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Régime virtuel équilibré pour jeunes placés

( Télécharger le fichier original )
par Olivier SINTEFF
Centre promotion sociale d' éducateurs ( C.P.S.E.) de Liège - Bachelier en éducation spécialisée en accompagnement psycho-éducatif 2013
  

Disponible en mode multipage

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    Cours pour éducateurs en fonction Rue des Fortications, 25 4030 LIEGE (Grivegnée) Matricule : 6.188.223

    Régime virtuel équilibré

    pour jeunes placés

    Comment, en tant qu'éducateur de SAAE,

    construire une relation éducative porteuse

    pour prévenir les usages problématiques des interfaces numériques ?

    1

    Epreuve intégrée présentée par Olivier SINTEFF en vue de l'obtention du titre de Bachelier en éducation spécialisée en accompagnement psycho-éducatif Septembre 2013

    2

    Remerciements

    En premier lieu, j'adresse mes remerciements à mon superviseur, Anne-Laurence Dussart, pour son guidage toujours bienveillant.

    Ma gratitude va ensuite aux collègues éducateurs et stagiaires, ainsi qu'aux référents de stage rencontrés pendant mon cursus, pour tout ce que chacun m'a concédé de savoir-faire et savoir-être.

    Merci aussi à tous les enseignants qui ont été chargés de m'accompagner dans ma pratique professionnelle, durant ce parcours, pour ce qu'ils m'ont apporté de leurs connaissances et expériences.

    Enfin, merci particulièrement à toi, Marie, pour ta présence indulgente et encourageante à mes côtés pendant mes longues heures de réflexion et de rédaction.

    3

    Table des matières

    Avant-propos .5

    I.- INTRODUCTION ..8

    II.- LE CADRE DE MA PRATIQUE PROFESSIONNELLE 11

    1. Présentation du service 12

    2. Autorités mandantes et missions du service 12

    3. Aux fondements... 13

    4. Le projet pédagogique du SAAE 13

    4.1. Les finalités 13

    4.2. Les objectifs 14

    4.3. Les moyens 14

    4.3.1. Les moyens financiers 4.3.2. Les moyens humains 4.3.3. Les moyens logistiques 4.3.4. Les moyens méthodologiques

    5. Mon mandat au sein de l'institution 15

    6. Mon positionnement par rapport au projet pédagogique 16

    7. Une vision créative du service : le blason 17

    III.- APPROCHES METHODOLOGIQUES ET CONCEPTUELLES ..18

    1. Analyse du fonctionnement organisationnel ..19

    1.1. La division du travail . 19

    1.1.1. La division verticale du travail 1.1.2. La division horizontale du travail

    1.2. Les rôles des acteurs de l'institution 19

    2. Approches conceptuelles du rapport aux mondes virtuels 20

    2.1. Bienfaits et préjudices des mondes virtuels 21

    2.2. Cyberdépendance versus usage problématique ..23

    2.3. Méthodologie de prévention .. 25

    2.3.1. Avec les 8-12 ans

    2.3.2. Avec les plus de 12 ans

    3. Autres approches théoriques et outils psycho-éducatifs 26

    3.1. Du comportementalisme 26

    3.2. De la psychologie génétique .. 27

    3.3. De la psychologie sociale .. 27

    3.4. De la sociologie . 27

    3.5. De la psychopathologie . 27

    3.6. De la communication interpersonnelle .. 28

    IV.- SITUATIONS EDUCATIVES ET ANALYSES REFLEXIVES 31

    1. Première situation éducative : avec François et Damien 32

    1.1. Présentation des personnes 32

    1.2. Le contexte de la situation . 32

    1.2.1. Les acteurs en présence 1.2.2. Le contexte

    1.3. Les faits observables ..32

    1.4. Mon ressenti 33

    4

    1.5. Mes interprétations a priori ... 33

    1.6. Des informations complémentaires utiles à la compréhension de la situation ..34

    1.7. Questionnement ouvert et hypothèses de compréhension .35

    1.7.1. Mon questionnement

    1.7.2. Mes hypothèses de compréhension

    1.8. Une piste à exploiter .. 35

    1.9. La mise à l'épreuve de l'hypothèse d'intervention ..35

    1.10. Evaluation de l'impact de mon action ..36

    2. Deuxième situation : la co-construction d'une charte d'utilisation des

    ordinateurs .37

    2.1. Le contexte de la situation de départ ..37

    2.1.1. Les acteurs en présence 2.1.2. Le contexte

    2.2. Les faits observables ..38

    2.3. Mon ressenti et mes attitudes .42

    2.4. Mes interprétations a priori 42

    2.5. Des informations complémentaires utiles à la compréhension de la situation 43

    2.6. Questionnement ouvert et hypothèses de compréhension .43

    2.6.1. Mon questionnement

    2.6.2. Mes hypothèses de compréhension

    2.7. Comment intervenir prochainement ? 44

    2.8. Mise en application des pistes envisagées et ratification de la charte ...45

    2.9. Evaluation de l'impact de mon action ...45

    3. Troisième situation : avec François 46

    3.1. Acteurs, contextualisation et faits ..46

    3.1.1. Première séquence de la situation 3.1.2. Deuxième séquence de la situation

    3.2. Mon ressenti en situation et mon interprétation a priori des faits .49

    3.2.1. Par rapport à la première séquence présentée 3.2.2. Par rapport à la seconde séquence présentée

    3.3. Des informations complémentaires 50

    3.4. Ouverture du champ des possibles .50

    3.4.1. Mon questionnement

    3.4.2. Mes hypothèses de compréhension

    3.5. Hypothèse d'intervention 52

    3.6. Mise à l'épreuve de l'hypothèse . 52

    3.7. Evaluation de l'impact de mon action 53

    V.- MA VISION DU METIER 55

    1. Dans la fonction d'accompagnement et d'éducation .56

    2. Dans la fonction de reliance . 57

    3. Dans la fonction d'interface . 58

    4. Dans la fonction d'acteur social 58

    5. Dans la fonction politique 59

    VI- CONCLUSION 60

    BIBLIOGRAPHIE 63

    ANNEXES ..65

    5

    AVANT-PROPOS

    Mon choix de poursuivre une formation qualifiante en éducation spécialisée prolonge mon aspiration à me mettre au service d'autrui et de l'intérêt général depuis ma tendre enfance.

    Mes valeurs personnelles reposant sur l'attention à l'Autre1 trouvent leurs racines dans le terreau du système socioculturel de mon village d'origine et de mon identité familiale.

    Dans ma douzième année, m'inspirant du modèle paternel, je m'engage comme cadet au sein du corps des sapeurs-pompiers. Là, j'entraîne à ma suite huit de mes pairs.

    Nous rejoindrons nos aînés dans notre seizième année pour devenir sapeurs-pompiers volontaires « actifs ». Beaucoup de mes heures de loisir, essentiellement le week-end, mêlent dès lors formation théorique et exercices pratiques. Tout un programme qui me prépare à optimaliser le secours aux personnes et la protection des biens.

    Au cours de ma dix-neuvième année, sollicité par un concitoyen, j'ai accepté de m'investir dans un projet visant à donner un nouveau souffle au club de tennis local menacé de dissolution. Le travail que nous y effectuerons sera entièrement bénévole.

    Dès que nous obtenons le feu vert de l'administration communale, nous nous retroussons les manches pour la création d'une école de tennis qui accueillera une population de jeunes âgés entre quatre et quatorze ans.

    En 1996, effectuant mon service militaire en gendarmerie, j'accroche davantage avec le côté préventif et social du métier2 qu'avec la répression des infractions.

    Au début de l'année 1998, je suis embauché comme aide-éducateur3 pour travailler dans l'enseignement fondamental. Intervenant auprès d'enfants de trois à dix ans, je collabore à l'élaboration des projets pédagogiques annuels en dehors de mes attributions formelles4.

    Marqué positivement par mon vécu d'aide-éducateur, notamment en raison de mon approche d'enfants présentant des lacunes scolaires dues à différents troubles (dyslexie, perturbations de l'attention, ...) je décide d'entamer un parcours universitaire en psychologie. Mon objectif, en filigrane, est de devenir psychologue scolaire. Ainsi, en octobre 1999, je m'inscris en première année du DEUG5 « Psychologie ».

    Pour financer mes études et moyens minimaux de subsistance, je dois effectuer une activité salariée parallèlement à mes études universitaires. Cependant, au bout de quatre mois, je n'arrive plus à concilier études de plein exercice et travail.

    En octobre 2000, pris dans le dilemme de devoir choisir entre me consacrer entièrement aux études ou m'engager pleinement dans la vie active, je tranche finalement par ma décision d'aller travailler pour subvenir à mes besoins alimentaires. Je trouve un emploi comme ouvrier sur le site de montage-assemblage d'une célèbre voiture citadine biplace. Je vais y rester près de trois ans. L'aspect réflexif et analytique étant peu requis sur une ligne de montage, le côté répétitif à la Charlie Chaplin m'ennuie sérieusement.

    1Si je choisis d'écrire autre avec un « A » majuscule, c'est pour mieux l'emprunter à Bruno Bettelheim qui l'emploie sous cette forme dans l'une ou l'autre de ses publications pour insister sur la dimension de sujet relative à la personne.

    2Prévention routière, prévention dans les écoles, accueil du public à la brigade territoriale, ...

    3En juin 1997, en France, les fameux emplois-jeunes sont créés au sein de l'Education Nationale, sous le gouvernement Jospin. L'idée de la création d'aides-éducateurs part à la fois d'une volonté politique et d'un constat : la volonté de réduire le chômage juvénile par les moyens de l'Etat et le constat de l'existence de besoins pédagogiques non satisfaits dans les écoles.

    4Participer à l'accueil et à la surveillance des enfants lors de leur arrivée à l'école le matin ; sous l'autorité des enseignants : participer à l'animation et l'encadrement pédagogique (soutien scolaire aux élèves en difficulté - activités sportives, culturelles ou artistiques - étude du soir - « classes » à thème en extra muros et excursions - ateliers d'informatique) ; participer à la surveillance des enfants durant les récréations et lors de leur sortie de l'école en fin de journée ; assurer la fonctionnalité et l'animation des bibliothèques scolaires.

    5Diplôme d'études universitaires générales.

    6

    En mars 2004, je change d'orientation professionnelle pour un contrat de remplacement d'éducateur en MECS6. Mon intervention, au sein d'une équipe pluridisciplinaire, consiste en l'accompagnement éducatif de jeunes adolescentes - âgées entre 16 et 20 ans - résidant en semi-autonomie. Cette première véritable expérience dans l'Aide Sociale à l'Enfance7 (ASE) et la Protection Judiciaire de la Jeunesse8 (PJJ) me donne l'opportunité d'acquérir des compétences complémentaires du métier d'éducateur : participer à la réflexivité des réunions d'équipe, rédiger des rapports d'évolution, participer à l'élaboration et la mise à jour régulière des projets éducatifs individualisés (PEI), ... Obtenant une marque de reconnaissance professionnelle de mon chef de service, mon désir de rester dans le secteur d'activité se renforce encore.

    Ainsi motivé, je décide de faire du bénévolat au sein d'une association de postcure des conduites de dépendance. Ce lieu devient progressivement pour moi une véritable école de vie. Ses principes de vie en collectivité sont assez singuliers de certaines logiques d'action pédagogique définies et mises en oeuvre par Makarenko9.

    En septembre 2008, j'entre au C.P.S.E. . Le système de l'enseignement de promotion sociale me permet de signer un contrat d'un an en « article 60 », via un CPAS, pour travailler comme éducateur en SAAE.

    Ensuite, sans travail à partir de décembre 2009, je passe au statut de stagiaire pour remplir entièrement les conditions de formation et approfondir ma pratique professionnelle. J'effectuerai la plupart de mes stages en action éducative avec hébergement dans le secteur de l'Aide à la Jeunesse.

    Non encore fatigué de découvrir d'autres facettes du métier, je signe un contrat de remplacement en novembre 2011 avec une institution de milieu psychiatrique, tout en poursuivant ma formation.

    Comme stagiaire à partir d'octobre 2012 et de retour dans l'Aide à la Jeunesse, je consacre une partie de mes prestations à des actions éducatives destinées à réduire l'usage des interfaces numériques. C'est cette dernière expérience qui fait l'objet du présent travail de fin d'études.

    6Maison d'enfants à caractère social équivalant au service d'accueil et d'aide éducative (SAAE) belge.

    7Equivalant français du Service d'Aide à la Jeunesse (SAJ).

    8Equivalent français du Service de Protection Judiciaire (SPJ).

    9Anton Semjonowitsch Makarenko (1888-1939), pédagogue russe, est connu pour une pédagogie reposant sur l'intérêt de la collectivité. Chaque membre de la communauté a un rôle spécifique, indispensable à la pérennité de celle-ci. Et, en même temps, chaque membre contribue à toutes les tâches par roulement. Le type de travail est la plupart du temps manuel. Lorsqu'une « colonie » est créée, il faut d'abord construire ses infrastructures et élaborer ses moyens techniques et opérationnels en vue du développement et de la subsistance de la collectivité par et pour elle-même. Toutes les prises de décision se font de manière démocratique en assemblée périodique réunissant tous les résidents de la colonie. Si la colonie est pérenne, elle peut devenir une vraie zone de production et de distribution économique.

    « Eduquer, c'est apprendre à un enfant à devenir libre dans sa pensée et citoyen dans ses comportements. »

    Christian Lalière

    7

    « Dans la vie il n'y a pas de solutions ; il y a des forces en marche :

    il faut les créer et les solutions suivent. »

    Antoine de Saint-Exupéry

    I.- INTRODUCTION

    8

    9

    Ce qui jusqu'à la première moitié du XXème siècle est encore la place communale, où les amis de Georges se rencontrent et s'échangent des paroles - à travers l'air pur - « sur les bancs publics, bancs publics, ... », est devenu en l'espace d'un petit demi-siècle une agora à dimension planétaire où les interactions interpersonnelles se font via les pixels numérisés et l'écriture digitale.

    Avec l'évolution fulgurante des technologies de l'information et de la communication (T.I.C.), nous voilà aujourd'hui projetés dans une réalité digne de la série télévisée Star Trek de la fin des années septante. La prise d'assaut par les écrans de notre quotidien privé, comme public, est encouragée par les médias de masse largement imprégnés de l'idéologie néolibérale. L'opium actuel du peuple, c'est la transcendance matérialisée du dieu Internet. Depuis les années nonante, les moyens de communiquer via le Réseau se sont démultipliés : courriels, forums, blogs, téléphones cellulaires, tablettes numériques, jeux en ligne multi-joueurs et autres réseaux sociaux... virtuels.

    La toile d'araignée géante a fini par agglutiner dans ses filets beaucoup d'entre nous, dont de nombreux jeunes. Internet et les jeux informatisés deviennent la seconde - pour ne pas dire la première - famille au sein des foyers occidentaux. Ce coffre à trésor, recelant de réponses à tous styles de questions, peut parfois se révéler comme une véritable boîte de Pandore. S'il en est souvent ainsi pour les adolescents vivant sous le toit de leurs parents, comment n'en serait-il pas autant - voire davantage - pour les jeunes placés en institution, mis à distance ou parfois totalement privés de relations affectives de sang ?

    J'ai souvent été fortement interpellé, dans ma pratique professionnelle - successivement au sein de plusieurs S.A.A.E.10 - face à une manifestation particulière d'angoisse, de frustration, d'impatience ou encore de forte colère, émanant de jeunes bénéficiaires, par rapport à des besoins insatiables de consommer du virtuel.

    D'aucuns demandaient avec insistance, par exemple, s'ils pouvaient « aller sur l'ordi », alors qu'ils n'avaient même pas fini d'avaler leur quatre-heures lors de leur retour de l'école. J'aimerais aussi évoquer la conduite de ce bénéficiaire de douze ans, à qui j'avais demandé d'éteindre l'ordinateur - sur lequel il était « scotché » depuis une heure - parce qu'il était le moment pour lui d'aller se coucher. En réponse à ma demande, ce dernier avait d'un seul mouvement de bras tapé le casque d'écoute contre l'écran du moniteur et s'était acharné de ses deux poings fermés sur le clavier. Ce qui me pose encore question, c'est d'observer parfois certains adolescents enfermés dans une espèce de bulle hermétique, qu'il est difficile de franchir, quand les écouteurs de leur baladeur numérique sont enfoncés dans leurs oreilles, tandis qu'ils font convulsivement aller leur pouce sur le clavier de leur GSM. Enfin, je suis déconcerté lorsque j'apprends par une collègue qu'elle a découvert que l'une de nos résidentes, quatorze ans, dévoile sa vie intime sur un Skyblog11.

    Des situations relevant du rapport qu'entretiennent les jeunes quotidiennement avec ces technologies sont nombreuses. Toujours est-il que les cas, que je viens d'évoquer, sont suffisamment révélateurs pour illustrer leur besoin d'habiter prioritairement des espaces virtuels, comme si ces univers parallèles se résumaient à l'essentiel de leur épanouissement personnel.

    Loin de moi l'idée de vouloir stigmatiser les jeunes placés en institution (d'ailleurs je suis contre les étiquettes) en qualifiant leur comportement compulsif, à l'égard des TIC, d'abandonnique. Néanmoins, le manque ou l'absence de lien à leur famille ne constitueraient-ils pas la racine d'une quête existentielle se caractérisant par une relation passionnée avec les machines ? Dans ce sens, je m'inquiète le plus de savoir ce qu'il adviendra de leur rapport au Web lorsqu'ils vivront en autonomie, émancipés d'un cadre éducatif. Ou quand, au mieux, ils réintégreront leur milieu d'origine généralement plutôt « sous-équipé » pour cadrer correctement ce type de loisir. Une fois sortis du cadre contenant et « spécialisé » du milieu institutionnel, « nos » jeunes n'auront-ils pas tendance à se réfugier de façon vorace dans les doux bras du Réseau pour mettre du baume sur certaines blessures à peine cicatrisées, si pas suintantes, de leur histoire personnelle ?

    10Service d'accueil et d'aide éducative mandaté par l'Aide à la Jeunesse pour des placements institutionnels.

    11Skyrock.com est un site Web de réseau qui met gratuitement à disposition de ses membres enregistrés un espace web personnalisé. Il est notamment possible d'y créer son blog. Le Larousse définit le blog ou blogue comme un « site Web sur lequel un internaute tient une chronique personnelle ou consacrée à un sujet particulier ». Synonyme : weblog.

    10

    Ainsi, la question centrale qui me taraude l'esprit est la suivante : comment, en tant qu'éducateur de SAAE, construire une relation éducative porteuse pour prévenir les usages problématiques des interfaces numériques ?

    D'autres questions découlent de cette première interrogation. En voici les principales :

    · Comment la plupart des éducateurs de Foyer se positionnent-ils par rapport à la question des médias numériques ?

    · Que puis-je apporter moi-même pour faire évoluer la prise en considération de l'impact de ces technologies au sein d'une institution ?

    · Comment promouvoir chez les adolescents plus d'équilibre entre le temps passé devant les interfaces et les autres activités du quotidien ?

    Pour trouver des réponses à mes interrogations, j'ai fait l'inventaire des services traitant et

    faisant la prévention de la dépendance des jeunes aux TIC, en Wallonie. C'est ainsi que j'ai fini par rencontrer un assistant social de l'asbl liégeoise Nadja, en décembre 2009. Après m'avoir donné son point de vue sur la question de la cyberdépendance, il m'oriente vers le centre de documentation de l'association. J'y recueille alors des noms comme Tisseron, Stora, Nayebi, Gustin... Autant d'auteurs qui ont traité de façon approfondie la problématique me rapprochant de leurs points de vue. En eux, j'ai trouvé des manières originales et diversifiées de concevoir et traiter cette problématique.

    Il m'a également semblé intéressant de participer, en avril 2013, à une soirée d'information Webetic - Nos enfants sur le Net en toute sécurité12.

    Mon travail s'érige en quatre axes principaux.

    Dans un premier chapitre, je présente le cadre professionnel dans lequel j'ai effectué les interventions relatées dans ce TFE, à l'occasion d'un stage de huit mois.

    Le deuxième chapitre est subdivisé en trois volets, principalement conceptuels. Dans le premier volet, un peu plus méthodologique, j'analyse le fonctionnement de l'équipe éducative qui m'a offerte une place en son sein. Une deuxième subdivision rendra compte des différents outils de réflexion et d'action que m'ont inspirés les auteurs cités plus haut. Une troisième et dernière sous-partie définit des concepts et moyens - extraits des cours que j'ai suivis durant ma formation - dont le contenu m'a également servi à cerner des problématiques et trouver des solutions exposées dans un chapitre subséquent.

    Enfin, dans le dernier chapitre, je décris ma vision du métier à travers les cinq fonctions principales de la profession d'éducateur spécialisé, en illustrant parfois mes propos avec des exemples concrets de ma pratique.

    NB : Pour des raisons purement déontologiques et éthiques, les prénoms qui suivront dans les prochaines pages sont totalement fictifs.

    Certains concepts utilisés sont écrits en gras, suivis de «*''. Ces notions sont expliquées en III.- 3. Les mots en gras et en italiques, suivis du même «*'Ç sont plus intelligibles en III.- 2.1. et III.- 2.2.

    12Webetic est un concept de Child Focus consistant en une séance d'information destinée aux parents. Cette séance est animée ponctuellement par Les Espaces Publics Numériques de Wallonie, au sein de chaque commune, pour livrer aux adultes des astuces leur permettant de favoriser la navigation de leurs progénitures en toute sécurité sur Internet (voir Annexe 4, page 70).

    II.- LE CADRE DE MA PRATIQUE

    PROFESSIONNELLE

    11

    1. Présentation du service

    Sise au centre d'une petite entité rurale et paisible, l'institution constituée en association sans but lucratif accueille des enfants et des adolescents placés dans le cadre de l'Aide à la Jeunesse. Ces jeunes sont issus de milieux dont les habiletés parentales ou sociales sont fortement compromises (manque de structuration de l'éducation, maltraitance physique ou psychologique, attitudes sexuelles déviantes, ...) ; le jeune, l'enfant peut arriver au foyer soit directement de son milieu d'origine, soit après avoir séjourné en pouponnière.

    L'établissement est agréé SAAE - par la Direction Générale de l'Aide à la Jeunesse, en application du décret du 4 mars 1991 relatif à l'aide à la jeunesse et de la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse - pour l'accueil, l'hébergement et l'accompagnement éducatif d'un groupe vertical mixte d'une moyenne annuelle de 16,5 situations concernant des jeunes de 0 à 18 ans (dérogation possible jusqu'à 20 ans).

    Le service est ouvert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

    Pendant la durée de mon stage, il prend en charge quotidiennement 17 situations dont les âges varient de 5 à 16 ans, soit 11 filles et 6 garçons.

    2. Autorités mandantes et missions du service

    · Le Conseiller du Service d'Aide à la Jeunesse (SAJ), ou son délégué, peut proposer le placement d'un jeune en SAAE lorsque l'intégrité physique ou psychique de ce dernier est gravement compromise, mais qu'il existe un accord entre le jeune, sa famille et le SAJ pour une aide « extérieure ».

    · Le Directeur du Service de Protection Judiciaire (SPJ), ou son adjoint, est susceptible de mettre concrètement en oeuvre une mesure de placement en institution, imposée par le tribunal, lorsqu'aucune solution pour faire cesser une situation de danger d'un jeune n'a pu faire l'objet d'un accord entre le SAJ et les intéressés.

    · Le Juge de la Jeunesse peut décider d'imposer un placement en établissement spécialisé lorsqu'il doit prendre une mesure d'urgence face à une mise en danger directe d'un enfant ou lorsqu'il doit trancher en cas de désaccord familial par rapport à des mesures d'aide proposées par le SAJ.

    Ces trois autorités peuvent mandater le Foyer selon quatre missions définies par l'article 2 de l'Arrêté du 15 mars 1999 relatif aux SAAE, afin :

    « 1° d'organiser l'accueil collectif et l'éducation de jeunes qui nécessitent d'une aide en dehors de leur milieu familial de vie ,
    ·

    2° d'assurer la supervision ainsi que l'encadrement pédagogique et social de jeunes qui vivent en logement autonome ,
    ·

    3° de mettre en oeuvre des programmes d'aide en vue de la réinsertion dans leur milieu de vie ,
    ·

    4° d'apporter une aide aux jeunes et aux familles en difficultés par des actions socio-éducatives dans le milieu familial de vie, à titre exceptionnel et seulement lorsque, au sein d'une fratrie, un ou plusieurs membres sont pris en charge par le service en dehors de leur milieu de vie et que les autres sont maintenus dans celui-ci. »

    En ce qui concerne le Foyer, quinze situations actuelles sont mandatées pour les champs d'action éducative prescrits en et deux situations sont concernées par le (Code M). A noter que six jeunes sont en placement SAJ ; les autres sont confiés à l'établissement par le SPJ.

    12

    3. Aux fondements...

    13

    Début des années 30, des personnes issues d'un mouvement laïc décident de fonder une association d'aide à l'enfance défavorisée. C'est ainsi que naît l'asbl originelle.

    Développant des principes de liberté, d'égalité et de solidarité, elle ouvre une colonie permanente pour enfants dits « débiles physiques ». Suivant les normes de l'OEuvre Nationale de l'Enfance, la vie quotidienne et toutes les activités - depuis l'hébergement jusqu'à l'enseignement en passant par les loisirs et les contacts familiaux - s'y organisent en vase clos.

    Milieu des années 70, l'asbl fait le choix de changer d'orientation en s'ouvrant vers l'extérieur, selon l'adhésion à l'idée en vogue de laisser aux institutions d'hébergement la possibilité de travailler avec leurs pensionnaires et leur famille tout en permettant aux premiers d'avoir une vie extra-muros. Ainsi, le Home demande et obtient l'agrément de l'Office de Protection de la Jeunesse, dépendant à l'époque du Ministère de la Justice. Dans ce nouveau contexte, l'institution accueille des jeunes relevant de la loi de 1965. Ces derniers sont intégrés dans les écoles des environs et font leur choix de loisir à l'extérieur. Les visites des parents dans l'établissement sont supprimées et certains enfants rendent visites à leur parent dans le milieu d'origine.

    Sous l'impulsion d'un chef-éducateur, le Home développe en son sein une section se spécialisant dans le travail de réinsertion sociale et familiale.

    En 1980, la Protection de la Jeunesse est transférée du fédéral vers la Communauté française. En même temps, une volonté politique de développement de petites infrastructures d'hébergement cherche à marquer la fin des « usines à gosses ». L'asbl s'inscrit dans cette mutation. Son vaste bâtiment est alors désaffecté au profit de deux projets :

    · Une nouvelle maison d'hébergement présentant une capacité de 18 lits au départ ;

    · La création d'un service d'A.M.O.13 découlant du travail de réinsertion familiale déjà pratiqué avec une trentaine de jeunes.

    Le nouveau Foyer ouvrira ses portes avec l'objectif primordial d'une réinsertion rapide de l'enfant dans son milieu familial.

    Une réforme de 1999 réduit la capacité de prise en charge du Foyer, en tant que SAAE, à une moyenne annuelle de 16,5 situations.

    4. Le projet pédagogique du SAAE14

    4.1. Les finalités

    · L'épanouissement individuel et social du jeune ;

    · Le rétablissement ou maintien d'un lien de qualité entre le jeune et les membres de sa famille d'origine, le cas échéant ;

    · L'instauration d'un lien de qualité entre le jeune et sa famille de substitution ;

    · L'insertion scolaire et socioprofessionnelle du jeune ;

    · La réintégration du milieu d'origine ;

    · L'autonomisation psychosociale et matérielle du jeune se préparant à vivre ou vivant en logement autonome.

    13Aide en milieu ouvert.

    14 Informations extraites du document institutionnel composé de 12 pages et intitulé « PROJET PEDAGOGIQUE - FOYER ». Je
    n'ai pas pu recueillir l'année d'élaboration du PG, ni de façon formelle, ni de manière informelle. Selon sa typographie et son contenu, j'estime qu'il a été rédigé dans les années nonante et a depuis fait l'objet de peu voir d'aucune révision.

    14

    4.2. Les objectifs

    · Assurer les moyens minimaux de subsistance du jeune ;

    · Aider le jeune et son milieu d'origine et/ou de référence à résoudre les difficultés existentielles, relationnelles, comportementales et matérielles ;

    · Favoriser le développement des aptitudes personnelles du jeune ;

    · Procurer au jeune les moyens de s'intégrer socialement ;

    · Prévenir l'esseulement futur d'un jeune orphelin ;

    · Promouvoir des conditions satisfaisantes de réintégration familiale, le cas échéant ;

    · Promouvoir l'insertion socioprofessionnelle d'un jeune suivi en logement autonome ;

    4.3. Les moyens15

    4.3.1. Les moyens financiers Le service est financé par :

    · la Fédération Wallonie-Bruxelles à partir de subventions fixes et variables ;

    · des dons privés (versements financiers et dons en nature) ;

    · les recettes financières d'actions ponctuelles assurées par le service lui-même (participation à certaines brocantes locales, repas caritatifs, ...).

    4.3.2. Les moyens humains

    § Au sein de l'établissement

    - Le sommet hiérarchique : 1 directeur éducateur spécialisé « classe 1 » (temps plein), 2 chefs-éducateurs « classe 1 » (une femme et un homme ; chacun à mi-temps) ;

    - Une équipe pluridisciplinaire : 1 psychologue (mi-temps), 9 éducateurs spécialisés « classe 1 » (4 hommes et 5 femmes ; 6 temps pleins et 3 mi-temps), 2 stagiaires éducateurs (3ème niveau du bachelier) et 1 stagiaire assistante sociale (1ère année) ;

    - Le support technique : 1 comptable (mi-temps), 2 techniciennes de surface (soit un temps plein et un mi-temps), 1 ouvrier d'entretien (mi-temps) ;

    NB : Les techniciennes de surface préparent également le souper de façon quotidienne ;

    § Dans le réseau de partenariat

    - Des intervenants de l'extérieur en intra-muros : 1 logopède (3 heures/semaine), 1 psychomotricienne (3 heures/semaine) et 1 diététicienne (ponctuellement, à la demande) ;

    - Des collaborateurs extra muros : les familles des jeunes, des médecins généralistes, des psychologues psychothérapeutes, les enseignants (écoles maternelles et primaires ; écoles secondaires ; enseignement spécial), 1 centre de réadaptation fonctionnelle, des centres psycho-médico-sociaux, les mouvements de jeunesse, 1 Maison des Jeunes, le Conseil communal des enfants, le CJLg (camps de vacances estivales) et le service de protutelle.

    4.3.3. Les moyens logistiques

    · 1 structure d'hébergement : 12 chambres individuelles et 1 chambre à 4 lits ; 1 chambre pour l'éducateur de nuit ; 2 cuisines équipées ; 2 salles à manger (dont l'une sert en partie de salle de jeux) ; 1 salon (ou local TV) ; 2 locaux sanitaires équipés de douches ; 1 local sanitaire équipé d'une baignoire ; des locaux équipés de WC et séparés entre filles et garçons ;

    · 1 local d'étude + 1 bibliothèque ;

    · 3 bureaux + 1 local de réunion ;

    15 Eléments d'information issus de sources formelles et informelles du contexte institutionnel.

    ·

    15

    1 cour extérieure + 1 pelouse spacieuse ;

    · 2 garages + 1 véhicule de transport à 9 places.

    4.3.4. Les moyens méthodologiques

    · Utilisation du système de l'éducateur référent et co-référent ;

    · Observation du comportement du jeune, dans l'institution, vis-à-vis des pairs et des adultes et lors de ses retours de séjour en famille ;

    · Travail de structuration du comportement ;

    · Utilisation de la grille de thérapie brève (approche systémique de Palo-

    Alto) ;

    · Insertion scolaire de tous + encadrement et contrôle des devoirs scolaires ;

    · Choix par le jeune d'une activité sportive, culturelle ou artistique ;

    · Accentuation et suivi des contacts extérieurs du jeune ;

    · Mobilisation de la fratrie et/ou de la famille élargie pour le maintien des liens naturels existants et la collaboration éducative lorsqu'un jeune n'a plus ni père ni mère ;

    · Recherche d'une famille de parrainage à la demande d'un jeune orphelin qui n'a plus la possibilité d'avoir des liens familiaux naturels, même élargis ;

    · Régularisation des entretiens formels et informels avec le jeune, sa famille d'origine ou de substitution et/ou l'autorité mandante ;

    · Conditionnement de la mise en autonomie d'un jeune :

    · Evaluation formelle et informelle régulière des situations par :

    - des échanges quotidiens au sein de l'équipe éducative ;

    - la pré-révision des projets pédagogiques individuels (PEI) en réunion

    d'équipe ;

    - la redéfinition approfondie périodique du PEI (référent - psychologue -

    chef éducateur/trice) ;

    - les rapports d'évolution et les bilans avec les autorités mandantes.

    · Instauration de deux conseils pédagogiques annuels ;

    · Evaluation annuelle du projet pédagogique lors de la rédaction du rapport d'activité ;

    · Réalisation du bilan des objectifs fixés lors de la clôture d'un dossier ;

    · Formation continuée des éducateurs.

    5. Mon mandat au sein de l'institution

    A titre d'éducateur-stagiaire, je suis chargé d'effectuer diverses tâches, sous l'autorité du personnel éducatif présent durant mes prestations. Je preste une moyenne de 20 heures par semaine (week-end compris). Je suis mandaté pour les tâches suivantes :

    · Construire une relation authentique avec les bénéficiaires du service et répondre de manière adéquate à leurs besoins et attentes explicites et implicites ;

    · Intervenir auprès des bénéficiaires de manière psychopédagogique - en adéquation avec la philosophie et les valeurs de l'institution et le code de déontologie de l'Aide à la Jeunesse - au moyen des supports du quotidien : lever, préparation au départ à l'école, accompagnement des devoirs scolaires et des repas, toilettes, partage de moments collectifs devant les ordinateurs et à l'occasion de jeux, moments de dialogue en individuel, accompagnement du coucher (lecture d'une histoire), ... ;

    · M'intégrer dans une équipe pluridisciplinaire par :

    - une collaboration professionnelle avec ses membres ;

    - des interventions constructives lors de la réunion d'équipe hebdomadaire ;

    ·

    16

    Animer des activités de plein air dans un cadre de vert et sécure : promenades pédestres (ou en luge l'hiver), cyclo-randonnées (VTT), plaine de jeux, ... ;

    · Répondre au téléphone et orienter les personnes ou transmettre des informations (dans la limite de mon mandat) ou prendre des messages destinés aux autres membres du personnel ;

    · Concevoir et réaliser un projet autour d'une utilisation saine des technologies de l'information et de la communication (TV, Internet, console de jeux vidéo, GSM, IPhone, ...).

    6. Mon positionnement par rapport au projet pédagogique

    L'assurance des moyens minimaux de subsistance est, à mon sens, une mission pleinement remplie, étant donné que tous les besoins physiologiques des usagers sont satisfaits (un repas chaud tous les jours ; état salubre des vêtements et locaux ; hygiène corporelle assurée).

    L'insertion scolaire de chaque jeune est parfaitement menée à bien par leur fréquentation régulière de l'école.

    Le développement des aptitudes personnelles est soutenu de manière parcellaire, selon mes observations :

    · Seuls les enfants fréquentant l'enseignement primaire et spécial sont aidés et stimulés dans leurs devoirs. En effet, ceux-ci sont obligés d'être présent dans le local d'étude, au minimum de 16h30 à 17h15, durant les périodes scolaires. Là, l'un des éducateurs de service, souvent assisté d'un stagiaire, garantit l'encadrement et le contrôle des devoirs.

    · Les jeunes scolarisés en secondaire, quant à eux, ne sont pas tenus à une contrainte de présence. J'ai rarement vu un adolescent du secondaire venir demander de l'aide à un éducateur. Et pour cause : ceux-ci, après le souper :

    - sont tenus d'effectuer certaines « corvées » personnelles et n'ont alors plus beaucoup de temps à consacrer à leurs devoirs ;

    - communiquent avec des amis ou des proches via un réseau social virtuel ou sont « scotchés » à leur console vidéo, ou encore plongés dans leurs séries télévisées quotidiennes

    NB : J'estime que la consommation quotidienne des écrans constitue une entorse au plein épanouissement d'un enfant ou d'un adolescent. C'est pourquoi, dès que la météo est favorable, je propose aux bénéficiaires des activités d'extérieur.

    Leur autonomisation est promue dans la mesure où chacun doit prendre son tour de vaisselle et qu'il est laissé à chacun la libre possibilité de participer à la finalisation de la préparation du souper. Les adolescents ont en plus la charge de ranger leurs vêtements.

    Les moyens de s'intégrer socialement sont procurés à chacun par :

    · la fréquentation régulière d'au moins une connaissance amicale ;

    · une voire deux activités de loisirs par semaine, bien que le jeune ne l'ait pas forcément choisi librement (contradiction avec un item des moyens méthodologiques), mais il a l'opportunité d'y fréquenter d'autres jeunes et d'autres adultes (mouvements de jeunesse ; ateliers de hip-hop et break-danse d'une Maison des Jeunes locale ; piscine le mercredi ; etc).

    Une jeune orpheline de 6 ans, ne connaissant plus aucun membre de sa famille en vie, a obtenu à sa demande des contacts avec une famille de parrainage. Il en a été de même pour une fille de 7 ans dont les parents ont été déchus de leur autorité.

    Le maintien des liens naturels existants et la collaboration éducative ont été assurés pour deux filles (13 et 17 ans) d'une même fratrie - dont la mère est décédée récemment et le père antérieurement - par la mobilisation du reste de la fratrie (3 soeurs majeures insérées socialement et jouissant de conditions de vie raisonnables) ;

    Les éducateurs s'entretiennent, quelques minutes, avec les parents qui viennent exploiter leur droit de visite quelques heures par semaine à l'intérieur ou au sein du Foyer (défini au cas par cas), pour mesurer la qualité du rétablissement ou du maintien du lien parent-enfant.

    La formation continuée des éducateurs est devenue obligatoire. A cet effet, les éducateurs se rendent ponctuellement dans un centre de formation, plusieurs fois l'an, pour des périodes organisées autour d'une thématique pédagogique particulière.

    Au sujet de la promotion des conditions satisfaisantes pour une réintégration familiale, j'ai pu recueillir comme information auprès d'un membre de l'équipe que l'utilisation de la grille de thérapie brève est quasiment tombée en désuétude suite au renouvellement de plus de la moitié de l'équipe éducative consécutivement à la démission massive d'anciens éducateurs de l'institution. Je considère personnellement que ce moyen méthodologique, pour l'avoir exploité moi-même dans le cadre professionnel, est un outil riche qui donne des résultats tangibles.

    L'évaluation formelle et informelle régulière des situations sont correctement mises à exécution à l'aide des différents moyens évoqués.

    7. Une vision créative du service : le blason16

    Durant notre cursus de formation (Van Hoye, 2012/2013), il nous a été demandé d'illustrer notre cadre de travail sous la forme d'un blason avec pour consignes :

    - de donner libre cours à notre imagination en y représentant l'institution par un dessin ; - d'y ajouter une devise représentative en entête.

    Comme j'ai trouvé cette approche intéressante, dans la mesure où elle offre une perception synthétique du milieu professionnel par la créativité, j'ai décidé de l'inclure dans cette étape de présentation.

    17

    16 Voir dessin et interprétation du blason en Annexe 1, page 66.

    18

    III.- APPROCHES METHODOLOGIQUES

    ET CONCEPTUELLES

    19

    1. Analyse du fonctionnement organisationnel

    1.1. La division du travail17

    1.1.1. La division verticale du travail

    Cette division est forte dans l'institution étant donné que les tâches conceptuelles et formelles (méthodologies, organisation de la semaine et des prestations, ...) sont majoritairement assurées par les chef-éducateurs avant d'être soumises à l'approbation du directeur. Le reste du personnel a davantage un rôle informel dans cette conceptualisation, se contentant d'appliquer les décisions de la ligne hiérarchique.

    1.1.2. La division horizontale du travail La division horizontale du travail est :

    · faible quand il s'agit des tâches du quotidien : elles sont assurées de façon polyvalente par les éducateurs ;

    · forte en ce que chaque intervenant éducatif assure la gestion d'un domaine spécifique (vêtements, vélos, pharmacie, produits cosmétiques, fournitures scolaires, diététique, informatique, etc).

    1.2. Les rôles des acteurs de l'institution

    Ils sont essentiellement identifiables pendant les réunions d'équipe. Pour mon analyse, je ferai référence à l'un ou l'autre des huit rôles de R.-M. Belbin : chairman, shaper, plant, ressource investigator, implementer, team worker, finsiher (Bodart, 2012/2013), ainsi qu'à des notions de dynamique de groupe (Content : 2008/2009) et à certaines approches de l'analyse organisationnelle (Bodart, 2010/2011).

    C'est la chef-éducatrice qui tient la position de leadership (personne la plus influente du groupe) pendant les réunions où le headship (directeur) est rarement présent.

    Lorsque le directeur assiste aux réunions, il a plus tendance à y participer dans une fonction de facilitation des prises de décision. Il apporte en effet beaucoup d'éclairages pour débloquer des situations en se référant à la législation de secteur, à des apports extérieurs (en cela est un ressource investigator = rôle d'exploration de solutions importées) ou encore à ses multiples expériences de carrière dans le secteur.

    La chef-éducatrice occupe par ailleurs, la fonction d'animatrice. En l'exerçant, elle recourt volontiers à l'influence normative et tranche les débats en justifiant ses idées et objectifs. Elle est un shaper. La personne qui prend ce rôle indique la direction à prendre pour atteindre des résultats tangibles rapidement. Elle peut néanmoins se comporter en chairman (rôle de coordination) quand il s'agit de déterminer les priorités, d'établir des lignes directrices d'une action, d'affecter aux éducateurs des tâches pour lesquels ils conviennent mieux et de veiller aux frontières existant entre ces tâches spécifiques.

    La fonction de régulation est garantie par le chef-éducateur. Il intervient moins dans le débat que son homologue, mais va plutôt observer le respect du timing et du caractère équitable de la production des intervenants. C'est aussi un implementer (rôle de traduction des décisions prises en objectifs opérationnels) : il est résistant aux spéculations et raisonnements qui n'ont pas de portée immédiate sur le débat en cours. De plus, il défend une approche ordonnée, pratique et réaliste des problèmes ; il est capable de rappeler à un membre de l'équipe une décision ou une responsabilité assignée.

    17 Bodart, 2009/2010.

    20

    Le psychologue a la plupart du temps une influence évaluative dans les interactions collectives de réunion. Ainsi, ce dernier se révèle en farouche monitor/évaluator (rôle d'analyse et d'évaluation) qui entre facilement en compétition avec les chefs lorsqu'il prend en compte toutes les facettes d'un problème. En outre, comme il possède une grande culture générale et une bonne connaissance de la législation, il peut parfois proposer des pistes et modèles instituant (à l'encontre des éléments institués défendus par les conservateurs).

    L'éducatrice la plus ancienne de l'équipe (15 ans de service) va influencer, tantôt de manière informative, tantôt de manière facilitatrice, le groupe. Elle excelle dans un rôle de plant (rôle d'invention) du fait qu'elle est souvent la première à faire preuve d'ingéniosité dans la résolution pragmatique d'un problème pratique. Je partage souvent une communauté de valeurs et d'idées avec elle. Dans son costume de team worker (rôle de soutien), cette éducatrice offre facilement sa compréhension aux autres. Elle met chaque fois tout en oeuvre pour apaiser des conflits en recourant à l'humour. Sa sympathie et son authenticité lui confèrent un certain charisme auprès d'autres membres de l'équipe, tel que moi-même également (c'est avec elle que j'ai le plus d'affinités).

    Pour finir, dans la structure informelle (Bodart, 2010/2011), je distingue 3 sous-groupes d'alliance au sein de l'équipe pluridisciplinaire. Dans les alliés du pouvoir institué : les chefs-éducateurs, 3 éducateurs de l'ancienne équipe, ainsi qu'un éducateur plus récent de l'équipe. Les alliés du pouvoir instituant : le psychologue, l'éducatrice la plus ancienne et moi-même. Reste les alliés plus neutre qui prennent rarement une position ouvertement mais s'expriment davantage lorsqu'ils sont invités à décrire l'état d'évolution d'une situation qui leur est référée. Il s'agit des 4 éducateurs ayant le moins d'ancienneté.

    NB : J'estime que certaines décisions prises en réunion mériteraient d'être mieux appliquées sur le terrain. Voici un exemple éloquent, d'une décision quelque peu négligée, dans l'utilisation des ordinateurs par les jeunes. Il avait été conclu collégialement que chaque enfant devait quitter son PC au bout d'une demi-heure d'utilisation, les mercredis et vendredis. J'ai pourtant observé que certains ne quittaient toujours pas l'écran au bout de deux heures et que des enfants s'y trouvaient tous les jours de la semaine. En conséquence, j'ai exprimé aux usagers mon avis au sujet de la nocivité d'une utilisation aussi longue, d'autant plus que l'informatique a tendance à devenir le loisir quasi-exclusif. J'ai aussi interpellé les éducateurs en ce sens. Mais n'étant pas relayé par une majorité de collègues auprès des jeunes, en renforcement positif*, comment mon intervention aurait-elle pu déboucher sur le résultat que j'escomptais ?

    2. Approches conceptuelles et méthodologiques du rapport aux mondes virtuels

    Le mot « virtuel » vient du latin virtualis tirant sont radical de virtus signifiant « force ». Autrement dit, dans une première acception : « qui n'est qu'en puissance ; potentiel, possible »18. Ainsi, selon le philosophe Gilles Deleuze, le virtuel devient pleinement réel par un processus d'actualisation (Deleuze, 1968, éd 1993 : 272-273). D'ailleurs Aristote distinguait déjà l'acte en puissance de l'acte actualisé par dunaton, l'équivalent grec de virtualis, en tant que force qui détermine le mouvement du réel. A partir de cette définition, Serge Tisseron19 souligne que les adolescents, dans leurs préoccupations essentielles, « tentent d'échapper provisoirement à l'angoisse du virtuel comme devenir en s'investissant à corps perdu dans le virtuel-déjà là que constituent les jeux vidéo et Internet, car ils peuvent y engager un simulacre de corps réduit à une apparence » (Tisseron, Missonier & Stora, 2006 : 95-96). Me voilà donc parvenu à la seconde

    18Premier sens donné par Le Petit Larousse.

    19Serge Tisseron, psychiatre, psychanalyste et directeur de recherche à l'université Paris-X de Nanterre, est auteur de nombreux ouvrages concernant le rapport humain au virtuel.

    21

    définition de « virtuel », c'est-à-dire la simulation d'un environnement réel par des images tridimensionnelles et sons de synthèse.

    Avec l'évolution frénétique des T.I.C., les « réalités virtuelles » prennent de plus en plus de place dans le quotidien via les écrans numériques interconnectés par le biais du sacro-saint Internet : un village à dimension planétaire.

    Les individus se comportent avec leur téléphone cellulaire comme les tous petits avec leur doudou. Le téléphone a un côté rassurant : il permet de se relier immédiatement à un proche, comme l'objet transitionnel* rappelle à un bébé le parent absent. « Plus le corps de ceux avec lesquels nous interagissons s'efface et plus nous sommes tentés de lui substituer celui des machines. Le toucher, par exemple, nous manque tellement que nous caressons volontiers nos téléphones» (Tisseron, 2008 : 24-25).

    2.1. Bienfaits et préjudices des mondes virtuels

    Les plus friands, mais aussi les plus chevronnés, en matière de technologies numériques : nos teens. Par les maîtres programmés des jeux vidéo, ils s'approprient les repères et conseils qu'ils ne vont plus spontanément chercher chez leurs tuteurs de la « vraie vie » (Tisseron, 2008 : 90-92). De même, les rites de passage socioculturels ou socio-cultuels - comme la communion solennelle, la fête des conscrits ou le bizutage universitaire - sont aujourd'hui remplacés, en partie, par le passage obligé dans les mondes virtuels (ibidem, p93). Faute de quoi garçons et filles risquent de se sentir en marge de la « tribu ».

    Malheureusement les adultes sont généralement peu préparés à les accompagner de façon porteuse dans ces univers en raison de la fracture numérique20. Généralement, ils ont tendance à culpabiliser l'enfant en justifiant de la stérilité du temps passé sur l'ordinateur, au détriment d'une bonne partie de celui qu'il aurait encore à consacrer à sa réussite scolaire. Les éducateurs auraient pourtant intérêt à se familiariser eux-mêmes avec ces pratiques divertissantes. En effet, ils pourraient alors non seulement réaliser que le jeune y acquiert des compétences transférables dans la réalité, mais aussi contrôler sans oppression l'activité de leur protégé en la partageant quelques fois avec lui (ibidem, pp94-96). Ainsi, le monde virtuel constitue un espace de médiation (Rouzel, 2004 : 197-207) [cf. les médiations éducatives page 56].

    Certains spécialistes défendent les vertus des jeux vidéo, face à ceux qui reprochent à ce type de distractions d'encourager des comportements violents chez leurs jeunes et d'être stériles pour leur créativité. Le point de vue que défendent les experts favorables aux activités ludiques sur l'ordinateur est le suivant. L'agressivité en soi n'est pas une manifestation pathologique, mais « une pulsion de vie, nécessaire au développement de l'enfant et à l'affirmation de soi » et, en cela, n'est pas à associer à un manque de self-control (Stora21, 2007 : 39). Cette pulsion de vie peut avoir des effets de libération et en même temps s'avère utile pour franchir des obstacles ou atteindre un but. Les jeux vidéo stimuleraient donc les facultés de stratégie de l'enfant. Il est aussi prouvé scientifiquement qu'ils stimuleraient certaines compétences cognitives, ainsi que l'intelligence déductive (ibidem p58).

    D'autre part, nous sommes aujourd'hui dans une ère sociétale surinvestie par l'idéal du moi et moins moralisatrice. Certains jeunes marquent leurs corps (tatouages, piercings), d'autres font une crise d'adolescence en donnant à leur « moi tyrannique » un exutoire par les jeux en réseau. Ils leur permettent se frotter aux règles, aux limites et prendre des risques - sans encourir des dégâts physiques - pour mieux mesurer leur puissance à un âge où ils se cherchent particulièrement (ibidem, pp 43-44). Dans les jeux dits M.M.O.R.P.G.22, affrontant - à partir d'un

    20 Elle concerne les inégalités d'usage et d'accès aux T.I.C., parfois dues à un écart intergénérationnel.

    21Michaël Stora travaille comme psychologue clinicien pour enfants et adolescents au Centre Médico-Psychologique de Pantin (France, 93) où il a créé un atelier « jeu vidéo ». Il réfléchit depuis plusieurs années sur l'impact des jeux vidéo sur les enfants souffrant de troubles psychiques mais aussi sur le lien interactif de l'homme à l'ordinateur et de ses conséquences sur les processus mentaux.

    22Acronyme anglais de Massively Multiplayer Online Role Playing Games signifiant « Jeux de rôle en ligne massivement multi-joueurs ». Accessible à tout moment par un joueur, en l'absence de ce dernier, l'univers d'un M.M.O.R.P.G. continue à évoluer avec

    22

    avatar23 - un monde inconnu où il doit prendre des décisions importantes, le jeune joueur occupe un espace qu'il conquiert progressivement. Il s'y démarque également de ses parents par une contre-culture obligée et propre au processus de l'adolescence.

    Enfin, les jeux vidéo auraient des vertus thérapeutiques dans le sens où ils seraient susceptibles d'opérer un travail de réparation narcissique (ibidem, pp58-64). Néanmoins, cette activité réparatrice ne peut se faire que si le jeune a été marqué de manière favorable dans ses premières relations humaines. Dans ce cas il pourra aisément soulager, dans les espaces dits virtuels, des souffrances passagères parce qu'il aura très tôt intégré des figures parentales plutôt bonnes et sécurisantes (Tisseron, 2008 : 140-141). La machine peut en effet offrir à un sujet donné une relation semblable à celle qui apaise le nourrisson dans un attachement primaire (dyade primitive). On parle alors d'un état de « dyade numérique » (Tisseron, 2009 : 31).

    Les cyber-consommateurs, qui ont vécu précocement des expériences traumatiques majeures d'abandon ou de séparation*, vont à leur insu réveiller leurs blessures en explorant les univers numériques. Espérant alors apaiser leurs meurtrissures, ils vont plutôt les amplifier chaque fois davantage. Par conséquent, « plus l'angoisse de ce déplaisir est vive, plus le remède du virtuel risque de devenir un poison » (ibidem, p141). C'est l'entrée dans une spirale de dépendance. Cette dérive peut être réversible, mais à condition de rencontrer un tuteur de résilience*.

    Il est des professionnels qui sont plus ou moins acerbes à l'égard des interfaces numériques, en raison justement des dérives fâcheuses auxquelles elles peuvent conduire. Ces militants soulignent à quel point notre environnement quotidien non-humain est saturé d'images et de sons en tous genres. Nous vivons dans un univers où tout va très vite, où le mouvement est permanent et où le progrès technologique accompagne le bébé dès sa vie intra-utérine. Soumis dès notre plus jeune âge au « pouvoir hypnotique des pixels », notre sensorialité est continuellement affectée par l'excitation nerveuse au détriment de l'activité intellectuelle et émotionnelle (Gustin24, 2006 : 33-34).

    L'image est un support essentiel rendant possible la pensée. Mais l'enfant doit pouvoir s'en abstraire pour que sa relation aux écrans puisse inspirer un récit à partir de représentations intérieures. Les jeunes générations sont en effet de moins en moins enclines à la représentation symbolique jadis favorisée par le conte ou le récit qui participait en même temps à une structuration lexicale et grammaticale de l'enfant, ainsi qu'à la formation de son répertoire culturel (ibidem, pp35-36). Il est prescrit également de permettre à l'enfant de faire l'expérience de la solitude et du silence pour que ses représentations puissent se former de façon à nourrir sa créativité (ibidem, p50).

    J'en reviens au sujet de la nécessaire abstraction des pixels pour s'introduire dans une dimension de la réalité où peu émerger cette créativité personnelle. On peut associer ce postulat au concept de sidération. Selon les psychanalystes, la sidération est un processus psychique dans lequel un sujet, happé par le regard qu'il porte sur un objet, disparaît dans sa propre jouissance narcissique à travers la vue de cet objet ; ce « qu'il voit, et la manière dont il voit ne font plus qu'un, dans une espèce d'unité qui interdit toute forme de mise à distance » (Meirieu, 2004). La personne est donc hors relation au monde, ce mécanisme l'empêchant d'avoir la moindre distance réflexive. En revanche, entrer en sidération peut être utile à la construction identitaire d'un individu, à condition toutefois de pouvoir en sortir, comme dans les rites initiatiques (avec entrée et sortie) de type traditionnel. Avec les images audio-visuelles d'Internet, le risque pour ceux qui y trouvent un refuge anxiolytique ou antidépresseur est ne plus vouloir en sortir. Ils sont alors pris dans la spirale de la cyberdépendance.

    les autres joueurs présents. D'où l'intérêt de se connecter en même temps que ceux avec qui on a l'habitude d'interagir.

    23Dans la croyance hindoue, l'avatara est un dieu qui descend sur terre pour prendre la forme d'une vie humaine (Hautefeuille & Véléa 2010 : 39). Selon cette signification, le joueur peut de même s'incarner dans un jeu sous une apparence toute faite ou qu'il choisit.

    24Pascale Gustin, psychologue clinicienne et psychanalyste, partage sa vie professionnelle entre le Service de Santé Mentale Le Chien Vert à Bruxelles, sa pratique libérale et les milieux hospitaliers où elle exerce depuis plus de 15 ans en pédiatrie, maternité, procréation médicalement assistée et au sein d'unités intensives néonatales et de grossesses à risque.

    23

    2.2. Cyberdépendance versus usage problématique

    Le terme « cyberdépendance » est apparu vers le milieu des années nonante, au sens de « toxicomanie sans drogue » : expression déjà proposée par Otto Fenichel en 1949 (Minotte25, 2010 : 17). Elles s'inscrivent dans le registre des dépendances comportementales. L'addiction à Internet est apparue la première fois, en 1996, dans les propos de Kimberly Young (psychologue) lors de la réunion annuelle de l'Association Américaine de Psychologie (APA) qui se déroulait à Toronto.

    « Désignant à l'origine, toute dépendance à l'ordinateur, ou plus largement à l'univers informatique, ce terme est aujourd'hui utilisé principalement pour désigner une dépendance qui s'instaure chez une personne faisant un usage distordu des moyens de communication offerts par Internet. Cette personne est dans la recherche constante de connexion au réseau informatique afin d'y établir une communication, d'y trouver une information, du sexe ou du jeu virtuel. Elle éprouve une anxiété désorganisatrice si elle ne peut se connecter, et sa vie personnelle et sociale s'organise autour de la connexion. A l'image d'une toxicodépendance, le cyberdépendant manifeste un phénomène de manque et peut recourir au mensonge pour réduire l'importance de son addiction. » (Nayebi, 2007 : 14-15).

    L'adolescence ainsi que la période d'études sont réputées propices à l'apparition de la cyberdépendance. Les mondes virtuels, du fait de la malléabilité qu'ils proposent, peuvent servir à une mise à distance des modèles parentaux et à échapper à une réalité sociale mouvante qui ne propose plus des repères fiables et sécures (Nayebi, 2007 : 25). Le risque de dépendance est plus important pour les adolescents introvertis, qui ont généralement une faible estime et une mauvaise image d'eux-mêmes. Ceux-ci peuvent contourner leur questionnement identitaire par la connexion à la Toile pour se mettre dans la peau d'un avatar fort et vaillant s'il est un garçon ; quand il s'agit d'une fille, elle peut jouir d'une meilleure réputation ou avoir davantage d'amies par le blog, le forum ou le chat qu'à l'école (Nayebi, 2007 : 35).

    Les parents ou éducateurs qui négligent la surveillance d'un jeune devant l'écran informatique lui font prendre beaucoup de risques. A cause de son manque de maturité, ce dernier ne mesure pas les conséquences de ces risques. Nous savons tous qu'Internet est truffé de contenus innombrables à caractère indésirable. Il faut bien reconnaître aussi que les consoles et « ordis » arrangent parfois les responsables de jeunes, surtout quand ces médias servent de tendres nounous. Les adultes pensent alors - à tort - que leurs protégés sont à l'abri des dangers parce qu'ils ne « traînent pas » n'importe où en dehors du giron domestique. En effet, à côté du risque pour l'enfant de tomber dans l'une ou l'autre forme de dépendance par une durée immodérée passée devant la machine, il y a aussi d'autres menaces permanentes qui pèsent sur lui en ligne, en dehors d'un regard adulte prévenant. Dans les blogs que les jeunes se créent - y divulguant des informations personnelles voire intimes - ou sur les forums juvéniles en ligne sur lesquels ils discutent, rôdent possiblement des prédateurs mal intentionnés - certains sous couverts d'une identité faussement juvénile. A savoir que « près de 70 % des services de dialogue ne sont pas modérés, ce qui n'empêche pas les adolescents de fréquenter assidûment les "chats", les forums, les blogs, n'hésitant pas à se confier à des interlocuteurs cachés derrière un pseudo » (Nayebi, 2007 : 36).

    Le cybersexe se répand le plus fréquemment par les spams26 et autres SMS. Même un jeu en ligne, un salon de chat (prononcé « tchatte ») ou un site de films peut contenir des liens hypertexte à caractère érotique ou pornographique. L'individu qui commence à s'y livrer très tôt, finissant par en éprouver une appétence sans limites, risquera vite plus tard de se détacher de son partenaire sur le plan affectif et sentimental.

    25Pascal Minotte est psychologue, psychothérapeute et chercheur à l'Institut Wallon pour la Santé Mentale. Il a réalisé, suite à une demande de la Région wallonne, une recherche sur les usages problématiques d'Internet et des jeux vidéo.

    26Lorsqu'un internaute - par simple curiosité, voire accidentellement - clique sur un cyber-lien publicitaire apparaissant sur la page où il se trouve, il va généralement devoir introduire son e-mail dans une barre de fenêtre pour accéder au contenu de la nouvelle page. Cette identification électronique est alors fichée chez le « prestataire de service » qui pourra s'en servir pour relancer le listé via des messages publicitaires « personnalisés », les spams, déposés dans la boîte e-mail de ce dernier. Un fichier de consommateurs peut être partagé avec d'autres cyber-marchands, même d'un autre secteur de l'e-business. C'est ce qui explique qu'à un moment une boîte à lettres électronique peut être truffée de spams en tout genre, l'internaute étant fiché un peu partout avec ses principaux styles de consommation.

    24

    Toujours est-il qu'un jeune, même bien cadré par ses tuteurs légaux, peut échapper à la vigilance de ces derniers en fréquentant un cyber-café pendant ses heures de fourche.

    Par ailleurs, force est de constater le foisonnement des expressions et termes relatifs aux fragilités humaines depuis une vingtaine d'années. Lorsqu'un néologisme médical se répand dans l'opinion, notamment par les médias, nous l'intégrons progressivement pour finir par ne plus que percevoir certaines conduites via le prisme de l'étiquette lexicale : « Mon enfant est-il cyberdépendant ? Ou alors, a-t-il un haut potentiel ? », « Pouvons-nous accueillir un hyperkinétique dans cette classe ? », etc. Ainsi, « il est essentiel pour les professionnels de la santé mentale de faire preuve de sobriété et de prudence dans l'étiquetage, mais aussi d'avoir à l'esprit que celui-ci construit autant qu'il décrit une situation. La façon dont nous allons nommer les problématiques de santé mentale [doit], avant de satisfaire nos désirs de maîtrise et de classement, servir le bien être de tout un chacun. » (ibidem, pp18-20).

    Il s'agit de ne pas associer systématiquement « cyberdépendance » à tout ce qui nous pose question en matière de cyberconsommation des jeunes. La cyberdépendance recèle en effet d'un éventail d'aspects diversifiés qui vont jusqu'aux jeux de hasard et d'argent. Par prudence, « nous serons plus efficients en termes de promotion du bien-être en parlant simplement d' "usages problématiques" ». Et, dans ces usages, il y a notamment le surinvestissement pour les jeux vidéo, dont ceux on line27. Cet engagement excessif, pour lequel de nombreux parents et éducateurs s'inquiètent, pourrait être qualifié de « passion obsessive » selon l'expression de Robert J. Vallerand (ibidem, pp 20-27).

    Les adolescents jouent en moyenne une à deux heures par jour. Cette moyenne n'est pas problématique. Par contre, il y aurait vraiment lieu de s'inquiéter à partir de quatre heures consécutives de jeu vidéo (ibidem, p28). A ce propos, une étude statistique menée pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, sur un échantillon représentatif des 12-20 ans, révèle que 12,9 % des interrogés s'adonnent à des jeux vidéo (sur console ou ordinateur) pendant au moins quatre heures par jour, contre 12,5 % en 2008 et 7,3 % en 2002 (Favresse & al, 2013 : 84). Bien qu'elle est loin de se généraliser, force est de constater que la tendance est en nette progression depuis une dizaine d'années.

    L'usage problématique des jeux interactifs concerne davantage les garçons que les filles. Ces dernières ont tendances à préférer les IRC28 où elles peuvent « clavarder » (contraction de « clavier » et « bavarder »29) en toute liberté et anonymat, mais risquent toutefois de s'y perdre tout autant que les garçons le font dans les jeux vidéo (Minotte, 2010 : 29).

    Comme je l'ai désormais quelques fois évoqué, un usage problématique des écrans numériques peut s'expliquer par une fracture dans l'histoire de certaines personnes. Mais cette cause ne doit pas s'envisager isolément d'autres. L'interactivité dans la structure des MMORPG, par exemple, est programmée pour l'établissement d'un lien fort entre joueurs d'une même « guilde »30. Cette relation solide serait de même nature que celle existant dans une coopération de confiance « réelle » (ibidem, p31).

    Toujours est-il que, au regard de l'état lieu dont je viens de rendre compte, il est clair que les éducateurs ne doivent pas négliger - pour prévenir toute dérive - d'entretenir un dialogue aussi régulier que possible avec les jeunes dont la responsabilité leur incombe, même à propos d'un domaine dont certains aspects pourraient échapper à leurs maîtrise et connaissance.

    27Anglicisme signifiant « en ligne », c'est-à-dire connecté à Internet.

    28L'Internet Relay Chat est un protocole qui permet de dialoguer en temps réel avec d'autres utilisateurs en se connectant grâce à un

    logiciel (appelé un « client ») à serveur IRC lui-même relié avec d'autres serveurs IRC. Toutes les personnes ainsi connectées peuvent

    discuter sur des forums publics ou privés en respectant toutefois des règles d'utilisation.

    Sources : http://www.commentcamarche.net/contents/1155-irc.

    29Néologisme que j'ai rencontré à l'occasion d'une soirée d'information Webetic.

    30Une guilde est un ensemble de joueurs formant une équipe de « collaborateurs ». L'un des membres en est le chef.

    25

    2.3. Méthodologie de prévention

    L'éducateur averti sait que se placer sur un mode alarmiste et moralisateur, face à un mésusage potentiel, est d'emblée stérile. Voici donc quelques conduites à tenir afin de transmettre aux jeunes un usage sain de l'informatique (Nayebi, 2007 : 40-41 et 65).

    2.3.1. Avec les 8-12 ans

    Les 8-12 ans se familiarisent avec les jeux en ligne, commencent à maîtriser les messages électroniques et regarder des films en streaming31 et téléchargent leurs musiques favorites sur leur baladeur numérique. Après l'âge de 10 ans certains essayent déjà d'accéder à la cyber-sexualité et, en raison de la crédulité liée à leur immaturité, ils peuvent facilement tomber dans les filets pervers des prédateurs de la cybercriminalité par l'intermédiaire des blogs - toutefois dédiés à cette tranche d'âge - qui connaissent une formidable expansion depuis 2005 environ.

    Ainsi, la prévention vis-à-vis des contenus « toxiques » peut se faire à partir de 11 ans. Il est donc nécessaire :

    · d'expliquer à l'enfant de cet âge qu'il risque de recevoir ces types de contenus, sous forme de spam, même s'il ne les convoite pas ;

    · de lui recommander de se contenter du stricte minimum de données personnelles pour remplir un formulaire d'inscription sur un site et d'éviter d'envoyer des cartes électroniques à ses amis (pour se protéger du harcèlement publicitaire de l'e-business) ;

    · d'aviser le jeune qu'il doive prévenir ses éducateurs en cas de réception, sur sa boîte aux lettres électronique ou son GSM, d'un message non attendu ;

    · de clarifier que tout rendez-vous pris par Internet est dangereux, sauf évidemment entre mineurs et à condition que les responsables légaux de chaque enfant aient établi ensemble au moins un contact pour se mettre d'accord sur le cadre de la rencontre.

    · d'énumérer à son enfant les conduites à tenir en ligne (préserver son intimité ; ne pas publier ses photos ou vidéo n'importe où ; ne pas se déshabiller devant la webcam ; même pour « rigoler » ; ne pas déjà se lier d'amitié au bout de quelques échanges de mails ; etc.) ;

    · de lui expliquer que le seul fait de jouer souvent avec quelqu'un en ligne, qu'on ne connaît pas dans la vraie vie, ne légitime pas une proximité ou amitié authentique avec la personne qui se « cache » derrière un avatar.

    La sécurité et la santé de la fréquentation des univers numériques se construisent encore avec les jeunes de cette classe d'âge par le biais d'autres règles et méthodes :

    · Lors de l'achat d'un jeu, consulter sa classification PEGI32 pour vérifier si son contenu s'approprie à l'âge du jeune ;

    · Ne pas passer plus de 2 heures 30 par jour devant l'ensemble des écrans à pixels (TV + ordinateur + console vidéo) ;

    · Trouver un équilibre, dans les activités extra-scolaires, en complétant le temps passé devant les écrans par au moins 4 heures d'activité physiques, à répartir de préférence entre deux jours de la semaine ;

    · Si l'enfant respecte ce contrat, l'autoriser à passer plus de temps sur l'ordinateur et/ou sa console le week-end, sans toutefois dépasser 5 heures par jour ;

    · Poser les conditions de gestion de la consommation du GSM, en disant par exemple qu'il a droit à une carte de rechargement prépayée de 10 ou 15 € par mois.

    2.3.1. Avec les plus de 12 ans

    Ils se spécialisent dans l'exploration des sites Internet en « surfant ». Ils s'emballent pour les jeux vidéo « des grands ». Ils téléchargent sans discernement des contenus

    31Transmission de données audio et vidéo par des cyber-marchands en flux continu, dès qu'un téléchargement - au moyen d'un logiciel de lecture comme Windows Media Player ou Adobe Flash Player - est sollicité par un internaute sur le site de ce marchand. 32« Pan European Game Information » = système européen d'information sur les jeux (voir Annexe 2, page 67).

    26

    audiovisuels susceptibles de les fasciner ; certains ont tendance à rechercher des photos à caractère sexuel ou de courtes séquences vidéo du même type. Ils utilisent de façon quasi-quotidienne les sites de chat et autres blogs. En matière préventive, il s'agit de :

    · les sensibiliser à leur responsabilité devant les lois régissant la vie privée, le partage des fichiers, les droits d'auteur, le droit à l'image (qui protège davantage les particuliers que les artistes médiatisés) ;

    · les autoriser à publier un blog, mais à condition de se laisser accompagner par l'adulte dans la thématique et la construction du blog au départ ;

    · leur donner des conseils éthiques comme ne pas répandre des rumeurs sur leur blog ou autres sites Internet ;

    · consulter régulièrement leur blog pour s'assurer qu'ils ne soient pas la cible de harcèlements, de prédations pédophiliques ou d'intimidations ;

    · s'assurer que les chats et forums de discussion, qu'ils fréquentent, soient bien soumis à modération33 .

    3. Autres approches théoriques et outils psycho-éducatifs

    Les définitions ci-dessous, réparties par champs disciplinaires, sont relatives à des matières que j'ai rencontrées tout au long de mon cursus de formation. J'en utiliserai les concepts, plus loin, dans l'analyse de situations tirées de ma pratique professionnelle.

    3.1.Du comportementalisme

    Le conditionnement pavlovien (Seron, Lambert & Van der Linden, 1977 : 21-26)

    Il obéit au principe selon lequel tout stimulus du milieu sur un individu, induit chez ce dernier une réponse comportementale (ou comportement), selon le schéma SE--I--RC34. Plus une personne va être stimulée répétitivement dans le sens d'obtenir un certain comportement ou une certaine attitude, plus la réponse comportementale ou attitudinale escomptée risque d'apparaître.

    Le renforcement (ibidem, pp27-30)

    Selon le principe évoqué précédemment, il y a un accroissement de la probabilité d'apparition d'un comportement suivant la présentation d'un stimulus particulier. On parle alors de renforcement positif. Ainsi, un nouveau comportement peut être obtenu progressivement, de la part de quelqu'un, par le renforcement de comportements successifs ayant des caractéristiques similaires avec le comportement attendu.

    En revanche un stimulus, ayant un caractère aversif pour un individu donné, va amener celui-ci à manifester une réaction visant à se soustraire à la situation désagréable. On parle encore de renforcement négatif. La réaction du sujet peut alors être, entre autres, un comportement dit d'échappement.

    Le comportement le plus approprié (Montreuil & Margerotte, 1994 : 131)

    Si certains comportements d'un enfant peuvent-être perçus par l'éducateur comme « inappropriés » (agressivité verbale ou physique, absence de réaction ...), il n'en est pas de même pour le premier. En effet, ce dernier ne sachant pas communiquer selon une manière que nous estimons « adaptée », il va avoir tendance à exprimer un besoin insatisfait selon ses « moyens du bord ».

    33Un modérateur est un internaute dont le rôle est d'animer et essentiellement de surveiller un forum de discussion pour bannir les users (utilisateurs du même forum) diffusant des insultes ou propos diffamatoires. Il est également charger de bannir les incitations à la violence, la haine, le racisme ou la pornographie (surtout sur les sites réservés aux plus jeunes) et tout ce qui est hors la loi en général. Il doit toutefois se montrer impartial dans les débats en tempérant son opinion personnelle, afin qu'elle n'entache pas son jugement.

    34SE = stimulus externe ; I = individu ; RC = réponse comportementale.

    27

    3.2.De la psychologie génétique (Fonck, 2008/2009)

    L'objet transitionnel est l'objet utilisé par un enfant, à partir de l'âge de 4 mois, pour atténuer une angoisse de séparation momentanée d'avec sa mère, la figure d'attachement. Selon Donald Winnicott (années 50), cet objet va permettre au bébé de réunir sa réalité intérieure et la réalité extérieure. Cette réalité intérieure est constituée de ce qu'il perçoit du monde extérieur modifié par ses propres fantasmes.

    L'imago

    C'est le concept selon lequel une figure affective adulte peut se substituer à celle d'une mère ou d'un père. Il s'agit d'un imago maternel lorsque cette figure est une femme. On parle d'imago paternel pour un homme.

    3.3.De la psychologie sociale

    L'estime de soi (Josquin, 2009/2010)

    C'est l'auto-évaluation de soi, mais aussi la valorisation de soi reposant sur la comparaison aux autres en utilisant des critères qui nous sont a priori favorables, ou encore la pensée d'être au-dessus de la moyenne des membres des membres d'un groupe d'appartenance.

    L'identité sociale (ibidem)

    C'est la partie du concept de soi d'un individu résultant de la conscience de celui-ci d'appartenir à un groupe humain donné, « ainsi que la signification émotionnelle qu'il attache à cette appartenance ».

    L'autorité éducative

    Pour toute autorité ajustée, il « s'agit toujours d'être suffisamment proche pour ne jamais être indifférent, et suffisamment distant pour ne pas être indifférencié. Tout l'art de l'autorité réside dans cet art du positionnement » (Petitclerc, 2012 : 27). Et « autorité » est à prendre ici sous son sens étymologique latin augere signifiant à la fois « auteur » et « croître ». L'autorité ainsi définie, toute relation qui se veut d'autorité «est une relation qui permet à l'enfant, à l'adolescent qui grandit de devenir auteur de sa propre vie » (ibidem, p13).

    3.4.De la sociologie

    L'habitus (Heze, 2011/2012)

    Notion chère au sociologue français Pierre Bourdieu, l'habitus est une disposition à agir, penser et croire incorporée, par « contagion » socio-affective, à la dimension psychologique d'un individu. L'habitus ainsi acquis va influencer inconsciemment nos choix, paroles ou opinions selon un système de valeurs. Les habitus sont un facteur important de résistance au changement et donc à la remise en question de soi.

    3.5.De la psychopathologie

    L'atteinte à la constitution du sentiment de puissance personnelle

    C'est l'atteinte à l'intégrité psychique d'une personne due à une expérience d'insécurité extrême. Ce traumatisme n'ayant pas été « digéré » dans la dynamique psychique de l'intéressé, celui-ci risque de rester fixé à un stade de son développement psycho-affectif (Greffe, 2012/2013).

    Une personne possède un sentiment de puissance personnel quand elle se sent capable d'exercer un certain pouvoir sur l'ordre des choses, donc se positionner en tant que sujet.

    28

    L'actualisation des peurs archaïques est un processus mental qui consiste, dans une dynamique de rivalité relationnelle, en la projection d'angoisses - liés à un traumatisme psychique - de manière transférentielle dans le présent (ibidem).

    L'expérience d'abandon affectif (ibidem)

    Vécu traumatique lié au manque d'investissement affectif d'un enfant par une figure parentale, bien que le parent ne l'ait pas abandonné effectivement. Ce traumatisme peut susciter une faille narcissique qui s'accompagne d'une angoisse de perte d'Objet.

    La résilience (Cyrulnik, 1999)

    En physique, la résilience est « l'aptitude d'un corps à résister à un choc ». En psychologie humaine, elle est la « capacité à réussir, à vivre et à se développer positivement de manière socialement acceptable en dépit du stress ou d'une adversité qui comportent normalement le risque grave d'une issue négative » (ibidem, p10). Cette adversité peut être un traumatisme lié à une expérience de danger (comme la maltraitance parentale) ou d'insécurité majeure (comme la négligence parentale). Mais ce drame existentiel peut être surmonté à partir de la rencontre de « tuteurs de résilience » dans sa trajectoire de vie offrant au résilient la possibilité de mettre en mots une situation traumatique, en vue d'une prise de distance par rapport aux émotions liées à cette dernière. Un tuteur de résilience peut aussi être un pointeur de ressources chez l'Autre pour l'aider à rester fixer sur des objectifs de vie à atteindre.

    L'inscription dans la constructibilité psychocorporelle est la possibilité pour un sujet de rester inscrit dans un processus évolutif de construction identitaire et de structuration de sa personnalité (Greffe, 2010/2011).

    La contagion est un phénomène de suggestion émotionnelle d'un enfant par une figure parentale (ibidem, 2012/2013).

    3.6.De la communication interpersonnelle

    Les messages dans la communication (Pasleau, 2008/2009)

    En tant qu'éducateur, il est important d'être particulièrement vigilent à la congruence des canaux de la communication interpersonnelle, c'est-à-dire à la symphonie (cohérence) des messages envoyés sur ces différents canaux (le canal verbal relatif à la langue parlée + les canaux non verbaux relatifs aux cinq sens), afin de ne pas induire d'ambivalence dans le décodage du message global par l'interlocuteur-bénéficiaire.

    La congruence (ibidem) est, selon Carl Rogers, « tout ce que je ressens intérieurement est aussi ce que j'exprime. Je suis alors `congruent', c'est-à-dire je suis le même intérieurement et extérieurement, je suis cohérent ». Il s'agit au minimum d'éviter d'exprimer quelque chose que l'on ne ressent pas. La non-congruence produit un double message qui induit de la confusion chez autrui.

    La communication para-verbale (ibidem), relative aux caractéristiques de la voix (ton, intonation, rythme, ...) et aux périodes de latence entre les mots prononcés, est une composante de l'expression non-verbale.

    L'escalade symétrique (ibidem)

    Dans une relation symétrique (en miroir), les partenaires maximalisent les ressemblances - verbales comme non verbales - de telle sorte qu'ils soient en écho dans leur fonctionnement entre eux. L'inconvénient principal de la symétrie relationnelle est de provoquer l'escalade symétrique ; il y a une compétition entre les partenaires qui jouent au même jeu : ou prendre une position de plus en plus haute ou se placer en position de plus en plus basse. Cela se traduit par de la rivalité.

    29

    Zone d'acceptation versus zone d'inacceptation (T. Gordon in De Halleux, 2008/09)

    Zone d'acceptation
    (disponibilité)

    L'autre vit une difficulté

    J'écoute

     

    J'écoute ou m'exprime

    Zone d'inacceptation (indisponibilité)

    Je vis une difficulté

    Je m'exprime en « je »

     

    Dans la zone du milieu (en vert), l'autre et moi sommes réciproquement disponibles. Nous pouvons donc nous exprimer et nous écouter mutuellement. Ainsi nous sommes amenés à progresser ensemble.

    Dans la zone du haut (en bleu), l'autre vit une difficulté, il a donc besoin de l'exprimer. Mon outil de communication par rapport à lui sera l'écoute, pour ne pas dire l'écoute active que j'ai définie un peu plus loin.

    Dans la zone du bas (en orange), comme c'est moi qui vis une difficulté, je l'exprimerai en mon nom personnel. Ainsi, pour faire au mieux, je vais me servir de l'expression en « je », comme outil de communication, afin de ne pas faire porter la responsabilité de mon problème à l'autre.

    L'empathie (Rogers, 1976 : 238)

    Dans une relation dite d'aide, la compréhension empathique est la capacité de l'éducateur de « percevoir le monde subjectif [d'un sujet-bénéficiaire] «comme si» on était cette personne, sans toutefois jamais perdre de vue [...] qu'il s'agit des expériences et perceptions de l'autre. Si cette dernière condition est absente ou cesse de jouer, il ne s'agira plus d'empathie, mais d'identification ». Cette compréhension est censée s'exercer dans un cadre d'écoute active : l'accompagnant reformule ce qu'il perçoit des attitudes de l'accompagné, pour vérifier si ses interprétations correspondent à la réalité intérieure de ce dernier. (Ex. Je crois comprendre que tu préfères jouer à la DS que faire une balade dehors. Tu as mon autorisation de rester au Foyer alors).

    Les jeux relationnels (De Halleux, 2008/2009)

    En analyse transactionnelle, les jeux de relation sont des situations de conflit où l'un des ou les deux partenaires est dévalorisé, selon le triangle (dramatique ou de Karpman) suivant :

    30

    Le persécuteur prend une position rigide, dans laquelle il culpabilise l'autre, déniant sa responsabilité ;

    Le sauveur a tendance à maintenir l'autre, qu'il considère comme incapable, en position de dépendance en faisant « à la place de » ;

    La victime a tendance à se complaire dans les difficultés, envoyant des messages indirect à l'autre afin d'être pris en charge par lui.

    Les Etats du moi et les transactions (ibidem)

    Suivant les moments, nous sommes susceptibles de fonctionner selon trois modes par rapport aux personnes avec qui nous sommes en relation. L'analyse transactionnelle, toujours, désigne ces modes par états du moi. Il s'agit de l'état de :

    - Parent = la zone de normes et valeurs (Il faut que, Tu dois, C'est très bien quand, Là je ne suis pas d'accord parce que...) ;

    - Adulte = la zone rationnelle de prise de recul par rapport aux évènements intérieurs et d'analyse des éléments extérieurs ;

    - Enfant = la zone affective du ressenti, du besoin, de l'attente, du désir, ...

    Les états de Parent et d'Enfant présentent à leur tour plusieurs aspects :

    Les transactions sont des allers-retours, dans la communication interpersonnelle, entre ses propres états du moi et ceux de l'autre. Exemple de transactions :

    31

    IV.- SITUATIONS EDUCATIVES

    ET ANALYSES REFLEXIVES

    32

    1. Première situation éducative : avec François et Damien

    1.1. Présentation des personnes

    François (11 ans)

    · Placement : François est placé en pouponnière dans sa première année, en même temps que son frère, suite au signalement du grand-père maternel. Il est placé au Foyer à 3 ans.

    · Explication des raisons de placement : les enfants sont en danger suite à négligence et maltraitance parentale. A ce tableau s'ajoutent de la violence entre les parents.

    · Fratrie : un frère de 12 ans et une soeur de 7 ans (placés ailleurs actuellement).

    · Maintien du lien familial : le garçon a des visites régulières du grand-père maternel ; le père n'exploite plus son droit de visite mensuel.

    · Scolarité : enseignement primaire classique (5ème année bis).

    Damien (15 ans)

    · Placement au Foyer à 6 ans, en même temps que sa soeur d'un an plus jeune.

    · Explication des raisons de placement : la mère est seule (père incarcéré) et présente d'importantes limites sur le plan intellectuel. A l'occasion d'une « garde » chez un voisin, les enfants avalent de la méthadone. Cette ingestion donne suite à leur hospitalisation qui entraînera d'abord un placement familial (chez un frère de la mère) avant le placement institutionnel ;

    · Fratrie : 2 soeurs (9 et 14 ans) placées au Foyer ;

    · Maintien du lien familial : retours familiaux réguliers les week-ends et jours fériés ;

    · Scolarité : enseignement professionnel (hôtellerie, 1ère année bis).

    1.2. Le contexte de la situation

    1.2.1. Les acteurs en présence

    · François

    · Damien

    · Deux adolescentes du groupe vertical mixte (présentes silencieusement)

    · Moi-même

    33

    1.2.2. Le contexte

    La situation se déroule un jour férié, en semaine, après le souper. Je me retrouve avec les jeunes restés dans la salle à manger pour utiliser les ordinateurs à des fins de ludiques. François et deux jeunes filles sont assis chacun devant un ordinateur pour des distractions différentes. L'éducateur responsable, avec qui je partage la prestation, prend en charge les plus petits du groupe pour leur donner le bain dans une autre partie de la maison. Je suis assis derrière les jeunes internautes (face orientée vers les ordinateurs) pour observer leurs interactions avec la machine. De temps en temps, d'autres enfants traversent la cuisine.

    1.3. Les faits observables

    Je me lève et m'avance pour m'asseoir à droite de François, devant un ordinateur resté

    libre. Je reste silencieux et inactif, mais mon visage est tourné vers François qui ne quitte pas l'écran

    des yeux tout en pianotant de façon répétitive sur certaines touches du clavier informatique.

    MOI (regard dirigé vers F) : « F..., ça te dérange si je te regarde jouer ? »

    FRANCOIS (d'une voix chantante clairement intelligible, tout en restant les yeux fixés sur l'écran

    et continuant à faire aller ses doigts sur le clavier) : « Non...on. »

    Nous restons silencieux, côte à côte, dans nos postures respectives. Au bout d'environ cinq minutes,

    je cherche une nouvelle fois à établir la communication avec le garçon.

    MOI : « F..., est-ce que je peux te poser une question ? »

    FRANCOIS (idem que précédemment dans son non-verbal et son para-verbal) : « Oui...i. »

    MOI : « C'est quoi le nom de ce jeu ? »

    FRANCOIS (gestes et postures inchangées face à l'ordi) : « Dungeon Rampage35. »

    MOI : « Donjon... Comment ?... »

    FRANCOIS : « Rampage ! »

    MOI : « Ah ! Donjon et remparts ?... »

    François ne répond rien et continue de rester manifestement imperturbable dans son interaction

    virtuelle. Je découvrirai le nom exact du jeu par la suite, chez moi, en allant le vérifier sur Internet.

    En attendant, je reste moi-même silencieux quelques instants, mais néanmoins observateur de la

    façon habile dont F... continue à diriger son avatar dans un décor médiéval. Les images graphiques

    défilent à vive allure. Je relance la conversation.

    MOI : « Tu joues souvent à ce jeu ? »

    FRANCOIS : « Ben... Oui, quelques fois... »

    MOI : « Tu joues aussi à d'autres jeux sur Internet ? »

    FRANCOIS : « Oui...i. »

    MOI : « Auxquels ? »

    FRANCOIS : « Ben... V a... Euh... Social empire, Social world... Dragon city... Avengers,... »

    Silence de quelques instants. Puis, je continue.

    MOI : « Je vois que tu te débrouilles bien... Tu es au quantième niveau, là ? »

    FRANCOIS : « Chuis dans le cinquantième monde... Regarde, y a Damien qui est là aussi ! »

    MOI : « Ah, c'est un jeu en ligne à plusieurs !... Mais, dis-moi, Damien c'est un copain de ta

    classe ? »

    FRANCOIS : « Non, c'est Damien du Foyer ! »

    MOI : « Mais il n'est pas là aujourd'hui !... »

    FRANCOIS : « Ben non, je sais... Il joue chez lui ! »

    MOI : « Ah, je comprends. C'est vrai qu'il est en retour famille aujourd'hui ! »

    FRANCOIS : « Oui. »

    Un autre silence. Je continue d'observer sa façon de jouer avant de reprendre mon questionnement.

    MOI : « C'est quoi ta mission ? »

    35 Dungeon Rampage est un jeu vidéo gratuit en ligne. Il s'agit d'un jeu multi joueurs en temps réel, de type arcade.

    34

    FRANCOIS : « Je dois tuer les méchants et je dois ramasser les pièces et les trésors... Et, tu vois, quand je prends ça (F... m'explique tout en s'exécutant), ça me donne de l'énergie. »

    Le garçon met sa partie en suspension (mode « pause ») et change de fenêtre informatique pour me présenter, avec une explication détaillée et tout en les faisant défiler une à une, les fonctions accessoires du jeu.

    1.4. Mon ressenti

    · Je suis étonné de constater avec quelle adresse et automatisme François fait progresser son avatar sur l'écran, tout en répondant à mes questions et en me fournissant différentes explications de façon simultanée.

    · Lorsque François me présente les fonctions accessoires du jeu, je parviens à en saisir le principe. Mais ses manipulations sont pour moi si rapides que je ne réussis pas à mémoriser le contenu total de ce qu'il m'explique. Je me sens alors comme un dinosaure « au pays du Net » (Gustin, 2006), dans l'écart générationnel qui me sépare des protagonistes.

    1.5. Mes interprétation a priori

    · François est très expérimenté en matière de jeu vidéo.

    · Il apprécierait que je m'intéresse à son jeu : il m'en donne toute une série d'explications malgré son « absorption interactive ».

    1.6. Des informations complémentaires utiles à la compréhension de la situation

    François

    · Les contacts maternels ont été suspendus depuis 2007 car la mère néfaste à son fils en raison de manifestations d'agressivité et de grossièreté à l'égard de celui-ci pendant les visites au Foyer (information recueillie dans le dossier du bénéficiaire).

    · Il n'a plus de contact de visu avec son père depuis début 2011 (idem pour le recueil des informations). Seuls quelques contacts téléphoniques maintiennent le lien affectif avec le père, mais sont d'une extrême rareté (information obtenue de la part de l'éducatrice référente).

    · Ses parents sont séparés depuis plusieurs années (source de l'information : dossier du bénéficiaire) ;

    · Son frère aîné ayant été écarté du Foyer depuis plus d'un an, François ne le voit qu'à l'occasion des visites du grand-père qui prend en charge ses petits-fils ensemble, à l'extérieur, durant une demi-journée par mois (source de l'information : l'éducatrice référente). Quand il m'est arrivé de l'interroger au sujet du partage des jeux vidéo avec son frère à cette occasion, il reconnaît en parler et y jouer avec lui.

    · Début octobre 2012, une éducatrice trouvant François en train de jouer à sa console DS, dans son lit en pleine nuit, lui promet une punition si cela venait à se reproduire (source : journalier de l'équipe éducative).

    · En plus des moments de jeu passés sur l'ordinateur, il passe la plupart de son temps libre à jouer avec sa console. Durant ses parties de console, il est quasiment imperméable à la discussion. Par contre, il est plus facilement abordable devant l'ordinateur (constats établis par moi-même).

    · Il lui faut parfois plus d'un an pour établir une relation de confiance avec l'adulte (information recueillie auprès de l'ensemble des éducateurs).

    Damien

    · Son père, réincarcéré en 2008, est actuellement en liberté surveillée ; il vit à nouveau avec la mère (informations recueillies auprès de l'éducatrice référente).

    ·

    35

    Le jeune homme a des résultats scolaires médiocres dans toutes les matières théoriques (à l'examen du bulletin scolaire du bénéficiaire) et ne s'intéresse plus à la formation professionnelle pour laquelle il était très motivé au départ par aspiration personnelle (information recueillie auprès de sa référente).

    · Damien chercherait à s'identifier au père, qui a interrompu son cursus scolaire très tôt pour vivre de l'argent « facile » et se divertit entre autres par les jeux vidéo (idem pour la source de l'information).

    · Lorsque Damien est chez ses parents, il communique chaque fois avec Flavien via Facebook et des jeux vidéo en réseau (constat établi par moi-même).

    · Il semblerait qu'en retour famille il passe tout son temps devant l'ordinateur et ne fait aucune autre activité en dehors d'accompagner sa mère pour aller faire les courses ou en consultation chez le médecin (information recueillie auprès de l'éducatrice référente).

    · Le père de Damien est absent à la maison la journée : il est souvent au café. Il l'est donc aussi affectivement et éducativement vis-à-vis de ses enfants (idem pour la source de l'information).

    En ce qui me concerne

    En dehors des activités ludiques et des promenades ou du conditionnement du coucher (lecture de contes, de récits, ...), j'ai avec l'ensemble des résidents un rapport éducatif plutôt asymétrique.

    1.7. Questionnement ouvert et hypothèses de compréhension

    1.6.1. Mon questionnement

    · François et Damien ont-ils généralement l'occasion de faire part aux éducateurs de ce qu'ils vivent dans leurs distractions virtuelles ? Quel pourrait être l'impact d'une relation éducative moins « conventionnelle » que j'entretiendrais avec François et Damien ?

    · Le contenu de la relation qu'ils entretiennent les deux garçons entre eux via le cyber-espace est-il du même type dans le « réel » ?

    · Quel besoin implicite cherchent-ils à satisfaire par le jeu vidéo en général ? Par les MMORPG* plus particulièrement ? Dans quelle mesure l'ensemble de leurs besoins et attentes sont-ils satisfaits dans le quotidien, en dehors du virtuel ?

    · Dans quelle mesure leur rapport au réel est-il/n'est-il pas tronqué par m'influence des mondes virtuels qu'ils fréquentent ?

    1.6.2. Mes hypothèses de compréhension

    1) S'il peut arriver à François de parler avec son frère de jeux vidéo pendant ces occasions, je doute fort qu'il puisse le faire de la même façon avec son grand-père en raison de la fracture numérique*. Quand à Damien, je suppose qu'il en parle souvent avec son père qui en fait également son activité de loisir.

    2) Comme François peut avoir tendance à jouer avec sa console de façon cachée, il y aurait un besoin affectif et relationnel insatisfait chez lui. Il chercherait à combler un manque ou d'affection, qu'il n'a peut-être jamais eu de ses géniteurs, par la dyade numérique*. Idem pour Damien qui en fait sa principale activité au domicile parental.

    3) François aurait besoin d'être plus rejoint par l'adulte là où il n'est peut-être pas capable de mettre des mots sur une souffrance morale autrement que par son évasion virtuelle. C'est pourquoi, en dehors de la lecture que je lui fais parfois au moment du coucher, il serait peut-être bon que je lui consacre d'autres temps où je me mets plus à son niveau dans la relation.

    4) L'écartement du frère de François aurait occasionné à ce dernier une expérience d'abandon supplémentaire (s'additionnant à celles qu'il subit par l'absence de relation à

    36

    ses parents). François tenterait de combler cette absence de relation de proximité avec son frère par la communication virtuelle avec un autre aîné : Damien.

    5) Il en serait de même pour Damien : celui-ci construirait des liens de proximité quasi-exclusifs dans le virtuel lorsqu'il est en week-end chez ses parents. En effet, il communique peu avec une mère limitée intellectuellement, si ce n'est pour exercer de l'ascendance sur elle. De plus, son père est absent affectivement (cf. Expérience d'abandon affectif *).

    1.1.1.1.6) Damien serait dans une espèce d'indifférenciation par rapport à son père, par contagion* ou identification (décrochage scolaire précoce, goût pour les jeux vidéo, ...)

    1.8. Une piste à exploiter

    Je choisis l'hypothèse de compréhension 3 pour en faire une piste d'intervention. Il serait en effet bon que je puisse - en tant qu'imago* paternel- partager des moments de jeux vidéo qui constitueraient en même temps un espace de médiation éducative*, avec les protagonistes. L'objectif est, à partir de la confiance que je peux construire avec eux à travers cet espace dans un premier temps, de mettre ensuite en place d'autres activités - le moment voulu - dans la « vraie vie », pour leur permettre de se déconnecter un peu du « pouvoir hypnotique des pixels* ».

    1.9. La mise à l'épreuve de l'hypothèse d'intervention

    Un dimanche en soirée, Damien et François se retrouvent côte à côte plongés dans

    l'écran d'un ordinateur. Ils jouent en réseau à Dungeon Rampage. Me tenant auprès d'eux, j'observe

    leurs interactions tout en passant un balai dans la pièce. Les autres jeunes sont occupés à d'autres

    activités dans la maison : certains « petits » jouent dans la salle de jeu, trois autres font la vaisselle

    dans la cuisine, d'autres encore sont « scotchés » devant l'écran de télévision du salon. Une fois ma

    tâche ménagère achevée, je propose aux deux joueurs de les rejoindre dans leur activité. L'occasion

    se prête bien puisque deux ordinateurs sont restés libres.

    MOI : « Les gars, ça ne vous dérange pas si je joue avec vous ? »

    DAMIEN : « Non, non, viens, y pas d'souci !... »

    MOI : « Et toi, François, qu'en penses-tu ?... »

    FRANCOIS : « De quoi ? »

    MOI : « Es-tu d'accord pour que je vienne jouer avec vous à Dungeon Rampage ? »

    FRANCOIS : « Ben... Oui... Pourquoi pas ? »

    Je m'installe à côté des garçons pour occuper le troisième ordinateur. Une fois la machine

    complètement activée, je reprends mon questionnement.

    MOI : « Est-ce qu'il est possible de vous rejoindre au niveau où vous êtes arrivés ? »

    DAMIEN : « Ouais, pas de souci ! »

    MOI : « Le problème, c'est que je ne sais pas comment faire pour y arriver. Qui peut m'aider ? »

    DAMIEN : « Viens, je vais te faire ça. »

    Damien passe par différentes options à sélectionner dans le programme du jeu pour me configurer

    mon avatar. De cette façon, je peux me tenir par projection virtuelle aux côtés des garçons afin de

    progresser en même temps qu'eux dans la partie. J'en remercie mon assistant. Par ailleurs, je réalise

    rapidement que je n'ai pas la même dextérité que mes partenaires de jeu pour me maintenir côte à

    côte avec eux.

    MOI : « Oufti, c'est trop rapide pour moi !... Vous faites comment les gars ?... »

    DAMIEN : « C'est normal : nous on a l'habitude ! »

    MOI : « Oui, mais quand même... »

     

    37

    FRANCOIS : « Tracasse : nous on s'occupe des méchants. Tu n'as qu'à nous suivre. »

    DAMIEN : « Oui, on te laisse les trésors et de l'énergie. T'as juste besoin de les ramasser en même temps que tu nous suis. »

    MOI : « Ok, merci... Sympa les gars ! »

    Bien que mon devoir reste minime dans notre équipe chevaleresque, j'ai toujours du mal à maintenir mon avatar près de ceux de mes coéquipiers chevronnés.

    Au bout de quinze minutes de jeux, fatigués par l'effort de concentration que je dois fournir, je quitte la partie en félicitant néanmoins mes partenaires pour leur habileté. Mon sentiment de faire partie d'une génération de dinosaure, dans le maillage du réticulum virtuel, s'en trouve renforcé. Les garçons, quant à eux, ne quitteront les écrans qu'une heure plus tard, après que l'éducateur présent et moi-même n'ayons cessé de leur rappeler l'urgence pour eux de quitter les ordinateurs.

    1.10. Evaluation de l'impact de mon action

    Damien et François viennent a priori plus volontiers vers moi depuis notre partage ludique. Je pense qu'ils me considèrent un peu comme l'un des leurs parce que je me suis mêlé à leur univers. D'autre part, ils ont probablement dû se sentir valorisés à partir du moment où je les ai félicités pour leurs performances et leur adresse.

    Ensuite, comme j'ai eu confiance dans leur aide, qui consistait à me faire entrer pleinement dans la partie, j'ai peut-être réciproquement rendu possible leur confiance envers moi. Cette confiance mutuelle est, selon moi, la condition sine qua non de la construction d'une relation authentique fondatrice d'un terrain pédagogique.

    Cependant, pour éduquer « efficacement » de jeunes bénéficiaires à un régime virtuel équilibré, sans que cela passe pour un quelconque « copinage » dans ma façon d'exercer mon empathie* à leur égard, je dois veiller à conserver une juste distance relationnelle nécessaire à toute relation d'autorité éducative* qui se veut comme telle.

    2. Deuxième situation éducative : co-construction d'une charte d'utilisation des ordinateurs

    2.1. Le contexte de la situation de départ

    2.1.1. Les acteurs en présence

    · 10 bénéficiaires âgés entre 11 et 16 ans ;

    · Thierry (éducateur) ;

    · Moi-même.

    2.1.2. Le contexte

    Il s'agit de prévenir collectivement, au sein du Foyer, l'usage abusif ou détourné des ordinateurs investis par les jeunes dont l'accès y est autorisé (à partir de 11 ans). Dans ce cadre, les quatre machines destinées aux bénéficiaires avaient déjà été déplacées d'un local situé dans les combles de la maison vers la salle à manger principale, pour l'aménagement suivant :

    38

    L'objectif de ce déménagement était de pouvoir garder, au moyen d'une pièce centrale de la maison, un regard plus vigilant sur la manière dont les bénéficiaires se servent du matériel informatique et dont ils surfent sur le Net. « Centrale » est ici à entendre au sens de très régulièrement fréquentée par tous les acteurs de l'institution.

    Malgré cette excellente initiative d'équipe, j'ai pu constater qu'il existait, concernant les règles d'utilisation, quasiment autant de versions qu'il y a de jeunes en droit d'utiliser les ordinateurs. Il me semble que cela est probablement dû au caractère purement informel de ces règles. C'est pourquoi j'ai estimé qu'il fallait leur conférer un cadre officiel, qui soit univoque et équitable pour tous : adultes comme jeunes. De là me vint l'idée d'une charte. Ce document formel contiendrait à la fois des propositions apportées par les usagers eux-mêmes et le point de vue de l'équipe éducative. La raison de faire intervenir les intéressés en la matière est celle de promouvoir leur responsabilisation, ainsi que leur autocontrôle. Il y aurait par conséquent des règles négociables, mais aussi des normes « imposées » et inaliénables (surtout lorsqu'il s'agit de la sécurité et des moeurs des bénéficiaires). Ces règles font parties aussi des mesures de prévention* des mésusages des T.I.C.

    Aussitôt réfléchi, je soumets mon projet à la chef-éducatrice qui trouve ce dernier très judicieux parce que fondamental. J'obtiens le feu vert pour sa mise en chantier. Il m'incombera d'élaborer les grandes lignes de cette charte organisée en articles et de la soumettre à l'approbation des éducateurs, tout en tenant compte des différentes propositions des jeunes concernés.

    Dans cet d'esprit, j'ai l'intention de réunir les jeunes autour d'une table. La réunion mensuelle des enfants se prêterait bien à cela. Ainsi, je leur ai donné la parole un mardi soir, en deuxième partie de la réunion, qui leur est coutumièrement consacrée, pour exprimer leurs idées.

    Pour l'occasion nous sommes assis autour de tables, dans le local où se retrouvent ordinairement les membres de l'équipe éducative pour leur réunion hebdomadaire. Après que Thierry ait animé la première partie de la réunion, j'interviens à mon tour pour le motif dont les participants ont une vague idée.

    2.2. Les faits observables

    MOI (m'adressant à tous) : « Est-ce que vous savez pourquoi j'ai demandé à vous voir pendant

    cette réunion ? »

    KIMMY (14 ans) : « C'est parce qu'il y a un problème avec les ordinateurs ! »

    MOI : « Oui... C'est un peu vrai... En fait, il y a un problème avec leur utilisation plutôt. Qu'est-ce

    qu'on peut faire pour arriver à se mettre d'accord ensemble sur l'utilisation de quelque chose, à

    votre avis ? »

    Caroline (15 ans) lève la main.

    MOI : « Oui, Caroline ? »

    CAROLINE : « Ben, on peut faire des règles. »

    MOI : « OK, à quoi servent les règles ?... Quelqu'un d'autre s'il vous plaît ?...

    Je m'aperçois que Benjamin et François, assis côte à côte, parlent entre eux en riant. Certains de

    leurs voisins rient ou sourient également. Pour faire cessez ce que j'interprète comme une

    distraction, je décide d'interpellé les deux garçons.

    MOI : « Par exemple Benjamin ou François qui semblent avoir beaucoup de choses à nous dire. »

    BENJAMIN (11 ans) : « On s'en fout de ton truc sur les ordis. »

    39

    THIERRY (s'adressant à Benjamin) : « Oh, un autre genre s'il te plaît !... Et comme tu commences à faire le biesse, j'aimerais justement que tu répondes à la question d'Olivier. »

    BENJAMIN (marmonnant) : « Non, j'm'en fous !... »

    THIERRY : « Dans ce cas, je ne veux plus t'entendre parler, à moins qu'Olivier te le demande. Sinon, tu sors !... Et c'est un avertissement qui compte pour les autres aussi.»

    Benjamin baisse la tête.

    MOI : « Alors, je répète ma question .
    · pour quelle raison est-il à votre avis parfois important de faire des règles ?... On écoute François, peut-être ?...
    »

    François (11ans), sourire aux lèvres, confie quelque chose d'inaudible pour moi à son voisin, Benjamin, qui manifeste le même type de mimique faciale.

    MOI : « François ? »

    FRANÇOIS : « Oui, Olivier ? »

    En contact regard avec François, je hausse les sourcils et écarte les mains devant moi pour lui signifier que j'attends qu'il s'exprime.

    FRANÇOIS : « Ben, on fait des règles pour dire ce qu'on peut faire et ce qu'on peut pas faire. » MOI (en regardant François dans les yeux) : « Ben, voilà qui est intéressant et bien vu !... Merci François ! »

    François m'adresse un léger sourire.

    MOI (en balayant l'assemblée du regard) : « Comme le dis François, des règles ou un règlement c'est un texte qui précise ce qui est autorisé, interdit, parfois toléré, spécialement lorsque des personnes vivent ou travaillent ensemble au même endroit... Comme vous le savez, les jeux que vous faites ensemble ont tous leurs règles qui disent ce qui est permis ou interdit. Qui peut me dire ce qu'il y a comme règlement pour bien vivre ensemble dans cette maison ? »

    DAMIEN (15 ans) : « Ben, on n'a pas de règles dans la maison. »

    KIMMY (14 ans, soeur de Damien) : « Ben si, t'es biesse toi ! On a eu des feuilles avec des règles quand on est arrivé au Foyer ! »

    MOI : « Tout à fait Kimmy ! Et ce document s'appelle un règlement d'ordre intérieur, qu'on abrège par R - O - I. »

    LILY (14 ans) : « Ah ouais, c'est le truc que ton éduc référent et P... (chef-éducatrice) te donnent quand t'arrive la première fois avec ta mère ! »

    MOI : « Oui, Lily. Et certains enfants viennent à l'entretien d'accueil avec leurs deux parents parfois. »

    Une bonne moitié des jeunes présents me regardent fixement pendant que je parle, d'autres font des apartés.

    MOI : « Voilà, maintenant j'aimerais bien que vous m'écoutiez tous attentivement .
    · ce que je vais expliquer est très important pour la suite.
    »

    THIERRY (s'adressant à Damien qui vient de commencer à parler à plus haute voix : « Damien, il me semble que tu n'aies pas bien compris la consigne... »

    DAMIEN : « Si, mais ça me casse les couilles son truc là. Et de toute façon ça ne sert à rien. » THIERRY : « Toi tu considères que ça ne sert à rien. Mais apparemment ça intéresse d'autres qui participent ou font au moins semblant de s'intéresser en se taisant. »

    DAMIEN : « Moi, j'préfère me casser parce que ça me saoule ! »

    THIERRY : « Alors, vas-y .
    · tu te lèves, tu sors et que je n'ai plus de remarques à te faire le restant de la soirée !
    »

    DAMIEN (dans un sourire « pincé ») : « Non, j'rigole ! »

    THIERRY : « Mais moi j'rigole pas, mon coco. Donc, tu sors et sans faire ton kéké, s'il te plaît, sinon ça va mal aller pour toi. De toute façon j'avais prévenu et je continuerai de sévir, s'il le faut.» Damien se lève en gardant un sourire aux lèvres et quitte le local en fermant doucement la porte derrière lui.

    MOI : « Voilà .
    · je continue. Ce soir, nous voulons tenir compte de votre avis à tous pour la création d'un règlement un peu particulier. Il s'agit d'une charte. Quelqu'un sais ce que c'est une charte ?
    » J'attends quelques secondes de grand silence et des lèvres qui se crispent dans mon auditoire.

    40

    MOI : « Personne ?... (balayage de regard, en guise d'interrogation de ma part, des visages qui me

    font face et restent figés) Bien. Alors ça mérite une petite explication supplémentaire. »

    En adaptant mon langage, je leur explique qu'une charte est un texte officiel composé de compromis

    normatifs, pour un fonctionnement spécifique, entre des personnes ou des parties. Le contenu est

    ratifié par les signatures individuelles des contributeurs pour authentifier les accords communs.

    J'illustre ma définition en l'appliquant au contexte de la réglementation de l'usage des ordinateurs au

    Foyer. Ensuite, je m'attache à les convaincre de l'importance de leur contribution, non seulement

    pour eux-mêmes, mais aussi parce que cette charte sera au service de leurs successeurs.

    Tout au long de mon explication, j'essaye de donner de la consistance à mes propos par une

    gestuelle bien marquée et en prononçant les mots-clés avec plus d'intensité.

    Pour finir, je les invite à s'exprimer oralement sur les normes d'utilisation auxquelles ils pensent. Je

    leur laisse quelques instants de réflexion avant d'inviter Caroline, ma voisine de gauche, à prendre

    la parole la première.

    CAROLINE : « Je dois dire les trucs qu'on peut pas faire ? »

    MOI : « Oui, ce qu'on peut pas faire, ce qui est permis aussi ou encore ce qu'il y a moyen de

    négocier. »

    CAROLINE : « Ah, OK !... Alors... On peut pas aller sur les sites pornos... »

    MOI (en regardant Caroline avant de balayer de mes yeux l'auditoire un peu dissipé) : « Ah, parce

    qu'il y en a qui vont sur des sites pornographiques ? »

    CAROLINE : « Oui, y a Damien... »

    MOI (interrompant Caroline) : « Stop ! Je ne voulais pas de noms. De toute façon, je m'en doute

    que c'est généralement des garçons, mais bon... Pas de racuspotage, s'il vous plaît !... Ensuite ? »

    CAROLINE : « Ne pas manger à l'ordi. »

    MOI : « Oui, très bien, Caroline : on ne peut pas manger ou boire au-dessus, devant ou à côté des

    ordis... Autre chose, Caroline ?... »

    CAROLINE : « Oui... On ne doit pas toucher l'écran. »

    MOI : « Très bien... (je prends note) C'est vrai que les dames d'ouvrage se plaignent souvent de

    beaucoup de traces de doigts sur les écrans... Autre chose, Caroline ? »

    CAROLINE : « Ben voilà, c'est tout. »

    MOI : « Merci Caroline ! Ce que tu nous proposes est intéressant. On va passer maintenant à

    Fiona, puis à Lily et ainsi de suite dans le même sens (avec mon index, je dessine une ligne devant

    moi pour montrer le sens du tour de table)... Fiona, nous t'écoutons ! »

    FIONA (16 ans - la tête reposant sur l'avant-bras gauche et le point de la main collé contre sa

    joue) : « J'ai rien à dire. »

    MOI : « T'es bien sûr, Fiona ? »

    FIONA : « Oui. »

    MOI : « Je te conseille d'en profiter maintenant que tu as la possibilité de t'exprimer sur le sujet. »

    FIONA : « Oui oui, pas souci. Mais, non merci Olivier. De toute façon, la plupart du temps, je fais

    que de l'ordi chez Pierre, alors... »

    MOI : « OK, tu es libre. Je n'ai pas le droit de t'obliger à t'exprimer là-dessus. C'est ton choix

    après tout. »

    FIONA (intonation mélodieuse) : « Ben tu vois bien que tu finis par comprendre, Olivier ! »

    MOI : « Merci Fiona. Suivante ! »

    Je hoche la tête en direction de Lily pour désigner son tour de parole.

    LILY : « Ben ché pas. »

    MOI : « Allez, t'as bien une petite idée !... N'importe : la première chose qui passe par la tête, là,

    de suite. »

    LILY : « Ben ché pas moi : on peut pas boire sur l'ordi ? »

    MOI : « OK, boire, manger : ça on l'a déjà dit... Autre chose ? »

    LILY (souriant) : « Non c'est tout, ahein ! »

    MOI : « OK, merci Lily. Christelle ?... »

    41

    CHRISTELLE : « Ben, on ne doit pas tout le temps aller sur Facebook ou Youtube, mais on doit aussi aller sur le site de T... P... ? »

    MOI : « Tout à fait... »

    Je leur rappelle que le Foyer a un contrat avec l'ASBL qui a fourni gracieusement les ordinateurs et s'occupe de leur maintenance et administration au même titre. En échange les utilisateurs sont tenus d'aller le plus souvent possible sur le site Internet de la même ASBL, afin de s'inscrire à des activités que cette dernière propose périodiquement (camps, jeux-concours pour gagner des places, etc). Il y a aussi quelques jeux vidéo adaptés à leurs différents âges.

    BENJAMIN : « Ouais mais quand on y va, y a jamais de place ou alors c'est des camps de nuls. » MOI : « Oui, Benjamin, nous savons bien que les camps intéressants sont vite complets. D'où l'importance de consulter leurs propositions le plus souvent possible. En plus, y a parfois des désistements. »

    BENJAMIN : « Ouais, mais c'est nul quand même. »

    CAROLINE : « Benjamin, chui peut-être pas toujours d'accord avec toi, mais là t'as bien raison .
    · y a toujours de la place dans les trucs débiles.
    »

    THIERRY : « Oui mais, oh les gars-là ! Je vous signale que certains ont déjà été au ski avec eux et qu'apparemment vous aviez trouvé ça génial ! »

    FIONA : « Thierry, tu peux nous faire avaler ce que tu veux, en dehors de quelques exceptions, c'est quand même la plupart du temps débile ! »

    MOI : « Bon !... On ne va pas s'éterniser là-dessus, car d'autres doivent encore parler. En plus je te rappelle, Fiona, que tu n'avais rien à dire. Et, subitement, comme par enchantement, t'as plein d'idées qui te viennent...

    Fiona me regarde fixement, avec la tête inclinée sur le côté.

    MOI : « Merci à Christelle de nous avoir rappelé notre obligation envers T... P... . Johanna ? » Johanna, 16 ans, secoue sa tête de gauche à droite et de droite à gauche.

    MOI : « T'es sûr que tu ne veux rien dire ? »

    JOHANNA : « Non. »

    MOI : « Quand tu dis "non" tu veux dire que tu veux dire quelque chose ou que tu n'as rien à dire ? »

    JOHANNA (regardant par en-dessous de ses lunettes en secouant encore la tête de la même façon que précédemment) : « J'ai rien à dire. »

    MOI (en soupirant) : « Bien, merci Johanna... On passe maintenant à l'autre côté en commençant par le fond... Kimmy ?... »

    KIMMY : « On doit utiliser un casque si on écoute de la musique sur Youtube. »

    MOI : « Pour le casque, il faut bien reconnaître que tu es la seule à en avoir un. Et je trouve ça bien respectueux vis-à-vis des autres de l'utiliser. Mais comme il n'y en a plus près des ordis parce que certains les ont cassés, il faudrait en racheter pour chaque ordi. En attendant, il faudra toujours passer les musiques à tour de rôle. Ensuite ? »

    KIMMY : « On doit pas mettre le son trop fort à cause des autres. »

    MOI : « Oui .
    · si quelqu'un est dérangé par le son trop fort, il peut demander à ce qu'on le baisse. Sinon, en dehors de ce qu'on doit faire ou ne peut pas faire, est-ce que tu vois une permission ?... Par exemple, quand on rentre de l'école, qu'est-ce qu'on peut faire sur les ordinateurs après le goûter ?
    »

    KIMMY : « On peut faire des devoirs. »

    MOI : « Très bien ! C'est la réponse que j'attendais ! Vous pouvez faire des recherches sur Internet pour certains devoirs d'école... Maintenant, j'aimerai qu'on passe aux suivants, en restant dans le sens du roulement. François, vas-y ! »

    FRANÇOIS : « Ben, on peut jouer à des jeux sur Internet. »

    MOI : « Et c'est ce que vous faites le plus pendant votre temps libre, après le souper le mercredi et le vendredi ; autant que vous voulez le week-end avec l'autorisation de l'éducateur qui travaille MOI : « Et Benjamin maintenant ? »

    BENJAMIN : « On peut aller sur Facebook ou télécharger des musiques. »

    42

    MOI : « Télécharger des musiques ou films est normalement punissable par la loi, vous devez le savoir : c'est considéré comme du piratage. Maintenant, je sais que la plupart des gens le font. Mais ça ne veut pas dire pour autant qu'il soit permis de le faire. Tu as encore parlé de Facebook. Quelqu'un peut nous dire à partir de quel âge on peut aller sur Facebook ? »

    CAROLINE : « Facebook, c'est que à partir de 13 ans ! »

    MOI : « Exact, Caroline, même si j'en vois quelques-uns y aller à partir de 11 ans, sans vouloir les citer... Benjamin, tu avais fini de nous faire tes propositions ? »

    BENJAMIN : « Non, j'avais pas fini. »

    MOI : « Alors vas-y tu as normalement toujours la parole, excuse-moi de t'avoir interrompu. » BENJAMIN : « On ne doit pas bouger l'ordi. On ne doit pas s'exciter sur le clavier ou écrire dessus... (il réfléchit) On ne doit pas débrancher les prises parce que ça fait buguer les ordis. » MOI : « Merci Benjamin !... Ben voilà, c'est bien intéressant tout ce que vous avez tous dit ce soir pour la charte... Je vais être honnête avec vous en vous disant que ce que vous avez dit correspond presque entièrement à ce que j'avais déjà imaginé, dans un premier temps, en réfléchissant aux principaux points de cette charte... »

    Sourire sur les lèvres de la majorité des jeunes présents.

    FIONA : « Ben tu nous prends pour des barakis ou qwé ? »

    MOI : « Pas du tout Fiona, et je sais que vous avez tous beaucoup de qualités. Ce qu'y a, c'est que je n'imaginais pas par avance que vous pensiez exactement aux mêmes idées que moi... Voilà, OK ? Je vous remercie tous pour votre attention, votre patience et votre participation... »

    Ma conclusion est aussitôt coupée par le bruit des jeunes qui se lèvent et semblent déjà viser la sortie du local. Je hausse le ton pour faire surpasser le brouhaha qui est en train de s'amplifier. Je leur crie que l'équipe tiendra compte de leurs propositions, mais que nous ajouterons aussi des choses non-négociables parce qu'elles sont super importantes pour leur sécurité et leur santé.

    2.3. Mon ressenti et mes attitudes

    · Cela me convient que Thierry assure le recadrage des comportements susceptibles de ralentir le déroulement harmonieux du débat et, de cette façon, chacun de nous deux peut se cantonner dans un rôle bien déterminer ;

    · Je ne suis pas étonné des réactions de Benjamin ;

    · Je suis exaspéré par le comportement de Damien.

    · Je n'interviens pas par rapport à l'attitude négative de Damien, pour ne pas interférer dans les interventions de Thierry ;

    · Je suis un peu décontenancé face à la décision radicale et rapide de Thierry de mettre Damien à la porte, mais je n'ose pas contrecarrer la résolution du premier par cohérence éducative ;

    · La dénonciation de Caroline, de surcroît en situation de groupe, m'insupporte ;

    · Je suis un déçu par le refus de participation de Fiona, parce que je la sais dotée de ressources pour s'exprimer oralement et en public ;

    · J'ai tendance à employer parfois un ton un peu ironique pour exprimer ma perception du désintérêt qui flotte dans l'atmosphère de la réunion ;

    · Je suis authentique quand je dis que je n'imaginais pas que les idées énoncées correspondraient autant à la plupart de celle que j'avais déjà élaborées.

    · Je suis en empathie* avec Johanna ;

    · Je suis vraiment soulagé de voir qu'au moins deux jeunes (Caroline et Kimmy) font l'effort de s'impliquer ;

    · Je suis agacé d'entendre Fiona faire une remarque à Thierry, alors qu'elle n'avait rien à dire lorsque c'était son tour de parler ;

    · Je me sens rabaissé par l'intonation mélodieuse de Fiona ;

    · Je suis agréablement surpris, vers la fin de la réunion, du sérieux des suggestions de François et Benjamin qui sont d'ordinaire des leaders négatifs en situation de groupe ;

    43

    2.4. Mes interprétations a priori

    · Benjamin méprise le sujet de la discussion ;

    · François soutien Benjamin dans un premier temps ;

    · Le léger sourire que François m'adresse me prête à penser qu'il se sent valorisé lorsque je lui fais des compliments ;

    · Les bénéficiaires ne s'intéressent pas aux documents formels qui régissent leur quotidien ;

    · La préoccupation de Damien par d'autres centres d'intérêt rend sa collaboration à la charte futile pour lui ;

    · Christelle est touchée dans son amour propre lorsque je la recadre par rapport à sa tentative de colportage ;

    · Fiona se montre rebelle et utilise un ton moqueur ;

    · Johanna déteste parler en public ;

    · Lily, n'ayant pas envie de réfléchir, se contente de répéter ce qui a déjà été évoqué pour ne pas avoir l'air stupide en restant sans réponse ;

    · Caroline et Kimmy sont les plus motivées par la thématique à l'ordre du jour ;

    · François et Benjamin sont plus motivés en fin de la réunion.

    2.5.Des informations complémentaires utiles à la compréhension de la situation

    · J'ai eu plusieurs conflits non-réglés avec Benjamin durant les mois qui précèdent la réunion. Ordinairement, il me provoque ouvertement, en situation de groupe, chaque fois que je le recadre par rapport à un comportement que j'estime non approprié vis-à-vis d'un pair. Dans le quotidien, chaque fois que j'invite le garçon au dialogue, pour régler nos différents, il a un comportement de fuite ou d'évitement.

    · Benjamin est privé de contact avec sa mère depuis plusieurs semaines : le droit de visite de cette dernière est momentanément suspendu par décision de l'autorité mandante, parce qu'elle avait plusieurs fois outrepassé les limites qui lui incombaient dans l'exploitation de ce droit.

    · Damien, qui est un passionné de M.M.O.R.P.G.* (rappel), transgresse largement la règle affichée qui limite le temps d'ordinateur à deux soirées par semaine en période scolaire, soit 30 minutes par utilisateur lors des jours d'autorisation. En week-end familial, il passe la majore partie du temps sur Internet (rappel). Temps qu'il prolonge parfois jusqu'à deux voire trois heures du matin (information obtenue de lui-même).

    · Trois fois par semaine, Fiona ne rentre pas au Foyer de suite après sa journée d'école car elle est autorisée à se rendre chez son petit ami, où elle passe aussi ses week-ends. Elle est proche de sa mise en autonomie à l'occasion de laquelle elle ira probablement vivre chez les parents de son petit ami, dans un premier temps.

    · Johanna présente une déficience mentale modérée.

    2.6. Questionnement ouvert et hypothèses de compréhension

    2.6.1. Mon questionnement

    · Quelles causes amènent certains jeunes à se montrer moins enthousiastes, voire hostiles ou rebelles ? Qu'est-ce qui dans mon attitude globale les conduit à se comporter ainsi ? Dans quelle mesure les moins motivés n'apprécient-ils pas que je veuille les impliquer dans des décisions qui les concernent directement ?

    · Certains de mes propos ou attitudes manquent-ils de congruence ? Que peut susciter chez les jeunes le ton un tant soit peu ironique que j'emprunte par moments ?

    ·

    44

    Dans les débuts de mon intervention, comment Benjamin et François perçoivent-ils ma façon de les interpeller ? Est-ce adéquat de ma part de solliciter Benjamin aussi directement, en considération des difficultés relationnelles que j'ai avec lui ? Suis-je suffisamment en empathie* avec François lorsque je l'incite à s'exprimer, après l'intervention de Thierry ? Comment aurai-je pu permettre aux deux garçons de se sentir davantage concernés ?

    · La formulation de ma question, en ce qui concerne la consultation des sites pornographiques, n'induit-elle pas déjà finalement le type de réponse que je réfute ensuite ? Comment, dans ce cas, Caroline perçoit-elle la remarque que je lui fais consécutivement à sa réponse à cette question ?

    · Que signifie pour les usagers l'existence d'une réglementation formelle de l'utilisation des ordinateurs ?

    · Quel impact a, sur les plus distraits, le renforcement de ma communication para-verbale*, pendant mon explication de ce qu'est une charte ?

    · Est-ce que je rencontre une motivation réelle lorsque j'encourage Lily à

    s'exprimer ?

    2.6.2. Mes hypothèses de compréhension

    1) Certains jeunes sont plus réticents à l'application d'une charte parce qu'ils estimeraient qu'elle rajouterait d'autres contraintes et limites au cadre normatif qui leur incombe déjà ;

    2) Je ne les ai pas suffisamment conditionnés* au déroulement d'une phase extraordinaire de réunion ;

    3) Le sujet abordé devrait faire l'objet exclusif d'une réunion « à part » afin que les jeunes ne soient pas ennuyés par l'élasticité de la séance ;

    4) Les réactions négatives (cf. Le renforcement négatif*) correspondraient à une forme de provocation pour exprimer un désintérêt total par rapport à ce que leur propose :

    · La réaction vive de Benjamin vis-à-vis de moi serait le comportement le plus approprié* qui lui permette d'exprimer ses conflits non résolus avec moi ;

    · Benjamin, qui a besoin de compensé affectivement l'absence de contact avec sa mère, ne pourrait plus communiquer aussi longuement via les réseaux sociaux ou les jeux multi-joueurs en ligne.

    · Damien serait doublement contrarié : il existe une limitation formelle d'utilisation fixée à 30 minutes, qu'il a déjà du mal à observer en temps normal, et en plus on veut y rajouter d'autres règles formels qui représentent par conséquent des contraintes supplémentaires ;

    · Fiona, qui est plus souvent chez son copain (qui habite avec ses parents) qu'au Foyer et logiquement proche d'une fin de placement, se sentirait moins impliquée dans la vie communautaire et par conséquent moins concernée par les règles qui la régissent.

    5) L'emploi d'une certaine ironie de ma part serait contre-productif pour placer François et Benjamin dans des conditions favorables à ce qu'ils soient preneur de ce que je leur propose ;

    6) Fiona aurait recours à un ton moqueur pour réagir en miroir par rapport à l'ironie qu'elle pourrait percevoir chez moi ;

    7) Pratiquer l'écoute active* par rapport au ressenti de François, au lieu de lui « forcer la main » pour parler, l'aiderait à se sentir plus concerné par le sujet du débat en cours ;

    8) La réalisation de la charte ne rencontrant majoritairement pas l'intérêt général, le renforcement de ma communication para-verbale* n'aurait aucun effet d'augmentation de la réceptivité des jeunes à la définition que je leur propose d'une charte ;

    9) Caroline peut percevoir comme inéquitable le reproche que je lui fais suite à sa tentative de dénonciation, parce que j'envoie des messages contradictoires* entre une question que je pose et la façon dont je réagis à la réponse qu'elle me donne ;

    10) Le double message* (cf. La congruence*) que j'envoie aux jeunes, d'une part en disant à Fiona qu'elle est libre de s'exprimer ou pas et d'autre part en restreignant cette

    45

    liberté à d'autres par recours à l'incitation ou la suggestion, défavoriserait de plus en plus leur participation active ;

    11) En validant les réponses de quelques-uns, je donnerai le sentiment au groupe qu'il existe des « bonnes » et des « mauvaises » réponses. Ainsi, certains aurait des réticences à s'exprimer par peur de se tromper ;

    12) L'annonce de certaines informations importantes du cadre de la réunion à la fin de celle-ci pourrait donner l'impression aux jeunes d'une déloyauté de ma part, car ceux-ci pourrait se sentir trompés dans la connaissance des règles du « jeu dans lequel on joue » tandis que les « dés sont jetés » depuis longtemps.

    2.7. Comment intervenir prochainement ?

    · Par rapport à un aspect purement organisationnel, je choisis les hypothèses de compréhension 2 et 4 pour en faire une action éducative. Désormais, chaque fois que j'organiserai une réunion, je veillerai à rappeler avant aux jeunes le plus fréquemment possible (quitte à afficher une convocation aux valves qui leurs sont destinées) le moment et l'endroit de son déroulement. Ils seront alors moins pris au dépourvu et pourront mieux organiser leurs activités de temps libre. Par ailleurs, je veillerai à ne pas l'inclure dans l'une de leur réunion ordinaire dont le contenu est généralement déjà suffisamment dense.

    · Au regard de la dimension relationnelle et pédagogique, il me semble que les hypothèses 8 et 9 se prêtent bien à une piste d'intervention que je dois mettre en oeuvre : la congruence entre ce que je ressens et ce que j'exprime est une caractéristique centrale de toute relation qui se veut d'aide et d'écoute.

    2.8. Mise en application des deux premières pistes envisagées et ratification de la charte

    Une fois que j'ai rédigé le document, j'en glisse une copie dans le cahier de communication pour le soumettre à examen et avis de tous les membres de l'équipe éducative. Cette démarche me permettra de réaliser quelques améliorations, en tenant compte d'éventuelles remarques émises.

    Ensuite, je profite d'une réunion du mardi matin, où tous les membres de l'équipe sont présents, pour leur faire signer la charte finalisée36. Cette dernière est ratifiée à l'unanimité. De là, j'obtiens un accord hiérarchique pour organiser une autre réunion d'enfants, qui servira à clôturer ma démarche par leurs signatures et à accueillir leurs éventuelles contestations ou suggestions. Je fixe la réunion un lundi à 19h00 (en dehors du créneau traditionnel donc). En attendant, j'affiche la convocation des concernés aux valves d'information qui leur sont destinées. Chaque fois que je suis attablé avec eux pour le souper, je n'hésite pas à leur rappeler le moment que j'ai fixé et auxquels ils sont conviés.

    Je me réunis avec sept intéressés, le lundi suivant à l'heure programmée, pendant une période de congés scolaires. Kimmy, Damien et Fiona, en « retour famille », sont absents.

    Suite à ma lecture du texte, à l'occasion de laquelle mon auditoire est un peu dissipé par quelques « pitreries » de Benjamin et François, je propose un tour de table pour relever d'éventuelles revendications par rapport à la finalisation de la charte. Benjamin - qui restera le seul à vouloir s'exprimer - affirme qu'il aimerait que les éducateurs demandent aux administrateurs des ordinateurs de surveiller les discussions en ligne sur leur site, car des jeunes d'autres institutions leur enverraient des insultes via ce média. Le garçon me rappelle également qu'ils n'ont toujours pas de casques audio pour les ordinateurs et me demande quand ceux-ci arriveront. J'approuve ses remarques pertinentes et lui promets de transmettre à qui de droit.

    36 Voir Annexe 3, pages 69-70.

    46

    En guise de clôture, j'invite chacun des présents à signer. Tout le monde s'y exécute. Les trois absents signeront le document dès qu'ils seront revenus de leur séjour familial.

    2.9. Evaluation de l'impact de mon action

    Je trouve que le rappel fréquent du moment de la réunion, dédoublé par un affichage, a porté ses fruits. Je pense aussi que le caractère « bon-enfant » et le meilleur déroulement de cette réunion sont à attribuer à sa durée nettement plus courte par rapport à la première.

    En dehors des moments d'effervescence collective déclenchés par les pitreries de Benjamin et François, les jeunes bénéficiaires se sont montrés bien réceptifs. De plus, j'ai été agréablement surpris du bien-fondé de l'implication de Benjamin.

    Reste à observer dans quelle mesure la charte aura l'influence espérée en terme d'utilisation saine des machines.

    NB : La charte ratifiée par les deux parties (l'équipe éducative et les 10 jeunes concernés) sera affichée, comme prévu, au-dessus des ordinateurs des jeunes, dans la salle à manger principale. Idéalement, il faudrait faire mention de son existence dans le ROI et/ou dans le projet pédagogique de l'institution. Il s'agira d'en renouveler les signatures chaque fois qu'un autre jeune sera en âge d'accéder aux ordinateurs.

    3. Troisième situation éducative : avec François

    Etant donné que j'ai dressé le portrait de François précédemment (voir page 33), j'estime qu'il n'est plus nécessaire de le faire ici.

    3.1. Les acteurs, la contextualisation et les faits

    3.1.1. Première séquence de la situation

    a) Les acteurs en présence

    · François

    · 1 fille de 9 ans du groupe vertical mixte (dans la pièce à côté)

    · Moi-même

    b) Le contexte et les faits observables

    L'événement a lieu un mercredi d'hiver, en début d'après-midi, après le déjeuner. La neige étant tombée de façon abondante la veille, elle a laissé un tapis blanc bien ferme et durable au sol. Je décide de saisir cette belle opportunité pour organiser une petite sortie à luge avec trois volontaires. J'obtiens l'adhésion enthousiaste de Michelle. Cherchant ensuite d'autres amateurs de glisse, je m'arrête au salon où je trouve François très appliqué à jouer avec sa console DS. Le garçon est enfoncé dans l'angle d'un canapé (celui-ci est lui-même inséré dans un angle de la pièce de telle façon à ce que le visage du bénéficiaire soit visible de profil quand j'entre dans la pièce) et ses genoux - où sont appuyés ses mains pianotantes - sont ramenés vers sa poitrine. Pendant que je suis ensuite installé à côté de lui pour l'aborder verbalement, d'autres jeunes passent et repassent par le salon sans nous interrompre.

    MOI (avec délicatesse) : « Tu joues à quoi, François ? »

    FRANÇOIS (brièvement, sans lever les yeux vers moi) : « Pokémon... »

    MOI : « Et tu es qui dans le jeu ? Pikachu ? »

    FRANÇOIS : « Non, chui dresseur de Pokémon. »

    MOI : « C'est quoi ta mission ? »

    FRANÇOIS : « Je dois attraper des pokémons pour les mettre dans mon équipe. »

    MOI : « Aha ! L'équipe a-t-elle aussi une mission ? »

    FRANÇOIS : « Oui !... »

    47

    MOI : « Laquelle ? »

    FRANÇOIS : « Se battre pour gagner des autres pokémons. »

    MOI : « Tu me semble bien concentré dans ta partie, mais tu ne voudrais pas venir avec Michelle

    et moi pour une balade en luge sur le ravel ? »

    FRANÇOIS : « Non... »

    MOI : « Je pense que ce serait vachement chouette. Je ferai comme la semaine dernière avec

    Bryan et Michelle : vous êtes assis sur la luge et, moi, je vous tire avec une corde attachée autour

    de ma taille. On s'éclatera bien, qu'en penses-tu ? »

    FRANÇOIS : « Je n'ai pas envie. »

    MOI : « Ça ne t'intéresse pas de jouer à l'extérieur, alors que nous avons de la chance de pouvoir

    profiter d'une neige qui ne fond pas ? »

    FRANÇOIS (les yeux toujours rivés sur sa machine) : « Non... »

    MOI : « En plus c'est beau de voir la nature et les arbres recouverts de blanc »

    François reste muet et continue de faire aller ses doigts sur les touches de sa console. La posture de

    son corps n'a pas changé depuis que je suis arrivé dans le salon.

    MOI : « Pourquoi ne veux-tu pas profiter d'une belle occasion de sortir pour t'éclater autrement

    que de rester le nez dans ta console ? »

    FRANÇOIS (connectant son regard sur le mien) : « Parce que je suis aguik. »

    MOI : « Tu veux dire "addict" ? »

    FRANÇOIS (son regard semble à nouveau absorbé par l'écran numérique, et de rajouter

    mélodieusement puis brièvement) : « Non... Aguik ! »

    MOI : « Et c'est quoi "aguik" ? »

    FRANÇOIS : « Ben aguik... Tu vois... C'est aguik ! »

    MOI : « Mais addict à quoi ? »

    FRANÇOIS : « Ben aguik aux jeux. »

    MOI : « Pour moi, tu n'es pas addict aux jeux vidéo. Mais je n'ai pas le temps de rester pour en

    discuter avec toi maintenant car Michelle m'attend pour aller luger. J'aimerais en rediscuter avec

    toi à un autre moment, ça te va ? »

    FRANÇOIS (débit de voix mélodieux) : « Ça va... »

    Je quitte la pièce afin de m'apprêter pour rejoindre Michelle, qui m'attend dans la pièce à côté.

    3.1.2. Seconde séquence de la situation

    a) Les acteurs en présence

    · François

    · 1 fille de 8 ans (elle se tient seulement à proximité, sans intervenir)

    · Moi-même

    b) Le contexte et les faits observables

    Les interactions présentées se déroulent une semaine après la première séquence présentée. Nous sommes en fin d'après-midi d'une journée d'école, après l'achèvement des devoirs scolaires et avant le souper. François est une fois de plus installé dans le canapé dans la position que j'ai décrite auparavant, mais sans sa console de jeux vidéo. Toutefois, deux autres jeunes sont assis près de lui pour partager la télévision.

    MOI : « François, tu te souviens de l'autre jour : quand j'avais dit que je voulais te reparler ? » FRANÇOIS (mélodieusement) : « Ben oui... »

    MOI : « Tu vois, je n' t'ai pas oublié ! »

    J'adresse un clin d'oeil à François qui, tout en restant silencieux, garde son regard fixé sur le mien sans autre mimique faciale.

    MOI : « Tu viens ?... Je préfère t'en parler dans ta chambre car j'estime que ça ne regarde pas les autres. »

    FRANÇOIS (voix altérée par un ton plaintif) : « Non pas maintenant, s'il vous plaît : j'ai envie de regarder la fin... »

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    MOI : « D'accord, ça va, pas de souci. De toute façon nous n'allons pas tarder de passer à table. Alors c'est mieux aussi qu'on se voie après le souper. C'est bon pour toi comme ça ? »

    FRANÇOIS : « OK... Ça va... »

    Après le souper je viens donc une seconde fois à la rencontre de François au salon, tandis qu'il me

    semble à nouveau en osmose audiovisuelle avec la télévision. Je reste debout à l'extrémité du

    canapé d'où je l'aborde.

    MOI : « Bon... François, tu viens ? »

    François, sans mot dire, se lève d'un seul bon pour me suivre de suite.

    Une fois que nous sommes entrés dans la chambre, François s'installe sur sa couche et contre l'angle

    mural dans lequel un coin de la tête de son lit s'insère. Il saisit l'une de ses multiples peluches qu'il

    plaque aussitôt contre lui, avant de rester complètement immobile. Je m'assieds spontanément sur le

    bord de son lit, à environ cinquante centimètres de lui. Il me fixe de ses yeux dirigés du bas vers le

    haut.

    MOI : « Voilà... (soupir) Alors, ça va ? »

    FRANÇOIS : « Ça va !... »

    MOI : « Ne t'inquiète pas François : je n'ai pas voulu te parler à part pour te faire des reproches. »

    FRANÇOIS (avec de la mélodie dans la voix) : « Je sais... »

    MOI : « Pourquoi penses-tu que je voulais te voir alors ? »

    FRANÇOIS : « Parce que je t'avais dit que je suis aguik ?... »

    MOI : « Bingo !... Et c'est quoi ''aguik'' pour toi ? »

    FRANÇOIS : « Ben aguiiik... Tu vois... C'est aguik ! »

    MOI : « Tu dis ''aguik'' pour ''addict'', soit parce que tu es gêné d'en parler avec moi, soit alors

    pour me provoquer peut-être ?... »

    Pas de réaction verbale de la part du garçon qui me fixe de ses yeux.

    MOI : « Qu'est-ce que ça veut dire pour toi ''être addict'' ? »

    FRANÇOIS : « Ben... Euh... C'est aguik, c'est tout !... »

    MOI : « Tu vois, François, je crois que c'est déjà un mot un peu compliqué et qu'on n'utilise pas

    forcément tous les jours. Je vais te dire, moi, ce que ça veut dire pour moi : ça veut dire être

    dépendant ou être accroc à quelque chose dont on ne peut pas se passer, parce que c'est plus fort

    que nous. Comme ça, on peut être accroc au chocolat, aux chiques et même - pourquoi pas - à sa

    console de jeux vidéo ou aux jeux à plusieurs sur Internet ou que sais-je encore ?... Maintenant, si

    déjà tu connais le mot, je pense que tu l'as entendu quelque part ou que quelqu'un t'as dit que tu

    l'étais en te voyant jouer très souvent à la DS pendant ton temps libre. Sinon, comment est-ce que tu

    m'aurais sorti ce mot pendant que tu jouais à la DS ?... C'est que tu as bien gardé ce mot, là, dans

    ta petite tête (j'appuie l'extrémité de mon index sur son front) et que tu sais par rapport à quoi il

    s'utilise, non ? Je me trompe ? »

    Silence pendant que le bénéficiaire me regarde fixement avec un léger rictus à peine perceptible.

    MOI : « C'est forcément quelqu'un du Foyer qui t'as dit ça, parce que c'est au Foyer que tu laisses

    ta console. A moins que ce ne soit ton grand-père ? »

    FRANÇOIS : « Non... »

    MOI : « Dans ce cas c'est quelqu'un du Foyer, autrement c'est pas possible ! »

    FRANÇOIS : « Oui... »

    MOI : « Un éducateur ? »

    FRANÇOIS : « Non... »

    MOI : « Une éducatrice ? »

    FRANÇOIS : « Non... »

    MOI : « Bon !... C'est forcément un enfant alors. »

    FRANÇOIS (dans un rictus plus prononcé que précédemment) : « Oui... »

    MOI (me frottant le menton entre l'index et le pouce) : « Aha ! T'aime bien jouer aux devinettes

    toi ? »

    François me répond par un sourire avant de déconnecter son regard du mien en baissant les yeux.

    MOI (dans un sourire et interrogeant brièvement) : « C'est qui ? »

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    FRANÇOIS : « Caroline. »

    MOI : « Eh ben, moi, je trouve que c'est méchant de la part de Caroline de te dire ça : c'est comme si elle t'avait marqué sur le front : ''Je suis addict'', à l'indélébile !... Moi, je peux constater que tu ne l'es pas, bien que tu as tendance à abuser parfois avec la console, en restant dans un coin sans

    parler à personne, pendant que d'autres jouent ou discutent ensemble dans le Foyer. Addict tu ne l'es pas et je vais t'expliquer pourquoi... En fait, parce que tu vas à l'école et que tu fais d'autres

    activités comme les scouts, la piscine, le break ou encore le Conseil communal des enfants, et tout ça sans ta console, mec !... Est-ce que tu ne fais rien d'autre que penser aux jeux vidéo pendant que tu participes à l'une ou l'autre des activités que je viens de citer ? »

    FRANÇOIS (débit de voix mélodieux) : « Ben... Non... »

    MOI : « Ben voilà !... Dans ce cas tu n'es pas addict des jeux vidéo ou de ta DS. Si tu l'étais vraiment, tu y penserais sans arrêt. »

    Sourire pincé de François.

    MOI : « Bon maintenant, si un jour tu penses tout le temps à ta console et que cette pensée t'empêche de faire les choses convenablement dans une autre activité, alors là il faudra déjà plus s'inquiéter de l'addiction. Tu comprends ? »

    FRANÇOIS : « Ben oui... »

    MOI : « Moi ce que je peux te conseiller c'est d'avoir le plus d'activités possible et de te faire le plus d'amis possible dans la vraie vie, justement pour ne pas en arriver à cette addiction. Une addiction, c'est comme une prison qui peut nous couper des autres... En tout cas merci d'avoir accepté de discuter avec moi ce soir (sourire et clin d'oeil à François de ma part) . »

    FRANÇOIS : « De rien... »

    MOI : « Non, je te rassure, François, tu n'es pas aguik (sourire et clin d'oeil adressé de ma part à l'enfant). Mais évite de le devenir en essayant de tenir compte de ce que je viens de te dire. » François sourit également.

    MOI : « Allez, à plus. Et va vite te laver maintenant. »

    Je quitte la chambre pour aller vaquer à d'autres tâches qui m'incombent.

    3.2. Mon ressenti en situation et mon interprétation a priori des faits

    3.2.1. Par rapport à la première séquence présentée

    a) Mes émotions et attitudes

    · J'utilise comme stratégie d' « accroche » de François mon intérêt pour son jeu, espérant qu'il s'intéresse ainsi à son tour à ce que je lui propose ;

    · Lorsque François exprime sa réticence à changer d'activité, j'essaie de lui faire passer comme message qu'il serait bien plus passionnant de passer un bon moment de joie dans la neige que de rester « captif » d'un monde virtuel ;

    · J'apprécie vraiment le côté féerique de la nature enneigée et j'essaye de communiquer cette enthousiasme au garçon ;

    · En essayant de mesurer ce qui pourrait rencontrer son intérêt dans une activité saisonnière de plein air, j'entre en négociation avec lui ;

    · Lorsqu'il maintient sa position à ne pas accepter ma proposition, je suis assez déçu ;

    · Je suis un peu interloqué par sa prononciation du mot « addict », étant donné que je ne connais pas chez lui l'existence de difficultés de prononciation.

    b) Mon interprétation

    · L'enfant résiste à ma proposition de changer d'activité parce qu'il préfère rester plongé dans un monde virtuel pour anesthésier une angoisse existentielle ou une frustration passagère ;

    ·

    50

    Il est bref dans ses réponses parce qu'il n'apprécie pas que je me sois immiscé dans sa « bulle virtuelle ».

    3.2.2. Par rapport à la seconde séquence présentée

    a) Mes émotions et attitudes

    · Je propose à François un entretien à l'écart de ses pairs parce que j'estime que la présence de ceux-ci en tant que « spectateurs » pourraient influencer ses propos ;

    · Je lui propose que l'entretien se déroule dans sa chambre pour qu'il puisse se sentir plus en sécurité et être plus authentique sur son « territoire » ;

    · J'accepte de postposer le moment de mon entretien avec François pour deux raisons :

    - lui permettre de satisfaire son besoin de regarder son programme télévisé jusqu'à la fin ;

    - le moment du souper se faisant proche, je n'aurais pas pu mener mon dialogue avec lui jusqu'au bout avant.

    · En l'interrogeant pour savoir s'il a une idée du motif de ma sollicitation, je suppose qu'il a déjà un pressentiment de la raison.

    · Je veux lui spécifié que je ne suis pas dupe : j'ai bien compris qu'il prononce « aguik » pour me parler de son attrait infatigable pour les jeux vidéo.

    · Je suis fâché d'apprendre que quelqu'un ait pu lui coller une étiquette ;

    · Pour lever toute stigmatisation éventuelle, j'argumente la raison pour laquelle je pense qu'il n'est pas dépendant.

    · J'espère qu'il tiendra compte de mes quelques recommandations préventives.

    b) Mon interprétation

    · François a envie de regarder son programme télévisé jusqu'au bout parce qu'il est absorbé par l'histoire de la série qu'il regarde ;

    · Une fois dans la chambre, il ramène sa peluche pour créer une barrière de protection entre lui est moi ;

    · Il veut éviter de me dire pourquoi il dit « aguik » afin éviter des pourparlers : il a mieux à faire ;

    · Il « me regarde fixement avec un léger rictus » parce qu'il est gêné par mon geste tactile sur son front ;

    · « François me répond par un sourire avant de déconnecter son regard du mien » parce qu'il se sent « démasqué » dans le fait que je dise un peu vrai.

    3.3. Des informations complémentaires

    · François ne se laisse pas facilement interpeller pour une autre activité de loisir improvisée, même pour son tour de vaisselle officiel, lorsqu'il est absorbé par un écran : DS, ordinateur, télévision (constat établi par moi-même), mais semble davantage ouvert au dialogue depuis deux semaines (fait que je partage avec mes collègues à l'occasion d'une réunion d'équipe) ;

    · François a été placé pour maltraitance parentale (rappel).

    3.4. Ouverture du champ des possibles

    3.4.1. Mon questionnement

    ·

    51

    A l'examen de la première séquence

    - François ne serait-il pas gêné de devenir « un objet de curiosité » quand je lui pose toute une série de question par rapport au fonctionnement de son jeu ?

    - A-t-il pour objectif d'atteindre un certain niveau dans son jeu et se résigne-t-il par conséquent pour faire une quelconque autre activité ? Ou est-ce plutôt son discernement de ma stratégie d'approche qui l'ait mis en position de résistance ?

    - Préférerait-il que ce soit un autre éducateur qui organise et anime la sortie que je lui propose ? Penserait-il mieux s'amuser avec autre éducateur pendant un tel moment récréatif ?

    - L'ai-je pris au dépourvu ? Dois-je par conséquent lui proposer une activité, à réaliser avec lui, plusieurs jours à l'avance ?

    - Sachant lui-même que Michelle participe à la balade, voudrait-il l'éviter et pour quelle raison ?

    - Se sent-il jugé lorsque je lui demande pourquoi il ne veut pas se divertir dans la neige plutôt que de « rester le nez dans » sa console ?

    - Quelle(s) activité(s) à vivre ensemble de la réalité non-virtuelle pourrait être source de plaisir à la fois pour lui et moi ?

    - Quel est le sens pour lui de dire « aguik » au lieu d'« addict » ?

    - Que suscite en lui le fait que je n'apporte pas de précision quant « à un autre moment » où « j'aimerais en rediscuter avec » lui ?

    § A l'examen de la seconde séquence

    - A-t-il vraiment envie de regarder son programme télévisé jusqu'au bout ou utilise-t-il un prétexte par crainte de se retrouver nez à nez avec moi, hors de la vue des témoins de la maison ? A quoi cette éventuelle crainte est-elle liée ?

    - Ne suis-je pas finalement en train de me mettre en difficulté professionnellement en invitant le garçon à bavarder en l'absence de témoins, qui plus est dans un lieu d'intimité ? Voit-il comme intrusif le fait que je m'asseye sur le bord de son lit sans lui en demander la permission ?

    - S'obstine-t-il à maintenir la prononciation hors norme en espérant me faire sortir de mes gongs un moment, par simple amusement ?

    - Caroline l'a-t-elle vraiment taxé d'addict ou François invente-t-il cela pour faire cesser mon interrogatoire obstiné qui l'exaspère ? Quand bien même Caroline ne l'ait pas fait, quelle portée mes propos vis-à-vis d'elle auront-ils ?

    - Est-ce un souci pour François qu'on puisse le désigner sous cette

    appellation ?

    3.4.2. Mes hypothèses de compréhension

    1) Il se divertirait davantage par le jeu vidéo que par une quelconque autre activité (première séquence) ;

    2) Sa console est le comportement/moyen qu'il a trouvé - ici et maintenant - comme étant le mieux adapté pour sublimer stress, frustration ou angoisse ;

    3) Il ne veut pas « décrocher » de sa console car il se serait fixé d'atteindre une performance à tout prix, pour développer son « image de marque » auprès de ses pairs. Cette forme de reconnaissance par autrui favoriserait en même temps l'augmentation de son estime de soi* ;

    4) Il préférerait que la sortie se face avec un ou plusieurs autres de ses pairs, plutôt qu'avec Michelle avec qui il aurait moins voire aucune affinité (cf. L'identité sociale*) ;

    5) Chacun de nous est en zone d'inacceptation* par rapport à l'autre : moi en communiquant des « messages* solution » et des messages dévalorisants ; le bénéficiaire par des messages d'évitement.

    6) Mon mode de fonctionnement relationnel, dominé par les états du moi* de Parents nourricier et normatif négatifs*, ne viendrait pas rencontrer François dans ses désirs et

    attentes. Par conséquent, il se comporte le plus souvent selon un l'état du moi d'Enfant rebelle ou soumis*.

    7) « Aguik » ferait partie de ses habitus* correspondant à un groupe ou sous-groupe de pairs auquel il appartient ;

    8) Le garçon persisterait à employer une prononciation déformée du mot « addict » pour créer entre nous un jeu relationnel susceptible de favoriser l'escalade symétrique*. Cette escalade l'amuserait ou serait une stratégie de diversion par rapport à ma sollicitation dont l'objet ne l'inspire pas vraiment ;

    9) Lorsque je ne conviens pas avec lui des moment et endroit précis pour « en rediscuter », François pourrait ressentir une espèce d'ambivalence flottante ou rester avec une information qu'il peut oublier dans le temps.

    10) Le garçon aurait des réactions d'auto-protection (déclination de venir s'entretenir une première fois, placage d'une peluche contre lui, regards bas ou fuyants, léger rictus, etc) là où il se sentirait menacé dans son intégrité psychocorporelle, par l'actualisation de peurs archaïques* possiblement liés aux maltraitances de sa petite enfance ;

    11) Lorsque je suis en position de jugement de valeur, François ne serait pas rejoint dans ses besoins de sécurité et d'estime et l'empêche par conséquent de s'épanouir pleinement.

    52

    3.5. Hypothèse d'intervention

    Je sélectionne les hypothèses d'interprétation 5 et 6 pour en dégager des pistes de solution. Pour être pertinente, mon intervention devra consister à (r)établir et maintenir une relation de confiance avec François :

    1° Par l'exercice de plus d'empathie* vis-à-vis de ses besoins explicites et implicites ; 2° En m'exprimant en « je » lorsque je suis en zone d'inacceptation ;

    3° En induisant les transactions* suivantes :

    Moi

    François

    Pnf? + Pnr?

    Enfant libre

    Enfant libre

    Enfant libre

    Adulte

    Adulte

    3.6. La mise à l'épreuve de l'hypothèse

    Cette entreprise va se dérouler en deux temps :

    1° J'entrerai dans un véritable dialogue avec François qui me semble dans de bonne prédispositions relationnelles, puisque c'est lui-même qui viendra me solliciter ;

    2° J'organiserai une sortie VTT dont le parcours et la destination semble l'intéresser et à laquelle il participera avec une grande motivation.

    1)

    53

    Par un après-midi ensoleillé d'avril, une éducatrice et moi-même encadrons un groupe de six enfants du Foyer sur une plaine de jeux communale. Pendant ce temps, François et d'autres jeunes du Foyer, accompagnés par une autre éducatrice, sont à la piscine communale qui se situe juste à côté du terrain de jeu.

    Lorsque le groupe dans lequel se trouve François revient de sa séance nautique pour nous rejoindre à la plaine, ce dernier vient vers moi pour me demander poliment si je veux bien l'accompagner pour aller au « terrain de sport ». L'endroit auquel il fait allusion est en fait un espace de plein air aménagé au moyen d'appareils de fitness - conçus pour résister aux intempéries - destinés aussi bien à l'usage par des sujets « valides » qu'aux personnes en situation de handicap. Là il me demande de lui montrer concrètement comment utiliser chaque machine. Je m'exécute et il semble manifester beaucoup d'attention car il regarde fixement chacun de mes faits et gestes, tandis que je lui explique soigneusement mes mouvements. Il prend mon relais, après chacune de mes explications, en testant les spécificités de chaque dispositif.

    Ensuite, je lui demande s'il apprécie les séances de piscine et ce qui le motive précisément pour s'y rendre. Il me répond qu'il aime bien y aller parce qu'il est capable de faire beaucoup plus de choses dans l'eau que les autres enfants du Foyer qui y vont en même temps que lui. A ma demande, il me décrit une à une ses performances nautiques.

    Enfin, il me confie qu'il aimerait revenir un autre jour avec moi sur ce terrain de sport. Dans un premier temps, je lui explique que ce ne sera pas possible pour moi37 étant donné que, en tant que stagiaire, je ne suis pas autorisé à utiliser le véhicule de transport du service parce que je ne suis pas assuré à cet effet. En conséquence il me déclare que je peux bien utiliser ma propre voiture. Je l'informe encore que je ne suis pas assuré pour utiliser mon véhicule personnel à des fins professionnelles. Il semble déçu car il détourne aussitôt son regard de moi et s'éloigne pour s'asseoir sur un autre appareil. Puis, réflexion faite, j'interpelle François pour lui demander s'il n'était pas partant pour revenir un jour ici à vélo, par le RAVeL38, en partant de l'institution. Il semble manifester beaucoup d'enthousiasme à cette idée : « Ouais !... Cool !... ». Je lui dis que je retiens ce projet en sa faveur en lui promettant de le réaliser dès que le temps le permettra, mais qu'il y aura certainement d'autres enfants du Foyer qui seront avec nous. Il m'affirme explicitement que ça ne le dérange pas.

    2) Début mai, les prévisions météo indiquent un temps au beau fixe pour quelques jours. Avec l'aval du chef-éducateur, j'en profite pour programmer deux sorties VTT qui se dérouleront chacune lors d'un jour férié inclus dans la période de ces bonnes prévisions. Pour chaque cyclo-randonnée, je compte trois enfants adhérant au projet. Bien qu'il ne soit pas possible d'aller jusqu'au terrain de jeux du mois dernier (un tronçon du chemin nous obligerait à emprunter une route nationale trop dangereuse à cause de sa sinuosité et son trafic), François garde sa motivation car la nouvelle destination ainsi que le programme du circuit l'intéressent également.

    François participe à la seconde virée avec Michelle et moi-même, la troisième cycliste potentielle s'étant désisté. Le garçon semble avoir pris en considération les recommandations de sécurité que j'avais faites au groupe avant le départ, car il les applique toutes. Chaque fois qu'il décide de prendre une initiative personnelle faisant une entorse à mes consignes de route, il m'en demande expressément la permission. Comme tout se passe bien, je n'hésite pas à lui octroyer une marge de manoeuvre susceptible de lui faire expérimenter liberté et responsabilité personnelle. Chemin faisant, je réponds à ses nombreuses questions touchant à l'environnement comme la faune et la flore. Je suis ravi qu'il s'intéresse à ces éléments de la nature et le lui exprime.

    Lorsque nous arrivons dans la commune de destination, je propose à mes compagnons de route de nous arrêter sur la plaine de jeux de notre point d'arrivée où je les guide, au gré de leurs sollicitations, dans l'exploration d'un portique métallique censé solliciter toutes leurs

    37 Le Foyer est à plus ou moins 15 kilomètres de la plaine de jeux.

    38 Réseau Autonome de Voies Lentes de Wallonie réservé aux piétons, cyclistes, personnes à mobilité réduite, patineurs et cavaliers. Ces voies longent généralement les rivières.

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    dextérités physiques. Ensuite un autre dispositif ludique à axe rotatif central et flanqué de deux sièges semble les attirer de façon plus exclusive car ils y retournent souvent. Un moment, je décide de les faire tourner sur ce module en les poussant répétitivement. La vitesse favorisée par cette poussée répétitive semble les amuser car, dans le tournoiement interrompu, ils rient aux éclats et en redemandent de façon inconditionnelle.

    Après avoir pris le goûter de seize heures sur l'aire de jeux, nous nous déplaçons vers un second endroit de divertissement. Il s'agit d'un terrain vague dont les monticules de terre successifs, irréguliers les uns par rapport aux autres en taille et volume, sont coiffés d'une piste cyclable formant un circuit. J'ai désigné cet endroit tant convoité, auquel les enfants n'avaient pas attribué de nom, par « piste de cross ». Je participe à leurs multiples passages sur cette piste en exprimant, comme eux, ma joie d'expérimenter ce manège.

    Nous rentrons finalement tous les trois au Foyer comblés par notre escapade. François est tellement satisfait qu'il me demande d'organiser une réunion où chacun pourrait exprimer son ressenti par rapport à la sortie vécue ensemble. Je suis OK pour ce débriefing. Michelle ne souhaite pas y prendre part, je ne l'y oblige donc pas. François et moi échangeons mutuellement ce que nous avons le plus apprécié au cours de notre aventure. Je n'oublie pas de le remercier pour sa contribution au déroulement positif de notre activité partagée.

    3.7. Evaluation de l'impact de mon action

    1) Dans la première situation, le bénéficiaire vient me trouver de son propre chef par rapport à un désir. Je réponds à son besoin et lui fais des propositions allant dans le sens de ses attentes, en tant que Parent nourricier positif. Nos échanges s'en trouvent enrichis et nous rapprochent dans la relation, puisque le garçon lui-même finit par exprimer son désir d'une activité future à réaliser avec moi.

    2) Dans le second cas de figure, je fonctionne tout d'abord en Parent normatif positif en posant un cadre de sécurité avant notre départ. Une fois ces consignes intégrées et appliquées par les enfants, je peux d'une part mieux fonctionner en Parent nourricier positif*. D'autre part cela m'ouvre le champ à l'expression de mon Enfant libre qui va partager plaisirs et joies avec l'Enfant libre* des usagers, sans risquer de perdre le statut d'autorité* au sens étymologique du terme. Le résultat s'en avère véritablement satisfaisant étant donné que François lui-même réclame l'évaluation collective de cet après-midi récréative. Ceci a pour effet de m'enchanter pleinement et m'amène à attribuer un renforcement positif qui me semble resserrer notre lien de plus belle.

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    V.- MA VISION DU METIER

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    A partir d'une part de la proximité de terrain que j'ai pu avoir, sur une période de dix-huit années, en France et en Belgique, avec différents publics de jeunes ou moins jeunes, avec ou sans difficultés d'insertion sociale, avec ou sans handicap, et d'autre part de ma formation en éducation spécialisée, je me suis conforté dans une sensibilité professionnelle orientée vers l'aide aux jeunes dont les habilités du milieu d'origine sont restreintes. Les expériences concrètes dans les domaines socio-éducatifs que je viens d'évoquer, je les ai accumulés sous différents régimes : bénévolat, volontariat, stages professionnels ou encore emplois salariés.

    La réaction des gens qui m'interrogent sur mon métier, à partir de l'idée préconçue qu'ils en ont, me demandent « spécialisé en quoi ? ». Sous-entendu, « dans quel domaine » ou « pour quelle population ? ».

    Mon but, en proposant ci-dessous ma vision du métier, n'est pas de me présenter uniquement en tant qu'éducateur spécialisé du secteur de l'Aide à la Jeunesse, mais de décrire par ailleurs les singularités qui, à mon sens, me sont communes avec d'autres éducateurs, de mon secteur ou non, et qui fonde l'identité du métier.

    Pour ce faire, je calquerai mes éléments de définition sur les cinq fonctions que l'éducateur spécialisé se doit d'assurer. Elles sont énumérées dans le profil professionnel du bachelier en éducation spécialisée en accompagnement psycho-éducatif, tel qu'adopté le 27 avril 2006 par l'Enseignement supérieur pédagogique de type court et approuvé par le Conseil supérieur de l'Enseignement de Promotion sociale.

    1. Dans la fonction d'accompagnement et d'éducation

    Sans perdre de vue que le gros de mon quotidien réside dans un tâtonnement pragmatique, il est néanmoins courant que j'y conjugue de nombreux outils théoriques et méthodologique des sciences humaines. Ceux-ci doivent s'avérer éclectiques en raison d'une certaine complexité que je dois démêler dans certaines situations prises en charge, notamment lorsque le bon sens commun ou le pragmatisme me dirigent vers une impasse en terme de pistes d'intervention.

    Toujours est-il que Jozeph Rouzel m'inspirent souvent quand je cherche des solutions. Cet éducateur, psychanalyste et formateur en sciences sociales vise le développement d'une clinique du sujet dans les « médiations éducatives ». Ces espaces de transmission s'inscrivent, pour le bénéficiaire comme pour l'intervenant, dans un processus de découvertes sensibles. La

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    créativité entraîne ces partenaires dans la connaissance de l'humain avec toute sa dimension symbolique, afin d'« entrer dans le partage d'une vision esthétique du monde » avec « de la noblesse et du sens [...] pour que l'autre devienne adulte » (Delasse, 2009). Dans l'un des S.A.A.E. où je prestais en tant que stagiaire, un « atelier d'histoires » permettait aux enfants de développer leur créativité en se projetant par la photographie. Avec un éducateur, une réflexion collective se faisait préalablement sur un scénario. Le thème n'était pas imposé par l'intervenant, mais choisi par les jeunes. Il fallait aussi penser à comment allait être les costumes. Loin de l'empêcher de se confronter au principe de réalité et aux autres, cette activité avait pour finalité d'aider l'enfant à s'imaginer plus aisément dans un contexte social et à trouver des alternatives aux situations problématiques auxquelles il aurait pu être confronté à l'avenir, voire dans sa future vie de sujet adulte.

    L'éducation nouvelle, représentée notamment par Makarenko39 et Freinet40 et à laquelle j'aspire, s'oppose depuis longtemps à la vision rousseauiste en renonçant à une toute puissance de l'autorité. Bien loin de démissionner de cette façon de mon rôle éducatif, j'apprends à construire un lien de confiance basé sur une autorité ajustée. Cette autorité renvoie à ma capacité d'être à l'écoute des désirs propres de l'autre, en négociant leur actualisation au regard du temps et des moyens disponibles. Ainsi, quand je travaillais en milieu de la psychiatrique, Simon, 28 ans, semblait stagner dans un état de survie et ne pas trouver de sens dans les activités que le service lui proposait. En reconnaissant que ces activités ne correspondaient pas à son niveau d'aptitude mentale et intellectuelle, je m'étais mis à son diapason. Son réel besoin, en fonction de ses capacités, se trouvait dans un épanouissement à travers un travail ou une formation. Il désirait aussi rencontrer davantage de gens de sa génération à l'extérieur de l'institution, pour éventuellement se lier d'amitié avec des « personnes qui ont une vie normale », pour ne plus avoir « l'impression d'être un handicapé », comme il disait. Il était enchanté d'entendre de ma bouche qu'il était temps de passer à autre chose et que quelqu'un allait enfin lui donner des pistes concrètes pour l'aider à réaliser des projets qui lui tenaient à coeur.

    Pour rendre les jeunes acteurs de leur propre existence, ai-je éthiquement le droit de les formater dans la matrice néolibéral pour obtenir des individus « autonomes », autrement dit : performants, productifs, et donc rentables ? Pour remettre au centre du débat la personne en tant que sujet, « il ne s'agit pas d'être ''fort", mais [...] d'assumer ensemble la fragilité propre à la vie » (Benasayag & Schmit, 2003 : 118-119). Ainsi, plutôt que d'enfermer les personnes bénéficiant de notre prise en charge dans des catégories (« caractériel », « débile », « dépressif », « borderline », ...) qui les empêchent de s'élever, il s'agit de découvrir avec eux les potentialités « qu'[ils sont] susceptible[s] de s'approprier une fois que l'unidimensionnalité de l'étiquette est laissée de côté et que la multiplicité advient » (ibidem, pp114-115). Un ancien étudiant du CPSE, donnant à un enseignant sa définition de l'autonomie, disait qu'« Etre autonome, c'est être capable de reconnaître et d'accepter que l'on a besoin d'aide et d'être capable de la demander ». Personnellement, j'appelle cela une capacité d'interdépendance.

    Toujours au niveau des aptitudes personnelles, je crois que chacun - quel que soit ses difficultés, son âge, ses conditions d'existence - possède un potentiel enfoui. L'un de mes rôles éducatifs est donc de pointer chez l'usager des ressources dont il n'a pas ou peu conscience. Une fois une compétence clairement vérifiée ou définie avec le bénéficiaire, je vais pouvoir lui suggérer des moyens concrets pour l'exploiter.

    Accompagner, éduquer, c'est promouvoir ce passage évoqué par J. Rouzel : un travail de cheminement entre un lieu d'origine et le lieu de l'apprentissage social et de la

    39A. S. Makarenko (URSS, 1888-1939) voulait acheminer vers une nouvelle société, sans classe, un homme nouveau qui s'éduque et trouve son identité dans le sentiment d'appartenance à une collectivité. Il s'agit d'une pédagogie non pas de la réflexion, mais de l'expérience et de l'observation.

    40La pédagogie de Célestin Freinet (France, 1896-1966) pourrait se résumer au postulat que l'on intègre convenablement que ce que l'on transforme ou manipule. Le savoir doit s'ancrer dans le vécu empirique de l'enfant pour avoir un sens.

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    citoyenneté. Dans cet espace je suis, en tant que passeur de sens, chargé de remettre à l'autre l'équipement nécessaire à la création de sa propre existence.

    2. Dans la fonction de reliance

    Je suis établi dans une fonction de reliance quand je sers de pivot et porte-parole entre l'institution et les acteurs extérieurs à l'institution (parents, famille élargie, famille d'accueil ou de parrainage, amis et autres acteurs sociaux du réseau de partenariat).

    Même s'il est capital pour moi de bien distinguer suppléance parentale et confusion des rôles éducateur/parents, il y a cependant « un art de savoir-faire avec le transfert » (Rouzel, 2004 : 206). Je prends parfois le risque d'occuper ponctuellement un rôle qui n'est pas le mien, sans pour autant tromper le jeune sur qui je suis par rapport à lui le reste du temps. En voici une illustration concrète. Jonathan, 5 ans me réclame une histoire lorsque je le couche. Je ne vais pas lui répondre : « Il est l'heure de dormir, petit : nous nous reverrons demain ! ». Non, je lui fais choisir un livre parmi ceux qui se trouvent sur l'étagère de sa chambre. Je m'installe, prêt de lui, sur le bord de son lit, pour m'exécuter. A certains moments du récit je lui lance des regards et sourires complices. Il éclate de rire chaque fois. Une fois la lecture achevée, j'allume la lampe de son évier dont il a besoin en guise de veilleuse pour se sentir en sécurité. Puis, je le borde après avoir inséré ses peluches près de lui, sous sa couette. Je l'embrasse sur le front. Il en redemande. Je le satisfais. Il en veut encore et là je mets des limites en lui disant qu'il me reverra le lendemain et je lui souhaite de faire de beau rêve dans cette attente. Oui, j'ai pris le risque d'une implication affective. Il faut bien que je me mette à la place du môme qui a besoin, pour s'endormir, d'un imago paternel ou maternel. Toujours est-il qu'à force de répétition de mon rituel du coucher, il arrive à Jonathan de m'appeler « Papa » dans d'autres contextes du quotidien. Je mobilise alors chaque fois mon habileté professionnelle pour faire comprendre à cet enfant que ses parents restent ses parents et que je suis là passagèrement pour l'aider à bien grandir. S'il y a une « bonne distance » à instaurer, c'est à ce moment-là qu'elle doit s'établir. Moins dans une situation où l'enfant a besoin d'un appui rassurant pour s'endormir.

    En outre, dans le cadre de mes investigations du terrain familial, si je conserve une vision subjective de la famille type, alors je pars d'un point de vue tronqué. Renoncer à mes préjugés sur les normes et habitus d'un contexte familial donné, c'est me « dépolluer » culturellement et émotionnellement. Ainsi, je serai plus à même de répondre aux besoins et attentes réels des protagonistes et de pointer les ressources disponibles dans le système familial.

    3. Dans la fonction d'interface

    Au sein d'un même service les valeurs divergent souvent d'un éducateur à l'autre. Les échanges d'idées peuvent alors prendre la forme de rapports de force d'un jeu d'identification/différenciation suscitant des conflits. Cependant j'estime que le processus de collaboration peut s'établir dans l'esprit d'une interdépendance où chacun, selon son propre système de valeurs ou son originalité, devient une pierre contribuant à la coloration positive de l'édifice organisationnel. En ce sens, l'institution peut encourager des solidarités inter-membres et façonner un sentiment d'appartenance à un groupe de travail, pour « regarder ensemble dans la même direction » au sens de Saint-Exupéry.

    Si je ne passe pas par l'évaluation de mes pratiques en réunion, je risque de dévier seul et à tort vers une lecture erronée ou réductrice des situations rencontrées. D'autre part, selon moi, analyser collégialement sa pratique permet d'éviter de reproduire des isomorphismes41 du milieu d'origine. La reproduction de ces isomorphismes empêche

    41Selon E. Dessoy (2000), les isomorphismes sont « la manière dont l'institution répète une partie essentielle de l'organisation familiale, - celle précisément qui maintient le patient dans son état malade ».

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    d'atteindre les objectifs définis par l'action éducative et constitue un frein à l'évolution des personnes. Ainsi, dans le cas du jeune Damien présenté plus haut, permettre à ce dernier d'étendre son temps d'ordinateur avec des limites ambivalentes, en soirée au Foyer, n'est-ce pas soutenir en quelque sorte l'absence de limites posées par ses parents lorsqu'il est chez eux le week-end ? Je rappelle que l'adolescent va généralement, dans ce contexte de séjour en famille, prolonger sa navigation dans le cyber-espace jusque tard dans la nuit.

    Il est important que les autres acteurs socio-sanitaires (médecins, psychothérapeutes, logopèdes, psychomotriciens...) adhèrent à cette logique de complémentarité dans la sphère d'exercice. Pour faire au mieux, cette philosophie doit s'améliorer, au fil du temps et de l'évolution de la praxis et des méthodologies, en concertation pluridisciplinaire.

    4. Dans la fonction d'acteur social

    Je ne serais pas un travailleur social complet, si je n'actualisais pas régulièrement l'état de mes connaissances socio-politico-économiques par la presse ou la lecture de publications sociales récentes.

    Dans nos sociétés occidentales, le droit des personnes ne se définit plus exclusivement à l'intérieur des états. En effet, à titre d'exemple : avec la Cour Européenne des Droits de l'Homme, des droits transcendent l'ensemble des états-membres de l'Union Européenne, et notamment le droit aux respects fondamentaux pour vivre et le droit à l'égalité et à la fraternité. Appréhender l'autre, n'est-ce pas le considérer comme un être humain pareil à soi-même ? C'est-à-dire le traiter comme alter-ego ? Je ne suis pas supérieur à un autre, quelle que soit mon rang social, mon statut, ... La fraternité est la valeur essentielle pour ne pas tomber dans la discrimination d'un genre. « La réciprocité, c'est quand l'autre, sous sa différence, me ressemble toutefois par certains angles. C'est admettre que l'autre, dans le partage et malgré sa différence, puisse m'offrir autant que je suis capable de lui donner. »42

    Pour construire un lien avec l'autre, sans le brusquer ou le frustrer, je vais avoir besoin de recourir à des moyens qui me permettent de construire une relation authentique avant tout. Il en a été ainsi lorsque j'ai réussi à instaurer une relation vraie avec Grégoire, 14 ans, dès lors que j'ai découvert que notre espace de partage authentique et joyeux était la table de ping-pong. J'ai réussi à gagner sa confiance, au bout de trois séances, en valorisant certaines habiletés techniques qu'il acquérait peu à peu. Le rapport de hiérarchie cède ici le pas à une rencontre entre deux êtres humains qui se sont mis d'accord sur un support les mettant sur un certain pied d'égalité, même si le lien éduquant/éduquer reste principalement asymétrique.

    Cependant, vouloir du bien à quelqu'un que l'on soutient dans son processus de socialisation ou d'intégration sociale, cela ne va pas sans l'éduquer au sens de la loi et, dans la loi, au respect de la vie d'autrui. L'émancipation et l'autonomisation ne peuvent se faire sans la transmission du sens de la responsabilité subjective : il faut faire saisir à l'autre, aussi jeune qu'il soit, que tout acte posé aujourd'hui a des conséquences pour demain.

    5. Dans la fonction politique

    Vouloir s'occuper d'un autre que soi-même, c'est vouloir lui donner une place, une parole, un statut au sein de la société. Notre engagement de travailleur social est donc bien politique.

    42 Conférence-débat avec Philippe Gaberan : La dimension socio-politique du métier d'éducateur. Liège, C.P.S.E., 20 avril 2012. Philippe Gaberan, éducateur spécialisé et formateur, est docteur en sciences de l'éducation, chercheur en sciences sociales et directeur d'un centre de formation et de promotion sociale (Marvejols - Lozère, France).

    Dans notre système politico-économique tenu sous la suprématie du mercantilisme et de la technocratie, pouvoirs de tutelle et éducateurs n'ont pas toujours la même vision de ce qu'ils veulent voir apparaître comme résultat dans la société. Les autorités politiques nous confient un mandat aux contours souvent flous quant à l'espace de notre intervention. En effet, qu'en est-il de notre rôle de promoteur de « la maturation sociale et l'autonomie »43, lorsque certains troubles ou certaines limitent de l'accompagné m'empêchent d'optimiser son état d'autonomie ?

    Si les politiques attribuent peu de considération aux éducateurs en tant que producteurs de résultats, que puis-je fournir aux premiers comme matière à penser dans le sens de l'aboutissement de mon action sociale ?

    S'il s'exprime souvent à l'oral et à l'écrit pour des raisons routinières de communication interne ou administrative, l'éducateur ne le fait que trop rarement au bénéfice de la publication. La parole, qui constitue le socle primordial de l'éducateur, se fait monnaie rare lorsque ce dernier devrait donner sens à son action, légitimer ses compétences de façon publique ou socio-politique.

    60

    VI.- CONCLUSION

    43 Article premier de la loi sur le statut de l'éducateur spécialisé parue au Moniteur Belge le 20 avril 1996.

    61

    Mon engagement dans la profession d'éducateur couvait donc déjà tôt dans mon histoire personnelle par le biais d'activités bénévoles et volontaires.

    De fil en aiguille, j'ai fini par « débarquer » dans le milieu de l'Aide à la Jeunesse. Là, je me suis mis - successivement au sein de cinq services d'hébergement, de la France à la Belgique - au service d'enfants et adolescents placés par les autorités publiques compétentes.

    Dans ce contexte, j'ai souvent été amené à mettre le focus sur le rapport particulier que beaucoup de jeunes bénéficiaires développaient avec les dispositifs et autres gadgets de la technologie numérique. J'observais une espèce d'obnubilation des sujets qui, à l'occasion de ces interactions, présentaient comme une fusion identitaire avec le non-humain. Ce phagocytage de l'homme par la machine inférait une prolongation inquiétante du temps qu'ils consacraient à ce domaine.

    Simples espaces transitionnels, au sens de Winnicott ? Toujours est-il que « mes protégés » encouraient le risque réel, que ce doux flirt passager devienne un véritable poison pour eux dans la mesure où ils étaient susceptibles d'explorer ces lieux parallèles en guise d'échappatoire à leurs souffrances existentielles (voir Tisseron, page 22).

    Il me fallait donc jouer la carte de la prévention pour que les U.P.T.I.C.44 n'émergent pas dans leur vie future tantôt plus ou moins proche, tantôt plus ou moins lointaine. Bientôt, inspiré par des auteurs ayant traité de la façon de considérer les adolescents et jeunes adultes fréquentant ces univers, équipé en plus d'outils empruntés aux champs théoriques et méthodologiques de ma formation, je me suis fixé comme objectif d'améliorer l'accompagnement pédagogique des bénéficiaires dans leur consommation des contenus proposés par les T.I.C., afin de leur éviter des T.O.C.45.

    44Usages problématiques des technologies de l'information et de la communication. 45Troubles obsessionnels compulsifs.

    62

    Le choix des vignettes cliniques, figurant dans ce mémoire, m'a semblé pertinent pour faire état de la façon dont j'ai procédé pour modérer ou stabiliser la dose de pixels que s'« injectaient » quotidiennement les concernés. Les pistes d'intervention, que j'ai mises à l'épreuve par rapport à ces situations, ont chacune comme but commun de permettre aux bénéficiaires d'être plus pondérés dans leur consécration au loisir virtuel.

    Dans la première situation, celle avec François et Damien, j'ai choisi de rencontrer un besoin relationnel insatisfait, similaire chez ces protagonistes. Pour ce faire, j'ai appliqué une piste proposée par Serge Tisseron (2008), qui consiste à s'investir - en tant qu'imago parental - aux côtés des jeunes. A cette occasion, les intéressés m'ont expliqué et fait expérimenter leur univers « magiques ». J'ai obtenu comme résultat de gagner davantage de proximité relationnelle avec eux. Ceci m'a permis, en tant qu'autorité ajustée, d'identifier davantage leurs besoins affectifs non nécessairement assouvis dans les jeux vidéo interactifs.

    Dans le deuxième cas relaté, mon objectif était de mettre en place une réglementation formelle, claire et univoque pour une utilisation plus saine et équilibrée des PC. En terme d'hypothèses d'intervention, que j'ai exploitées suite à une première rencontre collective avec les jeunes, l'action que j'ai mise en place a eu un impact satisfaisant en ce qui regarde l'aspect organisationnel. Par contre, du point de vue relationnel, je n'ai pas été à la hauteur de mes espérances. Quelques ratés de ma part, au niveau du principe de relation d'aide et d'écoute, ont inféré une démotivation plus ou moins généralisée des jeunes dans leur contribution à la réalisation d'une charte informatique. Malgré cela, la réunion suivante s'est déroulée dans un climat assez détendu et plutôt « bon enfant ».

    Enfin, dans une troisième et dernière situation, j'ai souhaité permettre à François de devenir le « client » d'une activité qui le fasse ponctuellement prendre de la distance d'avec ses centres d'intérêts pixélisés. Une fois sa demande d'activité extérieure formulée, j'ai pu organiser une sortie à vélo avec lui. Le garçon a reconnu s'y épanouir autant - pour ne pas dire plus - que s'il avait passé le même temps devant les écrans domestiques. La « mission » que je m'étais fixée a donc été couronnée de succès.

    Par ailleurs, j'aurais souhaité faire part, au cours du développement de ce TFE, d'autres situations de mon stage dans lesquelles j'ai mis en place des activités alternatives à l'informatique. Or, le volume du porte-folio étant déjà bien fourni, je n'ai pas voulu en surajouté. Je vais donc m'arrêté à quelques descriptions succinctes ici.

    Je prenais plaisir à lire des histoires aux plus petits pour favoriser leur endormissement paisible du coucher, quand j'étais de service. Ils se montraient silencieux pendant que je racontais. Probablement étaient-ils absorbés par mon intonation narrative, que je m'efforçais de rendre mélodieuse pour fixer leur attention. En dehors de nourrir la pensée magique de l'enfant, ne stimulais-je pas sa représentation symbolique (voir Pascale Gustin, page 23) favorable, en même temps, à une structuration linguistique ?

    Le jeune François, onze ans, présenté antérieurement dans les trois situations éducatives, insistait souvent pour que je lui lise à son chevet des passages de ses livres de récits d'aventure, dont il parcourait lui-même parfois individuellement les chapitres. Il était, en ces circonstances, constamment pendu à mes lèvres et découvrait des mots dont je lui expliquais le sens.

    Parfois, les mercredis après-midi ou le week-end, il m'arrivait de me retrouver avec quelques-uns autour d'un jeu de société de type coopératif ou stratégique. Je me faisais même le partenaire des plus jeunes en me laissant entraîner dans leurs jeux de rôles, du style « Papa, Maman et les enfants » ou « commerçant/client » ou encore en créant des interactions avec eux par le média des Playmobil.

    Il est aussi certains autres loisirs que j'aurais aimé réaliser plus souvent avec les enfants. Ainsi, en tant qu'amateur de VTT, je n'ai pu réaliser que deux cyclo-randonnées pour partager mon plaisir avec eux. Les contraintes organisationnelles et météorologiques du printemps 2013 n'ont pas été propices à la multiplication de ce type de sortie.

    Finalement, les changements induits par l'humain dans l'ici et maintenant de ma pratique, ainsi que la mutation permanente du contexte socio-économique, me conduisent à demeurer un

    63

    professionnel jamais achevé, qui dois s'adapter en permanence. Il est de bon ton de parodier ici Simone de Beauvoir, en parlant de la condition de l'éducateur : on ne naît pas éducateur, on le devient !

    J'ai également le souci constant de ne pas oublier Socrate disant : « Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien ». Loin de me situer ainsi dans un esprit d'ignorance béate, je veux plutôt signifier qu'il est opportun - pour le professionnel que je veux être - de ne pas se lasser de découvrir ou parfois redécouvrir autrement l'humanité de l'Autre, dans un lien authentique et quotidien, pas à pas.

    Je pense que le travail éducatif est jalonné de phases de construction, de déconstruction et de reconstruction. Ce travail, qu'il se fasse en individuel, en équipe ou en pluridisciplinarité, est fait de prises de risques et d'impasses, mais aussi de trouvailles et pari pour le bénéficiaire regorgeant de ressources parfois inexploitées...

    Je reste toujours soucieux d'optimaliser l'intégration socio-professionnelle des jeunes dans une société multiculturelle régie par les lois de l'image et du multimédia. Fort de mes quinze ans d'expérience dans le secteur socio-éducatif, je tiens à continuer de mettre ma part de créativité et d'humanité au service de la santé et de l'épanouissement des personnes bénéficiant de mon accompagnement.

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    ANNEXES

    66

    Annexe 1

    Annexe 2

    67

    Il faut faire une lecture oblique ascendante de ce blason, en partant d'en bas à droite :

    L'oisillon atteint par la foudre représente l'enfant en danger dans son milieu d'origine.

    Le recueil de l'oisillon entre deux mains flanquées de l'insigne de l'Aide à la Jeunesse symbolise les dispositions prises par cette instance au service d'un jeune dont l'intégrité personnelle est menacée. Le SAJ fait partie du réseau de partenariat socio-éducatif constitué par la tuyauterie.

    L'infirmier représente l'éducateur qui accueille l'enfant lors de son placement.

    Pourquoi un infirmier ? J'estime que l'éducateur, qui s'investit au service de la jeunesse, est un « infirmier de la relation ». Il doit tisser une relation de confiance (composante compromise par le milieu d'origine) avec les jeunes qu'il accompagne, pour pouvoir exercer une autorité ajustée vis-à-vis d'eux.

    L'éducateur est mandaté pour appliquer les mesures de protection. C'est pourquoi je lui ai dessiné des ailes.

    J'ai placé dans la main de l'infirmier un coeur car, selon ma vision, un éducateur travaille avant tout avec ses tripes et sa personnalité.

    Cependant, comme il est humain, et donc faillible, il a besoin de s'appuyer sur ses collègues et prendre avec eux un recul réflexif souvent nécessaire au réajustement de ses actions et pour ne pas se faire engloutir par ses affects. L'équipe est symbolisé par les personnages multicolores réunis autour d'une table de discussion. L'ampoule (au-dessus de l'équipe) matérialise les idées émergentes, en terme de pistes d'intervention, qui résultent du débat. J'ai volontairement placé le groupe en réunion d'équipe sur l'une des ailes protectrice de l'infirmier car les réflexions collectives sont un précieux outil de prévention des « faux pas » susceptibles de causer du tord aux bénéficiaires.

    Le groupe de jeunes occupe une position centrale dans le blason : la satisfaction de leurs besoins et attentes doit se situer au centre des décisions prises de façon collégiale avant que celles-ci soient appliquées dans la pratique individuelle de chaque intervenant. Cependant, l'éducateur a encore pour mission de garantir à l'enfant un cadre éducatif sécurisant sensé le faire grandir en tant que sujet et citoyen responsable. D'où le cadre brun contenant le groupe de jeunes. Comme la structure institutionnelle est contraignante, du fait que 1° les jeunes subissent leur placement et 2° ils sont soumis à des règles de vie communautaire restreignant leur espace de liberté individuelle et leur intimité, les jeunes imaginent des stratégies pour pouvoir s'échapper du cadre (d'où les mains qui agrippent le cadre).

    Le tuteur adhérant au cadre. Dans le cadre éducatif que lui propose le service d'accueil, le jeune peut s'approprier un tuteur de résilience qui va lui permettre de s'élever au rang d'une dignité humaine et sociale recouvrée pour ad-venir en volant de ses propres ailes. D'où la métaphore de l'oiseau qui s'envole en décollant du tuteur.

    Les rayons jaunes représentent l'espérance d'un avenir meilleur et la future vie autonome des jeunes.

    SYSTEME DE CLASSIFICATION DU PAN EUROPEAN GAME INFORMATION46

    Classification selon l'âge

    Pictogramme
    de catégorie
    d'âge

    Décodage du pictogramme

     
     
     

    « Avec cette classification, le contenu du jeu est considéré comme adapté à toutes les classes d'âge. Une certaine violence dans un contexte comique (par exemple les formes de violence présentes dans les dessins animés de type cartoon comme Bugs Bunny ou Tom & Jerry) est acceptable. L'enfant ne doit pas pouvoir associer le personnage à l'écran avec des personnages réels, ils doivent être totalement imaginaires. Le jeu ne doit pas comporter de sons ou d'images susceptibles d'effrayer ou de faire peur à de jeunes enfants. Le jeu ne doit faire entendre aucun langage grossier. »

    «

    7ans et +

    »

    « Tout jeu qui obtiendrait normalement une classification 3 mais qui contient certaines scènes ou sons potentiellement effrayants peuvent être considérés comme convenant à cette classe. »

     
     
     

    « Les jeux vidéo montrant de la violence sous une forme plus graphique par rapport à des caractères imaginaires et/ou une violence non graphique envers des personnages à figure humaine ou représentant des animaux identifiables, ainsi que des jeux vidéo montrant des scènes de nudité d'une nature légèrement plus graphique tomberaient dans cette classe d'âge. Toute grossièreté doit rester légère et ne pas inclure d'insultes à caractère sexuel. »

     
     
     
     

    « 12

    ans et

    + »

     
     
     

    « Cette classification s'applique lorsque la représentation de la violence (ou d'un contact sexuel) atteint un niveau semblable à celui que l'on retrouverait dans la réalité. Les jeunes gens de cette classe d'âge doivent également être en mesure de gérer un langage grossier plus extrême, le concept de l'utilisation de tabac et de drogues, et la représentation d'activités criminelles. »

    « 16

    ans et

    + »

    « 18

     

    ans

    et

    + »

    « La classification destinée aux adultes s'applique lorsque le degré de violence atteint un niveau où il rejoint une représentation de violence crue et/ou inclut des éléments de types spécifiques de violence. La violence crue est la plus difficile à définir car, dans de nombreux cas, elle peut être très subjective, mais de manière générale elle peut regrouper les représentations de violence qui donnent au spectateur un sentiment de dégoût. »

    Classification selon le contenu

    Jeu pouvant se jouer en ligne

    Jeu contenant des expressions grossières

    Annexe 3

    46 (c) PEGI S.A. (2013). « Définition du PEGI - Que signifie les pitogrammes ? ». Pegi.info, [En ligne]. Page consultée le 15 juillet 2013. http://www.pegi.info/fr/index/id/75/

    68

     

    Jeu contenant des éléments incitant à la discrimination

    Jeu avec référence(s)

    à la consommation de drogues

    Jeu risquant d'inspirer la peur à de jeunes enfants

     

    Jeu contenant des scènes de nudité et/ou faisant allusion à la sexualité

    Jeu contenant des scènes violentes

    Jeu incitant à jouer à des jeux de hasard

    ?

    69

    Ch @ rte inform@tique

    du

    Foyer

     

    POUR UNE UTILISATION SAINE ET RESPECTUEUSE DU MATERIEL D'ORDI
    DANS LE RESPECT DES AUTRES ET DE MOI-MEME

    Lorsque plus de 4 jeunes veulent « faire » de l'ordi en même temps, c'est l'éducateur présent qui détermine l'ordre de passage.

    1) 3 Pommes

    ?? J'utilise le plus souvent possible le site T... P...

    2) Organisation

    ? Je peux utiliser un ordi à partir de mes 10 ans révolus, selon les moments affichés et

    pendant 30 minutes les mercredis et vendredis.

    Exceptionnellement, je peux dépasser les 30 minutes

    quand je dois faire un travail de recherche pour l'école ;

    ce travail doit être noté dans mon journal de classe.

    Dans ce cas exceptionnel, je ne dépasserai pas 2 heures d'utilisation.

    3) A faire

    'Les conditions d'utilisation d'un L sont les suivantes :

    a.- le mercredi et le vendredi, mes devoirs d'école sont faits convenablement pour la journée d'école qui suit, mes tâches sont faites (chambre et linge rangés, vaisselle

    faite quand c'est mon tour, ...) et ma douche est prise ;

    b.- le week-end ou les jours de congés, mes devoirs sont faits mes tâches sont faites.

    4) Utilisation

    'Pour bien utiliser un L:

    ? je demande l'autorisation aux éducateurs qui travaillent ;

    ? je me lave les mains avant d'utiliser le ? et la ? ;

    'je ne mange et ne bois pas devant ; si je compte manger ou boire, alors je quitte l'ordi pour m'installer à table (personne ne prendra ma place pendant ce temps) ;

    ? j'éteins l'ordinateur dès que j'ai fini de l'utiliser, sauf si quelqu'un l'utilise tout de suite après moi ;

    ? j'utilise mon ÇI casque audio ou mes écouteurs, lorsque j'en ai ;

    ? je mets le son.i à un niveau de volume raisonnable et je m'arrange avec
    les autres utilisateurs pour passer les musiques à tour de rôle, lorsque je n'ai pas de casque.

    5) Respect

    ' Si je manque de respect envers les autres (enfants ou adultes), l'ordinateur sera supprimé durant un certain temps ;

    ' Si je casse ou abîme du matériel d'ordi,
    je serai amené(e) à participer à la réparation des dégâts.

    6) 70

    Internet

    ? Je peux aller sur les réseaux sociaux (Facebook®, ...) ou blogs (Skyblog®, ...),
    'sauf interdiction formelle,

    à partir de mes 13 ans révolus et avec un droit de regard des adultes jusqu'à mes 18 ans.

    'Si, sur mon ordinateur ou celui de l'un de mes voisins, un site ou un message me paraît
    incorrect
    -H dangereux -H bizarre
    (certains sites ou messages sont inacceptables !),
    ? j'en parle directement à un éducateur présent.

    'Je suis prudent(e) : je n'ouvre pas de pub, de spam et

    surtout pas une fenêtre ? qui s'affiche subitement

    (elle peut être -H dangereuse -H pour moi-même,pour un autre jeune ou pour l'ordinateur)

    7) Plaisir

    ? Surtout : je prends du bon temps avec l'informatique !

    Les jeunes du Foyer : L'équipe éducative du Foyer :

    Annexe 4

    \4110) child focus

    11)

    tecllnofuturTIC

    webe

     

    NOS CONSEILS AUX PARENTS

    Webetic - Nos enfants sur le Net en toute sécurité l

    · Parlez avec votre enfant de l'utilisation d'Internet sur ce qu'ils peuvent faire ou non. Intéressez-vous au web. Evoquez avec eux et même avec ses ami(e)s ce qu'ils font sur Internet, comment ils y font des découvertes. Partagez également vos propres expériences. De cette manière, vous laissez entendre que vous êtes accessible et vous établissez un lien de confiance.

    · Passez des accords sur l'utilisation de l'ordinateur. Combien de temps l'enfant peut-il rester devant l'ordinateur et pour que faire ? Quand ? Par exemple: les jeux et le chat pendant une heure et deux heures pour les devoirs. Pourquoi ne pas envisager d'utiliser une minuterie !

    · Autant que possible, laissez votre enfant surfer en toute indépendance mais placez l'ordinateur dans une pièce de passage ou a un endroit bien visible. Ce faisant, vous pouvez mieux observer le comportement de votre enfant sur Internet et vous êtes dans les alentours en cas d'incident.

    · Apprenez aux adolescents à ne livrer d'éléments de leur identité qu'avec la plus grande prudence, surtout lorsqu'il s'agit d'informations personnelles et de photos d'eux-mêmes et d'autres personnes.

    · Sensibilisez-les à la notion de droit à l'image. Il est indispensable de demander l'accord de la personne reconnaissable sur une photo avant de la publier en ligne. Tout comme vous avez le droit d'exiger de la personne qui a publié une photo de vous ou de votre enfant, sans votre autorisation, de la retirer.

    · Assurez vous que votre enfant connaisse vraiment ceux avec qui il communique via sa webcam et avec qui il échange toutes ses données personnelles.

    · Optimalisez ensemble les paramètres de confidentialité et de sécurité du compte .
    · chat .. de votre enfant ainsi que de ses profils sur les sites de réseaux sociaux.

    · Expliquez à votre enfant que l'éventuel contrôle que vous pratiquez ou que les filtres installés sont nécessaires pour lui éviter d'être confronté à des contenus et/ou des images inopportunes,

    · Les enfants partent souvent du principe que tout ce qui se trouve sur Internet est vrai. Sensibilisez-les au fait que toutes les informations ne sont pas fiables et qu'il convient de rester critique. Encouragez votre enfant à utiliser Internet de manière critique et à vérifier la fiabilité des informations.

    · Mettez-vous d'accord sur le sujet des achats en ligne. Soyez clair sur ce que vous tolérez : précisez donc avec votre enfant ce qui peut être acheté ou pas et de quelle manière.

    · Soulignez les pièges des jeux d'argent en ligne.

    · N'ayez pas peur d'évoquer la sexualité et la manière dont votre enfant l'expérimente sur le Net. Vous trouverez des conseils pratiques sur la façon d'aborder cette thématique sur les liens suivants: www.sensoa.be, www.masexualite.ca .

    · Lorsque vous discutez de l'utilisation de l'ordinateur, établissez des liens avec la vie réelle. Les choses que votre enfant considère comme à ne pas faire dans la réalité ne se font pas davantage en ligne! Apprenez à votre enfant le respect mutuel. Internet donne une impression fausse d'anonymat et les jeunes osent davantage sur ta toile parce les réactions d'autrui n'y sont pas observables.

    · Hector protector : C'est un bouton de sécurité qui permet à votre enfant de masquer rapidement l'écran s'il est confronté à des images choquantes, le temps de prévenir un adulte. Vous le trouverez facilement en tapant - Hector protector - via un moteur de recherche.

    Quelques messages pour nos jeunes :

    · NE FAIS PAS DEVANT UNE WEBCAM CE QUE TU NE FERAIS PAS DANS LA VIE RÉELLE !!!

    · UNE FOIS SUR INTERNET, TOUJOURS SUR INTERNET ! PENSES-V...

    · TU PUBLIES ? TU RÉFLÉCHIS I?

    71






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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle