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Le graffiti à  Beyrouth: trajectoires et enjeux d'un art urbain émergent

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par Joséphine PARENTHOU
Sciences Po Aix-en-Provence - Aix-Marseille Université - Diplôme de Sciences Politiques 2015
  

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2. La transformation des individus en activité, ou la sortie de l'essentialisme

Le graffiti, en tant que carrière, transforme ses agents en activité. La désignation par le blase, si elle induit une reconnaissance comme artiste, permet aussi de désigner l'individu par son activité, donc par ce qu'il fait plutôt que ce qu'il est a priori - soit l'assignation confessionnelle. La complexité de cette assignation identitaire est extrêmement prégnante dans l'étude de Nicolas Puig140, à propos des jeunes palestiniens des camps de Beyrouth. La qualification de ces jeunes reprend la même logique qui concourt à qualifier, de manière plus générale, un individu au sein de la société, si ce n'est que leur cas de figure est « flagrant » puisqu'ils viennent des camps. Il serait malaisé, que ce soit à propos des jeunes palestiniens ou des graffeurs, de considérer que les systèmes d'identification communautaire sont pensés délibérément et consciemment par ceux qui les opèrent : il est simplement devenu « normal » de demander à quelqu'un sa communauté, ou sa religion s'il est étranger, pour le définir. Dès lors, l'introduction d'un individu par son activité permet d'éviter cette définition communautaire, ce qui « renvoie finalement à un évitement de l'assignation identitaire par le recours à une logique libérale »141 ou artistique.

140 PUIG, Nicolas, « Sortir du camp. Pérégrinations de jeunes réfugiés palestiniens au Liban » in BONNEFOY, Laurent, CATUSSE, Myriam (dir.), Jeunesse arabes. Du Maroc au Yémen : loisirs, cultures et politiques, Paris, La Découverte, 2013, p. 240-247.

141 Ibid., p. 243

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La nuance tient à ce que cet évitement de l'assignation est facilité parce que le graffiti est une pratique distinctive : cela le rend particulier au regard d'autres formes artistiques pratiquées au Liban. Kabrit ou

Krem racontent que, déjà au lycée, le graffiti présente l'avantage de se démarquer des autres, ce n'est donc pas tant la figure générale de l'artiste que celle de graffeur qui permet cette dénomination indépendante : « c'est cool c'est des dessins, tout le monde dessine tu vois... Une fois que j'ai intégré le tag y avait personne qui connaissait le tag, j'sais pas à l'école par exemple ». Le fait « qu'à l'école, à peu près tout le monde sait que [Krem2] fait du graffiti » agit comme un facteur de distinction plus fort encore que s'il ne faisait que du dessin, justement parce que le graffiti constitue une pratique encore assez peu connue ; cet aspect inédit de la pratique attire l'attention sur elle-même plus que sur les caractéristiques proprement sociales et identitaires de ses pratiquants. Vis-à-vis de la famille, comme du public, le même panel de réactions peut être observé : ainsi dans la rue, les passants qui croisent des graffeurs sans connaître le graffiti semblent plus intéressés et curieux de cette pratique que de l'identité des graffeurs, soit ce qui est donné à voir plus qu'à croire.

Un passant et son fils lors d'une session graffiti, photo personnelle.

C. Une volonté de sortir du prisme communautaire réaffirmée dans les discours et les pratiques

La pratique du graffiti permet à ses participants de sortir d'une assignation communautaire très présente au Liban, fruit de son système politique et, surtout, de son passé récent extrêmement instable et meurtrier qui se perpétue dans le présent. Pour autant, déconnecter la pratique des discours véhiculés à ce sujet nous prive d'une pleine compréhension du processus par lequel ils créent une identité nouvelle. Peu à peu se dessinent les contours d'une réflexion élaborée, pensée a posteriori et plutôt hostile aux revendications d'appartenance communautaire. Cette réflexion sur soi et sur son environnement social est à nouveau réaffirmée par les graffitis, cette fois de manière intentionnelle. Enfin, il semble, presque paradoxalement, que cette sortie de l'appartenance communautaire est accélérée, une fois encore, par le

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facteur collectif : la recréation d'un sentiment d'appartenance en dehors de la communauté religieuse de référence serait un moyen de se dégager du facteur communautaire, tout en renforçant son engagement.

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