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B. Les difficultés de mobilisation des OSC
ivoiriennes
Dans le cas d'une Côte d'ivoire qui sort d'un conflit
civil qui l'a paralysé une décennie, la tentation de mesurer les
« progrès » de la pacification et de la réconciliation
en mettant en exergue les principales causes qui empêchent d'y parvenir
pleinement est grande.
Nous sommes pourtant avertis de la futilité d'une
telle entreprise que Richard Banégas qualifie de normative et
téléologique. Elle néglige trop souvent
l'historicité des conjonctures de la crise ivoirienne et la
complexité des situations de violence, qui ont produit tout autant
qu'elles ont détruit de la relation sociale et du dialogue politique.
En Côte d'Ivoire, ces longues années de
rébellion et de « résistance patriotique » ont
provoqué un bouleversement majeur des modalités d'action
politique et citoyenne. On peut résumer ce bouleversement par un double
processus. Tout d'abord la militarisation des luttes politiques autour des
enjeux de la citoyenneté qui consacre le rôle des Hommes en armes
comme « faiseurs de rois » au plus fort de la crise. Viens ensuite le
phénomène de « milicianisation » de l'État et de
la société qui fait du contrôle de la rue, la principale
variable de l'accès au pouvoir et levier privilégié de
décision politique.
Désormais, pour être crédible dans la vie
politique et citoyenne il faut désormais que les acteurs
démontrent de leur capacité à mobiliser les citoyens et
à « tenir le pavé », fut-ce par une violence
armée que chaque ivoirien redoute. À l'instar des loubards et
« vieux pères » du ghetto, chacun doit constituer son «
gbonhi » (sa bande, son groupe ou sa famille en « nouchi »,
l'argot des faubourgs d'Abidjan) pour faire entendre sa voix ou se voir
reconnaître dans la société (Banégas,2010). Mais
avec l'explosion associative et le début de la mise en oeuvre de projets
de développement la notion de « gbonhi associatif » se
révèle. Mais, la consistance et la survie d'un « gbonhi
associatif », au-delà de l'amitié et des valeurs que
partagent bien souvent ses membres, dépend indéniablement de la
capacité de celui-ci à permettre à ses membres de «
bouffer ».
Pardonnez mon langage qui peut paraître familier mais
il est essentiel de le maintenir en l'état dans la mesure où il
constitue un élément de langage partagé, accepté et
inhérent aux actions de développement menées en Côte
d'ivoire.
Cette métaphore nous permet d'introduire le prochain
objet d'étude qu'est la pratique du perdiem. Notion
nécessitant d'être comprise par toute personne désirant
contribuer
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durablement au développement en Afrique. L'engagement
associatif ivoirien plus qu'une opportunité sociale de contribuer, ou
économique de gagner de l'argent constitue véritablement une
opportunité physiologique, celle de manger.
Le gombo, la clef de voûte du développement en
Côte d'ivoire
Figure 25 : Photo de gombos sur un marché et
préparés en sauce (wikipédia,2020)
Le gombo est un petit légume vert rugueux cueilli sur
une plante du même nom. Ecrasé, ce légume produit une
pâte gluante qui sert comme ingrédient de soupe, très
succulent et très prisé dans certaines sociétés
africaines. On dit souvent que la caractéristique gluante du gombo
favorise la déglutition de l'aliment avec lequel sa soupe est
accompagnée, ce qui facilite la digestion (Gnonzion,2012).
Par un processus linguistique de créativité
lexicale, mais par changement de sens, le gombo, aliment dont la
caractéristique gluante favorise et adouci la déglutition et la
digestion, est arrivé à symboliser toute ressource
financière parallèle et acquise en dehors du salaire officiel.
Tout comme le gombo au sens propre, à savoir le légume
vert, favorise la déglutition et la digestion, le gombo au sens
figuré, à savoir la somme d'argent acquise « sous la table
», en dehors du salaire officiel, « arrondie » les fins de
mois.
Compte tenu de la paupérisation
généralisée et des salaires sensiblement bas dans les
administrations publiques, la course aux « gombos » semble être
croissante au fil des années, depuis la période des ajustements
structuraux de la Banque Mondiale, et peut-être même avant,
jusqu'à aujourd'hui (Gnonzion,2012). Appliqués au domaine des
actions de développement, les gombos sont des sommes acquises
par des participants à une action mise en oeuvre dans le cadre d'un
projet.
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Du gombo au perdiem.
Si l'attrait du gombo n'est plus une valeur publiquement
assumable, le perdiem, qui désigne une compensation financière
donnée à une personne pour une collaboration, une
disponibilité ou tout autre service, s'est démocratisé.
C'est ainsi qu'on donnera des perdiems à chacun des conférenciers
qu'on invite pour un colloque ou des participants à un atelier, un focus
groupe etc.
Ce phénomène n'est pas propre aux seuls
bénéficiaires d'actions ni aux bénéficiaires finaux
des projets. Lors des stages ou séminaires internationaux
organisés par des associations partenaires, par exemple, on
prévoit des perdiems pour les participants provenant souvent des
organisations locales de deuxième niveau, afin de les aider à
faire face aux besoins (nourriture, transport, logement) que leur
déplacement aura suscité (Gnonzion,2012).
Jusqu'à maintenant, et bien que le perdiem soit
soldé de manière tout à fait transparente, il
n'échappe pas au tabou originel de son essence à savoir la
rétribution monétaire d'une action qui devrait être issue
des logiques altruistes, volontaristes et non de la logique pécuniaire.
Il est donc très fréquent que l'usage d'une
périphérie sémantique qu'est « le paiement du
transport » ne soit utilisé par un participant au moment de son
départ (Gnonzion,2012).
Finalement, malgré le processus de
réconciliation et la reprise économique, les Ivoriens ne sont
toujours pas parvenu, à l'étape de leur Histoire où
l'intérêt et l'action collective
désintéressée constituent le socle de leur engagement.
Ainsi, la capacité d'une structure à rétribuer
l'engagement des personnes à leur cause, constitue une valeur socle de
l'engagement des ivoiriens.
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C. Les enjeux de la professionnalisation des OSC
ivoiriennes Le renforcement des capacités et le
transfert de compétences
Le renforcement de capacités doit être
considéré et conçu comme un processus qui vise à
faciliter la consolidation, conjointement avec les acteurs, de leurs
capacités pour leur permettre d'évoluer et s'adapter aux
nouvelles exigences du contexte afin de jouer le rôle qui leur appartient
dans un schéma/modèle de partenariat, dans la mesure où il
se focalise sur trois dimensions :
· La dimension du renforcement des compétences
individuelles où les questions liées au leadership
stratégique sont également traitées ;
· La dimension de l'organisation avec une attention
particulière aux aspects de l'identité, ainsi que les
critères d'efficacité et d'efficience ;
· La dimension du renforcement relationnel et du
contexte où les questions primordiales sont celles du
développement de compétences et de capacités pour la
collaboration avec d'autres acteurs et l'élaboration d'un cadre
juridique et institutionnel adapté aux besoins des organisations et aux
exigences en matière de participation à la gestion des politiques
publiques. L'environnement est conçu ainsi non seulement comme un
facteur conditionnant (de manière positive ou négative) les
possibilités de renforcement institutionnel des acteurs, mais aussi
comme élément que l'on peut aspirer à transformer.
Cette définition opérationnelle se fonde sur
certains principes de base de l'analyse des acteurs au cours de l'exercice de
mapping réalisés par Maurizio Floridi et Stefano Verdecchia,
à savoir :
· Le développement de capacités est une
affaire de dynamisation de l'apprentissage plutôt que de transfert de
connaissances. La question de l'appropriation est alors si ce n'est centrale,
fondamentale ;
· Le point de départ du renforcement des
capacités est de construire sur ce qui existe déjà ;
·
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Le renforcement des capacités doit viser
l'apprentissage durable et reconnaître que les solutions types n'existent
pas. Chaque initiative doit être considérée dans son
contexte et conçue en fonction des besoins spécifiques.
· Il convient de faire la différence entre
l'appui aux organisations de la société civile (dont le but
principal est celui de développer leurs capacités) et l'appui
à travers/via les organisations de la société civile
(approche selon laquelle les bailleurs appuient les activités mises en
oeuvre par les OSC dans plusieurs domaines : prestation de services, actions de
gouvernance, d'éducation civique et plaidoyer, etc.)
De ces principes se décline une série de
conditions requises pour l'aide en matière de renforcement de
capacités ;
· Toute initiative doit être fondée sur une
analyse de la situation actuelle. Le personnel des OSC doit être
impliqué dans ces analyses, car il est responsable du changement
créé, et pour cela il doit reconnaître ses propres besoins.
Le développement des capacités est donc orienté par la
demande ;
· Les objectifs et méthodes varient en fonction
de chaque environnement considéré, et chaque dimension
(individuelle, organisationnelle et institutionnelle) ;
· Le développement des capacités ne
consiste pas à envoyer une assistance technique, il consiste à
libérer le potentiel déjà existant
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De la modélisation du renforcement de
capacités
Figure 26 : modélisation du renforcement de
capacités (UE, 2010)
Comme on peut le constater, ce modèle de renforcement
de capacités se base sur trois niveaux : le niveau du renforcement des
compétences individuelles où les questions liées au
leadership stratégique sont également traitées ; le niveau
de l'organisation avec une attention particulière aux aspects de
l'identité ainsi que les critères d'efficacité et
d'efficience ; et le niveau du renforcement institutionnel ou du secteur
où la question primordiale est celle du développement de
compétences et des capacités pour la collaboration avec les
autres organisations agissant dans le même secteur.
Nous allons maintenant mettre en avant les
nécessités prioritaires en termes de renforcement de
capacités des organisations de base ainsi que de deuxième et
troisième niveau selon le modèle que nous venons de vous
présenter.
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Axes prioritaires de renforcement des capacités des
Organisations de base
Les organisations de bases sont très souvent
situées en milieu rural ou dans les quartiers défavorisés
des zones urbaines. Ses membres, paysans pour la plupart, ne disposent
très souvent que d'un faible niveau d'instruction. De ce fait la
préparation des membres des organisations de base (OB) aux
activités réalisés (atelier, focus groupe etc.) est
faible. Bien souvent la finalité d'une organisation de base n'est pas
unanime et des divergences existent parmi ses membres pour diverses raisons
(rivalité foncière, conflit interpersonnel sous-jacent, etc.). Le
respect des textes et règlements nécessaire au bon fonctionnement
associatif n'est pas permis dans la mesure où ils ne sont pas
régulièrement consultés.
Le problème intrinsèque des organisations de
bases est le défaut d'instruction et d'éducation civique de leurs
membres. La plupart d'entre eux, dont l'instruction ne dépasse pas le
premier cycle ne disposent la plupart du temps ni du temps, ni des
compétences nécessaires à la pratique du
développement local tel qu'il est fait actuellement. Sans une politique
éducative nationale plus forte ou complétée par une
éducation citoyenne préalable à l'exercice associatif, les
membres des organisations de bases ne pourront être force de proposition.
Aussi peut-on penser à d'autres moyens de communication et de
capitalisation de l'information innovants et nécessaire à la
mémoire et à l'accumulation d'expériences collectives.
Cependant, la mise en oeuvre d'un processus de réflexion de ce type
nécessite la participation d'organisations de deuxième niveau
dont ce n'est pas la priorité.
L'identification et la cartographie des organisations de bases
demeurent imprécises dans la mesure où l'existence d'un groupe,
plus que l'origine de sa création et sa vocation est
considéré comme une fin en soi par les acteurs de niveau
supérieur. Du fait du manque de compétences et du manque
d'informations relatives aux subventions associatives, les organisations de
bases ont des capacités financières limitées et une forte
dépendance aux organisations de niveau supérieur, interface
principale des bailleurs.
La corruption généralisée présente
dans le pays depuis son fondement n'épargne pas la sphère
associative. Celle-ci démocratisée par la célèbre
maxime d'Houphouët-Boigny qui dit « qu'on ne regarde pas dans la
bouche de celui qui grille des arachides ». Très
appréciée
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des ivoiriens, l'arachide grillé, présente
à chaque coin de rue est la plupart du temps vendue par des femmes
dioulas. Par cette métaphore qui admet que la tentation du
grilleur d'arachide de consommer une part de sa propre production est
légitime, et que sa prédation est acceptable,
F.Houphouët-Boigny a démocratisé la corruption
généralisée ivoirienne. Une conséquence directe de
ce phénomène pour les associations est très souvent
relative à un défaut de gestion. Celui-ci peut mener à une
absence de démocratie et de participation au sein du groupement voir
à des détournements de ressources matérielles et
financières (Floridi et Verdecchia,2010).
La faible instruction des membres des organisations des bases
ne permet pas la capitalisation autonome de leurs actions. Cela ne permet pas
l'accumulation d'expérience nécessaire à l'autonomie de
ces OB et les rend d'autant plus tributaires des organisations de
deuxième niveau avec lesquelles elles collaborent.
D'autres problématiques plus logistiques concernent
l'absence de matériel, sa vétusté s'il est présent,
sa difficulté d'approvisionnement et de présences des partenaires
en raison d'axes de circulation en mauvais état.
La dissymétrie de compétences et de
visibilité entre les organisations de base et les ONG présentes
pour l'ensemble à Abidjan, mène à une logique de
coopération « Top down » (descendante) des organisations de
second niveau. La plupart du temps celles-ci imposent des projets plus «
bankable » que nécessaires et souhaités par les
organisations qui n'ont pas le luxe du refus. Les organisations de second
niveau en charge de la capitalisation et de la veille informative et
pécuniaire des organisations de base sont cependant occupées par
leurs propres activités et ne s'investissent pas outre l'obtention d'un
financement dédié.
En l'état, les organisations de base n'ont que
très peu de chances de transcender leur condition de
bénéficiaire pour parvenir à devenir des parties prenantes
actives de leur développement. Le renforcement de compétences
organisationnelles doit alors mener à l'évolution de ces
organisations de base en organisation de second niveau mais les contraintes
individuelles constituent le principal frein à cette évolution.
La mise à disposition de « micro-fonds associatif » à
destination de groupes plus nucléaires au sein des espaces ruraux peut
être une piste de réflexion pour permettre aux
bénéficiaires de
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se familiariser à la gestion financière dans le
cadre de projet. Le renforcement de la capacité d'innovation
organisationnelle reste cependant la priorité. Le modèle de
l'organisation de base ne semble pas être une formule adéquate
à l'autonomisation de ses membres et des citoyens ruraux. Il faut donc
requestionner ce modèle avec des acteurs locaux dont le modèle
actuel de développement local n'est pas en adéquation avec leur
désir de changement.
Sur le plan sectoriel, l'ensemble des organisations de bases
sont holistiquement considérées. Cette représentation est
la conséquence de l'existence des organisations de deuxième
niveau, interfaces entre les problématiques locales et les fonds
nationaux et internationaux. En l'absence d'une décentralisation
opérationnelle et efficace, ces organisations ne
bénéficient très souvent, ni de fonds locaux ni de l'aval
des autorités politiques locales, qui ne perçoivent les OSC
qu'à travers la menace politique qu'elles représentent.
L'accélération du processus de
décentralisation apparaît comme la condition sine qua non
de l'efficacité durable, pérenne et visible de l'action des
organisations de bases.
Axe prioritaire de renforcement des capacités des
organisations de deuxième niveau
Les organisations de deuxième niveau telles que No-vox
Côte d'ivoire sont souvent confrontées à des
problèmes structuraux relatifs aux ressources humaines. Le personnel, y
est souvent intermittent selon les financements disponibles pour la mise en
oeuvre de projets. Bien que la majorité des membres de ces organisations
soit instruite et éduquée, elle ne bénéficie pas
d'une formation spécifique à la mise en oeuvre de projet. Seuls
quelques leaders associatifs ont une connaissance globale du contexte et des
enjeux posés par les actions de leurs associations. Dans le cadre des
associations de défenses des droits humains, certains acteurs
associatifs se constituent en véritables « activistes »
politique.
Les organisations de deuxième niveau pour être
pleinement efficace ont un besoin conséquent de personnel
qualifié. La mise en oeuvre du cycle de projet de la conception à
l'évaluation, ainsi que la recherche de financement et le montage de
projets nécessitent des compétences professionnelles. La
technocratisation internationale associative a vu les
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différents outils nécessaires à
l'obtention de financement évoluer et se complexifier pour les profanes
du développement.
Dans la majorité des cas de coopérations entre
des organisations de deuxième niveau et des partenaires associatifs
internationaux, les OSC ivoiriennes abordent la posture d'une organisation de
base. Cette attitude apparait comme celle d'un complexe. Ce complexe, consiste
en une intériorisation des désaccords et des ressentiments et en
une infériorisation des compétences et des connaissances des
acteurs associatifs ivoirien. Cette situation induite par la logique de
nécessité pécuniaire qui se rapporte aux projets et aux
partenariats, mène à un décalage subtil entre les
coopérants qui créé un sentiment amer en fin de projet. La
faute souvent à une incompréhension « qu'on évitera
une prochaine fois ! »
Lorsque deux chargés de projet de développement
(durable) et de solidarité internationale ivoiriens et français
sont en partenariat sur un projet, ce sont bien deux mondes qui entrent en
collision. Les chargés de projet en France, disposent d'une
spécialisation (communication, projets agricoles, droits humains, etc.)
mais ont en commun de comprendre et de maitriser un ensemble d'outils
indispensables à toutes mises en oeuvre de cycle de projet. Dans la
plupart des OSC ivoiriennes de deuxième niveau, la gestion de projet est
assurée par les principaux leaders de la structure. Ils ont divers
profils, des militants qui par leurs forces de mobilisation sont parvenu
à obtenir un partenariat international aux jeunes diplômés
en sciences sociales dans l'attente d'une insertion professionnelle. Au coeur
de cette relation partenariale « égalitaire »
l'équité est bien à remettre en question. La maitrise des
outils et du vocable des appels à projets s'avère être un
véritable blocage pour des acteurs ivoiriens ne parvenant pas à
faire comprendre les subtilités ou « réalités »
d'un terrain dont le concepteur principal du projet est éloigné.
Il apparait donc impératif de mettre en oeuvre des dispositifs
concernant la création de plus de formations en gestion de projet de
développement et de solidarité internationale permettant aux
gestionnaires de projets présent au sein des OSC ivoiriennes de pouvoir
disposer des mêmes capacités que leurs homologues internationaux.
En revanche, si de nombreux ivoiriens sont formés à la gestion de
projet en Solidarité Internationale et en Développement Durable,
il faut qu'une solution politique soit apportée concernant leur
employabilité. Cela serait bénéfique car les
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acteurs associatifs disposeraient d'une sécurité
financière qui leur permettrait d'être consacrés aux
actions des OSC. Ils auraient également plus de recul sur ce qu'ils
veulent faire et non ce qu'ils doivent faire pour obtenir des financements.
Cela pourrait contribuer à l'affaiblissement de la « dérive
généraliste » des OSC ivoiriennes. De plus,
bénéficier d'une part plus importante de personnels du
développement qualifiés aurait une incidence sur le complexe
évoqué précédemment. C'est seulement formé
et confiant que le chargé de projet ivoirien parviendra à mettre
en oeuvre des actions autant efficaces sur le plan de la logistique que de la
symbolique.
Il existe une fracture entre les OSC de deuxième
niveau, en termes d'approche et de vision (développement/urgence ;
Politique/bien commun etc.), mais également avec les organisations de
base. Le manque de temps d'investissement possible et de capacité de
planification met en péril la propension des structures à
s'interroger sur leurs valeurs et missions, leurs visions du futur et leurs
positionnements stratégiques. Les organisations évoluent souvent
sans direction claire, selon les opportunités du contexte,
dictées par les politiques des bailleurs de fonds et par le contexte
dominant qui est celui de l'humanitaire. La question du leadership efficace se
pose à différents niveaux, en raison de l'inexpérience de
certains dirigeants d'OSC. Les structures de gouvernance interne ne
fonctionnent pas toujours selon des règles démocratiques et
souvent les conflits qui en découlent peuvent paralyser les
activités ordinaires. Les OSC de deuxième niveau sont
confrontées à une situation presque
généralisée de « précarité » en
termes de ressources matériels disponibles. Exception faite de quelques
structures, il n'y a pas de systèmes « professionnels » de
gestion visant l'efficacité et l'efficience des activités.
Trop souvent, les OSC sont fortement personnalisées,
sans une vraie délégation de pouvoir et sans un vrai partage de
responsabilités. Les procédures sont rarement explicitées
et les manuels pour la gestion des ressources financières,
matérielles et humaines sont encore une exception. « La
dérive généraliste des OSC ivoiriennes » entraine un
faible niveau de spécialisation de celles-ci. Un bon nombre
d'organisations dites « de lutte contre la pauvreté » n'ont
pas de périmètre d'action défini et change de mission
selon les diverses opportunités de financement offertes par les
bailleurs de fonds, notamment dans l'humanitaire.
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En définitive on peut remarquer la faible
capacitée d'innovation organisationnelle des OSC de deuxième
niveau, notamment en matière d'approches participatives visant à
se structurer et à accompagner les acteurs à la base. Encore une
fois il s'agit d'un défaut de formation mais cette fois-ci des leaders
associatifs dont la position acquise par un engagement exemplaire et de longue
durée souffre de la concurrence des compétences de membres qui
peuvent parfois constituer une « menace ».
La position de leader associatif est la plus délicate
à tenir sur l'échiquier du développement ivoirien. Si la
légitimité nécessaire à la fonction s'est obtenue
à travers la lutte, elle le fut au prix de l'acquisition des
compétences nécessaires à la gestion de l'association dont
ils ont la charge. Les phénomènes d'instrumentalisation politique
et de « mercenariat » associatif ont eu pour conséquences de
développer la partition des taches données par un leader aux
membres. Si dans le cas d'une association possédant des salariés,
chacun est assigné à une tâche et peut
bénéficier du soutien éventuel des autres membres de la
structure, dans le cas d'une OSC ivoirienne de deuxième niveau le leader
confit des morceaux de tâche à certains membres disponibles. La
responsabilité finale lui revient toujours et il ne peut blâmer
tout manquement à l'exécution des taches sous peine de perdre ses
membres en raison de « l'absence de respect et de considération
» envers leur engagement. De plus, le leadership est souvent
effectué à titre bénévole et ne permet pas aux
leaders de vivre de leur engagement. La formation et la professionnalisation de
ces leaders associatifs est plus que jamais nécessaire car sans celle-ci
la structuration et la gestion de ces OSC de deuxième niveau ne
permettra la mise en oeuvre de cycles de développement vertueux.
D'un point de vue sectoriel, les principales carences des OSC
de deuxième niveau concernent le manque de capacités des leaders
à créer un dynamique de confiance et d'unité au sein de
leurs structures. La segmentation de l'information est un enjeu vital dans un
contexte où l'action associative peut être motif d'intimidations
et de sanctions pénales. On observe également que l'absence d'un
code de conduite ou d'une charte déontologique coercitive ne permet pas
aux structures de s'appuyer sur un texte pour arbitrer les conflits et
sanctionner ses membres, ce qui peut susciter le sentiment chez les membres,
d'une justice arbitraire du leader.
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On peut également souligner l'absence d'espaces
effectifs suffisamment participatifs pour échapper au
phénomène des « dictateurs éclairés » et
promouvoir les échanges et la concertation. Un défaut de
transparence du leadership au sein des structures a pour conséquence la
faible circulation de l'information favorisant la présence de litiges
entre membres.
Axe prioritaire de renforcement des capacités des
Organisation de troisième niveau
Les OSC de troisième niveau sont constituées par
des structures telles que les coalitions associatives, les
fédérations ou encore les réseaux associatifs dont le
leadership est assuré par d'anciens leaders d'OSC de deuxième
niveau. Ces leaders sont par ailleurs encore actifs parmi les OSC de
deuxième niveau. Les compétences techniques requises pour le
dialogue avec le gouvernement et les bailleurs de fonds sur les
stratégies de développement sont exclusivement mis à la
disposition de la prestation de services et de la recherche de financements
pour les organisations membres. Ces organisations ont une organisation et une
gouvernance similaire aux OSC de deuxième niveau reposant
essentiellement sur la personnalisation du pouvoir par le leader.
Sur le plan organisationnel, l'absence d'une vision
partagée des stratégies de développement à mettre
en oeuvre pour l'avenir du pays et d'une mission claire pour ces organisations
a pour conséquence la précipitation de celles-ci
privilégiant l'urgence humanitaire au détriment d'actions de
développement pour la recherche de financements.
Ces organisations disposant pour la majorité de
ressources humaines, matérielles et financières similaires aux
OSC de deuxième niveau, en viennent également à en adopter
les mêmes logiques de fonctionnement. Elles s'écartent ainsi de
leur fonction première de plateforme au service de ses membres. De ce
fait la distance entre les « élites associatives » et les
membres à la base augmente.
Si les OSC de troisième niveau permettent le partage
d'informations et la rencontre entre ses membres, elle ne garantit pourtant pas
leur unité. Souvent les organisations membres des organisations
faîtières se perçoivent comme des concurrents aux
financements internationaux et à l'accès aux réseaux de
partenaires et de bailleurs.
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Le manque d'expérience de travail en réseau et
de maitrise des méthodes et outils adaptés aux besoins ne
facilite pas la mise en oeuvre des projets.
La faible existence d'un quatrième niveau d'OSC ne
permet aux leaders associatifs de bénéficier de «
personnalités-pont » qui permettraient de faciliter la
coopération entre les services de l'Etat et les citoyens engagés.
En définitive les leaders des associations de troisième niveau
devraient avoir pour mission la seule représentation de ses membres. Or
l'absence d'institutions de quatrième niveau légitime au dialogue
avec les ministères et les grandes institutions internationales ainsi
que de l'autonomisation des organisations de base et OSC de deuxième
niveau ne permet pas aux organisations de troisième niveau d'effectuer
leur rôle de plateforme dédiée aux membres et d'interface
avec les acteurs institutionnels ivoirien.
C'est principalement sur les aspects présentés
ci-dessus que devra être mis la priorité des actions de
renforcement des capacités des acteurs de la société
civile et leurs partenaires afin de faire progresser la qualité
générale des actions de développement en Côte
d'ivoire.
La décentralisation
Il est indéniable que la société civile
ivoirienne a un rôle primordial à jouer dans la construction et la
gestion de l'espace public et civique, et ce aux différents
échelons : national, régional et communal.
Dans ce contexte, la décentralisation représente
une grande opportunité pour le pays d'intégrer la
société civile dans ce processus grâce à la
contribution qu'elle pourrait offrir non seulement pour que le dispositif
puisse être efficace mais de manière plus générale
pour l'instauration d'un véritable Etat de droit.
La décentralisation pour être achevée et
efficiente nécessite un changement de mentalités et d'approches
dans la gestion de l'espace public qui est avant tout lieu de rencontre et de
dialogue politique, notamment au niveau local. On peut dès lors affirmer
que le processus d'appropriation de la part des populations et des forces vives
et actives, de la société civile dans le territoire est un
laboratoire formidable, d'une part, pour apprendre à
considérer
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la chose publique comme une affaire universelle, et d'autre
part comme un facteur d'accélération du processus de production
du leadership au sein de la société civile.
Bien évidemment, il s'agit de faire en sorte que les
différents acteurs participent à la gestion de cet espace au
travers de la production de règles et modes de fonctionnement propres
à la démocratie communales selon une logique relationnelle
élus-électeurs qui est avant tout politique. Et ensuite il faudra
passer par une étape qui consiste à construire tout d'abord une
nouvelle identité de l'espace délimitée par le dispositif
de la décentralisation, où chaque acteur sera appelé
à jouer le rôle qui lui est propre, ce qui comporte un exercice de
redéfinition des relations économiques, sociales et culturelles,
et dans un deuxième temps à gérer ce nouvel espace.
Dans ce cadre, il revient à la société
civile et à ses organisations de base ainsi que celles vouées
à l'appui et l'accompagnement d'autres , le rôle de
dépasser la logique purement administrative du dispositif de la
décentralisation pour être un acteur actif et pour remplir de
contenus pertinents les plans locaux de développement selon l'exercice
de la responsabilité sociale et de l'intérêt collectif et
dans une logique de co-gouvernance.
La gestion de l'espace local, la création de son
identité et la démocratie locale ne peuvent pas se faire par
décret ministériel mais bien au travers de la mobilisation et de
la canalisation de l'énergie sociale dans la solution des
problèmes du territoire local et dans l'élimination des
contraintes qui entravent le développement social et
économique.
Pour ce faire, les organisations de la société
civile doivent promouvoir le dialogue social et politique avec tous les autres
acteurs (administration et secteur privé) en exerçant leurs
droits et devoirs, ce qui est à la base de la notion de
citoyenneté.
En effet, à travers la décentralisation la vie
publique du pays s'enrichit d'une arène dans laquelle les
différents acteurs locaux peuvent se rencontrer pour définir leur
propre avenir au travers de la définition de politiques et
stratégies pour atteindre le développement durable de leur propre
territoire.
Le processus de décentralisation amène
l'ensemble des acteurs concernés à se poser des questions par
rapport au développement local. Ces questionnements se justifient au
regard de la volonté affichée des communes d'accéder
à des financements publics et à des investissements
privés.
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Dans un tel contexte, les collectivités locales ont
intérêt à élaborer un plan de développement
et à inscrire leurs actions dans le cadre de la réalisation de ce
plan qui devient un cadre de référence pour les acteurs
concernés et un cadre de négociation pour les intervenants
externes. Finalement le développement local devient « un processus
d'enrichissement économique, social et culturel de la commune ».
La localité, doit donc impulser le processus de
décentralisation et veiller à une meilleure coordination du
développement au sein de son territoire. La commune peut devenir ainsi
le moteur du développement communal à condition que tous les
acteurs locaux y soient impliqués.
Cette conditionnalité est directement liée
à la question de la fiscalité : les populations d'une commune
s'attendent à recevoir des services de leur municipalité. Mais
elles ont également le devoir de contribuer aux recettes des communes
à travers le paiement des taxes et impôts. Les organes des
municipalités ont donc intérêt à répondre aux
besoins et aspirations de leurs populations pour respecter leurs promesses
électorales d'une part et pour respecter une prescription légale
vis à vis de la tutelle. Dans ces conditions, la commune doit
élaborer son plan de développement communal.
L'élaboration de ce plan de développement locale
relève de la responsabilité de la commune. En principe,
l'élaboration de ce plan doit commencer et s'achever par une
décision du conseil municipal. Mais pour que ce plan puisse
répondre aux besoins et aspirations des populations, ces communes
doivent associer l'ensemble des acteurs concernés.
Les acteurs, formels ou informels, de la société
civile sont des partenaires fondamentaux des communes en matière de
développement local vu qu'ils ont un ancrage social et une connaissance
approfondie de leur territoire. La commune a donc intérêt à
exploiter ce potentiel de développement en encourageant la participation
mais aussi en les responsabilisant dans la mise en oeuvre de plans communaux de
développement (principe de subsidiarité) (Floridi et
Verdecchia,2010).
Enfin, la décentralisation représente une des
portes d'entrée pour tenter de briser le cercle vicieux de la «
sortie de la crise » et commencer à inventer le futur. Bien
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évidemment en passant par la notion clef de
citoyenneté dans le contexte qui lui est le plus adéquat : la
gestion de l'espace public.
En définitive l'ensemble des défis auxquelles
fait face la société civile ivoirienne ne seront surmontable que
si les leaders politiques ivoiriens parviennent à fédérer
l'ensemble des ivoiriens et à proposer un cadre politique,
législatif et technique propice à une action efficiente de la
société civile.
Nous allons maintenant nous intéresser à la
stratégie mise en oeuvre par le Rwanda pour l'action de sa
société civile en matière de développement.
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2. Recontextualisation de l'action des OSC en Afrique
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