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Les soins psychiatriques sans consentement : la réforme du 5 juillet 2011

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par Delphine ROUZO
Université Catholique de Lille - Master 2 Droit de la responsabilité médicale 2012
  

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CHAPITRE II : LA JUDICIARISATION DU CONTROLE DES SOINS SANS
CONSENTEMENT

L'ensemble des acteurs de santé et de la justice évoquent encore aujourd'hui, un an après la promulgation de la loi du 5 juillet 2011, la problématique de l'organisation des audiences devant le JLD. A l'heure où nous écrivons ces lignes, aucune solution pérenne n'a été dégagée au niveau national. Débordés par les bouleversements massifs surtout d'ordre procéduraux qu'a engendré la réforme des soins en psychiatrie, ni les établissements de santé ni les acteurs judiciaires n'ont véritablement étudié le problème et surtout les enjeux que posait et pose toujours l'audience du patient devant le juge. L'ARS Nord -Pas-de-Calais a quant à elle, pris l'initiative de réunir d'une part les présidents des TGI, les JLD, les services juridiques de la préfecture et ceux de la cellule des soins soumis à décision administrative de l'ARS, et d'autre part les établissements de santé accueillant des patients soumis à des soins psychiatriques. L'objectif est de parvenir à dégager un consensus régional notamment à cette problématique des audiences (Section 1), mais aussi de prévoir le transfert de compétences au niveau des contentieux en matière de soins psychiatriques au juge judiciaire à compter du 1er janvier 2013. En effet, cette unification du contentieux, qui est encore de la compétence du juge administratif, n'est pas sans poser bon nombre de problèmes qu'il convient d'anticiper afin d'éviter la désorganisation complète d'un système d'ores et déjà sur le fil (Section 2).

Section 1 : Les difficultés pratiques d'organisation des audiences devant le juge judiciaire

La tenue des audiences devant le JLD n'est pas sans poser certaines difficultés d'ordre matériel et organisationnel qui elles-mêmes ont de sérieuses conséquences quant à la sécurité et aux droits de la défense des patients (§1). L'investissement des acteurs du monde judiciaire et de la santé est essentiel afin de parvenir à établir des solutions viables

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ainsi que des protocoles qui permettraient de fluidifier les procédures imposées par la loi nouvelle (§2).

§1 - Les difficultés liées à la tenue des audiences

La cellule des soins soumis à décision administrative de l'ARS NPDC nous a signalé plusieurs difficultés d'organisation liée au lieu de l'audience, à son déroulement ainsi qu'au transport des patients jusqu'au tribunal. Celles-ci révèlent des conséquences préoccupantes pour la sécurité et les droits des patients.

D'après les chiffres transmis par le ministère de la justice trois mois après la promulgation de la loi du 5 juillet 2011, 73% des audiences JLD se tiennent au sein du TGI. Pourtant, le législateur a prévu trois modalités de déroulement des audiences : soit le patient se présente devant le JLD au tribunal, soit le juge se déplace à l'hôpital, soit on utilise le système de la visioconférence. Mais la plus grande majorité des JLD imposent l'organisation des audiences au tribunal, refusant catégoriquement de se déplacer dans les établissements de santé. Le principe des audiences foraines est dans l'ensemble bien mal accepté par les juges. Ainsi, la loi n'imposant pas de modalité d'audience à l'égard des patients souffrant de troubles mentaux, le lieu des audiences dépend de la volonté du juge. D'un tribunal à l'autre, la conception de la mise en oeuvre de la loi nouvelle est radicalement différente. Ainsi par exemple, les juges du tribunal de la ville de Pontoise située en Ile-de-France se déplacent systématiquement dans les hôpitaux de son ressort131. Chacun des hôpitaux se doit de réserver une salle spécialement aménagée pour accueillir le tribunal qui entendra les patients. Les « salles d'audiences » doivent faire l'objet d'un aménagement spécial, permettant notamment la tenue d'audiences publiques. Pour autant, il est fréquent que les juges demandent le huit clos, afin de préserver le secret médical.

Si la plupart des juges ne se déplacent pas, l'audience foraine à l'hôpital est largement plébiscitée par les psychiatres : un chef de secteur de l'hôpital d'Esquirol à Saint Maurice (Val de Marne) résume bien l'opinion générale des médecins : « Il faut un chauffeur, deux aides-soignants. C'est une dépense stupide. Je trouve qu'il vaut mieux

131 Voir article du journal Libération du 25 octobre 2011 en annexe III.

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transporter des magistrats en bonne santé à l'hôpital que d'accompagner des malades en souffrance au palais de justice.»

M. SELTENSPERGER, premier vice-président en charge de la coordination des juges des libertés et de la détention estime a contrario que « les audiences foraines ne sont pas justifiées au plan professionnel et ne sont pas compatibles, aux plans intellectuel et juridique, avec l'esprit de la récente loi. » Nombreux sont ainsi les magistrats qui aujourd'hui, passent outre l'aspect pratique mais aussi et surtout humaniste, au profit d'une pure question de principe et de symbolique : une audience se déroule dans un tribunal. Qui plus est, cette position porte atteinte aux droits de la défense, puisque lorsque le magistrat impose la tenue de l'audience au tribunal, de nombreux patients ne sont pas en état de s'y présenter ou ne sont pas transportables. Dans ce cas, un avocat commis d'office est bien sûr appelé à représenter le patient. Sauf que l'avocat n'a pas toujours le temps et la possibilité de rencontrer le patient avant l`audience, et ne peut de ce fait, qu'assurer une défense sur dossier, c'est-à-dire somme toute, insuffisante.

Or, cette position n'est pas du tout celle tenue par la plupart des observateurs de la mise en oeuvre de la réforme : par exemple, MM. BLISKO et LEFRAND, députés et auteurs du rapport d'information sur la mise en oeuvre de la loi du 5 juillet 2011132recommandent fortement la généralisation de la pratique des audiences à l'hôpital. Il faut demander (imposer ?) aux JLD de se déplacer à l'hôpital. Ce point de vue est également partagé par une autorité de poids qu'est le Contrôleur général des lieux de privation de liberté133 : ce dernier considère que le palais de justice n'est pas un lieu adapté aux audiences de patients soumis à des soins psychiatriques, car ceux-ci ne sont alors ni requérant, ni cités à comparaitre.

132 Rapport d'information déposé par la Commission des affaires sociales sur la mise en oeuvre de la loi n°2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prose en charge, 22 février 2012.

133 La loi n°2007-1545 du 30 octobre 2007 a institué le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Il s'agit d'une « autorité indépendante, chargée, sans préjudice des prérogatives que la loi attribue aux autorités judiciaires ou juridictionnelles, de contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s'assurer du respect de leurs droits fondamentaux. Dans la limite de ses attributions, il ne reçoit d'instructions d'aucune autorité. »

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Autre argument plaidant en faveur des audiences à l'hôpital : le problème de l'accueil des patients au TGI. En effet, rares sont les tribunaux ayant eu les moyens (ou même la volonté ?) d'aménager des salles d'audiences ainsi que des créneaux horaires spécialement dédiés aux patients comparaissant suite à une admission en soins psychiatriques sous contrainte. Or, il est évident qu'il s'agit d'une population particulièrement fragile et instable, qui requiert des locaux (ce ne sont pas des délinquants mais des patient) et une surveillance particulière en attendant d'être entendu par le juge. Ils ne sauraient être mélangés avec prévenus et autres gardés à vue souvent menottés et accompagnés par les forces de l'ordre. Il en va de leur sécurité physique mais aussi mentale.

En outre, si le patient est dans l'obligation de se déplacer au TGI, se pose nécessairement le problème de son transport. En effet, au moins deux infirmiers doivent assurer le transport du patient jusqu'au tribunal, puis sa surveillance en attendant l'audience, puis son retour jusqu'à l'établissement de santé. Parfois, un patient peut ainsi monopoliser deux soignants pendant une demi-journée entière, ce dont il résulte deux personnels en moins qui procurent les soins aux patients, ce qui constitue tout de même le coeur d'activité.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté s'est également prononcé sur la troisième modalité d'audience que constitue la visioconférence. Evidemment, la quasi-totalité des services de psychiatrie ont refusé en bloc cette modalité, au regard des risques évidents des réactions de patients atteints de certaines pathologies telles que la paranoïa ou la schizophrénie. Dans un avis du 14 octobre 2011 relatif à l'emploi de la visioconférence à l'égard des personnes privées de liberté134, le CGLPL relève tout d'abord les avantages que présente le recours à la visioconférence : gain de temps pour les personnels soignants, réduction des risques liés au déplacement de personnes potentiellement dangereuses. Pour autant, il souligne aussi les répercussions du contact virtuel sur les droits de la défense. En premier lieu, se pose le problème du lieu où doit se trouver l'avocat du patient. Il doit en effet forcément choisir entre être matériellement présent auprès du patient ou auprès du juge. Dans les deux cas, il semble compliqué d'assurer une défense efficace en ne pouvant

134 Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Avis du 14 octobre 2011 relatif à l'emploi de la visioconférence à l'égard des personnes privées de liberté, Journal Officiel n°0260 du 9 novembre 2011.

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communiquer directement avec le patient ou avec le juge. Dans un second temps, le contrôleur prend en compte la potentielle difficulté d'expression devant une caméra et un micro : s'exprimer de manière intelligible et sans appréhension pour un patient souffrant d'une maladie mentale relève de l'utopie. Il s'agit d'un cadre qui peut être extrêmement inconfortable et anxiogène pour eux. L'appréciation du juge risque donc d'être faussée. Dans ses recommandations, le CGLPL rappelle donc que le face-à-face en audience « normale » ou foraine est la règle et que la visioconférence ne doit être que l'exception.

Loin de faciliter l'exercice des droits de la défense, la pratique de la visioconférence semble donc plutôt les réduire. Enfin, le CGLPL précise que cette pratique ne doit en aucun cas intervenir pour des questions de « simple commodité » ou pour des raisons d'économie.

Face à ces difficultés organisationnelles, seule une collaboration accrue entre les différents protagonistes permettra de dégager des pistes de réflexions et à terme, des solutions pérennes afin de préserver les droits des malades.

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"Le don sans la technique n'est qu'une maladie"