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La police nationale d'Haiti, entre l'efficacité et le respect du droit à  la défense. Considération faite de l'émission "Allo la police": 2005-2015

( Télécharger le fichier original )
par Emmanuel TILIAS
Université d'État d'Haiti - Licence 2016
  

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UNIVERSITÊ D'ÊTAT D'HAITI

(UEH)

Faculté de Droit, des Sciences Economiques et de Gestion du

Cap-haitien
(FDSEG/CH)

La Police Nationale d'Haïti, entre l'efficacité et le respect du Droit de la défense
Considération faite de l'émissionallô lapolice : 2005-2015

Presenté par : Emmanuel TILIAS
Sous la direction du professeur : Jacquelin PIERRE
En vue de l'obtention du grade de Licencié en DROIT
Promotion Louis Julien NOISIN
2011-2015
Mai 2016

UNIVERSITÊ D'ÊTAT D'HAITI

(UEH)

Faculté de Droit, des Sciences Economiques et de Gestion du

Cap-haitien
(FDSEG/CH)

La Police Nationale d'Haïti, entre l'efficacité et le respect du Droit de la défense
Considération faite de l'émission allô la police : 2005-2015

Presenté par : Emmanuel TILIAS
Sous la direction du professeur : Jacquelin PIERRE
En vue de l'obtention du grade de Licencié en DROIT
Promotion Louis Julien NOISIN
2011-2015
Mai 2016

i

Sujet de mémoire

La Police Nationale d'Haïti, entre l'efficacité et le respect du Droit de la défense Considération faite de l'émission allô la police, 2005-2015

ii

« L'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs
publics et de la corruption des gouvernements »

Préambule de la Déclaration Française des droits de l'homme et du citoyen (DDHC) du 26

aout 1789

iii

«Each person possesses an inviolability founded on justice that even the welfare of the society as a whole cannot override... the rights secured by justice are not subject to political bargaining or to the calculus of social interests.»

John RAWLS (Theory of justice)

« Chaque personne possède des droits inviolables fondés sur la justice que même le bien-être de la société ne peut outrepasser... les droits garantis par la justice ne doivent être soumis à aucune transaction basée sur le calcul des intérêts sociaux ».

John RAWLS (Théorie de Justice)

iv

SOMMAIRE

LISTE DES SIGLES VII

DEDICACES VIII

REMERCIEMENTS IX

AVANT-PRPOPOS X

INTRODUCTION GÉNÉRALE 1

PREMIÈRE PARTIE- CONSIDÉRATION PHILOSOPHIQUE, LÉGALE ET ÉTAT DES

LIEUX EN HAÏTI 13
CHAPITRE I- CONSIDÉRATIONS PHILOSOPHIQUES ET ENGAGEMENTS DE

L'ÉTAT HAÏTIEN PAR RAPPORT AUX DROITS DE L'HOMME 14
SECTION 1- DROITS DE L'HOMME ET POLICE, CONSIDÉRATIONS PHILOSOPHIQUES

ET IDÉOLOGIQUES 15
1.1.1.1.- Sous-section 1- Considérations philosophiques et idéologiques du rapport Citoyen-

État 15

1.1.1.1.1.- Courants philosophiques hostiles aux droits de l'homme 15

1.1.1.1.1.1.- L'utilitarisme, fondement philosophique des interventions d'un État 15

1.1.1.1.1.2.- Le Nationalisme, fondement philosophique des interventions de l'État 16

1.1.1.1.2.- Courants philosophiques favorables aux droits de l'homme 17

1.1.1.1.2.1.- Le Libéralisme politique, fondement philosophique des interventions de

l'État 17

1.1.1.1.2.2.- L'Individualisme, courant philosophique de l'intervention de l'État 17

1.1.1.2.- Sous-section 2- Les concepts Droits de l'homme et Police 18

1.1.1.2.1.- Droits de l'homme : Précision conceptuelle, historicité et caractéristiques 18

1.1.1.2.1.1.- Historicité des droits de l'homme 19

1.1.1.2.1.2.- Évolution des droits de l'homme 19

1.1.1.2.2.- Police : définition, historicité et caractéristiques 20

1.1.1.2.2.1.- Définition 20

1.1.1.2.2.2.- Historicité 21

1.1.1.2.2.3.- Caractéristiques 24

SECTION 2- ENGAGEMENTS DE L'ÉTAT HAÏTIEN EN MATIÈRE DE RESPECT DES

DROITS HUMAINS 26

1.1.2.1.- Sous-section I- Quelques conventions et traités ratifiés par Haïti 26

1.1.2.1.1.- La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH) 26

1.1.2.1.2.- La Convention Américaine des Droits de l'Homme (CADH) 27

1.1.2.2.- Sous-section II- Les mécanismes de protection des droits humains 27

1.1.2.2.1.- Organismes interétatiques de protection des droits humains 28

1.1.2.2.2.- Organismes intra étatique de protection des droits humains 29

1.1.2.2.2.1.- De la Société Civile : Organismes internes de défense des droits humains 29

1.1.2.2.2.2.- Des Institutions Étatiques de défense des droits humains 30

v

CHAPITRE II- PRÉSENTATION CAUSES DE L'ÉMISSION ALLO LA POLICE 33

SECTION 1- PRÉSENTATION DE L'ÉMISSION ALLO LA POLICE 34

1.2.1.1.- Sous-section I- Historicité de la présentation des suspects aux médias 34

1.2.1.1.1.- Origine de l'émission allô la police 34

1.2.1.1.2.- Évolution 34

1.2.1.1.3.- Pratique en Haïti 35

1.2.1.2.- Sous-section II- Présentation du cas Stanley LAFLEUR 38

1.2.1.2.1. Culpabilisation prématurée des suspects 38

1.2.1.2.2. Interrogatoire informel des suspects 38

1.2.1.2.3. Témoignages abusifs des suspects 39

SECTION 2- QUELQUES CAUSES FONDAMENTALES DE L'EMISSION ALLO LA

POLICE 41

1.2.2.1.- Sous-section I- Faiblesse du système de répression en Haïti 41

1.2.2.1.1.- Situation de la Police Nationale d'Haïti 42

1.2.2.1.2. Souci de justification des efforts de la Police Nationale d'Haïti 43

1.2.2.1.3. Influence du Common Law sur les pratiques policières en Haïti 44

1.2.2.2.- Sous-section II- Rapport de la Police Nationale d'Haïti et les pouvoirs publics 47

1.2.2.2.1. Présentation de la Police nationale d'Haïti 47

1.2.2.2.2. Coopérations diverses avec des organisations internationales 49

1.2.2.2.3. La Police Nationale entant qu'auxiliaire de la Justice 49

1.2.2.2.4. La Police Nationale, service déconcentré du Ministère de la Justice et de la

Sécurité Publique 50

DEUXIÈME PARTIE-CONSÉQUENCES ET RECOURS 52

CHAPITRE III- ALLO LA POLICE CONSÉQUENCES SUR LE SYSTÈME PÉNAL

HAÏTIEN 53
SECTION 1- VIOLATION DU PRINCIPE DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE ET DU

DROIT À LA DÉFENSE 54

2.3.1.1.- Sous-section I- La violation du principe de la présomption d'innocence par l'émission

allo la police 54

2.3.1.1.1. Présentation du principe de la présomption d'innocence 55

2.3.1.1.2. Le principe de la présomption d'innocence au regard de la législation haïtienne 56

2.3.1.2.- Sous-section II- Violation du droit à la défense par l'émission allo la police 59

2.3.1.2.1. Présentation du droit à la défense 59

2.3.1.2.2. Caractéristique du droit à la défense 60

2.3.1.2.3. Fondement philosophique du droit à la défense 61

2.3.1.2.4. Fondement juridique du droit à la défense 62

SECTION 2- IMPLICATION DE L'EMISSION ALLO LA POLICE SUR LE SYSTEME

PENAL HAÏTIEN 63

2.3.2.1.- Sous-section I- Impact de l'émission sur les Officiers de la Police Judiciaire (OPJ) 63

2.3.2.1.1. Impact sur la situation des agents de la police Nationale d'Haïti 64

vi

2.3.2.1.2. Sur le juge de paix en tant qu'Officier de la Police Judiciaire 64

2.3.2.1.3. Le juge d'Instruction en tant qu'Officier de la Police Judiciaire 65

2.3.2.1.4. Le Commissaire du gouvernement entant qu'officier de la Police Judiciaire (OPJ) 66

2.3.2.1.5. Impact de l'émission sur le Tribunal saisi 67
2.3.2.2.- Sous-section II- Risque de sanctions de la Cour Interaméricaine des Droits de

l'Homme (CrIDH) 69

CHAPITRE IV- VOIES DE RECOURS ET RECOMMANDATIONS 71

SECTION 1- MESURES A PRENDRE SUR LE PLAN ADMINISTRATIF POUR PALLIER

CETTE NÉGLIGENCE DE PROCÉDURE 72

2.4.1.1.- Sous-section I- De la protection de l'image du suspect 72

2.4.1.1.1.- Importance juridique 72

2.4.1.2.- Sous-section II- De la reforme juridique et Contrôle de procédure 73

2.4.1.2.1.- Adaptation des lois à la réalité 73

2.4.1.2.2.- Contrôle de la procédure 74

SECTION 2- RECOURS À EXERCER PAR LES VICTIMES CONTRE CETTE FAILLE DE

PROCÉDURE 74

2.4.2.1.- Sous-section I- Recours par devant les instances nationales 75

2.4.2.1.1.- Action civile en réparation de dommages causés 75

2.4.2.1.2.- Recours à l'Office de Protection du Citoyen (OPC) 76

2.4.2.1.2.1.- Attributions de l'Office de Protection du Citoyen (OPC) 76

2.4.2.1.2.2.- Procédure devant l'Office de Protection du Citoyen (OPC) 77

2.4.2.1.3.- Recours en Habeas Corpus par devant le Tribunal de Première Instance (TPI) 77

2.4.2.2.- Sous-section II- Recours par devant les instances internationales 79

CONCLUSION 81

RÉFÉRENCES 88

vii

LISTE DES SIGLES

APJ : Agent de la Police Judiciaire

C.I.C : Code d'Instruction Criminelle

CADH : Convention Américaine des Droits de l'Homme

CCH : Code Civil Haïtien

CEDH : Convention Européenne des Droits de l'Homme

CIDH : Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme

CrIDH : Cour Interaméricaine des Droits de l'Homme

DUDH : Déclaration Universelle des Droits de l'Homme

INDH : Institution Nationale de Défense des droits Humains

MINUSTHA : Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti

NCHR: National Coalition for Haitian Refugees

OEA : Organisation des États Américains

OPC : Office de Protection du Citoyen

OPJ : Officiers de la Police Judiciaire

PIDCP - Pacte international relatif aux droits civils et politiques

PNH : Police Nationale d'Haïti

PNUD : Programme des Nations-Unies pour le Développement

POHDH : Plateforme des Organisations Haïtiennes de Défense des Droits Humains

P.U.F. : Presses Universitaires de France

RNDDH : Réseau National de Défense des Droits Humains

SIDH : Système Interaméricain des Droits de l'Homme

TP : Tribunal de Paix

TPI : Tribunal de Première Instance

UNPOL : Police de Nations-Unies

viii

DEDICACES

Ce mémoire est dédié à :

? Notre chère maman Mme Saintvilia SAINT-FLEUR TILIAS, et notre infatigable papa Musset Isaac TILIAS

? Notre mentor frère Hermane TILIAS, nos adorables soeurs : Wislène, Miche-Love, Esther et Carrelle. Notre cousin et allié Me Bendjy TILIAS

? Nos amis : Marc-Allen DORSINVILLE, Patrick BASTIEN, Henrico EDMOND, Stevenson LAMOUR, Eudinial JEAN-LOUIS, Renel PRESUME et John GRAVEUS.

? Aux étudiants de la Faculté de Droit, des Sciences Économiques et de Gestion du Cap-Haitien

? Enfin à toute la jeunesse estudiantine du grand Nord, d'Haïti et de la Caraïbe francophone

ix

REMERCIEMENTS

Bien que ce mémoire soit le fruit de nos efforts, nous sommes particulièrement redevables à :

Dieu qui, dans son amour infini, nous a permis de concrétiser ce grand rêve ;

Nos père et mère, qui nous ont préparé la voie de l'université. Ils ont fidèlement et conjointement, dans une complicité extraordinaire, accompli la tâche que Dieu leur a confiée : élever l'enfant selon la voie qu'il doit suivre ;

Nos professeurs qui se sont sacrifiés pour notre formation juridique ;

Me Jacquelin PIERRE, notre Directeur de mémoire, professeur dévoué et infatigable dont le rayonnement chrétien, la profonde sensibilité et les idées novatrices nous ont été très précieux par ses fameuses suggestions que lui ont inspirées ses compétences d'éducateur. Il a accepté avec bonté de coeur de mettre ses connaissances et ses expériences à notre disposition pour la réalisation de cette oeuvre ;

Me Jean Claude THEOGÈNE, juge à la Cour d'Appel du Cap-Haitien, pour son assistance méthodologique ;

Me Jean Ralph PREVAUT, Juge d'Instruction près le Tribunal de Première Instance (TPI) du Cap-Haitien, pour les séances d'interview, son appui technique ;

Me Hérode CHARNEL, Secrétaire de l'Université Libre d'Haïti (ULH), pour son appui technique ;

Nos amis : Gary DELMOUR, Milton SAINT-FLEUR, Sandra METELLUS et Judith DURAND, qui, par leurs documents et leurs propos de réconfort, nous ont vivement soutenu ;

Nous arriverons certainement à oublier la contribution des uns et des autres à la réalisation de ce travail, soit par un mot d'encouragement ou une incitation à produire, soit par un apport dans la documentation ou à la réflexion. On nous pardonnera de notre ingratitude pour n'avoir pas mis certains noms que nous ne devrions pas oublier. Nous souhaiterions que chacun, sans être nommément cité soit remercié.

x

AVANT-PRPOPOS

Tout travail d'apprentissage exige au moins deux moments. Un premier qui est basé sur l'acquisition des notions théoriques. À ce stade, l'étudiant accumule les notions, les assimile pour pouvoir comprendre une réalité ou guider ses pas dans les exercices futurs. Un deuxième qui consiste en la pratique que ce dernier doit faire en rapport avec les notions qu'il a apprises et les réalités vécues dans la pratique.

Ainsi, dans l'objectif de combiner théorie et réalité, nous avons évalué la légalité de la présentation des suspects dans les medias lors de quelques enquêtes judiciaires impliquant la Police Nationale d'Haïti. Nous avons choisi le sujet qui suit : « La Police Nationale d'Haïti, entre l'efficacité et le respect du Droit de la défense. Considération faite de l'émission allô la police : 2005-2015 ». Ce choix a été effectué parce que la question du respect des droits de l'homme est devenue une problématique d'actualité et concerne toutes les sociétés, indépendamment du niveau de leur richesse.

Avec cette pratique, nous avons compris l'inquiétude de la PNH d'adresser le problème de l'insécurité qui sévit dans le pays. Elle a fait des publications qui se révèlent être en violation du principe de la présomption d'innocence et du droit à la défense. Il y a lieu de considérer plus spécifiquement certains articles de la Convention Américaine des Droits de l'Homme (CADH), de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH), de la Constitution de la République d'Haïti de 1987 amendée et du Code de l'Instruction Criminelle (C.I.C).

L'analyse de textes relatifs au respect des droits humains, des interviews avec des cadres du pouvoir judiciaire nous ont permis de mieux élucider la question. Cependant, toute la dimension du sujet n'a pas été cernée dans le cadre de ce travail. De nombreuses difficultés rencontrées au cours de la recherche sur le terrain nous ont empêchées de recueillir toutes les informations nécessaires, notamment, en ce qui a trait à la date du début de l'émission et du nombre de personne ayant déjà fait l'objet d'une telle publication. Mais, nous avions compris que la question de violation de droits humains ne peut pas faire l'objet d'une approche quantitative, mais plutôt, du respect scrupuleux de la procédure. Voilà ce qui est traité en deux parties, quatre chapitres et huit sections et seize sous-sections que comporte ce travail.

INTRODUCTION GÉNÉRALE

La mission première de l'État est de garantir l'ensemble des droits de ses citoyens. Ramenée à la dimension nationale, celle-ci se traduit par l'article 24 de la Constitution de la République d'Haïti de 1987 amendée, disposant que : « La liberté individuelle est garantie et protégée par l'État ». Plus loin, ce même document de référence avance dans son article 24-1 que : « Nul ne peut être poursuivi, arrêté ou détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle prescrit ». Cette structure [État], résultante d'intérêts divergents, trouve son essence et sa naissance de la volonté des individus de se prémunir de la liberté individuelle que chacun peut revendiquer comme composante de ses droits naturels. On peut alors comprendre que, de l'état de nature à l'état de société, ce processus a été réalisé en vertu de l'urgente nécessité qu'ont ressentie les hommes primitifs de contrôler l'exercice de ces droits naturels détenus par chacun. Des droits qui sont aussi dits fondamentaux [1], en sens qu'ils constituent des prérogatives que l'individu avait avant même d'entrer en société. Ils sont constitués du droit : à la vie, à la liberté et à la propriété, (Locke, 1690). Insérés dans les législations modernes, on les retrouve dans les constitutions des États, notamment celle d'Haïti de 1987 en son article 19[2].

1-Les droits fondamentaux ou libertés fondamentales sont l'ensemble des droits subjectifs primordiaux de l'individu, assurés dans un État et une Démocratie. C'est une notion abstraite dont il n'existe pas de définition faisant l'unanimité. Site consulté le 5 mai 2015, 10 h 03.

2 -Article 19 de la constitution de 1987 amendée : L'État a l'impérieuse obligation de garantir le droit à la vie, à la santé, au respect de la personne humaine, à tous les citoyens sans distinction, conformément à la déclaration universelle des droits de l'homme.

3

La réalisation de la mission de l'État passe par l'Administration publique qui, au terme de l'Article 234 de la constitution de la République d'Haïti de 1987 amendée, est désignée comme étant l'instrument par lequel l'État concrétise ses missions et ses objectifs. Pour y parvenir, elle doit être gérée avec efficacité. Cependant, cet objectif d'efficacité ne doit pas compromettre l'essence de la mission de l'État. C'est pourquoi, il est indispensable que les actions de l'administration publique soient fondées sur des principes philosophiques en étroit lien avec l'histoire et la coutume des peuples.

C'est d'ailleurs dans ce sens que le philosophe Montesquieu, dans son fameux ouvrage « De l'Esprit des Lois», eut à faire tout un plaidoyer contre l'application de plano des lois importées. Dans ses écrits, le philosophe plaide pour une adaptation des principes dits universels à des contextes sociaux et géographiques bien spécifiques. En dehors de ces considérations, on risque de faire face à l'inapplicabilité des principes qui vraisemblablement, paraissent les mieux appropriés pour harmoniser une société.

Contrairement à cette impérieuse mission, qui est celle de la protection de droits, on trouve des États qui s'enlisent dans des actes de violation des droits de leurs propres citoyens. Pour se justifier, certains prétextent la garantie de la sécurité du plus grand nombre, argument utilitariste, quand d'autres clament la sauvegarde des coutumes et des croyances religieuses, se référant ainsi au nationalisme.

Dans le cas qui nous concerne, depuis quelques années, on constate une pratique qui se dessine au sein de l'administration publique haïtienne, notamment, chez la Police Nationale d'Haïti (PNH) qui aurait l'air d'une violation des principes fondamentaux du Droit Pénal. Cette institution hiérarchisée, créée par la constitution de 1987 en son article 271[3], relève du Ministère de la Justice (Règlements généraux de la police nationale, article 2). Armée et apolitique, elle a pour devise : Servir et Protéger. Sa mission consiste à garantir l'ordre et la paix publics, la sécurité des vies et des biens à l'intérieur du pays (article 3, du Règlement précité). Paradoxalement aux prérogatives ci-dessus mentionnées, la PNH semble vouloir empiéter sur la mission de la justice, seule capable de dire le mot du droit. Elle publie dans son émission « Allo La Police » l'image et l'identité des suspects. Cette action de la PNH, comme nous allons le

3 -Gérard DALVIUS, Justice et Police, un défi en Haïti, Port-au-Prince, Éditions Choucoune, 1996, p.117.

4

prouver plus tard, tend à violer certains principes du droit pénal en général et des règles de la procédure pénale haïtienne en particulier.

Néanmoins, il est dit à l'article 27 de la constitution de la République d'Haïti de 1987 amendée que :

Toutes violations des dispositions relatives à la liberté individuelle sont des actes arbitraires. Les personnes lésées peuvent, sans autorisation préalable, se référer aux tribunaux compétents pour poursuivre les auteurs et les exécuteurs de ces actes arbitraires, quelles que soient leurs qualités et à quelque corps qu'ils appartiennent.

A la lumière de cet article, il est compris que toute violation de droits par un sujet de droit, qu'elle soit physique ou morale, privée ou publique, engage, sur le plan juridique, sa responsabilité. Ainsi, le refus d'accorder, avant n'importe quelle action qui aurait l'aspect d'une peine, le droit à un procès digne et équitable à une personne interpellée dans le cadre d'une enquête judiciaire, fut-ce-t-elle délinquante récidivée, ne constitue-t-elle pas une violation flagrante aux droits garantis par la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH), en son article 10[4], dûment ratifiée par Haïti ? La réponse à cette question n'a pas seulement interpellé l'attention des étudiants en Droit, mais, d'autres secteurs se sont eux aussi élevés la voix contre l'émission allo la police.

A ce propos, nous allons considérer les critiques de deux organisations dans le secteur de défense des droits humains : le Réseau National de Défense des Droits Humains RNDDH et la Plateforme des Organisations Haïtiennes de défense de Droits Humains POHDH. Également, une institution étatique, l'Office de Protection du Citoyen (OPC) dont le rôle essentiel est de veiller au respect de ces droits. En effet, en réaction à l'émission, les propos de l'OPC ont été rapportés, dans un article paru dans le journal électronique « Haïti Libre5 », comme suit :

En tant que courroie de transmission des préoccupations de la Société Civile, notamment des organisations de défense des droits humains, l'OPC exprime sa profonde désapprobation sur l'émission intitulée « Alô Lapolis » [sic] instaurée depuis plus d'une décennie, par la Police Nationale d'Haïti (PNH), au cours de laquelle sont diffusées les images de personnes arrêtées, qui dans certains cas, sont contraints de faire des aveux.

4-Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, l'article 10 stipule : Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

5 -L'OPC désapprouve l'émission de la PNH « alô lapolis », www.haitilibre.com, 05/05/2014, 12 :32 :44

5

Cette prise de position de la protectrice du citoyen, témoigne à clair l'inquiétude des autres acteurs de la vie nationale sur la problématique du respect des droits de l'homme en Haïti. Toutefois, l'OPC n'est pas la seule organisation à nous avoir soumis ses préoccupations concernant l'agissement de la Police Nationale.

Pour sa part, la Plateforme des Organisations Haïtiennes de Défense des Droits Humains (POHDH) a été plus radicale en ce qui a trait à la tenue de cette émission qu'elle qualifie d'ailleurs d'accroc à la dignité humaine. Dans une note publiée sur le journal électronique, Haïti Libre6, la POHDH se demande :

A quand, donc la cessation de cette émission `'allo la Police» qui porte atteinte à la dignité humaine et aux droits fondamentaux de la personne humaine et dont l'effet n'est pas du tout déterminant dans le cadre de la lutte contre l'insécurité contrairement à ce que des autorités policières veulent faire croire, croit le secrétaire général de POHDH.

L'organisation estime que ce programme est une "pure démagogie" pour cacher l'incapacité réelle de la police de combattre l'insécurité qui ne cesse de prendre des proportions très alarmantes à la veille des fêtes de fin d'année, commente le journal Haïti Libre.

Dans un article paru dans les colonnes du réseau de publication électronique Alter Presse le 24 octobre 2012 intitulé : « Clifford Brandt sous les verrous pour kidnapping présumé, rien à voir avec le secteur des affaires en Haïti», le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) a lui aussi fixé sa position par rapport à l'émission.

Tout en exprimant son désaccord avec la pratique de la police de diffuser les images de personnes n'ayant pas été condamnées par décision de justice à son programme télévisé « Allo La Police », le RNDDH a quand même souligné que ce traitement médiatique ne peut être uniquement réservé aux gens « moins aisés.

La position plus ou moins modérée du RNDDH ne constitue pas pour autant un acquiescement à l'émission. L'effectivité d'une telle pratique de l'administration publique haïtienne, via la Police Nationale, violerait le principe de la présomption d'innocence et le droit à la défense, prérogatives reconnues au suspect. Cela crée par conséquent une brèche pour la justice haïtienne. Toutes ces considérations d'ordre philosophique et juridique nous amènent à

6-A l'occasion du 63ème anniversaire de l'adoption de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, une organisation de défense des droits humains demande la fin du programme présenté par la PNH qui diffuse des images de personnes arrêtées sans qu'elles soient reconnues coupables par la justice, POHDH estime aussi que la situation est inquiétante en matière des droits humains en Haïti., in www.Haitilibre.com, site consulté le 13 février 2016, 06 heures AM.

6

creuser plus profondément la question pour essayer de comprendre les différentes causes constituant le fondement de l'action, ainsi que les conséquences que cette démarche de la PNH peut engendrer sur le système judiciaire haïtien en général, sinon le suspect en particulier.

PROBLÉMATIQUE

Dans un livre intitulé « Recherche sociale. De la problématique à la collecte des données », une équipe d'auteures et d'auteurs dirigée par Benoit Gauthier (1986) avancent que la problématique de recherche constitue :

L'ensemble des éléments formant le problème, à la structure d'informations dont la mise en relation engendre chez un chercheur un écart se traduisant par un effet de surprise ou de questionnement assez stimulant pour le motiver à faire une recherche. On peut donc retrouver dans la problématique de recherche ce qui a poussé le chercheur à poser la question générale, en plus de la prise en considération des faits, des observations, des connaissances théoriques, des résultats d'autres recherches et d'autres questions se rapportant à la question générale7.

Le fait qui est étudié ici, on se le rappelle, concerne la publication jugée hâtive de l'image et de l'identité des personnes suspectées dans le cadre d'une enquête judiciaire. Cette publication, telle qu'elle est faite par la PNH, violerait le principe de la présomption d'innocence et le droit du suspect de se défendre. A partir de cette définition de la problématique, et ayant constaté cet écart entre la procédure tracée dans les articles 10[8], 11[9] et 12[10] du Code d'Instruction Criminelle (C.I.C.) et cette pratique de la police, nous allons essayer de comprendre le fait, cerner les causes de son existence afin d'explorer les différentes conséquences qui peuvent découler du non respect de certaines règles de procédures.

Pour élucider notre approche, nous avons choisi, parmi tant d'autres, cette vidéo de 10 minutes et 25 secondes, titrée «ALLO LA POLICE ATTENTION FAUX KIDNAPPINGS - PNH ARRESTATION KIDNAPEURS11, affaire de Stanley LAFLEUR» qui constitue l'oeuvre de la PNH. Celle-ci présente l'identité et l'image des personnes suspectées dans le cas d'une infraction qui est qualifiée dans la vidéo de kidnapping. La PNH, par cette action, fait une fuite, violant non seulement le principe de la présomption d'innocence et le droit à la défense, mais également,

7 - Benoit GAUTHIER, Recherche sociale : de la problématique à la collecte des données, Québec, QC : Presses de

l'Université du Québec, 1986, p.23.

8-Article 10 Code d'Instruction Criminel annoté par Menan Pierre Louis.

9-Article 11 Décret-loi du 19 mai 1937, Idem.,

10-Article 12, Idem.,

11 - https://www.youtube.com/watchtv=VIPCcykTS44, site consulté 7 novembre 2015, 16 h 21.

b. Que peuvent faire les victimes qui souhaiteraient obtenir réparation de cet acte qui viole leurs droits ?

7

laquelle fuite est susceptible de brouiller les pistes du juge d'Instruction dans son travail de recherche d'information.

Nous voulons, de la manière ci-après de poser le problème, expliquer d'une part, les causes de cet écart, d'autre part, les conséquences qui en découlent. Cependant, au cours de notre approche, nous allons mettre plus d'accent sur les différentes conséquences qu'il emporte que les causes qui le provoquent. Fort de ce choix méthodologique, il nous est devenu nécessaire de poser la question de la manière suivante.

Questions de recherche

L'émission télévisée « allô la police » en affichant publiquement l'image des personnes interpellées dans le cadre d'une enquête judiciaire ne constitue-t-elle pas un élément d'affaiblissement du système judiciaire haïtien, en portant atteinte spécifiquement au principe de la présomption d'innocence et au droit à la défense ?

I. En quoi cette démarche de la Police Nationale d'Haïti constitue-t-elle une

violation du principe de la présomption d'innocence et du droit à la défense ?

a. Qu'est-ce qui peut être à la base de cette faille dans la procédure constatée dans les pratiques de la PNH dans l'émission «Allô La Police » ?

b. Quels sont les différents impacts que cette pratique peut-elle avoir sur le système judiciaire haïtien ?

II. Quelles sont les actions nécessaires, d'une part, pour les autorités judiciaires et

policières de pallier cette faille dans la procédure, d'autre part, pour les personnes victimes d'obtenir réparation de cette erreur de procédure ?

a. Comment les autorités policières peuvent-elles s'y prendre pour utiliser ces méthodes d'intimidations sans avoir à heurter des principes fondamentaux du Droit pénal et violer le droit de l'accusé de se défendre ?

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Objectifs

A travers cette démarche, nous voulons montrer la nécessité de concilier les exigences de la procédure pénale et les pratiques d'opération de la police nationale d'Haïti. Mettre en exergue la difficile harmonisation du système Common Law, appliqué par les pays Nord-américains, priorisant la procédure accusatoire, et la législation pénale haïtienne basée sur le système romano-germanique, priorisant une procédure mixte de conduite des affaires criminelles, également, contribuer à pallier cette négligence dans le système pénal haïtien, en mettant en évidence la nécessité d'une correction formelle par le Code Pénal en cours de préparation. Il s'agira aussi de faire savoir aux victimes qu'elles peuvent exiger réparation de l'État en cas de violation de leur droit à un procès équitable. Vers l'atteinte de ces objectifs, nous allons avancer des réponses de manière anticipée qui vont être vérifiées tout au long de notre travail.

Hypothèses de travail

La publication dans l'émission télévisée « allô la police » de l'image et de l'identité d'un suspect arrêté dans le cadre d'une enquête judiciaire constitue une violation du principe de la présomption d'innocence et du droit à la défense.

I. La démarche de la PNH fait passer le suspect pour coupable sans que celui-ci n'ait été préalablement présenté devant son juge naturel comme le veut la loi, et également, ce dernier est obligé de répondre à des questions en absence de son avocat et à témoigner contre lui-même.

a. Le souci d'exposer et de justifier aux yeux de la population ses efforts quant à l'éradication de l'insécurité, la faiblesse technique et d'effectif et l'influence des procédures du système « Common Law » sur le système pénal haïtien, héritage du système romano-germanique, sont des causes qui sont à la base de cette action.

b. L'émission affaiblie le système judiciaire haïtien en sens qu'elle pousse les acteurs à outrepasser certains principes fondamentaux, exposant ainsi le pays à des sanctions internationales qui pourraient émaner des plaintes éventuelles des victimes. Quant au suspect, elle lui cause un préjudice infamant (dû à cette forme de lynchage médiatique) réduisant ainsi les chances que celui-ci soit disculpé des accusations portées contre lui.

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II. Les actions nécessaires pour pallier cette faille dans la procédure sont d'ordres administratif

et juridictionnel :

a. Prendre des dispositions pour protéger l'image du suspect après son arrestation, contrôler toutes communications susceptibles d'affecter la procédure et l'identité de ce dernier et sécuriser l'aire du crime ou de la perquisition.

b. Intenter une action pendant ou après contre la PNH pour procédure abusive en vertu de l'article 1168 du Code Civil Haïtien, également, exercer un recours devant l'OPC contre l'Etat pour abus de l'Administration Publique12et, à défaut de satisfaction, saisir les instances internationales.

Intérêt de la recherche

Nous avons un double intérêt à aborder ce problème. En tout premier lieu, parce que cela rentre dans le cadre d'une exigence académique. Car, tout travail d'apprentissage exige au moins deux moments. Un premier qui est basé sur l'acquisition des notions théoriques. À ce stade, l'étudiant accumule les notions, les assimile pour pouvoir comprendre une réalité ou guider ses pas dans les exercices futurs. Un deuxième qui consiste en l'application que ce dernier doit faire des notions qu'il a apprises. Ce deuxième moment est nécessaire, du fait qu'il existe parfois tout un monde de différence entre ce qui est appris en classe et l'application de ces théories sur le terrain. Néanmoins, toute théorie est assortie d'une observation ou d'un constat qui peut, dans une certaine mesure, se révéler expression de la réalité d'un milieu quelconque et donc, emprunte d'une certaine singularité. Donc, tenter de la généraliser risque souvent de provoquer des écarts qui sont dus parfois : à l'environnement, à l'histoire, à la culture et aux vécus de la population en question. Il en est de même pour les notions et théories enseignées. Certaines d'entre elles découlent des études et des observations sur des populations bien particulières, qui ne sont pas forcément applicables à d'autres réalités, ou du moins, exigent certaines modifications avant leur application.

En second lieu, la question de respect de droits humains est devenue une problématique si importante et actuelle que certains se trompent à croire qu'elle serait l'apanage des grandes sociétés. Donc, il devient évident que l'université, dont le rôle est d'orienter les décisions prises

12- Article 3, 4 et 5 de la loi portant Organisation et Fonctionnement de l'Office de la Protection du Citoyen.

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au sein d'une société, puisse accompagner les mutations sociales et les tendances politiques actuelles.

Méthodologie du travail

Hérold TOUSSAINT nous définit la méthodologie comme l'art de la recherche de la vérité ou l'art enseignant l'emploi des procédés adaptés à un travail déterminé. Elle est une étude des méthodes scientifiques et techniques, des procédés utilisés dans une discipline déterminée.13 En effet, le travail scientifique nécessite la prise en compte des méthodes, techniques de recherche et de collecte des données le guidant en une bonne fin. La méthode étant une marche rationnelle de l'esprit vers la vérité.

Pour André Lalande, méthode est « le programme réglant d'avance une suite d'opérations à accomplir et signalant certaines erreurs à éviter, en vue d'atteindre un résultat déterminé14 ». Ainsi pour la réalisation de ce travail, nous avons utilisé la méthode juridique qui consiste à interpréter l'économie générale de la loi, la position jurisprudentielle et doctrinale dans la compréhension des textes de loi. Il y a aussi la méthode exégétique consistant au recours du texte en vue d'établir son sens à travers son esprit et sa lettre ; c'est-à-dire de dégager les textes en tenant compte de l'intention du législateur, chercher sa volonté. Nous avions également utilisé la méthode sociologique qui consiste à établir le texte grâce au contexte sociologique dans lequel il est né et les réalités sociales de son application, suivie de la méthode historique qui consiste à voir l'évolution de la pratique dans le temps et dans l'espace.

Les techniques d'observation qui consistent à regarder un événement avec attention afin d'en tirer une certaine connaissance. Elles permettent d'analyser et de constater les différents impacts de l'émission sur le système pénal haïtien. La technique d'interview, étant une technique d'investigation en situation d'interaction essentiellement verbale, mettant en contact deux personnes poursuivant un objectif préalablement fixé ; nous a permis d'entrer en contact avec certains cadres de la justice, notamment : juges, commissaires et avocats sur des questions en la matière. On a aussi utilisé la technique documentaire consistant en la lecture des ouvrages, codes et lois constituant la législation pénale haïtienne.

13-Hérold TOUSSAINT, Le métier de l'étudiant, guide méthodologique du travail intellectuel, Port-au-Prince, Éditions Presses Nationales d'Haïti, 2011, p.62.

14 - André LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, P.U.F., 2002, p.624.

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Ainsi, la recherche documentaire constitue le coeur de la méthodologie de ce travail, dans la mesure où nous allons devoir puiser dans les documents de rapport des Organisations de Défenses des Droits Humains pour asseoir nos thèses. Les données recueillies au cours de ces recherches vont être analysées et comparées afin de comprendre la philosophie qui se cache derrière la pratique et aussi d'évaluer le bien fondé des arguments qui ont été avancés pour justifier cette intervention.

Limites du travail

D'emblée, nous voulons préciser que nous nous limiterons aux seules exigences relatives au respect du principe de la présomption d'innocence, du droit à la défense et la nécessité d'harmoniser les interventions au sein de l'État. Ce faisant, nous nous passerons d'une problématique générale sur laquelle ont planché beaucoup de critiques du système pénal haïtien, à savoir : la lutte contre la lenteur en matière de justice pénale, en d'autres termes, la détention préventive prolongée15. L'importance de cette délimitation thématique nous permettra de traiter de manière directe et plus ou moins profonde les différentes causes et conséquences de l'émission allo la police. Cette problématique est évidente. Car il s'agira pour nous, d'une part, de veiller à ce que les personnes présumées innocentes ne fassent plus l'objet d'éléments de dissuasion avant d'être jugées. D'autre part, pour la victime ou ses ayant-cause, d'être réparé dans les délais, du préjudice subi. Dans de pareils cas, la société dont la cohésion a été mise à mal, sa tranquillité troublée, sa sécurité éprouvée verra l'auteur de ces méfaits identifié, jugé et condamné dans le strict respect des règles procédurales. C'est à ce prix que la paix sociale pourra être rétablie, pour paraphraser le Dr. Louis NKOPIPIE DEUMENI16.

Division du travail

Ce travail est divisé en deux parties. Dans la première, nous allons comparer les agissements de l'État par rapport aux grands débats de philosophie politique relatifs au respect

15 - A cet effet, l'Office de Protection du Citoyen (OPC) dans un rapport publié sur la situation des droits humains en Haïti 2009-2012 a fait remarquer : La détention arbitraire et illégale se veut donc bien souvent la règle et non l'exception dans les lieux de détention. Les chiffres recueillis sont à ce sujet, éloquents : près de 80 pour cent des détenus sont dans l'attente d'une décision judiciaire qui pourra prendre des mois, voire même des années avant d'être prononcée. Sur les 8,625 personnes emprisonnées en Haïti au mois de novembre 2012, 6,093 étaient en détention préventive, le taux de détention préventive allant jusqu'à 85,4 pour cent dans la région de Port-au-Prince (soit les prisons de Port-au-Prince, Pétion-Ville, Carrefour, Arcahaie, Croix des Bouquets et CERMICOL).

16-Dr. Louis NKOPIPIE DEUMENI, Le fonctionnement de la justice pénale et les exigences du droit des droits de l`homme : l'exigence de célérité, Projet/Justice/PNUD, Hôtel El Rancho, Mai 2001, p.1.

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des droits humains. Celle-ci est divisée en deux chapitres. Le premier chapitre apporte une précision conceptuelle et traite des théories philosophiques relatives aux interventions de l'État, également, de l'engagement de l'État haïtien par rapport au respect des droits humains. Le deuxième chapitre fait une présentation de l'émission allo la police avec quelques-unes de ses causes.

La deuxième partie du travail va se porter sur les conséquences qu'engendre l'émission et les divers moyens auxquels peuvent recourir les individus victimes de cette publication hâtive de l'image et de l'identité des personnes interpellées dans le cadre d'une enquête judiciaire. Les conséquences sont analysées dans le troisième chapitre. Nous traitons des provisions légales qui existent pour pallier cette violation dans le quatrième chapitre. Celles-ci résident dans les conventions internationales que le pays a signées, d'autres textes constituant les lois insérées dans les codes civil et pénal, le code de procédure civile et celui de l'instruction criminelle, aussi bien que des dispositifs de la Constitution de la République d'Haïti de 1987 amendée.

Le problème qui est posé ici a été, pendant un certain temps, ralenti par les diverses dénonciations des organismes de défenses des droits humains. Mais étant donné sa résurgence, nous estimons qu'il est urgent de poser la question dans une dimension plus étendue, d'expliquer en partie l'écart, afin que les victimes aussi bien que la société soient conscientes des causes et des conséquences qui peuvent en découler.

PREMIÈRE PARTIE- CONSIDÉRATION PHILOSOPHIQUE, LÉGALE ET ÉTAT DES
LIEUX EN HAÏTI

CHAPITRE I- CONSIDÉRATIONS PHILOSOPHIQUES ET ENGAGEMENTS DE L'ÉTAT HAÏTIEN PAR RAPPORT AUX DROITS DE L'HOMME

17-Jeremy BENTHAM, Official Aptitude Maximized, Expense Minimized, Oxford, Oxford University Press, 1993, p.346.

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SECTION 1- DROITS DE L'HOMME ET POLICE, CONSIDÉRATIONS PHILOSOPHIQUES ET IDÉOLOGIQUES

Ordinairement, les actions d'un État sont soumises à de grands principes constituant le fondement de ses interventions. Car, en tant que fiction combinant à la fois coutumes et valeurs, il demeure incontestable que ses décisions revêtent une certaine légitimité. Les sous-sections suivantes nous présentent, d'une part, les courants philosophiques antagoniques relatifs au rapport de l'État avec ses membres. D'autre part, apporte une clarification et une mise en contexte des concepts droit de l'homme et police.

1.1.1.1.- Sous-section 1- Considérations philosophiques et idéologiques du rapport Citoyen-État

En effet, il existe des principes qui priorisent le bien-être collectif aux dépens de celui de l'individu considéré comme un, versus la collectivité. Ces courants sont nombreux et dits hostiles aux droits humains. Nous allons considérer deux d'entre eux : le Nationalisme et l'Utilitarisme.

1.1.1.1.1.- Courants philosophiques hostiles aux droits de l'homme

1.1.1.1.1.1.- L'utilitarisme, fondement philosophique des interventions d'un État

Pour ce qui est du courant Utilitariste, il consiste en une théorie inspirée du philosophe de l'antiquité Épicure, développée par la suite par Jeremy Bentham et John Stuart Mills. Elle se base sur l'hédonisme qui, du grec hêdonê, signifie plaisir. Elle est une éthique qui pose le plaisir comme le bien moral suprême. On peut qualifier l'éthique utilitariste d'être de conséquence téléologique, par opposition à l'éthique kantienne, qui est non basée sur les conséquences, donc déontologique. Bentham affirme que la référence au contrat social dans la philosophie morale et politique constitue une période particulière de l'histoire des idées, qui s'achève avec l'avènement du principe d'utilité17. Pour lui, l'utilitarisme est le « principe qui approuve ou désapprouve toute

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action, quelle qu'elle soit, selon la tendance qu'elle semble avoir à augmenter ou à diminuer le bonheur de la partie dont l'intérêt est en jeu18.

Pour sa part, Mills déclare au sujet de ce courant que « [...] les actions sont bonnes ou mauvaises dans la mesure où elles tendent à accroître le bonheur ou à produire le contraire, le malheur ». Ainsi, les penseurs utilitaristes entendent fonder l'éthique sur l'idée que la valeur morale d'une action se détermine par sa contribution à augmenter ou à diminuer le bien-être de la communauté dont les intérêts sont en jeu [19]. Il n'y a pas que le courant utilitariste qui a prôné l'importance des intérêts collectifs aux dépens de l'intérêt individuel, d'autres courants de penser ont également abondé dans le même sens. Ainsi, à coté de l'utilitarisme, nous abordons le courant du nationalisme qui, pour sa part, prône l'intérêt de la collectivité locale par rapport à tout autre intérêt qui se trouverait aux antipodes de ce dernier.

1.1.1.1.1.2.- Le Nationalisme, fondement philosophique des interventions de l'État

Selon Larousse, le Nationalisme [20] désigne premièrement le mouvement politique d'individus qui prennent conscience de former une communauté nationale en raison des liens (langue, culture) qui les unissent et qui peuvent vouloir se doter d'un État souverain. Une deuxième acception du concept nous renvoie à le considérer comme étant une théorie politique qui affirme la prédominance de l'intérêt national par rapport aux intérêts des classes et des groupes qui constituent la nation ou par rapport aux autres nations de la communauté internationale.

Du point de vue idéologique, le nationalisme est vu comme une sacralisation de la nation. Ceux qui le soutiennent donnent un contenu politique à la nation qui devient vite dangereux, puisqu'il s'affirme au détriment des autres. Il est souvent utilisé par les États-nations pour justifier le protectionnisme. Ils sont divers les prétextes qui sont évoqués pour défendre les intérêts économiques, sociaux ou culturels de la nation. Dans cet ordre d'idées, il est question de la suprématie du collectif sur l'individuel, au nom de la souveraineté nationale. La nation est

18-Id, An Introduction to the Principles of Morals and Legislation [1789], Oxford, Oxford University Press, 1996, p.11.

19 - Bozzo-Rey MALIK et Émilie DARDENNE, Deux siècles d'utilitarisme, Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr

20- http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/nationalisme/53867, consulté le 4 septembre 2015, 14 h 13

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devenue alors le prétexte d'une réduction des libertés individuelles et d'une atteinte aux droits de propriété.

1.1.1.1.2.- Courants philosophiques favorables aux droits de l'homme

Il existe en outre d'autres courants qui sont plutôt favorables au respect de l'individu en tant qu'être libre, indépendamment d'un calcul mathématique d'intérêt de la collectivité par rapport à celui du citoyen. Ce sont entre autres : les courants et philosophes politiques tels : L'individualisme, le Libéralisme, la théorie de John Rawls et celle de Emmanuel Kant.

1.1.1.1.2.1.- Le Libéralisme politique, fondement philosophique des interventions de l'État

Le libéralisme politique pour sa part considère qu'un régime politique de contraintes collectives ne peut être moralement acceptable que s'il respecte le principe suivant : l'État doit être au service des individus et non l'inverse. Car, la fonction fondamentale de l'État est de protéger les droits des individus contre tout ce qui tend à les violer. Il prône un comportement de l'État qui priorise le respect des droits de l'individu entant qu'être libre, détenteur d'un ensemble de prérogatives dits droits fondamentaux en sens que celui-ci les détient dès la genèse de la société. Etant libre, l'individu décide de s'associer avec d'autres individus, eux aussi, détenteurs de ces mêmes droits fondamentaux [vie, liberté et propriété], pour former l'État. Du point de vue sociologique, le Libéralisme voit l'individu comme l'unité de base, l'atome constitutif de la vie sociale, d'où l'expression « atomisme21 » accolée à ce type de conception d'inspiration libérale.

1.1.1.1.2.2.- L'Individualisme, courant philosophique de l'intervention de l'État

Au sens doctrinal, le courant individualiste considère l'individu comme une valeur fondamentale, supérieure aux valeurs collectives du groupe, de la société22. Cette conception théorique de l'individu se traduit sur le plan politique par une reconnaissance d'un ensemble de droits pour l'individu de pouvoir mener des revendications contre l'emprise de l'État. C'est pourquoi voit-on, que ce courant semble être étroitement associé au libéralisme, indépendamment de la forme considérée : politique, économique ou culturel.

21- Michel MÉTAYER, La philosophie éthique, enjeux et débats actuels, Édition du Renouveau Pédagogique Inc., Québec, 2008, p.143.

22- Claude-Danièle ECHAUDEMAISON, et al, Dictionnaire d'Economie et de Sciences Sociales, Paris, Éditions Nathan, 1989, p.214.

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1.1.1.2.- Sous-section 2- Les concepts Droits de l'homme et Police

Qu'est-ce qu'on entend par Droits de l'homme ? Quelles sont leurs caractéristiques ? Sur quelles valeurs et idées se fondent-ils ? D'où sont-ils venus ? Quelle a été leur trajectoire ? Quel rapport les lie au rôle de contrôle social que doit jouer l'État via ses organes de répression ? Dans cette sous-section, nous allons tenter d'apporter des éléments de réponse à ces questions, dans le but de préciser les concepts Droit de l'homme et Police. Une question préalable se pose alors. Elle serait plutôt d'ordre terminologique, allons-nous parler de Droits de l'homme ou de Droits humains ? Ce détail qui nous permettra de mieux nous situer dans l'étendue de la question, va donner une assise solide à notre travail.

1.1.1.2.1.- Droits de l'homme : Précision conceptuelle, historicité et caractéristiques

Les droits de l'homme sont les droits inaliénables de tous les êtres humains, quels que soient leur nationalité, lieu de résidence, sexe, origine ethnique ou nationale, couleur, religion, langue ou toute autre situation23. En français, on entend souvent les deux terminologies : droits humains et droits de l'homme. Cette différence ne se pose plus pour autant dans les autres langues. En anglais aujourd'hui, on est passé, depuis la déclaration universelle des droits de l'homme, de la terminologie rights of man à celle de humans rights qui est devenu la terminologie dominante. Ce changement a été délibéré, il visait à préciser que les droits de l'homme ne sont pas l'apanage du genre masculin, mais des privilèges reconnus à tous les êtres humains. De même que l'anglais, la terminologie « droits de l'homme » reste officielle en français. Nos réflexions se porteront sur les droits, privilèges et valeurs reconnus à tous les êtres humains, indépendamment de leur sexe.

Alors, les droits de l'homme sont des droits subjectifs garantis par le droit international, visant à protéger les intérêts les plus fondamentaux de la personne humaine et subsidiaires par rapport aux garanties nationales. Ils permettent au titulaire du droit d'exiger quelque chose du destinataire de ce droit. Ces prérogatives impliquent toujours une relation entre deux parties : d'une part, le sujet du droit, le titulaire, le bénéficiaire du droit. D'autre part, le destinataire, la personne qui est tenu au respect du droit. En effet, les titulaires peuvent être des personnes

23-Elisa Peter Coordinatrice par intérim du Service de liaison des Nations Unies avec les organisations non gouvernementales (SLNG), Les droits de l'homme et le système des Nations Unies: Des clés pour agir, Palais des Nations, 1211 Genève 10, Suisse, août 2008.

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physiques, aussi bien que des personnes morales. Pour ce qui est du destinataire, les droits de l'homme se dirigent principalement contre l'État24, donc, tous les organes et entités qui, de facto ou de jure, agissent en son nom. Cependant, même si l'État constitue l'entité qui est tenue au respect des prérogatives reconnues aux titulaires, d'autres entités juridiques, telles les entreprises multinationales ne sont pas exclues dans la liste des destinataires des droits de l'homme. Il est aussi important de mentionner que les droits de l'homme revêtent une certaine restriction en ce qui a trait aux domaines de sa matière. Ce ne sont pas toutes les violations de droits et privilèges qui peuvent être taxées de violation de droits humains. Donc, l'idée derrière les droits de l'homme ce n'est pas de garantir une liberté générale d'action, mais ils se concentrent dans les domaines où il y a un risque avéré de violations.

En outre, les droits de l'homme revêtent diverses caractéristiques. On peut citer entre

autres : l'universalité, l'égalité, l'inaliénabilité, l'indissociabilité, l'imprescriptibilité,
l'interdépendance et l'inhérence. En plus de ça, ils sont des droits moraux et des droits légaux. Ces deux caractéristiques ensemble font la force particulière des droits de l'homme.

1.1.1.2.1.1.- Historicité des droits de l'homme

La notion de droits de l'homme s'est développée au fil d'un long processus qui est toujours en cours. Elle a ses racines dans la philosophie de la Grèce antique et dans la religion : tous les êtres humains sont égaux devant la divinité. Avec la tradition du droit naturel séculaire, selon lequel les droits de l'homme trouvent leur fondement dans la nature de l'être humain et dans la dignité qui le caractérise, la notion de droits de l'homme s'est épanouie et a traversé les âges. Du droit pour quelques-uns à une responsabilité Mondiale25.

1.1.1.2.1.2.- Évolution des droits de l'homme

Cette notion a évolué sur le plan politique à travers sa mise en oeuvre dans les Constitutions des Etats : au départ, celles-ci reconnaissaient des droits à leurs citoyens uniquement (généralement de sexe masculin) ; ce n'est qu'après, avec la Déclaration française

24- Quand on parle de l'État, on voit les organes qui agissent, de facto ou de jure, en son nom. On voit dans cette catégorie : l'Administration, les tribunaux, le pouvoir législatif et, dans les démocraties directes, le peuple. 25-Confédération Suisse, ABC des droits de l'homme, Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) 3003, Berne, 2008, p.6.

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des droits de l'homme et du citoyen de 1789, que des embryons de droits pour tous les êtres humains ont fait leur apparition26. Les Constitutions nationales et les catalogues des droits de l'homme des temps modernes ont d'abord été axés sur les libertés civiques et politiques : ce sont les droits de l'homme classiques, ceux de la première génération.

Les conditions de vie et de travail pitoyable de larges pans de la population ont conduit, dans le courant du 19èmesiècle, à formuler des revendications sociales prudentes qui ont débouché sur une deuxième génération de droits de l'homme, les droits économiques, sociaux et culturels. Ce n'est qu'à un troisième stade que les droits de l'homme ont prétendu à l'universalité sur le plan international, avec l'avènement des conventions de droit international relatives aux droits de l'homme adoptées notamment dans l'enceinte de l'Organisation des Nations Unies (ONU).

La création de l'ONU en 1945 a vu la naissance de la première organisation politique d'envergure mondiale orientée, en vertu de la Charte du 26 juin 1945, sur les libertés fondamentales des individus et sur la dignité et la valeur de la personne humaine. Il fallait que les États ne puissent plus invoquer leur souveraineté et le principe de la non-ingérence dans leurs affaires intérieures pour traiter leurs habitants comme bon leur semble. Le totalitarisme et les crimes du national-socialisme ainsi que les horreurs de la seconde guerre mondiale avaient changé les mentalités et fait comprendre qu'il était nécessaire d'imposer certaines limites à la souveraineté étatique afin de protéger les individus et la communauté des États dans son ensemble.

1.1.1.2.2.- Police : définition, historicité et caractéristiques

1.1.1.2.2.1.- Définition

Police du grec « polis » = cité, ville, société, politique. Lato sensu, le mot désigne l'ensemble des règles qui permettent l'organisation rationnelle de l'ordre public dans une société. Mais stricto sensu, il fait référence à l'organe qui assure les différentes mesures liées à la tranquillité, la sécurité et la salubrité, nous rapporte Vincent JEAN27. Le mot « police » fait appel

26- Ibid., p.7.

27- Jean VINCENT, al, la justice et ses institutions, édition Dalloz, Tome 2, Paris, 1985, p.269.

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à quelques précisions terminologiques. Il vient du latin politia qui, lui-même, trouve son origine dans le grec politeia (art de gouverner la cité), lequel dérive du mot polis (cité, ville)28.

1.1.1.2.2.2.- Historicité

La fonction policière tire son origine de l'antiquité. A l'époque de la préhistoire, chaque famille s'occupait de sa propre sécurité et la défense du territoire qu'elle occupe. Pour bien le situer dans le temps, il faudra faire quelques précisions terminologiques. Le mot police vient du latin politia qui, lui-même, trouve son origine dans le grec politeia (art de gouverner la cité), lequel dérive du mot polis (cité, ville)29.

A la chute de l'empire romain, les édiles chargés de la police disparaissent. Le pouvoir est atomisé entre une multitude de seigneurs féodaux. Maitres de leurs fiefs, ils y exercent tous les pouvoirs, y compris celui de justice. En 1340 Av. J-C, l'empereur Hur Mahob de l'Égyte a constitué une division de police pour combattre la piraterie et surveiller les activités le long du Nil. Ramsès fit de même en 1198 et 1166 Av. J-C, mais cette fois-ci pour surveiller les tombeaux des riches pharaons. L'origine des constables30 remonte en Grèce entre 800 et 600 Av. J-C. l'origine des enquêteurs remonte en 450 Av. J-C. et ils étaient spécialisés dans les enquêtes aux homicides31. Il fallait ainsi attendre l'an 27 Av. J-C. jusqu'à l'an 14 de notre ère pour avoir un véritable système policier qui va être établi par Auguste et comportera 4 unités administratives :

1. Les Cura tores Urbis, qui sont connus aujourd'hui comme surintendant de police

2. La garde prétorienne, garde du corps

3. Les miles stationnaires, qui ont le pouvoir d'arrestation et constitue la police militaire

4. Les vigiles, connus comme le corps des sapeurs pompiers aujourd'hui

On ne saurait faire l'historicité de la police sans tenir compte des grands noms dans la politique française, de laquelle Haïti tient l'essence et la forme de son administration. Ainsi, il nous convient de considérer les travaux de Louis IX (Saint Louis) qui, en 1254, transforme le Guet Royal en police (ou milice bourgeoise)32. Cette milice était dirigée par le chevalier du guet, assisté de vingt sergents à cheval et de vingt-six à pied. Ce corps de sécurité avait pour charge d'assurer la sécurité à Paris pendant la nuit. Après Louis IX, on considère également les travaux

28-www.police-nationale.interieur.gouv.fr, site consulté le 29 juillet 2016, 8 hr 45 am 29-www.police-nationale.interieur.gouv.fr, site consulté le 29 juillet 2016, 8 hr 45 am 30- Ce mot désigne policier en Angleterre 31-Net/policev/service_police/indexhistoire.htm 32-https//.fr.wikipedia.org/police_nationale_France

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effectués sur le règne de Philippe Le Bel en 1306. Ce nom a vraiment marqué son temps, en sens qu'il a fait beaucoup d'interventions dans l'administration française de l'époque. Celui-ci créa, en plus des reformes dans la structure de la police, les commissaires examinateurs au Chatelet, qui jouaient également le rôle de magistrats, portant une longue robe, symbole du plein pouvoir judiciaire, ils étaient pour ainsi chargés de lutter contre la criminalité dans Paris. En 796, des commissaires de police sont instaurés dans toutes les villes de plus de 5 000 habitants. En 1799, et ce, jusqu'à 1815, la police impériale de Napoléon est garante de la sécurité civile.

Une bonne prise en charge de cette fonction va être opérée en 1829 en Angleterre. Ce sera avec le fils d'un fabricant de coton, le Sir Robert Peel33, que va être établi une loi sur le maintien de l'ordre moteur que l'on retrouve encore aujourd'hui, cet ordre se traduit en neuf (9) principes et trois (3) fonctions :

1. La prévention du crime

2. La protection de la vie et de la propriété

3. L'arrestation des suspects

Les efforts du Sir Robert PEEL ne s'étaient pas limités à définir les fonctions de la police, il a aussi émis des principes directeurs devant mener la gouvernance de cette institution. Ainsi, on repère les neuf principes de Sir Robert Peel stipulés comme suit :

1. La mission de base pour laquelle la police existe : prévenir le crime et le désordre

2. La capacité de la police pour accomplir ses taches dépend de l'approbation du public et des actions de la police

3. La police doit assurer la bonne coopération du public dans le respect volontaire de la loi pour être en mesure d'assurer et de maintenir le respect du public

4. Le degré de coopération du public qui peut être garanti diminue proportionnellement la nécessité d'utiliser la force physique ,
·

5. La police demande et préserve les faveurs du public non pas en répondant à l'opinion publique, mais par la démonstration constante absolue de service désintéressé à la loi ,
·

6. La police utilise la force physique dans la mesure nécessaire pour assurer le respect de la loi ou pour rétablir l'ordre lorsque l'exercice de la persuasion, de conseils et d'alerte est jugée insuffisant ,
·

7. La police, en tout temps, doit entretenir une relation avec le public qui donne la réalité à la tradition voulant que la police est le public et le public, la police. La police étant seule,

33- Sir Robert PEEL, né le 5 février 1788 et mourut le 2 juillet 1850, était un homme d'État britannique qui a été pendant secrétaire d'État (1822-1827, 1828-1830) et deux fois premier ministre, (1834-1835, 1841-1846). Il était membre du parti conservateur. www.historic-uk.com

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les membres du public sont payés pour donner toute leur attention à des fonctions qui

incombent à tout citoyen dans l'intérêt du bien-être communautaire et l'existence

8. la police doit toujours diriger leur action strictement à l''egard de ses fonctions et ne ressemble jamais usurper les pouvoirs de la magistrature ,
·

9. le critère de l'efficacité de la police est l'absence de criminalité et de désordre, et non le signe de l'action policière dans le traitement avec elle.

Comme dans tout autre pays, le système de protection policière en Haïti date depuis la

genèse de l'État. Il a été adapté en fonction des régimes et des besoins des occupants de l'espace territorial. Après l'indépendance, l'empereur Jean Jacques DESSALINES a pris des mesures visant à organiser les forces armées qui avaient, outre des fonctions militaires, des fonctions administratives. A sa mort, le pays était scindé en deux, à l'Ouest, la République avec Pétion, au Nord, le Royaume de Christophe. Dans le Nord, le roi Henry Christophe a crée un corps de police dénommé « Royals Dahomets34». Cette force de police avait pour but de garantir l'ordre et la discipline dans les plantations du royaume et d'accompagner les habitants planteurs. De son côté, le président Pétion dans l'Ouest a prit des dispositions légales prévoyant trois (3) corps de police35, ce sont :

1. La gendarmerie, placée sous le commandement du commandant d'arrondissement et auxiliaire de la justice, était chargée des attributions de police dans les campagnes ,
·

2. L'armée a eu pour rôle d'assurer la défense du territoire de l'État de l'Ouest ,
·

3. La Police proprement dite opérait dans les villes ou s'installent les tribunaux, elle a eu pour rôle d'aider les juges et les commissaires de gouvernement à bien remplir leur mission.

Même si l'on peut douter de son effectivité, mais, les efforts pour avoir une force de police ont pu être remarqués dans plusieurs de nos constitutions. La constitution de 1889 en faisait mention dans son article 177 qui stipulait : l'organisation et les attributions de la police de ville et la campagne feront l'objet d'une loi ». Avec l'arrivée des américains en 1915, on avait encore une force publique à trois branches :

1. La garde nationale, composée de citoyens libres de tous services militaires âgés de 18 ans à 50 ans ,
·

34- Prosper AVRIL, l'armée d'Haïti, victime ou bourreau, le Natal S.A., Port-au-Prince, 1997, p. 17.

35- Barthelemy GERARD, État de droit et décentralisation, Imprimeur II, 1996, p.24.

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2. La police, qui se trouvait dans les grandes villes et qui jouait une fonction administrative en protégeant vies et biens d'une part. Et d'autre part, une fonction de police judiciaire et répressive ;

3. L'armée, qui avait une fonction de défense du territoire36.

La décision de converger toute la force publique entre les mains d'une seule entité va être prise par les américains. Arrivé en Haïti le 28 juillet 1915, les marines ont procédé à l'occupation militaire et politique du pays, il y va sans dire que de cette situation de fait va découler des décisions qui vont influencer la structure administrative du pays. Ainsi, le 16 septembre 191537, ils ont crée une force unique, combinant la police rurale et urbaine, dénommée gendarmerie. En 1923, un corps de police rurale a été créée avec un effectif de 151 agents repartis dans les campagnes à raison de un par section rurale38. Mais, il faut tout de même mentionner que tous ces agents étaient des membres de la Force Armée d'Haïti, ce, Jusqu'à 1991. Ainsi, Prédestin SEM39 nous rapporte que la création d'une force de police40 civile professionnelle en Haïti était soulignée lors des accords pour résoudre la crise engendrée par le coup d'État qui a renversé le président J.B. Aristide en septembre 1991, tel l'accord de « Governor Island's » du 3 juillet 1993. Dès son retour en Haïti le 15 octobre 1994, des discussions ont eu lieu entre l'organisation des Nations-Unies, le gouvernement des Etats-Unis et les autres parties intéressées au sujet de la formation de la police haïtienne et de l'établissement dans cette attente d'une force de police intérimaire. Donc, malgré toutes les lois faisant appel à la création d'une force de police à part entière, notamment, la constitution de 1987 amendée en ses articles 263 à 274, ce n'est qu'en 1994 que ce voeu va être réalisé, par le traité Gorvenor's Island.

1.1.1.2.2.3.- Caractéristiques

En effet, il y a lieu de distinguer la police administrative de la police judiciaire. Du point de vue fonctionnel, la police administrative constitue l'activité administrative qui vise à prévenir les troubles à l'ordre public. Elle est distincte de la police judiciaire. Cette distinction

36-Avril PROSPER, op.cit., p. 45

37-Article 4 du traité du 16 septembre 1915 : la gendarmerie sera considérée comme unique force militaire et de police de la République d'Haïti.

38-Emile DARIUS, La nouvelle force de police et le système judiciaire haïtien, mémoire de sortie, Faculté de Droit, des Sciences Economique, Port-au-Prince, 1996, p.35

39-Prédestin SEM, La police et les droits de l'homme en Haïti de 1991 à 1997, mémoire présenté en vue de l'obtention du grade de licencié en Droit, promotion 1993-1997, Université d'État d'Haïti, registre 2016 de la Bibliothèque de la Faculté de Droit, des Sciences Économiques et de Gestion du Cap-Haitien, document # 14, p.19. 40- La nouvelle force de police haïtienne a été créée par la loi organique du 23 novembre 1994.

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fonctionnelle, répondant à la séparation qui est faite entre prévention des crimes et des délits et répression de ces derniers, est néanmoins mise à mal dans de nombreux cas. Ainsi, la police nationale a des missions à la fois de police administrative (prévention) et de police judiciaire (répression). Maurice André FLAMME définit la police administrative comme : « l'ensemble des pouvoirs accordés en vertu de la loi aux autorités administratives et qui permettent à celles-ci d'imposer en vue d'assurer l'ordre public des limitations aux droits et libertés individuelles41 ». Donc, la police administrative a pour but de prévenir, de maintenir l'ordre public et de sureté générale, elle est placée sous la direction des autorités policières42.

Pour sa part, la police judiciaire est chargée de constater une infraction déterminée ou d'en rechercher ou arrêter les auteurs. Elle a donc un but répressif qui s'oppose au but préventif de la police administrative. La distinction entre les deux fonctions est essentielle pour la compétence contentieuse qui relèvera tantôt de la juridiction administrative, tantôt du judiciaire, ainsi que pour la responsabilité qui est plus facilement engagée pour les activités de la police administrative. Les agents de la police judiciaire dépendent sur le plan organique de la direction de la police et sont soumis sur le plan fonctionnel à l'autorité du parquet et du juge d'instruction43. La distinction entre les deux est parfois délicate. Car, les deux fonctions sont souvent exercées par les mêmes agents. Ainsi, une opération de police administrative, nous rapporte Dubellay JASMIN44, peut se transformer en opération de police judiciaire.

Dans le cadre de ce travail, notre attention se portera sur la première branche ou du moins sur le travail de la police administrative. Nous croyons comprendre que l'arrestation d'un individu rentre normalement dans la catégorie des tâches de la police judiciaire. Car, cette action ressemble beaucoup plus à un acte de répression que celui de prévention. Néanmoins, le suivi qui est fait de cette arrestation, dans bien des cas, doit être une action de la police administrative. Il s'agit alors de la présentation des suspects interpellés dans le cadre d'une enquête judiciaire pour intimider les éventuels délinquants, également, protéger celui-ci jusqu'à sa comparution par devant le juge compétent, la gestion de l'individu, constitue un acte d'administration, en un sens,

41- Maurice André FLAMME, Droit Administratif, Tome II, collection de la Faculté de Droit de l'Université libre de Bruxelles, Bruylant, 1989, p.1103.

42-MINUSTHA, L'officier de la police judiciaire, Documents à l'usage des officiers et agents de police judiciaire, 2ème édition, juillet 2010, p.16.

43- Ibid., p.16.

44- Dubellay JASMIN, Momento de Droit Administratif, vol. I, COMPLEXE S.A. Imprimerie, Cap-Haïtien, 2012, p.100.

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de prévention. Donc, dans le cas qui va être traité consistera cette phase de gestion qui est faite par la police nationale d'Haïti du suspect appréhendé dans le cadre d'une enquête judiciaire. Pour mieux cerner la dimension du débat en question, nous allons analyser les engagements de l'État haïtien en ce qui a trait au comportement à adopter, le traitement à donner aux individus soumis à une procédure criminelle en Haïti.

SECTION 2- ENGAGEMENTS DE L'ÉTAT HAÏTIEN EN MATIÈRE DE RESPECT DES DROITS HUMAINS

Parler d'État, en Droit International, suppose la reconnaissance internationale aussi bien que la jouissance de certains droits reconnus aux autres nations faisant partie de la communauté internationale. Ainsi, nous allons voir un ensemble de traités [45] et conventions signés et ratifiés par Haïti qui sont relatifs aux droits humains. Certains de ces accords ont une portée générale. D'autres, par contre, présentent une portée plus ou moins régionale desservant un nombre réduit de pays se trouvant dans une région géographique rapprochée déterminée. Qu'ils soient à portée générale ou régionale, ces instruments juridiques internationaux sont retrouvés partout et concernent divers aspects de la vie internationale, tout en influençant également la législation interne des États parties.

1.1.2.1.- Sous-section I- Quelques conventions et traités ratifiés par Haïti 1.1.2.1.1.- La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH)

La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, adoptée le 10 décembre 1948 à Paris par l'Assemblée Générale des Nations Unies, est un instrument à portée générale. Bien qu'elle ne présente pas à priori de caractère contraignant, elle est pourtant considérée comme une référence internationale fondamentale dans le domaine des droits de l'Homme. Sa force normative tient notamment au fait qu'en 1966, l'Assemblée Générale a adopté deux traités qui en reprennent le contenu : le Pacte des droits civils et politiques et le Pacte des droits économiques, sociaux et culturels. Dans le cadre de ce travail, nous allons plutôt nous accentuer sur des clauses relatées

45 -La convention de Vienne défini en son article 2, a : accord international conclu par écrit entre États et régi par le droit international, qu'il soit consigné dans un instrument unique ou dans deux ou plusieurs instruments connexes, et quelle que soit sa dénomination particulière.

Ce rappel nous permet de présenter quelques organismes de surveillance ou de défenses de l'application des traités signés et ratifiés par Haïti. Nous allons les considérer en deux grands

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dans le premier pacte, celui relatif aux droits civils et politiques, du plus ancien instrument juridique international, sinon le seul à portée générale.

1.1.2.1.2.- La Convention Américaine des Droits de l'Homme (CADH)

Une seconde catégorie d'instruments juridiques internationaux constitue celles ayant une application beaucoup plus restreinte par rapport à celle ci-dessus mentionnée. Cette catégorie comporte des instruments qui ont une portée régionale, notamment, la Convention Européenne des Droits de l'Homme (CEDH), la Charte Africaine des Droits de l'Homme et la Convention Américaine des Droits de l'Homme (CADH) de 1969. Cette convention, qui renferme le Pacte de San Jose, Costa Rica, a été signée en 1969, ratifiée par Haïti et publiée dans Le Moniteur No.77 du 1er octobre 1979, fera l'objet de notre étude.

1.1.2.2.- Sous-section II- Les mécanismes de protection des droits humains

Ordinairement, tout système juridique comporte deux éléments fondamentaux, les instruments juridiques : traités, conventions, accords et lois d'une part. Les organes d'application : Cours, Commissions, Comités et Tribunaux d'autre part. Dans la réalité du droit international, autrement dit, le système juridique international se singularise en sens que pour chaque instrument juridique international, il est prévu un organisme de mise en oeuvre spécifique. Ou encore, chaque convention ou traité prévoit son propre mécanisme d'application. Cette particularité simplifie l'exercice des actions auprès de ces organismes et facilite du coup, l'application des conventions et traités signés par les États parties. On doit se le rappeler, les normes sont toujours inspirées d'un ensemble de valeur sur lesquelles se fonde l'action des États. C'est dans cette perspective que nous trouvons des États qui se penchent beaucoup plus vers une tendance utilitariste, pendant que d'autres optent de préférence pour une tendance libérale, plutôt favorable à la protection des droits individuels. Cependant, pour harmoniser et donner une plus grande légitimité à leurs actions, les États, indépendamment de leur tendance, ont accepté de se lier en signant certains accords internationaux, créant ainsi une assise juridique internationale aux décisions qu'ils vont prendre. L'étude de la portée et du contenu de ces instruments nous permet de voir les marges de manoeuvre des États parties.

46-Manuel de cours sur le Droit International des Droits humains, dans le cadre du Cours de Droit de l'Homme, Me Hérode CHARNEL, aout 2015.

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groupes, d'une part, des organismes dont le pouvoir de contrôle dépasse les frontières des États, ce que nous appelons, dans le cadre de ce travail, organismes interétatiques de protection des droits humains. D'autre part, ceux dont le rôle de surveillance se limite sur le champ national, d'où le nom : organismes intra étatiques de protection des droits humains.

1.1.2.2.1.- Organismes interétatiques de protection des droits humains

Comme mentionné plus haut, tout traité prévoit son propre mécanisme d'application. Ainsi, pour le continent américain, il est prévu une commission dénommée Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme (CIDH), elle a été créée en 1959. La commission a une double nature : d'une part, organe statutaire de l'OEA pour la promotion des droits de l'homme, en particulier de ceux énoncés dans la Déclaration, et, d'autre part, organe de contrôle de l'application de la Convention, pour autant que l'État concerné l'ait ratifiée. Dans ses attributions, la CIDH peut seulement donner des avis consultatifs sur des questions susceptibles de faire l'objet de violation de droits humains.

En appui à la Commission, il est aussi placé un autre organe dénommé « Cour Interaméricaine des Droits de l'Homme (CrIDH) » qui a été créée en 1979, dont le siège se trouve à San José en Costa Rica. La mission de la Cour consiste à veiller à la stricte application des conventions durement signées et ratifiées par les États. Établie par la Convention, sa compétence, qui peut être consultative ou contentieuse, s'étend uniquement aux droits garantis par celle-ci, ou à des droits consacrés par d'autres instruments du système, dans la mesure où ces derniers le prévoient46. En effet, pour que la Cour puisse juger une affaire individuelle, il ne suffit pas seulement que le pays ait ratifié la Convention, il est crucial que celui-ci ait accepté cette compétence en faveur de la Cour.

Ainsi, toute personne ou groupe de personnes a le droit de soumettre une communication à la Commission portant sur le non-respect d'un droit reconnu dans la Déclaration ou, si l'État l'a ratifié, dans la Convention. Après une analyse préliminaire de la requête par le secrétariat, si elle remplit à priori les conditions de recevabilité, la Commission transmet la plainte à l'État et lui demande de présenter ses commentaires. Ceux-ci sont à leur tour remis au plaignant qui aura

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le devoir de les analyser puis les contester, le cas échéant. En outre, c'est seulement à ce stade que la Commission décidera définitivement sur la recevabilité de la communication.

1.1.2.2.2.- Organismes intra étatique de protection des droits humains

Mise à part les organismes interétatiques de protection des droits humains, qui ont une juridiction plus ou moins étendue, dépassant ainsi les frontières territoriales, il existe d'autres organismes qui reflètent la lutte au niveau interne, qui sont dites Institutions Nationales de Promotion et de Protection des Droits Humains (INDH). Elles sont constituées, d'une part, des organismes de la société civile, d'autre part, des institutions étatiques qui assurent ou qui peuvent également veiller à la protection des droits humains.

1.1.2.2.2.1.- De la Société Civile : Organismes internes de défense des droits humains

Dans la société civile, plusieurs organisations jouent le rôle d'avant-gardiste des droits de l'homme en Haïti. Comme nous l'avions vu au début, elles s'accordent souvent pour dénoncer les abus de pouvoir, le mauvais traitement perpétré par les agents publics à l'encontre des citoyens, aussi bien que le fonctionnement de l'institution policière. A partir de là, nous allons présenter brièvement à quel niveau chacune de ses organisations a contribué dans la lutte pour le respect des droits humains en Haïti.

1.1.2.2.2.1.1.- Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH)

En effet, le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) est un organisme qui a pris naissance à New York en 1982 sous le label de National Coalition for Haitian Refugees (NCHR).Il s'agissait alors de combattre les violations des droits humains qui constituaient l'une des causes fondamentales du départ massif de nos compatriotes pour les Etats Unis. Consciente de la réalité qui existait encore en Haïti après le départ de Jean Claude Duvalier, l'organisation a décidé en 1992, pour attaquer le mal à la racine, d'ouvrir une filiale en Haïti. La diversité de ses actions l'amène à partir de 1995 à opérer sous la dénomination de National Coalition for Haitian Rights (NCHR-Haïti).Depuis 1996, elle développe ses programmes et activités de manière autonome, assure ses propres fonds, sans appui aucun de la part de NCHR-NY. Au fur et à mesure que la NCHR-Haïti a continué à se développer, certains

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changements ont dû être apportés, comme l'adoption d'un leadership et d'une direction haïtienne ainsi qu'un nom haïtien : Réseau National de Défense des Droits Humains(RNDDH).

Dans le contexte actuel de violation systématique des droits de l'homme, le RNDDH ne reste pas indifférent. Il publie plusieurs rapports dans lesquels il dénonce soit les abus faits aux citoyens, soit le mauvais fonctionnement de certaines institutions, ou du moins les mauvais traitements que subissent les officiers de la PNH. De là, on peut voir que le RNDDH s'efforce de faire un travail transversal, touchant de nombreux secteurs de la vie nationale.

1.1.2.2.2.1.2.- Plateforme des Organisations Haïtiennes de Défense des Droits Humains (POHDH)

La POHDH pour sa part constitue une autre organisation très active dans la lutte pour le respect des droits humains en Haïti. Comme son nom l'indique, c'est une plateforme regroupant sept (7) organisations qui sont conscientes de la réalité haïtienne en ce qui a trait au respect des droits des citoyens par l'État ou encore par d'autres citoyens ou entités. Nous rappelons que la POHDH fait partie des organisations de la société civile reconnues par le ministère des affaires sociales, ce qui lui confère déjà la qualité reconnue par l'article 44 de la convention américaine des droits de l'homme. Reconnue pour ses nombreuses luttes contre la corruption et l'impunité en Haïti, la POHDH s'est fait une bonne réputation en ce qui a trait à la défense des droits humains.

1.1.2.2.2.2.- Des Institutions Étatiques de défense des droits humains

D'autres institutions comme le parlement, quoiqu'implicitement, peut également veiller au respect des droits fondamentaux par les organes du pouvoir exécutif. A celui-ci, faut-il bien ajouter l'Office de Protection du Citoyen, à laquelle la constitution confie cette noble obligation.

1.1.2.2.2.2.1- Le Parlement haïtien

En ce qui a trait au parlement, sa part de responsabilité peut déjà être identifiée depuis sa mission qui est essentiellement de surveiller l'exécutif dans ses actions. L'article 24 de la constitution de la République d'Haïti de 1987 amendée a réaffirmé que la liberté individuelle est garantie et protégée par l'État, avant que les constituants n'exigent aux parlementaires de faire

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un serment d'allégeance à l'article 9. Ledit article est ainsi libellé : avant de prendre officiellement fonction, les membres de chaque chambre prêtent le serment suivant : « Je jure de m'acquitter de ma tâche, de maintenir et de sauvegarder les droits du peuple et d'être fidèle à la constitution ». Ce serment confère indirectement aux honorables parlementaires la responsabilité de veiller au respect des droits de chaque individu et de contraindre toute institution qui oserait agir autrement. Cette responsabilité conférée tacitement au parlement, fait de lui l'une des institutions protectrices des droits humains en Haïti. A cela peut-on également ajouter le fait que le parlement doit sanctionner tous les traités et conventions signés par Haïti, ce, conformément aux articles 276, 276-1 et 276-2 de la constitution de la République d'Haïti de 1987 amendée. Ainsi, celui-ci, tant qu'il existe, a l'impérieuse obligation de contrôler l'exécution des conduites qu'il a préalablement autorisées au pouvoir exécutif.

1.1.2.2.2.2.2.- Office National de Protection du Citoyen (OPC)

L'Office National de Protection du Citoyen constitue la seconde institution étatique que nous allons voir dans le cadre de ce travail. En effet, elle fait partie des institutions créées par la constitution de la république d'Haïti de 1987 et reprise par la version amendée. Notamment à l'article 207 on peut lire ceci : Il est créé un office dénommé «Office de la Protection du Citoyen» dont le but est de protéger l'individu contre toutes les formes d'abus de l'administration publique. En effet, il n'existe pas seulement la constitution comme référence juridique à cette institution. La loi portant sur le fonctionnement de l'OPC décrit également la mission de cette institution par rapport au respect des droits humains. L'article 3 de ladite loi reprend ce rôle dans les mêmes termes que l'article précédent, au 3ème alinéa : la mission de l'OPC est de protéger tout individu contre toutes les formes d'abus de l'Administration publique.

En effet, bien que les marges de manoeuvre de l'institution soient limitées, en sens que ses décisions ne sont pas contraignantes par rapport à l'État. Cependant, elle dispose tout de même d'un pouvoir d'influence, car les rapports qu'elle aura à produire seront pris en compte dans l'évaluation des efforts consentis par les pouvoirs publics pour le respect des droits humains en Haïti. A cela faut-il ajouter, la capacité que possède l'institution de porter plainte par devant la commission interaméricaine des droits de l'homme. Car, la Convention Américaine des Droits de l'Homme permet à chaque État contractant ou toute entité juridiquement reconnue d'un Etat

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partie d'exercer cette action quand bien même ses ressortissants ne seraient pas inquiétés47. Ainsi, il est stipulé à l'article 44 de ladite convention que : « Toute personne ou groupe de personnes, toute entité non gouvernementale et légalement reconnue dans un ou plusieurs Etats membres de l'Organisation peuvent soumettre à la Commission des pétitions contenant des dénonciations ou plaintes relatives à une violation de la présente Convention par un Etat partie ».

Cette disposition de la convention confère clairement à l'OPC, entant qu'entité de l'État juridiquement reconnue, l'aptitude de soulever des questions auprès de la CIDH et éventuellement, de saisir la CrIDH contre Haïti. Cet article nous laisse entrevoir également que les stipulations de la Convention sont d'ordre public international.

En effet, nous avions vu comment les courants philosophiques peuvent nous livrer un éclairage sur les grandes idées qui guident les actions d'un État. La légitimité des actions que posent les gouvernants sont assujettis à ces courants de penser qui ont plus ou moins une portée universelle. Cette démarche nous a permis de comprendre, sinon, d'interpréter le niveau d'acceptation des décisions par les membres de la population. Nous avions également touché certains engagements de l'État en matière du respect des droits de l'homme en Haïti, aussi bien que les mécanismes de mise en oeuvre des traités et conventions signés à ce propos. A travers le chapitre suivant, nous allons présenter l'émission : son origine, son évolution dans le temps et dans l'espace. Ainsi, nous allons faire ressortir les éléments de violation avant de les comparer aux lois en vigueur. Ceci nous aidera à mieux situer le débat dans un contexte juridico-politique, s'agissant de comprendre dans quelle mesure l'émission Allô La Police a affecté les efforts consentis pour le respect des droits humains en Haïti.

47 . Egalement, art. 24 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, art. 49 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples.

CHAPITRE II- PRÉSENTATION CAUSES DE L'ÉMISSION ALLO LA POLICE

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SECTION 1- PRÉSENTATION DE L'ÉMISSION ALLO LA POLICE

L'émission intitulée « Allô La Police », instaurée depuis plus d'une décennie par la Police Nationale d'Haïti (PNH), est une émission télévisée au cours de laquelle sont diffusées l'identité et l'image des personnes arrêtées, dans le cadre des enquêtes judiciaires. Elle concerne les suspects appréhendés pour des causes, qualifiées par la PNH, de kidnapping, viol, vol, des infractions que la PNH elle-même juge plus grave par rapport à d'autres. Car elle les traite différemment. La présentation de l'émission nous permettra de mieux placer l'activité dans son contexte politico-juridique, de prendre en compte la dimension de son implication sur le système pénal haïtien, également, les propositions éventuelles de la réaliser sans que cela ne pose problème à la procédure criminelle en Haïti.

1.2.1.1.- Sous-section I- Historicité de la présentation des suspects aux médias

1.2.1.1.1.- Origine de l'émission allô la police

L'origine de la publication de l'image des suspects appréhendés remonte vers les années 60, en France. Il a été révélé l'existence, dans le temps, d'une émission télévisée titrée « Allô Police ». Celle-ci fut une série télévisée française, de 36 histoires hebdomadaires, dont 26 furent diffusées en feuilleton de 5 fois 13 minutes, les 10 autres sous forme d'un 52 minutes, créée sur une idée de Raymond Caillava et réalisée par divers réalisateurs, principalement par Robert Guez et Pierre Goutas48.

1.2.1.1.2.- Évolution

La pratique de médiatisation des activités de la police n'est pas singulière à Haïti. Dans beaucoup d'autres pays, les autorités policières présentent également l'image des suspects dans les medias. Cependant, cette opération se fait dans la protection scrupuleuse des droits et du respect des éléments sensibles aux besoins de l'enquête. Nous pouvons citer en exemple les moyens utilisés en France, aux États Unis pour l'application d'une telle pratique. Dans ces pays, ils ont compris la nécessité de mettre la population en confiance par rapport aux efforts consentis pour éradiquer l'insécurité. Cependant, ils ont su bien se prendre pour que leur démarche ne soit pas en violation des exigences qu'ils ont de se courber sous les règles de la procédure. Tout en

48-http : // www.fr.m.wikipedia.org, site consulté le 16 juin 2016, 8hr 20 am.

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présentant le suspect aux medias, ils veillent à ce que l'image et l'identité de la personne en question ne soient pas dévoilées.

1.2.1.1.3.- Pratique en Haïti

La présentation des personnes appréhendées dans les medias a été rapatriée comme pratique en Haïti depuis plus d'une décennie. Cependant, son application en Haïti se diffère de la manière dont cela se passe dans les autres pays. Stratégies des sociétés nord américaines, dont les États-Unis d'Amérique, l'émission allo la police consiste, nous rapporte l'Office de Protection du Citoyen49, en une émission télévisée, varié entre 5 à 15 minutes, au cours de laquelle sont diffusées les images de personnes arrêtées, qui dans certains cas, sont contraints de faire des aveux. Cette pratique semble répondre à un besoin de mettre la population en confiance du travail des autorités policières pour assurer leur sécurité. On prétend un souci de transparence, cependant, il y a des déclarations, sinon, des commentaires qui accompagnent toujours les interventions des autorités policières qui nous empêchent de le croire ainsi. Ces dernières ont souvent l'habitude de dire que : « pour sa part la police a fait son travail, il revient maintenant à la justice de faire la sienne». Cette phrase d'évitement laisse entrevoir une situation de méfiance entre les autorités policières et celle de la justice. Par ce geste, la PNH semble se dédouaner de toute issue éventuelle d'une affaire criminelle. Par contre, elle accule la justice dont le travail consistera à être convaincu de la culpabilité d'une personne dont la présomption d'innocence est encore l'un de ses droits les plus incontestables.

Le rapport de Crisis Group de 2006 nous rapporte la déclaration d'un haut responsable de la police judiciaire à ce sujet : « Les policiers se disent frustrés qu'après avoir renvoyé une affaire criminelle devant les autorités judiciaires, celles-ci ne les sollicitent jamais pour participer aux poursuites criminelles subséquentes et prétendent que les accusés sont le plus souvent relâchés50

Donc, à bien analyser cette déclaration, [celles-ci ne les sollicitent jamais pour participer aux poursuites criminelles subséquentes et prétendent que les accusés sont le plus souvent

49-www.HaïtiLibre.org, Haïti - Justice : L'OPC désapprouve l'émission de télévision de la PNH «Alô Lapolis», 1erparagraphe 05/05/2014 12:32:44

50-Entretien de Crisis Group avec un responsable de la police judiciaire, Port-au-Prince, novembre 2006. La frustration des policiers découle en partie du rôle limité que leur attribue le Code d'instruction criminelle, qui prévoit que seuls les juges peuvent enquêter dans les cas graves. Certains officiers n'arrivent pas à comprendre ce Code.

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relâchés], on peut croire que le recours à la publication de l'image et de l'identité des suspects dans les medias témoigne bien évidemment d'une volonté de mettre la justice devant un fait accompli. Ainsi, la PNH se dédouane de toute critique en ce qui a trait à la relaxation éventuelle du suspect. Dans la société civile, les organisations de défense des droits humains ont élevé la voix pour dénoncer la pratique, bien des jours se sont écoulés sans une séance de l'émission allo la police. On pouvait comprendre que les demandes en faveur de sa suppression ont eu enfin une réponse. Par contre, en réaction au moment de silence qu'on a observé de l'émission allo la police, le directeur général de la PNH, Godson ORÉLUS, a confié au journal le parisien51 ce qui suit :

Suite à la destruction par le feu du studio d'enregistrement et de montage de Allolapolice d'Haïti [sic] et d'autres problèmes personnels à l'équipe de travail, l'émission est de retour sur les ondes pour vous informer durant la période électorale. Pendant ce temps, la Police Nationale d'Haïti, elle-même n'a pas chômé.

Une fois de plus, on peut constater une certaine indifférence du coté des autorités de la police par rapport aux critiques de l'émission, ainsi que la manière dont cette pratique est menée en Haïti. La déclaration ci-dessus mentionnée nous livre, du coup, l'information que les enregistrements de l'émission, quoiqu'illégales, sont faits dans un studio de l'institution, aménagé à ce dessein. Comparativement à la méthode de présentation des suspects dans les autres pays, où c'est la presse locale ou nationale qui, dans le cadre des rubriques d'informations ordinaires, ont présenté des suspects appréhendés par la police, tout en ayant soins de masquer leur identité et leur visage. La pratique est ramenée en Haïti sans tenir compte de la nécessité de protéger l'image de ce dernier. Ainsi, Allo la police se révèle une expression manifeste de la PNH de mépris des droits des personnes bénéficiant de la présomption d'innocence. On pourrait même l'assimiler à une forme de lynchage médiatique.

En effet, le concept lynchage est paru pour la première fois en 1837 avec la création de la « loi de Lynch52 ». Il est défini comme une exécution sommaire commise par un groupe de personnes, voire une foule, sans procès régulier et notamment sans laisser à l'accusé (de crimes

51-www.radioteleparisienne.com, site consulté le 18 février 2016, 14h 38.

52-Charles Lynch, patriote de l'État de Virginie avait en effet décidé de réformer la justice en instaurant des procès expéditifs. Bien entendu en ces temps de régime colonial, les noirs furent rapidement poursuivis et condamnés, généralement à tort. Cette loi s'est vite répandu et a permis l'essor de « comités de vigilance » (comme le célèbre Ku Klux Klan), censés matérialiser les suspicions et veiller à l'ordre. L'hostilité du gouvernement judiciaire légitima de ce fait des actes de ségrégations et d'exécutions en dépit des lois en vigueur. C'est de cette loi que le terme « lynchage » a vu le jour. Le mouvement des droits civiques a heureusement stoppé ces lynchages sanguinaires. Après la fin de ces actes barbares, le terme a perduré, mais son sens a évolué.

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réels ou imaginaires) la possibilité de se défendre53. Comme le rappelle Renan Hédouville, Secrétaire général du Comité des avocats pour le respect des libertés individuelles (CARLI), le lynchage est un acte qui est considéré comme une violation des droits de l'homme et de la présomption d'innocence, ainsi qu'une violation du droit à un procès équitable, juste et impartial. Le lynchage va à l'encontre des droits de l'homme, particulièrement du droit à la vie, garanti par la Déclaration universelle des droits de l'homme en son article 3, explique le juriste.

De l'avis de maitre Osner H. Fevry, l'anthropo-criminologue, le lynchage est un phénomène ancré dans les pratiques et les moeurs des Haïtiens : « C'est surtout parce que dans notre histoire, nous avons souvent eu à nous révolter face à des actes qui blessent notre humeur, notre personnalité et même la conscience collective », estime-t- il, faisant allusion notamment aux périodes dites de «déchoukage» ou purges populaires à chaque transition politique. A cet effet, la branche des enquêteurs des Nations Unies en Haïti (UNPOL) avance que le phénomène du lynchage est généralisé sur l'ensemble du territoire haïtien et le nombre de cas connus est passé de 90 en 2009 à 121 en 2012[54].

De nos jours, on extrapole le concept pour parler de lynchage médiatique55.En effet, celui-ci désigne le traitement des dossiers concernant des personnes qui sont faits à travers les medias. La pratique suit son cours d'évolution, on commence même à parler de « Procès médiatique », notamment en France, pour désigner une couverture médiatique qui a un impact négatif sur la réputation d'une personne accusée, indépendamment du verdict rendu par la justice56. Nous allons à présent analyser un cas particulier, afin d'étayer nos thèses sur les différents éléments de violation contenu dans une séance de l'émission Allô La Police. Ceci nous permettra de mettre en évidence l'irrespect du droit du suspect.

53 - http://fr.wikipedia.org/wiki/Lynchage, site consulté le 05 février 2015, 13h 53.

54-ONU, Phénomène de lynchages : Une « justice populaire » qui mine la société haïtienne, février 2013, p.3. 55-Aujourd'hui, le lynchage n'évoque plus nécessairement les heures sombres de l'histoire, mais désigne populairement un système collectif d'auto justice visant à accabler une même cible. Un jeu collectif bête et méchant où l'on se délecte des mésaventures d'autrui pour se divertir, quitte à le trainer dans la boue par la même occasion. Même si le terme lynchage peut paraître exagéré, il est pourtant rentré dans le langage populaire tant les lynchages médiatiques sont devenus monnaie courante.

56-Guy Coq et Charles Conte, Le Lynchage médiatique, Editions Revue Panoramiques, 1998, ISBN 978-2-85480920-6

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1.2.1.2.- Sous-section II- Présentation du cas Stanley LAFLEUR

Pour étayer nos thèses, nous avions choisi, parmi les nombreuses épisodes fournies par la PNH, cette vidéo de 10 minutes et 25 secondes, titrée « ALLO LA POLICE ATTENTION FAUX KIDNAPPINGS - PNH ARRESTATION KIDNAPEURS57. Cette affaire concerne le cas du présumé kidnappeur58 Stanley LAFLEUR. En l'analysant, nous allons faire ressortir les différents indices de violation du principe de la présomption d'innocence et du droit à la défense. Nous allons montrer également d'autres implications de cette publication, jugée hâtive, sur le fonctionnement du système pénal haïtien. Cette démarche nous aidera à confirmer ou infirmer les hypothèses que nous avions préalablement avancées.

1.2.1.2.1. Culpabilisation prématurée des suspects

La Convention Américaine des Droits de l'Homme59, signée et ratifiée par Haïti, est on ne peut plus explicite sur la manière de traiter une personne dont la culpabilité n'a pas été encore prouvée. Le Code d'Instruction Criminelle également trace la procédure d'inculpation, d'accusation avant d'arriver au jugement du suspect. Cet ensemble de règles sanctionnant la manière de s'y prendre en matière d'application de la loi pénale sont impératives et certaines d'entre elles, d'ordre public et auto exécutoires. Ceci étant dit, le non respect de ces règles aura pour conséquence l'illégalité de l'acte qui en résultera et est susceptible de perturber la procédure. A bien observer les séances de l'émission Allo la police, on pourra repérer sur certaines d'entre elles plusieurs éléments de violation du droit des suspects. Ce sont entre autres : l'interrogatoire informel, des témoignages abusifs, des intimidations et des accusations abusives. Alors, la publicité que l'on fait de l'implication des suspects des causes qui leur sont reprochées les faire passer aux yeux du public comme coupable. D'où notre hypothèse de culpabilisation prématurée.

1.2.1.2.2. Interrogatoire informel des suspects

Alors que les interrogatoires des suspects sont soumis à certaines formalités procédurales, ceux observés dans cette vidéo de l'émission allo la police sont menés en dehors de toutes considérations des normes régissant la matière. On doit se le rappeler que malgré l'arrestation du

57- https://www.youtube.com/watch?v=VIPCcykTS44, site consulté 7 novembre 2015, 16 h 21.

58- Présumé kidnappeur lors du montage de la vidéo.

59- Article 8 de la Convention Américaine des Droits de l'Homme, Garanties judiciaires, 2ème paragraphe : « Toute personne accusée d'un délit est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

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suspect, ce dernier jouit encore de la présomption d'innocence. Cependant, à bien observer la vidéo de l'affaire Stanley, on voit qu'ils sont forcés de répondre à des questions qui peuvent leur être préjudiciables dans le cours de leur procès.

Ces questions qui lui sont posées par des agents de la PNH, notamment des agents de la Brigade de Recherches et d'Intervention(BRI) sont tout bonnement en dehors du cadre de la procédure criminelle et de la CADH60. Malheureusement, dans de pareilles situations, l'inculpé aura du mal à faire valoir son droit de silence, car, logiquement, il pense qu'une coopération avec les agents de la police peuvent se révéler bénéfique pour lui. Néanmoins, les révélations qui sont faites dans ces conditions par le suspect ne serviront qu'à manipuler l'opinion publique et à brouiller les pistes du juge d'instruction dans son travail d'enquête. On peut clairement observer une séance d'interrogation qui se fait en absence de l'avocat du suspect ou encore moins un témoin de son choix comme le veut l'article 25-1 de la Constitution en vigueur et l'article 8 de la Convention Américaine des Droits de l'Homme, traitant des garanties judiciaires.

1.2.1.2.3. Témoignages abusifs des suspects

Dans cette affaire qualifiée de tentative de kidnapping par l'institution policière, les autorités ont considéré l'émission comme une « décision importante, apportant de la nouveauté dans le système61 ». Ceci traduit le confort qu'elles éprouvent à avancer avec cette pratique, même si des voix sont élevées en signe de dénonciation. Comparativement au point[g] de l'article 8 de la CADH, les suspects sont contraints physiquement et psychologiquement de prononcer des paroles qui sont susceptibles de les incriminer. Dans le cas Stanley Lafleur, on observe :

1. Stanley, le suspect principal, donnant des informations sur la rançon demandée en précisant que les cents mille dollars (100 000 $ US) étaient en devise américaine, témoignant également son regret d'avoir été l'auteur d'un tel acte, tout en louant le professionnalisme de la PNH ;

60-Point (g) de l'article 8 de ladite convention : droit pour l'accusé de ne pas être obligé à témoigner contre lui-même ou à se déclarer coupable;

61 - https://www.youtube.com/watch?v=VIPCcykTS44, intervalle [10ème minutes et 9ème secondes - 10ème minutes et 20ème secondes]

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2. Patricia Day, la copine de Stanley, la prétendue victime, présentant des excuses à ses proches, forcée de dénoncer les autres personnes présumées coupables de l'acte et se disant prête à écoper sa peine, tout en félicitant le travail de la PNH ;

3. Jean Renel, complice de Stanley

4. Luxon Exalus alias « Sony », ami du suspect principal, celui qui a amené Patricia à se cacher dans une maison se trouvant à Blue Hills ;

5. Odelin Fanfan, alias « le pluro » apportant des précisions sur le montant, cent mille dollars (100 000$), contredisant sur le coup Stanley quant à la précision de la devise, tout en ajoutant le lieu du dépôt de la rançon exigée62. Ce dernier a été appréhendé par les agents de la DCPJ le 11 janvier 2014, alors qu'il se rendait dans une négociation avec Patricia aux environs de Vertières ;

6. Rameaux Normille, directeur départemental de la PNH, chef d'orchestre de l'opération du BRI.

L'analyse de la vidéo nous a permis de déceler un ensemble d'éléments corroborant les hypothèses de violation que nous avions avancées. Elle nous dévoile des allégations qui ne constituent qu'un raccourci extrême dans un dossier sensible et qui sont susceptibles de réaliser un effet de diversion par rapport à d'autres coupables éventuels que les enquêtes judiciaires pourraient révéler. Car, le cabinet d'instruction étant saisi in rem, peut tout de même étendre ces enquêtes sur toute une multitude de personnes, s'agissant de faire jaillir la lumière sur l'infraction qui a été commise. Cette prérogative reconnue au juge d'instruction consacre en effet le principe de liberté, lequel lui rendant maitre et seigneur de l'information. Ainsi, ce dernier pourra conduire en toute indépendance l'affaire en question et n'a d'ordre à recevoir de personne, pas même du ministère public qui n'est, devant elle, qu'une partie au procès pénal, a fait remarquer Jude Baptiste63. Cette décision de la PNH tient le Cabinet d'Instruction en état, quant au souci de protéger l'image de la juridiction et le respect scrupuleux de l'article 115 du C.I.C. En effet, ledit article stipule : « Si le juge d'instruction est d'avis que le fait ne présente ni crime, ni délit, ni contravention ou qu'il n'existe aucune charge contre l'inculpé, il déclarera qu'il n'y a pas lieu à poursuivre et, si l'inculpé avait été arrêté, il sera mis en liberté. »

62- Cette partie se situe à l'intervalle 5ème et 6ème minute, ALLO LA POLICE ATTENTION FAUX KIDNAPPINGS - PNH ARRESTATION KIDNAPEURS, https://www.youtube.com/watch?v=VIPCcykTS44, site consulté 7 novembre 2015, 16 h 21.

63- Jude BAPTISTE, le procès pénal, centre de recherche et d'information juridique, Port-au-Prince, 2003, p.49.

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Face à ce constat, il y a lieu de considérer la PNH comme institution de l'Administration Publique, branche du pouvoir exécutif, agissant pour le compte du commissaire du gouvernement, ce dernier chef de la poursuite, d'une part. D'autre part, le cabinet d'instruction, juridiction pénale d'instruction bénéficiaire des principes de séparation, de liberté et de neutralité, auquel il incombe les prérogatives d'instruire et d'informer au sujet des affaires criminelles. Cette problématique rend nécessaire une analyse des causes qui ont engendrées cette pratique de la PNH, les éléments susceptibles de perturber ce rapport institutionnel. La section qui suit nous permettra de mieux nous situer dans le débat, en apportant certaines informations concernant la perception que chacune de ces institutions se fait du travail de l'autre.

SECTION 2- QUELQUES CAUSES FONDAMENTALES DE L'EMISSION ALLO LA POLICE

Pour comprendre la dimension de l'action que pose la PNH, à savoir la publication hâtive de l'image et de l'identité des personnes interpellées dans le cadre d'une enquête judiciaire, il faudra analyser les fondements de cette action. Les causes qui sont à la base de ce choix. On les classe en deux grandes catégories : d'une part, celles résultant d'une action positive de la PNH, en sens que celle-ci agit, prend des initiatives et s'y tient. D'autre part, l'influence du système Common Law découlant des rapports de coopération entre la PNH et des organisations non gouvernementales à tendance nord américaine. Cette catégorie suppose également le rapport entre la PNH et les pouvoirs publics, s'agissant de prouver les efforts du Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique et celui d'accompagner la Justice, comme cela se définit à l'article 10 du C.I.C.

1.2.2.1.- Sous-section I- Faiblesse du système de répression en Haïti

L'exemple ci-dessus mentionné laisse voir clairement la violation du principe de la présomption d'innocence et du droit à la défense des personnes interpellées. Néanmoins, il importe de déceler les causes qui peuvent être à la base de ce comportement de la PNH. Nous avions pensé que les raisons de ce comportement pourraient être diverses. A ce sujet, il convient d'ajouter : la situation difficile de la PNH, en plus des deux causes précédemment citées. En effet, cette démarche nous permettra de mieux saisir l'esprit de ce choix de la PNH et nous facilitera de faire des propositions de solutions beaucoup plus adaptées.

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1.2.2.1.1.- Situation de la Police Nationale d'Haïti

Nous tenons à le rappeler, la PNH évolue dans des conditions extrêmement difficiles. Ils sont divers les obstacles que les agents de la police ont à surmonter, tant sur le plan administratif que politique. Sur le plan administratif, on pourrait considérer ces difficultés comme étant communes au système, même s'il y a certaines d'entre elles qui se révèlent particulières à l'institution. Entre autre : problème d'effectif, manque de matériels, faible accompagnement de l'État et le rapport tant controversé existant entre elle et la justice.

En ce qui a trait au problème d'effectif des policiers en service, nous tenons à souligner qu'à l'heure actuelle, avril 2016, le nombre environne les dix mille (10 000) pour une population de 10 911 819 [64] million d'habitants, soit un ratio de un (1) policier pour mille quatre vingt onze (1091) habitants. Malgré cette augmentation importante par rapport aux cinq (5) années précédentes, cet effectif reste insuffisant par rapport aux besoins. A cet effet, nous partageons les réflexions de la MINUSTHA mentionnant que : « A terme, l'objectif du gouvernement est de doubler, au minimum, les effectifs actuels qui atteignent actuellement [sic] 10.000 agents ; des policiers capables de protéger leurs citoyens et leurs frontières des menaces intérieures et de la criminalité transnationale65». En effet, ces efforts, tendant à consolider l'institution policière afin de répondre aux besoins de la population qui sont multiples et, lesquels ont été consentis en vue de créer un climat de sécurité, sont importants à prendre en compte. A ce sujet, le rapport du 16 avril 2005 de la mission du conseil de sécurité de l'ONU en Haïti, en avait fait la prédiction :

Presque tous les interlocuteurs ont souligné l'importance de la professionnalisation de la Police Nationale d'Haïti qui est l'autorité responsable d'assurer la sécurité, l'application de la loi et l'ordre en Haïti. Cependant, la mission a pris connaissance que les policiers de leur propre chef ne peuvent pas remplir leur fonctions adéquatement et exercer leur rôle de sécurité publique dans tout le pays, à cause du nombre insuffisant de policiers (bien que leur nombre exact ne peut être établi), du manque de formation adéquate et d'équipement, d'un budget limité, et de la corruption. La mission a exprimé le voeu que la police soit réformée immédiatement66.

Vu ce panorama, il est évident que la PNH cherche à utiliser ses propres astuces afin de compenser certaines faiblesses. C'est l'une des raisons pour lesquelles on persiste à croire que ce recours à la publication hâtive dans les medias de l'image et de l'identité des suspects dans le

64-Institut Haïtien de Statistique et d'Informatique (IHSI), Direction des Statistiques Démographiques et Sociales (DSDS), population totale, population de 18 ans et plus ménages et densités estimés en 2015, Mars 2015, p.21. 65- http://minustah.unmissions.org/Developpement-de-la-police-nationale-dhaiti-cap-sur-2016, site consulté le 8 mars 2016, 8 hrs 25 AM.

66-Rapport du Secrétaire Général de l'ONU sur la Mission du Conseil de Sécurité en Haïti (13-16 avril 2005), paragraphe 22.

67-Voir le briefing de International Crisis Group Amérique Latine/Caraïbes N°14, Haïti : réforme de la justice et crise de la sécurité, 31 janvier 2007, p. 3.

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cadre d'une enquête judiciaire constitue l'une parmi les actions de l'institution tendant vers la dissuasion. Donc, comme causes fondamentales probables, nous venons de voir que la situation difficile dans laquelle se trouve la PNH, peut bien en faire partie.

1.2.2.1.2. Souci de justification des efforts de la Police Nationale d'Haïti

Bien qu'auxiliaire de la Justice, la PNH tente à tout moment de se démarquer de celle-ci pour pouvoir mettre en évidence les efforts qu'elle fait pour réduire le taux de criminalité. De cette démarche va surgir des tensions entre la PNH, soucieuse d'exhiber le fruit de ses activités aux yeux de la population en vue de la rassurer et de dissuader les délinquants et, le pouvoir judiciaire qui se garde de violer des règles fondamentales de droits humains. A ce sujet, le RNDDH a mentionné que les relations toujours problématiques entre police et justice, qui s'accusent mutuellement d'être corrompues, sont plus tendues que jamais.

Dans le cadre de leur enquête, les ambassadeurs de Crisis Group se sont entretenus avec un commissaire du gouvernement qui les a confié que les dossiers montés par les agents de la police ne répondent pas à une certaine technicité leur permettant [les professionnels de la justice] de bien faire les suivis nécessaires. Ils avancent que : « Les juges et les procureurs [Sic] admettent fréquemment prononcer des acquittements et la libération des accusés mais en attribuent la raison à la mauvaise qualité des dossiers. Selon un procureur, les dossiers contiennent de longues descriptions mais trop souvent, « il n'y a rien dedans67. »

Ces rapports déséquilibrés entre les agents de la PNH et les autorités judiciaires laissent augurer de mauvais sentiments d'une collaboration qui serait au bénéfice d'une justice saine et efficace. Nous pensons que cette fuite en avant que fait la PNH avec l'émission allo la police constitue une manière pour l'institution de se dédouaner de toute responsabilité en ce qui concerne la prévalence du phénomène de l'insécurité dans le pays, aussi bien que la rétention ou non des détenus. Donc, ces deux causes ci-dessus mentionnées nous laisse entrevoir que l'action de la PNH serait motivée et que les conséquences qui en découleraient seraient connues et voulues par l'institution. Cependant, il y a lieu de considérer une cause extérieure à la volonté des autorités de l'institution, il s'agit de l'influence qu'exerce le système Common Law, système d'influence, sur le germano romain, système adopté par l'administration haïtienne, en raison des programmes de coopération qu'entretiennent mutuellement des institutions qui les pratiquent.

68-André SIEGFRIED, Les États-Unis d'aujourd'hui, avec 8 cartes et figurent, Librairie Armand Colin, Paris, 1927, p.212.

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1.2.2.1.3. Influence du Common Law sur les pratiques policières en Haïti

Le problème de violation qui est posé par l'émission allô la police peut également s'expliquer par le processus de l'américanisation de la pratique du système pénal haïtien. C'est-a-dire, le fait que le système pénal haïtien éprouve du mal à concilier le model Common Law d'application du droit pénal, sur lequel se fonde certaines pratiques policières dues aux multiples programme de coopération dans les domaines justice et police et, le mode romano-germanique d'application du droit pénal, base juridique et théorique du système pénal haïtien hérité de la France, l'ancienne métropole. Notre hypothèse en ce concernant trouve l'approbation du professeur André SIEGFRIED qui émettait également des idées sur ce processus en France dans son livre : « un monde qui s'américanise68 » cité par Jean CEDRAS, Professeur à l'Université de La Rochelle dans son texte « L'hypothèse de l'américanisation du droit pénal français ».

Nous tenons à présenter, avec quelques commentaires, les approches du professeur SIEGFRIED concernant le processus de l'américanisation du droit français, pourvu que nous estimions que le notre puisse être dans une situation similaire à celui des français. Le pénaliste doit-il en déduire que ces auteurs prophétisaient la marche du procès pénal français, à l'origine inquisitoire, vers l'accusatoire ? Voici comment le professeur André Siegfried réagi à cette interrogation :

Précisément, cette répression accrue de la marginalisation sociale et de l'insécurité est prônée par les tenants de la globalisation et de la flexibilité, car le discours corollaire de la « tolérance zéro», est intéressant : idéologie quasi mystique de la libre concurrence, qui sous-tend la minimisation des lois sociales, qui réclame l'application de la loi du marché dans le plus grand nombre possible de domaines, et pourquoi pas ? La patrimonialisation de l'action publique. À suivre ce discours, l'État devrait se retirer du champ économique (moins d'État dans le jeu du capital), se retirer du champ social (promotion de la flexibilité des emplois et des horaires) pour se renforcer dans le domaine pénal et pourquoi ? Pour contenir les conséquences de la dérégulation et de la flexibilité en termes de marginalisation sociale. Tout se tient !

Ainsi, conceptions économiques et sociales néolibérales d'une part et thèses surrépressives d'autre part vont-elles de pair. Si l'on dépénalise l'économie, et c'est le but recherché, alors il faut adopter la tolérance zéro ou bien le système social explose. L'esprit messianique et le discours sont soutenus par une logistique.

L'auteur nous montre ici le fondement du durcissement des mesures répressives prises dans les sociétés modernes. Il a fait remarquer la corrélation qui existe entre les mutations économiques et le dérèglement de la société que le système pénal est appelé à freiner. Il s'attèle également à montrer le mécanisme utilisé pour influencer le droit pénal français vers les

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pratiques du droit pénal américain, celui-ci, basé sur le système Common Law. Très tôt, il a fait ressortir l'influence du droit pénal américain sur le droit pénal français, en faisant remarquer que ce processus d'américanisation passe par les divers programmes de coopération entre les pays dans le cadre de la Police des Nations Unies (UNPOL). Ainsi, il nous livre les réflexions suivantes :

Missions parlementaires, visites académiques, formation continue des magistrats et des policiers étrangers aux États-Unis, bourses d'études, de recherches, de séjour : voilà une grande hospitalité généreuse et chaleureuse, dont probablement bon nombre de juristes français ont profité comme moi69 et qui reste pour toujours un merveilleux souvenir. Cette hospitalité permet la diffusion de toutes les idées mentionnées précédemment dans le public savant. Mais le grand public n'est pas oublié : le cinéma, la littérature policière et les romans judiciaires, les séries télévisées policières et judiciaires (rigoureusement exactes sur le plan juridique, contrairement à leurs homologues françaises), séries vendues pour rien et diffusées dans le monde entier, tout cela installe dans l'inconscient collectif l'image exclusive et flatteuse du droit pénal américain de fond et de forme. Ainsi le droit pénal américain devient-il peu à peu le seul point de comparaison, sinon la référence. François Gény a montré l'influence des facteurs culturels, au sens américain précisément (« social ways of life »), dans l'élaboration du droit positif. Tout cela produit des résultats à l'échelle mondiale.

A ce niveau, le professeur a montré que la tendance à l'adoption du droit pénal américain comme système de référence ne se limite pas seulement à la France. Il a voulu faire remarquer que le mécanisme qui a été mis en branle à ce dessein touche l'opinion mondiale via des séries télévisées qui enseignent, de manière sournoise, la conduite des affaires criminelles. Ainsi il a continué sa réflexion en disant :

Je ne sais pas si l'on doit traiter de l'hypothèse discutable de l'américanisation du droit pénal français ou du phénomène avéré de la mondialisation du droit américain. En effet 70 % des terres civilisées sont soumises au droit de Common Law en matière pénale ; pour des exemples récents et surprenants de conversion à l'accusatoire : le Japon en 1945, l'Italie en 1989, la Pologne en 1990, le Venezuela en 1998. [...]. Ces pays avaient vécu sous un régime de droit socialiste empruntant et détournant les concepts pénaux romano-germaniques. Lors de leur libération, ils étaient en quête de modèles et, tant par l'incapacité de l'Europe continentale de leur en proposer un que grâce à la logistique supérieure des Américains (bourses, stages, universités judiciaires sur place et clés en mains), ont choisi le Common Law70.

Il continue, cette fois-ci, pour montrer les conséquences du système accusatoire au dépend du système inquisitoire. Il a tout de même signalé le danger que courent les systèmes juridiques qui s'approchent du Common Law, notamment celui de la France. Nous pensons également que cet avertissement pourra aussi bien être extrapolé sur le processus haïtien de transformation de la procédure pénale, sinon, cette transition en matière pénale qui aurait le

69 -André SIEGFRIED, Ibid., p.213.

70 -André SIEGFRIED, Ibid., p.153.

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parfum du système Common Law. Car, certaines pratiques de la police, comme nous sommes entrain de le traiter, montre à clair ce mélange de système. Ceci va en quelque sorte être officialisé avec la publication prochaine du Code de Procédure Pénale.

Pour sa part, le professeur Jean CEDRAS, dans son texte « L'hypothèse de l'américanisation du droit pénal français », nous met en garde contre certains risques que l'on court dans une telle entreprise. Il a fait remarquer à ce sujet, un double danger, dit-il, de la marche vers l'accusatoire à l'américaine :

1° Une logique dangereuse.

« Dans sa logique, le système inquisitoire garantit l'efficacité de l'enquête, le respect des libertés et l'égalité des justiciables : l'instruction par le juge d'instruction, juge indépendant et libre ou par la police judiciaire, sous le contrôle d'un parquet déjà débarrassé en fait des instructions individuelles, est aussi bien menée à charge ou à décharge, que l'on soit puissant ou misérable. Dans sa logique, le système accusatoire, au contraire, accentue les différences sociales, culturelles et économiques en permettant au puissant de rémunérer des avocats excellents, lesquels sont à même de faire des enquêtes poussées et pas forcément objectives, à même de proposer à la victime des transactions (pleabargaining) irrésistibles, à même d'éteindre l'accusation en offrant de payer de généreuses amendes. Sait-on que la négociation sur l'action publique résout 90 % des affaires pénales, même les plus graves, qu'elle est vigoureusement encouragée par les pressions institutionnelles du système de Common Law, qu'elle supprime totalement les droits de la défense, et qu'elle patrimonialise [sic] la répression ? «Nation de boutiquiers» disait Napoléon de l'Angleterre. «Peuples marchands» disent des Anglo-Saxons mes illustres collègues George Pugh de Louisiana State University et François Terré, de l'Université Paris Panthéon-Assas. Dans le système accusatoire, s'agissant d'infractions économiques (pour un exemple pris au hasard), presque tout peut se vendre et s'acheter.

2° Une greffe dangereuse.

Dans leur complexité, leur équilibre d'ensemble, les systèmes procéduraux sont des mécanismes d'horlogerie fragiles. Greffer sur l'un une institution tirée de l'autre, surtout quand on n'a de l'autre qu'une connaissance approximative, c'est certainement courir à l'échec.

Ces considérations faites par le professeur Jean CEDRAS nous permettent de mieux nous situer par rapport aux fondements de la pratique de l'émission et la philosophie qui semble la supporter. Cependant, nous resterons attentifs à l'étude de la première cause, qui est celle témoignant le souci de la PNH d'exhiber ses efforts par rapport à la lutte contre l'insécurité. Si pour la situation difficile de la PNH et l'influence du système Common Law sur la conduite des affaires pénales en Haïti, notamment par la PNH, agent de la Police Judiciaire, on note une attitude de passivité, en sens que l'institution semble subir une force qui lui soit extérieure. Mais pour la deuxième hypothèse, à savoir, exhiber ses efforts aux yeux de la population, on pourra comprendre que c'est une action sciemment commandité et voulue par les autorités policières.

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En ce qui a trait à la dissuasion des éventuels criminels, on reconnait les retombées positives que cela puisse avoir. Cependant, le caractère objectif des principes relatifs au respect des droits humains nous commande de reléguer en arrière plan tout calcul basé sur l'augmentation du bien-être de la société au sacrifice des droits fondamentaux de l'individu, membre du corps social. A ce niveau, on endosse le point de vue du philosophe américain John Rawls qui disait dans son livre Théorie de la justice : « Chaque personne possède des droits inviolables fondés sur la justice que même le bien-être de la société ne peut outrepasser [...] les droits garantis par la justice ne doivent être soumises à aucune transaction basée sur le calcul des intérêts sociaux ». Donc, il est inconcevable que l'Administration publique, via la PNH, trafique les procédures en matière criminelle pour atteindre ses objectifs.

1.2.2.2.- Sous-section II- Rapport de la Police Nationale d'Haïti et les pouvoirs publics

Comme autre élément susceptible d'influencer le choix des autorités policières à présenter les suspects dans les medias, la mauvaise compréhension du rôle de la PNH, institution collaborant avec deux pouvoirs distincts de l'État, nous retient grandement l'attention. Comprenant cette dynamique, nous pourrons désormais relever l'intérêt de la PNH de persister, arrêter, ou tout bonnement, modifier, sous l'influence des voix qui se sont déjà élevées, cette publication qui dérange. Pour cela, il importe de faire une présentation spécifique de l'institution afin de mieux contextualiser notre approche.

1.2.2.2.1. Présentation de la Police nationale d'Haïti

La Police Nationale d'Haïti (PNH) constitue la deuxième branche des forces armées reconnues par la constitution haïtienne. On doit mentionner que la volonté de mobiliser une autre force aux cotés de l'Armée ne date pas d'aujourd'hui. Gérard Dalvius, dans son ouvrage titré Justice et Police, un défi en Haïti71, nous livre quelques informations sur l'histoire de la Police Nationale, il nous dit : « l'intention d'avoir un corps de police séparé de l'Armée haïtienne a toujours hanté les constitutionnalistes en Haïti. D'ailleurs dans plusieurs constitution, la notion de police occupe une place de choix ». En guise d'argument, il a fait mention de l'article 178 de la constitution haïtienne de 1957, stipulant que : les fonctions de Police sont séparées de celles des Forces Armées d'Haïti et confiées à des agents spéciaux soumis à la responsabilité civile et

71- Gérard DALVIUS, Op. Cit., p.85.

72-Loi du 29 novembre 1994 portant création, organisation et fonctionnement de la police nationale le moniteur n° 103, 28 décembre 1994

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pénale dans les formes et conditions légales. Ledit article a été également repris dans les mêmes thèmes par l'article 185 de la constitution haïtienne de 1964 a-t-il fait remarquer.

La constitution haïtienne de 1987 amendée a épousé l'idée de garder les forces armées d'Haïti avec ses deux branches, dans son article 263 on reprend pour confirmer l'existence de la police en stipulant que : La force publique se compose de deux (2) corps distincts : l'Armée et la Police. Cette différenciation répond à notre avis, à un besoin de sécurité des vies et des biens afin de laisser l'Armée d'Haïti dans sa fonction de défense du territoire. Plus loin, nous allons considérer certaines des missions conférées à cette entité en scrutant les articles mentionnés dans la loi portant sur sa création et régissant son fonctionnement. En y arrivant, nous tenons à faire cette précision tant importante à l'article 1er de ladite loi, qui témoigne le caractère hiérarchique et l'unicité de la source de décision de la PNH. C'est-à-dire, les directions départementales ne peuvent pas être tenues pour responsable directes de la tenue de l'émission. Ledit article stipule qu'Il est créé une force de police dénommée la Police Nationale d'Haïti. Son siège central est à Port-au-Prince.72 En ce qui a trait à la définition de la mission de l'institution, elle est non seulement citée dans l'article 269-1 de la constitution de 1987 amendée, [Elle est créée pour la garantie de l'ordre public et la protection de la vie et des biens des citoyens. Son organisation et son mode de fonctionnement sont réglés par la loi] mais également, dans la loi portant sur sa création.

La constitution aussi bien que les lois qui vont suivre ne se sont pas limitées à créer l'institution policière, elles se sont également évertuées à fixer ses limites et ses champs d'action. Ainsi la constitution donne les attributions de celle-ci à l'article 273 :La police en tant qu'auxiliaire de la Justice, recherche les contraventions, les délits et crimes commis en vue de la découverte et de l'arrestation de leurs auteurs. Cette attribution commence à situer la police dans son travail d'aide à la justice. Elle limite les interventions de celle-ci au niveau de la recherche des infractions et d'arrestation. En ce qui a trait à sa mission, elle précise le travail de celle-ci comme institution de support au pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire. L'article 7 de la loi du 29 novembre 1994 portant création, Organisation et fonctionnement de la police

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Nationale73 stipule : La Police nationale est instituée en auxiliaire des pouvoirs publics en vue de maintenir l'ordre en général et de prêter force à l'exécution de la loi et des règlements.

Parmi les nombreuses prérogatives que la loi confère à l'institution policière, constituant sa mission, nous tenons à présenter quelques-unes :

1. Assurer la protection et le respect des libertés des personnes, des vies et des biens ,
·

2. Garantir la sûreté des institutions de l'État ,
·

4. Prévenir les infractions et rechercher activement les auteurs pour les traduire devant les juridictions compétentes dans le délai fixé par la loi ,
·

7. Prévenir, constater et combattre les infractions à la législation sociale ,
·

11. Fournir aux fonctionnaires du pouvoir judiciaire les moyens nécessaires pour atteindre leurs objectifs ,
·

12. Fournir au protecteur du citoyen, pour la défense des droits humains, l'appui nécessaire dans l'accomplissement de sa fonction ,
·

15. Exécuter toutes autres actions ou activités prévues par la loi.

1.2.2.2.2. Coopérations diverses avec des organisations internationales

Une assistance internationale substantielle en matière de justice et de sécurité a débuté en 1993 ; elle s'est concentrée durant le premier mandat du président Préval et s'est limitée à une coopération restreinte entre 2001 et 2004. Jusqu'à 2001, les donateurs ont consacré 43 millions de dollars au Secteur Justice, dont 27 millions provenaient du programme américain d'administration de la justice (AOJ). Sur la même période, plus de 65 millions de dollars ont été consacrés à la réforme de la police. La majeure partie de cette assistance à la justice a consisté en un soutien logistique et à la formation, à l'aide technique et aux services juridiques.74

1.2.2.2.3. La Police Nationale entant qu'auxiliaire de la Justice

En tant qu'auxiliaire de la justice, la police est là pour prêter la main forte à cette dernière pour qu'elle puisse remplir à bien sa mission. Ainsi, le rôle que doit jouer la police dans une

73-Le moniteur n° 103, 28 décembre 1994.

74-U.S. Government Accounting Office, Any Further Aid to Haitian Justice System should be Linked to Performance-Related Conditions», octobre 2000, p.23.

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enquête judiciaire est clairement défini par la loi. L'article 10 du Code d'Instruction Criminel dispose :

Les agents de la police rurale et urbaine sont chargés de rechercher les crimes, les délits et les contraventions qui auront porté atteinte aux personnes, ou aux propriétés. Ils feront leur rapport au juge de paix de la commune sur la nature, les circonstances, le temps et le lieu des crimes, des délits et des contraventions, ainsi que sur les preuves et les indices qu'ils auront pu en recueillir. Ils suivront les choses enlevées, dans les lieux ou elles auront été transportées, et les mettront en séquestre. Ils arrêteront et conduiront devant le juge de paix tout individu qu'ils auront surpris en flagrant délit, ou qui sera dénoncé par la clameur publique.

L'assignation de ce rôle d'accompagnement à la Police n'est pas seulement faite dans le Code d'Instruction Criminel. Il est également mentionné dans la loi portant création de la Police Nationale d'Haïti, on se le rappelle dans l'article 7, plus précisément le point 4 est ainsi libellé : Prévenir les infractions et rechercher activement les auteurs pour les traduire devant les juridictions compétentes dans le délai fixé par la loi. Le respect scrupuleux de ce rôle ne semble pas conforter les autorités policières qui estiment que les suivis faits par les autorités judiciaires de certains dossiers ne sont pas corrects. Ainsi, elles ne cessent de se plaindre des décisions de justice qu'ils estiment être entachées de corruption.

1.2.2.2.4. La Police Nationale, service déconcentré du Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique

Dans le point précédent, nous avions vu la PNH en tant qu'auxiliaire de la Justice. Ce rôle lui confère une mission de second plan dans les affaires criminelles. Elle doit agir sous les ordres des organes du pouvoir judiciaire, ses actions sont pour ainsi dire, tributaires des procédures suivies par celui-ci. Néanmoins, le pouvoir judiciaire n'est pas le seul pouvoir de l'État de qui sont émanés les ordres que doit suivre la Police Nationale d'Haïti. Elle détient un rapport étroit avec le pouvoir exécutif, lequel se révèle parfois intriguant pour le respect des droits humains. L'article 4 de la loi portant sur sa création consacre sa mise sous la tutelle du Ministère de la Justice. Il stipule : La Police nationale, distincte et séparée des forces armées, relève du Ministère de la Justice et est placée sous l'autorité du titulaire de ce Ministère. Les membres de la Police nationale ont le statut civil. Il est compris que seul le pouvoir exécutif, à travers la vision du président de la république, a le monopole de la politique de la nation. Ceci étant dit, tous les autres pouvoirs se joindre à celui-ci pour faire atterrir ses objectifs, des promesses faites à la nation. L'article 14 de la loi sur la création et le fonctionnement de la PNH stipule que le Conseil Supérieur de la Police Nationale (CSPN) est composé comme suit :

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1. Le Premier Ministre, chef du gouvernement, président ;

2. Le Ministre de la Justice, premier vice-président ;

3. Le Ministre de l'Intérieur, deuxième vice-président ;

4. Le Commandant en chef des forces de police (le directeur général de la police nationale), secrétaire exécutif ;

5. L'Inspecteur général en chef de la Police nationale, secrétaire exécutif adjoint.

Cette chaine de commandement laisse voir un certain contrôle par les plus hautes autorités du pouvoir exécutif de tout ce qui se fait au sein de l'institution. Par souci de résultat, il est évident que les autorités du pouvoir exécutif vont prioriser la politique au détriment du respect de certaines procédures. Car, faut-il bien que l'on souligne, ce qui importe le plus pour le politique, c'est de pouvoir faire des choses qui épatent les gens, même si cela outrepasse certains droits. Ainsi, face à toute voix qui s'élève en dénonciation de certaines pratiques, la réaction sera toujours une tentative de justifier le bien fondé de l'action, même si parfois on donne l'impression de prendre des mesures pour arrêter. Maintenant qu'on ait fini de voir quelques causes qui expliquent la raison de la tenue de l'émission malgré les critiques, il importe d'analyser les conséquences qui peuvent découler de la pratique sans une adaptation nécessaire, sinon une harmonisation des règles de procédures, axées sur le système romano-germanique, et les pratiques d'opérations policières basées, en partie, sur le système Common Law.

DEUXIÈME PARTIE-CONSÉQUENCES ET RECOURS

CHAPITRE III- ALLO LA POLICE CONSÉQUENCES SUR LE SYSTÈME PÉNAL

HAÏTIEN

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SECTION 1- VIOLATION DU PRINCIPE DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE ET DU DROIT À LA DÉFENSE

Nous venons de le montrer dans le chapitre précédent que la situation difficile de fonctionnement de la PNH, le souci d'exposer les efforts réalisés, le processus d'américanisation du système pénal haïtien et la compréhension des rapports interinstitutionnels constituent les causes majeures de l'émission allo la police. Il revient pour le moment d'analyser les conséquences de cette pratique. Dans nos approches, nous allons regarder ces impacts sur deux angles. D'une part, la violation du principe de la présomption d'innocence et du droit à la défense. D'autre part, l'influence négative que cela provoque sur le travail des différents acteurs qui entrent en action quand une infraction de nature criminelle est commise. A ce titre, il conviendra de considérer les officiers de la police judiciaire, aussi bien que le comportement du tribunal appelé à entendre l'affaire. En effet la violation la plus flagrante constitue celle du principe de la présomption d'innocence. Pour la prouver, il importe d'abord de connaitre ce que c'est le principe de la présomption d'innocence. Ensuite, qu'est ce que cela implique d'être présumé innocent au regard de la législation pénale haïtienne. Pour enfin déterminer l'évidence de sa violation par l'émission allô la police.

2.3.1.1.- Sous-section I- La violation du principe de la présomption d'innocence par l'émission allo la police

L'une des conséquences immédiates que provoque la publication hâtive de l'image et de l'identité des personnes interpellées, c'est de faire passer un suspect pour coupable. Démarche qui incrimine de façon prématurée le suspect sans que celui-ci n'ait été préalablement présenté devant son juge naturel, comme le veut la loi. Car, la présentation de ce dernier dans les medias influencera l'opinion publique, plus enclin à croire en sa culpabilité que de lui donner le bénéfice du doute. Or, à ce stade, doit-on se le rappeler, le suspect est protégé contre tout ce qui aurait l'air d'une peine. Etant donné son statut, toute action d'une institution quelconque ou d'un individu à son encontre ne sera considérée comme rien d'autre qu'un préjudice porté à l'égard de ce dernier. Ceci étant dit, il convient de faire appel à la notion de responsabilité. Mais avant d'entrer dans ce débat, il faudra tout de même préciser la notion de présomption d'innocence dans ce présent contexte. Que veut dire exactement être présumé innocent d'une infraction reprochée à un suspect ? Qu'implique ce statut ? Qu'advient-t-il au regard de la législation

75- Wando SAINT-VILLIER, Magistrat Président de l'Association professionnelle des magistrats Juge au Tribunal de première instance de la Croix-des-Bouquet.

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haïtienne ? Les réponses à ces questions nous permettront de mieux appréhender la dimension du problème traité afin d'y adapter nos propositions.

2.3.1.1.1. Présentation du principe de la présomption d'innocence

Le principe de la présomption d'innocence signifie que toute personne soupçonnée d'avoir commis une infraction doit être vue au départ comme innocente tant qu'elle n'a pas été reconnue coupable par un tribunal. À ce titre, il est interdit de parler d'une personne soupçonnée d'avoir commis un meurtre en l'appelant « le meurtrier » avant qu'il ait été jugé coupable. De la garde à vue (pendant l'enquête) au verdict (lors du procès) la personne interpellée est considérée comme innocente, commente Wando SAINT VILLIER75. Le premier paragraphe de l'article 11 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH) a initié la protection de la personne interpellée en stipulant que : Toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées.

Dans la Convention Américaine des Droits de l'Homme de 1969, plus précisément l'article 8 qui traite des Garanties judiciaires reconnues aux personnes soupçonnées d'avoir commis une infraction, le deuxième (2) alinéa renchérit : Toute personne accusée d'un délit est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. Pendant l'instance, elle a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes :

a. Droit de l'accusé d'être assisté gratuitement d'un traducteur ou d'un interprète s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience ou au tribunal ,
·

b. notification préalable et détaillée à l'accusé des charges portées contre lui ,
·

c. octroi à l'accusé du temps et des moyens nécessaires pour préparer sa défense ,
·

d. droit pour l'accusé de se défendre lui-même ou d'être assisté d'un défenseur de son choix et de communiquer avec celui-ci librement et sans témoin ,
·

e. droit d'être assisté d'un défenseur procuré par l'Etat rémunéré ou non selon la législation interne, si l'accusé ne se défend pas lui-même ou ne nomme pas un défenseur dans le délai prévu par la loi, ce droit ne peut faire l'objet d'aucune renonciation ,
·

76- Jean SALOMON, Droit des Gens, Tome I, 19ème édition, Presses Universitaires de Bruxelles, Bruxelles, 2003, p.226.

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f. droit pour la défense d'interroger les témoins comparaissant à l'audience et d'obtenir la comparution, comme témoins ou experts, d'autres personnes qui peuvent faire la lumière sur les faits de la cause ,
·

g. droit pour l'accusé de ne pas être obligé à témoigner contre lui-même ou à se déclarer coupable ,
·

h. droit d'interjeter appel du jugement devant un tribunal supérieur.

En effet, ces deux articles issus de deux instruments juridiques différents et acceptés par la législation nationale nous amène à considérer l'intérêt partagé des nations du monde moderne de conférer une certaine protection aux suspects. Néanmoins, certains traités ou conventions bénéficient d'une application directe dans l'ordre juridique interne des États parties, alors que d'autres nécessitent de l'appui d'un autre texte juridique de nature à préciser son application dans un contexte bien précis, une procédure de réception plus complexe.

Ainsi, l'étude du rapport entre le droit international et le droit interne a été longtemps dominée par une querelle doctrinale entre les dualistes et les monistes76. Pour les premiers, droit international et droit interne sont deux ordres juridiques distincts, totalement séparés l'un de l'autre. Pour être valable en droit interne, une règle de droit international doit être transformée en droit interne par la procédure de Réception. Pour les seconds, le droit international et le droit interne forment un seul système juridique (Chron. Caflish, RSDIE, 1998, p.636). Par conséquent, une disposition juridique internationale n'aura besoin de l'aide d'aucune loi pour son application dans l'ordre juridique interne.

Dans le cas d'Haïti, nous pensons que le courant qui prédomine est la doctrine moniste, car l'article 276 de la constitution élimine tout conflit éventuel. Cette considération nous amène à étudier la situation des articles 11, de la DUDH et 8 de la CADH consacrant une protection au suspect afin d'évaluer leur degré d'application dans l'ordre juridique interne.

2.3.1.1.2. Le principe de la présomption d'innocence au regard de la législation haïtienne Comprendre la présomption d'innocence au regard de la législation haïtienne, nous renvoie directement à l'étude de la réception et l'application des instruments juridiques internationaux signés et ratifiés par Haïti par rapport au droit interne haïtien. Ainsi, le Dr. Louis

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NKOPIPIE DEUMENI, intervenant sur le sujet : « Le fonctionnement de la justice pénale et les exigences du droit des droits de l'homme : l'exigence de célérité » à l'Hôtel El Rancho en mai 2011 a fait remarquer :

Parce que les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme trouvent leur source dans le droit international conventionnel, et parce que les droits qu'ils proclament ont pour destinataire l'individu, citoyen, étranger ou apatride résidant sur le territoire d'un État, il paraît utile d'envisager l'étude de la réception de ces instruments dans l'ordre juridique haïtien.

L'une des questions à laquelle il a voulu répondre en faisant cette considération, concernait l'application directe ou non des instruments juridiques internationaux dans l'ordre juridique haïtien. A cette question, on a pu récupérer du Dr. NKOPIPIE DEUMENI l'assertion suivante :

Une analyse combinée du droit international et du droit interne permet d'affirmer que les dispositions des instruments conventionnels relatifs aux droits de l'homme, notamment celles contenues dans le Pacte Civil et Politique [sic] octroyant à l'Homme en procès le droit à la célérité de la procédure enclenchée contre lui sont directement applicables dans l'ordre juridique haïtien, mieux, qu'elles revêtent un caractère d'ordre public77.

Par cette assertion, l'auteur met en évidence le caractère auto exécutoire [...sont directement applicables...] de certaines dispositions stipulées dans les conventions. Il convient de faire remarquer que grâce à cette particularité, les traités ou conventions signés et ratifiés par Haïti peuvent être appliqués automatiquement dans l'ordre juridique interne, c'est-a-dire, qu'ils sont auto exécutoires ou self executing. L'intérêt d'évaluer l'applicabilité directe des dispositions stipulées dans les instruments juridiques internationaux nous permet de voir leur caractère contraignant dans l'ordre juridique interne. Il s'agit de regarder si ces instruments ont besoin de l'accompagnement d'un autre texte juridique national pour les rendre effectifs dans la législation haïtienne.

En effet, Le terme self executing trouve son origine dans le droit constitutionnel des États Unis d'Amérique78. Selon Max SORENSEN79, une disposition d'un traité serait self executing, c'est à dire auto exécutoire :

77-Dr. Louis NKOPIPIE DEUMENI, Loc. Cit., p.3.

78- Dans l'affaire Forster et Elain Enlilson, le Chief Justice Marshall affirmait « Our Constitution declares a treaty to be the law of the land. It is, consequently, to be regarded in Courts of justice as equivalent to an act of the legislature, whenever it operates of itself without the aid of any legislative provision. But when the terms of the stipulation import a contract, when either of the parties engages to perform a particular act, the treaty addresses itself to the political, not to the judicial department; and the legislature must execute the contract before it can become a rule for the Court». Cité par ERADES ET GOULD, «The relation between international law and municipal law in the Netherland and in the United States», Leyde, 1961.

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Si elle est conçue en des termes qui permettent de la considérer comme s'adressant non seulement aux États contractants, mais aussi, sans modification de texte, aux sujets de droit interne. Elle se prêterait alors à une application immédiate par les tribunaux internes. Par contre, ne revêtirait pas ce caractère la ou (les) disposition (s) d'un traité qui serait (seraient) rédigée (s) en des termes qui s'adressent aux Etats contractants comme sujets de droit international et exigent de leur part que des mesures législatives ou réglementaires soient prises en vue de son application effective sur le plan du droit interne. Il s'ensuit que l'applicabilité directe d'un traité, c'est-à-dire son caractère self executing, peut être totale si toutes ses dispositions obéissent à la qualité tantôt définie, ou partielle, s'il n'en est ainsi de quelques unes de ses dispositions.

Donc, en analysant l'article 14 du pacte relatif aux droits civils et politiques, nous pouvons extrapoler les arguments du Dr. NKOPIPIE DEUMENI sur l'applicabilité directe des dispositions des alinéas 2 et 3 dudit pacte. Car, le 2ème alinéa de l'article qui est ainsi libellé-Toute personne accusée d'une infraction pénale est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ; emprunte également le caractère auto exécutoire. Car, la référence au terme célérité auquel le Docteur fait allusion [point c du 3ème alinéa] se trouve inséré dans le même article (14) du pacte relatif aux droits civils et politiques que l'énonciation du principe de la présomption d'innocence ci-dessus cité. Ainsi, l'évidence que le point c du 3ème alinéa soit auto exécutoire est aussi bien applicable pour toutes les autres dispositions dudit pacte en général, sinon, celles de l'article 14 en particulier. Donc, étant donné l'applicabilité directe, au moins, des dispositions de l'article 14 du pacte relatif aux droits civils et politiques, il convient seulement d'évaluer leur réceptibilité dans l'ordre juridique haïtien pour mieux cerner leur importance. Alors, ceci nous amène à considérer les articles 276 et 276-2 de la constitution de la République d'Haïti de 1987 amendée pour mesurer cette réceptibilité.

L'article 276 de la constitution stipule : L'Assemblée Nationale ne peut ratifier aucun Traité, Convention ou Accord Internationaux comportant des clauses contraires à la présente Constitution. Au regard de cet article, toutes les conventions, tous les traités signés et ratifiés par l'assemblée nationale haïtiennes ont considérées comme étant conformes aux prescrits constitutionnels. Or, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté à New-York par l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations unies dans sa résolution 2200A (XXI) du 16 décembre 1966 a été ratifié par le parlement haïtien le 06 février 1991. La convention américaine relative aux droits de l'homme adoptée à San José le 22 novembre 1969, à la Conférence spécialisée interaméricaine sur les droits de l'homme de l'Organisation des États

79- Max SORENSEN, « Obligations d'un Etat partie à un traité sur le plan de son droit interne », 2ème Colloque international sur la Convention européenne des droits de l'homme (18-20 octobre 1965), les droits de l'homme en droit interne et en droit international, P.U.F., Bruxelles, 1968, p.60.

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américains, a été elle aussi ratifiée par Haïti le 18 août 1979. Ainsi, l'article 276-2, stipulant que : « Les Traités ou Accord Internationaux, une fois sanctionnés et ratifiés dans les formes prévues par la Constitution, font partie de la Législation du Pays et abrogent toutes les Lois qui leur sont contraires. », nous donne le plein droit d'affirmer, l'applicabilité directe des dispositions de ces instruments juridiques internationaux. En plus de cela, ledit article nous donne la latitude de nous approprier du respect de la présomption d'innocence comme, désormais, l'une des règles sanctionnant la procédure pénale en Haïti et le place, suivant la hiérarchie des normes en vigueur, dans la catégorie de Loi, en rappelle à la conclusion de l'article 276-2 [font partie de la Législation du Pays et abrogent toutes les Lois qui leur sont contraires].

2.3.1.2.- Sous-section II- Violation du droit à la défense par l'émission allo la police

Comme nous venons de le voir, l'émission allo la police a une première conséquence, celle de la violation de la règle de procédure pénale «présomption d'innocence ». Nous affirmons à ce sujet que la présomption d'innocence constitue la garantie primordiale faite au suspect d'un traitement bienveillant de la société par rapport à la cause qui lui est reprochée. Cette garantie principale, une fois violée, il n'en demeure pas moins de celles qui lui sont corollaires. Ainsi, le suspect est forcé de répondre à des questions en absence de son avocat et de témoigner contre lui-même, d'où notre hypothèse de la violation du droit à la défense. En effet, la constitution haïtienne amendée donne le ton dans son article 24 : « La liberté individuelle est garantie et protégée par l'État. » In limine litis, cette précision constitutionnelle confère à l'État la responsabilité de veiller au respect des droits et libertés individuels. Cependant, il arrive quelques fois que cette structure garante de ces droits et libertés constitue l'entité même qui les viole. En quoi consiste donc ce droit reconnu au suspect de se défendre ? Quel est son fondement philosophique et quelle est sa portée juridique ? Comment la législation haïtienne aborde-t-elle cette problématique ? À qui est-il opposable ? Autant de questions qui rendent nécessaire une étude approfondie du concept droit à la défense.

2.3.1.2.1. Présentation du droit à la défense

Comme dit un vieil adage : « la défense est un droit sacré ». Il constitue la deuxième violation faite dans le cadre de la publication de l'image et de l'identité d'un suspect dans l'émission allo la police. Étroitement lié au principe de la présomption d'innocence, duquel il constitue l'accessoire, sa violation résulte du non respect du principal, donc, le principe de la

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présomption d'innocence. Le droit pénal touche aux libertés fondamentales. En effet, pour réparer une infraction, une personne peut être privée de liberté. Cependant, pour éviter les abus et garantir à l'individu un droit pénal impartial et une procédure juste, certains principes fondamentaux ont été érigés. Alors, le droit à la défense constitue cette garantie accordée à une personne interpellée dans le cadre d'une enquête judiciaire de pouvoir s'expliquer sur une infraction qui lui aurait été reproché. Donc, si la défense de l'intérêt de la société réclame la poursuite et la sanction des coupables d'infractions pénales, celle de l'intérêt des individus commande la prudence, la possibilité de se défendre et le respect de certaines formalités procédurales.

2.3.1.2.2. Caractéristique du droit à la défense

Le droit à la défense est corollaire au principe de la présomption d'innocence. Il met en évidence la preuve de l'acceptation du suspect à répondre du fait à lui reproché. Dans notre cas d'étude, il est évident que le non respect du principe de la présomption d'innocence entraine ipso facto la violation du droit pour l'accusé de s'expliquer et de présenter ses arguments par devant une instance compétente de jugement. Ainsi, le droit à la défense se résume dans l'article 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948, référence internationale fondamentale dans le domaine des droits de l'Homme, citée explicitement au point 1 du préambule de la constitution haïtienne de 1987 amendée. Il est précisé que : « Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

On note dans cet article l'exigence d'impartialité qui est faite à la structure appelée à entendre l'accusation et la défense et également, la reconnaissance des droits de l'accusé. En effet, en développement de cette prérogative, le Code de l'Instruction Criminel haïtien renchérit en son article 200.- : « L'accusé sera interpellé de déclarer le choix qu'il aura fait d'un conseil pour l'aider dans sa défense ; sinon le juge lui en désignera un sur le champ, à peine de nullité de tout ce qui suivra. Cette désignation sera comme non avenue, et la nullité ne sera pas prononcée, si l'accusé choisit un conseil».

L'esprit de ces deux articles laisse entrevoir trois caractéristiques de l'exercice du droit à la défense : le droit à un procès équitable, le principe de légalité des peines qui en découlera et le droit de se faire représenter par un avocat ou un fondé de procuration. Alors, le droit pour le

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suspect de se défendre est clairement défini dans la législation haïtienne et exige d'être appliqué autant que présente une situation le rendant applicable. Il constitue entre autre :

a. Le droit à un procès équitable ; c'est le droit d'être jugé par un juge indépendant et impartial dans le cadre d'un procès équitable c'est-à-dire juste, neutre et dans un délai raisonnable. Ce principe a pour but d'empêcher des procédures arbitraires (injustes). Cette prérogative reconnue au suspect a été également consacrée par la constitution de la République d'Haïti de 1987 amendée en son article 24-1 ;

b. Le principe de légalité des peines ; implique que le juge ne peut appliquer que des sanctions prévues par la loi, c'est-à-dire, celles prévues par le Code pénal. Cela correspond à l'un des grands principes qui dominent le fonctionnement des Tribunaux des diverses juridictions, notamment, le deuxième principe qui fait interdiction au juge de se prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui lui sont soumises (art 8, Code Civil Haïtien) ;

c. Le droit à un avocat ; tout accusé a le droit de se faire accompagné pendant son procès. Cela se traduit par le droit de se défendre pendant la procédure que ce soit seul ou bien assisté par un avocat. Ce dernier peut être présent dès le début de la procédure (pendant la garde à vue). Ce droit est aussi garanti par la constitution en son article 25-1 qui stipule : « Nul ne peut être interrogé en absence de son avocat ou d'un témoin de son choix. »

2.3.1.2.3. Fondement philosophique du droit à la défense

Le fondement philosophique du droit à la défense suppose que l'infraction qui est commise ne reste pas impunie, mais surtout, que la punition qui y est réservée soit imputée à son auteur effectif. Par cette précaution, la société veut se montrer très prudente quant à infliger les sanctions. Elle veut s'assurer de ne pas, par inadvertance, condamner un innocent à la place de l'auteur de l'infraction. Il est un principe qui stipule : « mieux vaut libérer mille coupable que de condamner un innocent ».

Le choix des gouvernants haïtiens d'adhérer aux principaux instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l'homme, témoignent de leur volonté de faire leurs les valeurs qu'ils stipulent. Ces instruments et la jurisprudence générée par leur application, posent certains principes qui ne sont pas sans conséquence sur la définition de la politique criminelle des Etats Parties. Ainsi, le droit de punir, droit régalien et exclusif de l'État, est de plus en plus

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limité par le droit international des droits de l'homme. L'État moderne doit, plus que par le passé, raisonner la raison d'État et tenir compte des valeurs précédemment évoquées dans l'élaboration de sa politique criminelle. Ces valeurs, du reste, ne sont pas en contradiction avec le projet politique des gouvernants d'instaurer un véritable État de droit. Donc, punir les délinquants reste l'une des prérogatives exclusives de l'État. Cependant, nombreuses sont les approches qui ont été faites concernant le but qui devait être visé par la peine. Certains théoriciens croient que la punition devait être une rétribution, quand d'autre voient son caractère utilitariste.

Ainsi Pudendorf soutient que : « j'entends par le mot peine, un mal que l'on souffre à cause du mal que l'on a fait volontairement » et «le but des peines [...] est de détourner les hommes du crime par la crainte de ses suites80». Néanmoins, les théoriciens associent fréquemment une motivation utilitariste avec une motivation rétributive de la punition. Une analyse attentive suggère que Montesquieu a combiné les deux approches, utilitariste et rétributive, dans L'Esprit des lois. [...]. Il soutient que : « Pour être justifiable, tout système de punition doit permettre la plus grande extension possible de liberté : en ne criminalisant que les actions qui portent atteinte à la paix et à l'ordre public, en protégeant les droits des accusés, en modérant les peines, [sic] de façon à ce qu'elles s'accordent au degré correspondant de gravité du crime81».

Le dosage de la peine en fonction du degré de l'infraction commise laisse comprendre que la société n'entend pas agir au même niveau que le délinquant. Par cette prudence, elle veut se montrer plus sensible à l'égard de ce dernier, pourvu qu'il reste encore, malgré son forfait, un membre du corps social. Elle se montre consciente de la faiblesse de ce dernier qui subit parfois des pressions psychologiques susceptibles de le pousser à commettre une infraction. Donc, ce n'est nullement un hasard quand la société se ménage autant avant de punir un de ses membres.

2.3.1.2.4. Fondement juridique du droit à la défense

Le fondement juridique du droit à la défense constitue les garanties judiciaires reconnues à toute personne qui se trouve engagée par devant la justice. L'article 8de la Convention

80-Voir Samuel Von Pudendorf, Les Devoirs de l'homme et du citoyen (trad. Barbeyrac, 1707), livre II, chapitre XIII, reprint Caen, 1984, 2 vol. , II, p.128-129.

81-David.W., CARRITHERS, La philosophie pénale de Montesquieu, University of Tennesse at Chattanooga, p.14.

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Américaine des Droits de l'Homme traite des garanties judiciaires, dans son premier alinéa, il consacre le privilège pour l'accusé de pouvoir porter sa cause par devant une instance judiciaire. A savoir :

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue avec les garanties voulues, dans un délai raisonnable, par un juge ou un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi antérieurement par la loi, qui décidera du bien-fondé de toute accusation dirigée contre elle en matière pénale, ou déterminera ses droits et obligations en matière civile ainsi que dans les domaines du travail, de la fiscalité, ou dans tout autre domaine.

Les précisions de cet article touchent à la fois les exigences de célérité, d'impartialité et de légalité. Il fait obligation au tribunal saisi de vérifier sa compétence et également la légalité de la détention avant même de statuer sur le fait qui est reproché à l'accusé. Cette notion trouve également son fondement dans la constitution haïtienne en ses articles 25-1 et 46, nonobstant les autres points de l'article ci-dessus mentionné. En effet, nous pouvons aussi considérer que les règles de procédure sont d'application stricte. C'est-a-dire, le non respect de celles-ci entrainera un vice de procédure susceptible d'emporter de graves conséquences sur la conduite du procès. Ainsi, le processus du recours en habeas corpus trouvera les conditionnalités de son application.

SECTION 2- IMPLICATION DE L'EMISSION ALLO LA POLICE SUR LE SYSTEME

PENAL HAÏTIEN

L'émission allo la police n'est pas sans conséquence sur le système pénal haïtien. Si pour le suspect la violation emporte des impacts directs et visibles, il n'en demeure pas moins pour les acteurs évoluant dans le système. Même si ces conséquences sont moins visibles que les précédentes, cependant, elles ont autant d'importance que les dernières. Nous allons évaluer le degré d'impact de l'émission sur les Officiers de la Police Judiciaire (OPJ), notamment, le juge d'instruction, le commissaire du gouvernement et le juge de paix, sans oublier la situation des agents de la PNH participant à l'acte. A ceux-là, faudra-t-il ajouter, l'impact probable de l'émission sur le tribunal qui est appelé à entendre l'affaire.

2.3.2.1.- Sous-section I- Impact de l'émission sur les Officiers de la Police Judiciaire (OPJ)

La publication hâtive de l'image et de l'identité du suspect dans la presse, comme nous venons de le prouver, viole non seulement le principe de la présomption d'innocence et du droit à la défense, mais également, affecte d'autres éléments du système pénal haïtien. L'opportunité de cette démarche consiste à mettre en exergue les difficultés dans lesquelles se trouvent les

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agents de la police judiciaire quant à recueillir des éléments nécessaires et fiables favorables à la décision finale.

2.3.2.1.1. Impact sur la situation des agents de la police Nationale d'Haïti

L'une des conséquences immédiates de l'émission sur les agents de la police judiciaire est l'exposition de ces derniers à des poursuites judiciaires82. Ceci fait appel directement à la notion de responsabilité qui s'entend, du point de vue du Droit civil, de l'obligation de réparer le préjudice causé. La responsabilité peut résulter soit de l'inexécution d'un contrat (responsabilité contractuelle) soit de la violation du devoir général de ne causer aucun dommage à autrui par son fait personnel, ou du fait des choses dont on a la garde, ou encore du fait des personnes dont on répond (responsabilité du fait d'autrui) ; lorsque la responsabilité n'est pas contractuelle, elle est dite délictuelle ou quasi délictuelle. Du point de vue du Droit administratif, il peut être question d'engager la responsabilité d'un agent public. En effet, celui-ci est pécuniairement responsable des dommages qu'il a causés aux administrés ou à l'Administration en cas de faute personnelle, il ne l'est pas s'il a commis une faute de service. En raison de ces contraintes juridiques, les policiers impliqués dans cet acte de violation peuvent se voir poursuivis, conformément à l'article 27-1 de la constitution de la République d'Haïti de 1987 amendée.

2.3.2.1.2. Sur le juge de paix en tant qu'Officier de la Police Judiciaire

Le juge de paix remplit en même temps la fonction du Ministère public et la fonction de juge, il a donc un caractère hybride de fonction dite de double casquette. C'est ce qu'on appelle le dédoublement fonctionnel. Le juge de paix statue seul assisté de son greffier dans toutes les affaires tant pénales que civiles. Il est le seul dans la phase inquisitoriale dite pré juridictionnelle, étape dans laquelle il revêt la casquette du MP afin de procéder aux enquêtes préliminaires (Art 11 du C.I.C.). Il a un pouvoir discrétionnaire dans cette phase en accomplissant toutes les attributions qui reviennent au MP. Au besoin, il se fait accompagner de la force publique pour rechercher le suspect (art. 39 du C.I.C). En effet, l'émission n'a pas trop d'impact sur son travail de juge en tant qu'officier de la police judiciaire. Ordinairement, ce sont des cas qui ne suivent pas le cours normal de la procédure qui sont soumis à cette pratique de la PNH.

82-Article 27 : Toutes violations des dispositions relatives à la liberté individuelle sont des actes arbitraires. Les personnes lésées peuvent, sans autorisation préalable, se référer aux tribunaux compétents pour poursuivre les auteurs et les exécuteurs de ces actes arbitraires, quelles que soient leurs qualités et à quelque Corps qu'ils appartiennent. Constitution de la République d'Haïti de 1987 amendée.

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2.3.2.1.3. Le juge d'Instruction en tant qu'Officier de la Police Judiciaire

Pour ce qui est du juge d'instruction, l'émission affecte son travail sur trois aspects. Il faut se le rappeler, le cabinet d'instruction est le seul détenteur du pouvoir d'information dans le cadre d'une affaire criminelle. De là, il est important d'affirmer l'exclusivité qu'il détient de la gestion des indices, des pistes, des témoins et tout ce qui peut se révéler crucial à l'instruction. Nou savons que les principes régissant l'instruction sont au nombre de trois, ce sont entre autre : séparation, liberté et neutralité83. Cette action de la police nationale viole les principes fondamentaux de liberté et de neutralité du cabinet d'instruction, en sens qu'elle semble le tenir en état d'admettre certains indices liés à l'infraction. En effet, suivant ce principe, l'article 115 du C.I.C. stipule que (Loi du 29 mars 1928).- Si le juge d'instruction est d'avis que le fait ne présente ni crime, ni délit, ni contravention ou qu'il n'existe aucune charge contre l'inculpé, il déclarera qu'il n'y a pas lieu à poursuivre et, si l'inculpé avait été arrêté, il sera mis en liberté. Cependant, le degré de publicité d'une affaire peut mettre un juge d'instruction dans une situation difficile l'obligeant à choisir entre satisfaire l'attente populaire, forgée à partir de la propagande de l'émission, et rendre une ordonnance selon les exigences de son instruction (Jude Baptiste, 2003, p.49).

En sus du risque de violation des principes de liberté et de neutralité que peut subir le cabinet d'instruction, nous constatons également qu'il confrontera à une réalité difficile sur le terrain dans le cadre de ses enquêtes. Cette situation que nous décrivons comme un « effet de diversion » est compris comme étant un facteur susceptible de détourner l'attention des acteurs des auteurs réels d'une infraction. L'effet de diversion s'exprime en sens que la publication fait déjà apparaitre un soit disant auteur de l'infraction, tendant ainsi à dévier tout effort en vue de remonter à la source. En effet, avec les aveux du suspect, il y a risque qu'ils soient considérés par les enquêteurs en cas de difficulté de retracer les vraies pistes. Cette situation aura également une énorme répercussion sur les gens qui sont appelés à coopérer avec les autorités judiciaires entant que témoins.

Le troisième aspect de cette affectation résulte au fait, qu'évidemment, il existe un fort risque de manipulation de l'opinion publique. Quand celui qui doit participer à l'enquête menée par le juge d'instruction, a été victime de loin ou de près d'un acte de banditisme, et maintenant

83- Jude BAPTISTE, Op.cit., p.49.

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qu'il trouve une occasion d'aider à l'inculpation d'un accusé hautement médiatisé. Celui-ci sera enclin à se pencher vers les ressentiments qu'il a de son agresseur et aux rumeurs de l'opinion publique sur une personne jusqu'alors présumée innocente de l'acte à lui reprocher. Néanmoins, cette manipulation de l'opinion ne concerne pas seulement ceux qui vont participer directement dans le procès à titre de témoins, elle est également susceptible d'influencer l'appréciation du grand public sur la réception de la décision qui va être rendue. Fort de cette hypothèse, il est devenu évident de se demander en quoi l'émission allo la police est-elle susceptible d'influencer l'appréciation du public assoiffé de justice par rapport au jugement rendu par un tribunal ?

2.3.2.1.4. Le Commissaire du gouvernement entant qu'officier de la Police Judiciaire (OPJ)

Chargé de la recherche et de la poursuite des crimes et délits relevant du Tribunal Civil, le commissaire du gouvernement est le chef du parquet. Il est le garant de l'ordre public, également le seul et le principal demandeur au procès pénal84, celui-ci peut-être saisi par : plainte, dénonciation85 et/ou rapport. Le commissaire du gouvernement joue un double rôle : un rôle de surveillance, à ce titre, il est tenu d'informer le ministre de la justice de toutes les irrégularités judiciaires issues de sa juridiction. Également, un rôle de défenseur, lui donnant ainsi la responsabilité de défendre la société. Il apporte sa pierre à l'instauration de la politique criminelle, vu qu'il est aussi appelé à défendre les causes intéressant l'État.86 Le commissaire du gouvernement exerce aussi un rôle de surveillance sur tous les officiers, sauf le juge d'instruction. L'article 198 du C.I.C. (Loi du 12 juillet 1920).- dispose que :

Tous les officiers de police judiciaire, excepté les juges d'instruction, sont soumis à la surveillance du commissaire du gouvernement. [...] En cas de négligence de leur part, le commissaire du gouvernement leur donnera un premier avertissement dont il sera gardé copie ; en cas de récidive, il les dénoncera au Secrétaire d'État de la Justice.

Sont aussi soumis à cette même surveillance, les agents de la police judiciaire procédant comme auxiliaire du commissaire du gouvernement87.

84 -Jude BAPTISTE, Op.cit., p.32.

85-La dénonciation est le fait de porter à la connaissance de la police judiciaire, des faits ou des actes matériels considérés comme éléments constitutifs d'une infraction. Elle peut-être OFFICIELLE, article 19 du C.I.C. (mis à jour par Jean VANDAL) ou CIVILE, comme prévue à l'article 20 du C.I.C., L'officier de Police Judiciaire, documents à l'usage des officiers et agents de la police judiciaire, 2ème édition 2010, p.27.

86-Prédestin SEM, « la police et les droits de l'homme en Haïti, 1991 à 1997 », Faculté de Droit, des Sciences Économiques et de Gestion, Cap-Haïtien, p.34.

87-Références : articles 30 et 31 de la loi du 29 novembre 1994 portant sur l'organisation de la PNH.

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En effet, il existe une corrélation entre le travail du juge d'instruction et celui du commissaire du gouvernement. Le premier devra fournir par ordonnance les informations utiles à la poursuite du dossier par devant le tribunal légalement saisi. Il en ressort que le travail du commissaire du gouvernement dépend en grande partie de la nature de l'ordonnance qui lui sera signifiée par le juge d'instruction. Dans sa plaidoirie, le Ministère Public aura à avancer les preuves recueillies par le juge d'instruction. L'impact sera que la qualité et la véracité de ses arguments, dépendent en grande partie de l'enquête qui a été menée dans les conditions difficiles que nous venons de relater, même si ce dernier peut se libérer, développer ses propres arguments.

2.3.2.1.5. Impact de l'émission sur le Tribunal saisi

Selon la logique de la séparation des fonctions, la poursuite, l'enquête et le jugement sont confiées à des entités différentes. De l'avis de Jude BAPTISTE :

La raison d'être essentielle de cette séparation réside sans doute dans le souci de garantir les justiciables contre les abus qui ne manqueraient pas de se produire si se trouveraient réunis entre les mains d'une seule autorité le pouvoir de poursuivre (c'est-a-dire d'accuser), celui d'instruire

(rassembler les preuves) et celui de juger88.

Le tribunal saisi est appelé à franchir la dernière étape du procès. Cependant, celui-ci n'est pas exempt des conséquences qui découlent de la publication hâtive de l'image et de l'identité d'un suspect. Cette action de la police risque de discréditer la décision finale du tribunal saisi et risque d'affecter l'image du juge qui a rendu la décision.

On considère à ce propos, la méfiance des citoyens par rapport à la justice haïtienne qui reste bien évidente. Ces derniers le seront encore plus, tenant compte de leur niveau d'éducation politique, les empêchant ainsi de prendre un recul pour analyser une problématique avant de tirer une conclusion. A cet effet, les résultats d'une enquête sur la «Gouvernance et Corruption en Haïti», commanditée par l'Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC) en 2007 ont révélé que : 84% des responsables d'entreprises interrogés estiment que la justice n'est pas fiable, arguant que des juges reçoivent des pots-de-vin. L'ancien ministre de la Justice, Paul Denis, qui s'exprimait à l'Ecole de la Magistrature a même jugé «prioritaire la lutte contre la corruption dans le système judiciaire». De là peut-on voir que l'appareil judiciaire ne bénéficie pas d'une grande crédibilité aux yeux de certaines franges de la société. D'où la nécessité de protéger l'image de l'institution nous parait évidente.

88- Jude BAPTISTE, Op.cit., p.28.

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Ainsi, ceci nous porte à considérer la corrélation qui existe entre une population confiante de l'efficacité de la justice et la criminalité axée sur la vengeance personnelle ou encore le phénomène du lynchage. Pour ce qui est du juge, nous pouvons miser sur sa capacité de pouvoir entendre au-delà des rumeurs et de décider indépendamment de toute influence médiatique. Cependant, nous ne pouvons pas dire autant pour les membres qui sont appelés à accompagner le juge dans la décision à être rendue, les membres du jury. Nous croyons qu'il est plus qu'évident que les autorités cherchent par tous les moyens de rassurer la population sans pour autant fragiliser le système par des violations de droits et libertés individuels.

Une autre réalité à considérer sur le tribunal saisi, concerne le comportement que la loi exige au juge, s'agissant de tolérer la violation des dispositions qui sont d'ordre public. En effet, une disposition est dite d'ordre public, quand les règles de la procédure permettent à ce que cette disposition puisse être évoquée à n'importe quel stade d'un procès et par l'une ou l'autre des parties ou encore d'office par le juge. En conséquence, le juge doit appliquer ces types de dispositions d'office quand bien même le requérant ou son Conseil ne les aurait pas évoqué au soutien de leur argumentaire. A ce sujet, nous citons encore le Dr. Louis NKOPIPIE DEUMENI dans sa conférence à l'Hôtel El Rancho, mai 2011 qui disait :

On peut retenir que les dispositions des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, du moins celles accordant des droits à l'homme en procès, sont applicables directement dans l'ordre interne haïtien parce que auto-exécutoires. Par ailleurs, ils revêtent un caractère d'ordre public, ce qui emporte des conséquences tant au niveau de la jouissance des droits (exclusion de la condition de réciprocité) qu'à celui de leur exercice (institution d'une véritable action publique internationale). Sur le plan national, le juge peut relever d'office la violation des dispositions de ces instruments.

Ceci étant dit, à défaut de l'application d'office d'une décision sanctionnant une démarche qui viole l'une des dispositions relatives aux droits de l'homme, reconnues pour la plupart d'ordre public, le juge en question se fait complice de violation du droit du suspect, passe outre des exigences qui lui sont faites et se montre donc impartial.

En revanche, il se révèle aussi que cet acte de la PNH libère le juge de l'un des principes fondamentaux régissant le fonctionnement de la justice en Haïti, celui lui faisant « obligation de juger ». Comme a dit Maitre François LATORTUE dans son livre Cours de Droit Civil, p.28 : La Justice est l'une des dettes principales de la souveraineté ; elle doit être rendue à qui elle est due. Le juge régulièrement saisi d'une affaire ne peut se dérober à cette obligation sans s'exposer à des sanctions.

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Se référant à l'article 9 du code civil haïtien, le juge qui sous prétexte du silence, de l'obscurité de la loi ou de l'insuffisance de la loi refusera de juger pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice. Néanmoins, l'émission allo la police donne une carte blanche au juge de refuser tout bonnement de juger une affaire qui a été l'objet d'un épisode de l'émission. Et la partie lésée dans pareil cas ne pourra pas poursuivre le juge par une procédure de prise à partie pour refus de juger. Voilà tant de conséquences qu'emporte l'émission allo la police sur le système judiciaire haïtien.

2.3.2.2.- Sous-section II- Risque de sanctions de la Cour Interaméricaine des Droits de l'Homme (CrIDH)

Mises à part les conséquences précédemment citées, qui sont surtout d'ordre interne, agissant sur le système, il y a lieu de considérer d'autres qui relèvent plutôt du respect des engagements internationaux pris par un État. Le caractère universel du droit international des droits de l'homme confère aux dispositions prises dans ledit cadre un ordre public international. C'est-a-dire, toute violation de l'une de ces dispositions par un État partie aux dites conventions intéresse non seulement les personnes et organisations de l'État violateur, mais également, d'autres États parties ou organisations évoluant dans le domaine des droits humains. Comme argument, le point A du 1er paragraphe de l'article 41 du Pacte relatif aux droits Civils et Politiques stipule : « Si un État Partie au présent Pacte estime qu'un autre État également partie à ce pacte n'en applique pas les dispositions, il peut appeler, par communication écrite, l'attention de cet État sur la question. [.... J ». Plusieurs cas ont été déjà portés par devant les instances internationales, nous avons pour exemple l'affaire Fleury89 contre l'état haïtien.

Pour ce qui est de l'émission allo la police, nous avions montré que la publication hâtive de l'image et de l'identité des suspects viole leur droit de présomption d'innocence. Il est évident que cette action n'a aucun fondement juridique. Le 2ème paragraphe de l'article 293-8 de la loi portant sur l'enlèvement, la séquestration la prise d'otage des personnes90 ne peut tenir la route comme argument juridique justifiant la légalité de l'émission. Car, il est si clairement mentionné dans ledit article : « Il sera donné au jugement de condamnation une large publicité

89 -Cour Interaméricaine des Droits de l'Homme, affaire Fleury et al. c. Haïti, résumé officiel émis par la cour interaméricaine, arrêt du 23 novembre 2011, (fond et réparations)

90 -Moniteur No 26, Vendredi 20 mars 2009, 164ème Année de l'Indépendance.

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par voie de presse écrite, radiodiffusée et télévisé. Avis, sous forme d'extrait dûment certifié du jugement de condamnation, sera donné à toutes les institutions publiques concernées. »

En effet, à bien analyser l'article, la mention est surtout faite pour le jugement de condamnation. Or pour arriver à ce stade, il faudra absolument franchir un ensemble d'étapes considérées comme obligatoires pour la procédure pénale. Par contre, là où nous en sommes, on est encore au stade préliminaire de l'enquête, le suspect n'est même pas encore inculpé, voire condamné. A la lumière de cet article, nous pouvons dire que la publicité de l'image et de l'identité des individus est permissible dans la mesure où la procédure a été respectée, donc après une éventuelle condamnation. Donc, de même que l'État haïtien a été contraint par la CrIDH de prendre des mesures de correction et de réparation dans le cas de monsieur Fleury, il est tout aussi probable que, en cas de plainte portée par ces victimes par devant les instances internationales, le pays se voit encore obligé à des réparations aussi bien que des sanctions.

CHAPITRE IV- VOIES DE RECOURS ET RECOMMANDATIONS

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SECTION 1- MESURES A PRENDRE SUR LE PLAN ADMINISTRATIF POUR PALLIER CETTE NÉGLIGENCE DE PROCÉDURE

2.4.1.1.- Sous-section I- De la protection de l'image du suspect

Nous venons de le voir, l'émission Allô La Police viole les droits du suspect aussi bien qu'elle crée une situation difficile pour les acteurs évoluant dans le système judiciaire haïtien. Cela fait apparaitre une faille dans les procédures qui est susceptible de fragiliser encore plus le système. Ainsi, les actions nécessaires pour pallier cette faille dans la procédure sont à la fois d'ordre administratif et juridictionnel.

Sur le plan administratif, il faudra prendre des dispositifs afin de protéger l'image du suspect, contrôler toutes communications susceptibles d'affecter la procédure et l'identité de ce dernier et sécuriser l'aire du crime ou de la perquisition. D'autres mesures administratives qui sont nécessaires à prendre concernent :

1. La dotation de la PNH des moyens suffisants et d'un effectif adéquat pour ses opérations ;

2. une meilleure approche dans l'application des pratiques policières basées sur le Common Law avec la procédure criminelle haïtienne.

Sur le plan juridictionnel, plusieurs possibilités sont offertes à la victime :

1. Elle peut choisir d'intenter une action, pendant l'instance criminelle, contre la Police Nationale d'Haïti (PNH) pour procédure abusive en vertu des articles 27-1 de la constitution de la République d'Haïti de 1987 amendée et 1168 du Code Civil Haïtien ;

2. Désormais victime, le suspect peut également exercer un recours devant l'Office de la Protection du Citoyen (OPC) contre l'État pour abus de l'Administration Publique91 ;

3. Exercer un recours en Habeas Corpus par devant le Doyen du Tribunal de Première Instance pour l'irrégularité de la détention ;

4. A défaut de satisfaction, elle peut se recourir par devant la Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme (CIDH) pour porter plaine pour violation de ses droits.

2.4.1.1.1.- Importance juridique

Protéger l'image du suspect revêt une importance capitale, non seulement pour ce dernier, mais aussi pour la société dont la cohésion a été mise à mal, sa tranquillité troublée, sa sécurité

91 - Article 3, 4 et 5 de la loi portant Organisation et Fonctionnement de l'Office de la Protection du Citoyen.

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éprouvée. Elle s'impatiente de voir l'auteur de l'infraction identifié, jugé et condamné, tout en évitant de punir un innocent. Malgré les rigueurs de la procédure, on doit se soucier de préserver le droit qu'a le suspect d'être jusque là présumé innocent et de recevoir le traitement approprié à son statut. Car, le principe de la présomption d'innocence, désormais connu comme une règle de procédure à part entière en matière criminelle en Haïti, concerne la liberté individuelle, est donc revêtue du caractère d'ordre public. Ainsi, la protection de l'image du suspect empêchera la PNH de violer cette règle et de mieux accompagner la justice, quant au respect du caractère inquisitorial des étapes préliminaires de la procédure. Il serait pour cela recommander aux agents de la police de barrer le visage du suspect avec une bande informatique noire, comme cela se fait en Europe et aux Etats-Unis.

2.4.1.2.- Sous-section II- De la reforme juridique et Contrôle de procédure

2.4.1.2.1.- Adaptation des lois à la réalité

Malgré son caractère illégal, certains critiques reconnaissent pourtant l'importance que peut avoir une méthode de dissuasion contre les criminels. Le taux d'insécurité, les faiblesses techniques de la PNH, les dérives sociales et la situation de pauvreté sont autant de facteurs qui ont tendance à influencer une croissance de la criminalité, par conséquent, rendent nécessaire l'application de mesures adéquates. L'impératif pour que toutes les actions de l'État soient légitimes et légales nous fait penser à une proposition d'ajustement du Code pénal à certaines réalités actuelles. Vieux de 184 ans92, le Code pénal haïtien n'est plus en mesure d'accompagner de façon efficace la société haïtienne dans les différentes mutations sociales. Ces dispositions étant obsolètes, ne peuvent plus cerner, dans toute leur dimension, les nouvelles exigences du fonctionnement de la société. Il est plus qu'urgent que nos lois s'approchent du vécu quotidien de la population. Dans le rapport de 2007 de ladite organisation, nous pouvions déjà lire des critiques qui vont dans le sens d'un éventuel ajustement du droit pénal haïtien, basé sur le système romano-germanique, vers le système Common Law Britannique. Ainsi, ont-ils écrits :

Le Code d'instruction criminelle ne prévoit pas la négociation de peine. Ceci présente un défi pour les systèmes de droit civil partout dans le monde puisque cette tradition juridique ne conçoit pas que la justice soit rendue selon des mécanismes de procédure négociés entre les parties. Traditionnellement, la reconnaissance de culpabilité (le plaider coupable) n'existe pas étant donné

92-International Crisis Group, Garantir la sécurité en Haïti : reformer la justice, Update Briefing Amérique latine/caraïbes N027, Port-au-Prince/Bogota/Bruxelles, 27 octobre 2011. Nous pensons qu'il faut ajouter cinq (5) sur le nombre d'année du code pénal pour déterminer son âge en 2016. Car, les 184 concernent l'année 2011.

93-Id.,, Haïti : réforme de la justice et crise de la sécurité, Briefing Amérique latine/Caraïbes N°14, 31 janvier 2007, p.5.

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que ce sont les juges qui déterminent la culpabilité ou l'innocence de l'accusé, indépendamment de la position des parties. Néanmoins, presque tous les systèmes de droit civil ont dû imaginer des moyens d'admettre la négociation de peine afin de s'adapter aux réalités modernes d'une criminalité croissante et de faire face aux retards accumulés dans les tribunaux93.

Ainsi, avons-nous jugé nécessaire de proposer que le Code de Procédure Pénal en cours de préparation puisse prendre en compte certaines réalités dans les rapports sociaux dans l'Haïti du 21ème siècle. Il est important de cerner les évolutions existant dans les modes de procéder des délinquants aussi bien que ceux des forces de l'ordre.

2.4.1.2.2.- Contrôle de la procédure

Le contrôle des informations liées à une enquête judiciaire traduit en grande partie le caractère secret de l'instruction. On se rappelle que la procédure pénale a l'obligation juridico-morale de jongler entre l'intérêt de l'accusé « obligation de ne pas punir un innocent » et celle de sauvegarder l'intérêt de la société « obligation d'efficacité, d'apaiser la société ».C'est ainsi que le système a adopté une procédure mixte, conciliant du coup les procédures accusatoire et inquisitoire. Pour cela, il importe de s'assurer d'abord d'une possible culpabilité d'une personne avant de l'infliger un traitement qui aurait l'air d'une peine en rétribution. De ce fait, il importe que les autorités policières prennent des mesures adéquates pour maintenir sous contrôle les sites d'interventions. De faire en sorte qu'aucune information qui pourrait être préjudiciable à l'enquête ne soit rendue publique de manière hâtive. Ainsi, on désignera un responsable qui aura à informer le grand public via les organes de presse.

SECTION 2- RECOURS À EXERCER PAR LES VICTIMES CONTRE CETTE FAILLE DE PROCÉDURE

En effet, la violation du principe de la présomption d'innocence et du droit à la défense, ayant été légalement établie à la lumière des instruments juridiques nationaux et internationaux, font désormais partie de la procédure pénale haïtienne. Il importe maintenant d'analyser les voies de recours disponibles aux victimes de l'émission conformément à l'article 25 de la CADH relatif à la protection judiciaire. Parmi les nombreux recours qui sont disponibles aux victimes de ces actes de violation, nous allons considérer dans le cadre de ce travail quelques unes qui

94-Article 4.- La Police nationale, distincte et séparée des forces armées, relève du Ministère de la Justice et est placée sous l'autorité du titulaire de ce Ministère. Les membres de la Police nationale ont le statut civil.

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répondent au mieux à la problématique traitée. Il s'agira entre autre des procédures par devant les instances nationales et des procédures par devant les instances internationales.

2.4.2.1.- Sous-section I- Recours par devant les instances nationales

2.4.2.1.1.- Action civile en réparation de dommages causés

Considérant que le droit du suspect d'être présumé innocent et de bénéficier le traitement correspondant à son statut ait été violé, cela lui a causé des préjudices ouvrant ainsi la voie à une action en justice. A cet effet, la constitution de la République d'Haïti de 1987 amendée affirme le bien fondé d'une éventuelle démarche en son article 27, elle avance : « Toutes violations des dispositions relatives à la liberté individuelle sont des actes arbitraires. Les personnes lésées peuvent, sans autorisation préalable, se référer aux tribunaux compétents pour poursuivre les auteurs et les exécuteurs de ces actes arbitraires, quelles que soient leurs qualités et à quelque corps qu'ils appartiennent ».

En termes d'éclaircissement, l'article 1168 du Code Civil Haïtien (CCH) précise que : « Tout fait quelconque de l'homme causant préjudice à autrui, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer». De ce point de vue, nous pouvons sciemment évoquer la responsabilité de l'État qui agit via le pouvoir exécutif. Nous faisons cette considération pourvu que la Police Nationale d'Haïti soit une institution qui relève du ministère de la Justice, conformément à l'article 494 de la loi portant création de la PNH.

Nous l'avions vu précédemment, l'acte que pose la PNH peut être imputé à l'institution aussi bien qu'aux agents qui y sont impliqués. Toujours dans ce même ordre d'idée la constitution, en son article 27-1 renchérit en ces termes : « Les fonctionnaires et les employés de l'État sont directement responsables selon les lois pénales, civiles et administratives des actes accomplis en violations de droits ». Dans ce cas, la responsabilité s'étend aussi à l'État. Sur ce point, la Protectrice du Citoyen Florence Élie avance elle aussi ses inquiétudes par rapport aux retombées de l'émission. Le journal Haïti Libre rapporte ses conseils en ces termes :

Dans le souci d'éviter aux agents de la fonction publique d'éventuelles poursuites, elle croit opportun de rappeler que, « lorsqu'un prévenu fait des aveux publics, officiellement à la télévision, lors d'une arrestation par la Police dans le cadre d'une enquête ou d'une instruction, des actions en réparation des dommages subis, peuvent être engagées contre les personnes

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physiques ou morales impliquées, aux termes des articles 27 et 27-1 de la Constitution de 1987[95]».

Donc, dans une logique d'État de Droit, nul n'est au dessus de la loi. Par conséquent, le suspect est en droit d'intenter une action en justice en réparation des préjudices subis pour violation de son droit d'être présumé innocent et d'être traité comme tel.

2.4.2.1.2.- Recours à l'Office de Protection du Citoyen (OPC)

L'Office de Protection du Citoyen est une institution de l'État placée exclusivement pour veiller au respect des droits des citoyens. Cette mission se précise à l'article 3 de la Loi portant organisation et fonctionnement de ladite institution, il est mentionné que :

1.- L'OPC est une institution nationale de Promotion et de Protection des droits humains tels qu'entendu par les principes de Paris.

2.- Il a pour mission de veiller au respect par l'État de ses engagements en matière de droits humains, notamment ceux contractés au niveau régional et international.

3.- Il protège tout individu contre toutes les formes d'abus de l'Administration publique.

2.4.2.1.2.1.- Attributions de l'Office de Protection du Citoyen (OPC)

Les attributions de l'OPC sont multiples, nous tenons à présenter ici, conformément à l'article 6 de ladite Loi, trois d'entre elles que nous estimons se rapportant le plus à la problématique traitée dans le cadre de notre travail :

a.- la protection des individus lésés par les actions de l'Administration publique ;

b.- intervenir de sa propre initiative ou à la demande de tout individu ou groupe d'individus, chaque fois qu'il a des motifs de croire qu'un individu ou groupe d'individus a été lésé ou peut vraisemblablement l'être, par un acte, une omission ou ne négligence de l'Administration publique ou cautionné par celle-ci

c.- enquêter sur tout abus, notamment les violations des droits humains, commis ou susceptible d'être commis par l'Administration publique ou cautionné par celle-ci.

95-www.haitilibre.com, 05/05/2014, 12 :32 :44, Loc. Cit.

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2.4.2.1.2.2.- Procédure devant l'Office de Protection du Citoyen (OPC)

Cet organisme étatique d'accompagnement des citoyens présente une certaine accessibilité s'agissant de sa mobilisation. L'article 28 de la présente Loi trace la procédure de la saisine de l'OPC. Elle peut se faire par plainte :

1.- Sous réserve de l'article 30 ci-après, tout individu ou groupe d'individus qui s'estime lésé par un abus peut saisir d'une plainte l'OPC.

2.- La plainte est personnelle, elle peut néanmoins être effectuée par un membre de la famille, un ayant droit ou tout individu ou organisme mandaté à cet effet ou ayant autorité pour ce faire. Cependant, les mandataires rémunérés ne sont pas autorisés.

L'article 31 de son côté traite de l'auto-saisine de l'OPC.

1.- L'OPC a le droit d'intervenir d'office et de sa propre initiative lorsqu'il a des motifs raisonnables de croire qu'un individu ou un groupe d'individus a été lésé ou peut l'être vraisemblablement par un acte, une omission ou une négligence de l'Administration publique ou cautionné par celle-ci.

2.- Lorsqu'il se saisit lui-même d'une question se rapportant à un abus de l'Administration publique à l'égard d'un individu ou d'un groupe d'individus, l'OPC mène une enquête et, le cas échéant, formule des recommandations appropriées à l'Administration.

2.4.2.1.3.- Recours en Habeas Corpus par devant le Tribunal de Première Instance (TPI)

En réponse à cette violation, le suspect victime peut également recourir à une procédure visant à vérifier la légalité de son arrestation. Le recours en Habeas corpus a été initié dans des instruments juridiques internationaux, notamment, la Convention Américaine des Droits de l'Homme, paragraphe 6 de l'article 7 : « Toute personne privée de sa liberté a le droit d'introduire un recours devant un juge ou un tribunal compétent pour voir celui-ci statuer sans délai sur la légalité de son arrestation ou de sa détention et ordonner sa libération si l'arrestation ou la détention est illégale.»

Étymologiquement, l'expression « Habeas corpus » a le sens : « que tu aies ton corps » ; sous-entendu : ad subjiciendum et recipiendum pour le produire devant le tribunal. Elle énonce une liberté fondamentale, celle de ne pas être emprisonné sans jugement. En vertu de ce principe,

Le premier texte ratifié par Haïti le 06 février 1991, reconnait dans son article 9 paragraphe 4 le droit pour toute personne qui se trouve privée de liberté par arrestation ou

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toute personne arrêtée a le droit de savoir pourquoi elle est arrêtée et de quoi elle est accusée. Ainsi, Wando SAINT-VILLIER dans un article paru dans le nouvelliste en date du 21 avril 2015 argumente en ces termes :

Dans les États démocratiques où se prévaut la prééminence du droit, la liberté individuelle est protégée contre l'arbitraire des autorités étatiques. Les personnes qui s'estiment victimes d'arrestation ou de détention illégale se voient reconnaitre le droit de saisir une juridiction compétente, pour lui demander de se prononcer sur la conformité (ou non) de l'arrestation (ou de la détention) à la législation en vigueur. Cette procédure de protection est connue sous le nom de « recours en habeas corpus ». Un recours remplissant la même fonction existe dans plusieurs pays sous des appellations différentes : exhibition personnelle, amparo, habeas data, segurança.

Dans la législation haïtienne, le recours en Habeas corpus trouve son fondement juridique non seulement dans la constitution de la République d'Haïti de 1987 amendée, articles 26, 26.1 et 26.2, mais également dans des instruments juridiques internationaux signés et ratifiés par Haïti. Nous citons à titre d'exemple :

a. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté à New-York par l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations unies dans sa résolution 2200A (XXI) du 16 décembre 1966, ratifié par le parlement haïtien le 06 février 1991

b. La convention américaine relative aux droits de l'homme adoptée à San José, le 22 novembre 1969, à la Conférence spécialisée interaméricaine sur les droits de l'homme de l'Organisation des États américains, ratifiée par Haïti le 18 août 1979.

En développant de manière séparée les deux groupes de textes, nous allons voir qu'il n'y a pas vraiment une grande différence entre eux. Pour ce qui est de la constitution, l'article est libellé comme suit : « Nul ne peut être maintenu en détention s'il n'a comparu dans les quarante-huit (48) heures qui suivent son arrestation par-devant un juge appelé à statuer sur la légalité de l'arrestation, et si ce juge n'a confirmé la détention par décision motivée. »

Pour mieux cerner l'application de cet article dans le présent contexte, nous allons le faire à la lumière de deux autres textes. Celui de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, notamment celui s'inscrivant dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et La convention américaine relative aux droits de l'homme adoptée à San José, le 22 novembre 1969.

Les recours aux instances internationales sont faits respectivement à la Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme CIDH et à la Cour Interaméricaine des Droits de

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détention d'introduire un recours devant un tribunal, afin que celui-ci statue sans délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération, si la détention est illégale. Dans notre cas d'étude, il est déjà prouvé que la publication hâtive de l'image et de l'identité du suspect constitue une violation du principe de la présomption d'innocence qui, normalement devait jouer en faveur de ce dernier, l'habilitant ainsi à se défendre conformément aux garanties stipulées au 2ème paragraphe de l'article 8 de la Convention Américaine des Droits de l'Homme.

Le second texte est relatif à ladite convention adoptée à San José le 22 novembre 1969 à la Conférence spécialisée interaméricaine sur les droits de l'homme de l'Organisation des États américains. Celui-ci a été ratifiée par Haïti le 18 août 1979, prévoit en son article 7 paragraphe 6 que : « Toute personne privée de sa liberté a le droit d'introduire un recours devant un juge ou un tribunal compétent pour voir celui-ci statuer sans délai sur la légalité de son arrestation ou de sa détention et ordonner sa libération si l'arrestation ou la détention est illégale f...]».

A la lumière de ces deux textes, nous avions vu que le suspect détient le plein droit d'exiger que la légalité de son arrestation et/ou de sa détention soit analysée par devant un tribunal, avant même de statuer sur le fond du fait à lui reproché.

2.4.2.2.- Sous-section II- Recours par devant les instances internationales

Mise à part les instances nationales, il existe également assez de provisions légales dans les instruments juridiques internationaux au profit des victimes qui voudraient intenter une action contre l'État, pour violation de leurs droits. Car, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, article 2 paragraphe 3 au point(a) il est stipulé : [...] garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d'un recours utile. Ainsi l'article 44 de la Convention Américaine des Droits de l'Homme stipule que : « Toute personne ou groupe de personnes, toute entité non gouvernementale et légalement reconnue dans un ou plusieurs Etats membres de l'Organisation peuvent soumettre à la Commission des pétitions contenant des dénonciations ou plaintes relatives à une violation de la présente Convention par un Etat partie.»

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l'Homme (CrIDH). En effet, Créée en 1959 par l'OEA, la CIDH siège96 à Washington. Elle constitue, avec la Cour Interaméricaine des Droits de l'Homme (CrIDH), le Système Interaméricain des Droits de l'Homme (SIDH). Elle se compose de sept (7) membres, ne pas représenter leur pays d'origine dans une instance engageant ledit État, la Commission promet une certaine impartialité dans ses décisions. La CIDH réalise ses taches en s'appuyant sur trois axes de travail : le système de pétition individuelle, le suivi de la situation des droits de la personne dans les États membres et l'attention portée aux lignes thématiques prioritaires.

Depuis sa première réunion en 1960[97], elle compte à son actif plus de 92 visites dans 23 pays membres. En décembre 2011, la commission avait reçu plusieurs dizaines de milliers de pétitions, qui ont données lieu à 19 423[98] affaires traitées et en cours de traitement. La procédure de recours par devant la CIDH peut se faire par deux façons : par pétition et par enquête moyennant que toutes les voies de recours internes aient été dûment épuisées ; que la pétition soit introduite dans les six mois de la date de la violation ; que l'objet de la pétition ne soit pas en étude devant une autre instance internationale conformément aux articles 44 à 51 de la CADH. Son travail est pourtant préalable à celui de la CrIDH. Pour sa part, la Cour Interaméricaine des Droits de l'Homme (CrIDH), deuxième organe du SIDH, a été créée en 1979. Ses deux fonctions principales sont donc d'arbitrage et de conseils. Elle comporte également sept (7) juges qui, contrairement à la CIDH, peuvent être représentant de leur État d'origine dans une affaire le concernant (alinéa 1er, 2 et 3 de l'art. 55 de la CADH).

Donc, face à la possibilité de passer outre des engagements pris, il importe de mettre à la disposition des parties des moyens de recours pour pallier les torts que peut causer le non respect de ces engagements. A ce titre, l'article 2, paragraphe 1 du Pacte relatif aux Droits Civils et Politiques : Les États parties au présent Pacte s'engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent Pacte f...], est une garantie extrêmement intéressante faite aux personnes victimes de violation de leurs droits.

96- Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme, 1889 F ST., N.W., Washington, D.C., États-Unis 20006, courriel : cidhoea@ oas.org, Téléphone : (202) 370-9000, Télécopie : (202) 458-3992

97-www.oas.org/ bref historique du système interaméricain des droits de la personne, site consulté, 30 mars 2016, 9h 25

98 - Idem.

CONCLUSION

Parmi ses différentes missions, la justice reste et demeure l'une des dettes les plus nobles de l'État. Fonction régalienne, elle se doit d'être exercée en toute impartialité et équité. Quand dans une société les institutions se révèlent faibles, les citoyens ont recours à leurs propres méthodes qui, parfois, ne traduisent pas vraiment l'idée de justice. C'est d'ailleurs, l'une des raisons pour lesquelles l'homme est passé de l'état de nature, à celui de la société. Il voulait corriger le fait que, dans l'état de nature, chacun était juge de sa propre cause. C'est-a-dire, chacun pouvait se faire justice, faire prévaloir ses droits aux dépens de celui qui les a violés.

En effet, nous avons constaté que la Police Nationale d'Haïti heurte, par son action de publier l'image et l'identité des suspects à travers les medias, le principe de la présomption d'innocence et le droit à la défense. Cette violation concerne des articles de la Convention Américaine des Droits de l'Homme (CADH), de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH), de la Constitution de la République d'Haïti de 1987 amendée et du Code de l'Instruction Criminelle (C.I.C). A ce propos, on se réfère aux dispositions des paragraphes c, d, et g du 2ème alinéa de l'article 8 de la CADH, relatif aux Garanties judiciaires, premier alinéa de la DUDH de l'article 11, les articles 25 et 25-1 de la Constitution de la République d'Haïti de 1987 amendée relatif aux droits de la défense, aussi bien que le C.I.C. en ses articles 8 et 9 relatifs à la détermination des rôles de poursuite et de jugement.

Pendant un certain temps le problème a été ralenti, peut-être, par les diverses dénonciations des organismes de défenses des droits humains. Mais étant donné sa résurgence, nous avons estimé urgent de poser la question dans une dimension plus étendue, d'en expliquer

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l'écart, afin que les victimes aussi bien que la société soient conscientes des causes et des conséquences qui peuvent en découler. On a eu raison de penser que cette pratique pourrait perdurer telle qu'elle est au sein de notre société, pourvu que les autorités policières l'aient estimée adéquate au problème d'insécurité auquel la société est confrontée. Nous avions voulu montrer que l'État reste et demeure, comme a dit Jean Jacques ROUSSEAU, une fiction créée par la volonté de ses propres membres, ce, dans l'objectif de protéger leurs droits fondamentaux.

Ainsi, en Haïti, l'absence d'un système de gestion des affaires uniforme et simplifié pose des difficultés supplémentaires pour le fonctionnement de la Justice. L'International Crisis Group nous rapporte que ni les forces de l'ordre ni la population en général ne considèrent le procès comme un mécanisme capable d'assurer que les auteurs de crimes graves répondent de leurs actes. Par conséquent, cela encourage les exécutions extrajudiciaires par la PNH ainsi que la justice populaire par le phénomène de lynchage.

En effet, c'est dans cette perspective que nous avions considéré l'émission« allo la police » comme l'un de ces actes qui s'exécutent en dehors de la procédure tracée par la constitution et par les lois haïtiennes, conformément aux articles 17, 18, 19 et 20 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Nous venons de le prouver, les conséquences découlant de cette émission sont nombreuses. Mise à part la violation du principe de la présomption d'innocence et du droit à la défense, il existe tant d'autres implications sur le système.

Néanmoins, l'émission télévisée constitue une remise en question des efforts jusque là consentis vers l'instauration d'un État de Droit en Haïti. Cette démarche de la PNH fait passer le suspect pour coupable sans que celui-ci n'ait été préalablement présenté devant son juge naturel, comme le veut la loi. En plus, on a constaté que le suspecta été forcé non seulement de répondre à des questions en absence de son avocat, mais également de témoigner contre lui-même.

Nous avions démontré que cela aurait eu comme origine, non seulement le souci d'exposer aux yeux de la population les efforts de la PNH en matière de combat contre l'insécurité, mais également, une influence des procédures du système «Common Law» sur le système pénal haïtien. En effet, les conséquences qui en découlent sont multiples, il convient de considérer l'affaiblissement du système judiciaire haïtien, en sens qu'elle la pousse à outrepasser

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certains principes fondamentaux. Ceci expose le pays aux sanctions internationales qui pourraient émanées des plaintes éventuelles des victimes du préjudice réduisant ainsi les chances que celle-ci soit disculpée des accusations portées contre lui.

Dans le cadre de ce travail, nous avions choisi d'analyser une de ces violations. Le constat à ce sujet s'est révélé accablant, en sens que notre cas d'étude, l'affaire Stanley LAFLEUR, nous a fait voir de nombreuses violations tant au regard de la victime que sur l'appareil judiciaire lui-même. Les suspects ont été interrogé seuls, en absence de leur avocat, les juges sont pris d'assaut dans leurs travaux d'instruction et de jugement. Tandis que le point « g » de l'article 8 de la DUDH et l'article 25-1 de la Constitution de la République d'Haïti de 1987 amendée en disent le contraire. Agissant ainsi, l'État s'est montré contradictoire en lui-même par rapport aux grands débats de philosophie politique relatifs au respect des droits humains et ses propres engagements juridiques internationaux en la matière. Il fallait comprendre quel devait être la priorité de l'État en ce qui a trait au moyen d'aborder les intérêts de la société. Sur le plan de la philosophie politique, doit-il respecter la liberté individuelle, tendance du monde actuel et condition sine qua non pour parler de l'État de Droit. Ou encore, devrait-il établir une certaine limite dans les actions individuelles, exigence du monde moderne face aux divers paradigmes de protection de la société en proie à une jouissance excessive d'un libéralisme socio-économique et du phénomène terroriste, théorie utilitariste.

Vers la compréhension de la philosophie à adopter par l'État, il convenait de faire la part des choses en considérant certains éléments de références en matière philosophique. Ce parallélisme nous a permis de mieux classer les différents engagements de l'État haïtien en matière de respect des droits humains, plus particulièrement, les conventions et traités ratifiés par Haïti et les mécanismes de protection les accompagnant par rapport à la philosophie qui les guide.

Nous avons montré l'effectivité de la violation de l'État haïtien par l'institution policière et les différentes implications que cet acte a sur le système pénal haïtien. Bref, la preuve que la publication de l'image des suspects constitue non seulement une violation des principes de la présomption d'innocence, mais également d'autres principes de la procédure pénale.

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En comparant les textes et la réalité du terrain, ce travail nous a permis de mettre en exergue la difficile interprétation des rôles entre les autorités policières et les autorités judiciaires. Les premières qui s'efforcent d'exhiber leurs efforts aux yeux de la population et les secondes, auxquelles incombent l'obligation juridico-morale de jongler entre l'intérêt de l'accusé « obligation de ne pas punir un innocent » et celle de sauvegarder l'intérêt de la société « obligation d'efficacité, d'apaiser et de rassurer la société ».

En revanche, nous avions pensé qu'il est impératif d'éviter cette faille dans le système pénal haïtien. Nous avions pour ainsi mis en évidence : d'une part, la nécessité que le Code Pénal puisse non seulement incriminer la publication hâtive de l'image et de l'identité d'un suspect, mais également, que le Code de Procédure Pénale en cours de préparation puisse tenir compte d'une meilleure conciliation de la mixité des pratiques policières et des règles de procédure en matière criminelle. D'autre part ; que les victimes puissent savoir qu'elles peuvent exiger réparation de l'État en cas de violation de leurs droits. Car, sur le plan philosophique, l'État [l'ordre public] a été conçu et perçu comme garant des droits de ces ressortissants, et non comme structure qui les viole systématiquement. Par ailleurs, en dehors des retombées négatives qu'emporte l'émission, nous reconnaissons sa valeur dissuasive dans une conjoncture si difficile dans laquelle nous nous trouvons en Haïti actuellement.

Néanmoins, l'absence d'un texte de loi incriminant le fait, nous empêche de parler d'infraction commise par la PNH, encore moins de peine affligée au suspect. Car, la loi pénale étant d'application stricte et l'adage en matière pénale n'en demeure pas confus quant à affirmer : « nullum crimen, nulla poena, sine lege ».On se garde également de parler de peine infamante, même si l'acte emporte certaines conséquences de ce genre. En effet, nous pouvons seulement déduire que l'émission est une violation systématique de la procédure pénale en Haïti, elle trahit du coup les efforts liés à l'instauration d'un État de droit. Car, cet idéal de gouvernance suppose la soumission de toute entité, y compris l'État lui-même, sous l'égide de la loi. Or, la PNH étant une institution de l'État, ne peut en aucun cas marchander sa soumission aux lois du pays.

Nous reconnaissons cependant la situation difficile que confrontent les États pour rester dans le strict respect de leur propre cadre juridique interne. Dans la logique de globalisation du monde actuel, les frontières socioéconomiques et culturelles entre les États tendent de plus en

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plus à s'écarter. Il est institué dorénavant des institutions dont les sphères de compétences vont au-delà des frontières respectives des États. Donc, les habitudes, les coutumes, les moeurs et les valeurs s'entremêlent autant que les populations des États s'échangent et se mélangent. Cela engendre comme conséquence une nécessité d'harmonisation des comportements et des rapports entre les individus, la refonte des lois régissant ces rapports aussi bien que la combinaison de politiques tendant à un partage de responsabilité entre les États en vue de combattre des problèmes communs en matière de Droit et de sécurité.

Dans la pratique des relations internationales, les sujets de droit internationaux s'engagent souvent par la signature des accords, des conventions ou des traités. Ces instruments juridiques internationaux, une fois signés et ratifiés, entrent dans le corpus juridique de l'État signataire, partie à la convention. Ainsi, notre pays Haïti s'est engagé maintes fois avec d'autres pays à respecter des engagements pris lors des grands sommets. L'exigence d'incorporer les textes dans la législation interne, aussi bien que celle commandant les États la stricte application de ces traités constituent, à notre sens, une démarche à double importance.

En tout premier lieu, elle prend en compte le respect d'un principe fondamental visant à protéger le consensus préalable et fondateur de la société, celui du contrat social dont parle Jean Jacques Rousseau et qui est évoqué plus haut. Des êtres libres ont consenti de créer une structure afin de pouvoir contrôler l'exercice des droits individuels reconnus à chacun, pour empêcher l'arbitraire. En second lieu, cette harmonisation des traitements qui sont accordés aux individus tend également à garantir la protection des droits des étrangers. En somme, les coutumes, moeurs et croyances sont considérées comme thèmes de référence aux comportements humains, le fondement des valeurs, aussi bien qu'un élément de mesure du niveau d'éthique de leurs actions. Il arrive fort souvent que les systèmes de valeur diffère d'une région à l'autre, cela rend de plus en plus difficile le respect des droits humains, s'agissant des individus qui n'ont pas été soumis aux systèmes en question et, sont donc plus enclin à violer ces droits en croyant agir dans le bon sens. Ainsi, l'harmonie que veulent jouir les États se traduit par des engagements qu'ils contractent en signant des traités qu'ils se promettent mutuellement de respecter. Parmi ces nombreux instruments juridiques signés et ratifiés par les États, nous tenons à rappeler que ceux relatifs aux respects des droits humains revêtent un caractère d'ordre public international et universel. Ce caractère renforce leur nature et les place au dessus de tout prétexte politique des

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États. En ce qui a trait à l'adhésion à ces Conventions, les États peuvent consentir non seulement à conclure un traité par une simple signature, mais également sont obligés dans certains cas à leur ratification, parfois sans émettre de réserves, selon les procédures de la législation interne exigée en la matière. Pour ce qui est du Pacte relatif aux droits civils et politiques nous avions vu qu'il est d'application directe dans l'ordre juridique interne, par conséquent, capable de mobiliser tout le système au profit du bénéficiaire des prérogatives qui en résultent.

Ainsi, en tant que chef de l'État, le président Jocelerme PRIVERT a fait mention de la nécessaire collaboration qui doit exister entre les différentes institutions républicaines, il a dit dans son discours d'investiture : « La police ne peut être prédatrice des droits et libertés ». La question qui se pose maintenant est de savoir comment se tenir entre les réclamations grandissantes en matière de libertés individuelles, appuyées par la communauté internationale, d'une part. D'autre part, le souci constant de protéger les intérêts de la société, de sauvegarder l'harmonie au sein de la société, logique même de l'idée du contrat social. Il convient alors de ne pas perdre de vue dans nos réflexions, la mission originelle de l'État. Pourquoi des êtres libres, évoluant à l'état de nature ont-ils éprouvé le besoin de se joindre, d'agréger leurs intérêts et de conjuguer leurs efforts pour créer une structure qui soit au dessus des intérêts individuels, tout en voulant les protéger du même coup ? Quel devrait-être le comportement de cette structure dont la mission serait de répondre aux aspirations plurielles de ses membres ? Toutes les actions de l'État se doivent d'être empruntées, non seulement de la légalité, mais également et surtout de la légitimité. Cette caractéristique qui se veut le fondement sociopolitique des actions étatiques donne l'idée de justice et conforte les membres de la société dans leur rapport avec leur semblable. Espérons que dans notre cas, l'État trouve un moyen de concilier le respect strict et scrupuleux des libertés individuelles et l'efficacité dans ses efforts à administrer la justice et à garantir la sécurité publique. Car, comme dit Emmanuel KANT : « Le droit doit être tenu pour sacré à l'homme, quelque grands sacrifices que cela puisse coûter à la puissance qui gouverne. » Nous pensons que c'est à ce prix que la société sera juste et harmonieuse.

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Webographie

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Documentaires et cours en ligne

1. Harvard University, Justice, MOOC, edx, United States of America

2. Université de Genève, Introduction aux droits de l'homme, MOOC, edx, République fédérale de Suisse






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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire