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Le graffiti à  Beyrouth: trajectoires et enjeux d'un art urbain émergent

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par Joséphine PARENTHOU
Sciences Po Aix-en-Provence - Aix-Marseille Université - Diplôme de Sciences Politiques 2015
  

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3. Une scène artistique encore fragile

Penser ensemble la forme engagée du graffiti et sa reconnaissance progressive en tant qu'art est indispensable, justement parce que la scène beyrouthine est encore très récente, ses conventions propres peu instituées et sa reconnaissance en constante construction et évolution. Meuh confiait, lors de son départ du Liban en février 2016, que le graffiti beyrouthin se trouvait selon lui dans une période charnière, propos partagé par d'autres graffeurs au sein du Bros crew, d'ACK, REK et RBK. Il serait nécessaire, selon eux, de ne pas se fermer des portes, en particulier vis-à-vis de ceux participant à la labellisation artistique du graffiti, sans non plus se vendre, au risque de perdre toute authenticité. Le risque de marginalisation par un discours trop engagé leur semble conséquent : il mènerait à une perte d'avancement dans la carrière, personnelle et collective. La construction d'une image pacifiste du graffiti est privilégiée, parce qu'étant consensuelle elle permet à ses auteurs de se professionnaliser, tout en développant un discours revendicatif à la marge et, nous le verrons, aussi positif et fédérateur.

Ce statu quo, parfois difficile à maintenir, semble préférable partant du principe que « dans chaque monde de l'art, la valeur des oeuvres s'établit sur la base d'un consensus entre tous les membres ». De fait, « si quelqu'un parvient à créer un nouveau monde de l'art où la valeur des oeuvres repose sur la maîtrise de conventions différentes, tous les participants à l'ancien monde qui ne réussiront pas à se faire une place dans le nouveau monde seront perdants »166. Or, la scène beyrouthine demeure restreinte, d'où la nécessité de conserver un consensus entre ses membres : la rupture de celui-ci pourrait diviser la scène, l'affaiblir et

165 ROGERS, Sarah, « L'art de l'après-guerre à Beyrouth », La pensée de midi, 2007/1 (n° 20), p. 115-123.

166 BECKER, Howard, op. cit., p. 307

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affaiblir la reconnaissance de ses membres. La recherche perpétuelle du compromis entre les graffeurs rend visible cette crainte quant à l'avenir de la scène graffiti à Beyrouth.

L'absence de répression sur les auteurs de graffiti crée un rapport a priori privilégié à l'État. La situation reste néanmoins floue, que ce soit de la part des institutions ou des graffeurs : le risque de se voir censuré ou que le graffiti devienne illégal s'il était trop revendicatif persiste, et contribue à la définition de ce qui serait politique ou non. D'autre part, la faiblesse et les nombreuses difficultés de l'État le rendent peu attentif au graffiti.

Les graffeurs rejettent la qualification de « politique », tout en développant des critiques et revendications qui peuvent faire basculer une partie de leur activité dans une qualification d'art « engagé ». L'État et le premier récepteur de ces critiques, mais les inégalités sociales et économiques sont aussi des sujets de dénonciation prisés.

Il s'agit, enfin, d'une critique floue et peu contrôlée, et tous les graffeurs ne se définissent pas comme artistes engagés.

À retenir

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III. LA CONSTRUCTION D'UNE CRITIQUE POSITIVE PAR LA RÉAPPROPRIATION DE L'ESPACE URBAIN

Peut-être ce choix d'aborder, en dernier lieu, la question de la réappropriation de l'espace urbain semblera-t-il flou, voire inadéquat. Ce point aurait pu être discuté en amont, avant d'analyser les discours critiques des graffeurs vis-à-vis de leur environnement social et politique. De fait, il paraît quelque peu discrétionnaire, ou subjectif ; nous ne tenterons pas de le justifier autrement que par la volonté de clore ce travail sur une note positive et le potentiel que représente cette scène artistique pour la ville de Beyrouth. Cela n'exclue pas pour autant d'être objectif, de conserver un regard critique et analytique, peu importe nos impressions personnelles. Si nous devions toutefois tenter de justifier « objectivement » ce choix, deux arguments plutôt neutres peuvent être avancés : d'une part, le discours des graffeurs quant à la réappropriation de l'espace urbain par le graffiti est indubitablement accepté par l'ensemble de la scène, aucune remise en cause sur le sujet n'ayant, jusqu'à aujourd'hui, émergé. D'autre part, ce discours trouve une effectivité et une réalité directes, dans la ville et dans les perceptions du public pour lequel ils souhaiteraient « reprendre » Beyrouth. Comment font-ils ? Comment ce but de conquête « positive » émerge et se réalise ? Notre réflexion se centrera sur cette réutilisation, ce réinvestissement de l'espace urbain, après un délaissement issu des divers conflits. Cela permet d'ailleurs de comprendre comment ce contexte urbain, a priori antipathique, participe de la définition et de la réalisation de ce but affiché par les graffeurs. Plus encore qu'une réappropriation, le graffiti renouerait avec la volonté de faire de l'espace urbain un véritable « musée du peuple ».

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