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VIH/sida: défi au développement de l'Afrique. Une étude de l'impact économique et social de la pandémie au Rwanda

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par Michel Segatagara KAMANZI
Université pontificale grégorienne - Licence en sciences sociales 2003
  

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CHAPITRE II
IMPACT ECONOMIQUE DU VIH/SIDA

Nous venons de voir que, au Rwanda comme partout ailleurs en Afrique, l'expansion de l'épidémie du VIH/SIDA a des origines économiques et sociales. Il y a un peu plus de 20 ans que l'on a découvert le premier cas du VIH/SIDA au Rwanda ; et, depuis lors, la maladie continue, à travers sa progression, à menacer et à décimer une population déjà confrontée à plusieurs autres problèmes qui se sont aggravés avec les conséquences de la guerre du début des années 1990 et avec le génocide de 1994. C'est dans ce contexte complexe que nous voulons analyser et prévoir quelles contraintes l'épidémie du VIH/SIDA vient poser à l'économie rwandaise dans son ensemble. Notre démarche adopte la vision de Louis Joseph Lebret : « Nous n'acceptons pas de séparer l'économique de l'humain, le développement des civilisations où il s'inscrit. Ce qui compte pour nous, c'est l'homme, chaque homme, chaque groupement d'hommes, jusqu'à l'humanité tout entière.78 »

Nous nous proposons d'étudier la menace réelle que constitue le VIH/SIDA pour le présent et l'avenir du Rwanda. En effet, comme le constatait Koffi Annan, secrétaire général de l'ONU, lors de la journée mondiale pour la lutte contre le SIDA, le 1er décembre 2001: « le sida n'est pas seulement voleur de présent, il vole aussi l'avenir. » L'analyse, dans ce chapitre, de l'impact économique du VIH/SIDA au Rwanda sera conduite d'abord au niveau microéconomique, et puis ensuite au niveau macroéconomique.

1. Au niveau microéconomique

La microéconomie est la partie de la théorie économique qui s'occupe des comportements des individus, des groupes et institutions, comme le sont, par exemple, les entreprises. Elle analyse leurs comportements, leurs interactions ainsi que leurs décisions dans le domaine de la production, de la consommation, de la fixation des prix et des

78 L.J LEBRET, Dynamique Concrète du développement, Economie et Humanisme, Les Editions Ouvrière, 1961, p.28. Voir aussi PAUL VI, Populorum Progressio, Vatican , 26 mars 1967, n.14.

revenus79. « Les besoins de l'analyse - notamment en ce qui concerne la prise de décision - conduisent toutefois à envisager non pas des individus à proprement parler, mais des entités, les ménages et les entreprises80. » Ce sont ces deux unités de base que nous allons envisager dans leur rapport avec l'épidémie du VIH/SIDA. Nous tenterons de voir ce que l'épidémie implique pour les choix et les décisions des ménages et des différents secteurs de l'économie dans lesquels oeuvrent les entreprises en vue de la production, distribution, échange et consommation des biens et services pour la satisfaction des besoins de la population.

1.1 Les ménages

Les ménages constituent les cellules de base de l'économie. Ils sont définis comme étant, en même temps, des unités de production et de consommation formés par un ou plusieurs individus81. Un ménage frappé par le VIH/SIDA, notamment par la contamination d'au moins un de ses membres, se retrouve rapidement confronté à une situation où ses dépenses augmentent tandis que ses revenus diminuent. Les coûts augmentent pour la prise en charge de la personne infectée. Les revenus se font rares car il y a moins d'entrées provenant du travail du membre infecté et, les épargnes, quand ils existent, sont soumises à une forte réduction par la prise en charge du malade et les dépenses ménagères ordinaires auxquelles le membre malade ne peut plus contribuer.

Le ménage est davantage frappé lorsque le membre infecté par le VIH constituait le principal « gagne pain », en d'autres mots, lorsque ses revenus contribuaient en grande partie, si pas totalement à la satisfaction des besoins de la famille. On assiste donc à une situation où augmente la demande des biens et services, et en particulier ceux de la personne malade, tandis que les ressources déjà limitées diminuent avec la perte du revenu de la personne « nourricière » devenue malade. On comprend alors que les ménages, ayant un membre infecté, soient les premiers à être directement touchés par l'épidémie du VIH/SIDA.

79 Cf. Dictionnaire d'Économie et de Sciences Sociales, sous la direction de C.-D. Echaudemaison, Nathan, Paris, 1998, p. 281.

80 B.GUERRIEN, La théorie économique néoclassique, tome 1 : Microéconomie, La Découverte, Paris, 1999, p.11.

81 A.T. PRICE-SMITH, The Health of Nations, The Massachussetts Insitute of Technology Press, Cambridge, 2002, p. 83.

Au Rwanda, où plus de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, la situation des ménages affectés par le VIH/SIDA se révèle encore plus dramatique.

En milieu rural, qui abrite environ 85% de la population rwandaise, les ménages sont non seulement confrontés aux difficultés de la vie quotidienne comme le manque d'accès à l'eau potable et aux infrastructures sociales de base, mais, en cas de maladie d'un de leurs membres, ils doivent encore faire face aux coûts de santé. Bien plus, comme le SIDA affaiblit progressivement la personne infectée, il la rend, après un certain temps, inapte au travail. Et, dans les zones rurales, il s'agit souvent du travail agricole intensif que le malade ne peut plus, à moyen terme, soutenir. Ainsi, avec la diminution graduelle de ses forces, la personne malade devient finalement incapable de subvenir aux besoins de sa famille et de sa communauté. Avec le déclenchement du SIDA, au contraire, c'est le ménage qui, alors qu'elle est, par ce fait même, privé de revenus, doit aussi consentir à des nouvelles dépenses pour soigner les infections opportunistes de son membre malade. De la sorte, ces familles déjà pauvres subissent deux formes de privation qui aggravent leur pauvreté : la perte du travail du membre malade et la perte des épargnes ou des ressources dont elles disposaient pour faire face aux besoins domestiques ordinaires et qui augmentent avec la prise en charge de la personne malade du SIDA.

Devant ces nouvelles contraintes dues à l'infection du VIH/SIDA, les choix pour l'allocation des ressources dont dispose encore le ménage se trouvent aussi limités, car il y a des besoins plus urgents auxquels il faut satisfaire. Le coüt d'opportunité, c'est-à-dire la quantité des biens et services auxquels il faut renoncer pour obtenir un autre bien ou service82, devient très élevé. Les ménages se trouvent, par exemple, devant un dilemme : ou continuer à envoyer les enfants à l'école ou les garder à la maison pour assurer le travail agricole que la personne malade ne peut plus assurer ; ou encore renoncer à travailler pour prendre soin du malade qui progressivement devient totalement dépendant, en particulier dans la phase terminale de la maladie.

Les coûts liés à la prise en charge de la personne malade sont souvent très élevés, et, en cas de décès, il faut y ajouter les frais des funérailles. A cause de leur pauvreté, plusieurs ménages n'arrivent pas souvent à faire face à ces dépenses et doivent ou vendre une partie de leur patrimoine ou contracter des dettes qui seront dans la suite très difficiles à

82 S.FISCHER, R. DORNBUSCH, R. SCHMALENSEE, Economia, HOEPLI, Milano, 1992, p. 12.

rembourser. Une étude, menée par l'ONUSIDA au niveau du Rwanda83, révèle cette situation dramatique des ménages. Elle constate la difficulté, et même l'impossibilité, pour la majorité des ménages ayant des membres vivants avec le VIH/SIDA, de satisfaire leurs besoins de nourriture, de logement, d'éducation et d'habillement84. Après avoir relevé que les familles ayant des membres séropositifs en leur sein sont confrontés à des sérieux défis quant à leur bien-être, la même étude précise que, en plus du poids des dépenses pour les médicaments et traitements des infections liés au VIH/SIDA, plusieurs familles affrontent difficilement la contrainte de la perte de revenu due aux jours de travail perdus soit par le membre infecté soit par le membre de famille qui doit prendre soin du malade (absentéisme).

Ce qui alourdit encore davantage le poids des dépenses liées aux personnes vivant avec le VIH/SIDA dans les ménages, c'est que ces dépenses sont supportées, pour la grande partie, par des fonds privés, et donc, en général, par les familles elles-mêmes. En effet, d'après l'étude de l'ONUSIDA, plus de 90% des fonds alloués à la prise en charge des personnes vivant avec le VIH, proviennent des sources privées. Cela veut dire que la possibilité pour un ménage, qui a des membres séropositifs en son sein, d'affronter les dépenses liées à leur prise en charge, dépend souvent entièrement de ses propres ressources. Or, en tenant compte de la pauvreté de plusieurs de ces ménages, l'étude de l'ONUSIDA au Rwanda a révélé que seulement 28% des ménages étaient capables de faire face à ces coûts à partir de leurs propres ressources, tandis que 72% ne pouvaient pas payer les soins de santé par eux-mêmes. Ces derniers ménages se sont résolus à chercher d'autres sources de financement dont l'assistance financière, l'emprunt ou la vente du patrimoine familial85.

L'on peut voir, par là, qu'il existe une grande inégalité dans la possibilité de faire face aux différents coüts qu'implique le VIH/SIDA pour une simple famille rwandaise. L'étude de l'ONUSIDA, à laquelle nous continuons à nous référer, estime les dépenses en soins de santé par malade séropositif en moyenne à 63$US par an ; elle indique que les résidants du milieu urbain dépensent plus que ceux des zones rurales, que les hommes

83 UNAIDS, Paying for HIV/AIDS services. Lessons from National Health Accounts and community-based health insurance in Rwanda 1998-1999, UNAIDS Best practice collection, Geneva, September 2001.

84 Ibid., p. 8.

85 Ibid., p. 7.

dépensent deux fois plus que les femmes et que ceux qui vivent en milieu urbain visitent les centres de santé plus de 10 fois que ceux qui habitent en milieu rural86. Cette inégalité d'opportunité peut s'expliquer, probablement, par le manque des ressources financières et par le peu d'infrastructures sanitaires dont disposent les milieux ruraux. Ces dernières considérations prouvent également que l'impact de l'épidémie sur les familles est davantage plus lourd dans des zones rurales et sur les femmes. Et pourtant, les zones rurales constituent, en plus de leur importance en population, le grenier de l'économie nationale qui repose essentiellement sur l'agriculture avec 41% du Produit Intérieur Brut et environ 80 % du total des exportations87. De leur côté, les femmes constituent plus de la moitié de la population rwandaise et sont nombreuses à la tête des ménages. Ce dernier phénomène est surtout la conséquence du génocide de 1994, qui a laissé plusieurs familles monoparentales, essentiellement dirigées par les femmes et dont 60% sont sans revenus et sans soutien88.

Jusqu'ici, nous avons parlé de l'impact direct que le SIDA a sur les ménages ayant au moins un membre infecté. Nous allons maintenant considérer brièvement ses conséquences indirectes mais réelles pour les ménages qui sont en relation avec la famille d'une personne infectée. Les retombées du SIDA s'étendent en effet au-delà du cercle familial directement concerné par la maladie. Plusieurs familles sont indirectement touchées. Il y a celles, par exemple, qui doivent prendre soin des orphelins laissés par le malade décédé du SIDA, aider dans les soins de santé et les frais des funérailles, intervenir pour pallier au manque créé par la disparition du travailleur malade du SIDA89. En particulier, la famille élargie est souvent obligée de prendre en charge les orphelins laissés par leurs parents décédés à cause du SIDA. Souvent, ces familles élargies, outre le fait qu'elles sont déjà pauvres, sont composées des personnes âgées, parents de la personne défunte et qui, elles-mêmes, dépendaient, pour vivre, de l'aide de leur fils ou fille décédé. Ainsi, en dépit de ses ressources limitées ou inexistantes, la famille élargie est confrontée à son obligation d'assurer la survie des orphelins et même de la veuve laissée par son

86 Ibid., p.6.

87 Cf. MINISTERE DES FINANCES ET DE LA PLANIFICATION ECONOMIQUE, Le Rwanda en Chiffres, Edition 2001.

88 COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS), Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006, Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002, p. 51.

89 Cf. A.T. PRICE-SMITH, The Health of Nations, The Massachussetts Insitute of Technology Press, Cambridge, 2002, p. 83.

conjoint. La perte d'un membre de famille signifie aussi, pour le ménage et la communauté, une perte en ressources humaines en tant que le défunt représente une expérience non transmise et un capital social perdu. Nous le verrons davantage au niveau des différents secteurs de l'économie, en particulier au niveau de l'agriculture.

Faisons le point à ce niveau. L'impact du VIH/SIDA sur le ménage s'atteste particulièrement par la perte de revenus du membre infecté qui entraîne une baisse de revenus de toute la famille et qui rend ainsi plus limitées l'épargne et la consommation de celle-ci. La présence d'un membre infecté par le VIH/SIDA comporte des coüts élevés pour le ménage qui dispose souvent des ressources déjà très limitées et qui se voit parfois contraint à vendre son patrimoine ou à contracter des dettes. Les coüts se font d'ailleurs plus élevés avec la progression de l'infection car, très vite, la personne infectée devient totalement dépendante des autres membres de la famille, qui doivent affronter un coût d'opportunité élevé pour faire face aux différents besoins de la personne malade et, en cas de décès, aux dépenses des funérailles. Les autres ménages sont aussi affectés de manière indirecte, car ils doivent prendre en charge les orphelins ou la veuve, ou encore les dépenses liées à la perte du membre de la communauté infectée par le VIH/SIDA. A un niveau micro, ces coûts sont souvent énormes pour des familles déjà très pauvres et souvent monoparentales. La croissance de la pandémie de VIH/SIDA dans les milieux ruraux laisse entrevoir que, si rien n'est fait, l'impact au niveau des ménages pourrait être encore plus catastrophique en s'étendant au niveau macroéconomique, qui est l'agrégation de la production de ces agents de base de l'économie que sont les ménages.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry