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Processus d'externalisation en Grande-Bretagne et privatisation de la sécurité: Quels rapports, quels enjeux ?

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par Hugues de Bonnières
Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr -  2007
  

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b) Le domaine de « l 'intangible »

Le domaine de << l'intangible >> ne semblait pas a priori être gênant lors du passage à la privatisation et à l'externalisation, mais il recouvre une certaine réalité dans le service public, et plus particulièrement dans les forces armées. Lors du passage à l'externalisation, il n'a, semble-t-il, pas ou très peu été pris en compte. Nous appelons << intangible >> tout ce qui comprend l'Esprit de Corps, la Tradition, la Culture d'un métier. Nous avons des exemples de << l'intangible >> dans tous les régiments, dans toutes les Armes, dans toutes les armées du monde. Qui ne ressent pas la fierté d'appartenir à un corps ? Tout personne ayant un métier, qu'il soit civil ou militaire, a la certitude d'oeuvrer au sein d'une entité matérielle, son entreprise ou son unité, mais aussi d'une entité morale, comme peut l'être le service public pour le fonctionnaire, ou le corps médical pour le médecin, etc. L'arrivée dans le service public de travailleurs civils, par la mise en place de l' externalisation de fonctions de Défense, fragilise l'appartenance à ces structures. Prenons l'exemple du cercle-mess de la Royal Military Academy of Sandhurst, identique à ceux que l'on peut trouver en France. Externalisée il y a 12 ans, la gestion du mess est civile, et c'est le Groupe Eurest Support Services16 (ESS) qui en assure le bon fonctionnement. Aux dires de nombreux officiers, le service et la qualité de la prestation sont quasiment identiques à ce qu'ils étaient avant, quand le mess était géré par l'armée. Cependant, l'esprit à changé, l'atmosphère du lieu n'est plus la même. Cela provient du fait que les personnes travaillant dans la restauration ne sont plus en uniforme mais en civil, et surtout de la mise en place du système << Pay as you dine >> (Littéralement : << payez ce que vous mangez >>, Cf. en fin de mémoire

16. Il est assez intéressant de comparer ESS avec SERCO, ce qu l'on peut faire sur http://www.essglobal.com/index.htm et sur http://www.serco.co.uk , visités le 29 septembre 2006.

l'Annexe II). Les mess étaient véritablement des lieux de détente, de calme, où l' on pouvait se reposer, sans penser à des choses qui paraissent bassement matérielles à certains comme le prix des repas. Alors qu'autrefois une somme forfaitaire était déduite de la solde de tout miitaire, qu' il prenne ou non ses repas au cercle, la gestion est devenue plus rigoureuse : le consommateur paye ce qu'il consomme exactement à chacun de ses repas. Si l'on comprend aisément la recherche d'économies, le fait que cette dernière entraîne une modification de l' état d' esprit dans lequel est réalisé la prestation est moins bien accepté.

Faut-il alors sacrifier << l' intangible >> afin de diminuer les coûts ? Cet exemple du mess est révélateur d'un sentiment largement partagé en Grande-Bretagne, et qui concerne plusieurs activités. Prenons l'exemple dont nous avons déjà parlé d'AirTanker. Peut-on attendre que des relations de travail entre des équipages civils, payés par une entreprise, et des militaires, payés par l' Etat, soient identiques à ce qu' elles sont entre militaires ou entre civils uniquement ? Il est permis de penser que la confiance entre les deux mondes n'est pas innée, ni aussi naturelle qu'au sein de la même entité. Un militaire fait plus confiance à quelqu'un qui appartient à son monde, plutôt qu'à un civil qui ne partage pas les mêmes motivations, la même culture que la sienne ; et inversement. Lorsque l'on est au quartier, la coopération entre le monde civil et le monde militaire ne pose que des problèmes d'ordre pratiques : coordination des horaires, hiérarchies parallèles, régime et droit du travail différent... En France, si les uns n'ont pas le droit de grève, les autres ne peuvent travailler plus de 35 heures par semaine. Il est parfois difficile de nourrir les troupes hors des horaires réguliers de repas, dans le cas, relativement fréquent, où le départ en mission se fait tôt le matin, ou dans la nuit.

Le problème de la confiance est crucial : elle diminue quand la difficulté de la mission augmente. Si le problème est quasiment inexistant en temps de paix, il semble avoir des conséquences importantes sur le moral des soldats en opérations. Le raisonnement est le suivant : engagé en Irak ou en Afghanistan, le << Tommy >> accorde moins de confiance aux civils travaillants dans les activités de soutien. Il se sent plus isolé ; son lien naturel avec l'arrière, avec sa hiérarchie, son commandement, son gouvernement, semble plus ténu, plus fragile. Le cordon ombilical entre le pays et le soldat, rompu seulement pour certaines forces spéciales, est impératif pour la bonne

réussite de la mission. Si un soldat ne sent plus sa relation avec l'arrière, s'il traite avec des civils plutôt que d'autres soldats, cela peut être préjudiciable à sa mission, il peut failir.

Une polémique a éclatée en Grande-Bretagne suite à la fermeture de 6 hôpitaux militaires sur les 7 existants au Royaume-Uni, au début des années 1990. Sous l'administration de sir Malcolm Rifkind, Ministère de la Défense britannique de 1992 à 1995, la décision de fermer les hôpitaux a été prise dans le but d'épargner 500 millions de livres (750 millions d'euros) en 10 ans. Il ne reste donc plus qu'un seul hôpital militaire, le Royal Navy Hospital Haslan à Gosport ; les autres sont maintenant sous l'administration du ministère de la Santé, ou laissés à l'abandon. Le Daily Telegraph, grand journal conservateur de référence, atlantiste et anti-européen sur le fond, pugnace et engagé sur la forme, publie de manière très régulière des articles à ce sujet. Le 17 octobre de cette année, il publie un témoignage, celui de Nick Britten, soldat britannique, assez impressionnant au sujet de cette rupture de cordon ombilical 17:

«They put me in a ward with grannies and drug addicts». «Nick Britten, a soldier who was treated in a civilian NHS (National Health Service) ward said yesterday that he was left screaming in pain for five hours as nurses struggled to cope with under-staffing. He painted a grim picture of how members of the Armed Forces were being cared for on civilian wards, and said the Government had "betrayed" them by closing military hospitals. The man, who suffered serious combat wounds, said he awoke to find himself sandwiched between pensioners and drug addicts. He said civilian nurses and patients failed to understand the trauma some soldiers had suffered and were not trained or equipped to cope with the flashbacks and night terrors they experienced. Soldiers feared for their lives because of a lack of security and their recovery was being hindered because they were not surrounded by fellow servicemen who understood the culture of the Army and what they had been through.»

Plus grave évidemment que l'exemple du cercle des officiers de Sandhurst, le témoignage de Nick Britten révèle une conséquence inattendue de l'externalisation, de la quête absolue de l'économie au sein des forces armées britanniques. On estime à plus

17 . Les citations suivantes sont extraites du Daily Telegraph, et l'article complet est disponible, ainsi que d' autres, sur : http://www.telegraph.co.uk/news/main.jhtml?xml=/news/2006/10/17/nsoldier17.xml , visité le 17 octobre 2006.

de 5 000 le nombre de soldats blessés, inaptes temporaires, qui ne peuvent reprendre leurs postes dans leurs affectations, à cause des listes d' attentes des hôpitaux du service public, et dont les séjours en milieu hospitalier se passent parfois mal :

«A paratrooper wounded in Afghanistan was threatened by a Muslim visitor to the British hospital where he is recovering. Seriously wounded soldiers have complained that they are worried about their safety after being left on wards that are open to the public at Selly Oak Hospital, Birmingham. On one occasion a member of the Parachute Regiment, still dressed in his combat uniform after being evacuated from Afghanistan, was accosted by a Muslim over the British involvement in the country.» 18

Ces deux extraits nous montrent l'ampleur du phénomène : les soldats blessés sont rapatriés d'Irak ou d'Afghanistan en Grande-Bretagne, après avoir étés stabilisés (c'est à dire mis en condition pour leur permettre de supporter le retour au pays) et ne sont réellement soignés que dans des hôpitaux publics en Angleterre. Ils reprennent donc conscience après avoir étés opérés, parfois amputés, dans des salles communes, au milieu de civils. Au traumatisme de la blessure s'ajoute la fracture psychologique que le sentiment d'abandon occasionne, car ils se sentent abandonnés par l'Armée, par l'Etat.

Une fois de plus, la question de la confiance est cruciale. On reproche souvent, dans le débat de la privatisation et l'externalisation, le manque de confiance dans les sociétés privées : selon le Professeur Keith Hartley, « il y a des problèmes de loyauté, de confiance et de réputation. Les chefs d'Etats doivent croire à la loyauté de leurs forces armées. Il y a une croyance forte dans l'idée que les forces nationales (donc publiques) sont plus loyales et plus dignes de confiance que les firmes privées »19 . De plus, les sociétés privées sont soupçonnées de ne pas remplir leurs contrats comportant des opérations de combat, même si des armées régulières peuvent, elles aussi, se mutiner, se rebeller, ou fuir l'ennemi. Cependant, des SMP qui ne rempliraient pas leurs missions en souffriraient car leurs contrats ne seraient pas reconduits, et leurs réputations seraient ternies. Le point particulier ici est de retourner les reproches de confiance : peut-on reprocher à l'Etat de ne plus mériter la confiance de ses soldats ? N' est-ce pas le devoir de chacun (Etats et soldats) de mériter la confiance de l' autre ?

18 . http://www.telegraph.co.uk/news/main.jhtml?xml=/news/2006/10/02/ntroops02.xml. Visité le 23 octobre 2006.

19 . Keith Hartley, The Economics of Military Outsourcing, op. cit.

Nous l'avons vu, les premiers à souffrir de ce problème de confiance sont les soldats eux-mêmes : l'Etat, en employant des SMP, montre bien le peu de confiance qu'il leur accorde pour réaliser des types de missions assez particulières. Réduire les budgets ne doit pas signifier diminuer la confiance à l'égard des soldats. La confiance fait partie de l'intangibles, et a une place prépondérante dans les affaires militaires. Dans l'histoire des armées, les tensions entre politiques et militaires ont toujours existé, et les grandes crises ont souvent été dues à un manque de confiance de la part des militaires vis-à-vis de leurs gouvernants, de leurs chefs politiques. Peut-être qu'ici nous touchons du doigt le véritable coeur du problème de la privatisation : rendre privé un service peut parfois être interprété comme tourner sa confiance vers d' autres...

Après l'étude de l'intangible, peut être faut-il bien prendre conscience que l'aspect économique, qui au départ du processus était l'objectif majeur, s'avère mis en question par les effets secondaires qui n' apparaissaient pas au début. Mais ces effets indésirables ont tous des conséquences majeures sur l'exercice du métier, notamment pour les soldats, plus que pour les employés privés du secteur. L'objet de ce mémoire n'est pas de juger une quelconque situation, mais de décrire et d'analyser ce qui se passe outre-Manche. Nous nous autoriserons cependant le droit de trouver de telles situations désolantes et absurdes, et de nous demander si, en autorisant cela, l'Etat ne failit pas à certains de ses devoirs, ce que nous traiterons en dernière partie.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci