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Michel Foucault ,Psychiatrie et médecine

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par David Labreure
Université Paris 1 panthéon sorbonne - Ma??trise 2004
  

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III : MALADIE MENTALE ET PERSONNALITE OU MALADIE MENTALE ET PSYCHOLOGIE ?

Pour saisir tout l'intérêt de la seconde moitié de l'ouvrage,il faut bien comprendre qu'entre la première édition datant de 1954 et celle de 1962,de nombreux ajustements ont été faits, Histoire de la folie étant notamment passé par là... En effet, ce qui change, de Maladie mentale et personnalité à Maladie mentale et psychologie, c'est le contenu de la deuxième partie. Alors qu'en 1954, Foucault complétait l'analyse des dimensions psychologiques de la maladie mentale par une étude des «conditions réelles de la maladie », en 1962, il la remplace par une réflexion  sur « la psychopathologie comme fait de civilisation ». Il y a ici l'idée d'une culture occidentale qui produirait tel ou tel type de maladie mentale à telle ou telle époque. Cette seconde partie aurait donc plus à voir, à la limite, avec Histoire de la folie qu'avec la première partie de Maladie mentale et personnalité, écrite déjà huit ans auparavant. Le chapitre V ne s'interroge plus sur « le sens historique de l'aliénation » mais sur « la constitution historique de la maladie mentale » et le chapitre VI abandonne « la psychologie du conflit » pour traiter de « la folie, structure globale ». « Conditions réelles », « sens historique », « aliénation ». D'après la nature de ces termes, c'est bien en effet à une interprétation historique et matérialiste des pratiques entourant la maladie mentale que se livre Foucault en 1954. Il rappelle que, de l'Antiquité jusqu'au XVII ème siècle, le fou a toujours eu sa place dans l'histoire de nos sociétés : En suivant les transformations des formes primitives du fou, (l'energoumenos des Grecs ou le mente captus des Latins) il devient dès lors possible de montrer le sens historique de l'aliénation, en partant de l'irruption de l'inhumain dans l'existence humaine, puis progressivement incluse dans l'univers des hommes. Foucault souligne que « l'oeuvre des XVIII ème et XIX ème siècles est inverse: elle restitue à la maladie mentale son sens humain, mais elle chasse le malade mental de l'univers des hommes »16(*).

En favorisant une politique d'internement des malades mentaux, la Révolution bourgeoise de 1789 aurait consacré le caractère formel des libertés reconnues par la Déclaration des Droits de l'homme. Pinel, en libérant les insensés de leurs chaînes, ne fait que les soumettre à de nouvelles contraintes, celles de la décision médicale, de l'intérêt familial ou de la tranquillité publique: le fou est aliéné moins parce qu'il est privé de ses facultés que parce que le traitement qu'il subit le rend étranger à lui-même. Si pendant des années, on a cru reconnaître des signes schizophréniques chez nombre de psychotiques ou de névrotiques, c'est tout simplement qu' «  en le mettant entre parenthèses, la société marque le malade de stigmates, où le psychiatre lira les signes de la schizophrénie »17(*). Non seulement la société capitaliste enferme les improductifs mais elle génère, de par les contradictions de classe qui la traversent, des « styles » pathologiques. Par exemple, si Freud développe, en réfléchissant sur les névroses de guerre, l'opposition entre un instinct de vie, survivance du vieil optimisme bourgeois du XIX éme siècle, et un instinct de mort, il identifie là moins une scène psychologique originaire que les contradictions propres à la société européenne du début du siècle: le freudisme, ce pourrait être quelque chose comme le stade suprême de théorisation inconsciente du capitalisme. « Freud voulait expliquer la guerre, nous dit-on; mais c'est la guerre qui  explique ce tournant de la pensée freudienne »18(*).La maladie mentale ,pour le Foucault de 1954,doit être ramenée aux conditions réelles du développement de l'individu,c'est-à-dire à ses propres contradictions internes aussi bien qu'à celles de son environnement. La maladie mentale serait le résultat d'un déséquilibre cérébral entre fonctions excitatoires et inhibitoires : « Le matérialisme, en psychopathologie doit donc éviter deux erreurs : celle qui consisterait à identifier le conflit psychologique et morbide avec les contradictions historiques du milieu, et à confondre aussi aliénation sociale et aliénation mentale et celle, d'autre part, à vouloir réduire toute maladie à une perturbation du fonctionnement nerveux. »19(*) Dans un dernier chapitre, où il expose la théorie psychologique pavlovienne et les courants qui en ont découlé en Union Soviétique (courants influencés par la réflexologie essentiellement), Foucault soutient que, lorsque les contradictions entre milieu et individu deviennent insupportables, c'est à ce moment qu'apparaissent les troubles psychologiques. Cette idée, Foucault l'avait déjà exposée  en 1953 dans une conférence à la Maison des Lettres, rue Férou. Devant un auditoire composé en majorité d'étudiants très sensibles aux relations entre science et politique, du fait, notamment, de l'affaire Lyssenko, il conclut sa communication par un emprunt à Staline et à l'histoire du cordonnier alcoolique qui bat femme et enfants, pour expliquer que les pathologies mentales sont fruits de la misère et de l'exploitation et que seule une transformation radicale des conditions d'existence pourrait y mettre un terme. Le cordonnier, travaillant à la pièce pour un revenu qui subvient à peine aux besoins des siens, trouve dans la boisson un refuge lui permettant de diminuer les tensions psychologiques suscitées par une situation contradictoire. En subissant la contrainte réelle, il s'échappe dans un monde morbide où il retrouve, mais sans la reconnaître, cette même contrainte réelle. « Il y a maladie [...], selon Foucault, lorsque l'individu ne peut maîtriser, au niveau de ses réactions, les contradictions de son milieu, lorsque la dialectique psychologique de l'individu ne peut se retrouver dans la dialectique de ses conditions d'existence »20(*). Désormais, l'anthropologie médicale ne s'articulera plus sur l'opposition homme sain-homme malade, mais sur la dialectique de l'ouvrier exploité se soignant en devenant un révolutionnaire prolétarien: la société communiste n'est pas seulement une société sans classe, c'est aussi une société sans malade.  C'est à l'accomplissement de cette tâche que doit se consacrer la psychologie, « s'il est vrai que, comme toute science de l'homme, elle doit avoir pour but de le désaliéner »21(*). Pour comprendre la genèse de ce passage, il faut aussi tenir compte du facteur politique : Foucault a été membre du parti communiste français de 1950 à 1953 ; cet engagement se retrouve dans ce chapitre sur Pavlov, ce qui, à l'époque, en France était un marqueur politique : La plupart des intellectuels communistes de l'époque voulaient ainsi opposer la « psychologie matérialiste » pavlovienne à la psychanalyse.
    1962, changement complet de point de vue: c'en est fini du matérialisme pavlovien, au moins pour Foucault. Le livre passe de cent dix à cent quatre pages et, pressé par son éditeur de rééditer Maladie mentale et personnalité, Foucault va modifier toute la seconde partie de l'ouvrage (qui s'appellera désormais Maladie mentale et psychologie) et rompre avec les idées de 1954. C'est qu'entre temps, il a réalisé son grand oeuvre, Folie et déraison. Histoire de la folie à l'âge classique (1961) dont « Folie et culture » est, en quelque sorte, le résumé. En s'appuyant sur les nombreux manuscrits médicaux de la Bibliothèque d'Uppsala, Foucault expose le processus historique de constitution  de la maladie mentale dans une perspective totalement détachée du marxisme. La folie n'est plus l'expression, au niveau psychologique individuel, des contradictions de classes dans la société capitaliste mais, bien plus profondément, le produit d'une culture, d'une histoire qu'il faut retracer dans son détail. La maladie va dépendre de conditions historiques, plus encore, d'un contexte culturel particulier. Cette histoire, c'est d'abord celle d'un partage, d'une exclusion. Si le Moyen-Âge et la Renaissance voient encore dans la folie une expression de la puissance divine et une forme supérieure de raison (dont témoignerait l'Eloge de la folie d'Erasme), l'âge classique la confond avec toutes les autres sortes de déviances (crime, vagabondage, libéralité, libertinage), lui faisant ainsi perdre sa signification propre. Elle n'est qu'une forme, parmi d'autres, d'oisiveté, et l'Hôpital général se charge de la corriger: c'est la fameuse époque du « grand renfermement ». Avec la naissance de l'asile, au tout début du XIX éme siècle, la perception de la folie s'affine en même temps que le partage s'accentue. Désormais, les aliénés sont traités différemment des criminels ou des pauvres. Mais l'humanisme supposé d'un Pinel ou d'un Tuke ne doit pas tromper. Libérés de leurs chaînes, les malades n'en subissent pas moins un gigantesque emprisonnement moral. Parole devenue totalement inintelligible dans ce contexte, la folie trouve ses anciens pouvoirs de révélation cloisonnés entre les murs du savoir médical. De cette folie maîtrisée naît la psychologie, monologue qui refuse d'entendre la voix de la déraison et qui croit pourtant pouvoir en énoncer la vérité. Ambition vaine d'un discours qui refuse d'affronter son Autre « présent et visible dans les oeuvres de Hölderlin, de Nerval, de Roussel et d'Artaud, et qui promet à l'homme qu'un jour peut-être, il pourra se retrouver libre de toute psychologie pour le grand affrontement tragique avec la folie »22(*).L'originalité de Maladie mentale et psychologie tient ainsi dans la double idée qu'il sous-tend,à savoir une approche historique de la maladie mentale et une approche ontologique ,c'est-à-dire l'idée que la folie échappe à la psychologie et soit une sorte de rapport primitif à l'homme.

* 16 Ibid. p.79.

* 17 Michel Foucault, Maladie mentale et personnalité, PUF, Paris, 1954, p.83.

* 18 Ibid p.87.

* 19 Ibid p.106.

* 20 Michel Foucault, Maladie mentale et personnalité, Paris, PUF, 1954, p.90.

* 21 Ibid. p.110.

* 22 Michel Foucault, Maladie mentale et psychologie, PUF, Paris, 1962, p.89.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore