Les Comités de Défense de la Révolution(CDR) dans la politique du Conseil National de la Révolution(CNR)de 1983 à 1987: une approche historique à partir de la ville de Ouagadougou( Télécharger le fichier original )par Kakiswendépoulmdé Marcel Marie Anselme LALSAGA Université de Ouagadougou - Maîtrise 2007 |
III.1.2. Les conditions d'adhésion a un CDR
111.1.3. Les cas de sanction et de dissolution
111.2. Les objectifs des CDR dans la revolution
111.2.1. L'exercice du pouvoir populaire selon le principe du centralisme democratique
11.2.2. La defense et la consolidation de la revolution
111.3. Moyens et methodes d'action des CDR pour la defense de la revolution
111.3.1. Les moyens financiers
111.3.2. Les permanences CDR : points d'appui de 'action des CDR
111.3.3. La propagande révolutionnaire
111.3.4. La formation militaire, le port d'arme et la tenue CDR
Chapitre IV : L'ACTION POLITIQUE DES CDR
IV.1. L'ceuvre des CDR dans l'administration
IV.1.1. La vulgarisation et l'application des directives du CNR
IV.1.2. Les CDR, gestionnaires d'une administration de proximite
IV.1.3. Le maintien de l'ordre public
IV.2. Les heurts avec les ennemis de la revolution
IV.2.1. La rétrogradation des autorités traditionnelles
IV.2.2. La « bourgeoisie »
IV.2.3. Les riyalites entre CDR et syndicats
IV.3. Les CDR dans la réforme révolutionnaire de la justice : conscientiser et responsabiliser la sociétéIV.3.1. La vision révolutionnaire de la justice
IV. 3. 2. Les CDR et les juridictions populaires de la revolution
IV.4. La cohabitation difficile avec les institutions religieuses
IV.4.1. Le mutisme des confessions chretiennes
V.4.2. Les ingérences clans la communauté musulmane
DEUXIEME PARTIE :LES CDR ET L'EXERCICE DUPOUVOIR SOCIO-ECONOMIQUEDU CNR :PARTICIPATIONPOPULAIRE ET CONSTRUCTIOND'UNE SOCIETE NOUVELLE
Chapitre V : L'ACTION SOCIO-ECONOMIQUE DES CDR : L'IMPLICATION DES CDR DANS LA POLITIQUE SOCIO-ECONOMIQUE DU CNR
V.1. La gestion du pouvoir economique : contriller et lutter contre la corruption
V.1.1. Le contrôle du commerce
V.1.2. Le controle des institutions economiques publiques et privees
V.1.3. « A bas, le douanier pourri! Vive le douanier revolutionnaire! »
V.1.4. Le contrôle des recettes et du budget de l'Etat
V.2. Les CDR et l'execution des programmes populaires du CNR
V.2.1. La bataille du rail
V.2.2. Halte a la desertification : les trois luttes
V.2.3. La santé a la portée de tous
287 Confère Rapport de la 1ère Conférence des CDR, page 69. 288 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les années sankara, Paris, L'Harmattan, page 133. Tous ces objectifs ne peuvent etre atteints sans l'engagement conscient des masses populaires elles-memes dans le combat sous l'orientation révolutionnaire des services de santé ».289 Ces déclarations formulaient toute l'importance de l'engagement du CNR qui entendait se baser sur la mobilisation et la responsabilisation de la population pour promouvoir une meilleure santé au grand bonheur de celle-ci. Un engagement qui ne s'est pas contenté de se répéter dans le style monotone de la parole, mais qui s'était traduit par des actions et des résultats probants. Ainsi, dans le cadre d'actions dites commando, le CNR lança dans un premier moment une vaste campagne de vaccination dénommée « vaccination commando ». Les actions commando furent initiées par le CNR pour agir de façon concertée et rapide face à des situations d'urgence auxquelles la société était confrontée. Cette vaccination commando constitua une opportunité fort salvatrice pour des milliers d'enfants qui étaient menacés par des maladies comme la rougeole, la fièvre jaune, pour ne citer que celles-là. En effet, le Burkina Faso avait un taux de mortalité infantile des plus élevés au monde, estimé à 150%o à la naissance et à 36%o avant la quatrième année.290 Sous la présidence de Sangoulé LAMIZANA, un vaste programme de vaccination avait été conçu et devait être exécutoire à partir de 1980. Mais, ce programme avait connu des retards assez criards non seulement à cause de l'inexistence des ressources humaines et de logistique adéquates pour assurer la vaccination, mais encore à cause des remous politiques qui ne permettaient pas sa mise en oeuvre. Le CNR à son accession au pouvoir se résolut le 19 septembre 1984 à rattraper ce retard à l'issue d'un conseil de ministres. Les CDR furent vivement sollicités pour cette campagne inédite. Elle se tint du 25 novembre au 10 décembre 1984 et remporta un succès qui fit écho dans le monde entier et provoqua une admiration internationale pour le pays. Les tâches de sensibilisation et d'organisation furent « royalement » assumées par les CDR. Ceux-ci passèrent dans les familles pour convaincre les parents de faire vacciner leurs enfants, procédèrent au recensement de ces derniers, à la vente des carnets et à l'organisation des séances de vaccination. La presse nationale fut mise largement à contribution pour faire passer cette propagande. Grâce à cette sensibilisation et à cette mobilisation populaires réussies par les CDR en liaison étroite avec les services de santé, plus de 2 millions d'enfants de 289 CNR, 1983, DOP : « Pour une révolutionnarisation de tous les secteurs de la société voltaïque », page 42. 290 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les années sankara, Paris, L'Harmattan, page 79. 105 moins de 14 ans avaient été vaccinés291. Rarissime succès dans le monde, ce qui valut aux autorités les vives congratulations du Directeur général de l'UNICEF, Monsieur James GRANT, en ces termes : « J'ai été impressionné par l'engagement que le gouvernement a montré a l'occasion de cette campagne, aussi bien en ressources humaines et financieres que la maniere dont toutes les méthodes disponibles ont été utilisées pour réussir la nécessaire mobilisation de la communauté [...] Cet effort national est une des étapes mémorables du monde actuel vers la révolution pour la survie de l'enfant, et je suis fier que l'UNICEF ait pu etre associé a ce succes historique du gouvernement du Burkina Faso ».292 A partir 1983, le CNR lança l'opération « un village, un poste de santé primaire » afin de doter chaque village d'un local sanitaire dans lequel les habitants pouvaient bénéficier de soins élémentaires. Cette opération que Basile GUISSOU appela symboliquement « la santé des cases rondes » remporta aussi un succès. Bien sûr, par la suite, certaines cases manquèrent de locataires pour donner les soins sollicités par les villageois. Mais, ce qui est spectaculaire ici, c'est l'engouement populaire rural obtenu par la sensibilisation des CDR ayant permis l'érection de ces infrastructures de santé. Même en ville, on assista à la construction d'infrastructures sanitaires grâce à l'action des CDR. Pour obtenir les fonds, ceux-ci faisaient cotiser les gens, organisaient des kermesses ou s'adressaient à des ONG. La main-d'oeuvre était assurée gratuitement. Le bilan de la première conférence des CDR faisait état de la construction de 24 Centres de Santé et Promotion Sociale (CSPS), 6 maternités, 90 dépôts pharmaceutiques, 28 dispensaires et 1 centre médical, tout cela grâce aux CDR.293 Par exemple dans la ville de Ouagadougou, les CDR des secteurs 17, 19, 28 et 30 construisirent des dispensaires, un pour chacune des circonscriptions. Au secteur 25, ils édifièrent un PSP.294 Ce qui fut déplorable dans l'érection de ces différentes formations sanitaires fut la coercition qu'elles causèrent souvent. Ceux qui refusèrent de cotiser ou de travailler bénévolement endurèrent parfois de mauvais traitements de la part des CDR au nom de l'intérêt du peuple. Des déviations comme l'escroquerie, la mauvaise gestion de l'argent récolté constituent de nos jours des données qui mettent à jour les insuffisances de cette autogestion sanitaire de proximité animée par les CDR.295 291 Basile GUISSOU, 1995, Burkina Faso : un espoir en Afrique, Paris, L'Harmattan, page 121. 292 Propos cités par Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les années sankara, Paris, L'Harmattan, page 80. 293 Voir le rapport de la 1ère conférence des CDR à la page 86. 294 Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine partagée à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries, Paris, Karthala, page 320. 295 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International page 212. La politique de santé du CNR intégra l'éducation sanitaire (assainissement) de la population et la question de l'eau potable dans son programme. Ainsi, le pouvoir montra son aspiration à inculquer dans l'esprit de la population de bonnes habitudes hygiéniques susceptibles d'aider à la prévention des maladies. Quoi de plus logique, salubrité rime bien avec bien-être. Les CDR agirent dans ce sens pour amener les gens à se créer un cadre de vie sain. Toutes ces actions se faisaient en liaison étroite avec l'ONASENE. Dans le cadre des travaux d'intérêt commun, les CDR effectuèrent régulièrement des nettoyages. Ils organisèrent des opérations dites « mana mana » ou « ville propre » à Ouagadougou pour y faire de la propreté une réalité. Des lieux de dépôt des déchets publics furent alors choisis dans les secteurs. Une fois que la nécessité d'un ramassage se posait, les CDR qui en assuraient la surveillance faisaient appel à l'ONASENE, qui se chargeait de transférer les ordures ailleurs. Les latrines publiques furent considérées comme un outil indispensable dans la promotion de l'hygiène publique. Le bilan de la première conférence des CDR indique que jusqu'à l'avènement du 04 août 1983, seulement deux latrines publiques existaient dans la ville de Ouagadougou.296 Sylvy JAGLIN confirme ce fait en ces termes : « Equipements nouveaux a Ouagadougou, il en existe deux seulement au marché central avant 1983 ».297 Grâce à un appui de l'UNICEF, les CDR en construisirent douze entre 1983 et 1986.298 Le gardiennage de ces édicules étaient assuré par les CDR qui s'occupaient du même coup de l'entretien grâce à un matériel obtenu de l'UNICEF (balais, bottes, savon...).299 L'éducation de la population en matière d'hygiène s'inséra dans cette politique d'assainissement. La discipline fut imposée à cet effet. Par exemple l'interdiction de jeter des ordures, des eaux usées, des emballages en dehors des dépôts publics ou de « faire ses besoins » en dehors des latrines publiques. Les CDR réprimandaient sévèrement les contrevenants, parfois à coup d'amende. Cette volonté de gendarmer les comportements quotidiens pour exiger un code de conduite amenait les CDR à s'infiltrer dans les pratiques journalières des familles d'où des mésententes. Cette ingérence était détestée par les ménages qui accordaient aux CDR du crédit pour conduire des chantiers collectifs mais leur déniaient le pouvoir de juger et de dicter les moeurs internes familiales.300 En ce qui concerne la question de l'eau, le pouvoir révolutionnaire ambitionnait de fournir au moins 25 litres d'eau potable à chaque habitant par jour. 296 Rapport de la 1ère conférence des CDR, pages 87 et 88. 297 Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine partagée à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries, Paris, Karthala, page 325. 298 Ibidem . 299 Ibidem . 300 Idem, page 329. 107 L'eau c'est la vie, dit-on généralement. La question de l'eau constituait donc une préoccupation majeure du CNR. Dans les milieux villageois, les habitants ne disposaient guère de l'eau potable, et en ville, l'approvisionnement en eau de façon régulière et suffisante n'était pas toujours une évidence. Pour juguler le problème, le CNR créa un ministère de l'eau. Grâce à la mobilisation des structures populaires, plus de 250 retenues d'eau et de 2 000 forages dans les campagnes et dans les villes purent être édifiés.301 Entre 1945 et 1980, on dénombrait 7 centres de distribution d'eau courante dans tout le territoire national. Entre 1980 et 1986, on en comptait 17, et de 1986 à 1990, 34.302 A partir de l'année 1985, le CNR confia la gestion et la distribution de l'eau potable aux CDR. Les bornes-fontaines, les postes d'eau autonome et les pompes manuelles passèrent sous le contrôle direct des CDR. Il s'agissait de faciliter la distribution en veillant au respect de l'ordre au niveau des dispositifs de distribution et d'éviter les spéculations au niveau de la revente. A cet effet, une lettre du directeur régional de l'ONEA adressé au haut-commissaire du Kadiogo stipulait : « L'évènement est d'importance d'abord par le simple fait de la gestion du bien du peuple par lui-même a travers ses organisations démocratiques révolutionnaires ; ensuite parce qu'il permet le nécessaire controle aussi bien a l'amont qu'd l'aval de la vente d'eau dans un contexte particulier caractérisé par une rareté de la ressource et oft les fossoyeurs des intérêts des masses populaires spéculent et font de l'eau une marchandise a sources de revenus ». 303 Au-delà de cette volonté de socialiser les services d'eau pour l'intérêt général, le transfert de l'affermage des bornes-fontaines aux CDR connotait politique. Avant 1983, les pouvoirs traditionnels contrôlaient majoritairement les circuits de distribution d'eau. Le fond de la nouvelle disposition fut alors de leur retirer l'affermage afin d'émousser leur assise populaire ; assurément il n'a pas été révélé que les chefs moose étaient les seuls à contrôler la distribution collective de l'eau dans la ville de Ouagadougou avant 1985, « mais il est acquis qu'ils en profitaient largement dans certains quartiers ».304 En définitive, eu égard aux avancées obtenues malgré certains dysfonctionnements, on peut convenir que la politique sanitaire du CNR a enregistré des résultats concluants. Elle a permis la conception de schémas dans lesquels les structures populaires ont contribué largement à créer des conditions de bien-être social. 301 Confère le rapport de la 1ère conférence des CDR, page 67. 302 Basile GUISSOU, 1995, Burkina Faso : un espoir en Afrique, Paris, L'Harmattan, page 112. 303 Cité par Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine partagée à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries, Paris, Karthala, page 349. 304 Ibidem. V.2.4. L'education : l'ecole revolutionnaire et l'alphabetisation des massesL'avènement du CNR ouvrit une nouvelle ère pour tout le système éducatif qui souffrait d'une précarité. La faiblesse du taux d'alphabétisation et celle de la scolarisation s'illustraient parmi les plus expressifs du monde. Face à ce fléau, le pouvoir révolutionnaire mit en oeuvre une série de réformes pour faciliter l'accès à l'école. Dans ce sens, le CNR décida la baisse des frais de scolarité dès la rentrée 1984 : les frais du premier cycle au niveau des établissements privés passèrent de 70 000 F à 40 000 F, le second cycle de 79 000 F à 45 000 F et l'école primaire de 25 000 F à 10 000 F.305 Ensuite, il entama en même temps un vaste programme d'accroissement des équipements scolaires avec la contribution des structures populaires. Dans les secteurs de la ville de Ouagadougou, les CDR se chargèrent du projet. Grâce à des cotisations, à des activités socio-économiques (kermesses, bals populaires ...), à l'appui d'ONG et à la gratuité de la main-d'oeuvre, des secteurs arrivèrent à se construire des écoles. Les exemples d'édification d'école ne sont pas rares dans la ville. Par exemple au secteur 29, les écoles B et C ont été construites grâce au dynamisme des CDR. A ce propos, Henry KABORE, responsable aux activités socioéconomiques, raconte que des cotisations, des briques, du ciment et du sable avaient été souvent sollicités aux habitants, surtout aux parents d'élèves. Le samedi, les CDR faisaient sortir les gens pour assurer la main d'oeuvre.306 Dans les secteurs 22 et 25, des écoles ont été également édifiées avec la contribution remarquable des CDR. Les responsables CDR du secteur 22 rapportèrent que leur contribution à la construction de leur première école en 1986 s'élevait à quatre millions de francs CFA, ceux du 25 dépensèrent une somme estimée à 3,5 millions en 1987.307 Globalement, on peut dire que la politique scolaire amorcée par le CNR peut se féliciter d'une certaine réussite ; les résultats obtenus en parlent aisément. A l'avènement de la révolution, 215 300 écoliers suivaient les cours dans 1176 écoles primaires et 32397 élèves s'instruisaient dans 89 établissements secondaires.308 A la rentrée 1987-1988, 411900 écoliers étaient enseignés dans 2108 écoles et 76872 élèves dans 137 établissements.309 Les 932 écoles primaires et les 48 établissements furent 305 Roger Bila KABORE, 2002, Histoire politique du Burkina Faso : 1919 - 2000, Paris, L'Harmattan, page 160. 306 Henri KABORE : entretien du 03 août 2004. 307 Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine partagée à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries, Paris, Karthala, page 315. 308 Chiffres du Ministère de l'Education cité par Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 213. 309 Ibidem. 109 réalisés grâce à la mobilisation populaire obtenue par les structures populaires de la révolution.310 De 16% au début de la révolution, le taux de scolarisation grimpa à 20%311, en 1986 et a 30% en 1993.312 Restons là pour mentionner la construction de garderies populaires qui entrait dans le cadre d'une recherche de l'éveil et de l'épanouissement de l'enfance. Le rapport de la 1ère conférence des CDR inventoria 17 garderies populaires édifiées dans la ville de Ouagadougou par les CDR.313 Des organisations internationales comme l'UNICEF, la Coopération italienne, le Lion's Club... financèrent la construction d'une dizaine au niveau des périphéries, mais avec l'apport en main-d'oeuvre des populations et la logistique des CDR.314 Le CNR lança également le Mouvement National Pionnier, une organisation de l'enfance, rattachée aux CDR, le 22 mai 1985 au Stade du 04-Août.315 La pédagogie de cette innovation fut d'oeuvrer à la création de la société nouvelle prônée par le DOP en agissant sur la conscience des tout petits. Le mouvement pionnier faisait partie donc des réformes initiées pour rénover le système éducatif qui constituait un créneau non négligeable pour la transmission de l'idéologie révolutionnaire dès la base. Figure 12: Un rang de pionniers en 1987. Source : http://thomassankara.net 310 Chiffres du Ministère de l'Education cité par Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 213. 311 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les années sankara, Paris, L'Harmattan, page 93. 312 Basile GUISSOU, 1885, Burkina Faso : un espoir en Afrique, Paris, L'Harmattan, page 117. 313 Voir le rapport de la première conférence des CDR à la page 87. 314 Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine partagée à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries, Paris, Karthala, page 318. 315 François COMPAORE, « Lancement officiel du mouvement pionnier : nourrir les enfants de la seve révolutionnaire » in CARREFOUR AFRICAIN N° 885 du 31 mai 1885, page 14. Le nerf de cette école était de contribuer au façonnement de l'homme nouveau pour l'édification de la société nouvelle tant défendue par le DOP. Il était donc question de nourrir les enfants de la sève révolutionnaire comme l'illustre éloquemment cette affirmation de la directive instituant le mouvement : « Si depuis le 04 aout 1983, le peuple burkinabé [...] s'est créé un cadre organisationnel - les CDR - pour exercer le pouvoir populaire, les plus jeunes camarades [...] devant respecter la philosophie du DOP et continuer la lutte pour atteindre les objectifs de la RDP en garantissant son aboutissement n'étaient pas encore dotés d'une structure propre d'expression. Il s'imposait donc un devoir révolutionnaire de leur créer ce cadre qu'est le Mouvement National des Pionniers qui constituera la pépinière des CDR, un cadre de formation politique, idéologique, socio-économique, et culturel, cadre oft ces jeunes seront édifiés en éléments intrépides, dynamiques, disciplinés, travailleurs et patriotiques ».316 Le mouvement pionnier selon les directives était structuré en trois niveaux ; les pionniers de chaque niveau se distinguant des autres par une dénomination particulière : les pionniers du niveau 1 qui concernait les élèves du CE2 s'appelaient Janto(expression dioula qui signifie rappelle-toi toujours de moi), ceux du niveau II qui regroupait les élèves du CM1 et CM2 étaient appelés Djambou(terme lélé signifiant enfant intrépide), enfin ceux du niveau III qui rassemblait les élèves de 6e et 5e des établissements secondaires étaient appelés Abga(panthere en langue mooré). Les encadreurs des pionniers étaient appelés Sofa et l'école qui était leur lieu de rassemblement s'appelait Keego(champ d'initiation en langue mooré). Le mouvement pionnier à l'instar des CDR a réellement fonctionné et contribué notablement à l'éveil des consciences des enfants sous la révolution, surtout quant à ce qui était de leur capacité de production socio-économique et culturelle. On peut donner pour exemples leurs participations aux activités de production des CDR comme les champs collectifs, la confection de foyers améliorés.317 Sur le plan culturel, on peut mentionner leurs prestations appréciées (théâtres, chants, ballets...) à l'occasion des manifestations marquant les anniversaires de la Révolution ou d'autres évènements politiques.318 Précisons que ce mouvement avait permis la création de deux ensembles musicaux : les Petits chanteurs au poing levé et les Colombes de la révolution. 316 Capitaine Pierre OUEDRAOGO, « Directives sur le mouvement pionnier » in CARREFOUR AFRICAIN N° 885 du 31 mai 1985, page 17. 317 Voir le rapport de la 1ère conférence des CDR à la page 1. 318 CNR, SGN-CDR, 1986, Premier symposium sur le mouvement national des pionniers 13 et 14 mars 1986 : pour une action dynamique du Mouvement National des Pionniers, page 13. On ne peut pas nier les performances réussies par la révolutionnarisation du monde scolaire en matière de statistiques. Les chiffres obtenus que nous avons déjà évoqués plus haut constituent des pièces à conviction. Figure 13: Les petits chanteurs au poing levé pendant le diner gala du sommet de la CEAO en aoat 1986 a Ouagadougou. Source : Présidence du Faso /Archives nationales. Cote : 5Fi 571. Toutefois, l'ensemble des initiatives développées par le CNR pour révolutionner le scolaire n'en demeure pas moins critiquable. On lui reproche d'avoir eu pour insuffisance la baisse de la qualité de l'enseignement. Certains spécialistes expliquèrent ce déclin par le licenciement massif des enseignants à l'issue de la crise qui avait opposé le régime au SNEAHV, puisque les militants qui avaient remplacé les disgrâciés ne disposaient pas d'un bagage pédagogique adéquat pour assurer l'instruction des écoliers.319 Cette dégradation de la qualité de l'enseignement peut être expliquée également par le recrutement massif et l'accroissement numérique des infrastructures non accompagnés par celui du personnel enseignant. Tout en cherchant à garantir l'enseignement à tous les enfants scolarisables, le CNR déclencha une vaste campagne d'alphabétisation. Cette opération qui concerna tout le territoire national visait à faire reculer les frontières de l'ignorance et de l'obscurantisme surtout dans les milieux ruraux. Alphabétiser les masses, c'est leur confier la clé de leur épanouissement. Ceci étant, dès le mois de décembre 1983, le CNR adopta son premier programme d'alphabétisation de concert avec l'Institut 112 National d'Alphabétisation et de Formation des Adultes (INAFA) qui devint l'INA (Institut National d'Alphabétisation). Pour donner plus d'ampleur à cette croisade révolutionnaire contre l'obscurantisme, le CNR institutionnalisa l'expérience en la mettant sous la tutelle du Ministère de l'Education. Le CNR, comme il était de son habitude, se servit de ses relais d'action. Les CDR conscientisèrent et mobilisèrent les incultes en matière d'alphabétisation. En février 1986, l'Opération Alpha commando est lancée avec pour mission de réussir en 48 jours l'apprentissage de l'écriture, de la lecture et du calcul aux analphabètes dans leurs langues maternelles.320 De février à avril 1986, 35000 responsables d'association et de coopérative et de groupements villageois bénéficièrent de l'alphabétisation dans neuf langues nationales.321 L'exaltation des gens pour l'opération a été plus observable dans les sphères rurales. Dans les villes comme Ouagadougou, l'opération ne connut effectivement pas la même « floraison » à cause de l'importance de la scolarisation qui battait tous les records des autres localités. Il n'en demeure pas moins que des citadins aient été alphabétisés. En 1986, 50 militants CDR reçurent une formation d'alphabétiseurs auprès de l'INA et purent s'occuper de l'alphabétisation des personnes nécessiteuses dans leurs secteurs.322 L'analyse de tout le système éducatif émanant de la révolution révèle un certain dynamisme stimulé avec le soutien des structures populaires qui à tout point de vue a été rentable. Au-delà des perspectives socio-économiques poursuivies, les stratégies usitées visaient à faire de l'institution éducative un véhicule politique et idéologique pour la consolidation de la révolution. La construction des équipements scolaires est à envelopper dans un autre dynamisme, celui de l'urbanisation que notre exposé se propose d'analyser à présent. V.2.5. La politique du logement : avenement d'une nouvelle ere urbaineLa révolutionnarisation de tous les secteurs de la société civile devait inéluctablement passer par une réorganisation et un remodelage des espaces urbains. Le CNR mit en oeuvre dès son avènement une politique immobilière originale dont l'objectif était de permettre aux villes de jouer efficacement leur rôle de cités révolutionnaires. 320 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les années sankara, Paris, L'Harmattan, page 90. 321 Basile GUISSOU, 1995, Burkina Faso : un espoir en Afrique, Paris, L'Harmattan, page 118. 322 Voir le Rapport de la 1ère conférence des CDR à la page 81. Pour mieux cerner la réalité de cette dynamique urbaine impulsée par la révolution qui apporta à bien de villes une nouvelle physionomie par rapport au passé, nous consacrons notre étude fondamentalement sur la ville de Ouagadougou. Avant la révolution, l'immobilier ouagalais excepté quelques buildings administratifs, était précaire. C'était la préexcellence de l'habitat spontané dépourvu d'eau, d'électricité et d'évacuation des eaux sales et autres ordures ménagères. La fréquence de ce type d'habitat était frappante au niveau des périphéries de la ville.323 Le CNR héritait donc à son avènement d'une ville embryonnaire et désordonnée qui divulguait parfaitement selon lui l'atrophie des régimes dits réactionnaires qui s'étaient succédé après les indépendances : « ... 2l n y a jamais eu de véritable politique en matière de développement urbain et d'habitat, hormis quelques opérations de portée limitée [...] ».324 Effectivement, la configuration du Ouagadougou d'avant la révolution telle que nous l'avons découverte en haut n'infirme nullement cette vision du CNR. Près de 50% de l'espace urbain de Ouagadougou était fait d'habitats spontanés abritant 60% de la population urbaine qui croissait annuellement d'environ de 7 à 8%.325 Les surfaces loties ne pouvaient alors pas faire face à cette croissance démographique accrue, surtout qu'il n'était pas donné à tout le monde de disposer de moyens substantiels pour s'installer dans ces terrains aménagés. Du coup, les familles démunies étaient ainsi acculées à ériger leurs logis dans les zones périurbaines d'où la naissance des habitations dites spontanées. Ouagadougou était vraisemblablement à l'image des villes brésiliennes dont les clivages infrastructurels socio-économiques étaient des plus criards. On remarquait alors la cité nantie, bien aménagée et embellie qui fièrement contrastait avec la « ville pourrie » tristement célèbre par ses installations anarchiques avec une insalubrité angoissante. La spéculation foncière aggravait cette crise du logement. Le terrain était considéré comme une source de richesse326 et l'absence d'une politique dûment définie en matière de transaction immobilière cédait la place à l'arbitraire. Il résultait de ce fait une démission de l'Etat que certains ont incorporée à de l'irresponsabilité et à de l'incompétence. « En laissant la situation spéculative prendre de l'ampleur au gré de l'initiative anarchique des propriétaires fonciers mus par le souci du plus grand profit possible, l'Etat démissionne de sa 323 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les années sankara, Paris, L'Harmattan, page 135. 324 Oumarou PARE, « L'habitat social au Burkina Faso » in AGENCE DE COOPERATION CULTURELLE ET TECHNIQUE, 1985, Habitat social urbain dans les pays en développement, Ecole internationale de Bordeaux, page 82. 325 Ibidem. 326 Au Burkina Faso la terre est considérée de façon globale comme une valeur marchande, comme la base de la réussite sociale en ville. 114 responsabilité. Il laisse se créer des pouvoirs de fait qui imposent a la collectivité une politique impopulaire ».327 Cette spéculation foncière transvasait même sur les prix des loyers dont la hausse était continuelle et désordonnée. « Investir dans l'immobilier était dans le passé la meilleure source de revenus. La spéculation sur les prix des locations avait atteint un niveau éhonté ».328 L'obtention d'un logement convenable était devenue un luxe pour le commun des Burkinabé si on retient que le loyer représentait 30 à 50 % du salaire mensuel.329 Cette situation a été facilitée par le manque d'une législation dans le domaine : « Depuis 1960 jusqu'en 1983, aucun texte n'avait été mis en place pour reglementer la question essentielle des loyers et baux au Burkina Faso. Ceci expliquait les coats élevés et trts anarchiques des loyers dans nos villes ».330 Avec l'avènement du régime révolutionnaire, ce fut le début d'une nouvelle dynamique en matière de logement et d'urbanisation. En s'appuyant sur les structures populaires révolutionnaires que sont les CDR, le CNR développa une approche révolutionnaire du développement urbain et de l'habitat social. On assista ainsi à une modification spécifiquement révolutionnaire de l'espace urbain dans le but d'aboutir à une recomposition radicale de la société sous l'impulsion et le contrôle exclusif de l'Etat.331 De ce fait, le CNR décida d'abord la nationalisation de la terre par une réorganisation agraire et foncière à travers l'Ordonnance N° 84-050/CNR/PRES le 30 septembre 1983 : « Article ler : Il est créé un Domaine National Foncier (DFN) constitué par toutes les terres situées dans les limites du territoire national... ».332 Ensuite, il déclencha une vaste campagne de lotissement. La Loi bulldozer du 22 février 1984 se mit à l'assaut des quartiers d'habitat spontané.333 Dès le 24 février 1984, les premiers quartiers sont rasés pour permettre de nouveaux lotissements. Le pouvoir positionna les CDR comme superviseurs par excellence de cette opération. Le CNR pensait à la nécessité de la participation effective du peuple à la gestion des affaires foncières. L'implication des CDR dans cette gestion était expressément inscrite dans la loi qui stipulait que les enquêtes préalables et l'application des plans devaient se faire obligatoirement avec la collaboration étroite des CDR, et que ces derniers étaient absolument membres des commissions d'attribution de 327 Oumarou PARE, « L'habitat social au Burkina Faso » in AGENCE DE COOPERATION CULTURELLE ET TECHNIQUE, 1985, Habitat social urbain dans les pays en développement, Ecole internationale de Bordeaux, page 83. 328 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les années sankara, Paris, L'Harmattan, page 137. 329 Oumarou PARE, op cit, page 84. 330 Ibidem. 331 Alain MARIE, 1989, « Politique urbaine : une révolution au service de l'Etat » in POLITIQUE AFRICAINE N° 33, 1989, Retour au Burkina, Paris, Karthala, page 35 332 Ordonnance N° 85-050/CNR/PRES du 04 août 1984 portant Réorganisation Agraire et Foncière (RAF) au Burkina Faso in JOURNAL OFFICIEL N°33 du 16 avril 1984, p.p. 806%809. 333 CARREFOUR AFRICAIN N° 820 du 02 mars 1984, page 32. 115 parcelles.334 La présence des CDR au centre du dispositif garantissait une main-d'oeuvre gratuite ; par exemple ils assuraient la confection des bornes. En plus, elle permettait l'ouverture de plusieurs chantiers que les mécanismes de l'urbanisme étaient incapables d'assurer seuls.335 Tambour battant, le CNR créa des institutions pour coordonner en collaboration avec les CDR la réalisation de son projet urbain. A cet effet, fut instituée la Direction Générale de l'Urbanisme, de la Topographie et du Cadastre (DGUTC), une structure chargée de la conception de l'exécution et du contrôle des opérations d'aménagement urbain.336 La DGUTC élabora en 1984 un Schéma Directeur d'Aménagement Urbain (SDAU) pour planifier et maîtriser le développement de Ouagadougou jusqu'à l'horizon 2000, de façon à endiguer l'extension de l'habitat spontané.337 Il y eut aussi la création de la Société de Construction et de Gestion Immobilière du Burkina Faso (SOCOGIB) pour promouvoir des logements sociaux et de standing accessible au citoyen moyen.338 Il faut citer en ajout la création de la Banque Populaire de l'Habitat (BPH) pour financer le logement social.339 Enfin, l'institution de la Délégation du Peuple au Logement (DPL), une structure étroitement rattachée au CDR devant lutter contre l'augmentation anarchique des prix de loyer.340 La combinaison des actions de toutes ces structures octroya réellement au CNR les moyens de réussir son pari. Dans le domaine des lotissements, on ne peut pas méjuger les efforts méritants qui ont été fournis. Ainsi entre 1984 et 1986, 62 000 parcelles furent attribuées, ce que les régimes antérieurs, période coloniale y comprise, n'avaient réussi à réaliser en un siècle (1895-1983).341 Les attributaires bénéficièrent d'un allègement des taxes de jouissance et purent construire des villas modernes qui refirent la physionomie urbaine. La construction du logement ne fut pas exclusivement laissée aux initiatives individuelles. L'Etat lui-même s'engagea à travers ses institutions d'urbanisation. Ainsi, on assista à 334 Décret N° 85-317/CNR/PRES/EQUIP du 07 juin 1985 portant création de structures et fixant les conditions de réalisation des opérations d'aménagement urbain in JOURNAL OFFICIEL N° 27 du 04 juillet 1985, p.p. 676-678. 335 Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine partagée à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries, Paris, Karthala, page 250. 336 Décret N°83-317/CNR /PRES/EQUIP du 07 juin 1985 portant création de structures et fixant les conditions de réalisation des opérations et d'aménagement urbain, in JOURNAL OFFICIEL N° 27 du 04 juin 1985, p.p. 676 - 678. 337 Alain MARIE, « Politique urbaine : une revolution au service de l'Etat » in POLITIQUE AFRICAINE N° 33, 1989, Retour au Burkina, Paris, Karthala, page 29. 338 Décret N° 83-317/CNR/PRES/EQUIP du 07 juin 1985 portant création de structures et fixant les conditions de réalisation des opérations d'aménagement urbain in JOURNAL OFFICIEL N° 27 du 04 juillet 1985, p.p. 676-678. 339 Ibidem. 340 Ibidem. 341 Ludo MARTENS, 1989, op cit à la page 217 et Basile GUISSOU, 1995, op.cit. à la page 120. 116 la construction de plusieurs maisons modernes qui conféra à Ouagadougou une renaissance urbaine, réalité que notre étude analyse en sa troisième partie. L'expression de cette nouvelle approche en matière d'urbanisme et de logement à l'instar des autres entreprises du CNR concourait à des fins d'affirmation et de légitimation politique. La ville devait alors devenir le miroir d'une révolution bienfaisante, agissante pour l'épanouissement du peuple. En effet, au-delà de sa volonté de démocratiser le logement et de promouvoir le bien-être des populations urbaines, l'action du CNR était éminemment politique dans la mesure où elle avait entamé la désagrégation de la base économique de ses ennemis en vue de les liquider. Dans la ligne de mire, il y avait premièrement la chefferie traditionnelle et secondairement la bourgeoisie : « Le droit foncier et agraire du Burkina Faso était marqué du sceau bourgeois et féodal et donc utilisé contre les masses laborieuses ».342 Par la nationalisation des terres, le CNR procédait à la suppression du droit coutumier et de tous les titres fonciers et à l'institution d'un simple titre de jouissance sur les terrains. En 1984, le pouvoir décida la réduction des prix de loyers et déclara en 1985 la gratuité du logement sur toute l'étendue du territoire. Il chargea la DPL de faire respecter toutes ces dispositions avec le soutien des CDR : « Nous faisons confiance aux CDR... Sans eux, nonobstant toutes les structures qu'on aurait pu créer, cette mesure serait difficilement appliquée. Aujourd'hui nous bénéficions de la contribution des CDR qui sont un appui trts important : ce sont les bras de la DPL ».343 Grâce à ces mesures les spéculations devinrent rares et l'Etat put décroître ses dépenses d'indemnisation pour les fonctionnaires. Le loyer fut rétabli en 1986 mais les propriétaires furent obligés de payer une taxe qui remonte à 50% des loyers qui leur étaient versés par les locataires. Les CDR veillaient au respect de toutes ces décisions. Grâce à l'assistance de ces derniers, l'Etat confortait en amont le contrôle social sur les populations, et en aval, il récupérait une partie des revenus fonciers dont il avait nationalisé les prélèvements. Cette rente lui permettait de financer ainsi son programme de développement. Le triomphalisme du CNR suscité par les résultats et les statistiques dans le secteur de l'urbanisation et du logement des CDR cachait pas mal de déviations qui découlèrent d'un empressement excessif de la part des CDR. L'unilatéralisation d'une violence multiforme orchestrée par ces derniers dans l'application de cette politique urbaine participa inexorablement au mécontentement populaire qui a précédé la chute 342 Oumarou PARE, « L'habitat social au Burkina Faso » in AGENCE DE COOPERATION CULTURELLE ET TECHNIQUE, 1985, Habitat social urbain dans les pays en développement, Ecole internationale de Bordeaux, page 87. 343 Lieutenant Daouda TRAORE interviewé par Jean Claude MEDA, « Dans cinq mois, le branlebas de combat contre les fraudeurs » in CARREFOUR AFRICAIN N°888 du 21 juin 1985, page 26. 117 du CNR. Nous nous penchons sur ces conséquences néfastes dans la troisième partie de notre étude. V.2.6. Compter sur ses propres forces : « Produire et consommer burkinabe »Le rêve d'une économie indépendante, autosuffisante et planifiée était une antienne dans tout le discours et toute l'action du CNR. La concrétisation de ce rêve sans l'engagement du peuple demeurait mythique. Conscientiser et responsabiliser le peuple pour qu'il soit le répartiteur de son bien-être faisait partie donc des préoccupations du CNR. Thomas SANKARA déclarait à ce sujet : « Je suis profondement convaincu que le peuple voltalque peut faire son bonheur lui-meme et etre l'artisan de son propre developpement ».344 « Travailler par soi-meme et pour soi-meme, c'est l'expression de la volonte du peuple qui loin d'être une spiritualite est realite vivante et agissante ».345 Le CNR décida alors à travers les CDR de développer des initiatives productrices de richesses. On assista jusqu'en fin 1986 à la création de champs collectifs par les CDR. Les travaux de ces champs devaient être assurés par tout le monde à travers les CDR. Mais, ces champs collectifs n'avaient pas connu réellement le succès escompté, surtout dans le milieu urbain où la réticence des fonctionnaires était manifeste. Il s'ensuivit dès lors des méthodes contraignantes à l'endroit des non participants aux travaux. L'exemple le plus intéressant dans ce registre d'initiatives productrices fut celui des étudiants de l'Université de Ouagadougou. Ces derniers disposaient d'un centre à Nioko 2 où ils menaient des activités agropastorales. En 1987, on dénombrait dans leur porcherie, plus de 100 porcs, et dans leur poulailler, 580 pondeuses et 180 poules de chair ; enfin, ils exploitaient un champ d'arachide de 3 hectares pendant les vacances.346 A partir de 1987, dans le cadre de l'adoption du plan quinquennal de développement populaire, le CNR lança un nouveau mot d'ordre à contenu politique, économique et social : « Produire et consommer burkinabé ». La rhétorique du CNR à travers ce mot d'ordre était non seulement, comme nous l'avons déjà observé, d'inculquer dans l'esprit des Burkinabé, le sens et 344 Propos recueillis par un journaliste de la PANA (Organe de presse de l'Unité Africaine) Muktar Kablai Mustapha lors d'un entretien rapporté par CARREFOUR AFRICAIN N° 790 du 12 août 1983, page 26. 345 Jean Luc BONKIAN, « La vie des CDR » in CARREFOUR AFRICAIN N° 795 du 09 septembre 1983, page 10. 346 Sassan KAMBOU « CDR de l'Université de Ouagadougou : au-dell de la théorisation » in CARREFOUR AFRICAIN N° 974 du 13 février 1987, pages 18 et 19. 118 tout le bien d'un développement participatif, mais encore de leur souligner la nécessité de la consommation des produits nationaux comme base d'un auto-développement durable. En prétendant mener une « lutte contre les agressions l'impérialisme »,347 le CNR professait ainsi un certain protectionnisme qu'il est intéressant de remarquer. Dans une période où la révolution était arrivée à faire développer des entreprises collectives (coopératives et autres...) générant des produits locaux assez substantiels, cette attitude du CNR dénotait un réalisme économique qu'il faut saluer. Prenons par exemple la production des fruits et des légumes. Elle connaît une hausse suscitée par les encouragements du pouvoir révolutionnaire. Une grande quantité de cette production devait être exportée vers le marché européen. Cependant, le marché extérieur sabotait parfois les contrats d'exportation. Ainsi, 40 tonnes de haricots verts furent abandonnées à l'aéroport dans le courant de l'année 1987.348 Pour pallier cette situation décevante pour les producteurs, l'Etat dicta une improvisation pour écouler la production, ne serait-ce qu'à moindre coût. Il contraignit les fonctionnaires à acheter le haricot.349 On effectua un battage médiatique pour apprendre aux citoyens à consommer leur haricot vert. Cette situation permit au CNR de réaffirmer la pertinence de son mot d'ordre. La deuxième illustration concerna le textile. Avec une production de 100 mille tonnes de coton en moyenne par an, le Burkina Faso ne possédait cependant qu'une petite usine dont la capacité de transformation n'excédait pas 3000 tonnes, soit 2% en moyenne.350 Pour lancer ce secteur, le pouvoir décida d'obliger les fonctionnaires à s'accoutrer avec le faso dan fani(expression de langue dioula signifiant tissu du pays), la cotonnade locale, pendant les heures de service. Les membres du gouvernement devaient donner l'exemple pendant les cérémonies officielles. Par ces nouvelles dispositions, le pouvoir instaurait une nouvelle logique vestimentaire. Elle découlait aussi de la préoccupation du CNR de pourvoir un marché de consommation aux femmes qui se regroupaient dans de petites coopératives de tissage.351 Au-delà de l'aspect protectionniste de ce mot d'ordre, sa fonction didactique fut aussi d'exhorter les Burkinabé à assumer leur histoire en étant les levains d'une fierté nationale, d'un patriotisme révolutionnaire. Thomas SANKARA disait à ce propos : « Nos réflexes de consommateurs devront etre révisés quant a nos gouts, nos couleurs, nos habitudes. Ce sera hautement patriotique que de consommer Burkinabé ». Mais, le mot d'ordre « produire et consommer burkinabé » ne suscita pas l'assentiment de 347 SGN-CDR, « Conférence nationale des CDR : le canevas des débats et des syntheses » in CARREFOUR AFR1CA1N N° 974 du 13 février 1987, page 13. 348 Basile GUISSOU, 1995, Burkina Faso : un espoir en Afrique, Paris, L'Harmattan, page 127. 349 Ibidem. 350 Idem, page 126. 351 Idem, page 127. 119 la grande majorité du peuple. Même dans l'institution gouvernementale, l'unanimité ne fut pas acquise. Le journal satirique L'INTRUS avait remarqué cette résistance insidieuse lors des conseils des ministres du 29 octobre 1986 et du 05 novembre 1986 ; très peu de ministres avaient porté le faso dan fani.352 Le 29 octobre 1986, le jour même de la consécration de la mesure de revalorisation de la cotonnade, « pas un seul membre du gouvernement portait cette affaire! ».353 « Pourquoi les ministres les plus assidus dans le port du boubou ont opté ces temps-ci pour la soie et la laine importées, sachant bien que cela contribue a résorber le chomage chez les autres tout en accentuant le fléau chez nous ? »354 se demandait L'INTRUS ? La décision incubait alors des objections au niveau de l'instance dirigeante. « La pression contre cette mesure fut trts forte dans les ministeres, surtout au niveau des élites syndiquées a la recherche de prétexte pour s'opposer a un régime qui avait sérieusement réduit leur marge de manceuvres en créant ses propres structures de mobilisation ».355 Dans les services, la résistance au port du faso dan fani avait pris une forme ironique. En se rendant au travail, certains fonctionnaires s`habillaient à l'occidental, tout en prenant le soin d'emporter dans leurs sacs ou dans un sachet, le faso dan fani. Lorsque les bruits d'une visite inopinée de Thomas SANKARA se faisaient entendre dans les couloirs, ils enfilaient très rapidement la cotonnade. Ainsi, le faso dan fani avait pris le surnom de « Sankara arrive ».356 La chute du CNR le 15 octobre 1987 charria l'abandon de ce nouvel usage vestimentaire et alimentaire. Tout compte fait, le jeu des CDR dans la sphère économique a permis au CNR d'étatiser le secteur. Ce fut la mise en vigueur d'une nouvelle approche économique basée sur l'austérité et la participation effective des collectivités sous la houlette des structures populaires révolutionnaires. La quintessence de cette redéfinition de l'économie qui était d'amener les masses à être elles-mêmes les chantres d'un auto-développement fut à l'origine d'un chamboulement des logiques économiques antérieures au bénéfice des idéaux défendus par la révolution. Cette nouvelle définition concourrait à distiller une morale révolutionnaire grâce aux CDR dans leurs relations avec les masses en vue de créer la société nouvelle réclamée par le DOP. 352 L'INTRUS N°0020 du 7 novembre 1986 : N Tenue officielle burkinabe, vidons nos garde-robes I, page 4. 353 Ibidem 354 Ibidem 355 Ludo MARTEN, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 135 356 Témoignage de Gervais OUEDRAOGO dans le film Thomas SANKARA, l'homme intègre du réalisateur belge Robin SHUFFIELD. Chapitre VI: RAPPORT AVEC LES MASSES : « REVOLUTIONNER LES MENTALITES POUR UNE SOCIETE NOUVELLE »S'investir pour l'avènement de nouveaux rapports
sociaux, fruits d'une société perspicace et responsable, fut un
autre pari du CNR. Il s'agissait d'écorcher une société
essaimée de vices pour en faire un creuset d'épanouissement
d'hommes justes et dévoués à la révolution. Les CDR
devinrent alors le commando d'une mission de libération d'une
société périssant sous le joug de mentalités
néocoloniales, injustes, rétrogrades. « Les militants
CDR doivent se forger une nouvelle conscience et un nouveau comportement en vue
de donner le bon exemple aux masses populaires. [..] Sans une transformation
qualitative de ceux-ld m-emes qui sont censés -etre les
artisans de la Révolution, il est pratiquement impossible de
créer une société nouvelle débarrassée de la
corruption, du vol, du mensonge et de l'individualisme de facon
générale ».357 Les CDR devinrent ainsi les
dépositaires d'une instruction à un code moral, celui de la
révolution. L'analyse de cette morale révolutionnaire par Richard
BENEGAS est ici très intéressante à souligner : «
On peut dire schématiquement que cette morale révolutionnaire
se caractérise d'une part par un volontarisme et un ascétisme
[ comme l'avons déjà observé auparavant] qui
mettent en avant l'intégrité, l'austérité et
l'esprit de sacrifice, et d'autre part par une volonté de purification
et de rédemption qui, en s'imposant a chacun, vise a créer un
homme nouveau et a Il s'agit pour nous dans ce chapitre d'appréhender dans un premier moment l'enseignement de ladite morale par les CDR. Dans un second temps, l'oeuvre abattue par les CDR pour réhabiliter la femme. VI.1. La moralisation de la societeAu nom de la morale révolutionnaire, le CNR chargea les CDR de déplanter de la société un certain nombre de maux et d'habitudes, et de veiller à l'inculcation d'un style de vie respectant les fondements de la révolution. 357 CNR, 1983, DOP, pages 28 et 29. 358 Richard BENEGAS, 1983, Insoumissions populaires et révolution au Burkina Faso, Bordeaux, CEAN, page 101. VI.1.1. La mendicité : un ;léau social a combattreLe problème de la mendicité fut posé explicitement lors de la première conférence des CDR.359 Pratique bien réelle dans la ville, le CNR stipula qu'elle illustrait l'inaptitude du système capitaliste à créer des emplois à toutes les personnes valides et la capitulation des pouvoirs bourgeois renversés devant l'urgence d'assistance aux invalides, aux personnes âgées et aux autres démunis. La première conférence des CDR distingua trois catégories de mendiants : les mendiants valides (constitués des « garibous » des écoles coraniques et assimilés, des mères de jumeaux et de personnes oisives), les mendiants invalides (composés d'infirmes, de handicapés physiques et de personnes âgées) et les mendiants occasionnels (population sinistrée du Sahel et personnes étrangères nécessiteuses).360 Pourquoi le pouvoir révolutionnaire voulait-il faire cesser la pratique de la mendicité ? Quelle que soit son émanation catégorielle, elle avait été considérée comme un parasitisme social qui était antirévolutionnaire. « Si dans les pays oft l'exploitation de l'homme par l'homme est la regle d'or, les gens ne sont nullement émus par le spectacle désolant des enfants guenilles et des vieillards au ventre creux qui prennent d'assaut les passants en quête de pitance, ici au Burkina, nous y sommes sensibles ».361 Selon le CNR, l'existence de la mendicité dans une société marquait le malaise et le déséquilibre de celle-ci. Une telle société souffrait d'injustices et servait les intérêts d'une classe au mépris des droits d'être et d'épanouissement du plus grand nombre. « La mendicité trouve ses causes profondes dans l'exploitation capitaliste qui laisse pour compte une catégorie de personnes jugées inaptes ou non nécessaires dans le processus d'accumulation ».362 Le mendiant représentait donc celui qui était victime. C'était parce qu'il y avait des inégalités que la mendicité existait. Chercher sa suppression dérivait de l'humanisme révolutionnaire qui oeuvrait pour le bien-être de tout le peuple. Le procès du CNR à l'endroit des mendiants des écoles coraniques se voulait sévère et catégorique ; il s'agissait d'une attitude de démission face au travail : « 2l convient d'interdire et de stigmatiser le cas de mendicité des éleves coraniques qui est une conséquence de l'utilisation frauduleuse et malhonnete de l'islam par des madtres coraniques pour s'assurer des richesses sans peine et justifier leur refus de travailler ».363 L'irresponsabilité des parents des « garibous » et des maîtres coraniques à qui il revenait 359 Voir le rapport de la première conférence des CDR à la page 91. 360 Ibidem. 361 CARREFOUR AFRICA1N N° 980 du 27 mars 1987, * Editorial : Vers la disparition de la sébile », page 7. 362 Voir le rapport de la première conférence des CDR à la page 91. 363 Ibidem. 122 l'assurance de la nourriture et de l'entretien des initiés est à ce niveau brandie par le CNR. Le Burkina Faso évoluait dans un processus révolutionnaire enraciné dans le communisme. Témoigner de la permissivité à l'endroit de la mendicité était donc manquer de convenance aux principes de la révolution dont l'aspiration était l'émergence d'une société égalitaire. La mendicité pouvait conduire les jeunes à la délinquance juvénile, « autre mal du système capitaliste, intolérable dans la société nouvelle que nous voulons construire ».364 La décision de proscrire la mendicité intervint suite aux travaux du conseil des ministres le 11 mars 1987 : supprimer la mendicité sous sa forme profession et trouver un cadre d'insertion aux mendiants invalides plus ou moins obligés de vivre de la générosité des autres.365 A partir du 1er juillet 1987, le Ministère de l'Essor Familial et de la Solidarité nationale avec l'appui des CDR entreprit une opération pour intégrer les mendiants invalides dans des cours de solidarité.366 Cette opération concerna tous les 30 secteurs de la ville. La tâche des CDR fut de sensibiliser les mendiants invalides et de les conduire dans les centres de solidarité. Mission ardue puisque les mendiants ne se laissaient pas convaincre. Toutefois, l'opération porta fruit puisqu'au bout de trois jours, les CDR réussirent à admettre plus d'une quarantaine. Ceux-ci furent pris en charge, mais ils pouvaient exercer des métiers générateurs de revenus. Il existait à cet effet un encadrement technique mis à leur disposition. Quant au cas des mendiants valides qui émanaient surtout des centres coraniques, le pouvoir saisit la communauté musulmane pour une sensibilisation des maîtres coraniques afin que leurs disciples soient pris en charge. Cette procédure courtoise n'empêcha cependant pas l'usage de la coercition. En effet, les CDR n'hésitèrent pas à brutaliser des récidivistes. En même temps, les marabouts ou les maîtres coraniques connurent la pression. On assista à une « critique tapageuse du "charlatanisme" (maraboutage) et de la mendicité, "déviances" directement ou indirectement attribuées a l'islam ».367 Cette action contribua incontestablement à dégénérer davantage les relations entre la communauté musulmane et le CNR. Le constat final auquel on aboutit est que les années Sankara ont consacré la décroissance du phénomène de la mendicité. Un constat que Bruno 364 Voir le rapport de la première conférence des CDR à la page 92. 365 Bogna Yaya BAMBA, « Suppression de la mendicité : difficulté d'application » in CARREFOUR AFRICAIN N° 980 du 27 mars 1987, page 11. 366 Mathieu BONKOUNGOU, « Intégration des mendiants dans les cours de solidarité : sensibilisation par une approche directe » in SIDWAYA N°808 du 07 juillet 1987, page 4. 367 René OTAYEK, 1996, « L'islam et la révolution au Burkina Faso : mobilisation politique et reconstruction identitaire » in SOCIAL COMPASS 43(2) - REVUE INTERNATIONALE DE SOCIOLOGIE DE LA RELIGION, Londres, ALDEN PRESS, page 240. JAFFRE n'infirme pas : « La mendicité semble avoir disparu de la ville excepté autour de la grande mosguée ».368 VI.1.2. Le controle des « maquis » : la fermeture des « boites de nuits » et l'institution des bals populairesLa morale révolutionnaire devait passer aussi par les lieux de distractions ou de réjouissances. Dès le 16 octobre 1983, à l'occasion d'un concert révolutionnaire et populaire, le président du CNR définissait une nouvelle conception des cadres de recréation. Il décida de contrôler les débits de boisson et de fermer purement et simplement les boites de nuit.369 De toute évidence, le CNR pensait que ces lieux constituaient des coupelles d'expression de mentalités et de comportements qui reflétaient une société injuste et inégalitaire que la révolution avait pour mission de dissoudre. Pour se justifier, il avança trois raisons fondamentales. Premièrement, les boites de nuit étaient des lieux de réjouissances égoïstes, de dépravation des moeurs et d'aliénation culturelle car leurs amateurs dépensaient de grosses sommes d'argent au mépris de leurs familles et se livraient à des chorégraphies importées antirévolutionnaires. Nous pouvons remarquer ici la mise en exergue de l'ascèse révolutionnaire et de l'austérité de vie que le pouvoir recommandait au peuple. Il se dégage aussi un souci de protection des rythmes et danses nationales dont la consommation devait permettre de protéger la patrie contre les agressions culturelles de l'impérialisme. La deuxième raison principale était que les boites de nuit constituaient des pôles dans lesquels se croisaient les ennemis de la révolution notamment la bourgeoisie. La nécessité de détruire ces citadelles des contre-révolutionnaires s'imposait. Enfin, les boites de nuit étaient des lieux d'expression de pratiques antirévolutionnaires telles que la magouille, la corruption, et des basses manoeuvres de toutes tendances. Dans le souci de démocratiser les réjouissances, le CNR institua les bals populaires. Tout le peuple a droit aux réjouissances et celle-ci ne devait pas être conditionnée par l'importance des bourses individuelles. Dans ces messes culturelles révolutionnaires, les CDR usèrent de propagande pour véhiculer le message de la révolution. 368 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les années sankara, Paris, L'Harmattan, page 30. 369 Lucien WIBGA, Directeur du commerce intérieur, « Des boites de nuit » in OBSERVATEUR N° 2707 du 31 octobre 1983, page 6. Figure 14: Thomas SANKARA jouant a la batterie lors d'une soirée en 1987. Source : Presidence du Faso /Archives nationales. Cote : 5 Fi 654 Ces bals populaires ont eu un franc succès à travers le pays ; et même de nos jours, ils continuent dans les milieux villageois lorsque le jour du marché correspond à un dimanche ou à un jour de fête. L'aspect négatif de ces bals est qu'ayant coïncidé avec la lutte pour l'émancipation de la femme, ils ont permis un certain libertinage ayant amené de nombreuses filles à tomber enceinte. Pour donner le sens du travail bien fait dans l'assiduité, la fréquentation des débits de boisson ou des maquis pendant les heures de service fut prohibée. Mais à ce niveau, le CNR n'innova pas vraiment, car déjà sous le CMRPN, cette décision avait été adoptée. Le CNR décida également l'interdiction de la fréquentation des maquis par les mineurs. Le respect strict de toutes ces mesures au nom d'une éthique nouvelle, celle de la révolution incombait aux CDR. Leur action pour cette cause fut à l'origine du déclin de bon nombre de boites de nuit et de maquis. Les boites de nuit les plus fréquentées étaient celle de l'hôtel Ricardo, Canal Bambou, le Promotel et le Privé.370 370 Propos de Edouard OUEDRAOGO le 09 août 2005 au siège de L'OBSERVATEUR paalga. VI.1.3. La recherche d'une promotion de la solidarite, de la courtoisie et ses limitesLa solidarité agissante était revendiquée comme une autre excellence du code éthique révolutionnaire. L'individualisme propre au système capitaliste devait faire place à la vie communautaire, dynamique de la solidarité révolutionnaire. De ce fait, le CNR créa une caisse de solidarité révolutionnaire, un fonds des calamités naturelles, une caisse des aveugles et handicapés, une caisse pour la bataille du rail et un fonds de soutien aux rapatriés.371 Au 31 décembre 1985, l'ensemble de ces caisses avait enregistré des recettes de 1 402 452 612 F CFA, des dépenses de 524 497 193 F et un solde de 877 955 419 F.372 Au-delà de cet aspect pécuniaire, la solidarité révolutionnaire consista en des opérations d'assistance surtout à l'occasion des calamités naturelles comme les vents violents, les pluies diluviennes... Les personnes sinistrées bénéficiaient du secours des CDR. Edouard NANA, un commerçant du secteur 28, raconte que suite à l'écroulement de sa maison occasionné par la chute d'un arbre, les CDR du secteur lui avaient témoigné de leur solidarité, non seulement en découpant l'arbre pour le dégager, mais encore en l'aidant à reconstruire sa maison en pleine saison hivernale. Les CDR ont canalisé la distribution des vivres aux personnes nécessiteuses dans le Sahel et aidé à la reconstruction des logements des villes de Gorom-Gorom et de Banfora rasés par les pluies.373 Parallèlement aux oeuvres de solidarité, les CDR devaient être les agents de vulgarisation d'un code civique révolutionnaire dont ils étaient tenus d'être des exemples. Forcer le respect et inspirer la confiance dans son comportement étaient le devoir du révolutionnaire. Pour cette raison, il lui était inconditionnel de « cultiver en lui les bonnes qualites de modestie, la politesse, le respect et la courtoisie dans la fermete des principes de la Revolution ».374 Une attitude saine de la part du révolutionnaire était un gage de fierté révolutionnaire. Mais, le comportement de certains CDR avait péché. Une réalité que confirme l'autocritique des CDR. « L'esprit de vedette et le vandalisme [qui] sont des comportements negatifs deshonorants pour la revolution »375 n'étaient pas toujours évités par les CDR. En effet, « au niveau des CDR geographiques et plus precisement des cellules de securite, les camarades n'ont pas ete toujours courtois, polis, et respectueux dans les contacts avec les masses et les strangers. Cet cart de comportement est de 371 Voir le rapport de la 1ère conférence des CDR, page 93. 372 Ibidem . 373 Ibidem . 374 Idem, page 94. 375 Ibidem. 126 nature préjudiciable parce qu'il donne une mauvaise image de la Révolution Démocratigue et Populaire et contribue a la démobilisation ».376 Restons là pour souligner que l'usage du terme "camarade" n'était pas apprécié par tous les aînés. Certains y voyaient la dévaluation du respect qui leur était dû. Henri KABORE, le responsable CDR aux activités socio-économiques, s'en défend en ces termes : « Le fait de s'appeler camarade n'était pas une facon de minimiser l'dge des gens. Au fait, c'était une facon d'affirmer l'appartenance, la fidélité a un meme combat, celui de la nation. On acceptait camarade pour dire qu'on est engagé avec la révolution. C'était une maniere pour promouvoir l'esprit d'éguipe ».377 Babou Paulin BAMOUNI renchérit : « Le mot camarade entraine la cordialité, l'ouverture, l'esprit coopératif et le sens du désintéressement. S'appeler camarade, c'est accepter d'emblée l'instauration d'un certain climat de franchise, de sincérité et d'entraide mutuelle ».378 En dehors donc de la frange jeune de la population dont l'engagement était très fort, la courtoisie révolutionnaire avait connu une forte résistance. VI.1.4. Citoyens! Au sport pour défendre la revolutionLe CNR mit le sport au centre de sa politique mobilisatrice et moralisante. Ceci étant, il inscrivit la construction de 7000 terrains de sport à travers le territoire national dans le PPD. En s'appuyant sur les CDR, le pouvoir invita vivement la population à souscrire à sa volonté sportive. Cette incitation trouva un écho favorable au niveau des CDR, et ceux-ci s'engagèrent à l'aménagement de surfaces pour servir de terrains de sport. Dans la ville de Ouagadougou, chaque CDR devait doter d'un terrain de sport son secteur. L'animation sportive devint alors une constante dans la vie des CDR. Ce fut d'ailleurs pour cette raison que chaque bureau CDR avait responsabilisé un membre aux sports et loisirs. Ce dernier se chargeait de la coordination de toutes les initiatives qui concouraient à créer une ferveur sportive au niveau des masses. Par exemple, le budget 1986%1987 du secteur 30 consacra 60 000 F à l'achat de ballons de football.379. Les secteurs 15 et 29 ne s'étaient pas contentés de réaliser un seul terrain, mais deux. Les secteurs avaient des équipes de football qui s'affrontaient à l'occasion de tournois comme la coupe Amilcar CABRAL du haut-commissaire du Kadiogo.380 Sur le plan national, la contribution des CDR à la création d'infrastructures sportives pour 376 Voir le rapport de la 1ère conférence des CDR, page 94. 377 Henri KABORE : entretien du 03 août 2004 à son domicile au secteur 29. 378 Babou Paulin BAMOUNI, « Idéologie : le mot camarade », in CARREFOUR AFRICAIN N°808 du 09 décembre 1983, page 13. 379 Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine partagée à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries, Paris, Karthala, page 327. 380 Rapport de la 1ère conférence des CDR, page 122. 127 permettre une pratique vivante du sport dans toutes les localités peut être saluée comme une oeuvre extraordinaire. De 1983 à 1986, 3855 « stades » ont été construits à travers le territoire du Burkina Faso grâce à la mobilisation populaire exercée par les CDR.381 Le 24 septembre 1984, le CNR procéda à l'institution du sport de masse. Chaque jeudi, les citadins avaient ce devoir révolutionnaire de faire le sport sous la supervision des CDR. Au niveau des services comme au niveau des CDR géographiques, une cellule de dix militants dirigée par le responsable aux activités sportives et culturelles fut instruite pour engager une action de sensibilisation sur la nécessité de pratiquer le sport.382 Lors du deuxième anniversaire de la RDP en 1985, Thomas SANKARA justifiait l'institution du sport de masse en ces termes : « Parce que voulons une société saine, bien équilibrée, assurée sur ses jambes, fraiche d'esprit et de corps, la RDP a décidé d'introduire le sport a tous les niveaux de la vie de ce pays [...]. 2l a été décidé que le sport sera au cceur de toutes les préoccupations des Burkinabé ».383 Cependant, résumer l'essence de cette popularisation et cette « spectacularisation » du sport dans la seule recherche d'un bien-être physique signifie biaiser la face cachée d'une rhétorique qui se voulait incessamment politique. Le sport devenait ainsi un instrument de combat révolutionnaire qui permettait au pouvoir de s'approprier une conscience d'appartenance des masses : « Ce n'est pas un simple creuset du divertissement. 2l nous aide a effacer toutes nos divisions conjoncturelles et pousse tout le monde [...] a regarder la nécessité absolue d'unifier nos rangs ».384 Le sport apparaît alors comme un moyen de mobilisation populaire au bénéfice de la révolution. En outre, la pratique du sport symbolisait les valeurs morales édictées par le CNR pour la construction de sa nouvelle société. Il s'agissait donc d'une campagne éducative à travers laquelle se profilaient le volontarisme, l'austérité, l'amour du travail, la combativité et la productivité : « Le sport, c'est la victoire sur soi-meme, la victoire sur nos instincts de paresse et de mollesse. Une lutte contre le défaitisme et la peur de perdre. Une lutte contre l'adversité, contre autrui ».385 L'analyse de la réaction des masses dont la ferveur révolutionnaire devait transparaître à travers la pratique du sport de masse est ici intéressante à faire. Très 381 Rapport de la 1ère conférence des CDR, page 121. 382 J.P. AUGUSTIN et Y.K. DRABO, « Au sport, citoyens ! » in POLITIQUE AFRICAINE N° 33, 1989, Retour au Burkina, Paris, Karthala, page 61. 383 Capitaine Thomas SANKARA, « Le deuxième anniversaire de la RDP ponctue une étape qualitative nouvelle dans notre marche en avant », discours de l'An II in SIDWAYA N°327 du 06 août 1985, page 4. 384 Thomas SANKARA, cité par J.P AUGUSTIN et Y.K. DRABO, in POLITIQUE AFRICAINE N° 33, 1989, Retour au Burkina, Paris, Karthala, page 64. 385 Propos de Thomas SANKARA cités par Pascal LABAZEE, « La société burkinabé vue par le pouvoir révolutionnaire : du discours a l'action » in CEAN, 24 juin 1986, Changement politique et ordre social au Burkina Faso, Bordeaux, pp. 20 - 21. 128 vite, l'exigence de la pratique du sport de masse avait nourri plusieurs intrigues au niveau de la société, notamment dans les services où elle était devenue un critère d'évaluation et d'allégeance politique. En effet, le CNR avait décidé de ne plus se baser seulement sur les compétences professionnelles pour avancer les fonctionnaires, mais de tenir compte de l'assiduité de ces derniers dans la pratique du sport de masse.386 « C'est dire que l'inaptitude totale de tout individu a la pratique du sport équivaut a une inaptitude totale de ce dernier a servir le peuple dans la fonction publique. Et il faut alors en tirer toutes les conclusions ».387 De ce fait, la pratique du sport de masse s'était révélée comme une réalité indéniable, mais dans quel climat ? Assurément dans un climat de coercition et de suspicion. Les fonctionnaires dans les services n'avaient certainement pas le choix. Néanmoins, des résistances s'étaient dessinées. Effectivement, on assista à un télescopage entre les CDR et les syndicats dans les services. Même lorsque cette contestation n'était pas ouverte, elle s'exprimait de manière insidieuse. Ces résistances furent d'autant plus efficaces qu'elles tentèrent de contourner les décisions de l'Etat. Dans de nombreuses administrations, la protestation face aux mesures obligées prit des formes variées telles le retard aux exercices, la disparition discrète après l'appel, le non achat de la tenue exigée (le jogging frappé du sigle du CDR de l'administration). « Cette maniere de jouer avec les normes imposées par l'Etat peut prêter a sourire, mais elle cachait en réalité l'agacement d'une grande partie de la population qui reprochait au gouvernement de pratiquer la dialectique du vouloir et du non-vouloir ».388 L'utilisation du sport comme moyen de mobilisation populaire et de défense de la révolution s'insérait dans une réforme culturelle qui mettait au centre de ses préoccupations, les intérêts de la révolution. Vl.1.5. Une culture nouvelle au service de la revolutionLa culture est l'ensemble des valeurs matérielles et spirituelles qu'un peuple se crée au cours de son évolution. Le pouvoir révolutionnaire pensait que la culture dans sa globalité contribuait à l'affermissement d'une classe dominante au sein de la société.389 Par conséquent, elle n'est donc ni neutre ni immuable. La culture se meut en fonction des fluctuations sociopolitiques et économiques. Stigmatisant les régimes précédents, la première conférence des CDR leur dénia la capacité « d'entreprendre une politique culturelle dans le sens des aspirations des masses 386 Cheick KARAMBIRI, « La révolution est vigilance et exigence : un sport de masse pourquoi ? » in CARREFOUR AFRICAIN N° 903 du 04 octobre 1985, page 35. 387 Ibidem. 388 J.P AUGUSTIN et Y.K DRABO, in POLITIQUE AFRICAINE N° 33, 1989, Retour au Burkina, Paris, Karthala, page 65. 389 Voir le rapport de la 1ère conférence des CDR, page 101. 129 populaires ».390 La culture prérévolutionnaire était alors marquée du sceau de la réaction et de l'impérialisme. Dès son avènement, le CNR fit de la culture un champ d'expression révolutionnaire. On assista à l'affirmation d'une nouvelle dynamique culturelle résolument attentionnée à la cause révolutionnaire : « Pour nous [CDR], l'objectif a atteindre est une culture qui contribue au renforcement de notre révolution dans son étape actuelle ».391 Le pouvoir demanda aux écrivains de mettre leur plume au service de la révolution et aux musiciens de célébrer par leurs chants et danses l'espérance d'un futur radieux et prometteur dans la révolution.392 « La Révolution attend de nos artistes [..] qu'ils mettent leur génie créateur au service d'une culture [..] nationale, révolutionnaire et populaire ».393 Sous l'impulsion des CDR, la vie culturelle expérimenta une effervescence qui à tout point de vue était carentielle sous les autres régimes ayant précédé la RDP. La responsabilisation d'un militant à l'animation culturelle au niveau de chaque bureau CDR constitua une base importante pour la révolutionnarisation de la culture. Ainsi, des troupes théâtrales, des chorales, des ballets, des bals populaires... rythmaient l'expression culturelle d'abord au niveau des secteurs pour ensuite se répandre au plan national, notamment à l'occasion des grandes manifestations marquant les temps forts de la révolution. Des poèmes magnifiant la révolution furent régulièrement imprimés dans les pages des quotidiens d'information qui étaient étroitement contrôlés par le pouvoir révolutionnaire. Toutes les représentions culturelles devaient intervenir dans le cadre de la révolution et contribuer aux actions révolutionnaires. Dans l'ensemble, les productions artistiques ou culturelles étaient devenues des carrioles privilégiées des mots d'ordre révolutionnaires. Elles permettaient en résumé l'allégation de l'idéologie révolutionnaires et la légitimation des actions qui en découlaient. Précisons que c'est dans ce même contexte que la Semaine Nationale de la Culture (SNC) trouva son origine. La première édition fut organisée à Ouagadougou en décembre 1983. Elle se tint par la suite successivement à Gaoua (décembre 1984), à Bobo-Dioulasso (mars 1986), à Koudougou et à Réo (1988) avant de s'établir définitivement à Bobo-Dioulasso. L'initiative de la SNC servait de levier à la revalorisation du patrimoine culturel selon les schémas révolutionnaires. On peut alors partager cette compréhension de Wend-Lassida Sylvestre SAM qui avance que le nouveau pouvoir qui avait présenté la culture comme l'une de ses priorités traduisait ses intentions en actes par l'organisation de la première édition de la SNC cinq mois 390 Voir le rapport de la 1ère conférence des CDR, page 101. 391 Ibidem. 392 CNR, 1983, DOP, pages 40 et 41. 393 Ibidem. 130 après son avènement.394 De nos jours, cette messe culturelle a acquis ses lettres de noblesse et est en passe de devenir une manifestation de la sous-région de l'Afrique de l'Ouest. Dans le domaine cinématographique, la reconnaissance de l'oeuvre des défenseurs de la révolution en faveur du cinéma est une exigence. De 1960 à 1983, la ville de Ouagadougou ne disposait que de quatre salles de cinéma.395 Durant les quatre ans de révolution, les CDR en construisirent six et une salle de théâtre (grâce à l'appui de la République Populaire de Corée).396 Le pouvoir encouragea les cinéastes et s'appuya sur les CDR pour ériger de nombreuses salles à travers tout le pays dont ils assumèrent la gestion.397 A Ouagadougou, au niveau des secteurs et dans les établissements scolaires et universitaires, le cinéma fut employé comme moyen de sensibilisation et d'éducation des masses. Des semaines du cinéma cubain, soviétique... furent organisées398. Quant à l'organisation du FESPACO, elle était devenue surtout l'affaire des CDR qui contribuèrent à son rayonnement. En effet, les CDR étaient le pivot des festivités marquant cette fête du cinéma. Ils ont eu le mérite de l'avoir rendue plus populaire. La création de l'Institut des Peuples Noirs (IPN) en 1985, l'institution du Bureau Burkinabé des Droits d'Auteurs (BBDA)..., que d'exemples ayant sans conteste coopéré à l'avènement d'un printemps culturel qui se perpétue même de nos jours. Les mérites de cette vitalité culturelle qui génère tant de rentes substantielles et crée une renommée au Burkina Faso reviennent incontestablement aux acteurs révolutionnaires dont l'application a permis à l'identité culturelle burkinabé jadis en hibernation de pouvoir s'affirmer au bonheur des populations. On peut dire donc que sous la période révolutionnaire, la culture a été un instrument d'expression populaire. La politique culturelle du CNR a servi de moyen de séduction de l'opinion publique, c'est-à-dire comme un instrument de canalisation de l'adhésion populaire à la révolution. Mais, comme l'a dit Jean Pierre GUINGANE, ce qui est essentiel, c'est que non seulement cette politique culturelle a popularisé les activités culturelles, mais aussi et surtout les a valorisées : « 2l n'était plus rare de voir de tr.s 394 Wendlassida Sylvestre SAM, 1998, Culture et valeurs dans la presse burkinabé : analyse comparative du discours culturel sous la révolution et dans le nouveau contexte démocratique, Université de Ouagadougou, Mémoire de Maîtrise, FLASHS, page 22. 395 Roger Bila KABORE, 2002, Histoire politique du Burkina Faso : 1919 - 2000, Paris, L'Harmattan, page 216. 396 Ibidem 397 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les années sankara, Paris, L'Harmattan, page 103. 398 Voir le rapport de la 1ère conférence des CDR à la page 111. hautes personnalités de l'Etat se déplacer pour une manifestation culturelle ou de s'essayer a la pratique d'un art ».399 Tout en procédant à cette oeuvre de popularisation et de valorisation des activités culturelles, le CNR définissait sa nouvelle éthique. La culture devenait alors une tribune de dénonciation de toutes les pratiques auxquelles l'inimitié de la révolution était déclarée. Il s'agissait par conséquent d'une école morale qui avait pour mission de faire cesser ou reculer les attitudes telles la corruption, l'injustice, la gabegie le mensonge, l'hypocrisie, le racisme.400 La fierté et la sauvegarde de l'indépendance de l'économie nationale furent également magnifiées par les productions culturelles. Ainsi, se comprenait le contenu culturel du mot d'ordre « Produire et consommer burkinabé ». « L'incitation au port de l'habit traditionnel pour encourager le public a consommer burkinabé sont des atouts importants a noter dans la lutte pour l'indépendance économique de notre peuple ».401 Des succès importants irréfutables, mais aussi des égarements qui constituent les limites de cette politique culturelle révolutionnaire. A ce sujet, on peut citer la priorité accordée aux arts de spectacle sans doute à cause de la mobilisation des populations tant recherchée par le pouvoir : « Pour le Burkina révolutionnaire, le terrain culturel constitue un laboratoire permettant de tester ses capacités de mobilisation et d'organisation ».402 Cette démarche a piétiné sur l'éclosion des autres types d'expression culturelle. Par exemple, Jean Pierre GUINGANE rapporte qu'à cause de ce déséquilibre, le projet de construction d'un musée national avait été transformé en celui d'un théâtre populaire.403 Enfin, la formation des agents culturels avait été reléguée au second plan, car on considérait que la ferveur politique conférait la compétence.404 Le processus de changement des mentalités au-delà de la moralisation de la société devait se renforcer par l'émancipation de la femme. 399 Jean Pierre GUINGANE, 1996, « Les politiques culturelles - une esquisse de bilan » in (sous la direction de) René OTAYEK, Filiga Michel SAWADOGO et Jean Pierre GUINGANE, Le Burkina entre révolution et démocratie (1988-1993), Paris, Karthala, page 85. 400 Wendlassida Sylvestre SAM, 1998, Culture et valeurs dans la presse burkinabé : analyse comparative du discours culturel sous la révolution et dans le nouveau contexte démocratique, Université de Ouagadougou, Mémoire de Maîtrise, FLASHS, page 37. 401 Voir le rapport de la 1ère conférence des CDR, page 111. 402 Wendlassida Sylvestre SAM, 1998, op cit, page 32. 403 Jean Pierre GUINGANE, 1996, « Les politiques culturelles - une esquisse de bilan » in (sous la direction de) René OTAYEK, Filiga Michel SAWADOGO et Jean Pierre GUINGANE, Le Burkina entre révolution et démocratie (1988-1993), Paris, Karthala, page 86. VI.2. L'emancipation de la femme: une exigence revolutionnaireLe CNR considéra l'émancipation de la femme comme une nécessité dans l'approfondissement du processus révolutionnaire : « La révolution et l'émancipation de la femme vont de pair. Et ce n'est pas un acte de charité ou un élan d'humanisme que de parler de l'émancipation de la femme. C'est une nécessité fondamentale pour le triomphe de la révolution. Les femmes portent en elles l'autre moitié du ciel ».405 Cette conception de la révolution sur la femme fut à l'origine d'une véritable reconversion des mentalités qui mit désormais la femme au coeur de la vie politique et socio-économique, faisant d'elle, une actrice de premier plan dans le projet de développement. Dans un pays où les femmes étaient condamnées par la routine coutumière à jouer les seconds rôles, la politique féministe du CNR constitua une profonde redéfinition des rapports de genres. La complémentarité entre l'homme et la femme fut célébrée comme une grande valeur pour l'enracinement de la révolution. Il s'est agi de façon globale d'une politique qui a engagé résolument les femmes dans la lutte collective révolutionnaire pour développer le Burkina Faso. Notre préoccupation dans cette partie de notre travail est d'appréhender l'ampleur et la qualité des initiatives du CNR avec le soutien des CDR pour l'émancipation de la femme. VI.2.1. La creation de l'UF B : une structure statutairement rattachée aux CDRL'idée de créer une organisation féminine pour la promotion des femmes germa très vite au niveau du CNR. Les bases de cette organisation furent jetées avec l'institution de la Direction de la Mobilisation et de l'Organisation des Femmes (DMOF) en octobre 1984, une structure directement liée au SGN-CDR qui assurait son fonctionnement. La DMOF fut réellement un cadre de réflexion et d'action dont la finalité était d'aboutir à l'épanouissement véritable de la femme burkinabè. Elle a servi de premier canal au pouvoir pour mettre en valeur toute sa politique en faveur de la femme. Du 1er au 08 mars 1985, eut lieu à Ouagadougou la semaine nationale de la femme. Grâce à l'oeuvre de la DMOF, plus de 300 femmes de tous les horizons du Burkina Faso se rassemblèrent pour réfléchir sur les problèmes qui les encellulaient dans les conditions difficiles. A cette occasion, trois commissions principales menèrent des réflexions et proposèrent des résolutions pour améliorer la condition féminine. Une 405 CNR, 1983, DOP, page 36. 133 commission réfléchit sur la situation juridique de la femme, surtout au niveau de la famille, et émit l'idée d'élaboration d'un code de la famille. La deuxième commission traita du droit de la femme à l'éducation et prôna une alphabétisation et une scolarisation des personnes de sexe féminin à grande échelle. Quant à la troisième commission, elle mit le cap sur la place de la femme dans la construction économique et sociale du pays. Dans le souci de rendre plus efficiente l'oeuvre de la DMOF, le SGN-CDR créa en septembre 1985 l'UFB, structurellement rattachée aux CDR. La directive instituant L'UFB affirmait vertement d'ailleurs que l'UFB était une émanation des comités de CDR.406 Cette dépendance de l'UFB vis-à-vis des CDR était encore visible au niveau des dispositions statutaires qui se calquaient directement sur le Statut général des CDR.407 La dissolution de la DMOF à la fin de l'année 1986 décapita l'UFB qui sombra dans la désorganisation. Thomas SANKARA annonça la mise en place d'un bureau national le 08 mars 1987, mais cela s'avéra sans suite. Les tractations nourries par des calomnies et des mesquineries, des rivalités et des querelles de préséance maintinrent l'UFB dans un certain dysfonctionnement jusqu'au 15 octobre 1987.408 Le pouvoir a eu une nette responsabilité dans les dysfonctionnements dont a été victime l'organisation des femmes. Il y a lieu alors de mettre en cause le rattachement intrinsèque de l'UFB aux CDR. Cette subordination fut à la source des difficultés de l'UFB et au lieu de libérer la femme consacra son maintien dans un certain confinement politique. On peut reprendre à ce compte cette affirmation de deux responsables de l'UFB peu après le 15 octobre : « Dans l'UFB, nous ne madtrisions plus notre action. Les dirigeants du CNR passaient au-dessus de la tete des responsables de l'UFB pour donner des instructions a des elements de base ».409 De même, Alima TRAORE affirma : « Le Secretariat General National nous considérait comme une structure subordonnée qu'il controlait étroitement. Sur papier nous étions chargées de la coordination de toutes les actions des femmes, mais on nous refusait les moyens politiques de la réaliser. Pour chaque action que nous voulions entreprendre, il fallait l'approbation du secretariat general. Ainsi, beaucoup d'initiatives ont été tunes, nous devenions de plus en plus une structure administrative et bureaucratique ».410 Finalement, un travail de sape à l'égard de l'indépendance effective des femmes était 406 Capitaine Pierre OUEDRAOGO « Directive du Secretariat general des CDR relative a la mise en place de l'Organisation des femmes » in SIDWAYA N° 359 du 23 septembre 1986, page 2. 407 Capitaine Pierre OUEDRAOGO « Directive du Secretariat general des CDR relative a la mise en place de l'Organisation des femmes » in SIDWAYA N° 359 du 23 septembre 1986, page 2. 408 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, pages 27 et 28. 409 Propos de Véronique KANDO et de Madeleine OUEDRAOGO rapportés par Ludo MARTENS, 1989, op cit, page 23. 134 ourdi par les dirigeants du CNR. Du discours profondément féministe à l'action, la contradiction était flagrante. Ce n'est cependant pas l'occasion de noircir toute l'oeuvre entreprise par le CNR en faveur de la femme à travers premièrement la DMOF et ensuite l'UFB. Cette politique a eu la vertu d'avoir suscité une réelle prise de conscience sur le rôle indispensable de la femme dans la société et la nécessité de la participation des femmes à la construction d'une société prospère. Malgré toutes ces inadvertances, c'est une politique qui a provoqué un véritable chamboulement des mentalités pour un regard plus juste sur la femme. Jamais aucun gouvernement au Burkina Faso ne s'y était investi à un tel degré pour cette cause pourtant juste. VI 2.2. Libérer la femme économiquementLe CNR estima que l'émancipation de la femme passait obligatoirement par son indépendance économique. Or, la femme était pratiquement exclue de l'activité économique moderne et seulement 5% des femmes étaient employées dans les entreprises privées en 1983.411 Dans de nombreux secteurs de la vie professionnelle, les femmes étaient émargées par le fait des préétablis qui avançaient l'infériorité de la femme et sa nullité à produire quelque chose de positif. La situation était d'autant plus critique à cause du taux parlant de la faiblesse de la scolarisation et de l'alphabétisation qui frappait majoritairement les femmes. Bref, de façon globale, la situation économique de la femme était délétère. Pour le CNR, la responsabilité de cette précarité économique incombait aux régimes antérieurs célèbres par les systèmes d'exploitation qu'ils avaient mis en place. La nécessité de promouvoir l'indépendance économique de la femme devenait ainsi une mission exaltante pour le CNR. Pour ce faire, le CNR ouvrit l'accès des postes politiques aux femmes. Depuis longtemps, ces responsabilités semblaient être réservées exclusivement aux hommes. Le cas le plus spectaculaire de cette ouverture fut l'entrée en force des femmes dans l'équipe gouvernementale. A partir de 1984, les femmes disposèrent désormais de portefeuilles ministériels clés, une innovation extraordinaire sans doute pour bousculer les mentalités : la gestion d'un ministère n'est pas seulement l'apanage de l'homme, la femme peut le faire aussi, et même mieux. Il s'agit alors d'une volonté manifeste de déboulonner tout un système sectariste qui selon l'entendement du CNR s'accommodait bien aux régimes capitalistes de naguère. Ainsi, à l'occasion du renouvellement du gouvernement en août 1984, trois femmes devinrent ministres : Adèle OUEDRAOGO au Budget, Rita SAWADOGO au Sport et aux Loisirs et Joséphine OUEDRAOGO à l'Essor 135 familial et à la Solidarité nationale. En 1986, le nombre des femmes dans l'équipe gouvernementale passa à cinq. Quatre femmes devinrent également hautscommissaires : Aicha TRAORE dans le Passoré, Eve SANOU dans le Sanguié, Béatrice DAMIBA dans le Bazèga et Germaine PITROIPA dans le Kouritenga. La guerre à l'exclusivisme professionnel écartant la femme fut ainsi déclenchée et força même l'admiration du fait du caractère extraordinaire que revêtaient les actions engagées. La femme possède les mêmes aptitudes que l'homme. A titre d'exemple, cinq femmes suivirent la formation de maçon et furent engagées par l'entreprise GDEIRI, une société de construction.412 A Ouagadougou, 38 femmes, majoritairement analphabètes avaient appris à conduire des poids lourds.413 Concomitamment, les CDR créèrent des entreprises artisanales au profit de l'autosuffisance économique des femmes. Par exemple au secteur 22, l'ONG SAHELSOLIDARITE subventionna avec l'aide des CDR le montage d'une unité de fabrication de savon et de beurre de karité ; la vente de ces produits devait alimenter la caisse d'une coopérative créée par L'UFB.414 Malheureusement, les membres se partagèrent les rétributions de cette oeuvre aux dépens des fonds collectifs. Il s'ensuivit une désolidarisation des femmes du groupement, ces dernières après avoir été bien formées optèrent pour l'expérience individuelle.415 Cette banqueroute ne veut cependant pas dire que la totalité des entreprises initiées ont échoué. Des résultats satisfaisants s'en démarquent heureusement. Au secteur 30, les CDR obtinrent un moulin à mil d'une valeur de 5 millions grâce aux cotisations infra sectorielles et au financement d'une ONG dont l'exploitation généra des bénéfices que les CDR utilisèrent pour l'achat d'une décortiqueuse au prix de 350 000 F.416 Ils prévirent également la création d'un centre de métiers destiné aux femmes. Un dernier exemple d'initiative fut la création du restaurant Yidigri à Ouagadougou. Ce restaurant dont le nom (en moore) signifiait épanouissement avait été encouragé par le pouvoir. Par exemple, le mercredi 03 décembre 1986, Thomas SANKARA au sortir du conseil des ministres, avait invité son gouvernement dans ce restaurant pour prendre le repas du soir.417 De façon globale, la création des entreprises en faveur de la femme a touché tout le territoire national où existaient des CDR. 412 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 26. 412 Ibidem. 413 Ibidem. 414 Sylvy JAGLIN, 1994, Gestion urbaine partagée à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries, Paris, Karthala, page 338. 415 Ibidem. 416 Ludo MARTENS, 1989, op cit, page 26. 417 L'INTRUS N°0024 du 05 décembre 1986, n Vivre avec les masses ou bouffer avec les masses ? .0, page 7. 136 Il reste cependant que de l'avis de certains observateurs, ces entreprises ont eu peu de réussite. C'est l'avis par exemple de Sylvy JAGLIN qui soutient que ces entreprises de par leur aspect embryonnaire et leurs fortunes aléatoires, bénéficiaient faiblement de la mobilisation de la population, ce qui créait des entraves à la capacité des CDR à encadrer dûment le développement local.418 Malgré tout, il convient de complimenter l'initiative de toutes ces entreprises qui au-delà des considérations matérielles et pécuniaires, a défait là une psychologie sexiste longtemps distillée par des traditions ancestrales et a libéré l'énergie productrice maintenue en sommeil chez la femme. Des efforts fort louables ont été faits pour faciliter l'accès de la femme à l'éducation. La scolarisation des jeunes filles connaît un envol sans précédent. En même temps, les CDR et l'organisation des femmes incitèrent les femmes analphabètes à suivre les cours d'alphabétisation. Cette extension de l'éducation à la femme devait renforcer le sentiment de cette dernière quant à sa capacité d'être elle-même l'artisan de son épanouissement économique, gage de renforcement de la révolution. En 1985, le pouvoir tenta l'institution d'un salaire dit vital
pour aider économiquement les femmes. Il était question de
prélever directement sur les salaires des maris une somme pour leurs
épouses à la fin de chaque mois. Cette mesure « se
justifie par le fait que les problemes liés notamment a
l'éclatement de la famille traditionnelle et aux conséquences
psychosociologiques qui en découlent amènent de nombreux peres de
famille a s'adonner a l'alcoolisme ou a entretenir des a Le salaire vital avait attisé bien d'espoir chez de nombreuses femmes, mais n'a connu guère d'application à cause de la résistance accrue que son institution avait suscitée chez les hommes. Ces derniers n'étant déjà pas contents du nombre croissant des femmes à la tête des institutions publiques de l'Etat.421 « L'idéologie féodale 418 Sylvy JAGLIN, 1994, Gestion urbaine partagée à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries, Paris, Karthala, page 339. 419 Christine BENABDESSADOK, 1985, « Femmes et révolution : comment libérer la moitié de la société » in POLITIQUE AFRICAINE N° 20, Le Burkina Faso, Paris, Karthala, page 62. 420 Lire le discours de Thomas SANKARA à l'An II de la RDP in SIDWAYA N°327 du 06 août 1985, p.p. 1 - 5. 421 Richard BENEGAS, 1993, Insoumissions populaires et révolution au Burkina Faso, Bordeaux, CEAN, page 73. 137 persiste ; les femmes sont mineures, elles doivent "etre chapeautées par les hommes ».422 Au-delà de ces mesures socioprofessionnelles, la libération de la femme, c'était aussi la restaurer dans sa dignité. Le respect de cette dignité était la plénitude de l'importance de la femme dans la société. Dans ce sens, le CNR entreprit de lutter contre la prostitution. VI.2.3. La lutte contre la prostitutionLa morale révolutionnaire considéra la prostitution comme une pratique avilissante et intolérable dans une société qui cultivait l'intégrité morale. Or, cette pratique était bien présente dans les centres urbains, surtout dans la ville de Ouagadougou Selon un recensement mené par les CDR dans neuf secteurs, 629 prostituées dont 86% étrangères (Ghanéennes et Togolaises) s'appliquaient à deux types de prostitution dans la ville de Ouagadougou : la prostitution professionnelle pratiquée par les étrangères et la prostitution occasionnelle exercée par les Burkinabé.423 L'ampleur de la prostitution, surtout professionnelle était telle que Bruno JAFFRE l'avait décrite misérablement en ces termes : « Une prostitution particulièrement misérable. De jeunes femmes, le plus souvent Ghanéennes ou Togolaises assises devant une toute petite chambre cachée par un rideau, attendaient les clients pour des passes leur rapportant 200 a 400 francs CFA maximums. On les appelait "tabourets" 424 ».425 A partir de l'année 1985, le CNR entreprit de combattre ce fléau qui faisait la honte de la société burkinabé. Il définit la prostitution comme une norme d'exploitation qui était en adéquation avec le système capitaliste. C'est parce qu'il y avait des injustices dans la société que la prostitution était pratiquée. Il était donc fondamental de créer une société nouvelle faite de justice et d'égalité. L'édification de cette société était indissociable de la lutte contre le fléau de la prostitution. Thomas SANKARA accusa l'homme d'être le responsable de la prostitution ; la femme est seulement vue comme victime. Dans son discours prononcé le 08 mars 1987, il affirma : « La prostitution [...] n'est que la quintessence d'une société oft l'exploitation de la femme est érigée en regle. Elle symbolise le mépris que l'homme a de la femme. De cette femme qui n'est autre que la figure douloureuse de la mere, de la sour ou de l'épouse d'autres hommes dont chacun de nous tous. C'est en définitive, le 422 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 23. 423 Voir le rapport de la 1ère conférence des CDR, page 90. 424 Parce qu'elles s'asseyaient sur des tabourets devant leurs portes pour attendre les clients. 425 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les années sankara, Paris, L'Harmattan, page 31. 138 mépris inconscient que nous avons de nous-m-emes. 1l n'y a de prostituées que la oft existent des 0' prostituteurs » et des proxénètes ».426 Le CNR employa les CDR pour lutter véritablement contre le fléau. Ceux-ci commandèrent d'abord des opérations dites kokoko qui consistaient en des contrôles inopinés de pièces d'identité et de pièces d'état civil de mariage dans les chambres de passe ; toute femme sans pièce prise entre 20 heures et 2heures du matin était présumée prostituée et gardée à vue à la permanence jusqu'à ce que le contraire soit prouvé.427 Il s'ensuivit des bavures, ce qui amena l'abandon de ces mesures policières. La tenue de la 1ère conférence des CDR constitua une opportunité pour le CNR dans la conception de son action anti-prostitution. Elle préconisa des actions préventives d'une part et des actions curatives d'autre part. Les actions préventives consistèrent à la sensibilisation sur les risques de la prostitution, à l'éducation sexuelle dans les écoles et secteurs, à l'actualisation de la Loi N°11/64/AN du 4 août 1964 portant réglementation de la circulation des mineurs et fréquentation des dancings, salles de cinéma ..., l'interdiction de la projection des films pornographiques.428 Les CDR géographiques furent sollicités pour faire respecter ces mesures. Quant aux actions curatives, elles devaient aider à trouver des emplois aux prostituées et permettre leur réinsertion sociale.429 Le CNR décria le chômage comme une des causes essentielles de la propagation de la prostitution. Il était impératif donc de concevoir des activités professionnelles pour les prostituées afin qu'elles délaissent leur "service" : « La lutte contre le fléau de la prostitution est indissociable de la transformation qualitative et l'édification d'une société nouvelle [...] dans laquelle des membres s'épanouiront par l'exercice d'activités productives et plus saines », déclarait Thomas SANKARA le 08 mars 1986. Les activités proposées furent entre autres la couture, la coiffure, le tissage, le commerce. Mais, cette option du CNR se heurta à des résistances curieusement de la part des prostituées. SANKARA en personne tenta une sensibilisation directe, mais se vit très vite couvert de ridicules. Lors d'un entretien avec les prostituées, il exposa un plan visant à donner un travail à toutes celles que la précarité de la vie poussait à se prostituer. Elles lui répondirent que leur activité ne se limitait pas à l'équation financière ; sans doute, il fallait prendre en compte le besoin de jouir de sa génitalité. Les ayant bien comprises, Thomas SANKARA proposa de les marier. Ironiquement elles 426 Thomas SANKARA, discours du 08 mars 1987 : « Libération de la femme, une exigence future » in Bruno JAFFRE, 1989, op cit, page 304. 427 Matthias S. KANSE, « Le CNR et les femmes : de la difficulté de libérer la moitié du ciel » in POLITIQUE AFRICAINE N°33, 1989, Retour au Burkina, Paris, Karthala, page 69. 428 Voir le rapport de la 1ère conférence des CDR, page 90. 429 Ibidem. 139 rétorquèrent que certes, il avait bien les moyens de les nourrir toutes, mais il n'était pas évident qu'il arrivât à les satisfaire toutes.430 Figure 15: Lutte contre la prostitution : rencontre du Président Thomas SANKARA avec les prostituées au Mess des Officiers le 18 mai 1987. Source : Présidence du Faso - Archives Nationales Cotes : 6 fi 754, 6 fi 756, 6 fi 757, 6 fi 758, 6 fi 759, 6 fi 760, 6 fi 761. 430 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 27. Malgré ces résistances significatives provenant des protagonistes, le pouvoir insista dans sa résolution et prit d'assaut les localités de la ville où la prostitution battait son plein. Il détruisit le quartier Bilbambili réputé être le haut lieu de la prostitution, dans le cadre de la politique d'urbanisation. Cette destruction asséna un coup décisif à la prostitution dont l'ampleur avait notablement décru. Assurément, le phénomène n'avait pas été totalement anéanti, mais la politique morale révolutionnaire l'avait décisivement réduit à un stade où elle ne pouvait s'exprimer que de façon plus clandestine. VI.2.4. A bas, le mariage force et l'amour commercialLe CNR considéra le collectif des procédures et des moyens qui procédaient du droit coutumier pour le mariage comme inconséquent et révolu. Dans l'optique du CNR, le droit traditionnel en matière de mariage dans son ensemble était un instrument d'oppression utilisé par les hommes pour confiner l'épanouissement des femmes sur tous les plans. Le DOP parlait de traditions séculaires qui vouaient la femme au rang de bête de somme.431 L'émancipation passe par le respect de la personne de la femme, de sa liberté dans le mariage. Ceci étant, la politique féministe du CNR opta de dénoncer de façon impénitente le code traditionnel du mariage puisqu' « il n'y a de révolution sociale véritable que lorsque la femme est libérée ».432 Le mariage forcé, pratique bien courante dans la société burkinabé de l'époque, fut ainsi réprouvé comme un usage liberticide qui outrageait la dignité de la femme. Effectivement, au moment de l'avènement de la révolution, l'emprise de la réglementation traditionnelle du mariage était tenace sur la population, analphabète et rurale dans sa grande majorité. Or, cette réglementation déniait aux jeunes filles le droit de se choisir elles-mêmes leurs conjoints. Ainsi, la plupart des mariages relevaient de l'arbitraire des géniteurs des filles qui désignaient au gré de leurs intérêts les hommes à marier. Le plus souvent, pour échapper à ce dictat conjugal, les filles préféraient aller trouver asile chez les soeurs des congrégations religieuses catholiques.433 Celles qui ne parvenaient pas à trouver cette solution étaient mariées naturellement de force. L'avènement du CNR déboucla un nouveau chapitre qui désavoua sérieusement ce type 431 CNR, 1983, DOP, page 35. 432 David GUKUNZI, 1991, Thomas SANKARA: oser inventer l'avenir, Paris, Pathinder - L'Harmattan, page 245. 433 Germaine SAWADOGO, « Mariage forcé : des filles en quête de liberté », in CARREFOUR AFR1CA1N N° 832 du 23 mai 1984, page 24. de mariage sans le consentement de la femme dans un premier temps, puis l'interdit dans un second temps. Le courant féministe du CNR critiqua acrimonieusement l'institution de la dot dans le mariage traditionnel. Préalable dans les contractures de mariage, la dot fut dénoncée comme un type de marchandage de la femme. Effectivement, la fille burkinabé en âge de se marier symbolisait pour ses géniteurs un véritable magot ; ces derniers profitaient de cette situation pour faire fortune en accordant la fille au soupirant le plus offrant. De ce fait, on peut convenir avec le CNR sur l'aspect mercantile que soustendait la tradition de la dot. Ce qui fait ressortir le rejet du droit de la fille à se choisir un mari. La dénonciation de la dot comme usage désuet et spoliation constitua un chamboulement qui à l'instar des autres initiatives du CNR en faveur de la femme excita bien de controverses. A Aïcha TRAORE du SGN-CDR qui affirma que les femmes n'étaient pas des bêtes de somme qu'il fallait livrer à des hommes qui avaient les moyens et qui en feraient par la suite des esclaves, un homme avait rétorqué qu'une femme qui n'avait pas été achetée ne respectait pas son mari.434 Ces objections peignaient fortement la complexité de l'usage dont l'ancrage dans les moeurs constituait un écran à la volonté d'abolition du CNR. Si pour certaines personnes comme les hommes infortunés et les femmes, cette volonté était la bienvenue, pour d'autres comme les parents et les "capables", elle était la malvenue. Le CNR décria également la polygamie comme une vilenie symbolisant la démesure sexuelle des hommes qui prenaient plusieurs femmes qu'ils ne parvenaient malheureusement pas toujours à entretenir correctement. Pour le CNR, la polygamie était source de difficultés pour les femmes et dévalorisait leur image en leur déniant le droit de s'exiger pour chacune d'elles un seul homme. Cependant, des réalités économiques découlait souvent la polygamie. En effet, la richesse dans le passé s'assimilait à l'importance numérique des membres d'une famille puisque le principal mode de production qui était l'agriculture demandait un nombre important de bras valides. Nonobstant ces réalités socio-économiques, le CNR en réfléchissant avec l'organisation des femmes décida que la monogamie était la règle et la polygamie l'exception.435 Pour terminer, le lévirat qui était très courant dans la société de l'époque connut une interdiction. Désormais la veuve n'était plus obligée de consentir à cette tradition. Avec le surgissement des maladies sexuellement transmissibles, surtout le 434 Christine BENABDESSADOK, « Femmes et révolution: comment libérer la moitié de la société » in POLITIQUE AFRICAINE N° 20, Le Burkina Faso, Paris, Karthala, page 60. 435 Idem, page 61. 142 Sida, cette décision a été, à n'en pas douter, convenable et indispensable. Elle devait permettre par ailleurs à la veuve d'être exemptée de toute tentative de dépossession des biens laissés par son mari défunt. En effet, la mort du mari était une opportunité pour ses parents pour s'accaparer de ses possessions et dans la plupart des cas aux dépens de la veuve et de ses enfants. L'appréciation de l'ensemble de toutes ces mesures prises sous le chapeau du CNR exprime un télescopage de deux types de mentalité : la mentalité traditionnelle à la quelle se heurte une nouvelle mentalité proposée par le CNR. De façon explicite, l'ensemble de ces initiatives a trouvé des résistances au niveau des sphères traditionnelles et musulmanes pour lesquelles les pratiques décriées étaient bien justifiées dans leurs principes socioreligieux. Malgré ces oppositions, l'essentiel des questions soulevées a fait l'objet d'une réflexion ayant abouti à la promulgation d'un code des personnes et de la famille en 1988. VI.2.5. La lutte contre l'excisionCe fut lors de la semaine nationale de la femme de mars 1985 que le CNR décida la lutte contre la pratique de l'excision. On assista à une condamnation unilatérale de la pratique. Selon Thomas SANKARA, l'excision matérialisait ce que la tradition africaine avait de pire, de plus dur et de plus inadmissible.436 Il s'agissait donc d'une condamnation sans appel d'une pratique pourtant très populaire dont la finalité était d'aboutir à son extirpation totale de la société. Tâche épineuse lorsqu'on sonde la réalité sociale sur laquelle la prégnance des symboles culturels et religieux représentés par l'excision demeure éminente.437 En effet, comme le fait remarquer Mathias KANSE, l'exercice de l'excision était relatif à un ensemble complexe de mythes et de croyances. Ainsi, on a pu penser que le maintien du clitoris chez la femme tuait le nouveau-né qui l'effleurait. Dans certaines traditions, la femme ne revêtait sa vraie nature que lorsqu'on lui enlevait son clitoris qui constituait un organe virilisant. D'autres, surtout dans les milieux musulmans, voyaient en l'excision une étape qui rendait la femme pure. Il faut enfin relever cette opinion générale qui estimait que l'excision était une nécessité pour s'assurer la fidélité de la femme mariée. A ce propos, Adja Fatimata SAMASSEGOU, exciseuse depuis l'âge de 12 ans affirmait : « Jadis lorsque les hommes allaient en guerre ou bien étaient choisis pour faire le guet et prévenir en cas d'agression, ils faisaient exciser leurs femmes pour que durant leur absence elles n'éprouvent pas le désir de rapport sexuel. [...] ll faut avouer 436 Mathias S-KANSE, « Le CNR et les femmes : de la difficulté de libérer la moitié du ciel » in POLITIQUE AFRICAINE N°33, 1989, Retour au Burkina, Paris, Karthala, page 71. 437 Ibidem. que les femmes non excisées sont plus sensuelles et plus enclines a tromper leurs maris ».438 Le CNR se trouvait ainsi en butte à une situation délicate qui le forçait à transiger avec l'exactitude sociale. Mathias KANSE soutient dans ce sens qu' « il a pu mesurer la difficulté qu'il y a a engager une lutte contre des symboles profondément enracinés dans l'imaginaire populaire ».439 Fort de ce constat, le CNR opta pour une stratégie souple. Il ne s'agit pas d'une décision ou d'un décret à appliquer systématiquement, mais plutôt d'un ensemble d'initiatives par le biais de la sensibilisation de toutes les couches populaires pour transmuer graduellement les mentalités. Dans cette perspective, on assista à des forums-débats sur la question, organisés par les CDR, de concert avec les responsables des organisations féminines et les responsables de culte. La presse fut mise à contribution pour conférer une envergure à la dénonciation de la pratique. Par exemple, on n'a pu lire à la une de l'hebdomadaire CARREFOUR AFRICAIN des titres de dossier comme : « L'excision : un égoïsme déguisé », « Ma fille ne sera pas excisée ».440 Notons que « Ma fille ne sera pas excisée » était d'ailleurs le titre d'un film coréalisé par Boureima NIKIEMA et Norbert ZONGO qui a été diffusé à la télévision pour rendre plus agissante la sensibilisation.441 Toute analyse faite, les résultats de la croisade contre l'excision obtenus sous le CNR demeurent rachitiques. Les résistances à l'abandon de cet usage prôné à cor et à cri par le CNR furent des plus vives, surtout dans les espaces ruraux dont le taux élevé de l'analphabétisme consacrait un certain ésotérisme au message du CNR. Il n'en demeure pas moins que dans les centres urbains comme Ouagadougou, on a pu observer un recul de la pratique.442 De nos jours, l'excision est devenue une pratique illicite sévèrement punie et une opinion de plus en plus large souscrit à cette disposition légale. Les efforts du CNR ont eu le mérite d'avoir interpellé l'opinion nationale sur une pratique qui était dangereuse pour la santé de la femme et que des considérations culturelles et religieuses impertinentes avaient légitimée à tort. Le CNR a été au début de cette longue 438 Apolline OUEDRAOGO et Ferdinand DABIRE, « L'excision, une ceinture de chasteté » in CARREFOUR AFRICAIN N° 874 du 15 mars 1985, entretien avec Adja Fatimata SAMSEGOU, exciseuse, page 19. 439 Mathias S-KANSE, op cit, page 71. 440 Apolline OUEDRAOGO et Ferdinand DABIRE, « La mutilation sexuelle : un égoïsme déguisé ? » in CARREFOUR AFRICAIN N° 874 du 15 mars 1985, pages 19 et 20, et Yirzaola MEDA, « Ma fille ne sera pas excisée : plaidoyer contre l'excision » in CARREFOUR AFRICAIN N°1006 du 02 octobre 1987, page 23. 441 Voir CARREFOUR AFRICAIN N° 1006 du 02 octobre 1987 à la page 23. 442 Christine BENABDESSADOK, « Femmes et révolution: comment libérer la moitié de la société » in POLITIQUE AFRICAINE N° 20, Le Burkina Faso, Paris, Karthala, page 50. 144 marche qui a permis aux gouvernants actuels de proscrire légalement la pratique de l'excision En somme, la politique de révolution des mentalités a constitué un véritable code moral et social nouveau avec des implications diverses et complexes faites souvent de passivité ou de résistance au niveau des couches sociales. Cela révèle la difficulté que le CNR avait à faire adhérer la société à un nouveau style de vie contredisant des habitudes ou pratiques longtemps enracinées. Il ne faut cependant pas réfuter que ce civisme révolutionnaire ait éveillé la conscience de la population par rapport à des questions dont le traitement avait permis de la décharger de comportements à effets pervers. Le rôle socio-économique des CDR a révélé un nouveau schéma directeur de développement déployé par le CNR dont l'originalité s'était traduite par la sollicitation permanente des masses populaires et l'exhortation à une vie simple basée sur l'austérité économique. La réalisation de cette nouvelle conception de développement fondée sur la participation populaire s'était exprimée par la mise en route de deux programmes de développement qui à tous points de vue ont contribué à transformer les réalités socio-économiques du Burkina Faso. On a assisté à un volontarisme spectaculaire qui, tout en impliquant la population aux activités de développement, a milité contre vents et marées pour une reconversion des mentalités, gage d'un développement véritable et durable. L'appréciation du rôle socio-économique des CDR et leur exercice du pouvoir politique met en évidence une série de bouleversements complexes de tous ordres qui ont déterminé le cours de la révolution. Nous analysons ces réalités dans la troisième partie de notre travail. TROISIEME PARTIE 0LES CONSEQUENCES DEL'ACTION DES CDRLes CDR durant les quatre années de révolution ont participé de façon déterminante au déploiement du pouvoir révolutionnaire du CNR. Chargés de défendre et de consolider la révolution, les CDR ont pu réellement s'infiltrer dans tous les domaines de la vie nationale. Du politique en passant par l'économique et le social, les stigmates de l'action des CDR s'étaient faites ressentir et avaient assurément déterminé l'évolution de l'Etat révolutionnaire dont le CNR était aux commandes. Notre préoccupation dans cette partie de notre étude est de connaître les répercussions causées par la participation des CDR à l'exercice du pouvoir révolutionnaire du CNR, d'abord sur le plan politique, ensuite sur le plan économique et enfin sur le plan social. Chapitre VII : L'UNIPOLARISATION DU POUVOIR ET LE CHAM BOULEMENT DES RAPPORTS D'HEGEMONIELes CDR ont mené une action politique « b..] en vue d'écraser completement la résistance des réactionnaires »443 et de s'emparer du pouvoir où il se trouvait. Les CDR ont été de véritables fossoyeurs pour tous ceux qui ont tenté de prendre le contrepied de la politique du CNR, ce qui permit ainsi à ce dernier d'unipolariser le pouvoir en mettant en sourdine les contestations. La mort de l'opposition politique fut vite célébrée au lendemain du 04 août 1983 tandis que les milieux syndicaux connaissaient leurs pires déboires. Dans notre analyse, nous évoquons premièrement le cantonnement des partis politiques et l'effacement de l'opposition. Deuxièmement, il s'agit pour nous d'expliquer l'affaiblissement des syndicats par les CDR. En troisième point, il est question pour nous de nous pencher sur les répercussions de la croisade pro- révolutionnaire au niveau de la presse. Nous terminons notre analyse sur la contribution des CDR à la chute du CNR. VII .1. Le cantonnement des partis et la condamnation B mort de l'oppositionLa politique du CNR a été éminemment marquée par l'exclusion de toutes les forces dont la conception de l'Etat était en déphasage avec celle défendue par celuici. De ce fait, la période 1983-1987 a été un vrai calvaire pour les partis politiques d'opposition, notamment ceux qui faisaient la pluie et le beau temps du temps de la IIIème République : RDA, UNDD, UPV (devenue FPV), UNI, IPRA, GAP... Ceux-ci s'étaient trouvés dans l'impossibilité de prendre part librement aux débats concernant la gestion de l'Etat. En s'appuyant sur les CDR, le CNR était parvenu à se singulariser comme le chantre incontesté de la politique étatique. On a assisté à l'illustration d'un système politique ayant dicté la soumission complète à toutes les composantes politiques pour instaurer un ordre collectif dont le CNR devait être le maître à penser et d'action. Nous analysons la situation en deux points essentiels : d'abord, l'élimination des partis politiques de droite, et enfin la légitimation dictée du pouvoir révolutionnaire. 443 CNR, 1983, DOP, page 23. VII.1.1. L'élimination des partis politiques de droiteLa conjoncture sociopolitique qui prévalait au Burkina Faso avant la révolution était déterminée par la cristallisation d'une crise nourrie d'intrigues entre la droite et la gauche pour le contrôle de l'Etat. Le 04 août 1983, l'avènement de la révolution constitua une étape de mort certaine pour toutes les organisations qui soulevaient l'étendard de la droite. Le système politique qui se mit en place à partir du 04 août signa son refus total de partager le pouvoir avec tout mouvement issu de la droite. Se réclamant comme une révolution démocratique et populaire, marxisteléniniste, le régime politique du 04 août 1983 désigna très vite à travers son discours d'orientation politique ses ennemis dont la droite, auxquels il se résolut à opposer une bataille sans mesure. C'est de bonne guerre quand on sait bien toute l'antinomie historique qui a toujours existé entre les organisations de ces deux tendances politiques concernant leurs propositions de gouvernance politique. D'ailleurs, l'analyse de l'histoire politique du Burkina Faso renseigne abondamment sur les heurts auxquels ces deux tendances se sont toujours livrées pour la conquête du pouvoir. L'arrivée de la gauche révolutionnaire au pouvoir par le coup de force du 4 août 1983 constitua sans conteste une nouvelle orientation politique définie par un unilatéralisme idéologique. L'ostentation de la RDP avec ses tendances marxistesléninistes comme le modèle politique idéal pour le bonheur du peuple dénia le droit d'existence de la droite. Assimilée à la bourgeoisie, la droite voyait son champ politique se rétrécir sous les lance-flammes des CDR. En s'appuyant sur les CDR, le pouvoir révolutionnaire avait saboté sérieusement les organisations rivales de droite et même celles qui flirtaient avec le socialisme comme le FPV de Joseph KI-ZERBO. Dès le 04 août 1983, le CNR décidait la dissolution des partis politiques. Cette mesure liquidatrice marquait évidemment l'intolérance du CNR vis à vis de l'émergence d'une force concurrente. En agissant de cette manière, le CNR s'était adjugé le monopole de la conception et de la direction de l'Etat. Se servant des CDR, le CNR avait mis en place un système de contrôle effectif des anciens responsables de l'Etat. Au niveau des secteurs, ceux-ci veillaient au grain. Ils devaient amener ces anciens responsables à ne pas se soustraire aux prescriptions qui leur avaient été faites à l'occasion de leur rencontre avec Thomas SANKARA aux lendemains du 04 août.444 En plus, ils les conspuaient sévèrement à travers leur campagne de propagande des idées révolutionnaires, appelant ainsi le peuple à ne voir en eux que les fossoyeurs de son bonheur. 444 Revoir à ce propos L'OBSERVATEUR N° 2667 du 05 septembre 1983 à la page 10. L'appui des CDR a été indéniablement utile au CNR dans sa politique d'exclusion de la droite du débat politique. Comme le consent Bruno JAFFRE, la canalisation du mouvement populaire a permis le balayage rapide des organisations de droite toutes plus ou moins issues du RDA ou du Social-démocrate de Joseph KIZERBO comme le FPV qui malgré sa coloration socialiste avait été contraint à la cessation de ces activités.445 Le leader du FPV lui-même a dû prendre le chemin de l'exil pour échapper à la furie révolutionnaire. On l'accusait en mai 1984 d'être le principal inspirateur d'une tentative de coup d'Etat.446 A cette occasion Luc Adolphe TIAO écrivit : « La tentative de putsch de la droite rappelle une fois de plus aux révolutionnaires et aux démocrates conséquents que la lutte contre l'impérialisme international et la réaction nationale est permanente. [...]. Lorsqu'on regarde les comploteurs, on se rend compte que ce sont des individus insignifiants sans aucune assise populaire susceptible de les soutenir. Ces ramassis de réactionnaires dont la haine contre le CNR n'a d'égal que leur anticommunisme viscéral... ».447 Cette affirmation est une illustration parfaite des péchés dont la responsabilité était chaque fois mise sur la droite par les concepteurs de l'Etat révolutionnaire. Creuset de la bourgeoisie, de la réaction nationale et internationale et de l'impérialisme, la droite fut ainsi condamnée à mourir puisqu'elle complotait contre la révolution. Cette optique permettait au CNR de se livrer à la construction d'un nouvel ordre hégémonique dans lequel il constituait le sommet. La mise à l'écart de la droite devait favoriser la réalisation de cette volonté hégémoniste : « Désormais, on ne doit plus distinguer un Voltaïque a travers son ethnie ou sa région, mais il faut le considérer ~ travers son appartenance de classe, c'est-d-dire comme homme de gauche ou homme de droite, ami ou ennemi du peuple ».448 L'instrumentalisation des CDR a permis au CNR de « dompter par la terreur les ennemis »449 de la révolution et de la faire tourner au profit de ceux qui la soutenaient.450 Le CNR restait ainsi la seule organisation "authentique" à la tête de l'Etat dans un système où l'opposition n'avait pas eu droit de cité. 445 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les années sankara, Paris, L'Harmattan, page 185. 446 Clément TAPSOBA, « Tentative de déstabilisation déjouée : la genese d'un complot de plein naïveté » in CARREFOUR AFRICAIN N°835 du 15 juin 1984 p. p. 12%16. 447 Luc Adolphe TIAO, « Les lecons d'un complot droitiste » in CARREFOUR AFRICAIN N° 835 du 15 juin 1984, page 7. 448 Babou paulin BAMOUNI, « Idéologie : qu'est-ce que la gauche ou la droite ? » in CARREFOUR AFRICAIN N° 796 du 16 septembre 1983, page 16. 449Propos de ROBESPIERRE in J.M.Alain BERNARD et Michel ROCHE, 1983, Europe d'hier et d'aujourd'hui, Paris, Editions Magnard, page 141. 450 Propos de Saint Just, ibidem. VII.1.2. La « legitimation forceen du pouvoir revolutionnaireLa politique de disqualification des opposants à laquelle le CNR se livrait avec l'appui des CDR traduisait assez fidèlement la tentative de celui-ci de se présenter aux yeux du peuple comme le garant absolu de ses intérêts. La mise en sourdine des organisations politiques rivales laissait le champ libre au CNR pour mettre en exercice son projet de société. A ce sujet, Augustin LOADA affirme : « Au Burkina Faso, la strategie du CNR a consiste a evincer toutes les organisations de la" societe civile "du champ de la participation au profit de ses propres relais, les CDR. Mais, derriere un discours participatif se profilait non pas un dialogue mais un monologue du pouvoir soucieux de s'auto-legitimer ».451 En effet, ce besoin de légitimation se faisait sentir à travers toute la méthode d'action des CDR. Considérés comme la clé de voûte de l'action politique révolutionnaire, les CDR obtinrent exclusivement le privilège de la représentation politique authentique du peuple. Cette consécration leur permettait d'oeuvrer considérablement pour l'affirmation du CNR et son acceptation au niveau des masses. La fonction « legitimatrice» des CDR était perceptible à tous les niveaux. Sur le plan politique, leur pouvoir de nuisance avait autorisé la monopolisation de la gestion de l'Etat par le CNR au mépris des autres organisations. En même temps, ils furent de véritables relais du pouvoir par rapport à la dissémination des idées révolutionnaires dans la société. Les grandes mobilisations initiées favorisaient cette propagation qui naturellement étoffait l'assise populaire du régime révolutionnaire et réduisait inéluctablement la base des opinions antirévolutionnaires. Tantôt souple, tantôt violente et coercitive, la stratégie politique développée par le CNR par l'entremise des CDR avait aidé à une légitimation forcée. L'imposition de sa conception sociale comme souveraine par la phagocytose des autres formations politiques et par l'inversion des représentations traditionnelles (rétrogradation des chefferies coutumières) l'avaient consacré ainsi comme la seule organisation capable de garantir un avenir radieux au peuple ; tout ce qui n'émanait pas du CNR n'était pas censé assurer les intérêts du peuple. La politique socio-économique traduite par la réalisation d'une multiplicité d'investissements grâce aux CDR et par la profession de l'austérité renforçait cette légitimation. La volonté d'ériger une société nouvelle dessinait la préoccupation du CNR à régner dans une société révolutionnaire dont il allait être le maître d'oeuvre et le représentant légitime. Les CDR travaillèrent à l'érection de cette société dite nouvelle. Pour terminer, le fait de vouloir amener tout le monde à militer dans les CDR montrait le refus de la contestation, puisque dans ce cas tout le monde devait agir pour la sauvegarde de la révolution. En procédant ainsi, le CNR dictait sa légitimité et les CDR lui permettaient de s'assurer le monopole du champ politique. En se basant sur les différentes ramifications des CDR, le CNR s'était infiltré dans tous les rouages de la société et de l'Etat. Une volonté totalisante dont la critique par les organisations syndicales a été source de conflictualité accrue. VII.2. L'affaiblissement des syndicatsLes remous qui évaluaient les rapports entre le CNR et les syndicats pendant la révolution étaient sustentés par une divergence des intérêts défendus. Le refus des formations syndicales de légitimer la vision révolutionnaire du syndicalisme avait été à l'origine d'une épreuve de force qui avait incontestablement affaibli les syndicats. Vus comme des forces concurrentes des CDR, les syndicats connurent une corrosion qui réduisit leur capacité de manoeuvre sur le plan politique. Se servant des CDR, le pouvoir dicta sa loi et somma les syndicats de la respecter. La dictature à laquelle le CNR s'était livré à l'égard des organisations syndicales avait offert l'opportunité à ces dernières, jadis opposées quant à leur position vis-à-vis du CNR, de se réorganiser pour protester contre l'unilatéralisme de ce dernier qui exigeait leur fusion aux structures populaires révolutionnaires. Il demeure cependant qu'en dépit de cette constitution de bloc syndical pour contrecarrer la politique du CNR, la condition syndicale déjà pernicieuse n'avait pas connu une amélioration, pire elle avait été aggravée par une répression dont les CDR avaient été les meneurs. La question syndicale sous le CNR constitue une pile d'évènements complexes avec l'implication des partis politiques souvent difficile à appréhender. L'analyse que nous proposons se déploie en deux temps : d'abord la constitution du front syndical et la répression des syndicats. VII.2.1. De la division au front syndical : un syndicalisme revolutionnaire contre la revolutionNotre analyse antérieure sur le monde syndical sous la révolution dans la deuxième partie de notre travail nous révélait une rivalité accrue entre les différentes formations syndicales qui ne se réclamaient pas de la même idéologie. Le CNR récupéra cette divergence idéologique pour renforcer la conflictualité intersyndicale et asseoir une base solide par l'intermédiaire des CDR auxquels il appelait toutes les organisations à adhérer. Effectivement, le soutien important des organisations syndicales de gauche, surtout de la toute puissante CSB, avait offert l'occasion au CNR de mettre sur le banc de touche les syndicats de tendance réformiste. Le cas éloquent de la liquidation du SNEAHV est ici intéressant à évoquer. Mais, il faut rappeler que cette nécrose des syndicats dits réformistes servait indubitablement aux desseins de la CSB qui connotaient la recherche d'hégémonisme sur l'ensemble du monde syndical. C'est pour cette raison qu'elle avait coopéré avec le CNR pour l'extirpation des syndicats rivaux du débat politique. Cependant, la crainte de voir surgir une organisation civile et forte qui pourrait remettre en cause sa suprématie sur la conception et la direction du processus révolutionnaire avait amené le CNR à évincer les représentants du PAI-LIPAD, par ricochet de la CSB du pouvoir. L'épreuve de force s'était soldée par un divorce total. L'officialisation de la primauté des CDR sur toute autre organisation condamnait les syndicats à mourir politiquement. En effet, cette disposition qui marquait la volonté de contrôle total de l'Etat par le CNR marginalisait ipso facto tous les syndicats, ces derniers qui faisaient et défaisaient pourtant les gouvernements dans le passé. Au-delà de cet aspect, cette marginalisation constituait un revers symbolique pour les syndicats en ce sens qu'ils perdaient le monopole de représentation du monde des travailleurs et les CDR se faisaient ainsi les héritiers des insurrections de 1966, de 1975 et de 1983 dont l'aboutissement selon l'entendement du CNR était bien entendu l'avènement de la révolution. En récupérant cette mémoire politique, le CNR opérait un transfert de légitimité qu'il tentait de renforcer par ses accusations contre les syndicats, notamment contre l'opportunisme des dirigeants qui souvent, utilisaient les postes syndicaux comme tremplins politiques.452 La disgrâce de la CSB et de son cavalier politique la PAI/LIPAD constitue une nouvelle définition de l'évolution du mouvement syndical au Burkina Faso. On a assisté à l'impulsion d'une nouvelle dynamique syndicale qui avait étonné du fait de la collaboration et de la solidarité qui la sous-tendaient. Jadis ennemis inoxydables, les syndicats, tous exclus du système, se concertèrent pour former un front contre le CNR. Le 28 janvier 1985, la CSB cosignait avec d'autres syndicats une déclaration commune contre le CNR.453 L'existence de ce front remonte au 09 octobre 1983. Deux mois seulement après le déclenchement de la révolution, quatre syndicats de travailleurs, le SNAID, le 452 Richard BENEGAS, 1993, Insoumissions populaires et révolution au Burkina Faso, Bordeaux, CEAN, page 51. 453 Kabeya Charles MUASE, 1989, Syndicalisme et démocratie en Afrique : l'expérience du Burkina Faso, Paris, Karthala, page 204. 153 STOV, le SYNTER, le SYNTSHA et le syndicat des étudiants, l'UGEV, publièrent une déclaration déniant la compétence des régimes issus de coup d'Etat à améliorer le sort du pays. D'après cette déclaration, les coups d'Etat en même temps qu'ils visaient à désamorcer les tensions sociales et à contrecarrer les luttes des travailleurs dans les limites convenables au système néo-colonial, tentaient de résister à la radicalisation et au triomphe du mouvement démocratique et révolutionnaire, ce qui signifiait que pour les travailleurs, élèves et étudiants, le combat pour de meilleures conditions de vie et de travail restait de mise.454 Le frondeur principal de ce mouvement était le SYNTER reconnu comme un satellite du PCRV qui bien que se déclarant révolutionnaire avait pris ses distances vis-à-vis du CNR.455 Ceci étant, durant les quatre années de la révolution, le SYNTER était devenu une caisse de résonance du PCRV et le catalyseur de la résistance syndicale qui se tramait dès le 09 octobre 1983. Il trouva inopportune la création des CDR qui selon lui constituait une menace pour l'existence des syndicats.456 En somme, toute la politique du CNR fut désavouée par le tout nouveau SYNTER457 qui lança des appels aux autres organisations à le rallier en vue d'une résistance ferme au CNR. Cependant, le dualisme du courant syndicaliste avait mis à l'épreuve le SYNTER dans son projet d'unification des syndicats. En effet, le parallélisme d'un courant syndical dit réformiste et d'un autre dit révolutionnaire n'avait pas facilité la politique d'unité de base du SYNTER avec les autres mouvements syndicaux. Ainsi, le SYNTER qui se considérait comme révolutionnaire avait très vite méprisé le camp réformiste qu'il accusa d'opportuniste : « Face a la débeicle du syndicalisme réformiste et de collaboration de classes, l'unité combative des travailleurs dans une puissante centrale révolutionnaire est une nécessité pour exiger de meilleures conditions de vie, [...] veiller au maintien et a l'élargissement des libertés démocratiques ».458 Le SYNTER brandit ici l'incompatibilité des deux tendances. Il anima la déclaration du 09 octobre 1983 et négocia avec d'autres syndicats de gauche non signataires comme la CSB. La disqualification de cette dernière par le biais de l'éviction du PAI/LIPAD du CNR l'avait finalement rangée du coté de la tendance syndicale animée par le SYNTER. Ce fut le point de départ d'un mouvement syndical révolutionnaire de masse contre le CNR. 454 OBSERVATEUR N°2692 du 10 octobre 1983 : « Déclaration syndicale commune du 09 octobre 1983 », page 10. 455 Au fait, la position de la déclaration du 09 octobre 1983 était une reprise du point de vue du PCRV qui avait affirmé déjà que le CNR était incapable d'un projet de société parce qu'issu de la société de bourgeoise et d'un coup d'Etat, et que de ce fait, il ne remettait pas en cause la domination impérialiste. Pour le PCRV, le CNR était un régime opportuniste et illégitime. 456 Kabeya Charles MUASE, 1989, Syndicalisme et démocratie en Afrique : l'expérience du Burkina Faso, Paris, Karthala, pages 206 et 207. 457 Le SYNTER avait été reconnu sous le CSP I et avait tenu son premier congrès du 10 au 12 août 1983. 458 Kabeya Charles MUASE, 1989, op cit, page 205. Le 28 janvier 1985, en plus de ceux de la déclaration du 09 octobre 1983, six autres syndicats et la CSB cosignaient un pronunciamiento commun contre le CNR.459 L'essentiel de cet édit accusait le CNR d'empirer permanemment les conditions catastrophiques de vie et de travail des masses laborieuses confrontées à la misère, au chômage, à l'analphabétisme, à la maladie et à la famine ; la déclaration critiquait également la volonté du CNR de se présenter comme un pouvoir des travailleurs, l'accusant illico d'être le sicaire des organisations syndicales en s'appuyant sur les CDR.460 La faiblesse de ce front syndical était à n'en pas douter sa représentation exclusivement révolutionnaire qui ne faisait pas l'unanimité des travailleurs. En effet, trois grandes centrales syndicales à savoir la CNTB, l'USTB et l'ONSL avaient été mises à l'écart parce qu'opportunistes. Même la CSB avait quitté le front une année après parce que les autres syndicats lui reprochaient d'avoir coopéré avec le CNR pour les étouffer.461 Ces dissentiments qui globalisaient l'ensemble des syndicats jetaient sans doute du discrédit sur le front syndical et devaient saper logiquement son efficacité vis-à-vis du CNR. Néanmoins, comme l'affirme Kabeya Charles MUASE, dans la mesure où ces syndicats « rétifs » affichaient une attitude défavorable au CNR, la date du 28 janvier 1985 marquait un virage déterminant dans les rapports entre le mouvement syndical et le CNR, « le premier mettant en cause l'ensemble de la politique du second en ses points les plus sensibles ».462 L'interprétation de la date du 28 janvier 1985 est une expression crue de l'échec de la politique syndicale du CNR. Elle a marqué la rupture totale entre les syndicats et le CNR et le début de la cristallisation d'une opposition syndicale large contre un pouvoir qui de plus en plus perdait la cause des fonctionnaires. N'est ce pas de mauvais augure quand on connaît bien les issues politiques que la crispation des revendications syndicales a souvent créées ? Les dirigeants du CNR, bien renseignés, ne se sont pas montrés dupes. Pour empêcher ce mouvement syndical de large front de se développer, le CNR opta pour la répression. V11.2.2. La repression des syndicatsLa décision de l'usage de la répression totale contre les syndicats procédait de l'échec de la tentative de leur vassalisation par le CNR. Le refus catégorique des 459 Les syndicats signataires de la déclaration : CSB, FSB, SAMAB, SNAID, SYNTER, SYNTETH, SYNTRAGMIH. 460 John David KERE, 1988, Syndicats et pouvoirs politiques au Burkina Faso, mémoire de DEA, Université de Bordeaux I, Institut d'Etudes Politiques de Paris, CEAN, pages 83 et 84. 461Kabeya Charles MUASE, 1989, Syndicalisme et démocratie en Afrique : l'expérience du Burkina Faso, Paris, Karthala, page 204. 462Kabeya Charles MUASE, « Un pouvoir des travailleurs peut-il etre contre les syndicats » in POLITIQUE AFRICAINE N° 33, 1989, Retour au Burkina, Paris, Karthala, page 55. 155 syndicats de s'incorporer dans les CDR et leur dénégation de la politique du CNR avaient valu l'application de la coercition sur eux. Babou Paulin BAMOUNI déclarait à ce sujet: « La place des syndicats ne peut être qu'd coté de notre Révolution pour l'aider dans sa marche irréversible vers la société nouvelle, source de bonheur pour le Voltaïque. Un syndicat qui se situerait hors de cette logique ne peut plus prétendre défendre les intérêts des travailleurs et encore moins ceux du peuple. Son camp est connu : celui de la minorité réactionnaire décidée a utiliser des sigles syndicaux [...] pour satisfaire ses intérêts égoïstes et funestes dans un esprit petit-bourgeois exécrable et vilement abominable ».463 L'usage de la répression n'est pas une innovation découlant seulement de la conjoncture conflictuelle du début de l'année 1985 où le CNR avait contre-attaqué le corps syndical. L'exercice de la coercition comme instrument de contrôle du mouvement syndical a toujours été une constante dans les méthodes politiques du CNR. La décapitation du SNEAHV en constitue une illustration exemplaire. En prenant la décision de réprimer le mouvement syndical, le CNR révélait une fois de plus sa volonté éditée de contrôler sans concession l'ensemble du corps social. Cette répression occasionnée par la déclaration du 28 janvier 1985 avait évolué dans une certaine constance jusqu'à l'avènement du 15 octobre 1987. Une répression dans laquelle les CDR composaient un outil efficace pour le CNR. La campagne antisyndicale du CNR fut sitôt mise en branle au lendemain du 28 janvier 1985. Les propos et les actions bellicistes ne se sont pas fait attendre du côté du CNR et de ses structures populaires. Dès le 31 janvier 1985, un décret présidentiel suspendait et dégageait 26 responsables syndicaux.464 Pierre OUEDRAOGO proféra des menaces allant des sévices à la neutralisation physique à l'encontre des syndicats ; il promit le "poteau n° 5" comme support d'exécution des syndicalistes.465 Les CDR de service et les CDR des commerçants commentèrent que la déclaration du front syndical n'avait d'autre philosophie que de la contre-révolution et regrettèrent que les révolutionnaires n'eussent pas fait suffisamment usage de césarisme sur des réactionnaires (syndicats) qui méritaient bien d'être mâtés et brisés.466 Quant aux CDR de garnisons notamment ceux de Ouagadougou et de Po, ils estimèrent que les syndicats étaient devenus anarcho-populistes et putschistes, c'est-à-dire qu'ils se cachaient derrière des intérêts dits du peuple pour refuser l'autorité de l'Etat 463 Propos cités par John David KERE, 1988, Syndicats et pouvoirs politiques au Burkina Faso, mémoire de DEA, Université de Bordeaux I, IEP/CEAN, page 78. 464 Kabeya Charles MUASE, 1989, Syndicalisme et démocratie en Afrique : l'expérience du Burkina Faso, Paris, Karthala, page 210. 465 John David KERE, 1988, Syndicats et pouvoirs politiques au Burkina Faso, mémoire de DEA, Université de Bordeaux I, IEP/CEAN, page 89. 466 C. T. « Levée de boucliers contre les anarcho-syndicalistes » in CARREFOUR AFRICAIN N°86E du 08 février 1985, page 16. 156 révolutionnaire dans la gestion des affaires économiques. Donc, ils étaient des ennemis débusqués de la RDP qu'il fallait purement et simplement fusiller.467 Dans l'hebdomadaire CARREFOUR AFRICAIN, les propos de Babou Paulin BAMOUNI furent on ne peut plus clairs et révélèrent toute la gravité de la situation, évidemment aux malheurs des syndicats : « L'heure est venue d'abattre définitivement les quelques Slots de resistance ».468 A travers ses différentes interventions sur la question, il s'évertua à soutenir que le syndicalisme burkinabé devait avoir un esprit révolutionnaire conforme au contexte politique du moment et dit plus tard avec cynisme qu'au cas échéant, il ne fallait point lésiner à neutraliser avec plaisir les anarcho-syndicalistes car la révolution grandissait en s'épurant.469 La déclaration des CDR du secteur 11 de la ville de Ouagadougou dénota aussi la même tendance générale à l'extrémisme : « Jusqu'd present aucun element CDR n'a fait usage de son arme [...]. Cela ne saurait tarder ».470 L'analyse de l'ensemble de cette rhétorique du pouvoir à l'égard du monde syndical met en exergue l'opiniâtreté manifeste du premier d'annihiler le second. L'objectif de cette intimidation était sans doute d'éclater leur noyau dur qui était formé et par là, les amener à renoncer à leur opposition systématique à la politique du CNR. Parallèlement au battage médiatique antisyndical, des actes concrets furent posés pour empêcher désormais les activités syndicales. Ainsi, les responsables syndicaux suspendus ou dégagés avaient été interdits d'accéder aux bus de la Régie X9 (Transport public) et aux logements ou cités construits sous le CNR.471 En outre, les CDR exécutaient des arrestations de responsables syndicaux, surtout ceux-là qui coordonnaient le front syndical. Ils effectuaient également des perquisitions à domicile. Pour empêcher la communication entre les leaders et les militants, et partant de là le grossissement du mouvement, le CNR interdit toute manifestation syndicale. Dans ce cadre, les CDR occupèrent le siège du SYNTER à Ouagadougou et dispersèrent les assemblées générales des syndicats.472 Au niveau des provinces notamment à Banfora et à Leo, les CDR interdirent les rencontres syndicales.473 Dans le milieu estudiantin, l'UGEB fut interdite d'organiser son treizième congrès sur le 467 C. T. « Levee de boucliers contre les anarcho-syndicalistes » in CARREFOUR AFRICAIN N°86E du 08 février 1985, page 17. 468 Babou Paulin BAMOUNI, « La revolution et la prise d'assaut des syndicats » in CARREFOUR AFRICAIN N°885 du 31 mai 1985, page 7. 469 Selon des propos de Babou Paulin BAMOUNI cités par John David KERE, 1989, Syndicats et pouvoirs politiques au Burkina Faso, mémoire de DEA, Université de Bordeaux I, IEP/CEAN, page 90. 470 Ibidem. 471 John David KERE, 1988, Syndicats et pouvoirs politiques au Burkina Faso, mémoire de DEA, Université de Bordeaux I, IEP/CEAN, page 92. 472 Idem, page 93. 473 Kabeya Charles MUASE, 1989, Syndicalisme et démocratie en Afrique : l'expérience du Burkina Faso, Paris, Karthala, page 210. 157 territoire national suite à une demande des CDR de l'université. Ces derniers se livrèrent à une véritable guerre aux militants de l'ANEB (qui était affiliée à l'UGEB)474: des militants furent arrêtés et virent leurs bourses d'études coupées.475 Leur siège qui se situait au secteur 4 (Paspanga) fut confisqué par les CDR dudit secteur. Le 1er mai 1985, le pouvoir simula jouer la carte de l'apaisement et proclama sa volonté d'organiser les manifestations rituelles de la fête du travail. Tentative de séduction pour montrer qu'il était l'incarnation du pouvoir des travailleurs. Pour cette cause, il invita les syndicats à prendre part à cette célébration sous sa houlette. Mais ceux-ci refusèrent. Il y eut alors trois manifestations : celle du CNR, celle du trio CNTB, ONSL, USTB, et celle du front syndical. Lors de la réunion de ce dernier, des individus surgirent et s'en prirent violemment aux syndiqués. Il s'en suivit des échauffourées, ce qui entraîna l'intervention des CDR. Ce qui est intéressant ici à relever, c'est le caractère symbolique duquel procédait l'action du CNR. En réalité, il s'est agi d'une tentative de récupération qui a nié la légitimité des syndicats comme mouvements des travailleurs. Le CNR voulait engloutir les syndicats et se profiler comme l'organisation authentique des travailleurs. A l'évidence, il était donc question d'empêcher l'influence des syndicats sur l'ensemble de la population, ce qui normalement allait conforter la popularité du régime. La «délégitimation» politique des syndicats par le CNR fut mieux prononcée au cours de l'année 1986. Le Ministre du Travail, Fidèle TOE, organisa une semaine révolutionnaire qui devait se clôturer par une fête unitaire le 1er mai. L'objectif de cette semaine fut « de poser les jalons d'une organisation adéquate des festivités du ler mai et de créer le cadre d'une réflexion soutenue sur l'amélioration des conditions de vie des masses populaires ».476 A travers les CDR de service, le CNR mit en route une opération de charme pour amener les salariés à y participer. En agissant de cette façon, le pouvoir marginalisait les instances syndicales et sclérosait leur influence sur la fonction publique. La fête du 1er mai 1986 qui fut placée sous le signe de l'émancipation et l'épanouissement des masses laborieuses ne connut cependant pas la participation des syndicats, ceux-ci ayant marqué encore une fois leur refus d'une fête unitaire.477 La commémoration du 1er mai de l'année 1987 marqua un virage très important de la politique syndicale du CNR. Après avoir essayé d'assujettir 474 La guerre au syndicat des étudiants fut déclarée ouvertement le 23 octobre 1983 lors d'une réunion des CDR de l'université. 475 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 20. 476 Tarbzanga ZOUNGRANA, « L'esprit du ler Mai » in CARREFOUR AFRICAIN N°934 du 09 Mai 1986, page 10. 477 Ibidem. 158 insidieusement mais vainement les syndicats, le pouvoir accentua la coercition sur eux. Dans cette optique, le pouvoir associa les paysans478 à la fête dans le but de montrer la minorité des organisations des salariés dans le pays. Les paysans encadrés par les hommes en armes se rendirent en cortège à la bourse du travail. L'occupation de ce haut-lieu du syndicalisme manifestait certainement la volonté du CNR de nuire le plus foncièrement possible aux syndicats, réduire au maximum leur base d'accueil comme représentants légitimes du travail au niveau de la société. Le Ministre du Travail dans son discours affirma : « L'ancienne vision des choses était tronquée. [...] Il faut reconnaitre que tout salarié n'est pas systématiquement un travailleur et qu'il existe des travailleurs qui ne sont point salariés, et notre pays regorge de ces travailleurs qui vivent sans savoir ce qu'est le salariat ou le fonctionnariat [...]. Les dirigeants syndicaux se comportent en véritables féodaux [...] se servant du syndicalisme pour se créer des bureaux de promotion personnelle ou individuelle ».479 A travers ces propos, on comprend toute la signification de la manoeuvre du CNR qui n'était autre que la valorisation de tout travail, même non salarié, en vue de s'approprier la sympathie de ceux-là qui n'étaient pas concernés par le salariat et qui somme toute constituaient une majorité dans le pays. Rappelons que le Burkina Faso de l'époque était à 90% paysan. La manoeuvre du CNR pouvait lui offrir des perspectives intéressantes en matière de popularité, surtout dans le monde paysan, et de ce fait, lui donner tous les atouts d'une mise à l'écart complet des syndicats. Le 1er mai 1987 fut le top départ d'une vaste offensive contre le mouvement syndical allant même jusqu'à une tentative de liquidation. L'occupation de la bourse du travail n'avait pas permis aux syndiqués de tenir leur rencontre. Mais, le 17 mai 1987, un événement majeur se produisit : on assistait à la réalisation d'une unité syndicale à travers une déclaration qui critiquait la situation dans le monde du travail.480 Cette unité qui s'effectuait pour la troisième fois dans l'histoire inquiéta fort sérieusement le CNR. En effet, l'histoire politique du pays avait montré que lorsque les organisations syndicales, toutes tendances confondues arrivaient à s'unir, elles devenaient très dangereuses pour le pouvoir politique. Pour amenuiser cette action unitaire syndicale, le pouvoir décida une prise d'assaut des syndicats grâce à l'appui des CDR. Ainsi, à partir du 30 mai 1987, une vaste campagne d'arrestations s'était abattue sur les organisations syndicales. A 478 Du 29 au 30 Avril, un symposium national des paysans du Burkina avait été organisé. A la fin de la manifestation, près de 2500 paysans avaient marché de la Place de la Révolution au SGN-CDR où Pierre OUEDRAOGO avait prononcé le discours de clôture. Les paysans restèrent dans la ville et furent conviés à la commémoration du 1er Mai. 479 CARREFOUR AFRICAIN N°986 du 08 mai 1987 : « Extrait de l'allocution du ministre du travail a l'occasion du ler Mai », pages 16 et 17. 480 John David KERE, 1988, Syndicats et pouvoirs politiques au Burkina Faso, mémoire de DEA, Université de Bordeaux I, IEP/CEAN, page 94. 159 Ouagadougou, Soumane TOURE fut encore appréhendé par les CDR du secteur 29 pour cause de subversion. Ce fut également le cas de Halidou OUEDRAOGO, secrétaire général du SAMAB rayé avec 19 autres magistrats militants du corps de la magistrature et dégagés de la Fonction publique.481 Les autres provinces ne furent pas épargnées par ces arrestations : par exemple à Bobo-Dioulasso, les responsables de l'USTB réunis en conseil sont interpellés le 04 juin 1987. Le CNR applaudit et affirma ne pouvoir « qu'adresser ses encouragements militants aux Comités de Defense de la Revolution dont la vigilance et l'engagement révolutionnaire ont permis de déclencher une operation qui doit nécessairement se poursuivre..., pour neutraliser sans complaisance partout oft ils se trouvent, dans les services comme dans les secteurs, les ennemis de notre revolution qui croyaient l'heure venue de prendre leur revanche sur notre peuple et sa revolution ».482 Concomitamment à cette opération de force, le CNR tenta de développer une politique entriste vis à vis des syndicats. Dans ce sens, le Ministre de l'Administration Territoriale et de la Sécurité lança une sommation aux syndicats de renouveler leurs bureaux avant le 15 juin 1987, délai de rigueur. Ce comportement constituait une ingérence dans les affaires intérieures des syndicats connotant de putschisme de la part du CNR. Suite à ce communiqué, des assemblées générales sont convoquées au cours desquelles l'influence pesante des CDR arriva à faire élire des bureaux favorables au CNR.483 Ce fut le cas du Syndicat Unique de la Météorologie et de l'Aviation Civile (SUMAC) et celui du SYNTSHA. Mais, cet entrisme du CNR ne fut pas efficace au niveau de tous les syndicats. Par exemple, la CSB et le SAMAB ne se laissèrent pas manipuler. L'action entriste définissait bien cet objectif de neutraliser les syndicats de l'intérieur, c'est à dire infiltrer des alliés dans les syndicats qui allaient aider à leur inféodation au pouvoir, donc tuer la contestation par l'intérieur. L'effervescence des rapports conflictuels entre le CNR et les syndicats a été une constante. La question syndicale a été à l'instar d'autres questions sources de divergences au sein du CNR. L'accentuation de ces dissentiments a plongé le CNR dans une logique de crise ayant conduit à sa chute le 15 octobre 1987. VII.3. Les repercussions de la campagne antireactionnaire sur les organes de presseLes organes de communication ou d'information composent des outils importants d'influence en politique. Ils peuvent par la propagande déterminer la 481 John David KERE, 1988, Syndicats et pouvoirs politiques au Burkina Faso, mémoire de DEA, Université de Bordeaux I, IEP/CEAN, page 96. 482 SIDWAYA N°789 du 10 Juin 1987, « Communiqué du Conseil National de la Revolution : le CNR encourage les CDR a poursuivre la neutralisation des ennemis de la RDP », page 1. 483 John David KERE, 1988, op cit, page 97. 160 longévité d'un régime politique à travers leur orientation dans la lutte des idées animant le débat politique. Un régime qui ne jouit pas d'une base imposante d'outils de propagande est facilement vulnérable. L'expérience enseigne que lorsque la propagande se retourne contre un régime, cela peut constituer une prémonition de déchéance pour ce dernier. De ce fait, les médias ont toujours été un support politique de premier ordre pour un régime politique en quête de légitimité. La propagande à outrance a toujours été l'apanage des régimes révolutionnaires. La volonté du CNR de paraître comme le pouvoir du peuple a été une raison qui l'avait amené à contrôler l'ensemble de la presse pour asseoir cette propagande qui somme toute était nécessaire pour la disqualification de ses ennemis et sa légitimation. Notre approche sur cette question se structure en deux points : l'instrumentalisation de la presse d'Etat et le bâillonnement de la presse privée. VII.3.1. L'instrumentalisation de la presse d'EtatAprès avoir créé un ministère spécial pour le département de l'information, le CNR s'appliqua à une redéfinition des objectifs assignés aux organes de presse. Désormais, les organes d'information avaient pour but principal de contribuer par le son, l'image et l'écriture à élever le niveau de conscience politique du peuple, de le mobiliser et de le responsabiliser en vue des tâches patriotiques.484 Tout en définissant la mission des organes d'information qui devaient assurer la propagande à son profit, le CNR institua un organe de contrôle et d'orientation, le Conseil National de la Presse, une structure composée des représentants du CNR, des CDR et des délégués des différents départements ministériels. Le conseil des ministres déterminait le nombre de cette représentation.485 Ces nouvelles dispositions signifiaient nettement que les mass-médias devaient constituer un soutien politique de premier ordre pour le CNR. Ils avaient l'obligation d'être à l'avant-garde de la révolution. Ceci étant, le pouvoir révolutionnaire s'appropria tout l'appareil médiatique pour justifier et imposer son idéologie révolutionnaire et pour nuire à ses ennemis. A ce titre, on peut affirmer que la presse d'Etat avait subi une instrumentalisation pour devenir un appendice par excellence du régime. Les journalistes furent tenus de collaborer avec le pouvoir et faire preuve de ferveur révolutionnaire. Sous la révolution, il n'existait pas de journaliste neutre en tant que tel. La neutralité était souvent vue comme une inimitié insidieuse à l'encontre de la révolution 484 L'OBSERVATEUR N°2701 du 21 octobre 1983, « Compte rendu du conseil des ministres du 19 octobre 1983 », page 8. 485 Ibidem. 161 « Un journaliste politiquement inculte est un danger pour le pouvoir ».486 Adama TOURE, alors Ministre de l'Information, déclarait : « Aucun régime ne peut se passer de journalistes, c'est pourquoi le CNR a besoin de journalistes engagés pour propager l'idéologie révolutionnaire ».487 Les organes médiatiques nationaux furent ainsi embarqués dans le train de la révolution : « La presse dans la période révolutionnaire évoluait dans une mouvance générale de régime d'exception guidée par l'idéologie marxiste-léniniste. Les réglementations et les limites tiraient leur sens de l'idéologie communiste, appuyées par les motions et les recommandations proposées par les 0' journalistes révolutionnaires ». Tout journal devait se mettre au pas de la révolution ».488 A l'évènement de la RDP, le principal organe de presse écrite était CARREFOUR AFRICAIN, ancêtre de la presse burkinabé créé en mars 1959. Le pouvoir s'accapara très vite de cet hebdomadaire qui devint un axe de déploiement de l'idéologie révolutionnaire. Les principales rubriques parmi les douze qui composaient le journal étaient Editorial et Idéologie. La première formulait la vision gouvernementale sur l'actualité tandis que la deuxième mettait l'accent sur la dissémination de l'idéologie marxiste-léniniste pour conscientiser et éduquer les masses.489 Pour renforcer la conscientisation du peuple et sa mobilisation en faveur de la cause révolutionnaire, le CNR créa le 05 avril 1984 le quotidien SIDWAYA (la vérité est venue). Il y eut aussi la création d'un journal satirique, l'INTRUS, « Hebdomadaire de la révélation et du rire » dont le directeur de publication était antérieurement attaché au service de la presse présidentielle. Ce journal créé le 19 juin 1986 critiquait un peu le CNR, mais restait malgré tout sous la protection de ce dernier, notamment Thomas SANKARA, le chef de l'Etat lui-même. Quant aux organes audio-visuels nationaux, notamment la radio et la télévision, leurs productions à l'instar des organes de presse écrite, furent essentiellement spécifiées par la sauvegarde des intérêts du pouvoir révolutionnaire. Au total, le pouvoir avait transformé l'ensemble des mass-médias en de véritables tribunes de distillation de son message révolutionnaire. Les pages de CARREFOUR AFRICAIN et de SIDWAYA étaient truffées d'écrits qui tout en rendant hommage à la révolution fustigeaient volontiers tout ce qui ce qui semblait s'opposer au régime. Par exemple, la rubrique «Vie des CDR » faisait cas régulièrement des oeuvres accomplies par les structures populaires. Des « politiciens véreux » aux « anarcho- 486 Luc Adolphe TIAO, « Les journalistes revendiquent une presse démocratique et populaire » in CARREFOUR AFRICAIN N°822 du 16 mars 1984, page 29. 487 Adama TOURE cité par Luc Adolphe TIAO, idem, page 28. 488 Wendlassida Sylvestre SAM, 1999, Culture et valeurs dans la presse burkinabé : analyse comparative du discours culturel sous la révolution et dans le nouveau contexte démocratique, mémoire de maîtrise en communication, Université de Ouagadougou, FLASHS, page 13. 489 Idem, page 21. 162 syndicalistes », aucun ennemi de la révolution n'était épargné par ces journaux qui les persiflaient sérieusement. Au niveau de la radio et de la télévision, c'était la même logique ; toutes les émissions étaient tournées pour satisfaire les besoins de défense de la révolution. Il va sans dire que tous ceux qui n'étaient pas d'accord avec le régime ne pouvaient évidemment pas avoir accès aux organes de presse pour afficher leurs points de vue. Ils subissaient les foudres verbales des CDR qui s'y adonnaient à coeur joie. Le refus de la contestation avait conduit au bâillonnement de la presse privée qui d'ailleurs n'avait pratiquement pas résisté. VII. 3. 2. Le bitillonnement de la presse privéeLa volonté de maîtriser l'ensemble de la presse est une raison fondamentale qui avait déterminé le CNR à museler toute presse qui échappait à son contrôle. Nous consacrons exclusivement notre analyse sur le cas de l'OBSERVATEUR. Ce quotidien avait été créé en 1972. L'accession du CNR au pouvoir en 1983 n'augurait assurément rien de bon pour ce journal privé qui se présentait comme un quotidien d'information d'inspiration libérale. Les difficultés de l'OBSERVATEUR débutèrent dès les premiers moments de la révolution. Dans le contexte du bras de fer entre le CNR et le SNEAHV, Pierre OUEDRAOGO au cours d'un meeting de soutien au DOP accusa ce journal de sympathiser avec la direction réactionnaire du SNEAHV et d'être en connivence avec l'impérialisme international : « N'eut été l'écho donné a ce chiffon truffé490 de contrevérités par les médias a la solde de l'impérialisme international, je ne me serais pas donné la peine d'en faire cas, car tous les militants révolutionnaires conséquents ont su accorder a ce chiffon ce qu'il mérite : un silence méprisant. L'intérêt manifesté par les médias impérialistes pour ce chiffon est révélateur de la collaboration étroite que le groupe des margouillats entretient avec les ennemis du peuple ».491 A partir de cet instant, l'OBSERVATEUR entrait définitivement dans le collimateur du pouvoir révolutionnaire qui le reprochait de solidarité avec la droite ou des syndicats réformistes comme la CNTB ou encore avec des opposants comme le SNEAHV. En effet, si au niveau des organes de presse d'Etat les opposants ne pouvaient pas publier leurs déclarations, ils arrivaient à le faire dans les colonnes de 490 Il s'agit du communiqué que le SNEAHV avait lancé au lendemain du 04 août dans les colonnes de L'OBSERVATEUR pour demander à la population de se démarquer du CNR. 491 Pierre OUEDRAOGO, cité par Hamado NANA, « Meeting du 03 octobre, un soutien indéfectible au discours d'orientation » in CARREFOUR AFRICAIN N° 799 du 07 octobre 1983, pages 31 et 32. 163 L'OBSERVATEUR qui admettait des débats contradictoires.492 Ce fut cette admission de points de vue antinomiques à ceux du CNR qui lui avait valu l'accusation selon laquelle il conspirait avec les opposants de ce dernier. Voilà ce que Edouard OUEDRAOGO, le directeur du journal, affirme à propos de cette accusation : « Cette accusation ne nous a jamais été signifiée officiellement. Mais, nous disons que dans la logique des CDR, tout ce qui n'était pas pour eux était contre eux. Effectivement, notre journal était ouvert a tous les courants, a toutes les sensibilités. Pour nous, la vérité n'était ni a droite ni a gauche, nous ne partagions pas la vision dichotomique des CDR qui louvoyaient le monde en blanc et en noir. Pour nous la vérité était plus nuancée. Cette accusation était de type idéologique, elle vaut ce quelle vaut. Nous étions un journal d'information générale ouvert a toutes les sensibilités ».493 Evidemment, si l'on se réfère à la volonté claire du CNR d'être l'unique inspirateur de toute production journalistique ou médiatique, on ne peut que comprendre la pertinence des propos du directeur de l'OBSERVATEUR. Le CNR ne voulait pas voir sa politique contestée ou critiquée par un journal qui échappait à son contrôle et qui pouvait offrir une opportunité de renaissance d'idées libérales capables de ressusciter une opposition de droite. Selon Edouard OUEDRAOGO, ce fut cette vision unilatéraliste du CNR sur le journalisme qui a favorisé l'incendie de L'OBSERVATEUR le 10 juin 1984, un incendie qu'il attribue d'ailleurs aux CDR : « Le journal a été victime des CDR puisque ce sont les CDR qui ont incendié notre imprimerie le 10 juin 1984. Nous avons donc payé le prix le plus fort aux CDR en tant que journal. Je crois que pendant longtemps, il a été question de savoir quel sort réserver a ce journal dont la ligne éditorialiste n'était pas pour plaire aux CDR qui avaient une vision monolithique de la vie politique nationale et de la liberté d'expression [...]. Des octobre 1983, le CNR avait décidé de désabonner du journal tous les services publics a l'exception de la présidence et du ministere des Affaires étrangeres. Cela était un indice qui ne trompait pas sur les intentions du CNR vis-a-vis du journal ».494 Au lendemain de l'incendie, le pouvoir cria « A bas la contre-révolution pyromane ! » et promit une enquête, mais aucun des exécutants de cette pyromanie ne fut arrêté. De nos jours, l'incendie de L'OBSERVATEUR suscite toujours des controverses. Dans son oeuvre Une vie de militant, Adama TOURE, le Ministre de l'Information de l'époque confesse que c'est au cours d'un conseil de ministres que le CNR avait pris la décision de brûler le journal.495 Nous mesurons l'intérêt que suscite cette déclaration qui émane du responsable de l'information au moment de l'incendie... Cette affirmation est démentie cependant par Basile GUISSOU qui décline 492 Kabeya Charles MUASE, 1989, Syndicalisme et démocratie en Afrique : l'expérience du Burkina Faso, Paris, Karthala, page 115. 493 Edouard OUEDRAOGO : entretien du 09 août 2005 au siège de L'OBSERVATEUR paalga. 494 Idem. 495 Adama TOURE, 2002, Une vie de militant, Ouagadougou, Hamaria, page 174. 164 catégoriquement toute responsabilité du CNR dans l'incendie : « Pendant les quatre années de ma participation aux gouvernements du CNR, je n'ai assisté O. aucun conseil de ministre oft on a décidé d'incendier L'OBSERVATEUR ».496 La vérité se trouve où ? Voilà ce que Thomas SANKARA affirmait à ce sujet lors d'une interview : « Pour moi, il est dommage que L'OBSERVATEUR ait été incendié. Sa disparition dans ces conditions-lO. n'a pas de valeur éducative pour personne. Ni pour nous le pouvoir en place qui aurait su comment combattre ses idées, ni pour L'OBSERVATEUR qui ne saura jamais comment un journal se doit d'être en accord avec la société dans laquelle il se trouve. Par contre, je ne suis pas surpris que L'OBSERVATEUR ait disparu. C'est la forme qui ne me plait pas. Je n'en suis pas surpris car L'OBSERVATEUR a soutenu ceux-lO. mêmes qui disaient avant le 04 aout "si les communistes viennent au pouvoir, nous sortirons le glaive et nous les combattrons ...". L'OBSERVATEUR d'entrée de jeu s'est défini comme un journal ennemi. Des lors, il ne pouvait que connaître le sort du vaincu ».497 De l'accusation des CDR d'être les pyromanes, il déclara : « Personne ne prouve que les CDR ont mis le feu O. L'OBSERVATEUR. Qui d'ailleurs nous dit que ce ne sont pas des reglements de comptes internes tellement bien faits que cela pourrait nous desservir ? ... Nous n'avons jamais interdit un journal depuis qu'existe la révolution ».498 Pour l'instant, l'appréciation de toutes ces affirmations et l'avancé de nos investigations ne nous autorisent pas à dire objectivement si les CDR et en arrière plan le CNR ont été les pyromanes de L'OBSERVATEUR oui ou non. Ce dont nous sommes sûrs, c'est que la réduction au silence de l'OBSERVATEUR avait privé les opposants de la politique du CNR d'une tribune d'expression officielle et nationale pour faire valoir leurs opinions. De ce point de vue, le CNR bénéficiait d'un coup politique important aux dépens de L'OBSERVATEUR. Cependant, comme le stipulent certains analystes, L'OBSERVATEUR pouvait jouer un rôle de baromètre politique.499 Ce qui de toute évidence pouvait aider le CNR à plus de mesure et de conciliation dans sa politique. La liquidation de l'OBSERVATEUR a créé ainsi une conjoncture ayant favorisé la multiplication des tracts et des journaux de syndicats ou des organisations politiques opposées au CNR. Des tracts qui avaient contribué à exacerber des querelles au sein du CNR. 496 Basile GUISSOU : entretien du 02 juin 2005 au CNRST. 497 Thomas SANKARA, interviewé par Guy DELBREL et Marie Laure DE DECKER de L'AUTRE JOURNAL en Avril 1986, in http://www.thomassankara.net dans la rubrique INTERVIEWS. 498 Ibidem 499 Pascal ZAGRE, 1994, Les politiques économiques du Burkina Faso : une tradition d'autoajustement structurel, Paris, Karthala, page 174. 165 VII. 4. La contribution des CDR a la chute du CNRIl n'est pas du tout facile à l'heure actuelle pour l'historien de situer de façon objective les responsabilités sur les causes du dénouement tragique du 15 octobre 1987. Il y a en effet une diversité de récits contradictoires dont le manque de neutralité vis-à-vis des facteurs principaux de la révolution ajouté à des non-dits crée un enchevêtrement difficile à démêler pour saisir l'objectivité. En outre, la présence des protagonistes aux commandes de l'Etat jusqu'à nos jours constitue une réalité qui biaise l'authenticité des évènements tels qu'ils sont souvent décrits. Notre ambition ici n'est pas de saisir la totalité des causes profondes de la crise qui avait miné le CNR jusqu'à sa chute. Nous voulons seulement tenter de décrypter la part de responsabilité des CDR dans cette crise. En quoi les CDR ont-ils été des facilitateurs de la chute du CNR ? Notre étude porte sur deux axes principaux : d'abord la participation des CDR aux dissensions qui ont provoqué la chute du CNR le 15 octobre 1987, et enfin leur dissolution et l'avènement des CR. VII.4.1. Les CDR dans les dissensions au sein du CNR : de la crise politique au denouement tragique du 15 Octobre 1987« L'arc-en-ciel du marxisme burkinabe »,500 c'est ainsi que Ludo MARTENS présente l'ensemble des organisations marxistes qui animaient la vie révolutionnaire du Burkina Faso. La singularité de la révolution burkinabé tenait du fait qu'elle ne s'était pas dotée d'un état-major politique, c'est-à-dire un parti communiste à l'instar des pays communistes desquels elle s'inspirait. Babou Paulin BAMOUNI déclarait à ce sujet : « La gauche burkinabe [...] a le grand desavantage d'être divise en de petits partis sectaires [...]. Le dogmatisme, le sectarisme et l'exclusivisme ont jusque-la empeche l'unite de la gauche burkinabe [...]. Dans le contexte actuel, il faut faire un effort de rassemblement de tous les revolutionnaires burkinabe, de tous les communistes burkinabe pour une solide union qui devra se concretiser autour d'un parti proletarien, le Parti Communiste [...]. Sans l'union de la gauche avec un parti proletarien, la Revolution Democratique et Populaire risque de se retrouver dans une impasse [...]. Au niveau du pouvoir populaire actuel, il y a des civils et des militaires relevant tous de la gauche, il s'avere difficile de gouverner ensemble tres longtemps sans un minimum d'entente, sans une ligne politique et ideologique acceptee par tous. Pour arriver a ce consensus, seule la creation d'un parti 166 communiste pourra résoudre le probleme sur la base de la simple adhésion a ce parti de tous les militants de la révolution politiquement et idéologiquement valables ».501 Remarque fort pertinente de la part d'un révolutionnaire convaincu ! Entre le 04 août 1983 et le 15 octobre 1987, une floraison de huit formations politiques de gauche anima la vie politique du Burkina Faso : l'Organisation Militaire Révolutionnaire (OMR), le Parti Africain de l'Indépendance (PAI), le Parti Communiste Révolutionnaire Voltaïque (PCRV), l'Union des Luttes CommunistesReconstruite(ULCR), l'Union des Luttes Communistes-La Flamme (ULC-La Flamme), l'Union des Communistes Burkinabé (UCB), le Groupe Communiste Burkinabé (GCB). L'affirmation de Emmanuel AUBIN selon laquelle « La vie politique [...] est un terrain fertile pour les intrigues, les tensions, les crises et les réconciliations. Les stratégies opposées des hommes politiques et leur trajectoire personnelle font et défont les alliances et les mouvements politiques qui naissent, prosperent et meurent au fil des évènements qui constituent la matière premiere de la vie »502 s'applique incontestablement à l'univers politique révolutionnaire du Burkina Faso. Le pluralisme des organisations de gauche et leur incapacité à constituer un bloc politique monolithique furent à l'origine de contradictions et de confrontations politiques auxquelles prirent part les structures populaires de la révolution. La volonté d'hégémonie des organisations politiques les unes par rapport aux autres les avait amenées à faire de la conspiration, de l'exclusion et même de l'oppression, des armes principales de règlements de comptes politiques où l'implication des CDR avait été ressentie. Au fait, la participation des CDR dans les intrigues qui ont miné le CNR répondait à la logique selon laquelle les contradictions au niveau du CNR se reflétaient au niveau des CDR. Chaque tendance voulait tirer les CDR de son côté, leur faisant dire ou faire sa raison. Le 03 octobre 1983, des militants prirent la décision de créer l'Inter-CDR, une aile fanatique qui se donna pour mission la lutte à tout prix contre toute personne ou tout mouvement qui s'attaquerait à la révolution. Selon les informations dont nous disposons, la création de ce mouvement bis des CDR avait été suscitée par le contexte dans lequel le DOP fut prononcé : après le prononcé du DOP, un courant déviationniste, liquidationniste et contre-révolutionnaire se serait développé d'où l'initiation de l'InterCDR pour conjurer ce danger qui menaçait la révolution.503 L'Inter-CDR se formait non seulement d'inconditionnels de la révolution, mais aussi d'extrémistes et d'anarchistes, 501 Babou Paulin BAMOUNI, 1986, Burkina Faso : processus de révolution, Paris, L'Harmattan, pages 136 et 137. 502 Emmanuel AUBIN, 2003, L'essentiel de l'introduction à la vie politique, Paris, Editions Gualino, page 11. 503 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 95. 167 qui allaient pourfendre les organisations de gauche disgraciées par les leaders du CNR. En fait, l'Inter-CDR constituait une sorte de syndicat des CDR disposant de militants fidèles pour contrecarrer la voracité des groupes politiques.504 En effet, dans l'hebdomadaire CARREFOUR AFRICAIN, l'organisation affirmait : « Considérant que seuls les CDR constituent les vraies organisations de masse mobilisant le peuple voltaïque depuis le 04 aout, nous, militants de l'Inter-CDR, mettons en garde tout mouvement, toute organisation déviationniste contre tout acte contre-révolutionnaire de nature a liquider la Révolution Démocratique et Populaire ; invitons les camarades militants a se démarquer de tous les équilibristes de gauche qui veulent faire d'eux des tremplins pour atteindre un but bien connu mais inavouable ; réaffirmons que la RDP ne saurait etre ni le fait ni l'objet de quelques anciens combattants triomphalistes ».505 Au lendemain de la proclamation de la révolution, la première organisation de gauche à défier le CNR avait été le PCRV. Ce parti créé en 1978 contrairement et curieusement aux autres organisations communistes telles le PAI/LIPAD506 et l'ULCR,507 n'hésita pas un seul instant à développer systématiquement une rhétorique et une action pour contrarier la politique du CNR, ce qui traduisait naturellement sa négation du régime révolutionnaire proclamé. Pour le PCRV, le coup d'Etat du 04 août en dépit de son discours révolutionnaire aigu revêtait un caractère réactionnaire, militariste, fasciste, anti-communiste ; c'était un régime qui allait inéluctablement se muer en une bourgeoisie bureaucratique par des réformes et par le développement d'un capitalisme d'Etat. Par conséquent, le CNR se révélait comme un régime impotent d'élaborer un projet de société dissemblable de la société bourgeoise et néocoloniale.508 En même temps, le PCRV lança des diatribes à l'endroit des partis de gauche qui avaient accepté de partager le pouvoir du CNR. Il affirma que « pour les groupuscules révisionnistes (PAI, ULCR) et autres petits bourgeois arrivistes, c'était l'occasion [coup d'Etat du 04 aout] d'accéder facilement au pouvoir ».509 Il opposa un non possumus à l'appel du CNR à la 504 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 95. 505 L'INTER-CDR, « L'Inter-CDR approuve le CNR - Motion de mise en garde - Motion de soutien au CNR et a son Président » in CARREFOUR AFRICAIN N° 832 du 25 mai 1984, page 11. 506 Le PAI a eu le mérite historique d'avoir introduit le marxisme dans le territoire voltaïque. Fondé en 1963, le PAI mit à partir de 1973 une organisation de masse anti-impérialiste en place, la LIPAD. Grâce à cet organe d'agitation, les idées marxistes avaient rencontré des échos plus réceptifs dans la société. Ce mérite de la paternité du marxisme avait permis au PAI de pouvoir jouer un rôle de premier ordre dans le déclenchement de la révolution. 507 L'ULCR avait été créé en 1978 et connut très vite des dysfonctionnements qui l'avaient amenée à se saborder en février 1981. Elle fut remise sur pied à l'occasion du déclenchement de la révolution d'où sa nouvelle appellation Union des Luttes Communistes Reconstruite. A l'instar du PAI, l'ULCR avait manifesté une grande caution au CNR dès son avènement. 508 BUG-PARGA N°23 de juin 1987 de la page 3 à 13, journal clandestin du PCRV, cité par Ludo MARTENS, 1989, op cit, page 127. 509 Ludo MARTENS, 1989, op cit, page 127. 168 constitution des CDR, taxant ces derniers de miliciens fascistes et appelant la population à s'en démarquer. Cette objection tacite du PCRV au CNR relatait la complexité que ce dernier avait à faire l'unanimité de la gauche un écho acquis à la cause de sa politique. Le PCRV en choisissant l'antipode de la politique du CNR s'exposait de facto aux persécutions non seulement de ce dernier parce qu'instance dirigeante de la RDP, mais aussi des partis qui partageaient le gâteau avec le CNR. S'appuyant sur certains syndicats comme le SYNTER, le SYNTTPBHA (Syndicat National des Travailleurs des Travaux publics, du Bâtiment de l'Hydraulique et Assimilés), le SYNTRAGMIH (Syndicat National des Travailleurs de la Géologie des Mines et des Hydrocarbures), le PCRV dénonça le régime et utilisa toutes les marges à sa disposition pour le rendre impopulaire. Il fut d'ailleurs un bonze du mouvement syndical contre le CNR qui se dessinait dès octobre 1983. Selon le PAI-LIPAD et l'ULCR, la position anti CNR du PCRV démentait son statut de parti révolutionnaire et sa volonté d'avoir recours aux organisations syndicales pour s'opposer au CNR confessait son anarcho-syndicalisme. En mai 1984, le PCRV connaissait une scission sans doute favorisée par le CNR qui de son côté usait de tous les moyens possibles pour le noyauter. Ainsi, naissait le GCB de Jean Marc PALM, membre du comité central du PCRV. Cette scission illustrait les contradictions qui étaient présentes au sein du PCRV. Mais, pour cette dernière « des elements fatigues, aspirant a une vie d'aisance et de tranquillité sont partis ; il n'y a pas de gloire particulière a faire du bruit là-dessus. Sauf pour les ignorants du développement du parti communiste, cela n'est pas extraordinaire et n'a rien a voir avec une scission. Il n'est pas donne a n'importe qui de pouvoir militer jusqu'au bout dans un parti communiste car c'est trts dur ».510 Le nouveau-né répliqua en exhortant les militants à se démarquer du PCRV dont le verbiage emphatique révélait sa peur de la petite bourgeoisie devant la montée de la révolution et ses tentatives pour étouffer l'élan révolutionnaire des masses regroupées au sein des CDR. 511 A partir du 18 octobre 1984, le CNR durcit le ton : à
l'occasion de l'inauguration de la mine d'or de Poura, Thomas SANKARA fit cette
déclaration musclée contre le PCRV qui avait une emprise non
négligeable sur les travailleurs dont la plupart était
affilié au SYNTRAGMIH : « Les tenants de ce courant disent que
ce n'est pas encore la revolution au Burkina Faso. Ils veulent que l'or de
Poura soit partagé entre eux, ils veulent chasser les a 510 Déclaration du PCRV le 10 février 1985, citée par Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la revolution, Paris, EPO International, page 128. 511 Un tract du GCB cité par Ludo MARTENS, idem, page 157. 169 eh bien, cette période est révolue [...]. Le mensonge sera démasqué, a la provocation sera donnée une réplique implacable, bref l'intoxication et la perturbation seront attaquées aux lance-flammes. A bon entendeur salut ! ».512 Dans la foulée, les activités du SYNTRAGMIH furent interdites le 23 février 1985 par les CDR de la mine. Cette interdiction faisait partie des premières mesures répressives décidées par le CNR contre les syndicats cosignataires de la déclaration du 28 février 1985, date marquant le début de la grande résistance politique syndicale. Cette conjoncture avait permis le rapprochement du PCRV et du PAI-LIPAD disgracié au mois d'août 1984. Cette exclusion consacra la montée en force de l'ULCR. Le PAI-LIPAD et l'ULCR furent les deux organisations de gauche qui avaient aussitôt béni l'avènement du CNR le 04 août 1983. Le PAI était l'organisation la plus ancienne. Grâce à son organisation de masse, la LIPAD, le PAI trouvait aisément des antennes au niveau de la population voltaïque de l'époque, d'autant plus qu'elle avait des liens d'une étroitesse reconnue avec la CSV de Soumane TOURE. Celui-ci était président de la section lipadiste de Ouagadougou, « poste essentiel dans la mesure oft l'activité politique [était] relativement circonscrite aux limites de la capitale ».513 Ainsi, le PAI avait pu peser significativement dans l'avènement du processus révolutionnaire. Le PAI a eu le mérite d'avoir préparé le terrain et engrangé le capital populaire nécessaire pour permettre à la révolution de se réaliser. Quant à l'ULCR, malgré son sabordage en 1981, ces éléments en dépit de leur différence numérique par rapport à ceux du PAI avaient marché aux côtés de ces derniers lors des évènements du 17 mai 1983, mais décapités de leur état-major, on n'y avait pas senti visiblement leur influence immédiate. Ce fut seulement après la réalisation du coup d'Etat que ceux-ci avaient redéployé l'étendard de leur organisation : « Nous nous sommes laissés déborder par les évènements déclara Valere SOME. Il est temps que nous sortions de notre stupeur, de notre étonnement des premiers instants pour jouer notre role d'avant-garde. Nous n'avons pas le droit d'abandonner l'armée et la laisser aller au-devant de cette bataille qui se dessine sans son état-major, le parti communiste. Et pour ce faire, il nous faut resserrer les rangs. Pansons nos blessures et oublions nos griefs mutuels. Nos divergences de vue au sein de nos organisations et entre nos organisations ont été résolues par le développement de la vie politique ».514 Rassemblés en conférence constitutive en février 1984, les anciens ? ULCéistes? décidèrent de soutenir la RDP dans le cadre d'une ULC ressuscitée d'où la dénomination ULC-R (Union de Lutte Communiste-Reconstruite). 512 Justin COULIBALY, « Le CNR a l'assaut du gauchisme » in CARREFOUR AFRICAIN N° 854 du 26 octobre 1984, page 15. 513Pierre ENGLEBERT, 1986, La révolution burkinabè, Paris, L'Harmattan, page 80. 514 Propos de Valère SOME dans le PROLETAIRE N° 04 cités par Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 133. Avec cette résurrection et cette restructuration de l'ex-ULC, le CNR bénéficiait du soutien simultané du PAI et de cette dernière dès les premiers moments de son avènement. Ces deux organisations participaient sans réserve à la condamnation du PCRV, celui-ci ayant refusé de suivre le processus en cours et ne manquant pas d'occasion pour traiter les premiers de putschistes et d'arrivistes. La hargne de l'ULCR était encore plus vivace à l'encontre du PCRV du fait que tous les deux résultaient de la scission de l'Organisation Communiste Voltaïque (OCV). Celle-ci avait été fondée en 1971 dans le milieu étudiant et ce fut sa division en 1978 sur base de questions idéologiques qui avait donné l'ULC et le PCRV.515 Face aux attaques du PCRV, l'ULCR avait répondu dans le Prolétaire N°4 : « 1l est beaucoup plus difficile de se montrer révolutionnaire dans une situation révolutionnaire. Tout refus des communistes de participer au présent processus équivaudrait pour eux a marcher aux cotés de la bourgeoisie réactionnaire et contre-révolutionnaire ».516 A l'instar donc du PAI, l'ULCR vilipendait le PCRV, ce qui somme toute confortait l'assise du CNR, ce dernier bénéficiant de l'appui des deux grandes organisations politiques civiles. Tout semblait augurer une collaboration saine entre le CNR et les deux organisations. Cependant, ce ne fut pas le cas, et en une année, le torchon de liaison entre le CNR, le PAI et l'ULCR avait brûlé. L'objet de ce désamour trouvait son explication dans l'aspiration de chacune d'elles à vouloir, comme nous l'avons déjà souligné plus haut, être le chantre incontesté de la révolution, surtout lorsque la question de créer un parti communiste unique fut soulevée. Le PAI se considérait comme le père du communisme dans l'univers politique du Burkina et souhaitait être l'avant-garde de cette révolution. Il chercha alors à prescrire ses visées au niveau du CNR. En effet, lors de son cinquième congrès du 28 au 29 août 1987 dont le rapport fut publié aux lendemains du 15 octobre 1987, le bureau central et exécutif du PAI affirmait : « De toutes les organisations associées au coup d'Etat, la notre était la plus forte, la plus étendue, celle qui avait le plus d'expérience, et s'était le mieux fait connaître et appréciée de l'opinion progressiste ou non, de l'intérieur comme a l'extérieur. Des lors, nous pensions donc que la conduite des affaires apres la prise du pouvoir, ne pouvait se faire sans la participation décisive de notre parti ».517 Une recherche de prééminence qui n'était pour plaire à la partie militaire du CNR, celle-ci ne voulant pas être dominée par les civils préférait plutôt que les organisations se confondent aux CDR. Mais, le PAI n'appréciait guère la nomination de Pierre OUEDRAOGO, militaire, au poste du SGNCDR. Il préférait Soumane TOURE à ce dernier qui, s'en rendant compte, commença à 515 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 80. 516 Idem, page 133. 517 Cité par Valère SOME, 1990, Thomas SANKARA, l'espoir assassiné, Paris, L'Harmattan, page 111. 171 combattre les militants de tendance PAI. De surcroît, l'ULCR mécontente de l'implantation du PAI, prospectait de mettre sur pied l'UDP (Union Démocratique et Populaire) pour amenuiser les bases de la LIPAD. Autant d'intrigues et de désaccords qui, bien entendu, ne pouvaient que corroder la base de confiance entre tous ces partis qui avaient permis la mise en marche de la révolution. En mai 1984, les dissensions sur la commémoration du 20 mai 1983 précipitèrent la disgrâce du PAI. Babou Paulin BAMOUNI attaqua le PAI en ces termes : « Dans une allure d'anciens combattants et de détectives idéologiques, l'on jettera l'anatheme sur toute idée d'union. Aujourd'hui ce sont des marches anniversaires qui sont prises en otages pour se distinguer, pour montrer un certain pouvoir de mobilisation et s'imposer dans un édifice en construction non stabilisé. C'est incontournablement marcher a coté de la révolution. Certains mettent l'accent sur des partis plutôt que sur la révolution. Ou est donc la sincérité ? Le glas sonne pour les groupuscules. Il est temps que les 0' aumoniers » des 0' chapelles » d'avant le 04 aoilt mettent les clés sous le paillasson car la révolution d'Aoilt apres dix mois d'action a ordonné ses 0' prêtres » qui célébreront son 0' office » progressivement jusqu'd la société sans classes. Ingratitude dirat-on ! Non ! Cohérence dialectique ! La Révolution Démocratique et Populaire ne saurait souffrir du moindre accaparement. Tout est dit ! ».518 Ces paroles bellicistes formaient un marquage du début de l'extirpation du PAI du pouvoir révolutionnaire. Le renvoi du Ministre de la Jeunesse, Ibrahima KONE, qui avait voulu hiberner les CDR dans la commémoration du 20 mai 1983, fut suivi d'une levée de boucliers contre les militants du PAI au niveau des CDR. L'Inter-CDR dirigé par Mahamadi KOUANDA sonna le clairon pour l'épuration des CDR. Il s'agissait d'annihiler l'influence de la LIPAD et par ricochet du PAI. Le 23 mai 1984, l'Inter-CDR adopta une motion condamnant le PAI d' « organisation déviationniste, putschiste, opportuniste et contre-révolutionnaire dangereuse ».519 Selon les estimations du PAI, 200 de ses militants dont 23 délégués de secteurs furent exclus des CDR sans autre forme de procès.520 Le 12 août 1984, tous les ministres du PAI sont renvoyés du gouvernement du CNR. CARREFOUR AFRICAIN commenta l'évènement en parlant de « quelques anarchistes pseudo-révolutionnaires qui se masturbent les méninges devenus réfractaires aux études ».521 Exclu, le PAI se rapprocha du PCRV, ennemi de toujours de l'ULCR. 518 Babou Paulin BAMOUNI, « Editorial : le glas de la clarification » in CARREFOUR AFRICAIN N° 832 du 25 mai 1984, page 07. 519 Idem, page 11. 520 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 114 521 C.A., « Réponse a l'amphigouri d'un professeur inculte » in CARREFOUR AFRICAIN N°852 du 12 Octobre 1984, page 32. Le renvoi du PAI fit désormais de l'ULCR la nouvelle force politique en pleine ascension. Ses ténors Valère SOME, Basile GUISSOU, Raymond Train PODA, Talato Eugène DONDASSE, Kader CISSE, Alain COEFFE et Moise TRAORE décrochèrent de grands postes de responsabilité dans la gestion de l'Etat. Cette promotion des «ulcéristes» n'empêcha cependant pas l'affadissement des rapports entre leur organisation et les responsables militaires du CNR. Dès le mois d'août, sitôt après l'exclusion du PAI, l'Inter-CDR s'attaquait à l'ULCR. Au secteur 5, lors des élections de bureaux CDR de septembre 1984, Mahamadi KOUANDA perdait face à un étudiant de L'ULCR, Joseph KABORE, protégé de Talato Eugène DONDASSE, alors ministre du plan. Les partisans des deux camps s'affrontèrent, Mahamadi KOUANDA refusant d'admettre son échec. « On mit un trimestre pour le séparer de son escorte522, et deux autres trimestres pour le désarmer ; lui-même prit trois trimestres pour décolérer » écrivait humoristiquement L'INTRUS.523 De ces évènements commença une haine viscérale qui ne cessa de mettre aux prises l'InterCDR et l'ULCR. Commentant les élections dans CARREFOUR AFRICAIN, l'Inter-CDR annonça « la naissance d'une ere nouvelle qui laissait entrevoir une lutte sans merci avec les opportunistes de l'ULCR ».524 Progressivement, l'ULCR fut ainsi accusée par les défenseurs de la RDP d'hégémonisme, et la réponse des militaires du CNR fut la création d'une nouvelle organisation, l'Union des Communistes Burkinabé (UCB). Les partisans de cette organisation revendiquaient sa fondation en 1984, mais ce fut surtout à partir de l'année 1985 qu'on entendit parler d'elle véritablement. Pierre OUEDRAOGO était le secrétaire général tandis que Thomas SANKARA avait la responsabilité de président. Avec la création de l'UCB et son admission au CNR, on assistait à un nouveau tournant de la politique révolutionnaire nourri par l'accentuation des intrigues, conduisant inexorablement le CNR à sa chute le 15 octobre 1987. Désormais, quatre organisations révolutionnaires étaient membres du CNR : l'ULCR, l'UCB, le GCB et l'OMR. Ce fut cette dernière qui servit de cadre de concertation et de coordination des réalisateurs du coup d'Etat du 04 août 1983. Mais avec la création du CNR, celle-ci s'était quelque peu éclipsée. Elle fut réveillée en 1986 522 Il s'agit de ses militants. Selon L'INTRUS N°0021, Mahamadi KOUANDA avait transporté d'autres secteurs des « cargaisons de Ghanéennes et de Yoruba » pour grossir son électorat et gagner les élections. 523 L'INTRUS N°0021 du 14 novembre 1986 : « Le retour des ayatollahs », pages 1 et 6. 524 Dramane PARE, « Ouagadougou a l'ere des CDR sectoriels : la discipline a prévalu » in CARREFOUR AFRICAIN N°849 du 21 septembre 1984, page 12. Voir aussi Ludo MARTENS, op cit, page 100. par Thomas SANKARA qui commençait à perdre ses bases de soutien au niveau des organisations membres du CNR.525 Le 17 mai 1986, l'ensemble des quatre organisations firent une déclaration commune faisant état de leur volonté de constituer un parti d'avant-garde : « ... En effet, l'unité d'action forgée dans le feu de la lutte d'alors se matérialise aujourd'hui par un renforcement quantitatif et qualitatif du CNR qui comprend désormais : l'Organisation Militaire Révolutionnaire (OMR), l'Union des Luttes Communistes Reconstruite (ULCR), l'Union des Communistes Burkinabé (UCB), le Groupe Communiste Burkinabé (GCB). L'union de ces organisations au sein du CNR sur la base du DOP marque une victoire certaine que le peuple burkinabé inscrit une fois de plus a son actif. Nous, Organisation Militaire Révolutionnaire (OMR), Union de Lutte Communiste Reconstruite (ULCR), Union des Communistes Burkinabé (UCB), Groupe Communiste Burkinabé (GCB) affirmons solennellement notre volonté d'action commune au sein du CNR, nous engageons sur la base de l'unité politique et idéologique a ceuvrer pour le dépassement de nos cadres respectifs en vue de l'édification d'une organisation unique d'avant-garde garante de la continuité conséquente de la premiere révolution [...]. C'est pourquoi nous lançons un appel militant a tous les autres révolutionnaires organisés ou non qui luttent sincerement pour la réussite et la consolidation de la RDP, a se joindre a nous dans le processus d'unification en cours ».526 Malgré cela, la persistance des intrigues intra et inter organisationnelles rendirent caduque cette intention manifestée dont l'effectivité pouvait éviter le dérapage du 15 octobre 1987. La présence des militaires de la révolution dans l'UCB permit à cette dernière de se renforcer par rapport aux autres organisations, lequel renforcement avait contribué sans aucun doute au sabotage du processus d'unification annoncé par la déclaration du 17 mai 1986. En effet, les cadres de l'UCB battirent en brèche les principes de constitution du parti d'avant-garde. Affichant un certain monocéphalisme pour leur organisation, ils récusèrent le principe « d'ceuvrer pour le dépassement [des] cadres respectifs ». Tout comme le PAI et l'ULCR, l'UCB n'avait pas pu résister à la séduction de l'hégémonisme. En même temps, l'UCB entama une politique d'exclusion, ce qui naturellement rendait nul et non avenu l' « appel militant a tous les autres révolutionnaires organisés ou non » pour la constitution du parti. Pour l'UCB, il fallait enrayer les organisations avec lesquelles elle ne s'accommodait pas, surtout l'ULCR, et réfuter l'affiliation de parti comme le PAI à la création du nouveau parti.527. Les 525 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 85. 526 Pierre ENGLEBERT, 1986, La révolution burkinabè, Paris, L'Harmattan, page 131. 527 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les années sankara, Paris, L'Harmattan, page 241. 174 membres de l'UCB se considéraient comme les sommités du communisme autour desquelles le parti communiste devait prendre corps. Sur cette question, ils prirent des distances vis-à-vis de Thomas SANKARA qui était pour des adhésions individuelles et libres. Celui-ci estimait que celles-ci allaient éviter des querelles entre les organisations. SANKARA souhaitait aussi associer les CDR et les autres organisations de masse. L'UCB ne l'entendait pas de cette oreille. Laminé dans sa propre organisation, il tenta de se raffermir dans l'OMR qu'il avait réveillé528, laissant une UCB jupitérienne, devenue sicaire de ceux s'émargeaient de sa ligne politique. Se servant des CDR, l'UCB menait le combat sur deux fronts : d'un côté il s'agit de mâter les syndicats frondeurs contrôlés par le PCRV et le PAI, et de l'autre, il est question de liquider l'ULCR. Au niveau du premier front, l'UCB accusa le PCRV et le PAI de
dérive droitière et d'anarcho-syndicalisme. Elle nargua le
rapprochement du PCRV et du PAI en ces termes : « Qu'est-ce qui fait
donc qu'on est si pressé de faire une alliance au sommet maintenant en
jetant par-dessus la ligne politique a Les syndicats contrôlés par les dites organisations devenaient ainsi des ennemis potentiels à abattre. Membre influent de l'UCB, le secrétaire général des CDR ordonna à ses éléments de frapper les syndicats concernés. Tout cela montre que l'UCB avait été le maître d'oeuvre de la campagne totalitaire mise en orbite sous le CNR contre les syndicats à partir de février 1985 jusqu'à la chute du CNR. S'indignant de la vague de répression dont étaient victimes leurs poulains syndiqués, le PCRV et le PAI saisirent l'opportunité de la première conférence des CDR pour exiger le désarmement et la dissolution de ces derniers parce qu'étant des structures de type fasciste, d'embrigadement, de caporalisation, de répression du peuple. Réplique de l'UCB : « Vous embouchez la m-eme trompette que la bourgeoisie réactionnaire pour chanter cette vieille chanson. Les CDR sont effectivement les organisations authentiques du peuple dans l'exercice du pouvoir populaire et vos déclarations n'y feront rien ».530 Quant à l'offensive contre l'ULCR, au-delà de la violence verbale, celle-ci avait pris l'allure d'un affrontement direct notamment au niveau des structures 528 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 48. 529 Tract de l'UCB cité par Ludo MARTENS, 1989, idem, page 23. 530 VOIE PROLETARIENNE N°04, pages 17 et 18 cité par Ludo MARTENS, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 150. 175 populaires. Dans le contexte de la première conférence des CDR, des rumeurs selon lesquelles Thomas SANKARA procèderait à l'éviction de Pierre OUEDRAOGO au profit de Valère SOME avaient été entretenues dans la ville de Ouagadougou531. Cette suspicion fragilisa encore davantage les rapports déjà houleux entre l'ULCR du premier et l'UCB dont Pierre OUEDRAOGO était le secrétaire général. Disposant de son atout de secrétaire général des CDR, celui-ci soutenu par les « ucébistes » décida la guerre totale contre l'ULCR en laminant sa base de représentation au niveau du gouvernement et des structures populaires. Les CDR furent ainsi récupérés pour des règlements de comptes entre les ténors de la révolution. A partir de septembre 1985, les rapports nébuleux de Pierre OUEDRAOGO avec les dirigeants de l'ULCR commencèrent à déteindre sur le fonctionnement des structures populaires de l'Université de Ouagadougou dont le bureau était sous le contrôle de l'ULCR. Dans la perspective de l'organisation de la deuxième conférence des CDR de l'université prévue l'année suivante, le SGN avait envoyé une directive devant servir de canevas de préparation de ladite conférence au bureau CDR de l'université. Mais, ce dernier rechigna quant à la mise en route de la directive. Pendant huit mois un dialogue de sourds s'installa entre le bureau CDR de l'université et le SGN-CDR son état major concernant le choix du thème de la conférence, paralysant ainsi les préparatifs. Finalement la conférence est transformée en conseil d'administration au grand dam du SGN-CDR. La réunion se tint du 26 au 30 août 1986 dans une ambiance explosive faite de contradictions et d'empoignades physiques entre les participants.532 Le bureau étudiant par son président Félix KABRE commit la témérité de faire voter la directive du SGN-CDR, ce qui naturellement remettait en cause l'autorité de celui-ci. N'appréciant pas la manière du désaveu, Pierre OUEDRAOGO contre-attaqua en liquidant le bureau, excluant ses membres de l'activité du CDR pendant un an avec interdiction de se faire élire durant trois ans. Un nouveau bureau favorable au SGN-CDR et surtout à l'UCB fut installé. L'ULCR ne fut pourtant pas à la fin de ses déboires. La dissolution du bureau CDR »ulcériste" de l'université créa une profonde crise de confiance entre Valère SOME et ses pairs de l'ULCR. Les dissentiments s'exacerbèrent par des accusations mutuelles entre les leaders de l'organisation au sujet des dysfonctionnements. La crise fut si aiguë qu'elle provoqua la désintégration de l'ULCR. Le 02 février 1987, une partie de l'organisation conduite par Kader CISSE et Moise TRAORE scissionna pour former un parti qui reprit l'ancien nom de l'ULCR, avec pour journal politique LA FLAMME, 531Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 40. 532 Idem, page 21. 176 d'où son appellation courante, ULC-La Flamme.533 Traitant Valère SOME de mesquin, capricieux et cacique,534 l`ULC-La Flamme se mit à développer une politique qui prenait le contre-pied de l'ULCR. Cette position la rapprocha de l'UCB. Face à cette situation, à l'occasion du 1er mai, Valère SOME fit publier dans SIDWAYA Le Prolétaire N°8 (Journal politique de l'ULCR) où il s'en prit hargneusement aux scissionnistes et au «ucébistes". Peut-être se dit-il que la scission de son organisation fut l'oeuvre de l'UCB. Par conséquent, il fallait les ranger dans le même sac : opportunisme et arrivisme, traîtrise, bourgeoisie réactionnaire, corruption, carriérisme forcené535..., bref tout ce qui déniait l'esprit révolutionnaire des cadres de l'ULC-La Flamme et de l'UCB, particulièrement dans la ligne de mire, Kader CISSE et Moise TRAORE de l'ULC-La Flamme, Etienne TRAORE, Gabriel TAMINI et Pierre OUEDRAOGO de l'UCB.536 Pour les cadres de l'ULCR, leur parti était mis en joue par ces personnes, précisément Pierre OUEDRAOGO. Si au niveau de l'université la représentation de l'ULCR avait subi de sérieux revers, elle ne l'était pas dans les écoles supérieures. De ce fait, ses militants dans ces écoles voulurent opérer un travail de sape à l'endroit du nouveau bureau élu proche de l'UCB. Des tracts incendiaires sont alors ventilés contre le bureau. Pour ces faits, et en réplique aux attaques de Valère SOME, l'UCB récupéra l'organisation des journées commémoratives du 17 mai 1983 pour verbaliser les partisans de l'ULCR. « La lutte contre l'opportunisme », tel fut le thème retenu pour les journées. Mais, pendant la conférence, les étudiants de l'ULCR se mirent à chahuter. Quatre d'entre eux furent frappés d'exclusion. Mais, ils refusèrent d'obtempérer. Etienne TRAORE de l'UCB débita dans sa conférence des paroles enflammées contre l'ULCR allant jusqu'à toucher le CNR et son président.537 La tension est à son degré maximal et le lendemain, Basile GUISSOU, Alain COEFE respectivement Ministre de l'Information et Ministre des Transports, Firmin DIALLO le directeur général du CENATRIN, tous cadres de l'ULCR firent leur descente sur le campus. On assista à une confrontation entre les étudiants de chaque tendance, 11 étudiants de l'ULCR furent arrêtés.538 La première partie du discours d'Etienne TRAORE est diffusée à la radio, mais la deuxième partie est censurée par le Ministre de l'Information Basile GUISSOU. L'état d'excitation est à son comble et a pour conséquence la démobilisation au niveau de l'université. 533 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 39. 534 Idem, page 40. 535 Ibidem, Voir les extraits du Prolétaire N°8. 536 Ibidem 537 Ibidem. 538 Ludo MARTENS, 1989, op cit, page 40. 177 Un autre champ de bataille entre l'UCB et L'ULCR aussi intéressant à évoquer fut le département des transports. En 1985, dans les circonstances de la deuxième guerre malo-burkina, les CDR furent appelés à plus de vigilance dans leurs cadres respectifs de travail dans le but d'empêcher les réactionnaires de quitter le pays. Ce fut ainsi que le bureau CDR d'Air Burkina avait pressé le cadre Seydou NACRO, considéré comme un antirévolutionnaire, d'embarquer dans un vol à destination de Niamey, une exigence à laquelle s'était opposé le personnel technique. L'avion fut ainsi interdit de décoller, il a fallu que le ministre de tutelle en personne, Alain COEFE de l'ULCR, intervienne pour faire cesser cette prise d'otage. Désapprouvant l'acte des CDR qu'il taxa de piraterie, le ministre voulut les sanctionner, mais ceux-ci répliquèrent qu'ils dépendaient du SGN-CDR. Dans le même contexte, un Malgache, Lucien
RAKOTONDRAINIBE, cadre ingénieur, avait été engagé
comme chef de la navigation aérienne dans un contrat de six mois.
Arrivé à l'échéance dudit contrat, le COMISEC des
CDR des transports et les CDR de l'ASECNA sur fond de raisons
sécuritaires exigèrent son renvoi. Alain COEFE s'opposa
obstinément à la requête sous prétexte de
défaut d'un autre candidat qualifié pour l'occupation du poste.
Mais, Pierre OUEDRAOGO désavoua celui-ci en envoyant un message de
félicitation aux militants CDR en ces termes : « J'ai pu me
rendre compte de la manifestation de votre vigilance révolutionnaire au
sujet d'expatriés a des postes de responsabilité. Le caractere
stratégique des postes en question requiert beaucoup de prudence
».539 Alain COEFE répliqua : « Je
m'étonne que sans avoir entrepris une concertation ni avec mon cabinet
ni avec le Comisec du ministere, vous envoyiez vos a La situation s'empira avec la décision du représentant de l'ASECNA d'affecter des militants CDR de son département accusé d'indiscipline, de laxisme et de laisser-aller. Cette disposition est récusée par une assemblée générale des CDR le 26 décembre 1986 : « Nous militants du CDR de l'ASECNA, dénoncons l'attitude anti-CDR et anti-travailleur du camarade TIEBA et rejetons catégoriquement les affectations du 19 décembre 1986 ».541 Sur ce, le SGN-CDR intervenait pour ordonner à BARRO Tiéba de surseoir aux affectations. Mais, celui considérant que le SGN-CDR outrepassait son autorité persista, et face au refus des affectés d'obéir, il suspendit leur traitement, puis 539 Lettre de Pierre OUEDRAOGO, 19 juin 1986, N°860-300, CNR, SGN-CDR, citée par Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 40. 540 Alain COEFE, Lettre confidentielle N° 0069 du 24 juin 1986, citée par Ludo MARTENS, ibidem. 541 Alain COEFE, Lettre confidentielle N° 0069 du 24 juin 1986 citée par Ludo MARTENS, 1989, idem, page 14. 178 les remit à leur ministère d'origine qui les licencia. Au même moment, les CDR s'opposaient à la nomination de Seydou NACRO, le chef du service administratif et financier de l'ASECNA comme directeur des affaires administratives et financières au Ministère de la Question paysanne. Taxé encore d'anti-CDR, Seydou NACRO fut interdit d'accès à son bureau. Les militants CDR tentèrent de confisquer les clés dudit bureau des mains de BARRO Tiéba qui dédaigna. Lors d'une assemblée tenue le 24 janvier 1987, les CDR de l'ASECNA accusèrent le ministre Alain COEFE d'avoir chargé BARRO Tiéba de les liquider. Dans la foulée, le cas de Lucien RAKOTONDRAINIBE refit surface : les CDR, tenant à cor et à cri à le renvoyer, votèrent une motion à l'unanimité pour exiger son départ immédiat. A partir du 07 avril 1987, la confrontation entre d'une part le ministre Alain COEFE de l'ULCR avec son staff technique et d'autre part les militants CDR de l'ASECNA protégés par Pierre OUEDRAOGO, Secrétaire général national des CDR et Secrétaire général national de l'UCB, atteignit son paroxysme. A l'occasion d'une nouvelle assemblée générale convoquée par Alain COEFE pour situer les responsabilités sur les litiges en cours dans le département, BARRO Tiéba et Lucien RAKOTONDRAINIBE arrivèrent par leur dextérité verbale à discréditer les affectés en question. Selon une motion votée à 94 voix contre 15 abstentions, les intéressés devaient présenter une autocritique sur la base de laquelle ils seraient réintégrés. Mais, le 10 avril, Pierre OUEDRAOGO par un télégramme invalida toutes les décisions avalisées par Alain COEFE : le 04 août 1987, le gouvernement est dissout. Dans le nouveau gouvernement formé, aucun membre de l'ULCR n'était présent, sans doute les comptes avaient été réglés en faveur de l'UCB dont la prépondérance dans la nouvelle équipe était écrasante. Dans les colonnes du quotidien SIDWAYA, les fidèles de l'UCB traitèrent les ministres exclus de l'UCR, notamment Alain COEFE, de ministres en méforme.542 Ce dernier est remplacé par Watamu LAMIEN de l'UCB. Avec l'exacerbation de la crise politique en août, l'ULC-La Flamme, le GCB, une partie de l'UCB et de l'OMR commencèrent des réunions clandestines. D'après Ludo MARTENS, ces réunions préparaient la constitution du Front Populaire qui fut proclamé le 15 octobre 1987.543 En juin, SANKARA demandait sans résultat à toutes les organisations membres du CNR de s'auto-dissoudre pour préparer la création du futur parti. Mais, l'UCB et le GCB s'y opposaient résolument. La crise syndicale contribua à faire péricliter davantage le dialogue entre les différentes parties. Le parti d'avant-garde tarda à se réaliser. Au sein de l'UCB, les violons entamèrent leur dissonance. Les dissentiments entre Thomas SANKARA et Blaise COMPAORE se cristallisèrent 542 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 19. 543 Idem, page 114. 179 davantage, ce qui provoqua la décomposition de l'UCB et des miliaires, chacun optant soit pour l'un, soit pour l'autre. La dégradation des rapports au sommet de l'Etat se reflétant sur la base (CDR), on assista à une démobilisation : c'était la déchéance populaire du régime. La logique de la violence nourrie par certains CDR prit le pas sur l'esprit de la discussion et de la critique conseillé par le DOP. Ceci étant, des exactions sont commises un peu partout dans les secteurs. La population désabusée se lassa. Une lassitude qui se justifiait aussi par la politique d'austérité du CNR, par l'utilisation de l'arbitraire et de la coercition exercés par les CDR au niveau des services et au niveau des secteurs. Thomas SANKARA reconnut à l'occasion du quatrième anniversaire de la RDP dans son discours cette asthénie et cette démotivation. Il annonça une pause pour rectifier la révolution, déclarant qu'un pas avec le peuple valait mieux que dix pas sans le peuple.544 Malgré tout, les agitations et les intrigues continuèrent à animer les organisations politiques et à opposer les révolutionnaires. C'est dans cette conjoncture de contradictions, de crispation et de suspicion totale qu'à travers des étapes encore mal maîtrisées de nos jours, la chute du CNR s'était réalisée le 15 octobre 1987 par un coup d'Etat militaire sous la houlette de Blaise COMPAORE. Thomas SANKARA est assassiné dans l'après-midi par un commando issu des militaires fidèles à Blaise COMPAORE. Le Front Populaire qui se mit en place annonça l'avènement d'un nouveau processus dit de rectification. Ainsi, se dénouait tragiquement la crise politique née au sommet de l'Etat sur la problématique de l'institution d'une organisation d'avant-garde de la révolution. VII.4.2. La dissolution des CDR et l'avenement des CRLe renversement du CNR et surtout l'assassinat de son président suscitèrent un véritable émoi dans le pays. Les jours qui suivirent le coup d'Etat furent profondément marqués par une léthargie au sein des CDR. Ceux-ci étaient bien conscients du climat de méfiance et de discorde qui régnait au niveau du CNR, mais ils ne s'attendaient pas à cette solution militaire dans laquelle avait péri leur président. On ne peut pas nier, malgré les erreurs commises sous son pouvoir, la réelle popularité dont Thomas SANKARA jouissait vis-à-vis des militants CDR. Doué d'un charisme exceptionnel qu'on lui reconnaissait volontiers, Thomas SANKARA avait pu établir lors de ses discours une communion et une sympathie réelles avec les CDR et d'une manière globale avec la population. Richard BENEGAS parle à ce sujet de magie performative du 544 Discours de l'An IV de la RDP in CARREFOUR AFRICA1N N°1000 du 21 août 1987, page 10. 180 discours qui lui permettait de mettre en délectation son auditoire.545 Pierre ENGLEBERT renchérit : « Lors des meetings, c'est une véritable communion qui s'établit entre lui et la foule qui lui répond en chceur a divers moments de son discours : 0' les caméléons équilibristes ? A bas ! Les renards terrorisés ? A bas ! Le fantochisme ? A bas ! L'd-platventrisme ? A-bas ! ».546 Ainsi, pour les admirateurs du président assassiné, c'est le désenchantement total. Ils sont surpris par ces événements qu'ils ressentent comme une trahison et qu'ils sont contraints bon gré mal gré de subir. Partout, on assiste à un véritable tâtonnement avec des regards pleins d'interrogations sur l'avenir réel de la révolution. Malgré les appels incessants de soutien de la part du nouveau pouvoir, la ville de Ouagadougou offrait un visage sinistré, loin de celle dont le sursaut populaire avait favorisé le déclenchement de la révolution. On ne « comprend pas qu'on ait pu tuer celui qui incarnait la "Révolution Démocratique et Populaire". S'il avait commis des fautes, pensent beaucoup, même parmi ses adversaires les plus résolus, il fallait l'arrêter et le juger. Au hasard des promenades dans les rues de la capitale, au détour d'une conversation, a quelques graffiti, a certains regards, a mille petits détails impalpables, on a pu se rendre compte comment la mort du PF (Président du Faso) avait été traumatisante ».547 Médusés, des militants s'embusquèrent pendant des mois. Convaincus que le Front Populaire s'écartait de leur action du temps du CNR, nombreux furent pris par des sentiments de délaissement et de trahison. On assista de ce fait à des départs à l'étranger de certains CDR. Dans les quartiers de Ouagadougou comme dans les milieux ruraux, ce fut le retour progressif au printemps des pouvoirs coutumiers. Ceux-ci applaudirent le 15 octobre et clamèrent la restauration de l'ordre des ancêtres. Les TPC disparaissaient ainsi avec la réinstallation des tribunaux coutumiers. Les nouveaux tenants du pouvoir annoncèrent sans tarder l'ouverture prochaine de grands débats pour faire le bilan critique des quatre années de la révolution. Bongnessan Arsène YE succéda à Pierre OUEDRAOGO à la tête des CDR. Le Front Populaire forma son premier gouvernement le 31 octobre 1987 et publia, dès le 03 novembre, un canevas de discussion pour des assises nationales pour un bilan critique des quatre années de la révolution. Lors de son premier conseil de ministres le 11 novembre, le nouveau gouvernement procéda au relâchement de certaines mesures. 545 Richard BENEGAS, 1993, Insoumissions populaires et révolution au Burkina Faso, Bordeaux, CEAN, page 18. 546 Pierre ENGLEBERT, 1986, La révolution burkinabè, Paris, L'Harmattan, page 172. 547 René OTAYEK, « Quand le tambour change de rythme, il est indispensable que les danseurs changent de pas » in POLITIQUE AFRICAINE N°28 - décembre 1987 - La politique de santé, Paris, Karthala, page 117. 181 Entre autres, l'abandon de la pratique obligatoire du sport, l'abrogation de la mesure qui préconisait le port obligatoire du faso dan fani dans les lieux de travail... Le 08 janvier 1988, ce fut l'ouverture des assises nationales pour le bilan des quatre années de la révolution à l'issue desquelles les structures populaires avaient connue une réorganisation. Le SGN-CDR changea de nom pour devenir la Coordination Nationale des Structures Populaires (CNSP). De même, les CDR furent dissous le 17 mars 1988 et firent place aux Comités Révolutionnaires (CR). Ces derniers furent dispensés de leurs fonctions militaires d'où le retrait des armes dont le CNR avait doté les CDR. La nouvelle organisation s'exprima par l'institution de sept types de Comités Révolutionnaires : les paysans, les jeunes, les femmes, les anciens, les ouvriers, les militaires et les employés (service). En plus de l'UNAB, l'UFB, et l'UNPB déjà existantes, on jeta en mai 1988 les bases de l'Union Nationale de la Jeunesse du Burkina (UNJB). Selon les dispositions de la CNSP qui les chapeautait toutes, elles avaient pour vocation de renforcer les bases des CR afin d'apporter un soutien effectif au processus dit de rectification. Les 8 et 9 avril 1988 eurent lieu les premières élections des CR de base à Ouagadougou. Malgré les appels répétés à la population, la mobilisation était restée précaire. Par exemple, à l'école de Droit de l'Université de Ouagadougou, sur 650 militant CDR, seulement 47 avaient participé aux élections.548 Après les élections, la morosité déjà perceptible aux lendemains du 15 octobre 1987 ne dégrossit pas. Les permanences, jadis grouillant de monde, ressemblaient désormais à des habitations hantées abandonnées sous le regard des passants. Les différents chantiers créés au niveau des secteurs par les CDR sont dépourvus de travailleurs. C'est la démobilisation et il faut payer des gens pour qu'ils exécutent ce qui était fait gratuitement du temps des CDR... Les pratiques frauduleuses refirent surface et de manière de plus en plus visibles. Les prix des loyers plafonnés sous le CNR passaient de 4 000 F à 12 000F... Telle était globalement la situation qui se dessinait après le 15 octobre 1987 et après la dissolution des CDR en mars 1988. L'année 1988 ne faisant pas partie de notre fourchette chronologique, nous nous sommes contenté de peindre brièvement cette conjoncture qui objectivement au lieu de raffermir la révolution, comme le prétendaient les rectificateurs, a constitué une sorte de restauration émoussant l'élan révolutionnaire d'une population orpheline de ses véritables catalyseurs d'hier. C'est le spectacle d'une révolution malade, somnolente, condamnée à une mort prochaine certaine. Ce que l'histoire n'a pas démenti. A la fin de ce chapitre, nous pouvons affirmer que le CNR a été victime de ses propres contradictions. La logique de l'unilatéralisme politique développée pour monopoliser le pouvoir et s'auto légitimer a effectivement permis au CNR de s'immuniser contre les à-coups des forces politiques, qui jadis faisaient et défaisaient les régimes politiques. Mais, la disparité idéologique, la tentation à l'hégémonisme de ses composants et l'instrumentalisation des CDR ont fertilisé le terrain de la confrontation en son sein et l'ont inexorablement acculé à sa chute. Le fruit pourrit toujours de l'intérieur. Chapitre VIII : LA PROMOTION DE L'ECONOMIE ET SES LIMITESLa participation des structures populaires pesa significativement dans la mise en oeuvre de la conception économique défendue par le CNR. On a pu faire la preuve d'une mobilisation effective de la population à travers les CDR autour du projet de construction de l'économie nationale, indépendante, autosuffisante et planifiée. Grâce à la canalisation de ce dynamisme populaire par les CDR, le CNR a obtenu des résultats tangibles et a posteriori on peut remarquer l'effectivité d'une promotion économique. L'objet de notre réflexion dans cette partie est de faire ressortir les performances économiques obtenues par le CNR avec le concours effectif des CDR, et en même temps soulever les failles qui en ont résulté. VIII.1. Les succes de l'auto ajustement revolutionnaireL'apport des CDR a eu le mérite d'avoir permis au CNR d'asseoir un système économique autocentré que les spécialistes de l'économie ont dénommé auto ajustement révolutionnaire, c'est-à-dire un développement économique basé sur les propres ressources matérielles et humaines du pays sans assistance étrangère. La contribution des CDR tient de la réalité selon laquelle ils ont suscité non seulement la mobilisation populaire ayant permis au CNR de mettre en marche ses différents projets, mais aussi ils ont été les garants de l'application des schémas ou méthodes que nécessitait le système d'auto-ajustement économique du CNR. Il s'agit ici pour nous de relever des exemples de succès de cette politique économique originale qui somme toute ne pouvait être possible sans la mobilisation du peuple suscitée par les CDR. VIII.1.1. L'amelioration du service et la baisse des speculations dans les institutionsL'état de fonctionnement des services, surtout ceux de l'Etat avant la révolution du 04 août 1983, était vraiment des plus défectueux. Le CNR avait hérité d'une administration mue par la paresse, la défection et le laxisme. Il était en effet courant de voir des agents de l'Etat se rendre dans leurs lieux de travail en retard. En plus, une véritable ambiance délétère se développait dans les pratiques des travailleurs qui ne se lassaient guère de favoritisme, de népotisme et de paresse. C'était donc un secteur de la licence, un haut lieu du laisser-aller qui avait offert un véritable asile à la 184 corruption, l'affairisme et l'usage du faux. La fréquence de toutes ces opérations facilita l'enrichissement d'une minorité de personnes au mépris de l'intérêt général de la majorité du peuple, meurtrie par le désert de la misère. Emaillés par des « politiciens réactionnaires de parents et d'amis, lies par mille relations occultes aux opérateurs economiques, les services publics pesaient d'un poids etouffant sur le peuple ».549 De façon globale les pratiques frauduleuses de cette bureaucratie ne pouvaient que déteindre négativement sur l'ensemble de la croissance économique du pays. Pour le CNR, cette situation chaotique découlait de la mauvaise gestion de l'Etat par les régimes précédents qu'il fallait soigner par l'épuration et la rigueur dans les services. Il ordonna alors aux CDR d'être les chantres de ce combat contre ce que Ludo MARTENS a appelé « l'hydre de la bureaucratie ».550 L'acharnement des CDR qui s'était traduit par le contrôle des recrutements des agents, la notation déterminant les avancements de salaire, le pouvoir de sanction à l'encontre des personnes opposées au processus, avait permis tant soit peu de juguler le phénomène de la gabegie dans les services. Présents dans tous les mécanismes de décision du pouvoir, les CDR ont été les metteurs en scène d'une morale révolutionnaire sous-tendue par des théories d'austérité qui à tous points de vue a eu le mérite d'avoir assené des coups décisifs à la corruption et aux diverses formes de spéculation dans les services. La crainte d'être vilipendé, traqué et traîné devant les procès TPR par les CDR avait ainsi permis une certaine prophylaxie des méthodes de travail dans les services. Ainsi, nous pouvons convenir avec bon nombre d'observateurs sur la réalité d'un véritable élan de dynamisme dans les services, lequel ne pouvait être sans l'action des structures populaires. Il y a souvent une polémique sur la diminution de la corruption et autres pratiques de fraudes sous le CNR. D'aucuns avancent que des CDR ont même été à l'origine de mauvaises gestions ... On ne peut certainement pas récuser cette vérité qui ne peut qu'être commune à tout système économique. Y a-t-il un système au monde qui a fonctionné sans défaillance ? Même les systèmes occidentaux réputés pour leur gestion rigoureuse n'échappent pas souvent à la tentation des pratiques corruptrices ou d'usage de faux. De notre point de vue, nous professons volontiers que même si des pratiques douteuses ont été ressenties dans la participation des CDR à la gestion du pouvoir économique, il n'en demeure pas moins que ceux-ci ont véritablement oeuvré à la diminution des méthodes illicites dans les services. Même s'ils n'ont pas réussi à les faire disparaître, ils les ont amenées à se cacher, à s'exprimer moins. De ce fait, il faut 549 CNR, 1986, Plan Quinquennal-1986-1990, vol I pp. 65 et 67. 550 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 229. 185 saluer la volonté politique du CNR dans ce sens qui d'ailleurs s'était précisé davantage le 07 février 1987 avec la création de la Commission du Peuple chargée de la Prévention de la Corruption (CPPC).551 Le 18 février 1987, Thomas SANKARA fut le premier à faire la déclaration de ses biens devant la CPPC présidée par Henri ZONGO.552 En déclarant ses biens, Thomas SANKARA faisait en même temps voeu de pauvreté pour signifier que la révolution était venue « pour servir et non pour se servir ».553 « Jamais aucun régime n'a témoigné de cette volonté tenace pour lutter contre la corruption au Burkina Faso, comme le CNR ».554 VIII.1.2. La renaissance urbaineNous avions évoqué plus haut le rôle de premier ordre que le CNR avait amené les CDR à jouer dans sa politique de logement. Grâce à ces efforts consentis, on a assisté à un véritable essor urbain sans précédent dans les principaux sites administratifs du pays. Le cas de Ouagadougou est le plus parlant. Le Ouagadougou prérévolutionnaire ressemblait à un bourg disposant à son centre d'un îlot de quelques immeubles, la plupart occupée par l'administration. Les périphéries étaient des lieux d'installations anarchiques de maisons faites en terre battue. C'était le domaine de l'habitat spontané dépourvu d'électricité et d'eau courante, marqué par l'enchevêtrement de milles chemins tortueux. Dans ces zones de fortune, point d'infrastructures sanitaires, point d'écoles pour les habitants. C'était donc une situation de précarité totale que ces derniers subissaient. Avec l'avènement de la révolution, ce fut une véritable métamorphose de la ville qui allait désormais s'effectuer. Sur ce fait, Bruno JAFFRE déclarait après les évènements du 15 octobre 1987 : « Quiconque a séjourné O. Ouagadougou avant le 04 aout 1983 n'en reviendrait pas. Lors de mon premier séjour en juillet 1982, je me souviens n'y avoir remarqué qu'un seul feu rouge. Depuis la ville s'est embellie, organisée, la circulation grandement améliorée par la multiplication des feux et la réfection des avenues ».555 En effet, entre 1983 et 1987, le régime révolutionnaire avait fait montre d'une grande volonté politique en matière d'urbanisation, une volonté qui avait fait défaut dans les programmes urbains des régimes précédents. La création des services d'urbanisation (DGUTC, SDAU, SOCOGIB, BPH, DPL...) munis de budgets spécifiques 551 Roger Bila KABORE, 2002, Histoire politique du Burkina Faso : 1919 - 2000, Paris, L'Harmattan, page 185. 552 L'INTRUS N°0035 du 20 février 1987 : « Lutte contre la corruption, l'exemple », pages 3 et 5. 553 Augustin LOADA, 1993, Les politiques de modernisation administrative au Burkina Faso, mémoire de DEA en Sciences politiques, Paris, Université de Bordeaux, page 101. 554 Achille TAPSOBA : entretien du 27 juillet 2005 à l'Assemblée nationale. 555 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les années sankara, Paris, L'Harmattan, page 134. 186 avait facilité l'exécution de programmes ayant admirablement changé la ville de Ouagadougou. Avec cette logique, le CNR procéda à un allègement de la procédure d'approbation des plans d'aménagement, de l'urbanisation et de l'habitat et décentralisa les services techniques chargés de l'aménagement urbain.556 Toutes ces innovations avaient été réalisées grâce à la contribution des CDR dont l'action avait consisté à la supervision et à l'exécution des différentes opérations et plans proposés par les services techniques. Ainsi, les CDR sont sollicités pour l'alimentation des statistiques descriptives sociales relatives au processus d'aménagement et d'urbanisation. Ce fut pourquoi les différentes opérations de recensement et de parcellisation et d'attribution leur avaient été dévolues. Mais, cette implication directe des CDR avait eu finalement comme incidence le délaissement des techniciens : « Aux techniciens qu'il pense trop éloignés des citadins, le pouvoir révolutionnaire préfère les CDR, bien implantés dans les secteurs ».557 Effectivement, CARREFOUR AFRICAIN déclarait à ce sujet : « La révolution d'aoilt dispose a travers les CDR d'instruments efficaces pour entreprendre ce vaste travail en collaboration avec les services compétents des ministeres intéressés : la division de nos agglomérations en secteurs [...] offre une base de départ pour ce travail ... ».558 Suite aux différents aménagements obtenus par le concours des CDR, on a assisté à une véritable levée de diverses infrastructures qui rénovèrent les différentes villes du pays notamment la ville de Ouagadougou. Le discours révolutionnaire aidant, les citadins trouvèrent la nécessité de construire et d'embellir leurs villes dans l'intérêt général, car un environnement amélioré et assaini est un bien contribuant à la santé et au bien-être de tous. Dès lors, avec la simplification des coûts et des procédures, les citadins se lancèrent dans l'édification de logements modernes. Concomitamment, le pouvoir développa un programme de construction de cités : les cités du 04 août (500 logements) réalisées dans 23 provinces dans un délai de 15 mois, les cités An II construites à Ouagadougou(ensemble 138 villas au secteur 6) et à Bobo Dioulasso (50 villas), les cités AN III à Ouagadougou sur l'ancien site du quartier Bilbambili (201 villas et 23 immeubles à 3 niveaux), les cités AN IV A au secteur 5 (50 villas et 54 immeubles), les cités AN IV B éparpillées entre les secteur 15, 17, 22 et 27(50 villas par secteur, soit 200 villas au total), la construction de nombreuses voies et la reconstruction du grand marché et de ministères qui ont vraiment contribué a révolutionné la physionomie de la ville de Ouagadougou. 556 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les années sankara, Paris, L'Harmattan, page 88. 557 Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine partagée à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries, Paris, Karthala, page 431. 558 S.X.S., « Portée politique et opportunités techniques de l'ordonnance du 31 décembre 1984 » in CARREFOUR AFRICAIN N°866 du 18 janvier 1985, page 19. Toutes ces constructions ont contribué à améliorer le cadre de vie. L'adduction de l'eau potable, les branchements téléphoniques et l'électrification devenaient désormais possibles. De concert avec l'ONASENE,559 les CDR organisaient des opérations de salubrité, faisant ainsi de la ville un cadre propre. Figure 16: Les cites révolutionnaires An III ET An IV. Source : Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine partagée a Ouagadougou : pouvoirs et peripheries, Paris, Karthala, page 433. Cependant, s'il est acquis que la politique d'urbanisation que le CNR a imprimée avec le concours de ses structures populaires est un vrai succès, cela n'a pas été sans écueil. A ce sujet, Alain MARIE dénonce « la réalité concrete et matérielle de ce qu'il faut considérer comme un coup de force permanent mené par l'Etat révolutionnaire contre une société civile violentée et contre une population véritablement sinistrée (...) par la perte de son capital foncier et immobilier antérieur ».560 Effectivement, toutes ces opérations ont été faites souvent dans la négation de l'avis du citoyen, donc dans un contexte de coercition totale, pratique déviante à laquelle de nombreux CDR s'habituèrent. Ceci étant, il y eut beaucoup de cassures de liens familiaux et sociaux dues à l'exigence des déguerpissements que requérait la volonté rénovatrice du pouvoir révolutionnaire. On peut critiquer aussi le déroulement des opérations qui parfois précipitées étaient sources d'erreurs comme les confusions de noms ou les doubles attributions. Enfin, on a pu se rendre compte de pratiques volontairement illégales de certains CDR attributeurs qui détournaient des parcelles ou d'attributaires qui se « trompaient » de repérage pour s'approprier la parcelle du voisin parce que mieux située. Il reste malgré tous ces dysfonctionnements que la politique urbaine du CNR demeure on ne peut plus originale et concluante pour peu qu'on regarde le passé du pays. VIII.1.3. Un taux de croissance en progressionOn peut définir la croissance comme une augmentation sur une longue période des principales dimensions caractéristiques de l'activité socio-économique comme la production nationale des biens et des services. C'est à travers elle qu'on peut juger de la performance d'un système économique. L'évaluation de cette croissance dans le Burkina Faso révolutionnaire est souvent sujette à discussions. D'aucuns estiment à l'instar de la proclamation du 15 octobre 1987 que le bilan de cette croissance ne peut être que négatif.561 Pourtant loin s'en faut. Des résultats encourageants ont été obtenus et l'effectivité d'une aspérité vers la construction d'une économie nationale indépendante et l'amélioration de la gestion nationale ne font aucunement de doute. L'option du capitalisme d'Etat et le renforcement de celui-ci qui se traduisit par la restructuration des entreprises publiques et l'étatisation de l'économie éveillèrent une certaine progression qu'il est convenable de ne pas mésestimer malgré 560 Alain MARIE, 1989, « Politique urbaine : une révolution au service de l'Etat » in POLITIQUE AFRICAINE N°33, Retour au Burkina, Paris, Karthala, page 37. 561 Déclaration du Front Populaire le 15 octobre 1987 in SIDWAYA N°879 du 19 octobre 1987, page 3. 189 les souillures des dysfonctionnements remarqués. La création du Ministère chargé du contrôle des sociétés d'Etat permit le contrôle réel et la vérification des comptes de celles-ci, d'où l'amélioration de leur gestion et de leur production. Pascal ZAGRE dit de ces dispositions, qu'on avait assisté à un redéploiement industriel ayant nécessité la création en octobre 1984 d'un véritable ministère de la promotion économique.562 L'association des CDR à la gestion des sociétés, la formation des travailleurs sur le fonctionnement de celles-ci, l'organisation de séminaires annuels sur leur gestion à l'endroit des administrateurs et les sessions budgétaires publiques contribuèrent à l'ouvrage de circonstances prolifiques ayant provoqué une croissance non des moins visibles. On peut ajouter à l'actif de ces acquis les nombreuses réalisations faites dans le cadre des différents projets de développement populaire dont la plupart a trouvé un succès grâce à la participation de la population obtenue par les CDR. Selon les conclusions de la Banque mondiale, la politique d'auto ajustement du CNR a été soutenue par une rigueur et un volontarisme avec des résultats concluants : un taux de croissance de l'ordre de 4,3 % environ par an avec une croissance du secteur public d'environ 5,8 %.563 Pourtant cette période a été éprouvée au Burkina Faso par l'embargo pratiqué à son encontre par les institutions financières internationales qui avaient stoppé leur assistance ; la France avait aussi refusé son aide budgétaire.564 Un autre laurier de cet auto-ajustement révolutionnaire fut la réduction des inégalités et de la pauvreté. On a pu observer un sursaut national éveillé pour refuser la pauvreté comme une fatalité. La politique économique du CNR a « changé la vision des Burkinabé sur eux-m-emes, soutiennent de nombreux acteurs de développement pour qui le regard que les populations portent sur elles-m-emes constitue un élément fondamental dans la dynamique de leur autonomisation dans des cadres participatifs (PPD, Plan Quinquennal) ».565 Sans doute une véritable conversion de mentalités jamais obtenue par les régimes précédents. 562 Pascal ZAGRE, 1994, Les politiques économiques du Burkina Faso : une tradition d'autoajustement structurel, Paris, Karthala, page 149. 563Mémorandum économique de décembre 1989 de la BANQUE MONDIALE, cité par INTERNATIONAL IDEA, 1997, La démocratie au Burkina Faso, Stockholm, page 21. Voir aussi Pascal ZAGRE, 1994, op cit, pages 163 et 164. 564 Pascal ZAGRE : « Le pari de l'intégrité et de la rigueur » in VIVANT UNIVERS N° 426, Bimestriel novembre - décembre, 1986, Bruxelles, pp 22%27. 565 Basile GUISSOU, 2002, « Histoire et pauvreté au BURKINA FASO » in La pauvreté, une fatalité ? , Paris, Editions UNESCO/Karthala, page 107 VIII.2. Les limites de l'auto-ajustement révolutionnaireOn ne peut pas limiter l'analyse de la politique économique du CNR aux seuls constats des performances réalisées. L'ampleur des projets entrepris et la fougue dans laquelle l'investissement populaire a été exigé pour leur réalisation ne pouvaient pas épargner cette détermination économique de défaillances et d'égarements. Nous proposons dans cette partie de notre analyse trois exemples de limites à ce propos : d'abord le déclin du pouvoir d'achat des fonctionnaires, ensuite les suspensions et licenciements arbitraires, enfin l'abstention du privé dans les investissements. VIII.2.1. La baisse du pouvoir d'achat des fonctionnairesLa politique d'austérité et d'ascétisme économique développée par le CNR fut une pilule amère pour bon nombre de fonctionnaires qui très vite nourrirent une hostilité vis-à-vis du régime. Dans la volonté d'augmenter les recettes de l'Etat et de diminuer les dépenses de fonctionnement au bénéfice de l'investissement dans les différents programmes initiés et dans le souci de boucher les creux causés par le refus des mannes financières étrangères, le CNR eut recours à des dispositions qui lui avaient valu finalement une impopularité chez les salariés sur le plan politique. En effet, l'invitation sous forme de pression à une vie économique pointée par l'ascétisme avait trouvé le désaveu de fonctionnaires non contents de l'amputation de leur marge financière causée par les dites mesures. Il faut dire effectivement que si l'institution de l'EPI prélevé sur les salaires à raison de 5 à 12 %, l'augmentation de l'IUTS (Impôts Uniquement sur les Traitements et les Salaires), la diminution de l'âge de la retraite, la diminution ou l'annulation des indemnités et l'instauration d'une gestion centralisée très pointilleuse avaient permis à l'Etat d'engranger des recettes importantes, elles avaient sérieusement laminé les capacités d'achat des fonctionnaires. D'après Pascal LABAZEE, le pouvoir d'achat des travailleurs urbains avait décliné de 20 à 30 % en 1984. Les prélèvements ayant été reconduits l'année suivante, chaque fonctionnaire dût alors sacrifier un mois ou un demi-mois de salaire au bénéficie de l'Etat.566 Ainsi, l'enthousiasme témoigné de la part de ces derniers vis-à-vis du régime avait mué en une antipathie567 dont le mouvement syndical s'était servi contre celui-ci. 566 Pascal LABAZEE, 1988, Entreprises et entrepreneurs au Burkina Faso, Paris, Karthala, page 224. 567 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les années sankara, Paris, L'Harmattan, page 148. Même en dehors du camp du fonctionnariat, le harcèlement de personnes par des CDR exigeant le paiement des différentes cotisations dans les secteurs provoquait une certaine lassitude de celles-ci parce que réduisant leur capacité boursière. On peut évoquer pour ce compte la gratuité du logement déclarée au cours de l'année 1985 qui avait véritablement dégrossi la capacité financière de bon nombre d'individus. Une des raisons de cette mesure était de sanctionner les comportements spéculatifs et frauduleux de certains propriétaires. Mais, « elle a notamment pénalisé les honnêtes gens et tous ceux qui s'étaient honorablement constitués par ce moyen un revenu de retraite ».568 On estime à environ neuf milliards l'argent récupéré par la DPL dans le cadre de cette opération. On n'avait pourtant pas su où était partie cette somme colossale,569 preuve qui dénotait la porosité de la gestion financière de certaines institutions dévolues aux CDR au grand dam de l'éthique révolutionnaire au nom de laquelle elles s'exerçaient. VIII.2.2. Les suspensions et les licenciements arbitrairesLes sanctions ont constitué une pédagogie révolutionnaire largement développée entre 1983 et 1987. Il était donc normal de punir, punir pour responsabiliser, punir pour dissuader, punir pour défendre la révolution en un mot. Ainsi, le CNR développa plusieurs types de sanctions. Il y avait non seulement les sanctions corporelles que nous avions déjà évoquées, mais aussi les sanctions administratives ou professionnelles que beaucoup de fonctionnaires avaient subies dans les services. Les CDR ont été les centres décisionnels par excellence de ces châtiments au nom de la défense de la révolution. Selon l'entendement du CNR, il était question de débarrasser l'administration des fonctionnaires pourris ou véreux qui usaient d'actions spéculatives pour s'enrichir illicitement ; il s'agissait encore d'exclure les médiocres, les laxistes, les retardataires patentés..., en un mot, tous ceux-là qui discréditaient la révolution par des mauvais comportements. C'est vrai que l'option de cette démarche de rigueur sur fond de coercition a beaucoup épousseté les services des agissements corrupteurs et contribué à l'amélioration du service. Mais, le revers de la médaille est qu'elle a été un champ fertile de dérive, de démesure et d'arbitraire avec un mépris prononcé des droits les plus élémentaires des individus. La possibilité d'être suspendu ou licencié sur simple accusation de « paroles subversives », de « paresse », de « révolutionnaire douteux » ou de 568 Pascal ZAGRE, 1994, Les politiques économiques du Burkina Faso : une tradition d'autoajustement structurel, Paris, Karthala, page 175. 569Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 218. « réactionnaire » était monnaie courante. On assistait permanemment à des 0' sanctions arbitraires et dégagements intempestifs de fonctionnaires dont la seule faute était d'avoir une opinion nuancée sur certains problemes de l'heure ».570 Donc émettre la moindre réserve ou critique à l'endroit des CDR dans certains services, c'était s'exposer non seulement à des épigrammes politiques et phraséologiques très blessantes, mais encore, pire, c'était s'attirer une quantité de conséquences nuisibles dans son vécu quotidien : affectations administratives fantaisistes brisant même quelquefois à dessein l'unité des familles, suspensions et licenciements avec leur corollaire néfaste de chômage et difficultés financières. Cette capacité de nuisance des CDR créait dans les services un véritable climat de psychose. En tout état de cause, les fonctionnaires attendaient « le conseil des ministres hebdomadaire du mercredi pour savoir s'ils conservaient ou non leur poste et se mettre en conséquence au travail. C'était la `semaine du mercredi' le lundi et le mardi étant passés dans l'angoisse d'une éventuelle décision fatale ».571 Après chaque conseil, la presse gouvernementale diffusait les identités des suspendus ou des dégagés. En 1986, sans prise en compte du licenciement des grévistes du SNEAHV, le nombre de fonctionnaires dégagés était estimé à plus d'un millier. Si de tels licenciements avaient permis en vérité de se débarrasser d'agents manifestement antithétiques au régime, de purifier l'administration, il faut dire qu'ils ont parfois été à l'origine d'une atmosphère de crispation572 n'ayant pas toujours favorisé l'application des travailleurs dans leurs services. Les suspensions et les licenciements provoqués par les CDR ont pris part considérablement au processus de désaffection d'une partie de la population vis-à-vis du régime. Une capitulation qui tout en remettant en cause leur vraie légitimité avait alimenté les causes des évènements du 15 octobre 1987. VIII. 2.3. La peur de l'investissement et le retard de l'entreprise priveeLa politique économique du CNR n'avait pas suscité l'enthousiasme du secteur privé. Ce désenchantement entraîna le recul des investissements privés. Pourtant malgré une hostilité implacable affichée contre les commerçants véreux et la bourgeoisie réactionnaire, le CNR avait garanti des possibilités au privé pour l'investissement. Le DOP déclarait que tout en étant une révolution antiimpérialiste, la RDP s'effectuait encore dans le cadre et les limites du régime 570 Pascal ZAGRE, 1994, Les politiques économiques du Burkina Faso : une tradition d'autoajustement structurel, Paris, Karthala, page 174. 571 Pierre ENGLEBERT, 1986, La révolution burkinabè, Paris, L'Harmattan, page 161. 572 Ibidem. 193 économique bourgeois.573 Par conséquent, « le probleme de nationalisation et de transfert des bénéfices est un faux probleme appartenant a la rumeur. Ceux qui pensent aux nationalisations sont pratiquement des reveurs ».574 Lors du premier symposium national sur l'entreprise burkinabé tenu du 27 au 30 juin 1985, le pouvoir avait reconnu l'initiative privée comme une force motrice du développement, jouant un rôle très important dans l'économie nationale : « Le progres d'un pays comme le notre est inséparable de l'accroissement du secteur privé ».575 Dans cette perspective, le pouvoir avait rétrocédé certaines entreprises publiques en difficulté au moment de l'avènement de la révolution à des privés. Ce fut le cas par exemple du centre de tannage, la Société Burkinabé de Manufacture du Cuir (SBMC).576 Ces opérations s'inscrivaient dans la dynamique d'une restructuration des sociétés, engagée par le Ministère de la promotion économique. Juridiquement, cette restructuration distinguait trois catégories de sociétés : les Sociétés d'Etat, les Sociétés d'Economie Mixte et les Etablissements Publics.577 Les Sociétés d'Etat et les Etablissements Publics constituaient des propriétés exclusives de l'Etat. Mais, quant aux Sociétés d'Economie Mixte, la responsabilité de l'Etat se limitait seulement à une simple participation vraiment minoritaire ; la majorité des parts revenait aux investisseurs privés. Ainsi, c'était à travers ces sociétés dites d'économie mixte que le pouvoir invita surtout les privés à s'investir. La résurrection de la zone industrielle de Kossodo, véritable cimetière d'usines au moment du déclenchement de la RDP était de faciliter cet investissement privé. Deux milliards de francs CFA avaient été investis entre 1985 et 1987 pour faire revivre cette zone industrielle.578 Cependant, malgré tout cet acharnement, la méfiance des opérateurs économiques resta visible. Nombreux s'abstinrent d'investir dans la conjoncture économique mise en place par le CNR.579 Certains entrepreneurs, des commerçants en particulier, ont eu effectivement peur de la révolution et ont alors procédé à la thésaurisation ou à l'exportation de leurs capitaux vers d'autres pays : « Il y en a des 573 CNR, 1983, DOP, pages 19 et 20. 574 Henri ZONGO, ministre de la promotion économique, cité par Ferdinand DABIRE, « Premier symposium national sur l'entreprise burkinabé : sortir notre entreprise de l'ornière » in CARREFOUR AFRICAIN N°883 du 26 juillet 1985, page 11. 575 Ferdinand DABIRE, « Premier symposium national sur l'entreprise burkinabé : sortir notre entreprise de l'ornière » in CARREFOUR AFRICAIN N°893 du 26 juillet 1986, page 11. 576 Ibidem. 577 Pascal ZAGRE, 1994, Les politiques économiques du Burkina Faso : une tradition d'autoajustement structurel, Paris, Karthala, page 150. 578 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 188. 579 INTERNATIONAL IDEA, 1996, La démocratie au Burkina Faso, page 22. 194 qu'ils entendent que la révolution est déclenchée, plient bagages pour d'autres horizons ».580 L'exégèse de la persistance de cette réticence malgré l'assurance du pouvoir résidait sans doute dans la volonté d'ingérence de celui-ci dans le fonctionnement et la gestion des différentes entreprises. L'obligation faite à ces dernières d'admettre les CDR dans les conseils d'administration et de tenir compte de leurs avis milita en faveur de cette perplexité entre pouvoir et hommes d'affaires. La rhétorique révolutionnaire à leur endroit, faite de pamphlets excessivement provocants chantés quotidiennement par les CDR concourut à ce déficit de foi entre les deux camps. Rappelons que la « bourgeoisie commerçante » avait été considérée comme faisant partie des premiers ennemis de la révolution par le DOP : « La suppression de la domination impérialiste signifie pour elle la mort de la poule aux ceufs d'or. C'est pourquoi elle s'opposera de toutes ses forces a la présente révolution ».581 Enfin, l'élimination des titres fonciers à travers la RAF et la politique du logement ont créé certainement une sorte d'insécurité foncière ayant découragé l'investissement privé. L'Etat révolutionnaire restait pratiquement le seul animateur du système économique dans lequel il avait engagé le pays. Les CDR ont été des outils de premier plan dans la politique économique du CNR. Leur utilisation dans le projet d'autonomisation de l'économie nationale semble souvent aux yeux de certains individus ne laisser que le souvenir amer d'une intrusion agrémentée de toutes sortes de dérives et de déviations. Pourtant, le bilan de cette politique économique pris dans sa globalité constitue une réalité concluante. Du reste, ce fut l'illustration originale d'une politique économique définie par un sursaut d'orgueil national et reposé sur un pragmatisme par rapport aux ressources du pays. Ce qui avait fait du Burkina Faso un pays d'exception en Afrique. 580 Hamado WANGRAWA, « Le Président aux opérateurs économiques : les domaines sont vastes oft vous pouvez investir » in CARREFOUR AFRICAIN N° 893 du 26 juillet 1985, page 14. 581 CNR, 1983, DOP, page 16. 195 Chapitre IX : LA SOCIALISATION REVOLUTIONNAIRE : SUCCES, PERVERSITES ET RESISTANCESQuel bilan peut-on faire de l'application de la politique du CNR à travers les CDR pour changer les mentalités et permettre l'érection de la société nouvelle ? L'oeuvre des CDR en faveur de cette aspiration du CNR a constitué une dimension véritablement agissante sur la société entre1983 et 1987. Cette politique a exprimé des effets non seulement positifs mais aussi négatifs dont nous proposons l'analyse dans ce chapitre. Nous consacrons notre analyse dans ce chapitre d'abord sur les aspects positifs, avant d'aborder les effets négatifs IX.1. Les acquis sociauxLa fonction éducative des CDR à l'endroit des masses et la concrétisation de plusieurs initiatives générèrent des résultats heureux contribuant de facto à l'amélioration des conditions de vie. Nous concentrons notre étude essentiellement sur cinq points : un sensible changement de mentalités, le succès de la scolarisation et de l'alphabétisation, l'amélioration des conditions de vie (santé, assainissement, eau), la création d'emplois et la réduction du chômage, la diminution du banditisme entre 1983 et 1987. IX.1.1. Un réel changement des mentalitésLa campagne des CDR en faveur d'une nouvelle conscience nationale avait eu des retombées appréciables. On peut à cet égard parler d'une conversion assez remarquable des mentalités. Nous pouvons relever le patriotisme suscité que nous avons maintes fois souligné antérieurement. Les différentes actions qui ont été entreprises avec la mobilisation du peuple avaient fait naître une nouvelle compréhension chez ce dernier, mue par la confiance en ses propres capacités pour rendre meilleures ses conditions existentielles. Au peuple revenait la tâche de forger son propre bonheur. Chaque Burkinabé pouvait et devait par son action faire le bonheur de tous les autres Burkinabé. Ce fut la naissance d'une responsabilité collective sous-tendue par un esprit d'association et de solidarité qui s'était ainsi opéré. La période 1983%1987 de la révolution burkinabé divulgue en effet la mise sur pied de plusieurs associations surtout féminines. Ainsi, on avait assisté à la création de coopératives, à la redynamisation des groupements villageois, vraiment à l'expression d'une conscience populaire du développement. Par exemple, la réalisation à 100% des programmes de base au niveau des secteurs dans le cadre du PPD, la 196 construction de plusieurs édifices sociaux, la gestion des dépôts pharmaceutiques et des magasins Faso Yaar... concourent à l'effectivité de cette dynamique associative. L'initiative ne revenant pas à l'Etat seulement, la population ne se privait d'élaborer des projets ou d'effectuer une action pour pallier une situation d'urgence posée au niveau des collectivités sectorielles. Il n'était point rare de voir les habitants d'un secteur en train de refaire des routes ou de s'adonner à des tâches de nettoyage. Un autre aspect de cette perceptibilité des changements de mentalités fut l'esprit de discipline qui régissait dans une certaine mesure le vécu quotidien des gens. « Il y avait plus de discipline sur les places publiques, surtout lorsqu'il y avait rassemblement d'individus ».582 Nos investigations nous ont donné les preuves de cette vitalité disciplinaire. Par exemple, lorsqu'il s'agissait de s'aligner dans un service public, la présence des CDR persuadait les gens au respect de leur rang. Il y avait peu de désordre. Il en est de même pour la circulation routière dont la réglementation était assez honorée. Au niveau des marchés, il y avait une certaine harmonie des installations et les gens ne jetaient pas les ordures au hasard. Le dernier aspect de l'évolution du comportement pendant les quatre premières années de la RDP a été l'amélioration du statut de la femme. Nous nous sommes déjà longuement appesanti sur la question au niveau du chapitre VI de notre travail. Nous voulons seulement faire comprendre davantage que cette politique en faveur de la femme a eu des effets positifs et qu'elle a consacré une prise de conscience réelle de l'importance de la femme dans les circuits de développement socioéconomique. On a observé par exemple une nette diminution des mariages coutumiers, de la prostitution... et une hausse sensible de la scolarisation des filles. Globalement, on peut affirmer que la femme burkinabé a connu une réhabilitation sous la révolution. IX.I.2. Le succes de la scolarisation et de l~alphabetisationLe CNR a mené une véritable croisade contre l'ignorance et l'obscurantisme. L'évolution en hausse des pourcentages dans le secteur de l'éducation attestée par l'aboutissement du taux de scolarisation de 16% en 1983 à 32% en 1988 et la construction de 932 nouvelles écoles presque autant qu'entre 1960 et 1983, définissent aisément les progrès enregistrés.583 L'évolution des chiffres au niveau du secondaire fut aussi éloquente : 76 872 élèves en 1988 contre 32 397 en 1983.584 Tous ces résultats ne pouvaient être possibles en dehors de la politique participative des CDR qui a réussi la mobilisation effective de la population autour des priorités du CNR en 582 Henri KABORE : entretien du 03 août 2004 à son domicile au secteur 29. 583 Pascal ZAGRE, 1994, Les politiques économiques du Burkina Faso : une tradition d'autoajustement structurel, Paris, Karthala, page 158. 584 Ibidem. 197 matière d'éducation. La construction de bien d'écoles dans les secteurs sur fonds propres des habitants montre bien que l'oeuvre des CDR dans ce département est méritoire. Les campagnes d'alphabétisation qui ont accompagné ces efforts au niveau de l'éducation classique ont certainement contribué au déclin du mythe de l'ignorance en Afrique. L'expérience du Burkina Faso révolutionnaire illustre que la victoire sur le fléau de l'ignorance qui est l'indice de pauvreté le plus souvent brandi par les institutions internationales est bien possible pour peu que l'Etat y mette de sa détermination politique. Sous l'encadrement des CDR, on estime à 35 000 le nombre de responsables d'associations, de coopératives et de groupements villageois alphabétisés dans 9 langues nationales.585 Ce qui est surtout salutaire, c'est l'acquisition des connaissances qui ont permis surtout aux producteurs de pouvoir mieux gérer leurs affaires et mieux communiquer avec leurs partenaires. Une possibilité de dialogue qui fluidifiait les échanges et concourait à un certain dynamisme socio-économique. IX.1.3. L'amélioration des conditions de vie et de santeIl s'agit des différentes initiatives développées pour conférer aux populations de meilleures conditions d'existence notamment en matière de santé. La RDP avait hérité en 1983 d'une situation de désolation sur le plan sanitaire avec un taux de mortalité des plus aigues du monde (220/00) et un taux de mortalité infantile expressif (1870/00).586 « Sur 100 Burkinabé qui mouraient, 40 succombaient a la rougeole, 33 a la méningite cérébro-spinale et 12 au paludisme. La pénurie d'eau, de médicaments et la malnutrition étaient des fléaux particulièrement vivaces [...]. La malnutrition frappe 50% des enfants et 80% de la population n'ont pas acces a une formation sanitaire ».587 Le CNR fit preuve de détermination pour l'amélioration de cette situation. Les CDR facilitèrent son action sur le terrain non seulement par la construction d'infrastructures sanitaires, mais encore en étant les ferments d'une éducation sanitaire à la base. Les CDR incitaient les gens à participer aux différentes campagnes de vaccination et leurs interpellations incessantes à la salubrité avaient assuré de meilleures conditions sanitaires au bonheur des populations, par exemple, la construction des latrines publiques. A cela s'ajoute la disposition de l'eau potable à laquelle les CDR avaient aussi contribué. La construction de 468 CSPS,588 de 148 585 Basile GUISSOU, 1995, Burkina Faso : un espoir en Afrique, Paris, L'Harmattan, page 118. 586 Pascal ZAGRE, 1994, Les politiques économiques du Burkina Faso : une tradition d'autoajustement structurel, Paris, Karthala, page 157. 587 Ibidem. 588 Le CSPS est l'association de trois formations sanitaires (dispensaire, maternité, centre de santé maternelle et infantile). L'ambition du CNR était d'atteindre 1 CSPS pour 20000 habitants. D'après Pascal ZAGRE, le bilan de 1989 avait recensé 463 CSPS, soit 1 pour 18900 habitants. 198 dispensaires, de 63 centres médicaux et des 9 centres hospitaliers régionaux589... à laquelle les structures populaires avaient pris part a constitué un véritable soulagement pour les populations. Enfin, la création de la SONAPHARM et la vulgarisation des dépôts pharmaceutiques dans les secteurs et la révision en baisse des coûts de produits facilitaient l'accès aux soins. « La capitale qui ne comptait que trois pharmacies au début du processus révolutionnaire, s'est dotée en un tour de main d'une trentaine de pharmacies dix fois plus qu'en 23 ans d'indépendance ».590 Dans l'ensemble, on a assisté à une réelle promotion du bien-être social. IX.1.4. La creation d'emplois et la reduction du chômageLorsque l'on confine son observation sur les licenciements effectués entre 1983 et 1987, l'on est facilement enclin à une déduction selon laquelle la logique révolutionnaire n'a rien fait pour déchoir le phénomène socio-économique du chômage. Un statisme analytique a amené certaines personnes à affirmer que le fléau avait même connu sa pire aggravation sous le CNR. Certes, il est incontestable que la dynamique austère dans laquelle le CNR exerçait sa politique avait conduit de nombreux fonctionnaires au chômage par l'entremise des licenciements incités par les CDR. Mais, doit-on limiter l'analyse lorsqu'on parle de chômage à l'administration ou à la fonction publique de façon globale ? Est-ce que c'est la majorité des Burkinabé qui était employée dans cette fonction publique ? La distillation d'une analyse objective sur la question commande que l'on ne particularise pas, puisque l'Etat ne gère pas que des fonctionnaires ; en plus, être travailleur, ce n'est pas seulement être fonctionnaire. De ce point de vue, les thèses qui soutiennent l'amplification du fléau professent plus d'exagération que d'authenticité, car la réalité est que le CNR a travaillé dans le sens d'une résorption du problème. Pour s'en convaincre, il faut se référer d'abord à la libération des consciences que le CNR avait réussie. En effet, le problème qui se posait avant la révolution était que les gens se laissaient aliéner par un sentiment de dépendance ; ils attendaient que les opportunités viennent de l'extérieur à l'état mûr ou de façon surfaite. Pour d'autres, il fallait attendre bonnement une intégration dans la fonction publique pour sortir de l'ornière. Une troisième catégorie de personnes imaginait que le bonheur ne se trouvait qu'au-delà des confins du pays, d'où leur exode massif vers les pays voisins, notamment la Côte-d'Ivoire. 589 Pascal ZAGRE, 1989, Les politiques économiques du Burkina Faso : une tradition d'autoajustement structurel, Paris, Karthala, page 158. 590 Ibidem. Le CNR oeuvra à la déchéance de ces idées et mentalités, en inculquant dans la conscience de la population que c'était à elle-même de poser les jalons de son développement, en faisant comprendre aux jeunes qu'ils pouvaient améliorer leur train de vie en s'investissant dans leurs propres terroirs et que la fonction publique n'était pas le seul domaine pour s'assurer une vie économique stable. Grâce à cette nouvelle approche, plusieurs personnes au niveau des collectivités rurales s'investirent dans le secteur agropastoral. Par exemple, la mise en valeur de 39790 hectares irrigables au Sourou ouvrit l'opportunité d'investir dans la production agricole à plusieurs individus. « En fin de parcours, le Sourou livrera 240 000 tonnes de céréales soit 21,8% de la récolte moyenne de 1979 a 1985 ».591 Il y a également la réalisation du barrage hydro électrique de la Kompienga avec un lac artificiel de 210 Km2 permettant l'irrigation de 2000 hectares592 dans lesquels des producteurs agricoles s'étaient investis. Les travaux de réalisation et l'assistance technique avaient généré déjà un certain nombre d'emplois. La réalisation de ces barrages dans le cadre du PPD et la vulgarisation des techniques d'irrigation favorisèrent l'investissement dans le secteur agricole. Ainsi, malgré une pluviométrie relativement précaire dans son ensemble, le Burkina Faso enregistra une croissance agricole de l'ordre de 6,4% entre 1983 et 1988 et selon un classement de la Banque mondiale, il occupait le 2ème rang africain après le Maroc.593 Notons que ce dynamisme agricole insufflé par le CNR en même temps qu'il marquait des retombées économiques heureuses pour les producteurs résolvait un tant soit peu la problématique de l'auto suffisance alimentaire qui se posait crucialement dans la période d'avant 1983. Une expérience qui a prouvé que le pays n'a pas besoin d'une dépendance étrangère pour solutionner la faim de sa population. La volonté politique peut amener cette dernière à promouvoir par ses propres efforts son autonomie alimentaire. Bref, l'ensemble des différents programmes populaires initiés a donné des emplois, ce qui a sans doute amenuisé le chômage. Même le secteur informel avait connu un rayonnement jamais atteint. « La révolution, qui a transformé le pays en chantier a tous les niveaux, a provoqué un choc libérateur dans les circuits du secteur informel. L'Etat a ouvert des voies et créé des conditions socio-économiques propices ».594 L'ouverture d'antennes commerciales par les CDR en collaboration avec Faso Yaar, l'aménagement d'auberges ou de buvettes595 591 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 166. 592 Idem, page 167. 593 Basile GUISSOU, 1989, Burkina Faso : un espoir en Afrique, Paris, L'Harmattan, page 130. 594 Idem, page 139. 595 Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine partagée à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries, Paris, Karthala, page 337. 200 vitalisaient ce secteur. Certains secteurs comme le 19, le 17 et le 30 avaient obtenus leurs marchés grâce à l'investissement des CDR.596 Au regard de tous ces constats, que dire des allégations qui dénient l'effort du CNR pour la diminution du chômage en brandissant les licenciements opérés ? « Les licenciements des instituteurs dont on parle, c'est un millier de personnes, plus un autre millier du aux sanctions révolutionnaires. ll ne faut pas exagérer. Ce n'est pas impressionnant. Qu'est-ce que cela représente par rapport au nombre de chomeurs qui était déjà sur le terrain ? Peut-être 2 ou 3%. Le fait d'avoir licencié des gens ne peut pas constituer a contrario un mouvement d'exagération du taux de l'augmentation du chomage. lême ceux qui ont été licenciés se sont reconvertis dans d'autres initiatives pour assurer leur survie. Certes, les licenciements ont renvoyé beaucoup de gens, mais les fonctionnaires représentent combien pour cent de la population ? ».597 L'évidence du reflux du chômage entre 1983 et 1987 est une réalité qui s'impose. IX.1.5. La diminution du banditismeY a-t-il eu flux ou reflux du banditisme entre 1983 et 1987 ? Voilà un autre champ de polémique. Les différentes dérives et pratiques déviationnistes dont la responsabilité incombait aux CDR a suscité des conclusions suivant lesquelles ils ont constitué des cadres de promotion d'une criminalité tolérée par le pouvoir. Ainsi, d'aucuns estiment qu'ils n'ont point contribué à la baisse du phénomène du banditisme dans la société. Les avis semblent facilement ne se cramponner que sur les agissements déviants et négatifs des CDR. Nous ne nous reconnaissons pas du tout dans de telles déductions qui de notre avis confessent un certain esprit partisan, subjectiviste et fixiste. Il est évident qu'on ne peut pas nier des faits d'exactions ou d'abus perpétrés par les CDR. Mais, on ne peut pas non plus dire qu'ils ont failli totalement à leur mission d'assurer la discipline et la sécurité des populations. En effet, les différentes patrouilles organisées au niveau des secteurs dissuadaient beaucoup les professionnels du vol ou du crime. Il était pratiquement impossible d'après les informations que nous avons eues pour un réseau de se constituer, d'opérer et de rester dans l'anonymat total, dans la mesure où la sécurité était assurée par des éléments locaux des secteurs : « C'était une sécurité populaire d'apres Achille TAPSOBA difficile a déjouer ».598 596 Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine partagée à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries, Paris, Karthala, page 324. 597 Achille TAPSOBA : entretien du 27 juillet 2005 à l'Assemblée nationale. 598 Idem. Il est vrai qu'on a pu assister à une reconversion de certains bandits parce que ne pouvant plus développer leurs anciennes méthodes de vol. D'autres mêmes avaient déposé leurs armes pour intégrer les structures populaires et chercher des occasions pour opérer de l'intérieur à l'insu de la population avec une couverture. Ce sont ces personnes qui se sont illustrées surtout dans les rackets, les exactions et les abus sur les gens. Mais, le plus souvent, elles étaient débusquées, puis poursuivies. Il faut noter que le CNR n'était pas inconscient des exagérations de ses structures. La première conférence des CDR avait reconnu la justesse de ces accusations et le président Thomas SANKARA était monté au créneau pour fustiger les dérives militaristes et autres égarements. Cette disposition du CNR à la critique sévère de ses propres relais politiques dissuadait beaucoup de tout comportement abusif. Les dissolutions de bureaux suivies d'élections libres et directes dans les secteurs, le temps et l'expérience avaient permis un réajustement des comportements des CDR au point qu' en 1987, on se plaignait moins des CDR qu'au début du processus.599 Soulignons enfin qu'en tant que garants de la morale révolutionnaire dans les secteurs, ils avaient réussi dans une certaine dimension à promouvoir une certaine équité, le respect d'autrui et de ses biens. Les TPC étaient à cet effet de véritables écoles de redressement des mauvais comportements. Il y avait moins de bagarres et d'injures. Au total, on peut dire qu'on a pu remarquer une nette diminution des délits et crimes. IX.2. Les limites : egarementsp glissements et resistances socialesToute la pratique des CDR n'avait pas rimé avec réussite. Effectivement, à côté des acquis reconnus dans leurs rapports avec les masses, la reconnaissance des égarements et excès est une vérité qu'il ne faut point réfuter. Il faut voir en ces actions déviantes, des revers sociaux qui ont souvent valu à la révolution une connotation négative dans certains milieux. Notre analyse se consacre ici à trois exemples d'échecs sociaux qui somme toute avaient alimenté la désaffection de la population vis-à-vis du pouvoir de façon générale : premièrement les abus et la crispation de la population, l'hostilité des milieux traditionnels et religieux et enfin la prolifération des armes à feu et le regain du banditisme après le 15 octobre 1887. 599 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les années sankara, Paris, L'Harmattan, page 188. IX.2.1. Abus et crispation de la population : la demobilisationLe glissement de l'action des CDR vers l'arbitraire et le coercitif, conjugué à des attitudes notoirement abusives, a souvent causé le ternissement de leur profil sociologique. Nos investigations nous ont offert l'occasion de découvrir véritablement des cas de vols, de viols, de brimades diverses auxquels des militants CDR mal intentionnés s'étaient livrés. Ces situations décevantes que le pouvoir avait d'ailleurs reconnues contribuèrent à l'animation d'un contexte de psychose au niveau de la population.600 « Le pouvoir politique est utilisé a ce niveau pour des calculs : il y a des mauvais éléments... Ces néo-féodaux [...] sont dans nos rangs... Ils s'installent dans les secteurs, dans les villages, dans les provinces en véritables potentats et puis ils sont tr.s dangereux - dans leur facon de faire - régnant et sévissant a la maniere des seigneurs de guerre, ils sont fascistes. Certains CDR ont fait des choses exécrables, indicibles... ».601 De telles bévues ne pouvaient pas manquer de provoquer un choc négatif au niveau de la population, un choc démobilisant qui avait entamé la corrosion des bases de popularité des structures. La ferveur populaire remarquable au début de la révolution allait connaître une évolution en decrescendo. En juillet 1986, malgré l'autocritique de la première conférence des CDR qui avait appelé au ressaisissement, le haut-commissaire du Kadiogo, le Sergent Alain ILBOUDO, reconnaissait la persistance du flux de la démobilisation.602 Ce qui démontrait bien l'incapacité dans laquelle les CDR se trouvaient pour juguler la perte de leur aptitude de séduction vis-à-vis d'une population qui refusait de lâcher prise sur un certain nombre d'excès dont elle était victime. Avec l'éclatement de la crise politique au sein du CNR, la démobilisation continua son chemin. Au sein même des CDR, nombreux furent surpris par les différentes sortes de contradictions entre les leaders qu'ils ne comprenaient plus, et se laissèrent gagner par la démotivation. La prestesse dans laquelle les projets révolutionnaires furent réalisés avait nécessité chaque fois un apport maximum de la population qui s'était vite lassée. Tout cela favorisait davantage cette démobilisation. Cet amollissement de la sympathie populaire constituait un échec social qui remettait en cause la constance et la fluidité de la communication entre le pouvoir et la population. 600 Voir le rapport de la 1er conférence des CDR à la page 137. 601 Thomas SANKARA, discours de clôture de la 1ere conférence des CDR, voir le document à la page 155. 602 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page104. IX.2.2. L'hostilité des milieux traditionnels et religieuxOn n'ignore pas l'inimitié que le CNR avait nourrie contre le pouvoir traditionnel, désigné comme ennemi numéro un au début de la révolution. Les attaques enflammées du CNR à l'encontre des circuits décisionnels traditionnels dont les CDR faisaient le relais et la liquidation systématique de leurs avantages économiques provoquèrent une hostilité de ceux-ci et de leur entourage qui, en fin de compte, n'étaient pas pour faciliter la politique du premier. Quoiqu'on dise, l'influence des autorités traditionnelles malgré le bellicisme du pouvoir révolutionnaire à leur endroit restait éclatante sur des populations auprès desquelles elles représentaient beaucoup de symboles. Une politique plus conciliatrice à leur endroit pouvait éviter cette opposition et augmenter les bases de représentation du pouvoir au sein des masses. En tant qu'incarnation des valeurs culturelles dans les sociétés, ces autorités pouvaient apporter un plus au processus de valorisation culturelle dans lequel le CNR s'était investi. Leur mise à l'écart détermina dès les premiers moments un poste de résistance occulte contre le CNR. En effet, nombreux de ceux qui étaient menacés ou disqualifiés par la révolution avaient recours à leurs pouvoirs mystico-religieux pour avoir une certaine protection. « De hauts-fonctionnaires ou hommes politiques prennent d'assaut les villages pour confier leurs personnes, leurs familles, leurs travaux aux fétiches. C'est aussi la période oft l'on éprouve la nécessité de porter au cou ou a la ceinture une amulette protectrice ou peut-être de rechercher des moyens subtils pour éliminer ses ennemis. Somme toute, la religion traditionnelle semblait etre le lieu oft beaucoup pouvaient trouver un système de défense et d'attaques ».603 Ce fut la même dynamique avec les milieux religieux chrétiens et musulmans. A ce propos, Richard BENEGAS parle d'une « insubordination symbolique dans la religiosité ».604 Ce fut « l'explosion de la religiosité populaire : résurgence islamique, essor de la piété chrétienne et recrudescence de la sorcellerie semblent aller de pair avec l'approfondissement du processus révolutionnaire ».605 Au niveau des églises catholiques et protestantes, en sus des responsables qui critiquaient la politique du CNR, des groupes de prières dits charismatiques s'étaient formés. Les énoncés religieux de ces mouvements charismatiques paraissaient d'abord exprimer une contestation du pouvoir car la plupart des participants étaient 603 Abbé Patrice KABORE, 1999, Révolution burkinabé d'Août et pratiques religieuses, impact et perspectives pastorales pour l'Archidiocèse de Ouagadougou, mémoire de théologie, Grand Séminaire Saint Pierre Claver de Koumi, pages 22 et23. 604 Richard BENEGAS, 1993, Insoumissions populaires et révolution au Burkina Faso, Bordeaux, CEAN, page 125. 605 Ibidem. 204 ceux dont le pouvoir se méfiait et qui avait le plus raison de le contester.606 On y trouvait facilement les victimes des épurations initiées par le pouvoir : licenciés, suspendus... Les témoignages étaient généralement axés sur les déboires personnels causés le plus souvent par le pouvoir. « Ainsi, le renouveau charismatique revetait une dimension objectivement protestataire dans la mesure oft il articulait et exprimait les frustrations. 1l fut « un mode d'énonciation politique des oppositions a la RDP dans le langage polysémique de la foi ».607 Au niveau des musulmans, la pratique religieuse connut une certaine vigueur si bien qu'on parla de réveil islamique : « La conversion a une vie de foi plus profonde et le retour a la pratique du culte s'operent de plus en plus ».608 Cette résurgence de l'islam cernait dans le fond une résistance politique au projet révolutionnaire : « Le bouillonnement islamique traduit [...] une volonté de la part de la communauté musulmane de se ménager des spheres d'autonomie face aux velléités étatiques. Développer des modes de sociabilité particuliers est une façon d'échapper aux structures de mobilisation officielles, de se protéger du contrôle serré d'un pouvoir de plus en plus intimiste ».609 Dans la mesure où le CNR utilisa les CDR pour maintenir ces sphères sous son cap, l'affirmation de cette dissection religieuse vis-à-vis de la logique révolutionnaire commentait un échec pour les défenseurs de la révolution. IX.2.3. La proliferation des armes a feu et le regain du banditisme au lendemain du 15 octobre 1987Parce que les CDR étaient chargés du maintien de l'ordre et de la sécurité, le CNR avait mis à leur disposition beaucoup d'armes. Ceux-ci s'en servaient dans leurs patrouilles nocturnes pour traquer voleurs et autres ennemis de la révolution. Une formation militaire leur avait permis de connaître les méthodes d'usage des différentes armes. La remise des armes aux CDR pour le maintien de la sécurité populaire avait atteint une certaine proportion si bien qu'on a pensé à un moment donné que la puissance de frappe des CDR dépassait celle des militaires classiques. De nombreuses personnes furent initiées dûment au maniement de véritables instruments de guerre. A l'occasion de la guerre de Noël, de nombreux militants militairement formés furent appelés sous les drapeaux. Le recours aux structures populaires pour la 606 Richard BENEGAS, 1993, Insoumissions populaires et révolution au Burkina Faso, Bordeaux, CEAN, page 127. 607 Ibidem. 608 Abbé Patrice KABORE, 1999, Révolution burkinabé d'Août et pratiques religieuses, impact et perspectives pastorales pour l'Archidiocèse de Ouagadougou, mémoire de théologie, Grand Séminaire Saint Pierre Claver de Koumi, page 23. 609 Richard BENEGAS, op cit, page 130. 205 défense de la patrie déterminait une définition claire de la base militaire populaire que le pouvoir croyait en ses relais politiques. De ce fait, il est facile de comprendre pourquoi le CNR n'hésitait pas à leur attribuer beaucoup d'armes et de surcroît sophistiquées. Mais, il y'avait un problème de contrôle de toutes ces armes mises en circulation dans les rangs des CDR. Ceci étant, il en résultait des dispersions voire des pertes. Avec le choc émotionnel du 15 octobre 1987, la démobilisation était totale. Certains éléments militairement formés dispersés dans les secteurs avec leurs armes hésitaient entre démission et vengeance.610 D'autres optèrent pour la fuite à l'étranger. Le désarroi et la léthargie avaient significativement gagné les rangs des CDR. Désarçonnés par l'assassinat de leur idole - premier militant CDR, tribun loquace de la révolution aux yeux des masses populaires - SANKARA incarnait aussi bien la révolution que les CDR. Sa fin tragique signifiait tout naturellement pour certains l'extinction de la révolution et le démantèlement des CDR. La vie à l'intérieur de la ville de Ouagadougou est notablement désorganisée. Avec la disparition des patrouilles armées des CDR, le banditisme fit sa rentrée en fanfare.611 « Le desarroi prevaut dans les peripheries en _~vrier 1988, tandis que dans le centre-ville, la petite delinquance connaft une brutale recrudescence attribuee par de nombreux Ouagalais a d'anciens CDR que la trop rapide destruction de leurs cadres d'organisation livre sans alternative a la rue ».612 A la fin du mois de juin 1988, des bandits armés avaient dévalisé un commerçant, emportant avec eux une somme de 6 millions de francs CFA.613 Pour des gens, notamment les opposants du CNR, de tels actes n'étaient imputables qu'aux CDR. Mais, quand les malfrats furent arrêtés, ils déclarèrent qu'ils avaient reçu les armes de la part de militaires complices.614 « Du temps des CDR, il y'avait une certaine securite ».615 On aime facilement jeter l'anathème sur les CDR lorsqu'il est question d'évoquer la recrudescence du banditisme dans l'après-15 octobre 1987. On ne peut certainement pas nier que des anciens militants possédant des armes avaient fait des glissements ayant favorisé le retour au printemps du fléau. Cependant, faire assumer cette responsabilité aux CDR seulement parait erroné. A ce titre, il faut dire que les auteurs du coup d'Etat du 15 octobre 1987 610 Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine partagée à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries, Paris, Karthala, page 271. 611 Ludo MARTENS, 1989, SANKARA, COMPAORE et la révolution, Paris, EPO International, page 250. 612 Sylvy JAGLIN, 1995, op cit, page 271. 613 Ludo MARTENS, 1989, op cit, page 255. 614 Ibidem. 615 Ibidem. 206 endossaient plus cette responsabilité par le fait d'avoir créé un climat de désorganisation et de laxisme en démettant les CDR de leur rôle de garant de la sécurité publique : « Du moment oft les armes de la sécurité populaire ont été retirées ; il est évident que cette sécurité devenait aléatoire. Par conséquent, le banditisme pouvait recommencer. Dire qu'apres le 15 octobre 1987 il y a eu regain de banditisme, c'est une vérité de la Palice ».616 Tout bien considéré, les conséquences de la politique sociale du CNR montrent que les CDR ont été des facteurs de changements sociologiques portés par un désir autogestionnaire. Il y a lieu de reconnaître au-delà des limites de leurs actions et des résistances, que ceux-ci ont réussi jusqu'à une certaine mesure, une mutation des consciences ayant solutionné de nombreux fléaux dans la société. On peut donc dire que la société à laquelle le CNR aspirait était en phase de construction. Avec les événements du 15 octobre 1987, cet élan avait marqué le pas. Le bilan politique et socio-économique des CDR au sein du CNR conjugue succès et échecs en même temps. Si leur illustration sur la scène purement politique a été des causes de divergences et de règlements de comptes, la dynamique socio-économique dans laquelle ils ont réussi à lancer le Burkina Faso constitue une expérience prodigieuse, objective qu'il faut saluer. Ils ont été les catalyseurs d'un réveil de conscience ayant permis un auto-développement qui fait parler de l'exception burkinabé. 616 Achille TAPSOBA : entretien du 27 Juillet 2005 à l'Assemblée nationale. 207 CONCLUSION GENERALELes CDR étaient une émanation du CNR, un support d'action politique économique et sociale du régime révolutionnaire arrivé au pouvoir d'Etat à partir du 04 août 1983. Clé de voûte du système révolutionnaire, leur avènement et leur implication à tous les niveaux de la vie nationale ont défini une rupture avec les modes de gestion des régimes antérieurs qui s'étaient succédé à la tête de l'Etat depuis les indépendances jusqu'à la date historique du 04 août 1983. Avec cette rupture, le Burkina Faso a été engagé dans une nouvelle expérience politique et socio économique mue d'une dynamique originale conférée par la recherche permanente de la participation directe du peuple à la construction nationale. La frénésie avec laquelle cette innovation a été faite dans la gestion politique et socio-économique et les dissentiments moussés de l'état-major avaient été sources de vicissitudes. Des brutalités, des comportements convulsifs, des dérapages... ont entraîné la déconsidération de ce système d'approfondissement et de pérennisation de la révolution dont la raison première était de faire le bonheur du peuple. L'avènement du 15 octobre 1987 a été en partie suscité par les dérives militaristes et autres excès des CDR dont la conséquence avait été la création d'un climat de psychose, de méfiance et de lassitude. Victimes de toutes sortes de récupération et d'instrumentalisation de la part de groupes politiques conspirant les uns contre les autres pour avoir le monopole de la conception de l'Etat révolutionnaire, les CDR avaient été transformés parfois en des outils de terreur politique : « Vengeances personnelles, actes politiques d'une extreme gravité [&], les CDR [s'engouffraient] peu a peu dans un terrorisme personnel a l'ancienne mode »617 d'après la presse internationale. Il est injuste d'occulter ou de nier purement et simplement le climat de violence actionnelle et verbale entretenu souvent par la passion et le fanatisme des défenseurs de la révolution. Certes, il y a bel et bien eu une logique de répression et même de dictature dans la pratique des CDR si bien que de nos jours l'évocation du mot CDR ne connote que négativement dans certains milieux. Cependant, « il est [aussi] injuste de surfacturer la note ».618 Le contenu de l'action des CDR se limite t-il à un cortège sombre de dérives et d'abus ? N'y a-t-il que du discrédit dans leur action ? De notre point de vue, se laisser aller à un bornage de l'oeuvre des CDR à un inventaire de méfaits nous parait se soustraire à une profondeur d'analyse. Il faut donc bannir les points de vue à l'emporte-pièce distillés à leur encontre. Les constats des différentes avancées que nous avons pu découvrir sur le plan socio-économique constituent des éléments à conviction qui prouvent que l'oeuvre des CDR a révélé plus de promotion de bien-être que de la crucifixion sociale. Si « le devoir premier des Etats, c'est le bien-être des populations qui les habitent »619, il faut accepter que les CDR ont permis à l'Etat révolutionnaire de s'appuyer sur eux pour la réussite de cette mission qui est prégnante dans tous les aspects. Vecteurs de la régularisation foncière, de l'équipement des espaces lotis et de la gestion des services de proximité, d'une réelle révolution des mentalités, les CDR ont davantage oeuvré pour le meilleur de l'existence des Burkinabé, nettement plus que les systèmes d'investissement public créés par les régimes précurseurs de la RDP. L'action des CDR a ainsi permis l'implication directe des populations dans la gestion de l'Etat sur tous les plans. On a assisté dans une certaine mesure à l'engagement d'un processus de démocratisation réelle. Les différents débats et conférences étaient des circonstances qui rapprochaient les populations de la chose publique. Certaines couches de la population, notamment rurales, jadis absentes de la vie politique, avaient désormais un droit de regard et de proposition par rapport à la gestion de leurs cadres d'existence et d'une manière générale de l'Etat. En considérant qu' « une République n'est véritablement démocratique que lorsqu'elle permet une participation effective des citoyens a la vie politique »,620 nous pouvons affirmer qu'ils ont constitué un mode d'organisation, un mode d'implication des populations à la base d'où l'expérience d'une démocratie de proximité qui était même en avance sur les politiques de décentralisation qui sont appliquées aujourd'hui dans le pays. L'action des CDR a contribué à la sensibilisation, à une certaine conscientisation à la base qui a suscité une conscience populaire poussant les citoyens à comprendre que leur avenir repose sur leurs propres mains. Comprendre que le Burkina Faso est un pays pauvre et qu'il revenait aux Burkinabé de réfléchir, de travailler et de se sacrifier pour créer leur espace de développement car, « il est utopique 618 Basile GUISSOU, 1995, Burkina Faso : un espoir en Afrique, Paris, L'Harmattan, page 95. 619 Raoul M. JENNAR, 1995, L'ONU et le citoyen, page 17. 620 Emmanuel AUBIN, 2003, L'essentiel de l'introduction à la vie politique, Paris, GUALINO, page17. et illusoire d'attendre qu'un riche vienne sortir un pauvre de sa pauvrete. C'est la meilleure facon d'endormir le peuple que de penser que les pays riches ont une vraie compassion pour les pays pauvres. C'est parce qu'ils sont riches qu'il y a des pauvres ».621 Un véritable réveil des consciences ayant permis un auto-développement indéniable dans un pays où la gabegie, le laxisme et la résignation avaient gagné les coeurs et les esprits. En somme, une expérience inédite. 621 Achille TAPSOBA : entretien du 27 juillet 2005 à l'Assemblée nationale. SOURCES ET BI BLIOGRAPHIEI. LES SOURCES ORALES
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PARE Oumarou « L'habitat social au Burkina Faso » in AGENCE DE COOPERATION CULTURELLE ET TECHNIQUE, 1985, Habitat social urbain dans les pays en développement, p.p. 80 - 95. SAVONNET-GUVOT Claudette, « Langage du pouvoir, pouvoir du langage » in POLITIQUE AFRICAINE N° 20, 1985, Le Burkina Faso, Paris, Karthala, p.p. 44 -55. 11.4.2. Articles de presse BAMBA Yaya Bogna, « Premieres assises de la CCPM a Ouahigouya : la medication a la crise de l'administration » in CARREFOUR AFRICAIN N°954 du 26 septembre 1986, p.p. 08 -11. BAMBA Yaya Bogna, « Suppression de la mendicite : difficulte d'application » in CARREFOUR AFRICAIN N°980 du 27 mars 1987, p.p. 10 - 12. BAMOUNI Babou Paulin, « Editorial : Le glas de la clarification » in CARREFOUR AFRICAIN N°832 du 25 mai 1984, pages 31 et 32. BAMOUNI Babou Paulin, « Ideologie : la Revolution d'Aoilt et l'idee de parti » in CARREFOUR AFRICAIN du 13 juillet 1984, page 7. BAMOUNI Babou Paulin, « Ideologie : le mot camarade », in CARREFOUR AFRICAIN N°808 du 09 décembre 1983, page 13. BAMOUNI Babou Paulin, « Idéologie : qu'est-ce que la gauche ou la droite ? m in CARREFOUR AFRICAIN N°796 DU 16 septembre 1983, page 16. BAMOUNI Babou Paulin, « La levee des incertitudes » in CARREFOUR AFRICAIN N°833 du 1er juin 1984, page 7. BAMOUNI Babou Paulin, « La revolution et la prise d'assaut des syndicats » in CARREFOUR AFRICAIN N°885 du 31 mai 1985, page 7. BONKIAN Jean Luc, « La vie des CDR » in CARREFOUR AFRICAIN N°795 du 09 septembre 1983, page 10. BONKOUNGOU Mathieu, « Integration des mendiants dans
les cours de solidarite : C.A., « Reponse a l'amphigouri d'un professeur inculte » in CARREFOUR AFRICAIN N°852 du 12 octobre 1984, page 32. CARREFOUR AFRICAIN N°980 du 27 mars 1987, « Editorial : Vers la disparition de la sebile », page 7. CARREFOUR AFRICAIN N°986 du 08 mai 1987, « Extrait de l'allocution du ministre du travail a l'occasion du ler mai », pages 16 et 17. CNR / SGN-CDR, « Communiqué autorisant la creation des CDR dans les services » in OBSERVATEUR N°2705, pages 1 et 6. COMPAORE François, « Lancement officiel du mouvement pionnier : nourrir les enfants de la seve revolutionnaire » in CARREFOUR AFRICAIN N°885 du 31 mai 1985, p.p. 14 - 16. COULIBALY Justin, « Le CNR a l'assaut du gauchisme » in CARREFOUR AFRICAIN N° 854 du 26 octobre 1984, pages 15 et 16. 222 DAMIBA Béatrice, « Les CDR, nerfs de la revolution » in CARREFOUR AFRICAIN N°799 du 07 octobre 1983, page 26. Dramane PARE, « Ouagadougou a l'ere des CDR sectoriels » in CARREFOUR AFRICAIN N°849 du 21 septembre 1984, pages 12 et 13. KAHOUN Joseph, « CSV - CDR : pas de conflit » in CARREFOUR AFRICAIN N°810 du 23 décembre 1983, page 13. KAMBOU Sassan, « CDR de l'Universite de Ouagadougou : au-dell de la theorisation » in CARREFOUR AFRICAIN N°974 du 13 février 1987, pages 18 et 19. KARAMBIRI Cheick, « La revolution est vigilance et exigence : un sport de masse pourquoi ? » in CARREFOUR AFRICAIN N°909 du 04 octobre 1985, pages 36 et 37. LE DOUANIER REVOLUTIONNAIRE N°03 :« Le douanier revolutionnaire accuse... », page 28. L'INTER-CDR, « L'Inter-CDR approuve le CNR - Motion de mise en garde - Motion de soutien au CNR et a son Président » in CARREFOUR AFRICAIN N° 832 du 25 mai 1984, page 11. L'INTRUS N°000 du 20 juin 1986 : 0' Chértane vaincu par le DOP », pages 1 et 6. L'INTRUS N°0020 du 7 novembre 1986 : 0' Tenue officielle burkinabe, vidons nos garde-robes », page 4. L'INTRUS N°0021 du 14 novembre 1986 : « Le retour des ayatollahs », pages 1 et 6. L'INTRUS N°0024 du 05 décembre 1986, 0' Vivre avec les masses ou bouffer avec les masses ? », page 7. L'INTRUS N°0035 du 20 février 1987 : « Lutte contre la corruption, l'exemple », pages 3 et 5. NANA Amado, « Comites de defense, la revolution vigilante » in CARREFOUR AFRICAIN N°790 - 791 du 12 août 1983, p.p. 21 - 23. NANA Amado, « Meeting du 03 Octobre, un soutien indefectible au discours d'orientation » in CARREFOUR AFRICAIN N°799 du 07 octobre 1983, pages 31 et 32. L'OBSERVATEUR N° 2653 du 16 août 1983, « CNR, les marches du week-end », page 6. L'OBSERVATEUR N° 2667 du 05 septembre 1983, page 10. L'OBSERVATEUR N°2687 du 03 octobre 1983, a, Communiqué du SNEAHV », pages 8 et 9. L'OBSERVATEUR N°2701 du 21 octobre 1983, « Compte rendu du conseil des ministres », page 8. L'OBSERVATEUR N°2692 du 10 octobre 1983, « Declaration syndicale commune du 09 Octobre 1983 », page 10. OUEDRAOGO Apolline et DABIRE Ferdinand, « La mutilation sexuelle : un egolsme deguise ? » in CARREFOUR AFRICAIN N°874 du 15 mars 1985, p.p. 15 - 18. OUEDRAOGO Apolline et DABIRE Ferdinand, « L'excision, une ceinture de chasteté » in CARREFOUR AFRICAIN N°874 du 15 mars 1985, entretien avec Adja Fatimata SAMASEGOU (exciseuse), pages 19 et 20. OUEDRAOGO Pierre, « Communiqué de presse du SNEAHV, les CDR repondent » in OBSERVATEUR N°2690 du 06 octobre 1983, pages 8 et 9. OUEDRAOGO Pierre, SGN-CDR, « Directives sur le mouvement pionnier » in CARREFOUR AFRICAIN N°885 du 31 mai 1985, pages 17 et 18. OUEDRAOGO Pierre, « Directive du Secretariat Générale National des CDR relative a la mise en place de l'organisation des femmes » in SIDWAYA N° 359 du 23 septembre 1985, page 2. 224 SAMA Marcelline et OUEDRAOGO Omar, « Les femmes dans la RDP » in CARREFOUR AFRICAIN N°894 du 02 août 1985, p.p. 17 - 20. SAWADOGO Germaine, « Mariage force : des filles en quete de liberte » in CARREFOUR AFRICAIN N° 832 du 25 mai 1984, page 24. SGN-CDR, « Conference nationale des CDR : le canevas pour les debats et les syntheses » in CARREFOUR AFRICAIN N°974 du 13 février 1987, p.p. 11 - 14. SIDWAYA N°789 du 10 Juin 1987, « Communication du Conseil National de la Revolution : le CNR encourage les CDR a poursuivre la neutralisation des ennemis de la RDP », page 1. S.X.S., « Dissolution du second gouvernement : une demarche pedagogique revolutionnaire » in CARREFOUR AFRICAIN N°897 du 23 août 1985, pages 15 et 16. S.X.S., « Portee politique et opportunites techniques de l'ordonnance du 31 decembre 1984 » in CARREFOUR AFRICAIN N°866 du 18 janvier 1985, page 19. TAPSOBA Clément, « Tentative de destabilisation dejouee : la genese d'un complot de pleine naivete » in CARREFOUR AFRICAIN N°835 du 15 juin 1984, p.p. 12 -16. TAPSOBA Clément, « Un instrument au service du peuple » in CARREFOUR AFRICAIN N°833 du 1er juin 1983, page 6. TIAO Luc Adolphe, « Les journalistes revendiquent une presse democratique et populaire » in CARREFOUR AFRICAIN N°822 du 16 mars 1984, page 29. TIAO Luc Adolphe, « Les lecons d'un complot droitiste » in CARREFOUR AFRICAIN N°835 du 15 juin 1984, page 7. TOURE Adama, « Un phare lumineux dans la lutte revolutionnaire » in CARREFOUR AFRICAIN N°799 du 07 octobre 1983, page 09. 225 WIBGA Lucien, Directeur du commerce intérieur, « Des boites de nuit » in OBSERVATEUR N° 2707 du 31 octobre 1983, page 6. YAMEOGO Clarisse, « Camarades ! Mobilisons-nous autour de notre journal "Le douanier révolutionnairea et ses objectifs », LE DOUANIER REVOLUTIONNAIRE N°02, pages 18 et 19. ZERBO Salia, « Le train de la révolution en marche » in CARREFOUR AFRICAIN N° 799 du 07 octobre 1983, page 23. ZOUNGRANA Tarbzanga, « L'esprit du 1er Mai » in CARREFOUR AFRICAIN N°934 du 09 mai 1986, pages 10 et 11. 11.2.3. Discours, interviews et publications officielles Discours de Thomas SANKARA le 26 mars 1983 à la place du 03 janvier in CARREFOUR AFRICAIN N° du 1er avril 1983, in http :// www.thomassankara.net dans la rubrique DISCOURS. CNR, « Proclamation du coup d'Etat du 04 aoat 1983(changement du régime) » in JOUNAL OFFICIEL N° 32 du 11 août 1983, page 860. CNR, 1983, Discours d'Orientation Politique(DOP), Ouagadougou, Imprimerie de la Presse Ecrite, 45 pages. CNR, 1984, Statut Général de Comités de Défense de la Révolution, Ouagadougou, Imprimerie Nationale, 54 pages. CNR, 1986, Plan Quinquennal-1986-1990, vol I pp. 65 et 67. Capitaine Thomas SANKARA, « Le deu)ieme anniversaire de la RDP ponctue une étape qualitative nouvelle dans notre marche en avant », Discours de l'An II in SIDWAYA N°327 du 06 Août 1985, page 4. 226 Capitaine Thomas SANKARA, interviewé par Guy DELBREL et Marie Laure DE DECKER de L'AUTRE JOURNAL en Avril 1986, in http://www.thomassankara.net dans la rubrique INTERVIEWS. Capitaine Thomas SANKARA, « L'abus de pouvoir doit etre étranger aux CDR », Discours de clôture de la 1ere conférence des CDR in Résultat des travaux de la première conférence des CDR, p.p.143-167. Capitaine Thomas SANKARA, Discours de l'An III de la DOP : « Le DOP doit etre enrichi de nos expériences quotidiennes ... » in SIDWAYA N°619 du 6 octobre 1986, pages 8 et 9. Capitaine Thomas SANKARA, Discours de l'An III de la RDP, in SIDWAYA N°575 du 04 aout 1986, pages 3 et 4. Capitaine Thomas SANKARA, « Sauver l'arbre, l'environnement et la vie tout court », Discours prononcé lors de la tenue de la conférence internationale sur l'arbre et la forêt à Paris le 05/02/1986% in SIDWAYA N°456 du 06 février 1986, pages 3 et 4. Capitaine Thomas SANKARA, « Le Francais doit accepter les autres langues », Discours lors de la visite de François MITTERRAND à Ouagadougou le 17 novembre 1986 in SIDWAYA http :// www.thomassankara.net dans la rubrique DISCOURS. Capitaine Thomas SANKARA « Nous préférons un pas avec le peuple que dix pas sans le peuple » Discours de l'An IV de la RDP in CARREFOUR AFRICAIN N°1000 du 21 aout 1987, p.p. 7 - 11. Capitaine Thomas SANKARA, « Libération de la femme, une exigence future » Discours du 08 mars 1987 in Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : Les années SANKARA, Paris, L'Harmattan, p.p. 295 à 324. FRONT POPULAIRE, 1988, Assises nationales sur le bilan des quatre années de la Révolution, Ouagadougou, Imprimerie des Forces Armées Populaires, 150 pages. 227 11.2.4. LOIS Année 1983 Ordonnance N° 83 - 012 / CNR / PRES du 15 septembre 1983 portant division du territoire de la République de Haute Volta en 25 provinces in JOURNAL OFFICIEL N° 3N du 22 septembre 1983, p.p. 992 - 993. Ordonnance N° 83 - 012 / CNR / PRES du 15 septembre 1983 portant division du territoire de la République de Haute Volta en 25 provinces in JOURNAL OFFICIEL N° 3N du 22 septembre 1983, p.p. 992 - 993. Décret N°83 - 264 / CNR / PRES du 23 décembre 1983, portant détermination des nouvelles limites principales villes et division du territoire communal en secteurs in JOURNAL OFFICIEL N°52 du 29 décembre 1983, p.p. 1354 - 1358. Ordonnance N° 83 - 018 /CNR / PRES du 19 décembre 1983 portant création des Tribunaux Populaires de la Révolution (TPR) in JOURNAL OFFICIEL N°7 du 7 février 1984, page Année 1984 Arrêté N°65 MEC / SG / DGUTC du 11 mai 1984, fixant les attributions, l'organisation et le fonctionnement de la Direction générale de l'Urbanisme et de la Topographie in JOURNAL OFFICIEL N°24 du 14 juin 1984, p.p. 552%554. Décret N°84-203 / CNR /PRES /IS / MEC du 1er juin 1984, déterminant le cadre le cadre juridique de l' « Opération lotissement Ville de Ouagadougou » et les conditions d'octroi et de jouissance des parcelles issues de ladite opération, in JOURNAL OFFICIEL N°25 du 21 juin 1984, page Ordonnance N° 85 - 050 / CNR / PRES du 04 août 1984 portant Réorganisation Agraire et Foncière (RAF) au Burkina Faso in JOURNAL OFFICIEL N°33 du 16 avril 1984, p.p. 806 - 809. 228 Décret N°84-313 / CNR / PRES du 21 août 1984, portant création d'un projet de construction « citée An II » in JOURNAL OFFICIEL N°34 du 23 août 1984, page 846. Année 1985 Ordonnance N°85 -001 /PRES/CNR portant création du Conseil Révolutionnaire Economique et Social in CARREFOUR AFRICAIN N°891 du 12 juillet 1985, page 8. Décret N°83 - 317 / CNR / PRES / EQUIP du 07 juin 1985 portant création de structures et fixant les conditions de réalisation des opérations et d'aménagement urbain in JOURNAL OFFICIEL N° 27 du 04 juillet 1985, p.p. 676 - 678. Ordonnance N°85-037 / CNR/ PRES du 04 Août 1985 portant création et organisation de tribunaux populaires de secteurs, villages, départements et provinces au Burkina Faso in CARREFOUR AFRICAIN N°896 du 16 août 1985 ,page 15. Décret N°85-405 / CNR / PRES/ MED/ MIJ portant organisation et fonctionnement des tribunaux populaires de secteurs, villages, départements du Burkina Faso in CARREFOUR AFRICAIN N°897 du 23 août 1985, page 26. Décret N° 85 - 317 / CNR / PRES / EQUIP du 07 juin 1985 portant création de structures et fixant les conditions de réalisation des opérations d'aménagement urbain in JOURNAL OFFICIEL N° 27 du 04 juillet 1985, p.p. 676 - 678. Kiti N°85 - 108 / CNR / PRES/ du 02 novembre 1985 portant création des Structures Dirigeante de l'Exécutif Révolutionnaire in JOURNAL OFFICIEL N°46, page 1163. Ordonnance N°84-89 / CNR / PRES / du 31 décembre 1984, portant suspension de paiement des loyers et reversement de certains loyers à l'Etat, in JOURNAL OFFICIEL N° 1 du 03 janvier 1985, page 09. Décret N°85-404 / CNR / PRES du 04 août 1985, portant application de la Réorganisation agraire et foncière au Burkina Faso, in JOURNAL OFFICIEL N°34 du 22 août 1985 Ordonnance N°38-37 / CNR / PRES du 04 août 1985, portant création des Tribunaux populaires de secteurs, villages, département et provinces au Burkina Faso, in JOURNAL OFFICIEL N°34 du 22 août 1985 Déclaration N°85-1 / CNR / PRES du 31 août 1985, supprimant les appellations lois, décret, arrêtés et consacrant en leur lieu et place les appellations zatu, kiti et raabo in JOURNAL OFFICIEL N°38 du 19 septembre 1985. Année 1986 Zatu N°86-1 / CNR / PRES du 8 janvier, instituant un Effort Populaire d'Investissement (EPI) in JOURNAL OFFICIEL N°3 du 16 janvier 1986, page 42 Kiti N°86-23 / CNR / PRES du 6 février 1986, portant création d'un groupement d'intérêt Economique du Marché central de Ouagadougou in JOURNAL OFFICIEL N°8 du 13 février 1986, page 99. Kiti N°86-60 / CNR / PRES du 19 février 1986, portant création, organisation et fonctionnement d'un Fonds de l'Habitat au Burkina Faso in JOURNAL OFFICIEL N°9 du 27 février 1986, p.p. 138-139. Kiti N°86-199 / CNR / PRES / PRECO du 21 mai 1986, portant d'un Comité de Gestion de la Cité An III in JOURNAL OFFICIEL N°22 du 29 mai 1986, p.p.391-392. Zatu N°An IV-1 / CNR / MPDP du 04 août 1986, portant adoption du Premier Plan Quinquennal de Développement Populaire 1986-1990 et Zatu N°An IV-2 / CNR / MPDP, portant mise en oeuvre du Premier Quinquennal de Développement Populaire 1986- 1990 in JOURNAL OFFICIEL N°32 du 07 août 1986, p.p.654-656. Année 1987 Kiti N° An IV-305 / CNR / MATS du 5 mars 1987, portant réorganisation administrative de la province du Kadiogo in JOURNAL OFFICIEL N°11 du 12 mars 1987, p.p.244-246. Directives conjointes N°86-0003 du 04 août 1986 du SGN-CDR et du Ministère de la Justice relative à la mise en place des Tribunaux Populaire de Conciliation(TPC) dans les secteurs et villages du Burkina Faso, in CARREFOUR AFRICAIN N°921 du 07 février 1986. Zatu N°An V-1/FP du 15 octobre 1987, portant création du Front Populaire in JOURNAL OFFICIEL N°44 du 29 octobre 1987. III. LES SOURCES AUDIO VISUELLES Robin SHUFFIELD, 2006, Thomas SANKARA, l'homme intègre, ZORN INTERNATIONAL, 52 minutes. Didier MAURO et Thuy-Tiên HO, 2007, Fratricide au Burkina, Thomas SANKARA et la françafrique, RFO - ICTV, 52 minutes. Armand GBAKA-BREDE, 2006, Quand Sankara..., 8 minutes. Didier MAURO et Marie Roger BILOA, 1988, Capitaine Thomas Sankara, requiem pour un Président assassiné, 45 minutes. IV. LES SOURCES WE BIOGRAPHIQUES : SITES INTERNET http://www.politique_africaine.com http://www.sanfinna.com http://WWW.mongobeti.arts.uwa.edu.au http://www.journalbendre.net TABLE DES ILLUSTRATIONSFigure 1:Les armoiries du Burkina Faso sous le CNR. Source : site Internet : http://thomassankara.net 22 Figure 2: Le logo des CDR. Source : SGN-CDR, Statut Général des CDR, page de garde 27 Figure 3: Illustration de l'organisation pyramidale des CDR 32 Figure 4: Le bureau CDR du secteur 12 de Bobo Dioulasso devant sa permanence. Source : SIDWAYA/ Archives 39 Figure 5: Permanences CDR des secteurs 20 et 22. Source : Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine partagée à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries, page 313. 40 Figure 6: La permanence CDR de la Cité An II. Source : SIDWAYA/ Archives 41 Figure 7: Des militants CDR militairement formés au pas bloqué lors d'un défilé. Source : SIDWAYA / Archives. 47 Figure 8: Illustration du maillage de l'administration par les CDR à travers les SDER 50 Figure 9: Illustration de l'organisation administrative de la Ville de Ouagadougou avec les CDR 52 Figure 10: Superposition des anciens quartiers et des secteurs en 1983. Source : Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine partagée à Ouagadougou: pouvoirs et périphéries, Paris, Karthala, page 79. 59 Figure 11:Thomas SANKARA en conversation avec Son Eminence Le Cardinal Paul ZOUNGRANA. Source : Présidence du Faso/ Archives nationales 80 Figure 12: Un rang de pionniers en 1987. Source : http://thomassankara.net 109 Figure 13: Les petits chanteurs au poing levé pendant le diner gala du sommet de la CEAO en aout 1986 à Ouagadougou. Source : Présidence du Faso/Archives nationales. Cote : 5Fi 571 111 232 Figure 14: Thomas SANKARA jouant à la batterie lors d'une soirée en 1987. Source : Présidence du Faso /Archives nationales. Cote : 5 Fi 654 124 Figure 15: Lutte contre la prostitution : rencontre du Président Thomas SANKARA avec les prostituées au Mess des Officiers le 18 mai 1987. Source : Présidence du Faso - Archives Nationales Côtes : 6 fi 754, 6 fi 756, 6 fi 757, 6 fi 758, 6 fi 759, 6 fi 760, 6 fi761 ... 139 Figure 16: Les cités révolutionnaires An III et An IV. Source : Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine partagée à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries, Paris, Karthala, page 433. 187
CHAPITRE I : LE CONTEXTE SOCIO-POLITIQUE A LA VEILLE DE LA REVOLUTION . 12
III.1.1. L'organisation structurelle des CDR : définition, attributions et règles de fonctionnement 27 III.1.2. Les conditions d'adhésion à un CDR 32 III.1.3. Les cas de sanction et de dissolution 33 III.2. LES OBJECTIFS DES CDR DANS LA REVOLUTION 33 III.2.1. L'exercice du pouvoir populaire selon le principe du centralisme-démocratique 34 II.2.2. La défense et la consolidation de la révolution 35 III.3. MOYENS ET METHODES D'ACTION DES CDR POUR LA DEFENSE DE LA REVOLUTION.... 3 III.3.1. Les moyens financiers 37 III.3.2. Les permanences CDR : points d'appui de l'action des CDR 37 III.3.3. La propagande révolutionnaire 41 III.3.4. La formation militaire, le port d'arme et la tenue CDR 43 CHAPITRE IV : L'ACTION POLITIQUE DES CDR 48 IV.1. L'OEUVRE DES CDR DANS L'ADMINISTRATION 4 IV.1.1. La vulgarisation et l'application des directives du CNR 48 IV.1.2. Les CDR, gestionnaires d'une administration de proximité 51 IV.1.3. Le maintien de l'ordre public 53
IV.4.1. Le mutisme des confessions chrétiennes 79 V.4.2. Les ingérences dans la communauté musulmane 83 DEUXIEME PARTIE : 88 LES CDR ET L'EXERCICE DU POUVOIR SOCIO-ECONOMIQUE DU CNR : PARTICIPATION POPULAIRE ET CONSTRUCTION D'UNE SOCIETE NOUVELLE 88 CHAPITRE V : L'ACTION SOCIO-ECONOMIQUE DES CDR : L'IMPLICATION DES CDR DANS LA POLITIQUE SOCIO-ECONOMIQUE DU CNR 90
V.2.1. La bataille du rail 99 V.2.2. Halte à la désertification : les trois luttes 100 V.2.3. La santé à la portée de tous 103 V.2.4. L'éducation : l'école révolutionnaire et l'alphabétisation des masses 108 V.2.5. La politique du logement : avènement d'une nouvelle ère urbaine 112 V.2.6. Compter sur ses propres forces : « Produire et consommer burkinabe » 117 CHAPITRE VI: RAPPORT AVEC LES MASSES : re REVOLUTIONNER LES MENTALITES POUR UNE SOCIETE NOUVELLE » 120
VI.2.1. La création de l'UFB : une structure statutairement rattachée aux CDR 132 VI 2.2. Libérer la femme économiquement 134 VI.2.3. La lutte contre la prostitution 137 VI.2.4. A bas, le mariage forcé et l'amour commercial 140 VI.2.5. La lutte contre l'excision 142 TROISIEME PARTIE : 145 LES CONSEQUENCES DE L'ACTION DES CDR 145 CHAPITRE VII : L'UNIPOLARISATION DU POUVOIR ET LE CHAMBOULEMENT DES RAPPORTS D'HEGEMONIE 147 VII .1. LE CANTONNEMENT DES PARTIS ET LA CONDAMNATION A MORT DE L'OPPOSITION 14~ VII.1.1. L'élimination des partis politiques de droite 148 VII.1.2. La « légitimation forcée» du pouvoir révolutionnaire 150 VII.2. L'AFFAIBLISSEMENT DES SYNDICATS ........................................................ 151 VII.2.1. De la division au front syndical : un syndicalisme révolutionnaire contre la révolution 151 VII.2.2. La répression des syndicats 154 VII.3. LES REPERCUSSIONS DE LA CAMPAGNE ANTI REACTIONNAIRE SUR LES ORGANES DE PRESSE.................................................................................................. 159 VII.3.1. L'instrumentalisation de la presse d'Etat 160
VIII.2. LES LIMITES DE L'AUTO-AJUSTEMENT REVOLUTIONNAIRE ............................... 19~
CHAPITRE IX : LA SOCIALISATION REVOLUTIONNAIRE : SUCCES, PERVERSITES ET RESISTANCES 195 IX.1. LES ACQUIS SOCIAUX 195 IX.1.1. Un réel changement des mentalités 195 IX.I.2. Le succès de la scolarisation et de l'alphabétisation 196 IX.1.3. L'amélioration des conditions de vie et de santé 197 IX.1.4. La création d'emplois et la réduction du chômage 198 IX.1.5. La diminution du banditisme 200 IX.2. LES LIMITES : EGAREMENTS, GLISSEMENTS ET RESISTANCES SOCIALES 201 IX.2.1. ABUS ET CRISPATION DE LA POPULATION : LA DEMOBILISATION 202 IX.2.2. L'hostilité des milieux traditionnels et religieux 203 IX.2.3. La prolifération des armes à feu et le regain du banditisme au lendemain du 15 octobre 1987 204 CONCLUSION GENERALE 207 SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE 210 I. LES SOURCES ORALES 210 II. SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES 211
II.4.1. Revues 218 II.4.2. Articles de presse 220 II.2.3. Discours, interviews et publications officielles 225 II.2.4. LOIS 227 III. LES SOURCES AUDIO VISUELLES 230 IV. LES SOURCES WEBIOGRAPHIQUES : SITES INTERNET 230 TABLE DES ILLUSTRATIONS 231 TABLE DES MATIERES 233
| "Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit." |