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Le graffiti à  Beyrouth: trajectoires et enjeux d'un art urbain émergent

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par Joséphine PARENTHOU
Sciences Po Aix-en-Provence - Aix-Marseille Université - Diplôme de Sciences Politiques 2015
  

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2. Embellir la ville avec des couleurs

Ces considérations se concrétisent dans les discours et réalisations purement « positifs ». Nous entendons par là que les graffeurs s'attachent particulièrement à concevoir des pièces colorées, qui visent à « embellir la ville avec des couleurs ». Ces pratiques ne sont pas, comme on pourrait aisément le croire, neutres et sans vocation autre que le graffiti lui-même : « we taught them to like graffiti by doing all that colourful positive stuff rather than inert chromes everywhere » (Phat2). Meuh, en comparant son expérience parisienne et celle de Beyrouth, remarquait la différence chromatique entre les deux villes : rares à Beyrouth sont les pièces en noir et blanc, chrome et noir, et les couleurs vives y sont préférées. Le graffiti coloré viendrait réduire la grisaille bétonnée de la ville et, de plus, masquer ou sublimer ce qui dérange dans le paysage urbain, ce qui renvoie à un passé proche traumatisant et douloureux. En somme,

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il s'agit d'interagir directement avec la mémoire des murs afin de la rendre plus acceptable (voir Annexe IX « Graffitis et réappropriation de l'espace »). La réception de la population devient, dans ce cas, plus importante aux yeux des graffeurs et permet d'avoir un retour effectif et direct sur ce qu'ils font. L'impression positive de cette population, du moins des passants rencontrés sur chaque site, encourage les graffeurs à continuer dans cette voie, et tend à les rapprocher d'une population délaissée par les institutions : « ils nous offrent du café, des gâteaux » (Meuh) mais, plus exactement, c'est l'initiative prise par les graffeurs qui étonne parfois les habitants. À ce propos, les graffeurs adoptent un discours homogène sur cette idée que les habitants ont été délaissés ; l'espace dans lequel ils évoluent le leur rappelle très directement, d'où leur incompréhension parfois face à ces jeunes qui peignent sur des ronds-points et autres murs de béton :

Ça m'a aidé beaucoup, tu vois de pouvoir taguer n'importe où, de pas avoir cette, cette pression publique et en même temps, que ce soit un truc public, pour la plupart de la société. Tu vois les gens et ils te disent « ah c'est cool, comment ça se fait que tu paies de ta, de ta propre poche » et ils respectent ça énormément parce que je suis en train de colorier alors que c'est juste, c'est sur des murs défoncés complètement.

Bien sûr, la démarche des graffeurs ne s'insère pas uniquement dans une logique philanthrope, mais leur reconnaissance positive par la population et la modification d'un paysage urbain dans lequel eux-mêmes évoluent viennent renforcer cette idée qu'ils sont utiles, en réparant ce qu'ils peuvent172. Que ce soit chez Yazan, Ashekman, ou l'ensemble des crews, on retrouve cette volonté « d'effacer les stigmates de la guerre ». L'absence de retour et d'enseignement historique de la guerre civile a créé des traumatismes au sein de leur génération et de celle de leurs parents, traumatismes occultés pour les besoins d'une pacification entre communautés au sein des institutions gouvernementales, mais qui leur sont sans cesse rappelé dans l'espace urbain. Ainsi, cette démarche dans le graffiti semble se comprendre comme une manière de « panser et penser les plaies et reconstruire un Liban dans la filiation de son passé et en même temps différent »173.

Ça, les murs défoncés, ça rappelle la plupart du temps le vécu de la guerre. Quand t'as, quand t'as un mur qui existe depuis 30 ou 40 ans, que quelqu'un par exemple, le proche d'une personne, a été, a pris une balle là-bas et qu'il est à côté de ce mur, ça l'a hanté. En fait la personne qui est passé dans la rue elle est en train de, de guérir ça quelque part... les gens sont complètement traumatisés, alors quand tu vois un changement qui est plutôt positif... (Kabrit).

Cette sublimation de la violence, perçue comme un moindre mal, est une dynamique que l'on retrouve dans nombre de démarches artistiques dans les pays en difficultés, et particulièrement dans l'art d'après-guerre à Beyrouth, toutes disciplines confondues. Par le gommage, ou le détournement ludique de ces

172 KATTAR, Antoine, op. cit., p. 92

173 Ibid., p. 93

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stigmates, les graffeurs tentent « d'apporter de l'espoir dans un environnement marqué par la violence et la lutte politique » justement en choisissant « d'embellir la ville, de colorier ses murs portant les stigmates d'une politique « dégoûtante » »174.

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