pas négliger l'existence d'autres facteurs tout aussi importants dans la propagation rapide du VIH/SIDA comme la pauvreté, le statut inférieur des femmes, l'environnement socio-politique et le libertinage sexuel résultant de la perte des valeurs sociales. Il est clair, en particulier, que la vulnérabilité économique et sociale expose, comme partout ailleurs dans le monde, à la contamination du VIH/SIDA. En effet, selon le propos de Cheik Hamidou Kane, « lorsque la main est faible, l'esprit court de grands risques, car c'est elle qui le défend...mais aussi l'esprit court de grands risques lorsque la main est trop forte231. »

A la différence de ce que l'on se représentait au tout début de la maladie, le SIDA n'est plus considérée comme une sanction naturelle ou, pour certains, comme une punition divine infligée aux déviants sociaux comme les prostituées, les homosexuels et les héroïnomanes. La diffusion de l'épidémie a très vite montré que le SIDA ne connaissait pas de frontière sociale, surtout dans les pays où la voie hétérosexuelle devenait la principale voie de transmission, tandis que la voie sanguine devenait secondaire. En outre, malgré sa forte expansion dans la population des nombreux pays en développement, l'épidémie du VIH/SIDA est principalement une maladie des marginalisés. Et ceci se vérifie au niveau international que national. Au niveau international parce que c'est surtout dans les pays pauvres que l'épidémie connaît une forte extension. Au plan national comme, par exemple au Rwanda où l'épidémie frappe plus les milieux ruraux - qui sont

231 C.H. KANE, L'aventure ambiguë, Julliard, Paris, 1961, pp.20-21.

marginalisés en termes du développement économique -, les femmes et d'autres groupes socialement et économiquement faibles. Sans vouloir trop généraliser la situation de l'épidémie au niveau mondial, on peut dire que le facteur de marginalisation se retrouve aussi dans les pays développés où la pandémie touche surtout les personnes homosexuelles et les héroïnomanes, ainsi que d'autres populations marginalisées comme les immigrés, les drogués et les prisonniers.

Le premier chapitre avait enfin pour tâche de fournir des informations sur la situation du VIH/SIDA au Rwanda et d'amorcer ainsi l'objet de notre étude. En général les caractéristiques de l'épidémie sont, pour la plupart, semblables à celles des autres pays de l'Afrique subsaharienne. La différence spécifique au Rwanda est l'aggravation qu'a connue l'épidémie dans le pays à la suite du génocide de 1994, en particulier avec les viols des femmes et le déplacement massif des populations.

Si, guidé par le souci d'informer sur le phénomène du SIDA, le premier chapitre a été descriptif, le deuxième, lui, s'est attelé à analyser les conséquences économiques de l'épidémie au Rwanda. Notre analyse comporte deux niveaux, micro et macroéconomique. Au niveau microéconomique, l'examen a porté d'abord sur le poids de la maladie sur les ménages touchés par l'épidémie et, plus précisément, pour les ménages qui ont au moins un membre vivant avec le VIH/SIDA. Dans ces cas, le SIDA, une fois déclaré, crée une situation qui comporte, d'une part, la perte des revenus du membre malade et, d'autre part, l'augmentation des coüts associés à sa prise en charge médicale et domestique. L'examen a ensuite abordé l'impact de l'épidémie sur les groupes et entreprises des différents secteurs de l'économie, notamment l'agriculture, l'industrie et le secteur tertiaire des services. Il est alors apparu que, à bien des degrés différents, tous les secteurs sont menacés par l'épidémie et risquent de perdre leur productivité et leur compétitivité si cette maladie continue à s'étendre dans la population active d'où proviennent le personnel de ces différents secteurs. En particulier, l'épidémie occasionne des coüts supplémentaires pour les entreprises, notamment ceux associés à la perte de l'expérience d'un travailleur atteint du SIDA et ceux que l'entreprise doit supporter pour son remplacement. Bref, au niveau microéconomique, l'épidémie du VIH/SIDA engendre une situation de perte de revenus et une augmentation des coûts à supporter pour les ménages et les entreprises. Ce niveau microéconomique nous a permis de mieux mesurer combien le VIH/SIDA est un défi pour l'économie nationale. En effet, celle-ci repose essentiellement sur le secteur primaire qui

emploie la majorité de la population rwandaise active , laquelle est précisément la plus frappée par le VIH/SIDA.

Le niveau macroéconomique a été approché à partir de l'équation Keynésienne PNB = C + I + G + NX dont nous avons considéré les différentes composantes. A ce niveau, l'analyse a révélé la difficulté objective d'établir des corrélations entre les données statistiques macroéconomiques et la progression de l'épidémie du VIH/SIDA. C'est pourquoi nous avons émis l'hypothèse d'une corrélation négative entre l'expansion du VIH/SIDA et le rendement des différentes composantes de l'équation - revenu national, investissements, dépenses publiques, exportations et importations - même si cela ne transparaît pas dans les données disponibles. L'examen, dans un dernier point, du Produit Intérieur Brut, considéré par plusieurs économistes comme l'indicateur du bien-être économique, a abouti à la même difficulté d'établir une corrélation négative entre lui et la pandémie SIDA. Cette difficulté explique la réticence de certains économistes à accepter la menace réelle que constitue le VIH/SIDA pour l'économie dans son ensemble, notamment au niveau macroéconomique des pays de l'Afrique subsaharienne. Selon ces économistes, les pays de l'Afrique seraient pourvus d'un surplus de main d'oeuvre qui compenserait les travailleurs décédés à cause du VIH/SIDA. Il est facile de montrer, comme nous l'avons fait, que ces positions ne concordent pas avec la réalité sociale que nous vivons au Rwanda, avec la progression du VIH/SIDA qui décime la population adulte.

Le troisième chapitre a abordé le problème des répercussions sociales du SIDA au Rwanda en trois volets : l'impact démographique, la condition féminine et les droits humains. L'impact démographique du SIDA au Rwanda est énorme. En effet, à la fin de l'année 2001, on estimait à environ 49 000, le nombre de personnes décédées à cause du SIDA et le nombre des adultes vivant avec le VIH/SIDA atteignait le seuil de 430 000 personnes infectées232. Cette situation permet de mieux comprendre les conséquences économiques et sociales de cette épidémie pour toute la société rwandaise. La constatation de la gravité de l'incidence démographique du VIH/SIDA sur les pays les plus touchés a amené les économistes, qui doutaient de l'impact macroéconomique du VIH/SIDA, à se rétracter et à reconnaître la contrainte que l'épidémie fait peser sur le développement économique et social de ces pays. Cet impact démographique prouve suffisamment qu'il

232 Cf. ONUSIDA, Rapport sur l'épidémie mondiale de VIH/SIDA, Genève, Juillet 2002.

ne faut pas séparer l'économique du social, comme le faisait observer pertinemment le pape Jean XXIII en 1961 dans son encyclique Mater et Magistra : « le progrès social doit toujours aller de pair avec le développement économique233. »

Pour ce qui regarde la condition féminine, la situation des femmes face au VIH/SIDA est préoccupante ; elles sont particulièrement vulnérables pour les raisons que nous avons évoquées plus haut, et, de plus, elles sont majoritaires au niveau de la composition de la population. Il s'impose par conséquent de promouvoir la situation économique et sociale des femmes rwandaises pour qu'elles deviennent capables d'assurer elles-même leur prévention face au VIH/SIDA et soient des actrices efficaces dans le changement du cours de l'épidémie au Rwanda. A cet effet, l'éducation et la responsabilisation des femmes sont importantes, notamment à travers l'octroi des moyens économiques et culturels (information adéquate) pour lutter efficacement contre le VIH/SIDA.

Que ce soit au niveau national ou international, l'épidémie du VIH/SIDA constitue un problème de droits humains pour toute société. Le SIDA a provoqué un peu partout la discrimination des personnes atteintes ; et, à cette situation, s'est ajouté le manque d'accès aux traitements antirétroviraux pour nombre d'entre elles surtout dans les pays pauvres. Il est effectivement difficile, comme nous l'avons déjà montré dans les chapitres précédents, pour de nombreuses personnes vivant avec le VIH/SIDA de se payer ces médicaments à cause de leurs prix exorbitants fixés par les firmes pharmaceutiques des pays industrialisés. Ces firmes, surnommées « Big Pharma » et protégées par l'OMC, détiennent le monopole de ces médicaments et s'opposent à ce que d'autres pays les produisent à des prix plus abordables. Pour utiliser des expressions devenues courantes à ce sujet, la question des traitements anti-SIDA est devenue et reste encore une affaire entre les « Big brothers » et les « Big pharma », au détriment des pays pauvres qui ont pourtant la majorité des cas des personnes vivant avec le VIH/SIDA.

Pour finir, quelques propositions pour la lutte contre le VIH/SIDA au Rwanda furent émises en partant des initiatives qui existent déjà localement dans ce domaine. Car, comme disait Emmanuel Ndione en reprenant un proverbe africain, « tu es pauvre parce que tu regardes ce que tu n'as pas. Vois ce que tu possèdes, ce que tu es, et tu te

233 JEAN XXIII, Mater et Magistra, 1961, n. 73.

découvriras étonnamment riche234. » Dans la lutte contre le SIDA, on doit sincèrement se féliciter de nombreuses initiatives, des projets et des réalisations passées et actuelles qui ont lieu au niveau du secteur public, privé et communautaire, notamment avec le programme de coordination nationale de la lutte contre le SIDA (la CNLS). Toutefois, il nous a semblé qu'une action plus coordonnée et plus globale était nécessaire. Une action qui impliquerait tous les secteurs de la vie nationale et toutes les provinces du pays. Bien qu'il faille trouver des moyens de diminuer la grande dépendance de l'extérieur, la collaboration avec l'extérieur, notamment au niveau des bailleurs de fonds et de la transmission des nouvelles technologies, n'est pas à négliger dans cet effort de lutte contre le VIH/SIDA. Bref, au niveau du pays, une plus grande collaboration intersectorielle et une décentralisation plus résolue des différents services et infrastructures sociales pourraient constituer des moyens encore plus efficaces dans la lutte contre le VIH/SIDA. Cela suppose que les principes de responsabilité, de subsidiarité et de solidarité, que nous avons empruntés à l'enseignement social de l'Eglise Catholique, soient à la base de toutes ces actions et projets. Au fond, c'est ce même enseignement social de l'Eglise Catholique qui nous a accompagné tout au long de ce travail, notamment dans sa méthodologie : « voir », « juger » et « agir » . Nous avons voulu, pour notre part, suggérer, face à l'épidémie du VIH/SIDA au Rwanda et sa menace pour le développement économique et social de la nation, des principes d'observation, des critères de jugement et des directives d'action235.

Nous pensons donc que l'heure de la solidarité a sonné et que le moment est venu de relier les connaissances, de passer de l'interdisciplinarité à la transdisciplinarité236 en vue d'une approche qui intègre les différentes disciplines, tous les secteurs et tous les acteurs de la vie nationale et internationale. Selon le propos du professeur Marc Gentilini, repris par la commission sociale de l'épiscopat de France, il nous faut, avec le SIDA, arriver à une nouvelle forme de solidarité, car le « SIDA, maladie de société, est plus qu'aucune autre par son retentissement en cette fin du 20ème siècle, une maladie sans frontières, la maladie de la solidarité obligatoire à tous les niveaux sociaux et sous toutes

234 Cf. G. RIST, Le Développement. Histoire d'une croyance occidentale, Presses des Sciences Po, Paris 1996, p. 400.

235 Cf. PAUL VI, Octogesima adveniens, n.4.

236 Cf. E.B. MASINI, «Transdisciplinarity, Future studies and Empirical Research», in Transdisciplinarity: Re-Creating Integrated Knowledge, edited by M. A. SOMERVILLE and D. J. RAPPORT, EOLSS Publishers, Oxford, UK., 2000, pp. 117-118.

les latitudes237. » Nous pourrions donc dire, en reprenant les catégories d'Emile Durkheim, qu'il ne suffit plus de passer de la solidarité mécanique à la solidarité organique238, il nous faut aujourd'hui, à l'ère de la globalisation et de la pandémie mondiale du VIH/SIDA, passer de la solidarité organique à la solidarité obligatoire. En d'autres mots, il faut nous convertir à la solidarité. Avec Kevin Kelly239, nous affirmons même qu'il nous faut apprendre à vivre positivement avec le VIH/SIDA en effectuant une triple conversion : promouvoir la justice économique pour tous, combattre tout ce qui contredit la pleine et égale dignité de l'homme et de la femme, et arriver à articuler une éthique sexuelle plus adaptée à la complexité de la réalité sociale contemporaine, une éthique qui respecte la personne humaine et promeut sa dignité.

Devant ce syndrome que nous qualifions, en rectifiant un peu les mots, de « syndrome de la déficience humaine acquise » - par référence à la marginalisation économique, sociale et éthique qui sont à la base de l'expansion de l'épidémie -, une action commune et responsable de toute la société s'impose ; une action qui serait passage, pour chacun et tous, des conditions moins humaines à des conditions plus humaines et qui constituerait un échec aux symptômes et signes de la « déficience éthique » caractérisant cette ère de la mondialisation où certains, plus égaux que d'autres, sauvent leurs vies et d'autres, moins égaux, semblent être condamnés à mourir dans le cercle vicieux de la pauvreté.

237 Cf. COMISSION SOCIALE DE L'EPISCOPAT (de France), SIDA, la société en question, Centurion, Paris, 1996, p.123.

238 Solidarité mécanique et solidarité organique sont des termes forgés par E. Durkheim pour saisir l'évolution des liens sociaux parallèle à celle de la division du travail. La solidarité mécanique, typique des communautés traditionnelles de taille réduite, est un lien par similitude ; la solidarité organique, caractéristique des sociétés industrielles, est un lien par complémentarité. Cf. Dictionnaire d'Économie et de Sciences Sociales, sous la direction de C.-D. Echaudemaison, Nathan, Paris, 1998, p. 412.

239 Cf. K. KELLY, «Living with HIV/AIDS», in The Tablet, 13 May 1995, pp.599.

« A tous, nous avons voulu rappeler l'ampleur du drame et l'urgence de l'oeuvre à accomplir. L'heure de l'action a sonné : la survie de tant d'enfants innocents, l'accés à une condition humaine de tant de familles malheureuses, la paix du monde, l'avenir de la civilisation sont en jeu. A tous les hommes et à tous les peuples de prendre leurs responsabilités240. »

240 PAUL VI, Populorum progressio, n. 80.

BIBLIOGRAPHIE

1. AA VV. , Dictionnaire d'Économie et de Sciences Sociales, sous la direction de C.- D. Echaudemaison, Nathan, Paris, 1998.

2. AA VV., «Rwanda, les leçons du génocide», dossier in Jeune Afrique l'intelligent, N° 2152, du 8 au14 avril 2002, pp.47-98.

3. AA VV., Catéchisme de l'église Catholique, Editrice Vaticane, 1992.

4. AA. VV., L'Enciclopedia dell'Economia, Istituto Geografico De Agostani, Novara, 1998.

5. ACHMAT Z., «En Afrique du Sud, on a encore rien vu de l'épidémie du SIDA», in Courrier International, 7 février 2003. Disponible sur Internet:
http://www.courrierinternational.com/interview/avec/Achmat.htm

6. ARCHIDIOCESE DE KIGALI, Atelier des ouvriers apostoliques sur la pastorale de lutte contre le VIH/SIDA, Kigali, 17-20 Octobre 2000.

7. ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES, Déclaration universelle des droits de l'homme, 10 décembre 1948.

8. ASSIDON E., Les théories économiques du développement, La Découverte, Paris, 2000.

9. ATTAC, Les paradis fiscaux, Mille et une nuits, novembre 2001.

10. ATTAC, Remettre l'OMC à sa place, Mille et une nuits, Paris, juin 2001.

11. ATTAC, Une économie au service de l'homme, éditions Mille et une nuits, Paris, juin 2001.

12. BAJOIT G., « Théories sociologiques du développement», in Antipodes, série outils pédagogiques n° 2, 1997, pp. 3-20.

13. BANQUE AFRICAINE DE DEVELOPPEMENT (BAD), Rapport sur le Développement en Afrique 2001. Renforcement de la bonne gouvernance en Afrique, Economica, Paris 2001.

14. BARDHAN P., «Decentralization of Governance and Development», in Journal of Economic Perspectives, Fall 2002, pp. 185-205.

15. BARNETT T. - WHITESIDE A., AIDS in the Twenty-First Century, Disease and Globalization, Palgrave Macmillan, New York, 2002.

16. BARNETT T., AIDS in Africa: its present and future impact, Belhaven Press, London, 1992.

17. BASTIN J.,» Assez de discours!», in Jeune Afrique l'intelligent, N° 2142, du 29 janvier au 4 février 2002, pp. 46-49.

18. BELTRO P. C., Sociologia dello Sviluppo, editrice PUG, Roma,1988.

19. BELTRAO P.C., Ecologia Umana e valori etico-religiosi, Pontificia UniversitàGregoriana, Roma, 1985

20. BENSMANN V., HIV/AIDS & Conflict, Research in Rwanda, Burundi, and Eastern DRC, Save The Children-UK, UNICEF and UNAIDS, May 30, 2003.

21. BIT, Recueil de directives pratiques du BIT sur le VIH/SIDA et le monde du travail, Organisation Internationale du Travail, Genève, 2001.

22. BLOOM D. et al., Health, Wealth, AIDS and poverty, Harvard School of Public Health, Cambridge, 2002.

23. BLOOM D.E.- MAHAL A.S., Does the AIDS Epidemic Really Threaten Economic Growth ?, Working Paper 5148, National Bureau of Economic Research Inc., Cambridge MA, 1995.

24. BOBBIO A., «Le due facce dell'AIDS», in Italia Caritas, dicembre 2001, pp.20-21.

25. BOËDEC F.- MADELIN H., L'Evangile social. Guide pour une lecture des encycliques sociales, Bayard Editions, Paris, 1999.

26. BOLLINGER L., STOVER J., The Economic Impact of AIDS in Rwanda, September 1999.

27. BONNEL R., HIV/AIDS: Does it Increase or Decrease Growth in Africa?, The World Bank, Washington, 2000.

28. BRAECKMAN C., Rwanda. Histoire d'un génocide, Ed. Fayard, Paris, 1994.

29. CALDWELL J.- CALDWELL P.- QUIGGIN P., «The Social Context of AIDS in Sub-Saharan Africa, in Population and Development Review 15 (2), 1989, pp.185- 234.

30. CALVEZ J.-Y., L'Eglise et l'Economie. La doctrine sociale de l'Eglise, L'Harmattan, Paris,1999.

31. CATHOLIC BISHOPS OF KENYA, The AIDS Pandemic and Its Impact on our people, Paulines Publications Africa, Nairobi, December 1999.

32. COLLINS J.- RAU B., AIDS in the Context of Development, UNRISD Programme on Social Policy and Development, Paper N°4, December 2000.

33. COMISSION SOCIALE DE L'EPISCOPAT (de France), SIDA, la société en question, Centurion, Paris, 1996.

34. COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS), Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006, Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002.

35. CZERNY M.F., « Il vertice di Johannesburg ", in La Civiltà Cattolica, 18 Gennaio 2003, pp. 118-131.

36. DE GENT R., « Sida, le pire est devant nous ", in Choisir, mars 2002, pp.17-20.

37. DECOSAS J., « Le VIH et le Développement ", 11ème Conférence internationale sur le SIDA, Vancouver, 1996. Disponible sur Internet : http://www.
Ccisd.org/fra/fdocuments/decosas.htm

38. DIXON S. et al., «AIDS and economic growth in Africa : a panel analysis», in Journal of International Development, 13, 2001, pp. 411-426.

39. DIXON S.- MCDONALD S.- ROBERTS J., «The impact of HIV and AIDS on Africa's economic development», in British Medical Journal, 26th January 2002, pp. 232-234.

40. ELA J.-M., Afrique L'irruption des pauvres. Société contre Ingérence, Pouvoir et Argent, L'Harmattan, Paris, 1994.

41. FAO, HIV/AIDS, food security and rural livelihoods, World Food Summit, 10-13 June 2002.

42. FHI/IMPACT-RWANDA, Enquête de Surveillance des Comportements (BSS) auprès des Jeunes de 15-19 ans. Rwanda 2000, MINISANTE/PNLS, Kigali, décembre 2000.

43. FHI/IMPACT-RWANDA, Enquête de Surveillance des Comportements (BSS) auprès des Routiers. Rwanda 2000, MINISANTE/PNLS, Kigali, décembre 2000.

44. FHI/IMPACT-RWANDA, Enquête de Surveillance des Comportements (BSS) auprès des Prostituées. Rwanda 2000, MINISANTE/PNLS, Kigali, décembre 2000.

45. FISCHER S.-DORNBUSCH R.-SCHMALENSEE R., Economia, HOEPLI, Milano, 1992.

46. FRANK G. A., Le développement du sous-développement. L'Amérique latine, Maspero, Paris, 1970.

47. GESHEKTER C. L., «Outbreak? AIDS, Africa, and the Medication of Poverty», in Transition, Issue 67, 1995, pp. 4-14.

48. GILLESPIE S., «Potential Impact of AIDS on farming systems: a case-study from Rwanda», in Land Use Policy, October 1989, pp. 301-312.

49. GINORI A., «Veto USA sui farmaci anti-AIDS. No agli sconti per i paesi poveri: Nuova apartheid», in La Repubblica, 22 dicembre 2002, pp.14-15.

50. GREEN E.C., AIDS and STDs in Africa: Bridging the Gap between Traditional Healing and Modern Medicine, University of Natal Press, Pietermaritzburg, South Africa, 1994.

51. GUERRIEN B., La théorie économique néoclassique, tome 1 : Microéconomie, La Découverte, Paris, 1999.

52. GUERRIEN B., La théorie économique néoclassique, tome 2 : Macroéconomie, théorie des jeux, La Découverte, Paris, 1999.

53. GUINNESS L.- ALBAN A., The economic impact of AIDS in Africa : A review of the literature, Document de fonds de l'ONUSIDA pour le Forum pour le Développement de l'Afrique, Addis Abéba, 2000.

54. HENRICI P., «Il senso del tempo e la società sostenibile», in La Civiltà Cattolica, 4 gennaio 2003, pp.36-44.

55. HERZLICH C., « Vingt ans après. .l'évolution d'une épidémie », in Etudes, février 2002, pp. 185-196.

56. HOPE K. R., AIDS and Development in Africa: A social science perspective, The Haworth Press, New York, 1999.

57. HUBER J.- SCHNEIDER B.E., The social context of AIDS, Sage Publications, New Park, California, 1992.

58. HUGON P., Economie de l'Afrique, 3ème édition, La Découverte, Paris, 2001.

59. HUMAN RIGHTS WATCH, «SIDA et Droits humains», in Rapport Mondial 2002. Disponible sur Internet : http://www.hrw.org/french/reports/wr2k2/sida.html

60. INTERNATIONAL FOOD POLICY RESEARCH INSTITUTE, Sustainable Food Security for All by 2020, Proceedings of an International Conference, Bonn, September 4-6 2001, IFPRI, Washington DC, 2002.

61. IRONS-GEORGES T. (project editor), Health Issues, vol.1, Salem Press, California, 2001.

62. JACKSON H., AIDS Africa, Continent in Crisis, SAfAIDS, Harare, Zimbabwe, 2002.

63. JEAN XXIII, Mater et Magistra, 15 mai 1961.

64. JEAN-PAUL II, Sollicitudo rei socialis, 30 décembre 1987.

65. KABALISA PACIFIQUE, La réhabilitation psycho-sociale des victimes survivantes du génocide de 1994 au Rwanda, Université Catholique de Louvain, Louvain-laNeuve, 1999.

66. KANE C.H., L'aventure ambiguë, Julliard, Paris,1961.

67. KEENAN J.F., Catholic ethicists on HIV/AIDS prevention, Continuum, New York, 2000.

68. KELLY K., «Living with HIV/AIDS», in The Tablet, 13 May 1995, pp.597-599.

69. KRAMER J. M.- JOHNSON C.- KAMAU N., «The AIDS Pandemic and the Sustainability of African Communities», in Social Development Issues, 22, 2000, pp. 86-96.

70. LAMPTEY P.-WIGLEY M.- CARR D.-COLLYMORE Y., «Facing the HIV/AIDS Pandemic», Population Bulletin, vol.57, No.3, September 2002.

71. LANDESMAN P., « Lo stupro come arma di guerra», in Internazionale, 13/19 dicembre 2002, pp.28-36.

72. LEBRET L.-J., Dynamique Concrète du développement, Economie et Humanisme, Les Editions Ouvrière, 1961.

73. LEONE A. D. (editor), The Spread of AIDS, Greenhaven Press, San Diego, California, June 1997.

74. LES EVEQUES CATHOLIQUES DU RWANDA, « Hitamo Ubugingo Ureke Urupfu », lettre des évêques Catholiques du Rwanda sur la lutte contre le SIDA , Kigali, avril 2003.

75. LONERGAN B., «Guarigione e creatività nella storia», in La Civiltà Cattolica, 15 settembre 2001, pp. 492-504.

76. M. KREMER, «Pharmaceuticals and the Developing World», in Journal of Economic Perspectives, Fall 2002, p. 67-90.

77. MASINI E. B., « Limits to Sustainability in Sustainable and Equitable Development », in The 50th anniversary of the United Nations and the Italian

contribution toward the realization of the «Earth Charter», Accademia Nazionale delle Scienze, Roma, 1998, pp. 89-95.

78. MASINI E. B., Penser le futur : l'essentiel de la prospective et de ses méthodes, Dunod, Paris, 2000.

79. MINISTERE DES FINANCES ET DE LA PLANIFICATION ECONOMIQUE, Indicateurs de Développement du Rwanda 2001, Direction de la Statistique, Kigali, juillet 2001.

80. MINISTERE DES FINANCES ET DE LA PLANIFICATION ECONOMIQUE, Le Rwanda en Chiffres, Direction de la Statistique, Kigali, Edition 2001.

81. MINISTRE DE LA SANTE, Rapport annuel 2001, République Rwandaise, Kigali, mars 2002.

82. MORIN E., La tête bien faite, Seuil, Paris, 1999.

83. MORIN E., Sociologie, Seuil, Paris, 1994.

84. MSHOMBA E. R., Africa in the Global Economy, Lynne Rienner Publishers, London, 2000.

85. MUTUME G., «Les dirigeants africains partent en guerre contre le SIDA», in Développement et Coopération, Juillet/Août 2001, pp. 11-15.

86. NATIONS UNIES, VIH/SIDA: Impact sur la population et politiques suivies, Département des affaires économiques et sociales, Division de la population, New York, 2001.

87. NDIONE S. E., Le don et le recours. Ressorts de l'économie urbaine, ENDA, Dakar, 1992.

88. NDIONE S. E., Réinventer le présent. Quelques jalons pour l'action, ENDA, Dakar, 1994.

89. ONUSIDA - OMS, Le point sur l'épidémie de SIDA, Genève, décembre 2002.

90. ONUSIDA, Rapport sur l'épidémie mondiale de VIH/SIDA, Genève, juillet 2002.

91. ONUSIDA, Rapport sur l'épidémie mondiale de VIH/SIDA, Genève, Juin 2000.

92. OVER M., The Macroeconomics Impact of AIDS in sub-Saharan Africa, Technical working Paper Nr.3, World Bank, Washington, 1992.

93. PAUL VI, Octogesima adveniens, 14 mai 1971.

94. PAUL VI, Populorum Progressio, 26 mars 1967.

95. PECOUL B. et al., «Access to Essential Drugs in Poor Countries : A lost Battle ?», in Journal of the American Medical Association, January 1999, pp. 361-367.

96. PHILIPSON T.J., Private choices and public health: the AIDS epidemic in an economic perspective, Harvard University Press, Cambridge, 1993.

97. PNLS/MINISANTE, Définir les voies pour la prévention du VIH/SIDA : leçons apprises sur les aspects comportementaux, revue de la littérature dans la période post-génocide 1994-2000, novembre 2000.

98. PNUD, Rapport mondial sur le Développement Humain 2002, De Boeck, Bruxelles, 2002.

99. PRICE-SMITH A.T., The Health of Nations, The Massachusetts Institute of Technology Press, Cambridge, 2002.

100. PRZYBOROWSKI K., Il problema dell'AIDS nel Magistero della Chiesa cattolica, Pontificia Università Lateranense, Roma, 1999.

101. RAEN K., Où est le Bon Samaritain. Un défi à relever pour combattre le SIDA, publication de L'Aide de l'Eglise Norvégienne et l'Alliance Biblique Universelle, Kigali, 2002.

102. REYNTJENS F., Rwanda. Trois jours qui ont fait basculer l'histoire, L'Harmattan, Paris, 1995.

103. RIST G., Le Développement. Histoire d'une croyance occidentale, Presses des Sciences Po, Paris, 1996.

104. ROBERTS T. J.- HITE A. (eds.), From Modernization to Globalization. Perspectives on Development and Social Change, Blackwell Publishers, Oxford, March 2000.

105. ROCHER G., Introduction à la sociologie générale, tome 1: L'action sociale, tome 2 : L'organisation sociale, tome 3 : Le changement social, Seuil, Points, Paris, 1968.

106. ROSENBERG Z.- BROWN G., «Placing HIV Prevention in the Hands of Women: The promise of Microbicides», Family Health International, Arlington, VA, 2002.

107. ROSENTHAL E., «AIDS Scourge in Rural China leaves villages of Orphans», in New York Times, August 25th 2002, pp.1 et 4.

108. RWELAMIRA J. B., AIDS pandemic in East Africa: a moral response, CUEA Publications, Nairobi, 1999.

109. SACHS J.D., Macroéconomie et santé : Investir dans la santé pour le développement économique, rapport de la Commission Macroéconomie et Santé, OMS, Genève, 2001.

110. SALVINI G., «Sviluppo e libertà», in La Civiltà Cattolica, 21 dicembre 2002, pp.575-582.

111. SCHOUB B.D., AIDS and HIV perspective: a guide to understanding the virus and its consequences, Cambridge University Press, New York, 1999.

112. SEN A., Un nouveau modèle économique. Développement, Justice, Liberté, Editions Odile Jacob, Paris, août 2000. (traduction française de « Development as Freedom »).

113. SHORTER A.- ONYANCHA E., The church and AIDS in Africa. A case study: Nairobi city, Paulines Publications Africa, Nairobi,1998.

114. SINGER M. (editor), The political economy of AIDS, Baywood Publishing Company, Amityville, New York, 1998.

115. SMITH R. A. (editor), Encyclopedia of AIDS: a social, political, cultural and scientific record of the HIV epidemic, Fitzroy Dearborn, Chicago, 1998.

116. SOMERVILLE M. A.- RAPPORT D.J. (eds.), Transdisciplinarity: Re-Creating Integrated Knowledge, EOLSS Publishers, Oxford, UK.,2000.

117. STIGLITZ E. J., In un mondo imperfetto, Donzelli editore, Roma, 2001.

118. TEVOEDJRE A., La pauvreté, Richesse des peuples, Les éditions ouvrières, Paris, 1978.

119. THE ECONOMIST, « AIDS in Uganda. Was the miracle faked? No, but possibly exaggerated», August 17th 2002, pp. 38-39.

120. THE WORLD BANK, Can Africa Claim the 21st Century? , Washington, 2000.

121. THE WORLD BANK, Confronting AIDS: public priorities in a global epidemic, Oxford University Press for the World Bank, New York, 1999.

122. THE WORLD BANK, Intensifying Action against HIV/AIDS in Africa, Responding to a Development Crisis, Washington, D.C, 2000.

123. TODARO M. P., Economic Development, New York University, seven edition, Addison-Wesley, 2000.

124. TWAGIRUMUKIZA M., «Les patients sous anti-rétroviraux au Rwanda», in La Santé Tropicale. Disponible sur Internet : http://
www.santetropicale.com/rwanda/antiretro.htm

125. ULACK R.- SKINNER W. (eds.), AIDS and the Social Sciences: common threads, The University Press of Kentucky, Lexington, KY, 1991.

126. UNAIDS, Paying for HIV/AIDS services. Lessons from National Health Accounts and community-based health insurance in Rwanda 1998-1999, UNAIDS Best practice collection, Geneva, September 2001.

127. UNDP (United Nations Development Programme), Human Development Report 2001, Oxford University Press, New York, 2001.

128. UNDP (United Nations Development Programme), Human Development Report 1998, Oxford University Press, New York, 1998.

129. USAID, HIV/AIDS in the developing world, U.S. Agency for International Development, Washington, D.C, 1999.

130. UTZ A. F., Dottrina sociale della chiesa e ordine economico, Edizioni Dehoniane, Bologna, 1993.

131. VANSON J. J., AIDS a challenge to the modern society, Università Urbaniana, Roma,1996.

132. VON RÖNNE A., « Empowerment of girls in Africa », in Development and Cooperation, February 2003, pp. 64-66.

133. WEHRWEIN P., «The Economic Impact of AIDS in Africa», in Harvard AIDS review, Fall 1999/Winter 2000. Disponible sur Internet:
http://www.hsph.harvard.edu/hai/news_publications/har/fallwin_1999/fallwin99- 4.html

134. WELLER S. C., «A meta-analysis of condom effectiveness in reducing sexually transmitted HIV», in Social Science & Medicine, Volume 36, Issue 12, June 1993, pp.1635-1644.

135. WHITESIDE A., «Poverty and HIV/AIDS in Africa», in Third World Quarterly, Vol. 23, N°2, 2002, pp.313-332.

136. WHITESIDE A.-LOEWENSON R., HIV/AIDS. Implications for Poverty Reduction, PNUD, New York, 2001.

137. WORLD COUNCIL OF CHURCHES, The Ecumenical response to HIV/AIDS in Africa. Plan of Action, Nairobi, Kenya, 25-28 November 2001.

SIGLES ET ABREVIATIONS

1. AJAN: African Jesuit AIDS Network.

2. ANSP + : Association Nationale de Soutien aux personnes vivant avec le SIDA.

3. ARBEF : Association Rwandaise pour le Bien-être Familial.

4. ARV : Médicaments Antirétroviraux.

5. ATTAC : Association pour la Taxation des Transactions financières pour l'Aide

aux Citoyens.

6. AZT: Azidothymidine ou Zidovudine.

7. BAD : Banque Africaine de Développement.

8. BIT: Bureau International du travail.

9. BNR: Banque Nationale du Rwanda.

10. BRALIRWA : Brasserie et Limonaderie du Rwanda.

11. BRD: Banque Rwandaise de Développement.

12. CAP : Connaissances, Attitudes et Pratiques.

13. CHK: Centre Hospitalier de Kigali.

14. CNLS : Commission Nationale de Lutte contre le SIDA.

15. CRIS : Centre Rwandais d'Information sur le SIDA.

16. ESDR-II : 2ème Enquête Démographique et de Santé au Rwanda, 2000.

17. FAO : Fonds des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture.

18. FHI : Family Health International.

19. FMI: Fonds Monétaire International.

20. FNUAP: Fonds des Nations Unies pour la Population.

21. Frw : Franc Rwandais

22. HAART : Higly Active Antiretroviral Therapy.

23. IEC : Information, Education et Communication.

24. IMPACT : Implementing AIDS Prevention and CARE Project.

25. IR : Impôt sur le Revenu.

26. IST: Infection Sexuellement Transmissible.

27. KIST : Kigali Institute for Science and Technology.

28. MIFOTRA: Ministère de la Fonction Publique et du Travail.

29. MIGEPROFE : Ministère du Genre et de la Promotion de la Femme.

30. MIJESPOC : Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Culture.

31. MINADEF : Ministère de la Défense.

32. MINALOC : Ministère de l'Administration Locale et des Affaires Sociales.

33. MINECOFIN : Ministère des Finances et de la Planification Economique.

34. MINEDUC : Ministère de l'Education, de la Science, de la Technologie et de la Recherche Scientifique.

35. MINISANTE : Ministère de la Santé.

36. MST: Maladie Sexuellement Transmissible.

37. OCIR-Café:Office de Culture Industrielle du Rwanda (Café).

38. OCIR-Thé : Office de Culture Industrielle du Rwanda (Thé).

39. OMC: Organisation Mondiale du Commerce.

40. OMS : Organisation Mondiale de la Santé.

41. OMS/AFRO : Bureau régional de l'Organisation Mondiale de la Santé pour l'Afrique.

42. ONAPO : Office National de la Population ;

43. ONGs : Organisations Non Gouvernementales.

44. ONUSIDA: Programme commun des Nations Unies sur le SIDA (UNAIDS en anglais).

45. PIB: Produit Intérieur Brut.

46. PME : Petites et Moyennes Entreprises.

47. PNB : Produit National Brut.

48. PNLS : Programme National de Lutte contre le SIDA.

49. PNUD: Programme des Nations Unies pour le Développement (UNDP en anglais).

50. PRB : Population Reference Bureau.

51. PUG : Pontificia Università Gregoriana.

52. SIDA : Syndrome de l'Immunodéficience Acquise.

53. TRAC : Treatment and Research on AIDS Center.

54. TRIPS : Trade Related Aspects of Intellectual Property Rights.

55. TVA : Taxe à la Valeur Ajoutée.

56. UNRISD : United Nations Research Institute for Social Development.

57. USAID: United States Agency for International Development.

58. VCT : Voluntary Counselling and Testing.

59. VIH : Virus de l'Immunodéficience Humaine.

TABLE DE MATIERES

DEDICACE 2

REMERCIEMENTS 3

INTRODUCTION 4

CHAPITRE I LE VIH/SIDA 9

1. Clarifications sur le VIH/SIDA 9

1.1 La découverte de la maladie 9

1.2 Caractéristiques 9

1.3 Symptômes 10

1.4 Voies de transmission du VIH 11

1.4.1 La voie sanguine 11

1.4.3 La grossesse et l'allaitement 12

1.4.4 Autres voies 12

1.5 Groupes vulnérables 13

1.6 Traitements disponibles 13

1.7 La prévention 15

2. Une pandémie mondiale 17

2.1 Les estimations au niveau mondial 17

2.2 La situation de l'Afrique subsaharienne 19

2.2.1 L'expansion de l'épidémie 19

2.2.2 La situation des différentes régions du continent 20

2.2.3 Spécificité de la transmission du virus 22

2.2.4 Causes de la grande expansion du VIH/SIDA sur le continent 22

2.2.5 limites des statistiques 28

2.2.6 Conclusion 29

2. 3 Le reste du monde 32

2.3.1 Asie du sud 32

2.3.2 Europe de l'Est 32

2.3.3 Caraïbes et Amérique latine 33

2.3.4 Amérique du Nord 33

2.3.5 Europe occidentale 34

2.3.6 Océanie 34

2.3.7 Afrique du Nord et Moyen Orient 34

2.4 Conclusion 36

3. Rwanda 36

3.1 Quelques données de base 37

3.2 Données sur le VIH/SIDA 38

3.3 Tendances et évolution de l'épidémie 40

3.4 Conclusion 42

CHAPITRE II IMPACT ECONOMIQUE DU VIH/SIDA 44

1. Au niveau microéconomique 44

1.1 Les ménages 45

1.2 Les différents secteurs 49

1.2.1. L'agriculture 49

1.2.2. L'Industrie 52

1.2.3. Les services 54

2. Au niveau macroéconomique 56

2.1. Le revenu national 57

2.2. Les investissements 58

2.2.1. Les investissements nationaux 59

2.2.2. Les investissements étrangers 60

2.3. Les dépenses publiques 61

2.3.1 Le secteur de l'éducation 62

2.3.2 Le secteur de la santé 65

2.3.3. Politique économique et fiscale 68

2.4. Exportations et importations 71

2.4.1. Les exportations 73

2.4.2. Les importations 74

2.5 Le Produit Intérieur Brut 77

CHAPITRE III INCIDENCES SOCIALES ET PROPOSITIONS 82

1. Incidences sociales 83

1.1 Au niveau démographique 83

1.1.1. la dynamique démographique 83

1.1.2. la distribution de la population sur le territoire 87

1.1.3. le profil professionnel 88

1.2 Au niveau de la condition féminine 89

1.3 Au niveau des droits humains 91

1.3.1 Stigmatisation et discrimination des personnes vivant avec le VIH/SIDA 92

1.3.2 Droit aux traitements. 94

2. Propositions 98

2.1 Au niveau du secteur public 98

2.2 Au niveau du secteur privé 102

2.3 Au niveau du secteur communautaire 103

2.4 Au niveau international 107

CONCLUSION 109

BIBLIOGRAPHIE 117

SIGLES ET ABREVIATIONS 125

TABLE DE MATIERES 128






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon