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Le pouvoir de standard and poor's, illustration de la raison néolibérale

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par Elise Fraysse
Université Lyon 2 Lumière - Master 1 2012
  

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Section 2. Le néolibéralisme, fruit de l'Histoire

La croissance de la dette à partir des années 1980 n'est pas le fruit du hasard. Elle est le résultat d'une nouvelle politique, menée notamment par Margaret Thatcher et Ronald Reagan. La dette, tant privée que publique, est même encouragée, pour lutter contre la stagflation, à l'aide de taux d'intérêt élevés. Afin de financer l'économie, le recours à l'emprunt va être privilégié au détriment du recours à l'impôt ou à l'inflation. De même, en recourant aux privatisations des entreprises publiques, à la diminution de la pression fiscale, on assiste à une certaine « désacralisation du fait politique et la perte de prestige et d'autorité des dirigeants »10 si bien

6 Lacoste (Olivier), 1945-2000 : la mutation des dettes et des crises, Alternatives Economiques, La dette et ses crises, Hors-Série n°91, 2012, p. 21

7 Insee, Comptes nationaux annuels - Base 2005

8 Standard and Poor's, Guide to Credit Rating Essential, 2011, p. 5

9 Standard and Poor's, A history of Standard and Poor's 1981-1987, 2009, en ligne : < http://www.standardandpoors.com/about-sp/timeline/en/us/>

10 Gérard (Jacques), Comprendre la dette, Le Monde, 4 mai 2012

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que, comme le note Jacques Gérard, « l'occupant de la place Beauvau n'est plus ministre de l'Intérieur mais ministre des policiers, celui de la rue de Grenelle, ministre des enseignants »11... Quand l'un de ces groupes n'obtient pas satisfaction, la révolte peut être violente, d'où l'octroi de ressources supplémentaires. Les classes aisées, quant à elles, demandent à être moins imposées fiscalement, par le biais de leurs représentants politiques. Ainsi, l'Etat gagne moins, du fait des privatisations, et il dépense plus, du fait du dérèglement du fonctionnement démocratique, d'où l'accroissement de la dette.

La politique initiée par Margaret Thatcher et Ronald Reagan et relayée par tant d'autres dirigeants nait en réaction à celle menée auparavant, qui faisait prévaloir une conception interventionniste de l'Etat. C'est dans le modèle néolibéral que l'on a trouvé une réponse aux défaillances du modèle de l'Etat Providence. Si l'Histoire se construit en réaction au passé, elle n'est pas pour autant réactionnaire ; elle ne fait pas marche arrière, si bien que le néolibéralisme n'est pas le libéralisme. Le néolibéralisme est ainsi également apparu « contre l'idéologie naturaliste du laissez faire »12. En effet, selon la raison libérale, toute intervention de l'Etat dans l'économie est proscrite, puisqu'elle ne fait que déranger le marché, naturel et régi par une « main invisible », pour reprendre les mots d'Adam Smith. Le néolibéralisme rompt avec cela dans la mesure où il se place « sous le signe d'une vigilance, d'une activité d'une intervention permanente »13.

Le néolibéralisme s'est donc construit en réaction à l'interventionnisme qui l'a précédé sans pour autant revenir au modèle libéral ; ce n'est pas la réactivation de vieilles théories économiques. Il est important, pour Michel Foucault notamment - premier à considérer et à systématiser le modèle néolibéral en tant que tel - de ne pas « laminer le présent dans une forme reconnue dans le passé, mais qui serait censée valoir dans le présent »14. Dès lors, « le néolibéralisme, ce n'est pas Adam Smith, ce n'est pas la société marchande, ce n'est pas le Goulag à l'échelle insidieuse du capitalisme »15. Cette volonté de double-rupture - avec l'interventionnisme d'une part et le laisser-faire d'autre part - nait dans les esprits de grands économistes dès les années 1930, et notamment lors du colloque Walter Lippmann, organisé à Paris en 1938. Ce colloque, qui regroupe entre autres Friedrich von Hayek, Wilhelm Röpk et Ludwig Von Mises, est considéré comme l'an I de l'histoire du néolibéralisme16. Si le néolibéralisme n'est pas un libéralisme ravivé, ce n'est pas non plus un libéralisme exacerbé, un ultralibéralisme17. Le néolibéralisme est donc quelque chose de nouveau, mais reste à savoir ce que c'est vraiment.

Comme le notent les auteurs Dardot et Laval, le néolibéralisme n'est pas une idéologie passagère ni une « politique économique qui donne au commerce et à la finance une place prépondérante » ; « il s'agit de bien plus : de la manière dont nous vivons, de la manière dont nous sentons, dont

11 Idem.

12 Dardot (Pierre) et Laval (Christian), La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, Paris, La découverte, 2010, p. 8

13 Foucault (Michel), Naissance la biopolitique. Cours au collège de France (1978-1979), Paris, Le Seuil - Gallimard, coll. « Hautes études », 2004, p. 137

14Ibid., p. 136

15 Ibid., p. 137

16 Valentin (Vincent), Les conceptions néolibérales du droit, Paris, Economica, 2002, p. 10 ; Denord François, Aux origines du néo-libéralisme en France. Louis Rougier et le Colloque Walter Lippmann de 1938, Le Mouvement Social, 2001/2 n° 195, p. 4

17 Garapon (Antoine), La Raison du moindre État. Le néolibéralisme et la justice, Paris, Odile Jacob, 2010, p. 15

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nous pensons. Ce qui est en jeu ce n'est ni plus ni moins que la forme de notre existence »18. Le néolibéralisme n'est pas une simple politique économique, ni une idéologie, en ce qu'elle n'est pas propre à une sensibilité politique19. C'est l'idée d'une logique plus que la logique d'une idée20. Le néolibéralisme est une raison, celle du moindre Etat21, une « gouvernementalité » - notion foucaldienne pouvant être définie comme la « conduite des conduites »22 - en ce que son majeur problème, c'est de « savoir comment on peut régler l'exercice global du pouvoir politique sur les principes de l'économie de marché »23, et non l'inverse. Selon Antoine Garapon, trois éléments fondamentaux caractérisent le néolibéralisme : d'abord, le marché est créé par l'Etat ; ensuite, le modèle du marché est étendu à tous les secteurs de la vie humaine ; enfin, « c'est moins l'échange qui compte que la concurrence »24. Le néolibéralisme n'est donc pas seulement une façon de penser, c'est davantage une façon de vivre et de gouverner les Hommes, si bien qu'il s'imagine comme étant une nouvelle divinité25, omniscient et infaillible.

Ce qui est sûr, c'est que le néolibéralisme n'est pas mort. Tel un animal usant de la technique de la thanatose, faisant fi d'être mort afin de mieux attaquer sa proie, le néolibéralisme est toujours vivant et vivace, en dépit des nombreuses annonces de sa mort suite à la crise financière de 2008. Dans la mesure où il s'agit bien plus d'une idéologie, le néolibéralisme ne peut pas mourir à la première tempête - aussi importante soit-elle. Il a contribué à modifier la forme même du pouvoir et apparait ainsi comme particulièrement déroutant car « c'est un pouvoir abstrait, qui se dénie lui-même, qui ne s'énonce pas, qui ne se met pas en scène et qui est donc difficilement représentable »26. Le néolibéralisme flotte au-dessus de nous, il se retrouve partout sans s'énoncer nulle part, il dirige des esprits et non plus des corps si bien que son aboutissement même est de « s'euphémiser au point de sembler disparaitre »27.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote