WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

VIH/sida: défi au développement de l'Afrique. Une étude de l'impact économique et social de la pandémie au Rwanda

( Télécharger le fichier original )
par Michel Segatagara KAMANZI
Université pontificale grégorienne - Licence en sciences sociales 2003
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

2.2.3 Spécificité de la transmission du virus

En Afrique subsaharienne, la transmission du VIH se fait principalement par voie sexuelle. En particulier c'est la voie hétérosexuelle qui est la plus commune, contrairement aux pays industrialisés où la maladie est surtout répandue parmi les populations homosexuelles et héroïnomanes. La voie verticale, c'est-à-dire de la mere à l'enfant, constitue la seconde voie la plus répandue en Afrique subsaharienne. La voie sanguine est beaucoup moins répandue grâce aux nouvelles techniques de contrôle sanguin. Cette dernière affirmation n'est peut-être pas valable pour les milieux ruraux où, souvent, font défaut des centres de santé bien équipés et capables d'effectuer des contrôles de sang fiables, et où beaucoup de personnes fréquentent des tradi-praticiens chez qui la stérilité du matériel n'est pas toujours garanti.

2.2.4 Causes de la grande expansion du VIH/SIDA sur le continent

Il existe des controverses sur l'explication des causes de la forte expansion du VIH/SIDA sur le continent africain. Plusieurs experts ont cherché à donner une explication de ce phénomène en se limitant à un ou quelques aspects de la question. Ainsi certains ontils voulu expliquer les causes de l'expansion de la pandémie sur le continent, en ne considérant que les facteurs purement culturels, ou socioéconomiques, ou politiques et organisationnels, ou encore psychosociaux. Ces approches, que nous considérons réductives et généralisantes ont tendance à considérer qu'il n'existe qu'une seule culture en Afrique. Elles oublient que les cultures sont nombreuses sur le continent, et que celles-ci varient énormément selon les pays. Et même à l'intérieur d'un même pays il est prétentieux de parler d'une unique culture, entendant par-là une manière de faire, de sentir et de penser propre à une collectivité humaine.24

a) les facteurs culturels

La controverse sur les causes de l'expansion de l'épidémie du VIH/SIDA en Afrique a surtout porté sur les facteurs culturels. Certains anthropologues et chercheurs ont retenu que certaines pratiques culturelles, propres à l'Afrique, expliquaient la forte expansion de l'épidémie sur le continent. C'est, par exemple, le cas de l'étude de Caldwell,

24 Cf. AA VV. , Dicionnaire d'Économie et de Sciences Sociales, sous la direction de C.-D. Echaudemaison, Nathan, Paris, 1998, p. 106.

Caldwell et Quiggin25 qui a attribué la rapide expansion du VIH/SIDA à la permissivité sexuelle dans la société africaine. Cette étude prétendait avoir découvert les habitudes de permissivité sexuelle en Afrique, qui s'enracinaient dans l'absence de contraintes morales et institutionnelles spécialement à l'égard des femmes. Elle reconnaissait cette permissivité notamment par deux phénomènes, le « multipartenariat sexuel » et les relations extra maritales26. Outre qu'elle généralise à outrance, cette étude reprend des stéréotypes et préjugés de la littérature de la période coloniale qui racontait beaucoup d'histoires sur le comportement sexuel des africains. A ce propos, Green, dans une étude menée en 1994, a fait une observation qu'il est intéressant de mentionner. Il montre comment au 19ème siècle, on a écrit un grand nombre de récits très ethnocentriques, sensationnels et moralisants au sujet du comportement sexuel des africains. Ces études, affirme Green, avaient clairement l'intention de choquer et peut-être même d'exciter le lecteur en voulant montrer que les Africains ne contrôlaient pas leur comportement sexuel ou qu'ils avaient des faibles restrictions morales à ce sujet27.

Or, les préjugés ont la vie longue. Pempelani Mufune, dans une récente publication sur le SIDA en Afrique, estime que la première partie du 20ème siècle n'a pas été meilleure par rapport aux récits des anthropologues culturels du 19ème siècle. Pour lui, par exemple, l'assertion selon laquelle les relations sexuelles extra-maritales sont plus répandues en Afrique que dans le reste du monde, est ressortie des mêmes stéréotypes et préjugés que ceux qui avaient cours durant la période coloniale28. Et, pour notre part, nous estimons que même de nos jours, il n'y a pas de grand changement concernant ces stéréotypes sur les Africains. En 1994, lors de la 10ème conférence internationale sur le SIDA à Yokohama, le docteur Yuichi Shiokawa déclara que l'épidémie du SIDA en Afrique pouvait être mise sous contrôle, seulement si les Africains diminuaient leurs envies sexuelles29. Le professeur Nathan Clumeck de l'Université Libre de Bruxelles se montra sceptique sur un

25 Cf. J. CALDWELL, P. CALDWELL, AND P.QUIGGIN, «The Social Context of AIDS in Sub-Saharan Africa», in Population and Development Review 15 (2), 1989, pp.185-234.

26 Cf. PEMPELANI MUFUNE, «Social Science explanations of the AIDS Pandemic in Africa», in AIDS and Development in Africa, Kempe Ronald Hope, editor, The Haworth Press, New York, 1999, p. 23.

27 E.C. GREEN, AIDS and STDs in Africa: Bridging the Gap between Traditional Healing and Modern Medicine, University of Natal Press, Pietermaritzburg, South Africa, 1994, p.95.

28 PEMPELANI MUFUNE, «Social Science explanations of the AIDS Pandemic in Africa», in AIDS and Development in Africa, Kempe Ronald Hope, editor, The Haworth Press, New York, 1999, p. 25.

29 Cf. C. L. GESHEKTER, « Outbreak? AIDS, Africa, and the Medication of Poverty, in Transition, Issue 67, 1995, pp. 8-9.

changement de comportement des Africains en matière sexuelle. En 1994, dans une interview au journal Le Monde, il avait déclaré que « le sexe, l'amour et la maladie ne veulent pas dire la même chose pour les Africains que ce qu'ils disent aux européens occidentaux [parce que]. la notion de culpabilité n'existe pas pour eux comme elle est dans la culture judéo-chrétienne de l'occident30. » Charles Geshekter qui rapporte cette interview31, se dit particulièrement irrité par ce qui est écrit sur l'Afrique, avec des grosses généralisations qui ignorent complètement la diversité culturelle sur le continent, et des stéréotypes racistes qui sont fréquentes dans les discussions sur le SIDA en Afrique. Ces discussions mettent en avant la « prédilection » sexuelle des Africains et ne disent rien sur les facteurs socioéconomiques et environnementaux qui contribuent au désordre immunologique32. Le même Charles Geshekter se demande pourquoi les occidentaux n'écoutent pas la voix des scientifiques africains, qui affirment que l'explosion de l'épidémie n'est pas liée à des habitudes sexuelles anormales de la part des Africains, mais plutôt à l'existence des « vieilles maladies » telles que les soins de santé inadéquats, la malnutrition, les infections endémiques et le manque d'eau salubre33. Peut-être que, comme le suggèrent les évêques Catholiques du Kenya dans leur lettre sur l'épidémie du SIDA et son impact, la crise du SIDA en Afrique nous dit combien nous sommes devenus pauvres et non, comme certains le supposent, combien nos peuples sont ignorants34.

Avec cette mise au point, il faut, toutefois, reconnaître qu'il existe, sur le continent, certaines traditions et pratiques culturelles qui exposent à la contamination facile du VIH/SIDA et qui peuvent favoriser son expansion. C'est le cas, par exemple, du lévirat ou du sororat35qui sont encore répandus dans plusieurs pays du continent, notamment dans les milieux ruraux qui, en général, gardent encore une forte fidélité aux coutumes et aux traditions. Le lévirat ou le sororat prévoit les circonstances où les hommes ont le devoir d'avoir des rapports sexuels, avec les veuves ou autres membres de la famille endeuillée

30 Ibid., p. 9.

31 Ibid.

32 Ibid., p.6-7.

33 Ibid., p. 9.

34 Cf. CATHOLIC BISHOPS OF KENYA, The AIDS Pandemic and Its Impact on our people, Paulines Publications Africa, Nairobi, December 1999, p. 9.

35 Le lévirat, en anthropologie sociale, est défini comme une coutume très générale qui oblige un homme à épouser la veuve de son frère. Le sororat, terme introduit en 1910 par Frazer, désigne une coutume complémentaire du lévirat, le mari épouse la soeur de sa femme défunte ; dans certains cas, le mari en a le droit même si sa femme vit encore. Cf. Lexique des sciences sociales, éditions DALLOZ, Paris, 1999.

sans que l'on se soucie du statut sérologique des uns et des autres. Cela constitue un grand risque de contamination pour toutes les personnes impliquées dans ces rapports et pour leurs conjoints ou partenaires36. En évitant toute généralisation, il faut noter aussi que la polygamie, répandue dans certaines régions du continent, peut aussi favoriser l'expansion rapide du VIH/SIDA.

Enfin, des pratiques comme l'excision, les scarifications, l'allaitement des enfants par une autre femme, etc., exposent dangereusement à la contamination du VIH. Au Rwanda, par exemple, une étude conjointe du Ministère de la santé et du programme national de lutte contre le SIDA, effectuée en 2000, reconnaissait qu'il existe des pratiques, influencées par la culture, qui exposent à la propagation du VIH/SIDA au Rwanda, notamment certaines pratiques sexuelles durant la période de grossesse et celle postpartum37.

b) les facteurs économiques

Les facteurs économiques jouent certainement un grand rôle dans l'expansion rapide du VIH/SIDA sur le continent africain, en particulier la pauvreté expose des nombreuses personnes à la contamination facile du VIH. Cela s'explique par le fait que de par leur condition, des personnes pauvres sont souvent contraintes par les circonstances à se livrer à des comportements qui les mettent en situation de haut risque de contracter le VIH. C'est le cas notamment de la prostitution causée par le manque de ressources pour faire face aux besoins essentiels de la vie quotidienne, et de la migration dans les centres urbains à la recherche d'un emploi rémunérateur, car, souvent, l'agriculture n'arrive pas à satisfaire les besoins des familles. Poussées donc par la pauvreté, les personnes déplacées, souvent loin de leur famille, se livrent ainsi à des comportements susceptibles de leur faire contracter le virus.

La pauvreté est aussi responsable du fait que, une fois infecté par le virus, on soit plus vulnérable aux infections opportunistes qui entraîneront très vite la mort, vu le manque d'accès à un régime alimentaire et à des soins de santé adéquats, ainsi qu'aux traitements et moyens de prévention qui pourraient prolonger la vie des malades et leur permettre de faire

36 COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS), Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006, Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002, p. 22.

37 Voir à ce sujet PNLS/MINISANTE, Définir les voies pour la prévention du VIH/SIDA : leçons apprises sur les aspects comportementaux, revue de la littérature dans la période post-génocide 1994-2000, novembre 2000, p. 13.

face au virus. Sont également dûs au facteur économique le faible taux d'alphabétisation et le manque d'accès à l'information adéquate, notamment en matière de prévention du VIH/SIDA. Il faudra tout de même noter les efforts qui ont été fournis ces dernières années sur le continent pour la sensibilisation et l'information des populations, bien sür à des degrés différents selon les pays et l'engagement des gouvernements.

c) la pauvreté des femmes

Les femmes pauvres sont les plus vulnérables à la contamination. Etant les moins instruites dans la plupart des pays et, de par leur statut social inférieur, elles sont, pour la plupart d'entre elles, complètement dépendantes de leurs maris ou des hommes qui possèdent les moyens financiers et économiques. On peut comprendre que les femmes pauvres n'aient pas beaucoup de choix devant des hommes possédant l'avoir, le savoir et le pouvoir, et que, devant assumer leurs responsabilités de nourrir toute la famille et leurs enfants en particulier, elles se trouvent à la merci des hommes qui pourraient être porteurs du virus ou de leurs maris qui ont contracté le virus en dehors du foyer. La vulnérabilité des femmes est donc liée à leur statut social et à leur faible niveau d'instruction, en plus de leur faible pouvoir économique.

d) facteurs politiques et structurels

Les facteurs politiques et structurels, relèvent, eux, de l'organisation politique et sociale des pays africains ; ainsi le manque d'infrastructures sociales et médicales expose les populations du continent à développer plus facilement le SIDA. On reproche aussi aux gouvernements de favoriser l'expansion de la maladie, à cause de leur peu d'engagement politique dans la lutte contre le SIDA. Sans vouloir atténuer la responsabilité des gouvernements dans les choix faits dans l'allocation des ressources publiques, il faudrait reconnaître que la pauvreté de la plupart des pays africains et leur forte dépendance de l'aide extérieure rendent difficiles la disponibilité des moyens pour la lutte contre le SIDA.

Au niveau structurel, comme la plupart des structures de production, par exemple les usines, se situent dans les milieux urbains, elles obligent de nombreuses personnes à émigrer pour trouver de l'emploi. Les travailleurs séparés ainsi de leur famille et de leur milieu d'origine, connaissent souvent une grande solitude et une baisse du contrôle social qui les exposent à des comportements sexuels qui peuvent avoir des conséquences néfastes dans la suite pour leurs conjoints restés au village. En effet, lors de l'apparition de

l'épidémie, le SIDA était considéré comme une maladie des villes ; mais tres vite elle s'est répandue aussi en milieu rural, occasionnant ainsi une généralisation de la maladie dans la population de plusieurs pays. Le problème est plus préoccupant dans les milieux ruraux où vivent la grande partie des populations et où très peu de moyens sont déployés pour faire face à l'épidémie, alors que, par ailleurs, ces milieux constituent les greniers de la plupart des économies africaines.

L'instabilité politique de plusieurs pays du continent ainsi que les nombreux conflits armés ont aussi donné lieu à une plus grande vulnérabilité des populations. Ainsi des nombreuses populations déplacées et réfugiées, à cause de ces instabilités politiques, sont contraintes à vivre dans une grande promiscuité, tandis que les conflits et les guerres continuent d'occasionner des actes de barbarie comme les viols, susceptibles de transmettre le virus ; cela s'est vérifié par exemple durant le génocide rwandais de 1994 qui a laissé plusieurs jeunes femmes et filles contaminées. En plus de la situation de promiscuité créée par le déplacement des populations à cause des conflits, le manque de nourriture et les conditions sanitaires précaires dans lesquels vivent ces populations les rendent encore plus vulnérables au VIH/SIDA et aux infections opportunistes associées à ce dernier. Une récente étude menée au Rwanda, Burundi et dans l'Est de la République Démocratique du Congo montre combien les conflits contribuent à aggraver la propagation du VIH/SIDA dans la région38.

e) facteurs psychosociaux

En ce qui concerne les facteurs dits psychosociaux, ils sont plus difficiles à cerner et à percevoir. Les comportements et pratiques sexuels, bien qu'ils soient en partie liés à la culture et aux traditions, demeurent de la sphère strictement intime et ils sont souvent très peu rationnels. Toutefois, il y a certainement une grande influence de la dynamique des groupes sur les comportements adoptés par les personnes en cette matière, en particulier chez les jeunes. C'est pourquoi, par exemple, le désespoir face à un passé difficile, ou à un avenir incertain, exposent plusieurs africains et africaines à des comportements susceptibles de les faire contracter le VIH.

38 V. BENSMANN, HIV/AIDS & Conflict, Research in Rwanda, Burundi, and Eastern DRC, Save the Children-UK, UNICEF and UNAIDS, May 30, 2003.

Au niveau des comportements, il faudrait aussi signaler le phénomène qu'on appelle en économie « effet de démonstration » ou effet d'imitation, c'est-à-dire la propagation, dans une société, de normes de comportement à partir d'un modèle extérieur à celle-ci. On constate souvent que les pays sous-développés imitent les normes de consommation et les styles de vie importés des pays industrialisés. Aussi, certains chercheurs ont affirmé que les changements sociaux, apportés par l'influence occidentale dans les sociétés africaines, ont prolongé la période d'adolescence et ont affaibli les valeurs traditionnelles et familiales en matière de comportement sexuel, occasionnant ainsi une anomie sociale qui favorise des comportements à hauts risques face au SIDA39.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe