Année universitaire 2019/2020
UNIVERSITE BORDEAUX
MONTAIGNE
U.F.R Sciences des Territoires et de la Communication
MEMOIRE
DE MASTER II interdisciplinaire des dynamiques africaines
(géographie)
Dynamique citoyenne et acteurs de développement en
Afrique : L'exemple de la société civile
ivoirienne
Sous la direction de Monsieur Alhadiji Bouba Nouhou,
enseignant à l'Université Bordeaux Montaigne et chercheur au
Centre Montesquieu de Recherche politique (CRMP)
Présenté et soutenu le 15 septembre 2020 par
Hervé RABET
Page 2 sur 227
Page 3 sur 227
Année universitaire 2019/2020
UNIVERSITE BORDEAUX MONTAIGNE
U.F.R Sciences des Territoires et de la Communication
MEMOIRE DE MASTER II interdisciplinaire des dynamiques
africaines (géographie)
Dynamique citoyenne et acteurs de développement
en Afrique : L'exemple de la
société civile
ivoirienne
Présenté et soutenu le 15 septembre 2020 par
Hervé RABET
Sous la direction de Monsieur Alhadiji Bouba Nouhou, enseignant
à l'Université Bordeaux Montaigne et chercheur au Centre
Montesquieu de Recherche politique (CRMP).
Page 4 sur 227
Abréviations
AOF - Afrique occidentale française
BM - Banque Mondiale
CFSI - Comité français pour la Solidarité
internationale
CIRAD - Centre de coopération internationale en
recherche agronomique pour le
développement
FANCI - Forces nationales armées de Côte
d'ivoire
FAO - Organisation des Nations unies pour l'alimentation et
l'agriculture
FESCI - Fédération estudiantine de Côte
d'ivoire
FMI - Fonds monétaire international
FPHN - Forum politique de haut niveau pour le
développement durable
FPI - Front populaire ivoirien
MPCI - Mouvement patriotique de Côte d'ivoire
MPIGO - Mouvement Populaire ivoirien du Grand Ouest
OCDE - Organisation de coopération et de
développement économiques
ODD - Objectifs du Développement Durable
OMC - Organisation mondiale du commerce
OMD - Objectifs du millénaire pour le
développement
ONG - Organisation non gouvernementale
ONU - Organisation des Nations unies
ONUCI - Opération des Nations unies en Côte
d'Ivoire
OSC - Organisations de la société civile
PDCI - Parti démocratique de Côte d'Ivoire
PDCI - RDA Parti démocratique de Côte d'Ivoire-
Rassemblement démocratique
africain
RDA - Rassemblement démocratique africain
RDR - Rassemblement des républicains
RHDP - Rassemblement des houphouëtistes pour la
démocratie et la paix
UE - Union européenne
Page 5 sur 227
SOMMAIRE
SOMMAIRE 5
INTRODUCTION 6
CHAPITRE 1 : ETAT DE L'ART ET CONTEXTE DE L'ETUDE
14
1.OBJET DE L'ETUDE 14
2. METHODOLOGIE ET CONTEXTE DE L'ETUDE 48
CHAPITRE 2 : EVOLUTION DE LA CITOYENNETE EN COTE
D'IVOIRE DEPUIS 1960 73
1.RESTRICTION DE LA CITOYENNETE DANS LA COTE D'IVOIRE
D'HOUPHOUËT-BOIGNY 73
2. HYPERPOLITISATION DE LA CITOYENNETE IVOIRIENNE A PARTIR DES
ANNEES 1990 85
CHAPITRE 3 : L'ACTION DES OSC IVOIRIENNES DU
DEVELOPPEMENT DEPUIS 2011 135
1.ANALYSE DES ENJEUX ET LIMITES DE L'ACTION DES OSC
IVOIRIENNES DU DEVELOPPEMENT 138
2. RECONTEXTUALISATION DE L'ACTION DES OSC EN AFRIQUE 168
CONCLUSION 185
ANNEXES 207
BIBLIOGRAPHIE 218
TABLE DES FIGURES 225
TABLE DES MATIERES 226
RESUME ET MOTS CLEFS 227
Page 6 sur 227
Introduction
Quels liens entre citoyenneté et Développement
?
Figure 1 : Les Objectifs du développement durable (ONU
2020)
Le concept de « développement », apparait
après la seconde guerre mondiale et dans le contexte de la
décolonisation, visant au « rattrapage » d'un
hémisphère « Sud » sous développé
vis-à-vis d'un hémisphère « Nord »
industrialisé et de ce fait développé. En 2000, les
Nations unies adoptent huit Objectifs du Millénaire pour le
développement (OMD) à destination des « pays du Sud »,
recouvrant les principaux enjeux humanitaires pour l'horizon 2015.
Pendant quinze ans, ces OMD structurent la solidarité
internationale et la mobilisation de l'ensemble des acteurs de l'aide au
développement. Ils permettent ainsi d'enregistrer des
améliorations notables, bien qu'inégales et insuffisantes,
notamment dans les domaines de la scolarisation universelle, de la diminution
de la mortalité infantile et maternelle et dans la lutte contre les
grandes pandémies.
Concomitamment, les Sommets de la Terre, organisés tous
les 10 ans à partir de la conférence de Stockholm en 1972,
inscrivent progressivement au niveau mondial les principes de la
préservation de l'environnement, puis de la recherche d'un
Page 7 sur 227
développement durable incluant également la
dimension sociale. La définition « Brundtland » de 1987 y
ajoute les principes de la satisfaction des besoins, notamment des plus
démunis, et des limites de la planète. Sur cette base, le Sommet
de Rio en 1992 mène à l'adoption de la convention sur la
diversité biologique, de la convention cadre des nations unies sur les
changements climatiques, et de celle sur la lutte contre la
désertification. Il est à mentionner la forte implication de la
France pour la bonne intégration des enjeux de genre, de couverture
sociale universelle, de bonne gouvernance et des enjeux environnementaux et
climatiques. C'est à la conférence de Rio de 2012, dite «
Rio+20 », que les États conviennent de l'élaboration des
"Objectifs de développement durable" (ODD) pour tous les pays.
Trois années de négociation permettent en
premier lieu d'acter que les ODD fusionnent avec les OMD « post-2015
» puis, au terme d'un processus participatif inédit par son ampleur
multilatérale, c'est-à-dire incluant l'ensemble des parties
prenantes" ou "groupes majeurs", dont les collectivités territoriales,
le secteur privé et la société civile, d' d'aboutir
à l'adoption le 25 septembre 2015 de 17 Objectifs de
Développement Durable couvrant pratiquement l'ensemble des questions de
société et du devenir de l'humanité. L'adoption des ODD
est étroitement liée à celle du plan d'action
d'Addis-Abeba pour le financement du développement de juillet 2015 et de
l'Accord de Paris pour le Climat de décembre 2015. Le champ et
l'ambition des ODD sont donc considérablement élargis et
renforcés par rapport aux OMD tout en offrant une caractérisation
plus précise du chemin à suivre que ne le faisait la
définition du développement durable reposant sur la «
rencontre des dimensions économiques, sociales et environnementales
». Le nouvel Agenda 2030 s'organise autour des « 5P », car il
est conçu dans l'optique d'être au service de la planète,
des populations, de la prospérité, de la paix et des
partenariats.
Les 17 ODD sont décomposés en 169 cibles plus
précises, qui en forment le coeur et en décrivent l'horizon
idéal pour 2030 d'un développement durable qui induit autant la
justice sociale que la croissance économique, la paix et la
solidarité que la préservation des écosystèmes. Sur
le plan social, nous pouvons mettre en exergue la présence d'un objectif
dédié à l'égalité de genres (ODD 5), d'un
objectif sur le droit au travail décent (ODD 8) ainsi que
l'éradication de la pauvreté (ODD 1) et la réduction des
inégalités sociales et internationales (ODD 10). S'agissant des
enjeux environnementaux et
Page 8 sur 227
climatiques, on retrouve des ODD dédiés
spécifiquement à l'eau et à l'assainissement, à
l'énergie durable, aux villes durables, aux modes de consommation et de
production durables, au climat, aux océans et aux
écosystèmes terrestres.
L'ambition globale de l'Agenda 2030 se traduit aussi par sa
transversalité et par la reconnaissance des liens entre les
différentes dimensions du développement. Chaque ODD fait ainsi
référence aux autres objectifs à travers l'intitulé
de ses cibles. Par exemple, on retrouve les enjeux environnementaux dans des
cibles relatives à la lutte contre la pauvreté, l'agriculture, la
santé, l'éducation ou la croissance. À l'inverse, les ODD
environnementaux mettent l'accent sur les questions d'accessibilité aux
ressources naturelles, notamment des personnes les plus vulnérables. La
mise en oeuvre de l'Agenda 2030 doit donc prendre en compte ces connexions ou
« interrelations » entre les différents objectifs.
D'autant plus que les ODD ne sont opératoires que si le
principe d' « insécabilité des ODD », qui veut que
chaque objectif ne puisse et ne doit pas être relevé que pour sa
seule finalité sans considération des autres, est respecté
et appliqué (Roca, 2019). Par exemple, en agissant sur l'ODD 11 (villes
et communautés durables), on peut également agir en faveur de
l'ODD 5 (égalité entre les genres). Une approche genrée de
l'aménagement de la ville, permettant d'améliorer la
sécurité des femmes dans les espaces publics ou les
transports.
L'ensemble des 193 États membres de l'ONU ont
négociés ces 17 Objectifs de Développement Durable (ODD)
et leurs 169 cibles, tous se sont accordés pour les
adopter et tous se sont engagés à tout mettre en oeuvre pour les
atteindre. À ce titre, l'Agenda 2030 plus qu'une dimension
internationale prend donc une dimension universelle. Aucun pays n'atteint par
ailleurs l'ensemble des cibles, même si les chemins à parcourir
diffèrent selon les uns les autres. À ce titre, tous les pays
sont donc en voie de développement durable. Par ailleurs, le
succès de l'Agenda 2030 n'est pas que de la responsabilité des
gouvernements : Il dépend également de la contribution des
acteurs de la société civile, du secteur privé et
financier mais aussi des syndicats, des ONG, des autorités ou
gouvernements locaux, qui ont participé aux négociations des ODD
dans un processus participatif inédit de par sa
représentativité et sa multilatéralité.
Page 9 sur 227
Enfin, tous les pays, du Nord comme du Sud, devront veiller
à intégrer les ODD dans leurs politiques et stratégies
nationales et seront invités à rendre compte annuellement de
leurs progrès devant les Nations unies, lors du Forum politique de Haut
Niveau (FPHN).
Les Objectifs du Développement Durable doivent
être atteints par tous les états membres de l'ONU d'ici à
2030. Cela signifie que tous les pays sont appelés à relever
conjointement les défis urgents de la planète. Il s'agit ici de
souligner l'urgence révélée par l'agenda 2030 de la mise
en oeuvre d'une citoyenneté planétaire. Et pour construire cette
citoyenneté, les états doivent mobiliser leurs populations dans
leurs ensembles. Que ce soit, celles qui sont déjà
engagées ; par le soutien d'initiatives multi-acteurs et
multilatérales, mais également par le renforcement de
capacités et de capabilités des plus vulnérables Ainsi
elles ne considéreront pas la globalisation comme une perte
d'identité et de ressources, mais au contraire comme l'occasion de
solidarités nouvelles. En fait, la question de l'anthropocène, la
question de la lutte contre le réchauffement climatique sont sans doute
nos seuls agendas universels. (Agenda 2030, 2020)
La citoyenneté environnementale est
particulièrement mise en avant ces dernières années avec
une réappropriation de l'espace public et notamment de l'espace naturel
qui est ressenti comme étant précisément un bien
commun.
Les Objectifs du Développement Durable permettent
l'élaboration de cet agenda universel. Il s'agit là de mobiliser
toutes les parties prenantes dans un objectif mondial de
prospérité sociale, notion supplantant celle de progrès,
remplacée au sens où elle révèle qu'il y a une face
sombre du progrès. L'enjeu est aussi d'inclure toute la protection, non
seulement des plus vulnérables, mais également de la
biosphère. Autrement dit, la citoyenneté construite à
travers les Objectifs de Développement Durable est le sens individuel et
collectif de l'agenda mondial. On peut alors en définir deux grands
enjeux. Le premier est un enjeu de préservation de l'État de
droit qui est indissociable d'un nouvel âge de la mondialisation. Il faut
rappeler l'importance démultipliée de la question migratoire pour
l'Europe et l'Occident plus globalement , qui est en train tout simplement de
rappeler tous les impensés, tous les manqués de la
mondialisation, à savoir : une mobilité contrainte, non choisie
pour les Hommes face à une expérience de schisme très
forte et très traumatisante entre les destins des travailleurs, les
destins des producteurs,
Page 10 sur 227
les destins des consommateurs, les destins des citoyens. Et on
arrive à la fin, tout simplement, à la fin de ce système
qui consiste à déporter sur les autres l'impensé d'un
modèle de justice sociale. La Terre est ronde, elle n'est pas infinie et
l'Occident fait actuellement face au retour de bâton de son
développement. Donc, on a un État de droit qui risque
d'être détruit par l'intérieur et par l'extérieur
précisément parce qu'il se dessaisit trop de la question sociale
désormais indissociable de la question migratoire, elle-même
indissociable de la question environnementale. Il s'agira au cours de cet
étude d'interroger l'adéquation d'un modèle sociale
désiré ou du moins institué à l'échelle d'un
état avec une dynamique de mondialisation dont les récentes
crises démontrent nécessairement de l'utilité d'un nouvel
âge de régulation. Et l'état de l'art est
considérable : les économistes, les anthropologues, les juristes,
s'accordent autour de la dialectique des vulnérabilités ou
à l'inverse des capacités. Cependant si l'on veut
préserver une pensée et une réalisation possible de
l'État de droit, des États de droit, de ne pas dissocier ces
questions de celles de la justice sociale, de l'environnement et de la
gouvernance mondiale.
La base du contrat social, c'est la nature. Elle est le
premier pilier du contrat social et de ce fait opposer contrat social et
contrat naturel n'a que peu de sens. Nous vivons grâce aux services
écosystémiques, c'est-à-dire à ces services de la
nature rendus à l'Homme. Cependant il est à présent
impératif de repenser nos modèles de gouvernance afin d'inventer
des modes de gouvernance nouveaux et de nouvelles combinaisons de
souverainetés.
C'est ce que Cynthia Fleury nomme «
rematérialisation » de la gouvernance mondiale :
c'est-à-dire, que nous allons vers un âge de la mondialisation qui
non pas, porte plus de technocraties, mais au contraire, reterritorialise et
relocalise la mondialisation. On ne reviendra pas à l'âge d'antan,
mais on doit absolument penser des modèles de justices sociales et
environnementales qui sont adaptés à des territoires, et qui dans
le même temps, dialoguent toujours, sans cesse avec la question de la
gouvernance mondiale. L'enjeu de ces combinaisons de souverainetés
réside donc dans l'articulation entre d'un côté
l'État de droit national, et de l'autre côté la gouvernance
mondiale.
Page 11 sur 227
La citoyenneté en Géographie
Un sujet portant sur la citoyenneté peut sembler
être éloigné de la géographie si celle-ci n'est pas
appréciée au-delà de la seule question paysagère.
Pourtant elle demeure une incitation, pour ceux et celles qui ont l'esprit
scientifique, à une réflexion sur la relation Nature/Homme et
Homme/Nature. Pour d'autres ce sont les techniques de gestion
politico-administrative, résumées par « l'aménagement
du territoire » qui passionnent. Yves Lacoste en 1976, affirmait
même que la géographie servait « d'abord à faire la
guerre ». Toutes ces facettes, apparemment diverses, se regroupent
pourtant dans une même réflexion sur la citoyenneté : la
citoyenneté est liée au paysage, aux relations avec le milieu
naturel, à l'organisation de l'espace social, et à sa
défense éventuellement. C'est ce concept clé qui sous-tend
et justifie la pensée géographique. Cependant évoquer la
« citoyenneté » ne semble plus être un geste innocent
à l'heure où la citoyenneté est devenue un thème de
prédilection du discours politique. C'est une notion polysémique,
mais sa polysémie s'efface au profit d'un sens pseudo-politique dont la
vulgarisation médiatique est plus que jamais remise en cause.
Juridiquement, il s'agit simplement de « l'attribution de droits par un
pouvoir politique en compensation d'un certain nombre de devoirs
vis-à-vis de ce pouvoir ». Avec la volonté de
dépasser ces débats, nous considérerons, plus simplement,
que « la citoyenneté » c'est avant tout la participation
active à la vie d'une cellule territoriale qui, dans le contexte des
19ème et 20ème siècle, a
été la structure étatique. La citoyenneté n'est pas
qu'une question de civisme, mais bien de civisme actif, et c'est plus
généralement l'intérêt porté à la
« chose publique », au débat public, c'est se sentir
responsable et participant d'une démarche collective, à quelque
échelle géographique que ce soit. C'est à partir de
là que la géographie peut intervenir. Cet intérêt
n'est pas nécessairement contestataire et extérieur aux
décisions du « pouvoir ». Il peut s'exprimer par l'insertion
dans des organismes administratifs, politiques et gouvernementaux, mais en
gardant une capacité de jugement et d'appréciation critique.
Dans notre société en mutation, la
géographie a la vocation d'aider à reconstruire les rapports qui
unissent les hommes aux lieux. En ce sens Yves Guermond nous dit que « la
géographie, ça sert à faire des citoyens »
(Guermond,2018). Au cours de l'Histoire récente ces rapports ont connu
des évolutions, qui sont sans doute autant un reflet de
l'évolution de la société qu'une simple évolution
de la préoccupation géographique. Ils se
Page 12 sur 227
développent d'abord dans le cadre de l'Etat-Nation mais
progressivement, à la fin du 20ème siècle, le
nationalisme s'est atténué le temps de la reconstruction en
Europe, par rapport au reste du monde, au profit d'une ouverture internationale
facilitée par la fin du conflit européen, puis par la fin de la
guerre froide. Sans devenir vraiment « citoyens du monde », les
individus ont pris conscience de leurs responsabilités dans le cadre de
structures supranationales, à l'échelle régionale ou
même mondiale. Cette ouverture planétaire, qui a suscité de
grands espoirs, a rencontré à son tour des interrogations et des
craintes devant l'uniformisation du monde et la perte des repères
identitaires, et elle conduit, dans le cadre de crises politiques, à un
retour en force des nationalismes. Plus profondément elle a conduit
aussi à un certain repli sur la microsociété, les
communautés locales et accentuée de l'entre-soi. Il semble vain
de chercher là une quelconque « évolution historique ».
Toutes ces configurations coexistent dans la société
contemporaine, elles se renforcent ou s'atténuent selon les
événements politiques et sociaux. Il reste que chacun de ces
cadres territoriaux suscite une forme spécifique de citoyenneté,
de lien entre la prise de responsabilité collective et le cadrage
géographique, sans qu'aucune de ces formes ne surpasse l'autre, car
elles ont toutes également leur côté positif, qui est la
prise en charge par l'individu du destin collectif. C'est l'investissement des
géographes dans ces diverses échelles spatiales d'attitude
citoyenne que nous devons chercher à mieux comprendre et à bien
interpréter (Guermond, 2018)
Pourquoi m'intéresser à la citoyenneté
?
Quelle que soient les évolutions de la
citoyenneté, le phénomène marquant est le
développement de la démocratisation informatique.
L'évolution technique et surtout l'amélioration de la
convivialité des logiciels, de même que la disponibilité
accrue des données en open source, conditionnent de plus en plus la
participation citoyenne à l'élaboration, mais aussi à la
critique, des politiques d'aménagement de l'espace. La « veille
démocratique » renforce le suivi des politiques publiques et de
leur impact sur les espaces régionaux, et les outils techniques
favorisent la participation plus générale à la recherche,
notamment dans le domaine écologique sur lequel les données sont
actuellement mal connues et discutées. La responsabilité
citoyenne du géographe, qui émerge progressivement depuis un
siècle ou deux sous diverses formes se développe d'année
en année et ce, parce qu'elle est inhérente aux objectifs
fondamentaux de la
Page 13 sur 227
discipline. Elle se développe même d'autant plus
que, dans le cadre d'une société mondiale confrontée
à la finitude de l'espace terrestre, les questions d'organisation de
l'espace social prennent une place de plus en plus importante dans les
préoccupations des sociétés, à des rythmes
différents selon les continents.
Plus que de décrire la citoyenneté dans le
monde, ce qui serait alors une « géographie de la
citoyenneté », ce qu'on peut attendre du géographe c'est
bien la promotion d'une «
citoyenneté géographique ». Au sens
où la géographie n'est pas l'étude de la façon dont
l'homme occupe l'espace terrestre, mais bien l'étude de l'agencement de
l'espace par l'homme. (Guermond, 2018).
A propos de la citoyenneté en Côte
d'ivoire
Le 6 août 2020, Alassane Ouattara a annoncé sa
décision de concourir à un troisième mandat
présidentiel en octobre prochain. Agé de 78 ans le chef de
l'État ivoirien a pris cette décision au mépris de la
Constitution que lui-même a fait modifier. Cette situation demeure
à la fois surprenante et inquiétante. Surprenante car elle
intervient suite à de nombreuses interventions du président en
faveur de l'alternance démocratique et de la fin d'une ère
politique ivoirienne. Inquiétante car le spectre d'un nouveau conflit
civil plane de nouveau sur un pays qui depuis 2011 connait une forme de paix
mais n'est toujours pas parvenu à la résolution des tensions
sociales ni à la définition d'un contrat social liant tous les
ivoiriens et favorisant un « vivre ensemble » durable.
Après les printemps arabes, le balai citoyen ou encore
y'en a marre, il semble que ce soit au tour des citoyens ivoiriens d'être
à nouveau face au choix de la démocratie. L'acteur citoyen majeur
que constitue la société civile apparait plus que jamais
outillé pour prévenir de la déconvenue démocratique
des années 60 ou encore de la brutalisation des années 2000 ou
encore de celle de 2011.
Il s'agira à travers l'étude de la construction
de la représentation de la citoyenneté en Occident et en Afrique
Sub-Saharienne puis du processus de construction de la citoyenneté
ivoirienne de définir et d'analyser les actions de la
société civile ivoirienne actuelle afin de répondre au
questionnement suivant :
Dans quelle mesure les organisations de la
société civile ivoiriennes agissent dans un contexte favorisant
la finalité de leurs actions, à savoir le changement social ?
Page 14 sur 227
Chapitre 1 : Etat de l'art et contexte de
l'étude
1.Objet de l'étude
A. La construction de la Citoyenneté en Europe et
en Afrique de l'ouest De la construction de la citoyenneté
occidentale
Selon Anicet Le Pors, la citoyenneté provient du terme
latin de « civitas ». Le citoyen se définit comme un
individu qui s'inscrit dans les finalités et les règles d'une
cité dont il dépend. Ainsi il dispose de prérogatives, de
droits et de devoirs inhérent à son « droit de cité
» (Le Pors, 2011).
La Grèce antique constitue le point de départ de
la construction de la citoyenneté des sociétés
occidentales, dont les valeurs, us et coutumes s'imposent comme paradigme
d'organisation civique et citoyenne dominant actuellement à
l'échelle mondiale. Cette notion de citoyenneté dans la
Grèce antique est incarnée par le terme « politeia
» définissant la citoyenneté par le prisme de la
communauté de citoyens et de ses règles constitutives.
La démocratie athénienne du
5ème siècle avant Jésus-Christ, est une
démocratie dite « directe » qui se fonde sur une
communauté de citoyens. Chaque citoyen peut participer aux
assemblées du peuple tenues sur l'Agora. Divers sujets
d'intérêts généraux tels que la guerre, les lois ou
encore les finances sont débattues et votées, à la
majorité des citoyens présents. Tous les citoyens, égaux,
peuvent prétendre à la magistrature, au gouvernement ou à
l'administration de la cité.
Les vertus de la démocratie athénienne, premier
modèle de démocratie sont cependant limitées. Elles ne
permettent qu'à un résident, de la cité sur dix
d'accéder au rang de citoyen. Les femmes, les métèques,
les étrangers et les esclaves sont exclus de la vie citoyenne.
La Rome républicaine permet à un plus grand
nombre d'habitant d'accéder à la citoyenneté. Cependant le
principe d'égalité inhérent à la citoyenneté
ne dépasse pas sa fonction juridique, en raison d'une
société oligarchique. Ainsi, les citoyens sont avant tout
identifiés pour être protégés. Pour la
majorité des citoyens, l'exercice de la citoyenneté est
assimilé au simple respect des lois. La gouvernance, l'administration et
la magistrature sont assurés par une aristocratie politique. Cette
« aristocratie » préempte la vie politique
Page 15 sur 227
de la république romaine en rendant l'essentiel des
fonctions de gouvernance héréditaire, et ce, malgré la
contestation populaire. Face aux nombreux conflits d'intérêt que
cette concentration des pouvoirs (économique, politique et judiciaire)
entraîne, la République s'effondre pour laisser place à
l'Empire où le pouvoir effectif et la citoyenneté sont
distingués. Au sein de l'Empire Romain, l'accès au statut de
citoyen devient un instrument d'expansionnisme. Tout homme libre d'une province
conquise peut alors prétendre à la citoyenneté et à
une assimilation à l'empire. La citoyenneté romaine,
intégratrice mais inégalitaire s'inscrit comme l'opposé de
la citoyenneté grecque, qui était, exclusive mais fortement
égalitaire entre citoyens.
Le moyen-âge marque l'avènement du
féodalisme en Europe. Dans ce système, le bien commun est la
préoccupation du Prince. Les valeurs civiques sont alors
délaissées au profit de valeurs chrétiennes. Ainsi pendant
le millénaire du moyen-âge, le système politico-social
transforme la majorité de la population en sujet et non en citoyen.
Cependant, les valeurs de la citoyenneté ne
disparaissent pas totalement pendant cette période. Une partie de la
population du Tiers-état qui deviendra la bourgeoisie, en raison de sa
puissance économique parvient, au fil des années à obtenir
de nouveaux droits individuels et sociaux, qui la distingue des simples sujets.
Sur le plan philosophique des auteurs tels que Hobbes, Bodin ou encore
Machiavel contribuent à rationnaliser la pensée politique. Dans
leurs écrits, l'Homme est replacé au centre de la pensée
et de la cité à l'opposé de la doctrine dominante de Saint
Augustin où la cité de Dieu était supérieure
à la cité des Hommes.
Le travail de ces précédents auteurs permet
l'émergence d'auteurs comme Rousseau (Du Contrat Social) ou
Montesquieu (De l'esprit des lois) qui remettent en cause
l'absolutisme de la monarchie de droit divin. Ils considèrent la
volonté générale supérieure à la
volonté monarchique et souligne la nécessité d'un
développement de contre-pouvoirs. Ces postulats constituent le socle des
revendications qui aboutissent aux révolutions américaines et
françaises.
La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de
1789 et la constitution de 1793 sont les bases de la conception moderne de la
citoyenneté occidentale (Le Pors, 2011).
Page 16 sur 227
De la construction de la citoyenneté en Afrique de
l'ouest
En Afrique de l'ouest, la construction de la
citoyenneté est tout autre. Elle est caractérisée par
trois périodes. La période coloniale marque une rupture
séparant un exercice de la citoyenneté que l'on qualifiera de
« précolonial » et une autre que l'on qualifiera de «
post-colonial ». Contrairement à la construction de la
citoyenneté européenne, il n'y a qu'une faible présence
d'éléments d'archives relatant de la période
précoloniale.
Globalement les sociétés d'Afrique de l'ouest
n'ont pas eu le même cheminement que les sociétés
européennes, qui ont pu, au fil de l'Histoire, parvenir à
consolider l'Etat-Nation.
L'État-nation est un concept théorique,
politique et historique, désignant la juxtaposition de l'Etat, en tant
qu'organisation politique et de la nation, c'est-à-dire des individus
qui se considèrent comme liés et appartenant à un
même groupe. C'est donc la concrétisation d'une notion d'ordre
identitaire et d'appartenance à un groupe, la nation, et une notion
d'ordre juridique, l'existence d'une souveraineté et d'une gouvernance
exercée par l'Etat et ses institutions politiques et administratives.
La gouvernance caractérise la manière
d'administrer et de gérer un territoire et ses citoyens. Celle-ci,
considérée comme vitale pour le devenir humain des
sociétés est sacralisée au sein des sociétés
ouest africaines précoloniales.
Selon Bruno Doti Sanou, la plupart des empires de
l'Antiquité et du Moyen-Âge établis en Afrique de l'ouest
ont pour doctrine de gouvernance la théocratie. Le souverain et son
gouvernement ne sont alors considérés que comme simple lieutenant
du pouvoir. L'autorité suprême est de Droit Divin. C'est en vertu
de cette théocratie qu'ils favorisent la décentralisation et
l'émergence d'institutions locales répondant aux besoins des
populations. Ces institutions locales disposant de marges de manoeuvre dans
l'application de la loi. Certaines autres sociétés africaines
expérimentent ainsi la théocratie pour permettre à chaque
communauté de s'organiser et de développer des initiatives
adaptées et appropriées à leurs besoins.
Les chasseurs fondateurs de l'empire du Mali disaient : «
Toute vie (humaine) est une vie. Il est vrai qu'une vie apparaît à
l'existence avant une autre vie, mais une vie n'est pas plus ancienne, plus
respectable qu'une autre vie, de même qu'une vie n'est pas
supérieure à
Page 17 sur 227
une autre vie. » Afin d'éviter l'émergence
d'une dictature, le pouvoir du souverain est contrôlé et ses
décisions peuvent être contestées. Il s'agit de permettre
aux différentes catégories représentatives de la
société de participer au débat libre, à la gestion
et à la recherche des voies pour l'épanouissement
communautaire.
Des proverbes répandus en territoire mandé
soutiennent que : « Le chef qui refuse la contestation ne dit jamais la
vérité ; dire ensemble est une grâce, agir ensemble est une
grâce sans pareille » ou « aucun chef ne s'intronise
lui-même » ou encore « le pouvoir d'aucun chef n'est
éternel ». La gestion du pouvoir au sein des théocraties
ouest africaines est donc collégiale et oligarchique. Les institutions
de contrôle peuvent être un collège de sages, un
gouvernement, une femme (la reine mère dans les royaumes mossi ou la
soeur du chef (une forgeronne) dans certaines sociétés de l'Ouest
du Burkina, les griots, les forgerons, une assemblée de notables, les
responsables des classes d'initiations, etc.
Nous pouvons par exemple citer le « Mande Kalenkan
» encore appelé Charte du Mande ou Charte de Kurukanfuga
pour illustrer un exemple de conception d'« une citoyenneté
» en Afrique de l'Ouest.
La charte dit que :« L'homme en tant qu'individu fait
d'os et de chair, de moelle et de nerfs, de peau couverte de poils et de
cheveux, se nourrit d'aliments et de boissons ; mais son « âme
», son esprit vit de trois choses : voir ce qu'il a envie de voir, dire ce
qu'il a envie de dire, et faire ce qu'il a envie de faire ; si une seule de ces
choses venait à manquer à l'âme humaine, elle en
souffrirait et s'étiolerait sûrement. En conséquence, les
chasseurs déclarent que : « chacun dispose désormais de sa
personne, chacun est libre de ses actes, chacun dispose désormais des
fruits de son travail. Tel est le serment du Mandé à l'adresse
des oreilles du monde entier. »
L'organisation des différents empires de la Boucle du
Niger, comme dans le royaume Mossi ou encore des
sociétés de l'ouest du Burkina Faso de l'époque repose
essentiellement sur une décentralisation du pouvoir et une participation
de chacun au développement de sa communauté. La charte du
Mande a ainsi développée les principes de
l'égalité de tous devant les coutumes de l'empire, de
l'altérité, de la liberté d'entreprise, de la
liberté d'association et de la liberté de parole et d'action des
contre-pouvoirs (SANOU,2010).
La période de la traite négrière vient
bouleverser les rapports entre les sociétés ouest africaine.
Certaines sociétés littorales vont s'enrichir par le trafic
d'esclaves et favoriser
Page 18 sur 227
l'implantation européenne sur le continent contribuant
elle-même à l'essor du capitalisme industriel.
En parallèle de la traite négrière,
l'Etat-nation se construit en Europe à partir des territoires issus du
traité de Westphalie (1648), qui institue un ordre basé sur le
partage de l'identité religieuse du souverain d'un territoire
(catholique ou protestante) et de celle de ses sujets. Le système
féodal qui a renforcé les liens sociaux au sein des royaumes en
Europe, a laissé place à une territorialisation des
identités religieuses plus stable et de ce fait plus favorable à
la coexistence pacifique des peuples européens.
La conscience de l'appartenance à un peuple, à
une nation, prépare le terrain à l'avènement d'un nouveau
modèle qui s'est développé avec la modernité :
l'Etat-nation qui est associé à un territoire
délimité par des frontières linéaires
précises, cartographiées.
Les deux formes d'Etats antérieures sont les
cités-Etats, aux territoires limités à une ville et son
environnement rural proche, ou l'empire au territoire beaucoup plus vaste,
englobant plusieurs ethnies ou nations, aux limites zonales mal
définies, à l'image des marches. Ces deux types d'Etats plus
anciens sont caractérisés par la pluralité des
identités ethniques et/ou nationales, par un cosmopolitisme plus ou
moins développé, alors que l'Etat-nation est
caractérisé par une seule nation dominante, qui admet
éventuellement la coexistence à ses côtés d'autres
individus dotés ou non d'un statut et de droits particuliers.
La colonisation est inscrite dans un contexte,
d'émergence du capitalisme industriel, de rivalités et de
compétitions accrues entre les nations européennes. Lors du
« scramble for Africa » qui a pris fin lors de la conférence
de Berlin, l'Afrique est prospectée et partagée selon une logique
économique. Les critères, sociaux, ethnographique et historique
ont été relégué à la marge, ce qui n'a pas
été sans conséquences.
L'empire colonial français va imposer le modèle
de l'Etat aux sociétés autochtones de l'AOF (Afrique Occidentale
Française).
Un Etat présent et fort est mieux à même
de contrôler les velléités des indigènes et de les
rappeler à l'ordre préconçu par la métropole. C'est
selon cette logique que le concept de commandement est central dans le
vocabulaire colonial. En effet, les cercles, plus petite unité
d'administration coloniale, regroupent plusieurs cantons et villages qui sont
dirigés par un administrateur, le commandant de cercle, venu de
métropole. Pour neutraliser la
Page 19 sur 227
gouvernance précoloniale, les chefs qui se sont
opposés à l'armée de conquête sont
déposés. Ensuite dans l'organisation de l'administration
coloniale est mis en place un nouvel échelon désacralisé,
celui du chef de canton qui assure le lien de transmission entre
l'administration coloniale et les indigènes. Les chefs de canton ont
été installés pour supplanter les chefs traditionnels
garant du pouvoir théocratique décentralisé.
Bien que des commissions municipales existent, le statut de
l'indigénat est un frein à la participation et à la prise
en compte des intérêts locaux. Seul quelques élites locales
peuvent accéder à un poste de gouvernance, sur
appréciation du pouvoir colonial. Ce sont ces élites qui prennent
le leadership des diverses luttes sociales menant aux indépendances.
Lorsque celles-ci sont acquises, le principe d'intangibilité des
frontières instaurés par la colonisation a été
immédiatement confirmé par l'ensemble des nouveaux Etats.
Le modèle de l'Etat-nation à la française
s'est alors diffusé dans la majorité des pays d'AOF. A la
différence des états européens dont les nations se sont
déterminées de manières endogènes, les nations
africaines, héritages de la colonisation, ne se sont pas
déterminés elles-mêmes. La colonisation française a
mené au recul voire à l'effacement de l'Histoire, de la
conception et de la pratique de la citoyenneté ouest africaine. Cette
citoyenneté est devenue, depuis les indépendances, un
syncrétisme entre les valeurs et pratiques des périodes
précoloniales et coloniales.
Page 20 sur 227
B. Le cosmopolitisme et la citoyenneté
mondiale Genèse du cosmopolitisme
Pour Louis Lourmes, « les grandes découvertes
» européennes des XVe et XVIe siècles constituent une
rupture historique. La finitude du monde est enfin prouvée.
L'époque moderne est donc celle du monde fini. Cette finitude du monde,
alors intégrée dans les consciences individuelles, s'inscrit dans
la pratique politique.
L'acceptation d'un monde fini et limité, est une
étape décisive dans le rapport occidental au monde, à la
différence et à la morale. Les travaux de Paul Valéry
permettent de comprendre les conséquences de la disparition de la
terra incognita.
Cette terre inconnue dans la représentation
n'est pas seulement une « terre inconnue », mais une « terre
à conquérir » qui déclenche une féroce
concurrence entre les royaumes européens. Trois principales choses ont
changées à ce moment de l'Histoire : Dans son ensemble le monde
est connu, les distances à l'intérieur du monde sont
réduites et les décisions politiques autonomes ne sont plus
permises.
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le postulat
concernant notre rapport au monde est le suivant : Nous ne savons pas tout de
celui-ci et de ce qu'il abrite mais nous en connaissons ses limites et ses
espaces.
Paul Valéry démontre dans ses travaux la
présence d'une période de prospection, qui s'achève avec
la fin de l'inventaire coloniale et une période de relation. Cette
période de relation est marquée par une réduction
géographique et un développement de l'interdépendance.
Deux villes comme Abidjan et Paris sont plus dépendantes et moins
éloignés l'une de l'autre qu'elles ne l'ont jamais
été.
Il ne s'agit pas ici de se méprendre à propos de
cette période de relation. Plus que consenti, on pourrait la qualifier
de contrainte. Tant que l'oekoumène1 était infini, il
était encore possible d'avoir le choix de la relation ou de l'absence de
relation, d'avoir des ennemis et des amis permanents, et d'anticiper les
relations sur le long terme.
1 Espace habitable de la surface terrestre ; ensemble des milieux
habités par l'être humain.
Page 21 sur 227
Actuellement les individus n'ont plus le choix de la relation
et la multiplication des points de contact fait qu'il devient de plus en plus
délicat d'anticiper l'avenir. Le caractère inédit de notre
période vient donc de ce changement qui ne doit pas être compris
sous un angle seulement optimiste : la relation entre les peuples ou les
nations est contrainte par la finitude du monde et la croissance
démographique, et quasiment tous ne peuvent plus éviter d'entrer
en relation. (Valéry,1931)
Emmanuel Kant théorise dans Idée d'une
histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique, « l'insociable
sociabilité » de l'Homme. C'est l'insociabilité qui pousse
les individus à se répandre sur terre. Paradoxalement, cette
insociabilité, couplée à une sociabilité rendue
nécessaire par la géographie et l'instinct grégaire,
contraint les hommes à imaginer la forme que pourrait prendre une
rencontre pacifiée et un partage organisé du monde commun.
L'insociabilité dans un espace fini contraint donc les hommes à
organiser juridiquement leurs relations. (KANT,1784).
Le droit cosmopolitique
La théorie de l'insociable sociabilité
kantienne, est plus que jamais d'actualité, puisque nous sommes
passés durant cette période de 1 à 7 milliards d'habitants
sur un même espace fini. Il faut donc penser les conditions d'une
coexistence juridique, d'une vie réglée par autre chose que la
violence naturelle ou la volonté de domination. C'est l'objet du droit
cosmopolitique. C'est ce qui pourrait nous pousser à conclure que le
droit cosmopolitique ne s'inscrit pas à proprement parler dans une
philosophie historique, au terme de laquelle, évolution après
évolution, le droit se serait constitué mais plutôt dans
une philosophie géographique. On entend par ceci que si la terre n'avait
pas de limites, alors il n'y aurait aucune nécessité de
régler par le droit les relations humaines.
Deux concepts déterminent le « citoyen du monde
», la citoyenneté et le monde. Se considérer comme citoyen
du monde, c'est intégrer « le monde » comme un ensemble
unitaire où chaque peuple, chaque nation, chaque relation sont
interdépendant l'un de l'autre. Or, cette unité ne va pas de soi.
Il y a même une sorte de paradoxe dans le fait que, au moment où
l'on rencontre effectivement le monde, il semble impossible d'en penser
l'unité. L'Histoire du monde a souvent révélée des
crises de l'idéal cosmopolitique, bouleversé par l'extension de
l'oekoumène au fil de l'histoire. La découverte d'autres
Page 22 sur 227
peuples et d'autres coutumes a pu historiquement s'accompagner
d'une mise en crise du concept de cosmopolitisme tant il a semblé
délicat de penser une unité de tous les Hommes au-dessus des si
nombreuses différences culturelles. Depuis la fin de la seconde guerre
mondiale le cosmopolitanisme existe politiquement.
Le cosmopolitanisme politique
Les États se trouvent aujourd'hui pris dans des liens
internationaux contraignants et se doivent d'intégrer les
échelons régionaux et mondiaux dans leurs stratégies de
gouvernance. La géopolitique mondiale s'est globalisée. Les
États souverains ne peuvent plus exercer leurs souverainetés de
la même façon qu'avant. Une « érosion » de
l'autonomie est ainsi observable. Ce recul de l'autonomie politique est
dû à plusieurs facteurs. Tout d'abord la présence d'une
gouvernance mondiale multicentrique, celle-ci induit une nouvelle pratique de
la souveraineté nationale. Les Etats ne gouvernent plus de
manière autonome ; ni pour ce qui relève de la politique
extérieure, ni même pour ce qui relève de la politique
intérieure traditionnellement considérée comme
étant le domaine exclusif de l'État. (Arichibugi,2009).
Les États ne sont plus les seuls centres de pouvoir
légitime à l'intérieur de leurs propres frontières
(Held,1997). Les organisations politiques mondiales tels que l'ONU,
transnationales, comme le FMI, la Banque mondiale ou l'OMC, et
régionales à l'instar de l'Union Européenne, ont un droit
de regard sur la politique intérieure des États membres ou des
États qu'ils aident. Ainsi les gouvernants ne peuvent plus, de fait, se
cacher derrière le concept de la souveraineté nationale pour
gouverner de manière exclusive. Plus qu'un droit de regard, ces
différentes structures disposent de pouvoirs coercitifs sur le
gouvernement intérieur d'un État particulier, puisque des
conditions d'entrée ou des conditions d'aide parfois très
contraignantes sont fixées et peuvent impacter l'exercice du pouvoir
politique ou la gestion économique. Les aides que peuvent apporter le
FMI ou la Banque mondiale sont conditionnées par certaines
prérogatives politiques et économiques directement liées
à la politique intérieure des États (Held, 2001).
Nous pouvons également remarquer une crise mondiale de
la démocratie due à l'inachèvement de la mise en oeuvre
d'une démocratie cosmopolitique. La difficulté que
révèle l'effectivité d'une démocratie
cosmopolitique est l'articulation entre des intérêts
supranationaux qui nécessiteraientt une gouvernance mondiale et des
intérêts locaux
Page 23 sur 227
comme le renforcement du contrôle citoyen sur les
décisions politiques les impactant. Il semble en effet que les citoyens
des États du monde sont éloignés des prises de
décisions politiques importantes, à cause du réseau
complexe d'enchevêtrement d'organisations internationales et locales qui
participent à la gouvernance mondiale. Le contrôle et la
participation, caractéristiques des démocraties libérales,
semblent plus difficiles pour les citoyens (Lourmes,2014).
Cependant, le fait que l'exercice de la citoyenneté
démocratique soit plus complexe ne signifie pas nécessairement sa
disparation mais plutôt l'évolution de sa pratique. Prenons le cas
de l'Union Européenne (UE). Les institutions européennes reposent
sur une double légitimité, qui se traduit par la «
codécision » législative. Les lois y sont votées
à la fois par le Parlement, instance représentative des citoyens
européens, et par le Conseil des ministres instance
représentative des Etats. Il existe une démocratie sui
generis qui combine plusieurs types de représentation. La
représentation égale des citoyens et des États, la
représentation quasi directe par les élections au Parlement
européen et la représentation à l'indirecte. Les
Français sont ainsi représentés au Conseil européen
et au Conseil des ministres par le chef du gouvernement et les ministres qui
ont été élus nationalement et au parlement européen
par des députés européens élus au suffrage
universel direct. L'union européenne n'est pas représentative de
l'ensemble des organisations internationales, mais son exemple permet de
démontrer que la démocratie est exportable à d'autres
échelles que l'échelle nationale, et qu'elle ne peut pas
obéir aux mêmes procédures selon les échelles de
gouvernance où elle s'applique. La distinction de plus en plus difficile
des citoyens entre acteurs politiques et économiques vient s'ajouter
à la défiance des citoyens aux institutions et personnes
représentatives de leurs intérêts. Cette défiance a
pour effet un recul de la participation électorale et une montée
des extrémismes. (Ferry,2012)
La gouvernance mondiale, multi-acteurs, se pratique à
différentes échelles du local au global. Elle intègre des
États, des associations, des syndicats, des organisations
gouvernementales, des collectivités territoriales des entreprises
etc....Cependant ces acteurs sont confrontés au même
enchevêtrement de compétences et de responsabilités au sein
d'un réseau d'acteurs participant tous à la vie politique, qui se
densifie rapidement. Par voie de conséquence, cette juxtaposition de
compétences et de responsabilités aboutit
Page 24 sur 227
à une complexification des mécanismes de
décision politique dont on peut remettre en cause l'efficacité et
la légitimité politique qui est régulièrement
questionnée.
Plusieurs points de rupture entre notre époque
contemporaine et ce qui la précède sont observable. Les individus
sont directement sujets du droit international, les mécanismes de prise
de décisions politiques sont internalisés dans de nombreux
domaines , les démocraties nationales ne sont plus
considérées comme ayant une faculté de décision
autonome face aux nouvelles dimensions de la sécurité
internationale , la globalisation des systèmes de communication facilite
la constitution de communautés de choix et affaiblit les
identités nationales ,et l'économie et les capacités de
décision des États nationaux ne coïncident plus. Nous
pouvons observer chacun de ces points à travers la mise en oeuvre du
développement.
Page 25 sur 227
C. Le développement et la solidarité
internationale Le développement
« La course au développement » a eu
d'importantes répercussions sociales, économiques, climatiques et
environnementales auxquelles sont confrontés l'ensemble des Etats. Le
cosmopolitisme atteint donc son paroxysme. Les récentes crises
migratoires, qu'elles soient dues à la guerre, à
l'économie, au dérèglement climatique ou encore à
une épidémie sanitaire rappellent à l'ensemble de
l'humanité la finitude de l'oekoumène et la
nécessité de repenser notre modèle de
développement.
Le développement est un concept qui a été
introduit par le président Harry Truman en 1949. A travers son discours,
il distingue des Etats « développés » et des Etats
« sous-développés ». L'industrialisation et
l'achèvement de l'Etat-nation sont alors les principaux indicateurs de
développement d'un pays. Au moment de l'indépendance, la
Côte d'Ivoire, comme l'ensemble des anciennes colonies, débute sa
course au développement.
Bernard Bret définit le développement comme
l'amélioration des conditions et de la qualité de vie d'une
population, l'organisation sociale servant de cadre à la production du
bien-être. Il est à distinguer de la croissance économique
qui mesure la richesse produite par un Etat en une année et son
évolution d'une année à l'autre.
Le Produit Intérieur Brut (PIB) est l'indicateur de
référence de la croissance économique. Le PIB n'est
pourtant qu'un agrégat d'attributs économiques, qui ne permet pas
de mesurer les effets sociaux réels qu'une croissance économique
engendre. Il informe peu sur le niveau de vie et la qualité de vie. Le
développement peut contribuer à la croissance économique,
mais il n'est en aucun cas indispensable à cette dernière et
à contrario, il peut y avoir une forte croissance économique sans
création de développement, tout du moins sans amélioration
sociale.
On parle alors de croissance sans développement quand
la production de richesse ne s'accompagne pas de l'amélioration des
conditions de vie. Par opposition, la priorité donnée aux
productions les plus utiles et une plus grande équité dans la
distribution des biens produits améliore les conditions de vie des
populations et crée du développement et ce même sans
croissance économique.
Page 26 sur 227
Le développement révèle ainsi la notion
de bien-être. L'Indicateur de Développement Humain (IDH)
considère que la qualité de la vie ne se réduit pas au
bien-être matériel et comprend aussi des valeurs telles que la
justice sociale, l'estime de soi et la qualité du lien social.
Ces trois valeurs constituent les bases du « pouvoir
d'agir », venant de l'anglais « empowerment ». Le pouvoir d'agir
désigne la capacité d'un individu ou d'un groupe à
décider pour lui de ce qui le concerne et à participer au
débat citoyen. En effet, le développement ne peut pas pleinement
se réaliser sans la participation des citoyens, c'est-à-dire sans
système démocratique. Il faut donc porter attention à la
possibilité effective que les personnes ont ou n'ont pas de
définir leur projet de vie et de conduire ce dernier en fonction des
conditions réelles qui leur sont imposées. Ces conditions
dépendent, certes, de ressources financières et
matérielles, mais aussi de données propres à chaque
individu, telles que la santé etc. mais aussi de données
relatives à l'organisation sociale et politique et la
représentation de la place de chacun au sein de la société
(SEN,1990). Le développement peut donc être apprécié
selon différents prismes qu'ils soient économiques, sociaux ou
politiques.
En définissant la « capabilité » par
le champ des possibilités qui s'offrent aux personnes et la
liberté qu'ont ces dernières de choisir, Amartya Sen affirme que
la liberté apparaît comme la fin ultime du développement.
La liberté apparaît comme le principal moyen de consolider le
développement car il peut être considéré comme un
processus d'expansion des libertés réelles dont jouissent les
individus. Les expériences historiques montrent d'ailleurs que les
systèmes autoritaires, dans l'économie de marché comme
dans l'économie planifiée, ont échoués. Qu'ils
aient ou non produit une croissance économique forte, les uns et les
autres ont dû se transformer et s'ouvrir à la démocratie
pour atteindre le développement.
Le développement transforme la planète depuis la
seconde Révolution industrielle du XIXème siècle. En
parallèle, il creuse les écarts entre les territoires et leurs
populations. Non seulement le développement n'a pas supprimé les
inégalités entre les Hommes, selon leurs origines, mais il les
accentue parfois voire en crée. L'opposition entre les pays
développés et les pays sous-développés,
révélé par le président Truman, repose
Page 27 sur 227
néanmoins sur une base fragile, la faute à un
seuil entre les deux catégories, trop subjectif pour être
intangible.
Le développement a néanmoins pu être
considéré comme un phénomène historique,
linéaire et universel. L'économiste Eugen Rostow définit
l'histoire des peuples comme une succession de périodes où les
sociétés traditionnelles évoluent en
sociétés de consommation. Le décollage (take-off), est
l'élément qui déclenche le processus cumulatif de
production élargie, qui augmente et diversifie les biens consommables
par les hommes, augmentant de ce fait les niveaux de vie. Certains pays, comme
les Etats-Unis, ont entamés cette marche avant les autres, il
était donc cohérent avec cette lecture du passé
d'identifier la situation des pays pauvres comme un retard historique.
(ROSTOW,1963)
Il est plus convaincant de voir les inégalités
de développement à l'échelle mondiale comme le
résultat de relations asymétriques établies entre les pays
« développés » et ceux dits «
sous-développés » du fait de la domination que les premiers
ont fait subir aux seconds. La colonisation en est la forme la plus brutale,
sans être la seule. Le sous-développement résulte selon de
nombreux économistes tels que André Gunder Frank ou encore Celso
Furtado, de la dépendance à l'égard de l'extérieur.
Certains ont préféré parler de pays dominés ou de
pays exploités, plutôt que de pays
sous-développés.
L'espace-monde peut être considéré comme
un espace où les pays développés constituent un centre
exerçant une domination sur une «
périphérie » constituée par
les pays sous-développés (AMIN,1973). Les faits à
l'échelle mondiale confirment cette théorie de la
dépendance. Cependant elle doit être nuancée. Le couple
Centre-périphérie se vérifie à toutes les
échelles géographiques, aussi bien dans les pays dits
développés que dans ceux dits sous-développés. Il
est observable entre les régions, entre la ville et la campagne, entre
les quartiers d'une même ville.
La géographie allemande a précédé
Amin sur la relation centre-périphérie, comme le démontre
les travaux de Walter Christaller. Le géographe Alain Reynaud a
systématisé cette relation centre-périphérie dans
un modèle général qui offre une grille de lecture des
territoires à un moment donné autant que l'évolution de
leurs relations dans le temps, dans la perspective de la géohistoire.
Bien qu'à nuancer, la réflexion d'Amin a
révélé l'insuffisance de la terminologie du
développement. En effet, les inégalités ne sont
conséquence, ni d'un retard historique pris
Page 28 sur 227
par certains territoires, ni de dysfonctionnements dans le
processus du développement. Elles sont la conséquence du
développement lui-même. On entend par cela qu'il bouleverse les
hiérarchies existantes, en créé d'autres, produit des
dépendances et des inégalités de nature sociale et
spatiale. L'inégalité est un élément constitutif du
développement, observable à toutes les échelles
géographiques et requérant donc une analyse géographique
à plusieurs échelles. Si on admet l'idée que le
développement comporte inévitablement une référence
à la justice, et que l'on admet également que le
développement est inévitablement inégal, nous pouvons
alors nous interroger sur la nature des conditions à remplir pour rendre
compatible ces deux affirmations.
Après les économistes, les géographes ont
investi le champ du développement. Le développement s'exprime en
effet dans l'organisation des territoires en ce qui concerne les conditions de
vie des populations, l'urbanisation, la densité et la configuration des
réseaux de circulation, la distribution des équipements publics,
l'intensité des activités économiques, la
répartition des pouvoirs décisionnels, les asymétries de
flux etc. L'approche géographique des territoires permet de remarquer la
distinction faite initialement entre croissance économique et
développement, et d'opposer ce qui est croissance économique
extravertie et développement autocentré.
La première, pierre angulaire de la globalisation
Saskia Sassen, désigne une croissance économique orientée
vers l'extérieur et dans la dépendance de l'extérieur. Ses
activités, et donc ses emplois, relèvent de décisions
prises ailleurs et pensées pour servir d'abord des intérêts
extérieurs. Les retombées à en attendre sont donc
limitées et souvent ambiguës. L'économie de plantation et
l'extraction minérale en Côte d'Ivoire en sont de parfaits
exemples. Elles sont majoritairement opérées par des firmes
étrangères versant des salaires faibles et contrôlant assez
les marchés internationaux pour maintenir les cours à un bas
niveau (SASSEN,1988).
Un développement est dit « autocentré
» quand la croissance économique est au service des populations du
territoire dont provient cette croissance. La dynamique sociale des populations
s'inscrit alors dans un rapport de forces favorable avec les
intérêts extérieurs.
La politique de décentralisation de la France a
favorisé l'émergence des collectivités territoriales.
Celles-ci sont en charge de l'articulation entre intérêts locaux
et intérêts globaux. Ce questionnement sur l'articulation de la
société « du local au global » est la
Page 29 sur 227
conséquence de citoyens qui sont de plus en plus en
demande d'initiatives de développement autocentrées. Cela en
vertus du fait qu'elles sont, plus à « l'échelle humaine
», moins injustes économiquement à l'échelle du monde
et moins dégradantes pour l'environnement.
Les dégradations que le développement peut faire
subir aux équilibres naturels ont longtemps été
ignorées parce que la nature avait une capacité de
résistance et de résilience suffisante. Mais nous connaissons
actuellement la crise des relations Sociétés-Nature, qui ont
permis l'émergence du concept de développement durable.
Ce terme est utilisé largement, par les
géographes comme par les écologistes, les économistes et
les sociologues. Il s'est imposé dans le langage courant. Le
développement durable est avant tout un développement viable sur
le plan économique, qui se veut équitable sur le plan social et
durable sur le plan environnemental. Ces trois piliers du développement
durable sont indissociables, mais ils ne peuvent s'articuler les uns avec les
autres que si le contexte démocratique et citoyen les met en
cohérence et leur donne une efficacité systémique.
La viabilité économique est nécessaire
pour produire le bien-être matériel. L'équité
sociale est nécessaire pour la qualité de vie de tous. La
durabilité environnementale est nécessaire dans
l'intérêt des générations futures. Inscrite dans le
processus de développement, elle ne peut signifier la conservation en
l'état de l'existant, mais elle implique que l'environnement
légué aux générations futures donne à
celles-ci les conditions pour penser et réaliser leur propre
développement.
Les trois piliers du développement durable que sont
l'environnement, l'économie et le social, ne sont donc pas des
contraintes qui, chacune, devrait limiter ses ambitions pour ne pas
ébranler les deux autres. Il ne s'agit pas de brider le
développement pour ne pas agresser la nature, ni d'être timide en
matière de justice sociale pour ne pas gêner l'économie,
mais d'inventer un mode de développement où chacune des
dimensions constitue un atout pour le système d'ensemble.
Ainsi pensé, le développement durable est un
objectif difficile que certains jugeront utopique. N'est-ce pas parce que le
développement lui-même est une utopie ? Le développement
est un processus de progrès de la qualité de la vie à qui
il serait arbitraire de fixer un terme, mais auquel il est nécessaire de
fixer un cap (Bret,2006).
Page 30 sur 227
La Solidarité Internationale
Un des corolaires du développement de Truman est le
devoir de solidarité des nations développés envers les
nations sous-développés. La Solidarité Internationale se
définit comme l'ensemble des initiatives qui permettent, l'éveil
des consciences des citoyens au sujet des inégalités ou
injustices entre pays ou entre un pays et des entités d'autres pays, ou
entre les individus d'un pays..., de permettre à chacun de comprendre
les causes de ces injustices afin de, tant que possible, agir manière
solidaire pour les combattre ou les résoudre. On peut distinguer deux
types de pratiques de la Solidarité Internationale. Une pratique
politique voir géopolitique illustrée par la création
d'organismes internationaux (FMI, Banque Mondiale, ONU, etc...), la mise en
place par les Etats d'une Aide Publique au Développement et
d'entités paraétatique (Agence Française de
Développement). Mais également une pratique citoyenne
illustrée par l'essor des ONG depuis 1945.
Le terme Organisation Non Gouvernementale (ONG) est née
de l'article 71 du chapitre 10 de la Charte des Nations Unies qui donne un
rôle consultatif à des organisations ne faisant pas partie d'un
gouvernement. La première définition du terme ONG voit le jour
dans la résolution 288 du Conseil économique et social des
Nations Unies : ainsi une ONG est « une organisation internationale qui
n'est pas fondée par un traité international ».
La pratique citoyenne de la Solidarité Internationale a
évolué au cours du temps. De la fin de la Seconde Guerre mondiale
jusque dans les années 60, la Solidarité Internationale a
été essentiellement motivé par « Charité
Chrétienne ». On peut citer l'exemple de l'Association Care qui a
été fondée par des Européens immigrés aux
Etats-Unis et des Américains afin de venir en aide aux populations
européennes sinistrées ou du Comité Catholique Contre la
Faim et pour le Développement (aujourd'hui CCFD-Terre Solidaire)
première ONG française de développement.
C'est après la décolonisation que les ONG ne se
sont plus seulement focalisées sur les victimes de guerre mais ont
commencées à participer au développement des
sociétés du « Tiers-monde », ce qui marqua
l'émergence de l'Aide au Développement. Les conflits
sécessionnistes du Biafra (1968) et du Bangladesh (1970), ont fait
émerger le Sans frontiérisme, avec des structures tels que
Médecins sans Frontières. Il y a eu à partir des 80 une
émergence des ONG dans les pays dit « du Sud », notion qui a
remplacé celle de pays du « Tiers-monde » et de pays «
sous-développés ».
Page 31 sur 227
Cette émergence révèle la prise de
conscience des populations bénéficiaires de l'Aide au
Développement de la nécessité de passer de simple
bénéficiaire à partie prenante de leur
développement. La conséquence de ce changement de
mentalité transforme les relations de coopération entre acteurs
mais également entre Etats. La politique de décentralisation a
permis l'émergence des collectivités territoriales. Des
coopérations décentralisées sont nées de
l'autonomie financière accru des collectivités territoriales et
de la multiplication des actions de la part de citoyens et d'ONG
dépendant de ces collectivités en Europe comme en Afrique de
l'ouest.
Depuis les années 1990 et l'avènement de
l'Altermondialisme, le nombre d'acteurs et d'actions de Solidarité
Internationale a augmenté et a complexifié la pratique de la
cette dernière. L'émergence de la société civile et
l'accélération de la décentralisation a transformé
la pratique du développement jusqu'alors domaine exclusif de l'Etat en
Afrique de l'ouest. Cette société civile, en transcendant sa
seule vocation de contrepouvoir s'est muée en acteur majeur du
développement. Connaissant le potentiel et les limites de son continent,
elle milite en faveur d'un renouveau des relations entre l'Afrique et le reste
du monde. Son action suit donc deux logiques. La première dite «
up-down », mène à l'action politique. Ce n'est qu'avec un
renouveau politique en rupture avec le passé que l'Afrique pourra se
développer. Cependant, ce renouveau politique est sine qua non
d'un renouveau de pratique de la citoyenneté.
La seconde logique dite « bottom-up » mène
à l'initiative citoyenne et à la multiplication de projets de
développement menés localement afin de sensibiliser les
populations et transformer les mentalités et pratiques.
Les dynamiques associatives bénévoles
françaises et ivoiriennes sont croisées. Vieillissantes en
France, elles peinent à se renouveler et à attirer. Un
décalage d'approches et de pratiques, existe entre « une ancienne
» et « une nouvelle génération ». La
technocratisation de la Solidarité Internationale, illustrée par
les appels à projets, a précipité la professionnalisation
du milieu associatif. En Afrique, les acteurs associatifs, à l'image de
la population, sont majoritairement jeunes, volontaires, éduqués
mais non qualifiés en ce qui concerne la coopération
internationale et la gestion de projet de Solidarité Internationale.
Dans le souci de s'inscrire dans une logique de transfert de
compétences, étape indispensable à l'autonomisation et la
pérennité des projets plus que
Page 32 sur 227
d'assistanat, considérée néocoloniale de
la part de la nouvelle génération d'acteurs, les acteurs
associatifs ouest africain collaborent de plus en plus avec des professionnels
de la Solidarité Internationale.
Nous avons vu que la construction de l'exercice citoyen est le
résultat d'un long processus. A l'échelle du monde, il a
été conditionné par la représentation et la
pratique du cosmopolitanisme. De la part des nations, à travers
l'établissement d'un cosmopolitisme politique qui régule les
relations internationales mais également de la part des individus,
traduit par l'émergence de la Citoyenneté Mondiale. Si
l'avènement du développement marque l'acceptation d'un droit
inaliénable des populations au bien être, le développement
durable rappelle à l'humanité la finitude de l'oekoumène.
C'est dans ce contexte que la Côte d'Ivoire, indépendante depuis
1960 poursuit sa construction démocratique et citoyenne. Avec une
population jeune, à prédominance rurale, l'enjeu de la
transformation des mentalités et des pratiques en vue d'un
développement durable apparaissent cruciaux, tant l'impact du
dérèglement climatiques pourrait être désastreux
pour ce pays qui panse encore les vives plaies de sa douloureuse construction
identitaire.
Page 33 sur 227
D. La société civile ivoirienne
D'une définition de la société civile
ivoirienne
René Otayek met en avant que l'émergence de la
société civile, à partir de 1990 en Côte d'ivoire et
plus globalement en Afrique de l'ouest témoigne du démarrage d'un
processus de transition démocratique au sein des pays d'Afrique
francophone. Cette émergence de la société civile
révèle également une problématique relative
à son analyse politique, dans la mesure où sa définition
trop large permet encore son instrumentalisation politique.
Comprendre la nature et le fonctionnement de la
société civile d'un pays ouest africain tel que la Côte
d'ivoire permet de mieux appréhender la question des changements
politiques que l'Afrique connaît depuis une trentaine d'années
maintenant. Elle est donc à mettre en corrélation avec la
problématique anti-autoritaire et la remise en cause quasi-universelle
des modes de régulation politiques caractérisés par la
prééminence absolue de l'Etat. Tel est le cas en Côte
d'ivoire où la rhétorique de la société civile
s'impose avec d'autant plus de vigueur qu'elle s'articule autour de
l'idée que la société civile a un rôle majeur
à jouer dans la démocratisation et le développement
économique du pays libéré depuis 1990 du joug du parti
unique.
Aussi populaire qu'imprécis, le concept de
société civile est un concept « vénérable
» mais « fuyant » (C. Young, 1994), « ambigu » (V.
Pérez-Diaz,1993), « gadget » (D. Lochak, 1986) voire «
mythique » (J.-J. Chevallier,1986). Nous sommes face à un concept
éminemment polysémique dont la difficulté de
définition est compensée par la richesse et la complexité
de la généalogie scientifique (Otayek,2009).
Comme Seligman nous admettons que l'idée de
société civile se réfère à celle de
civilité. Celle-ci, au coeur des relations sociales implique l'existence
d'une vision éthique de l'ordre social et de l'harmonisation entre
intérêts individuels et bien commun, partagée par
l'ensemble des individus d'une société (Seligman, 1992).
L'imprécision de ce concept favorise la remise en cause
de sa pertinence en tant qu'outil d'analyse des processus de transition et de
consolidation démocratique engagés en Côte d'ivoire, dans
la mesure où son instrumentalisation politique rend difficile la lecture
claire des relations entre acteurs de la gouvernance. Alors que le monde
plébiscite l'émergence
Page 34 sur 227
d'une société civile internationale, figure
vertueuse de l'opposition altermondialiste à la mondialisation
libérale, la méfiance caractérise la relation des
ivoiriens à la société civile.
La société civile ivoirienne peut être
analysée selon deux conceptions opposées. La première,
contractuelle, identifie la société civile à l'Etat, y
voyant l'élément autorisant la distinction entre la
société politique organisée et l'état de nature.
C'est la conception des philosophes du 18ème siècle. La seconde,
repose sur une opposition entre l'Etat et la société et entre
intérêts publics et privés incarnés par l'opposition
entre doctrines libérales et marxistes (Otayek,2009).
Pour les libéraux, la société civile
constitue l'espace d'harmonisation des intérêts privés, sur
la base d'un contrat social excluant par principe l'intervention d'un Etat qui
se poserait comme le garant du bien commun. Pour les marxistes, il y a
inéluctablement opposition, mais entre dominants - qui contrôlent
l'Etat et les moyens de production - et dominés. La production
contemporaine de la société civile renvoie ainsi à trois
ordres de critiques : celui du marxisme, celui de la nature et du culte de
l'Etat, et celui du totalitarisme, tel qu'il s'exprime à partir des
années 1970 (M.Offerlé, 2003).
Paradoxalement l'émergence de la société
civile est étroitement liée à la montée de
l'individualisme dans la société ivoirienne dans la mesure
où sans l'affirmation d'une citoyenneté « libre et
égalitaire » symbole de la primauté de
l'intérêt individuel sur l'intérêt collectif, son
existence est difficile à concevoir (A. Seligman,1992).
Bernard Badié souligne que cette individualisation de
la société a pour conséquence de modifier les pratiques
sociales. La Côte d'ivoire vit actuellement une période de
transition où les liens sociaux fonctionnels tels que les relations
entretenues dans l'espace public supplantent peu à peu les liens de
solidarités « mécaniques », inhérents aux
relations de filiations ethniques et familiales, héritages de la
société précoloniale. Cette représentation nouvelle
de la pratique sociale, vient bouleverser la culture politique et civique
ivoirienne, où intérêts publics et privés
s'amalgament encore trop souvent (B. Badie,1992).
L'émergence de la société civile
ivoirienne à partir des années 1990, est en définitive
à mettre en corrélation avec la fin du totalitarisme «
houphouëtien » qui a permis dès lors l'espérance d'un
idéal de société s'appuyant sur la distinction du public
et du privée,
Page 35 sur 227
l'individualisation des relations sociales et la
primauté des solidarités horizontales sur les allégeances
verticales.
Si l'on considère l'association comme la condition
sine qua non de l'existence de la société civile, on
peut néanmoins se questionner si son existence induit de fait de
l'existence d'une société civile « politisée »,
et de ce fait de la culture démocratique en Côte d'Ivoire. La
question est importante, en particulier au regard des thèses de R.
Putnam (1993, 1995) sur le « capital social ».
Le capital social peut être défini comme un stock
de ressources sociales (confiance, normes de réciprocité
généralisée, engagement civique) ayant le pouvoir de
faciliter la coopération, donc de renforcer l'efficacité de
l'action collective et de la participation citoyenne, et de favoriser ainsi la
régulation démocratique. On peut donc affirmer que plus une
société coopère, plus conséquent est le capital
social et plus la démocratie a de chances d'être effective
(Otayek,2009).
Pour Michel Camau, si les associations constitutives de la
société civile n'entrent pas dans un processus de politisation,
leurs actions ne saurait engendrer d'« investissement démocratique
» des citoyens comme des dirigeants politiques. En Côte d'ivoire,
les associations ne se donnent pas toujours des objectifs civiques ou
d'intérêt collectif et sont susceptibles de servir des
intérêts privés. Leur contribution au développement
d'une culture démocratique est donc loin d'être toujours
avérée (Camau,2002).
Les associations ivoiriennes, dont les fonctions principales
ont été en premier ressort les entraides ethniques et
communautaires ont pu être instrumentalisées comme « fusible
» permettant d'éluder toute contestation politique sérieuse.
Plusieurs Etats autoritaires subsahariens ont également entrepris
d'instrumentaliser la société civile, non sans succès, la
vigueur du principe associatif témoignant de l'incomplétude de la
domination étatique. La critique du culturalisme absolu serait
incomplète si la problématique de l'individualisation
posée par Seligman, sans laquelle l'existence de la
société civile était impossible dans les
sociétés holistes subsahariennes n'est pas mentionnée
(Otayek, 2009).
Pourtant, les recherches anthropologiques les plus
récentes tendent à nuancer très sensiblement notre
perception de ces sociétés, en y identifiant des processus
multiformes
Page 36 sur 227
d'individualisation, en particulier dans les milieux urbains
(Marie, 1997). La thèse centrale qui oriente ces recherches est que les
différentes crises économiques qu'ont traversé les Etats
africains ont jusqu'ici profondément déstabilisées les
systèmes communautaires de solidarité tout en fragilisant les
réseaux clientélistes qui permettaient une certaine
redistribution.
On assisterait donc, en réaction, à l'amorce
d'un processus d'individualisation dont témoigneraient l'explosion du
secteur informel, la généralisation des « petits boulots
», la montée de la criminalité ou la multiplication des
dissidences religieuses, en rupture avec l'ordre traditionnel. Mais les auteurs
de ces recherches anthropologiques n'assimilent pas ces processus à ceux
qui ont mené à l'émergence de l'individu en Occident. Ils
préfèrent plutôt parler d'une trajectoire africaine en la
matière, fruit d'un compromis dynamique entre l'individualisation
subjective et la recomposition des solidarités communautaires.
On peut d'avantage relativiser la thèse de Seligman,
pour autant qu'on la mette en perspective avec l'hypothèse de Christophe
Jaffrelot selon laquelle l'émergence d'une société civile
et de la démocratie dans les sociétés prétendument
holistiques est susceptible de se réaliser au travers de la
capacité des groupes « organiques » à s'organiser en
politique. L'ethnie, la caste ou encore la tribu semblent donc être le
cadre structurant d'une société civile non-individualiste, le
groupe faisant fonction d'individu collectif au sein duquel s'exprimeraient les
stratégies individuelles (Otayek,2009).
Fondement de l'action de la société civile
ivoirienne
L'entrée de la Côte d'ivoire en situation de
crise politique a manifestement surpris la communauté internationale. La
locomotive d'Afrique de l'Ouest, le modèle économique gagnant et
le bon exemple d'intégration sociale se sont effondrés le 24
décembre 1999. Si avant cela le développement du pays est surtout
une question d'investissements dans de grandes infrastructures,
désormais les problématiques sont plus celles de situations de
sous-développement assez aigues. Que ce soit dans les quartiers
populaires caractérisés par un habitat toujours plus informel
où l'accès aux services de base est presque impossible (eau
potable, assainissement, santé, éducation, etc.) ou en milieu
rural. Pour la première fois depuis des décennies la
pauvreté se généralise non seulement dans le Nord du pays
mais aussi dans les régions plus développées du Sud.
Page 37 sur 227
L'enquête concernant le niveau de vie des
ménages, conduite par l'Institut National de la Statistique de
Côte d'ivoire en 2008, donne des indications précises relatives
à l'évolution des dépenses de ménage ainsi qu'aux
structures de la pauvreté en Côte d'Ivoire. Elle a servi à
la préparation du Document de Stratégie de la Relance du
Développement et de Réduction de la Pauvreté (DSRP).
Une comparaison des résultats des enquêtes 2002
et 2008 sur les dépenses des ménages, permet de constater une
baisse de 25 % de ces dépenses entre ces deux dates passant de 461 243
FCFA (704€) en 2002 à 342 730 FCFA (523€) en 2008 et à
laquelle il convient d'ajouter l'impact de l'inflation entraînant une
baisse du pouvoir d'achat réel de 45 % en moyenne et conduisant
près de la moitié de la population au-dessous du seuil de
pauvreté soit 220 000 FCFA (336€) par personne et par an en
2008/2009 (Floridi et Verdecchia,2010).
Si la dépense moyenne annuelle par individu
était de 342 730 FCA (523€) en 2008, des écarts importants
existent cependant entre les différentes zones du pays allant de 191.540
FCFA (292€) dans la zone Nord à 561 575 F CFA (857€) à
Abidjan.
La décennie de crise (2002-2011) traversée par
le pays est donc marquée par l'augmentation du nombre de pauvres (38,4 %
de la population totale en 2002 ; 48,9% en 2008) mais s'inscrit cependant dans
une tendance lourde constatée depuis plusieurs décennies puisque
ce taux n'était que de 10 % en 1985.
Pour la période 2002-2008 la pauvreté rurale
représente le double de celle en zone urbaine et a très fortement
augmentée dans le Centre-Nord, le Nord, et dans une moindre mesure dans
le Centre-Ouest, le Centre et le Sud.
Ce sont bien les Ivoiriens comme les partenaires techniques et
financiers actifs dans le cadre de la coopération au
développement qui ont été désorientés par ce
processus de dégradation rapide. L'approche de la sortie de crise
adoptée à partir de 2003 est celle de l'urgence où les
protagonistes principaux sont les acteurs internationaux
spécialisés dans l'action humanitaire. Malheureusement, il
apparait clair que l'on peut qualifier leur réaction de « partielle
» tant l'approche et la posture des acteurs internationaux
spécialistes de l'humanitaire ont été celles de l'urgence
et non du développement.
Page 38 sur 227
Avec l'installation longue de la crise, ce sont donc les
logiques et approches humanitaires qui ont prévalues avec des
conséquences négatives sur le fonctionnement des Organisation de
la Société Civile (OSC) ivoiriennes existantes à
l'époque et avec une très forte influence sur la dynamique plus
générale de la société civile.
Bien évidemment l'approche humanitaire n'est pas
négative en soi mais elle n'a de sens que dans le court terme. Si une
telle approche est perpétuée dans le temps, le risque est
d'alimenter un cercle vicieux qui éloigne toujours plus la
possibilité d'inventer le futur et de résoudre les
problèmes structuraux, tant sur les plans économiques, politiques
et sociaux, et donc d'agir dans une optique de moyen et long terme.
En d'autres termes, les logiques et les approches humanitaires
adoptées dans un contexte d'urgence, peuvent augmenter davantage
l'urgence si elles inspirent le seul mode opératoire possible des
propositions techniques et financières. C'est justement le cas de la
Côte d'Ivoire où l'urgence est devenue pérenne
également parce que les outils pour la combattre en
réalité ne font que la reproduire. Finalement, le cercle vicieux
s'instaure et le court terme s'impose comme le seul contexte qui justifie
l'intervention extérieure.
Dans ce cadre, le risque est que la sortie de la crise soit le
seul univers sémantique possible pour agir dans une temporalité
où imaginer ce qu'il y a au-delà de la crise devient impossible
simplement parce qu'une génération entière n'a vécu
que dans cette condition de « pérenne urgence ». Certes, il
est difficile d'imaginer que des partenaires techniques et financiers puissent
agir et investir dans un pays dont le présent est désormais
cristallisé et le futur incertain. Cela produit un bouleversement non
seulement de la manière de concevoir la solidarité internationale
mais aussi du rôle de la société civile et de ses
organisations (Floridi et Verdecchia,2010).
En effet, trop souvent les partenaires techniques et
financiers, plus spécifiquement les ONG internationales
considèrent les OSC ivoiriennes comme des prestataires de services. Au
lieu de les accompagner ou d'accompagner les processus sociaux dans lesquels
elles s'inscrivent dans la perspective de valoriser leur rôle d'acteur de
développement, on « achète » simplement leurs
activités selon des directives et des choix qui sont faits ailleurs.
Dans ce contexte de crise pérenne, les bailleurs interviennent souvent
sur des problèmes très ponctuels selon la logique de l'urgence
sans pour autant jamais intervenir sur les
Page 39 sur 227
racines de ces problèmes. C'est le cas, par exemple, de
l'enfance abandonnée qui fait l'objet de plusieurs interventions de la
part d'organisations et ONG internationales ou celui du SIDA qui est devenu un
des secteurs de l'urgence le plus « économiquement rentable »
pour les OSC ivoiriennes.
Dans ce cadre, il n'est pas étonnant que des
coopérations bilatérales, comme celle de la France, optent pour
une forme d'attentisme en évitant d'appuyer les acteurs de la
société civile qui pourraient s'avérer fondamentaux pour
la sortie de la crise et l'avenir du pays et ouvrent un guichet pour financer
des petits projets dont la logique et l'efficacité restent à
prouver.
Ce n'est pas étonnant non plus que la GIZ (agence
allemande de la coopération internationale) pour ses projets et actions
de coopération, surtout dans le domaine de la justice,
préfère la collaboration avec le secteur privé y compris
les bureaux d'études ou les associations professionnelles de magistrats
et d'avocats, car il est plus « motivé » que la
société civile qui en réalité serait, hormis
quelques exceptions, « léthargique ».
Par ailleurs il est intéressant de noter que la GIZ est
parmi les rares acteurs qui ont refusés l'approche de l'urgence et de
l'humanitaire et qui travaillent exclusivement dans une optique de
développement. En réalité à la base du comportement
des bailleurs il y a toujours la même attitude : vivre dans l'attente que
le pays sorte de sa crise sans pour autant s'attaquer véritablement aux
causes profondes qui sont à son origine. Impliquer des acteurs qui
pourraient assurer, comme la société civile, le saut qualitatif
nécessaire dans l'exercice difficile du dialogue social et politique
devient une entreprise impossible si l'on reste dans l'univers
sémantique de l'humanitaire. Et ce, surtout parce que les acteurs de la
société civile ne sont plus légitimés ni
motivés à exercer leur rôle d'acteurs de
développement.
Sortir de la crise c'est donc avant tout sortir de la logique
de sortie de crise tout en commençant à imaginer le futur et
à ce qu'il y aura au-delà du mur de cette crise qui peut sembler
infinie lorsque qu'elle atteint son paroxysme. En d'autres termes, il faut
commencer à « sortir de la sortie de crise » et à
considérer cela non comme la seule prérogative du pouvoir
politique ou des institutions mais surtout comme une aptitude de la
société ivoirienne toute entière, et notamment de la
société civile.
Page 40 sur 227
Pour ce faire il faut que l'énergie sociale des
Ivoiriens soit canalisée sur des objectifs qui puissent aller aussi
au-delà des simples mais non moins difficiles « élections
démocratiques et apaisées » et qui puissent investir la
possibilité même d'imaginer le futur et les solutions pour y
arriver. C'est justement le rôle qui incombe à la
société civile et surtout à ses organisations collectives,
de celles qui sont actives au niveau de la base dans les villages et les
quartiers du pays jusqu'aux organisations faîtières.
En somme, il s'agit de faire en sorte que les organisations de
la société civile puissent canaliser cette énergie sociale
vers les objectifs du développement du pays selon une perspective de
dialogue social et politique avec les autres acteurs. Dans ce sens il faut que
les organisations de la société civile aient le courage et la
détermination d'affirmer que leur rôle ne peut pas être
cloué uniquement à la prestation de services, comme
malheureusement la tendance et l'approche de bon nombre des partenaires
techniques et financiers induisent.
En effet, la société civile a aussi une autre
fonction fondamentale : être un acteur de dialogue sur les politiques et
les stratégies nationales et sectorielles de développement. Pour
ce faire les organisations collectives de la société civile qui
ont une orientation à la responsabilité sociale et qui agissent
selon la perspective de l'intérêt collectif, doivent commencer
à s'intéresser à leur investissement au sein d'un espace
public qui doit tout d'abord être construit et ensuite géré
avec toutes les autres familles d'acteurs, étatiques et non
étatiques (Floridi et Verdecchia,2010).
De la typologie de la société civile
ivoirienne
La société civile ivoirienne est composée
de l'ensemble des acteurs collectifs qui agissent au niveau local,
régional ou national et qui sont porteurs d'une orientation à la
responsabilité sociale. Ces acteurs de la société civile,
dans ces conditions, expriment une intentionnalité et opèrent en
faveur du développement social et économique de leur propre
territoire, dans l'intérêt général, souvent à
travers la production de biens ou de services d'intérêt public, en
concertation avec les acteurs publics compétents.
Pour définir une typologie des dynamiques de la
société civile ivoirienne nous nous appuierons sur une analyse
différenciée selon 4 niveaux d'analyses qui définissent
quatre types de structure couramment utilisés par les chercheurs et les
experts en mouvements
Page 41 sur 227
associatifs. Cette typologie suggérée
également par le « Manuel à l'usage des acteurs non
étatiques » promu par le Secrétariat Afrique caraïbes
Pacifique (ACP), permet en outre d'éviter toute confusion sur le
rôle et le positionnement de chacun des acteurs présents au sein
de la société d'un pays, mais aussi d'éviter la mise en
concurrence entre acteurs qui ne peuvent pas partager le même point de
départ. En effet, les valeurs, la mission des organisations, les
compétences techniques, le fonctionnement et le leadership d'un acteur
de base ne peuvent pas être comparés avec ceux d'une organisation
faîtière de niveau supérieur même s'ils agissent dans
le même secteur ou domaine d'activités.
Figure 2: Typologie des acteurs de la société
civile ivoirienne (UE,2010)
Notre typologie se base sur quatre niveaux d'analyse (ou de
structuration) qui sont présentés dans la figure ci-dessus. Dans
cette figure, chacune des 4 grandes flèches reportées dans la
colonne gauche représente un des 4 niveaux de structuration des acteurs
non étatiques, à savoir (du haut vers le bas) : les organisations
faîtières de 4ème
Page 42 sur 227
niveau ; les organisations faîtières de
3ème niveau ; les organisations intermédiaires et
d'accompagnement ; et les organisations de base.
Les organisations de bases
Les organisations de base regroupent les coopératives,
les organisations socio-économiques, les syndicats de paysans, les
associations féminines, de jeunes, culturelles, sportives, groupements
d'intérêt commun, etc. Constituées en milieu rural et
urbain, sous l'initiative d'un groupe de personnes qui s'associent pour
proposer des solutions conjointes à des problèmes du contexte
local immédiat, défendre leurs droits ou améliorer leurs
conditions de vie et d'accès aux services publics (santé,
éducation, etc.).
De manière générale, les organisations de
base semblent disposer d'un fort potentiel dans la recherche de solutions
« collectivisées » aux nombreux problèmes posés
par un contexte difficile, tant sur le plan de la pauvreté que de
façon générale sur des problématiques politiques,
sociales voire aussi sécuritaires, que la Côte d'Ivoire connait
depuis quelques années (Floridi et Verdecchia,2010).
En première analyse, bon nombre de ces organisations
dont l'origine se trouve dans la tentative de faire face à une crise
qui, au niveau de certaines régions a été et continue
à être, assez critique. En effet, même là où
l'environnement semble favorable pour les activités du secteur primaire,
et notamment pour l'agriculture, ce sont l'accès aux services basiques,
en particulier la santé et l'éducation ainsi que
l'écoulement et la commercialisation de produits divers qui
représentent autant d'entraves au développement de ces zones et
ce également du fait de la situation déficitaire sur le plan de
la sécurité.
En réalité, les organisations de base
n'échappent pas à la logique de la « sortie de crise »
que nous évoquons depuis le début de notre propos. Au nom de
laquelle les dynamiques sociales y compris à la base, semblent avoir
pris une autre trajectoire, plus précisément celle liée
aux logiques de l'intervention humanitaire. Cela semble assez évident
à l'analyse du comportement des organisations de base autour de 5 axes
fondamentaux ou variables tels que :
·
Page 43 sur 227
La mission
· Le processus d'institutionnalisation et la
consolidation
· L'ouverture de l'organisation vers l'extérieur
· Le système de financement
· Les besoins en renforcement de capacités
Le premier élément à prendre en compte
est l'information relative à l'année de création des
organisations de base. En effet, bien que certaines organisations soient
nées avant le début de la crise on remarque qu'à partir de
2004, nous avons une importante croissance du nombre de création
d'associations.
Contrairement aux autres pays de la sous-région, en
Côte d'Ivoire la création des organisations de base semble
être liée aux besoins des partenaires techniques et financiers ou
des ONG nationales et internationales impliquées dans la conduite
d'actions humanitaires plutôt qu'à la concrétisation d'une
dynamique sociale et associative visant l'accès des populations aux
services sociaux de base, l'augmentation des revenus des ménages et un
meilleur respect des droits fondamentaux.
Ces différences témoignent d'un lien très
fort entre la demande des partenaires techniques et financier et des ONG
nationales et internationales et la mission dont se sont dotées les
organisations de base. Si l'on prend par exemple la région de Korhogo en
2010, 31,8% des organisations ont déclaré avoir dans leur mission
l'engagement en faveur de la situation des femmes, alors qu'aucune organisation
d'Abidjan n'a mentionné cet aspect. Quant à la région de
Bouaké, à peine 3,2% (en réalité 1 seule
organisation) ont au coeur de leur mission les questions de genre.
En nous interrogeant sur une telle disparité existante
au sein d'un même pays nous pouvons nous rendre compte que cette
disparité provient très probablement d'un effet induit
auprès des organisations de base par les exigences des partenaires
techniques et financier et des ONG nationales. C'est en déterminant des
conditions d'accès spécifiques aux financements que les
partenaires techniques et financiers et ONG nationales comme internationales
influent ainsi non seulement le processus de création des organisations
de base mais aussi le fondement de leur mission (Floridi et
Verdecchia,2010).
Page 44 sur 227
A cela il faut ajouter qu'une bonne part des missions
revendiquées par les organisations ne sont pas tellement compatibles
avec la perception et les dynamiques propres à une organisation de ce
type.
En effet, si le développement d'un village de l'ouest
ou d'un quartier d'Abidjan dont l'entraide entre les membres et même
l'assistance aux immigrés peuvent rentrer très fréquemment
parmi les buts d'une organisation de base, il est beaucoup plus rare de trouver
des aspects tels que les questions de genre, la protection de l'enfance ou les
thématiques de la démocratie et la gouvernance qui sont
plutôt propres à des organisations de deuxième niveau de
structuration.
De même, l'importante ferveur autour de l'allocution
« lutte contre la pauvreté » auprès des organisations
de base ne reflète pas le rôle que d'habitude une organisation de
base joue au sein de son contexte social. Ce qui nous amène à
affirmer qu'une certaine tendance à se comporter comme des ONG est assez
présente chez les organisations de base au moins sur le plan de
l'intention (Floridi et Verdecchia,2010).
Les organisations de deuxième niveau
Le deuxième niveau de structuration est composé
par les acteurs formellement constitués et avec un niveau avancé
de structuration, orientés à la responsabilité sociale,
qui travaillent au bénéfice de la population et de ses formes
organisationnelles du premier niveau, qu'ils accompagnent. Les ONG de
développement, les organisations à but non lucratif
d'accompagnement de dynamiques de développement, les associations de
Droits de l'Homme, les organisations syndicales, etc. appartiennent à
cette typologie.
Quant au deuxième aspect qui nous sert à
comprendre la mission des organisations deuxième niveau, celui des
domaines d'intervention, le cadre général présente un
double intérêt : d'une part le nombre de domaines d'intervention
revendiqués et de l'autre le type de domaine de ces interventions.
Pour ce qui est du nombre de domaines d'intervention, il
ressort très clairement que les organisations ivoiriennes de
deuxième niveau manifestement des organisations «
Page 45 sur 227
généralistes ». En effet si l'on prend en
considération la moyenne de domaines de spécialisation
revendiqués par ces organisations, la moyenne nationale est de 5 par
organisation.
Cette donnée illustre très clairement ce qu'on
peut nommer « dérive généraliste » des
organisations ivoiriennes de deuxième niveau, dont le comportement n'est
guidé que par la recherche des financements. Or, en
réalité une organisation de 2ème niveau ne peut en
principe opérationnelle de manière efficace que si elle s'engage
dans 2 ou 3 domaines d'activités maximum. Au-delà de ce seuil
pour ainsi dire « physiologique », l'action risque de ne plus
être cohérente avec la mission vu qu'il est assez rare qu'au sein
de l'organisation l'on puisse trouver les compétences,
l'expérience et le temps pour opérer dans plus de trois domaines
(Floridi et Verdecchia,2010).
En réalité, pour pallier à cette
contrainte les organisations de deuxième niveau ont recours à un
recrutement exogène, le personnel dont elles ont besoin pour la mise en
oeuvre d'activités qui ne rentrent pas dans le cadre de leurs
compétences. En agissant de la sorte, l'organisation prends le risque de
se transformer en un petit bureau d'étude qui adopte une logique
marchande plutôt que celle propre aux organisations de la
société civile où la vision et la vocation revêtent
une fonction primordiale aux fins de la survie même de l'organisation.
Bien évidemment, ce comportement ne pourrait pas
s'expliquer uniquement par le fait d'une dynamique vicieuse exclusivement
endogène. En effet, la présence de partenaires techniques et
financiers qui agissent pour la plupart dans l'humanitaire et qui sont
demandeurs de collaborations, souvent dans l'optique de la sous-traitance,
représente de fait une incitation au rôle de prestataires de
services des OSC plutôt que celui d'acteurs de développement.
Il s'agit en réalité d'une véritable
« dérive généraliste » des OSC de 2ème
niveau dont la plupart se positionnent comme des « fournisseurs » de
services pour les partenaires techniques et financiers, ces derniers
étant souvent trop cloués au statu quo de l'univers
sémantique de la « sortie de crise » (Floridi et
Verdecchia,2010).
Page 46 sur 227
Les organisations de troisième niveau
Le troisième niveau est composé par les
organisations faîtières fondamentalement coordinations,
fédérations et réseaux, constituées par un
collectif d'organisations qui décident de s'associer et de collaborer
selon une logique thématique et/ou géographique. L'organisation
découlant de cette collaboration est souvent conçue et
perçue comme un espace d'échanges, de communication et de
concertation entre les organisations membres, ainsi qu'un outil pour la
prestation de services aux organisations membres dans des domaines comme le
renforcement de capacités, la projection à l'extérieur, la
défense des intérêts du collectif, etc.
Les organisations de quatrième niveau
Les plateformes et les espaces de concertation, qui composent
le quatrième niveau, sont constitués d'organisations
faîtières" (c'est à dire, composées souvent de
réseaux, de coordinations nationales et locales, etc.) qui se
caractérisent par leur degré de souplesse et de
perméabilité (la structuration est pratiquement inexistante ;
souvent il n'existe pas une formalisation de la relation entre les membres).
Elles sont créées pour "faire front commun" face à une
problématique externe commune ; face aux pouvoirs publics, etc.
Cette typologie des organisations de la société
civile nous permet, finalement, de comprendre le positionnement des
différentes organisations ainsi que les problèmes liés
à chaque niveau et les solutions à préconiser dans le
cadre d'un futur programme d'appui à la société civile. Si
les vocations et les caractéristiques des 4 niveaux de structuration des
OSC diffèrent de manière importante, l'analyse et les
stratégies d'intervention et d'appui devront donc tenir compte du
rôle que chaque niveau joue et peut jouer davantage dans le
développement de la Côte d'Ivoire.
En effet, si les organisations de base de premier niveau
peuvent assurer la mobilisation sociale et l'ancrage territorial, les
organisations de deuxième niveau peuvent mettre à disposition
leurs compétences parfois extrêmement pointues au service du
développement.
Quant aux organisations faîtières de
troisième niveau, elles peuvent faciliter l'accès aux ressources
de leurs membres, l'information et surtout la capitalisation des
expériences. Ce niveau est également fondamental pour assurer une
vision nationale des
Page 47 sur 227
problématiques de la gouvernance et du
développement, outre des actions de plaidoyer et de lobbying tant au
niveau des politiques que des conditions opérationnelles de leurs
organisations membres.
Enfin, les organisations faîtières de
quatrième niveau ont un rôle primordial non seulement dans le
dialogue politique sur les stratégies nationales de développement
mais aussi sur le plan de la coordination entre les différentes familles
d'acteurs non étatiques (Floridi et Verdecchia,2010).
Chaque niveau de structuration, grâce à son
rôle et son positionnement stratégique spécifiques, peut
apporter sa propre contribution tant aux efforts du pays dans la bonne
gouvernance et la lutte contre la pauvreté que dans cette phase de
« sortie de crise » que le pays est en train de vivre. Cette
stratégie de la différenciation s'avère donc pertinente et
nécessaire pour que chaque niveau soit renforcé dans l'exercice
de ses fonctions et dans ses prérogatives au service de
l'intérêt collectif et du développement de la Côte
d'Ivoire.
Page 48 sur 227
2. Méthodologie et contexte de
l'étude
A. Méthodologie d'étude
Après avoir défini les concepts clefs de notre
étude dans cette première partie nous allons au cours de nos
seconds et troisième chapitre nous intéresser au processus de
détermination de l'engagement citoyen et de l'action citoyenne en
Côte d'ivoire depuis 1960 puis aux actions de la société
civile en matière de développement afin de répondre
à la problématique suivante :
Dans quelle mesure les organisations de la
société civile ivoiriennes agissent dans un contexte favorisant
la finalité de leurs actions, à savoir le changement social ?
Que ce soit d'un point de vue politique ou encore associatif
comme le démontre l'émergence de la société civile,
cet engagement a été défini par un long processus
entamé au lendemain de la seconde guerre mondiale lorsque la côte
d'ivoire était encore colonie française.
Aujourd'hui, après 10 ans de reconstruction suite
à la décennie de crise politico-militaire les bons
résultats économiques ne parviennent pas à assurer le
bien-être de l'ensemble de la population. La croissance
démographique, l'explosion urbaine et le dérèglement
climatique à venir vont se révéler être des
défis de taille à relever pour la nation ivoirienne qui se devra
d'apporter des réponses politiques, mais également citoyennes
afin que ces phénomènes entrainent des cycles vertueux et non
vicieux.
Afin de répondre à notre problématique
nous utiliserons une approche hypothético-déductive. La
méthode de l'approche hypothético-déductive est une
démarche scientifique qui consiste à émettre des
hypothèses et recueillir des données afin de vérifier ou
réfuter ses hypothèses. Celle-ci sera argumenter à l'aide
de travaux issus des sphères géographiques, sociologiques
,économiques mais également de par mes observations et d'une
enquête que nous avons pu mener lors de mon stage, afin de
répondre à nos 5 hypothèses que sont :
1-La stabilité politique, la sécurité du
pays et l'importante croissance économique qui fait de la Côte
d'ivoire la « locomotive » africaine au temps de Félix
Houphouët-Boigny est favorable à l'émergence
démocratique et citoyenne
2-
Page 49 sur 227
La notion de « l'ivoirité » caractérise
une xénophobie intrinsèque à la population ivoirienne
3- La pratique de la citoyenneté s'est brutalisée
pendant la décennie de crise politico-militaire
4- La paix et la reprise économique s'accompagnent d'un
meilleur respect des libertés individuelles et d'un changement par le
soutien de l'Etat ivoirien aux initiatives des organisations de la
société civile agissant en ce sens.
5- Les organisations de la société civile sont
préparées et opérationnelles à la mise en oeuvre de
projets de développement et plus spécifiquement ceux concernant
le changement social et alternance démocratique et ce de manière
autonome.
Page 50 sur 227
B. Contexte géographique de la Côte
d'Ivoire
Figure 3: Présentation de la Côte d'Ivoire
(France Diplomatie,2020)
Page 51 sur 227
La Côte d'Ivoire est un Etat dont le territoire de 322
463 km2 est située en Afrique de l'Ouest. Elle est frontalière du
Liberia et de la Guinée à l'Ouest, du Mali et du Burkina Faso au
Nord et du Ghana à l'Est. Le Golfe de guinée borde l'ensemble du
littoral au sud du pays. Le district d'Abidjan est composé de 13
communes, est la capitale économique de la Côte d'Ivoire.
Yamoussoukro est la capitale Politique.
Page 52 sur 227
Figure 4: Climat et végétation en Côte
d'Ivoire ( RABET, 2020)
Page 53 sur 227
En Côte d'Ivoire, on distingue, du Sud au Nord, trois
zones biogéographiques distinctes. La zone du Sud et de l'Ouest, en
dessous du 8ème parallèle, excluant le V Baoulé, est
caractérisée par une forêt primaire comprenant la
forêt littorale, la forêt ombrophile ou sempervirente de plaine,
les forêts et savanes de montagnes. Cette zone présente de nos
jours un aspect de forêt secondaire, avec des jachères et quelques
îlots de forêts primaires. Le « V Baoulé se localise au
centre de la Côte d'Ivoire. C'est un espace de contact entre la zone
forestière au sud et la zone de savane au nord. Dans cette partie
centrale de la Côte d'Ivoire, la végétation de la zone
bioclimatique pré forestière forme un « v » (carte 2)
Le « V » Baoulé est caractérisé, au niveau
climatique, par une transition entre le climat tropical humide au sud et le
climat tropical sec au nord (Gautier, 1990 ; Brou et al., 1998). C'est
un espace de forte densité de population rurale (Lassailly-Jacob, 1984).
La zone de savane soudanaise, au-dessus du 9ème parallèle, avec
des couloirs de forêts de galeries et ses forêts claires, est
composée de savanes arborées et arbustives. Entre ces deux zones,
se situe la zone de transition ou pré-forestière avec le V
Baoulé. Elle comporte une mosaïque de milieux, composée de
forêt mésophile (ou semi-décidue) et de savane.
Page 54 sur 227
Figure 5: Topographie de la Côte d'Ivoire (Vennetier P.
et al in Atlas de la Côte d'Ivoire 1978)
La topographie de la Côte d'Ivoire est
caractérisée par un relief peu élevé. Les terres
sont constituées en majeure partie de plateaux et plaines. Les altitudes
oscillent généralement entre 100 et 500 mètres, la plupart
des plateaux se situant autour de 200 à 350 mètres. L'ouest du
pays, région montagneuse, présente toutefois quelques reliefs
au-delà de mille mètres tel que le mont Nimba culminant à
1752 m.
Page 55 sur 227
Figure 6 : Pédologie de Côte d'Ivoire (Vennetier
P. et al in Atlas de la Côte d'Ivoire 1978)
97,5% de la surface du territoire ivoirien est composée
de formations cristallines issues de la formation géologique du craton
Ouest africain où nous retrouvons la dorsale de Man. Ces formations
cristallines sont bornées, au Nord par le bassin de Taoudéni
ainsi que par les Dahomélydes à l'Ouest, les Rockellides à
l'Est et l'atlantique au Sud. Trois processus de formation de la croute
terrestre ont contribué à la création de deux domaines
géologiques précambriens, « le libérien » et
« l'éburnéen ».
Page 56 sur 227
Figure 7 : Carte des ressources minérales de
Côte d'Ivoire (RABET & TOBBI, 2019)
Nous retrouvons dans le sol ivoirien plusieurs types de
minerais diversement exploités. Comme nous le présente la carte
n°4 nous avons (1) les région de l'or : Sanwi-Asupiri, Anuiri,
Hiré, Kokumbo, Bonikro, Yaouré, Korhogo et Ity ; (2) Les
régions de colombo-tantalité : Issia et Touvré ; (3) les
régions du nickel : Sipilou, Fongouessou, Touaoba, Moyango, Lefoi, Viala
et Saabela (4) les régions de bauxite : Digo-Mokouedou et Bangouanou ;
Et (5) les régions du fer : Mont Nimba et Mont Goa.
C. Contexte Socio-économique de la Côte
d'Ivoire
Figure 8 : Carte de la répartition de la population
ivoirienne sur le territoire (RABET,2020)
Page 57 sur 227
Figure 9: Carte des densités de population par
territoire en Côte d'ivoire (RABET,2020)
Page 58 sur 227
Répartition ethnolinguistique
Page 59 sur
227
Figure 10 : Carte de la répartition des principales
aires ethnolinguistiques de la Côte d'ivoire (RABET,2020)
Page 60 sur 227
La Côte d'Ivoire abrite plus de 60 ethnies
différentes réparties en quatre grands espaces linguistiques
ainsi :
· Dans le sud-est, nous retrouvons le groupe
akan/baoulé dont les langues principales sont « kwa »,
également présent dans moitié sud-ouest du Ghana ;
· Dans le sud-ouest, le groupe krou/bété
avec dont les langues principales sont « krou », présent
également dans la partie Sud-Est du Liberia ;
· Dans le nord-est, les Malinkés dont les langues
principales sont « voltaïques », sont les principaux occupants
du Burkina Faso et du nord du Ghana ;
· Enfin dans le nord-ouest, nous avons le groupe
mandé dont les langues principales sont « mandées »,
présent également dans l'est de la Guinée, l'ouest du Mali
et le nord du Liberia.
Ces espaces ethnolinguistiques, bien que transcendant les
frontières nationales, constituent un point de repère utile mais
ne suffisent en aucun cas à l'analyse sociopolitique ivoirienne. Les
espaces urbains ivoiriens sont aujourd'hui très mixtes, accueillant
toutes ethnies confondues. La crise politique qu'a connu la Côte d'Ivoire
a révélée des tensions d'ordre ethniques entre les
populations du nord et du sud, nous y reviendrons plus tard.
Page 61 sur 227
Le système agraire ivoirien
Figure 11 : Les cultures de rentes ivoiriennes (RABET &
TOBBI, 2020)
Les cutures de rentes composent l'essentiel de la balance
commerciale ivoirienne. Elles sont essentiellement cultivées au sud du
pays dans les régions ombrophiles.
Page 62 sur 227
Figure 12: L'agriculture vivrière en Côte
d'Ivoire (RABET & TOBBI,2020)
L'agriculture vivrière ou agriculture familiale est un
système agraire reposant sur des exploitations de petite dimension
travaillées chacune par une famille consommant une partie de sa
production. L'expression tend à remplacer d'autres termes
équivalents sans être exactement synonymes : agriculture paysanne
(pour insister sur la dimension sociétale majoritaire de ce
système dans certaines régions du monde encore largement rurales)
ou agriculture vivrière (pour insister sur l'autoconsommation).
L'agriculture familiale est très largement le fait des
pays dits du Sud où elle concerne plus de la moitié des actifs.
Elle occupe 2,6 milliards de la population humaine qui produit 70% de la
production alimentaire mondiale. L'agriculture familiale n'a pas disparu des
pays dits du « Nord » où elle représente une part
infime de la production, mais concerne quelques millions de très petits
producteurs, souvent non recensés dans la statistique
Page 63 sur 227
agricole qui ne comptabilise que les exploitations dites
professionnelles. L'agriculture familiale subsiste également sous la
forme de jardins ruraux ou urbains, ou dans le cadre d'une
multi-activité pour compléter des petits revenus
(retraités, ouvriers...) (CFSI,2020).
L'agriculture familiale englobe toutes les activités
agricoles reposant sur la famille, en relation avec de nombreux aspects du
développement rural. L'agriculture familiale permet d'organiser la
production agricole, forestière, halieutique, pastorale ou aquacole qui,
sous la gestion d'une famille, repose essentiellement sur de la main-d'oeuvre
familiale, aussi bien les hommes que les femmes (FAO,2015). Le CIRAD
précise des critères de définition : dans 81 pays
étudiés, les exploitations de moins de 5 ha représentent
94 % du total, celles de moins d'un hectare, 72 % (moyenne française en
2010 : 55 ha).
Le CIRAD ajoute trois critères :
-seuls travaillent à plein temps les membres de la
famille : ils ne sont pas liés par des rapports de salaire, mais par des
liens domestiques. Le travail crée des liens forts entre la famille et
l'exploitation,
-une partie de la production est consommée par la
famille elle-même : Les agricultures familiales alimentent, certes, les
marchés, mais l'autoconsommation est aussi un produit de ce travail,
-le capital est familial : il est indissociable du patrimoine
familial. Situation politique actuelle
Alors que la Côte d'Ivoire est redevenue « stable
» depuis la fin du conflit armé post-électoral de 2010-2011,
l'approche de l'élection présidentielle de 2020 est sources
incertitudes. L'annonce du 6 aout 2020 du président de la
République Alassane Ouattara qui brigue un troisième mandat
anticonstitutionnel met en péril la sécurité et l'ordre
public d'un pays encore marqué par ses violentes dérives
politiques récentes.
L'ancien président Laurent Gbagbo a pour sa part
été acquitté par la Cour pénale internationale et
libéré sous conditions dans l'attente d'un éventuel
procès en appel. Au terme de cette procédure, il pourrait
être en mesure de participer au scrutin présidentiel. Les
récentes tensions au sein de la coalition au pouvoir, le Rassemblement
des
Page 64 sur 227
houphouëtistes pour la démocratie et la paix
(RHDP), ont abouti à la démission du président de
l'Assemblée nationale, Guillaume Soro.
Par ailleurs une nouvelle commission électorale
indépendante (CEI) chargée d'organiser les prochaines
élections, a été mise en place à la suite des
discussions entre le gouvernement et une partie de l'opposition. Le Parti
démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI) d'Henri Konan
Bédié et le Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo,
ainsi que les partis proches de l'ancien président de l'Assemblée
nationale, Guillaume Soro, n'ont pas participé aux discussions. Ils
réclament un nouveau dialogue autour de la réforme de la CEI.
Les affrontements intercommunautaires du mois de mai 2019
dans le centre du pays et les arrestations récentes d'opposants
politiques suivis d'affrontements entre les forces de l'ordre et les
manifestants font craindre une montée des tensions politiques à
l'approche de l'élection présidentielle prévue en octobre
2020.
Situation économique
Figure 13 : Taux de croissance de la Côte d'ivoire
depuis 2011 (Banque mondiale 2019)
Les rapports de la banque mondiale mentionnent que depuis
2011, l'économie ivoirienne a progressé à un rythme moyen
de 8 % par an, ce qui en fait l'un des pays les plus dynamiques du monde. La
croissance du PIB a cependant progressivement ralenti pour
Page 65 sur 227
passer de 10,1 % en 2012 à 7,7 % en 2017, tandis que
les estimations de la Banque africaine de développement sont d'une
croissance de l'ordre de 7 % pour l'exercice 20202021. Précisons que ces
estimations ont été faite avant la crise du COVID-19.
Le pays doit cependant relever un double défi :
maintenir un rythme de croissance rapide tout en favorisant une croissance plus
inclusive (le taux de pauvreté s'élève encore à
46,3 %) tout en réduisant les déséquilibres
budgétaires.
La proximité des élections nationales,
programmées en octobre 2020, risque de générer un climat
d'incertitude et d'avoir une incidence négative sur les investissements
privés.
Situation sociale et enjeux de développement
L'excellente performance économique de la Côte
d'Ivoire n'a pas donnée les résultats attendus sur le plan de
l'inclusion sociale et de la réduction du taux de pauvreté, qui
reste élevé. Le pays se trouvait au 170e rang sur 189 pays dans
le rapport 2018 du Programme des Nations Unies pour le développement
(PNUD) sur l'indice de développement humain et possède un faible
indice de capital humain (0.35) selon le classement de la Banque mondiale.
Malgré des efforts récents, la Côte
d'Ivoire demeure l'un des pays du monde où les inégalités
de genre sont les plus marquées.
Le faible taux d'achèvement scolaire au collège
(35,5 %), les disparités d'instruction entre les filles et les
garçons (elles sont 42,7 % à achever le secondaire contre 55,5 %
des garçons), la mortalité maternelle (645 décès
pour 100 000 naissances vivantes), la malnutrition infantile et le
chômage des jeunes (36 % des jeunes de 15 à 35 ans) figurent parmi
les principaux enjeux de développement de la Côte d'Ivoire.
Après avoir fortement augmenté de 10 à
51 % de la population entre 1985 et 2011, le taux de pauvreté aurait
reculé à 46,3 %, selon la dernière enquête sur les
niveaux de vie réalisée par l'administration ivoirienne.
La Côte d'Ivoire gagnerait à redistribuer
davantage les fruits de sa bonne performance économique aux populations
les plus vulnérables, à intégrer davantage les femmes dans
l'économie et à développer son capital humain afin de
mieux répondre aux besoins du
marché du travail. En effet, la création de
produits et services modernes requière des compétences qui
manquent encore à la main-d'oeuvre locale (Banque mondiale 2020).
D. Contexte de la mission
Mon expérience au Sein de No Vox Côte d'ivoire
s'est déroulée du 13 janvier au 10 juillet
2020 à Abidjan.
Figure 14 : La répartition de la population
abidjanaise (RABET,2020)
Abidjan est la capitale économique et administrative
de la Côte d'ivoire, la majorité de la population, et des OSC
ivoiriennes et la quasi-totalité des bureaux des partenaires techniques
et financiers internationaux s'y trouvent.
Page 66 sur 227
Figure 15: Distribution spatiale de la pauvreté dans
le district d'Abidjan (RABET,2020)
Le siège de No-vox est basé à Locodjoro,
quartier de la commune d'Attécoubé comme nous le montre la carte
précédente.
No-vox est un réseau d'associations, de mouvements et
d'organisations, qui mènent concrètement des luttes sociales sur
le terrain. Fondé lors du 1er Forum social européen à
Florence, le réseau a pris une dimension internationale lors du 1er
Forum social mondial de Porto Alègre en 2003. Ces mouvements de lutte
sont composés de femmes et
d'hommes qui s'auto-organisent pour la défense et
l'application des droits fondamentaux
Page 67 sur 227
Page 68 sur 227
définis par la déclaration universelle des
droits de l'homme et du citoyen (DDHC) de 1789 et la naissance de nouveaux
droits.
L'altermondialisme désigne un mouvement international
promouvant l'idée qu'une autre organisation du monde est possible, sans
rejeter la mondialisation, mais plutôt en la régulant.
L'hétérogénéité et la diversité des
associations altermondialistes incite à parler davantage de mouvements
altermondialistes au pluriel que de mouvement au singulier. De manière
générale, le mouvement s'oppose au libéralisme
économique et à la mondialisation des pratiques
financières pour favoriser une économie plus sociale et mieux
répartie. Ces revendications se traduisent par une recherche
d'alternatives, globales et systémiques, à l'ordre international
de la finance et du commerce. Marqué par une culture qui pourrait se
rattacher à la tradition libertaire ou à l'écologie
radicale, le mouvement oscille entre réformisme et radicalisme.
On y trouve un certain nombre de prises de position et de
revendications communes à de nombreuses organisations :
· Une contestation de l'organisation interne, du statut
et des politiques des institutions mondiales, telles que l'Organisation
mondiale du commerce (OMC), le Fonds monétaire international (FMI),
l'Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE), le G7 et la Banque mondiale ;
· La justice économique
· L'autonomie des peuples
· La protection de l'environnement et l'arrêt de
la surexploitation des ressources
· La protection des droits humains fondamentaux
· La démocratisation des institutions
Le mouvement se rassemble parfois autour du slogan « Un
autre monde est possible » ou plus récemment, « D'autres
mondes sont possibles ».
Page 69 sur 227
Figure 16 : Photo de l'équipe de No-vox Côte
d'ivoire (rapport d'activité No-vox ,2018)
No-Vox Côte d'ivoire, représentation ivoirienne
de No-vox International contribue essentiellement à la défense
des droits fondamentaux des communautés et le renforcement des
capacités de ces dernières. La structure apporte ainsi son
soutien, à la lutte de la communauté de N'dakouassikro contre
l'extractivisme non régulé, aux mareyeuses d'Abobo Doumé
contre l'expropriation de leurs commerces et aux pêcheurs lagunaires dans
la lutte contre la pollution lagunaire. L'action sociale et citoyenne de No-vox
prend toute sa dimension politique dans la mesure où
intérêts économiques et responsabilités politiques
semblent faire la paire en Côte d'ivoire. Depuis l'annonce de la
candidature d'Alassane Ouattara, No-vox fait partie d'une coalition de la
société civile contre un 3e mandat anticonstitutionnel d'Alassane
Ouattara.
Les actions de No-vox Côte d'Ivoire sont
essentiellement politiques et militantes mais la structure est actuellement en
transition et développe de plus en plus de projet de
développement. Mon stage s'est inscrit dans cette dynamique. J'ai
occupé le poste de Chargé de projet au sein de No-vox Côte
d'Ivoire. Au sein d'une équipe technique au départ composé
de 2 personnes, En tant que Chargé de projet principal, mes missions ont
été
Page 70 sur 227
celles de la conception de projets, de la recherche de
financement et de la représentation de la structure à divers
événements. J'ai souvent été mis à
disposition de la Coalition Tournons la page ! structure partenaire de No-Vox
pour le montage de projets et la recherche de financement.
Figure 17 : Photo de l'Equipe Tournons la page Côte
d'ivoire (Tournons la page, 2020)
Tournons La Page (TLP) est un mouvement réunissant des
acteurs des sociétés civiles africaines soutenus par des
organisations européennes dont l'objectif est la promotion de
l'alternance démocratique en Afrique, en menant des actions pacifiques
et non partisanes.
Le mouvement est aujourd'hui actif dans 10 pays africains
(Burundi, Cameroun, Congo, Côte d'Ivoire, Gabon, Guinée, Niger,
RDC, Tchad, Togo) grâce à plus de deux-cents organisations de la
société civile et avec le soutien d'associations
européennes.
Page 71 sur 227
Le mouvement vise particulièrement à :
· Mettre en réseau, soutenir et protéger
les mouvements qui se mobilisent pour l'alternance démocratique en
Afrique, en particulier en période électorale
· Former une large alliance non-partisane de citoyens,
intellectuels, artistes, associations, syndicats et responsables religieux
autour de cette ambition.
· Donner un écho international aux mobilisations
pour faire vivre l'alternance démocratique en Afrique, et
délégitimer les régimes dynastiques aux yeux de l'opinion
publique.
· Obtenir l'arrêt de la caution apportée
par les dirigeants européens aux pratiques anti-démocratiques en
Afrique et promouvoir des relations diplomatiques plus justes.
· Imaginer l'après-alternance en soutenant
l'émergence, parmi les intellectuels, les forces économiques et
les mouvements africains, d'une vision partagée de l'avenir de la
démocratie en Afrique.
Afin d'atteindre ses objectifs, les organisations et
individus membres de Tournons La Page se mobilisent par des modes d'actions
variés et complémentaires. Des actions de mobilisation telles que
l'organisation de conférences/débats publics,
d'événements culturels et artistiques, de manifestations et
interpellations pacifiques des décideurs. Une démarche de
plaidoyer institutionnel auprès de nombreux décideurs et de leurs
sphères d'influence. Cela se traduit par la publication de
communiqués liés à l'actualité, ainsi que des
rencontres régulières avec les décideurs politiques
européens et notamment français.
· La construction d'une expertise solide à
travers une diversité d'outils et d'approches (production d'un rapport
sur l'alternance au pouvoir et un deuxième sur la fiscalité ;
observations électorales au Congo, Gabon et Cameroun ; veille
stratégique ; organisation de conférences-débats et
participation à des colloques universitaires...)
· Un travail de communication et de relais de
mobilisations citoyennes auprès des médias et des réseaux
sociaux : revues de presse hebdomadaires, conférences de presse,
publication d'articles de vulgarisation.
·
Page 72 sur 227
Une mise en réseau des acteurs, par la consolidation
d'alliances et de partenariats entre les mouvements de la société
civile. En mettant en réseau de nombreux partenaires européens et
africains, TLP permet le renforcement des capacités d'action des
associations de la société civile africaine, donnant lieu
à davantage de visibilité et à un meilleur écho des
revendications démocratiques. (Tournons la Page ! 2020)
C'est donc au sein de ses structures que j'ai pu observer et
contribuer à des actions d'OSC ivoirienne.
Le prochain chapitre nous permettra de comprendre la
genèse de la conception et de la représentation de l'action
citoyenne dans la société ivoirienne. Au regard de cette
genèse nous pourrons par la suite disposer d'un ensemble
d'éléments qui nous permettrons d'analyser et de comprendre les
tenants et aboutissants de l'action de la société civile
ivoirienne.
Page 73 sur 227
Chapitre 2 : Evolution de la citoyenneté en
Côte d'ivoire depuis 1960
1.Restriction de la citoyenneté dans la
Côte d'Ivoire d'Houphouët-Boigny
A. L'éveil politique ivoirien et l'accès
à l'indépendance
La citoyenneté indigène
Figure 18: La situation coloniale en Afrique en 1945
(RABET,2020)
Page 74 sur 227
Amadou KONE considère que l'éveil citoyen,
débute à partir de la seconde guerre mondiale au sein de
l'Afrique Occidentale Française (AOF). L'effort de guerre mobilise les
citoyens indigènes tant sur l'aspect militaire, comme en atteste les
bataillons de tirailleurs sénégalais que sur l'aspect des
ressources alimentaires et agricoles. Cette mobilisation est mise en oeuvre par
un régime indigène dont les dérives attisent la
colère de la population. Un décret de 1904 a instauré le
travail forcé en Côte d'Ivoire concernant les emplois agricoles et
d'aménagements public. L'essentiel de la main d'oeuvre forcé en
Côte d'Ivoire est issu de la Haute Côte d'Ivoire (Burkina Faso
actuel). Les chefs de Canton, issus de l 'élite coutumière comme
Houphouët-Boigny qui bénéficient de la confiance et du
soutien de l'administration coloniale fournissent également de la main
d'oeuvre locale. Les critères de sélection étaient
laissés à l'appréciation des chefs de canton.
L'instauration du régime de Vichy a eu pour conséquence, en
Côte d'Ivoire, une tentative de ségrégation entre colons et
autochtones. Cette tentative vient s'ajouter au grief de la population envers
un régime coloniale de plus en plus contester. Entre 1940 et 1943 on
peut observer une hausse des associations à caractères tribales
ou ethniques pour faire face aux pénuries que la colonie ivoirienne
connait en raison de sa participation à l'effort de guerre. Ces
associations bien qu'illégales sont tolérées.
L'arrivée à partir de 1943 de nouveaux administrateurs coloniaux
plus sensibles aux revendications autochtones du fait qu'ils ont combattus pour
la liberté aux cotés des tirailleurs sénégalais, a
favorisée la sortie de la clandestinité des associations et leurs
émergences.
Dans le souci de pacifier les colonies, le
général de Gaulle a organisé la conférence de
Brazzaville en 1944. Celle-ci a eu pour conséquence la reconnaissance du
droit de jouir des libertés fondamentales inscrites dans la
déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Cela s'est traduit par la légalisation des dynamiques syndicales et
associatives mais surtout par le droit à la représentation
politique au sein des instances gouvernementale. La revendication
égalitaire s'accentue par l'intermédiaire du Syndicat Agricole
Africain présidé alors par Félix Houphouët-Boigny,
chef du Canton de Yamoussoukro. Celui-ci désirait obtenir les
mêmes droits économiques que les colons disposant d'un cadre
juridique et fiscal plus favorable aux affaires.
Page 75 sur 227
En 1945 après de nombreux concours de circonstances,
Félix Houphouët-Boigny devient députés de la
Côte d'Ivoire à l'assemblé coloniale. Comme l'ensemble des
néo députés coloniaux, il rejoint le camp des
progressistes, qui regroupe le Parti communiste français et le Mouvement
Unifié pour la Résistance (MUR). En raison de leur
idéologie marxiste, les députés progressistes
étaient en faveur de l'émancipation des colonies. A la tête
d'une commission de travail à l'assemblée coloniale,
Houphouët-Boigny est le dépositaire de la loi 46-645 du 11 avril
1946 mettant fin au travail forcé dans les colonies d'outre-mer. Cet
acte propulse le député ivoirien en véritable héros
pour la population ouest africaine. Ce statut prélavera jusqu'à
la mort « du vieux » dans les zones les plus reculés.
Jouissant de son nouveau statut de héros du peuple noir et appuyé
par le Groupe d'Etudes Communistes pour l'Idéologie et le plan d'action
politique, il crée le 26 avril 1946 le Parti Démocratique de
Côte d'Ivoire (PDCI). La contribution des communistes fut celle de
l'appui à la stratégie d'enracinement du parti et à la
maitrise des rouages clefs d'un culte de la personnalité
débuté à partir du 11 avril 1946. Dans le souci
d'étendre son influence politique à l'échelle de l'AOF il
organise la conférence de Bamako qui se tient le 4 septembre 1946. Le
Rassemblement Démocratique Africain (RDA) est créé lors de
la conférence de Bamako. Seul candidat, Félix
Houphouët-Boigny est alors élu président du RDA. La
création du RDA, fut un puissant moteur pour l'émancipation
politique des africains. Entre 1946 et 1950, le député
Houphouët-Boigny est quasiment absent du continent. Il n'assiste donc pas
à la lutte menée par les jeunes cadres du RDA, face à un
colonat vexé par une émancipation qu'il parvient de moins en
moins à maitriser.
Le 22 mars 1950 Houphouët-Boigny embarque
précipitamment pour la métropole. Cette fuite s'inscrit dans un
contexte de tension sur le territoire ivoirien. Les principaux leaders du PDCI,
sont emprisonnés et en attente de jugement suite aux
événements du 6 février 1949. D'un point de vue personnel,
Houphouët-Boigny est appelé à témoigner dans la
sombre affaire de l'assassinat du sénateur Biaka Boda. Mais surtout
Houphouët-Boigny semble fuir l'idole africaine qu'il est devenu. Sa
volte-face politique, préméditée dans le plus grand secret
est en marche.
A son arrivée en France, il rompt ses liens avec le
PCF et le camp des progressistes pour se rallier, ainsi que le RDA au camp de
la droite et des colonialistes. Ce changement de posture s'accompagne d'un
changement de discours. De combattant du capitalisme
Page 76 sur 227
coloniale il se transforme en chantre du libéralisme et
fustige vertement le communisme. Afin de consolider cette nouvelle
amitié, il fait entrer des représentants du camp des
libéraux coloniaux aux assemblées territoriales ivoiriennes et
obtient le limogeage du très contesté gouverneur
Péchoux.
Cette volte-face politique de Houphouët-Boigny
considérée comme une trahison de la part des cadres du RDA,
détériore l'unité de ce mouvement, à
l'échelle ivoirienne comme dans la sous-région. Gabriel
D'Arbousier, un des plus proches collaborateurs du président la condamna
fermement. Il n'obtient que raillerie et humiliation, l'instrument
préféré du futur président face à toute
forme d'opposition.
A partir de 1951, Félix Houphouët-Boigny est
majoritairement en métropole où il occupe les fonctions de
député et de ministre. Il ne fait que de brefs retours pour les
élections législatives de 1956 et surtout pour la première
élection à l'investiture suprême de 1959. En 1956 une
loi-cadre détermine le suffrage universel comme voie d'accès
à la présidence. La principale tâche de Félix
Houphouët-Boigny à partir de ce moment est alors d'écarter
tout prétendant et opposant du pouvoir (KONE,2003).
En définitive, l'éveil politique ivoirien
débute dans les années 1920 par l'intermédiaire d'actions
clandestines et à la marge. Le statut de citoyen indigène, a
longtemps proscrit la pratique associative et citoyenne. Ce n'est qu'à
partir de la seconde guerre mondiale qu'il s'accélère avec
l'émergence de syndicats et des associations ivoiriennes. Ces syndicats
ont bénéficié du soutien de leurs homologues
français. L'idéologie marxiste dominante des mouvements syndicaux
de la métropole les rapprochaient des aspirations égalitaires des
citoyens indigène. De 1944 à 1951 la Côte d'Ivoire, comme
l'ensemble de l'AOF, se fédère et se mobilise massivement autour
du héros Félix Houphouët-Boigny, porteur de l'espoir d'une
Afrique de l'ouest libre, autonome et indépendante.
La volte-face politique et la conquête du pouvoir de
Félix Houphouët-Boigny va peu à peu éteindre cet
espoir et conditionner la pratique citoyenne ivoirienne.
Page 77 sur 227
B. Hégémonie politique et citoyenneté
contenue : Le règne d'Houphouët-Boigny
En tant que « père de l'indépendance
» de la Côte d'Ivoire, la principale tâche qui incombe
à Félix Houphouët-Boigny le 6 aout 1960 est de structurer un
Etat et de forger une nation prête à relever les défis de
la mondialisation et du développement. La Constitution de la Côte
d'Ivoire au moment de l'indépendance, qui s'inscrit dans l'esprit des
lumières, permet aux ivoiriens de jouir des libertés
fondamentales, tels que les libertés d'expression et d'association
inscrite en son article 7. Le principe de séparation des pouvoirs est
censé se matérialiser par l'articulation entre l'Assemblée
nationale, la cour suprême et le président de la
république.
Des communistes, Houphouët-Boigny rejettera
l'idéologie, pas les pratiques. Nous pensons ici à la pratique du
parti unique et du culte de la personnalité dont
bénéficiera F. Houphouët-Boigny. Le PDCI-RDA restera
jusqu'en 1990 le parti unique de Côte d'Ivoire.
Un régime à parti unique est un système
politique dans lequel la législation ne permet qu'à un seul parti
de gouverner. Le parti dispose alors du monopole de l'activité
politique, concentre le pouvoir entre les mains de ses cadres, préempte
l'ensemble de l'activité de la société et ne tolère
pas d'opposition.
Mamadou Gazibo estime que les partis uniques apparaissent sur
la scène politique africaine au moment des indépendances. Ils
sont la réponse des « pères des indépendances »
aux défis du développement et l'unité nationale. Ainsi
l'introduction du parti unique, la suppression de la séparation des
pouvoirs et la mainmise sur l'ensemble de l'appareil étatique ont
été présentés comme la meilleure façon de
faire le développement et de réaliser l'unité nationale.
Le retour au parti unique a également été
présenté comme une façon de renouer avec les formes
africaines précoloniales de gouvernement fondées sur le
consensus. Le parti unique était alors vu comme plus favorable à
la cohésion sociale dans les sociétés multiethniques
africaines que le multipartisme hérité de la colonisation
européenne présenté comme une source de division (Gazibo,
2010). Le culte de la personnalité du Houphouët-Boigny est
né avec la loi d'abrogation du travail forcé dans les colonies de
1946.
Page 78 sur 227
Bien que son image soit écornée auprès de
l'intelligencia ivoirienne du fait de sa volte-face politique,
Houphouët-Boigny dispose toujours, au moment de l'indépendance de
l'image de héros auprès de la population.
La JRDACI, le rendez-vous manqué entre
F.Houphouet-Boigny et la jeunesse ivoirienne
De 1960 à 1962, aucun des problèmes qui
cristallisent l'opinion jusqu'à l'indépendance ne sont
résolus. La France, ancienne puissance colonisatrice devenue « la
vieille amie » selon Houphouët-Boigny, occupe dans le pays, dans tous
les domaines, la même position qu'avant l'indépendance. Le pillage
des ressources naturelles et des finances du pays continu voir s'accentue. Les
exploitants de bois écument ainsi la forêt ivoirienne
jusqu'à la dépeupler de toute essence de valeur. Le
déficit de la balance des paiements atteint un seuil critique.
Dans ces conditions, les dirigeants du mouvement de Jeunesse
du rassemblement Démocratique Africain de Côte d'ivoire (JRDACI),
entrés au gouvernement après le IIIe Congrès, comprennent
sans doute trop tard qu'ils n'y sont que des figurants, voire otages, tant leur
influence y est insignifiante (KONE,2003).
Pour comprendre cette situation il est important de
comprendre le contexte de création de la JRDACI. Le mouvement de la
Jeunesse du Rassemblement Démocratique Africain de Côte d'ivoire
(JRDACI), est né en 1951 suite aux préconisations de la
conférence de Bamako. Afin de rendre l'action du RDA plus efficiente, la
création d'antennes nationales ont été
décidé. Cependant la JRDACI ne devient active qu'à partir
de l'intégration des leaders de la Ligue des Originaires de Côte
d'Ivoire (LOCI).
Le mouvement de contestation sociale composé
essentiellement de jeunes ; la LOCI acquiert de la visibilité en octobre
1958. Alors que les membres fondateurs étaient emprisonnés depuis
plusieurs semaines, les militants, devant les refus des autorités de
libérer leurs leaders, se livrent à des agressions
mortifères à caractères xénophobes envers les
ressortissants togolais et béninois du territoire ivoirien. Selon les
militants de la LOCI, ces étrangers étaient alors coupables d'un
accaparement du marché de l'emploi condamnant les autochtones à
la pauvreté. Ces « cabales » de 1958 ne sont pas les premiers
faits du genre. 20 ans plus tôt, le même type d'exactions a
été commis à l'encontre des mêmes
communautés. Ministre du général de Gaulle au moment des
faits,
Page 79 sur 227
Houphouët-Boigny, est profondément affecté
par ces événements. D'une part, en colère contre les
membres du Parti Démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI) en charge du
maintien de l'ordre et d'autre part, désolé envers les
ressortissants étrangers de Côte d'Ivoire. A son retour sur le sol
ivoirien, il ramène le calme et l'ordre en quelques heures, fait
libérer les leaders de la LOCI, rapatrie et dédommage les
ressortissants étrangers chassés lors des cabales, à la
charge du trésor ivoirien.
Devant la menace pour la cohésion sociale et l'ordre
publique que constitue la LOCI, F. Houphouët-Boigny, selon qui « en
politique on ne résout pas un problème, on le déplace
», préfère s'attaquer à l'organisation plutôt
qu'aux causes de ses actions. Le rapprochement entre les jeunes cadres du PDCI
et les leaders de la LOCI établi, le président, appliquant les
préconisations de Bamako soutient la création de la JRDACI. Il ne
manque pas au passage de prétendre, à un geste de
générosité à l'attention de la jeunesse ivoirienne
(KONE,2003).
Le congrès constitutif de la JRDACI qui se
déroule du 14 au 16 mars 1958, demeure le seul et unique de la JRDACI.
Deux listes s'affrontent pour constituer le comité exécutif,
l'une comprend des leaders de la LOCI, l'autre victorieuse, n'en comprends pas.
Ce congrès dont la clôture est officiée par
Houphouët-Boigny lui-même, est gage d'espoir d'intégration
politique pour une jeunesse ivoirienne alors en marge des processus de
décision. Cependant, les actes ne se révèlent rapidement
pas à la hauteur de l'espoir suscité. L'influence des cadres de
la JRDACI est moins déterminante que celle de leurs directeurs de
cabinet, exclusivement français (Amondji,1984). Une des principales
revendications des cadres de la JRDACI est que, les postes de directeurs de
services soient principalement pourvus aux africains (Amondji,1984). Il est
probable que par naïveté, utopisme ou simple jeunesse, ils
espèrent mettre à profit leur appartenance à la direction
du PDCI pour, dans ce cadre, influer plus efficacement sur la politique
générale du parti qui ne leur semble alors, pas en
adéquation avec les intérêts du pays.
Dérive autoritaire et faux complots
A l'occasion de la présentation « du Plan de dix
ans » en 1962 le président annonce la tenue prochaine d'un
congrès de la JRDACI. Nous pouvons affirmer, au regard des
événements qui suivront que ce congrès n'a jamais eu
vocation à se tenir. Au cours de
Page 80 sur 227
l'année 1962, la JRDACI est pratiquement interdite
d'activité publique. Sa liberté d'initiative politique lui est
déchue. Son sigle même n'est plus visible sur aucune
communication, ni dans la presse, ni à la radio. Dès 1960, le
droit d'éditer ses propres cartes d'adhérent lui est
retiré, sonnant le glas de l'autonomie de mouvement des jeunes dans la
Côte d'Ivoire houphouëtiste.
De manière générale le chef de
l'État renforce sans cesse le caractère autoritaire du
régime à partir de l'indépendance. Le 5 avril 1962, il
demande aux députés de voter une loi qui autorise le gouvernement
à prendre des mesures d'internement et d'assignation à
résidence, voire d'obligation de travail, contre tout opposant au
régime. Cette loi alors rejetée par l'assemblé nationale,
sera finalement votée dans un climat de terreur le 17 janvier 1963 et
servira à couvrir « a posteriori » les auteurs du «
guet-apens de Yamoussoukro ». (Amondji,1984)
Le président Houphouët-Boigny convoque le 3
janvier 1963 les dirigeants du parti, les élus et les hauts
fonctionnaires à une réunion prévue dans sa ville natale
de Yamoussoukro. Celle-ci, ajournée à plusieurs reprises n'a
finalement lieu que le 14 janvier. Ce jour, un tiers des membres du bureau
politique issu du IIIe Congrès du PDCI sont arrêtés et
jetés en prison. (Amondji,1984). Des milliers de citoyens toutes
catégories sociales et professionnelles confondues sont également
embastillés dans toutes les régions de la Côte-d'Ivoire.
Les ivoiriens diplômés de l'enseignement supérieur,
rentrés au pays après la fin de leurs études sont une
cible prioritaire de la vague d'arrestation de janvier 1963 (KONE,2003). La
répression est si brutale et arbitraire qu'aucun citoyen ne peut se
sentir en sécurité. Les motifs d'arrestation vont de la
complicité avec des supposés comploteurs contre le régime
supposé à un manque d'enthousiasme à propos du
régime. Les autorités de police arrêtent des citoyens sur
de simples dénonciations, qui se multiplient en raison de
rétributions. La population comprends très rapidement qu'il ne
s'agit pas que d'endiguer la turbulence de quelques dizaines de personnes
déjà arrêtées et enfermées à
Yamoussoukro, mais bien de conjurer une crise générale qui
affectait la société dans son ensemble. De très nombreuses
arrestations sont restées secrètes. C'est le cas notamment d'une
cinquantaine d'officiers et sous-officiers des Forces armées nationales
de la Côte-d'Ivoire (FANCI), mais aussi de plusieurs civils bien connus
des mouvements syndicaux ou estudiantins. C'est dans ce climat que
Houphouët-Boigny
Page 81 sur 227
resoumet au vote le projet de loi repoussé par les
députés le 5 avril 1962, à l'Assemblée nationale le
17 janvier 1963.
La loi n° 63-4 du 17 janvier 1963 est largement
votée par des parlementaires terrorisés par les
événements que le pays traverse. En vertu de cette loi, tout
Ivoirien peut être requis pour l'accomplissement de certaines
tâches d'intérêt national. Les réquisitions,
renouvelables, ne peuvent néanmoins excéder 2 ans. Toute personne
dont l'action s'avère préjudiciable à la promotion
économique ou sociale de la nation peut être assignée
à résidence par décret (Afrique Nouvelle,1963). Il va de
soi que cette loi ne visait plus seulement les citoyens déjà
incarcérés mais s'inscrivait bien dans une légalisation de
la terreur en visant la majorité contestataire et silencieuse.
Bien que le président Houphouët-Boigny, le plus
solide allié de la France dans la sous-région, soit soutenu en
vertu de son exemplarité en matière de libéralisme
économique, il inquiète par la « stalinisation » de son
régime. Le vocable employé alors par le régime
étant également inquiétant.
Il suffit, pour s'en convaincre, de citer Philippé
Yacé cadre du PDCI : « Le parti a décidé de
procéder à une épuration dans tous les secteurs de la
nation ». Les journalistes internationaux n'adhèrent que peu aux
versions officielles. Et ce en vertu de leur intime conviction, qui s'appuie
sur une bonne connaissance du terrain et les mènent vers des conclusions
divergentes du régime. L'arrestation, en septembre 1963, de plusieurs
autres ministres et de dirigeants du PDCI confirme leur intuition.
Dans une tentative désespérée de minorer
la brutalité dont sont victimes les citoyens ivoiriens ainsi que le
soutien populaire aux embastillés, de vaines opérations de
propagande sont menées. Elles consistent en la tenue de manifestations
de soutien au président. Les cortèges de ces manifestations sont
essentiellement composés de villageois, dont le soutien au régime
reste indéfectible malgré tout.
Le discours du 28 septembre 1963 semble également
s'inscrire dans ces opérations de propagande, et apparait comme un
véritable désaveu de celui du 15 janvier 1962. Si le discours du
président se veut arrogant et menaçant en le 15 janvier 1962, il
est protecteur et miséricordieux en 1963. Une batterie de promesses
à l'attention des planteurs, des fonctionnaires, des médecins...
sont faites. Pourtant la crise demeure. C'est ainsi qu'Ernest
Page 82 sur 227
Boka, président de la cour suprême est
officiellement arrêté, le 2 avril 1964. Le 6 avril, la nouvelle de
sa mort dans sa cellule de « la bastille de Yamoussoukro » est le
choc de trop pour l'opinion ivoirienne. La justification publique de
Houphouët-Boigny ne redore son blason déjà meurtri, bien au
contraire. La « grande réconciliation » marque la fin de la
période des faux complots.
La période des faux complots, dont la raison demeure
encore mystérieuse, apparait comme la première crise de la
démocratie ivoirienne. Les arrestations arbitraires et les souffrances
qui s'en suivirent constituent un profond traumatisme pour les citoyens
ivoiriens. La jeunesse ivoirienne, qui au moment de la création du
Rassemblement Démocratique Africain (RDA) et du mouvement de jeunesse du
rassemblement démocratique Africain de Côte d'ivoire (JRDACI) a
nourri l'espoir de participer pleinement au développement du pays, fut
la plus impactée par ces faux complots.
Pour les élites contestataires du régime,
l'exil fut la meilleure solution pour certains, pour le reste ce fut la
contrition. Cette brutalisation de la jeunesse relative à l'exercice de
la citoyenneté eu 2 effets pervers. Le premier est celui d'avoir
contenu, si ce n'est amputé à la Côte d'Ivoire l'essentiel
de ses forces vives qui auraient pu contribuer à un développement
plus inclusif de l'ensemble des acteurs ivoiriens. Le second est d'avoir
instauré l'usage de la violence comme moyen de communication entre les
dirigeants politiques et la jeunesse ivoirienne (KONE,2003).
F. Houphouët-Boigny pour sa part, se retrouva dos au mur
sur la scène internationale pour n'avoir pas su prévoir les
conséquences de sa politique d'abandon des ivoiriens.
Le néocolonialisme ivoirien est fondé sur le
mythe du dirigeant charismatique. A l'origine, et une fois franchi le cap de
l'instauration du pouvoir personnel, on prévoyait sans doute que cela
suffirait à conserver à ce mythe une pureté telle que la
Côte-d'Ivoire pourrait être véritablement un modèle
du genre, caractérisé notamment par la stabilité politique
et une « paix sociale » à toute épreuve. Mais il n'a
pas été possible d'obtenir le consentement des Ivoiriens à
cette duperie. La démocratie et la citoyenneté seront alors
supplantées par le totalitarisme et l'assujettissement au régime
jusque dans les années 80.
Page 83 sur 227
C. La fin du miracle ivoirien et l'avènement du
multipartisme
La période de forte croissance économique que
connait la cote d'ivoire entre 1960 et 1980 est appelée le miracle
ivoirien. Cette forte croissance économique repose alors essentiellement
sur la culture d'essences à vocation d'exportation telles que le cacao
ou l'hévéa.
L'activité agricole est grandement stimulée par
la politique foncière de Houphouët-Boigny, lui-même planteur.
Selon le principe que « la terre appartient à celui qui la cultive
», de nombreux travailleurs agricoles burkinabè immigre dans le
sud- ouest de la Côte d'ivoire afin de travailler dans les exploitations
agricoles. Cette dynamique s'observe avec le secteur de la pêche
où ce sont de nombreux ghanéens qui ont immigre et pratique la
pêche dans le sud-est ivoirien.
La politique d'ouverture ivoirienne a deux effets vertueux.
Le premier est qu'elle dynamise l'activité économique du pays et
le second est qu'elle créé un véritable melting-pot
africain sur le sol ivoirien. Bien qu'il permette au président de
s'enrichir, ce miracle ivoirien basé sur un modèle
économique de la dépendance rend l'économie ivoirienne
très fragile. C'est ainsi qu'à partir de 1981 la Côte
d'Ivoire signe successivement différents accords d'ajustement structurel
avec le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque mondiale
(Jarret ; François régis, 1991). Les impératifs
démocratiques de l'indépendance, balayés auparavant par
les « faux complots » sont les conditions sine qua non des
aides internationales. Houphouët-Boigny parviendra à retarder
l'avènement de l'ouverture démocratique jusqu'aux années
1990. C'est ainsi qu'à l'occasion de l'élection
présidentielle de 1990, la Côte d'Ivoire connait pour la
première de son histoire le multipartisme.
Face au Parti Démocratique de Côte
d'ivoire-Rassemblement Démocratique Africain (PDCI-RDA) de
Houphouët-Boigny se dresse le Front populaire Ivoirien (FPI) de Laurent
Gbagbo. Celui-ci originaire du sud-ouest, rappelle sans doute fort le
président aux souvenirs de la Ligue des Originaires de Côte
d'ivoire (LOCI) et des citoyens de l'ouest martyrisés à
l'occasion des faux complots et qui se considèrent les principales
victimes de la politique d'ouverture du président. La principale
revendication du FPI concerne la mise en oeuvre d'une réforme
foncière permettant l'accès exclusif des autochtones à la
propriété foncière.
Page 84 sur 227
Si, en 1960, c'est en héros de la nation que
Houphouët-Boigny brigue l'investiture suprême, c'est en ballotage
défavorable qu'il aborde celle de 1990. S'il a permis l'émergence
du district d'Abidjan et de son Canton originaire de Yamoussoukro, il a
délaissé le nord du pays qu'il n'appréciait guère,
et exploité les ressources de l'ouest, sans en enrichir la population.
La brutalité des faux complots a traumatisé les citoyens qui
voient en ce scrutin l'espoir démocratique se concrétiser enfin.
Lors de cette élection présidentielle de 1990,
Houphouët-Boigny joue son dernier atout politique en octroyant le droit de
vote des étrangers aux élections locales et nationales.
Bénéficiant d'un capital sympathie conséquente chez les
« étrangers » bénéficiaires de sa politique
d'ouverture il est, avec 75% des voix, massivement réélu en
1990.
Il est alors fort diminué par sa santé et a
pour principale tâche d'organiser sa succession.
En 1962, F. Houphouët a voulu se présenter en
homme d'État moderne et efficace, résolument tourné vers
l'avenir et le progrès. Il est malgré cela, devenu dirigeant d'un
état totalitaire et brutal, en 1964. Si, après les purges de
1963, le pays est dépourvu de ses meilleurs cerveaux, il
bénéficie en revanche de la présence de nombreux cadres
« expatriés ».
Le régime de Houphouët-Boigny peut, certes,
être qualifié de stable mais qu'advient-il de la démocratie
et de la citoyenneté dans une Côte d'Ivoire ou le président
incarne à lui seul l'État, le gouvernement et le
législateur, grâce au soutien et la protection de forces
étrangères ? La paix sociale, bien qu'apparente à
l'échelle internationale, n'a jamais été présente
en Côte-d'Ivoire du temps de Houphouët-Boigny. Son régime,
dont la raison d'être est l'organisation du consensus nécessaire
à la rentabilité optimale d'une économie
néocolonialiste n'a jamais réussi à séduire les
ivoiriens. En Côte-d'Ivoire, les mouvements sociaux et professionnels se
font autant contre le patronat et le pouvoir que contre la direction officielle
de la centrale syndicale unique. Il est arrivé parfois que le sentiment
d'injustice pousse les individus à s'organiser spontanément et
illégalement pour faire valoir leur droit. Par la brutalisation de sa
population, Houphouët-Boigny conditionne l'exercice d'une
citoyenneté individualiste et violente. Le régime de F.
Houphouët demeure une dictature, prospère économiquement
nous en conviendrons ; mais c'est un avant tout une dictature qui ne s'est
jamais revendiqué comme telle.
2. Hyperpolitisation de la citoyenneté
ivoirienne à partir des années 1990
A. Succession, jeu politique et dérive sociale
Page 85 sur 227
Figure 19: Carte des principaux acteurs de la vie politique
ivoirienne depuis 1960 (RABET,2020)
Page 86 sur 227
La période que nous allons maintenant aborder va de
1990 à 2011. Celle-ci, qui concerne principalement la succession de
Houphouët-Boigny, demeure le théâtre d'une construction
identitaire et citoyenne gangrénée par la violence dont les
principaux acteurs sont Henri Konan Bédié, Robert Gueï,
Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et les citoyens ivoiriens eux-mêmes.
Fin de règne
Les travaux de Claudine Vidal nous permettent de supposer que
Houphouët-Boigny, sachant surement que son état de plus en plus
délétère ne lui permettra pas d'achever son ultime mandat,
prend un ensemble de décisions censées garantir sa paisible
succession. La modification de l'article 11 de la Constitution en 1990, donne
la possibilité à Henri Konan Bédié, alors
président de l'assemblée nationale, d'achever le mandat
présidentiel en cas de disparition du président. Une autre
disposition, à savoir la nomination inédite d'Alassane Ouattara
au poste de premier ministre est simultanément mise en oeuvre. Celui-ci
dont la tâche principale est le redressement économique, est
également garant de l'ordre public lors des nombreuses absences
curatives du président (Vidal,2003).
Christian Bouquet ne manque pas de nous mentionner qu'hostile
envers la modification de l'article 11 de la constitution, le Front Populaire
Ivoirien (FPI) de l'opposant historique Laurent Gbagbo propose le 27 novembre
1993 la création d'une assemblée constituante et d'un
gouvernement de transition dont la mission pendant 12 mois serait de
réécrire la constitution et de concevoir un nouveau code
électoral plus en adéquation avec les aspirations
démocratiques du pays. (Bouquet,2005).
En vertu de l'application de l'article 11 de la constitution,
Henri Konan Bédié succède à feu Félix
Houphouët-Boigny le 7 décembre 1993. Deux mois de deuil national
sont décrétés, durant lesquels les Ivoiriens contribuent
à un immense rituel funéraire collectif. Le 7 février
1994, des chefs d'État et délégations du monde entier se
rendent à la basilique de Yamoussoukro pour assister à la messe
funéraire du père de l'indépendance ivoirienne. Ces
funérailles extraordinaires, qui font l'unanimité, suscitent une
conscience d'unité nationale. Cette unité au-delà de la
symbolique, est également opérationnelle comme en témoigne
les nombreuses mobilisations de toutes les catégories sociales et
Page 87 sur 227
professionnelles sur l'ensemble du territoire. L'adieu au
père de l'indépendance est pour la Côte d'Ivoire l'unique
moment de son Histoire où le sentiment de fierté et
d'appartenance des ivoiriens à la « nation ivoirienne » sont
éveillés.
Les premières pratiques brutales qui
transgressèrent les normes de la paix civile, revendiquée par le
régime houphouëtiste comme son emblème, furent bien du fait
de Houphouët-Boigny lui-même via l'action de son gouvernement. Que
ce soit au travers d'assassinats de personnalités supposées trop
en savoir sur la corruption gouvernementale par de mystérieux escadrons
de la mort, de rumeurs de coups d'État commandités par
l'opposition, de violences (tabassages, viols) à l'encontre des
étudiants en mai 1991 et l'interdiction de leur nouveau syndicat ainsi
que l'emprisonnement de leurs leaders ou encore de l'enrôlement de nervis
(les « loubards ») par le pouvoir afin de maitriser les rues.
L'arrestation, en février 1992, des organisateurs d'une marche de
protestation parmi lesquels Laurent Gbagbo et le président de la Ligue
ivoirienne des droits de l'homme (LIDHO), marque l'avènement de la loi
anticasseur. Si elle ne le revendique pas dans le texte, cette loi induit par
sa mise en oeuvre l'interdiction des citoyens de manifester. Paradoxalement,
l'avènement du multipartisme, la libéralisation syndicale ainsi
que celle de la presse a pour conséquence une rupture de
l'équilibre fragile de la « paix civile » ivoirienne.
Le « dialogue à l'ivoirienne », qui permis
à Houphouët-Boigny de parfaire sa stature de Sage et à la
Côte d'ivoire d'être en « paix », s'est essentiellement
reposé sur la capacité de Houphouët-Boigny à se
montrer homme de modération, conciliateur, réconciliateur et
parfois oppresseur. La ligne de conduite adoptée depuis la fin de la
période de faux complot par Houphouët-Boigny fut pacifique.
Cependant, à partir de 1990, il ouvre une ère de brutalisation de
la vie politique et met en péril, ce qui aurait pu constituer
l'essentiel de son héritage, à savoir l'évitement de la
violence. Loin d'être perçues comme des épisodes passagers,
les violences d'État commises lors des années 1991 et 1992 sont
un basculement dans la pratique politique et citoyenne ivoirienne dans la
mesure où elles ancrent définitivement la violence comme moyen
d'expression politique acceptable (Vidal,2003).
Page 88 sur 227
Succession politique
La nomination de Henri Konan Bédié à la
tête du pays, n'est dans un premier temps pas reconnue par Alassane
Ouattara qui se ravise très vite face à la réticence des
militaires menés par le Général Robert Gueï à
embrasser sa cause. Laurent Gbagbo, quant à lui réaffirme sa
volonté du 27 novembre 1993, à savoir la constitution d'un
gouvernement de transition dont la tâche principale serait la
réécriture de la constitution ainsi que ses revendications de
1990 relatives au droit exclusif des autochtones à la
propriété foncière et la suppression du droit de vote des
étrangers favorables selon lui au maintien de l'hégémonie
politique du PDCI-RDA.
Henri Konan Bédié, à partir de 1994,
tente de s'inscrire dans la continuité de la politique d'ouverture de
son prédécesseur en proposant un projet de loi accordant le droit
de vote aux citoyens non-nationaux ressortissants de la Communauté
Economique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), en application du protocole
portant citoyenneté de la communauté et inscrits sur la liste
électorale. Ce projet de loi rencontre une vive opposition menée
par le FPI, qui obtient gain de cause le 8 décembre 1994 avec l'adoption
d'un nouveau code électoral retirant le droit de vote aux
étrangers. Les articles 49 et 77 du nouveau code électoral vont
encore plus loin, en posant des conditions d'éligibilité
présidentielle et législative nationalistes. Dès lors, il
fallait disposer d'une ascendance ivoirienne remontant à au moins 2
générations, n'avoir jamais renoncé à la
nationalité ivoirienne et être résident de la Côte
d'Ivoire pendant les 5 années précédant le scrutin en
question sauf en cas de mandat international.
Alassane Ouattara, créateur du Rassemblement des
Républicains (RDR) apparait comme victime principale de cette
réforme électorale. L'ex premier ministre, né dans le nord
de la Côte d'Ivoire de parents originaires de la Haute Côte Ivoire
devenue Burkina Faso a occupé des fonctions au FMI avec la
nationalité burkinabè. Malgré l'exclusion
législative de Alassane Ouattara et le refus de la création d'une
commission nationale électorale indépendante souhaitée par
Laurent Gbagbo, la guerre de succession tant redoutée n'a finalement pas
lieu mais il apparaît clair qu'aucun des trois principaux
prétendants au pouvoir présidentiel, Henri Konan
Bédié, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara ne désarmerait
et que chacun se réserve pour l'échéance électoral
de 1995.
Page 89 sur 227
Les principales inquiétudes liées à
l'élection présidentielle de 1995 relèvent des doutes
populaires sur la capacité des 3 principaux prétendants à
l'investiture suprême à respecter les modalités
démocratiques. Le climat de grande peur, induit par l'annonce du
décès d'Houphouët-Boigny, aurait pu devenir de plus en plus
oppressant, jusqu'à susciter de dangereuses méfiances entre
personnes et entre groupes supposés prêts à l'offensive.
Là encore, rien de tel ne se passa et la peur se dissipa. Non parce que
Henri Konan Bédié était devenu Président de
manière pacifique mais parce que la Côte d'Ivoire toute
entière s'est consacrée aux funérailles
d'Houphouët-Boigny
L'élection présidentielle se tient le 23
octobre 1995. Elle est, pour l'opposition, essentiellement constituée
par le Rassemblement des Républicains (RDR) d'Alassane Ouattara et du
Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo, l'occasion d'user de la
violence comme levier politique. Ce recours à la violence constitut une
rupture essentielle des modalités de la confrontation politique qui
avaient jusqu'alors existés. Bien que la gouvernance du Parti
démocratique de Côte d'ivoire (PDCI) ne soit pas immaculée
de violence, il en avait cependant l'exclusivité et usait de celle-ci en
premier lieu à l'encontre des opposants politiques
déclarés, des étudiants et des journalistes. Cette
violence mobilisait ainsi des corps spécialisés : forces de
l'ordre, personnel judiciaire, et plus rarement hommes de main.
Le président Henri Konan Bédié, durant
les vingt-trois mois de sa présidence, ne se prive pas d'utiliser les
moyens de coercition disponibles malgré sa volonté
supposée de parvenir à une « démocratie
apaisée ». Il faut dire que le PDCI-RDA, essentiellement
composé des vieux éléphants zélés du parti,
guère préparé au multipartisme, vient d'imploser : une
partie de ses membres a rejoint le RDR de Alassane Ouattara, allié de
circonstances du FPI au sein d'un front Républicain d'opposition
Cependant, Henri Konan Bédié, qui ne
lâche rien ou presque rien, notamment en matière de transparence
des élections, bénéficie d'un effet heureux de la
dévaluation du franc CFA et tient pour l'occasion un long discours
favorablement reçu par la population. Bien des signes montraient qu'il
serait le vainqueur des élections présidentielles. En 1995,
l'initiative de la violence est du fait des adversaires du pouvoir en place qui
déclenchent, en octobre, un « boycott actif » des
élections présidentielles. Ils engagent leurs militants dans le
combat de rue, provoquant ainsi destructions de biens, pillages et morts. Le
slogan
Page 90 sur 227
du boycott actif lancé par le Front républicain
tient en une formule : « empêcher la tenue des élections par
tous les moyens possibles » (Vidal,2003).
Les répercussions les plus graves se produisent dans
l'Ouest du pays où les communautés baoulés «
allogènes » sont victimes d'exactions de la part des «
autochtones ». Dans certains quartiers d'Abidjan, les manifestants se
livrent à toutes sortes de brutalités et terrorisent ceux qui
souhaitent voter. Cet épisode violent est rapidement contenu et l'ordre
public très vite rétabli. Cependant, pour la première
fois, depuis l'établissement du multipartisme, des organisations
politiques ont volontairement provoqué un climat d'émeute qui
aurait pu dégénérer en affrontements beaucoup plus
meurtriers. Cet épisode a été favorable à
l'émergence de deux formes de violence : les affrontements ouverts entre
communautés rurales « autochtones » et « allochtones
» et celle engendrée par la mobilisation des jeunesses urbaines
défavorisées qui estiment qu'elles ont plus à gagner
qu'à perdre dans ces désordres. De fait, les dirigeants
politiques du front républicain ont pris une décision qui n'eut
peut-être pas, sur le coup, des conséquences tragiques pour
l'ensemble de la nation, mais qui rendit concevable en tant que moyen politique
le recours à la violence de leurs partisans.
Devenu, malgré les tensions, président de la
république ivoirienne par la voie des urnes, Henri Konan
Bédié, doit faire face aux premières conséquences
de la dévaluation du Franc CFA de 1994 qui transforme la
récession, en crise économique. Pour la population, cela se
traduit par une baisse des revenus liés aux produits d'exportation,
notamment du cacao, première source de revenus du pays et premier
secteur d'emploi (25% de la population) ainsi que par une hausse des prix des
produits de consommation de base.
Le mécontentement populaire prend rapidement une
dimension de conflit interethnique. Dans le cas du conflit opposant les
bétés, ethnie de Laurent Gbagbo et les baoulés, ethnie
d'Henri Konan Bédié, il semble que la rivalité ne concerne
non plus seulement l'accession foncière mais traduit bien de la
volonté des bétés de mettre fin à
l'hégémonie socio-politique baoulé. Dans ce contexte, le
Général Robert Gueï, refuse d'engager ses troupes dans les
opérations de maintien de l'ordre de l'Etat, lors des violentes
manifestations de septembre et d'octobre 1995. Il est condamné pour cela
à de la prison mais bénéficie d'une grâce
présidentielle ainsi que d'une retraite anticipée dans
Page 91 sur 227
son village natal situé non loin de Man, dans l'ouest
du pays. Il ne reviendra sur le devant de la scène qu'en 1999
(Bouquet,2005).
L'étranger dans la société
ivoirienne
Dans le but d'apaiser les tensions sociales liées aux
enjeux de nationalité, de propriété foncière et
d'éligibilité politique, Henri Konan Bédié par
l'intermédiaire de la Cellule Universitaire de recherche et de
diffusions des idées des actions politiques de Henri Konan
Bédié (CURDIPHE) tente de redéfinir le contrat social
ivoirien en 1994 (Bouquet,2005).
Figure 20: Carte de la migration ouest africaine en
Côte d'ivoire (TOBBI,2020)
Selon Alfred Babo, la période coloniale fut vectrice
d'une immigration massive de pays voisins pour dynamiser l'économie de
la colonie ivoirienne. La politique d'ouverture d'Houphouët-Boigny s'est
inscrite dans la continuité de la politique d'intégration des
Page 92 sur 227
étrangers menée par l'administration coloniale.
C'est alors qu'en 1998, la Côte d'Ivoire compte 15 366 672 habitants dont
4 000 047 de non nationaux, soit 26 % de la population totale (Babo,2012).
La Côte d'Ivoire se présente donc comme une
terre d'accueil pour les étrangers, principalement originaires d'Afrique
de l'Ouest. Ces derniers, totalement intégrés à la
société ivoirienne, bénéficient de conditions
favorables d'accès à la terre, à l'emploi et au droit de
vote. Si l'on considère l'intégration comme un processus qui
mène au fait qu'une population dans un milieu donné ne pose plus
de problème ni à elle-même ni à son environnement,
alors à partir des années 1990 l'importante population d'origine
étrangère en provenance d'Afrique de l'Ouest, a
recommencée, comme en 1958, à poser un problème à
la société ivoirienne. La politique de l'ivoirité, mis en
oeuvre à partir de 1994 par le président Henri Konan
Bédié, a fortement accentué si ce n'est influencé
le regard nouveau porté par les Ivoiriens sur les étrangers et
précipité la fracture sociale. (Babo,2012).
Au-delà de la définition de l'étranger
comme un individu ne bénéficiant pas de la nationalité du
pays dont il est résident, il convient de rappeler que la notion
d'étranger est l'une des plus discutées dans la sociologie. Cela
démontre que cette notion est évolutive, construite et
déconstruite selon les paradigmes dominant de l'époque dans
laquelle elle s'inscrit.
Nous pouvons légitimement nous interroger sur
l'influence politique exercée par l'administration où celle du
discours populaire dans le processus de construction de la
représentation de l'étranger au sein d'une société.
Sur la base de la dialectique de l'intériorité et de
l'extériorité, l'idéal-type de l'étranger, est
défini comme celui « d'une personne arrivée aujourd'hui
et qui restera demain » et dont l'obligation ou le désir de
rester dans le pays d'accueil provoque, inéluctablement la naissance de
relations entre l'immigré et ce pays (Simmel,1908).
S'inspirant de l'analyse simmélienne, Otthein
Rammstedt définit l'étranger comme le symbole des relations entre
hommes, mais souligne surtout que l'objet sociologique de l'étranger
pose l'unité entre le détachement d'un point spatial et la
fixation à ce même point. Si la notion d'étranger s'est
construite chez Simmel avec l'idée d'espace et de
Page 93 sur 227
mobilité, on peut noter que les nouvelles formes de
mobilité et le lien disparate des immigrés avec leurs pays
d'origine permettent de repenser cette notion (Babo,2012).
Mahamadou Zongo montre comment en l'absence de relations avec
le territoire d'origine, des enfants de parents burkinabés, nés
en Côte d'Ivoire, sont doublement étrangers.
Considérés comme des étrangers en Côte d'Ivoire, ils
le sont également au Burkina Faso où la majeure partie d'entre
eux d'entre eux ont été contraints de rentrer par la force
à l'occasion du conflit foncier de Tabou en 1999 et de la crise
militaro-politique débuté en 2002.
Finalement, ces « diaspos », ont eu le
sentiment d'être des étrangers chez eux, comme en témoigne
un émigrant en 1945 : « Le pays étranger n'est pas
devenu notre patrie, mais notre patrie est devenue un pays étranger
». Si cela est vrai pour les premiers émigrants, c'est encore
plus vrai pour leurs descendants qui ne disposent d'aucunes attaches au lieu de
provenance de leurs parents. Toutefois, contrairement à ce qu'affirmait
cet émigrant en 1945, le pays étranger est devenu bien leur
patrie. Ainsi, dans le cas des jeunes burkinabè, beaucoup d'entre eux
sont retournés en Côte d'Ivoire où ils se sentent membres
à part entière de la société d'accueil. Si nous
nous inscrivons dans la perspective de Georg Simmel, ces reflux montrent que
l'étranger ne demeure pas en dehors de la société
d'accueil. Bien au contraire, « l'étranger est membre du groupe
et la cohésion du groupe est déterminée par le rapport
particulier qu'il entretient avec cet élément »
(Zongo,2003).
Mais ce que ne révèle pas G. Simmel, c'est le
fait que les rapports sociaux dans la construction ou la déconstruction
de la notion d'étranger changent sous l'effet de facteurs sociaux,
économiques et politiques. Ainsi l'intégration de
l'étranger fait parfois place à son rejet. Historiquement,
l'appel, voire la course à l'étranger, considéré
comme principale richesse dans le cadre de la frontière interne, fut
à la base de l'établissement de communautés plus larges et
plus développées dans les sociétés
précoloniales ouest africaines (Babo,2012).
Plus récemment, en Côte d'Ivoire, comme dans
plusieurs pays africains, le tutorat a été le principe des
relations à la fois sociales, affectives et sacrées qui se sont
nouées entre les membres des communautés locales et «
leurs étrangers ». Cependant, la crise du tutorat
lui-même ainsi que les mutations subséquentes dans ces relations
dues aux
Page 94 sur 227
revendications et aux émancipations des
«étrangers» sont à la base d'une nouvelle
citoyenneté.
En Europe comme en Afrique, les «étrangers»
qui sont installés revendiquent désormais des droits sociaux et
politiques dans un monde où paradoxalement les instruments qui ont
contribué à son ouverture sont également sources de
craintes et de repli sur soi. L'inscription sur les listes électorales
est le premier rapport entre un individu issu de l'immigration et l'accession
à la citoyenneté (Césari, 1993). Mais on ne saurait
limiter la citoyenneté aux droits politiques, car chez Pierre Milza, ou
encore Dominique Schnapper, l'acquisition de droits sociaux est une des
premières voies pour accéder à la citoyenneté.
Cette nouvelle citoyenneté ne serait plus « purement
représentative » mais « participative et collective
», liée à « une implication effective dans la
vie locale » En effet, l'individu étranger ne souhaite plus
être assimilé à la notion d'immigré rattaché
à une considération de l'étranger comme un individu «
assisté et objet de la politique », mais bien à
celle de citoyen à part entière ayant des droits et des devoirs.
Il veut ainsi établir de nouveaux rapports non plus d'assistance ou
d'entraide, mais d'égalité au sein de la communauté de
citoyens qui l'accueil.
L'accès à la citoyenneté marque de
nouveaux rapports d'égal à égal avec autrui,
effaçant ainsi toutes différences, en particulier dans la vie
civique (Withol de Wenden,1996). Cette transformation à la fois mentale
et administrative révèle un paradoxe de l'intégration
ivoirienne, provoquant un sentiment de répulsion de l'étranger
croissant à l'origine d'une idéologie telle que
l'ivoirité (Babo,2012).
L'ivoirité
C'est à travers l'expérience social de
l'ensemble de ses individus qu'une société définit sa
représentation de l'étranger qu'elle exprime à travers sa
culture (Baxandall,1981). L'expérience sociale en Côte d'Ivoire,
au début des années 1990, a été marquée par
une crise d'identité à travers l'ivoirité
(Babo,2012).
Tentative de Konan Bédié de conciliation d'un
chauvinisme structurel des peuples ivoiriens et de l'écriture de sa
propre légende au coeur d'un nouveau contrat social ivoirien,
l'ivoirité s'appuie aussi sur une autre composante, qui va
précisément à
Page 95 sur 227
l'encontre des principes qui en font un instrument utile et
sain d'unité nationale et de clarification de la citoyenneté
ivoirienne.
Dans la mesure où, par son signifiant, elle implique
une définition essentialiste du peuple ivoirien, l'ivoirité est
conçue comme l'idéologie d'un pouvoir instrumentalisé par
l'Etat qui se doit d'être dirigé par un Homme fort pour atteindre
son plein potentiel (Vidal,2003). Nous retrouvons ici les derniers vestiges des
apprentissages idéologiques communistes d'Houphouët-Boigny.
La légitimité prétendue de Henri Konan
Bédié repose sur plusieurs considérations
ethnico-politiques. La première, est que son occupation de la plus haute
fonction de l'Etat démontre de sa force et de son exemplarité. La
seconde, est que son origine baoulé lui assure une
légitimité sociale à gouverner le pays. Henri Konan
Bédié ainsi que bon nombre de représentants
éminents de l'appareil d'État et du PDCI-RDA de l'époque,
sont baoulés, ethnie du pays akan implanté dans les parties
orientales et centrales du Sud ivoirien.
Henri Konan Bédié s'inscrit à la fois
dans la continuité du culte de la personnalité instauré
par Houphouët-Boigny mais également dans la rupture en tentant
d'étendre celui-ci à un culte de l'univers akan. Ce culte, reflet
d'une vision ethnocentrée de ceux qui exerçaient jusqu'alors le
pouvoir et au travers duquel l'ivoirité, par un pur jeu
autoréférentiel, pouvait prendre sa pleine dimension
d'idéologie nationale (Vidal,2003).
Soutenue par un appareil d'intellectuels et
d'écrivains rassemblés au sein de la Cellule Universitaire de
Recherche et de Diffusion des Idées du Président Henri Konan
Bédié (CURDIPHE), la justification de la légitimité
de l'ivoirité repose sur deux arguments principaux. Le premier
ethnocentré, admet que les traditions, les systèmes de
pensées et d'organisations akans sont les plus à même de
servir de moteur à la modernisation du pays. Henri Konan
Bédié prend inspiration sur les « Dragons d'Asie » dont
la croissance spectaculaire à partir des années 1990 s'est
appuyée sur un profond enracinement culturel permettant
l'émergence de régimes forts encadrant les sociétés
dans leurs processus de développement. Henri Konan Bédié
considère également que l'organisation sociale baoulé
bénéficie d'un harmonieux équilibre entre une «
aristocratie » qui exerce le pouvoir et une « plèbe »,
travaillant la terre et prédisposée à l'obéissance
au pouvoir
Page 96 sur 227
(Bédié, 1999). De filiation royale tribale,
Henri Konan Bédié s'estime ainsi être le légitime
leader de la nation ivoirienne.
Autrement dit, l'entreprise de Henri Konan
Bédié est une tentative de conciliation de l'héritage de
Houphouët-Boigny et de son propre legs, s'appuyant sur l'expérience
historique ivoirienne par laquelle le monde baoulé n'a cessé de
jouer au sein d'une Côte d'Ivoire où se conjuguaient croissance
économique et stabilité politique, tout à la fois le
rôle des gens de la terre et des gens du pouvoir, et de figurer ainsi au
premier plan de la vie nationale.
Cependant, malgré cet héritage essentiel, deux
choses distinguent l'ivoirité de Henri Konan Bédié de la
politique ethnocentrée d'Houphouët-Boigny. Contrairement à
cette dernière elle n'est pas compensée par les subtils
rééquilibrages ethnico-régionaux dans l'accès
à l'appareil d'État qu'Houphouët a pu d'autant mieux se
permettre que, durant la période du « miracle ivoirien »,
l'État fut un remarquable fournisseur d'emplois et redistributeur de
deniers publics, donnant au contraire à l'ivoirisation des emplois
publics, notamment des hautes fonctions politico-administratives, une
tonalité nettement baoulé, assimilant plus que jamais l'exercice
du pouvoir à l'ethnocratie baoulé.
Mais l'ivoirité se distingue encore plus nettement par
le fait d'utiliser la « baoulisation » comme un modèle de
défense d'intérêts plus étroitement nationaux,
c'est-à-dire en rompant effectivement avec cette autre dimension de la
politique « houphouëtienne » qui a permis à
quantité d'étrangers de travailler en Côte d'Ivoire et de
s'y assimiler. Autrement dit l'ivoirité en faisant du monde
baoulé, et plus largement akan, son fer de lance exclusif, attise le
sentiment d'exclusion des régions du nord méprisées depuis
l'indépendance et des krous, leurs principaux rivaux ethnique et
politique. (Babo,2012)
La tentative de redéfinition du contrat social
ivoirien par Konan Bédié est désavouée dans un
contexte où plus du tiers de la population issue de l'immigration est
exclu de la communauté ivoirienne, dès le début des
débats sur l'ivoirité. Sur une considération
ethno-politique, les individus présents dans le nord du pays commencent
à être considérés comme des citoyens de «
seconde catégorie » par les populations présentes dans le
sud du pays qui s'estiment être « les véritables ivoiriens
». Au sein des espaces urbains tel que celui du district d'Abidjan,
l'essentiel de l'activité économique informelle
Page 97 sur 227
est réalisé par des immigrés. Cela a pour
effet d'accentuer la stigmatisation des populations du nord du pays
amalgamées à la figure de l'étranger spoliant le travail
des ivoiriens (Babo,2012).
La rivalité politique qui oppose le Parti
Démocratique de Côte d'ivoire -Rassemblement Démocratique
Africain (PDCI-RDA) de Henri Konan Bédié, le Front Populaire
Ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo et le Rassemblement des Républicains
(RDR) d'Alassane Ouattara a pour conséquence l'instrumentalisation de la
quête d'identité populaire, transformant celle-ci en une lutte
intercommunautaire plus en plus violente, contribuant à la brutalisation
la société urbaine. L'élection présidentielle de
1995 boycottée par l'opposition est un moment clef de la
légitimation politique de la violence et d'un enrôlement
inédit des jeunes sous des bannière politique et partisane.
Dans les régions rurales de l'Ouest, les
revendications foncières autochtones font particulièrement
échos auprès des jeunes déscolarisés et sans
emploi, rentrés dans leurs villages en quête d'un lopin de terre,
qui en viennent à s'organiser de façon martiale et autonome pour
défendre ce qu'ils considèrent être « leur territoire
» et à en chasser toute personne considérée comme
étrangère.
Dans la seconde moitié des années 1990, bien
avant le surgissement de la violence armée, on voit ainsi se multiplier
dans les villages et les petites localités du Sud-Ouest ivoirien, des
mouvements d'autodéfense et des milices plus ou moins ethniques
dirigées contre les allogènes. En réaction, les
allogènes s'organisent en structures analogues. L'institution sociale du
« barrage » se développe ce moment-là, avec ses
règles et ses acteurs, et la violence milicienne devient maître
dans certaines régions, prenant parfois la forme de pogroms comme
à Tabou, près de la frontière libérienne, en
novembre 1999 (Vidal, 2003).
Quelques années plus tard, on retrouvera pendant la
guerre, certains « barragistes » dans des groupes
d'autodéfense villageois, reproduisant leur savoir-faire du
road-block dans la lutte patriotique contre les « assaillants
» rebelles, ou le réaffecte à d'autres fonctions
miliciennes.
C'est dans ce contexte de contingence des luttes sociales et
politiques que s'amorce la transition militaire, qui accélére
malgré elle, la militarisation et la « milicianisation » du
champ politique ivoirien. Cependant considérer le putsch de 1999 comme
le basculement
Page 98 sur 227
de la société ivoirienne dans la violence est
une erreur manifeste. La violence était déjà
considérée, par l'essentiel de la population, comme partie
intégrante du système, comme indiquent les nombreux
témoignages des victimes des faux complots d'Houphouët-Boigny ou de
la coercition importante du régime Bédié. La chasse aux
étrangers de 1958 menée par les partisans de la LOCI qui a
mené à la création de la JRDACI est également
témoin de cet usage antérieur de la violence comme levier de
décision politique.
Hormis les épisodes précités des
années 1990, l'usage de la violence politique, toutefois, n'était
pas ostentatoire comme dans certains pays ; elle était plus subtile et
ciblée. La stabilité du régime était plus
assurée par le clientélisme institutionnalisé que par la
terreur. Certes, l'armée occupait une place importante dans le
système, notamment au sein de l'administration (douanes, corps
préfectoral) et des entreprises publiques, où les officiers
étaient nombreux. Mais, sur le plan symbolique, Houphouët-Boigny a
toujours veillé à déconnecter l'appareil militaire du
processus de légitimation politique. Le « Président-planteur
» tirait son aura d'autres registres que celui du fusil. Se méfiant
de sa propre armée, il la choyait financièrement et toléra
la pratique de la corruption de la part de ces derniers. Il s'est tout du long
de son règne reposé quasi exclusivement sur la « vieille
amie » française pour assurer la sécurité de son pays
et faisait en sorte que les FANCI (Forces armées nationales de
Côte d'Ivoire) demeurent une armée fantoche, composée
d'officiers fidèles, cantonnés à des taches de maintien de
l'ordre (Vidal,2003).
L'incapacité des héritiers
d'Houphouët-Boigny à fédérer la nation et à
proposer un avenir prospère au pays, a sans doute effrité
l'allégeance de l'armée dont le principal leader Robert Gueï
se trouvait exilé dans son village natal pour insubordination depuis
quelques années.
Page 99 sur 227
B. Résistance patriotique et rébellion :
brutalisation de la pratique citoyenne ivoirienne Transition
militaire et exclusion politique
D'après les travaux de Christian Bouquet nous pouvons
estimer qu'en 1999, après 6 années de gouvernance de Henri Konan
Bédié, la situation du pays est alarmante. La Côte d'Ivoire
fait face, à l'escalade de la violence interethnique entretenue par la
rivalité entre le Front Populaire Ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo et le
Rassemblement Des Républicains (RDR) d'Alassane Ouattara, une crise
économique, une corruption généralisée, un
népotisme ostentatoire et surtout un désengagement des bailleurs
de fonds internationaux.
Si le coup d'Etat du 24 décembre n'est pas du fait
d'une mobilisation sociale mais bien d'une initiative militaire, il ne souffre
d'aucune hostilité populaire. Dans ses premiers discours, le «
Général-Président » Gueï fait l'unanimité
populaire par son appel à la paix, la réconciliation nationale et
la tolérance. Sa ligne politique est celle du renouveau et de
l'assainissement des organes de gouvernance du pays. En outre il déclare
ne pas aspirer au pouvoir et s'engage à se retirer une fois les
conditions d'un suffrage universel sain établies.
Adepte du multipartisme, il consulte dès le 27
décembre 1999, 48 formations politiques sur 112 recensées pour la
composition de son gouvernement de transition. Si celui-ci eut pour vocation de
faire redescendre les tensions interethniques, il ne fera hélas que les
attiser. Sa composition jugée « trop nordique », pousse le FPI
à décliner sa participation. Il obtiendra 2 postes
supplémentaires pour revenir sur sa décision. Il faut dire que le
spectre d'Alassane Ouattara, président du RDR alors en exil politique,
cristallise l'action du FPI et la vie politique ivoirienne (Bouquet, 2005).
Le putsch de 1999 créer inexorablement une rupture
entre la Côte d'Ivoire et le reste monde. La nature putschiste du
régime de Robert Gueï est inacceptable pour la communauté
internationale dans la mesure où celui-ci vient se substituer à
un président élu démocratiquement. En interne, la
situation de conflit s'accentue avec de nombreux affrontements observés
dans l'ouest du pays. Accusé de complaisance à l'égard des
étrangers par le FPI, le Général-Président Robert
Gueï, dont les velléités de durée
Page 100 sur 227
politique se sont finalement révélées,
s'aligne au fil de sa régence sur la ligne politique du FPI et du
PDCI-RDA. Il déclare ainsi le 28 février 2000 que
l'ivoirité est un « bon concept ».
En adéquation avec le discours démocratique du
Général-président Gueï, le Comité National de
Salut Public (CNSP) propose en janvier 2000, un calendrier électoral
comprenant un référendum sur la constitution en juillet, une
élection présidentielle en septembre et une élection
législative en décembre. Ce référendum est
l'occasion d'un arbitrage citoyen relatif aux conditions
d'éligibilités des candidats à l'élection
présidentielle, présentes dans l'article 35 de la nouvelle
constitution ivoirienne. Le débat public s'articule essentiellement
autour du conflit politico-ethnique opposant le FPI de Laurent Gbagbo et le RDR
de Alassane Ouattara sur l'éligibilité de ce dernier (Bouquet,
2005).
Marc le pape met en exergue qu'au coeur de ce conflit, se
trouve un antagonisme entre deux thèses irréconciliables. D'un
côté, les preuves de la nationalité d'Alassane Ouattara
sont fausses et en outre il s'est prévalu d'une autre nationalité
de ce fait il ne peut donc être candidat. La déclaration de Henri
Konan Bédié en 1999, qui qualifie Ouattara de «
burkinabè qui n'a pas à se mêler de nos affaires de
succession » démontre du ressentiment du sud ivoirien à
l'égard du président du RDR. De l'autre, l'identité
ivoirienne d'Alassane Ouattara est affirmée, démontrée, et
sa négation est vécue comme un acte insultant, humiliant pour
ceux dont le nom, l'origine et la carte d'identité rapprochent de lui
(Le pape, 2003).
A de fréquentes reprises, l'ancien Premier ministre
doit présenter, lors de ses discours, la généalogie
témoignant de ses origines ivoiriennes (Le Pape,2003). C'est ainsi,
qu'en août 1999, à l'occasion du congrès de son parti il se
déclare candidat à la présidentielle malgré les
conditions requises en matière de nationalité, de filiation et de
résidence qui sont censées l'en empêcher. Il se justifie
à travers les propos suivants : " Ma mère Hadja Nabintou
Cissé, originaire de Gbéléban au nord-ouest de la
Côte d'Ivoire, vit à Cocody, et tout le monde la connaît.
Mon père, El Hadj Dramane Ouattara, originaire de Kong au nord-est de la
Côte d'Ivoire, installé naguère à Dimbokro, y
était bien connu, notamment par le président Félix
Houphouët Boigny, et notre cour familiale est toujours là,
habitée par mon frère Sinaly Ouattara. Je suis né à
Dimbokro et tout le monde le sait".
Page 101 sur 227
Pour comprendre l'intensité des passions
suscitées par ce problème de nationalité, il est
nécessaire de rappeler qu'elles ne sont que la conséquence de
l'usage de l'ivoirité dans la vie publique et politique.
L'ivoirité ne recouvre rien de précis, c'est ce qui fait sa
force. Malgré des conditions hostiles, Alassane Ouattara se
présente malgré tout à l'élection
présidentielle (Le pape,2003).
L'avant-projet de constitution présenté le 28
février par la Commission consultative constitutionnelle et
électorale (CCCE), va dans le sens d'un durcissement des conditions
d'éligibilité. Ainsi l'article 35 stipule que : « le
président de la République doit être ivoirien d'origine,
né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d'origine.
Il doit n'avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne
et ne s'être jamais prévalu d'une autre nationalité. En
outre il doit avoir résidé sur le territoire ivoirien les 5
années précédant le scrutin duquel il est candidat
».
Si les conditions de présence sur le territoire et la
non prévalence d'une autre nationalité sont clairement des
critères qui vise à l'éviction politique de Ouattara, la
procédure de justification de l'ascendance nécessaire à
l'éligibilité politique et à l'accès à la
citoyenneté ivoirienne est perçue comme une exclusion par la
population présente dans le nord du pays, issue pour la majorité
de la tradition d'immigration ivoirienne (Bouquet,2005).
Le changement de vocable des opposants à la
candidature de Ouattara transformant « l'ivoirité » en «
identité ivoirienne » ne parvient pas à masquer la dimension
xénophobe de l'application politique de celle-ci. D'autant plus que le
RDR est alors accusé par son opposition et la Ligue ivoirienne des
droits de l'homme (LIDHO), d'entretenir une vaste fraude à la carte
d'identité depuis la nomination de Ouattara au poste de premier ministre
en 1990. En conséquence de cette accusation, la LIDHO exige une
révision des titres d'identité remis entre 1990 et 2000. Il n'est
pas aberrant de penser que dans le contexte de corruption
généralisée et structurelle de la Côte d'Ivoire, des
fraudes à la carte d'identité aient bien eu lieu, mais
l'accusation ouverte et ciblée de la LIDHO démontre du manque de
recul et maturité politique des citoyens et organisations
présentes en Côte d'ivoire à ce moment-là. En
réponse à la création de la LIDHO, jugée trop
complaisante du pouvoir et vectrice de la xénophobie sudiste, le
Mouvement ivoirien des droits de l'homme (MIDH) est créé.
Celui-ci opère en premier lieu dans la clandestinité et se fait
porte-parole des populations du nord, dont la stigmatisation attise la
colère.
Page 102 sur 227
Les sorties médiatiques de la première dame
ivoirienne de l'époque, Rose Doudou Gueï, précipitent un peu
plus le schisme entre un nord considéré alors par les populations
du sud comme acquis aux étrangers et un sud, lui-même
considéré comme envahi par ces mêmes étrangers,
marquant par ailleurs la fin de l'état de grâce de Robert
Gueï, qui ne parvient plus à se défaire de
l'étiquette du fascisme.
Dans le souci d'apaiser les populations du nord, il propose
le 27 avril 2000 une révision des conditions d'éligibilité
politique et d'accès à la citoyenneté. Si désormais
tout prétendant à l'investiture doit être né de
père « ou » de mère ivoirien d'origine, Alassane
Ouattara demeure exclu des prétentions présidentielles dans la
mesure où il s'est prévalu d'une autre nationalité
politique. Cette clause retirée par la Commission consultative
constitutionnelle et électorale (CCCE) précédemment est
alors réintroduite par Robert Gueï.
La montée des tensions consécutives à
cette décision pousse Robert Gueï à dissoudre son
gouvernement. Ce remaniement est l'occasion, d'évincer le RDR du
gouvernement. Si à partir de ce 27 avril 2000, l'essentiel de la
préoccupation de Robert Gueï est de soigner sa stature
présidentielle, il doit néanmoins faire face aux
conséquences de la « milicianisation » de l'armée
initiée par son putsch. La mutinerie provoquée par les militaires
le 4 juillet 2000, qui réclame un « trésor de guerre »
de 6 millions de francs CFA par homme, soit dans les environs de 9000€ par
tête démontre de cela (Bouquet,2005). Si elle fut maitrisée
par la répression, cette mutinerie témoigne également du
désengagement du corps militaire de sa vocation première à
servir et protéger les citoyens.
L'allégeance militaire ivoirienne au politique
dépend dès lors de 3 facteurs : la capacité du meneur
à répondre aux exigences économiques de ses troupes, sa
provenance ethnique et de sa volonté et capacité à
intégrer les nouvelles recrues à l'appareil
politico-militaire.
Six jours avant le référendum, le «
Général-président » Gueï modifie à
nouveau l'article 35 de la constitution qui est soumise au vote. Ainsi il
fallait bien être né de père « ET » de
mère eux-mêmes ivoiriens d'origine. Cet acte se présente
comme un contre-pied à l'appel d'Alassane Ouattara à voter en
faveur de la constitution le 26 mai 2000. En dépit de la
Page 103 sur 227
période de tension, la constitution est massivement
adoptée par 86,3% des suffrages exprimés avec un taux de
participation de 65,05% (Bouquet,2005).
Le reste de la campagne est marquée par
l'éviction définitive du RDR de l'élection ainsi que du
PDCI-RDA. Les deux candidats principaux à la présidence du 22
octobre 2000 sont alors Robert Gueï et Laurent Gbagbo. Si le premier ne
fait pas réellement campagne, le second certainement sur de sa victoire
profite de sa campagne pour mettre en garde le président sortant sur la
nécessité d'accepter pacifiquement les résultats du 22
octobre.
L'élection du 22 octobre 2000 marque le retour des
« conflits ouverts » sur le territoire ivoirien. Le FPI de Laurent
Gbagbo met en oeuvre un dispositif d'observation reposant sur l'utilisation des
nouvelles technologies de l'information et de la communication ainsi que sur la
mobilisation de la force armée pour bénéficier de la
lecture des résultats en temps réel. Ceci n'est pas du goût
du président sortant qui fait alors intervenir la « Brigade rouge
», une des milices qui lui est fidèle, à la Commission
Nationale Electorale, pour faire pression sur cette dernière. Le
ministère de l'intérieur annonce la dissolution de celle-ci
après qu'elle ait proclamée la victoire du Général
Gueï à 52,72% des votes exprimés.
La contestation de Laurent Gbagbo est suivie d'une
mobilisation de « patriotes », invités à descendre dans
la rue pour faire barrage à l'imposture du résultat. Si dans un
premier temps les affrontements entre les pro « Gueï » et les
« patriotes » de Laurent Gbagbo gangrènent les rues et
l'armée, causant 9 morts, la nature des heurts change rapidement. A la
proclamation des résultats définitifs faisant de Laurent Gbagbo
le nouveau président ivoirien, les « patriotes »
composés de civils et de militaires pour la plupart armées,
prennent alors pour cible les militants du RDR qui ont profités de
l'incertitude des résultats pour manifester en faveur de la tenue d'une
nouvelle élection. Les rues d'Abidjan prennent ainsi des airs de 1958
quand une véritable « chasse aux dioulas » ethnie
assimilée à Alassane Ouattara, est menée nous rappelant
les agissements de la Ligue des Originaires de Côte d'ivoire (LOCI). Le
bilan est de 155 morts, 316 blessés et 50 disparus. En outre, le premier
charnier, pratique qui se démocratisera pendant la rébellion
nordiste est découvert dans le quartier de Yopougon (Bouquet, 2005).
Le climat de violence ne s'efface pas fin avec la
proclamation définitive de Laurent Gbagbo à la tête de la
Côte d'Ivoire, dans la mesure où les élections
législatives de décembre 2000
Page 104 sur 227
s'inscrivent dans la continuité des
présidentielles, et ne donne qu'une victoire politique au FPI, qui en au
printemps 2001 préempte l'ensemble des sphères
législatives et exécutives ivoiriennes.
Longtemps considérée comme un modèle de
paix et de stabilité en Afrique de l'Ouest, la Côte d'Ivoire,
poumon économique de la sous-région, bascule à la fin des
années 1990 dans un cycle de crise militaro-politique, qui met fin
à l'hégémonie du PDCI-RDA, le 24 décembre 1999.
Mené par le général Guei,
surnommé pour ce fait le « père Noel en treillis », le
putsch de 1999 selon Richard Banégas constitue un séisme dans la
trajectoire somme toute assez tranquille de la « révolution passive
» ivoirienne, une rupture dans les mécanismes de
dérégulation sociopolitique jusqu'alors en vigueur qui
s'exprimaient dans une idéologie politique de la paix et de la
cohésion sociale.
Mais, comme nous avons pu voir, ce putsch fait suite à
une montée des tensions qui s'amorce dès le début des
années 1990, sous le règne d'Houphouët-Boigny, avec la
répression féroce du mouvement démocratique qui est
mené par le Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo et un
syndicat étudiant qui allait devenir très puissant, à
savoir la Fédération estudiantine de Côte d'Ivoire (FESCI).
Ces violences d'Etat, qui ciblent les dirigeants des partis d'opposition et les
leaders étudiants, ont un important effet de crantage, dans la mesure
où elles légitiment en retour l'usage de la force et de la rue
contre un régime dont la forte répression est
considérée comme illégitime par la majorité de la
population. Elles constituent aussi un des premiers moments de la «
milicianisation » des luttes politiques ivoiriennes, le pouvoir
n'hésitant pas à louer les services de loubards surnommés
« vagabonds salariés » et plus communément
nommés « VS » dans les quartiers où ils
sévissent, pour casser les grèves et réprimer tout forme
d'oppositions au régime.
Les enquêtes menées par Richard Banégas
montrent que certains épisodes de cette période demeurent des
références importantes de la grande gente milicienne
d'après-guerre : ceux qui ont été les victimes directes ou
indirectes de cette coercition déléguée aux nervis du
régime y font souvent référence dans les justifications de
leur engagement, notamment les membres de la FESCI.
Page 105 sur 227
Le putsch de décembre 1999 rompt également avec
la trajectoire historique de cantonnement politique de l'armée. Il
inaugure un cycle de violence marqué par la multiplication de tentatives
de coups d'Etat et la radicalisation de la répression politique. On peut
retenir 3 effets majeurs de cette séquence. Elle contribue d'abord
à légitimer l'usage de la violence armée comme moyen
d'arbitrage politique. Dès lors les militaires en rupture de ban et les
jeunes miliciens deviennent les faiseurs de rois et les juges de paix de la
compétition politique. Bien entendu ils ne détiennent pas le
monopole de la légitimité politique mais la classe politique et
plus particulièrement les héritiers de l'houphouëtisme ne
peuvent plus gouverner sans eux. Le second effet majeur de la transition
militaire est l'accélération du double processus de «
milicianisation » de l'armée et de la société qui
s'était engagée dans la décennie
précédente.
Dès le début de la junte militaire, on peut
observer une désagrégation immédiate de l'appareil de
sécurité dont la gendarmerie, jusque-là
réputée pour sa discipline, qui se divise en de multiples
factions, qui obéissent souvent moins à la chaine de commandement
officiel qu'à des hiérarchies informelles et à des clans
personnels. En vérité, ce processus débute pendant la
gouvernance de Henri Konan Bédié, qui n'est pas parvenu à
garantir la cohésion des Forces armées nationales de Côte
d'ivoire (FANCI) comme son prédécesseur. Les sous-officiers
originaires de l'Ouest et surtout du Nord, très nombreux dans
l'armée et souvent d'extraction modeste, ont mal vécu la
dégradation de leurs conditions sous la présidence
Bédié.
Ce sont ces officiers qui mettent fin au régime de
Henri Konan Bédié en décembre 1999, confiant ensuite les
rênes du pays au général Robert Gueï. Dans le sillage
de ces jeunes mutins de décembre 1999, on voit alors se constituer des
factions militaires plus ou moins autonomes au sein de l'armée et des
structures parallèles qui deviennent très vite des milices
urbaines, plus ou moins affiliées à un « leader »
politique mais qui n'obéissent en vérité qu'à leurs
petits chefs militaires, dont le lieutenant Boka Yapi et le sergent-chef
Ibrahim Coulibaly dit « IB » que l'on retrouvera à la
tête de la rébellion de 2002. Leurs dénominations que l'on
peut qualifier de mafieuses tel que « Camorra », « Cosa Nostra
», « Brigades rouges » ou « Mafia » traduisent des
dérives criminelles de ce régime de transition se livrant
à toutes formes de violences et de pillages.
Page 106 sur 227
La veine tentative du général Guei de
restitution de l'ordre dans ces structures durant l'été 2000 par
le démantèlent du « PC Crise » et l'exil de « IB
» démontre de la grande inquiétude du «
Général-Président » relative à sa
capacité à les contrôler. Au vu de l'Histoire, il apparait
clair que le mal était déjà fait. Robert Gueï est
rapidement dépassé par les velléités de ses
partisans militaires comme civils qui l'ont fait roi et qui se
considèrent dès lors au-dessus des lois. De fait, le
troisième effet notable de cette transition militaire a
été de contribuer à une diffusion rapide de la violence
dans l'espace public et, surtout, de renforcer le sentiment d'impunité
de ceux qui l'utilisaient pour accumuler richesses et pouvoir
(Banégas,2010).
Rébellion et démocratisation des milices en
Côte d'Ivoire
Figure 21: La crise ivoirienne entre 2002 et 2007
(PARMENTIER, 2007)
Page 107 sur 227
La notion de milice, qui, de façon
générale, prête déjà à confusion,
définit ici plusieurs types de regroupements et modes d'action. On peut
en distinguer trois : les forces paramilitaires de l'Ouest, les groupes
d'autodéfense villageois et les milices urbaines constituées pour
l'essentiel des « jeunes patriotes » de Laurent Gbagbo. Toutes ces
structures n'ont pas forcement pris une part active aux combats, certaines se
spécialisant plutôt dans l'action de rue, l'intimidation et la
mobilisation de masse comme les Jeunes patriotes d'Abidjan ou la FESCI.
Précisons d'ailleurs que la situation de conflit
ouvert est très brève entre septembre 2002 et l'été
2003, avec quelques épisodes de violences sporadiques par la suite. Bien
que ces affrontements donnent lieu à des violences extrêmes dans
certaines zones, il faut souligner que les anciens combattants ont, en
comparaison d'autres situations, pas beaucoup ou pas longtemps combattu. La
typologie milicienne présentée plus haut est purement analytique
et non exhaustive car, d'une part, on constate que les frontières entre
ces divers mouvements sont très poreuses sur le terrain et, d'autre
part, on sait que ces mouvements participent d'une même nébuleuse
de forces parallèles qui ont été organisées et
financées en haut lieu par les premiers cercles du pouvoir
présidentiel (Banégas,2010).
Quoique non homogènes et pas toujours
coordonnées, ces diverses forces parallèles s'inscrivent dans un
continuum de privatisation de la violence et de para-militarisation du pouvoir
dont l'exercice, durant la guerre, s'est informalisé. Ces structures
sont très actives aux débuts du conflit ; ce sont elles qui
permettent au régime de se maintenir. Leurs activités par la
suite, varient en fonction des évènements ; certaines
disparaissent, d'autres font évoluer leurs fonctions et leurs raisons
sociales, mais la plupart se maintiennent et posent le défi majeur de
l'après-guerre. De par sa signification sociale et politique, le
phénomène milicien et son devenir s'est rapidement
révélé un facteur à considérer dans
l'appréciation du processus réconciliation post-conflit
(Banégas,2010).
Les racines de la guerre civile ivoirienne
débutée en 2002 sont rendues complexes par une pluralité
de causes allant de la crise économique et du chômage des jeunes
à la question de la citoyenneté en passant par la politique
foncière. Par conséquent, les acteurs que cette guerre civile
implique sont motivés par des logiques et des représentations
différentes rendant compte des dynamiques les impactant au début
du conflit.
Page 108 sur 227
L'approche des perceptions du conflit permet ainsi de
comprendre certaines logiques, souvent sous-jacentes, qui motivent les jeunes
combattants ivoiriens. Leurs représentations et leurs
compréhensions de la guerre diffèrent dans la majorité des
cas de celles de leurs hiérarchies politiques et militaires,
essentiellement communautaires. Mais ils trouvent cependant des justifications
de leur enrôlement dans les expériences de frustrations
identitaires.
L'évocation d'une lutte pour la liberté dans
laquelle les jeunes ivoiriens perçoivent des valeurs telles que le
sacrifice, l'abnégation ou encore le courage est à mettre en
rapport avec leurs volontés d'être partie prenante du processus de
transformation sociale, politique et économique du pays. La violence des
jeunes ivoiriens au plus fort de la crise repose sur un socle social et
communautaire qui fournit au conflit son ancrage local. Aussi, on peut observer
parmi les déterminants de leur enrôlement, l'implication de
ceux-ci à divers niveaux de l'instance familiale et communautaire.
L'enrôlement au sein d'une milice constituant le gage d'une
sécurité familiale et communautaire.
Michel Galy note par ailleurs, que la légitimation du
recours à la force armée tire ses arguments des
événements de l'histoire politique de la Côte d'Ivoire.
Cette approche nous permet d'explorer les différentes significations que
prend le conflit dans les représentations collectives. Ainsi, il a
été mis en évidence le lien entre les perceptions de la
nature du conflit et un processus social de légitimation de
l'enrôlement des jeunes. Cependant, ces derniers s'opposent à
l'idée d'une sécession ou d'irrédentisme tout en
définissant l'idée de la patrie sur la base d'une
idéologie valorisée dans leur aire culturelle exclusive
(Galy,2010).
En somme, selon Moussa Fofana le conflit ivoirien
s'établit sur la base d'ancrages locaux et d'une accumulation de
frustrations antérieures, terreau fertile dans lequel chacun a
trouvé les justifications de son engagement. On ne peut occulter la
prédominance d'une idéologie victimaire dans la mobilisation des
combattants. La question identitaire posée au départ du conflit
est devenue une entrée possible pour attirer l'attention sur les
perceptions variées de la citoyenneté et les insuffisances des
mécanismes de régulation politiques, sociales et mêmes
économiques de la société ivoirienne (Fofana,2011).
Page 109 sur 227
Si les rebellions locales ont tout intérêt, pour
asseoir leur légitimité, à se poser dans un contexte
national et à nier les influences ou alliances extérieures, un
comparatisme rapide dévoile au contraire bon nombre de liens
étonnants, au-delà des discours. Si des chercheurs comme Stephen
Ellis et surtout Paul Ritchards ont mis l'accent sur les catégories
d'âge et d'ethnicité de rébellions socialement et
politiquement dominées, nous pouvons mettre en avant le caractère
spatialement périphérique, dans une double acceptation spatiale
et sociale de ces mouvements dans la crise ivoirienne.
Au regard de la période de conquête coloniale,
procédant des côtes vers l'intérieur, le caractère
politique des périphéries ivoiriennes dominées et
délaissées prend alors une dimension structurelle. Des chercheurs
comme Claude Raffestin, comparant les modes de construction de l'Etat, n'ont
pas hésité à généraliser ce
phénomène : quand l'Etat se montre fort et juste en son centre,
il est au contraire plus distant et coercitif au sein de ses territoires
constituant ses marges. Pour autant, nous nous abstiendrons de tout
déterminisme dans la mesure où un guérillero ne naît
pas tout armé à chaque frontière. Il faut pour cela des
circonstances particulières, une histoire propice, des financements, une
organisation, etc. Les mouvements rebelles d'Afrique de l'ouest ont souvent
été appréhendé au regard d'autres Etats africains,
la plupart d'entre eux patrimoniaux. Ainsi, l'économiste Paul Collier
prête aux « War Lords » des mentalités exclusivement
entrepreneuriales et des moeurs seulement capitalistiques.
Le discours structurant des rébellions peut avoir une
certaine consistance idéologique bien que leurs pratiques en
diffèrent sensiblement. Qu'il s'agit du discours anti-corruption et
anti-Krio (créole) du Front Révolutionnaire Uni (RUF) de Sierra
Leone, des revendications libératrices du Front national patriotique du
Libéria (NPLF) de Charles Taylor contre la dictature de Samuel Doe au
Libéria, ou encore des revendications pro-Rassemblement des
Républicains (RDR) illustrant des revendications nordistes contre
l'ivoirité défendu par le Mouvement Patriotique de Côte
d'ivoire en Côte d'Ivoire (MPCI). Autant de registres évocateurs
de revendications politiques, même s'ils heurtent l'idéal marxiste
des guérillas anciennes. A travers ces idéologies mobilisatrices
se dessinent les failles et les faillites des Etats concernés.
Fonction tribunitienne des guérillas devant la
corruption du système électoral, elles se heurtent cependant aux
structures sociales. Nous pensons ici à l'émancipation brutale
Page 110 sur 227
d'une jeunesse, dont la démographie galopante, conduit
à sa subordination structurelle. Elles ne proposent au mieux qu'une
alternance de prédation basée sur une certaine logique autochtone
du pouvoir : « à chacun son tour... de bouffer ! ».
L'imaginaire populaire ivoirien de la rébellion,
s'appuie essentiellement sur une logique complotiste qui considère que
l'instigateur véritable de celle-ci demeure caché, attendant
patiemment son heure. Selon cette considération, bon nombre d'ivoiriens
considèrent encore les mouvements insurrectionnels, dans sa seule
dimension de bras armé du RDR et de ses alliés, nonobstant les
terribles sévices subit par la population du nord de la part de rebelles
devenus très rapidement incontrôlables au fil de la
rébellion. Cette représentation comporte l'avantage provisoire de
rendre compte de l'autonomisation partielle de la rébellion et de son
ancrage territorial, l'un expliquant partiellement l'autre sans toutefois en
épuiser le sens.
Le mystère des origines de la rébellion qui
n'est pas sans rappeler celui des sociétés secrètes,
attire de nouveaux combattants, aventuriers des temps modernes de toute la
région, qui ont trouvé dans le nomadisme guerrier une situation
pérenne. Pour le camp présidentiel, dont les patriotes et
l'armée loyaliste constituent les forces, les rebelles sont à la
fois des militaires putschistes assoiffés de pur pouvoir, terroristes
islamistes, bataillon détaché burkinabé, ou encore
mercenaires déployés par les occidentaux en
général, français en particulier. Parfaitement
contradictoires, ces considérations ont le mérite de s'appuyer,
tour à tour sur d'indéniables indices tirés de la
chronologie du mouvement rebelle (Galy,2007)
Page 111 sur 227
Figure 22: Les principales factions de la rébellion
ivoirienne (BOUQUET, Pau-Martinez, 2016)
Bien que la croissance rapide des effectifs rebelles soit due
au ralliement des militaires déchus de l'armée officielle, la
présence au début de la rébellion de mercenaires venus du
Libéria et de la Sierra Léone atteste indéniablement du
phénomène de nomadisme guerrier ouest-africains. Ce nomadisme
entraine l'importation de méthodes utilisées en Sierra Leone et
au Libéria telles que l'utilisation d'enfants soldats. Une majeure
partie des travailleurs de l'informel et des chômeurs urbains et ruraux
du Nord ivoirien se constitue en troupes supplétives aux soldats d'une
rébellion, au début inférieur à un millier
d'hommes. La rébellion bénéficie également à
travers eux d'un certain enracinement ethnique.
Plus hypothétique encore, la présence de
soldats burkinabè, avec ou sans uniforme, même s'il est de
notoriété publique que Ouagadougou sert de base arrière
aux leaders
Page 112 sur 227
rebelles qui y possédaient, grâce au
président Compaoré, villas et 4x4, subsides et armes, ainsi que
des facilités de voyage à l'étranger et
d'entraînement militaire. (Galy,2007).
De ces contingents hétérogènes, les
médias internationaux en ont trop vite fait une unité, à
la fois guérilla et mouvement politique. L'« opération MPCI
» a bien été, de l'avis de beaucoup, montée à
posteriori, après l'échec du putsch amenant à la
rébellion et son cantonnement par la force Licorne au Nord de la
Côte d'Ivoire. Celle-ci a néanmoins introduit des
réalignements inédits tout en favorisant un clivage inattendu
militaires/civiles. Le pouvoir rebelle, en dehors du clivage factionnel entre
les principaux leaders Ibrahim Coulibaly dit IB et Guillaume Soro, est plus
à concevoir comme une nébuleuse, faite d'agencements changeants,
de chefs de guerre et de leurs troupes, que comme un système de
commandement hiérarchisé. La reconnaissance des leaders locaux
tels que les « commandants de zones » dit « coms zone », en
charge d'un périmètre dont la surveillance est assurée par
des « commandements opérationnels » assignés à
des postes urbains, peut faire illusion de la réalité qui est
celle de rivalités incessantes pour les rackets, régulées
par les armes. Ainsi, une logique de fiefs se développe, symbole d'une
territorialisation de la violence, qui oblige les leaders rebelles à
tenter de nouer des alliances avec les pouvoirs autochtones, comme Koné
Zackaria, le chef de guerre de Vavoua. Un certain repli sur les fiefs est
observable, à partir de l'exécution du caporal-chef Bamba
Kassoum, taxé de pro-Ibrahim Coulibaly (IB) et bien avant, celle du chef
de guerre Adams, à Korhogo.
La violence militaire, criminelle ou politique, en zone
rebelle, est mal connue et documentée ce qui permet une importante
spéculation à son sujet. En termes de gouvernance et de
définition de la légitimité de la rébellion, de la
cohérence de ses pratiques avec son idéologie, le sujet est
pourtant crucial. La représentation de la violence peut cependant se
nuancer selon les temps et les lieux. Dans sa dimension chronologique, elle est
le fait de « violences de guerre » à l'encontre de
l'armée ivoirienne et des « corps habillés », de
massacres de fonctionnaires et de civils sudistes qui restent à
élucider, d'« épuration ethnique » largement
sous-évaluée, notamment de la part des acteurs humanitaires qui
collabore avec la rébellion en zone nord, en particulier dans la ville
de Bouaké ; et par un massacre ethnico-factionnel au sein de la
rébellion, lors de l'épuration violente par les miliciens de
Guillaume Soro.
Page 113 sur 227
Cela n'empêche pas une « violence ordinaire »
contre la population locale, régulière et sanglante, encore plus
mal connue, due en particulier à l'absence de forces de l'ordre au sein
de l'appareil militaire rebelle. A ce propos, la représentation
populaire de l'action rebelle est incarnée par le massacre gratuit, par
une des factions de la rébellion, de jeunes filles baoulés
exécutant dans un petit village près de Sakassou une danse
rituelle d'exorcisme de la violence. Cet épisode mineur, qui touche
autant les représentations que l'immolation des enfants de gendarmes
sudistes de Bouaké, a bien sûr à voir avec la perte d'une
certaine innocence du vivre ensemble et du temps des rituels remplacés
par celui de la violence pure.
Dans l'ouest, une « libérianisation » du
conflit conduit à des formes de violences plus anomiques, du moins
proches de celles observées lors du conflit du Libéria, à
tel point que la rébellion elle-même se débarrasse de
leaders comme le « pseudo Doe » et de groupes nomades qui enfreignent
les pratiques de la rébellion de Bouaké, elle-même pourtant
peu regardante sur les exactions contre les civils. Ainsi on peut
évoquer une « épuration ethnique sporadique » sur
plusieurs points de la zone rebelle, dans les territoires proches du
Libéria, contre les guérés en particulier. Il est vrai que
cette « libérianisation » du territoire ivoirien reste
partagée, puisque les deux camps loyalistes comme rebelles, ont
instrumentalisé des couples d'oppositions ethniques transfrontaliers,
depuis longtemps sous-jacentes ainsi que des groupes nomades mercenaires, issus
des conflits du Libéria et de la Sierra Leone, en quelque sorte
recomposés pour poursuivre leurs carrières guerrières
(Galy,2007).
L'évolution sanglante de l'Ouest porte tellement
préjudice à la rébellion que l'éviction du «
pseudo Doe », leader éphémère de l'inconsistant
Mouvement Populaire Ivoirien du Grand Ouest (MPIGO) apparaît du fait du
leader Guillaume Soro. A Bouaké, capitale rebelle, les pratiques des
groupes « militaro-mafieux », dénommée « Camorra
», « Cosa nostra » ou encore « Ninja », qu'a connu
Abidjan sous la transition militaire du général Gueï, se
perpétuent voire s'accentuent. Cela n'étonne aucun analyste, tant
il est connu qu'un groupe des « fondateurs » de la rébellion
est justement issu de cette mouvance. Selon une enquête de la Ligue des
droits de l'Homme ivoirienne (LIDHO) de février 2003, « environ 80
% des violences sont perpétrées par les rebelles ». Il est
important de mentionner ce fait dans la mesure où il est quasiment
absent du traitement médiatique
Page 114 sur 227
international de la rébellion et constitue dès
lors un différentiel de représentation de la guerre entre
ivoiriens et étrangers, notamment européens.
A ce jour, un important travail d'enquête villageoise
reste à effectuer en particulier dans la zone nord. Des ONG
françaises, telles Action contre la faim (ACF), remarquent que la
violence systématique contre les populations civiles de l'Ouest au
moment des faits est sous-évaluée. Il faut y voir la conjugaison
d'incursions libériennes et de pratiques extrêmes, qui
échappent en partie au pouvoir de Bouaké, avec une
criminalisation des forces en présence, aggravée par un
système de représailles non seulement interethniques
(inter-ivoirien), mais avec les immigrants nordistes au sens large («
dioulas » et sahéliens) dans une compétition foncière
aiguë (Galy 2007).
Page 115 sur 227
Les dimensions mystiques du conflit ivoirien
Bien que mis à la marge des considérations
relatives à la guerre civile ivoirienne, l'approche par un angle
mystique du conflit peut apporter un éclairage sur les allures de «
guerre sainte » que peut prendre le conflit ivoirien à son
Momentum.
Figure 23 : Répartition ethnique et religieuse en
Côte d'ivoire (Bouquet, Pau-Martinez, 2016)
La Côte d'ivoire abrite essentiellement deux aires
cultuelles sur son territoire. L'islam est la religion la plus
représentée sur le territoire tandis que le christianisme est
majoritaire dans la zone ivoirienne la plus peuplé, à savoir la
région des lagunes.
Page 116 sur 227
Le spiritisme ivoirien se caractérise par un
syncrétisme entre les dogmes des religions monothéistes
dominantes et des pratiques et croyances vernaculaires tels que l'animisme et
le vodou.
Les jeunes patriotes menés par Charles Blé
Goudé, au-delà d'une certaine connivence ethnique avec le
président voue un véritable culte à celui surnommée
« Le christ de Mama », nom du village natal de Laurent Gbagbo. Le
président Gbagbo, ancien professeur de géographie et membre de
l'international socialiste, est un orateur né qui sait galvaniser les
foules, alternant les postures, allant d'un Mandela Ouest africain de par son
combat politique l'ayant mené en prison à un Thomas Sankara de
par sa relation tumultueuse au monde et à l'occident. Et manifestement
d'Houphouët-Boigny de par sa volonté de restaurer la pratique du
« dialogue à l'ivoirienne » disparu avec « le vieux
».
C'est en vertu de ces considérations, que la
représentation des jeunes patriotes, fervents chrétiens
évangélistes, pratiquants pour la plupart, du « Christ de
Mama » est celle d'un élu prophétique dont le rôle est
de restaurer la grandeur de la Côte d'Ivoire. Cette vision est largement
diffusée au sein de la population par un appareil religieu proche du
pouvoir, composée de pasteurs et de prophètes dont
l'intégrité au vu des événements peut être
remise en cause.
Cette représentation « messianique » de
Laurent Gbagbo est renforcée à mesure que sa ligne politique est
empreinte d'une valeur communautaire qui fait de l'ère Gbagbo,
l'ère de l'hégémonie bété, où chaque
membre de sa communauté « pourrait bouffer à son tour
». Ainsi l'accès aux privilèges du peuple bété
est récompensé par une allégeance que l'on peut qualifier
de fanatique de celui-ci à son président.
On peut retrouver actuellement à travers des meetings
du mouvement « Gbagbo Revient ! dit Gbor » les derniers vestiges du
culte voué à Laurent Gbagbo, devenu martyr depuis son
déferrement à La Haye. Le spectre d'un retour à la vie
politique de l'ancien leader du Front Populaire Ivoirien constitue une menace
majeure au fragile équilibre de « paix » présent sur le
territoire ivoirien depuis 2011.
L'essentiel des forces armées rebelles, composé
de jeunes pour la plupart désoeuvrés issus des villages du nord
du pays, est essentiellement de confession musulmane. Le courage de ces troupes
sur le champ de bataille provient, outre de l'alcool et de la drogue, de la
Page 117 sur 227
confiance en la protection des « fétiches »
prescrits par leurs marabouts familiaux. Il va de soi que l'efficacité
de ce que certains nommeraient placebo, ou encore efficacité magique
n'est rendu possible que par l'acceptation collective de l'existence d'une
transcendance dépassant la compréhension humaine.
L'émergence des dozos au coeur du conflit ainsi que
l'institutionnalisation de ceux-ci à partir de 2011 traduit d'un
amalgame entre des considérations mystiques et des impératifs
sécuritaires. On pourrait considérer cet amalgame comme un retour
à une forme d'organisation sociale précoloniale mais lorsque que
l'on s'intéresse de plus près à cette
institutionnalisation des dozos, il apparait évident qu'il
s'agit plus d'un opportunisme politique des principaux leaders des associations
de dozos que d'un retour à des valeur passés de la
société ivoirienne.
Entre modernisme et tradition ; l'institutionnalisation des
dozos
Rodrigue Fahiramane Koné met en avant que pour
comprendre son émergence politique et institutionnelle, il est
primordial de comprendre le caractère multidimensionnel du
phénomène dozo. En plus de la profondeur historique et de
l'épaisseur culturelle qu'évoque la confrérie dozo, son
association avec la problématique sécuritaire ivoirienne permet
d'éclairer sous un angle original l'histoire politique récente du
pays.
En Côte d'Ivoire la majeure partie des adeptes de la
confrérie dozo appartiennent aux ethnies Mandé (Malinké,
Bambara, Dioula) et Voltaïque (Sénoufo et Lobi). Les mandés
et voltaïques ont historiquement été implantés dans
la partie septentrionale du pays.
La plupart des travaux spécialisés sur ces
chasseurs font des empires Mandingue et du Mali le foyer originel de la
confrérie dozo. L'Empire mandingue fut une importante entité
politique du Moyen-Age ouest africain fondé au XIIIe siècle par
le souverain Soundjata Kéita. Cet Empire a su fédérer sur
une longue période un ensemble de communautés reconnues
aujourd'hui sous le vocable de communautés mandingues. La chute de cet
empire qui connait son apogée au XIVème siècle a
marqué l'expansion géographique, après plusieurs
migrations, des différentes communautés mandingues dans une large
partie de l'Afrique de l'Ouest.
Les associations de dozos en Côte d'Ivoire sont avant
tout des confréries de chasseurs traditionnels reflétant, du
point de vue anthropologique, une institution socio-culturelle
Page 118 sur 227
propre aux traditions de l'aire culturelle Mandé
répandue en Afrique de l'Ouest. L'institution fonde sa
légitimité à la fois sur une expérience historique
et culturelle ainsi qu'une chaine de valeurs, de principes et de croyances
relevant du symbolisme religieux.
La pratique magico-religieuse des dozos, n'est pas sans
influence, militairement efficace car elle est socialement acceptée et
ancrée au coeur de la croyance populaire. Ainsi il est populairement
admis que les chefs dozos comme Zakaria Koné, Bamba, Ibrahim
Konaté ou encore Chérif Ousmane disposent de pouvoir tel que la
transformation en animaux, l'invisibilité,
l'invulnérabilité aux balles, et la prescience.
Comme au Libéria, le look rebelle est une «
panoplie ethnique » du mysticisme des chasseurs : dreadlocks, kaolin,
attirail de miroirs, colliers de cauris, amulettes et tuniques destinés
à terrifier et terrasser l'adversaire.
L'affaiblissement de l'appareil sécuritaire de l'Etat
et l'instabilité politique ivoirienne au moment de la crise ivoirienne
se révèle être des opportunités savamment
exploitées par les associations de dozos. En s'appuyant sur la
symbolique culturelle, religieuse et l'imaginaire historique, les dozos ont su
construire un consensus au sein des populations sur l'efficacité de leur
offre sécuritaire. Toutefois l'engagement politique de certaines
associations de dozos au compte de la rébellion armée dans un
contexte national polarisé autour des identités ethniques a fini
par éroder l'image d'acteurs sécuritaires neutres et
politiquement indépendants.
Les associations de dozos tout en exerçant dans un
environnement politique contingent et un cadre légal flou,
négocient astucieusement leur ancrage dans l'espace public. Ces
stratégies d'adaptation laissent transparaitre une hybridation
organisationnelle, entre logique de fonctionnement traditionnel de la
confrérie et logique d'organisation administrative selon les exigences
de l'Etat moderne.
Les influences sur le système sécuritaire
officiel ainsi que les imaginaires et croyances associés aux dozos, le
positionnement des adeptes de la confrérie dans le système
sécuritaire et les collaborations officieuses entre autorités
sécuritaires et la confrérie à maints endroits sont autant
d'éléments témoignant de l'influence de la
confrérie dans le système sécuritaire officiel. La
description des abus imputés aux dozos a permis de mettre
également en évidence l'implication des dozos dans la production
de l'insécurité et de
Page 119 sur 227
soulever la question de leur responsabilité juridique
face à de tels abus. Si l'investissement sécuritaire dozos
en Côte d'Ivoire ne peut se comprendre qu'à la lumière
de l'histoire politique ivoirienne, il devient évident que les
modèles de structuration des associations de dozos au niveau national se
diffuse dans d'autres pays avec le recentrage sur des questions
sécuritaires.
Il demeure néanmoins que les dozos ont
été une force déterminante de l'accession au pouvoir
d'Alassane Ouattara en 2011. Celui-ci a également pu compter sur le
soutien de la communauté internationale et plus particulièrement
la France pour accéder à la fonction suprême ce qui
laissera une empreinte considérable dans les représentations des
ivoiriens et de la communauté internationale (R.F. Koné,2018)
Page 120 sur 227
C. De la complexité de l'aide internationale : La
sortie de crise ivoirienne
Figure 24 : Répartition des forces internationales du
maintien de la paix en Côte d'ivoire
A la lecture des travaux de I.Bergamaschi et S.Dezalay , il
semble qu' un principe implicite au sein des Nations unies pendant la guerre
froide interdit aux membres permanents du Conseil de sécurité ou
à toute puissance régionale, tout pays supposé avoir des
intérêts particuliers dans la zone d'intervention ou ayant une
relation historique ou géographique étroite avec le pays
où l'intervention est envisagée, d'envoyer des troupes sur le
terrain. Ce principe est remis en cause à partir de 1989, et les membres
permanents du Conseil de sécurité de l'ONU sont les premiers
à encourager l'émergence d'opérations menées par
coalition sous la responsabilité du pays mandataire de l'intervention,
comme l'ont fait la Grande-Bretagne en Sierra Leone, l'Australie au Timor
oriental ou encore la France en Côte-d'Ivoire. L'absence d'armée
effective et permanente rend l'ONU dépendante de la bonne volonté
et des contributions humaines et matérielles de ses États
membres. Dans le cadre de son intervention en Côte-d'Ivoire, cette forme
de « délégation » n'en constitue pas moins un
désaveu de la communauté internationale tout entière.
Dans la majorité des cas, l'absence de consensus
international sur les modalités d'intervention conduit à la
supervision de la mission par un État qui, en fonction des circonstances
et pour des raisons diverses, trouve une motivation, et bien souvent un
intérêt, à prendre la tête de la force
multilatérale onusienne. La communauté
Page 121 sur 227
internationale, méfiante depuis les revers de la
Somalie et du Rwanda, hésite à intervenir en terre africaine
(Bergamaschi et Dezalay,2005).
C'est en vertu de cela que le Conseil de
sécurité s'empresse de saluer l'intervention française
dans la crise ivoirienne, faisant au passage des accords de Lina-Marcoussis la
base de son action jusqu'à la fin de son intervention en Côte
d'ivoire, et de plébisciter le déploiement militaire de la CEDEAO
et des troupes françaises. Le conseil de sécurité, en
acceptant de déléguer la conduite de la mission de
rétablissement de la paix en Côte d'Ivoire à la France, lui
octroie également le droit de disposer d'une marge d'appréciation
et d'action dans la conduite de celle-ci. Bien entendu, la mission
générale reste sous la supervision de l'ONU qui demeure le
tributaire du résultat final.
Lorsque qu'un état prend le leadership d'une coalition
internationale, il est très souvent démontrable qu'outre ses
aspirations à la paix et à la sécurité mondiale,
l'état en question, dispose dans le territoire de son intervention,
d'intérêts stratégiques. En revanche, il est dès
lors amené à composer avec la pression qu'engendre la
responsabilité éthique et morale d'une intervention sous mandat
international. Le poids de cette responsabilité n'éradique pas
les agissements relatifs aux conflits d'intérêts mais permet
néanmoins de raisonner les aspirations prédatrices.
L'éthique, critère principal
d'évaluation de l'action internationale, ne constitue cependant pas le
premier élément de motivation de l'Etat en charge d'une
opération. C'est dans cette contradiction que se révèle la
complexité et la problématique majeure de l'intervention
française en Côte d'ivoire.
Lors des débats sur la façon de contribuer
à la gestion de la crise ivoirienne, qui anime le milieu
décisionnel français, une considération domine : Ainsi
nous citons « Aujourd'hui, il est aberrant de séparer
sécurité et développement ; tout le monde sait bien que
les deux sont liés et que les conflits en Afrique sont le principal
frein au développement du continent. Et pourtant, c'est ce que l'on
fait. En Sierra Leone, on a participé à la réinstallation
et à la restauration d'infrastructures, à la
réconciliation, on a soutenu les collectivités locales. Alors en
Côte-d'Ivoire, on a voulu faire la même chose. Mais on nous a
opposé un refus catégorique. » (Bergamaschi et
Dezalay,2005).
Page 122 sur 227
La représentation du conflit Ivorien n'est alors que
« politique ». Nous pouvons également observer une certaine
réticence française à intégrer les dimensions
régionales de la crise. Pourtant, au regard de celles-ci il apparait
aujourd'hui évident que le rôle des voisins burkinabè et
libériens a été considérable dans l'entretien des
tensions dans le nord et l'ouest ivoirien. Plus qu'une crise politique, la
guerre civile ivoirienne est avant tout une crise identitaire dont la
résolution définitive ne peut être qu'endogène
à la Côte d'ivoire.
Les accords de Linas-Marcoussis que la France obtient en
janvier 2003 traduisent de la considération essentiellement politique
qui met l'accent sur une « réconciliation nationale » et
l'établissement de nouveaux codes de nationalités,
électoraux et fonciers. Ces accords de Linas-Marcoussis servent pourtant
de bases aux accords d'Accra de juillet 2004 initiés par la CEDEAO et
ceux de Prétoria d'avril 2005 initiés par l'Union Africaine
constituant l'essentiel de la solution africaine à la crise. De fait, la
France n'a de cesse depuis le début de la crise ivoirienne
d'internationaliser la gestion de celle-ci. L'explication de ce choix tient en
partie au fait que l'ONU donne à la France un capital de
légitimité considérable.
A partir des années 1990, l'action sous la
bannière de l'ONU est un vecteur de légitimité
géopolitique (Inis,1966). On comprend dès lors que la France, qui
désavoua publiquement l'intervention américaine en Irak qui se
fit sans l'aval des Nations-Unies, recherche le soutien de l'ONU pour pouvoir
affirmer agir au nom de la communauté internationale et non au nom de
ses propres intérêts. Ce rôle majeur de légitimation
collective comme fonction politique des Nations Unies a été
souligné par Claude Inis dès 1966.
L'ONU accepte ainsi des accords ou des désaccords
relatifs aux revendications, aux politiques ou aux actions des Etats, y
compris, mais pas seulement, à leurs revendications d'un statut de
membre indépendant du système international (Inis, 1966). Claude
Inis montre également que les « grandes puissances » cherchent
particulièrement à acquérir la légitimité
internationale dans leurs actions, pour justifier leurs puissances et leurs
actions, et pour se sentir en phase avec leurs consciences ».
Appliquée à la gestion par la France de la
crise ivoirienne, cette analyse montre que la situation de la France est
plutôt celle d'une ancienne puissance coloniale, familière d'un
terrain donné, que celle d'une grande puissance
hégémonique à proprement parler. Le
Page 123 sur 227
statut de la France sur la scène internationale faisant
l'objet d'un autre débat, celui de la quête de
légitimité et de la reconnaissance des pairs. Puissance et
légitimité ne sont ainsi pas contradictoire mais bien
complémentaires.
Les dirigeants cherchent généralement la
légitimation non pas seulement pour satisfaire leurs propres consciences
mais bien pour renforcer leurs positions. Dans le cadre de la gouvernance en
Afrique de l'Ouest, la légitimité, à condition qu'elle
s'établisse sur la base de considérations politiques, sociales et
traditionnelles doit permettre une efficacité accrue du
président, lui permettant sérénité et
sécurité dans la détention et l'exercice du pouvoir.
Cependant, le processus de légitimation onusien
révèle la principale faille institutionnelle des Nations Unies.
L'usage courant des Nations Unies comme agence se prononçant sur
l'acceptabilité politique des politiques et positions nationales, invite
les chefs d'État à agir avec modération. Leur
préoccupation quant aux résultats des délibérations
de l'organisation peut favoriser un consensus leurs permettant d'obtenir
l'approbation collective. D'un autre côté, cet usage des Nations
unies peut conduire à une instrumentalisation de celle-ci à des
fins propagandistes, au détriment de son rôle de promoteur
d'accords diplomatiques internationaux.
La légitimation collective peut favoriser les
changements légaux et rendre le droit international plus digne de
respect et plus susceptible d'être respecté, mais cela peut aussi
valoriser les calculs de ce que la situation politique rendra possible aux
dépens des considérations qui recherchent ce que les principes de
l'ordre exigent (Inis,1966).
Dans le cas ivoirien, l'accord et l'encadrement de la mission
par l'ONU ainsi que le soutien manifeste aux organisations régionales
africaines sont censés se constituer gage d'une intervention «
internationale » et non d'une intervention « néocoloniale
» française. Mais dans ce cas précis, la faiblesse
institutionnelle et politique de ces organisations a rapidement
démontrée des limites de l'alternative régionale
(Smith,2003).
Cependant, le manque de clarté du mandat de
l'opération multilatérale portée par la France,
caractéristique de la plupart des interventions onusiennes favorise, en
l'occurrence, une certaine confusion dans les objectifs fixés et
constitue le socle des premières mises à l'épreuve des
forces françaises sur le terrain. Officiellement, la mission
Page 124 sur 227
de l'opération Licorne est destinée à
éviter un affrontement le temps qu'une force de paix ouest-africaine se
mette en place sous l'égide de la Communauté économique
des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Philippe Leymarie souligne
pourtant que, dès les premières actions de la force LICORNE les
objectifs spécifiques de l'opération se révèlent,
à savoir la protection d'Abidjan, ainsi que celle des régions sud
et les centres «utiles» du pays, la dissuasion à la
progression des armées rebelles et la consolidation de la ligne de
front, le temps que se ressaisisse l'armée ivoirienne avec le risque
assumé de consacrer, au moins provisoirement, une partition de fait du
pays. (Leymarie, 2002).
Le glissement des missions attribuées à
l'opération Licorne montre d'ailleurs à quel point la
frontière est poreuse entre une opération dite « humanitaire
» et un engagement de nature à conforter sur le terrain l'une ou
l'autre des parties. Jusqu'au milieu des années 1990, les interventions
militaires d'urgence dans l'ancien pré-carré francophone avaient
le plus souvent débouché sur des actions en faveur de
régimes alliés. L'armée française intervenait dans
le cadre d'accords de défense signés avec sept États et de
coopération militaire avec vingt-cinq pays, et ce grâce à
un réseau de forces prépositionnées sur cinq bases ainsi
qu'à des échanges permanents avec les armées locales comme
en attestait la quinzaine d'exercices et les 250 escales de bâtiments de
la Marine nationale réalisées chaque année (Bergamaschi et
Dezalay,2005).
L'intervention de l'armée française en
Côte d'Ivoire constitue la première fois que la France agit sous
mandat de l'ONU dans l'un des pays de son aire d'influence. Sur demande
insistante du gouvernement d'Abidjan, Paris se résout, tout en se
refusant à faire jouer le traditionnel accord de défense
franco-ivoirien, qui ne peut être actionné qu'en cas d'«
agression extérieure », à fournir à l'armée
ivoirienne régulière, au titre de la coopération militaire
« normale », un soutien en matière de transmissions, de
transport et de ravitaillement.
Trois motifs centraux sont alors évoqués : la
sécurité des ressortissants français, l'unité de la
Côte-d'Ivoire et l'appui à la médiation de la CEDEAO. La
France semble donc dès le départ avoir le souci «
d'internationaliser » la gestion de la crise, par son appui à la
médiation de la CEDEAO et la recherche d'une légitimation par
l'ONU, certes a posteriori, de son intervention. Cependant, le caractère
flou du mandat de la force Licorne ainsi que l'évolution de son contenu
montre que la position française oscille entre la
bilatéralisation
Page 125 sur 227
de la gestion de la crise ivoirienne par l'actionnement de la
coopération militaire, la multilatéralisation, et depuis les
événements de novembre 2004, la re-bilatéralisation de
celle-ci (Bergamaschi et Dezalay,2005).
La première action de la force Licorne consiste en
l'évacuation des civils français et occidentaux des villes de
Bouaké et de Korhogo, et la sécurisation de la
délégation diplomatique de la CEDEAO venue rencontrer les
rebelles du Mouvement Patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI). La France
dès le début de son intervention est critiquée par les
deux parties. Que ce soit par les forces loyales au Président Laurent
Gbagbo, pour son refus d'appliquer les accords de défense de 1962 ou par
les Forces nouvelles (ex-rebelles) pour l'entrave à leur
progression vers le sud. Une fois l'accord de cessez-le-feu accepté par
les deux parties, les objectifs de la mission Licorne sont redéfinis :
le 20 octobre 2002, à la demande du Président Laurent Gbagbo, les
troupes françaises se voient confier la tâche de veiller à
la sécurisation de la ligne née des accords de cessez-le-feu.
Avec la résolution 1464 du 4 février 2003, les missions du
contingent français sont étendues au soutien de la force CEDEAO
et à la prévention d'une déstabilisation
générale de la Côte-d'Ivoire.
Les événements de novembre 2004 montre toute
l'ambiguïté d'une intervention actionnée dans un cadre
bilatéral par la mise en oeuvre des accords d'assistance technique entre
la France et la Côte-d'Ivoire, mais effectuée sous couvert de
neutralité onusienne. Cette ambiguïté concerne en premier
lieu l'utilisation des moyens de la guerre pour des missions comportant une
fonction importante de maintien de l'ordre. Les soldats français sont en
partie chargés de tâches classiques : s'interposer entre des
groupes armés, surveiller le cessez-le-feu, établir et maintenir
une « zone de confiance », mais ils le font dans un environnement
très volatil où il n'est pas toujours aisé de distinguer
les acteurs entre eux ou de suivre les logiques de leurs actions.
Confrontés à des « émeutiers », les militaires
de la force Licorne doivent donc, nécessairement, adapter les outils
militaires à des fonctions de « police », en ayant recours,
notamment, à la gendarmerie mobile française. Cela les
amène à exercer l'une des fonctions régaliennes d'un
État pourtant encore considéré comme « souverain
». La force Licorne devient donc le bras armé mais cependant ambigu
du mandat par ailleurs « souple », du moins jusqu'en novembre 2004,
de la force onusienne envoyée sur le terrain.
Page 126 sur 227
Les « Forces impartiales » que sont celles de
l'ONUCI et de la force Licorne déploient ainsi en Côte-d'Ivoire
environ 10 000 soldats, soit la moitié du contingent britannique
déployé précédemment en Sierra Leone, pays cinq
fois moins vaste. Quant à l'ordre de mission onusien, il se durcit
à partir de l'automne 2004. Alors qu'il ne pouvait jusqu'alors qu'«
observer et rendre compte » des violations du cessez-le-feu, le tandem
Licorne-ONUCI peut depuis lors « dissuader et empêcher ». Le
durcissement de l'embargo sur les armes autorise l'inspection sans
préavis de tout avion, navire, camion, port ou aéroport, et
contraint les Forces nouvelles, l'armée loyaliste et les
milices à livrer un inventaire exhaustif de leurs arsenaux.
Sa mise en oeuvre demeure cependant aléatoire.
Philippe Leymarie citait ainsi plusieurs militaires de l'opération
Licorne, dont le colonel Patrice Dumont Saint-Priest, chef des
opérations de l'ONUCI : « On nous invite à éviter
tout clash inutile [...]. » « Pas question de mettre le pays à
feu et à sang pour trois kalach' chopées à une
frontière », précise un officier de Licorne. « Posture
intenable », grommelle un témoin privilégié du
divorce franco-ivoirien. Il ne suffit donc pas d'intercepter un jour un
commando des Forces nouvelles puis, le lendemain, de bouter un
détachement des FANCI hors de la frange démilitarisée. Sur
le terrain de l'intervention, l'intervenant ne peut en effet arriver comme un
agent neutre et extérieur.
En l'occurrence, il semble a priori difficile que
les troupes françaises se débarrassent de la perception qu'elles
se sont faite traditionnellement d'elles-mêmes, de leur rôle et de
leurs interlocuteurs africains. Aussi l'opération Licorne est-elle
paradigmatique des ambiguïtés et difficultés que rencontre
tout État dans l'intervention dont il assure le leadership, tout en
mettant en relief certaines spécificités liées à la
nature particulière des relations qui lient cet État et le
terrain de l'intervention (Bergamaschi et Dezalay,2005).
Il apparait clair aujourd'hui que penser que la France
pouvait prendre la tête de l'opération de l'ONU en faisant fi du
poids de ses relations historiques avec le continent africain, et en
particulier la Côte-d'Ivoire, ancienne « vitrine » de son
ancien « pré-carré » relève de
l'ingénuité. Activement impliquée dans la construction de
l'État ivoirien, la France est donc, nécessairement, un
protagoniste de la crise ivoirienne. Par ailleurs, même la
bannière de l'ONU n'a pu débarrasser la force française de
son « imaginaire » de l'Afrique et de sa perception de soi sur le
continent.
Page 127 sur 227
À cela s'ajoute une croyance assez largement
partagée par les dirigeants et les militaires français de
détenir une grande expertise du terrain et une compréhension
profonde du continent, et particulièrement de l'Afrique de l'Ouest. En
témoigne la déclaration du Président Chirac, qui, devant
les difficultés rencontrées par le Président sud-africain,
Thabo Mbeki, médiateur du conflit ivoirien mandaté par l'Union
africaine, n'hésite pas à accuser ce dernier de ne pas «
comprendre la psychologie et l'âme » ouest-africaine. Contrairement
aux élites françaises, qui seraient « naturellement »
liées par l'Histoire à cette partie du continent, le
Président sud-africain, anglophone est issu d'une Afrique Australe
éloignée tant géographiquement, qu'historiquement et
culturellement, ne pourrait pas se prévaloir du « savoir-faire
» à la française. Par ce biais la France renvoie le
continent africain à ses propres divisions spatiales, linguistiques,
historiques et « culturelles ».
Les difficultés rencontrées par les forces
françaises en Côte-d'Ivoire illustrent cependant également
un problème que rencontrent toutes les interventions onusiennes, qui
vient du fait que les acteurs locaux (population civile et hommes en armes)
dans les pays en développement ne partagent pas les illusions
bienveillantes de la communauté internationale et obéissent au
contraire à des logiques différentes. Quand la population locale
n'est pas réellement informée de façon adéquate de
la mission des Casques bleus, il est facile pour les « faiseurs d'opinion
» de crier à la conspiration néocoloniale et
impérialiste. Dans le cas ivoirien, la critique est d'autant plus facile
à diffuser que l'acteur principal de la mission onusienne est l'ancien
colonisateur. Les critiques inhérentes aux opérations onusiennes
se transforment alors en accusations anti-françaises. Pourtant,
Christian Bouquet met en garde contre le risque de lire le conflit ivoirien
comme une « guerre coloniale » et de limiter les dynamiques du
conflit à un affrontement franco-ivoirien.
On assiste plutôt à une instrumentalisation
facile et utile de la haine anti-française mis en avant par Christian
Bouquet : le pouvoir en place, en manque de légitimité,
espère pouvoir recréer une identité nationale autour de
lui-même en usant de la résistance à la domination
française. Cependant il ne faut pas s'y tromper : les sources et
interactions locales sont largement dominantes dans la compréhension du
conflit : « Derrière le rideau de fumée créé
par les évènements les plus intéressants à
médiatiser [...], et surtout
Page 128 sur 227
derrière ces discours en forme d'accusation de la
France colonialiste, demeurait bel et bien la réalité profonde de
la crise ivoirienne, qui n'était rien d'autre que le spectre sans cesse
réactivé de la guerre civile » (Bouquet,2005).
D'ailleurs, la communauté internationale, y compris
africaine, ne semble pas convaincue par l'argument séduisant de la
guerre coloniale. La solidarité anticolonialiste souhaitée par le
président Gbagbo échoue et les accords de Linas-Marcoussis, dont
le contenu est repris par ceux d'Accra III et de Pretoria, sont
relégitimés par tous comme le socle d'un consensus ou du moins
une référence indispensable à toute sortie de crise
possible en Côte-d'Ivoire.
Malgré la dénonciation de son impuissance
(Rwanda, Somalie...) ou du scandale des dérapages des troupes onusiennes
(abus sexuels, trafics en tous genres), l'ONU est confrontée à
une demande accrue de ses interventions. Lorsque l'organisation décide
du déploiement d'une mission, le message politique qu'elle envoie est
fort mais il se voit affaibli lorsque le gros des bataillons provient de pays
dit en développement. Si les Casques bleus des Nations unies viennent
seulement d'une certaine partie du monde, la position de l'institution est
affaiblie parce qu'elle ne donne pas de signe politique fort. L'absence de
forte implication de la part de la «communauté internationale»
peut vite être interprétée comme un «apartheid
humanitaire» » (Guéhénno, 2004).
Le dispositif Licorne, déployé à partir
de septembre 2002, compte environ 4 000 hommes y compris les forces
françaises de Côte-d'Ivoire du 43e Bima. Disposant de chars, de
véhicules blindés et d'hélicoptères d'attaque, il
intervient, en avril 2004 avec le soutien de l'Opération des Nations
unies en Côte-d'Ivoire (ONUCI). Ce soutient permet une capacité de
réaction rapide. La Mission de la communauté économique
des Etats d'Afrique de l'ouest en Côte d'ivoire (MICECI) mise sur pied
par la CEDEAO, à la suite du sommet d'Accra I, le 29 septembre 2002 est
également déployée en soutien de la force LICORNE et de
L'ONUCI. Comptant 1 300 soldats ouest-africains en 2003, celle-ci
bénéficie de l'appui logistique français avec la
fourniture de matériel pour le renforcement des capacités
africaines de maintien de la paix (RECAMP).
L'ONUCI compte pour sa part 6 010 Casques bleus
déployés en deux secteurs : à l'ouest avec trois
bataillons bangladais à Zuénoulo et un bataillon
sénégalais à San Pedro et au
Page 129 sur 227
nord avec un bataillon béninois à Korhogo, un
bataillon ghanéen à Bondouro, un bataillon marocain à
Bouaké et un bataillon nigérien. En outre, environ 200 militaires
français sont intégrés à l'ONUCI et participent
à la mission des Casques bleus, sous le nom d'opération «
CALOA ». Les troupes françaises forment donc le gros du couple
Licorne-ONUCI révélant les problématiques
mentionnées précédemment, auxquelles viennent s'ajouter
celles nées du fait que les Casques bleus de l'ONUCI proviennent tous de
pays en voie de Développement et pour certains, de pays voisins de la
Côte d'Ivoire, impliqués directement ou indirectement dans la
crise.
Depuis le Rwanda, l'action française en Afrique se
limite à des actions de coopération ou de soutien à des
forces de paix régionales, ou à l'évacuation ponctuelle de
ses ressortissants comme en 1997, sur les deux rives du fleuve Zaïre, lors
de la prise de Kinshasa par les rebelles, puis durant la guerre civile à
Brazzaville. Cette nouvelle posture fut résumée en quelques mots
par Lionel Jospin : « Ni indifférence ni ingérence ».
Le contexte de la cohabitation a empêché le Président
Chirac, qui y était favorable, d'envoyer des troupes lors du coup
d'État du général Gueï en décembre 1999.
L'intervention française en Côte d'Ivoire aurait potentiellement
pu avoir lieu en 1999. Surtout, elle ne débute aucunement en 2002, dans
un État bâti sur l'extraversion et l'ouverture vers la France.
Cette illusion d'un « début » de
l'intervention constitut pourtant le socle de la « neutralité
» des interventions onusiennes, selon laquelle l'acteur onusien
détient le monopole de la neutralité sur le terrain. Ce principe
de neutralité peut être analysé sous l'angle de la
théorie de l'agence (agency), selon laquelle chacun des acteurs
sur le terrain a ses propres perceptions de lui-même et des autres, de sa
mission, de ses objectifs, de ses méthodes d'action et de ses
intérêts.
Dans le cas ivoirien, il y aurait, dans cette optique, trois
acteurs principaux à savoir la Côte-d'Ivoire, l'ONU et la France.
Cependant, aucun de ces acteurs n'est unitaire, monolithique, et ne poursuit de
buts cohérents, bien au contraire. Ils sont tous partie prenante de la
crise, et ne jouent donc pas un rôle neutre. La crise somalienne avait
déjà montré que cette règle de neutralité en
partie idéalisée peut basculer vers une implication directe des
Casques bleus dans les affrontements (Bergamaschi et Dezalay,2005).
Page 130 sur 227
Enlisés dans un conflit qu'ils jugent insolubles,
exaspérés par les provocations et séduits par les
propositions de partition territoriale de ses rivaux, les Américains
désignent un ennemi : le général Aïdid. Sa tête
fut mise à prix et de nombreux civils somaliens furent tués lors
des nombreuses missions urbaines visant à le capturer qui ont
été menées. Tirant leçon de l'expérience
somalienne, les responsables de l'organisation internationale ont reconnu que
leurs troupes avaient franchi la « Mogadishu line »,
c'est-à-dire celle du principe du consentement des parties et
surtout de la neutralité des Casques bleus. Dès lors,
l'intervention en Somalie a créé un précédent qui a
conduit à l'établissement d'un seuil symbolique entre le
maintien de la paix et la lutte contre un ennemi, et a montré
les limites de l'action onusienne en situation de conflit.
La France ne semble pourtant pas s'être prémuni
contre ce danger de « fabrication de l'ennemi ». Ainsi, le
détenteur du pouvoir politique ivoirien s'est vu être
désigné par des termes qui ont évolué, prenant
parfois un caractère péjoratif. Si au début de la crise
les porte-parole de la France qualifient le Président Laurent Gbagbo de
« légitime » ou « démocratiquement élu
», le ministre des Affaires étrangères français,
Dominique de Villepin, qualifie quelques mois plus tard le régime de
Gbagbo d'« État voyou »(Smith,2003).
Surtout, on note que les dirigeants français invoquent
les principes du droit et de la justice internationale, en prédisant que
« tout cela pourrait finir devant les tribunaux internationaux »,
reprenant parfois à leur compte les comparaisons entre messieurs
Gbagbo... et Slobodan Milosevic, ancien président yougoslave
déféré à La Haye pour crime de guerre en vertu de
ses actions lors de la crise du Kosovo. Ainsi voit-on, de façon assez
intéressante, les logiques militaro-policières et judiciaires se
superposer dans la sortie de crise envisagée en Côte-d'Ivoire, du
moins côté français.
À l'inverse, les représentants français
semblent beaucoup moins critiques vis-à-vis des mouvements dits «
rebelles » qui obtiennent une « reconnaissance quasi pleine et
entière ». En effet, leur capacité à contrôler
une frange du territoire ivoirien leur permet d'obtenir une
crédibilité. Le fait que le ministre des Affaires
étrangères rencontre les chefs rebelles à Bouaké
leur permet d'être reconnus comme interlocuteurs crédibles en leur
garantissant une légitimité pas encore accordée
jusque-là par les urnes. Cette capacité à définir
les acteurs en acteurs viables ou non, légitimes ou non, explique que
pendant la
Page 131 sur 227
phase d'intervention de la communauté internationale,
naît une situation de concurrence entre les acteurs locaux pour
accéder à la reconnaissance internationale vis-à-vis de
l'ONU ou des forces qui la composent.
La crise ivoirienne serait ainsi en partie une guerre
d'égo, menée notamment par Charles Blé Goudé, chef
des Jeunes Patriotes, fidèle à Laurent Gbagbo, et
Guillaume Soro, porte-parole des Forces nouvelles. Anciens «
frères d'armes » au sein de la FESCI la fédération
estudiantine ivoirienne renommée et redoutée pour sa culture de
la violence. De même, on pourrait dire que l'ivoirité a
été instrumentalisée par tous les chefs de partis
ivoiriens pour se garantir une visibilité politique : une politique
certes mobilisatrice à l'interne et à l'externe, mais perdant
tout sens au vu des incessants revirements d'alliance dont sont férus
les hommes politiques ivoiriens, ce dont témoigne le rapprochement des
« ennemis », Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, au
sein d'un « G7 » regroupant l'opposition à Laurent Gbagbo.
L'alignement partisan propre à la politique
d'ivoirité, facilitant la lecture de la crise serait ainsi remis en
cause par ce que Jean-François Bayart appelle « l'assimilation
réciproque des élites », explicative selon lui de la
formation historique de l'État africain. C'est dans un contexte comme
celui-ci que le pouvoir structurant de l'intervenant dans sa mission est
à son comble. On peut également mettre en évidence les
logiques à l'oeuvre dans l'articulation entre populations locales et
missions onusiennes. En entrant directement dans les logiques d'affrontement
pendant le conflit, l'intervenant acquiert la possibilité de participer
à la configuration politique et sociale du conflit mais aussi de la
situation de « post-conflit » supposée la suivre (Pouligny,
2004).
La France, en orchestrant les accords de Marcoussis et en
menant l'opération Licorne, s'est mise dans une position où le
danger, de façonner la vie et le jeu politique ivoirien et de se le voir
reprocher par les acteurs locaux du conflit ou ses partenaires internationaux,
est aussi grand qu'inévitable. Dès lors la frontière entre
l'intervention et l'occupation devient poreuse. En l'occurrence, la sortie de
crise ivoirienne malgré les revendications locales du moment, ne
dépendait aucunement d'un départ des troupes françaises.
Elle illustre ainsi la conception erronée d'un protocole de sortie de
crise se résumant en 5 étapes : cessez-le-feu, intervention,
retrait, élections, alternance. Les développements
précédents ont cependant tenté de démontrer que
cette vision reste ancrée dans la
Page 132 sur 227
philosophie et la sémantique de l'urgence et donc, dans
bien des cas, vouée à l'échec. Cela car elle manque
d'historicité (tant du passé que du futur), n'englobant la
réalité du terrain que de façon ad hoc, et bien
souvent trop tard (Bergamaschi et Dezalay,2005).
La sortie de crise ivoirienne en 2011, demeure fondamentale
dans la mesure où si elle marque le retour de la « paix » sur
le territoire ivoirien, elle en demeure ni plus ni moins de l'expression la
plus manifeste de l'échec ivoirien à achever sa construction
identitaire de manière endogène, laissant planer le spectre d'un
retour de conflit.
Pour Henri Yebouet , la chute du Président Laurent
Gbagbo, le 11 avril 2011, met fin à l'épisode tumultueux de la
succession politique de Houphouët-Boigny. Les stigmates de cette violente
période restent malgré tout visibles, ne serait-ce qu'en raison
de l'engagement armé des forces onusiennes et françaises. Cette
incursion internationale dans le débat ivoirien a été
diversement interprétée, compte tenu du contexte
général de la crise. L'intervention occidentale s'est
résumée à un parti pris en faveur de l'un des
protagonistes, au nom de l'urgence de protéger les populations civiles
et d'empêcher l'utilisation d'armes lourdes. Sans avoir
nécessairement explorée toutes les options de résolution
pacifique, telle la voie du recomptage envisageable comme ce fut le cas en
Haïti, l'intervention française a suscité maintes suspicions
que le mandat onusien n'a pas suffi à dissiper. Le comportement des
rebelles, reconvertis en FRCI (Forces Républicaines de Côte
d'Ivoire), n'a été ni clairement dénoncé, ni
condamné en huit années de crise (2002 - 2010), tandis que les
exactions décriées n'ont fait l'objet d'aucune sanction. Au
lendemain de cette crise post-électorale, des messages de paix et de
réconciliation sont lancés et traduits par la mise en place d'une
commission « Dialogue, Vérité, Réconciliation »,
présidée par l'ancien premier ministre Charles Konan Banny mais
ne parviennent, si ce n'est en apparence, à garantir un climat de paix
sociale et de sécurité (Yebouet, 2011).
Aujourd'hui, après une décennie de gouvernance
Ouattara, l'élection présidentielle de 2020 et les incertitudes
politiques qu'elle révèle, laisse les ivoiriens face un choix
capital : « sois nous prenons le chemin du Ghana et commençons
à prospérer soit nous prenons le chemin de la Sierra Léone
et du Libéria », me citait « Guillaume Gbato »
président du Syndicat National des Professionnels de la Presse de
Côte d'Ivoire.
Page 133 sur 227
En définitive la pratique de la citoyenneté
ivoirienne entre 1990 et 2011 se caractérise par son hyperpolitisation
ainsi que par sa brutalisation du fait d'une guerre civile qui a vu les jeunes
ivoiriens descendre dans la rue et prendre les armes afin d'être une
partie prenante active et reconnu de la vie politique et citoyenne ivoirienne.
Cette hyperpolitisation de la pratique citoyenne ivoirienne est la
conséquence de la bataille politique menée par les principaux
héritiers politique de F.Houphouët-Boigny.
Le dauphin Henri Konan Bédié, par sa tentative
de redéfinir le contrat social ivoirien à travers
l'ivoirité a voulu transcender sa seule légitimité
institutionnelle et acquérir une légitimité sociale. Cette
tentative a eu pour principale conséquence d'attiser des tensions
sociales que F.Houphouët-Boigny a su contenir à travers une
brutalisation traumatisante des ivoiriens lors de la période des faux
complots. Son éviction lors du putsch du Général
Gueï, qui ne rencontre aucune contestation populaire démontre bien
du manque d'amour et de légitimité sociale de ce dernier
L'opposant historique, Laurent Gbagbo, est sans doute celui
dont le charisme et la gouvernance du pays se rapproche le plus de ce qu'a pu
faire Félix Houphouët-Boigny. Sa période à la
tête du pays, plus qu'une révolution structurelle de la
société ivoirienne et de la manière de la gouverner
apparait aujourd'hui comme une tentative continuité de ce qu'a pu
être la gouvernance sociale Houphouët-Boigny, l'ethnocentrisme
bété supplantant l'ethnocentrisme baoulé. Son discours
politique hostile à l'étranger, responsable selon lui de sa
défaite politique en 1990 face au « vieux caïman » qu'il
n'aura jamais pu tenir en respect de son vivant, a eu des conséquences
sociales désastreuses. La population alors instrumentalisée
politiquement a pris la voie d'une xénophobie dont elle a
déjà fait preuve par le passé. Si en 1958 elle est la
réponse à l'abandon social de ses dirigeants de l'époque,
elle est à partir de 1990 l'expression d'un peuple bété
qui ne reculera devant rien pour jouir de son Momentum politique. En somme
l'élection présidentielle de 2000 apparait comme une
instrumentalisation de la démocratie de la part du Front populaire
Ivoirien qui a pour but d'exclure définitivement un prétendant
à l'investiture suprême. Mais ce seront bien une partie des
ivoiriens qui se sentiront exclus de la vie citoyenne et politique ivoirienne.
La rébellion débutée en 2002 constitue le retour de
bâton de cette instrumentalisation démocratique qui donna certes,
une légitimité politique à Laurent Gbagbo mais aucunement
une légitimité sociale, que aucun
Page 134 sur 227
président à part Houphouët-Boigny n'a
réussi à obtenir dans la jeune histoire de la Côte
d'ivoire.
Depuis la fin crise post-électorale de 2011, le «
christ de mama » a pris la dimension d'un « martyr » dans la
mesure ou son éviction (temporaire ?) est encore considérer par
une partie de la population comme le fait d'une ingérence
internationale.
Le président Alassane Ouattara, héritier
politique de Houphouët-Boigny et grand vainqueur de la « guerre de
succession » est une personnalité remarquable dans la mesure
où elle est celle qui incarne le plus les problématiques
liées à l'exercice de la citoyenneté ivoirienne. Que ce
soit par les débats liés à sa nationalité et
à son éligibilité politique qui révéleront
au monde l'inachèvement du processus de détermination de la
nation ivoirienne, ou encore par son accointance avec l'appareil politique
français comme en témoignent ses liens d'amitié avec
Nicolas Sarkozy, dont l'impartialité au moment de la crise
post-électorale de 2011 se doit d'être questionnée. Et
enfin de par sa gouvernance depuis 2011 qui s'inscrit dans la continuité
de celle qu'il a démarré en 1990 lors de sa primature
caractérisée par une intense libéralisation
économique et une restriction de l'espace civique.
A la différence des années 1990, le peuple
ivoirien a grandi et appris de son histoire et aujourd'hui le « nouveau
miracle ivoirien » se heurte à une population qui contrairement au
premier miracle ivoirien ne compte pas être mis à la marge du
développement du pays.
Nous allons nous intéresser dans le prochain chapitre
à l'action des organisations de la société civile
ivoirienne agissant dans la sphère du développement pour
comprendre dans quelle mesure elle agissent dans un contexte favorisant la
finalité de leurs actions, à savoir l'alternance
démocratique et le changement social.
Page 135 sur 227
Chapitre 3 : L'action des OSC ivoiriennes du
développement depuis 2011
Deux logiques, complémentaires par essence, que sont
l'approche humanitaire qui intervient dans une situation de crise et l'approche
développementaliste qui intervient en amont de la crise s'opposent et
s'affrontent en Côte d'ivoire.
C'est l'amalgame fait entre ces 2 approches par l'ensemble
des acteurs ivoiriens qui caractérise l'action de la
société civile ivoirienne.
Selon le mapping des OSC ivoiriennes réalisé en
2010 par Maurizio Floridi et Stefano Verdecchia pour l'Union européenne,
la plupart des Organisations de la Société Civile (OSC)
ivoirienne qui opèrent actuellement sont nées au coeur de la
crise ivoirienne. Il s'agit donc d'une génération entière
d'OSC qui sont quasi-exclusivement projetées dans la logique de
l'urgence et de l'intervention humanitaire et qui ne connaissent que le mode
opératoire de la prestation de services, souvent au travers de relations
asymétriques de sous-traitance avec les ONG internationales.
Cette situation que l'on peut qualifier d'inquiétante,
contribue à vider les acteurs de la société civile de leur
essence à l'exercice du dialogue social et politique ainsi que dans la
création et la gestion de l'espace public. Le principal risque pour
cette société civile étant d'être
marginalisée et maintenue davantage à des fonctions subalternes
de simple exécution d'actions conçues et coordonnées par
d'autres acteurs.
A cela il faut ajouter deux aspects qui renforcent cette
situation : d'une part l'incapacité des hommes politiques ivoiriens
à reconnaitre la société civile en dehors des tentatives
d'instrumentalisation politique de celle-ci et d'autre part la création
d'une culture de la dépendance relative aux ressources
financières des OSC.
La question primordiale n'est donc pas celle qui interroge,
comme chez certains partenaires techniques et financiers (PTF), l'existence
d'une société civile en Côte d'Ivoire mais bien celle de
son rôle et de sa place dans le pays. Sur le plan historique la
société civile ivoirienne n'a que peu été
impliquée dans les questions de développement. Les deux grandes
sécheresses des années 80 ont contribué indirectement
à création de centaines d'OSC et de leaders à la gestion
de l'espace public mais n'ont principalement concerné que les pays
voisins du nord et une partie de la Côte d'ivoire de la zone
subsahélienne.
Page 136 sur 227
La société civile ivoirienne n'était
probablement pas prête à gérer une catastrophe sociale
telle qu'elle s'est manifestée à partir de septembre 2002. Mais
il apparaît aujourd'hui évident que la mise en oeuvre de pratiques
d'urgences humanitaires a contribué dans le temps à
déposséder les OSC de leurs prérogatives et de leurs
valeurs ajoutées. Aujourd'hui les rares Organisations Non
Gouvernementales (ONG) ivoiriennes qui opèrent dans le
développement sont malgré elles dans une situation de
concurrence, laquelle pourrait être sans doute être
considérée comme déloyale, des organisations et des
acteurs agissant dans l'humanitaire.
Un exemple-type de notre propos peut être celui d'une
ONG basée à Korhogo, dans le nord de la Côte d'ivoire,
opérationnelle bien avant le début de la crise
débuté en 2002. Sa longue pratique de partage des coûts de
la formation en faveur des organisations et coopératives de base qu'elle
accompagnait est entrée en conflit avec l'approche humanitaire dans
laquelle la logique du don prédomine (Floridi et Verdecchia,2010).
Les organisations de base de la région de Korhogo se
trouvent désormais face à un dilemme. Celui de choisir
d'être accompagné par l'ONG en maintenant le principe du partage
des coûts des activités comme elles le font depuis une vingtaine
d'années, ou de s'adresser à des organisations «
concurrentes » financées par des ONG internationales agissant dans
l'humanitaire dont les services ne sont pas payants. Dans ce cas, l'aspect de
la concurrence est assez clair mais celui de l'appropriation des processus de
changement par le milieu rural devient plus floue.
Enfin, un dernier aspect de la « dérive
humanitaire » chez les OSC ivoiriennes est représenté par
leur faible capacité d'innovation. La longue période de sortie de
crise, l'approche et la pratique de l'humanitaire, l'attentisme de la plupart
des bailleurs de fond et l'absence de toute stratégie de reconnaissance
et de renforcement de la société civile ivoirienne, ont de fait
contribué à la perte de capacité des OSC à innover
et à identifier des solutions efficaces aux problèmes ayant
menés la situation de crise (Floridi et Verdecchia,2010).
Après 10 années de « réconciliation
nationale », de « reconstruction économique » et de
« paix », le risque d'avoir une génération passive au
sein de la société civile ivoirienne, incapable d'imaginer et de
mettre en oeuvre son futur est toujours d'actualité. En perdant
Page 137 sur 227
sa créativité et sa capacité
d'innovation, les OSC ivoiriennes risquent d'être spectatrices d'une
pièce qui est et sera jouée par d'autres acteurs ou, dans le
meilleur des cas, d'être de simples prestataires de services dans un
marché dysfonctionnel où ce qui prédomine est l'offre
(celle de l'humanitaire) et non de la demande (celle de commencer à
penser le devenir du pays et des citoyens).
Malgré tout, les acteurs de la société
civile mènent un combat au quotidien pour parvenir à un climat
démocratique et sociale propice à l'émergence d'OSC aptes
à jouer pleinement leurs rôles.
Nous nous intéresserons maintenant aux principaux
enjeux que révèle l'action de la société civile
ivoirienne ainsi qu'à ses limites.
Page 138 sur 227
1.Analyse des enjeux et limites de l'action des OSC
ivoiriennes du développement
A. Une activité limitée par la restriction
de l'espace civique
Fils spirituel et héritier politique de
Houphouët-Boigny, Alassane Dramane Ouattara de par sa gouvernance depuis
2011 est parvenu à redonner à la Côte d'Ivoire son lustre
d'antan. La croissance économique ivoirienne se place parmi les plus
importantes de la sous-région et la Côte d'ivoire a su redevenir
un arbitre politique de premier choix pour ses voisins. La période que
connaît actuellement la Côte d'ivoire constitue un véritable
« nouveau miracle ivoirien ».
Nous retrouvons associés à la forte croissance
économique et la stabilité sécuritaire interne, les
mêmes caractéristiques de gouvernance que le régime du
PDCI-RDA de Houphouët-Boigny. Celles-ci concernent autant la corruption
généralisée, que la gérontocratie civique et
politique, que la restriction ferme de l'espace civique.
Une jeunesse toujours à la marge malgré son
explosion démographique
Après plus d'une décennie de crises
socio-politiques à répétition, la Côte d'Ivoire
s'est résolument engagée dans un processus de transformation
structurelle de son économie et positionnée sur la trajectoire de
l'émergence. Le pays a notamment bénéficié d'une
croissance économique soutenue depuis la fin de la crise
post-électorale de 2011, mais celle-ci ne s'est pas accompagnée
d'une hausse significative du bien-être des populations et de la jeunesse
en particulier.
À cet égard, la situation de la jeunesse
préoccupe tout particulièrement, compte tenu de son poids
démographique et des défis majeurs auxquels elle fait face.
Actuellement 70% des ivoiriens ont entre 15 et 35 ans et la Côte d'Ivoire
ne peut faire l'économie d'un investissement massif en faveur des jeunes
et laisser cette frange considérable de la population en marge du
processus de développement du pays.
L'examen du bien-être et des politiques de la jeunesse
en Côte d'Ivoire réalisé en 2017 dans le cadre du projet
Inclusion des jeunes cofinancé par l'Union européenne et mis en
oeuvre par le Centre de développement de l'OCDE dresse un état
des lieux exhaustif de la situation des jeunes en matière d'inclusion
sociale et de bien-être, en utilisant les dernières données
disponibles et en suivant une approche multidimensionnelle.
Page 139 sur 227
De nombreux aspects sont explorés dans le domaine de la
santé, l'éducation et les compétences, l'emploi,
l'engagement civique et politique, le capital social, et le bien-être
subjectif des jeunes. L'examen se focalise notamment sur des thématiques
spécifiques qui revêtent une importance particulière dans
le cadre ivoirien, à savoir l'insertion des jeunes dans les secteurs
porteurs de l'économie, l'entrepreneuriat jeune, et les grossesses
précoces.
L'examen montre que, malgré les efforts
déployés et les progrès réalisés, la
jeunesse reste confrontée à de nombreux défis.
L'engagement civique, le capital social et le bien-être subjectif des
jeunes ont connu une embellie depuis la fin de la crise politico-militaire,
mais les jeunes restent peu éduqués et leur situation sur le
marché du travail demeure largement précaire. Les jeunes sont peu
insérés dans les secteurs porteurs de l'économie en raison
de l'inadéquation des compétences qui les confinent en outre dans
des emplois précaires. Face au défi de l'emploi, de nombreux
jeunes se tournent vers l'entrepreneuriat où les nombreuses
activités de subsistance prédominent à cause de multiples
contraintes.
Concernant les grossesses précoces, l'ampleur et la
propagation de ce phénomène sont préoccupantes notamment
au regard de ses effets hautement dommageables sur l'éducation
féminine.
Malgré la volonté politique affichée, la
Côte d'Ivoire a souffert de l'absence d'une stratégie globale
adressant les multiples défis rencontrés par la jeunesse. En
outre, les politiques sectorielles mises en place à ce jour n'ont pas
été à la hauteur des enjeux. Cependant, les
résultats de la mise en oeuvre à venir de la Politique Nationale
de la Jeunesse 2016-2020 et des stratégies qui en sont issues restent
à étudier (Centre de développement de l'OCDE,2017).
La restriction de l'espace civique ivoirien
Pour notre propos qui va suivre, nous allons nous appuyer sur
l'enquête concernant la restriction de l'espace civique que nous avons
menée avec Tournons la page Côte d'ivoire.
Selon l'ONG Civicus, spécialisée sur la
question, l'espace civique est : « [...] le lieu, physique, virtuel et
légal, au sein duquel les individus exercent leurs droits à la
liberté d'association, d'expression et de réunion pacifique.
». Pour une démocratie effective, cet espace doit rester
ouvert, l'État doit respecter, protéger et rendre effectives ces
libertés. Si les
Page 140 sur 227
citoyens ne disposent pas d'un espace civique ouvert, ils ne
peuvent participer aux décisions collectives, rendant donc
inopérant le principe de démocratie et impossible la tenue
d'élections libres, transparentes et encore moins apaisées.
L'espace civique ouvert est un prérequis nécessaire pour la vie
démocratique
L'espace civique est le lieu permettant la discussion, il est
animé par des acteurs que nous avons identifiés comme
étant : les journalistes, les activistes de la société
civile et les partis politiques.
Pour dépeindre l'état de l'espace civique en
Côte d'Ivoire, nous avons décidé de nous focaliser sur ces
acteurs, d'abord parce que leur traitement par les autorités influence
tout l'espace civique, ensuite, pour des raisons pratiques, nous n'avons pu
nous pencher sur toute la société ivoirienne. Nous avons donc
réalisé en janvier et février 2020 dix-sept entretiens :
quatre avec des journalistes, huit avec des personnes de la
société civile oeuvrant dans le domaine des droits humains et
cinq personnes pour les partis politiques. Certaines de nos demandes
d'entretien adressées à des journalistes et partis politiques
sont restées sans réponse.
Lors de notre enquête nous avons cherché
à rencontrer les leaders des organisations travaillant à la
protection des droits humains et de la démocratie. Parmi ces
organisations on trouve des associations de type ONG, de plus petites
associations et des mouvements ou réseaux d'organisations.
Si nous avons choisi ces organisations c'est parce qu'elles
animent l'espace civique, d'abord en défendant les libertés le
constituant, ensuite en structurant les débats sur la question.
Toutes les organisations que nous avons contactées ont
accepté de nous rencontrer.
Des contraintes de temps et de moyens nous ont
empêchées de nous rendre hors d'Abidjan pour y rencontrer des
organisations locales. Néanmoins, toutes les organisations à
vocation nationale se trouvent à Abidjan.
Selon le Directeur Général d'Amnesty
International Côte d'Ivoire2, les organisations en Côte
d'Ivoire se séparent entre celles nées avec la
libéralisation de la société civile et la fin
2 Entretien avec Hervé Delmas Kokou, Directeur
Général d'Amnesty International Côte d'Ivoire, le
14 février 2020
Page 141 sur 227
du parti unique dans les années 1990 et entre celles
nées après la crise post-électorale de
2010-2011.
En réalité, il existait déjà des
organisations sur les droits humains avant 1990, mais elles opéraient
dans une certaine clandestinité. Ainsi, la section Côte d'Ivoire
d'Amnesty International a été fondée en 1979 et la Ligue
Ivoirienne des Droits de l'Homme (LIDHO) en 1987. Ces organisations sont
aujourd'hui bien installées et se sont, pour certaines,
institutionnalisées en se rapprochant du pouvoir.
En ce qui concerne les organisations plus récentes,
elles fonctionnent plus sur le modèle des mouvements sociaux ou des
réseaux d'organisations. Celles que nous avons rencontrées se
veulent très éloignés des partis politiques et du
pouvoir.
Ces deux catégories d'organisations n'ont pas les
mêmes méthodes de revendications et ne rencontrent pas les
mêmes difficultés. Cependant, toutes les personnes que nous avons
pu interroger ont subi ou sont très proches de personnes qui ont subi
une persécution. Si nous allons principalement évoquer des
épisodes de répression récents, ne remontant pas avant
2017, la répression a commencée bien avant cela, bon nombre
d'acteurs de la société civiles ont en mémoire la crise de
2010-2011, mais aussi 2016 et le changement de Constitution qui avait
mené à une vague de répression. Toutes les personnes
interrogées ont donc une expérience de la répression, cela
les mène à beaucoup de prudence et, ici aussi, à une forme
d'auto-censure.
On peut classer les violations et répressions de
libertés, les pratiques de ces libertés rencontrant la plupart du
temps une répression spécifique.
La liberté de manifestation
La liberté de manifestation est extrêmement
restreinte en Côte d'Ivoire, au point que le Directeur
Général d'Amnesty Côte d'Ivoire considère qu'il n'y
a eu aucune manifestation citoyenne autorisée depuis 2010. De fait, les
organisations les plus institutionnalisées que nous avons
rencontrées, comme l'APDH3 (Action pour les droits humains)
ou la LIDHO4
3 Entretien avec Arsène Nene, Président de l'APDH,
le 18 février 2020
4 Entretien avec Willy Alexandre Net, Président par
intérim de la LIDHO, le 17 février 2020
Page 142 sur 227
(Ligue des droits de l'homme), ont même renoncé
à user de cette liberté, la manifestation ne fait plus partie de
leur stratégie d'action.
La LIDHO relai parfois des appels à manifester, mais
cela ne concerne que des cas très concrets, et jamais des revendications
générales et/ou rattachées à la vie politique. Une
fois l'appel relayé, le déroulé de la manifestation est de
la responsabilité individuelle des personnes qui s'y rendent. Le
Président par intérim, Willy Alexandre Net, cite comme exemple un
appel pour une marche pour les déguerpis de Port-Bouët. Dans ces
cas, il s'agit souvent de petits rassemblements spontanés, plutôt
que de grandes marches publiques.
Le responsable d'une autre organisation, qui souhaite rester
anonyme, regarde les manifestations comme étant un mode d'action trop
rattaché au politique et de ce fait dangereux. Le pouvoir
réagissant face aux manifestations comme étant toujours des
attaques politiques partisanes. Ils ne s'associent donc jamais à des
appels à manifester ou à se rassembler.
Si au début de la décennie la crise
post-électorale servait d'excuse à la restriction de cette
liberté, il est vite apparu que le pouvoir de Alassane Ouattara n'avait
aucune intention de laisser les citoyens se servir de cette liberté. Les
autorités ne veulent absolument pas que les citoyens descendent dans les
rues pour manifester leurs revendications. De ce fait, elles les privent non
seulement d'une liberté fondamentale, mais aussi d'un outil d'expression
démocratique.
La violation de la liberté de manifestation repose sur
plusieurs piliers. Le premier est l'absence d'autorisation de manifestation.
Tous les acteurs que nous avons rencontrés racontent avoir
rencontré le silence après une demande d'autorisation de
manifestation. Un obstacle supplémentaire à la demande
d'autorisation est que nulle part dans le corpus juridique ivoirien est
indiqué quelle autorité est compétente pour autoriser une
manifestation. La plupart des organisations se tournent vers le maire de la
commune dans laquelle ils souhaitent défiler, parfois vers la
préfecture territorialement compétente. Depuis juillet 2019, le
nouveau code pénal punit clairement et sévèrement les
manifestations faites sans autorisation, l'obtenir devient donc crucial. Avant
2019, nombre d'organisations partaient du principe que leur demande valait
notification et que
Page 143 sur 227
les autorités ainsi prévenues ne pouvaient les
empêcher de jouir de leur droit. Cependant, la plupart face au silence
des autorités renonçaient à tenir leurs marches.
Le second pilier de cette violation est la répression
systématique des marches. Le dernier exemple en date concerne
directement Tournons la Page Côte d'Ivoire. Le 11 mars 2020, la coalition
a organisé une distribution de tracts dans un des quartiers de la
commune de Yopougon. Une quarantaine de membres se sont retrouvés pour
distribuer un tract expliquant leurs désaccords avec la révision
de la Constitution qui était alors en cours. Ils sont restés tout
au long de la distribution en dehors de la voie publique, ne gênant la
circulation ni des véhicules, ni des piétons. Il ne s'agissait
donc en soi même pas d'une marche ou d'une manifestation à
proprement parler. Pourtant, peu de temps après le début de leur
action, la police est intervenue pour y mettre fin sans raison et a
interpellé, pour certains avec violence, dix participants, dont le
coordonnateur Didier Amani. Ils ont été relâchés le
lendemain matin, après avoir été auditionnés
pendant plusieurs heures. Lors de cette audition il leur a été
reproché d'avoir fait une manifestation sans autorisation, pour autant
aucune judiciaire n'a été donnée à cette
arrestation. Il s'agit clairement d'une arrestation arbitraire ayant pour seul
objectif l'intimidation.
Un autre exemple de ce type, concerne la coalition des
Indignés. En juillet 2019, le gouvernement a mis fin à la «
concertation » qu'il menait avec les organisations de la
société civile et les partis politiques d'opposition, sur la
réforme de la Commission Électorale Indépendante (CEI). Il
rend alors publique la proposition de loi qu'il compte soumettre aux votes des
députés et sénateurs. Un certain nombre d'organisations de
la société civile ont critiqué cette proposition, parmi
elle la coalition des Indignés. Pour marquer son désaccord la
coalition a décidé de faire un sit-in devant la CEI le 23
juillet, ce qu'ils ont annoncé publiquement. Or, peu de temps avant la
date de leur action, ils sont invités par la CEI a une réunion,
qui prendrait la place de leur action. Ils sont invités par courrier
signé du Secrétaire permanent de la CEI : André Gogognon
Zano5. Ils se rendent donc au rendez-vous, sauf qu'au lieu
d'être reçus par le Secrétaire Permanent, ils sont
reçus, d'après leur témoignage, par quatre chars et
vingt-deux pick-ups de la police. Ils
5 Nous avons pu consulter ce courrier lors de notre entretien
avec des membres de la coalition, le 5
février 2020
Page 144 sur 227
sont alors arrêtés et conduits à la
préfecture de police d'Abobo. Ils sont relâchés le
lendemain à 20h, après plus de 24h de détention.
Lors de notre entretien avec Samba David6, le
coordonnateur des Indignés, il a rappelé qu'à aucun moment
il était prévu que le sit-in gène la circulation ou
trouble l'ordre publique, de plus ils avaient informé toutes les
autorités possibles de leur intention, jusqu'au Ministère de
l'Intérieur.
Lors de notre entretien avec lui, il nous a expliqué
que la veille il avait eu le Préfet au téléphone et lui
avait assuré qu'il n'y aurait pas de sit-in. Cette invitation
était donc une excuse pour pouvoir les arrêter et ainsi les
intimider.
Les deux exemples que nous venons d'évoquer sont
révélateurs du durcissement du régime à l'approche
des élections. Dans les deux cas, les organisations critiquaient la
politique du gouvernement concernant les élections à venir, ce
que le pouvoir ne semble pas pouvoir supporter. Il s'agit bien de violations
flagrantes de la liberté de manifester et de réunion. De plus, en
ce qui concerne l'arrestation des membres de Tournons la Page, il est à
noter que deux jours avant cela, des femmes ont défilé dans les
rues d'Abidjan pour demander qu'Alassane Ouattara se représente à
la Présidence, cette marche a bien évidemment été
autorisée et encadrée par les forces de l'ordre.
Enfin, le pouvoir ne se permet pas encore d'empêcher
toutes manifestations puisque l'Église catholique de Côte d'Ivoire
avait obtenu une autorisation pour une marche de la paix en février
2020. On notera cependant que cette marche a été annulée
par ses organisateurs à cause de la polémique qu'a
déclenché l'appel à y participer par le Parti
démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI). L'intrusion politicienne
dans cette initiative a immédiatement donné lieu à de
très vives tensions. Le pouvoir d'Alassane Ouattara, dont la base
électorale est majoritairement musulmane, n'a quant à lui pas
insisté sur sa capacité à assurer le bon
déroulement de la marche.
Après ce constat sombre sur la liberté de
manifestation, il nous faut évoquer la situation de la liberté de
réunion. Cette liberté est bien plus respectée que celle
de manifestation, tant que cela n'a pas lieu sur l'espace public. Les
organisations les plus ancrées que nous
6 Entretien avec Samba David, Coordonnateur de la coalition les
Indignés, le 5 février 2020
Page 145 sur 227
avons rencontrées peuvent tenir des réunions de
sensibilisation et éducations aux droits humains sans être
entravés. Il en va de même pour le mouvement citoyen «
Ça suffit ».
Liberté d'expression
Toutes les personnes auxquelles nous avons demandé si
la liberté d'expression était respectée en Côte
d'Ivoire ont répondu non. De fait, de graves tendances sont à
l'oeuvre venant fermer l'espace d'expression des ivoiriens
La première est que certains sujets sont tabous, nous
les avons évoqués dans notre partie sur les journalistes, ils
sont sensiblement les mêmes pour les activistes : mutinerie, corruption,
prisonniers politiques. On y ajoutera la vie politicienne ivoirienne, en effet
tous les activistes que nous avons rencontrés nous ont affirmé se
tenir le plus éloignés possible des questions politiciennes. Tous
racontent calibrer leurs prises de paroles pour qu'elles ne puissent pas
être interprétées comme partisanes. Cependant, il semble
que cela soit impossible, en effet après l'arrestation de membres du
mouvement de Guillaume Soro, Génération et Peuples Solidaires
(GPS), et le retour avorté de ce dernier, la LIDHO et Amnesty Côte
d'Ivoire ont publié des communiqués pour dénoncer les
violations des droits humains de plusieurs personnes arrêtées. Les
deux organisations ont été immédiatement associées
à ce mouvement et accusées d'être partisanes. Pourtant,
dans les deux cas les faits avaient été évoqués
d'un point de vue purement juridique. Le Président de la LIDHO a
même été contacté par une personne haut
placée afin de discuter de ce communiqué et lui dire de «
faire attention ».
Un autre sujet tabou est récurrent : les prisonniers
politiques de la crise post-électorale de 2010-2011. Nathalie
Kouakou7, lors de son mandat de Présidente de la section
ivoirienne d'Amnesty International entre 2013 et 2017, a beaucoup
travaillé sur le sujet, ce qui lui a valu des représailles. Dans
le cadre de son mandat, elle a fait part au public des résultats
d'enquêtes menées sur les conditions de détention de ces
prisonniers et sur le respect de leurs droits. À la suite d'une
interview donnée à Radio Canada8, en 2016, sur les
tortures subies par ces prisonniers, elle est convoquée, avec le
Directeur général
7 Entretien avec Nathalie Kouakou, Présidente de Vivre
sans violence, ancienne Présidente de la
section ivoirienne d'Amnesty International, le 14 février
2020
8
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1002674/torture-injustice-cote-ivoire-amnistie-
internationale
Page 146 sur 227
d'Amnesty, au Ministère des droits de l'Homme,
où ils sont « auditionnés » pendant plusieurs heures.
Cette interview a même déclenché une petite crise
diplomatique, l'ambassade ivoirienne au Canada faisant savoir que cette
interview lui a beaucoup déplu. Mais, bien plus grave que cela, ils
apprennent ensuite par plusieurs sources personnelles et concordantes qu'une
réunion a eu lieu au sein du Rassemblement des Républicains (RDR)
- le parti d'origine d'Alassane Ouattara - afin d'évoquer leur
élimination. Nathalie Kouakou profite alors d'une rencontre à
Rome pour quitter le pays, elle reste ensuite un mois en Suisse, puis un mois
au Sénégal. Elle finit par choisir de rentrer de peur de devenir
une exilée, mais pas avant d'avoir alerté plusieurs ambassades
occidentales de sa situation et de son retour.
Cet exemple est parlant à plusieurs titres. Tout
d'abord, il démontre la difficulté à aborder la question
des prisonniers politiques et de la gestion post crise. Ensuite, il met en
lumière le fait que le pouvoir d'Alassane Ouattara ne supporte pas de
voir son image dégradée à l'internationale, son image
internationale lui importe plus que celle nationale. Même s'il est
impossible de savoir ce qui se serait passé si Nathalie Kouakou n'avait
pas quitté la Côte d'Ivoire, il est tout de même très
inquiétant de penser qu'une telle tentative se préparait et
contre la Présidente d'une organisation, avec autant d'appui qu'Amnesty
International. Cela démontrerait jusqu'où est prêt à
aller le pouvoir pour faire taire ceux qui lui déplaise. Enfin, cela
montre aussi les dilemmes auxquelles font face les activistes menacés,
entre partir et rester. Ils doivent trouver le juste milieu entre se
protéger et continuer la lutte, ainsi que la limite à ne pas
franchir pour ne mettre en danger ni leur personne, ni leur cause.
Bien que certains sujets soient très difficiles
à aborder, les organisations de la société civile
continuent à user de tous les moyens possibles pour faire
connaître leur opinion sur l'état des droits humains en Côte
d'Ivoire.
Pour ce faire ils passent soit par les réseaux sociaux,
soit par la presse. Selon le moyen choisit ils ne rencontrent pas les
mêmes restriction et répression de leur liberté
d'expression.
Page 147 sur 227
Sur les réseaux sociaux
Le principal réseau social pour s'exprimer en
Côte d'Ivoire reste Facebook. Les organisations ont donc des pages et
profils publics dédiés sur ce réseau, ce qu'ils y publient
et partagent peut-être vu par tout le monde.
C'est donc sur ce réseau que le gouvernement
opère la plus grande surveillance. Comme nous l'avons dit dans notre
partie sur le cadre juridique ivoirien, une loi de 2017 permet de poursuivre
pénalement une personne pour des propos tenus en ligne. Cette loi a
été utilisée à plusieurs reprises pour faire taire
des voix critiques.
Fin 2018, un jeune homme, avec le pseudo de Carton Noir, est
interpellé après avoir posté une vidéo dans
laquelle des policiers commettraient une extorsion sur des civils. Depuis, il a
été condamné à un an de prison en premier instance
et deux ans en appel. Ces condamnations sont absolument
disproportionnées et révèlent la complicité de
l'appareil judiciaire avec celui exécutif. La corruption reste un
immense tabou et la moindre dénonciation a de graves
conséquences.
Il nous a été rapporté lors de nos
entretiens que le Procureur Général de la République,
Richard Adou, serait personnellement sur Facebook et suivrait des pages
d'organisations et de cyber-activistes. En 2018, à l'occasion d'une
affaire d'appels à la haine ethnique, il avait affirmé que «
tous les réseaux sociaux sont surveillés9 ». Le
Procureur de la République est perçu comme entièrement
à la solde du pouvoir et particulièrement sévère
avec les critiques du pouvoir. Dans ce contexte, les activistes se sentent
épiés et en danger.
Ce sentiment d'être constamment épié a eu
pour effet de faire naître le phénomène des avatars : plus
aucun internaute ne publie sous son véritable nom, tous utilisent un
faux nom de peur des représailles.
Ce phénomène a une part obscure, il permet un
harcèlement en ligne des activistes. Ce harcèlement prend la
forme d'insultes et de menaces. Des menaces parfois graves et très
violentes et à caractère sexiste lorsqu'il s'agit de femmes.
9
https://www.yeclo.com/procureur-adou-reseaux-sociaux-sont-surveilles/
Page 148 sur 227
Ce harcèlement a le plus souvent lieu lorsqu'une
publication est en lien avec un aspect de la vie politique ivoirienne. Le
harcèlement est tout simplement habituel entre les adhérents de
partis politiques rivaux. Ils ne font alors que reproduire la même
technique d'intimidation envers les activistes qu'ils ne considèrent pas
comme faisant partie de leur « camp ». Ainsi, la moindre critique
envers un Homme politique ou la dénonciation d'un point de vue juridique
du traitement de l'un d'entre eux par le pouvoir, sera immédiatement
commentée de façon insultante et menaçante et l'auteur
pourra aussi recevoir des messages privés du même ordre.
Ces groupes en ligne sont une menace pour la liberté
d'expression. S'ils ne sont pas directement la création du gouvernement,
le RHDP - le parti présidentiel - a clairement les mêmes
pratiques, qui profitent donc au pouvoir. Le Gouvernement et le
Président devraient être bien au-dessus de cela, appeler à
faire cesser ces pratiques et surtout donner l'exemple d'une façon de
faire de la politique responsable et respectueuse.
Enfin, l'État a l'obligation de garantir le droit
à la liberté d'expression et les menaces en ligne ne devraient
pas rester impunies.
No-vox Côte d'Ivoire a publiée en
décembre 2019 un rapport dénonçant la violation des droits
d'une communauté en lien avec un projet de mine. No-Vox avait avant cela
rendu publique la détention d'un des membres de cette communauté
et le procès bâillon en cours contre lui. Or, ce projet de mine
est celui de Henriette Lagou, ancienne Ministre sous Laurent Gbagbo, tout
récemment nommée à la CEI. Après avoir rendu public
le rapport, la Secrétaire Générale de No-Vox a reçu
des menaces en ligne en lien avec son activité. Ses détracteurs
allant jusqu'à menacer sa famille.
Ces menaces sont clairement le fait de personnes ne
supportant pas la mise en cause du pouvoir, il y a un certain endoctrinement
à l'oeuvre qui empêche toute critique et tout débat. Ces
réactions violentes qui visent les défenseurs des droits humains
sont laissées totalement impunies.
Si les réseaux sociaux sont utilisés pour leur
instantanéité, les médias classiques restent
sollicités par les organisations lors de leurs plus importants
événements. Cependant, l'accès à ces médias
n'est que partiel. Comme nous l'avons expliqué dans la partie
consacrée aux journalistes, les médias sont loin d'être
libres en Côte d'Ivoire.
Page 149 sur 227
Ainsi, lorsque nous avons interrogé les responsables
d'organisations de la société civile, tous ont assuré
qu'il est impossible de voir leurs actions relayées par la
télévision publique et par le journal d'État
Fraternité Matin. Seul Amnesty International est relayé
par la radio publique. Certains nous ont raconté avoir
déjà invité et payé le per diem des
journalistes des médias d'État sans que rien ne soit
publié ensuite.
En ce qui concerne la presse écrite, les organisations
les plus anciennes et établies ont un accès relativement facile
aux journaux, surtout ceux de l'opposition mais parfois aussi du pouvoir.
Les organisations plus récentes, comme les
Indignés ou No Vox, peuvent faire passer leurs idées uniquement
dans la presse écrite d'opposition, ou en ligne.
Dans tous les cas et pour toutes les organisations, le
paiement de per diem est incontournable.
Le fait de n'avoir un accès que très
limité aux médias vient en miroir limiter la liberté
d'expression de ces organisations. Elles doivent choisir entre avoir un
discours critique radical et ne jamais être publiée, ou
délayer leur propos pour qu'il ne soit jamais une critique directe du
gouvernement.
La Liberté d'association
La liberté d'association est relativement bien
respectée en Côte d'Ivoire. La liberté d'association selon
le droit ivoirien permet toute association entre individus à condition
qu'elle ait une fin non lucrative. Pour respecter ce droit, l'Etat ne doit pas
empêcher les activités des associations et doit leur permettre
d'avoir une personnalité juridique si cela est souhaité. La
personnalité juridique permet d'agir au nom de l'association.
En Côte d'Ivoire, les associations sont
déclarées en préfecture, celles-ci remettent ensuite un
récépissé d'enregistrement. Cette étape est presque
toujours respectée, les préfectures délivrant toujours un
récépissé. Or, une étape supplémentaire est
nécessaire, il s'agit de l'obtention d'un agrément.
L'agrément nécessite une publication au Journal officiel, sauf
que cela est presque toujours refusé. Nous n'avons rencontré
qu'une seule organisation, Amnesty Côte d'Ivoire, avec un
agrément, toutes les autres fonctionne seulement avec leur
récépissé.
Page 150 sur 227
Si ces refus sont clairement des violations du droit
d'association, d'autant qu'ils ne sont jamais justifiés, ils
n'empêchent pas le fonctionnement des associations. Comme nous l'explique
Arsène Nene, Président de l'APDH, le
récépissé est tout à fait suffisant puisque le
régime des associations reste déclaratif, elles doivent seulement
être déclarées à l'État et non
autorisées par lui.
Pour conclure, il nous faut revenir à notre
distinction initiale entre organisations plus anciennes et plus
récentes. Les organisations les plus anciennes ont eu le temps se
créer un réseau international, comprenant les institutions
internationales, les chancelleries occidentales et les ONG internationales.
Cela a deux conséquences, elles se sont institutionnalisées afin
de correspondre aux normes établies par ces partenaires internationaux
et elles sont beaucoup moins inquiétées par le pouvoir. Plusieurs
responsables de ces organisations nous ont affirmés que leur
sécurité dépendait principalement de leur bonne
intégration à des réseaux internationaux. Ils se savent
plus à l'abri que les organisations plus récentes de type «
mouvement social », et encore plus que les activistes indépendants.
De fait, ce sont ces derniers qui sont les plus exposés. Non seulement
parce qu'ils tiennent des propos plus critiques envers le pouvoir, mais surtout
parce qu'en cas de répression ils n'ont que peu de soutien
international.
Le pouvoir ivoirien cherche
désespérément à maintenir une image de
démocratie respectueuse des droits humains au niveau international.
Comme expliqué précédemment, Alassane Ouattara est bien
plus inquiet de l'opinion internationale que de celle de son peuple. De plus en
plus d'organisations cherchent donc à intégrer des réseaux
internationaux afin d'y trouver une forme de protection, peut-être au
détriment de leur identité propre et de leur autonomie.
Page 151 sur 227
B. Les difficultés de mobilisation des OSC
ivoiriennes
Dans le cas d'une Côte d'ivoire qui sort d'un conflit
civil qui l'a paralysé une décennie, la tentation de mesurer les
« progrès » de la pacification et de la réconciliation
en mettant en exergue les principales causes qui empêchent d'y parvenir
pleinement est grande.
Nous sommes pourtant avertis de la futilité d'une
telle entreprise que Richard Banégas qualifie de normative et
téléologique. Elle néglige trop souvent
l'historicité des conjonctures de la crise ivoirienne et la
complexité des situations de violence, qui ont produit tout autant
qu'elles ont détruit de la relation sociale et du dialogue politique.
En Côte d'Ivoire, ces longues années de
rébellion et de « résistance patriotique » ont
provoqué un bouleversement majeur des modalités d'action
politique et citoyenne. On peut résumer ce bouleversement par un double
processus. Tout d'abord la militarisation des luttes politiques autour des
enjeux de la citoyenneté qui consacre le rôle des Hommes en armes
comme « faiseurs de rois » au plus fort de la crise. Viens ensuite le
phénomène de « milicianisation » de l'État et de
la société qui fait du contrôle de la rue, la principale
variable de l'accès au pouvoir et levier privilégié de
décision politique.
Désormais, pour être crédible dans la vie
politique et citoyenne il faut désormais que les acteurs
démontrent de leur capacité à mobiliser les citoyens et
à « tenir le pavé », fut-ce par une violence
armée que chaque ivoirien redoute. À l'instar des loubards et
« vieux pères » du ghetto, chacun doit constituer son «
gbonhi » (sa bande, son groupe ou sa famille en « nouchi »,
l'argot des faubourgs d'Abidjan) pour faire entendre sa voix ou se voir
reconnaître dans la société (Banégas,2010). Mais
avec l'explosion associative et le début de la mise en oeuvre de projets
de développement la notion de « gbonhi associatif » se
révèle. Mais, la consistance et la survie d'un « gbonhi
associatif », au-delà de l'amitié et des valeurs que
partagent bien souvent ses membres, dépend indéniablement de la
capacité de celui-ci à permettre à ses membres de «
bouffer ».
Pardonnez mon langage qui peut paraître familier mais
il est essentiel de le maintenir en l'état dans la mesure où il
constitue un élément de langage partagé, accepté et
inhérent aux actions de développement menées en Côte
d'ivoire.
Cette métaphore nous permet d'introduire le prochain
objet d'étude qu'est la pratique du perdiem. Notion
nécessitant d'être comprise par toute personne désirant
contribuer
Page 152 sur 227
durablement au développement en Afrique. L'engagement
associatif ivoirien plus qu'une opportunité sociale de contribuer, ou
économique de gagner de l'argent constitue véritablement une
opportunité physiologique, celle de manger.
Le gombo, la clef de voûte du développement en
Côte d'ivoire
Figure 25 : Photo de gombos sur un marché et
préparés en sauce (wikipédia,2020)
Le gombo est un petit légume vert rugueux cueilli sur
une plante du même nom. Ecrasé, ce légume produit une
pâte gluante qui sert comme ingrédient de soupe, très
succulent et très prisé dans certaines sociétés
africaines. On dit souvent que la caractéristique gluante du gombo
favorise la déglutition de l'aliment avec lequel sa soupe est
accompagnée, ce qui facilite la digestion (Gnonzion,2012).
Par un processus linguistique de créativité
lexicale, mais par changement de sens, le gombo, aliment dont la
caractéristique gluante favorise et adouci la déglutition et la
digestion, est arrivé à symboliser toute ressource
financière parallèle et acquise en dehors du salaire officiel.
Tout comme le gombo au sens propre, à savoir le légume
vert, favorise la déglutition et la digestion, le gombo au sens
figuré, à savoir la somme d'argent acquise « sous la table
», en dehors du salaire officiel, « arrondie » les fins de
mois.
Compte tenu de la paupérisation
généralisée et des salaires sensiblement bas dans les
administrations publiques, la course aux « gombos » semble être
croissante au fil des années, depuis la période des ajustements
structuraux de la Banque Mondiale, et peut-être même avant,
jusqu'à aujourd'hui (Gnonzion,2012). Appliqués au domaine des
actions de développement, les gombos sont des sommes acquises
par des participants à une action mise en oeuvre dans le cadre d'un
projet.
Page 153 sur 227
Du gombo au perdiem.
Si l'attrait du gombo n'est plus une valeur publiquement
assumable, le perdiem, qui désigne une compensation financière
donnée à une personne pour une collaboration, une
disponibilité ou tout autre service, s'est démocratisé.
C'est ainsi qu'on donnera des perdiems à chacun des conférenciers
qu'on invite pour un colloque ou des participants à un atelier, un focus
groupe etc.
Ce phénomène n'est pas propre aux seuls
bénéficiaires d'actions ni aux bénéficiaires finaux
des projets. Lors des stages ou séminaires internationaux
organisés par des associations partenaires, par exemple, on
prévoit des perdiems pour les participants provenant souvent des
organisations locales de deuxième niveau, afin de les aider à
faire face aux besoins (nourriture, transport, logement) que leur
déplacement aura suscité (Gnonzion,2012).
Jusqu'à maintenant, et bien que le perdiem soit
soldé de manière tout à fait transparente, il
n'échappe pas au tabou originel de son essence à savoir la
rétribution monétaire d'une action qui devrait être issue
des logiques altruistes, volontaristes et non de la logique pécuniaire.
Il est donc très fréquent que l'usage d'une
périphérie sémantique qu'est « le paiement du
transport » ne soit utilisé par un participant au moment de son
départ (Gnonzion,2012).
Finalement, malgré le processus de
réconciliation et la reprise économique, les Ivoriens ne sont
toujours pas parvenu, à l'étape de leur Histoire où
l'intérêt et l'action collective
désintéressée constituent le socle de leur engagement.
Ainsi, la capacité d'une structure à rétribuer
l'engagement des personnes à leur cause, constitue une valeur socle de
l'engagement des ivoiriens.
Page 154 sur 227
C. Les enjeux de la professionnalisation des OSC
ivoiriennes Le renforcement des capacités et le
transfert de compétences
Le renforcement de capacités doit être
considéré et conçu comme un processus qui vise à
faciliter la consolidation, conjointement avec les acteurs, de leurs
capacités pour leur permettre d'évoluer et s'adapter aux
nouvelles exigences du contexte afin de jouer le rôle qui leur appartient
dans un schéma/modèle de partenariat, dans la mesure où il
se focalise sur trois dimensions :
· La dimension du renforcement des compétences
individuelles où les questions liées au leadership
stratégique sont également traitées ;
· La dimension de l'organisation avec une attention
particulière aux aspects de l'identité, ainsi que les
critères d'efficacité et d'efficience ;
· La dimension du renforcement relationnel et du
contexte où les questions primordiales sont celles du
développement de compétences et de capacités pour la
collaboration avec d'autres acteurs et l'élaboration d'un cadre
juridique et institutionnel adapté aux besoins des organisations et aux
exigences en matière de participation à la gestion des politiques
publiques. L'environnement est conçu ainsi non seulement comme un
facteur conditionnant (de manière positive ou négative) les
possibilités de renforcement institutionnel des acteurs, mais aussi
comme élément que l'on peut aspirer à transformer.
Cette définition opérationnelle se fonde sur
certains principes de base de l'analyse des acteurs au cours de l'exercice de
mapping réalisés par Maurizio Floridi et Stefano Verdecchia,
à savoir :
· Le développement de capacités est une
affaire de dynamisation de l'apprentissage plutôt que de transfert de
connaissances. La question de l'appropriation est alors si ce n'est centrale,
fondamentale ;
· Le point de départ du renforcement des
capacités est de construire sur ce qui existe déjà ;
·
Page 155 sur 227
Le renforcement des capacités doit viser
l'apprentissage durable et reconnaître que les solutions types n'existent
pas. Chaque initiative doit être considérée dans son
contexte et conçue en fonction des besoins spécifiques.
· Il convient de faire la différence entre
l'appui aux organisations de la société civile (dont le but
principal est celui de développer leurs capacités) et l'appui
à travers/via les organisations de la société civile
(approche selon laquelle les bailleurs appuient les activités mises en
oeuvre par les OSC dans plusieurs domaines : prestation de services, actions de
gouvernance, d'éducation civique et plaidoyer, etc.)
De ces principes se décline une série de
conditions requises pour l'aide en matière de renforcement de
capacités ;
· Toute initiative doit être fondée sur une
analyse de la situation actuelle. Le personnel des OSC doit être
impliqué dans ces analyses, car il est responsable du changement
créé, et pour cela il doit reconnaître ses propres besoins.
Le développement des capacités est donc orienté par la
demande ;
· Les objectifs et méthodes varient en fonction
de chaque environnement considéré, et chaque dimension
(individuelle, organisationnelle et institutionnelle) ;
· Le développement des capacités ne
consiste pas à envoyer une assistance technique, il consiste à
libérer le potentiel déjà existant
Page 156 sur 227
De la modélisation du renforcement de
capacités
Figure 26 : modélisation du renforcement de
capacités (UE, 2010)
Comme on peut le constater, ce modèle de renforcement
de capacités se base sur trois niveaux : le niveau du renforcement des
compétences individuelles où les questions liées au
leadership stratégique sont également traitées ; le niveau
de l'organisation avec une attention particulière aux aspects de
l'identité ainsi que les critères d'efficacité et
d'efficience ; et le niveau du renforcement institutionnel ou du secteur
où la question primordiale est celle du développement de
compétences et des capacités pour la collaboration avec les
autres organisations agissant dans le même secteur.
Nous allons maintenant mettre en avant les
nécessités prioritaires en termes de renforcement de
capacités des organisations de base ainsi que de deuxième et
troisième niveau selon le modèle que nous venons de vous
présenter.
Page 157 sur 227
Axes prioritaires de renforcement des capacités des
Organisations de base
Les organisations de bases sont très souvent
situées en milieu rural ou dans les quartiers défavorisés
des zones urbaines. Ses membres, paysans pour la plupart, ne disposent
très souvent que d'un faible niveau d'instruction. De ce fait la
préparation des membres des organisations de base (OB) aux
activités réalisés (atelier, focus groupe etc.) est
faible. Bien souvent la finalité d'une organisation de base n'est pas
unanime et des divergences existent parmi ses membres pour diverses raisons
(rivalité foncière, conflit interpersonnel sous-jacent, etc.). Le
respect des textes et règlements nécessaire au bon fonctionnement
associatif n'est pas permis dans la mesure où ils ne sont pas
régulièrement consultés.
Le problème intrinsèque des organisations de
bases est le défaut d'instruction et d'éducation civique de leurs
membres. La plupart d'entre eux, dont l'instruction ne dépasse pas le
premier cycle ne disposent la plupart du temps ni du temps, ni des
compétences nécessaires à la pratique du
développement local tel qu'il est fait actuellement. Sans une politique
éducative nationale plus forte ou complétée par une
éducation citoyenne préalable à l'exercice associatif, les
membres des organisations de bases ne pourront être force de proposition.
Aussi peut-on penser à d'autres moyens de communication et de
capitalisation de l'information innovants et nécessaire à la
mémoire et à l'accumulation d'expériences collectives.
Cependant, la mise en oeuvre d'un processus de réflexion de ce type
nécessite la participation d'organisations de deuxième niveau
dont ce n'est pas la priorité.
L'identification et la cartographie des organisations de bases
demeurent imprécises dans la mesure où l'existence d'un groupe,
plus que l'origine de sa création et sa vocation est
considéré comme une fin en soi par les acteurs de niveau
supérieur. Du fait du manque de compétences et du manque
d'informations relatives aux subventions associatives, les organisations de
bases ont des capacités financières limitées et une forte
dépendance aux organisations de niveau supérieur, interface
principale des bailleurs.
La corruption généralisée présente
dans le pays depuis son fondement n'épargne pas la sphère
associative. Celle-ci démocratisée par la célèbre
maxime d'Houphouët-Boigny qui dit « qu'on ne regarde pas dans la
bouche de celui qui grille des arachides ». Très
appréciée
Page 158 sur 227
des ivoiriens, l'arachide grillé, présente
à chaque coin de rue est la plupart du temps vendue par des femmes
dioulas. Par cette métaphore qui admet que la tentation du
grilleur d'arachide de consommer une part de sa propre production est
légitime, et que sa prédation est acceptable,
F.Houphouët-Boigny a démocratisé la corruption
généralisée ivoirienne. Une conséquence directe de
ce phénomène pour les associations est très souvent
relative à un défaut de gestion. Celui-ci peut mener à une
absence de démocratie et de participation au sein du groupement voir
à des détournements de ressources matérielles et
financières (Floridi et Verdecchia,2010).
La faible instruction des membres des organisations des bases
ne permet pas la capitalisation autonome de leurs actions. Cela ne permet pas
l'accumulation d'expérience nécessaire à l'autonomie de
ces OB et les rend d'autant plus tributaires des organisations de
deuxième niveau avec lesquelles elles collaborent.
D'autres problématiques plus logistiques concernent
l'absence de matériel, sa vétusté s'il est présent,
sa difficulté d'approvisionnement et de présences des partenaires
en raison d'axes de circulation en mauvais état.
La dissymétrie de compétences et de
visibilité entre les organisations de base et les ONG présentes
pour l'ensemble à Abidjan, mène à une logique de
coopération « Top down » (descendante) des organisations de
second niveau. La plupart du temps celles-ci imposent des projets plus «
bankable » que nécessaires et souhaités par les
organisations qui n'ont pas le luxe du refus. Les organisations de second
niveau en charge de la capitalisation et de la veille informative et
pécuniaire des organisations de base sont cependant occupées par
leurs propres activités et ne s'investissent pas outre l'obtention d'un
financement dédié.
En l'état, les organisations de base n'ont que
très peu de chances de transcender leur condition de
bénéficiaire pour parvenir à devenir des parties prenantes
actives de leur développement. Le renforcement de compétences
organisationnelles doit alors mener à l'évolution de ces
organisations de base en organisation de second niveau mais les contraintes
individuelles constituent le principal frein à cette évolution.
La mise à disposition de « micro-fonds associatif » à
destination de groupes plus nucléaires au sein des espaces ruraux peut
être une piste de réflexion pour permettre aux
bénéficiaires de
Page 159 sur 227
se familiariser à la gestion financière dans le
cadre de projet. Le renforcement de la capacité d'innovation
organisationnelle reste cependant la priorité. Le modèle de
l'organisation de base ne semble pas être une formule adéquate
à l'autonomisation de ses membres et des citoyens ruraux. Il faut donc
requestionner ce modèle avec des acteurs locaux dont le modèle
actuel de développement local n'est pas en adéquation avec leur
désir de changement.
Sur le plan sectoriel, l'ensemble des organisations de bases
sont holistiquement considérées. Cette représentation est
la conséquence de l'existence des organisations de deuxième
niveau, interfaces entre les problématiques locales et les fonds
nationaux et internationaux. En l'absence d'une décentralisation
opérationnelle et efficace, ces organisations ne
bénéficient très souvent, ni de fonds locaux ni de l'aval
des autorités politiques locales, qui ne perçoivent les OSC
qu'à travers la menace politique qu'elles représentent.
L'accélération du processus de
décentralisation apparaît comme la condition sine qua non
de l'efficacité durable, pérenne et visible de l'action des
organisations de bases.
Axe prioritaire de renforcement des capacités des
organisations de deuxième niveau
Les organisations de deuxième niveau telles que No-vox
Côte d'ivoire sont souvent confrontées à des
problèmes structuraux relatifs aux ressources humaines. Le personnel, y
est souvent intermittent selon les financements disponibles pour la mise en
oeuvre de projets. Bien que la majorité des membres de ces organisations
soit instruite et éduquée, elle ne bénéficie pas
d'une formation spécifique à la mise en oeuvre de projet. Seuls
quelques leaders associatifs ont une connaissance globale du contexte et des
enjeux posés par les actions de leurs associations. Dans le cadre des
associations de défenses des droits humains, certains acteurs
associatifs se constituent en véritables « activistes »
politique.
Les organisations de deuxième niveau pour être
pleinement efficace ont un besoin conséquent de personnel
qualifié. La mise en oeuvre du cycle de projet de la conception à
l'évaluation, ainsi que la recherche de financement et le montage de
projets nécessitent des compétences professionnelles. La
technocratisation internationale associative a vu les
Page 160 sur 227
différents outils nécessaires à
l'obtention de financement évoluer et se complexifier pour les profanes
du développement.
Dans la majorité des cas de coopérations entre
des organisations de deuxième niveau et des partenaires associatifs
internationaux, les OSC ivoiriennes abordent la posture d'une organisation de
base. Cette attitude apparait comme celle d'un complexe. Ce complexe, consiste
en une intériorisation des désaccords et des ressentiments et en
une infériorisation des compétences et des connaissances des
acteurs associatifs ivoirien. Cette situation induite par la logique de
nécessité pécuniaire qui se rapporte aux projets et aux
partenariats, mène à un décalage subtil entre les
coopérants qui créé un sentiment amer en fin de projet. La
faute souvent à une incompréhension « qu'on évitera
une prochaine fois ! »
Lorsque deux chargés de projet de développement
(durable) et de solidarité internationale ivoiriens et français
sont en partenariat sur un projet, ce sont bien deux mondes qui entrent en
collision. Les chargés de projet en France, disposent d'une
spécialisation (communication, projets agricoles, droits humains, etc.)
mais ont en commun de comprendre et de maitriser un ensemble d'outils
indispensables à toutes mises en oeuvre de cycle de projet. Dans la
plupart des OSC ivoiriennes de deuxième niveau, la gestion de projet est
assurée par les principaux leaders de la structure. Ils ont divers
profils, des militants qui par leurs forces de mobilisation sont parvenu
à obtenir un partenariat international aux jeunes diplômés
en sciences sociales dans l'attente d'une insertion professionnelle. Au coeur
de cette relation partenariale « égalitaire »
l'équité est bien à remettre en question. La maitrise des
outils et du vocable des appels à projets s'avère être un
véritable blocage pour des acteurs ivoiriens ne parvenant pas à
faire comprendre les subtilités ou « réalités »
d'un terrain dont le concepteur principal du projet est éloigné.
Il apparait donc impératif de mettre en oeuvre des dispositifs
concernant la création de plus de formations en gestion de projet de
développement et de solidarité internationale permettant aux
gestionnaires de projets présent au sein des OSC ivoiriennes de pouvoir
disposer des mêmes capacités que leurs homologues internationaux.
En revanche, si de nombreux ivoiriens sont formés à la gestion de
projet en Solidarité Internationale et en Développement Durable,
il faut qu'une solution politique soit apportée concernant leur
employabilité. Cela serait bénéfique car les
Page 161 sur 227
acteurs associatifs disposeraient d'une sécurité
financière qui leur permettrait d'être consacrés aux
actions des OSC. Ils auraient également plus de recul sur ce qu'ils
veulent faire et non ce qu'ils doivent faire pour obtenir des financements.
Cela pourrait contribuer à l'affaiblissement de la « dérive
généraliste » des OSC ivoiriennes. De plus,
bénéficier d'une part plus importante de personnels du
développement qualifiés aurait une incidence sur le complexe
évoqué précédemment. C'est seulement formé
et confiant que le chargé de projet ivoirien parviendra à mettre
en oeuvre des actions autant efficaces sur le plan de la logistique que de la
symbolique.
Il existe une fracture entre les OSC de deuxième
niveau, en termes d'approche et de vision (développement/urgence ;
Politique/bien commun etc.), mais également avec les organisations de
base. Le manque de temps d'investissement possible et de capacité de
planification met en péril la propension des structures à
s'interroger sur leurs valeurs et missions, leurs visions du futur et leurs
positionnements stratégiques. Les organisations évoluent souvent
sans direction claire, selon les opportunités du contexte,
dictées par les politiques des bailleurs de fonds et par le contexte
dominant qui est celui de l'humanitaire. La question du leadership efficace se
pose à différents niveaux, en raison de l'inexpérience de
certains dirigeants d'OSC. Les structures de gouvernance interne ne
fonctionnent pas toujours selon des règles démocratiques et
souvent les conflits qui en découlent peuvent paralyser les
activités ordinaires. Les OSC de deuxième niveau sont
confrontées à une situation presque
généralisée de « précarité » en
termes de ressources matériels disponibles. Exception faite de quelques
structures, il n'y a pas de systèmes « professionnels » de
gestion visant l'efficacité et l'efficience des activités.
Trop souvent, les OSC sont fortement personnalisées,
sans une vraie délégation de pouvoir et sans un vrai partage de
responsabilités. Les procédures sont rarement explicitées
et les manuels pour la gestion des ressources financières,
matérielles et humaines sont encore une exception. « La
dérive généraliste des OSC ivoiriennes » entraine un
faible niveau de spécialisation de celles-ci. Un bon nombre
d'organisations dites « de lutte contre la pauvreté » n'ont
pas de périmètre d'action défini et change de mission
selon les diverses opportunités de financement offertes par les
bailleurs de fonds, notamment dans l'humanitaire.
Page 162 sur 227
En définitive on peut remarquer la faible
capacitée d'innovation organisationnelle des OSC de deuxième
niveau, notamment en matière d'approches participatives visant à
se structurer et à accompagner les acteurs à la base. Encore une
fois il s'agit d'un défaut de formation mais cette fois-ci des leaders
associatifs dont la position acquise par un engagement exemplaire et de longue
durée souffre de la concurrence des compétences de membres qui
peuvent parfois constituer une « menace ».
La position de leader associatif est la plus délicate
à tenir sur l'échiquier du développement ivoirien. Si la
légitimité nécessaire à la fonction s'est obtenue
à travers la lutte, elle le fut au prix de l'acquisition des
compétences nécessaires à la gestion de l'association dont
ils ont la charge. Les phénomènes d'instrumentalisation politique
et de « mercenariat » associatif ont eu pour conséquences de
développer la partition des taches données par un leader aux
membres. Si dans le cas d'une association possédant des salariés,
chacun est assigné à une tâche et peut
bénéficier du soutien éventuel des autres membres de la
structure, dans le cas d'une OSC ivoirienne de deuxième niveau le leader
confit des morceaux de tâche à certains membres disponibles. La
responsabilité finale lui revient toujours et il ne peut blâmer
tout manquement à l'exécution des taches sous peine de perdre ses
membres en raison de « l'absence de respect et de considération
» envers leur engagement. De plus, le leadership est souvent
effectué à titre bénévole et ne permet pas aux
leaders de vivre de leur engagement. La formation et la professionnalisation de
ces leaders associatifs est plus que jamais nécessaire car sans celle-ci
la structuration et la gestion de ces OSC de deuxième niveau ne
permettra la mise en oeuvre de cycles de développement vertueux.
D'un point de vue sectoriel, les principales carences des OSC
de deuxième niveau concernent le manque de capacités des leaders
à créer un dynamique de confiance et d'unité au sein de
leurs structures. La segmentation de l'information est un enjeu vital dans un
contexte où l'action associative peut être motif d'intimidations
et de sanctions pénales. On observe également que l'absence d'un
code de conduite ou d'une charte déontologique coercitive ne permet pas
aux structures de s'appuyer sur un texte pour arbitrer les conflits et
sanctionner ses membres, ce qui peut susciter le sentiment chez les membres,
d'une justice arbitraire du leader.
Page 163 sur 227
On peut également souligner l'absence d'espaces
effectifs suffisamment participatifs pour échapper au
phénomène des « dictateurs éclairés » et
promouvoir les échanges et la concertation. Un défaut de
transparence du leadership au sein des structures a pour conséquence la
faible circulation de l'information favorisant la présence de litiges
entre membres.
Axe prioritaire de renforcement des capacités des
Organisation de troisième niveau
Les OSC de troisième niveau sont constituées par
des structures telles que les coalitions associatives, les
fédérations ou encore les réseaux associatifs dont le
leadership est assuré par d'anciens leaders d'OSC de deuxième
niveau. Ces leaders sont par ailleurs encore actifs parmi les OSC de
deuxième niveau. Les compétences techniques requises pour le
dialogue avec le gouvernement et les bailleurs de fonds sur les
stratégies de développement sont exclusivement mis à la
disposition de la prestation de services et de la recherche de financements
pour les organisations membres. Ces organisations ont une organisation et une
gouvernance similaire aux OSC de deuxième niveau reposant
essentiellement sur la personnalisation du pouvoir par le leader.
Sur le plan organisationnel, l'absence d'une vision
partagée des stratégies de développement à mettre
en oeuvre pour l'avenir du pays et d'une mission claire pour ces organisations
a pour conséquence la précipitation de celles-ci
privilégiant l'urgence humanitaire au détriment d'actions de
développement pour la recherche de financements.
Ces organisations disposant pour la majorité de
ressources humaines, matérielles et financières similaires aux
OSC de deuxième niveau, en viennent également à en adopter
les mêmes logiques de fonctionnement. Elles s'écartent ainsi de
leur fonction première de plateforme au service de ses membres. De ce
fait la distance entre les « élites associatives » et les
membres à la base augmente.
Si les OSC de troisième niveau permettent le partage
d'informations et la rencontre entre ses membres, elle ne garantit pourtant pas
leur unité. Souvent les organisations membres des organisations
faîtières se perçoivent comme des concurrents aux
financements internationaux et à l'accès aux réseaux de
partenaires et de bailleurs.
Page 164 sur 227
Le manque d'expérience de travail en réseau et
de maitrise des méthodes et outils adaptés aux besoins ne
facilite pas la mise en oeuvre des projets.
La faible existence d'un quatrième niveau d'OSC ne
permet aux leaders associatifs de bénéficier de «
personnalités-pont » qui permettraient de faciliter la
coopération entre les services de l'Etat et les citoyens engagés.
En définitive les leaders des associations de troisième niveau
devraient avoir pour mission la seule représentation de ses membres. Or
l'absence d'institutions de quatrième niveau légitime au dialogue
avec les ministères et les grandes institutions internationales ainsi
que de l'autonomisation des organisations de base et OSC de deuxième
niveau ne permet pas aux organisations de troisième niveau d'effectuer
leur rôle de plateforme dédiée aux membres et d'interface
avec les acteurs institutionnels ivoirien.
C'est principalement sur les aspects présentés
ci-dessus que devra être mis la priorité des actions de
renforcement des capacités des acteurs de la société
civile et leurs partenaires afin de faire progresser la qualité
générale des actions de développement en Côte
d'ivoire.
La décentralisation
Il est indéniable que la société civile
ivoirienne a un rôle primordial à jouer dans la construction et la
gestion de l'espace public et civique, et ce aux différents
échelons : national, régional et communal.
Dans ce contexte, la décentralisation représente
une grande opportunité pour le pays d'intégrer la
société civile dans ce processus grâce à la
contribution qu'elle pourrait offrir non seulement pour que le dispositif
puisse être efficace mais de manière plus générale
pour l'instauration d'un véritable Etat de droit.
La décentralisation pour être achevée et
efficiente nécessite un changement de mentalités et d'approches
dans la gestion de l'espace public qui est avant tout lieu de rencontre et de
dialogue politique, notamment au niveau local. On peut dès lors affirmer
que le processus d'appropriation de la part des populations et des forces vives
et actives, de la société civile dans le territoire est un
laboratoire formidable, d'une part, pour apprendre à
considérer
Page 165 sur 227
la chose publique comme une affaire universelle, et d'autre
part comme un facteur d'accélération du processus de production
du leadership au sein de la société civile.
Bien évidemment, il s'agit de faire en sorte que les
différents acteurs participent à la gestion de cet espace au
travers de la production de règles et modes de fonctionnement propres
à la démocratie communales selon une logique relationnelle
élus-électeurs qui est avant tout politique. Et ensuite il faudra
passer par une étape qui consiste à construire tout d'abord une
nouvelle identité de l'espace délimitée par le dispositif
de la décentralisation, où chaque acteur sera appelé
à jouer le rôle qui lui est propre, ce qui comporte un exercice de
redéfinition des relations économiques, sociales et culturelles,
et dans un deuxième temps à gérer ce nouvel espace.
Dans ce cadre, il revient à la société
civile et à ses organisations de base ainsi que celles vouées
à l'appui et l'accompagnement d'autres , le rôle de
dépasser la logique purement administrative du dispositif de la
décentralisation pour être un acteur actif et pour remplir de
contenus pertinents les plans locaux de développement selon l'exercice
de la responsabilité sociale et de l'intérêt collectif et
dans une logique de co-gouvernance.
La gestion de l'espace local, la création de son
identité et la démocratie locale ne peuvent pas se faire par
décret ministériel mais bien au travers de la mobilisation et de
la canalisation de l'énergie sociale dans la solution des
problèmes du territoire local et dans l'élimination des
contraintes qui entravent le développement social et
économique.
Pour ce faire, les organisations de la société
civile doivent promouvoir le dialogue social et politique avec tous les autres
acteurs (administration et secteur privé) en exerçant leurs
droits et devoirs, ce qui est à la base de la notion de
citoyenneté.
En effet, à travers la décentralisation la vie
publique du pays s'enrichit d'une arène dans laquelle les
différents acteurs locaux peuvent se rencontrer pour définir leur
propre avenir au travers de la définition de politiques et
stratégies pour atteindre le développement durable de leur propre
territoire.
Le processus de décentralisation amène
l'ensemble des acteurs concernés à se poser des questions par
rapport au développement local. Ces questionnements se justifient au
regard de la volonté affichée des communes d'accéder
à des financements publics et à des investissements
privés.
Page 166 sur 227
Dans un tel contexte, les collectivités locales ont
intérêt à élaborer un plan de développement
et à inscrire leurs actions dans le cadre de la réalisation de ce
plan qui devient un cadre de référence pour les acteurs
concernés et un cadre de négociation pour les intervenants
externes. Finalement le développement local devient « un processus
d'enrichissement économique, social et culturel de la commune ».
La localité, doit donc impulser le processus de
décentralisation et veiller à une meilleure coordination du
développement au sein de son territoire. La commune peut devenir ainsi
le moteur du développement communal à condition que tous les
acteurs locaux y soient impliqués.
Cette conditionnalité est directement liée
à la question de la fiscalité : les populations d'une commune
s'attendent à recevoir des services de leur municipalité. Mais
elles ont également le devoir de contribuer aux recettes des communes
à travers le paiement des taxes et impôts. Les organes des
municipalités ont donc intérêt à répondre aux
besoins et aspirations de leurs populations pour respecter leurs promesses
électorales d'une part et pour respecter une prescription légale
vis à vis de la tutelle. Dans ces conditions, la commune doit
élaborer son plan de développement communal.
L'élaboration de ce plan de développement locale
relève de la responsabilité de la commune. En principe,
l'élaboration de ce plan doit commencer et s'achever par une
décision du conseil municipal. Mais pour que ce plan puisse
répondre aux besoins et aspirations des populations, ces communes
doivent associer l'ensemble des acteurs concernés.
Les acteurs, formels ou informels, de la société
civile sont des partenaires fondamentaux des communes en matière de
développement local vu qu'ils ont un ancrage social et une connaissance
approfondie de leur territoire. La commune a donc intérêt à
exploiter ce potentiel de développement en encourageant la participation
mais aussi en les responsabilisant dans la mise en oeuvre de plans communaux de
développement (principe de subsidiarité) (Floridi et
Verdecchia,2010).
Enfin, la décentralisation représente une des
portes d'entrée pour tenter de briser le cercle vicieux de la «
sortie de la crise » et commencer à inventer le futur. Bien
Page 167 sur 227
évidemment en passant par la notion clef de
citoyenneté dans le contexte qui lui est le plus adéquat : la
gestion de l'espace public.
En définitive l'ensemble des défis auxquelles
fait face la société civile ivoirienne ne seront surmontable que
si les leaders politiques ivoiriens parviennent à fédérer
l'ensemble des ivoiriens et à proposer un cadre politique,
législatif et technique propice à une action efficiente de la
société civile.
Nous allons maintenant nous intéresser à la
stratégie mise en oeuvre par le Rwanda pour l'action de sa
société civile en matière de développement.
Page 168 sur 227
2. Recontextualisation de l'action des OSC en Afrique
A. Comparaison avec le modèle rwandais
Il s'agira ici de comparer les dynamiques des
sociétés civiles ivoiriennes et rwandaises en matière
d'atteinte des ODD. Le choix du comparatif avec le Rwanda est motivé par
le fait que ce pays est considéré par les acteurs associatifs
ivoiriens et ouest africains comme le modèle à suivre en
matière de développement africain. De plus la Cote d'ivoire et le
Rwanda partage des similitudes qui nous permettent de comparer leurs politiques
publiques en matière de développement.
Le Rwanda est un pays qui a d'abord été
colonisé par les Allemands ensuite par les Belges et ce jusqu'à
son indépendance en 1962. L'indépendance est suivie par
l'instauration de la première République hutue de 1962 à
1973, et la seconde de 1973 à 1994. Au début des années
90, le pays est le théâtre d'une guerre civile qui oppose le
régime d'Habyarimana au Front Patriotique Rwandais (FPR), mouvement
politique créé par des réfugiés tutsis en exil, et
qui donna lieu au génocide de 1994. Ce dernier est
considéré comme l'un des évènements les plus
violents du 20ème siècle et de l'histoire
contemporaine.
Depuis la fin du génocide, le pays est dirigé par
le FPR et son président Paul Kagame. En 25 ans, le pays a
réalisé de nombreuses avancées sociétales. Selon
les autorités, cela s'explique par «la création d'emplois
dans le secteur non agricole, la croissance de la production agricole et un
degré accru de commercialisation de l'agriculture ». En outre, le
gouvernement a initié une transition démocratique avec la mise en
place d'élections locales en 1999, suivi en 2003 par les
élections parlementaires et présidentielles. Malgré ces
progrès, le pays est confronté à divers défis que
partage actuellement la Côte d'ivoire. (Swinnen, 2019)
Le premier est celui de la gestion des traumatismes
engendrés par la guerre civile (1990 -1994) et le génocide ainsi
que la réconciliation entre les Rwandais. Ces derniers sont encore
choqués par cette période et souffrent de séquelles
physiques et/ou psychiques. L'UNICEF évoque une «
génération traumatisée » dans son rapport de 1995.
Les personnes présentes comme absentes au moment des faits vivent dans
la crainte que les évènements se répètent. La
particularité du génocide des tutsis est qu'il s'agit d'un
Page 169 sur 227
génocide de proximité, perpétré
à l'intérieur du cercle social par des membres de ce cercle. Cela
a eu pour conséquence de briser le lien social qui unissait le peuple
rwandais. A l'heure actuelle, il est essentiel pour les autorités de
traiter en priorité la question du « vivre ensemble » et de la
réconciliation nationale.
Le second concerne la forte croissance démographique.
En 2017, la population comptait de 12 208 000 habitants, c'est-à-dire
près de 498 personnes par km2 (Banque mondiale, 2019). Selon
l'étude prospective des Nations Unies de 2017, la population rwandaise
devrait doubler d'ici 32 ans (variante de fécondité
élevée), d'ici 40 ans (variante de fécondité
moyenne) et d'ici 42 ans (variante de fécondité faible).
Cependant les progrès effectués restent considérables. En
1994, le taux de fécondité est de 6 enfants par femme, et en 2016
de 4 enfants par femme, il y a donc eu une baisse du taux de
fécondité de 38,57% en l'espace de 22 ans (BM, 2019). Mais comme
en Côte d'ivoire, il s'agit d'une population jeune : les moins de 25 ans
représentent 60,45% de la population totale. Au cours de ces
dernières années, la pression démographique a
été un facteur déclencheur de conflits dans plusieurs pays
africains, la rareté des ressources intensifiant la concurrence et
exacerbant les tensions entre ethnies, religions et régions. Le clivage
intergénérationnel s'est également accentué lorsque
les jeunes ont compris les limites de la gérontocratie, à savoir
la préemption des biens du pays et des postes de pouvoir par une part de
la population vieillissante et plus en accord avec l'essentiel de la
population.
Le troisième défi est lié à la
qualité de l'éducation nationale. Les autorités ont
fortement encouragé la scolarisation, et le taux de
diplômés est en augmentation. Malheureusement, l'éducation
offerte n'est pas de bonne qualité. Beaucoup d'universitaires ne
trouvent pas d'emploi, soit parce qu'ils n'ont pas les compétences
requises soit parce que le marché de l'emploi n'est pas adapté
à l'offre croissante de main-d'oeuvre qualifiée. En 2017, le taux
de chômage représentait 17,36% de la force de travail (BM, 2019).
En parallèle, la dernière évaluation
intégrée des conditions de vie des ménages pour la
période 2016/17 révèle que le taux de pauvreté est
de 38,2%, dont 16% de pauvreté extrême, et le coefficient de Gini
est de 0.429. Il n'y a pas eu de changement significatif par rapport à
l'évaluation précédente comme ce fut le cas entre 2010/11
et 2013/14.
L'avant-dernier défi est relatif à la
ruralité de la société rwandaise. En effet, 80 % de la
population vit de l'agriculture. Cependant, le foncier est en tension car il
est de plus en
Page 170 sur 227
plus difficile de trouver des terres arables disponibles.
Couplé à l'augmentation de la population, cela déclenche
une recrudescence des conflits fonciers. En 2005, les autorités ont
promulgué un ensemble de lois foncières dans le but de
sécuriser la propriété et de faciliter les transactions
foncières. Cette formalisation est à double tranchant, car la
titrisation des terres, l'absence de reconnaissance des parcelles dont la
taille est inférieure à un hectare et le manque de restriction
concernant la taille maximale favorisent les gros investisseurs en augmentant
leurs pouvoirs de négociation. Cela fragilise dans le même temps
la position des petits exploitants. Dans le pire des cas, cela pourrait
encourager l'accaparement des terres. En 2007, les autorités lancent un
nouveau programme d'intensification de la production agricole pour assurer la
sécurité alimentaire et atteindre l'autosuffisance alimentaire.
Le programme d'intensification agricole, qui promeut la monoculture, identifie
six cultures prioritaires orientées vers le marché international
et à haute valeur ajoutée.
Le dernier défi porte sur le régime politique et
ses carences démocratiques. Au pouvoir depuis 2000, le président
Kagame a été élu en 2017 pour un 3ème
mandat grâce à la modification de la Constitution. Bien que se
revendiquant démocratique, le Rwanda s'apparente à un
régime autoritaire. Le caractère démocratique des
élections a été remis en cause à plusieurs reprises
étant donné les résultats surprenants : depuis
l'instauration des élections, le président et son parti ont
été élus avec plus de 90% des voix.
La démocratie, comme projet sans cesse à
construire, implique la liberté d'opinion, le respect des droits des
minorités, la confrontation pacifique des intérêts, la
liberté d'organisation, l'État de droit, la responsabilité
des gouvernants, etc. Cela suppose pouvoirs et contre-pouvoirs et donc un
espace libre, celui d'une société civile forte,
indépendante du pouvoir de l'État et de celui de
l'économie (de l'argent). Ce qui n'est actuellement pas le cas selon
plusieurs défenseurs des droits humains. En effet, les autorités
politiques ne tolèrent que très peu les critiques qui peuvent
émaner des acteurs de la société civile. Les
libertés d'expression, de presse et d'association sont très
contrôlées et de fait limité. Le FPR fait régner un
climat de peur et de surveillance qui empêche les citoyens de critiquer
ouvertement les politiques mises en place par peur de représailles.
(Swinnen, 2019)
Page 171 sur 227
Le principal argument du FPR pour justifier sa politique
autoritaire est la lutte contre le divisionnisme et l'idéologie
génocidaire (Front Line Rwanda [FLR], 2005). Les citoyens évitent
donc généralement la critique du pouvoir par peur de tomber dans
ce que le gouvernement pourrait qualifier de divisionnisme ou
d'idéologisme ethnique, d'où l'importance de s'en tenir au
discours public (Front Line Rwanda, 2005). Depuis plusieurs années, nous
assistons à la personnification du FPR sous les traits de Paul Kagame.
La concentration du pouvoir décisionnel entre les mains de
l'Exécutif, qui, selon les cas, se confond avec la Présidence,
aboutit souvent au ballottage de l'opposition, mais aussi au
ballottage des pouvoirs législatifs et judiciaires,
garants de gouvernance
démocratique. Malgré les critiques, le
président Kagame est considéré par la plupart des Rwandais
comme un héros national, car il a su redresser le pays après
évènements de 1994. Dans la plupart des imaginaires, il est le
seul capable de gérer correctement le pays ce qui justifie certaines
dérives de son gouvernement. Les discours du FPR peuvent être
assimilés à ceux des régimes autoritaires asiatiques
puisqu'on y retrouve l'idée que : «la spécificité
multiethnique, les risques de division et l'incertitude économique du
monde sont autant de menaces potentielles qui justifient le pouvoir fort d'un
État paternaliste puissamment structuré, à l'opposé
du pluralisme politique ».
Jusqu'en 2012, le gouvernement encourage la bonne gouvernance
à travers le maintien de la paix et de la sécurité, la
réforme des systèmes judiciaires, fiscaux et financiers, la
décentralisation, mais aussi la promotion des libertés
d'expression et d'association. Ainsi, les autorités accordent de
l'importance aux actions des OSC et cherchent à les intégrer dans
la stratégie gouvernementale en renforçant leurs
compétences et capacités, et en promouvant un cadre légal
propice à leurs finalités .Depuis 2013 la vision du gouvernement
et des OSC est globalement que la gouvernance doit être
améliorée «en favorisant la participation et la mobilisation
des citoyens pour la prestation du développement, en renforçant
la responsabilité publique et en améliorant la prestation de
services». La responsabilité publique fait référence
d'une part au rôle de monitoring des politiques gouvernementales, des
citoyens, des communautés et des parties prenantes (OSC et bailleurs de
fonds), et d'autre part à la responsabilité vers le bas des
représentants élus (Swinnen,2019).
Page 172 sur 227
En 2017, le plan septennal du gouvernement présente la
bonne gouvernance comme la prestation de services et le renforcement de la
participation des citoyens et des OSC via les mécanismes de
décentralisation. Un des objectifs est la création d'un
partenariat durable entre le secteur public, le secteur privé, les OSC
et les autorités afin d'accélérer le développement.
Pour atteindre leurs objectifs, les autorités prônent une
coordination à tous les niveaux, c'est-à-dire une coordination
horizontale entre les divers organes du pouvoir et une coordination verticale
entre les citoyens et les autorités ainsi qu'entre les OSC et les
autorités. Cette coordination passe principalement par une politique de
décentralisation initiée en 2005 dont l'objectif est de faciliter
l'implémentation des politiques nationales aux échelons locaux.
Les autorités préconisent également une coordination avec
les acteurs extérieurs en exigeant une harmonisation et un alignement
des bailleurs de fonds et des ONG internationales avec les priorités
nationales. Depuis l'arrivée au pouvoir du FPR, la politique
gouvernementale se focalise progressivement sur l'aspect économique de
la société. À titre d'exemple, en 2009, le Rwanda occupait
la 143èmeplace du classement Doing Business de la Banque mondiale,
aujourd'hui il occupe la 29èmeplace (BM, 2018). Dans les documents
stratégiques, cela se traduit par l'emploi d'un vocabulaire
entrepreneurial tandis que le vocabulaire en lien avec les libertés
n'apparaît plus.
« Pour le gouvernement rwandais, il ne s'agit plus de
faire de l'humanitaire, mais du développement. » (Swinnen,2019).
Dès lors, il y a un transfert de la société civile vers le
secteur privé. La société civile qui, pendant les
années précédentes, était le partenaire
privilégié des autorités est remplacée au profit du
secteur privé. Les OSC se trouvent donc concurrencées par un
secteur privé fortement soutenu par l'État. Pour les OSC, cette
stratégie de coordination se traduit, dans un premier temps, par la
formalisation et la professionnalisation, et par la suite par l'insertion des
OSC dans les stratégies du gouvernement. Ces transformations se sont
principalement opérées à travers l'adoption de lois et le
renforcement de structures étatiques responsables de la
société civile. Dès lors, les OSC sont perçues
comme un partenaire privilégié du gouvernement qui l'aide
à réaliser ses objectifs de développement local. Par
exemple, lorsque le gouvernement a mis en place le programme « une vache
par famille pauvre », ce sont des organisations de la
société civile qui l'ont mis en oeuvre. Les OSC doivent aussi
faire le monitoring des politiques gouvernementales et encourager la
participation des citoyens dans les
Page 173 sur 227
décisions politiques locales. Aux niveaux locaux et
sectoriels, les OSC doivent aligner leurs actions avec les priorités des
Plans de Développement.
Dans le cadre de la formalisation et la professionnalisation
des OSC, divers structures et organes créées. La Rwanda Civil
Society Platform, les contrats de performance et les Joint Action Development
Fora ont été instaurés avant 2010, mais la participation
à ceux-ci a été fortement encouragée après.
En revanche, le Rwanda Governance Board est un organe créé en
2011.
En 2004, les autorités créent la Rwanda Civil
Society Platform (RCSP) pour soutenir, promouvoir et contrôler les
actions gouvernementales au sein de la société civile ainsi que
pour administrer les relations entre les collectifs et le gouvernement
(Swinnen,2019). Les collectifs sont des groupes de coordination qui regroupent
les organisations d'un même domaine. La RSCP, composée de 15
collectifs, gère les OSC de manière décentralisée
à travers le pays. De cette façon, les actions locales
s'inscrivent dans un programme national. Les acteurs de la
société civile rwandaise peuvent être classés en 4
niveaux : les groupes d'initiatives locales (coopératives, groupes de
jeunes, syndicats...), les ONG internationales et les organisations
basés sur la foi, les collectifs et la RCSP. Certaines organisations
dénoncent « une surveillance » exercée par la RSCP, car
ils y voient un moyen supplémentaire des autorités limiter
l'action de certaines OSC, agissant notamment sur les thématiques de
justice sociale et d'alternance démocratique. Cet avis n'est pourtant
pas partagé par tout le monde. Il serait réducteur de dire que
les collectifs servent uniquement de mécanismes de contrôle car
des OSC travaillent étroitement avec les autorités. Par exemple,
c'est de notoriété publique que l'ONG Pro-femme est proche du
pouvoir, mais cela ne l'empêche pas de produire de très bons
résultats, au contraire. Selon certains acteurs, la RSCP augmente la
force du plaidoyer puisqu'elle facilite l'accès à l'information
et la diffusion d'un message.
Les contrats de performance sont mis en place à partir
de 2006. Le contrat de performance (Imihigoen kinyarwanda) a pour but de
consolider le système de planification, le suivi et l'évaluation
des résultats prévus par les Plans de développement
à tous les niveaux de pouvoir à travers une démarche
participative. Dès que le contrat est signé par le
président, il est intégré dans les priorités des
entités décentralisées (du village au District). Ce
contrat est applicable aux hôpitaux, aux centres de santé, aux
écoles et aux
Page 174 sur 227
ménages. À titre d'exemple, lorsqu'il a
été décidé que chaque ménage devait avoir
une mutuelle, des contrats de performance ont été mis en place au
niveau de la cellule familiale. À la fin de chaque année, le
contrat de performance est évalué via un formulaire. De plus,
certaines organisations sont sélectionnées pour des entrevues
complémentaires avec des représentants du gouvernement, des
membres de la société civile, des partenaires de
développement, et des spécialistes. Cependant, loin de
dépendre du hasard, ces entretiens complémentaires peuvent
être un moyen supplémentaire pour approcher les organisations
« qui dérangent » et les écarter. La mise en place de
ces contrats pose plusieurs problèmes. Tout d'abord, il faut souligner
la pression exercée sur le District pour que les résultats soient
atteints, car s'ils ne le sont pas, les membres du District sont démis
de leurs fonctions. De plus, au niveau local, « la responsabilité
vers le bas est très importante ». Par exemple, si un citoyen
dénonce une personne de l'administration locale pour corruption,
mauvaise gestion ou autre, elle sera quasi immédiatement démise
de ces fonctions si l'accusation est avérée. La pression
exercée sur l'administration locale est double : elle vient des
autorités et de la population. Pour avoir de bons résultats, les
Districts appliquent les objectifs de manière rigide sans tenir compte
des possibles effets néfastes ou pire, falsifient les résultats
(Swinnen,2019).
Pour lutter contre la falsification des résultats, les
autorités ont pris de nouvelles mesures plus strictes. Celles-ci
risquent d'accentuer les pressions exercées sur les autorités
locales. Ensuite, nous pouvons souligner la mise en place d'objectifs parfois
« irréalistes » et non adaptés au contexte local et de
politiques qui ne tiennent pas compte des besoins locaux. Dès lors, ces
contrats peuvent être perçus comme un autre moyen de surveiller et
contrôler ce qu'il se passe à l'échelle locale puisque les
résultats sont évalués à tous les niveaux
administratifs. Et pour finir, cette course aux résultats a un impact
sur l'exercice des OSC. Il arrive que les Districts octroient des fonds aux OSC
« bien cotées » pour qu'elles s'installent dans leur District,
et ce même si l'offre de ces ONG n'est pas en adéquation avec les
besoins du District. Nous pouvons également assister au «
parachutage » de nouvelles ONG créées uniquement pour
répondre à un besoin identifié par les autorités et
la disparition tout aussi soudaine de celles-ci. En outre, les contrats de
performance exigent des résultats « tangibles » et
quantifiable ce qui n'est pas toujours possible sur un délai «
post-projet » court.
Page 175 sur 227
En 2007 apparaissent les Joint Action Development Fora (JADF).
Ces plateformes ont pour mission de garantir le développement
socio-économique et la qualité des prestations de services.
Celles-ci sont chargées de la communication entre le gouvernement, la
société civile et le secteur privé. Les OSC ont des
obligations envers le JADF puisqu'elles sont tenues d'y participer ainsi qu'aux
plans de développement districtuels et sectoriels et aux contrats de
performance annuels. La participation à la plateforme JADF, aux plans de
développement locaux et aux contrats de performance peut modifier
complètement les activités des OSC selon la façon dont
elles sont perçues par les autorités locales (une
opportunité ou une obligation). Dans le cas des ONG internationale,
cette participation, bien que non obligatoire légalement peut être
une condition sine qua non à l'obtention de la lettre de
recommandation, nécessaire à l'enregistrement et à la
reconnaissance de l'organisation (Swinnen,2019).
En 2011, le Rwanda Governance Board (RGB) est
créé. Il se définit comme un organe étatique
indépendant dont la principale préoccupation est la bonne
gouvernance. Cette position indépendante est critiquée puisque
selon certaines sources, le RGB et les autorités entretiennent une
étroite collaboration. Au fil des modifications législatives, le
rôle du RGB au sein de la société civile rwandaise prend de
l'ampleur. Peu après la mise en place du RGB, des nouvelles lois sur
l'organisation et le fonctionnement des ONG et ONG internationales sont
publiées et la loi relative aux associations sans but lucratif. Cela
conduit à la disparition du statut d'association. Depuis, le
gouvernement ne reconnaît que trois acteurs principaux de la
société civile à savoir les organisations basées
sur la foi (OBF) et les ONG nationales et internationales. Ces mesures semblent
avoir été prise pour, d'une part, limiter et freiner la
multiplication des OSC, et d'autre part, pour augmenter l'effectivité de
celles-ci. La restructuration du milieu associatif était
nécessaire et cela a permis un meilleur contrôle. Lors d'une
discussion, nous avons appris que la disparition de certaines associations
était perçue par certains acteurs comme une autre
stratégie des autorités pour limiter l'autonomie des
organisations en leur imposant de nouvelles contraintes administratives. Le RGB
est chargé d'enregistrer les OSC et de leur accorder une
personnalité juridique. Il s'occupe aussi du suivi et de
l'évaluation de la société civile rwandaise. Tandis que le
gouvernement le considère comme un partenaire privilégié
de la société civile rwandaise, plusieurs chercheurs et acteurs
dénoncent la mainmise qu'il a sur les OSC puisqu'il est établi
que le RGB peut demander
Page 176 sur 227
des explications relatives à la gouvernance, à
la performance et à la prestation de services des institutions publiques
et privées et éventuellement les sanctionner administrativement.
Cela peut aller de l'avertissement à la suspension du droit d'exercer
(Swinnen,2019).
Depuis 2013, les JADF sont coordonnés par le RGB
(Décret ministériel n° 004/03 du 27/12/2013, 2013). Et
depuis2016, le RGB est responsable de l'enregistrement et du suivi des
activités des ONG internationale qui jusque-là dépendaient
de la direction générale de l'immigration et de
l'émigration (Loi n°05/2012 du 17/02/2012). En 2018, la loi portant
sur l'organisation et le fonctionnement des Organisations basées sur la
foi est abrogée par la loi n°72/18. Une nouvelle loi concernant les
ONG et les collectifs est en train d'être formulée en
collaboration avec la RSCP et d'autres organisations. Entre la première
version et la seconde, le référencement aux lois internationales
de défense des libertés a été supprimé. Dans
ce projet de loi, le RGB peut imposer des conditions supplémentaires
pour l'octroi de la personnalité juridique et pour les conditions
d'enregistrements des organisations si elle le juge nécessaire. En
fonction du type d'organisation, un certificat de collaboration ou des lettres
de recommandation du District seront demandés. Bref, l'augmentation de
conditions concernant la création et le fonctionnement des organisations
nationales (ONG, collectifs, syndicats, fondations...) réduit le champ
de définition et d'action de ces organisations. Ces nouvelles
restrictions sont une façon d'évincer les OSC qui posent un
problème à l'élite politique et économique au
pouvoir. De manière générale, les initiatives telles que
la RSCP, les contrats de performance, les JADF peuvent améliorer
l'action des OSC. Cependant, il faut s'interroger sur les réels
objectifs de ces initiatives : Est-ce qu'il s'agit de lutter contre la
corruption et l'inefficacité ? Ou est-ce qu'il s'agit de contrôler
et d'instrumentaliser les OSC ? Il faut aussi se demander : Quelle est la
limite entre coordination et contrôle ? De plus, à partir du
moment où il est impossible de sortir du cadre imposé, il y a un
problème d'atteinte aux libertés.
Les relations entre le Rwanda et les pays occidentaux sont
parfois tendus. Des critiques surgissent quant à la façon dont le
pays est gouverné par le président Kagame et son parti politique,
mais aussi sur les relations avec ses pays limitrophes. Lorsqu'il s'agit de
répondre aux critiques, nous remarquons que les autorités
rwandaises utilisent trois
Page 177 sur 227
types d'arguments : la position de la communauté
internationale lors du génocide, la situation particulière
rwandaise et la vision anticolonialiste.
Avec son premier argument, le FPR accuse certains pays d'avoir
participé au génocide du fait de l'absence d'intervention de la
communauté internationale malgré les appels à l'aide. En
ayant recours à cet argument, le FPR joue avec le sentiment de
culpabilité des pays occidentaux. Le second argument fait
référence à l'état de ruine du pays après
1994 et à l'ensemble des progrès réalisés depuis.
Pour Kagame, étant donné le passé lourd, le pays
nécessite des mesures particulières. Grâce à cet
argument, la communauté internationale a tendance à fermer les
yeux sur les abus du FPR. Comme indiqué précédemment les
dérives autoritaires sont souvent acceptées au nom du
progrès économique. De plus, Kagame parle d'une démocratie
adaptée aux particularités rwandaises. En 2017, Kagame s'exprime
: « C'est un principe auquel chacun de nous veut être
associé, du moment que le contexte, l'histoire et la culture d'un pays
le permettent. Mais l'Occident dit à tout le monde de rentrer dans le
moule de la démocratie occidentale ». (Swinnen,2019). Le
troisième argument critique la position paternaliste des pays
occidentaux, voire colonisatrice, vis-à-vis des pays africains ainsi que
son attitude moralisatrice. En 2012, la ministre rwandaise des Affaires
étrangères et de la Coopération a accusé les pays
occidentaux «de se servir de l'aide accordée aux pays pauvres pour
les considérer comme de petits enfants » et a ajouté
qu'« une relation semblable au paternalisme devrait
s'arrêter...». En 2016, Kagame souligne la tendance de certains
États à s'immiscer dans la souveraineté des États
africains : « Certains participants au système international ont
tendance à considérer ce changement comme un défi à
leur leadership historique. Ils continuent à revendiquer le droit de
définir des objectifs et d'imposer des résultats, sans
consultation véritable des personnes concernées. »
(Swinnen,2019).
Bien que le Rwanda et la Côte d'ivoire présentent
des similitudes en matière de développement, la principale
différence réside dans la mise en oeuvre de politiques publiques
en matière de développement. Une politique publique est un
concept de science politique qui désigne les « interventions d'une
autorité investie de puissance publique et de légitimité
gouvernementale sur un domaine spécifique de la société ou
du territoire ».
Le Rwanda, modèle de développement pour une
nouvelle génération de leaders et d'acteurs associatif, s'appuie
sur l'autoritarisme de son Etat, qui loin d'être parfait
Page 178 sur 227
présente au moins l'avantage de permettre la mise en
oeuvre de dynamique vertueuse et observable de développement.
Contrairement au président Ouattara, Paul Kagame semble parvenir
à l'achèvement du processus de réconciliation national
indispensable à la légitimité d'un pouvoir autoritaire,
qui loin d'être exécrer par la plupart des acteurs de la
société civile africaine, peut être plébisciter
à condition qu'il soit vertueux. Par là nous entendons que
l'autoritarisme n'est pas inéluctablement associé au manque
d'alternance démocratique et à la privation des libertés
citoyennes mais bien à la capacité de coercition de l'état
en cas de manquement citoyen à la mise en oeuvre de dynamique vertueuse
de développement.
Page 179 sur 227
B. Des dynamiques d'atteinte des ODD contrastées
à l'échelle du continent
Figure 27: Performance des états africains en termes
d'atteinte des ODD (ONU,2019)
Page 180 sur 227
Le Rapport sur l'Indice et les Tableaux de Bord des ODD pour
l'Afrique 2019 réalisé par le Centre des ODD pour l'Afrique et le
Réseau de Solutions pour le Développement Durable (SDSN) traite
de la mise en oeuvre des ODD par l'ensemble des 54 pays africains.
Cette enquête s'articule autour de six axes
d'études que sont les stratégies nationales et évaluations
de base au niveau de l'exécutif, les pratiques et procédures
budgétaires de l'exécutif, l'engagement des parties prenantes,
les unités de coordination de l'exécutif, les actions
législatives, et les principaux défis pour la mise en oeuvre.
Ce qu'il en ressort c'est que les ODD sont largement
adoptés et incorporés dans de nombreux plans d'action et
stratégies nationales des gouvernements africains. Cependant il y a
encore de la part des pays des lacunes généralisées
concernant la compréhension des distances qui les séparent de
l'atteinte des cibles des ODD. Tant sur l'aspect de la territorialisation de
ces ODD qui doivent intégrer les spécificités
territoriales afin d'être pleinement atteint mais également
très peu de considération pour les ressources financières
à mobiliser et pour la provenance des financements
nécessaires.
L'engagement vis-à-vis du public et des autres parties
prenantes peut être amélioré d'une manière
significative par les états. A titre d'exemple, seuls quatre pays
à ce jour ont un portail en ligne où les citoyens peuvent
constater les progrès de leurs pays vers la réalisation des ODD,
et moins de la moitié des pays ont mené des activités de
sensibilisation. Selon les experts locaux, qui ont validé les
résultats pour 21 pays, le manque de financement et de ressources est
identifié comme étant le défi le plus significatif pour la
mise en oeuvre et aussi pour le suivi des ODD. Concernant le statut actuel et
les tendances vers la réalisation des ODD en Afrique, les analyses
présentent un cadre de suivi complet et comparable des ODD au niveau
continental, sous régional, et national (ONU, 2019)
La nouvelle caractéristique de ce rapport 2019 consiste
en une analyse et un regroupement des pays suivant leur performance dans chacun
des ODD. Les principaux résultats concernent les changements dans la
méthodologie et les sources de données utilisées ont
aboutis à des résultats différents de ceux du rapport de
2018. Le score moyen de l'Indice des ODD est resté quasi
inchangé, mais certains classements ont changé. La
Page 181 sur 227
comparaison entre cet indice et le classement de 2018 n'est
pas possible à cause des changements en termes de portée, de
méthodologie, et d'indicateurs.
Dans l'ensemble, l'Afrique du Nord est en moyenne la
région la plus performante, alors que l'Afrique Centrale est la moins
performante. La Tunisie a remplacé le Maroc en tant que pays en
tête du classement. A tous les niveaux, la performance des pays africains
est relativement bonne en termes de production et de consommation durables
ainsi qu'en terme de changement climatique (ODD 12 et 13), mais sa performance
est décevante pour les objectifs liés au bien-être social
(ODD 1 à 7 et 11). Il existe une grande diversité quant aux
principaux défis des ODD dans les sous-régions africaines. Les
pays peuvent être classés en cinq grands groupes : les leaders
continentaux, qui obtiennent de meilleurs résultats en termes de
bien-être humain mais doivent améliorer les performances
environnementales; les pays en croissance, qui rattrapent les leaders mais ont
de fortes inégalités; les pays intermédiaires, qui doivent
maintenir leur performance environnementale tout en améliorant le
bien-être humain; les pays émergents, qui connaissent
également une croissance mais qui accusent encore un retard en termes de
bien-être humain; et les pays en détresse, dont la plupart
connaissent des conflits, qui nécessiteront le plus de soutien pour
atteindre les ODD.
L'Afrique du Nord est séparée du reste du
continent par le Sahara et, est la région la plus
développée économiquement. Si l'on se base sur les
sphères culturelles, religieuses et linguistiques, cette région
est aussi la plus homogène. Elle est aussi la plus performante sur le
continent, ayant 4 de ses 6 pays classés parmi les 6 premiers.
Historiquement, cette région a eu les niveaux les plus bas de
pauvreté qui ont tous constamment déclinés depuis l'an
2000. Cela est lié au fait que le secteur industriel est le plus
développé sur le continent. Dans ces pays, l'ODD 5
(égalité entre les sexes) reste un problème critique. Les
autres problèmes concernent l'ODD 7 (énergie) et l'ODD 2 (faim
zéro). En termes de tendances, l'Afrique du Nord est plus en voie
d'atteindre les ODD 1 et 6, avec des progrès modérés des
ODD 3,4,5,7,9, et 15 ; et une stagnation des ODD 2,8,11,13,14,16,17. Il n'y a
aucun ODD pour lequel une baisse de performance a été
observée, bien qu'il y ait une baisse pour les ODD 2 et 13 dans quelques
pays. Pour la Libye toujours enfoncée dans son conflit, il y a un manque
de données sur la plupart des objectifs. Dans l'ensemble, L'Afrique du
Nord
Page 182 sur 227
semble bien placée pour rester au meilleur niveau de
performance, bien que les progrès réalisés sur plusieurs
objectifs soient insuffisants pour atteindre les cibles des ODD.
L'Afrique de l'Ouest est la plus grande région avec 15
pays. Elle abrite le pays le plus peuplé ayant l'économie la plus
grande sur le continent, le Nigeria. Les mieux placés sont le Cap Vert
et le Ghana, qui se classent 5ème et 9ème dans l'indice. L'ODD 3
(santé) ainsi l'ODD 9 (infrastructure) constituent des problèmes
urgents. L'ODD 4 (éducation), L'ODD 6 (eau propre et assainissement)
ainsi que l'ODD 11 (consommation et production durables) font aussi face
à de grandes difficultés. Les meilleures performances sont les
ODD 13 (changement climatique) et l'ODD 12 (consommation et production
durables). Ceci peut s'expliquer surtout par le fait que le secteur industriel
et manufacturier n'est pas développé au maximum et la pollution
est limitée. Sur la plupart des objectifs, l'Afrique de l'Ouest stagne
dans sa progression vers les ODD. Le changement climatique constitue cependant
une exception notable pour laquelle tous les pays sauf un seul sont en bonne
voie d'atteindre l'objectif. La région connait une progression
modérée vers les objectifs 2, 6, 14,15, 17. Le défi auquel
les pays de l'Afrique de l'Ouest devront faire face est celui de venir à
bout de la performance stagnante en termes de bien-être social sans faire
tort à la viabilité environnementale.
Grâce à la Communauté de l'Afrique de
l'Est, cette sous-région est la plus économiquement
intégrée sur le continent. Dans ce groupe, les pays les plus
performants sont le Kenya, le Rwanda et les Seychelles.Les problèmes les
plus considérables concernent l'ODD 3 (santé et bien-être),
l'ODD 9 (infrastructure) et l'ODD 16 (paix et institutions efficaces) pour
lesquels tous les pays, excepté les Seychelles, ont de faibles
résultats. L'ODD 4 (éducation) et l'ODD 17 (partenariat mondial)
font face à des problèmes similaires. Les objectifs qui ont une
meilleure performance sont l'ODD 13 (changement climatique) et ODD 12
(consommation et production durables). La Somalie et le Soudan du Sud, qui
souffrent d'instabilité politique, de l'absence d'état de droit,
et de la présence de conflit, sont au bas du classement. Comme pour
l'Afrique de l'Ouest, cette région connait une stagnation dans sa
progression vers la plupart des objectifs. Cette région est plutôt
sur la bonne voie d'atteindre ses cibles concernant le changement climatique,
à l'exception des Seychelles. Il y a surtout un progrès
modéré vers les objectifs 3, 5, et 14, mais la progression stagne
pour tous les autres objectifs. Pour certains objectifs,
Page 183 sur 227
dont les objectifs 8 et 11, il n'y a pas de données
provenant d'un nombre suffisant de pays pour faire une évaluation
régionale des tendances.
L'Afrique centrale semble être la moins performante en
matière d'atteinte des ODD. L'ODD 3 (santé et bien-être),
l'ODD 16 (paix et institutions efficaces), et l'ODD 17 (partenariat mondial)
sont dans une situation. Des défis importants subsistent pour l'ODD 1
(pauvreté), l'ODD 6 (eau potable et assainissement), l'ODD 9
(infrastructure) et l'ODD 11 (villes et communautés durables). Les
objectifs les plus performants sont l'ODD 13 (changement climatique) et l'ODD
12 (consommation et production durables). Le pays le plus performant est le
Gabon. En bas du classement il y a le Tchad et la République
Centrafricaine, des pays qui ont fait face à des niveaux
élevés de pauvreté, de discorde politique et de violence.
Les pays de l'Afrique centrale stagnent sur 10 des 15 objectifs qui ont
été évalués. Pour les autres objectifs, la
performance de l'ODD 13 est bonne, et la progression des ODD 5, 8, et 15
s'améliore modérément. Atteindre les ODD demanderait une
transformation drastique dans tous les pays de la région.
L'Afrique australe est une région
hétérogène qui comprend des pays enclavés, une
petite île, et des économies de tailles moyennes et larges. Les
principaux problèmes auxquels cette région fait face est l'ODD 3
(santé et bien-être), suivi de l'ODD 9 (infrastructure), l'ODD 16
(paix et institutions efficaces), ODD 7 (énergie) et ODD 2 (faim
zéro). Les objectifs les plus performants sont l'ODD 12 (consommation et
production durables) et l'ODD 13 (changement climatique). Les pays les plus
performants sont l'Ile Maurice et São Tomé et Príncipe, se
classant 2ème et 7ème dans l'indice. Le Mozambique, la Zambie et
l'Angola sont les pays les moins performants de la sous-région . En tant
que région, l'Afrique australe n'est pas en voie d'atteindre un seul des
ODD, mais sa performance n'empire pas non plus. Les progrès augmentent
modérément pour 7 des 15 objectifs et stagnent pour les 8
objectifs restant. La tendance vers la réalisation des ODD est ainsi
meilleure que dans les autres régions de l'Afrique subsaharienne, mais
reste insuffisante pour atteindre les objectifs. (UN,2020)
Page 184 sur 227
Page 185 sur 227
Conclusion
Finalité de l'étude
Notre problématique d'étude était la
suivante :
Dans quelle mesure les organisations de la
société civile ivoiriennes agissent-elles dans un contexte
favorisant la finalité de leurs actions, à savoir le changement
social ?
Dans le souci de répondre à cette
problématique nous avons émis 5 hypothèses.
1-La stabilité politique, la sécurité du
pays et l'importante croissance économique qui fait de la Côte
d'ivoire la « locomotive » africaine au temps de Félix
Houphouët-Boigny est favorable à l'émergence
démocratique et citoyenne
2- La notion de « l'ivoirité »
caractérise une xénophobie intrinsèque à la
population ivoirienne
3- La pratique de la citoyenneté s'est
brutalisée pendant la décennie de crise politico-militaire
4- La paix et la reprise économique s'accompagnent
d'un meilleur respect des libertés individuelles et d'un changement par
le soutien de l'Etat ivoirien aux initiatives des organisations de la
société civile agissant en ce sens.
5- Les organisations de la société civile sont
préparées et opérationnelles à la mise en oeuvre de
projets de développement et plus spécifiquement ceux concernant
le changement social et alternance démocratique et ce de manière
autonome.
Nous avons premièrement supposé la
stabilité politique, la sécurité du pays et l'importante
croissance économique qui fait de la Côte d'ivoire la «
locomotive » africaine au temps de Félix Houphouët-Boigny est
favorable à l'émergence démocratique et citoyenne. En nous
intéressant à la gouvernance de Houphouët-Boigny nous avons
pu nous apercevoir que si le miracle ivoirien a permis à la Côte
d'ivoire d'être érigée en locomotive économique de
la sous-région et à Abidjan de devenir le « Paris de
l'Afrique de l'ouest », il possède une part d'ombre
symbolisée par la décennie des faux complots.
A travers celle-ci F.Houphouët-Boigny semble avoir
conditionné l'exercice de la citoyenneté ivoirienne mais
également ouest africaine.
Page 186 sur 227
L'importante croissance économique, la forte
urbanisation, l'ouverture des frontières et les conditions favorables
d'accueil de l'étranger ont longtemps constitués un trompe-l'oeil
pour les pays voisins de la Côte d'ivoire comme pour l'opinion
internationale. Très rapidement l'action politique du président
Houphouët-Boigny est dédiée à la concentration et
à la conservation d'un pouvoir dont il sera le seul maître. La
mystérieuse décennie de faux complots en est d'ailleurs la
démonstration la plus brutale. Celle-ci qui ne manque pas de traumatiser
les ivoiriens et de conditionner leur engagement dans la vie civique et
citoyenne, semble également avoir été un message à
destination de l'ensemble de l'Afrique de l'ouest et de ses jeunes
élites panafricaines du RDA. Il a démontré qu'il ne
comptait pas partager les rênes du parti et que de son vivant cette
organisation demeurerait une coquille vide dans le meilleur des cas, un
instrument du néocolonialisme dans le pire.
L'avènement du multipartisme aurait pu s'avérer
être l'occasion idoine de l'avènement démocratique mais la
manipulation politique de F.Houphouët-Boigny lors des élections
présidentielles de 1990 et les violences d'états commises en 1991
et 1992 semblent démontrer de l'autre voie prise par
Houphouët-Boigny. En instrumentalisant politiquement les étrangers
et en usant de la violence une nouvelle fois contre les citoyens, il a
dilapidé ce qui aurait pu constituer son principal héritage,
à savoir la paix et le renouveau démocratique et citoyen.
Lorsqu'il s'éteint en 1993, la Côte d'ivoire est au bord de la
crise. Si depuis 1980 elle est déjà en crise économique,
les rivalités ethnico-politiques menacent désormais pleinement un
pays dont la jeunesse trouvera chez chacun des héritiers du vieux, un
idéal d'engament et de développement du pays.
Il est important de mentionner la véritable dissonance
engendrée par la gouvernance Houphouët-Boigny. Le miracle ivoirien
et la politique d'accueil menée par Houphouët-Boigny semblent avoir
installé durablement dans les esprits que la Côte d'ivoire
n'était aucunement un pays souffrant de carence de développement.
Aujourd'hui encore l'aide internationale est plus dédiée à
la gestion de « crise » post-crise qu'à la mise en oeuvre
d'une réelle stratégie nationale de développement.
On peut donc affirmer que notre hypothèse
s'avère erroné. La mise à la marge des jeunes, la sanction
de tout investissement citoyen et la pratique d'une violence d'Etat
arbitraire
Page 187 sur 227
et démesurée vont dans le sens d'une sens d'une
citoyenneté qui si elle n'est pas inhibée est néanmoins
timoré.
Nous avons ensuite supposé que le concept «
d'ivoirité » est issue d'une xénophobie intrinsèque
à la population ivoirienne
En nous intéressant à la période de
succession politique d'Houphouët-Boigny nous avons pu voir que la
rivalité ethnico-politique que s'est livrée le PDCI-RDA, le FPI
et le RDR fut l'occasion pour chacun des candidats d'user de la violence et de
« coups politiques » tels que l'application de l'ivoirité
politique. Le concept d'ivoirité est donc avant tout un concept
politique destiné à évincer de la course à la
présidence un candidat, qui malgré tout, symbolise encore
aujourd'hui les problèmes identitaires du pays. L'instrumentalisation du
droit des votes des étrangers par F.Houphouët-Boigny a auparavant
suscitée un sentiment d'injustice chez une majorité des ivoiriens
qui n'auraient surement pas reconduit le président sortant en 1990.
Si le putsch de 1999 s'avère être une
révolution militaire épisodique, la crise militaro politique qui
se déroule entre 2002 et 2011 est bien une crise identitaire, sociale et
citoyenne. Cette crise est en premier lieu celle d'une jeunesse, mise à
la marge des processus décisionnaires du pays pendant le mandat
d'Houphouët-Boigny, et qui tente par le recours à la violence
physique, morale et armée de devenir actrice et non spectatrice de la
décision politique ivoirienne. Notre troisième hypothèse
affirmant que la pratique de la citoyenneté s'est brutalisée
pendant la décennie de crise politico-militaire est donc
vérifiée.
Depuis 2011 et l'arrivée au pouvoir du Rassemblement
des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), nous avons
affaire à un nouveau « miracle ivoirien » qui se
caractérise par une forte croissance économique mais
également par un retour aux conditions de pratique de la
citoyenneté du temps du premier miracle ivoirien. Notre hypothèse
affirmant que la paix et la reprise économique s'accompagnent d'un
meilleur respect des libertés individuelles et d'un soutien de l'Etat
ivoirien aux initiatives des organisations de la société civile
agissant en ce sens n'est donc pas vérifiée. De ce fait nous
avons pu observer à travers l'étude de l'action des organisations
de la société civile ivoirienne, qu'elles ne sont pas assez
préparées et opérationnelles pour être autonome
à
Page 188 sur 227
la mise en oeuvre de projets de développement et plus
spécifiquement ceux concernant le changement social et alternance
démocratique.
Notre cinquième hypothèse s'avère donc
erronée.
Page 189 sur 227
Le problème du développement selon Ki
Zerbo
Selon Joseph Ki-Zerbo la dépendance commence par le
verbe. Par sa seule présence ce terme interprète le réel
et l'enferme dans une grille mentale déterminée et restreinte.
L'élaboration et la maîtrise d'un corpus de concepts relatifs
à la stratégie et à la mise en oeuvre du
développement constituent la première étape
méthodologique et culturelle d'acceptation de la nécessité
du développement.
Le terme de « pays développés »
apparait au lendemain de la seconde guerre mondiale. Ce terme, vecteur
d'actions de solidarité positive a néanmoins au fil du temps pris
une dimension péjorative voire déterministe C'est ainsi qu'une
pirouette sémantique nous a plus fait parler de pays « en voie de
développement » que de pays « sous-développés
». Plus doux à l'oreille ce changement de vocable n'ôte
pourtant pas à cette expression son essence intrinsèque. Ainsi
nous pouvons nous demander vers quel développement tendent les pays en
voie de développement. Lors d'un échange consacré à
la crise du développement en 1977, Cornelius Castoriadis déclare
que : « Le développement, c'est le développement de type
occidental capitaliste, il n'y en a pas d'autre jusqu'ici, et on n'en
connaît pas d'autre... ce qui importe, c'est d'économiser, de
produire, de gagner. »
En somme, dans un oekoumène finit et dans un paradigme
capitaliste c'est en sous développant d'autres qu'on se développe
soi-même. Le socio-économiste Wilfriedo Pareto (1848-1923)
à conceptualiser l'optimum de Pareto. Un optimum de Pareto est une
allocation des ressources pour laquelle il n'existe pas d'alternative dans
laquelle tous les acteurs seraient dans une meilleure position. L'optimum de
Pareto est utilisé pour décrire un état de la
société dans lequel on ne peut pas améliorer le
bien-être d'un individu sans détériorer celui d'un
autre.Selon cette considération, le « sous-développement
» africain n'est donc ni un mystère, ni une malédiction mais
bien une conjoncture. C'est un processus historique réparable, qui est
induit en grande partie de l'extérieur et auto-entretenu par les
africains eux-mêmes.
Après 80 ans de développement, bien que les
pratiques, vocables, représentations et outils aient
évolués, sommes-nous pour autant parvenus à transcender le
développement ? Les citoyens africains et plus particulièrement
ivoirien censés être consacrés par le développement
sont-ils parvenus à une autonomie suffisante à
l'autodétermination ?
Page 190 sur 227
Avec l'avènement du « village monde » permis
par le développement d'internet, les crises écologiques,
environnementales et migratoires, le concept d'interdépendance s'est
révélé à la conscience collective. Cependant cette
représentation de l'interdépendance dans notre
société occidentale dont le développement se fait bien
souvent au détriment d'autres sociétés omet bien souvent
qu'en l'occurrence, les uns sont plus interdépendants que les autres.
Si le développement se devait d'évoluer,
n'irait-il pas dans le sens d'une co-responsabilité plus que d'une
interdépendance ?
La pratique du développement met en confrontation deux
représentations.
Si l'on prend pour critère la participation à la
vie civique et citoyenne, elle serait d'un côté particulariste,
les citoyens agissant selon des logiques « coutumières » et
n'ayant d'intérêt que le bien familial et communautaire, tandis
que dans la société moderne il est universaliste. La sanction de
l'autorité, peut prendre une dimension divine ou sacrée pour le
groupe traditionnel, mais demeure hérétique dans la
société moderne.
Les motivations seraient d'un côté le conformisme
à l'égard de la coutume et des traditions, et de l'autre
l'innovation. Les critères de rémunération seraient, pour
le monde traditionnel, le privilège du statut, et pour l'autre les
performances contribuant à la réalisation d'un but objectivement
défini.
Comme on a pu l'évoquer précédemment,
tout cela n'est pas neutre. Les actions de développement s'inscrivent
bien dans un schéma où la rationalité, la cohérence
logique, l'objectivité et même la justice se trouvent du
même côté, et ces critères sont très souvent
adaptés aux citoyens des sociétés occidentales. Le terme
d'élite sert souvent alors à désigner la minorité
assez occidentalisée pour servir d'avant-garde à cet exode vers
la terre promise de la modernité.
S'agissant de l'Afrique, la soi-disant modernité, que
constituent les influences occidentales, n'est pas plaquée sur la
tradition. Il s'agit de faisceaux de forces, mues par des intérêts
ou des engagements individuels ou collectifs. Il n'y a pas de secteur qui ne
soit uniquement traditionnel, dans le sens péjoratif qu'on donne
à ce terme.
Page 191 sur 227
Dans les conceptions de l'existence comme dans les forces et
rapports de production, tous les secteurs sont ébranlés ou
bouleversés par les principes du système capitaliste. En outre
les principes de cohérence, de logique, de rationalité ne sont
pas absents du monde dit traditionnel.
Si le terme de « modernité » se
réfère à la période de la Renaissance et des
grandes découvertes ou redécouvertes, sans
référence à un Moyen Âge prétendument
obscurantiste, nous pouvons prétendre qu'aujourd'hui le paysan africain,
qui sait inventer et inventorier les 448 plantes présentes dans son
environnement qui guérissent, qui sait les apprêter et les
administrer et qui essaie d'améliorer ses méthodes est
incomparablement plus moderne que le citadin scolarisé qui sait à
peine déchiffrer l'ordonnance qu'on vient de lui remettre et avaler les
comprimés. En fait, plus on est dépendant, moins on est moderne.
Moins on applique son propre esprit à son propre progrès, moins
on est moderne, car on ne développe pas, on se développe.
Enfin les apports du capitalisme ne sont pas tous pris par les
sociétés africaines. Celles-ci assument et transforment la forme
ou le fond des inputs venant d'autres systèmes mais la hiérarchie
sociale, les unités d'innovation, la démocratie se moulent dans
des réalités préexistantes. Dans les couloirs des bureaux
de vote, on découvre parfois un homme placé là par le chef
traditionnel pour aider les villageois, naguère des sujets, à
voter correctement.
Sous son masque inoffensif, le vocable de modernisation
recèle donc un double vice : au niveau de la connaissance et de
l'action. Au premier plan, il empêche d'analyser en profondeur le
rôle des citoyens africains. Au niveau de l'action, il impose cette
idée que le salut se trouve dans l'imitation et dans les sacrifices
nécessaires pour accéder au statut supérieur du
modèle. Dans ces conditions, le développement consiste à
élargir et à additionner les secteurs modernes. Ce terme
contribue donc à entretenir, à maintenir la confusion entre deux
réalités qui, même si elles se recouvrent partiellement,
sont tout de même foncièrement dissemblables à savoir la
croissance et le développement.
En somme nous pouvons constater que quatre terrains
interconnectés constituent les sièges privilégiés
de la dépendance de l'Afrique :
· la détention physique des ressources naturelles
des pays et l'imprécision politique
·
Page 192 sur 227
l'exploitation économique
· l'exacerbation des contradictions sociales
· l'aliénation culturelle
Mais après 75 ans d'exercice du développement,
ne peut-on pas supposer que pour y parvenir au pire et le transcender au mieux,
la solution ne pourra qu'être apportée par les ivoiriens
eux-mêmes. Aujourd'hui il apparaît manifeste que les ivoiriens
demeure plus spectateur qu'acteurs de leurs développements.
Si l'ivoirien n'est pas capable de se tenir debout...Laissez
le tomber !
Pour conclure nous prendrons inspiration chez Venace Konan,
journaliste ivoirien né en 1958. Il est depuis 2010 le directeur de
publication du quotidien « Fraternité Matin ». Reconnu de ses
pairs, il a plusieurs fois remporté le Prix Ebony10.
Également écrivain et essayiste il a notamment écrit le
best-seller « les prisonniers de la haine » en 2003 et fut
récompensé par le prix de la presse panafricaine pour son essai
qui se nomme Si le noir n'est pas capable de se tenir debout, laissez-le
tomber (tout ce que je vous demande est de ne pas l'empêcher de se tenir
debout) ».
Afin de parvenir à « transcender » le
développement et à proposer un modèle de « vivre
ensemble » sain et durable, il est primordial que pour devenir citoyen
actif les ivoiriens se doivent de définir de manière autonome
leur identité et leurs aspirations.
Le développement de l'engagement citoyen qui doit
mener les ivoiriens à l'autodétermination de leur avenir passera
inéluctablement par la réappropriation d'un ensemble
d'éléments.
En premier lieu l'éducation civique et nationale afin
que l'ensemble des ivoiriens ruraux comme urbains puissent
bénéficier du minimum d'instruction et de valeurs citoyennes
nécessaire à leur éveil citoyen. Nous pensons
particulièrement à l'éducation dans les zones rurales, les
plus impactées par les crises (économiques, migratoires,
environnementales...). Ensuite, un processus de réappropriation
historique doit être
10 Créé par le journaliste Ivoirien Essy
Kouamé Noël et organisé chaque année par l'UNJCI
(Union nationale des journalistes de Côte d'Ivoire)
Page 193 sur 227
entrepris afin de connaitre et comprendre les divers
systèmes de vivre ensemble et de gouvernance précoloniale. Ce
retour aux racines peut permettre les prises de consciences sur la
capacité collective à imaginer la société, sa
gouvernance et son vivre ensemble. Ceci doit permettre, je l'espère,
à la population de retrouver de la confiance en soi. Non pas de
manière générale, mais bien lorsqu'elle doit s'affirmer
pour conceptualiser et mettre en oeuvre des solutions pour améliorer son
bien-être.
Tout ce que je vous demande est de ne pas l'empêcher
de se tenir debout
Pour agir en ce sens deux dynamiques sont déjà
présentes en Nouvelle-Aquitaine et en France mérite notre
attention.
La première politique, est incarné par des
organisations tel que Survie ou encore Tournons la page.
Survie est une association loi 1901 créée en 1984 qui
dénonce toutes les formes d'intervention néocoloniale
française en Afrique et milite pour une refonte réelle de la
politique étrangère de la France en Afrique. Survie propose
également une analyse critique des modalités d'actions politique
et militaire de la France dans le monde, encourageant chacun à exiger un
contrôle réel sur les choix politiques faits en son nom. Elle
rassemble les citoyens et citoyennes qui désirent s'informer, se
mobiliser et agir.
La seconde citoyenne, est illustrée par
l'émergence de l'éducation à la citoyenneté et
à la solidarité internationale. L'Education à la
Citoyenneté et à la Solidarité Internationale (ECSI)
anciennement Education au Développement et à la Solidarité
International (EAD-SI) vise à faire comprendre les
interdépendances internationales dans le processus de mondialisation, la
complexité des mécanismes qui sont sources
d'inégalités sociales, économiques et culturelles, et
à réfléchir à des solutions efficaces pour
construire un monde solidaire.
L'ECSI se veut une éducation dynamique, ouverte
à la participation active et créative, orientée vers le
changement et l'action. Sa démarche pédagogique peut se
résumer par la formule : s'informer - comprendre - agir, des
éléments constitutifs de l'apprentissage de la
citoyenneté.
Les acteurs intervenant dans le domaine de l'Éducation
à la citoyenneté et à la solidarité internationale
sont de plus en plus nombreux mais aussi de plus en plus divers :
·
Page 194 sur 227
Les ONG et les associations. Elles sont engagées dans
l'Education Au Développement de la solidarité internationale ou
du développement durable.
· En France, une plateforme nationale regroupe les
associations, campagnes et collectifs, pour lesquels l'ECSI est une des
priorités d'actions : il s'agit d'EDUCASOL. Ce regroupement agit en
faveur d'une concertation entre les acteurs de l'ECSI en France, organise des
rencontres nationales et représente les acteurs auprès des
pouvoirs publics français et dans les instances européennes.
· Les pouvoirs publics. Ils sensibilisent et informent
les citoyens au sujet de leurs droits et devoirs. Ils soutiennent
également des actions destinées à l'ECSI comme par exemple
le Festival des Solidarités, la quinzaine du commerce équitable,
la semaine du développement durable...
De la nécessité d'une interculturalité
exigeante
Gustave Massiah évoque qu'à partir de la crise
financière qui se transforme en crise alimentaire en Afrique de l'ouest
en 2008, une nouvelle séquence de l'histoire du développement
démarre. Il faut partir de cette situation et de ses contradictions pour
identifier les questions et les défis principaux de l'Afrique du XXI
ème siècle.
Dès 2011, les réponses des peuples à la
crise du capitalisme se déclinent sous la forme d'insurrections
populaires qui peuvent être qualifiées de révolutionnaires.
Ce sont des dizaines de mouvements populaires sur l'ensemble qui mettent dans
des dizaines de pays des millions de personnes sur les places. Rappelons les
printemps arabes à partir de Tunis et du Caire ; les indignés en
Europe du Sud, les « occupy » à Londres et New York, les
étudiants chiliens, le parc Taksim à Istanbul, les carrés
rouges au Québec, les parapluies à Hong Kong, les « gens
ordinaires » à New Delhi et d'autres ... On retrouve partout les
mêmes motivations : le refus de la pauvreté et des
inégalités, le rejet des discriminations, les libertés et
le refus des répressions, la revendication d'une démocratie
à réinventer, l'urgence écologique. Et partout, un nouvel
enjeu, le refus de la corruption, le rejet de la fusion des classes politiques
et des classes financières qui annule l'autonomie du politique et
entraîne la méfiance envers le politique des peuples. A partir de
2013, le paradigme néolibéral reprend le dessus et confirme les
tendances qui ont émergé dès la fin des années
1970. Les politiques dominantes, d'austérité et
Page 195 sur 227
d'ajustement structurel, sont réaffirmées. La
déstabilisation, les guerres, les répressions violentes et
l'instrumentalisation du terrorisme s'imposent dans toutes les régions.
Des courants idéologiques réactionnaires et des populismes
d'extrême-droite sont de plus en plus actifs en Europe.
Les racismes et les nationalismes alimentent les
manifestations contre les étrangers et les migrants. Ils prennent des
formes spécifiques comme le néo-conservatisme libertarien aux
Etats-Unis, les extrêmes-droites et les diverses formes de
national-socialisme en Europe, l'extrémisme djihadiste armé, les
dictatures et les monarchies pétrolières, l'hindouisme
extrême, etc. Dès 2013, commencent les contre révolutions
avec la montée des idéologies racistes, sécuritaires,
xénophobes. Le néolibéralisme durcit sa domination et
renforce son caractère sécuritaire appuyé sur les
répressions et les coups d'état. Les mouvements sociaux et
citoyens se retrouvent en position défensive. Mais, dans le moyen terme,
rien n'est joué.
Il nous faut revenir à cette situation pour prendre la
pleine mesure des conséquences d'une période de
contre-révolutions. Actuellement nous vivons une période de
plusieurs contre révolutions conservatrices : la contre
révolution néolibérale, celle des anciennes et nouvelles
dictatures, celle du conservatisme évangéliste, celle du
conservatisme islamiste, celle du conservatisme hindouiste. Elle rappelle que
les périodes révolutionnaires sont généralement
brèves et souvent suivies de contre révolutions violentes et
beaucoup plus longues. Mais, les contre-révolutions n'annulent pas les
révolutions et le nouveau qui a explosé continue de progresser et
émerge, parfois longtemps après, sous de nouvelles formes. Le
durcissement des contradictions et des tensions sociales explique le
surgissement des formes extrêmes d'affrontement. Mais, il y a aussi une
autre raison à la situation, ce sont les angoisses liées à
l'apparition d'un nouveau monde. Trump aux Etats Unis, Bolsonaro au
Brésil, Orban en Hongrie, Modi en Inde et Duterte aux Philippines, ...,
en sont les visages grimaçants (Massiah,2019). Nous pouvons nous
interroger sur les changements profonds qui construisent le nouveau monde et
qui préfigurent les contradictions de l'avenir. Nous pouvons identifier
cinq mutations en cours, des révolutions inachevées dont nous
percevons déjà les premiers bouleversements :
·
Page 196 sur 227
La révolution des droits des femmes remet en cause des
rapports de domination millénaires ;
· La révolution des droits des peuples,
deuxième phase de la décolonisation, après
l'indépendance des Etats met en avant la libération des peuples
et interroge les identités multiples et les formes de l'Etat-Nation ;
· La prise de conscience écologique,
véritable révolution philosophique, qui repose l'idée d'un
temps fini ;
· Le développement du numérique qui
renouvelle le langage et l'écriture ainsi que des biotechnologies
interrogent les limites du corps humain. Le bouleversement du peuplement de la
planète est en cours ;
· Il ne s'agit pas d'une crise migratoire mais d'une
révolution démographique mondiale.
Il y a plusieurs bouleversements en cours, des
révolutions inachevées et incertaines. Rien ne permet cependant
d'affirmer qu'elles ne seront pas écrasées, déviées
ou récupérées. Mais rien ne permet non plus de l'affirmer.
Elles bouleversent le monde ; elles sont aussi porteuses d'espoirs et marquent
déjà l'avenir et le présent. Pour l'instant, elles
provoquent des refus et des grandes violences
A partir des
contradictions révélées par la situation actuelle, nous
pouvons identifier les défis et les questions. On peut proposer une
liste des thèmes que devra prendre en compte
l'invention d'une nouvelle pensée du
développement.
Plusieurs questions résultent des limites du
système dominant ; l'épuisement du néolibéralisme
et les hypothèses de renouvellement ou de dépassement du
capitalisme. Plus directement aujourd'hui la question de la pauvreté et
des inégalités mondiales, le lien entre la justice sociale et la
justice fiscale.
Le nouveau paradigme écologique et le rapport entre
l'espèce humaine et la Nature définit la rupture et pose aussi la
question de la justice environnementale. Les grandes mutations
identifiées autour de la révolution des droits des femmes, de la
révolution des droits des peuples, du numérique et des
biotechnologies, de la scolarisation des sociétés. Le nouveau
schéma géopolitique, avec la tendance à la
multipolarité, les guerres, le droit international et les
multinationales, la nouvelle phase de la décolonisation après
celle de l'indépendance des Etats, le rapport entre les Etats, les
nations et les peuples et la redéfinition de la
Page 197 sur 227
souveraineté. Aussi, la question de
l'hégémonie culturelle, des idéologies racistes,
xénophobes et sécuritaires, des droits fondamentaux et de
l'universalité des droits. L'interrogation fondamentale sur le
politique, la délégation et la représentation, sur la
corruption, sur les formes de la démocratie. La définition et le
rôle des acteurs du changement, la mutation des classes sociales et du
rapport entre les classes, le genre et les origines. Le rôle des
mouvements sociaux et citoyens et la stratégie internationale des
mouvements de toute natures. Si la pensée du développement occupe
une place aussi importante, c'est parce qu'elle se présente comme la
référence pour comprendre et agir sur l'évolution des
sociétés. Il faut tout de suite souligner le biais dans la place
qu'a pris l'économie dans la compréhension des transformations
sociales par rapport à la philosophie, aux sciences, aux technologies et
aux sciences sociales (Massiah,2019).
Pendant les années soixante, la pensée du
développement privilégiait des durées de vingt à
quarante ans, celle de l'amortissement des investissements et le temps d'une
génération. L'analyse de l'évolution des
sociétés s'est beaucoup enrichie au cours des trente
dernières années. L'analyse marxiste, celle des modes de
production et des formations sociales, des rapports sociaux et des structures
sociales, s'est dégagée des rigidités et des contre sens
du soviétisme. L'étude des civilisations a progressé,
à partir des progrès des recherches historiques et
archéologiques, notamment celles des économies mondes et des
système mondes. La rupture de la décolonisation a
été prolongée par l'étude de l'accumulation
à l'échelle mondiale. La rupture écologique amène
à élargir l'échelle du temps à la géologie
et à la Nature et l'échelle de l'espace à celle de la
planète dans l'articulation entre le local, le national, les grandes
régions et le mondial.
L'évolution des sociétés est
représentée par des périodes de relative stabilité
interrompues par des révolutions qui marquent le basculement vers une
autre période. L'accent est mis sur la complexité des
sociétés, définie non seulement par l'affrontement entre
deux classes sociales, mais par l'articulation entre plusieurs modes de
production faisant intervenir plusieurs classes sociales et des alliances de
classes. L'attention a porté sur la transition qui caractérise
des périodes longues et contradictoires d'une société
à une autre.
Page 198 sur 227
Cette démarche qui renouvelle la notion de transition,
n'est pas la conception d'une démarche progressive et réformiste
; elle inclut la nécessité de ruptures et de révolution.
Le rapport entre le temps long des transitions et les ruptures des
révolutions doit être précisé. La transition
n'annule pas du tout le rôle des révolutions, des moments
d'affrontements et d'invention qui marquent l'évolution et les rapports
de forces et dans lesquels s'imposent les idées nouvelles et se
définissent les nouveaux rapports sociaux.
Les révolutions ne résument pas la
transformation des sociétés. L'Histoire ne se réduit pas
à une succession de « Grands Soirs » qu'il suffit de
préparer ; tout deviendrait possible après et avant tout serait
récupérable et même récupéré. Les
historiens se sont beaucoup attachés à l'étude des
transitions longues qui ont caractérisées certains grands empires
et des transitions plus courtes et maîtrisées. Un exemple de ce
type de transition caractérise le passage du féodalisme au
capitalisme, maîtrisé par la bourgeoisie en moins de quelques
siècles. Comme il est compréhensible, c'est cet exemple qui sert
de référence quand on s'interroge sur les sorties du capitalisme.
Car le capitalisme ne résume pas l'Histoire, il a eu un début, il
aura une fin et elle n'est pas écrite.
La relecture de la transition du féodalisme au
capitalisme permet quelques réflexions. L'Histoire n'est pas
écrite à l'avance, et le dépassement du capitalisme ne va
pas automatiquement déboucher vers une société
idéale, plus juste, plus égalitaire. Il peut très bien
déboucher vers un mode de production, une société, avec
des rapports inégalitaires et de domination même s'ils ne sont
plus capitalistes.
Mais il peut aussi, en fonction des luttes et des
mobilisations permettre un pas vers l'émancipation. Comme on l'a vu, les
rapports sociaux capitalistes existaient déjà, incomplets, dans
les sociétés féodales. On peut donc faire
l'hypothèse que dans les sociétés actuelles il existe
déjà des rapports sociaux incomplets de dépassement du
capitalisme. Ce qui donne un autre statut aux recherches d'alternatives qui
peuvent préfigurer de nouveaux rapports sociaux. Comme on l'a aussi vu
dans la transition du féodalisme au capitalisme, aucune des deux classes
principales féodales, l'aristocratie et la paysannerie, ne l'a
emporté ; ce sont deux nouvelles classes, la bourgeoisie et la classe
ouvrière, nées dans le processus, qui se sont imposées
comme classes principales. De nouvelles classes sont en gestation dans le
dépassement du capitalisme. Pour illustrer
Page 199 sur 227
cette hypothèse, par exemple, les managers pourraient
disputer aux actionnaires la direction ; à l'inverse, les
précaires pourraient formaliser une nouvelle classe antagonique, un
nouveau prolétariat.
Pour caractériser la transition engagée, on
peut mettre en avant l'énoncé par Gustave Massiah d'une
transition sociale, écologique, démocratique et
géopolitique. Une transition sociale pour une plus grande justice
sociale et contre les inégalités nationales et mondiales. Une
transition écologique pour une plus grande justice environnementale en
« changeant le système et pas le climat ». Une transition
démocratique par le refus de la confiscation des pouvoirs par des
minorités et en inventant de nouvelles formes du politique. Une
transition géopolitique en refusant toutes les formes de domination. La
proposition de transition rappelle la nécessaire action dans le temps
long ; elle n'élimine pas les indispensables accélérations
que portent les révolutions.
L'enjeu est de s'engager dans une transition vers plus
d'émancipation. Il s'agit pour cela d'articuler quatre formes
d'engagement, à savoir :
· Les luttes et les mobilisations ;
· L'élaboration et la réflexion
théorique ;
· La lutte contre l'hégémonie culturelle
par la confrontation des idées et le débat public intellectuel,
scientifique, artistique ;
· La mise en oeuvre d'alternatives concrètes
à la logique dominante.
A partir de 2013, la situation internationale est, dans un
très grand nombre de pays, marquée par la montée des
idéologies racistes, sécuritaires et xénophobes. Elle se
traduit par une double offensive : contre les migrants d'une part et par la
criminalisation des mouvements sociaux et citoyens, particulièrement
contre les mouvements de solidarité. La montée de ces
idéologies n'annule pas les contradictions et les résistances qui
sont très importantes dans toutes les sociétés. Mais, dans
de nombreux pays des mouvements qui traduisent les volontés de
souveraineté par des nationalismes conservateurs et des blocs
d'extrême droite, voire fascisants, gagnent des majorités
électorales.
Cette évolution peut être expliquée, en
partie, par l'évolution de la mondialisation. Les travaux de Branko
Milanovic sur les inégalités mondiales mettent en évidence
l'évolution
Page 200 sur 227
de la mondialisation et ses conséquences sur les
inégalités exacerbées par les politiques
d'austérité qui ont suivi la crise de 2008. Les travaux montrent
le recul de l'extrême pauvreté, surtout en Asie, et l'explosion
des inégalités avec le 1% des ultras riches et l'explosion de la
corruption dans tous les pays. Mais, ces travaux mettent aussi en
évidence le recul du pouvoir d'achat des classes populaires et moyennes
des pays riches et émergents. Il s'agit d'un véritable
appauvrissement, d'une paupérisation relative. Cette tendance
permettrait d'expliquer, en large part, le désespoir des couches
populaires et moyennes, comme par exemple le mouvement des gilets jaunes. Elle
peut aussi expliquer l'écoute des discours nationalistes et
extrémistes, les votes pour Trump, Bolsonaro, Modi, Orban, Duterte et
autres réactionnaires.
Elle permet aussi de comprendre l'évolution
autoritaire et violente du néolibéralisme : en perdant l'alliance
avec les classes moyennes et certaines couches populaires qui avaient
fonctionnées au temps du New Deal, le néolibéralisme,
après la crise de 2008 tourne le dos à une option
démocratique, même relative ; il s'engage dans une version
austéritaire, mêlant l'austérité à
l'autoritarisme et développe une violence d'Etat agressive.
Par rapport aux urgences et aux dangers des remontées
totalitaires qui occupent l'espace philosophique et politique, l'alliance entre
les humanistes et les alternatifs radicaux est essentielle. Elle
nécessite un renouvellement et une réinvention de l'humanisme, au
sens d'une philosophie qui vise à l'épanouissement de la personne
humaine et au respect de sa dignité. Elle rappelle l'importance et la
fécondité des débats qui ont illustré, parmi
d'autres, l'humanisme chrétien et la théologie de la
libération, la résistance au stalinisme dans la pensée
marxiste, la critique de l'universalisme occidental, les propositions pour un
humanisme évolutif et écologique.
La victoire des tendances totalitaires a été
acquise au niveau des idées, des idéologies. L'extrême
droite a commencé dès la fin des années 1970 son offensive
contre l'égalité. En France, en lien avec des cercles aux Etats
Unis, le Club de l'Horloge a mené, avec l'aide de scientifiques et
d'intellectuels, une offensive pour affirmer que l'égalité n'est
pas naturelle et que ce sont les inégalités qui le sont. Cette
offensive a ciblé les libertés ne défendant que la
liberté des entreprises et a combattu le droit international dans sa
référence à la Déclaration universelle des droits
humains (Massiah,2019).
Page 201 sur 227
On retrouve ainsi les explications de Gramsci sur l'importance
de l'hégémonie culturelle qui permet à un système
de domination de s'imposer en étant accepté par les couches
sociales dominées. Dans cette bataille culturelle, la définition
d'un projet, porteur d'une alternative d'émancipation, est essentiel.
La solidarité internationale est interpellée
par cette nouvelle situation. Il faut donc en rappeler les fondements et la
manière de tenir compte des nouvelles conditions. Dans la mesure
où la solidarité internationale concerne les rapports entre les
sociétés, il faudra revenir sur la manière de comprendre
le changement social et l'évolution d'une société ; il
faudra aussi s'interroger sur les rapports entre des sociétés et
sur les inégalités et les rapports de domination qui peuvent
caractériser les rapports entre les sociétés ; il faudra
enfin s'interroger sur l'évolution du système international. Les
réflexions que nous avons proposé sur la pensée du
développement, comme une manière de prendre en compte les
changements des sociétés et de leurs rapports doivent permettre
de prendre en compte la situation actuelle et son évolution par rapport
aux ruptures qui ont été identifiées.
Considérons la solidarité internationale comme
une valeur, une stratégie, des pratiques et un mouvement. Partons de la
solidarité internationale en tant que valeur, examinons quelle
stratégie permet de la développer, prenons en compte les
pratiques qui la définissent, examinons enfin les acteurs qui portent
cette solidarité et considérons qu'il existe des mouvements de
solidarité internationale.
En tant que valeur, la solidarité internationale est
la dimension internationale de la solidarité. Il faut donc partir de la
solidarité comme valeur et de l'évolution de sa signification. La
solidarité se distingue progressivement de la charité et de
l'aide d'une part et de l'altruisme d'autre part. La solidarité traduit
le lien entre des personnes qui se considèrent comme liées par
leur appartenance commune à une communauté ou à un
territoire. En cela, la solidarité internationale renforce et
complète la solidarité en élargissant la communauté
à l'Humanité et le territoire à la planète. La
solidarité est souvent perçue dans les valeurs fondamentales
comme le complément de la liberté et de l'égalité
en étant plus générale que l'injonction de
fraternité ou de sororité. L'actualité de ces valeurs est
renforcée par les dérives dans l'explosion des
inégalités, la remise en cause des libertés et le
renforcement de l'égoïsme. Les sociétés sont
confrontées à l'inverse de
Page 202 sur 227
la solidarité avec la folle démesure dans la
possession des richesses et dans l'ivresse de la puissance (ce qu'on a appelle
l'hubris).
La solidarité, et la solidarité internationale,
sont présentes dans des pratiques multiples. C'est ce qu'on a vu dans
les relations de travail avec la solidarité dans les syndicats ouvriers
et paysans. C'est ce qu'on a vu aussi avec le développement de l'ESS
(Economie sociale et solidaire), et particulièrement avec les
coopératives agricoles et ouvrières qui ont tenté
d'organiser la solidarité à travers la coopération. C'est
aussi le cas des mutuelles quand elles ont résisté à leur
mutation dans le système bancaire. C'est le cas dans les territoires et
dans l'Histoire des municipalités qui ont conservées pendant
très longtemps des communs. Les pratiques de solidarité ont
résisté à la marchandisation, la privatisation et
l'étatisation. Elles sont à la base des propositions telles que
les communs et la propriété sociale (Massiah,2019).
La solidarité internationale a mis en avant des
pratiques spécifiques. D'abord pendant la décolonisation, la
solidarité internationale a pris des formes actives dans le soutien, et
même la participation sous des formes diverses, aux luttes de
libération nationale des peuples colonisés, et aussi aux luttes
contre les racismes, les ségrégations et les discriminations.
Après les indépendances, la solidarité internationale a
essayé de s'engager dans la coopération, mais l'évolution
des Etats décolonisés a découragé ces tentatives.
Les associations de solidarité internationale ont avancé une
autre proposition, théorique et pratique, avec le partenariat
(Massiah,2019).
L'hypothèse du partenariat, et son pari, c'est de
parvenir à construire des relations d'égalité alors que
les situations sont profondément inégales, du fait des
inégalités et des dominations entre les sociétés
auxquelles sont reliés les partenaires. C'est une option volontariste
pour construire et inventer de la solidarité internationale en
contradiction avec le marché, les puissances financières, les
appareils d'Etat. Suivant les situations, ce partenariat peut être
possible ou impossible, bénéficier des contradictions ou au
contraire en être victime, permettre des marges de manoeuvre ou faciliter
les récupérations.
La solidarité internationale est un mouvement qui
s'inscrit dans l'ensemble des mouvements sociaux et citoyens. Faisons
l'hypothèse que tous les mouvements de
Page 203 sur 227
solidarité doivent prendre conscience de l'importance
de la solidarité internationale comme prolongement et comme fondement de
toutes les actions de solidarité. Plus généralement, la
solidarité est constitutive de tous les mouvements sociaux et citoyens ;
c'est dans chacun de ces mouvements que naît et que se construit le
sentiment d'appartenance à des communautés de destin. Et c'est
tout naturellement que se construisent les réseaux internationaux de
familles de mouvements, confrontés à la mondialisation
néolibérale d'une part, et d'autre part heureux de se retrouver
en confiance, d'apprendre les uns des autres, de chercher des réponses,
d'expérimenter des pratiques. C'est ce qu'on peut voir avec les
mouvements paysans, les syndicats salariés, les mouvements pour les
droits des femmes, les peuples indigènes, les mouvements d'habitants,
... Prenons l'exemple de La Via Campesina ; c'est au niveau international
qu'elle a défini son programme et fait reconnaître l'importance
des paysanneries. Chaque point de son programme est marqué par la
solidarité et par la liaison entre le local, le national et le mondial :
l'agriculture paysanne ; la biodiversité, les semences, et le refus des
OGMs ; la souveraineté alimentaire et le refus de l'OMC ; la
réforme agraire ; le respect des droits humains pour les
communautés rurales et les militants ; les droits des femmes, des jeunes
et des migrants.
L'altermondialisme est né de la convergence des
mouvements sociaux et citoyens et des réseaux internationaux de
mouvement. Ils ont rendu la solidarité internationale plus visible. Les
forums sociaux mondiaux ont montré cette convergence ; ils sont encore
présents en tant que processus. Une nouvelle phase du mouvement
altermondialiste est à inventer. La mondialité, proposée
par Edouard Glissant, permettrait de dépasser l'affrontement entre
nationalisme et mondialisme. La multipolarité permettrait de
dépasser les contradictions toujours vivantes entre le Nord et le
Sud.
L'organisation de la continuité des échelles
est à réinventer en prenant comme impératif la
nécessité de la solidarité internationale. Le local
implique la liaison entre les territoires et les institutions
démocratiques de proximité, la redéfinition d'un
municipalisme d'émancipation. Le niveau national implique la
redéfinition du politique, de la représentation et de la
délégation dans la démocratie, le renforcement de l'action
publique et le contrôle démocratique du pouvoir d'Etat. Les
grandes régions sont les espaces des politiques environnementales,
géoculturelles et de la multipolarité. Le niveau
Page 204 sur 227
mondial est celui de l'urgence écologique, des
institutions internationales, du droit international qui doit s'imposer par
rapport au droit des affaires, de la liberté de circulation et
d'installation et des droits des migrants (Massiah,2019).
Le mouvement de solidarité internationale est
formé par les mouvements sociaux et citoyens. Il met en avant le respect
de la diversité des mouvements. La mise en avant de contradictions
principales ne justifie pas la subordination de certains mouvements à
d'autres. C'est ce que signifie l'intersectionnalité qui ne se
limiterait pas aux rapports entre classes, genres et origines.
L'évolution des mouvements est aussi à interroger. Dans les
forums sociaux, le débat a été engagé sur l'«
ONGéisation » des mouvements et la différenciation entre
mouvements de mobilisations et mouvements d'influence par rapport à des
pouvoirs étatiques ou d'entreprises. Cette tendance a été
renforcée par les Fondations qui sont, avec leurs contradictions, les
formes d'un capitalisme philanthropique. Le partenariat doit être
interrogé en tant que concept et en tant que pratique. Des changements
culturels considérables sont à l'oeuvre et vont marquer le
mouvement de solidarité internationale. Particulièrement, les
nouvelles formes générationnelles d'engagement et les changements
dans le rapport individuel/collectif.
Repenser le développement, c'est redéfinir les
stratégies de changement social. Le mouvement social de
solidarité international rappelle que la transformation de chaque
société ne peut pas être envisagée en dehors du
changement du monde. Il s'appuie sur un droit international construit autour du
respect des droits fondamentaux. Il propose, en lieu et place d'une
définition du développement fondée sur la croissance
productiviste, une concurrence illimitée et des formes de domination,
une stratégie de la transition écologique, sociale,
démocratique et géopolitique.
La démarche proposée est de partir de la
stratégie des mouvements sociaux et citoyens. De proposer à tous
les mouvements, et aux réseaux internationaux de mouvements, de
définir leur stratégie par rapport aux changements et aux
ruptures qui caractérisent la situation actuelle et de mettre en
évidence la dimension internationale de ces stratégies. La
nouvelle phase de l'altermondialisme pourra être définie et
construite à partir des stratégies des mouvements sociaux et
citoyens et de leurs réseaux internationaux (Massiah,2019).
Page 205 sur 227
Il s'agit ici d'interpeller sur la nécessité de
décoloniser la pratique actuelle du développement. Il ne faut
cependant pas s'y méprendre. Je n'invective et ni ne mets à
l'index qui que soit. Il s'agirait plutôt de se résoudre à
accepter, que la solidarité internationale telle que nous la connaissons
et la pratiquons actuellement s'inscrit, malgré nous, dans le paradigme
néocolonial du développement.
La pratique de la solidarité internationale et de
l'aide d'urgence se justifie dans la majorité des cas et il est
important que nombre de nos concitoyens s'ouvrent au monde et partagent une
considération universelle de rapports sains et raisonnés avec des
populations dont ils sont éloignés et désirent si ce n'est
collaborer, agir de concert avec elles. C'est justement parce que l'effort est
conséquent, que les attentes relatives à l'efficacité de
nos partenaires locaux doivent être équivalente.
C'est bien de cela qu'il s'agit, surtout dans un contexte
où les jeunes leaders associatifs ivoiriens et ouest africain souhaitent
tourner la page d'une Afrique en retard, d'une Afrique condamnée
à la dépendance et docile. S'appuyant sur une volonté
panafricaniste, elle prend en exemple des Sankara, Lumumba et d'autres pour
façonner leurs luttes et engagements.
Bien que dans nos discours et nos intentions, la
volonté de dépasser la pratique néocoloniale du
développement domine, la réalité du terrain nous pousse
bien souvent à s'adapter, à prendre en charge, en bref à
« comprendre » nos partenaires.
En prenant la voie d'une « interculturalité
exigeante », dont les conséquences seraient terribles dans un
premier temps, nous ferons pression sur le levier fondamental du changement de
mentalités et de pratiques en Afrique de l'ouest, à savoir le
politique.
C'est en poursuivant cette voie, qui nous amène
à demander plus d'excellence de nos partenaires locaux, et en se
refusant à tout « afro-compatisme » qui ne fait qu'entretenir
la dépendance africaine que nous pourrons « transcender » le
développement.
Et la diaspora dans tout ça ?
Bien souvent toujours « affairé »
(expression ivoirienne signifiant informé) de ce qui se passe au
pays, elle contribue économiquement et oeuvre au développement de
la Côte d'ivoire
Page 206 sur 227
La priorité relative aux diasporas n'est-elle pas celle
de la mise en oeuvre de dispositifs permettant la participation politique
massive des diasporas via le scrutins depuis l'étranger ?
Page 207 sur 227
Annexes
Annexe 1 : Chanson de Yode et Siro «
Président on dit quoi ? »
En zouglou ça réussi toujours
Mais gbao est mieux que drap
On dit quoi ? Mon président on dit quoi ?
On dit quoi ? Mon président on dit quoi ?
Le pays devient joli oh oh
Y a goudron partout
Y a lumière partout
Y a même lumière dans goudron
Merci aux PPT, soutrali des pays pauvres
Mais président ton peuple à faim
On dit quoi ? Mon président on dit quoi ?
Kone chicco chikaya (on dit quoi ? Mon président on dit
quoi?)
Les gens sont emprisonnés
Et tu dis y a personne en prison oh
Ce que tu n'as pas voulu hier
Tu ne le fais pas aujourd'hui
Parce que les mêmes causes produisent les même
effets
On dit y a pas l'argent au pays oh
Et tu dis l'argent travaille oh
Mais l'argent là ça travaille pour qui oh
Là là, président c'est comment?
Plus de 60 ethnies dans notre pays
Aujourd'hui du rez de chaussée
Jusqu'au dernier étage
Du gardien jusqu'au directeur
Si ce n'est pas les bakayokos ou bien les Coulibali seulement
qui mangent
(On dit quoi ? Mon président on dit quoi ?)
Quand ça reste un peu
On donne aux konan
Aujourd'hui konan est fâché
On achète les enfants de konan oh
L'école est malade
Ça ne vous dit rien
J'ai oublié, vos enfants fréquentent ailleurs
oh oh
Le kérosène coûte cher oh
Mais ça voyage seulement oh
Le pays est endetté oh
Payez vos crédits avant de partir oh
Page 208 sur 227
On ne se réconcilie pas en mettant les gens en
prison
Le pays a besoin de tous ses enfants
Pour la vraie réconciliation oh
Pourquoi tant de souffrance avec 2% de chômeurs
Et bientôt une croissance à 2 chiffres
Faisons attention à un peuple qui ne parle plus
Parce que quand ça va chauffer
Y a plus clôture pour sauter
Maman bulldozer a tout cassé iohhlé
Ce que tu n'as pas voulu hier
Tu ne le fais pas aujourd'hui
Parce que les mêmes causes produisent les mêmes
effets
Page 209 sur 227
Annexe 2 : Note d'information pout le consentement
éclairé
et je travaille pour l'organisation Tournons La Page
Côte d'Ivoire (TLP-CI).
Bonjour,
je m'appelle
libertés d'expression, d'association, de
réunion et manifestation pacifique dans le contexte
électoral Nous effectuons une enquête nationale sur les
libertés publiques et les droits civiques. Les informations
que nous collecterons aideront l'ensemble de la société civile
à mieux cerner l'état des opinion nous sont
précieuses.
actuel. Elles seront utilisées pour écrire un
rapport qui sera diffusé publiquement.
Vous avez été sélectionné(e)
pour cette enquête. Votre participation n'est absolument pas
obligatoire,
nous espérons néanmoins que vous accepterez
de répondre à nos questions, votre expérience et
votre
et du rapport en découlant. Vous pouvez
décider de garder l'anonymat.
L'entretien prend généralement entre 1h et
1h30.
Toutes les informations que vous nous donnerez serviront
exclusivement dans le cadre de l'enquête
S'il arrivait que je pose une question à laquelle
vous ne voulez pas répondre, dites le moi et je passerai
à la question suivante. Vous pouvez également
interrompre l'entretien à tout moment.
1 - j'accepte d'être
interviewé(e)
Vous pouvez me poser des questions à n'importe quel
moment.
Consentement éclairé - entourez le
numéro qui convient :
1 - je souhaite garder l'anonymat
2 - j'accepte que mon nom soit cité dans
le rapport
2 - je n'accepte pas d'être
interviewé(e)
En cas de consentement :
Anonymat - entourez le numéro qui
convient :
Nom et signature de l'enquêté(e) Nom et
signature de l'enquêteur
Fait à
Le
Page 210 sur 227
Annexe 3 : Enquête auprès des partis politiques sur
l'état de l'espace civique en Côte d'Ivoire, dans le contexte
électoral
électoral
Objectif général :
Décrire l'état des libertés et des droits des
journalistes, activistes et partis
politiques dans l'espace civique en CI et situer l'impact
de la loi sur ces libertés et droits dans
le contexte électoral.
Objectifs spécifiques
1 : vérifier la liberté de la
presse à la lumière de la loi sur le délit de diffamation
et dans le
contexte électoral actuel.
2 : vérifier les libertés et les
droits des activistes en général et en particulier de la
contexte
électoral actuel.
3 : vérifier l'égalité des
droits et libertés entre les partis politiques, notamment entre ceux
de
l'opposition et celui au pouvoir, dans le contexte
électoral.
Méthodologie
? échantillonnage typique ou de choix
raisonné
Cette enquête porte sur plusieurs catégories
de personnes.
En premier lieu les journalistes qui sont le plus
souvent les premiers à subir la restriction de l'espace
civique. Ils sont les garants d'une bonne information de la population en vue
des élections. Une presse libre et diversifiée est
absolument nécessaire pour des élections
véritablement démocratiques.
Ensuite, il faut vérifier que les activistes et
les communautés peuvent jouir de leurs libertés
d'expression, d'association et de manifestation. La
société civile doit pouvoir faire librement
connaître son opinion aux autorités en place
et à venir.
Enfin, les élections présidentielles
approchant, il est nécessaire de vérifier que les
parties
politiques sont tous traités sur un pied
d'égalité avec celui au pouvoir. Les personnes
engagées
en politique doivent, elles aussi, pouvoir librement
s'exprimer et s'associer.
Dans le cadre de cette enquête des rencontres et
entretiens avec ces différentes catégories de
personnes seront effectués, afin d'avoir un tableau complet de
l'état de l'espace civique en Côte d'Ivoire avant les
élections de 2020. Avoir ce tableau permettrait de mener les
campagnes nécessaires au respect des libertés
constituant l'espace civique et ainsi assurer la bonne
préparation des élections et leur bonne tenue.
Définitions
· Espace civique : «
L'espace civique est le lieu, physique, virtuel et
légal, au sein duquel les individus
exercent leurs droits à la liberté d'association, d'expression
et
public, en se rassemblant dans des forums en ligne
et hors ligne et en participant à la prise de
décisions publique, les individus utilisent l'espace civique pour
résoudre leurs problèmes et améliorer leur
qualité de vie. Un espace civique robuste et protégé
constitue la pierre d'angle d'une gouvernance responsable et
réactive et de sociétés stables.
» Civicus
· Liberté d'association : La
liberté d'association consiste en la possibilité de former
ou de rejoindre un groupe pour une durée prolongée.
C'est le droit de constituer, d'adhérer et de refuser
d'adhérer à une association.
· Liberté d'expression : exprimer
la produit de sa pensée, par tous moyens.
· Liberté de réunion et de
manifestation : le droit d'organiser et de participer à
des rassemblements pacifiques dans des locaux ou en plein
air.
Pour les partis politiques
Objectifs : un espace civique ouvert permet un
pluralisme des partis politiques. Cette enquête
vise donc à vérifier que les droits des partis
sont respectés de façon à ce qu'ils puissent
prendre
part aux élections sur un pied
d'égalité avec le parti au pouvoir.
Sur la liberté de réunion et de manifestation
pacifique :
1. - Pouvez-vous librement tenir des
réunions politiques publiques ?
2. - quels sont les moyens utilisés pour
empêcher des réunions publiques ?
3. - quels motifs juridiques sont donnés pour
empêcher ces réunions publiques ?
4. - est-ce que des personnes sont arrêtées ou
poursuivies en justice à la suite de ces
réunions ?
5. - est-ce que vous organisez des manifestations
(marches) ?
6. - est-ce que vous demandez des autorisations pour faire
ces manifestations ?
7. - est-ce que vos manifestations sont
réprimées violemment ?
8. - est-ce que ces droits sont moins
respectés en période
électorale ?
Sur la liberté d'expression
9. - est-ce que vous pouvez critiquer librement la
politique du gouvernement ?
10. - pouvez-vous librement exprimer votre
pensée politique ?
11. - est-ce que vos militants peuvent librement
s'exprimer ?
12. - est-ce que vous pouvez librement vous exprimer en
ligne ?
Sur l'accès aux médias
13. - est-ce que vous avez un accès égal
à la presse que le parti au pouvoir ? Page 211
sur 227
14. - est-ce que vous avez un accès égal aux
médias d'État que le parti au pouvoir ?
Annexe 4 : Enquête auprès des activistes sur
l'état de l'espace civique en Côte d'Ivoire, dans le contexte
électoral
électoral
Objectif général :
Décrire l'état des libertés et des droits des
journalistes, activistes et partis
politiques dans l'espace civique en CI et situer l'impact de
la loi sur ces libertés et droits dans le
contexte électoral.
Objectifs spécifiques
1 : vérifier la liberté de la
presse à la lumière de la loi sur le délit de diffamation
et dans le contexte
électoral actuel.
2 : vérifier les libertés et les
droits des activistes en général et en particulier de la contexte
électoral
actuel.
3 : vérifier l'égalité des
droits et libertés entre les partis politiques, notamment entre ceux
de
l'opposition et celui au pouvoir, dans le contexte
électoral.
Méthodologie
? échantillonnage typique ou de choix
raisonné
Cette enquête porte sur plusieurs catégories de
personnes.
En premier lieu les journalistes qui sont le plus souvent
les premiers à subir la restriction de l'espace civique. Ils sont les
garants d'une bonne information de la population en vue des élections.
Une presse libre et diversifiée est absolument nécessaire pour
des élections véritablement démocratiques.
Ensuite, il faut vérifier que les activistes et
les communautés peuvent jouir de leurs libertés
d'expression, d'association et de manifestation. La
société civile doit pouvoir faire librement
connaître son opinion aux autorités en place et
à venir.
Enfin, les élections présidentielles
approchant, il est nécessaire de vérifier que les
parties
politiques sont tous traités sur un pied
d'égalité avec celui au pouvoir. Les personnes engagées
en
politique doivent, elles aussi, pouvoir librement s'exprimer
et s'associer.
Dans le cadre de cette enquête des rencontres et
entretiens avec ces différentes catégories de personnes seront
effectués, afin d'avoir un tableau complet de l'état de l'espace
civique en Côte d'Ivoire avant les élections de 2020. Avoir ce
tableau permettrait de mener les campagnes nécessaires au respect des
libertés constituant l'espace civique et ainsi assurer la bonne
préparation des élections et leur bonne tenue.
Page 212 sur 227
Définitions
Page 213 sur 227
public, en se rassemblant dans des forums en ligne et
hors ligne et en participant à la prise de
décisions publique, les individus utilisent l'espace civique pour
résoudre leurs problèmes et améliorer leur
qualité de vie. Un espace civique robuste et protégé
constitue la pierre d'angle d'une gouvernance responsable et
réactive et de sociétés stables. »
Civicus
· Liberté d'association : La
liberté d'association consiste en la possibilité de former ou
de rejoindre un groupe pour une durée prolongée. C'est
le droit de constituer, d'adhérer et de refuser
d'adhérer à une association.
· Liberté d'expression : exprimer
la produit de sa pensée, par tous moyens.
· Liberté de réunion et de
manifestation : le droit d'organiser et de participer à
des rassemblements pacifiques dans des locaux ou en plein
air.
Pour les activistes et militants :
Objectifs : les militants et défenseurs
de droits disposent de plusieurs droits et libertés leur
permettant de dénoncer les injustices : liberté
d'opinion, d'expression, d'association et de réunion
et manifestation pacifique.
L'objectif est de mesurer de façon global le respect
de ces libertés et de façon spécifique de voir
si la période électorale modifie le
comportement des autorités vis-à-vis des des organisations
de
la société civile.
Le second objectif est de voir si les autorités
utilisent la loi pour violer les droits des organisations
et activistes ou si elles le font sans se prévaloir
du droit.
Générale
1. Considérez-vous que les libertés
d'expression, d'association et de manifestation sont
garanties en Côte
d'Ivoire ?
1. -
considérez-vous que la période électorale
entraîne une restriction des
libertés ?
Sur la liberté d'association
2. - avez-vous eu des problèmes pour vous
constituez en association ?
3. - avez-vous déclaré votre véritable
objet à la préfecture ?
4. - pensez-vous que les activités de votre
associations sont surveillées par les autorités ?
5. - les adhésions à votre association
sont-elles ouvertes ? Ou avez-vous un processus de
vérification des personnes afin de vous assurer qu'il n'y a pas de
personnes travaillant pour les autorités parmi vous
?
6. - avez-vous été approché par un
parti politique afin de leur accorder votre soutien ? Sur
la liberté d'expression
1.
Page 214 sur 227
- considérez-vous que toutes les opinions
peuvent être exprimées aujourd'hui en Côte
d'Ivoire ?
2. - il-y-t-il des sujet que vous ne n'abordez pas en
publique de peur des représailles ?
3. - avez-vous déjà été
arrêté, menacé ou intimidé par les autorités
pour une opinion que vous avez exprimée ?
4. - avez-vous déjà été
poursuivi en justice ou inquiété (phase avant le procès)
pour une opinion que vous avez exprimée ?
5. - si oui, quelle a été votre
réaction ?
6. - êtes-vous active en ligne pour exprimer votre
opinion ?
7. - avez-vous connaissance de la loi sur la
cybercriminalité ?
8. - pensez-vous que vos activités sur internet sont
surveillées par les autorités ?
9. - avez-vous déjà renoncé à
poster un message sur internet de peur des représailles ?
10. - avez-vous déjà été
menacé ou harcelé en ligne ?
11. - lorsque vous recevez des messages hostiles en lignes,
quelle est votre réaction ?
12. - pensez-vous pouvoir critiquer librement les
partis politiques, notamment celui au pouvoir ?
13. - pensez-vous pouvoir critiquer les politiques des
autorités ?
14. - pouvez-vous dénoncez les
irrégularités dans le processus électoral
?
15. - pouvez-vous librement critiquer le processus
électoral ?
16. - pouvez-vous dénoncez la corruption ?
17. - avez-vous facilement accès aux
médias ? Sur la liberté de réunion et
manifestation pacifique
24. - avez vous des difficultés à organiser
des réunions publiques ? (ex. difficultés à
trouver une salle, message pour inciter les gens à ne pas
venir, etc)
25. - organisez-vous des manifestations
?
26. - si oui, est-ce que vous les déclarez au
préalable ?
27. - avez-vous déjà obtenu une autorisation
de manifestation ?
28. - avez-vous déjà
été arrêté à la suite d'une
manifestation ?
29. - est-ce qu'il y a des sujets pour lesquels vous ne
pouvez pas manifestez publiquement ?
30. - est-ce que la nouvelle législation sur les
manifestations vous dissuade de manifester ?
31. - si oui, comment ?
Annexe 5 : Enquête auprès des journaistes sur
l'état de l'espace civique en Côte d'Ivoire, dans le contexte
électoral
électoral
Objectif général :
Décrire l'état des libertés et des droits des
journalistes, activistes et partis
politiques dans l'espace civique en CI et situer l'impact de
la loi sur ces libertés et droits dans le
contexte électoral.
Objectifs spécifiques
1 : vérifier la liberté de la
presse à la lumière de la loi sur le délit de diffamation
et dans le contexte
électoral actuel.
2 : vérifier les libertés et les
droits des activistes en général et en particulier de la contexte
électoral
actuel.
3 : vérifier l'égalité des
droits et libertés entre les partis politiques, notamment entre ceux
de
l'opposition et celui au pouvoir, dans le contexte
électoral.
Méthodologie
? échantillonnage typique ou de choix
raisonné
Cette enquête pourrait porter sur plusieurs
catégories de personnes.
En premier lieu les journalistes qui sont le plus souvent
les premiers à subir la restriction de l'espace civique. Ils sont les
garants d'une bonne information de la population en vue des élections.
Une presse libre et diversifiée est absolument nécessaire pour
des élections véritablement démocratiques.
Ensuite, il faut vérifier que les activistes et
les communautés peuvent jouir de leurs libertés
d'expression, d'association et de manifestation. La
société civile doit pouvoir faire librement
connaître son opinion aux autorités en place et
à venir.
Enfin, les élections présidentielles
approchant, il est nécessaire de vérifier que les
parties
politiques sont tous traités sur un pied
d'égalité avec celui au pouvoir. Les personnes engagées
en
politique doivent, elles aussi, pouvoir librement s'exprimer
et s'associer.
Dans le cadre de cette enquête des rencontres et
entretiens avec ces différentes catégories de personnes seront
effectués, afin d'avoir un tableau complet de l'état de l'espace
civique en Côte d'Ivoire avant les élections de 2020. Avoir ce
tableau permettrait de mener les campagnes nécessaires au respect des
libertés constituant l'espace civique et ainsi assurer la bonne
préparation des élections et leur bonne tenue.
Page 215 sur 227
Définitions
Page 216 sur 227
public, en se rassemblant dans des forums en ligne et
hors ligne et en participant à la prise de
décisions publique, les individus utilisent l'espace civique pour
résoudre leurs problèmes et améliorer leur
qualité de vie. Un espace civique robuste et protégé
constitue la pierre d'angle d'une gouvernance responsable et
réactive et de sociétés stables. »
Civicus
· Liberté d'association : La
liberté d'association consiste en la possibilité de former ou
de rejoindre un groupe pour une durée prolongée. C'est
le droit de constituer, d'adhérer et de refuser
d'adhérer à une association.
· Liberté d'expression : exprimer
la produit de sa pensée, par tous moyens.
· Liberté de réunion et de
manifestation : le droit d'organiser et de participer à
des rassemblements pacifiques dans des locaux ou en plein
air.
Pour les journalistes :
Objectifs : la loi sur le délit de
diffamation permet de poursuivre facilement les journalistes. L'objectif
de notre enquête est de mesurer la fréquence à
laquelle la loi sur la diffamation est utilisée contre les
journalistes, si elle est une menace suffisante pour que les journalistes
pratiques l'auto-censure. Le second objectif est de voir si le
pouvoir utilise la loi comme outil pour entraver les libertés de la
presse ou si elles se passent de cela et agissent directement sans
le couvert de la loi.
Sur la diffamation
1. - avez-vous connaissance de la loi sur la
diffamation ?
2. - comment prenez-vous en compte les exigences de
cette loi dans votre travail ?
3. - avez-vous déjà été
poursuivi en diffamation ?
4. - connaissez-vous des journalistes qui ont
été poursuivi en diffamation ?
5. - avez-vous déjà renoncé à
publier un article de peur d'être poursuivie en diffamation ?
6. - pensez-vous que la loi ivoirienne est utilisée
pour censurer les
journalistes ? Persécutions en
général
7. - avez-vous déjà été
contacté de façon hostile à la suite de la publication
d'un article ?
8. - avez-vous déjà fait l'objet
de menaces ou d'intimidation de la part des autorités en lien
avec votre métier ?
9. - si oui, quelles formes prenaient ces menaces
?
10. - avez-vous déjà été
arrêté sans motif ?
11. - en cas d'intimidation, menace, etc, quelle est
votre
réponse ? État de la liberté
de la presse
Page 217 sur 227
1. -
considérez-vous que votre parole de journaliste est libre
?
2. - pensez-vous que la liberté
d'expression existe en CI ?
3. -Y a-t-il des sujets que vous refusez d'aborder de peur
d'être sanctionner par la loi ?
4. - Y a-t-il des sujets que vous refusez
d'aborder par mesure de sécurité ?
5. - considérez-vous que le secret des
sources est protégé en Côte d'Ivoire ?
9. - avez-vous déjà fait appel
à la justice ou a un organe indépendant de l'État pour
voir garantir vos droits ?
6. - considérez-vous que l'accès
aux médias est équitables ?
7. - considérez-vous que la Côte
d'Ivoire dispose d'une presse libre ?
8. - pensez-vous que la
loi ivoirienne protège la liberté de la presse
?
10. - pensez-vous que la liberté d'expression
pour les journaliste est de plus en plus restreinte ?
11. - En tant que journaliste, comment
réagissez-vous face à la censure d'un de vos
confrères ou d'une de vos consoeurs ?
12. - avez-vous déjà dû payer une
autorité pour faire votre métier ? Contexte
des élections
13. - pensez-vous pouvoir faire une couverture libre de la
campagne électorale en 2020 ?
25. - il y a-t-il des sujets que vous devez ou ne devez pas
aborder sur les élections aux risques
d'être sanctionné ?
26. - pensez-vous pouvoir critiquer librement le
gouvernement et les partis politiques, notamment celui aux pouvoirs,
dans le contexte des élections ?
27. - pensez-vous pouvoir critiquer les politiques des
autorités ?
28. - pouvez-vous dénoncez la corruption ?
Page 218 sur 227
Bibliographie
AKINDES Francis, 2017, « On ne mange pas les ponts et le
goudron » : les sentiers sinueux d'une sortie de crise en Côte
d'Ivoire. Politique africaine, 148(4), 5-26.
AMIN Samir, 1973, Le développement inégal, essai
sur les formations sociales du capitalisme périphérique, Paris,
Editions de Minuit,365 p.
AMIN Samir,1971, L'accumulation à l'échelle
mondiale, Paris, Anthropos, 617 p.
AMONDJI Marcel, 1984, Félix Houphouët et la
Côte-d'Ivoire. L'envers d'une légende. Editions Karthala,
« Les Afriques », 336 pages.
ARCHIBUJI Daniele, 2009, La Démocratie
cosmopolitique. Sur la voie d'une démocratie mondiale, trad. Louis
Lourme, Paris, Cerf, « Humanités », p. 31.
BABO Alfred, 2012, « L'étranger à travers
le prisme de l'ivoirité en Côte d'Ivoire : retour sur des regards
nouveaux », Migrations Société, vol. 144, no. 6, pp.
99-120.
BADIE Bernard, 1992, L'Etat importé. Essai sur
l'occidentalisation de l'ordre politique, Paris, Fayard, collection «
L'espace du politique »
BAGAYOKO-PENONE Niagale, 2003, « La France et la gestion
militaire des crises africaines », Géopolitique africaine, 10,
automne, n° 12, p. 226-241.
BANEGAS, Richard, 2010, « La politique du « gbonhi
». Mobilisations patriotiques, violence milicienne et carrières
militantes en Côte-d'Ivoire », Genèses, vol. 81, no.
4, pp. 25-44.
BANEGAS, Richard, 2012, RECONSTRUCTION « POST-CONFLIT
» VIOLENCE ET POLITIQUE EN COTE D'IVOIRE
BAXANDALL Michaël, 1981, «OEil du Quattrocento :
oeil moral et spirituel», Actes de la Recherche en Sciences Sociales,
n° 40, novembre, pp. 10-50 ;
BAYART Jean-François, septembre 1983, « La
revanche des sociétés africaines », Politique africaine,
n° 11, p. 95-127.
BÉDIÉ, Henri Konan, 1999. Les chemins de ma vie,
Paris : Éd. Plon,247 p. (voir p. 44).
Page 219 sur 227
BERGAMASCHI Isaline & DEZALAY Sara, 2005, « Dilemmes
et ambiguïtés de la sortie de crise par la voie
multilatérale en Afrique : le cas de l'Organisation des Nations unies en
Côte-d'Ivoire », Les Champs de Mars, vol. 17, no. 1, pp.
53-73.
BOUQUET Christian, 2003, «Le poids des étrangers
en Côte d'Ivoire», Annales de Géographie (Paris), vol. 112,
n° 630, pp. 115-145.
BOUQUET Christian : Géopolitique de la Côte
d'Ivoire, Paris, Armand Colin, 2005, 315 p
BOURDIEU Pierre & DELSAUT Yvette, 1981, «Pour une
sociologie de la perception», Actes de la Recherche en Sciences Sociales,
n° 40, pp. 3-9.
BRET Bernard, 2006, Le Tiers-Monde, croissance,
développement, inégalités, Paris Ellipses, (3ème
éd), 222 p.
CAMAU Michel, 2002, « Sociétés civiles
`réelles' et téléologie de la démocratisation
», Revue Internationale de Politique Comparée, vol. 2, p.
213-232.
Centre de développement de l'OCDE, (2017), «
Examen du bien-être et des politiques de la jeunesse en Côte
d'Ivoire », Projet OCDE-UE Inclusion des jeunes, Paris.
CÉSARI Jocelyne & DÉLOYE Yves & IHL
Olivier, 1993, «Citoyenneté et acte de vote des individus issus de
l'immigration maghrébine : des stratégies politiques plurielles
et contradictoires», Politix, vol. 6, n° 22, pp. 93-103.
CHEVALLIER (Jean-Jacques, 1986, « Présentation
», dans CURAPP, La société civile, Paris, PUF,
sp.
CLAUDE Inis, 1966, Collective Legitimization as a Political
Function of the United Nations. International Organization, 20 (3),
367-379.
Contribution à la Conférence des intellectuels
d'Afrique et de la Diaspora (CIAD I) organisée par l'Union africaine en
partenariat avec le Sénégal (Dakar, 7-9 octobre 2004)
FERRY Jean-Marc, 2012, « Comprendre l'Union
européenne en un sens cosmopolitique », in Archives de
philosophie, t. 75/3, p. 395-404)
Page 220 sur 227
FOFANA Moussa, 2011 « Des Forces nouvelles aux Forces
républicaines de Côte d'Ivoire. Comment une rébellion
devient républicaine », Politique africaine, vol. 122, no. 2, pp.
161178.
FRANK André Gunder, 1970, Le développement du
sous-développement, l'Amérique latine, Paris, Maspéro, 372
p.
Frontières de la citoyenneté et violence
politique en Côte d'Ivoire. Sous la direction de Jean Bernard
Ouédraogo et Ebrima Sall 2008. Dakar, CODESRIA, 217 p
FURTADO Celso, 1976, Théorie du développement
économique, Paris, PUF, 1976, 281 p.
GALY Michel, 2007 « Politologie d'une rébellion.
Une « gouvernance par la violence » au Nord de la Côte d'Ivoire
? », Cultures & Conflits n° 65 , pp 137-155.
GAZIBO, Mamoudou, 2010, L'exercice du pouvoir en Afrique
postcoloniale, dans Introduction à la politique africaine
[en ligne], Montréal, Presses de l'Université de
Montréal
GNONZION Celestin, 2012, PERDIEMS, GOMBOS ET
MESURES D'ACCOMPAGNEMENT : LES MOTS ET LES RITES DE LA CORRUPTION DANS LA
PRESSE IVOIRIENNE,
HELD David, 1995, Democracy and the Global Order: From the
Modern State to Cosmopolitan Governance, Cambridge, Polity Press.
HELD David, 1997, « Globalization and cosmopolitan
democracy », in Peace Review, vol. 9, no 3, septembre 1997, p.
311
HUGUEUX Vincent, 1999, «Quand la Côte d'Ivoire joue
avec le feu», L'Express du 9 décembre.
Interview de M. Guéhenno, responsable du maintien de la
paix aux Nations unies, New York, Centre régional d'information des
Nations unies pour l'Europe occidentale, 23 octobre 2004
JAFFRELOT Christophe, 2000 « Comment expliquer la
démocratie hors d'Occident ? », Démocraties d'ailleurs,
Paris, Karthala-CERI, p. 5-57.
Page 221 sur 227
JAFFRELOT Christophe, 2000, Démocraties d'ailleurs.
Démocraties et démocratisations hors d'Occident, Paris,
Karthala
KABOU Axelle, 1991, Et si l'Afrique refusait le
développement ? L'harmattan
KONAN, Venance, 2012, Chroniques Afro sarcastiques, 50 ans
d'indépendance, tu parles ! Frat mat éditions
KONAN, Venance, 2013, Le Rebelle et le camarade
Président, Frat mat éditions
KONAN, Venance, 2018, Si le noir n'est pas capable de se
tenir debout, laisse-le tomber, Éditions Michel Lafon,
KONATE Yacouba, 2003, « Les enfants de la balle. De la
Fesci aux mouvements de patriotes », Politique Africaine.
KONE Amadou,2003, Houphouët-Boigny et la crise
ivoirienne, KARTHALA
KONE Fahiraman Rodrigue, 2018, La Confrérie des
Chasseurs Traditionnels Dozo en Côte d'ivoire : Enjeux socio-culturels et
dynamiques sécuritaires
LACOSTE Yves, 1976 Géographie du
sous-développement, Paris, PUF, (3ème éd) 292 p.
(1ère éd. 1965)
LACOSTE Yves, La géographie, ça sert,
d'abord, à faire la guerre. La Découverte, « Poche /
Essais », 2014, 254 pages
LATOUCHE Serge, 1986, Faut-il refuser le développement
? Essai sur l'antiéconomique du Tiers Monde, Paris, PUF, coll. Economie
en liberté, 216 p.
Le PAPE Marc, 2003, « Les politiques d'affrontement en
Côte d'Ivoire, 1999-2003 », Afrique Contemporaine, Dossier
Côte d'Ivoire, 206.
Le PORS, Anicet, 2011, La citoyenneté. Presses
Universitaires de France
LOCHAK Danièle 1986, « La société
civile. Du concept au gadget », dans CURAPP, La société
civile, Paris, PUF, p. 44-66.
LOURME Louis., Le nouvel âge de la
citoyenneté mondiale. Presses Universitaires de France, 2014, pp.
53-108.
Page 222 sur 227
MARIE Alain, 1997, (dir.), L'Afrique des individus,
Paris, Karthala.
MASSIAH Gustave, Repenser le développement pour repenser
la solidarité internationale, douze pistes de réflexion,
OFFERLE Michel, 2003, La société civile en
question, Paris, la Documentation française.
OTAYEK René ,1997 « Démocratie, culture
politique, sociétés plurales. Une approche comparative à
partir de situations africaines », Revue française de science
politique, vol. 47, n° 6, p. 798-822
OTAYEK René, 2002, « `Vu d'Afrique'.
Société civile et démocratie. De l'utilité du
regard décentré », Revue internationale de politique
comparée, vol. 9, n° 2, été, p. 193-212.
OTAYEK René, 2009, « 8. La problématique
« africaine » de la société civile », Mamoudou
Gazibo éd., Le politique en Afrique. État des débats et
pistes de recherche. Editions Karthala, pp. 209-226.
PÉREZ-DIAZ Victor, 1993, The Return of Civil
Society. The Emergence of Democratic Spain, Cambridge et Londres, Harvard
University Press.
PERROUX François, 1991, L'économie du XXe
siècle, Presses Universitaires de Grenoble, Grenoble, 814 p.
POULIGNY Béatrice, 2004, Ils nous avaient promis la
paix : opérations de l'Onu et populations locales, Paris, Presses
de Sciences Po
RAMMSTEDT Otthein,1994, «L'étranger de Georg
Simmel», Revue des Sciences Sociales de la France de l'Est, n° 21,
pp. 146-153 (voir p. 148).
RIST Gilbert, 1996, Le développement, histoire d'une
croyance occidentale, Paris, Presses de Sciences Po., 426 p.
ROCA Pierre-Jean, 2019, L'insécabilitédes ODD, clef
de l'engagement pour la solidarité internationale pour le
développement durable, à l'occasion du colloque "Construire par
l'éducation les nouvelles solidarités écologiques"
ROSTOW W ,1963, Les étapes de la croissance
économique, Paris, Le Seuil, 201 p.
Page 223 sur 227
SANOU Doti Bruno,2010, Colloque Intégration et
citoyenneté en Afrique de l'ouest : Quelles articulations entre les
échelles de gouvernance pour construire des alternatives aux impasses
institutionnelles
SASSEN, Saskia. (1988), The Mobility Of Labor And Capital: A
Study In International Investment And Labor Flow.
SELIGMAN (A.), 1992, The Idea of Civil Society,
Princeton, Princeton University Press.
SEN Amartya, 2000, Un nouveau modèle économique,
Développement, Justice, Liberté. Paris, O. Jacob, 356 p.
SMITH Stephen, mars 2003 « La politique d'engagement de
la France à l'épreuve de la Côte-d'Ivoire »,
Politique africaine, n° 89.
STIGLITZ Joseph E., SEN Amartya et FITOUSSI Jean-Paul, 2009,
Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et
du progrès social. Paris, Présidence de la République,
Ministère de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, 324 p.
SURVIE, 2014, FRANCAFRIQUE, la famille recomposée, ,
Paris, Syllepse
Valéry Paul, Regards sur le monde actuel, 2009,
Paris, Gallimard, « Folio Essais p. 21.
VIDAL Claudine, 1995, « Côte d'Ivoire :
funérailles présidentielles et dévaluation entre
décembre 1993 et mars 1994 », L'Afrique politique 1995.
WIHTOL de WENDEN, 1996, Catherine, «La nouvelle
citoyenneté», Hommes & Migrations, n° 1196, pp. 14-16.
YEBOUET Henri, 2011, La Côte d'Ivoire au lendemain de la
crise post-électorale : entre sortie de crise politique et défis
sécuritaires. Sécurité et stratégie, 7(3),
22-32.
YOUNG (C.), 1994, « In Search of Civil Society »,
dans HARBESON (J. W.) et al., (dir.), Civil Society and the State
in Africa, Boulder et Londres, Lynne Rienner Publishers, p. 33-50.
ZONGO, Mahamadou,2003, «La diaspora burkinabè en
Côte d'Ivoire : trajectoire historique, recomposition des dynamiques
migratoires et rapport avec le pays d'origine», Politique Africaine,
n° 90, pp. 113-126.
Page 224 sur 227
Page 225 sur 227
Table des figures
Figure 1 : Les Objectifs du développement durable (ONU
2020) 6
Figure 2: Typologie des acteurs de la société
civile ivoirienne (UE,2010) 41
Figure 3: Présentation de la Côte d'Ivoire
(France Diplomatie,2020) 50
Figure 4: Climat et végétation en Côte
d'Ivoire ( RABET, 2020) 52
Figure 5: Topographie de la Côte d'Ivoire (Vennetier P.
et al in Atlas de la Côte d'Ivoire 1978) 54
Figure 6 : Pédologie de Côte d'Ivoire (Vennetier
P. et al in Atlas de la Côte d'Ivoire 1978) 55
Figure 7 : Carte des ressources minérales de Côte
d'Ivoire (RABET & TOBBI, 2019) 56
Figure 8 : Carte de la répartition de la population
ivoirienne sur le territoire 57
Figure 9: Carte des densités de population par
territoire en Côte d'ivoire 58
Figure 10 : Carte de la répartition des principales
aires ethnolinguistiques de la Côte d'ivoire
(RABET,2020) 59
Figure 11 : Les cultures de rentes ivoiriennes (RABET &
TOBBI, 2020) 61
Figure 12: L'agriculture vivrière en Côte
d'Ivoire (RABET & TOBBI,2020) 62
Figure 13 : Taux de croissance de la Côte d'ivoire
depuis 2011 (Banque mondiale 2019) 64
Figure 14 : La répartition de la population abidjanaise
(RABET,2020) 66
Figure 15: Distribution spatiale de la pauvreté dans le
district d'Abidjan (RABET,2020) 67
Figure 16 : Photo de l'équipe de Novox Côte
d'ivoire (rapport d'activité No-vox ,2018) 69
Figure 17 : Photo de l'Equipe Tournons la page Côte
d'ivoire (Tournons la page, 2020) 70
Figure 18: La situation coloniale en Afrique en 1945
(RABET,2020) 73
Figure 19: Carte des principaux acteurs de la vie politique
ivoirienne depuis 1960 85
Figure 20: Carte de la migration ouest africaine en Côte
d'ivoire (OIM,2020) 91
Figure 21: La crise ivoirienne entre 2002 et 2007 (PARMENTIER,
2007) 106
Figure 22: Les principales factions de la rébellion
ivoirienne (BOUQUET, ) 111
Figure 23 : Répartition des forces internationales du
maintien de la paix en Côte d'ivoire 120
Figure 24 : Photo de gombos sur un marché et
préparé en sauce (wikipédia,2020) 152
Figure 25 : modélisation du renforcement de
capacités (UE, 2010) 156
Figure 26: Performance des états africains en terme
d'atteinte des ODD (ONU,2019) 179
Page 226 sur 227
Table des matières
ABREVIATIONS 4
SOMMAIRE 5
INTRODUCTION 6
CHAPITRE 1 : ETAT DE L'ART ET CONTEXTE DE L'ETUDE
14
1.OBJET DE L'ETUDE 14
A. La construction de la Citoyenneté en Europe et en
Afrique de l'ouest 14
B. Le cosmopolitisme et la citoyenneté mondiale
20
C. Le développement et la solidarité
internationale 25
D. La société civile ivoirienne 33
2. METHODOLOGIE ET CONTEXTE DE L'ETUDE 48
A. Méthodologie d'étude 48
B. Contexte géographique de la Côte d'Ivoire
50
C. Contexte Socio-économique de la Côte
d'Ivoire 57
D. Contexte de la mission 66
CHAPITRE 2 : EVOLUTION DE LA CITOYENNETE
EN COTE D'IVOIRE DEPUIS 1960 73
1.RESTRICTION DE LA CITOYENNETE DANS LA COTE D'IVOIRE
D'HOUPHOUËT-BOIGNY 73
A. L'éveil politique ivoirien et l'accès
à l'indépendance 73
B. Hégémonie politique et citoyenneté
contenue : Le règne d'Houphouët-Boigny 77
C. La fin du miracle ivoirien et l'avènement du
multipartisme 83
2. HYPERPOLITISATION DE LA CITOYENNETE IVOIRIENNE A PARTIR DES
ANNEES 1990 85
A. Succession, jeu politique et dérive sociale
85
B. Résistance patriotique et rébellion :
brutalisation de la pratique citoyenne ivoirienne 99
C. De la complexité de l'aide internationale : La
sortie de crise ivoirienne 120
CHAPITRE 3 : L'ACTION DES OSC
IVOIRIENNES DU DEVELOPPEMENT DEPUIS 2011 135
1.ANALYSE DES ENJEUX ET LIMITES DE L'ACTION DES OSC IVOIRIENNES
DU DEVELOPPEMENT 138
A. Une activité limitée par la restriction de
l'espace civique 138
B. Les difficultés de mobilisation des OSC
ivoiriennes 151
C. Les enjeux de la professionnalisation des OSC ivoiriennes
154
2. RECONTEXTUALISATION DE L'ACTION DES OSC EN AFRIQUE 168
A. Comparaison avec le modèle rwandais 168
B. Des dynamiques d'atteinte des ODD contrastées
à l'échelle du continent 179
CONCLUSION 185
ANNEXES 207
ANNEXE 1 : CHANSON DE YODE ET SIRO « PRESIDENT ON DIT QUOI ?
» 207
ANNEXE 2 : NOTE D'INFORMATION POUT LE CONSENTEMENT ECLAIRE 209
ANNEXE 3 : ENQUETE AUPRES DES PARTIS POLITIQUES SUR L'ETAT DE
L'ESPACE CIVIQUE EN COTE D'IVOIRE, DANS LE CONTEXTE
ELECTORAL 210
ANNEXE 4 : ENQUETE AUPRES DES ACTIVISTES SUR L'ETAT DE L'ESPACE
CIVIQUE EN COTE D'IVOIRE, DANS LE CONTEXTE ELECTORAL 212
ANNEXE 5 : ENQUETE AUPRES DES JOURNALISTES SUR L'ETAT DE L'ESPACE
CIVIQUE EN COTE D'IVOIRE, DANS LE CONTEXTE ELECTORAL
215
BIBLIOGRAPHIE 218
TABLE DES FIGURES 225
TABLE DES MATIERES 226
RESUME ET MOTS CLEFS 227
Page 227 sur 227
Résumé et mots clefs
L'agenda 2030 et les objectifs du développement durable
sont les principaux indicateurs des progrès réalisés en
matière de développement par l'ensemble des Etats, en particulier
la Côte d'ivoire.
Si, depuis son arrivée à la tête du pays
en 2011, le président Ouattara a su économiquement redynamiser le
pays, l'annonce de sa candidature à un 3e mandat présidentielle
est source de stupeur et d'inquiétude pour les ivoiriens, comme pour les
partenaires et observateurs internationaux. Cependant contrairement au
passé, la Côte d'ivoire a vu sa société civile
émerger et revendiquer le droit à exercer sa vocation
première qu'est le dialogue et le changement social. Par
l'intermédiaire de Tournons la Page Côte d'Ivoire ; No-Vox
Côte d'Ivoire ; Code 91 et des indignés, elle s'insurge contre la
candidature anticonstitutionnelle du Chef de l'Etat ivoirien et la restriction
de l'espace civique. Cela nous laisse craindre au retour d'une violence qui a
déchiré le pays dans les années 2000. Il s'agit au cours
de cette étude de s'intéresser à la notion de
citoyenneté et de ce qu'elle représente au sein de la
société ivoirienne afin de comprendre le rôle et l'action
de la société civile ivoirienne dans le processus de changement
social auquel la Côte d'ivoire aspire en arpentant la voie du
développement.
Mots-clefs :
Citoyenneté ; développement ; la
solidarité internationale ; société civile ;
ivoirité