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La maladie sacrée, les parthenoi dans le regard de la médecine grecque

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par Virginie TORDEUX
Université Rennes 2 - Master 2006
  

Disponible en mode multipage

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    La maladie sacrée, les parthenoi dans le regard de la médecine rationnelle en Grèce classique

    INTRODUCTION

    Pourquoi un travail de recherche sur la maladie sacrée ?

    Au commencement, étant moi-même épileptique donc atteinte de ce que les anciens appelaient la maladie sacrée, j'ai voulu comprendre ce qui se cachait derrière cette appellation. Pourquoi sacrée ? Intervention divine ? Possession par un Dieu ? Les croyances moyenâgeuse penchaient en ce sens. Possédée par le diable. Toutefois, avant le Moyen-Age se trouvait l'Antiquité. C'est donc vers cette période que j'ai cherché des réponses.

    J'ai ainsi trouvé le traité attribué à un auteur du corpus hippocratique De la maladie sacrée. Surprise, alors que les pré-socratiques attribuaient bien cette maladie à une intervention divine, l'auteur avait déjà compris ce que notre science contemporaine déterminerait, à savoir que cette maladie est liée à un dysfonctionnement du cerveau.

    Ainsi il m'a semblé nécessaire d'étudier cette science.

    Au fil des lectures, j'ai découvert, notamment grâce au traité de ce même corpus, Maladies des jeunes filles, que cette maladie touchait les parthenoi, ces filles qui, bientôt, allaient se marier.

    Ainsi fut défini mon sujet. Restait à savoir ce que l'étude des parthenoi chez les Hippocratiques allaient apporter comme pierre à l'édifice de la science.

    Ce travail a donc deux axes majeures, l'étude de la médecine dite hippocratique et la parthenos dans le corpus du même nom.

    Comment définir des limites chronologiques ? On aurait pu tenter un travail mettant en parallèle les croyances traditionnelles et les croyances hippocratiques. Comme toujours en histoire ancienne, l'apprenti chercheur propose et les sources disposent. Cette lapalissade se trouve ici confirmée. Des époques antérieures, on ne trouve qu'un papyrus égyptien décrivant la crise et seul le texte du corpus hippocratique Maladie sacrée, nous renseigne sur les causes que l'on donnait antérieurement à cette maladie. Par conséquent, les limites chronologiques se sont imposées d'elles-mêmes : ce serait la période classique, qui correspond au Vème et IVème siècle avant Jésus-Christ. Ainsi, quand une date sera donnée dans ce mémoire, il ne sera pas rappelé qu'elle concerne la période avant notre ère, ceci allant de soi au vu du sujet choisi.

    Cette délimitation m'amenait à m'interroger sur la médecine rationnelle.

    « Je recommande, pour ma part, aux jeunes filles qui sont atteintes d'une telle affection de se marier au plus vite ; car si elles deviennent enceintes, elle guérissent. »1(*)

    C'est en procédant de la sorte que l'auteur de Maladies des jeunes filles entendaient mettre un terme aux éventuelles crises d'épilepsie qui guettaient les parthenoi, vision opposée à la tradition populaire qui attribuait ces crises aux divinités auxquelles il était nécessaire de faire des offrandes pour faire cesser la maladie.

    Le Vème siècle vit l'éclosion des sciences en Grèce. La médecine ne dérogea pas à la tendance générale qui considérait que chaque phénomène avait un cause naturelle, sans rapport avec l'intervention des dieux. Ainsi se trouve défini la médecine hippocratique : la maladie est le résultat de l'influence du milieu sur l'homme, les maladies proviennent de l'extérieur et non de l'influence des dieux. A ce titre, il est nécessaire de l'aborder avec les moyens d'observation que nous avons à notre disposition. C'est la promotion de la médecine par les cinq sens. Tout phénomène a une cause naturelle.

    Un des auteurs appartenant au courant de cette nouvelle médecine, se pencha sur la maladie dite sacrée. La croyance populaire considérait qu'elle était le résultat de la possession du corps du malade par un dieu. Le traité sur cette maladie nous est parvenu. Dans une première partie, l'auteur critique ceux qui, les premiers, par ignorance et étonnement, ont fait croire que cette maladie était due aux dieux. Puis, il expose ce qu'il considère, comme étant la cause de cette maladie.

    Même si le Vème siècle est la période de la recherche rationnelle, on s'aperçoit que des anciennes croyances sont encore vivaces. Que dire de cet utérus mobile, petit animal vorace dont la femme est l'esclave ? Héritage de Pandora ou motif pour justifier l'asservissement de la femme à l'homme ? Il faut croire que les progrès de la médecine s'arrêtaient là où commençait l'intérêt de la société. Comment comprendre qu'une jeune fille de quatorze ans soit considérée comme une adulte ? Cette théorie, peut être fantaisiste pour nous autres contemporains était loin de l'être aux yeux des classique. A la recherche d'un optimum biologique et, bien que dénonçant les mariages avec des filles trop jeunes, Aristote préconisait une différence d'âge entre l'homme et la femme de quinze à vingt ans. Un homme devenant un citoyen accompli à trente ans, âge auquel il pouvait entrer dans les différentes assemblées où siégeaient les citoyens, on peut donc déduire que la fille devait avoir entre dix et quinze ans. Et pour appuyer cette démonstration, quoi de mieux que les discours médicaux ?

    Cette évolution de la pensée a eu un impact sur la société du Vème siècle, même si les anciennes croyances restèrent en vigueur. Puisqu'on voyait dans la maladie sacrée une maladie qui touchait principalement les jeunes filles, que les causes de l'épilepsie étaient considérées comme fausses par les médecins hippocratiques, il est nécessaire d'étudier l'impact, si impact il y a eu, de cette nouvelle branche de la médecine sur la vision des parthenoi, ainsi que leurs répercutions, si répercutions il y a bien eu sur la société grecque du Vème siècle. Qu'est ce qui caractérise la période classique ? Le cinquième siècle vit l'émergence des sciences. L'homme s'interroge sur le monde qui l'entoure, il suffit de lire Platon pour le comprendre. Contrairement aux anciennes croyances, toute chose a une cause naturelle ce qui va amener à une confrontation entre les théories pré-cinquième siècle et celles qui se développent à ce moment là. Le recours aux dieux n'est plus systématique et on cherche à comprendre. Le but des hommes étaient de fournir une vision cohérente et ordonnée du monde.

    Ce changement ne fut certainement pas perçu à toutes les échelles de la société. Toutefois, n'ayant pas d'autres sources que le corpus, il faudra accepter que ce point de vue pouvait être représentatif de la pensée de l'époque.

    Dans le corpus hippocratique, peu de référence à cette maladie. Trois cas dans les Epidémies et pourtant un traité complet semble dire que ce mal est typique des parthenoi. Doit-on voir dans cette explication une implication autre que médicale ? La médecine servirait-elle en partie, la société ?

    Que sait-on des parthenoi ? En âge d'être mariée, elles ne le sont pas encore. Non domestiquée, elles vont subir, après le mariage, le joug du mari qui va les civiliser. Or, à la lecture des phénomènes se produisant lors d'une crise de la maladie sacrée, on comprend aisément qu'on puisse lui attribuer un caractère sauvage. Quel accès avons-nous à ses filles sur le point de devenir mère ? Elles se taisent, comme les femmes qu'elles vont devenir. Il faut donc accepter que les informations qui nous sont données soient déformées par la vision masculine de la femme. Quelle était-t-elle ?

    Le passage à l'âge adulte est depuis la haute Antiquité, considéré comme une période dangereuse. En cela rien de nouveau. Les transformations visibles au niveau du corps laisse présager une tempête intérieure, tempête confirmée pour les Hippocratiques par le nombre de jeunes filles se pendant à cause, dit le médecin, de leur sang, qui ne peut s'écouler, l'orifice de sortie étant fermé. La virginité est donc considérée comme étant dangereuse. Quel remède ? Le mariage bien sûr. En effet, les médecins ne conçoivent pas que le moment du mariage ne soit pas celui de la défloration. Ainsi, l'homme ayant ouvert le passage, la jeune fille n'est plus en proie à la maladie sacrée mais, en retour, connaît les maux afférents au gyné car la période la plus dangereuse pour une femme n'a jamais été l'adolescence mais plutôt, le moment de la grossesse et l'accouchement.

    A nouveau, pourquoi, pour appréhender ce moment difficile qu'est le pivotement du sacré, passer par le traité Maladie sacrée ? Parce qu'il est, dans sa première partie, représentatif du climat de l'époque et nous donne à voir la médecine du Vème siècle, déterminante dans toute recherche sur le fonctionnement du corps, et les problèmes auxquels elle était confrontée. Parce que, couplé au traité Maladie des jeunes filles, il montre toute la problématique du passage à l'âge adulte, qui a toujours été ritualisé, dans toutes les sociétés et de tous temps (majorité à dix-huit ans aujourd'hui, pourquoi cet âge et pas vingt et un an ?) car considéré comme dangereux.

    Pourquoi s'intéresser aux femmes et surtout aux jeunes filles ? Parce que, depuis Prométhée, ce sont elles qui transmettent la vie. Par conséquent, il est vital, puisque sans enfants et surtout sans fils, pas de continuation de l'oikos, de préserver la parthenos. En effet, la femme est un mâle manqué. Etait-elle assignée uniquement à la maternité ? On le verra dans le développement qui suit. Pour devenir une femme accomplie, qui sert la société, elle devra être domestiquée.

    Hippocrate s'intéresse à ce corps inquiétant, imprégné d'une sexualité redoutée. La perception de ces médecins du corps de la femme est celui d'un récipient qui s'emplit et se vide de son sang à toutes les étapes de sa vie. Mais ce corps, aussi inquiétant soit-il, doit être connu, car c'est grâce à lui que la race humaine se perpétue. Il faut donc en comprendre les mécanismes.

    Partir à la recherche des parthenoi grecques, c'est suivre la trace de leur sang.

    Ainsi, le projet du médecin est double. Assurer la santé de sa patiente, lui permettre de faire des enfants et l'aider à gagner sa place dans l'ordre établi de la cité. Car ne nous y trompons pas : si, pour nos yeux de modernes, la prise de la parthenos par un homme plus âgé choque car elle ressemble à une soumission, la jeune fille s'y prépare depuis toujours, le point phare de sa vie restant le mariage. La vie d'une femme est faite de deux périodes, une avant et l'autre après le mari. C'est donc bien le rapport à l'homme qui permet à la femme de se définir. C'est grâce à lui que le sang est versé. C'est donc grâce à lui que la jeune fille devient femme. Après avoir eu ses règles, la jeune fille a franchit un cap, tant physiologique que religieux social et politique. Elle est exclue de l'univers d'Artémis pour celui de Déméter, elle est prête à occuper la place qui sera la sienne. Le sang versé fait d'elle une femme, processus achevé lorsqu'elle aura donné naissance (illustrée par le fait qu'Artémis reste auprès des jeunes filles jusqu'à l'accouchement).

    Dans ces conditions, il devient judicieux de s'interroger sur le sort des jeunes filles atteintes de la maladie sacrée. En effet, maladie sacrée et mariage sont liés. Mais quelle place les filles pouvaient-elles occuper si cette maladie perdurait après le mariage ? Les symptômes sont proches de ceux de la transe de la pythie. Entraient-elles en religion ? Peut-être... Mais cette hypothèse restera au stade d'hypothèse puisqu' aucune sources n'a pu me permettre d'établir la véracité de ce fait.

    Pour mener à bien cette étude j'ai emprunté, outre les deux textes du corpus précédemment cités, sa Théogonie ainsi que Des travaux et des jours à Hésiode. En effet, ces textes ont le mérite de nous renseigner et de nous permettre de comprendre quelle croyances tronquaient la vision grecque de la femme. De même, L'Economique de Xénophon m'a permis de faire connaissance avec les qualités qu'on attendait d'une parthenos. Ainsi, s'est forgé un bouillon culturel qui m'a permis de mieux comprendre les théories médicales concernant la femme et d'accepter certains concepts qui auraient pu être considérés comme des aberrations au regard de la définition que les médecins hippocratiques donnaient de leur matière.

    Si on ne dispose que d'un traité concernant la maladie sacrée, les traductions, en revanche, sont multiples. Malgré le prestige dont Emile Littré est entouré, prestige visible dans le fait que les ouvrages en langue étrangère se réfèrent à sa traduction, les trois premières parties de ce travail s'appuyant en grande partie sur les travaux de Jacques Jouanna, j'ai préféré opter pour sa traduction des traités hippocratiques quand cela était possible. Les traités dont la traduction est d'Emile Littré sont annotés en bas de page. Pour la quatrième et la cinquième partie, c'est la traduction de ce dernier qui a été utilisée.

    Au regard de ce qui précède, le plan de cette étude se présentera ainsi : une présentation des sources qui montrera sur quoi s'appuie notre argumentaire, une bibliographie rapide pour toute personne désireuse de s'intéresser au sujet, afin de mieux cerner les médecins hippocratiques et leur raisonnement, une étude sur la naissance de cette médecine, ses spécificités et son chef de file, Hippocrate ; pour mieux appréhender ce qu'est une femme, on reviendra sur le mythe de Pandora qui installa les femmes dans un écart originel. Une fois ces deux points abordés, on sera en mesure d'accéder à la parthenos et aux maladies qui la tourmente, notamment la maladie sacrée. En effet, il était impossible d'étudier l'état de parthenos sans aborder les constructions culturelles qui s'établissent autour d'elle car, comme on le verra médecine et société sont étroitement liées à l'époque classique.

    PREMIERE PARTIE

    PRESENTATION DES SOURCES

    Au milieu du cinquième siècle avant Jésus Christ, la philosophie prit un tournant dans la composition et l'organisation du monde extérieur pour ce qui avait attrait aux valeurs morales et éthiques de l'homme. Les théories sur la cosmologie (incluant notamment la différence entre les sexes) gardèrent une place importante dans les systèmes philosophiques mais leurs investigations s'étendirent aux différents aspects de la physiologie humaine et, en cela, la philosophie devint une matière proche de la médecine. A la tête de cette tradition médicale, contemporain de Socrate, on trouve Hippocrate.

    Nous n'avons aucune certitude sur le fait qu'Hippocrate ait pu écrire les soixante traités qui nous sont parvenus. Ils furent probablement assemblés aux alentours du deuxième ou troisième siècle avant Jésus-Christ, à Alexandrie. Malgré l'incertitude concernant la date de la rédaction, on peut, de part les connaissances anatomiques, pharmaceutiques, datés ces écrits entre le cinquième et le deuxième siècle avant notre ère, la plupart ayant été certainement écrit au quatrième et cinquième siècle.

    La langue utilisée est un dialecte de la langue ionique. L'Ionie, patrie d'Hippocrate, n'est pas forcément celle de tous les auteurs mais, la tendance grecque à absorber les différents dialectes serait suffisante pour expliquer pourquoi les écrivains médicaux continuèrent à utiliser cette langue, même s'ils venaient d'une autre région du monde grec2(*).

    Le contenu de la collection est très diverse. Elle regroupe des monographies médicales, des notes sur des cas concrets (Epidémies), et des discours destinés à gagner la confiance de leurs contemporains (on verra plus loin pourquoi l'acquisition de cette confiance était importante à l'époque classique). Les différents traités n'ont pas d'unité entre eux. Ce serait une erreur de croire que le corpus hippocratique ne renferme qu'une seule doctrine. On trouve, notamment des désaccords quant aux nombres de fluides vitaux présents dans le corps ainsi que concernant les humeurs3(*).

    Cette partie sera consacrée à la présentation de la Collection hippocratique ainsi qu'à l'étude des traités utilisés pour cette recherche.

    CHAPITRE I

    LA COLLECTION HIPPOCRATIQUE

    Qu'appelle t-on la Collection hippocratique ? On verra comment a été composé le Corpus, l'impact qu'il a pu avoir sur la médecine de l'Antiquité, pour finir par la postérité de l'ouvrage.

    I.COMPOSITION DU CORPUS

    La Collection hippocratique.

    Pourquoi retenir cette oeuvre sous cette appellation alors que la postérité l'attribue à Hippocrate ? Serait-ce dû aux interrogations qui entourent sa rédaction ? On verra, dans un premier temps, la polémique à laquelle les conditions de la constitution de l'oeuvre a donné naissance, puis les tentatives faites pour organiser la Collection, pour finir sur la question de l'auteur du recueil.

    I.1. Une oeuvre constituée par le hasard ?

    L'hypothèse la plus probable fait provenir la Collection hippocratique de la bibliothèque de l'école de Cos4(*). Celle-ci aurait contenu les travaux des grands Asclépiades.5(*) On y trouvait les ouvrages des maîtres, ceux à destination des étudiants, des ouvrages qui n'avaient pas vocation à être publiés, d'autres entrés en possession de la bibliothèque par hasard6(*). Le Corpus7(*) comprend une soixantaine de traités8(*) et serait composé de travaux de dates et d'écoles différentes.

    Certains chercheurs estiment que les traités ont été réunis par le hasard9(*), d'autres soutiennent la thèse opposée10(*). Il est difficile de se faire une opinion, les deux parties avançant des arguments recevables. Pour les premiers, le corpus aurait été réunis au hasard des copies et des bibliothécaires. Cette affirmation est illustré par le fait que certains traités ne sont pas terminés et trouvent la fin de l'exposé dans un autre traité du corpus. C'est le cas du traité « Régime »: sept chapitres sont consacrés aux moyens de conserver une bonne santé et sont organisés de façon logique puis, une brisure apparaît au huitième chapitre qui renvoie au début de « Maladies I », et le neuvième au début des « Affections ». Or, il semble aberrant à W.H.S. Jones qu'un auteur ou un éditeur soit à l'origine de ce découpage. «  What author or editor could be so stupid as to complete an incomplete work by such unsuitable additions?»11(*).La reproduction se faisant sur des rouleaux de papyrus, la taille de ceux-ci pourrait expliquer ces césures12(*).

    Les partisans d'une compilation voulue soulignent que le noyau dur du corpus est à attribuer à l'entourage direct d'Hippocrate et explique la diversité des sujets des traités par le fait que les médecins n'étaient pas des spécialistes mais des généralistes13(*). Mais une difficulté se pose à ce stade. En effet, G.E.R. Lloyd, dans son ouvrage Magie, raison et expérience, l'auteur considère qu'à la différence des médecins de la période homérique, les médecins de l'époque classique étaient devenus des spécialistes. La contradiction est levée par Jacques Jouanna qui considère que les médecins hippocratiques pouvaient être des spécialistes mais qu'ils étaient avant tout des généralistes14(*).

    Quelque soit l'hypothèse retenue, les chercheurs s'accordent à dire que deux critères font l'unité de l'oeuvre : elle est écrite en langage ionnien15(*) et rejette la magie et la superstition comme moyens thérapeutiques16(*). Ce dernier point fera l'objet d'un développement dans la troisième partie de ce travail.

    Après avoir vu les débats dont les conditions de constitution du corpus ont fait l'objet, examinons celui lié à l'ordonnancement de celui-ci.

    I.2. Le problème d'ordonnancement du corpus.

    Il existe différentes façons d'ordonner les traités. Après avoir étudié celles proposées par W.H.S. Jones et Jacques Jouanna, il semble que cette dernière soit plus accessible. En effet, W.H.S. Jones distingue différents groupes :

    - les traités polémiques,

    - les traités à dominante scientifique,

    - les traités à dominante philosophique,

    - les traités plus hippocratiques17(*).

    Jacques Jouanna, pour sa part, distingue :

    - les traités rattachés à l'école de Cos,

    - les traités rattachés à l'école de Cnide,

    - les traités indépendants18(*).

    Il est difficile, même impossible19(*) de trouver le découpage adéquat pour cette compilation de traités. Toutefois, sans préjuger de la validité de l'ordre donné par W.H.S. Jones, on préférera la décomposition de Jacques Jouanna, qui a le mérite de nous renseigner sur les auteurs du corpus.

    Examinons maintenant le problème de l'auteur du Corpus.

    I.3. La question de l'auteur du corpus

    On verra d'abord pourquoi le Corpus ne peut être l'oeuvre d'un seul auteur, puis, les traités qui doivent être attribués à l'école de Cnide, de Cos pour finir avec les traités indépendants.

    I.3.1. Un auteur unique ?

    Il est désormais communément admis qu'Hippocrate n'a pu écrire seul ces traités car plus d'une vie aurait été nécessaire pour l'établissement de cette oeuvre20(*). De plus, les théories proposées présentent d'importantes divergences et les différences de vocabulaire ne peuvent s'expliquer par l'évolution du style de l'auteur. Les quelques témoignages anciens encore disponibles valident la thèse d'auteurs multiples.21(*) Ainsi, Aristote22(*) attribue une description des vaisseaux sanguins à Polybe, gendre d'Hippocrate23(*).On connaît cette description grâce au traité Nature de l'homme dans lequel on retrouve la théorie des humeurs, qui selon Galien, est l'un des principaux enseignement d'Hippocrate24(*). Selon Aristote, le traité Nature des os est attribué à Syennésis de Chypre25(*). Au fil du temps, la tradition a attribué à Hippocrate, plus célèbre, la paternité de traités de médecins plus obscurs alors qu'Aristote connaissait encore le nom des auteurs des traités26(*). Les savant de l'Antiquité ont tenté de déterminer les traités pouvant être attribués à Hippocrate, suivit en cela par les modernes. Toutefois, en l'absence de résultat et malgré l'hétérogénéité de la Collection, il se dégage une unité de pensée tant dans l'approche rationnelle de la maladie que dans la réflexion sur l'art médical et la déontologie. On peut donc parler d'une unité de médecine ou de pensée hippocratique27(*).

    Afin d'étudier les auteurs des traités, on reprendra la division effectuée par Jacques Jouanna.

    On n'étudiera pas ici les écoles de Cos et de Cnide dans le détail, cette étude étant réservée pour une autre partie de ce travail. On s'attachera à faire ressortir quelques traits marquants permettant d'attribuer à telle ou telle école chacun des traités.

    I.3.2. Les traités rattachés à l'Ecole de Cnide28(*)

    La plus ancienne attestation d'une littérature médicale cnidienne se trouve dans la collection hippocratique elle-même29(*). C'est dans le préambule du « Régimes dans les maladies aiguës » que l'on entend parler pour la première fois d'un ouvrage cnidien. Selon Galien30(*), « Régimes dans les maladies aiguës » aurait été écrit par Hippocrate lui-même. Il y voyait une polémique de ce dernier contre ses parents, les Asclépiades de Cnide31(*). Littré s'est rangé également à cet avis. Nous n'avons toujours pas la preuve que ce traité fut bien écrit par Hippocrate. On sait toutefois qu'il fait partie des traités les plus anciens de la Collection car il est déjà connu par Bacchéios.

    On trouve dans ces traités, une tradition médicale close, non orientée par l'expérience du médecin voyageur comme c'est le cas dans les « Epidémies »32(*). Les auteurs s'intéressent moins aux malades individuels qu'aux maladies codifiées et subdivisées en variété très subtiles. Ces maladies sont décrites comme des entités généralement indépendante du lieu, du moment, et même assez souvent de la nature du malade. Ces traités ne comportent pas non plus de réflexions générales sur la méthode et l'art médical. Mais la description des symptômes y est minutieuse et on y trouve, pour la première fois, dans l'histoire de la médecine, la description de l'auscultation. Ce groupe de traité représente une médecine plus traditionnelle que celle de Cos33(*).

    Cette position entraîne des reproches par l'auteur de « régime dans les maladies aiguës ». Il conteste :

    - l' insuffisance de l'observation des signes pour établir un véritable pronostic,

    - un dénombrement trop précis des maladies au point qu'à chaque symptôme différent correspond une nouvelle maladie34(*),

    - une thérapeutique sommaire privilégiant une médication à base d'évacuants, de lait ou de petit-lait et négligeant le régime35(*).

    Or plusieurs traités de la collection présentent des ressemblances avec ces caractéristiques. Par conséquent, il est possible d'y voir des traités cnidiens.

    C'est, par exemple, le cas de « Maladies » II et III ainsi qu' « Affections internes ». Comme les cnidiens, l'auteur discerne quatre ictères36(*), quatre maladies des reins, trois tétanos, trois phtisies37(*).

    On peut rattacher à ce groupe les traités gynécologiques qui présentent entre eux des rédactions parallèles : « Nature de la femme », « Maladies des femmes » I,II et des « Femmes stériles ». En effet, ils sont constitués d'une succession de plusieurs notices sur les différentes maladies. Ils sont rédigés suivant le même schéma comprenant trois parties fondamentales : la description des symptômes, le pronostic et la thérapeutique. Parfois s'y ajoutent des listes de remèdes38(*).

    I.3.3. Les traités rattachés à l'Ecole de Cos

    Le groupe des traités chirurgicaux sont traditionnellement rattachés à l'école de Cos39(*). Ils décrivent avec minutie les différentes plaies à la tête, les méthodes pour réduire les luxations. Ces oeuvres étaient destinées à la publication. A côté, on trouve des oeuvres telles que Officine du médecin qui devaient servir d'aide mémoire40(*).

    Par ce qu'ils sont issus de l'expérience des médecins qui ont voyagé et exercé dans différentes cités éloignées de leur pays d'origine, on verra dans la troisième partie de ce travail pourquoi cette caractéristique est typique de l'école de Cos, il est possible de rattacher le groupe des Epidémies dans lequel est noté, années après années, les maladies dominantes mises en relation avec le climat dans les différentes cités. De même, l'évolution des maladies est noté avec soin en mentionnant les jours pendant lesquels elles ont été observées. On y trouve également des propositions générales tirées de l'observation.

    L'étude de la terminologie permet de rattacher plusieurs autres traités, notamment celui des humeurs qui a des liens étroits avec ce groupe, et plus particulièrement avec le sous-groupe des « Epidémies II, IV, et VI » à l'école de Cos41(*).

    Le même raisonnement permet de rattacher « Airs, Eaux, Lieux » à ce groupe car le traité est destiné au médecin qui s'installe dans une ville nouvelle. Y est expliqué comment les différents climats peuvent avoir un impact sur les différents peuples :

    « Dans la cité qui est située face aux vents chauds - ce sont les vents qui soufflent entre le lever hivernal au soleil et son coucher hivernal- et qui reçoit habituellement ces vents, tandis qu'elle est à l'abri des vents venant des Ourses, dans cette cité il est nécessaire qu'il en soit ainsi : les eaux son abondantes, légèrement salées et proches de surface, chaudes en été mais froides en hiver ; les habitants ont la tête humide et phlegmatique, leurs cavités se dérangent souvent du fait que le phlegme descendant de la tête flue sur elles, leur constitution physique est généralement plutôt relâchée et ils ne sont pas capable de bien manger ni de bien boire ; car ceux qui ont la tête faible ne sauraient être capables de bien boire : l'ivresse les accable plus que les autres. Et quant aux maladies, voici celles qui sont locales : »

    En suivant le raisonnement de l'auteur de ce traité, on s'aperçoit que les croyances divines ne sont plus considérées comme étant la cause des maladies. Par conséquent, on peut intégrer dans ce groupe le traité « Maladie Sacrée », attaque virulente contre le charlatanisme où l'auteur soutient qu'il n'y a rien de plus sacrée dans les causes de cette maladie que dans celles des autres42(*).

    Restant dans le principe de l'aide aux médecins itinérants qui doit, quelles que soit les circonstances, savoir interpréter les signes pour connaître la maladie dont souffre le malade, on trouve le traité « Pronostic » qui traite des signes favorables ou défavorables dans le cas des maladies aiguës. Pour ce qui est de la thérapeutique à mettre en oeuvre, elle est l'objet de « régime dans les maladies aiguës »43(*).

    A l'ensemble des traités de Cos peuvent s'adjoindre des oeuvres dont la forme aphoristique a assuré une large diffusion du savoir hippocratique. Les Aphorismes dont le début contient la fameuse maxime « la vie est courte, l'art est long », est le traité qui fut le plus lu, cité, édité et commenté. Les « prénotions coaques », peuvent également y être rattachée44(*).

    Le Serment était vraisemblablement prêté, au sein de l'école médicale de Cos par les disciples liés par un contrat d'association et recevant l'enseignement moyennant salaire, à une époque où l'école médicale s'ouvrit aux membres extérieurs à la familles des Asclépiades45(*).

    I.3.4. Les traités indépendants

    Des traités indépendants de Cos ou de Cnide sont venus grossir la collection. Les plus important sont les traités à tendance philosophique46(*). Ils affirment, comme un préalable à la médecine, la nécessité d'une connaissance des éléments constitutifs de la nature humaine. Ces éléments premiers se confondent avec ceux de l'univers. Les deux grands traités à tendance philosophique non attestés dans la liste d'Erotien47(*) sont les « Chairs » et le « Régime ». Leur méthode est comparable mais leurs conceptions de l'homme et de l'univers sont différentes. Les « Chairs » part d'une cosmologie à trois éléments alors que « Régime » n'en retient que deux. Ces deux traités sont contemporains d'Hippocrate48(*).

    Plus récent est un autre traité à tendance philosophique, les traités « Semaines ». Il établit une correspondance entre l'homme microcosme et l'univers macrocosme et prétend vouloir tout expliquer par le nombre sept49(*).

    Contre cette médecine philosophique, des réactions avaient déjà été recensées. Un traité attribué à l'école de Cos, « Nature de l'homme » critique les philosophes qui considèrent que la nature humaine est constituée d'un élément unique que ce soit le feu ou l'eau.. Le suivant est « Ancienne médecine ». Son auteur dénonce les médecins qui veulent innover en expliquant les maladies par des postulats simplificateurs tels que le chaud, le froid, l'humide ou le sec. Il renverse les exigences de la médecine philosophique en affirmant que toute connaissance positive sur la nature humaine doit découler d'elle-même.

    Ces deux traités font apparaître la médecine comme science autonome dégagée de toute influence philosophique50(*).

    Certains traités, par leur connaissance anatomique sont postérieurs à Hippocrate51(*). C'est le cas du traité Coeur qui témoigne d'une connaissance inconnue à Hippocrate. Trois traités déontologiques, Bienséance, Préceptes, et Médecin prônent une éthique médicale dans le droit fil de l'idéal hippocratique : respect du malade et condamnation des charlatans52(*).

    Même si aucun classement ne peut rendre compte du corpus, celui-ci permet de voir sa formation dont le noyau le plus ancien est issu d'Hippocrate et de ses disciples. Si le derniers est hétérogène, les deux premiers sont plus homogènes même si on ne peut pas dire avec certitude que tel ou tel traité provient bien de Cos ou de Cnide.53(*)

    Après avoir examiné le problème de la constitution du corpus, de l'auteur, il est nécessaire d'étudier les principales théories de cette Collection afin de comprendre pourquoi elle a marqué durablement la médecine occidentale.

    II. L'APPORT DU CORPUS A LA MEDECINE

    Qu'est ce que le corpus a apporté de nouveau aux théories médicales de l'Antiquité ?

    Trois éléments font de l'oeuvre hippocratique, un tournant dans la science médicale. Tout d'abord, sortant des sentiers tracés par les philosophes monistes, émergea la théorie des humeurs qui expliquait le fonctionnement du corps humain. De plus, les maladies furent désormais considérées comme des phénomènes naturels. Enfin, l'oeuvre attacha une grande importance au diagnostic.

    II.1. La théorie des humeurs

    « le corps de l'homme a en lui sang, pituite, bile jaune et noire ; c'est là ce qui en constitue la nature et ce qui y crée la maladie et la santé. »

    La doctrine des humeurs eut probablement son origine dans l'observation de la physiologie humaine mais fut fortement colorée par la philosophie54(*) dont les représentants s'intéressèrent aux fonctionnements du corps humain. Selon Anaximandre,55(*) le corps de l'homme était composé d'éléments opposés dont il ne cernait pas encore le fonctionnement. Les penseurs qui lui succédèrent aboutirent à la conclusion que l'homme était fait de quatre éléments, la terre, l'air, l'eau et le feu. Toutefois, ils n'étaient pas unanimes en ce qui concernait le nombre d'éléments présent dans le corps56(*). Selon Alcméon de Croton57(*), il y aurait un nombre indéfini d'éléments dans le corps de l'homme.58(*)

    Beaucoup de penseurs, plus philosophes que médecins considéraient que les principaux composants opposés dans l'homme étaient le feu, l'air, l'eau et la terre59(*).

    A cette théorie de composants air, eau, feu, terre, succéda la théorie selon laquelle le chaud, le froid, l'humide et le sec étaient des pouvoirs de seconde importance. Le corps avait des éléments essentiels qui agissaient aussi bien sur la santé que sur la température. Or, si le corps est composé d'humeurs opposées, si la santé dépend d'un mélange harmonieux, la maladie doit dépendre de la primauté de l'un sur les autres60(*). On retrouve cette théorie dans le traité hippocratique Ancienne médecine qui retrace l'histoire de la médecine.

    Les deux maladies les plus communes dans la Grèce ancienne étaient la pneumonie et la malaria. Elles suggéraient que les principales de ces quatre humeurs étaient le phlegme, la bile noire et jaune ainsi que le sang61(*).

    Cette doctrine admettait plusieurs interprétations : Peltron d'Aegina considérait que les maladies étaient dues à un régime défectueux62(*) : la bile était le résultat, non la cause de la maladie. Hippon pensait qu'une quantité convenable d'humidité était la raison de la santé, Philolaus que la maladie était due à la bile, au phlegme et au sang, Menecrates que le corps était composé de bile jaune, de phlegme, de sang et de bile noire63(*).

    La Collection hippocratique montre la même diversité d'opinion. « Maladies IV » donne quatre humeurs, la bile jaune, le phlegme, le sang et la bile noire. « Affections I » attribue toutes les maladies à la bile et au phlegme tout comme « Airs, Eaux, Lieux » et « Epidémies I. »64(*).

    Malgré ces différences, se distingue un principe commun : la santé est un harmonieux mélange des éléments constituants le corps 65(*).

    Le traité qui en fit le plus clairement état, Ancienne Médecine semble avoir été écrit par différents auteurs66(*). On l'attribua, d'une part à Polybe, d'autre part à Hippocrate. Le principal intérêt de ce texte résidait dans l'établissement d'une doctrine sur la constitution du corps qui remet en cause celle établie par les philosophes monistes.67(*) Pour l'auteur, il existe en l'homme quatre humeurs, analogue dans leurs fonctions et leur exécutions68(*).

    Selon les médecins hippocratiques, même si ces humeurs étaient toujours présentes dans le corps, leur augmentation et leur diminution variaient en fonction des saisons69(*). Le phlegme dominait en hiver, le sang au printemps, la bile jaune en été et la bile noire en automne.

    Par conséquent, ces réflexions amenaient à la conclusion que les causes des maladies étaient liées aux lois de la nature et non aux dieux. C'est l'objet de notre seconde sous partie.

    II.2. Toutes les maladies ont des causes naturelles : la recherche d'une méthode et le divorce médecine/philosophie

    Ce sont les physiologoi70(*) qui, les premiers ont attribué à une cause physique les phénomènes naturels et l'absence d'intervention des divinités dans ce processus.71(*)

    L'une des principales batailles que les médecins hippocratiques eurent à mener fut de faire accepter que la maladie puisse être un phénomène naturel, effet de causes naturelles72(*). Les milésiens73(*) avaient rejeté l'idée d'intervention divine dans des domaines tel que la météorologie et l'astronomie ; les médecins en firent autant en médecine. Le traité « Maladie sacrée » fournit une information précieuse pour illustrer comment les médecins entendaient réfuter les croyances magico religieuses74(*). Les premiers mots du traités sont les suivants :

    « sur la maladie dite sacrée, voici ce qu'il en est. Elle ne me paraît nullement plus divine que les autres maladies ni plus sacrée, mais de même que toutes les autres maladies ont une origine naturelle à partir de laquelle elles naissent, cette maladie a une origine naturelle et une cause déclenchante. Les hommes, cependant, croient qu'elle est une oeuvre divine du fait de leur incompétence et de leur étonnement devant une maladie qui ne leur paraît nullement semblable aux autres. »

    Il comparait ceux qui, les premiers, prirent cette maladie pour une maladie sacrée avec « les magiciens, purificateurs et charlatans ». Ces personnages se rendirent d'abord coupable de malhonnêteté : appeler sacrée cette maladie, n'était qu'un moyen de cacher leur ignorance sur celle-ci. Ils prescrivaient une méthode de traitement qui comportait le recours aux incantations et la prohibition de certains types d'aliments et de vêtements.

    Bien que l'on puisse relever quelques traces de superstition dans les écrits hippocratiques, la majorité des médecins étaient d'accord avec l'auteur du traité « Maladie sacrée » pour rejeter l'idée que les maladies pouvaient avoir pour causes des agents surnaturels75(*).

    Toutefois, la variété des vues sur la causes des maladies était importante. On pouvait aussi bien considérer que les maladies avaient une origine unique tout comme que l'existence de deux symptômes différents engendrait deux maladies différentes.

    Les traités qui s'attachèrent à ce problème furent des morceaux de bravoure, destinées à des exhibitions d'art oratoire. Par exemple, l'auteur du traité « Des souffles » énumérait des maladies banales, en faisant remarquer que chacune d'elles avaient un rapport avec le souffle ou l'air puis déclarait triomphalement qu'il avait ainsi démontré que l'air était la cause de toutes les maladies. Plusieurs auteurs avaient ainsi des remarques intéressantes à présenter, notamment sur le concept de cause. Ainsi l'auteur de Ancienne médecine mettait en garde contre le fait de confondre la maladie avec ce qui ne faisait que coïncider avec elle. Le traité Régime dans les maladies aiguës, remarque que les mêmes symptômes peuvent admettre des explications très différentes.

    C'est ici que la philosophie, très présente dans le corpus, devait divorcer de la médecine. En effet, selon l'auteur de Ancienne médecine, il ne convenait pas d'importer dans la médecine les méthodes des philosophes. Il condamnait ceux qui appuyaient leurs théories sur des postulats tel que le chaud, le froid, le sec ou l'humide. La première critique était qu'elles rétrécissaient le principe des causes de la maladies. Selon lui le traitement n'était pas une affaire de chance, il demandait de l'habileté76(*).

    Cela revenait à affirmer qu'une théorie scientifique devait nécessairement être contrôlable. On n'étudiera pas les rapports entre la philosophie et la médecine dans le détail, car, même si l'histoire de la médecine est un point important de notre étude, l'objectif de ce travail est de mieux connaître les parthenoi grecques.

    L'auteur de Ancienne médecine laisse quelques recommandations méthodologiques. Ses théories sur l'origine des maladies sont plus complexes que celles sur le « chaud » et le « froid » mais tout aussi arbitraires car il existe, selon lui dans le corps, beaucoup de chose différentes ayant une grande variété de pouvoir ou d'effets. Or, dans le chapitre 1, il considère qu'une théorie ne doit pas se fonder sur des présuppositions arbitraires et qu'elle doit être susceptible de vérification.

    De même dans Nature de l'homme, l'auteur critique ceux qui considèrent que l'homme est composé d'air, de feu, d'eau ou de terre chacun ajoutant à son explication des faits et des preuves qui se réduisent à rien. Mais lui, énonce les constituants de l'homme, soit les quatre humeurs. En quoi son argument est-il plus recevable que celui des autres ? Le sien réside dans l'utilisation de certaines drogues pour évacuer ou purger le flegme et les deux sortes de bile, preuve de leur présence mais ne permettant pas d'établir ce que, selon lui, elles permettent de démontrer.

    Les traités Ancienne médecine et Nature de l'homme opposent tous deux une résistance à l'invasion de la médecine par les idées et par les méthodes de la philosophie. Ils rejettent les spéculations arbitraires, et soulignent la nécessité d'apporter des preuves en faveur de toute théorie générale.

    L'intérêt de ces traités consiste en ce qu'il manifestent une conscience grandissante à l'égard de la méthode et les thèses qu'ils présentent sont le reflet d'une importante différence d'attitude entre les médecins et les philosophes. Toutefois, renoncer aux postulats « invérifiables » aurait signifié l'abandon total de toute recherche théorique77(*).

    On n'insistera pas plus sur la théorie des humeurs car, bien que présente dans un grand nombre de traités, qu'elle ait bénéficié d'un rayonnement prolongé, certainement grâce à Galien, sur la médecine et sur la conception de l'homme, c'est ce qu'il y a de plus périmé dans l'héritage hippocratique78(*).

    Conscient de la difficulté qu'il y avait à pénétrer dans ce monde de l'invisible qu'est l'intérieur du corps, les médecins tentèrent de guider et de justifier leur reconstruction des phénomènes internes invisibles par analogie avec les phénomènes visibles à l'extérieur.

    Abordons maintenant le dernier apport du corpus à la médecine, le pronostic, dans son importance pour le médecin puis dans ses caractéristiques.

    II.3. Du pronostic

    II.3.1.Du coté du médecin

    Selon G.E.R. Lloyd, il est possible que le pronostic, formellement reconnu comme un moyen de convaincre les patients d'accepter un traitement, ait été vu comme une forme de divination79(*). Le début du traité Pronostic en fournit un bon exemple :

    « Pour un médecin, à mon avis, ce qu'il y a de mieux c'est de savoir pratiquer le pronostic. Prévoyant et prédisant, auprès des malades, le présent, le passé et l'avenir de leurs maladies, et expliquant ce qu'ils omettent, il leur persuadera qu'il connaît mieux qu'un autre les affaires des malades, si bien que les gens oseront s'en remettre au médecin. Quant au traitement, il le mènera de la meilleure façon, sachant d'avance ce qui arrivera d'après les affections présentes,[...] De la sorte le médecin sera admiré à juste titre et il sera un bon médecin. En effet, ceux dont la guérison est possible, il sera plus capable de les préserver du péril, en se précautionnant de plus loin contre chaque accident ; et, prévoyant et prédisant quels sont ceux qui doivent périr ou réchapper, il sera exempt de blâme. »

    Le pronostic porte sur le passé, le présent et le futur. Cette vision se comprend dans le cadre du contexte de concurrence dans lequel évolue les médecins hippocratiques80(*). Les devins, pour guérir les hommes des maladies, semble s'être appuyés sur le passé, le présent et le futur. On peut en trouver un exemple au début de l'Iliade, lorsqu'une pestilence s'abat sur l'armée d'Agamemnon qui assiège Troie. Calchas, devin, explique comment le mal peut être éloigné de l'armée.

    «  Et voici que se lève Calchas, fils de Thestor, de beaucoup le meilleur des devins, qui connaît le présent, le futur, le passé[...] Ce n'est pas pour un voeu, une hécatombe omise, qu'ici se plaint le dieu. C'est pour son prêtre, à qui Agamemnon a fait affront naguère, en refusant de délivrer sa fille et d'agréer une rançon. Voilà pourquoi l'Archer vous a octroyé des souffrances et vous en octroiera encore. Des Danaens il n'écartera pas le fléau outrageux, avant qu'ils n'aient à son père rendu la vierge aux yeux vifs, sans marché, sans rançon, et mené à Chrysé une sainte hécatombe. Ce jour là seulement, nous le pourrons apaiser et convaincre. »81(*)

    Entre les attributs que l'on donnait à Calchas et ceux du médecin décrit pas Pronostic, la coïncidence est remarquable. On peut donc dire que le pronostic ressemble à une prophétie, puisque que la connaissance porte sur le passé, le présent et l'avenir. La différence réside dans le fait qu'il tire son origine, non pas des signes envoyés par les dieux mais des symptômes de l'état du malade82(*).

    La prévision de l'avenir reste ce qui intéresse le malade. Mais le médecin considère comme un beau succès de pouvoir annoncer le passé, et le présent en retrouvant les maux qu'il a pressenti83(*).

    Ainsi, le médecin hippocratique, en découvrant le passé, le présent et l'évolution de la maladie, se rapproche du devin bien que sa technique afin de fonder sa prédiction, la méthode rationnelle, soit différente. Toutefois, pour l'homme du peuple qui a pu, au théâtre, voir des médecins mythiques ou des dieux médecins84(*), la parole du médecin humain énonçant un pronostic peut devenir, dans son esprit, une parole prophétique suscitant étonnement et admiration85(*).

    Cet état de fait a été compris par nombre de médecins qui ont tenté de s'imposer avec des diagnostics spectaculaires. Ainsi l'auteur du Prorrhétique II :

    « Un malade paraît condamné à son médecin traitant et aux autres personnes ; mais un autre médecin survient et déclare que le malade ne périra pas, mais qu'il deviendra aveugle ; ou auprès d'un autre malade qui paraît être au plus mal, il survient et prédit que l'homme se relèvera mais qu'il sera estropié d'un bras ; ou bien chez un autre malade qui ne semble pas devoir en réchapper, il déclare qu'il guérira mais que ces doigts de pied vont noircir et tomber en pourriture. »

    De telles pratiques sont condamnées par le médecin auteur du Prorrhétique II :

    «Pour moi, (dit l'auteur du Prorrhétique II), je ne ferai point de telles divinations ; mais j'écris les signes par lesquels on doit conjecturer ceux des malades qui guériront, et ceux qui mourront, ceux qui guériront en peu de temps ou en beaucoup de temps, et de même pour ceux qui mourront. »

    Toutefois, l'auteur admet qu'il est possible d'en faire si elles reposaient sur le savoir médical :

    « Il faut prédire en ayant une parfaite connaissance de tout cela, quand on désire faire de telles prédictions théâtrales. »

    On retrouve ici l'esprit qui dominait dans le corpus, ne pas faire plus de mal que nécessaire. Si les procédés qui suscitent l'étonnement ne vont pas à l'encontre du malade et de l'exigence de l'art, il est possible de les utiliser.

    Ce que le médecin recherche dans son pronostic, c'est la justesse et la rapidité car elles restent le meilleur moyen d'asseoir une réputation86(*). L'idéal est un verdict rapide permettant de calmer la famille et de devancer les rivaux.

    Ce type de point de vue entraîne, quelquefois, des pronostics à distance. On en retrouve la trace dans le traité Plaies de la tête :

    «  Voilà ce qu'il faut dire après avoir examiné de loin, sans toucher l'homme »

    Examiner à distance un malade peut permettre au médecin de décider si le malade était curable ou non. Toutefois, la non intervention semble être restée exceptionnelle, le Corpus ne nous en laissant que deux traces, l'une pour une affection du poumon87(*),

    «  Dans ce cas, si désormais les cheveux tombent et que la tête soit désormais dénudée et si, lorsqu'il crache sur des charbons, les matières glaireuses dégagent une odeur forte, prédisez qu'il mourra dans un bref délai...Dans ce cas, ne traitez pas le malade. »

    l'autre une maladie des femmes, la formation d'une môle.

    « Autant que possible, ne pas traiter un tel cas ; et si on le traite, avertir »

    Ailleurs, même en cas de maladie mortelle, un traitement est indiqué88(*).

    Néanmoins, il existe d'autres témoignages qui font part d'un refus de soigner si le malade ne peut se prêter activement au traitement89(*). A l'époque d'Hippocrate, cette position faisait déjà débat. On reproche aux médecins de ne soigner que des maladies qui se guérissent sans aide extérieure tandis qu'ils refusent de soigner celles dont la connaissance de la médecine est nécessaire. Même si cette position peut paraître scandaleuse, il faut se rappeler que le médecin hippocratique évolue dans une période où la médecine s'érige en science et que ces critiques sont, par conséquent, plus dictées dans le but d'attaquer la médecine rationnelle que pour le bien être des malades90(*).

    A :

    « Si l'art existait vraiment, il faudrait soigner toutes les maladies sans distinctions. »

    l'auteur de l'Art répond :

    « Exiger que l'art ait la puissance dans les domaines qui ne relèvent pas de l'art, ou la nature dans des domaines qui ne relèvent pas de la nature, c'est être ignorant d'une ignorance qui tient plus de la folie que de l'absence de savoir. »

    Selon lui, le fait de ne soigner que des malades curables relèvent de la définition même de la médecine :

    « je vais définir, ce qu'est selon moi la médecine. C'est délivrer complètement les malades de leurs souffrances ou émousser la violence des maladies, et ne pas traiter les malades qui sont vaincus par la maladie. »

    On retrouve cette vision dans République de Platon qui considère que ce raisonnement vaut pour toutes les sciences :

    « Les hommes de l'art experts, par exemple le pilote et le médecin éminents, savent faire la distinction dans leur art entre l'impossible et le possible, et entreprennent le possible mais laissent l'impossible. »

    Mais, la position des médecins hippocratiques sur le curable et l'incurable peut varier :

    « De tel cas, dira-t-on, sont extérieurs à la médecine ; à quoi bon, dès lors, porter encore sa connaissance sur les affections devenues désormais incurable ? Mais il s'en faut de beaucoup qu'on doive raisonner ainsi. C'est au même domaine de la réflexion qu'appartient aussi le fait de les connaître ; car il n'est pas possible de les séparer des autres. En effet, pour les affections curables, on doit faire en sorte qu'elles ne deviennent pas incurable, en connaissant quelle est la meilleure voie pour les empêcher de passer à la catégorie de l'incurable ; quant aux affections incurables, on doit les connaître, afin de ne pas causer des dommages inutiles. »

    Derrière ces inquiétudes concernant le patient, s'en dessine une autre, concernant le médecin lui-même. L'auteur de Fractures le rappelle :

    « Il faut autant que possible échapper à de tels cas, si l'on possède une échappatoire honorable. Les chances de salut sont rares tandis que les dangers sont nombreux. Si on ne fait pas la réduction, on peut passer pour un ignorant de l'Art ; et si on la fait, on peut amener le blessé plus près de la mort que du salut. »

    On voit ici la fragilité de la profession de médecin, prisonnier du jugement du public. En refusant de soigner le malade, ne nuit-il pas à sa réputation ? Au moment où aucune loi, au sens moderne du terme, ne peut l'inquiéter, c'est l'existence d'une censure sociale qui retient parfois la main du médecin. Toutefois, rappelons que, si parfois le médecin se dérobe, c'est souvent plus par égard à l'adresse du malade que pour sauver sa réputation91(*).

    II.2.2. Caractéristique du pronostic

    Toujours dans le souci de voir les maladies comme des choses naturelles, les médecins hippocratiques considèrent que des observations méthodiques et détaillées sont nécessaires pour connaître celle dont était affectée le patient92(*).

    C'est particulièrement visible chez l'auteur du Pronostic qui s'intéresse aux maladies aiguës, c'est à dire celles qui s'accompagnent d'une forte fièvre, telle que la pneumonie ou la malaria. Il est nécessaire d'examiner le visage en prenant garde à la texture et à la couleur de la peau. Les yeux ont également une importance particulière :

    « En effet, s'ils évitent l'éclat de la lumière, ou s'ils larmoient sans cause normale,... si le blanc de l'oeil est livide, ou si l'on y remarque la présence de veinules sombres, ou si les yeux sont chassieux, si leurs mouvements sont désordonnés, s'ils sont saillants, ou au contraire enfoncés profondément,... tous ces symptômes doivent être considérés comme de mauvais signes annonciateurs de la mort. »

    Le médecin doit aussi se renseigner sur la façon dont le patient a dormi, sur ses intestins, sur son appétit ; il doit prendre en note la posture du malade, sa respiration, la température de sa tête, de ses mains, de ses pieds ; plusieurs chapitres à part sont consacrés à l'art d'interpréter les symptômes que l'on peut relever dans les selles, l'urine, la matière vomies ou expectorées.

    C'est grâce à ce type de théorie que le Corpus a laissé sa marque dans l'histoire de la médecine. Mais la diversité des auteurs a très vite été oubliée pour ne laisser qu'à Hippocrate le prestige de ce recueil. On terminera cette étude sur la globalité du corpus par le rayonnement que ce dernier a eu sur les vingt derniers siècles.

    III. LA POSTERITE DU CORPUS HIPPOCRATIQUE.

    On abordera simultanément la période classique jusqu' à Galien, puis de Galien jusqu'à l'Antiquité tardive, le Moyen Age pour terminer avec la période moderne. Pour cette partie, on se réfèrera au chapitre du même nom dans l'ouvrage de Jacques Jouanna, La maladie sacrée, paru aux Belles Lettres.

    III.1. De l'époque classique à Galien

    Platon et Aristote témoignent du renom d'Hippocrate. Malgré les progrès en anatomie qui périment nombre d'affirmations du Corpus, son prestige ne s'est pas démenti.

    Dès l'époque hellénistique, Hippocrate est devenu un objet d'étude classique : c'est de cette époque que datent les travaux d'érudition, réalisés à Alexandrie. Ces ouvrages étaient déjà rares ou introuvables à l'époque de Galien, et rien de la production des III et IIème siècle avant Jésus-Christ ne nous est parvenue si ce n'est sous forme de brève citation dans des travaux ultérieurs.

    Cette époque est également celle de nouvelles éditions du Corpus mais dont il ne nous reste rien.

    Parmi les écoles médicales de l'époque hellénistique et romaine93(*), certaines, comme l'école dogmatique94(*) ou empirique95(*), revendiquent le patronage d'Hippocrate, tandis que d'autres, telle que l'école méthodique, s'en éloignent96(*). L'école pneumatique, pour sa part, réserve un témoignage étonnant : Arétée de Cappadoce, manifeste jusque dans son langage l'influence d'Hippocrate : il écrit en ionien et remet au goût du jour des termes rares non usité depuis le Corpus hippocratique.

    L'influence d'Hippocrate s'étend également aux auteurs littéraires tel que Cicéron et Sénèque. Ceux-ci le considèrent comme le plus illustre représentant de la médecine97(*). Le corpus fait d'ores et déjà partie du patrimoine culturel.

    III.2. Galien et l'Antiquité tardive

    C'est au IIème siècle que les études hippocratiques atteignent leur apogée, avec Galien, qui accorde, dans ses oeuvres médicales, une part importante à son modèle, Hippocrate. Il revient, durant toute sa carrière, sur l'oeuvre hippocratique et rédige les commentaires des traités importants98(*) dont il orientera l'interprétation durant plusieurs siècles. Il produit plusieurs ouvrages sur différents points des doctrines hippocratiques auxquelles il donne une conception personnelle. C'est avec lui qu'Hippocrate prend les traits du médecin idéal, afin, dans l'esprit de Galien, de montrer les défauts des médecins de son temps, corrompus par la cupidité et la volupté. La personnalité de Galien, praticien, théoricien, philologue, philosophe imprime sa marque à l'héritage hippocratique et en modifie profondément la lecture. En effet, après Galien, considéré comme l'aboutissement du savoir antique, la médecine ne crée plus mais compile et réorganise les connaissances accumulées. C'est l'époque des grandes encyclopédies telle celle d'Oribase, médecin de l'empereur Julien au IVème siècle, d'Aetius, au VIème siècle, de Paul d'Egine, au VIIème siècle. Si le corpus hippocratique reste présent dans les ouvrages, c'est Galien qui occupe la première place.

    De même, dans l'enseignement médical : l'école d'Alexandrie inscrit à son programme d'étude plusieurs traité hippocratiques, dont quatre, Aphorismes, Pronostic, Régime des maladies aiguës et Airs, eaux, lieux, figurent dans le canon alexandrin, fondement des études médicales, contre seize pour Galien. A côté de ces ouvrages imposés, d'autres étaient étudiés tels que : Nature de l'homme, Nature de l'enfant, Humeurs, Aliment, Articulations, Fractures, Epidémies, Maladies des femmes. Tous étaient commentés par les professeurs, à la fois philosophes et médecins mais s'il existait, pour les ouvrages au programme, un commentaire de Galien, les travaux des professeurs d'Alexandrie portaient plus sur le commentaire de Galien que sur les textes hippocratiques.

    III.3. Le temps des traductions

    A partir du V-VIème siècle, des traductions latines anonymes ont été élaborées en Italie, à l'intention de ceux qui ne maîtrisaient pas le grec. Les traductions se distinguent par leur fidélité à l'original.

    Au même moment, l'Orient traduit à son tour massivement des ouvrages grecs, essentiellement philosophiques et scientifiques. Dès le VIème siècle, une douzaine de traités hippocratiques sont traduits en syriaque par Serge de Res'ayna, mais ne laissent aucune trace. Les premières traductions conservées sont datées du IXème siècle, élaborées dans le cadre de la maison de la sagesse. Le texte est souvent traduit en syriaque puis en arabe. On retrouve ici l'influence de Galien car sont traduits ceux qu'il a commentés et la traduction ne reprend, souvent, que ses commentaires. On peut qualifier cet hippocratisme à l'oriental d'hippocratisme galénique. Les savants arabes, à leur tour, s'emparent de ces textes mis à leur disposition pour rédiger des commentaires.

    Le XIème siècle marque une étape décisive dans l'histoire du Corpus. En effet, les traductions arabes faites au IXème siècle arrivent en Occident où elles sont retraduites en latin, notamment par Constantin l'Africain, ce qui donne un nouvel essor aux études médicales dans le monde occidental. A Salerne, apparaît une école qui appuie son enseignement sur ce nouveau corpus de traductions qu'elle imposera comme la « vulgate » du texte hippocratique durant plusieurs siècle. Réduit aux Aphorismes, Pronostic, Régime des maladies aiguës, l'ensemble s'étoffe et entre dans le recueil de l'Articella, corpus de textes qui figurent au programme des études médicales des premières grandes universités du Moyen Âge, que sont Montpellier, Bologne, et Paris. A leur tour, ces traductions donnent matière à des commentaires rédigés par les professeurs de médecine dans leur enseignement. Face aux pesanteurs de la traduction universitaire, d'autres traductions, réalisées à partir du grec, ne parviennent pas à s'imposer malgré leur grandes précisions : L'Articella, imprimée en 1473 règnera jusqu'en 1525, année où Calvus publie la première traduction latine de l'ensemble du corpus faite sur le modèle grec hippocratique et non galénique. La parutions en 1526, de la première édition grecque chez les Aldes, par Jean-François d'Asola, marque le début d'une nouvelle époque : à la scolastique du Moyen-Âge succèdent les travaux des philologues, traducteurs et éditeurs, qui se poursuivent encore.

    III.4. Les temps modernes

    Dégagés du filtre galénique, grâce à l'imprimerie, accessibles à tous les savants, les textes hippocratiques continuent à nourrir la réflexion des modernes, en particulier certains traités comme Aphorisme ou Airs, eaux, lieux.

    Chez les médecins se développe un courant de retour à Hippocrate qui dure jusqu'au XVIIIème siècle, et qui recherche dans l'oeuvre hippocratique des enseignements utiles ou des modèles d'observations cliniques. Guilllaume de Baillou (XVIème siècle), l'Anglais Thomas Sydenham (1624-1689) en sont les meilleurs représentants avec le Hollandais Boerhaave (1668-1738), et Philippe Pinel (1745-1826) ou encore Laennec, au XIXème siècle. Mais c'est aussi au nom d'Hippocrate qu'on combat certains progrès, comme la circulation sanguine de Harvey. Les partisans de Galien et d'Hippocrate s'opposent vivement et montrent à quel point l'héritage des deux médecins de l'Antiquité est encore vivant. Il faut attendre la XIXème siècle pour que les progrès de la médecine rendent caduques les théories de l'Antiquité. Désormais, c'est par sa profondeur humaine qu'on lit le Corpus hippocratique, l'un des témoignages de l'éveil de l'esprit scientifique en Grèce.

    Ce qui rend le Corpus précieux, c'est que, non seulement il nous renseigne sur l'étendue des connaissances d'une certaine médecine mais également sur le climat dans lequel évoluait les médecins du Vème siècle. On peut, grâce à lui, suivre les débats sur la reconnaissance de la médecine comme art, ou sur l'histoire des croyances médicales. A ce titre, on trouvera dans le second chapitre l'analyse du traité Maladie sacrée mais également celle de ceux qui nous renseignent sur la vision qu'un médecin pouvait avoir du corps d'une femme, notamment l'ensemble Maladie des femmes ainsi que le traité Maladie des jeunes filles.

    Chapitre II

    PRESENTATION DES TRAITES UTILES A CETTE ETUDE

    Voyons maintenant les traités qui nous ont été utiles. O verra, dans un premier temps, Maladie sacrée. Ce qui suit s'appuie sur les travaux de Jacques Jouanna. Puis on abordera Maladie des jeunes filles en examinera la question de l'auteur et du contenu. On fera de même pour l'ensemble Maladie des femmes.

    I. MALADIE SACREE

    Le traité Maladie sacrée est le premier témoignage conservé où la médecine rationnelle s'oppose à la médecine magico-religieuse.

    Le corpus hippocratique contient des traités oraux. Maladie sacrée semble en être un. On peut diviser les oraux en deux sous-sections, celle des cours et des discours99(*). Dans un premier temps, on s'attachera à déterminer de quelle section relève le traité Maladie Sacrée, puis, on étudiera le contenu du traité, enfin, on abordera le problème de la date et de l'auteur du traité.

    I.1. Fond et forme

    Au regard du texte, il semble que celui-ci était lu. En effet, tous les termes employés pour faire référence à l'oeuvre appartient au champ lexical du mot « dire »100(*). Pour souligner ces affirmations, bien que n'apportant rien à la démonstration, l'auteur utilise le verbe déclaratif à la première personne du singulier.

    « D'autre part, je vois des gens tomber dans la folie et le délire sans aucune cause apparente et accomplir bien des actes inconvenants, et je sais que dans le sommeil bien des gens gémissent et crient [...] A mon avis, ceux qui, les premiers, ont attribué un caractère sacrée à cette maladie étaient des gens comparable à ce que sont aujourd'hui encore mages, purificateurs, mendiants et charlatans [...] Mais je crois, pour ma part, qu'aucun des Lybiens qui habitent à l'intérieur des terres [...] Dans ces conditions, à mon avis, tous ceux entreprennent de soigner de cette façon [...]  »Cependant je n'etime pas, pour ma part[...] Voilà à mon avis, ce qu'il en est des purifications »

    La façon dont l'auteur fait participer le public conforte cette thèse. Enfin, il utilise le même champ lexical pour parler de ses opposants101(*).

    Le traité fait donc partie des oeuvres orales, reste à savoir s'il s'agit d'un cours ou d'un discours.

    Les différences entre ces deux catégories se retrouvent d'abord dans la durée de l'exposé : le discours est bref (vingt huit à trente minutes) tandis que le cours couvre une heure dix à une heure trente102(*). Lors de ces conférences, le but de l'orateur est d'être clair103(*).

    Seconde différence, le début et la fin de l'exposé oral. Pour entamer le sujet, la phrase est courte, sans rhétorique : « sur la maladie dite sacrée, voici ce qu'il en est. »104(*)Comparons avec le traité Art, considéré par Jacques Jouanna comme appartenant à la catégorie des discours.

    « Il y a des gens qui se font un art de décrier les arts , alors qu'ils s'imaginent, eux, non pas obtenir le résultat que je dis, mais faire montre de leur propre savoir. A mon avis, pourtant, découvrir une chose parmi celles qui n'ont pas été trouvées, et qui, une fois trouvée, vaille mieux que si elle n'avait pas été découverte, c'est l'ambition et l'oeuvre de l'intelligence, comme aussi accomplir jusqu'à son terme ce qui était à moitié accompli. Au contraire, s'évertuer, par un art des discours qui n'ont rien d'honorable, à discréditer ce qui a été trouvé par les autres, sans apporter aucune amélioration, mais en calomniant les découvertes de ceux qui savent auprès de ceux qui ne savent pas, ce n'est plus, à ce qu'il me semble, l'ambition et l'oeuvre de l'intelligence ; c'est au contraire un indice fâcheux sur le naturel plutôt qu'une ignorance de l'art. »

    Les phrases sont longues et il est peu probable que la clarté fut le but recherché par cet auteur.

    De même pour la fin de l'exposé. Les cours se terminent par une brève phrase de conclusion très générale. Toutes les théories du Vème siècle considèrent que la conclusion d'un discours doit rappeler chacun des point du sujet105(*) C'est le cas dans le traité de l'Art.

    L'introduction, la conclusion et la durée de l'exposé semble indiqué que le traité « Maladie Sacrée » est à classer dans la catégorie des cours. Cette impression est renforcée par le souci de démonstration et d'enseignement106(*). En effet, l'auteur promet de montrer et d'enseigner. On peut donc en conclure que le public auquel il s'adresse est composé d'élèves. Cette hypothèse permet d'expliquer pourquoi l'auteur décrit avec tant de minutie le système sanguin et l'orientation de sa conclusion vers les conseils au médecin sur ce qu'il doit savoir pour traiter le malade.

    Examinons à présent sur le contenu du traité Maladie sacrée

    I.2. Contenu

    L'une des notions fondamentales que sous-tend tend la critique adressée aux purificateurs dans le traité est la notion de cause107(*). Beaucoup d'écrits médicaux attestent d'une réflexion sur la nature de la causalité. On voit l'importance des critiques concernant les croyance traditionnelles en revenant sur des arguments utilisées par l'auteur de Maladie sacrée contre ses adversaires. Si on prescrivait certaines choses, on était en contradiction avec l'idée que la maladie provenait des dieux. Pour l'auteur, c'est ce qui était régulièrement associé à la maladie qui devait être tenu pour responsable108(*). Certes, les purificateurs pourraient dire qu'une cause divine s'ajoute aux causes physiques. Néanmoins, plus on établit des liens visibles et réguliers entre causes et effets physiques, plus il est facile au médecin qui juge bon de soutenir qu'il n'est pas nécessaire ni justifié de faire appel à d'autres facteurs pour expliquer les maladies109(*).

    Bien que le titre ne rappelle que la première partie du traité, celui-ci en compte deux 110(*). Selon G.E.R. Lloyd111(*), le but du traité serait de démontrer que la maladie dite sacrée n'était pas plus sacrée que les autres, de dénoncer ceux qui prétendaient la guérir par des purifications, des charmes. Contrairement à Hippocrate, les croyances magico-religieuses considéraient que l'apparition d'une crise était liée à la possession du corps de l'être humain par un dieu112(*). Puis, il montre que le cerveau est le siège de la pensée et que l'épilepsie lui est due113(*). L'étude qui suit s'attachera donc à respecter cette division du texte. On verra dans un premier temps la critique que fait l'auteur de ceux qu'ils considèrent comme des « charlatans » et qui concerne le chapitre un de la traduction d'Emile Littré, puis l'exposé des causes qui, selon lui, sont à l'origine de la maladie. On reprend, pour la première partie, l'analyse faite par Jacques Jouanna, dans son ouvrage consacré à la maladie sacrée114(*).

    L'idée de base du traité est que la maladie dite sacrée n'est pas différente des autres et donc pas plus sacrée. Comme les autres, ses causes sont d'origines naturelles. On retrouve cette affirmation aux grandes articulations du traité, notamment entre la partie polémique et la partie positive au chapitre deux de l'édition de Jacques Jouanna :

    « Quant à la maladie dont il s'agit ici, elle ne me paraît pas plus divine que le reste, mais elle a la nature qu'ont les autres maladies, et la cause dont chacune dérive. »

    L'auteur voit deux raisons expliquant le caractère divin de la maladie, l'incompétence et l'étonnement.

    S'ensuit un développement sur l'incompétence de ses adversaires qu'il accuse de tromperie, d'imposture, d'incohérence et d'impiété. Il critique tous les purificateurs et toutes les conceptions attribuant la maladie sacrée ou d'autres à une intervention divine qui concéderait aux purifications rituelles une influence quelconque sur les phénomènes naturels115(*). Sont ainsi mis en cause tous les praticiens et toutes les croyances en général. La divinité de la maladie, selon l'auteur, est un moyen de cacher leur ignorance. Par conséquent, ils prescrivent un traitement en rapport avec le divin (purification, incantation, interdit alimentaire et vestimentaire). Si le malade guérit, alors le mérite leur en revient, si tel n'est pas le cas, c'était le souhait de la divinité et l'on ne peut rien faire. L'examen critique de cette thérapeutique par les interdictions et les purifications conduit l'auteur à contester le bien-fondé de l'une de leurs interdictions. En effet, il est nécessaire de se tenir éloigné des chèvres, animaux considérés comme épileptiques. Toutefois, les libyens de l'intérieur sont en bonne santé alors qu'ils sont en contact avec des chèvres. Il met également leur action en contradiction avec leur parole : si l'on met en place des interdictions de type alimentaire, cela signifie que la maladie est causée par le régime, non par la divinité. Ainsi, les purifications sont inutiles. Même les purifications prescrites à cause du caractère sacré de la maladie se révèlent n'être que des pratiques humaines car si les purifications écartent le mal par transfert, rien n'empêche que l'on puisse le provoquer.

    A ce moment, on assiste à un élargissement de la polémique. Certes la critique de l'origine divine demeure mais on bascule vers une critique de la conception du divin car les pratiques magiques reviennent à vouloir soumettre la puissance du divin et par conséquent il devient possible de les accuser d'impiété.

    La fin de la polémique porte sur la thérapeutique par les purifications dont l'auteur montre le caractère impie. En effet, les purifications sont inappropriées car elles prétendent nettoyer une souillure. Or, il n'y a rien de plus sacrée que la divinité.

    Dans la seconde partie du traité, l'auteur nous donne son point de vue sur la maladie, qu'il considère comme supérieur à celui des guérisseurs Toutefois, force est de constater que son explication est tout aussi surprenante. En effet, les vents seraient à l'origine des crises, et sa façon de guérir l'épilepsie ne semble pas plus soulager les malades que les remèdes des guérisseurs116(*). Toutefois, l'auteur, et c'est ce qui le différencie des guérisseurs, fit un effort pour fournir des données observables. C'est certainement l'une des raisons qui lui fait vouloir pratiquer l'autopsie, idée exceptionnelle dans l'Antiquité. Sans doute ne l'a-t-il jamais pratiquée mais il est intéressant de voir ce qu'il omet et ce qu'il inclut dans le but d'établir que la maladie était due à des causes naturelles. Toutefois, il ne pensa pas vérifier la description des veines, description qui aurait pu être vérifiée par l'observation. Ce texte montre que l'auteur a pensé à étayer ses théories en faisant appel à ce qu'on pouvait observer mais également que ses investigations furent les résultats d'une recherche délibérée117(*).

    De plus, l'auteur considère comme un postulat que la nature était uniforme alors que celle-ci fait encore débat118(*).

    La seconde partie du traité concerne la conception de la maladie selon l'auteur. Le développement qui suit s'appuie sur un extrait d'un article d'Oswei TEMKIN119(*) dans lequel il explique, chapitre par chapitre le traité.

    Puisque la première partie a permis de conclure que la maladie dite sacrée n'avait pas pour cause la volonté d'un dieu, c'est que la cause de cette maladie est naturelle et par conséquent curable. Selon l'auteur, l'épilepsie serait héréditaire et toucherait surtout les individus au tempérament phlegmatique. L'agent responsable de la crise serait le cerveau, qui, en l'absence d'une purge correcte pendant la grossesse, génèrerait des crises. Afin de comprendre cette thèse, l'auteur fait une description du système de vaisseaux sanguins qui relie toutes les parties du corps au cerveau.

    Les origines du mal doivent être cherchées dès le stade embryonnaire. En effet, le cerveau se purge. Si la purge n'est pas effectuée, le sujet devient phlegmatique et risque la maladie si le phlegme n'est pas purgé après la naissance sous forme d'écoulement. A ce moment, le flux de phlegme descendant du cerveau cause des troubles divers suivant le trajet qu'il emprunte et peut se porter sur le coeur, les poumons ou le ventre. S'il descend dans les deux gros vaisseaux du foie et de la rate, le malade risque la crise d'épilepsie. L'auteur énumère les symptômes et les reprend pour les expliquer. La cause générale en est le refroidissement du sang par le phlegme qui entraîne des perturbations du mouvement de l'air. De même, il examine l'incidence de l'âge sur la manifestation et l'issue de la maladie dans la perspective du pronostic. Même chose pour les causes déclenchantes. Chez les adultes épileptiques dès l'enfance, la cause de la crise réside dans le changement des vents.

    Ce traité est important pour l'histoire des idées biologiques. C'est la première fois que la pensée est dans le cerveau et non dans le coeur ou le diaphragme120(*).

    Toutefois, sans rien enlever à la valeur du texte, on peut rappeler les faiblesses de l'argumentaire. L'auteur rejetait toute explication de la maladie par des causes divines et cherchait des arguments dans l'observation. Mais, par des vérifications simples, ces théories auraient pu être ébranlées. La notion d'uniformité de la nature était un postulat, pas une théorie qu'il chercherait à démontrer121(*) ; la distinction entre les praticiens est peu claire, les connaissances anatomiques sont peu précises et fantaisistes. A l'inverse, le point fort du texte se retrouve dans l'efficacité pratique. Il faut savoir qu'après le Vème siècle, la médecine des temples a continué à prospérer et à même connu une véritable expansion122(*).

    Bien que l'unité de l'auteur ne soit plus remise en question, tel ne fut pas le cas au début du vingtième siècle. On va donc aborder les débats qui ont entouré la désignation d'un auteur à ce traité ainsi que le problème de sa datation.

    I.3. Date et auteur

    I.3.1. Comment dater le traité ?

    On dispose de rares témoignages sur ce texte123(*), toutefois son existence était déjà avérée à l'époque hellénistique124(*). Il faisait déjà partie de la Collection hippocratique vers 200 avant Jésus-Christ puisque cité par Bacchéios de Tanagra, puis par Erotien, contemporain de Néron125(*) qui le considère comme écrit par Hippocrate lui-même. Galien126(*) le mentionne également. Il reste trois témoignages faisant références au traité127(*) : une dans le traité Sur les maladies aiguës et chroniques, une citation sur le régime chez le médecin latin Caelius Aurelianus128(*) et un référence à la curabilité de la maladie chez Paul de Nicée, médecin byzantin. Les historiens129(*) s'accordent pour le dater du Vème ou IVème siècle avant Jésus-Christ comme le traité Airs, eaux, lieux considéré comme écrit par le même auteur130(*). Voyons maintenant le débat lié à l'auteur du traité.

    I.3.2. Dualité ou unicité de l'auteur du traité ?

    Au début du vingtième siècle, Wilamowitz, dans son article sur Maladie Sacrée émet une hypothèse selon laquelle le développement sur le cerveau aurait été ajouté. Toutefois, il considère que les deux parties sont du même auteur mais qu'elles ont été réunies par insertions de l'une ou de l'autre.

    Regenbogen, va plus loin131(*). Selon lui, le développement sur le cerveau n'est pas du même auteur que le reste et serait un ajout d'un auteur plus récent. Pour étayer sa thèse, il s'appuie sur des différences dans le contenu, notamment l'anatomie des vaisseaux sanguins, qui dans le corps du traité, parviennent au cerveau alors qu'au chapitre 17, les vaisseaux parviennent au coeur. Regenbogen y voit un moyen de distinguer deux auteurs de deux époques différentes, l'un se rattachant à l'ancienne conception d'un système de vaisseaux accordant la prééminence au cerveau et remontant à Alcméon de Crotone, l'autre accordant la prééminence au coeur et dérivant d'Empédocle.

    S'y ajoutent des différences dans la langue et le vocabulaire, toutefois, Regenbogen reconnaît qu'elles ne sont pas significatives si elles sont prises séparément132(*).

    La majeure partie des érudits du début du vingtième siècle ont réagi et on soutenu le parti d'un auteur unique133(*). Le développement sur le cerveau a permit d'élargir et d'approfondir ce qu'il avait dit de l'importance du cerveau pour expliquer la maladie sacrée.

    Examinons maintenant le deuxième traité fort utile à notre argumentaire, Maladies des jeunes filles ainsi que, brièvement, l'ensemble Maladies des femmes.

    II. LE TRAITE MALADIES DES JEUNES FILLES

    II.1. L'auteur : hypothèse

    Selon Emile Littré, dans les arguments qui précèdent chaque traduction des traités d'Hippocrate, l'auteur de Des maladies des jeunes filles, serait le même que celui de Maladies des femmes. En effet, ce traité est cité deux fois dans le premier livre Maladies des femmes.

    « Il est certain que l'auteur des livres sur les Maladies des femmes avait composé un traité sur les maladies des jeunes filles ; car il cite deux fois ce traité dans le premier livre.[...] Mais de ce traité nous n'avons qu'un très court fragment134(*) »

    On a vu plus haut que, selon Jacques Jouanna, différentes écoles avaient apporté leurs contributions au corpus hippocratique. Je me suis donc demandée de qui pouvait provenir ce traité, au regard de la classification établie par Jacques Jouanna et ce que la connaissance de son identité pouvait nous apporter pour la compréhension du texte.

    Jacques Jouanna fait une distinction entre l'Ecole de Cos et l'Ecole de Cnide. Avec celle-ci, on resterait, dit-il, dans le corridor de la science135(*). On sait que, dans Maladies des femmes, le thèse d'un utérus vagabond est défendue. Par conséquent, ne serait-il pas possible de rattacher Des maladies des jeunes filles à l'école de Cnide ? Il ne s'agit ici que d'une supposition. Toutefois, sachant que Maladies des femmes y est rattaché, cette hypothèse n'est pas trop fantaisiste.

    Une phrase, qui pourrait nous renseigner sur l'auteur, m'interpelle. L'auteur explique ce que les femmes font quand, suite à une attaque de la maladie sacrée, elles retrouvent la raison :

    « Elles consacrent à Diane beaucoup d'objets136(*) »

    Il n'est pas possible de considérer que ce traité date de l'époque romaine pour les raisons que l'on a déjà exposé. Toutefois, on sait que les écoles de médecine se sont, à une période de leur histoire, ouvertes aux étrangers. On sait également que, de part leur prestige des étrangers de Grande Grèce y ont suivi les enseignements proposés137(*). Deux possibilités peuvent expliquer l'utilisation de Diane et non d'Artémis, son équivalent grec : soit, Emile Littré a fait une erreur dans la traduction, soit l'auteur venait de Grande Grèce. Je penche bien évidemment pour la seconde hypothèse.

    II.2. Contenu

    Un problème se pose lors de l'étude de ce traité : il est nécessaire de savoir que nous n'en n'avons qu'un fragment. Voici ce qu'il nous en reste ;

    Dans un premier temps, l'auteur explique ce qu'il entend par la médecine.

    « Car il n'est pas possible de connaître la nature des maladies, objet des recherches de l'art, si l'on ne connaît pas la nature à son indivision, à ce début d'où elle se développe138(*). »

    On retrouve ici la vision hippocratique : toute chose à une cause naturelle. L'auteur n'aurait certainement pas éprouvé le besoin de rappeler ce postulat si nous n'étions pas en pleine période de découverte de cette médecine. Il n'est donc pas possible de dater ce texte de l'époque romaine. On peut plutôt le situer aux alentours du Vème siècle, moment où la médecine s'érige en science.

    Puis, il expose les conséquences de la maladie dite sacrée et explique pourquoi les femmes y sont plus exposées que les hommes. Si elles sont plus touchées, c'est, dit-il à cause de leur naturel moins fort qui, ne leur permettant pas de lutter contre les visions d'horreur qu'engendrent la maladie, les pousse à se pendre. On abordera ce rapport étroit qu'entretient la femme avec la pendaison dans le titre trois de ce travail.

    Parmi les femmes, les jeunes filles non mariées y sont plus sensibles.

    « Quand vient l'époque du mariage, ne se mariant pas, éprouvent de préférence, à la première éruption des règles,c es accidents auxquels, auparavant elles n'étaient guère exposées139(*). »

    En effet, lors des premières règles, le sang s'écoule vers l'utérus pour atteindre l'orifice de sortie. Or si celui-ci est fermé, du fait de la présence, encore intact, de l'hymen, le sang remonte. La parthenos n'a pas les mêmes conditions de vie que les garçons, (pas d'activités physiques demandeuses d'énergie) le sang arrive en abondance causé par un trop plein de nourriture non utilisé. Ceci implique, pour les médecins hippocratiques, que la jeune fille a atteint sa taille d'adulte et est prête à tenir ce rôle. C'est certainement cette vision qui a fait dire aux Hippocratiques que la puberté se terminait au moment où la parthenos voyait l'apparition de ses règles.

    L'auteur explique ensuite pourquoi ces symptômes sont développés par les femmes :

    « la femme a le transport à cause de l'inflammation aïgue, l'envie de tuer à cause de la putridité, des craintes et des frayeurs à cause des ténèbres, le désir de s'étrangler à cause de la pression autour du coeur140(*) »

    critique le fait de consacrer des offrandes à Diane et recommande aux jeunes filles de se marier le plus tôt possible car les premiers rapports sexuels déchireront la membrane qui obstrue le passage.

    « Parmi les femmes mariées les femmes stériles y sont plus exposées141(*). »

    Ce qui revient à dire que, outre le sang, l'utérus à quelque rapport avec la maladie dite sacrée. Nous reviendrons sur ce point plus loin.

    III. MALADIES DES FEMMES

    L'intérêt des Hippocratiques pour les femmes est illustrée par le fait que, sur soixante traités conservés, dix leur font référence et ceux-ci constituent certainement les survivants d'un ensemble plus vaste. Hermann Grensemann argumente sur les ressemblances de vocabulaire, sur la théorie des humeurs, et sur le fait que ces traités ont été composés aux alentours de 450 avant Jésus-Christ. Certains chapitres auraient été ajoutés ensuite. Toutefois il est possible que certains remaniements aient eu lieu. Des considération de style, de vocabulaire suggèrent le remaniement des chapitres de Maladies des femmes stériles par au moins deux auteurs de la fin du cinquième siècle142(*). Les traités auraient été augmentés par un processus d'accumulation ou auraient été compilés et édités par l'auteur des dernières sections ou par le dernier éditeur. Dans tous les cas, ce recueil est l'oeuvre de différents auteurs et permet de voir que la gynécologie antique n'était pas, elle n'ont plus, unitaire. Il est vrai que les sections identifiées comme plus anciennes semblent avoir moins élaborées la théorie humorale et que les sections plus tardives sont en générale plus concernées par la théorie que par la thérapie, mais l'étude des différentes parties montre plus une complémentarité qu'une opposition. Ainsi, Maladies des femmes 1.1 décrit le processus de menstruation. Même s'il n'y a implicitement aucun écho à ceci dans les autres traités, la description des symptômes de la femme, des maladies qui la touche et des thérapies à entreprendre se retrouve à travers Nature de la femmes, Maladies des femmes 1-2 et Maladies des femmes stériles143(*).

    P11 : Le traité Nature des enfants semble suivre le traité Génération. La phrase finale Génération semble clairement indiquer que Nature des enfants est la continuité de Génération et donc du même auteur. Dans Génération, 4, l'auteur explique pourquoi la femme tombe malade quand ses règles sont supprimées. La référence apparaît être Maladies des femmes 1-2-5. De plus, l'auteur des dernières section de Maladies des femmes 1-2 et Maladies des femmes stériles se réfère au travail qu'il a écrit sous le nom de la Nature de l'enfant dans un contexte qui correspond au passage de Nature de l'enfant 21 et 30. Le même auteur dit qu'il a écrit un traité sur la maladie des jeunes filles dans lequel il traite du passage des règles à travers l'anus. On ne retrouve pas ce passage dans le traité De la maladie des jeunes filles mais on a toutes les raisons de croire que ce qui nous est parvenu n'est qu'un fragment du texte originel. Cependant la théorie avancée dans ce dernier traité est tout à fait compatible avec l'ensemble Maladies des femmes144(*).

    Superfétation et De l'excision du foetus traitent brièvement de ces deux seuls sujets. On a toutes les raisons de croire qu'ils ont été écrits par Polybe, gendre d'Hippocrate et qu'ils pourraient être datés de 400 avant Jésus-Christ. En effet, ils sont discordants sur plusieurs points sans toutefois être complètement étrangés à la tradition hippocratique. Au vue des ces différentes connections, la gynécologie hippocratique peut être considérée comme étant unitaire145(*).

    En plus des cet ensemble, les femmes sont abordées dans d'autres traités, les Epidémiques, compilation de cas auxquels les médecins furent confrontés146(*).

    Parmi les textes anciens qui m'ont servi d'appui, on trouve également Tthéogonie, Des travaux et des jours d'Hésiode ainsi que Economique de Xenophon. Toutefois, ne m'étant pas servi de ces textes dans leur intégralité mais n'ayant emprunté que quelques extraits, je développerai leur explication dans les différentes partie de ce mémoire.

    DEUXIEME PARTIE

    HISTORIOGRAPHIE

    POUR UNE APPROCHE RAPIDE DU SUJET

    Bien que chaque auteur de la bibliographie ai apporté sa pierre à l'édifice actuellement entre vos mains, il est possible d'avoir une solide vue d'ensemble sur le sujet à partir de treize ouvrages.

    L'Hippocrate de Jacques Jouanna, est une bonne entrée en matière.

    Dans un premier temps, Jacques Jouanna fait une distinction entre la part de légende qui entoure la vie d'Hippocrate et la réalité. Il consacre un développement à l'école de Cos dont Hippocrate a contribué à assurer la renommée. La célébrité d'Hippocrate l'ayant amené à être considéré comme l'auteur des traités du corpus hippocratique, Jacques Jouanna, s'attache à montrer le résultat des recherches sur les auteurs du corpus qui aboutissent à la conclusion qu'une vie n'aurait pas été suffisante pour qu'un seul homme l'écrive.

    Puis, Jacques Jouanna propose une approche de ce que pouvait être la vie d'un médecin à l'époque d'Hippocrate. La profession de médecin n'est pas réglementée par la cité et d'autres formes de médecine existent. L'auteur s'attache donc à montrer que le médecin doit avant tout convaincre du bien-fondé de ses soins. Ensuite, Jacques Jouanna brosse un tableau des règles que le médecin s'imposait, tant dans sa relation avec le malade qu'avec la maladie elle-même.

    La troisième partie de l'oeuvre est consacrée au contexte dans lequel naît la médecine dite hippocratique. Jacques Jouanna nous permet ici de connaître l'atmosphère du Vème siècle qui vit l'affrontement de croyances anciennes attribuant aux dieux les différents phénomènes naturels et celles des sciences émergentes telle que la médecine, la philosophie, l'épistémologie qui mettent l'homme au centre du monde et considèrent que toutes les choses sur terre ont une explication rationnelle.

    Enfin Jacques Jouanna conclut sur l'impact et l'importance que la médecine hippocratique a pu avoir dans l'Antiquité.

    Ce livre, outre le fait qu'il nous renseigne sur l'auteur auquel le corpus a été attribué, a le mérite d'élargir la problématique au-delà même du personnage d'Hippocrate en ce sens qu'il nous plonge dans le climat culturel du Vème siècle, sans lequel, peut-être, la médecine hippocratique n'aurait pas eu le rayonnement qu'on lui connaît.

    Le deuxième ouvrage essentiel est également à attribuer à Jacques Jouanna. Il s'agit de sa traduction du traité Maladie sacrée, qui est précédé d'une analyse du texte.

    L'auteur, dans un premier temps, propose une étude de la nature, du contenu et de l'unité de l'oeuvre. Il conclut que le traité appartient à la catégorie des cours, qu'il dénonce les charlatans qui prétendent que la maladie est à attribuer à un dieu et que seul le cerveau est responsable de celle-ci, et, enfin, qu'après les interrogations du début du vingtième siècle, le traité, dans son intégralité, a été écrit par un seul et même auteur.

    Dans un deuxième temps, l'auteur s'interroge sur le dénominatif de maladie sacrée. Il rappelle que durant le Vème et le IVème siècle avant Jésus-Christ, la maladie n'était pas connue sous le nom d'épilepsie. L'auteur du traité prend ses distances d'avec les devins qui considèrent cette maladie comme divine et leur attribue un blâme d'une rare violence dans la Collection. Même si Maladie sacrée n'est pas le seul traité dans lequel les croyances magico-religieuses sont mises en doute, il est le seul qui les condamne avec tant de violences.

    On retrouve ensuite la vision hippocratique de la maladie. Selon elle, les causes de cette maladies sont aussi naturelles que celles des autres et fonctionne de la même façon. Ainsi, si un bilieux donne naissance à un bilieux, un épileptique donne naissance à un épileptique. De plus, ce qui peut générer une crise est lié à une mauvaise purge du cerveau pendant la grossesse.L'auteur expose aussi les causes déclenchantes des crises, à savoir les changements brusques (de température, de vents).

    L'auteur nous convie ensuite au débat sur l'origine de la pensée, le coeur, le cerveau ou le diaphragme pour conclure que le cerveau en est à l'origine et que c'est l'air qui est à l'origine de la pensée.

    Enfin, Jacques Jouanna nous rappelle comment le traité est parvenu jusqu'à nous.

    Ce petit livre a l'avantage de procéder à l'analyse du traité, et, tout comme le premier livre cité, de replacer le texte dans le contexte de sa rédaction.

    Restant dans les différentes approches de la maladie sacrée, l'ouvrage d'Oswei Temkin, the Falling Sickness propose une histoire de l'épilepsie de l'Antiquité à nos jours. Pour la présente étude, il est nécessaire de lire les quatre vingt une premières pages car elles traitent de l'Antiquité.

    Dans un premier temps, l'auteur se penche sur le concept même de Maladie Sacrée. Il explique pourquoi l'épilepsie et plus sujette que d'autres maladies à la controverse. Selon lui, ce traité est révélateur des croyances du Vème siècle. Il explique ensuite que ce traité est représentatif de la vision des médecins de l'époque mais indique également quelles sont les causes, selon les devins, de la maladie et les moyens qu'ils utilisent afin de contrer la maladie. L'auteur établit une distinction subtile : selon lui, la médecine hippocratique ne s'est jamais opposée à la médecine des temples, médecine dite officielle, mais uniquement à la médecine magico-religieuse. Toutefois, bien que les auteurs hippocratiques considèrent que les causes de la maladie soient à rechercher dans la nature, certains considèrent que les pratiques magiques peuvent aider à la guérison.

    Enfin, l'auteur rappelle la place de l'épilepsie dans la science médicale antique et propose un historique des théories de la période classique (V-IVème siècle) à Galien ainsi que les remèdes permettant de la guérir.

    L'autre ouvrage permettant une approche du sujet est celui de Julie LASKARIS, the art is long, on the sacred disease.

    Dans une première partie, l'auteur rappelle quelle était la transmission du savoir médical et établit le rapport entre les guérisseurs et la religion.

    Puis, l'auteur fait une analyse linéaire du texte en rappelant ses différentes sections. Elle aborde ensuite la réception du texte par les contemporains d'Hippocrate auprès desquels le texte, ne semble pas avoir eu un impact lors de sa publication. Chez les modernes, certains considèrent que Maladie sacrée fut les prémisses de la médecine rationnelle. Pour d'autres, Maladie sacrée est le texte du corpus dans lequel il y a le plus de trace du divin. Julie Laskarsis considère que l'auteur du traité n'a pas une position si différente des devins qu'il considère comme des charlatans mais les devins ne cherchent pas à démontrer ce qu'ils énoncent.

    L'auteur rappelle ensuite les spécificités du texte, la définition d'une technique médicale, la marque des sophistes dans le texte et ce qui permet de soutenir cette idée (utilisation du je) avant d'étudier l'attaque de l'auteur contre ceux qu'il qualifie de charlatans.

    L'auteur termine son exposé sur l'aspect physiologique de la maladie sacrée.

    Lesley Ann Dean Jones, Women's Bodies in Classical Greek Science

    Dans un premier temps, l'auteur traite l'anatomie et la physiologie féminine. Partant de la construction culturelle pour chaque sexe dans les mythes grecs, elle enchaîne sur les différences entre les deux sexes chez les pré-socratiques, chez Hippocrate et Aristote en distinguant l'avant et l'après-puberté. S'ensuit un développement sur les menstrues que ce soit sur son évacuation, son accumulation, sa qualité, son tarissement lors de la ménopause.

    Puis, l'auteur s'intéresse à la pathologie féminine c'est-à-dire aux actions permettant le maintien de la santé, les maladies liées aux menstrues et à la vie sexuelle, les remèdes.

    Enfin, l'auteur examine le rôle de la femme dans la reproduction en analysant le rôle de l'homme ou la hiérarchie des rapports. Elle indique également l'intérêt que peut avoir le sang des menstrues pendant la grossesse qui, selon l'auteur, se transforme en lait.

    L'ouvrage suivant est celui d'Helen King, Reading the Female Body in Ancient Greece.

    L'auteur, dans un premier temps, étudie le rapport que la femme entretient avec son corps, et s'interroge sur le rapport entre l'utilisation du sang des menstrues dans les relations des femmes avec les divinités. Puis Helen King aborde le rapport entre Asclépios, dieu de la médecine et les femmes. Elle s'interroge ensuite sur ce que l'on peut qualifier de médecine et l'utilité qu'elle peut avoir pour les femmes. Enfin, elle consacre la dernière partie de son ouvrage à la question de la qualification hystérique qu'on a donné à certaines maladies, les débats autour d'elle afin de savoir si l'hystérie existait réellement aux yeux des Hippocratiques.

    Les travaux de Lydie Bodiou sont également à connaître. Dans un premier temps, sa thèse « Histoire du sang des femmes grecques : filles, femmes, mères » qui nous renseigne, dans la première partie sur la parthenos : elle y aborde un point très utile à notre étude pour expliquer la distance que l'on se doit de prendre entre les sources et ce qu'était le réel : le fait que le corps des femmes ne nous est transmis que par les médecins et que ceux-ci étaient des hommes dont les honoraires étaient payés par des hommes. Elle y explique le poids que les contraintes culturelles ont pu faire peser sur le jugement de certains médecins.

    Deux autres points me furent utiles, la description de l'utérus dans la partie concernant l'anatomie féminine et l'anthropomorphisme de la matrice qui reprend les maladies dont l'utérus est responsable.

    Ensuite, un article parus dans le recueil Au jardin des Hespérides intitulé « Désordres et malheur du corps féminin en Grèce antique ». Au nouveau, elle rappelle que le corps des femmes n'est connu que par le biais des médecins. Elle explique pourquoi les filles sont censées pouvoir tenir leur rôle bien plus tôt que les garçons, et les désordres féminins auxquels elles sont soumises lors de la menarchè ainsi que les remèdes apportés par les médecins hippocratiques. Elle montre ainsi comment la médecine légitime les comportements sociologiques des grecs. Enfin, elle aborde les problèmes que l'utérus peut causer à une femme, même une fois mariée car seul un utérus ouvert est nécessaire pour être en bonne santé. Or, pour que celui-ci le soit, il est nécessaire d'avoir des rapports sexuels. Si l'on est dans l'impossibilité de consulter la thèse de Lydie Bodiou cet, article en est un raccourci.

    Restant dans la période où la jeune fille va devenir femme, un articles paru dans les Annales A.E.S. mérite notre attention. Il s'agit de celui de Giulia Sissa « une virginité sans hymen : le corps féminin en Grèce classique » où est abordé le problème de la parthenia, souvent traduit par le mot virginité. En effet, certaines jeunes filles ont eu des enfants (visité par Zeus sous la forme d'une pluie dorée) alors que leur hymen était intact. Dans ces conditions, quel en est l'impact sur elle ? L'auteur explique qu'une fois la sexualité de la jeune fille dévoilée, elle est exclue du cercle des oikos et montre ainsi que la parthenia est une prise politique qui se monnaie entre le père et le futur époux

    Toujours aux Annales, on trouve l'article d'Aline Rousselle « Observation féminine et idéologie masculine : le corps de la femme d'après les médecins grecs ».

    A nouveau est abordé la question de l'accès au corps des femmes, ce que celles-ci ont pu apprendre aux hommes de leur propre anatomie, ce qu'elles ne leur ont pas dit et pourquoi l'anatomie féminine devait être connu du médecin grec. Toute maladie féminine étant un obstacle à la fécondation, il était nécessaire d'y remédier au plus vite. Ensuite l'auteur aborde le problème de la matrice. Inquiétante pour les médecins, indomptable pour les femmes, il est nécessaire de la connaître. Enfin, l'auteur donne le point de vue des médecins plus tardifs sur la question tel Aristote ou Galien.

    Un livre, concernant cette fois la première partie de notre titre IV me fut fort utile. Il s'agit des enfants d'Athéna, écrit par Nicole Loraux. Le chapitre 2 de cet ouvrage, intitulé « sur la race des femmes et quelques-unes de ses tribus » nous rappelle à quel point la femme est, pour l'homme, la plus grande des calamités. Elle explique d'où viennent ces créatures, qui les a façonnées, en quoi cela les installe dans un écart originel vis-à-vis des hommes. Puis, elle expose le point de vue d'un auteur, Sémonide d'Armogos, qui défait l'unité hésiodique pour faire de la femme, non pas une race mais dix.

    L'ouvrage de Jean-Pierre Vernant, L'univers, les dieux, les hommes, dans ses deux chapitres intitulés « Guerre des Dieux, royauté de Zeus » et « Le monde des humains » explique bien le mythe de Pandora et la séparation des hommes et des Dieux.

    Enfin, pour la dernière partie de notre travail, Histoire de l'hystérie d'Etienne Vrillat, dans son introduction ainsi que dans le premier chapitre nommé « Hystérie, utérus, l'Antiquité gréco-latine », nous rappelle que l'hystérie fut parfois confondue avec l'épilepsie ou maladie sacrée, que celle-ci était liée à l'utérus et ses divagations, que les croyances traditionnelles à son égard perdurèrent même à l'époque d'Hippocrate, à savoir que l'utérus est un petit animal vorace qui se déplace dans le corps des femmes et qu'il est à l'origine de la plupart des maux féminins.

    TROISIEME PARTIE

    LA NAISSANCE DE LA MEDECINE RATIONNELLE

    Pendant longtemps la médecine d'Orient, d'Occident, de l'Islam demeurèrent sous le rayonnement de la médecine grecque. Aujourd'hui, son esprit est toujours vivant. Mais, les débuts en restent mystérieux et obscurs. Or, les commencements sont d'une importance particulière car Hippocrate s'insère dans une tradition dont les premiers chaînons nous échappent. Avant d'être un initiateur, il fut un continuateur. C'est seulement plus tard que son oeuvre devint un point de départ et un modèle147(*). L'auteur de « Ancienne médecine » retrace l'histoire de son art. A l'origine, le but était de donner à l'homme un régime de vie adapté à ses besoins. La méthode médicale résidait dans l'idée de partir des faits et de rejeter toutes hypothèses ne s'appuyant pas sur eux. Par conséquent, on peut dire que l'habitude de l'observation n'était pas une conquête de l'époque classique mais le fruit d'une solide tradition148(*).

    Toutefois, la médecine hippocratique n'était pas la seule présente à l'époque classique, il nous faut également étudier les différents types de médecine que côtoyaient Hippocrate et ses contemporains. Enfin, on verra pourquoi le Vème siècle fut la période où l'on s'interrogea sur la médecine magico-religieuse.

    Chapitre I

    Hippocrate et le Vème siècle

    Avant d'aborder toute étude sur la médecine du Vème siècle, il nous faut consacrer une partie à celui qui est considéré comme le père de notre médecine149(*) : Hippocrate. On verra ensuite comment le savoir médical était transmis ainsi que la défense qui fut organisée pour celui-ci dans un contexte de concurrence entre les différentes médecines.

    I. HIPPOCRATE

    Faire des recherches sur l'histoire de la médecine au Vème siècle fait émerger un homme : Hippocrate. C'est sans doute le prestige dont il est auréolé qui nous a permis de sauvegarder les ouvrages du Vème siècle que la postérité lui a attribué150(*). Pour connaître la médecine de la période classique, on ne dispose, en effet, d'aucune autre source que le corpus hippocratique151(*). Sans la renommée d'Hippocrate, il est probable que ces écrits auraient disparu comme les restes des travaux de ses confrères152(*).

    Le problème des sources médicales du IVème et Vème siècle réside dans le fait que nous ne disposons que de fragments à partir desquels il nous faut restituer avec prudence et méfiance153(*) sans la garantie de ne commettre aucune erreur154(*).

    I.1. Les témoignages des auteurs anciens

    Bien des mythes entourent Hippocrate155(*). Sur l'île de Cos, on trouve, de nos jours, un platane sous lequel Hippocrate et ses disciples se seraient réunis. Or cet arbre est bien plus jeune qu'Hippocrate156(*). Les sources nous permettant de connaître le véritable Hippocrate sont littéraires157(*).

    Dans l'une de ses oeuvres de jeunesse, Protagoras, Platon158(*), choisit comme personnage un Athénien nommé Hippocrate. Socrate159(*) lui demande ce qu'il attend de l'enseignement de Protagoras160(*). Pour ce faire, il le fait réfléchir sur des exemples :

    « supposons que l'idée te fût venue d'aller trouver ton homonyme, Hippocrate de Cos l'Asclépiade, et de lui offrir de l'argent pour qu'il s'occupa de toi ; à quel titre cet Hippocrate recevrait-il ton argent ?_Je répondrais, dit-il, à titre de médecin. Et que voudrais-tu devenir toi-même ?_Médecin. »

    Cette oeuvre est écrite par Platon au début du IVème siècle mais le dialogue s'est déroulé plus tôt, aux alentours de 430161(*). Ainsi, on peut donc en conclure qu'Hippocrate est connu dès le Vème siècle pour son enseignement et qu'il est considéré comme le représentant de l'art médical. On retrouve des allusions à Hippocrate dans d'autres oeuvres de Platon tel que Phèdre, ou Politique :

    « On peut dire qu'Hippocrate est plus grand, non pas comme homme mais comme médecin, que quelque autre qui lui serait supérieur en taille »

    Ici, alors que le prénom Hippocrate est très répandu, on ne mentionne plus Hippocrate de Cos l'Asclépiade ce qui corrobore la thèse de sa célébrité162(*).

    On retrouve Hippocrate dans d'autres oeuvres tel les Thesmophories d'Aristophane163(*) et la Politique d'Aristote164(*).

    Ces témoignages attestent donc de l'existence historique d'Hippocrate, des lieux dans lesquels il vécut, la notoriété de son enseignement et sa réputation après sa mort.

    I.2. Hippocrate (460-375/351)

    Hippocrate naquit en 460 avant Jésus-Christ dans l'île de Cos au sein de la famille des Asclépiades165(*).Hippocrate en serait un descendant par Podalire, seul des deux fils d'Asclépios à avoir survécu à la guerre de Troie166(*). Ayant rencontré des difficultés pour revenir dans sa patrie, il s'installa sur les côtes de l'Asie Mineure, à Syrna. De cette cité, les descendants de Podalire partirent et se scindèrent en trois branches, celle de Cos, de Cnide et de Rhodes167(*) mais, selon Galien168(*), cette dernière disparut rapidement :

    « Double, dit-il, était cette famille des Asclépiades d'Asie, car la branche de Rhodes s'était éteinte169(*). »

    Né d'une famille doublement célèbre170(*), Hippocrate reçut sa formation de médecin par son grand-père Hippocrate et son père Héracleidas avant d'initier lui-même ses fils, Thessalos et Dracon ainsi que son gendre et disciple, Polybe. L'enseignement était oral et pratique. Toutefois, Hippocrate aurait pu recevoir également un enseignement écrit, son grand père étant peut être l'auteur d' ouvrage médicaux171(*).

    Hippocrate exerça d'abord sur l'île où il semblait déjà être célèbre. Deux exemples l'attestent : la cité d'Abdère172(*) aurait fait appel à lui pour soigner le philosophe Démocrite qui riait de tout et que les citoyens de la cité considéraient comme fou. De même, Artaxerxès 1er, roi de Perse demanda l'aide d'Hippocrate pour mettre fin à la pestilence qui régnait sur son armée. Hippocrate refusa au motif qu'il ne soignait pas les ennemis des cités grecques173(*).

    Parvenu à l'âge mur, Hippocrate et ses deux fils quittèrent Cos et laissèrent l'école à Polybe174(*). On a soutenu l'idée que ce départ était lié à l'incendie de la bibliothèque de Cnide dont ils auraient été les auteurs. Cette thèse, désormais, est considérée comme irrecevable car témoignant d'un courant de pensée anti-hippocratique175(*).

    Hippocrate parcourut la Grèce du Nord et la Thessalie où il sembla mener la vie d'un médecin itinérant176(*). Cette idée pourrait être corroborée par le traité Epidémies qui se compose de fiches individuelles pour chaque malade à l'intérieur desquelles était parfois précisées l'origine géographique des patients. Bien que Epidémies177(*) ne puisse être l'oeuvre d'un seul homme, le traité pourrait être le témoin de l'implantation des disciples d'Hippocrate178(*).

    La renommée d'Hippocrate durant cette période se confirme au travers de quelques exemples179(*). Le roi Perdiccas II dépérissait après la mort d'Alexandre 1er, son père. On fit appel au médecin de Cos afin d'établir un diagnostic. Celui-ci conclut que le roi était atteint d'une passion amoureuse pour l'une des courtisanes de son père. Contacté par les Illyriens et les Péoniens en proie à une pestilence, il aurait refusé de leur apporter son aide tout en soutirant des informations afin d'établir un remède et prévenir les cités grecques de cette maladie. Pour cette raison, on lui décerna récompenses et privilèges religieux.

    La célébrité d'Hippocrate s'étendit assez pour que Platon, son cadet de trente ans le cite, dans le Protagoras, comme l'équivalent, pour la médecine, de Polyclète et Phydias180(*) pour la sculpture181(*).

    Hippocrate, profitant de son prestige, envoya son fils Thessalos intercéder auprès d'Athènes peu après l'expédition de Sicile, alors que l'île, membre la confédération de Délos182(*), est la proie de pillage ennemi et souffre de l'impérialisme athénien183(*). Restant sans suite, Hippocrate se déplace lui-même pour demander l'aide des Thessaliens contre Athènes.

    Hippocrate mourut en Thessalie à Larissa, entre 375 et 351. La légende raconte que des abeilles ayant élu domicile sur sa tombe produisirent un miel aux vertus thérapeutiques184(*).

    Après sa mort, Hippocrate devint héros guérisseur. Un culte public lui est rendu sur l'île le jour de sa naissance185(*) et une monnaie de l'île de Cos est frappée à son effigie. Hippocrate devint même un guérisseur des âmes dans l'au-delà. On trouva dans une tombe d'un membre de la famille du médecin Marcos Démétrios ayant vécu au premier siècle après Jésus-Christ, une inscription sur le pilier qui devait servir de base au buste d'Hippocrate le début des Aphorismes modifié à des fins funéraires « la vie est courte » mais au lieu de la suite, « l'art est long » on trouve : « mais long est le temps que nous passons sous terre186(*). »

    II. La transmission du savoir médical

    On examinera la façon dont le savoir médical se transmettait, l'expansion de la médecine d'Hippocrate, le but des écoles médicales du Vème siècle pour finir sur la défense de l'art médical.

    II.1. Comment le savoir médical se transmettait-il ?

    L'enseignement se faisait au sein de la famille de père en fils187(*). La cité n'organisait pas l'enseignement et n'intervenait en rien dans l'autorisation de la pratique de la médecine.

    Comme on l'a déjà vu, la famille des Asclépiades ne dérogeait pas à la règle. Hippocrate enseigna à ses deux fils Thessalos, Dracon ainsi qu' à son gendre, l'art de la médecine. A leur tour, ils perpétuèrent la tradition.

    Mais Hippocrate transmit également son savoir à d'autres habitants de l'île appartenant à la famille des Asclépiades ainsi qu'à des disciples extérieurs à sa famille. Il a ainsi permis à son enseignement de se diffuser dans toute la Grèce. Pour Galien :

    « Avec le temps, dit Galien, il parut bon de transmettre l'art non seulement à ceux qui appartenaient à la famille mais aussi à ceux qui y étaient extérieurs...Ainsi donc l'art sortit de la famille des Asclépiades188(*). »

    Bien que nous ne sachions pas si ce point de vue date d'Hippocrate, c'est durant la période à laquelle vécut Hippocrate qu'elle prit de l'ampleur189(*) »

    En contrepartie de cette ouverture, le maître demandait des garanties à ses élèves. C'est cette idée qui est à l'origine du Serment.

    « Je jure par Apollon médecin, par Asclépios, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin, de remplir, selon ma capacité et mon jugement, ce serment et ce contrat ; de considérer d'abord mon maître en cet art à l'égal de mes propres parents ; de mettre à sa disposition des subsides et, s'il est dans le besoin, de lui transmettre une part de mes biens ; de considérer sa descendance à l'égal de mes frères, et de leur enseigner cet art, s'ils désirent l'apprendre, sans salaire ni contrat ; de transmettre les préceptes, les leçons orales et le reste de l'enseignement à mes fils, à ceux de mon maître et aux disciples liés par un contrat et un serment, suivant la loi médical, mais à nul autre. »

    Ce serment ne concernait pas les membres de la famille des Asclépiades, pour qui l'enseignement allait de soi190(*). Il était prononcé par le disciple au moment où il s'apprêtait à recevoir l'enseignement de son maître et avait peut être pour objet de préserver les intérêts et les privilèges de la famille détentrice du savoir médical.

    II.2. L'expansion du savoir médical

    Pourquoi l'ouverture se fit à ce moment précis ? Selon Galien, Hippocrate aurait décidé d'ouvrir à des étrangers son enseignement car le nombre des membres de la famille pouvant perpétuer le savoir médical devenait trop petit191(*). Il est possible que, suite à l'extinction de la branche des Asclépiades de Rhodes, Hippocrate souhaita prévenir cet évènement afin que la transmission du savoir médical ne soit pas interrompue192(*).

    De tous les disciples étrangers qui suivirent l'enseignement d'Hippocrate, c'est Polybe, son gendre, qui en resta le plus proche193(*). D'autres, tel que Syennésis194(*) attestèrent de la réputation d'Hippocrate.

    On examinera en premier lieu les caractéristiques des écoles de médecine en général, puis en étudiera l'école de Cnide pour terminer avec celle de Cos.

    II.2.1. Les caractéristiques générales des écoles médicales

    Pourquoi parler d'école ? Le nombre de disciple en justifiait l'utilisation.195(*) A l'époque classique, le terme école désignait un centre localisé dans une cité où un maître, dans le cadre d'une tradition familiale, dispensait son enseignement à ses fils et ses disciples196(*). Les écoles sont attachées à un lieu géographique. Le corpus nous permet de préciser certains aspects de leur vies. Sur le plan intellectuel, l'individu associait son effort de recherche à celui du groupe197(*).

    Une telle communauté impliquait une solidarité sur le plan social et humain. Ceci est réaffirmé par le serment :

    « Je jure par Apollon médecin, par Asclépios, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin, de remplir, selon ma capacité et mon jugement, ce serment et ce contrat ; de considérer d'abord mon maître en cet art à l'égal de mes propres parents ; de mettre à sa disposition des subsides et, s'il est dans le besoin, de lui transmettre une part de mes biens ; de considérer sa descendance à l'égal de mes frères, et de leur enseigner cet art, s'ils désirent l'apprendre, sans salaire ni contrat ; de transmettre les préceptes, les leçons orales et le reste de l'enseignement à mes fils, à ceux de mon maître et aux disciples liés par un contrat et un serment, suivant la loi médicale, mais à nul autre. »

    L'autre aspect qui se dégageait concernant les écoles dans le corpus était la scientificité de l'organisation de celles-ci. Ce n'était pas en vue de promouvoir et de défendre une conception de l'homme, de la santé, de la médecine, que ces hommes se réunissaient de père en fils, ce souci vint plus tard. Leur but était d'étudier ensemble le moyen de guérir en utilisant l'expérience des Anciens et en se fondant sur une observation directe et la plus large possible. Aussi ne constate-t-on jamais la présence d'école rivale originaire du même lieu198(*).

    Quel était l'idéal de ces écoles ? Montrer que guérir était un art véritable capable de s'enseigner et dont les résultats étaient valables. Ceci s'explique par les conditions du moment. Au Vème siècle, en Grèce, les techniques s'épanouissent. Etre un technicien, c'était être capable d'une certaine excellence, posséder un savoir faire commandé par la raison. C'était ce savoir que revendiquait les médecins199(*).

    Deux écoles se distinguaient : Cos et Cnide.

    Chaque école avait ses traditions propres200(*). Dans chacune, la transmission de l'art était locale et familiale. Chacune a eu ses personnalités, Hippocrate pour Cos, Euryphon201(*) pour Cnide. Par contre, il n'est pas certain que l'organisation de l'enseignement ait été similaire202(*). A Cnide, la production littéraire comportait des ouvrages collectifs tels que Sentences cnidiennes. L'équivalent ne semble pas exister à Cos203(*).

    Il est possible qu'il y ait eu concurrence entre les deux écoles. Galien nous en donne le témoignage,

    « Ceux qui ont reproché à Hippocrate de réduire la luxation de l'articulation de la hanche, en arguant que l'os ressortait aussitôt, sont en premier Ctésias de Cnide, son parent_de fait lui-même appartenait à la famille des Asclepiades_, et à la suite de Ctésias certains autres aussi. »

    mais la considère de bon aloi204(*).

    La question des centres a divisé les experts. Certains se sont interrogés sur l'existence des deux écoles. Au même moment, on découvre, à Delphes, une inscription sur les Asclépiades de Cos et de Cnide. Par conséquent,certains concluent qu'il existe une association entre les deux écoles, et qu'il n'y avait donc pas d'écoles distinctes205(*). D'autres ont considérés que l'école de Cos était une association professionnelle de médecins. Toutefois, selon Jacques Jouanna, ces thèses reflètent une confusion entre le plan familial et le plan professionnel. Le développement qui suit s'inspire de l'ouvrage de René Taton, La médecine ancienne et médiévale.

    II.2.2. La tendance empirique : l'école de Cnide

    C'est la plus ancienne (ces écrits sont antérieurs à celle de Cos) et la plus célèbre206(*). Elle présente des formes d'expérience et de pensée moins élaborée encore proche de la connaissance vulgaire. Et pourtant, la qualité des différentes observations, la hardiesse de certaines opérations frappent : Cnide est à l'origine de l'auscultation. Ceci montre une qualité d'observation que la tradition médicale ultérieure, loin de développer, ne sut pas toujours conserver puisque la pratique de l'auscultation est restée oubliée pendant deux mille ans.

    Les traités rattachés à Cnide montrent une grande précision. Des dispositifs expérimentaux sont systématiquement proposés pour illustrer les idées émises. La rigueur de la preuve fait cependant défaut puisqu'il ne s'agit habituellement que d'analogies grossières207(*). Toutefois, le souci de trouver des points des références concrets et de penser par soi-même sans recourir aux dieux est remarquable. La variété d'aspect de la recherche cnidienne ainsi que la qualité des résultats atteints apparaissent manifestes.

    Mais de graves insuffisances demeurent, notamment dans les descriptions, et les auteurs ne dégagent pas une véritable pensée médicale.

    L'autre particularité de Cnide réside dans sa médication. On retrouve une grande multiplicité de formules pour constituer des remèdes et de préparations servant à établir expérimentalement un pronostic208(*). Toutefois, les remèdes se groupent autour d'un petit nombre de types.

    En réalité, la masse de connaissance est constituée, non par l'observation personnelle et directe mais par l'apport d'une longue série de génération. Toutes les expériences ayant réussi plus ou moins ont été retenues, que le succès soit dû à une raison médicale ou à une heureuse coïncidence. On est proche d'un savoir encore empirique209(*) ; c'est en tâtonnant que le médecin le plus savant utilisera tel remède plutôt que tel autre. «Donne et expérimente » revient plusieurs fois. Cette phrase montre que l'on en est encore aux coups de sonde préliminaires, dont l'emploi est justifié par l'obligation de tenter quelque chose pour secourir le malade. On est encore au stade préscientifique mais les médecins de Cnide ne paraissent pas sentir le besoin de le dépasser. Même les tentatives d'explication expérimentale n'aboutissent à aucun résultat positif, quelque soit l'intérêt que ces tentatives présentent par elles-mêmes. L'échec de l'école de Cnide est liée au manque de liaison entre la pensée et l'expérience. Quand le médecin devient théoricien, sa pensée vagabonde et il reste empirique sur le plan de l'expérience. Cet empirisme foncier se manifeste jusque dans les interventions actives auprès des malades. Elles sont souvent hardies mais également brutales (pour les affection cérébrales, rhumatismales, ils préconisent comme traitement l'ivresse).

    II.2.3. La tendance rationnelle : l'école de Cos

    L'apport de l'Ecole de Cos est tel qu'il a paru nécessaire, à la différence de Cnide, d'opérer des sous-parties. On verra, en premier lieu, le rôle de l'observation, puis l'importance que revêt les sens dans cette école, le rôle de la réflexion qui aboutit à l'apparition de l'esprit scientifique pour finir sur le rayonnement de cette école grâce au départ d'Hippocrate pour la Thessalie.

    II.2.3.1. L'observation valable

    Avec Cnide, on sent encore le poids d'une tradition acceptée, alourdie d'apports variés et médiocre, on reste dans le vestibule de la science.

    L'école de Cos a aussi un très long passé d'observation, et atteindra un niveau bien supérieur dans les attitudes couramment prises. Hostile avec vivacité à toute spéculation étrangère, soucieuse de bien connaître les faits, c'est avec Cos que se fait la véritable promotion de l'expérience. Elle était utilisée depuis longtemps mais une manière rationnelle de conduire l'observation n'avait pas encore été découverte ni pratiquée par un ensemble d'hommes animés du même esprit.

    II.2.3.2. La promotion des sens

    Face à un malade, le médecin doit considérer ce qu'il est possible de voir toucher, entendre, ce qui est accessible par l'intermédiaire de la vue et du toucher, l'ouïe, le nez, la langue, la pensée considérée comme naturelle, partie intégrante de l' expérience et non surajoutée à elle.

    Il semble qu'il n'y ait pas de classement par catégorie de maladie comme à Cnide, mais un compte rendu direct d'observation personnelle. Nul médecine ne fut jamais plus reliée à une expérience directe et vivante. Toutefois, selon René Taton, cette observation est commode. En fait, la sensation est importante car elle est la mesure à laquelle il faut avoir recours dans les cas complexes, elle est un guide que rien ne peut remplacer car ce ne sont pas les calculs qui disent s'il faut ou non prescrire un bain. De plus, quand on ne disposait pas d'instrument pour connaître l'état du corps du patient, l'attention aux nuances de la connaissance sensible était nécessaire. Mais pour cela, le débutant recevait en accompagnant le praticien expérimenté une éducation spéciale qui, toutefois, ne supprimait pas tous les risques d'erreurs. La sensation les renseignait sur les signes distinctifs et les moments décisifs de la maladie. Toutefois, elle ne se sépare pas dans la perspective de Cos, d'un usage élevé de la raison.

    Avec Cnide, on observait les détails particuliers mais on aboutissait à des classifications arbitraires car le détail saisissant était recherché pour lui-même. A Cos, il s'agit de la connaissance d'un fait ordinairement difficile à percevoir qui ne prend de sens que par rapport à une pensée médicale.

    II.2.3.3. Rôle de la réflexion

    Dans les récits hippocratique, il est demandé de bien réfléchir sur les faits, d'observer l'action des patients et leur réaction. Cette intelligence des gestes est si importante qu'elle est demandée à des simples aides opérateurs.

    Le pronostic hippocratique est une pensée complexe se rapportant au devenir de la maladie et tenant compte d'une grand nombre de signes différents et changeants. La direction du traitement dans un maladie aiguë ne consiste pas en l'application automatique de règles rigides. L'important pour le médecin est de pratiquer uen médecine souple et intellectuelle avec quelques principes nés d'une réflexion sur l'expérience. Parce qu'elle est liée à l'expérience mobile, la pensée du médecin ne peut se reposer dans une sécurité paresseuse.

    Ici apparaît l'art médical qui suppose une attitude positive et rigoureuse sans se conformer toujours aux normes d'une certitude purement scientifique.

    II.2.3.4. Apparition de l'esprit scientifique

    On comprend pourquoi une médecine commandée par cette esprit possède une valeur scientifique et peut même atteindre, grâce à une largeur de ses horizons, à une sagesse d'un ordre encore supérieur. Au sens rigoureux du terme, les découvertes positives ne sont pas toujours facile à préciser car ces hommes étaient des cliniciens et le domaine de la maladie est plus ou moins mobile, impossible à fixer absolument. Au contraire, la qualité de l'esprit scientifique qui apparaît dans ces textes suscite l'admiration. Cette qualité se manifeste à propos de l'établissement des faits.

    On trouve ici le souci de se soumettre aux faits mais l'esprit critique doit s'exercer sur soi pour se prémunir contre les causes des erreurs. Ceci est rare dans l'Antiquité et entraîne chez les médecins de Cos une modestie constante. Ils ont toujours à l'esprit la grandeur de l'art, la difficulté d'un jugement droit. Pour cela, il rejette tous ce qui est ostentatoire : pour atteindre un but médical il faut utiliser les moyens les plus sobres ce qui leur fait refuser les grandes théories de la philosophie ambiante. Une règle doit diriger leurs actions : ne pas nuire.

    II.2.3.5. L'impact du départ d'Hippocrate pour la Thessalie210(*)

    L'arrivée d'Hippocrate en Grèce continentale a dû favoriser la diffusion de la médecine de Cos. En effet, en Thessalie, Hippocrate a dû former d'autres élèves211(*). La vie de médecin itinérant lui permis d'enrichir les observations cliniques. Les Epidémies en sont un bon exemple. Elles nous permettent de connaître l'influence des facteurs propres à chaque cité sur la santé des habitants que cela concerne les vents, la qualité des eaux, la nature du sol et le régime des habitants. Sans cette partie de la vie d'Hippocrate, un traité tel que Airs, Eaux, Lieux n'aurait certainement pas été réalisé212(*).

    A Cos, le départ d'Hippocrate, ne porta pas un coup d'arrêt à l'école. La continuité fut assuré par Polybe, son gendre. Ainsi, l'enseignement d'Hippocrate continua d'être dispensé. Jusqu'à l'époque hellénistique, l'école jouissait encore d'un certain prestige.Les cités continuèrent à faire appel aux médecins de cette île pour occuper la charge de médecin public213(*).

    Après deux mille cinq cent ans la doctrine hippocratique garde un intérêt historique et actuel. Même si elle n'exprime pas toute la réalité médicale, elle attire l'attention sur des idées qui restent fondées, elle peut servir à interpréter un certain nombre de fait. En comparaison, d'autres doctrines qui ont fleuri en ce domaine apparaissent comme des bizarreries de l'esprit humain. C'est avec Hippocrate que la médecine grecque apparaît sous sa vraie grandeur. Il refusait la spéculation pure. L'organisme est un ensemble complexe et un, la vraie sagesse consiste à aider l'activité naturelle, on est pas médecin si on est pas attentif à la vie du malade. De plus, la médecine exigeait, pour eux, un savoir universel, une forme élevée de culture214(*).

    Au IVème siècle, les grandes écoles perdent de leur cohésion. Des praticiens de haute valeur tel que Dioclès de Caryste, qui n'appartient à aucune école, apparaissent. Il est considéré comme le second Hippocrate. Une page se tourne. Les anciennes familles méditerranéennes disparaissent avec ce qu'elles représentaient pour les membres d'exigences sur le plan de la discipline intellectuelle et la rigueur morale. Des groupes d'un type nouveau surgiront, des écoles au sens moderne se substitueront à une communauté vivante et souple.215(*) L'école de Cos perd sa primauté au moment où les cités grecques laissent la place aux royaumes hellénistiques et à leurs capitales, Alexandrie et Pergame.216(*)

    Les savoir enseignés dans ces écoles, ont, au Vème siècle, été l'occasion de débat. S'érigeant en art, la médecine a dû faire face à ces détracteurs et élaborer sa technè.

    II.3. Défense et illustration de l'art médical

    II.3.1. La naissance d'un art

    Si la médecine est envisagée en tant qu'art, il n'est pas illégitime de parler de naissance.217(*)En effet, le Vème siècle est la période où la médecine se constitue une technè.218(*) Les médecins décrivent les maladies, prévoient l'évolution, énumèrent les remèdes mais s'interrogent également sur la finalité de leur art.219(*)

    Pour ce qui des procédés de l'art, il n'y a pas d'art médical sans méthode. Toutefois, les avis divergent sur ce qu'on appelle méthode. Certains posent des postulats nouveaux, d'autres s'inscrivent dans une tradition.

    La diversité des problèmes soulevés par les discussions sur l'art, la vivacité des polémiques ne se comprennent qu'à partir du moment où on les replace dans l'activité intellectuelle de la seconde partie du Vème siècle. En effet, sous l'impulsion des sophistes220(*), la réflexion sur l'homme devient le centre des préoccupations. L'homme découvre sa raison et soumet au questionnement sa raison. A ce moment, il définit les règles du savoir scientifique221(*). Ainsi, dans la seconde moitié du Vème siècle et au début du IVème siècle, des technai222(*) apparaissent.

    Au moment où naissent ces arts, on voit se lever les négateurs de la médecine et des technai en général qui contestent leurs acquis, leurs résultats et leur existence223(*).

    Les médecins sont dans l'obligation, face à leurs détracteurs de prendre la défense de leur discipline et, par conséquent, de définir les critères de leur art en en codifiant les règles224(*). Le corpus en garde quelques traces. Ainsi, le traité Maladie Sacrée. On est à une période où les sophistes exercent une influence sur la médecine. Dans le traité Maladie sacrée le débat est engagé contre ceux que l'auteur considère comme des charlatans. Il entend montrer à son auditoire la supériorité de sa médecine au regard de la leur. On peut dire que la médecine doit beaucoup aux débats des sophistes pour élaborer sa technè. En effet, ils demandent une certaine méthode qui influence les concepts en eux même225(*).

    Le traité de l'Art présente les arguments des détracteurs de la médecine qui considère que les guérisons des malades ne sont que coïncidence et relèvent du hasard. L'auteur répond par une défense de l'ensemble des arts. Il revient ensuite sur l'antithèse entre art et hasard. Il minimise le rôle de la chance dont il ne nie pas l'existence au profit des notions de maîtrise et de compétence226(*). Selon lui, le hasard relève de l'indifférencié et de l'indistinct alors que l'art repose sur des distinctions entre le correct et l'incorrect, le savoir et l'ignorance, la compétence et l'incompétence, le spécialiste et le profane. De plus, le hasard et le domaine du spontané alors que l'art relève de la causalité227(*). Ainsi, on voit dans la connaissance de la cause le critère distinctif entre profanes et hommes de l'art. Pour les hippocratiques, c'est la raison nécessaire pour mettre en place un traitement car seul la connaissance des causes permet de prévoir le cours de la maladie228(*).

    II.3.2. La finalité de l'art médical : la naissance d'une déontologie

    « avoir, dans les maladies, deux choses en vue : être utile ou du moins ne pas nuire229(*). »

    La médecine est l'art de l'oubli de soi et du dévouement. Le médecin est conscient de ses limites : mieux vaut ne pas intervenir que de risquer une aggravation de l'état du patient. Ainsi, certains médecins refusent de prendre en charge des cas désespérés et incurables. En effet, l'incurable est extérieur à l'art et ne relève pas de ses compétences. De plus une intervention ne ferait qu'ajouter des souffrances inutiles, l'issue étant inévitable. C'est donc dans l'intérêt des malades que les incurables sont abandonnés à leur sort230(*).

    Au regard des Epidémies, il semble que le médecin, à quelques exceptions près, soigne tous les malades avec la même attention. Le corpus ne fait pas mention comme Platon dans les Lois d'une répartition des tâches où le médecin libre ne soignerait que les libres tandis que les aides du médecins soigneraient les non libres. Il semble aussi sacrifier son avantage personnel financier à celui du malade au nom de l'amour des hommes231(*).

    C'est encore au nom de l'intérêt du patient que les hippocratiques s'élèvent contre le spectaculaire et le sensationnel dans le traitement. Ainsi, pour redresser une colonne vertébrale, au lieu d'utiliser la succussion par l'échelle232(*) Le médecin hippocratique refuse de se mettre en avant pour sa gloire personnelle et considère ses procédés comme indignes d'un vrai médecin.

    De plus, le médecin a des devoirs envers le malade. Il doit respecter des normes d'hygiènes telle que la taille des ongles ou des cheveux, durant ses visites aux malades, faire bonne impression et obtenir sa confiance, en aucun cas entrer dans une maison pour donner la mort sous toutes les formes que ce soit (poison, avortement) ou profiter de son rôle de médecin pour séduire un membre de la maisonnée.Enfin, il se doit d'être discret ce qui constitue peut être un prémisse au secret médical233(*).

    Il est par conséquent possible de dire que l'humanité caractérise les médecins hippocratiques, tant dans la douceur du traitement que dans l'attention portée aux malades.

    Chapitre II

    LA MEDECINE RATIONNELLE ET LES AUTRES FORMES DE MEDECINE

    Le Vème siècle en Grèce voit l'augmentation rapide de la demande de connaissance.234(*)Au IVème siècle, Aristote distingue trois types de personnes habilitées à traiter des sujets médicaux : le praticien ordinaire, le maître de l'art, l'homme qui avait étudié la médecine235(*).

    Ainsi l'auteur du traité Maladie Sacrée, n'est le représentant que d'une branche de la médecine grecque du IV-Vème siècle. Le corpus distingue différents types de médecins ; on dénombre des coupeurs de racines, des vendeurs de drogue, des sages femmes et des gymnastes236(*). On le voit, il n'existait pas d'équivalence de notre qualification médicale. Les accusations de charlatanisme étaient faciles à porter et difficile à réfuter. Il n'est donc pas étonnant que les auteurs hippocratiques apparaissent soucieux de montrer que leur médecine est la médecine véritable et qu'ils insistent sur la distinction profane/médecin et médecin/charlatans237(*). On retrouve donc en Grèce, trois types de médecine : la médecine rationnelle, la médecine religieuse et la médecine magique238(*). Toutefois, la pensée spéculative n'a pas été entièrement hostile à tous les aspects de l'irrationnel, on peut dire que le développement de la magie après l'époques des lumières qu'est le Vème siècle, à elle-même dépendu de la philosophie et de la science et qu'elle en a suivi le modèle. La médecine des temples pourrait devoir beaucoup à la médecine rationnelle239(*).

    I. La médecine rationnelle

    On retrouve dans la collection hippocratique le même esprit que dans l'oeuvre de Thucydide qui refuse d'expliquer la marche des évènements historiques par l'intervention des dieux dans les sociétés humaines. Bien que des résurgences de pensées archaïques soient présentes (la maladie est une force démoniaque), la pensée hippocratique refuse l'intervention divine pour expliquer les maladies et rejette la thérapeutique magique par incantations ou purification240(*).

    La médecine hippocratique apparaît comme une médecine laïque, rationnelle, exercée par des médecins qui soignent en prescrivant des remèdes, des régimes ou en pratiquant des interventions chirurgicales241(*).

    Pour l'auteur hippocratique, ce sont les causes naturelles qui sont à l'origine des maladies et plus particulièrement un flux d'humeurs froides provoqué par les changements de vent. Par conséquent, le traitement doit être naturel, par les contraires qu'il oppose242(*).

    Selon l'auteur, il faut chercher les causes dans l'histoire de la famille du malade, dès avant la naissance et au cours de sa vie243(*).Toutefois, cette histoire s'inscrit dans des processus internes qui sont les mêmes chez tous les individus.

    Même si des différences existaient entre les doctrines et les procédures de chaque groupe, il y avait aussi de vastes zones communes244(*). Le traité Maladie Sacrée révèle que les adversaires d'Hippocrate emploient des purifications, charmes, incantations et recommandations d'ordre diététique. En considérant que certains mets sont nuisibles au malade, l'auteur leur reconnaît un intérêt245(*). Ceci est confirmé par les inscriptions à Epidaure du culte d'Asclépios. Le dieu guérirait les malades en les touchant avec un anneau mais également grâce aux aliments et aux médicaments.

    II. La médecine magico-religieuse

    En la matière, le travail de Dodds246(*) a permis que certaines thèses soient désormais admises. On sait aujourd'hui que l'irrationnel fut présent à toutes les périodes de la pensée grecque mais que quelques variations existaient. Ainsi, Dodds décèle au IVème siècle une sorte de retour en réponse au Vème siècle247(*), époque des Lumières qui s'intensifie à partir du deuxième siècle après Jésus-Christ. Toutefois, même si cela s'avère exact, on s'accorde à dire que le monde antique a développé des enquêtes dans lesquelles on reconnaît science et philosophie.

    Tout en dénonçant l'ignorance totale de l'art chez ses adversaires, le médecin hippocratique leur reconnaît une certaine habileté. Leur responsabilité est rejetée sur les dieux en cas de décès du patient alors qu'il s'arroge le mérite en cas de guérison248(*). Grâce à différents artifices, ils semblent être les détenteurs d'une science supérieure, auxquels ils ont recours, que ce soit dans le diagnostic ou dans le traitement.

    Le médecin hippocratique reproche à la médecine magico-religieuse de chercher à être plus affective, expressive ou symbolique, qu'efficace. Le critère qui permettait de la juger était de savoir si elle avait été accomplie comme il le fallait et non si elle avait obtenu des résultats pratiques249(*).

    Pour ce qui est du traitement, la médecine magico-religieuse allie purifications, incantations et interdits alimentaires.

    « Il ordonnent de s'abstenir de bain et de nombreux aliments qui sont inappropriés aux malades ; por les poissons de mer, le trigle, le mélanure, le mulet, l'anguille ; pour les viandes, celles de chèvres, de cerf, de porcelet et de chien ; pour les oiseaux, la poule, la tourterelle, l'outarde ; pour les légumes, la menthe, l'ail, l'oignon ; et ils ordonnent de ne pas porter un manteau noir, de ne pas se coucher sur une peau de chèvre ni d'en porter sur soi ».

    De même, des distinctions sont faites dans le diagnostic :

    « Si le malade imite la chèvre, s'il rugit et s'il a des convulsions du côté droit, ils disent que la mère des dieux est responsable ; s'il fait entendre des sons plutôt aigus et perçant, ils comparent le malade à un cheval et disent que Poséidon est responsable »

    Ce passage permet de comprendre comment la médecine magico-religieuse a pu rivaliser avec la médecine hippocratique. En effet, les principes du diagnostic rappellent des traités du corpus dans lesquels la variation des symptômes permet de conclure à deux maladies différentes. On comprend mieux l'aspect paradoxal de la polémique qui assimile ses adversaires à des charlatans mais qui leur reconnaît une certaine habileté sophistique.

    Cette médecine est d'autant plus un adversaire que la mentalité populaire devait certainement conserver la conception divine de la maladie, celle-ci étant intensément relayé par le théâtre dans lequel on voit les dieux infligés des maladies ou les guérir. Ainsi, dans OEdipe Roi, où une épidémie s'abat sur la ville tant que le meurtrier du précédent roi n'est pas retrouvé. La tragédie est donc le témoin de la crédulité populaire qui pouvait facilement être utilisée par les charlatans250(*).

    III. La médecine des temples

    Il existe une grande différence entre la médecine des temples et la médecine magico-religieuse ; la première est infaillible251(*). La médecine rationnelle ne s'y est pas trompée ; en décrivant ses pratiques, les médecins hippocratiques employaient parfois les termes même qui avaient une utilisation analogue dans un contexte religieux. Le développement qui suit reprend les idées développées par Jacques Jouanna dans son ouvrage Hippocrate précédemment cité.

    III.1. La médecine des sanctuaires d'Asclépios.

    Bien que les médecins hippocratiques puissent entrer en conflit avec certains devins à cause de la concurrence pouvant s'installer entre eux, ils n'ont jamais couru le risque de remettre en cause la religion des sanctuaires. Si ce fait est souligné, c'est parce qu'à la période où les médecins hippocratiques exerçaient, la médecine religieuse des sanctuaires d'Asclépios connaissait un essor sans précédent grâce aux guérisons miraculeuses où se manifestait la présence du dieu.

    Le culte d'Asclépios, bien qu'on trouve le plus ancien temple à Tricca en Thessalie, s'étend sur la Grèce continentale à partir du sanctuaire d'Epidaure. Les guérisons miraculeuses sont attestées par deux témoignages du IVème siècle. Le premier est l'oeuvre d'Aristophane,

    « Il s'assit auprès de Ploutos et commença par lui palper la tête ; ensuite, prenant une compresse propre, il lui essuya les paupières tout autour. Quant à Panacée, elle étendit sur sa tête et sur tout son visage un voile pourpre. Puis le dieu se mit à siffler. Du temples s'élancèrent alors deux serpent d'une taille prodigieuse... Eux deux, se glissant doucement sous le voile de pourpre, lui léchèrent les paupières tout autour, à ce qu'il me semblait. Et, en moins de temps qu'il ne faut pour boire dix cotyles de vin, Ploutos était debout et voyait clair. Moi je me mis à applaudir de joie et je réveillai mon maître. Quant au dieu, il s'éclipsa dans le temples avec les serpents252(*). »

    le second, des inscriptions sur des stèles trouvées à Epidaure qui livrent soixante dix récits de guérisons miraculeuses.Y était inscrit le nom du malade, la cité d'origine et la maladie. Le malade vient au sanctuaire en suppliant le dieu, se couche dans le portique d'incubation et se relève guéri le lendemain. Plusieurs cas de guérison d'aveugle confirme le Ploutos d'Aristophane :

    « Ambrosia d'Athènes était aveugle d'un oeil. Celle-ci vint en suppliante vers le dieu. Faisant le tour du sanctuaire, elle se moquait de certaines guérisons qu'elle jugeait incroyables et impossibles, à savoir que des boiteux et des aveugles guérissent par le seul fait d'avoir une vision en dormant. S'étant couché dans, [le portique d'incubation] elle eut une vision. A ce qu'il lui semblait, le dieu se tenant au-dessus d'elle lui disait qu'il la guérirait, mais qu'elle devait déposer en salaire dans le sanctuaire une truie d'argent pour commémorer sa sottise ; après ces mots, il incisa l'oeil malade et y versa un remède. Quand le jour vint, elle s'en alla guérie. »

    Une intervention du dieu lors d'un rêve était donc à l'origine des guérisons quelle que soit la maladie. Asclépios guérissait sans distinction les hommes et les femmes, les adultes et les enfants et toutes sortes de maladies, de la paralysie à la stérilité des femmes. L'origine géographique des malades montre la même diversité : les régions proches d'Epidaure telle que Argos, ou Trézène mais aussi des régions plus éloignées comme l'Achaïe, l'Arcadie, la Messénie, la Laconie, la Thessalie.

    La variété des maladies et la diversité de provenance des malades attestent du caractère florissant de la médecine religieuse des grands sanctuaires au IVème siècle et probablement dans le dernier quart du Vème siècle.

    III.2. Médecine d'Asclépios et médecine des Asclépiades.

    Ce succès de la médecine des prêtres d'Asclépios pose le problème de son rapport avec les Asclépiades de Cnide et de Cos.

    D'abord, du point de vue des religieux. A partir des stèles conservées à Epidaure, il semble que le clergé ait éprouvé le besoin de se préserver des réactions d'esprits trop rationalistes pour imposer une médecine miraculeuse. L'exemple de l'athénienne cité plus haut l'exprime bien ; le dieu la guérit mais lui fait aussi la leçon. De plus, quand les médecins ne pouvaient plus rien pour le malade, celui-ci se tournait vers Asclépios :

    « Etant désespéré pour l'art des mortels, en la divinité j'ai mis ton mon espoir ; quittant Athènes aux beaux enfants, je vins, ô Asclépios, dans ton bois sacré, où je fus guéri en trois mois d'un ulcère à la tête qui durait depuis un an »

    Du point de vue de la médecine laïque, on ne trouve pas de trace d'un conflit entre les deux médecines. Les maladies sont soignées par des méthodes très différentes. On en possède un exemple avec le cas d'un homme épileptique. En premier lieu, voyons comment Asclépios soigne cette maladie :

    «  Un habitant d'Argos. Epileptique. Celui-ci s'étant endormi dans [le portique d'incubation] eut une vision. Il lui semblait que le dieu se tenant au-dessus de lui pressait avec sa bague sa bouche, ses narines et ses oreilles, et il guérit. »

    La guérison repose sur un moyen magique, la bague du dieu, à laquelle on attribuait, dans la croyances populaires des vertus curatives253(*). Or, un médecin hippocratique ne pouvait en aucun cas adhérer à ce type d'argument pour expliquer un cas de guérison bien qu'il puisse, parfois, reconnaître le caractère extraordinaire d'une guérison mais sans porter de jugement.

    « L'homme qui fut blessé à l'aine par une flèche, et que nous avons vu, fut sauver de la façon la plus inattendue : la pointe n'avait pas été extraite _ elle était située trop en profondeur_ ; aucune hémorragie digne d'être mentionnée ne s'était produite ; pas d'inflammation ; le blessé ne devint pas boiteux. Au moment où nous quittâmes les lieux, six ans après, il conservait encore cette pointe. »

    Si le médecin hippocratique constate le caractère exceptionnel de certaines guérisons, il n'en remet pas le mérite au dieu à la différence de la médecine des temples qui les considèrent comme la manifestation normale de la puissance du dieu.

    Toutefois les médecins hippocratiques ne prennent jamais ouvertement position contre la médecine des sanctuaires. Même dans le traité Maladie sacrée, attaque de la médecine rationnelle contre ceux qui considèrent que cette maladie a des causes divines, l'auteur fait remarquer que :

    « ils devraient faire tout le contraire, sacrifier, prier et porter les malades dans les sanctuaires pour supplier les dieux. »

    Cette position peut paraître étonnante venant d'un auteur hippocratique. Mais, si lui ne croit pas en la cause divine de la maladie, il reconnaît que la seule thérapie pouvant coïncider avec l'idée qu'il est nécessaire de se faire du divin est la médecine religieuse des grands sanctuaires.

    Cette vision s'explique peut-être par le fait que les Asclépiades prétendaient avoir Asclépios pour ancêtre. Le dieu pouvait donc être un trait d'union entre la médecine rationnelle et la médecine religieuse des prêtres d'Asclépios. Les rapports d'Hippocrate et de sa famille avec le sanctuaire d'Apollon à Delphes montrent que pratiques religieuses et médecine rationnelle n'étaient pas incompatibles. Les privilèges religieux dont pouvaient bénéficier les médecins appartenant à la famille aristocrate des Asclépiades ne pouvaient que renforcer leur prestige social et pouvait être utile à une période où les titres scientifiques n'existaient pas encore.

    Malgré la non agression des médecins à l'égard des temples, il semble que ceux-ci n'en est pas fait de même avec la médecine rationnelle. En effet, à Epidaure, une inscription mentionne une guérison effectuée par le dieu avec une consigne : il est interdit de suivre les traitements prescrit par des médecins. Car les praticiens de la médecine des temples revendiquaient des résultats concrets, ce sont ceux-ci que rappelle les inscription d'Epidaure : il semble que le dieux ait guéri une grande diversité de maladie dont l'épilepsie254(*). Il est difficile de déterminer les facteurs à l'origine des guérisons. La suggestion joue peut-être un rôle important mais cela ne change rien au fait que le temple revendique des résultats concrets dans de nombreux cas. Toutefois, on pourrait également parler du pouvoir de suggestion chez l'auteur de Maladie sacrée. En effet, rappelons que l'auteur est aussi impuissant que ceux qu'il attaque, le soulagement éprouvé par ses malades ne serait il par lié à la confiance qu'ils avaient en lui plutôt qu'à l'efficacité de ses moyens de guérison ?

    Par conséquent, aucune explication facile, où la science et la philosophie s'opposeraient ensemble et unanimement à la magie et à l'irrationnel n'est possible255(*).

    IV. L'opposition de la médecine rationnelle à la médecine magique

    Deux raisons peuvent être à l'origine des accusations des médecins hippocratiques : une rivalité mais également, une position qui relève de l'impiété.

    IV.1. Une rivalité

    On rencontre deux attitudes chez les médecins hippocratiques. Certains ne font que donner leur avis en n'incriminant pas les croyances liées à elle pendant que d'autres ajoutent à leur théorie une vigoureuse critique de ceux qui considèrent que les origines des maladies sont divines.

    « Quand la jeune fille retrouve sa raison, c'est à Artémis que les femmes consacre beaucoup d'offrandes en général et en particulier les vêtements féminins les plus précieux, sur la recommandation des devins, mais elles sont complètements trompées. La délivrance de cette maladie se produit quand l'écoulement du sang n'est pas empêché. Je recommande, pour ma part, aux jeunes filles qui sont atteintes d'une telle affection de se marier au plus vite ; car si elles deviennent enceinte, elles guérissent256(*). »

    Ainsi dans Maladies des jeunes filles, l'opposition entre devin et médecin est essentielle. Cette attaque virulente permet de penser qu'une grande rivalité existait entre les médecins et les devins.

    On trouve la meilleure illustration de cette critique dans le traité Maladie sacrée. Dès les premières lignes, l'auteur émet des réserves sur la sacralité de cette maladie. En effet, il ne parle pas de maladie sacrée, mais de « maladie dite sacrée ». Chez les hippocratiques, les explications, bien que celles-ci puissent différer, sont toutes physiologiques.

    Maladie sacrée est le premier témoignage où la médecine rationnelle s'oppose à une médecine magico-religieuse. Il compare ceux qui ont sacralisé cette maladie à des charlatans. Il s'agit là d'une accusation très violente. Elle dénonce l'appât du gain et l'ignorance de ces personnes de leur art. Ainsi il considère que le recours à la divinité n'est qu'un moyen de cacher l'incompétence de ses adversaires.

    « Ces gens-là, déclare-til, plaçant le divin comme un voile et un rempart pour cacher leur incapacité à disposer d'aucune description utile, ont émis l'idée que cette maladie était sacrée pour éviter que n'éclate en plein jour leur totale ignorance »

    L'attaque est sans appel et d'une réelle violence. Pourquoi ? Sans doute parce que les adversaires de l'auteur ne sont pas aussi insignifiants qu'il le fait entendre. La profession médicale n'était, rappelons-le, pas réglementé, et là où l'assemblée du peuple procédait au recrutement des médecins publics, il était nécessaire de convaincre que l'on était le détenteur de la méthode assurant le plus de guérison possible.

    IV. 2. Un crime d'impiété ?

    La pensée grecque du Vème siècle ne pouvait s'accommoder des pratiques de la sorcellerie. En effet, tout oppose ces deux modes de pensée. La philosophie, dont l'influence est fortement marquée dans certains traités tel que celui de Maladie Sacrée se pratique avec le concours de la parole, l'autre se pratique dans le silence et la solitude257(*).

    Hippocrate, penseur et praticien, a fortement influencé le rejet de la magie dans la médecine.Ayant vécu en Thessalie, patrie où les sorcière sont fameuses, n'a pas été convaincu par leur art258(*). Dans le traité Maladie Sacrée, Hippocrate considère que cette maladie n'est pas plus sacrée que les autres. Alors que certains voient dans le traité Maladie Sacrée les prémisses de la médecine rationnelle, d'autres ont soutenu que ce texte était le plus religieux de tous le corpus. En effet ; ce que l'auteur n'admet pas, c'est le recours à des procédés non médicaux pour expliquer une maladie dont les causes sont naturelles avec comme justification la religion. Par conséquent, l'auteur, qui pour certains est Hippocrate, considère ces charlatans comme des impies et l'explique :

    « celui qui par des purifications et de la magie, à la pouvoir de chasser une telle affection, celui-là est en état, par des procédés différents, de la provoquer ; et une telle argumentation supprime, sans plus, l'intervention divine. Avec ces discours est ces artifices, ils se donnent pour posséder un savoir supérieur et trompent le monde en prescrivant des expiations et des purifications ; car ils ne parlent guère que de l'influence des dieux et des démons. Dans leur opinion de tels discours vont à la piété ; mais, dans la mienne, ils vont à l'impiété, et nient l'existence des dieux ; ce qui, d'après ces gens, est religieux et divin est comme je vais le faire voir, irréligieux et impie. En effet, ils prétendent savoir les moyens de faire descendre la lune, d'éclipser le soleil, de provoquer l'orage et le beau temps, la pluie et la sécheresse, de rendre la terre et la mer infécondes et tant d'autres merveilles. Quelque soit la cause, soit rites, soit tout autres connaissance ou pratique, dont les gens de ce métier disent tenir leur pouvoir, ils ne m'en paraissent pas moins être dans l'impiété et ne pas croire qu'il y ait des dieux, ou, le croyant, penser que ces dieux sont sans force et dans l'impuissance d'empêcher aucune de ces merveilles suprêmes qu'ils promettent »

    Pour Hippocrate, les charlatans se posent en rivaux des divinités. A l'époque classique, c'est une h?bris259(*), au même titre que Phèdre, Médée ou OEdipe, personnages des tragédies de Sophocle et d'Euripide260(*). Les charlatans ne pratiqueraient qu'une caricature de religion et leurs rites ne procéderaient donc pas de la piété. Hippocrate décrit les diagnostics de ces guérisseurs qui font appel aux divinités invoquées par les charlatans et prouve, en même temps, qu'il connaît bien ces rites. Médecin et croyant, Hippocrate est doublement choqué par ces inefficaces recettes de magie261(*).

    La conclusion qu'Hippocrate en tire, c'est que la maladie sacrée ne peut être soignée que par un médecin connaissant son art et n'utilisant ni charmes ni procédés magiques.

    A l'égard de la sorcellerie, les réactions des penseurs grecs se révèlent donc tout à fait négatives. Les exigences de la pensée rationnelle étaient incompatibles avec ces pratiques primitives.Les philosophes grecs ayant voulu une éthique fondée sur des principes, ils ne pouvaient admettre des procédés échappant à tout contrôle de la raison. Pour Hippocrate, l'observation objective des faits et la rigueur morale au service des autres excluaient les pratiques grossières des guérisseurs. Toutefois, l'utilisation de remède tel que la pivoine262(*) connue pour ses vertus médicales continue d'être pratiquée.Ainsi, on peut dire qu'au Vème et IVème siècle, des empiètements entre les différents courants de la médecine ont lieu et bien que ces derniers restent distinct, il est certain que les praticiens sont en concurrence directe263(*), pour notamment, le titre de médecin de la cité.

    De quoi est née cette réaction hippocratique ? Quels sont les facteurs qui ont favorisé les interrogations sur la médecine magico-religieuse ?

    Chapitre III

    Les facteurs responsables de l'interrogation sur la médecine magico-religieuse

    Cette troisième partie s'appuie essentiellement sur l'ouvrage de G.E.R. Lloyd, Magie, raison et expérience précédemment cité. On se demandera pourquoi la remise en cause de certaines pratiques religieuses a eu lieu durant la période classique, si le contexte social et les changements politiques de l'époque ont eu un impact sur cette remise en question.

    I. Les premières tentatives

    La première tentative de réfutation des pratiques religieuses date de la fin du Vème siècle et du début du IVème siècle264(*). Pourquoi ?

    Hésiode et Homère sont des auteurs des cosmogonies théologiques. Les premiers philosophes de la nature sont aussi des innovateurs dans ce domaine265(*). D'une part, ils donnent des explications naturalistes dans certains domaines et d'autre part, ils considèrent comme divin le principe qu'ils placent à l'origine du monde. Par conséquent, on trouve, du VIIème au Vème siècle des auteurs innovant en matière de religion. Ainsi Xénophane266(*), mis en cause pour des raisons morales car il attribue des défauts aux Dieux et se moque de l'anthropomorphisme267(*) ou Héraclite268(*) qui condamne les purifications rituelles accomplit après un meurtre :

    « ils se purifient en vain par le sang et ils adressent des prières aux statues comme quelqu'un qui parleraient à des maisons »

    De plus, il considère que certains cultes sont l'occasion d'avoir une attitude qui, en temps normal, serait qualifié de honteuse et s'oppose au fait d'accomplir des actes sans en connaître le vrai sens.

    Ainsi, au Vième et Vème siècle, il est possible de critiquer les idées et les pratiques religieuses existantes afin d'en introduire de nouvelles.

    II. Le contexte social

    Quelle est le contexte social de cette évolution de la pensée grecques ? Jusqu'où peut- on aller dans le repérage des conditions sociales qui ont permis ou favorisées l'émergence de la philosophie et de la science ? Pour cela, il faut prendre en compte la nature exacte et les limites des changements intellectuels qui se sont produits en Grèce, analyser les ressemblances et les dissemblances entre les données grecques et les sociétés différentes de la même époque.

    II.1. Les grecs et le Proche-Orient

    La médecine, comme d'autres sciences telles que l'astronomie ou les mathématiques, bénéficie d'une contribution apportée par l'Egypte et la Mésopotamie. Toutefois, on trouve quelques différences entre leur travaux et ceux des Grecs269(*). Au coeur même de cette différence, la recherche d'une démonstration rigoureuse. Ainsi, à Babylone, on observait les astres car ils influençaient et déterminaient les évènements terrestres. Les grecs ont fait l'effort de construire des modèles géométriques capables de rendre compte des mouvements célestes. De même en médecine, les attaques contre l'utilisation de la magie sont typiquement grecs. C'est avec eux que l'enquête se dote d'une méthode sur laquelle elle a réfléchi270(*).

    II.2. Quelques hypothèses explicatives

    Comment peut-on identifier les facteurs qui ont favorisé cette évolution ? Dans quelle mesure peut-on expliquer ce phénomène ? Tout d'abord, il faut avouer notre impuissance. Quand on veut savoir ce qui s'est passé et pourquoi on a abouti à une révolution de la pensée, il est difficile d'exercer un contrôle réel.

    Commençons par quelques remarques négatives : le traité Maladie Sacrée est une critique des croyances religieuses. Le texte est censé être un progrès vers un meilleur contrôle de la maladie mais l'auteur n'est pas plus capable que ceux qu'il attaque de soulager les épileptiques. Une autre considération interdit d'établir un lien entre maîtrise technique et développement de l'enquête critique en suggérant que la première serait la condition suffisante de la seconde : du VIème siècle au IVème siècle, on remarque une uniformité générale du niveau de technologie dans les pays de la Méditerranée orientale et du Proche-Orient. En Grèce, il n'y a pas de progrès technique important, la révolution urbaine datant du troisième ou deuxième millénaire (poterie, tissage, agriculture). Par conséquent, on ne peut pas la tenir responsable des avancées intellectuelles.

    Pour les même raisons, il faut se méfier d'une interprétation purement économique. Aristote associe le développement de la pensée spéculative avec le loisir que permet la richesse mais cela ne peut pas être suffisant pour expliquer l'essor intellectuel. Ici encore les exemples de l'Egypte et de Babylone sont des moyens de contrôle car sur le plan économique, au VIème siècle, elles sont plus puissantes que n'importe quelle cité grecque.

    Dans le développement d'une attitude ouverte et critique à l'égard de présupposés fondamentaux d'une société, la connaissance de sociétés et de système de croyances autres constitue un facteur déterminant. Il semble que les sages grecs aient cherché à s'informer sur les sociétés non grecques et trouvent beaucoup à y apprendre271(*). Ainsi, à la fin du Vème siècle, ce que les grecs savaient ou croyaient savoir sur des sociétés différentes fut un réservoir d'argument dans les débats entre nature et convention.

    Toutefois, la connaissance des peuples étrangers et l'intérêts pour leur culture n'est pas un privilège grec272(*). Là encore la comparaison avec des sociétés proche-orientales permettent de nuancer nos conclusions relatives à la Grèce. Si la connaissance des sociétés différentes est, au mieux, une condition nécessaire pour l'émergence des changements intellectuels en Grèce, cela n'est pas une condition suffisante.

    La dernière hypothèse semble prometteuse car elle met en cause le développement de l'écriture. L'étude des changements affectant les moyens techniques par lesquels les idées sont communiquées et enregistrées, a permis d'évaluer à quel point ces moyens pouvaient influencer ou déterminer la nature de la chose communiquée. L'enregistrement écrit rend possible le développement d'une forme de jugement critique sur le passé et l'accumulation du scepticisme sur ce sujet comme sur d'autres. Il est possible que la prise de conscience, dans le domaine rhétorique, des procédures formalisées dépendent de la possibilité de recourir à des textes que l'on peut étudier à loisir.

    Cette théorie a permis d'ébranler la vue simpliste qui oppose les sociétés primitives aux avancées. Deux remarques doivent être retenues : l'existence de moyens de communication spécifiques, surtout de documents écrits sont des facteurs importants pour les avancées intellectuelles des sociétés du Proche Orient et sont quelquefois même une condition nécessaire. Dans la série complexe des changements dans les modes de communication qui ont affecté le Proche Orient Ancien, il est une innovation majeure : l'invention d'un système d'écriture alphabétique. Ce progrès facilite l'expansion de l'écriture au-delà du cercle étroit dans lequel il avait été confiné.

    Par conséquent, des réserves s'imposent, même si le développement de la pensée critique a dépendu en partie de l'existence de textes et de gens capable de les lire. Cependant au Vème et IVème siècle, la communication des idées est plus orales qu'écrite. S'il n'y a pas de doute sur le fait que l'étude des changements dans les moyens de communication ont été fondamentaux pour le développement intellectuel au Proche Orient, en revanche, pour la Grèce, ce facteur ne peut apporter qu'une solution partielle au problème que pose l'émergence d'un type d'enquêtes radicales et critiques.

    Pour tenter de comprendre pourquoi certaines formes d'enquêtes intellectuelles sont nées en Grèce ancienne, il faut prendre en compte les facteurs économiques et techniques qui ont affecté la Grèce et ses proches voisins. Ainsi, on peut dénombrer ;

    -l'existence d'un surplus économique et d'un moyen d'échange spécifique, la monnaie.

    -l'accès à d'autres sociétés, intérêt pour leur culture,

    -le changement dans les moyens de communication, le commencement de l'écriture.

    Sans le premier de ces deux facteurs, l'institution de la cité-état n'est pas concevable. Le second facteur a étendu l'horizon mental, géographique. Sans le dernier, la nouvelle science était mort-née. Lorsqu'on a fait part de ces trois facteurs, les autres sont, au sens large des facteurs politiques. Ce qui caractérise la Grèce ancienne, ce sont les changements intellectuels et une situation politique exceptionnelle.

    Quatre éléments permettent d'estimer que les changements intellectuels ont été directement influencés par des aspects de l'expérience politique grecque.

    -la possibilité d'innovations radicales,

    -l'accès ouvert au forum du débat,

    -l'habitude de soumettre les choses à l'examen,

    -le sentiment qu'il est nécessaire de justifier ou rendre compte au méthodes rationnelles.

    II.3. Les changements politiques

    Pour faire avancer notre enquête, il est nécessaire de considérer les changements apparaissant dans le cadre de l'émergence de la cité état. C'est là que le contraste entre le monde grec et le reste du monde est le plus important. La signification de ces différences mérite un examen attentif.

    II.3.1. La participation populaire à la politique.

    Du VIIème au IVème siècle, la souveraineté est logée dans une foule d'unités autonomes sur le plan politique, instable et turbulente. On y trouve une activité visant à formuler, discuter, réviser et parfois renverser les codes de lois et de constitution.

    Les grecs ne sont pas les premiers à faire des codes. Babylone et l'Egypte ont également des chartes mais essentiellement des chartes juridiques. Chaque état est gouverné par un roi absolu soutenu par une bureaucratie puissante qui lui obéissait. Un changement de gouvernement revenait à un changement de personne, pas à une modification du système constitutionnel. Les grecs traitent des relations entre les différents types d'esclaves et les hommes libres mais restent muets sur les droits proprement politiques de ces derniers. (prendre la parole, voter pour les assemblées) On ne peut donc pas parler des constitutions.

    En Grèce, il existe une prolifération de formes constitutionnelles. Elles vont de la monarchie constitutionnelle à la plus extrême démocratie en passant par l'oligarchie. A partir du VIIème siècle, beaucoup de cités-Etats sont affectées par des bouleversements constitutionnels.

    Dans les nouvelles cités-Etats, les citoyens ont l'habitude de participer pleinement au gouvernement effectif de leur cité, s'engager dans une délibération active sur des problèmes constitutionnels. On peut donner la cité d'Athènes comme exemple car c'est celle pour laquelle nous avons le plus de renseignement. Trois traits la caractérisent : les charges sont tirées au sort, elles ne doivent pas être exercées plus d'une fois et chaque citoyen peut participer au tribunal populaire ce qui lui donne droit à un salaire. Un éventail de texte du V-IVème siècle montre l'intérêt des grecs pour les différents systèmes constitutionnels, sur leur passions pour la liberté et surtout celle de la parole.

    Au Vème siècle, ce qui caractérise les grecs des barbares, c'est la liberté, l'autonomie politique, le droit de se gouverner soi-même. Parmi ceux qui expriment cette idée, se trouve l'auteur du traité Airs, Eaux, Lieux273(*). Il oppose peut-être de façon exagéré les grecs et les barbares mais ceci ne diminue pas la valeur du témoignage pour ce qui est de nous renseigner sur la manière grecque d'appréhender cette opposition. Selon l'auteur, ce qui différencie le plus la vie politique de la cité grecque des autres, c'est que le grec est son propre maître.

    II.3.2. Des rapports de la science avec la politique

    Ces différences entre les grecs et les autres pays sont ils pertinents pour notre problème ? La sphère du droit et de la justice propose d'importants modèles cosmiques. L'univers est un Kosmos, un ordre, les phénomènes naturels sont réguliers, soumis à des séquences ordonnées de causes et effets. Dans cette perspective, c'est une société régie par des institutions juridiques régulières qui fournit le contexte indispensable dans lequel peut se développer l'idée que le monde est un tout ordonné.

    Cette proposition se heurte à une difficulté. Les grecs ne furent pas les seuls à élaborer des systèmes juridiques complexes. Il faut souligner les différences dans les attitudes possibles à l'égard du droit, sa nature, de son fondement. Ailleurs, l'ultime sanction des codes de lois est Dieu ou le roi qui le représente sur terre dans le Proche Orient ancien. La justice dépend toujours d'une autorité personnelle. En Grèce, des codes de lois portent le nom de leur auteur, Solon invoque Zeus dans ses poèmes mais l'accent a changé. L'idée selon laquelle la loi est une chose abstraite, impersonnelle à laquelle se trouve soumis le législateur, gagne du terrain. On parle encore d'une vengeance divine mais les dieux perdent leur caractéristique de divinité personnelle et se transforment en pure personnification du gouvernement de la loi. A mesure que cette loi devient l'objet d'un débat ouvert, qu'elle dépend de plus en plus de l'accord des citoyens, la notion d'une autorité personnelle plus haute se trouve ébranlée. L'opposition entre physis nature et nomos, loi établie pas l'homme exprime cette évolution.

    Un des traits remarquables de l'expérience politique grecque à partir du VIème siècle est le caractère ouvert des discussions sur la meilleure manière de régler une société, les avantages ou désavantages des différents types de constitutions, discussion qui ne sont pas seulement théoriques. Ainsi, on a la possibilité de contester deux présupposés enracinés à propos de la nature,de soumettre à l'examen des questions comme l'origine du monde. Ici, on ne peut nier un certain parallélisme entre les deux évolutions. La cité-Etat exige, de la part des dirigeants politique l'exercice de savoir faire nouveaux. Ces hommes d'une grande sagesse exceptionnelle l'avaient acquis pour des raisons très variées et auprès de publics différents. Certains le devaient à un charisme personnel, d'autres, à un savoir ésotérique. Toutefois, il est de moins en moins possible de faire accepter des idées uniquement parce qu'elles viennent d'un individu qui a l'autorité. Cela s'applique en politique, en médecine, en philosophie. On a déjà noté la compétition qui se développe. Ce qui passait pour argument convaincant variait d'un groupe à l'autre. L'importance de la participation à la vie politique eut des répercussions importantes sur la vie intellectuelle dans son ensemble. Beaucoup d'écrivains d'époque classique décrivent une assemblée où les citoyens se sont pris d'un intérêt passionné pour leur rôle, leur responsabilité politique et l'exercice de leur droit274(*). Athènes, est, par exemple, le seul endroit où un homme qui ne prend pas part au gouvernement est un homme inutile.Enfin, on oppose domination par la force et domination par la raison ou l'argumentation.

    L'idée que tout homme a le droit d'avoir une voix et une opinion dans tous les domaines se retrouve dans quantité de textes philosophiques, historiques et médicaux. Même si les choses pouvaient tourner mal pour les contestataires en raison des étroites relations interpersonnelles qui se nouaient à l'intérieur de la cité-Etat et grâce au nombre élevé de ces cités indépendantes, le monde grec montrait une tolérance entre les divergences d'opinion.

    Cependant, si on peut dire que le développement de l'enquête critique en Grèce à un rapport avec l'expérience politique grecque, la thèse se heurte à des objections évidentes dont trois méritent discussion :

    -la thèse pourrait faire penser que l'enquête philosophique, scientifique doit être concentrée aux démocraties alors qu'il s'agit d'un phénomène répandu,

    -on peut objecter que l'émergence de la pensée spéculative précède le plein épanouissement des institutions de la cité Etat et l'établissement de la démocratie clisthénienne en 508,

    -on peut penser que les choses auraient dû aller plus loin. Si on considère que les caractères généraux de la vie politique et sociales grecques ont joué un rôle dans l'émergence de l'enquête critique radicale, comment expliquer qu' aient survécu au-delà du Vème siècle, quantité de pratiques magiques ?

    On peut répondre en appliquant à toutes les trois des réserves et des précisions :

    Si des institutions comme l'ostracisme275(*) n'apparaissent que dans certaines démocraties, les différences entre cités démocratiques et oligarchiques qui sont pertinentes pour nous ne sont que l'affaire de degré. Démocrates ou oligarques, les grands philosophes ou savants appartiennent tous ou presque à une élite plus ou moins définie. Même si la situation des philosophes est très différente de celle des praticiens de la médecine. Les philosophes et les sophistes recrutent leurs étudiants dans la classe la plus riche, les médecins cherchent à exercer leur pouvoir de persuasion sur leurs élèves ou les auditeurs de leur conférence, mais aussi sur une clientèle potentielle qui s'étendait au-delà de la minorité cultivée. Et pourtant, l'exigence de discussion rationnelle, partie intégrante de l'expérience commune dans la cité-Etat s'imposait à tous et les influençait tous.

    Si les productions des premiers philosophes milésiens, Thalès276(*) et Anaximandre277(*) contemporains de Solon278(*) et de Pisistrate279(*) sont antérieures à l'introduction à Athènes de la démocratie à la suite des réformes de Clisthène280(*), quantité de traits qui apparaîtront plus tard dans la discussion politique sont déjà présents ou esquissé dans les poèmes de Solon. Ensuite, nous avons souligné le caractère limité de ses avancées. Dans deux grands pans de l'enquête physique, mathématique, éthique, c'est au milieu du Vème siècle que s'institue un grand débat. Il en est ainsi, par exemple de la controverse sur la nature et la convention, le principal texte qui s'en prend aux croyances magiques en médecine date de la fin du Vème siècle au plus tôt. La conclusion s'impose : dans les deux cas, les changements dont nous avons traité ont été progressifs, ils ont mis du temps à s'imposer et leur installation ne se fit pas sans retour en arrière intermittents.

    On a tenté de prouver que l'expérience du débat critique radical dans le domaine politique et juridique avait accompagné et influencé le développement d'une enquête également critique et radicale, dans d'autres champs de pensée. Or, l'existence de certaines institutions politiques, d'un climat général de l'opinion publique autorisant la critique fondamentale ne signifie pas que le spectre des croyances populaires sera soumis à un semblable examen, que toute les manifestation de l'irrationnel seront mises sur la sellette. Trois observations s'imposent :

    Tout d'abord, la capacité des arguments rationnels à déraciner des convictions établies est assez limitées.

    Ensuite, le succès des nouveaux professionnels de la parole suscite des réactions hostiles chez Aristophane281(*) ou Platon282(*). Les citoyens avaient l'occasion d'exercer leur compétence de juges en matière d'habileté à manier les arguments mais à la fin du Vème siècle, ils étaient souvent mis en garde contre la rhétorique dans son ensemble.

    Enfin, on fut obligé de reconnaître qu'il y avait d'autres restrictions d'ordre général à l'expansion de l'enquête critique : dans le domaine politique, seuls les hommes libres pouvaient exercer la politique. En médecine, les idées des médecins et des philosophes combattaient les croyances populaires partagées par les hommes, les femmes, les libres et les esclaves. La révolution de l'enquête critique est un phénomène circonscrit par les barrières créées par les divisions sociales, politiques, par l'analphabétisation et l'ignorance. La vraisemblance des arguments de Maladie sacrée sont étudiés pour le public auquel ils sont destinés. Tous le monde ne les a pas jugés convaincants et l'ensemble des personnes qui tombaient malade était plus considérable que celui des participants à la vie politique de la cité-Etat.

    Même si au Vème siècle, les croyances traditionnelles furent attaquées, elles perdurent chez les gens du commun et même chez certains représentants des lumières283(*) comme Hérodote. Selon lui, les maladies peuvent être le fait du mécontentement divin. Il est donc possible d'enquêter sur la nature des différents phénomènes tout en croyant que les maladies sont envoyées par les dieux.

    Il n'est pas question ici, de parler d'une quelconque victoire de la rationalité sur la magie, celle-ci n'ayant jamais eu lieu. C'est la raison pour laquelle la critique de la magie a trouvé une certaine audience. Les attaques de l'auteur s'inscrivent dans un contexte de compétition entre deux types de guérisseurs. Pour quantité de croyances traditionnelles, une telle situation avait peu de chance de se produire, beaucoup de croyances ayant été rationalisées et incluses dans la philosophie de la nature, dans la médecine hippocratique ou dans les deux. Enfin, si les arguments utilisées dans Maladie sacrée appartiennent à une catégorie propre à les rendre convaincants dans certains milieux, il ne s'ensuit pas que les purificateurs ou les praticiens de la médecine des temples furent réduits au chômage. Les faiblesses de certaines de leurs prétentions furent dénoncées par des auteurs extrêmement vulnérable à des objections. S'il ne faut pas mésestimer la nature exceptionnelle de ce changement, il ne faut pas non plus en exagérer la portée en voyant dans l'approche de la critique radicale une caractéristique de la pensée grecque tout entière.

    En effet, notre deuxième partie va s'attacher à montrer à quel point les mythes ont pu imprégner leurs marques dans la société et comment on retrouve ces marques dans le corpus hippocratique.

    QUATRIEME PARTIE

    LA PARTHENOS, PROLOGUE DE LA FEMME, RACE A PART

    Pourquoi parler de race à part ? C'est que, dans l'imaginaire des hommes du cinquième siècle, le mythe de Pandora a contribué à installer les femmes dans un écart originel. Comment appréhender plausiblement ce qu'est une parthenos pour un médecin si l'on ne sait, puisqu'une aucune autopsie ne semble avoir été pratiquée, quelle vision pouvait avoir un homme du corps d'une femme au cinquième siècle. Car bien que la méthode hippocratique soit basée sur l'observation, on verra que les croyances traditionnelles, notamment pour les femmes, persistent dans le Corpus.

    Il m'a semblé nécessaire de rappeler le mythe de Pandora qui donna, culturellement parlant, naissance aux femmes ; qui justifie, de par son contenu, une nature différente et donc la nécessité d'une médecine à part, pour conclure par le renforcement que la médecine apportent aux règles régissant la vie d'une parthenos, puis d'une gyné, à savoir la soumission à son époux.

    CHAPITRE I

    PANDORA, NAISSANCE DE LA RACE DES FEMMES

    Parce que Prométhée avait trompé Zeus, celui-ci envoya aux hommes un fléau. Prométhée avait volé le feu, Zeus envoya aux hommes un feu voleur. On verra ensuite comment un autre auteur, Sémonide d'Armogos, explique la nature des femmes à travers leurs défauts.

    I. ET VINT PROMETHEE.

    Il fut un âge d'or où dieux et hommes vivaient ensemble284(*). Lorsque les hommes apparaissent pour la première fois dans nos sources, Zeus occupe déjà le trône de l'univers.

    « Eux désormais eurent pour lui grande reconnaissance, ils lui donnèrent le tonnerre et la foudre étincelante et l'éclair. Jusque là Terre l'immense tenait caché ce pouvoir qui le fait roi de ceux qui meurent et de ceux qui vivent à jamais285(*). »

    Il a vaincu Cronos, les Titans et les Géants. Le monde divin s'est stabilisé. Les dieux vivent sur l'Olympe mais partagent également certaines terres avec les humains, notamment celle de Mékoné, plaine de Corinthe. Dieux et hommes y festoient ensemble, on écoute les aventures des dieux, les muses chantent les louanges de Zeus. Tout est pour le mieux. C'est ce qu'on a appelé l'âge de Cronos286(*), temps antérieur au moment où la lutte se déclenche entre Zeus et les hommes. Ces derniers ne connaissent aucuns des maux actuels, tout pousse spontanément sans être soumis aux saisons.

    « Autrefois les tribus des hommes vivaient sur la terre, protégées, loin des malheurs sans travailler durement, sans souffrir des tristes maladies qui font que les hommes meurent287(*). »

    Les hommes restent jeunes, semblables à ce qu'ils sont dès le début. Ils ne naissent pas tel que nous l'entendons aujourd'hui, peut-être surgissent-ils de Terre, Gaïa, qui les aurait enfanté de la même façon que les dieux. Les hommes ne connaissent ni la mort, ni la naissance, ni le temps qui use les forces et fait vieillir. Après des centaines d'années, les hommes disparaissent. La vie ressemble à ce que raconte certains éthiopiens : une table du soleil attend ceux-ci chaque matin où ils trouvent à boire et à manger. Les viandes sont déjà cuites, le blé poussent sans être cultivé, la nature offre tous les biens de la vie domestique la plus raffinée, la plus civilisée. La femme n'existe pas encore.

    Mais le moment de la séparation hommes et dieux est venu. Il s'opère quand les dieux font entre eux leur répartition. C'est dans la violence qu'ils ont d'abord réglé la question des honneurs et des privilèges réservés à chacun. Une fois que les Olympiens se sont installés en haut du ciel, il a fallu régler les problèmes entre eux. Zeus est chargé d'opérer la répartition qui se fait, soit au terme d'un conflit ouvert, soit d'un accord consensuel entre tous les Olympiens288(*).

    Comment répartir les places entre les dieux et les hommes ? L'usage de la violence n'est pas pensable car les humains sont trop faibles. Comment faire des hommes les égaux des dieux ? Pour trancher cette situation, Zeus fait appel à Prométhée, car il a un statut ambigu. On dit de lui que c'est un Titan. Il est le fils de Japet, frère de Cronos. Il n'est ni un Titan, ni un Olympien. Prométhée possède un esprit de rébellion, malin et indiscipliné. Zeus et Prométhée partagent plusieurs traits communs sur le plan de l'intelligence et de l'esprit. Tout deux se définissent par un esprit subtil.

    « Elle enfanta Ménoïtios le superbe Prométhée qui joue avec mille pensées289(*). »

    Prométhée est dans un rapport de complicité avec les hommes. Son statut est proche de celui des humains, parce que ceux-ci sont aussi des créatures ambiguës, qui détiennent un aspect de divinité et en même temps un aspect d'animalité, de bestialité.

    La scène se déroule ainsi : dieux et hommes sont rassemblés comme à l'ordinaire. Lors d'un banquet, Zeus charge Prométhée de faire la répartition. Il amène un taureau qu'il abat, découpe et fait deux parts. Chacune va exprimer la différence de statut entre dieux et hommes. Chacun des tas se présente ainsi : un rempli de la graisse appétissante entourant seulement des os blancs nus, l'autre une panse peu ragoûtante avec à l'intérieur tout ce qui est bon à manger.

    « Ah ! Prométhée, toi qui est si malin, si fourbe, tu as fait un partage bien inégal290(*). »

    Zeus, qui a vu d'avance la ruse, accepte de jouer le jeu, prend la part remplie de graisse appétissante et entre dans une colère épouvantable contre celui qui a voulu le duper. Prométhée va payer sa faute : Zeus décide de cacher le blé et le feu aux hommes : Prométhée a caché la viande, Zeus soustrait aux hommes ce qui était à leur disposition. La perte du feu est un catastrophe pour les hommes qui ne mangent la viande que cuite. Mais Prométhée trouve une parade : il monte au ciel avec une branche de fenouil qui brûle à l'intérieur mais pas à l'extérieur. Prométhée redescend et personne ne s'aperçoit que la tige brûle à l'intérieur. Ce feu, Prométhée va le donner aux hommes ce qui rend Zeus fou de colère.

    Même si les humains ont retrouvé le feu, ce n'est pas le même que celui que Zeus a caché, celui qu'il a dans la main en permanence et qui ne faiblit jamais. Le premier est issue d'une semence, il est né, par conséquent il demande à être nourri. Il faut le conserver et veiller sur lui. Or, il possède un appétit insatiable tout comme les mortels.

    En même temps que le feu, Zeus a caché aux hommes les céréales, sources de vie. Au temps de Cronos, les céréales poussaient toutes seules, désormais il devient laborieux et difficile de les cultiver et il faudra penser à les stocker pour la période de l'année durant laquelle aucune semence ne peut germer.

    Pour les grecs, le blé est une plante cuite par l'ardeur du soleil mais aussi par le travail des hommes. Le feu est la vrai marque de la culture humaine. Le feu de Prométhée est celui de la technique, une procédure intellectuelle qui démarque les hommes des bêtes et consacre leur caractère de créatures civilisées. Et pourtant, dans la mesure où ce feu humain a besoin de s'alimenter pour vivre, il revêt aussi l'aspect d'une bête sauvage. Le feu rappelle la spécificité de l'homme, son origine divine et sa marque bestiale.

    Toutefois, Zeus considère que sa victoire sur Prométhée n'est pas complète : certes il a pris le feu aux hommes mais Prométhée lui a repris. Zeus a pris le blé mais les hommes, désormais, se le procurent en travaillant. L'échec de son adversaire n'est pas éclatant. Alors, Zeus réserve une surprise aux humains.

    Le châtiment que Prométhée reçut est connu291(*) et Zeus décide de punir à nouveau les hommes. Il leur envoie un fléau, Pandora, sous la forme d'une parthenos, modelée par Héphaïstos, parée par Athéna, qui lui noue sa ceinture, doté par Hermès de la parole, « d'un esprit impudent et d'un coeur artificieux », une créature mixte tenant du dieu, de l'homme et de la bête292(*).Ce mannequin, dont est issue la race des femmes, se présente comme les parts du sacrifice ou le fenouil, avec un extérieur trompeur.

    Prométhée (dont le nom signifie qui comprend d'avance) comprenant ce qui menace les hommes prévient son frère, Epiméthée (qui signifie comprend trop tard) de n'accepter aucun cadeau des dieux.

    « Quand il eut mis au point ce piège terrible, imparable, le père d'Epiméthée dépêche le fameux Argeïphontes, messager des dieux, pour apporter le cadeau. Epiméthée ne réfléchit pas. Prométhée lui avait dit pourtant de ne jamais accepter un cadeau de Zeus l'Olympien mais de lui retourner, de peur qu'un mal n'advienne à ceux qui meurent293(*). »

    Mais lorsque Pandora se présente à lui, Epiméthée, ébloui, la fait entrer dans sa demeure, (telle une épouse). Il se marie dès le lendemain et Pandora est installée en épouse chez les humains. Or, chez lui, des jarres sont entassées et l'une d'entre elle ne doit pas être ouverte. Profitant de l'absence de celui-ci, Pandora, guidée par Zeus, ouvre la jarre interdite : tous les maux, tous les malheurs s'en échappent et, bien qu'elle referme vite, seul reste l'espoir, Elpis. Le mal est fait : tous les maux sont dans le monde à cause de Pandora. Elle qui incarnait déjà tous les maux les a encore multipliés. Ils sont invisibles, ne restent pas en place, de sorte que les hommes ne peuvent les éviter, ainsi l'a voulu Zeus.

    « C'est de la première femme qu'est sortie la race des femmes en leur féminité. D'elle est sortie la race maudite, les tribus des femmes294(*). »

    Deux vers pour dire la même chose295(*) ? Pas tout à fait, tout se passe comme si, au moment où est introduit le génos gynaikôn, le texte hésiodique consacrait deux vers à détailler les éléments constitutifs du syntagme. Redoublant l'expression de la féminité, le vers 590 campe les femmes dans leur qualités de femmes. En adjoignant le vers 591, on redouble la fermeture de la race des femmes, groupe isolé sur lui-même. Ainsi, en deux vers, le poète a dit l'essentiel : les femmes sont dérivées de la femme, elle-même produite à l'origine en un seul exemplaire face à la collectivité déjà constituée des hommes.

    La race des femmes, née de la femme : la féminité s'autoreproduirait-elle dans le circuit fermé du genos ? Il faut accepter que Pandora soit, non pas la mère de l'humanité mais celle des femmes296(*).

    Voilà qui nous entraîne loin de la femme reproductrice, ce mal nécessaire. Ainsi, la tradition naît dans l'hétérodoxie, et le texte fondateur installe la race des femmes dans un écart originel.

    Ce écart est intéressant car en lui s'enracinent toutes les questions grecques sur l'origine : dans le récit, la femme apparaît sous le signe de la séparation.

    L'outrage est fait, la punition trouvée, voyons quel impact l'arrivée de Pandora a eu sur les hommes.

    II. LA FEMME, FRAUDULEUX FLEAU

    «  A Héphaïstos le fameux il donne l'ordre au plus vite de mêler de l'eau, de la terre, d'y mettre une voix, une force humaine, d'y façonner la forme d'une déesse immortelle, belle forme d'une fille qu'on aimerait297(*). »

    Qu'est ce qu'une femme ? Un être qui est tout sauf naturel298(*). Elle est faite de terre mais de terre glaise, et non pas née de la glèbe féconde comme les autochtones. Elle est un produit artisanale qu'ont réalisé Zeus et les autres divinités.

    L'humanité est désormais double, elle n'est plus uniquement constitué des hommes mais de deux sexes différents nécessaires à la descendance humaine. A partir de ce moment les hommes ne sont plus là d'emblée, ils naissent des femmes et ont besoin d'elles pour se reproduire.

    « O Zeus, pourquoi donc as-tu infligé aux humains ce frauduleux fléau, les femmes, en l'établissant à la lumière du soleil ? Si tu voulais propager la race mortelle, ce n'est pas aux femmes qu'il fallait en demander le moyen299(*). »

    Pourquoi la première femme est-elle un frauduleux fléau ? Ceci est en lien avec le fait que les hommes ne disposent plus du feu et de la nourriture sans effort. Le labeur fait dorénavant partie de leur existence ; les hommes mènent une vie précaire, ils doivent sans cesse se restreindre. Or, Pandora a pour caractéristique d'être toujours insatisfaite, insatiable, revendicatrice, incontinente. Elle veut être satisfaite et sa chiennerie est de deux ordres :

    Une chiennerie alimentaire : elle ne cesse de manger, elle a un appétit insatiable. La situation est semblable à ce qui se passe dans les ruches, il y a les abeilles laborieuses qui ramènent du miel dans la ruche et les frelons qui ne quittent jamais le logis et qui ne sont jamais rassasiés. De même, dans les maisons des humains, ils y a les hommes qui transpirent sur les champs, s'échinent pour creuser les sillons, pour surveiller et ramasser le grain et de l'autre, à l'intérieur, se trouve des femmes qui, comme les frelons, avalent la récolte. Elles épuisent toutes les réserves mais c'est aussi la raison principale pour laquelle une femme cherche à séduire un homme. Ce que veut la femme, c'est la grange. Avec sa « croupe attifée », elle joue au jeune célibataire le grand air de la séduction parce qu'elle lorgne la réserve de blé. Et chaque homme, comme Epiméthée, ébahi, se laisse capter.

    Deuxième chiennerie : un appétit sexuel dévorant : ainsi, les femmes, même les meilleures, celles qui possèdent un caractère mesuré, ont ceci de particulier qu'ayant été fabriquées avec de la glaise et de l'eau leur tempérament appartient à l'univers humide, alors que les hommes ont un tempérament qui est plutôt apparenté au sec, au chaud, au feu. Ainsi, durant la saison du chien, quand la chaleur est accablante, les hommes secs, s'épuisent, affaiblis. Les femmes, grâce à leur humidité s'épanouissent et exigent de leur époux une assiduité matrimoniale qui le met sur le flanc.

    Si Prométhée à voler le feu pour les hommes, la sanction est de même nature que le vol. La femme est un feu qui brûle son mari, qui le dessèche et le rend vieux avant l'âge. Feu voleur répondant au feu qui a été volé. L'homme va jusqu'à aimer ce qui lui coûte tant et tant de malheurs300(*) pourtant il eut été logique que les hommes cherchent à se débarrasser de cette créature. Mais la femme, insatiable, est un ventre, un ventre nécessaire. Si un homme se marie, il connaîtra tous les tourments, s'il ne le fait pas, il aura une vie heureuse, tout à satiété mais, au moment de mourir, à qui transmettra t-il ces biens si patiemment accumulés ? Ils iront grossir l'oikos d'un autre car, punition ultime, c'est à la femme que Zeus à donner le pouvoir de perpétuer l'espèce humaine. L'homme a donc le choix entre deux types de catastrophe, à chacun d'apprécier.

    La femme est double : elle est la panse, ce ventre qui engloutit toute ce que son époux a péniblement récolté au prix de sa peine, de son labeur, mais ce ventre est aussi le seul qui puisse produire ce qui prolonge la vie d'un homme, un enfant. L'épouse incarne la voracité qui détruit et la fécondité qui produit. Elle résume toutes les contradictions de notre existence. Comme le feu, elle est à la fois la marque du proprement humain, parce que seuls les hommes se marient. La femme est donc la marque d'une vie cultivée ; en même temps, elle a été créée à l'image des déesses immortelles. Quand on regarde une femme , on voit Héra, Aphrodite et Athéna. Elle est d'une certaine façon la présente du divin sur cette terre par sa beauté, sa charis, sa séduction. La femme conjoint la chiennerie de la vie humaine et sa part divine. Elle oscille entre les dieux et les bêtes, ce qui est le propre de l'humanité.

    Sous quelle apparence est arrivé ce fléau ?

    Pandora n'arrive qu'avec une apparence extérieure digne d'une déesse vierge. Instruments des Dieux, elle fut introduite par Zeus, au grand jour ce qui n'est pas sans rappeler la publicité dont le mariage est entourée pour être reconnu aux yeux de la polis, la présentation d'une merveille inconnue et l'expulsion des mortels loin du monde divin, où la stratégie de Zeus, monté contre les ruses de Prométhée, se retourne contre les hommes.

    Piège de la parure, piège du trop beau dehors, piège de l'apparence et pourtant Pandora ne dissimule pas qu'elle est autre chose qu'une femme un dieu, un démon, un homme, elle ne cache rien parce que la femme n'a pas d'intérieur, elle n'a rien à cacher : la première femme est sa parure, elle n'a pas de corps. Qu'est donc la femme ?

    « Un être tout semblable à une chaste vierge301(*). »

    Gyné parthenos : la femme qui est la jeune fille. S'il est conseillé d'épouser une jeune fille pour lui inculquer de sages principes, dans l'univers du mythe, il n'est pas de figure plus ambigu que la parthenos, qui concentre en elle tout l'interdit redoutable de la féminité. Si elle ignore les travaux d'Aphrodite d'or, la vierge n'en est pas moins l'alliée de la déesse qui lui apporte « la grâce, le douloureux désir, les soucis qui rompent les membres302(*). » Pire, la parthenos pactise toujours peu ou prou avec la mort, et, parce que, pour les hommes, la première femme porte en elle la condition mortelle en même temps que le tourment de la sexualité, nulle semblance ne lui convenait mieux que celle d'une chaste vierge.

    Cette femme qui n'apporte que des malheurs, est, selon les auteurs, soit unique, soit multiple. On abordera ici la vision de Sémonide qui prolonge celle d'Hésiode.

    III. LA FEMME SELON LES AUTEURS.

    Ainsi s'établit la misogynie du monde grec. La femme forme une race à part, « un mal destiné aux humains ». Elle constitue, pour l'homme un piège sans issue : une belle apparence ; elle est la faim, tant sur le plan sexuel que sur le plan alimentaire. Elle brûle l'homme ce qui fait dire à Palladas, auteur d'Alexandrie, que

    « La femme, c'est la colère de Zeus ; elle nous fut donnée pour racheter le feu, don funeste qui du feu est un contre-don. Car elle brûle l'homme de soucis ; elle le consume ; elle change sa jeunesse en vieillesse prématurée. »

    Dans la lignée d'Hésiode, on rencontre Iambe des femmes oeuvre de Sémonide d'Amorgos :

    « A l'origine, la divinité créa l'esprit sans tenir compte de la femme »

    « C'est de la première femme qu'est sortie la race des femmes en leur féminité. D'elle est sortie la race maudite, les tribus des femmes.303(*) »

    Aussi, faudrait-il se garder de trop vite naturaliser la femme de la Théogonie car ce n'est pas ici que l'on retrouvera l'image de la bonne épouse reproductrice, la fécondité y est occultée. En lisant la Théogonie, on s'aperçoit que les puissances de destruction l'emportent sur le principe de fécondité304(*).

    Donc la race des femmes est issue de la première gyné parthenos et d'elle seule. Y a-t-il une place pour un époux ?

    Génos, phyla : la race, les tribus des femmes. En ces termes se lit le statut des femmes, complémentaire en même temps qu'isolé. Complémentaire parce que meurt l'oikos de celui qui fuit le mariage. Isolé parce que, dans la pensée masculine des Grecs où se passe toutes ces opérations, il n'y a pas loin de la constitution des femmes en genos à leur sécession, hors du monde des hommes.

    Refus du mariage, refus de l'enfantement, les formes de cet isolement sont variées. Mais l'expression la plus fréquente de ce fantasme est encore l'idée qu'une fille est avant tout fille de sa mère, comme Perséphone, et étudiant les lois de la reproduction, Aristote peut énoncer une règle couramment admise, la ressemblance de la fille avec la mère. Un pas de plus et les mythes diraient que la femme peut engendrer seule.305(*) C'est donc bien une reproduction en circuit fermé que suggère le texte hésiodique. Constituées en génos et formant ainsi un groupe, les femmes tendent à échapper à la loi du mariage qui les distribuerait, une par une, dans les oikoi masculins : la représentation du génos gynaikôn menace le rêve hésiodique de la cité juste où, leur différence enfin annulée, les femmes « enfantent des fils semblables aux pères ».

    « C'est de là qu'est sortie la race maudite, les tribus des femmes »

    Génos, phyla, deux mots pour dire la même chose ? Je me range à l'avis de Nicole Loraux qui considère qu'il n'y a, dans un texte, pas un mot pour rien. Phyla, préciserait le sens de génos : la race des femmes, ou l'unité bien close du groupe, les tribus des femmes ou la diversité vivante du nombre au sein de l'unité. En effet, la suite du texte dit qu'il existe plusieurs types d'épouses : formule qui éclaire la signification d'ensemble du développement sur le mariage. Engeance maudite, incarnation du malheur des hommes, tel est le génos des femmes du seul fait de son existence. Dans ce malheur, il est cependant des degrés, autant qu'il y a de phyla : supportable avec la bonne épouse, le mal est incurable pour celui qui tombe sur une espèce malfaisante. Génos dit le mal absolu, phyla rend l'espoir possible.

    Pour Hésiode, l'unité devait certainement primer sur le multiple et la plupart de ces lecteurs devaient penser la même chose. Sémonide d'Amorgos, pour sa part, ignora l'unité du génos et fit primer la phyla. Dans l'iambe des femmes, cet auteur fait éclater l'unité du mythe.

    Puisque la femme échappe au genre humain, l'homme grec, qui s'attache à connaître le monde qui l'entoure, va la faire entrer dans le monde des animaux.306(*). Sémonide énumère les dix types de femmes, dont huit sont issus d'animaux- porc, renard, chien,âne, belette, jument, signe, abeille et deux sont issus d'un élément, la terre ou la mer.Toutes illustrent l'idée que la femme est une kakon : souillon, rusée, coquine, impudente, amorphe, cyclothymique, gloutonne impénitente, lubrique, folle de son corps, laide à faire rire et partagent toutes un défaut : l'incontinence dans les travaux d'Aphrodite. En résumé, quel plus grand mal que la femme aurait pu être crée pour l'homme307(*) ?

    Une seule forme de femme est fréquentable : la femme abeille :

    « Bienheureux celui qui l'a reçue, car seule elle échappe au blâme ; sa fortune prospère et grandit grâce à elle et elle vieillit aux côtés de son mari qui l'aime et qu'elle aime, après lui avoir donné une belle et louable descendance ; elle se distingue parmi toutes les femmes et une grâce divine l'entoure...Ce genre de femme est le meilleur et le plus avisé dont Zeus ait fait don aux hommes. »

    C'est une joie de posséder un tel oikos quand elle imite ainsi la ruche308(*) : une armée de travailleuses avec, à leur tête, une travailleuse en chef, travailleuse elle-même et inspiratrice. Elle contribue à la bonne gestion des richesses et elle contribue à la prospérité de la maison de son époux. Avec la femme-abeille, il peut y avoir avantage à vivre avec une femme. Toutefois, l'abeille ne revalorise pas le genre auquel elle appartient car elle n'a de valeur que relative moins en elle-même que pour ce qu'elle apporte à son mari. Elle donne sans cesse : enfants, travail, et sollicitude. Pourtant, étant femme, elle reste dénuée, par essence, d'intellect.

    Dans Les Travaux et les Jours, Hésiode avait fait Pandora de terre et d'eau : dissociant les éléments du mélange, Sémonide oppose entre elle une femme de la terre et une de la mer. Chacune d'elle parodie, à sa façon, le texte hésiodique. Après une description des différentes caractéristiques de chaque femme, Sémonide, dans une seconde partie de son poème, à la vie de douleurs du malheureux anèr, semble oublier qu'il est autant de femmes que de phyla pour mettre en avant une généralité. Dans ce cas, pourquoi avoir développé un arsenal animalier. Alors, quel discours tient Sémonide ? La femme descendrait elle des animaux ?

    A la diversité des espèces féminines correspond la diversité de leur mode d'apparition. En général, c'est un dieu qui les a faites. Mais le dieu peut aussi s'effacer, laissant la cavale enfanter la femme narcissique, et, dans la majorité des cas, on est seulement informé, sans plus de précisions sur un éventuel créateur, que telle femme vient de la chienne, de la mer, de l'âne, de la belette, de l'abeille. L'apparition de la femme peut résulter d'un geste artisanal, tel celui des Olympiens façonnant la femme de terre mais elle peut aussi prendre la forme de l'enfantement qui, avec la femme-cavale, fait soudain irruption dans le texte. Peut-être faut-il admettre que l'origine, chez Sémonide, est frappée d'indétermination parce que le poète se moque complètement de la question des origines309(*).

    Quelle opération intellectuelle accomplit Sémonide affirmant que telle ou telle femme « tient » du chien, du porc, du renard et que vise t-il par là ?

    A la seconde question, on répondra qu'il cherche à isoler les femmes dans la fermeture de sa tribu. Sans communication entre elles et privées de la complexité qui caractérise l'esprit humain, les femmes animales sont figées dans leur disparité, aussi incapable d'échange que le renard et le lion310(*). Pourquoi les animaux, ? Parce qu'ils sont rivés à eux-mêmes. Dans cet univers fait d'une addition de monde clos qui s'ignorent, rien ne se passe. En fait, Sémonide effectue là une métaphore afin de montrer la disparité constitutive de l'esprit féminin311(*). Après cette classification, pourquoi Sémonide les résorbe t-il dans l'espèce féminine ? En guise de réponse, on avancera d'abord le caractère dérivé de toutes ces femmes. Pour parler des femmes, Sémonide passe par la dérivation. La femme hésiodique était dérivée de la terre et de l'eau, de la beauté des déesses, de la force et de la voix humaines, de l'esprit de la chienne, du tempérament d'Hermès le voleur. Pour Sémonide, il y a un esprit de la femme mais distinct de l'homme au point d'être séparé des autres et de soi-même. Parce que la femme ne se définit que par des assimilations avec autre chose, autre chose que l'homme, elle se pense sous la double catégorie de la dérivation et du multiple. Des phyla, pas de génos. A moins que le génos ne s'appréhende jamais qu'éclaté.

    Ce texte permet de reconstruire la femme toute entière. A force de définir ainsi chaque femme par son rapport, toujours négatif, à quelques actes essentiels de l'existence, Sémonide finit par explorer le noos gynaikos dans toute son extension. En creux, les critères de bonnes conduites, ne pas chercher à trop en savoir mais penser plutôt au travail, ne pas trop manger, ne pas trop jouir mais faire des enfants à son mari ; dans le tableau des espèces, la vrai nature de la femme : un être curieux, malfaisant, paresseux, gourmand, dont la sexualité incontrôlable est marquée par l'indifférence ou l'excès312(*). En effet, d'un point de vue mythologique, la femme est sauvage, il importe donc de domestiquer cette nature. Comme chacun le sait, la femme n'écoute que ses pulsions, risque toujours de souiller ce qui l'entoure : d'où la colère divine. On retrouve cette idée chez la prêtresse parthenos Komaithô qui déclencha la colère d'Artémis en abritant ses amours avec Mélanippos dans le sanctuaire d'Artémis. Pour calmer la déesse, il fallut, chaque année, mettre à mort le plus beau couple.

    De la Pandora hésiodique aux femmes animales de Sémonide, il n'y a qu'un pas313(*). Elles figurent une même conception d'ensemble :

    « Ô Zeus ! A quoi bon dire du mal des femmes ? N'est-il pas suffisant de dire : « C'est une femme » ?

    Un auteur, Stobée, dans son Anthologie résume ainsi sa pensée concernant les femmes :

    « le mieux avec les femmes seraient de n'avoir pas à parler d'elle »

    Considérées comme étant à part, il était donc tout à fait concevable que des traités particuliers leur soient consacrés.

    Avec Pandora, c'est à la naissance de la gynécologie qu'Hésiode nous convie. Mais les anciens avaient-ils un point de vue commun sur la question. La femme n'était-elle atteinte que de maux qui lui étaient propre ? On verra ce que le Corpus en dit. Toutefois, il est nécessaire de constater que, dans beaucoup de traité, l'utérus est responsable de bien des maux féminins. On l'abordera sommairement pour marquer la différence avec les hommes et on développera plus dans le titre trois de ce travail de recherche. Mais il n'y a pas que l'anatomie qui, pour les grecs, différencie les hommes des femmes. En effet, pour eux, la physis de ces deux êtres est différente. Enfin, arrivant au terme de cette partie consacrée à la nature des femmes, on tentera une esquisse de définition de la parthenos.

    CHAPITRE II

    UNE NATURE DIFFERENTE

    Parler de la gynécologie hippocratique en utilisant le terme de notre gynécologie actuel ne serait pas honnête314(*) pour trouver un équivalent du mot grec gynaikeia. Ce mot englobe, chez les Hippocratiques, les organes sexuels de la femme, les règles, les maladies féminines, les thérapies liées à ces maladies. On examinera successivement les raisons qui ont rendu nécessaire la naissance d'une médecine spécifique, et comment la connaissance du corps des femmes est parvenue jusqu'aux Hippocratiques.

    I. ANCIENS ET GYNECOLOGIE.

    I.1 Justification d'une médecine à part

    Pourquoi une branche particulière de la médecine pour les femmes ?

    Au début du livre 3 de sa Gynécologie, Soranos rappelle le débat qui a opposé les médecins de l'Antiquité. Le contenu en était le suivant : les femmes devaient-elles avoir une branche de la médecine particulière ? Soranos était d'accord avec le fait que, au vu de son système reproductif, des grossesses, des accouchements et des naissances des nouveaux nés, les femmes avaient besoin d'une branche spécifique de la médecine ; d'un autre côté, elles pouvaient souffrir des mêmes maux que les hommes et, pour ceux-ci, elles devaient être traitées avec les mêmes remèdes315(*). Si l'on suit cet argumentaire, on reconnaît que les hommes n'ont pas le même appareil reproducteur que les femmes mais également que certaines maladies leurs sont communes.

    Beaucoup de traités hippocratiques révèlent un point de vue parallèle à celui de Soranos. Comme lui, les Hippocratiques considèrent que la gynécologie est avant tout la médecine concernant l'appareil reproducteur des femmes à l'origine, selon eux, de beaucoup de maladies féminines. Comme chez Soranos, on retrouve chez ces médecins, d'un côté, une médecine exclusivement réservée aux femmes et, d'un autre côté, une médecine androgène, concernant hommes et femmes. Disjoindre les deux aboutirait à la dichotomie qui régente la vie des anciens grecs et les idées des docteurs concernant la vie et la maladie316(*).

    I.2. Comment atteindre le corps des femmes ?

    L'intérêt pour les femmes de la part des Hippocratiques est illustré par le fait que, sur les soixante traités qui nous sont parvenus, dix traitent de la gynécologie317(*)..Pour atteindre le corps des femmes, il nous faut passer par le prisme déformant de l'homme. En effet, la plupart des textes sur les femmes qui nous sont parvenus sont le fait d'auteurs masculins. Par conséquent, les textes transmis reflètent, certainement, les positions sociales respectives des hommes et des femmes ou plutôt la façon dont les hommes pensaient les femmes318(*).

    Toutefois, on ne peut affirmer avec certitude que les hommes ne tenaient pas compte de l'opinion des femmes. En témoigne ce passage d'un des texte du corpus.

    « je ne sais que ce qu'elles ont bien voulu me transmettre »

    De plus, la profession n'étant pas réglementée, d'autres praticiens tels les sages femmes exerçaient l'art de guérir dans la Grèce classique. Or, les informations dont ont été rendues destinataires les médecins hippocratiques proviennent essentiellement de celle-ci auxquelles ils accordent la plus grande attention :

    « il ne faut pas refuser de croire les femmes sur les accouchements ; [...] ni fait ni parole ne pourraient persuader qu'elles ne savent pas ce qui se passe dans leur corps319(*). »

    et n'hésite pas à reconnaître que tout ne lui a pas été confié320(*).

    « je ne sais du reste que ce que les femmes m'ont appris321(*). »

    Un détail de taille ne transparaît pas ici. Comment savoir ce qui relève réellement de la connaissance que les femmes ont de leur corps et ce qui leur est imposée par une société masculine ? Il existe, même dans les définitions que les femmes donnent de leur corps, une part de représentation idéologique du rôle des sexes. La société fait d'elles des mères potentielles et la définition de leurs corps se fait par rapport à cela322(*).

    Pour avoir accès au corps, il faut convaincre les femmes d'accorder leur confiance aux médecins. On retrouve ici l'importance de la rhétorique soulignée dans le chapitre concernant la naissance de la médecine rationnelle : il faut que les femmes acceptent la venue du médecin hippocratique en lieu et place des croyances traditionnelles. Or, celles-ci faisaient volontiers plus appel à leurs voisines qu'à un médecin323(*). Il n'est, semble t-il, appelé qu'en cas d'absolue nécessité. L'évidence suggère que les femmes continuaient à avoir recours à la médecine traditionnelle. La persistance de l'utilisation de la médecine traditionnelle dans la vie des femmes, parallèlement à l'émergence de la médecine scientifique n'implique pas que la médecine hippocratique était moins efficace mais exprime un préjugé féminin bien compréhensible.

    Le médecin devait donc s'informer indirectement. Dans la gynécologie hippocratique, le toucher est essentiel. Or il semblerait que ce soit la femme qui se touche :

    « C'est surtout par le toucher et en interrogeant sur ce qui a été dit que l'affection se reconnaît324(*) »

    Mais, souvent, l'ordre d'inspecter est un infinitif, adressé soit à la seconde, soit à la troisième personne, ce qui fait dire à Lydie Bodiou325(*), que, combiné à l'utilisation de participe masculin, l'examen pouvait, parfois, être le fait du médecin.

    Ainsi, que ce soit pour satisfaire une société d'hommes considérant les femmes comme inférieures ou simplement parce que ne pouvant pas accéder à l'information, les médecins ont été dans l'obligation de déduire l'intérieur de l'extérieur326(*).

    Il peut sembler surprenant que, dans l'ensemble « Maladies des femmes », une grande place soit faite à la gynécologie. Je partage le point de vue d'Aline Rousselle qui souligne que le but des soins prescrits à la femme est de permettre la procréation327(*) mais je pense également que la matrice étant l'organe dominant chez les femmes, le reste de l'anatomie devient secondaire.

    En observant les théories avancées dans les traités, on s'aperçoit que celles-ci ne diffèrent pas nécessairement des idées traditionnelles sur la physiologie féminine. L'affection rapportée dans Maladies des jeunes filles était acceptée avant Hippocrate. Celui-ci accepte l'idée traditionnelle selon laquelle le passage à l'état de femme est difficile et explique l'origine de la maladie comme une accumulation de sang dans les poumons. La seule façon de soigner la fille est de la marier328(*). La différence entre la médecine hippocratique et les croyances traditionnelles réside plus dans l'explication données aux faits que dans les faits eux-mêmes.

    La femme et l'homme ont donc des maladies en commun. Toutefois, au regard des traités hippocratiques, on voit que la gynécologie y tient une place importante. Pourquoi ? Parce que l'homme et la femme diffèrent, au regard de l'anatomie, dans leur système de reproduction mais également dans leur physis.

    II. HOMME/ FEMME : DIFFERENCES

    II.2. Un système de reproduction différent.

    Pour les Hippocratiques, la théorie des quatre humeurs329(*) permet de comprendre le fonctionnement du corps humain.

    Dans le tome VIII de ses OEuvres complètes, Hippocrate consacre 250 pages aux « maladies des femmes ». Ce chapitre est un traité de gynécologie qui témoigne d'une attention constante envers les femmes frappées de tant de maladies liées à leur sexe.

    «  En effet, par pudeur, elles n'en parlent pas, même quand elles savent ; et l'inexpérience et l'ignorance leur font regarder cela comme honteux pour elle330(*). »

    Or, on ne retrouve pas la théorie humorale dans Maladies des femmes de façon significative. Pourquoi ? Il est possible, là encore, que l'on assiste à l'héritage de Pandora. On assiste, là encore, à l'héritage de Pandora : la femme n'est pas gouvernée par les humeurs mais par un organe, la matrice, dont nous étudierons le fonctionnement plus loin, on se contente ici d'énoncer les différences entre hommes et femmes.

    Donc, la matrice.

    Certains parlent d'un animal intérieur331(*), d'autres considèrent qu'elle est responsable de tous les maux qui affectent les femmes. Hippocrate et Platon n'ont fait que reprendre à leur compte des croyances millénaires : l'utérus comme organisme vivant doué d'une certaine autonomie et d'une possibilité de déplacement remonte à la plus haute-Antiquité, près de 2000 ans avant Jésus-Christ332(*). On retrouve pendant toute l'Antiquité ce schéma thérapeutique de la « suffocation de la matrice », suffocation qui deviendra l'hystérie333(*). Dans l'ensemble de l'oeuvre attribuée à Hippocrate, cette croyance garde la marque de ses origines, celle d'une pièce rapportée, tout à fait étrangère aux théories humorales qui étaient celles d'Hippocrate.

    La théorie d'un animal vorace aura la vie dure ; elle servira de support, de matrice.

    C'est donc l'utérus qui est responsable si la femme ne peut contrôler son activité sexuelle, c'est un besoin physique. Ainsi, dans Nature des femmes, l'auteur préconise que la femme rejoigne la couche de son époux dans la dernière phase des maladies qui la touchent. Or, comment imaginer que « la femme dormira avec son mari » ne soit pas, pour le médecin hippocratique un moment d'union charnelle entre les deux époux ? On en arrive bien vite à l'idée selon laquelle l'activité sexuelle protège de tous les maux et permet de glisser vers une main mise de l'homme sur la femme par la sexualité334(*).

    La femme se différencie de l'homme par son anatomie mais en quoi cela pouvait servir les intérêts de la société grecque ? Il faudra plus. Et quoi de plus facile que déclarer la femme inférieure de par sa physis ?

    II.2. Une physis, facteur de la dichotomie du monde grec.

    Au-delà des différences anatomiques, la femme est d'une nature autre que l'homme et ne pourra en aucun cas s'y soustraire. Si celle de l'homme est la mesure de toute chose parce que la plus parfaite, la femme est reléguée à un rang bien moins élogieux. Ecoutons Aristote335(*) :

    « Même chez les mollusques, lorsqu'on frappe la seiche à coup de trident, le mâle vient au secours de la femelle, tandis que la femelle s'enfuit quand c'est le mâle qui est frappé. »

    Le courage est donc mâle, la lâcheté femelle. C'est sa physis. Physis bien pratique pour les hommes qui leur permet de légitimer leur pouvoir sur les femmes.

    « La femme et l'esclave [y] sont au même rang : la cause en est qu'il n'existe pas chez eux de chefs naturels que la nature ait destiné à commander. »

    Un des aspect de la physiologie féminine sur lequel les Hippocratiques sont d'accord, c'est que la femme est de physis humide. C'est un excès d'humidité qui fait que la femme diffère totalement de l'homme. Ce qui le prouve, c'est l'apparition du flot menstruel336(*).

    Maladies des femmes attribue l'apparition des règles à la nature froide de la femme337(*), qui est molle et spongieuse à cause de son corps qui absorbe l'excès de sang dans son ventre. L'auteur utilise cette analogie pour expliquer la différence entre la peau de l'homme et celle de la femme. Si de la laine et de l'étoffe sont laissés durant deux jours et deux nuits dans de l'eau, à la fin de cette période, la laine deviendra plus lourde que l'étoffe. Ceci est du à un excès d'humidité parce qu'elle est plus poreuse. C'est la même chose pour l'homme et la femme : la femme est comme la laine. On remarque que la femme peut avoir une peau épaisse, donc on reconnaît que le corps des femmes n'est pas exactement semblable mais que la différence entre eux est une question de degré338(*).

    Pour l'auteur du traité des glandes, si un homme, après sa journée de travail et d'exercice à un excès d'humidité dans le corps, celle-ci est absorbée par des glandes construite à cet effet. Toutefois, toujours selon cette auteur, au chapitre 16, la nature des glandes de la femme est poreuse comme le reste de son corps. Dans son chapitre 1, il décrit les glandes chez la femme : le corps de la femme adulte est une immense glande similaire à la peau dans le corps de l'homme lequel fonctionne seulement après que l'homme ait utilisé le surplus de fluide pour l'une de ses activités demandant un effort. Le fait que l'on refuse aux femmes la possibilité de développer cette sorte de peau signifie qu'on ne les croit pas capable d'accomplir les même performances alors même que des esclaves de sexes féminin travaillent autant que les hommes et sont aussi musclées qu'eux339(*).

    La classification à laquelle s'est livrée Hippocrate permet aux grecs de définir ce qui est bon de ce qui est mauvais : le corps de l'homme est ferme et compact par conséquent, ce sont les qualités à rechercher ; les femmes sont molles et humides, ces deux caractéristiques sont donc mauvaises. Parce que l'homme travaille et exerce des activités à l'extérieur de l'oikos, son corps, en règle générale, est plus ferme et compact que celui de sa compagne qui reste dans la maison. Inactive, elle n'a donc pas la possibilité d'évacuer l'humidité qui la caractérise, de toute façon, plus que son époux, qui, par nature, avant même de parler de son activité, est plus sec340(*).

    Après cette description de ce qu'est la femme au regard de l'homme, on mesure le fossé qui existe entre ces deux individus, fossé que la parthenos, qui se prépare au mariage, va être obligée d'accepter. Mais avant de voir dans notre chapitre trois les difficultés auxquelles elle va se heurter, tentons une définition de son état

    III. ESQUISSE DE DEFINITION D'UNE PARTHENOS.

    Quand on cherche à définir ce qu'est une parthenos, il est difficile de savoir quels critères doivent être pris en compte. Différents chercheurs ont privilégié tel ou tel critère (statut social, âge). Au fil des lectures, j'ai constaté qu'aucun d'eux, pris séparément, ne pouvaient rendre compte de la réalité. C'est avec une grande modestie que je vais tenter de définir ce qu'est une parthenos, que ce soit à travers les qualités requises pour cette période de sa vie, son âge ou son statut dans l'oikos. Toutefois, le sujet de ce mémoire portant sur les parthenoi dans le regard de la médecine grecque rationnelle, j'apporterai également la vision des hippocratiques.

    III.1 Ce qu'en dit la société.

    Deux mots désignent en grec celle que nous appelons « jeune fille », korè et parthenos341(*). Koré met l'accent sur la jeunesse et la filiation, et est souvent suivi du nom du père. Il se traduit, en anglais par le mot daughter. Le second, désigne le statut de la jeune fille avant le mariage, que l'on traduit souvent par vierge.

    Dans la cité grecque antique, une des oppositions fortes qui structurent les représentations est celle qui passe entre adultes et non adultes ; dans la catégorie des « jeunes » ainsi constituée, les filles s'opposent aux garçons d'une part, aux femmes mariées d'autre part. Au carrefour de ces catégories, la parthenos est la fille qui a atteint la puberté et a franchi, si elle appartient à l'élite sociale de la cité, les étapes de l'initiation qui font d'elle « une fille à marier ». La parthenos est la vierge, celle qui ne connaît pas le mariage mais est en âge d'être montrée et d'y être offerte. C'est dire que c'est toujours son rapport à l'homme, son père, celui qui la donne en mariage, ou son époux encore à venir,celui qui la recevra et au foyer duquel elle sera désormais liée, qu'elle est définie. La parthenos est à un statut intermédiaire, dans le pivotement du sacré, qui comme tous les passages, est un moment dangereux et chargé de significations. C'est pourquoi il est ritualisé, plus ou moins marqué selon les cités et selon l'appartenance sociale des parthenoi, et garde les caractèristiques d'une initiation. A travers le destin de ces jeunes filles choisies se laisse deviner celui de leurs compagnes d'âge.

    Les sources judiciaires nous permettent également de dater la puberté. Il s'agit du moment où l'on peut jouir de ses droits civiques (quatorze ans pour le garçon, 12 pour la fille).

    La littérature a conservé des parthenoi célèbres et nous permet d'approcher ce que pouvait être le quotidien d'une parthenos. Dans l'Odyssée, cette figure s'incarne sous les traits de Nausicaa, fille du roi Alkinoos qui recueille Ulysse après son dernier naufrage. Celui-ci résume ce qu'une jeune fille peut attendre d'un mariage

    « un mari, une maison, sans oublier la concorde précieuse »

    Ceci définit ce qu'attendent les jeunes filles grecques, le mariage. Cette idée est renforcée par un autre document, dont la véracité, à la différence de l'Odyssée, est établie. C'est un sema, consacré par un père à sa fille morte. L'inscription est datée de 540 par les archéologues :

    « pour toujours je serai appelée jeune fille les dieux m'ayant, au lieu du mariage attribué ce nom »

    Figure ambiguë342(*), la parthenos se situe au carrefour des catégories. Elle a atteint la puberté et a, éventuellement, franchi les étapes de l'initiation. C'est une fille à marier en âge d'être montrée, offerte au mariage. Le statut de parthenos relève donc également du rapport entretenu avec les hommes. Il a pour horizon l'entrée dans un nouvel oikos.

    Cependant, n'y a-t-il pas de changement plus radical que le passage de l'oikos de son père à celui de l'époux ? Que dire de la mère de Persée, visitée par Zeus sous la forme d'une pluie d'or.C'est dans ce contexte que le rapport de la parthenos avec la parthenia doit aussi être étudiée343(*). Parthenia désigne une prise, un trésor qu'il faut respecter. Une fois que la sexualité d'une jeune fille est découverte, son statut change, de façon bien plus radical que lorsqu'elle se marie. Vendue ou tuée, elle est hors du réseau des relations affectives où elle conduit son existence de femme non mariée, hors du lieu qui l'a fait être une parthenos. Elle ne peut être ni une épouse ni une hetaïre. C'est une sorte de mise à mort maquillée et sans souillure.

    Autre caractéristique, la pureté. Pureté de corps et d'esprit. L'Economique de Xenophon nous renseigne sur ce que le commun attendait d'une pro gamou.

    « Que pouvait-elle bien savoir quand je l'ai prise à la maison ? Elle n'avait pas encore quinze ans quand elle est venue chez moi ; jusque-là, elle vivait sous une stricte surveillance, elle devait voir le moins de choses possibles, en entendre le moins possible, poser le moins de questions possibles344(*). »

    La parthenos est une jeune pousse, traduite thalos, qui fleurit. C'est l'image biologique et sexuée de la parthenos. Elle est celle qui atteint un certain développement, qui est sur le point de fleurir, comme la fille de cet âge. Si la parthenos appartient encore à la maison de son père, elle se sait disponible. Par conséquent, elle est irrésistible. On a proposé une étymologie du mot parthenos qui place à son origine l'idée de protubérance. Ainsi, l'âge de parthenos serait celui du gonflement des seins345(*).

    III.2. Les sources médicales

    Les sources médicales nous permettent de connaître l'âge biologique auquel on a rattaché la menarche période qui concerne donc la parthenos. La plupart des écrivains médicaux s'accordent pour la fixer aux alentours de quatorze ans346(*). D'autres la situe entre onze et quatorze.

    « Il faut s'attendre à ne rencontrer aucune de ces maladies avant la puberté. De quatorze à quarante deux ans jusqu'à soixante trois ans347(*) »

    Mais la nature de l'adolescence change selon les régions. Le climat, la race, l'environnement, seraient des facteurs permettant de définir la puberté.348(*) Le souci auquel on se heurte pour la décrire reste celui de la diversité. C'est un jour le travail de l'air, un autre le souffle ou l'humidité qui explique la puberté dans tous ses aspects. Toutes ces théories gardent des traces de croyances populaires jusqu'à la fin de l'Antiquité, sans qu'une doctrine universelle ne soit clairement dégagée.

    La principale caractéristique de la menarche reste la maturité sexuelle. Il s'agit de la production de sperme chez les garçons, de l'apparition des règles chez les filles. Elle se repère également à l'apparition de la poitrine :

    « Ils sont aussi gros que deux doigts quand la jeune fille à ses règles pour la première fois349(*). »

    L'apparition des poils est liée au fait que la peau devient poreuse. Il y a des poils là où la peau est poreuse et où l'humidité est là pour la nourrir. De plus, les veines s'agrandissent pour que le sang menstruel puisse s'écouler.

    Dans les termes grecs, être une parthenos, c'est être une fille qui combine le fait de ne plus être une enfant, non mariée mais déjà en âge de l'être comme indiqué sur l'épitaphe de la fille de Philostrate (EG 463). Pour être considérée comme une femme en pleine maturité, une gyné, il est nécessaire d'avoir donné naissance. C'est la naissance du premier enfant qui achève le processus faisant de la jeune fille une femme, processus commencé avec l'apparition des règles, la disponibilité du sang pour qu'un foetus puisse se former, et la possibilité pour le sperme masculin d'entrer dans l'utérus. Les grecs essaient de comprimer ce processus dans un temps aussi court que possible, datant la menarche à l'âge de 13 ans et recommande que les jeunes filles se marient à 14 ans350(*).

    De son côté, Aristote croit que le développement des garçons et des filles, durant la puberté se fait en parallèle et explique que la nourriture, jusque là utilisé pour grandir permet désormais de produire le sperme et les règles. Il lui est facile de tenir ce parallèle car, pour lui, la femme ne produit pas de sperme féminin.

    Aristote poste la puberté à l'âge de 14 ans pour les garçons ainsi que pour les filles mais considère que hommes et femmes ne sont pas en état de procréer avant 21 ans351(*). On sait aujourd'hui que le sperme est fertile à partir de la première éjaculation et que les jeunes filles ne peuvent produirent d'ovule durant les deux premières années de leur cycle.

    La confusion hippocratique entre sang ménarchal et sang hyménal montre l'importance du sang menstruel dans la définition classique du corps de la femme. Si un corps est celui d'une femme, il comporte du sang menstruel même si cela ne se vérifie pas par des indices extérieurs du corps. Les textes hippocratiques permettent de soutenir l'âge reconnu par la société comme étant celui auquel une jeune fille devient une femme, soit à 14 ans, âge auquel elle est capable d'assumer les tâches d'une adulte. Si Aristote croit également que les jeunes filles passent la puberté à l'âge de 14 ans, il ne considère pas que c'est à cet âge qu'elles sont capables d'assumer le rôle d'une adulte. En effet, Aristote, à la différence de ces prédécesseurs, considère qu'une jeune fille commence sa puberté au moment où ses règles apparaissent et non qu'elle la finit352(*).

    Nous savons donc quand cette puberté, commence mais quelle en est le point final ? Galien et Hippocrate la situe à vingt cinq ans, en liaison, certainement, avec le fait d'être majeur et légalement indépendant, Aristote vers vingt et un an353(*).

    Une parthenos pourrait, par conséquent, se résumer à ceci : jeune fille d'environ quatorze ans, n'ayant pas forcément vu apparaître ses menstrues, non encore mariée ayant gardé intacte sa parthenia, idéalement vierge de toutes idées afin que l'homme grec puisse y imprégner sa marque.

    Quand Pandora est donnée en mariage aux hommes par les dieux, elle l'est sous l'apparence d'une parthenos ou d'une vierge non mariée. Etre devenu une gyné dans le sens propre du terme, c'est avoir donné naissance, ce qui nous amène au mariage, période phare dans la vie d'une jeune fille.

    Mettre sous le joug, dompter. Comment justifier cette soumission de la femme à l'homme ? Alors que le texte hésiodique nous renvoyait une image de l'homme soumis à la femme, les grecs ont réussi à asservir, même si le mot est un peu fort, les femmes. Le mariage est nécessaire car conforme à l'intérêt de la cité et de l'oikos. Cette idée est renforcée par les théories médicales qui rendent la fréquentation du lit conjugal nécessaire à la survie des femmes.

    CHAPITRE III

    METTRE SOUS LE JOUG

    On va aborder les risques qu'encourent les jeunes filles si elles restent vierges, mais sommairement, pour l'étudier dans la troisième partie de ce travail. Sa place ici se justifie par le fait que ces risques permettent de rendre le mariage nécessaire. On abordera aussi la question de l'hymen, qui selon les hypothèses, serait ou non responsable des maladies touchant les jeunes filles pour finir sur le point de vue d'Aristote qui, même si hors de notre champs d'étude, se place dans la droite ligne d'Hippocrate.

    I. LE SANG DOMESTIQUE PAR LE MARIAGE.

    Je dois, pour cette sous-partie, rendre hommage au travail de Lydie Bodiou dont la thèse, Histoire du sang des femmes grecques :filles, femmes, mères, a inspiré ce qui va suivre.

    La puberté est considérée comme l'âge auquel les jeunes filles ont un trop plein de sang dans leur corps. Ce sang se dirige dans leur utérus et s'écoule si la fille est « ouverte ». Si celui-ci ne parvient pas à sortir, la jeune fille en tombe malade de son sang. car il se porte à la zone entourant le coeur où il cause une sensation d'engourdissement, provoquant des symptômes similaires à ceux de l'épilepsie.

    « le sang n'ayant pas de sortie, s'élance, vu la quantité sur le coeur et le diaphragme. Ces parties étant remplies, le coeur devient torpide ; à la torpeur succède l'engourdissement, et l'engourdissement, le délire354(*). »

    L'issue est terrible :

    « la femme a le transport à cause de l'inflammation aiguës, l'envie de tuer à cause de la putridité, des craintes et des frayeurs à causes des ténèbres, le désir de l'étrangler à cause de la pression autour du coeur. (...) La maladie dit des choses terribles. Les visions lui ordonnent de sauter, de se jeter dans les puits, de s'étrangler comme étant meilleur et ayant toute sorte d'utilité »355(*)

    A ce désordre du corps et de la raison, le praticien cherche une cause logique, il recommande aux jeunes filles de

    « se marier le plus tôt possible : en effet, si elles deviennent enceintes, elles guérissent, à l'époque de la puberté ou peu après 356(*) »

    Mariée et déflorée dès qu'elle a atteint la puberté. Pour ce médecin, il semble aller de soi que le premier rapport sexuel après le mariage verra la défloration de la jeune fille. La fin de ses maux de parthenos, le début des maladies du gunai. Cet « obstacle » à la menarche dans le corps d'une jeune fille est, dès lors, ôté :

    «  Elles sont délivrées de cette maladie, quand rien n'empêche l'éruption du sang. Je recommande aux jeunes filles, éprouvant des accidents pareils, de se marier le plus tôt possible ; en effet, si elles deviennent enceintes, elles guérissent357(*) »

    Tout cela illustre parfaitement l'extrême précocité du mariage. Ainsi, sans doute sont-elles mariées avant d'être pubères avant que la « maladie des jeunes filles » ne les frappe.

    Déflorée. Qu'entend-t-on par là ? La question divise.

    Selon G. Sissa, la défloration n'est pas une rupture de l'hymen ( qu'elle pense être une idée chrétienne) mais la dilatation du tissu des veines du corps et de la bouche du col de l'utérus (stoma)358(*). Comment accréditer cette idée ? Il n'est qu'à citer l'évidence de Maladies de jeunes filles. Qui plus est, la métaphore de la jarre de vin scellée pour désigner l'utérus d'une jeune fille confirme que le rapport sexuel équivaut à rompre un sceau ou à arracher un voile. Elle cite les arguments de Soranos contre l'existence d'un hymen :

    On pense parfois qu'une mince membrane, qui s'est développé en travers du vagin, l'obstrue : que la rupture de cette membrane intervient au cours de la défloration et cause une douleur, ou qu'elle a lieu en cas d'apparition des règles avant la défloration ; que si ladite membrane, demeurant en place, prend constance et durcit, elle est à l'origine de l'état pathologique nommé atrésie : tout cela n'est que mensonge. D'abord, la dissection ne révèle pas semblable membrane ; ensuite, chez les vierges, on devrait buter sur elle en explorant le vagin à la sonde : or la sonde entre profondément. De plus, si c'est bien la rupture de la membrane lors de la défloration qui cause une douleur, il faudrait alors nécessairement que, chez les vierges, une menstruation antérieure à toute défloration entraînait une sensation douloureuse, et qu'il n'en fût plus ainsi au cours de la défloration359(*) »

    Selon G. Sissa, ces théories contre lesquelles Soranos argumente sont anonymes et ne peuvent être attribuées à une école médicale avant la période chrétienne360(*). Elle argue que les médecins hippocratiques voient une membrane hermétique sur le vagin comme un état pathologique plutôt qu'un état naturel361(*), et que Maladies des jeunes filles peut être expliquée de façon plus cohérente si le sang est emprisonné à l'intérieur du corps, du fait de l'étroitesse des veines de la jeune fille. Superfétation confirme cette interprétation. En effet ce médecin décrit les symptômes des parthenoi souffrant, si leurs règles n'apparaissent pas :

    « Elle souffre de la bile, à la fièvre, des douleurs, soif, faim, des vomissements, du délire et puis des retours à la raison362(*) »

    Ces termes sont très similaires à ceux que l'on a rencontré dans Maladies des jeunes filles. Par contre, ce passage de Superfétation recommande des fumigations et des applications chaudes pour soulager ces symptômes, et non pas des rapports sexuels, montrant ainsi que l'on soignait la nature rétrécie du corps, plus qu'une membrane imperforée dans le vagin. Bien plus, Maladies de jeunes filles ne décrit pas le sang emprisonné descendant de l'utérus dans la partie supérieure du vagin, (endroit où il aurait dû s'arrêter), si la forte poussée ascendante du pénis à travers la membrane était pensée la percer. Le sang est emprisonné dans l'utérus par un stoma resserré que la friction réchauffante du rapport sexuel ouvre. En l'absence de rapport sexuel, cette fermeture est l'état normal du stoma. C'est la raison pour laquelle toutes les femmes dans leurs années reproductives doivent rester actives sexuellement :

    « A un niveau, c'est la cause de l'utérus se fermant dans le cas d'une femme qui n'use pas du coït363(*) »

    Mettre en équation la défloration et l'élargissement du stoma plutôt que la rupture d'une membrane hermétique, permet au sang qui apparaît souvent lors du premier rapport, d'être rapport, d'être confondu avec le sang se collectant supposément dans l'utérus d'une jeune fille, et d'affirmer que la jeune fille était prête à tenir son rôle d'adulte. Le sang hyménal peut ainsi être expliqué comme les premières gouttes de sang menstruel. Si la menstruation entière ne commence pas immédiatement après la défloration, c'est soit parce qu'une grande quantité de sang n'a pas été accumulée, soit que le sang s'est déplacé vers une autre partie du corps et avait besoin de temps pour retourner dans l'utérus 364(*).

    De façon similaire, pour Aristote, les filles commencent à devenir femme vers 14 ans et le signe patent de ce changement est la présence de sang à l'intérieur de leur corps. Alors que le corps masculin prend plusieurs années à atteindre ses entières capacités génératives, une fois qu'il a commencé à produire du sperme, cela lui permet de prouver que la présence de sang dans un corps féminin, ne signifie pas automatiquement qu'elle soit prête à assumer son rôle de femme.

    Ainsi la virginité n'est pas saine, les rapports sexuels sont conçus dans l'espace d'une médication salutaire pour la jeune fille. Ils permettent l'écoulement des menstrues et humidifient la matrice. Mieux, la maternité accomplira la femme, car elle s'accorde alors avec elle-même, en réalisant pleinement sa vocation. Cette logique correspond parfaitement à une raison sociale, car la période à hauts risques pour le corps des femmes n'a jamais été la puberté, mais bien la grossesse et l'accouchement. Le médecin se conforme aux réalités de son temps : le salut de la parthenos passe par le mariage.

    Ainsi donc, la jeune fille, prisonnière d'un temps cyclique, porte en elle la source de maux bien spécifiques. L'échéance de son destin la voue au silence de l'attente dont seule la grossesse saura la délivrer. Elle ne peut espérer s'épanouir que sous le joug marital. La maladie est donc bien un langage, le médecin hippocratique érigeant en modèle social la sujétion de la jeune fille.

    Selon Aristote, les développements des garçons et filles à la puberté sont parallèles et expliquent la réexpédition de l'alimentation précédemment utilisée dans la croissance, pour la production des fluides reproductifs : sperme et règles. Il est plus aisé pour lui de maintenir ce parallélisme que pour le médecin de Nature de l'enfant, puisque selon lui, une femme ne produit pas de la semence en même temps que les règles sont le parallèle du sperme mâle, elles doivent nécessairement être un résidu séminal de la femme :

    « Puisque le flux menstruel est la sécrétion qui, chez les femmes, correspond au liquide séminal des mâles ; comme d'autre part, il n'est pas possible que deux sécrétions spermatiques se produisent dans le même être, il est évident que la femelle ne contribue pas à l'émission du sperme dans la génération : car si elle émettait du sperme, elle n'aurait pas les menstrues365(*) »

    Alors qu'il établit la puberté à 14 ans pour les garçons et les filles, en revanche, le sperme d'un garçon reste infertile jusqu'à l'âge de 21 ans et cela bien que des jeunes femmes concevassent volontiers :

    Jusqu'à 21 ans, le sperme est infécond. Ensuite, il est fécond mais les jeunes gens et les jeunes femmes ont des enfants de petite taille et imparfaitement formés. Quoiqu'il en soit, les jeunes femmes conçoivent, elles ont un accouchement plus laborieux. (...) Après 21 ans, les femmes sont désormais en bonne condition pour faire des enfants, tandis que les hommes ont encore à se développer366(*) »

    Elles doivent donc attendre, elle aussi, 21 ans pour se reproduire. En fait, la recherche moderne a montré que la plupart des hommes sont infertiles lors de leur première éjaculation, alors que les jeunes filles n'ovulent pas à chaque cycle menstruel pendant au moins les deux premières années. Donc il serai plus correct de considérer un temps de latence plus important entre la puberté et la capacité de reproduire pour les filles que pour les garçons. Aristote a pu être mené à cette conclusion parce qu'il a rencontré quelques très jeunes mères dans la société de son temps, alors que, les hommes n'étant pas encouragés à se marier avant 30 ans, les jeunes pères sans doute rares367(*).

    Mais Aristote est surtout de ceux qui milite contre les mariages trop précoces et pour des raisons physiologiques, il propose que l'homme épouse une femme de 15 à 20 ans sa cadette. Pour des raisons économiques aussi (le mariage oblique est le plus prisé), pour des raisons de mainmise, la femme a largement le temps d'être dressée à ses devoirs. Néanmoins, parce qu'il croit que le corps féminin est plus proche de celui du mâle que ne le croient les Hippocratiques, Aristote soutient que la puberté pour une femme s'étend sur un certain laps de temps comme pour l'homme ; tout comme ce dernier, si la jeune fille peut concevoir, cela ne signifie pas qu'elle doive le faire.

    La fermeture hermétique de l'utérus est pour Aristote, une condition pathologique. La croissance du stoma est une pathologie qui doit être soignée par un traitement :

    « Il existe des femmes chez qui l'orifice de l'utérus, après être resté soudé, se déchire au moment des règles et au prix des douleurs : chez certains cas l'issue est fatale quand l'ouverture est faite de force ou qu'elle ne peut être obtenue »

    Sa combinaison anatomique du vagin et de l'urètre l'empêche d'imaginer une membrane imperforée sur le passage de l'urètre au vagin. Il est difficile de savoir comment il explique le sang hyménal puisqu'il ne parle pas la défloration dans ces travaux biologiques. On peut penser qu'il sent probablement ce rapport sexuel initial comme signifiant dans un contexte social, plus que dans un contexte biologique. Il ne peut avoir cru en un stoma rétréci qui serait ouvert par le rapport sexuel, alors qu'il argumente contre les mariages précoces et l'expérience sexuelle prématurée à la fois pour les garçons et les filles et par conséquent, doit penser qu'il n'y a pas d'obstacle à la menstruation des vierges. Pour lui, les rapports sexuels élargissent les passages (poroi) dans les corps mâles et féminins et son affirmation selon laquelle les tentatives prématurées d'éjaculation par la masturbation causent autant de douleur que de plaisir chez les jeunes garçons, peut être une assimilation inappropriée de la première expérience sexuelle d'un garçon par rapport à celle d'une fille368(*).

    Après l'exposé de ces théories médicales, nous allons voir comment elles ont servi à renforcer l'image d'une femme ne pouvant se passer de son époux pour sa survie mais surtout que, pour satisfaire au croyances culturelles, certains postulats n'ont pas été remis en cause par la médecine d'observation.

    II. MEDECINE ET SOCIETE

    De Sémonide à Euripide, la femme est créature de Zeus, et, dans sa cohésion, le génos gynaikon menace l'unité de la société masculine. Fidélité à Hésiode ? Bien plus : rencontre d'un texte et d'une pratique politique. Car la référence à Hésiode permet d'exprimer une question toujours rouverte dans l'idéologie grecque de la citoyenneté, l'exclusion à la fois nécessaire et impossible des femmes, « moitié » paradoxale de la polis grecque, et cette permanence du discours sur elles mérite d'être soulignée face à la prolifération, dans le monde des cités, de discours rivaux sur l'origine du premier homme369(*).

    On a déjà vu le point de vue de Sémonide d'Amorgos dans Iambe des femmes qui met en évidence la pluralité de cette race en la classant selon dix categories dont neuf ont une nuance fortement péjorative : la femme-chienne, la femme-porc, la femme-singe, une seule semble échapper à cette vision, la femme-abeille, mélissa, emblème des vertus domestiques mais qui n'est, pour Sémonide, qu'un idéal. En réalité, la femme peut être un mélange de tous ces types370(*).

    C'est dans cet esprit que s'organise la société grecque et que, par conséquent, la jeune fille se prépare à sa vie de femme et de mère.

    On retrouve souvent l'expression parthenos admès qui désigne la parthenos sans maître. Admès, littéralement indomptée s'applique aussi bien aux animaux qu'aux humains371(*). Les filles, et parmi elles, les prépubères, sont souvent désignées collectivement par des noms d'animaux, on les appelle des ourses, des pouliches, des taures... Leurs propres noms rappellent souvent cette nature animale primitive, ainsi Briséis qui s'est d'abord appelée Hippodamie « Cavale domptée ». L'idée qu'en chaque parthenos se cache un animal sauvage qui n'a pas encore été soumis au processus de civilisation correspond bien à l'idée que les Grecs se font de l'évolution du féminin. Le dompteur du féminin sauvage, c'est le mari ; c'est en prenant la parthenos chez lui comme épouse qu'il la civilise. Toutes les jeunes filles candidates au mariage devront ployer le col et sentir sur leurs nuques peser la main du bienheureux mortel dont les présents vainqueurs l'emmèneront chez lui. Il devra détruire, par contrainte ou persuasion, ce que la parthenos a de rebelle, l'obliger à quitter le monde de l'enfance, du ballon, des choeurs et d'Artémis. La procédure du désensauvagement vise à l'amener à endosser les responsabilités de sa nouvelle « maison », qu'elle fasse sienne les vertus que ses nouvelles responsabilités exigent, et, tout cela, en devenant la compagne de lit d'un homme, c'est-à-dire en découvrant d'autres contraintes, celles de l'amour-séduction, désir, plaisir. Voilà ce que c'est que d'être domptée , mise « sous le joug », même si c'est ensemble qu'on tire le char de la « maison ». Qu'est ce que ces jeunes filles peuvent connaître de cette vie qui va être la leur ?

    « Que pouvait-elle bien savoir quand je l'ai prise à la maison ? Elle n'avait pas encore quinze ans quand elle est venue chez moi ; jusque-là elle sous une stricte surveillance, elle devait voir le moins de choses possibles, en entendre le moins possible, poser le moins de questions possibles372(*) »

    La raison de vivre de la parthenos, c'est le mariage : elle s'y prépare. La nymphé idéale est plus vierge que vierge. A la virginité du corps s'ajoutent celle de l'esprit373(*).

    Ce rôle est assumé par le mari, et ce d'autant mieux que celui-ci est l'aîné et que les grecs sont attachés à la valorisation de l'âge.

    Face à cette nature difficile, la cité met en place un processus de socialisation de la jeune fille et le mariage est la dernière étape de cette domestication. Dès la naissance, la différence de destin est marquée entre le garçon et la fille : dans le premier cas, on accroche un rameau d'olivier au-dessus de la porte, dans le second, un brin de laine. Le premier est un futur citoyen ; la seconde ne le sera jamais car il n'y a pas de citoyenne à Athènes, ni à Sparte, ni à Gorcyne, cités à propos desquelles nous disposons de quelques informations.

    La religion est un processus d'intégration des filles dans la cité. A Athènes, même si une minorité est concernée par des pratiques religieuses particulières, c'est la communauté de jeunes filles qui est engagée par le service temporaire d'une divinité. Le premier niveau est destiné aux fillettes de sept à onze ans. Ce sont les quatre arréphores dont la charge est de tisser le péplos offert tous les ans à Athéna lors de la grande procession des Panathénées ; elles accomplissent en outre au mois de juin le rituel des Arréphoria qui consiste, la nuit, à descendre de l'Acropole des objets sacrés et de les déposer dans une grotte ; en même temps, elles en remontent d'autres, des gâteaux en forme de serpents et de phallus : rituel d'initiation après leur service après leur service auprès de la déesse. Un deuxième groupe a trait aux petites ourses, une centaine de fillettes de dix ans au plus qui sont attachées à un sanctuaire de la déesse Artémis, à proximité d'Athènes. Elles sont habillées d'un vêtement de couleur safran, la crocotte est sont censées faire l'ourse, c'est-à-dire à vivre cet aspect du sauvage qui caractérise à la fois la condition féminine et l'enfance et à apprendre à dominer ou du moins à canaliser cette sauvagerie. La cérémonie finale marque la fin de cette période sauvage et l'entrée dans la phase qui va mener la fille vers le mariage. L'ultime fonction de la jeune fille et de faire la canéphore, c'est-à-dire de porter la corbeille de sacrifice lors de la grande cérémonie religieuse des Panathénées. Cette période est aussi marquée par la puberté : la jeune fille entre dans un âge où l'on peut la montrer aux hommes.

    La dernière étape de cette maturation est donc le mariage. Là aussi, le rituel marque le caractère spécifique de la femme. A Athènes, ce mariage illustre le passage de la vie sauvage à la vie civilisée grâce au mari : la fiancée est parée avec une couronne d'épines et de glands de chêne sur la tête ; elle est accueillie dans la chambre nuptiale où on lui remet une poêle à griller l'orge, un pilon à mortier et un crible, symbole du grain moulu, de la culture ; elle est accompagnée par un enfant qui porte une couronne d'épines et qui distribue du pain en disant « j'ai fui le mal ; j'ai trouvé le mieux » : la femme trouve enfin sa place dans la cité ; elle devient un champ de labour où l'homme pourra déposer sa semence.

    Le cas de la ville de Sparte est aussi intéressant. Le système éducatif insiste sur la nécessité pour les filles d'avoir une bonne préparation physique pour leur futur rôle de mère. Lycurgue, législateur de Sparte voulait que les jeunes filles pratiquent la lutte, la course, le javelot, le lancement de disque pour que « la semence de l'homme fortement enracinée dans des corps robustes poussât des plus beaux germes et que les filles fussent assez fortes pour supporter l'enfantement et lutter avec aisance et succès contre les douleurs de l'accouchement ». Le rituel du mariage relève aussi d'une cérémonie d'initiation où la jeune fille, après avoir été enlevée par son mari, a les cheveux coupés et reçoit un habit d'homme avant que l'acte sexuel ne soit accompli ; c'est bien là aussi une certaine forme de refus de la féminité.

    Dans tout ce que nous venons d'évoquer, c'est bien une situation d'opposition qui transparaît ente l'homme et la femme. Du côté de l'homme, la culture, la civilisation, la politique, la raison, la lumière, le cuit, le sec et le chaud ; du côté de la femme, la nature, la sauvagerie, les activités domestiques, la démesure, la nuit, le cru, l'humide et le froid.

    Dans le mythe de Pandora, la femme est une construction, une illusion qui contient l'esprit d'une sorcière et un utérus en forme de jarre374(*).

    Des thèses ont été avancées concernant l'idée d'un utérus vagabond dans la pensée grecque375(*). Simon avance que, les symptômes de l'hystérie chez la femme permet une expression saine de certains besoins et permet avec la permission du docteur une forme de gratification qui aurait été interdite dans un contexte différent. Lefkowitz croit que les symptômes du déplacements de l'utérus ou de la possession dionysiaque développent chez la femme le sentiment d'oppression. Selon Manuli, la conception d'un utérus migrateur est purement masculine. Cette vision illustrerait le fait que la femme est incapable de se contrôler et justifierait la subordination à son mari376(*). Cette vision est reprise du Timée de Platon qui considère que l'utérus, animal intérieur, est un danger pour la femme, incapable de résister à la force de cet animal, s'il n'est pas dompté par quelqu'un. Ce quelqu'un est, bien évidemment, son mari. Danger d'autant plus grand pour les femmes que ses destinations préférées sont le coeur, le cerveau et le foie, lieux pouvant, dans la pensée du Vème siècle, abrité l'âme, la psyche.

    Ces différents points de vue concernant la sexualité de la femme ont tous un point en commun : ils justifient la subordination de la femme à l'homme pour être en bonne santé, que la femme soit d'accord ou non. Cependant, ce point de vue présente un danger pour l'épouse. En effet, l'homme grec n'est pas monogame. Outre sa femme, il entretient des relations avec des hétaïres, des hommes, des esclaves, des concubines et des prostituées.

    « Nous avons les hétaïres pour le plaisir de l'esprit, les concubines pour les plaisirs du corps et nos épouses comme gardiennes fidèles du foyer377(*) »

    Par conséquent, cette pluralité des rapports sexuels peut être dangereux pour la femme légitime car, en cas de maladie due à un manque de relations sexuelles, sa santé est mise en danger . Par conséquent, l'existence d'un utérus vagabond permet également aux femmes de justifier leurs demandes sexuelles à leur époux378(*).

    Toutes ces théories servent à réaffirmer, par le détour du daimon intérieur de la femme, que celle-ci devait se soumettre à l'appétit sexuel de son mari, pour son propre bien, qu'elle le désire ou non.

    « si les règles ne coulent pas, la femme devient malade379(*) »

    La santé pour la femme est de saigner comme une victime sacrifiée.

    CINQUIEME PARTIE

    UN ETRE GOUVERNE PAR UN ORGANE, L'UTERUS

    Comment, à l'heure où l'observation était à l'honneur, où les Hippocratiques prônaient l'utilisation des cinq sens, a-t-on pu continuer à concevoir l'utérus comme un animal intérieur ? Il faut étudier l'anatomie de cet organe mais surtout ce qu'il renferme comme représentation idéologique pour le comprendre. De lui découlerait la plupart des divers problèmes féminins. Toutefois, il est à noter, au crédit des Hippocratiques, que des réserves ont été émises sur l'existence des divagations de l'utérus. Cette sous-partie sera aussi l'occasion d'aborder les remèdes aux maladies liées à cet organe, qu'ils soient discutables ou non aux yeux des modernes que nous sommes. C'est donc une sous-partie qu'il est nécessaire d'aborder sans préjugés et d'y voir les prémisses de notre médecine actuelle.

    Dans une seconde partie, on verra plus précisément les dangers qui touchent les parthenoi. En effet, dans cette période qu'est le pivotement du sacré, le passage du domaine d'Artémis à celui de Déméter, la parthenos est en danger et la maladie des jeunes filles la guette. Et le remède, comme tous les maux qui assaillent les femmes reste le même : le mariage, seul moyen de faire couler ce trop plein de sang qui les pousse à chercher l'air par le haut et les mène à l'étranglement.

    Enfin, on terminera sur l'objet initial de notre étude, qui, faute de sources, de première ou de seconde main n'a pu aboutir à l'hypothèse formulée il y a deux ans, l'épilepsie ou maladie sacrée.

    CHAPITRE I

    L'UTERUS

    Sachant que les Hippocratiques n'ont certainement jamais pratiqué d'autopsie sur un utérus, comment le voyait-il ? Par quoi leur vision était-elle dictée et à quelle conclusion aboutirent-ils ? On verra également sommairement la vision d'Aristote, car comme nous l'avons déjà dit, il semble difficile de le séparer des Hippocratiques puisqu'il constitue le prolongement de leur oeuvre.

    I. ANATOMIE DE L'UTERUS.

    Dans le mythe de Pandora, la femme est une construction, une illusion qui contient l'esprit d'une sorcière et un utérus en forme de jarre380(*).

    Culturellement parlant, l'utérus est une source riche d'image. Les études de Janice Boddy montre que, au Soudan, il est représenté par une maison avec une porte, la comédie grecque utilise porte et portail dans l'imagerie sexuelle. L'utérus peut aussi être considérée comme un récipient ou un jardin à cultiver. Dans l'imagerie grecque, les femmes sont de nature chaude ou froide, l'utérus est chaud puisqu'il lui est nécessaire de l'être afin de cuisiner la petite graine et en faire un bel enfant381(*). La métaphore du four exprime également très bien ce que les hommes grecs attendaient de l'utérus.

    Les médecins grecs et biologistes grecs utilisent le mot cheilê pour désigner les lèvres du col de l'utérus, le mot stoma qui désigne la bouche pour nommer l'orifice utérin382(*). Ils utilisent le même vocabulaire pour évoquer le vagin383(*), mais ils attachent plus d'attention à la bouche intérieure et invisible de la matrice qu'à l'entrée bien visible du vagin. Dans le traité Ancienne Médecine, la bouche d'en haut et ses lèvres sont clairement comparées à la matrice384(*), leur forme étant identique : étroite d'abord, puis creuse et large afin de pouvoir aspirer un liquide. D'ailleurs les médecins n'hésitent pas à établir une liaison directe entre la bouche d'en haut et la bouche d'en bas. Un teste de grossesse est très parlant à ce sujet :

    « Cela fait, versant dans une phiale d'argent ou de cuivre du parfum blanc égyptien et du sel, et s'enveloppant, la femme s'assoira sur la phiale. Si l'odeur du parfum lui vient par la bouche on déclarera qu'elle peut concevoir et que la matrice est encore saine. Si l'odeur ne pénètre pas, on ne perdra pas courage ; au moment de se coucher, elle s'appliquera le parfum égyptien dans de la laine. Le lendemain, elle examinera si l'orifice utérin est plus droit »385(*)

    Comme l'a affirmé Robert Joly, « la matrice est une personne dans une personne », elle a donc un cou. En grec, le cou se dit auchên ou trachêlos, comme le col de l'utérus. Nicole Loraux affirme que :

    « la femme est prise entre deux bouches, entre deux cols, où les errances de la matrice entravent brutalement la voix dans la gorge des femmes, où mainte jeune fille en âge d'être nymphè se pend pour échapper à l'étouffement redoutable qui, à l'intérieur de son corps, l'affole386(*) »

    Les Hippocratiques considèrent la matrice comme un récipient387(*), Dean-Jones et Hanson ont suggéré que c'était un pot. Métaphore du vase, on retrouve dans les traités toute une physique du récipient. Le vase, comme l'utérus, à des lèvres, un col, et une panse388(*).

    Le askos semble avoir été l'image générale que se faisait les Hippocratiques de l'utérus. Ceci semble lié à sa capacité à s'étendre pour recevoir le foetus durant la grossesse389(*). En effet, Nature de l'enfant décrit l'utérus comme souple, les Hippocratiques l'ont sans doute imaginé ainsi afin de contenir le foetus durant la grossesse.

    Quelle est la nature de ce récipient ? Selon Maladies des femmes, si la matrice est béante contre nature, elle est incapable d'attirer le sperme. Il n'y a conception que si le sperme est retenu par la matrice. Pour le médecin d'Ancienne médecine, la forme est due aux organes creux qui conviennent mieux à attirer l'humidité du reste du corps.

    « Rétrécis en une portion étroite après une portion creuse et large. Pour le comprendre, il convient de se référer à ce qui est visible à l'extérieur. D'une part, en gardant la bouche ouverte, vous ne pouvez aspirer aucun liquide ; mais en avançant les lèvres, en les contractant et en les comprimant, vous aspirerez ; et même si de surcroît vous appliquez une canule contre les lèvres, c'est avec facilité que vous pourrez aspirer tout ce que vous voudrez (...). Les parties à l'intérieur de l'homme qui ont une configuration naturelle de ce type sont la vessie, la tête et, chez les femmes, la matrice. Manifestement ces parties là sont celles qui attirent le plus et elles sont constamment remplies d'un liquide amené du dehors390(*). »

    Ici, l'utérus a davantage la forme d'une outre que d'un vase. Ainsi, quand trop de sang s'accumule dans l'utérus, il ne déborde pas simplement dans les organes qui l'entourent, ce qui aurait été le cas s'il avait eu la forme d'un vase mais se diffuse à d'autres parties du corps par des passages. Les ouvertures de la vessie et de l'utérus dans l'urètre et le vagin se rapprochent de cette forme donnée au passage, celle de lèvres pincées, mais elles pointent dans la mauvaise direction pour attirer à elles les fluides du corps. Pour comprendre le système hippocratique, il faut imaginer des ouvertures similaires de l'autre côté de la vessie et de l'utérus, des ouvertures dirigées vers l'intérieurs du corps. Lors de la grossesse,

    « un passage vers l'extérieur se forme du ventre et des intestins par l'anus et un autre par la vessie »391(*)

    C'est, peut être, cette portion étroite que l'auteur de Ancienne médecine décrit par laquelle la vessie s'attire les fluides de tout le corps392(*).

    Il n'y a pas de description d'un tel tube vers l'utérus mais selon Superfétation l'utérus possède des cornes, terme qui s'applique aussi bien à l'anatomie des animaux qu'à celle du sexe de l'homme (verge), mais aussi une partie des organes génitaux féminins puisqu'il désigne les trompes de l'utérus :

    « Mais si le premier enfant est dans l'une des cornes, la femme met au monde en dernier lieu le produit non viable une fois que la matrice s'est relâchée et humectée, après s'être délivrée du produit viable393(*) »

    L'utérus est donc multiple,

    « La matrice a des poches recourbées et multiples, les unes plus loin, les autres plus près du sexe : les animaux qui portent beaucoup de petits en ont plus que ceux qui en portent peu. Il en est de même du bétail, des bêtes sauvages et des oiseaux. Quand la semence à son arrivée se trouve répartie dans les deux poches, que la matrice garde la semence et qu'aucune de ses poches ne se vident dans l'autre, la semence séparée dans chacune des deux poches394(*) s'entoure d'une membrane et s'anime de la façon que j'ai dite pour une seule395(*) »

    il contient plusieurs poches. En effet, certains animaux sont capables d'avoir plusieurs petits en une portée car leur semence est divisée en plusieurs poches et un foetus se développe séparément dans chacune. C'est ainsi qu'on explique la naissance de jumeaux chez la femme. Ce phénomène pouvait paraître anormal mais il montrait simplement au médecin que la femme qui avait deux poches dans l'utérus était un phénomène inhabituel mais pas anormal, ce qui explique qu'il n'en soit pas fait mention dans le Corpus.

    Les Hippocratiques croyaient que l'appareil reproducteur féminin était limité à l'utérus.

    Comme une jarre, l'utérus a une bouche, ou depuis que l'utérus est pluriel, des bouches. On retrouve, occasionnellement, référence aux plusieurs bouches de l'utérus mais peut-être, suggère t-il que le bec de la jarre-utérus est double une bouche du corps dans l'utérus et une dans le vagin. Plus communément, la bouche de l'utérus doit être alignée avec une seconde bouche à l'autre extrémité du tube, où le sang ne pourra pas s'écouler. On l'appelle la bouche du vagin ou la bouche de sortie. La condition intérieure, la bouche utérine peut être déterminée par la femme elle-même, qui peut dire, en touchant, si elle est dure ou molle, ouverte ou fermée, verticale ou inclinée396(*).

    Si Hippocrate a intégré certaines croyances folkloriques à ses méthodes, cela ne veut pas dire pour autant qu'il accorde crédit aux causes avancées de ladite divagation. Le traité Maladie Sacrée en est un excellent exemple : nous reviendrons sur l'épilepsie dans la dernière partie de notre mémoire. Si les Hippocratiques ne rejettent pas l'idée d'un utérus vagabond, c'est certainement parce que cela a une incidence sur l'aspect culturel lié au sexe de la femme.

    Chez Aristote, le concept n'est pas le même. Le rôle de l'utérus serait mineur dans l'attirance du sang vers lui et il considère qu'il lui est bien difficile d'être capable de sentir les odeurs. Pour lui, les femmes ont le même utérus que les autres races d'animaux, à savoir qu'il est soutenu par des tendons. Aristote explique la descente d'organe à cause d'un manque de relations sexuelles. Il descend et ne remonte plus à l'emplacement auquel il devait être.397(*) La descente d'organe est l'une des rares maladies pour laquelle les Hippocratiques recommande l'abstinence sexuelles.

    La mobilité de l'utérus à l'intérieur du corps sert d'explication à bien des maladies des femmes, et pas seulement à la « suffocation de la matrice » qui n'est qu'un cas particulier398(*).

    «  Les règles ne pourront pas trouver d'issue tant que la matrice ne sera pas remise à sa condition naturelle. Cette maladie se produit surtout chez celles qui ont l'orifice utérin étroit. Si l'un de ces cas existe, que la femme n'ait pas de rapports sexuels et que le ventre se vide plus qu'il faut par quelques souffrances, la matrice subit un déplacement, car elle n'est pas humide par soi-même, vu qu'il n'y a pas eu de coït, et qu'elle a de l'espace, vu que le ventre est devenu vide ; de sorte qu'elle se déplace en raison de sa sécheresse et de sa légèreté plus grande qu'à l'ordinaire... Au contraire, quand la matrice est humide par le coït et que le ventre ne se vide pas, elle ne se déplace pas facilement 399(*) »

    La « suffocation utérine » est un cas particulier où les mêmes mécanismes sont en jeu, sauf qu'ils sont plus précis. Voici ce qu'en dit Hippocrate :

    « Cette affection survient surtout chez les femmes qui n'ont pas de rapports sexuels, et chez les femmes qui d'un certain âge plutôt que chez les jeunes ; en effet, leur matrice est plus légère. Voici comment cela se fait : la femme ayant les vaisseaux plus vides que d'ordinaire et ayant plus fatigué, la matrice desséchée par la fatigue se déplace, attendu qu'elle est vide et légère ; la vacuité du ventre fait qu'il y a de la place pour qu'elle se déplace ; s'étant déplacée, elle se jette sur le foie, y adhère et se porte aux hypocondres ; en effet, elle court et va en haut vers le fluide, vu qu'elle a été desséchée à l'excès par la fatigue. Or, le foie est plein de fluide. Quand elle s'est jetée sur le foie, elle cause une suffocation subite, interceptant la voie respiratoire qui est dans le ventre. Parfois, en même temps que la matrice commence à se jeter sur le foie, du phlegme descend de la tête aux hypocondres, attendu que la femme est suffoquée ; et parfois, avec cette descente du phlegme, la matrice quitte le foie, retourne à sa place et la suffocation cesse...Quand la matrice est au foie et aux hypocondres et produit la suffocation, le blanc des yeux se renverse, la femme devient froide et même quelquefois livide. Elle grince des dents ;la salive afflue dans la bouche et elle ressemble aux épileptiques. Si la matrice reste longtemps fixe au foie et aux hypocondres, la femme succombe étouffée400(*) »

    Hippocrate préconise comme remède, notamment pour les jeunes filles, plutôt comme prévention, le mariage.

    A nouveau, science et intérêt de la médecine se rejoignent.

    Pour ce qui est des femmes, on va voir que les croyances traditionnelles ont perdurées longtemps. La question qui se pose est de savoir pourquoi. Comment Hippocrate justifiait les divagations de cet animal vorace ? Que cela supposait-il de l'anatomie féminine ?

    II. L'UTERUS ET SES DIVAGATIONS.

    II.1. Le corps des femmes et les Hippocratiques

    Il y a une corrélation entre la gynécologie et le rôle de l'individu dans la propagation de l'espèce, mais peu de cultures considèrent les organes génitaux extérieurs pour justifier la séparation des rôles entre l'homme et la femme dans la société. Les traits que la société considère comme s'attachant respectivement aux hommes et aux femmes permettent de construire le sexe dans la société. Ces traits entrent souvent en contradiction avec les individus pris séparément. Par exemple, dans notre culture, une femme peut être plus musclée ou plus agressive qu'un homme et inversement. Cependant, ils sont toujours considérés comme des exceptions à la loi naturelle. Cette croyance en la loi naturelle trouve son expression initiale dans la mythologie et la religion et peut influencer les théories médicales tant et si bien que l'on finit par croire que cette différence est plus basée sur la biologie que sur les conditionnements sociaux401(*).

    Les médecins hippocratiques n'ont jamais vu d'utérus humain402(*). Dans ces conditions, l'utérus n'est vu que comme un récipient capable de conserver la semence et de protéger l'embryon.

    403(*)

    Contrairement à l'intégralité du Corpus qui repose sur la dynamique des fluides, les traités gynécologiques restent influencés par les croyances traditionnelles concernant l'utérus404(*).Dans le schéma humoral hippocratique, une fois que le sang a coulé dans l'utérus, il est déchargé par le stoma dans le vagin. Ces médecins croyaient qu'hors le temps de la grossesse un stoma fermé était une condition pathologique. Dans ce cas, le sang pouvait soit rester et fermenter dans l'utérus, soit se déplacer vers une autre partie du corps et former un abcès. Quand on sait que les médecins décrivaient le corps féminin comme parsemé d'un tissu de canaux arrivant à l'utérus de toutes les parties du corps, on peut aussi comprendre qu'ils aient conçu que le sang menstruel revenait dans ces canaux et allaient vers un autre point du corps. On peut comprendre que les Hippocratiques aient pu croire que l'utérus pouvait pointer en une direction ou dans une autre et emprisonner le sang à l'intérieur ou le ramener vers les canaux. En revanche, il est difficile de concevoir comment et pourquoi ces médecins ont pu imaginer un utérus possédant la capacité de voyager dans le corps : il peut aller au dehors405(*), remonter jusqu'au foie406(*), se porter à la tête407(*), au coeur ou au hypocondres, sur la vessie vers la fraîcheur extérieure quand il est échauffé et qu'il sue, vers les lombes ou les hanches.

    Un aspect particulier du corps féminin par rapport à celui de l'homme est le possession d'espaces, de sortes de voies de communication le long desquelles l'utérus se déplace. Alors qu'un corps de femme est d'une texture plus lâche que celui de l'homme, les Hippocratiques ne semblent pas avoir pensé l'abdomen comme une cavité vide du corps. Une large partie du dysfonctionnement menstruel féminin est attribuée aux vaisseaux et à la chair trop fortement compacté pour fournir le sang en excès chez une femme, dont le corps n'a pas été altéré par les lochies. Pourtant, l'utérus est connecté à toutes les parties du corps par la phlebia et les phlebes et, après altération du corps, lors de l'accouchement, eux aussi pouvaient se développer dans un « espace large » afin qu'ils ne deviennent pas trop pleins ou filtrés avec les règles.

    « En effet, à se remplir, la matrice y est habituée et le corps y est disposé, vu la grossesse ; en même temps plus d'espace pour l'accouchement est dans le corps pour le sang, à cause que le corps s'est fondu ; et le sang, étant au large, cause moins de mal, à moins que les veines n'éprouvent un excès de plénitude et de ton408(*). »

    Un utérus malléable pouvait se mouvoir par ces chemins larges, avec une certaine aise, et les femmes, les plus sensibles aux déplacements de l'utérus étaient celles dont les passages étaient élargis par les lochies (les veuves ayant eu des enfants, femmes actives sexuellement mais qui avaient cessé de l'être), soit par la durée pendant laquelle la menstruation était survenue dans leur corps (les vieilles et les vierges).

    Toutefois, bien que les Hippocratiques aient accepté et rationalisé beaucoup de croyances traditionnelles dans leur médecine, ils n'accordaient habituellement pas de crédit à une croyance qui retentissait comme une superstition purement irrationnelle (Maladie sacrée tourne au ridicule les explications traditionnelles sur les causes de l'épilepsie), cette position permet aux médecins d'être en désaccord avec l'opinion commune selon laquelle l'utérus réagit aux odeurs. En effet, bien que la physiologie féminine hippocratique puisse s'accommoder d'un utérus mobile, il n'y a rien dans la théorie physique des Hippocratiques qui le requiert (les maladies attribuées aux transferts de l'utérus peuvent toutes être expliquées plus facilement comme une dégénérescence du sang menstruel), se baser sur l'efficacité des thérapies olfactives pouvait leur causer un certain embarras. Cette médecine rationnelle ne rejette pas le concept d'un utérus mobile, et d'un autre côté, elle suggère que l'utérus vagabond remplit un rôle culturel important dans la caractérisation du sexe féminin409(*). On peut donc supposer, une fois encore, qu'entre en jeu d'autres intérêts et notamment ceux de la cité.

    II.2. Un utérus mobile

    Le concept d'un utérus mobile n'est pas propre aux Hippocratiques. Platon y a largement contribué. En ce qui le concerne, il s'agit de situer la place de l'homme dans l'univers entre la matière et l'esprit ; et dans l'échelle de la vie. De montrer en quoi la nature de l'homme diffère de la nature végétale et comment se combine la nature animale ou psychè animale, avec la nature spirituelle qu'il tient des dieux410(*). Le philosophe disserte donc sur l'organisation du corps humain avec celle du cosmos. L'homme est dans le monde et le monde est dans l'homme. Jeux de miroir où l'image de l'un renvoie celle de l'autre. Mais ici et là, images abstraites, quintessenciées, copies toujours imparfaites de l'Etre éternel et immuable. La communion de l'organisation du corps avec celle du monde visible conduit Platon à parler du monde en terme anthropomorphiques.

    Les Hippocratiques n'ont jamais explicitement décrit l'utérus comme un animal individuel errant à l'intérieur du corps de la femme ; d'ailleurs, les gynécologues n'ont jamais utilisé le verbe « errer » pour décrire les mouvements de l'utérus. Ils expliquent les mouvements de l'utérus à travers le corps d'une femme en prétendant que, s'il n'est pas ancré en place par la grossesse ou gardé humide par le rapport sexuel, il est attiré par d'autres organes plus humides. La thérapeutique hippocratique a consisté à recommander à toutes ces femmes de se marier et de devenir enceintes. Ainsi, la thérapeutique rejoint-elle la finalité du mariage grec.

    II.3. Remèdes

    Même chez les jeunes vierges ou celles qui n'ont pas donné naissance, les destinations préférées de l'utérus (coeur, foie, cerveau) étaient connectés à l'utérus par les plus larges phlebes et puisqu'ils étaient parmi les plus humides du corps, ils étaient donc desservis par un vaisseau capable de porter une grande quantité de sang. Il est probable, comme l'affirment P. Manuli et E. King, que ces phlebes étaient tributaires d'un « tube » qui passerait à travers le diaphragme et se connecterait aux narines et au vagin de la femme, donnant à l'utérus un passage libre du haut jusqu'au bas du corps411(*). L'illustration est fournie par la méthode hippocratique permettant de savoir si une femme peut concevoir ou non : le médecin l'assoit sur quelque chose qui sent fort (l'ail est l'ingrédient standard pour ces recettes) et teste si on peut le sentir par sa bouche. Si c'est le cas, tout va bien, sinon, le tube est bloqué et des soins doivent être administrés pour le débloquer avant qu'elle puisse concevoir411(*). De même, la méthode pour faire redescendre un utérus à sa place : on fait respirer à la femme une odeur nauséabonde par les narines et on place un récipient au niveau du vagin rempli d'odeurs agréables. Attiré par ces dernières, l'utérus redescendra. La croyance dans l'efficacité de cette méthode dépend de la croyance en laquelle l'utérus peut ou non sentir412(*). Le modèle d'un tube se connectant de la tête au vagin donne une explication au fait que la gynécologie inclut une cure spécifique pour la mauvaise haleine chez les femmes. Il s'agit de :

    « Brûler à part une tête de lièvre et trois rats (dont on ôtera les intestins à deux, mais pas le foie et les reins), piler dans un mortier et tamiser puis mêler partie égale de ces ingrédients, en frotter les dents et l'intérieur de la bouche413(*) »

    Lequel est le meilleur, la maladie ou le remède ?

    Apparemment, le transfert de l'utérus en des zones différentes du corps peut être appuyé par des principes scientifiques dans la construction hippocratique du corps féminin. Toutefois, ces principes ne sont pas apparents dans la méthode suggérée par ces médecins pour faire revenir l'utérus à sa position initiale. La procédure générale est d'administrer des substances olfactives fétides aux narines en même temps que la femme s'assoit sur le bol empli de parfums délicats, repoussant simultanément l'utérus d'un côté du corps et l'attirant de l'autre (les bonnes et mauvaises odeurs sont inversées si l'utérus à voyagé vers le bas du corps)414(*). L'efficacité de cette thérapie dépendait du fait que l'on pensait que l'utérus avait, d'une certaine façon, un sens olfactif développé, restes d'une théorie pré-rationnelle des mouvements de l'utérus415(*).

    L'utérus peut être soumis à ce que nous appelons la descente d'organe et sortir de la vulve : c'est le résultat de rapports sexuels trop rapprochés de la naissance et d'un accouchement difficile416(*). Cette situation a pu apporter du crédit à la thèse de l'utérus migrateur. Cependant la descente d'organe ne se fait qu'à l'intérieur du vagin. Il peut arriver que, malgré les tendons, il ne tienne pas en place mais cela ne signifie en aucun cas que l'utérus déambule à l'intérieur du corps féminin417(*). Plus significatif est la remarque d'Hanson qui indique que le corps des hommes n'ayant pas de place pour un utérus, le corps humain n'a pas de place attitrée pour que celui-ci y réside. Une fois encore, malgré le fait que les Hippocratiques étaient probablement conscient du fait que les utérus des femelles animales tenaient généralement en place grâce aux tendons dans la partie basse de l'abdomen, ils n'ont pas appliqué ce savoir à la construction du corps de la femme et la croyance selon laquelle la femme est radicalement différente de l'homme signifie que le savoir gagné par l'observation de la nature des organes du corps humain à travers les blessures de guerre pouvaient ne pas être pris en compte si elles engendraient une quelconque difficulté dans leur croyance concernant le corps des femmes.

    « Chez la plupart, durant les fièvres, les règles se montrèrent, et chez beaucoup de jeunes filles la menstruation parut alors pour la première fois. [...] Aucune de celles chez qui ces phénomènes se manifestèrent régulièrement, ne mourut, à ma connaissance418(*) »

    Les cas individuels rappelés dans Epidémiques corroborent une généralisation. La première parthenos qui n'a jamais eu ses règles meurt, les deux autres ayant commencé leurs règles durant la maladie survivent419(*). Pour les Hippocratiques, les règles sont un moyen naturel de purger le corps des maladies qui l'assaillent420(*).

    Face à cet utérus mobile, que faire ? On verra pourquoi celui-ci peut poser problème, la faute en revient aux femmes, est - ce étrange ? Quels sont les types de remèdes ? On ne sera pas plus étonné que l'homme y joue une place prépondérante.

    II. L'UTERUS, RESPONSABLE DE TOUS LES MAUX

    Fermé, l'utérus-jarre permet à l'enfant de se développer mais sa fermeture, en dehors de cette période, est néfaste pour la femme et engendre des maladies, maladies pouvant être prévenues par des rapports sexuels. On a ici une symbolique en rapport avec l'âge d'or ayant précédé l'arrivée de Pandora. Avant qu'elle n'arrive, les jarres dans la maison d'Epiméthée sont fermées, on est dans l'âge d'or. Avec son arrivée, les jarres ouvertes déversent sur le monde tous les malheurs y compris les maladies. Une fois tous les maux sortis, à l'intérieur, ne reste que l'espoir mais un espoir neutre. On le retrouve dans l'utérus ; on ne sait pas s'il contient un enfant ou une masse de chair informe. Zeitlin suggère que, en ouvrant la jarre elle-même, Pandora a accomplit un acte équivalent au vol de sa virginité421(*).

    Chez les Hippocratiques, l'anatomie de la femme est plus complexe que chez Aristote qui considère que la femme est un homme mutilé422(*).

    Quand une femme tombe malade, les Hippocratiques n'y voient pas d'autres causes que la rétention du sang menstruel. L'origine de tous les maux des femmes est dans l'utérus423(*).

    « si les menstrues ne cheminent pas les menstrues deviennent maladives424(*)

    La plus commune des pathologie causée par le sang menstruel est la souffrance normale présente juste avant les règles. Aristote décrit les règles comme une maladie douloureuse en soi alors que les Hippocratiques disent qu'elles sont le messager de la froideur, de la fatigue, des migraines et d'une gorge douloureuse (doit-on y voir un rapport avec la pendaison ou avec le fait que l'utérus peut remonter vers la gorge et étouffer la femme ?). Une brume peut apparaître devant les yeux si la circulation du flux est pesante. Cette souffrance est attribuée à l'accumulation du sang à l'intérieur de la femme qui fait des efforts pour sortir de l'utérus. Nature des enfants dit que chez une femme qui n'est pas enceinte, le sang est représenté traversant l'utérus d'un seul coup chaque mois alors que chez une femme qui a déjà été enceinte il coule petit à petit. Le sang provient de la femme dans son entier, pas d'une petite part d'elle-même425(*). Quand le sang se déverse de la matrice, il est envoyé du ventre vers le vagin. Les Hippocratiques croyaient qu'une grossesse avec un stoma fermé était une maladie, particulièrement fréquente chez les vierges et les femmes ayant cessées tous rapports sexuels426(*). Dans le cas d'un stoma fermé, le sang ne reste pas dans l'utérus et remonte vers d'autres lieux du corps. Quand on se rappelle que, pour les Hippocratiques, le corps d'une femme est un réseau de canaux menant à la matrice, on peut comprendre comment ils concevaient que le sang menstruel se déversait dans le corps si le sang venait à sortir de la matrice.

    L'hystérie est, à l'origine, une affaire de femmes ou plutôt de sages-femmes. Elle appartient à ce domaine réservé que les matrones se sont taillées à l'écart des hommes et dans lequel elles ont accumulées tout un savoir sur l'art d'enfanter, sur le sexe de la femme et les maladies qui le frappent. Parmi elles, il en est une qui est impressionnante et qui se traduit par des suffocations427(*), l'hystérie.

    Le terme Hystérie n'apparaît pas, à proprement parler dans les textes hippocratiques. C'est Emile Littré qui ajoute ce terme dans les intertitres de sa traduction428(*). Selon Helen King, le mot Hystérie n'est pas seulement inapplicable aux maladies décrites par Hippocrate mais son utilisation gène notre compréhension de la gynécologie hippocratique.

    L'utilisation du mot hystérie a divisé les auteurs, certains considérant que l'hystérie était un terme déjà employé à l'époque d'Hippocrate429(*), d'autre comme Trillat ont reconnu que les différents traités hippocratiques appliquant le terme hystérie à beaucoup de maladies n'existaient pas. De plus, suggérer que la gynécologie hippocratique nommait presque toutes choses « hysteria » était une simplification grossière. Une révision totale de notre compréhension de la tradition est donc en cours.

    Le problème qui se pose est de savoir ce que le terme Hysterika signifie réellement. Dans ces commentaires sur les Aphorismes, Galien expliquait déjà la difficulté qu'il rencontrait pour traduire ce mot430(*). Il regroupe, selon lui, toutes les maladies liées à la matrice et pas seulement la suffocation utérine.

    Dans le texte Maladie Sacrée, les menstrues d'une femme en pleine santé s'écoule comme :

    « celui d'une victime sacrifiée, il coagule rapidement si la femme n'est pas malade.431(*) »

    Quelle est la solution aux problèmes féminins ? Etre enceinte, porter un enfant.

    En donnant naissance, on facilite le passage mais on n'a pas la garantie que l'écoulement menstruel se fera sans problème432(*). Les Hippocratiques croyaient que le fait, pour une femme, d'avoir des rapports sexuels fréquents permettaient d'éviter ces désagréments. L'idée selon laquelle les rapports permettaient d'assurer des règles normales montre le besoin des hommes grecs de jouer un rôle dans les causes des règles, comme ils le voient déjà dans la défloration et la grossesse433(*).

    Pour saigner comme une victime sacrifiée, il faut perdre du sang chaud, rouge et coagulant rapidement. Le sang d'une femme en pleine santé reproductive a une signification, elle affirme qu'elle peut remplir le corps citoyen aussi bien que le sien. Pour les Hippocratiques, le sang d'une femme en pleine santé doit se comporter comme celui d'un animal sacrifié.

    CHAPITRE II

    LE PIVOTEMENT DU SACRE

    Nous terminons notre étude par l'arrivée de l'enfant à l'âge où l'on peut l'appeler parthenos, où elle est prête pour exercer sa fonction dans la cité, celle de femme de citoyen, gérante au côté de son époux de l'oikos434(*), mais aussi son rôle de mère. Avant cela, elle devra passer les dangers propres à son âge, en rapport avec son statut de parthenos, auxquels tous à l'heure, après le mariage, elle ne sera plus soumise par la grâce de son mari435(*). Et pour que ce passage se déroule le mieux possible, quoi de plus simple qu'un mariage précoce pour éviter la « maladie sacrée » ?

    L'âge de tous les dangers mais un remède, le mariage. Et qu'importe si les règles n'apparaissent pas. Même si physiologiquement l'enfant n'est pas prête, ce retard lui permettra d'éviter les risques liés à l'état de parthenos.

    I. LE SANG : DANGER ET REMEDE

    1.1 Par les hommes

    Danger de par la vision que les grecs avaient des parthenoi. En effet, elles sont celles qui n'ont pas encore saigné. Elles sont donc vierges et propices au sacrifice qui les fera saigner.

    La sang est important pour la définition grecque de l'humanité de différentes manières. En effet, la présence de sang dans le corps permet de séparer l'humain du divin ; les dieux, parce qu'ils ne mangent pas les produits du cycle agraire, sont sans sang et immortels, les hommes, eux, ont du sang et sont mortels. A l'intérieur de la catégorie des mortels, la production et la perte de sang en excès permet de différencier l'homme de la femme. A travers le développement d'une anatomie différenciée les textes hippocratiques présentent la femme comme différente de l'homme. La chair féminine, différente par sa texture, absorbe un plus grand volume de fluide en excès à intervalle régulier. Enfin, le sang permet de distinguer cette fille immature, la parthenos qui ne saigne pas encore.

    Il y a une analogie entre sang menstruel et sacrificiel car on peut trouver des sources concernant la société et l'engendrement hors des sources médicales Ce n'est pas un hasard si le boeuf, le premier animal sacrifié par Prométhée à Mékone436(*), est lié à la création de la première femme. Le sacrifice permet de rétablir le contact avec les dieux et d'établir l'humanité comme différente de la bestialité. On retrouve cette idée de rétablissement du contact entre hommes et dieux dans l'Iliade, lorsqu' Agamemnon est dans l'obligation de sacrifier sa fille afin de retrouver la clémence des dieux. Le sacrifice permet d'autres affirmations idéologiques, comme la séparation des sphères d'action masculine et féminine. Ainsi, l'acte du sacrifice ne peut être effectué que par un homme et les femmes participent seulement aux cercles qui distribuent la viande. On peut dire que cela fait partie d'un système plus large de classification de l'homme et de la femme, dans lequel les femmes sont exclues des actes culturellement signifiants qui impliquent de verser le sang d'un autre et cela peut être étendue jusqu'à la vision du fonctionnement de l'anatomie et de la physiologie féminine. Les hommes répandent le sang d'autres hommes, les femmes saignent naturellement de leur propre corps.

    Les images gynécologiques de la femme qui font référence à celle de la victime sacrificielle peuvent également être vues comme une reprise d'un aspect des descriptions hésiodiques de la première femme, Pandora. Hésiode décrit la préparation de Pandora comme celle d'une parthenos prête pour le mariage. Dans le mythe et la tragédie, c'est le plus souvent une parthenos à l'âge du mariage, qui sera sacrifiée, et la description de Pandora rappelle celle de l'animal sacrifié. Beaucoup d'éléments dans le mariage grec rappelle la notion de sacrifice (coupe des cheveux, lavage, signe de consentement). Dans l'Iliade437(*) et L'Odyssée438(*), la génisse choisie pour le sacrifice est sauvage, comme les jeunes filles avant qu'elles plient sous le joug d'un époux. Ceci est traduit par les noms qui leurs sont donnés (la cavale, l'ours). Elle apparaît avec des cornes couvertes d'or tout comme Pandora avec des colliers et des couronnes d'or données par Peithô et Héphaïstos. La fiancée est préparée pour être une victime sacrifiée, pour perdre son sang. Le sang et le sacrifice séparent les humains des dieux et les hommes des femmes. Non seulement la première apparaît dans le monde comme le résultat direct des circonstances du premier sacrifice, mais elle est, elle-même, objet de sacrifice.

    Derrière cette analogie médicale, on peut voir davantage qu'une dette de la connaissance médicale à la procédure sacrificielle. C'est seulement le sang menstruel qui est analogue au sang d'une bête sacrifiée. Elle saigne, et son sang rappelle la qualité de sa chair et, en cela, sa différence par rapport à l'homme, dans sa création et sa structure car

    « si les règles ne coulent pas, la femme devient malade439(*) »

    I.2. De par leur nature

    La fille, alors qu'elle se développe plus lentement au sein du ventre de sa mère, vieillit prématurément après sa naissance, comme si l'ordre naturel mettait quelque hâte à la conduire à la puberté alors que la formation du garçon, précoce en ses origines, exige ensuite une maturation progressive sans rupture décisive. C'est que la fille, déterminée dès sa conception par un héritage physiologique, connaît une seconde naissance au moment de la puberté en exprimant la vocation fondamentale de son corps.

    Le traité Maladies des jeunes filles explique que les difficultés commencent pour les femmes avec le début de la menarche si elle n'est pas mariée, à l'époque de l'âge du mariage, à la puberté ou un peu plus tard. Ces difficultés coïncident avec la descente des règles à travers le corps. L'auteur explique qu'il y a trop de sang dans le corps durant cette période de la vie des jeunes filles à cause de la nourriture et la poussée du corps.

    Selon l'auteur, du fait de l'alimentation et de la croissance, il y a davantage de sang qu'il ne lui en est nécessaire. En effet, toujours selon l'auteur, les jeunes filles n'ayant pas d'activité difficile comme le travail des champs, elles n'ont pas besoin de beaucoup de sang pour alimenter le corps. Il présume certainement que, pour grandir, les jeunes filles utilisent beaucoup de nourriture et de sang. Une fois cette croissance achevée, elles n'ont plus besoin de ce sang ni d'autant de nourriture, par conséquent, il doit s'écouler à l'extérieur du corps. Or, la sortie se trouve au niveau du vagin. Si celui-ci est obstrué par une membrane que nous appelons aujourd'hui hymen, alors le sang ne peut être évacué et donne des désirs morbides aux jeunes filles. Par conséquent, il est nécessaire qu'elle soit mis en contact ave un homme ou plutôt qu'elle se marie.

    « Quand l'orifice d'issue n'est pas ouvert et que le sang arrive en plus grande abondance, tant par les aliments que par l'accroissement440(*) »

    Par contre, le médecin reste obscur sur le rapprochement de ces deux éléments avec la production de sang en excès pendant la puberté. Ce rôle de l'alimentation est suggéré dans Maladies des femmes quand le médecin affirme qu'une des raisons pour lesquelles les femmes produisent du sang menstruel, c'est qu'elle ne travaillent pas assez dur pour utiliser toute leur alimentation :

    « l'homme puise ce que demande la nourriture du corps, et le corps n'étant pas mou, n'est sujet à un excès, ni de ton, ni de chaleur par l'effet de la pléthore comme chez la femme. Ce qui contribue grandement à cette effet chez l'homme, c'est qu'il fatigue bien plus que la femme ; la fatigue dissipe une partie du fluide441(*) »

    Ce médecin semble croire qu'à la puberté, les filles utilisent tout ou la plupart de leur alimentation pour leur croissance et que le peu qu'il leur reste, même s'il reste emprisonné, ne présente aucun danger pour leur santé. Lorsque la croissance ralentit ou cesse, les filles n'utilisent plus toute leur nourriture, celle-ci se transforme en abondance en sang. Le volume produit devient trop important pour se « fondre » dans le corps, il commence alors à couler dans l'utérus pour être évacué.

    Il peut sembler surprenant que la seconde raison que donne le médecin de Maladies des jeunes filles, en plus de la nourriture, soit la croissance. L'enfant grandit, les vaisseaux du corps grandissent avec lui, donc il y a davantage de place pour que les humeurs se mettent en mouvement :

    « quand grandissent la fille et le garçon, les veines qui vont à la verge chez ce dernier et à la matrice chez la première deviennent coulantes à cause de la croissance et elles s'ouvrent : un va-et-vient s'y produit à travers les voies (encore) étroites. Alors l'humeur s'agite, puisqu'elle a de la place pour s'agiter442(*) »

    Le sang menstruel est donc provoqué par une agitation soumise à l'influence des températures du corps :

    « les mois diffèrent beaucoup entre eux pour le froid et la chaleur, et le corps de la femme s'en ressent, car il est plus humide que celui de l'homme. Le sang troublé remplissant les veines, il en sort une partie443(*) »

    Les règles soulagent un corps saturé. C'est cet aspect de la croissance, motif initial de la menstruation auquel le médecin de Maladies des jeunes filles fait allusion.

    Toutefois, il était seulement nécessaire au médecin de Maladies des jeunes filles de citer une seule de ces causes pour expliquer la menarche. L'utilisation de toute l'alimentation pour la croissance à la puberté est suffisante pour expliquer l'absence de menstruation des jeunes filles. D'ailleurs, le médecin de Maladies de femmes ne fait aucune référence à une expansion des vaisseaux du corps pour permettre la menstruation. Par contre, il prête fréquemment attention à l'étroitesse des passages dans le corps féminin avant qu'elle ait donné naissance. Pour l'auteur de Nature de l'enfant, les filles sont considérablement plus humides que les garçons à cet âge. Il doit nécessairement trouver une autre raison à l'absence de règles avant la puberté, qu'un manque de fluide en excès. Les traités embryologiques Génération et Nature de l'enfant décrivent les développements parallèles du mâle et de la femelle et leur explication de la puberté, et ainsi comparent la production des règles chez la fille et du sperme chez le garçon. En revanche, Maladies des femmes ne tente pas de corréler le processus menstruel avec une fonction physiologique normative chez l'homme. D'ailleurs, même dans les traités embryologiques, le parallélisme entre le sperme et les règles s'effondre s'il est poussé trop loin. Car le sperme est produit quand l'homme est stimulé sexuellement (comme l'est « la semence féminine »), mais ce n'est pas vrai des règles. Le médecin de Nature des enfants semble s'apercevoir des difficultés inhérentes à sa théorie, quand il atteste que

    « la voie s'ouvre en même temps pour les règles et le sperme444(*) »

    c'est-à-dire qu'au même moment, le chemin est ouvert chez les jeunes filles, pour le passage, non seulement des règles, mais aussi de la semence féminine : deux sécrétions là où l'homme n'en a qu'une. En général, tout au long du traité, le médecin hippocratique traite le sperme et la semence féminine comme étant semblables au sperme et aux règles, alors qu'il n'y a pas d'indication d'un processus où la semence féminine serait dérivée du fluide menstruel. Ailleurs dans le corpus hippocratique, le sperme correspond à la semence féminine, non aux règles. L'auteur de Nature de l'enfant fait l'équation additionnelle du sperme et des règles parce qu'ils apparaissent à peu près au même moment, chez les jeunes garçons et filles, alors qu'il n'y a pas nécessairement un signe extérieur de la semence féminine chez les filles pubères. La théorie ménarchale de Nature de l'enfant peut être combinée avec la théorie menstruelle de Maladies de femmes comme elle est exposée dans Maladies des jeunes filles, mais ensemble, elles produisent une surdétermination du phénomène de la menarche et de menstruation qui suggère que l'auteur de Maladies de jeunes filles essayait de prendre en compte deux théories séparées.

    A ce moment de leur vie, les filles sont en danger. Elles connaissent ces états de terreur, de folie, que la raison ne parvient pas à contrôler : l'hystérie. Elles sont malades de désir. Le médecin hippocratique de Maladies des jeunes filles a attribué les tendances suicidaires des jeunes vierges au sang ménarchal, qui, emprisonné à l'intérieur de leur corps ne peut sortir ; alors, ce sang voyage de l'utérus au coeur et aux poumons, provoquant ces pathologies hystériques. Pour ce médecin, le meilleur soin à leur apporter : les marier afin que l'utérus soit ouvert, que le sang coule.

    Les changements physiologiques de la puberté arrivent à peu près à la même période pour les jeunes garçons et les jeunes filles, mais alors que ces changements marquent le commencement d'une période étendue pour les garçons qui les mènera à la citoyenneté pleine et entière ; les filles sont censées être capables de remplir le rôle de femme adulte dans le mariage et dans la maternité souvent dès treize ans, voir plus tôt445(*).

    Quels sont les maux qui guettent nos parthenoi ? On abordera ici la pendaison et l'épilepsie, qui touchent, toujours pour une raison de physis, plus les femmes que les hommes.

    II. DES MALADIES EN RAPPORT AVEC LA NATURE DES FEMMES.

    II.1. La pendaison

    La pendaison, en Grèce, est un mode d'asphyxie446(*). Pour les médecins, toutes les formes d'asphyxie communiquent entre elles ; lorsqu'un auteur hippocratique énumérant les troubles qui saisissent les jeunes filles à l'âge de la puberté, évoque côte à côte l'envie de se noyer et celle de se pendre, peut-être y a-t-il plus qu'un effet de hasard dans une telle juxtaposition. Du moins le médecin sait-il rapprocher le pendu de l'épileptique, parce qu'avec ce dernier il a en commun de présenter le symptôme essentiel de l'asphyxie : l'écume à la bouche, signe d'étouffement. Enserrer le cou, c'est perdre la voix ou se suicider.

    Aux douteuses valeurs qui, de la pendaison ou de l'étranglement, font une mauvaise mort, il serait temps d'en ajouter encore une, décisive : L'agkhone est d'abord une mort féminine. Il n'est que d'évoquer les héroïnes pendues de la mythologie et du culte. Phèdre, Ariane, Erigone, Kharila. Serait-ce à mettre en rapport avec un naturel féminin moins courageux et moins ferme ? L'auteur de Maladies des jeunes filles recourait à cette hypothèse de faiblesse psychologique pour rendre compte des épidémies de suicides qui mettent la corde au cou des jeunes filles. Mourir la corde au cou revient à ne jamais voir couler son sang. Le corps féminin est à la fois clos et ouvert et laisse couler le sang naturellement. En sa cohérence, l'imaginaire grec du corps choisit d'insister sur la clôture féminine et le sang des femmes, en dehors des périodes où il s'écoule, est pensé comme enfermé dans leur corps. Qu'en est-il, dans cette perspective, d'un corps féminin par trop fermé parce que l'écoulement est entravé ? C'est dans le discours médical que l'on trouve la thématique de l'étranglement pour caractériser ces états redoutables, où dans le corps des femmes, le sang l'étouffe. Soit une jeune fille encore non mariée, lors de la première éruption de ses règles. La chose ne saurait bien se passer :

    « Car à ce moment, le sang se porte à la matrice comme pour s'écouler au dehors (...). Et quand l'orifice de l'issue n'est pas ouvert, (...) alors le sang, n'ayant point de sortie, s'élance, vu la quantité, sur le coeur et le diaphragme447(*) »

    Il s'ensuit la folie, l'inflammation aiguë et le désir de l'ankhonè, du fait de la pression autour du coeur. Et de fait, peu s'en faut que la patiente ne s'étrangle ; alors il faut vite la marier : rien n'entravant plus l'écoulement du sang, elle sera délivrée de la maladie. Dans le corpus hippocratique, nul texte ne dit mieux les méfaits de la pression du sang dans le corps féminin que ce traité Des Maladies des jeunes filles : les vierges il est vrai, sont tout particulièrement portées à la pendaison, parce qu'en elles le sang s'affole. Etouffée par le bas, la femme cherche une issue vers le haut, en se pendant. Il arrive aussi qu'en nouant une corde autour de son cou, elle se contente d'obéir aux sollicitations de sa matrice errante, remontée vers le haut du corps, comme en quête de l'ultime étouffement.

    Etrange logique que celle d'un corps deux fois voué à s'étrangler, par le bas et par le haut ; plus exactement, on dira que l'étranglement d'en haut répète celui d'en bas, car toujours la pendaison ou le désir de mort répond à une suffocation de la matrice448(*). Telle est la réponse que le discours gynécologique apporte à une question grecque que l'on pourrait formuler ainsi : qu'est-ce donc qui pousse les femmes à se pendre ? De la réponse médicale à celle ouverte dans l'univers politico-religieux, à la réponse apportée par les médecins, il existe un écart qu'on ne peut tenter de dissimuler. Mais il importe qu'en l'occurrence, la logique de la pensée médicale se fonde sur une représentation du corps féminin très largement répandue dans l'imaginaire grec : le corps des femmes y est conduit, canal, voie de passage du bas vers le haut, de la « bouche » de la matrice à la bouche qui parle ou se tait, du col suffoquant de l'utérus au cou serré dans le lacet449(*). Prise entre deux orifices, orientée dans les deux sens, comment la femme échapperait-elle à l'ankhonè ?

    Mais il est des maladies somatiques dont certaines expressions peuvent sembler psychiatriques. Ainsi dans l'épilepsie, « l'orage électrique cortical450(*) », qui chez la femme, longtemps encore après les Anciens, a été mal distinguée de l'hystérie. Il semble qu'une telle confusion a été commise maintes fois : par exemple, dans Maladies des femmes : on y voit une femme qui cesse brusquement de parler, dont le coeur a des palpitations, qui grince des dents, et « a qui arrivent aussi les autres incidents des personnes atteintes de la maladie sacrée451(*) ». L'auteur incrimine la matrice qui seul, chez la femme, peut être à l'origine de ces troubles.

    L'épilepsie, ce mal sacré, sera étudié plus en détail. Au travers du traité « Maladie sacrée », on verra les causes traditionnelles de cette maladie ainsi que les remèdes qui lui étaient apportés. On verra ensuite le point de vue des Hippocratiques sur la question qu'il s'agisse des causes, des symptômes de l'attaque, des remèdes et comment les théories sur l'épilepsie ont évolué au fil des siècles.

    II.2. La maladie sacrée

    II.2.1 Problème de définition

    Le mot épilepsie est utilisé pour dire deux choses : la maladie et l'attaque.

    Les Hippocratiques avaient rangé cette maladies dans la liste des maladies chroniques car ils avaient repéré que les crises avaient tendance à se répéter. Oswei Temkin en donne la définition suivante : l'épilepsie est une convulsion du corps dans son intégralité avec détérioration des fonctions de premier plan. Définition trouvée chez beaucoup d'auteurs qui décrivent les attaques dont furent victimes les patients qu'ils suivaient. Des maladies telles que l'éclampsie infantum et gravidarum furent aussi appelées épilepsie. Ceci nous permet d'expliquer pourquoi durant l'Antiquité, l'épilepsie était considérée comme étant la maladie des enfants.

    Selon Arétée, c'est une maladie aux formes différentes et horribles.

    Dans le corpus hippocratique, un problème se pose quand on veut essayer de définir ce qu'était la maladie sacrée pour Hippocrate : les mots convulsions et épilepsie sont interchangeables. Quand Hippocrate aborde l'effet bénéfique des fièvres quartes, un passage se réfère à l'épilepsie, l'autre aux convulsions452(*).

    De nos jours, il n'existe pas d'accord sur la pathologie de l'épilepsie, mais toutes les personnes travaillant sur le sujet sont d'accord sur le fait que les recherches doivent être faite sur la base de procédés scientifiques. Ce n'était pas le cas dans l'Antiquité, quand les considérations scientifiques étaient rejetées par beaucoup de médecins. Les croyances médicales différaient beaucoup selon l'école de médecine à laquelle on était rattaché. Après Hippocrate, trois écoles se sont formées ; les méthodistes, les empiriques et les dogmatiques et toutes les trois avaient un point de vue différents sur l'épilepsie.

    II.2.2 Les causes

    L'histoire des anciennes théories sur l'épilepsie peut être divisées en trois périodes : la période hippocratique, le temps des écoles médicales, la période dominée par Galien. Dans le cadre de cette étude, nous n'aborderons que la période hippocratique recouvrant le V-IVème siècle453(*).

    Un des traits les plus étonnant chez les médecins et les philosophes antiques est leur attitude face aux troubles impliquant l'esprit et la connaissance. La résistance de ces penseurs aux croyances magiques est, de nos jours, considérées comme l'une des plus grande réussite454(*). Alors qu'il est facile de comprendre qu'une maladie somatique soit expliquée par des procédés somatiques, il est plus difficile de soutenir qu'une maladie psychique reposait sur des facteurs somatiques, naturels et également somatique. La tendance matérialiste mena les fondations des la tradition médicale à interpréter toutes les maladies comme des troubles du corps455(*). Dans le cas de l'épilepsie, cette interprétation trouva son application dans le fait que cette maladie était rangée parmi les affections du corps et que ces manifestations somatiques et psychiques étaient imputables aux mêmes causes de départ. Les Hippocratiques, Platon, et Aristote partageait cette croyance, cependant les explications variaient à quelques détails près456(*). Trois traités de la Collection présentent des arguments théoriques et chacun diffère des deux autres. Le traité Maladie sacrée est celui qui a eu le plus de succès. L'auteur considère que l'épilepsie est une maladie naturelle, curable par des remèdes naturels si le traitement est commencé tôt. Ce motif est le fil rouge de ses arguments et le contraint à laisser des caractéristiques de la maladie inexpliquées457(*).

    Comme toutes les maladies, l'épilepsie est héréditaire. Toutefois, l'épilepsie n'arrive que chez les phlegmatiques, jamais chez les colériques (bilieux). La théorie des humeurs, ajoutée au fait que l'épilepsie, comme les autres grandes maladies, trouve sa naissance dans le cerveau, est la pierre angulaire de la théorie458(*).

    Pour appuyer celle-ci, l'auteur donne quelques concepts physiologiques et anatomiques. Le cerveau humain est double, une délicate membrane sépare les deux ensembles. Du corps entier, des veines arrivent au cerveau, lequel est connecté au foie et à la rate par deux grosses veines. L'une est appelée la veine cave et s'étend jusqu'au pied, alors que l'autre pénètre le diaphragme et les poumons, avec des ramifications jusqu'au coeur et au bras droit. Dans sa course vers le cerveau, elle se divise à la hauteur de l'oreille, une branche va vers lui, mais l'oreille, l'oeil et le nez reçoivent également des ramifications. A part le fait que la veine qui va à la rate est plus mince, il est évident que le côté gauche correspond à celle de foie et l'autre au côté droit459(*). Ces deux veines oxygènent l'ensemble des organes du corps. Elles véhiculent l'air, le propage à l'intérieur des organes par l'intermédiaire de petites veines, refroidissent l'organisme et laisse l'air ressortir. L'air est en perpétuel mouvement ; s'il est bloqué dans une partie du corps et qu'il est forcé de rester, cette partie du corps devient impuissante460(*).

    Après ses explications, l'auteur revient à la pathologie de l'épilepsie faisant remonter les prémisses de la maladie au foetus. A ce stade, toutes les parties du corps sont engagées dans un processus de purification. Si cette purification n'a pas lieu dans le cerveau, la personne deviendra phlegmatique, et si elle ne développe pas d'ulcères et de surcharge pondérale durant l'enfance, elle peut risquer de devenir épileptique461(*). Il est également possible que l'excès de phlegme se dirige vers les poumons, le coeur et l'abdomen, causant palpitations, asthme ou diarrhée. Mais si ces routes sont bloquées, le phlegme refroidit se rue vers le cerveau par le biais des petits vaisseaux et cause les symptômes d'une crise d'épilepsie en obstruant les vaisseaux, refroidissant le sang et en interférant avec les mouvements de l'air. Ordinairement, l'air est pris, en premier lieu, par le cerveau, puis par les membres. Le cerveau, comme l'indique l'auteur, est l'organe central des phénomènes psychiques. Quand l'air, dans le processus respiratoire, atteint le cerveau, il y dépose l'intelligence et s'en va vers les autres parties du corps. Par conséquent, le cerveau sert d'interprète au reste du corps. Mais si l'air n'atteint pas en premier le cerveau, la personne devient muette et inconsciente. Surgissent des suffocations, lesquelles par leur violence, peuvent amener à la production d'excréments. Les poumons, coupés du souffle, cause de l'écume sur la bouche, les petites veines des yeux frémissent et les yeux commencent à se troubler. Dans la jambe, l'air incarcéré cause des crampes et des douleurs qui font donner au patient des coups de pied. Dans les mains, cependant, le sang est encore présent, le phlegme froid congèlera le sang et le patient mourra. Il est également possible qu'il se disperse dans le sang tout comme l'air, mettant ainsi fin à l'attaque462(*).

    Le volume des vaisseaux change avec l'âge, tout comme la qualité du sang. La puissance du flux peut varier et affecter un seul côté, et le vent sera poussé dans différentes directions. Tous ces facteurs, comme l'auteur l'indique, décide de l'issue de l'attaque et rendent compte des possibles complications.

    Le changement des vents et des températures sont les causes principales des crises. Les adultes épileptiques, quand le vent est le facteur principal, le cerveau est si humide que le phlegme ne peut pas l'isoler et il reste humide malgré l'augmentation de la fréquence des attaques. Le crâne des épileptiques en donne la preuve ; si on en ouvre un, le cerveau apparaît, humide, et sent mauvais. Le phlegme divise le cerveau qui fond dans l'eau. Quand ce stade est atteint, la maladie devient incurable463(*).

    En lisant cette monographie, on voit que l'anatomie et la physiologie de la maladie sont considérées comme essentielles pour comprendre les causes de l'attaque et le mécanismes de l'action. Dans cette hypothèse, l'air apporte l'intelligence au cerveau et est le messager pour le reste du corps. On peut y voir l'influence d'un philosophe Diogènes d'Apollonie. Cependant, la théorie indiquant que le cerveau jour un rôle essentiel dans l'explication de cette maladie est également présente chez Platon. Selon lui, la partie la plus divine de l'homme à son siège dans le cerveau, et quand le phlegme blanc se mêle à la bile noire, il en résulte la maladie sacrée. Dans le traité Maladie sacrée, qui exclue expressément les colériques de l'épilepsie, le point de vue de Platon sur la bile noire comme facteur causal est corroboré par un autre traité hippocratique464(*). Quand le souffle est arrêter dans les vaisseaux et que la bile noire coule vers l'avant, des crampes apparaissent si le flux atteint le coeur, le foie ou les veines. Dans le cas où ce sont les parties environnantes de ces organes qui sont atteintes le flux et les dernières à se tarir par la stagnation de l'air, l'épilepsie viendra.

    Pour un lecteur moderne, le point de vue de Platon peut paraître négligeable mais pas pour un homme comme Galien qui le considère comme la plus grande autorité en philosophie, de même pour Hippocrate en médecine. En témoigne cette courte phrase de Galien « la cause de l'affection est, comme Platon et Hippocrate l'ont dit, le phlegme et la bile noire465(*) »

    Les théoriciens de la période n'étaient pas unanimes. Ainsi dans le traité Des vents, c'est le phlegme qui cause la maladie en interférant avec le souffle. Dans ce traité, c'est le souffle qui est l'agent morbide. La condition de l'esprit dépend de la condition du sang ; s'il est agité, l'esprit est dérangé. Ici, l'épilepsie est causé par le mélange de l'air et du sang qui obstrue les veines. Le passage du sang est, par conséquent gêné et devient irrégulier. Ces irrégularités engendrent des convulsions et des mouvements saccadés du corps autant que la perte de conscience. L'air monte à la bouche, se transporte le long du sang et de l'écume est produite. Mais l'attaque provient, elle-même, de son propre rétrécissement. Réchauffé par les efforts du corps, le sang, à son tour, réchauffe l'air qui se disperse et, ainsi, met fin à l'attaque466(*).

    Le traité Maladie sacrée n'appréhende la maladie que comme une crise. Les explications se réfèrent uniquement à l'attaque. Il est vrai que la théorie mené par le meilleur élève de Platon, Aristote, indiquait que la nourriture produit une évaporation dans les veines, qui remonte, tourne et redescend. Ce procédé serait à l'origine du sommeil, et explique également certaines maladies, dont l'épilepsie. Dans un certain sens, dormir est une crise d'épilepsie et pour cette raison la crise se déroule souvent durant le sommeil. Si trop de vapeur remonte, il fabrique de la houle dans les veines et empêche la respiration467(*).

    L'influence d'Aristote sur le développement dans la biologie ancienne et médiévale peut à peine être surfait. La théorie du souffle du dessus pour l'épilepsie se retrouve chez Galien et chez d'autre. Cependant, c'est un contraste avec l'idée du pseudo-Aristote, Problemata, où l'épilepsie est considérée comme une maladie mélancolique, engendré par la bile noire. Cette dernière idée n'est qu'en accord qu'avec le texte du Timée mais également avec l'écrit hippocratique disant que « beaucoup de mélancolique deviennent des épileptiques et les épileptiques des mélancoliques ». Néanmoins, les médecins tels que Diocles et Proxagoras disent qu'il a été influencé par le philosophe et que, au moins, sa théorie selon laquelle le coeur est un organe psychique lui est dû. Ils proposent une théorie différente : Praxagore dit que l'épilepsie est engendrée dans la région de l'aorte par une agrégation d'humeurs phlegmatique. Ceci, forme des bulles, bloque le passage de l'air psychique vers le coeur, le pneuma engendre des secousses dans le corps et convulse. Quand les bulles disparaissent, l'attaque s'arrête468(*).

    La période d'approximativement cent ans entre le temps d'Hippocrate et la fin du IVème siècle montre une multitude de théories. La seule chose sur laquelle tout le monde s'entend, c'est que le phlegme est un facteur étiologique reconnu par une relative majorité469(*).

    La puberté est l'âge socialement reconnu comme celui auquel les jeunes filles ont un trop plein de sang dans leur corps qui se dirige vers la matrice. Si celle-ci n'est pas ouverte, alors le sang remonte vers le coeur ce qui cause des symptômes similaires à l'épilepsie et peuvent déboucher sur un suicide. Pour pallier à cela, les jeunes filles doivent se marier afin d'être déflorées470(*).

    On acceptait que les crises d'épilepsie donnent souvent lieu à des tentatives de suicides chez les adolescentes avant que les théories médicales hippocratiques ne soient élaborées471(*) et les Hippocratiques ont repris à leur compte l'idée que le passage de l'état de jeune fille à celui de femme soit difficile.

    Ce qui diffère des croyances pré-hippocratique réside dans les causes même de la maladie.

    « Voici ce qu'il en est de la maladie dite sacrée : elle ne me paraît rient avoir de plus divin ni de plus sacrée que les autres maladies [...] la cause n'est pas plus divine et elle est tout humaine472(*). »

    Pour eux, cette maladie est causée par la rétention du sang dans la matrice. C'est le sujet du traité Maladies des jeunes filles précédemment abordé Or, si l'orifice, l'hymen, n'a pas été déchiré, alors le sang s'accumule et une fois la matrice remplie, remonte dans le corps afin de sortir par l'autre orifice, la bouche. Ainsi peut s'expliquer la suffocation chez les jeunes filles. Par conséquent, quel meilleur remède que le mariage ? En effet, il y a fort à parier que les grecs considèrent le moment du mariage comme celui pendant lequel la jeune fille est déflorée. On voit ici à quel point hystérie et maladie sacrée sont proches. Toutefois, rappelons que le mot hystérie n'est pas utilisé par Hippocrate mais que c'est Emile Littré qui l'emploie. De plus, hystérie et épilepsie ont des causes différentes selon les traités.

    Il est communément reconnu que l'épilepsie survient tôt, notamment lors de la poussée des dents. L'arrivée de cette maladie après l'âge de vingt ans reste exceptionnelle. On pense même que cette maladie est congénitale et l'auteur de Maladie sacrée n'hésite pas à dire qu'elle est peut être héréditaire. C'est sous cette formulation qu'on retrouve des traces de cette maladie dans la littérature ancienne. Ce n'est, en soi, pas très étonnant : toutes les maladies sont héréditaires et la maladie sacrée ne forme pas une exception. C'est pourquoi, on peut dire que la maladie sacrée a une explication toute aussi naturelle que celle des autres maladies. Cette formulation isolée, par conséquent, représente un argument dialectique contre les croyances magiques plutôt que la reconnaissance précoce du caractère héréditaire de l'épilepsie473(*).

    La crise épileptique, d'Hippocrate à Démocrite, est comparée à un petit coït.

    De façon générale, la période de la puberté était considérée comme étant décisive dans le cas de l'épilepsie et dans beaucoup de cas, les crises d'épilepsies s'arrêteront à cette période. Si tel n'est pas le cas, la maladie sera incurable. Par conséquent, beaucoup de médecins attribuent comme remède à cette maladie, la pratique de rapports sexuels474(*). Quoi qu'il en soit, les crise d'épilepsie seraient à relier à l'absence de flux menstruels.

    L'épilepsie, quelle que soit ces formes, tous au long des siècles est attribuées à l'utérus475(*).

    Le traité Airs, Eaux, Lieux, montre également le fait que, dans la pensée des grecs anciens, le climat avait un impact sur la santé.

    «  Celui qui veut approfondir la médecine, doit faire ce qui suit ; il considérera d'abord les saisons de l'année et l'influence respective que chacune d'elle exerce476(*). »

    Cette dépendance aux types de vents est accentué par l'auteur du traité Maladie Sacrée, qui ajoute aux types de vent, la saison, la température et l âge du patient.

    « les enfants tout petits qui sont pris de cette affection, succombent pour la plupart, si la fluxion est considérable et que le vent souffle du midi477(*). »

    « Mais à un âge plus avancée, l'épilepsie, quand elle survient, ne cause ni la mort ni des distorsions478(*)

    Autres facteurs, la peur et la colère sont reconnues comme facilitant les crises d'épilepsie, notamment la peur de l'invisible ou celle lorsqu'on est victime de la colère de quelqu'un. Dans cette catégorie, on peut mentionner des impressions variées comme les mauvaises odeurs. Même des philosophes tel que Plutarque connaissent les causes qui peuvent produire les crises et note l'influence fatale, sur les épileptiques, des vertiges479(*).

    Aristote, pour sa part, considère que l'épilepsie est pareil au sommeil et le sommeil pareil à l'épilepsie.

    Les irrégularités diététiques, telle que l'excès d'alcool, les indigestions, les irrégularités dans la vie sexuelle est spécialement la cessation des flux menstruels sont d'autres causes des crises d'épilepsie480(*).

    II.2.3.Symptômes précédant la crise

    Les Hippocratiques avaient noté quelques symptômes annonçant l'arrivée d'une crise qu'ils soient tactiles, sensoriels, moteurs ou psychiques. Un des auteurs hippocratiques décrit le patient qui, alors qu'il n'avait pas de fièvre souffrait de maux de tête, de bruits, de vertiges, parlait lentement et de raideur dans les mains. Il s'attendait à ce qu'il soit atteint d'une crise d'épilepsie ou d'apoplexie. Beaucoup de raisons expliquent l'intérêt des anciens pour les signes prémonitoires : on pensait que la place d'origine avait un sens dans le pronostic possible de la maladie481(*). Ainsi, le traité Maladie Sacrée indique que des terreurs nocturnes ont été attribuées à Hécate et aux héros alors que, si le patient bave, c'est Mars qui est inculpé482(*).

    «  Avec l'écume à la bouche et des battements de pieds, c'est Mars qui est inculpé. Quand, la nuit, surviennent des peurs, des terreurs, des délires, des sauts hors du lit, des visions effrayantes, des fuites hors de la maison, ce sont, disent-ils, des assauts d'Hécate, des irruptions des Héros483(*).

    « Le flux est-il au contraire coupé de ces voies, et pénètre-t-il dans les veines que j'ai indiqué plus haut ? Le sujet perd la voix et étouffe, l'écume lui sort de la bouche, il grince des dents, les mains se tordent, les yeux divergent, toute connaissance est perdue, quelquefois même il y a sortie des excréments484(*)

    Au regard des auteurs plus tardifs, le corpus hippocratique ne montre que les aspects principaux de la crise : le patient est muet, perd conscience, est insensible aux sons, à la lumière et à la douleur. Son corps est tendu et bouge dans tous les sens, ses mains sont tordus et ses dents grinces. Il donne des coups avec ses jambes et ses yeux se révulsent. De l'écume sort de sa bouche, il suffoque et peut produire des excréments. On retrouve de la froideur dans les jambes et dans les mains, un aspect livide, des palpitations du coeur.

    II.2.4. Les remèdes

    Le remède traditionnel consistait à offrir à Artémis, déesse régnant notamment sur la puberté et les difficultés qui y sont liées, des objets appartenant à la jeune fille pour apaiser sa colère. Or, c'est ce lien que remette en cause les Hippocratiques. Cette maladie est liée à des phénomènes naturels et non à une quelconque intervention divine.

    Au regard de ce que l'on a dit précédemment, les menstrues sont considérées comme étant capable de prévenir l'épilepsie485(*).

    Les médecins grecs abordaient le traitement de cette maladie sans grande conviction de pouvoir en venir à bout. Même le plus optimiste d'entre eux, l'auteur du traité Maladie sacrée, considère que, pour pouvoir se débarrasser de cette maladie, il faut agir avant que celle-ci ne devienne chronique. Si elle apparaît chez les personnes âgées, les aider revient à les laisser seuls car dans ce cas la médecine n'est pas très utile486(*). Ces principes seront repris 400 ans après Hippocrate par Celsus.

    L'auteur du traité Maladie sacrée, utilise des mesures drastiques contre l'épilepsie incluant des drogues et des prescriptions de régime. Mais, les anciens avaient également noté, avec désapprobation, qu'il ne donnait pas de détails concernant sa méthode. La seule mesure thérapeutique contre l'épilepsie enregistré dans la collection hippocratique se réfère au cas d'un homme qui a été saisi par une convulsion épileptique après s'être oint lui-même en hiver avant le feu dans une baignoire. Une abstinence concernant la nourriture et la boisson était prescrit, et une cure doit être effectuée487(*).

    A la fin du quatrième siècle, les méthodes utilisées pour traiter l'épilepsie sont diététiques, chirurgicales, et pharmacologiques. Les efforts pour trouver un traitement furent peu important durant les siècles qui précédèrent le christianisme.

    II.2.5. Pronostic et complication

    Une crise sévère d'épilepsie peut tuer le patient tout de suite488(*).

    Les petits enfants voient leur vie mise en danger quand les attaques se produisent alors que souffle le vent du sud489(*). Si l'attaques survient alors que le patient est dans le vieil âge, l'issue lui est fatale490(*).

    Une question concernant l'épilepsie a beaucoup intéressé Aristote : pourquoi, de tout les animaux de la création, l'homme est il le seul à subir l'épilepsie ? Outre le strabisme, la déviation d'un oeil peut avoir pour cause une crise d'épilepsie tout comme d'autres troubles plus sérieux tel que la cécité491(*). Une paralysie d'un côté du visage est également envisageable. Une main peut être atrophiée ou un pied paralysé492(*).

    Concernant les chances de récupérer, il faut voir à quel âge la maladie est apparue. Si elle date de la naissance, elle sera difficile à guérir. Si elle cesse à l'apparition de la puberté, la maladie peut ne plus apparaître. Quand on s'éloigne de cet âge de changement, que l'on change de lieu et de mode de vie, tous ceci est très bénéfique pour le jeune épileptique493(*). Même si une épilepsie a commencé à l'adolescence et ne se poursuit pas ensuite il faut adapter sa façon de se nourrir494(*). Si la maladie commence à la puberté et continue ensuite, il sera presque impossible de ne pas être épileptique jusqu'à la mort495(*). Les Hippocratiques considèrent que les chances pour un épileptique de guérir définitivement sont très minces, surtout quand son épilepsie a pris une forme chronique. Un médecin qui arrive à guérir un épileptique est considéré comme un dieu !496(*).

    Autre remarque, les maladies liées à l'utérus ont souvent été mis en parallèle avec l'épilepsie dans le Corpus, notamment l'hystérie et beaucoup de médecins ont emboîté le pas à Hippocrate497(*).

    CONCLUSION

    « La femme piège, la femme piégée, porteuse de la fleur qui attire et de l'atelier qui fabrique, la femme, quels que soient ses amours, son indépendance, son intelligence, sa beauté, n'est rien d'autre qu'une fantastique machine à faire des vivants, avec, autour de cette machine, ronde, fragile, solide, géniale, des formes sublimes ou repoussantes, une peau de soie ou de gravier, un cerveau coincé ou épanoui, des seins éteints ou exquis, tout un ensemble d'outils d'une ingéniosité divine n'ayant absolument aucune autre raison d'être que servir l'usine à fabriquer la vie498(*). »

    Cette citation de Barjavel, auteur du vingtième siècle montre à quel point la fonction première de la femme revendiquée par les grecs, celle de mère, est encore vivante aujourd'hui.

    A travers la femme piège, comment ne pas voir l'héritage de Pandora ? A travers la femme piégée, comment ne pas voir la soumission au mari mais, plus encore, la soumission à son sang, piégé entre deux ouvertures, piège pouvant s'avérer fatal ?

    Enfin, à travers l'ingéniosité divine, comment ne pas entendre l'esprit subtil de Zeus (car c'est l'un de ces attributs) ordonnant aux dieux de l'Olympe de fabriquer une créature qu'on trouverait belle ?

    Au début de ce travail, j'aurais voulu prouver que la maladie sacrée, que je pensais marginale, était un obstacle à l'intégration des parthenoi atteintes de ce mal dans la cité. Je percevais cette maladie comme un obstacle au mariage car, étant héréditaire, aucun grec, surtout pas les spartiates, n'avait intérêt à posséder pour femme une épouse malade susceptible de transmettre ce mal.

    Laisser vieillir des filles dans les oikos était mal vu. Il me semblait donc probable que celles-ci entraient en religion. Ceci me semblait d'autant plus vrai que la transe de la pythie pouvait donner à penser qu'on était en présence de crise. Comme l'a montré Oswei Temkin, on a réussi à déterminer les facteurs déclenchants de cette maladie. Quoi de plus simple que d'exposer une jeune fille aux vents ou à la chaleur afin qu'elle fasse ou crise ou, pardon, qu'entre en transe ?Qui plus est la maladie sacrée était, selon les croyances traditionnelles, vu comme une possession par un Dieu. On pouvait donc rapprocher cette croyance de la possession de la pythie par Apollon, qui ainsi, lui communiquait ses oracles.

    Malheureusement, rien dans la mantique apollinienne ne vient corroborer cette hypothèse, et bien que selon Jean-Pierre Vernant, l'impur, donc la maladie et même la femme, côtoie, chez les grecs le plus pur, donc le dieu, je ne peux prétendre soutenir cette hypothèse.

    De plus, le traité Maladie des jeunes filles a mis en avant un point auquel je ne m'attendais pas : bien loin de relayer ces jeunes filles dans les oikos, on considérait leur état comme, certes, pathologique, mais normal au regard de leur âge et on y cherchait des remèdes.

    Ce que cette recherche a surtout mis en avant, c'est l`incroyable emprise qu'exerçait la société des hommes sur les femmes. Non pas qu'elle me soit inconnue, le statut de mineure perpétuelle, Sparte excepté, le disait bien. Mais le fait que la médecine rationnelle, qui se veut médecine d'observation et donc, ici, la lectrice contemporaine que je suis transparaît peut-être, un temps soit peu objective fasse sienne des croyances millénaires pour ne pas remettre en cause l'ordre établit m'interpelle quelque peu.

    Même si cette vision s'explique par le fait que les grecs recherchaient un ordre dans toute chose, même si le médecin dont la profession n'était pas réglementée et donc soumis à l'approbation populaire dont il dépendait pour vivre, on perçoit le chemin qu'il reste à parcourir pour atteindre la médecine objective dégagée de toutes superstitions. En même temps, comment demander à des médecins ayant vécu il y a 2500 ans d'effectuer le tour de force de se dégager de toutes influences culturelles alors que, dans notre société où l'Etat s'est détaché de l'Eglise depuis un siècle, nous n'en sommes pas capable ?

    Quoi qu'il en soit, il faut reconnaître que cette médecine a eu le mérite d'ouvrir le champs des explications possible aux maux féminins et que la parthenos a, peut-être une chance, même si le remède n'est pas parfait, d'échapper à la pendaison. Car, pour diverses raisons déjà abordées et selon l'auteur du traité Maladie des jeunes filles, des épidémies de jeunes filles pendues semblent bien avoir existé. Des théories récentes soutenues par des pédopsychiatres reconnaissent que la puberté est comme une deuxième naissance et que, chacun, consciemment ou non, vit une dépression à cette période de la vie, même si elle est plus ou moins ressentie par les individus.

    Ainsi, même si ce procédé peut nous paraître choquant la conclusion à laquelle j'arrive est que les grecs ont réussi dans leur tâche. Ils voulaient prouver que le monde était un tout ordonné, c'est chose faite ; pour le bien des jeunes filles et celui des oikos, le mariage est la solution à la maladie sacrée.

    Je laisse à chacun le soin de réfuter ou d'acquiescer cette position.

    INTRODUCTION 1

    PREMIERE PARTIE 8

    PRESENTATION DES SOURCES 8

    CHAPITRE I 10

    LA COLLECTION HIPPOCRATIQUE 10

    I.COMPOSITION DU CORPUS 11

    I.1. Une oeuvre constituée par le hasard ? 11

    I.2. Le problème d'ordonnancement du corpus. 13

    I.3. La question de l'auteur du corpus 14

    II. L'APPORT DU CORPUS A LA MEDECINE 20

    II.1. La théorie des humeurs 20

    II.2. Toutes les maladies ont des causes naturelles : la recherche d'une méthode et le divorce médecine/philosophie 22

    II.3. Du pronostic 26

    III. LA POSTERITE DU CORPUS HIPPOCRATIQUE. 32

    III.1. De l'époque classique à Galien 32

    III.2. Galien et l'Antiquité tardive 33

    III.3. Le temps des traductions 34

    III.4. Les temps modernes 35

    Chapitre II 37

    PRESENTATION DES TRAITES UTILES A CETTE ETUDE 37

    I. MALADIE SACREE 38

    I.1. Fond et forme 38

    I.2. Contenu 40

    I.3. Date et auteur 45

    II. LE TRAITE MALADIES DES JEUNES FILLES 47

    II.1. L'auteur : hypothèse 47

    II.2. Contenu 48

    III. MALADIES DES FEMMES 50

    DEUXIEME PARTIE 53

    HISTORIOGRAPHIE 53

    POUR UNE APPROCHE RAPIDE DU SUJET 53

    TROISIEME PARTIE 61

    LA NAISSANCE DE LA MEDECINE RATIONNELLE 61

    Chapitre I 63

    Hippocrate et le Vème siècle 63

    I. HIPPOCRATE 64

    I.1. Les témoignages des auteurs anciens 65

    I.2. Hippocrate (460-375/351) 66

    II. La transmission du savoir médical 69

    II.1. Comment le savoir médical se transmettait-il ? 69

    II.2. L'expansion du savoir médical 70

    II.3. Défense et illustration de l'art médical 78

    Chapitre 82

    I. La médecine rationnelle 84

    II. La médecine magico-religieuse 85

    III. La médecine des temples 87

    III.1. La médecine des sanctuaires d'Asclépios. 87

    III.2. Médecine d'Asclépios et médecine des Asclépiades. 89

    IV. L'opposition de la médecine rationnelle à la médecine magique 91

    IV.1. Une rivalité 91

    IV. 2. Un crime d'impiété ? 93

    Chapitre III 95

    Les facteurs responsables de l'interrogation sur la médecine magico-religieuse 95

    I. Les premières tentatives 96

    II. Le contexte social 97

    II.1. Les grecs et le Proche-Orient 97

    II.2. Quelques hypothèses explicatives 98

    II.3. Les changements politiques 100

    QUATRIEME PARTIE 107

    LA PARTHENOS, PROLOGUE DE LA FEMME, RACE A PART 107

    CHAPITRE I 109

    PANDORA, NAISSANCE DE LA RACE DES FEMMES 109

    I. ET VINT PROMETHEE. 110

    II. LA FEMME, FRAUDULEUX FLEAU 116

    III. LA FEMME SELON LES AUTEURS. 120

    CHAPITRE II 127

    UNE NATURE DIFFERENTE 127

    I. ANCIENS ET GYNECOLOGIE. 128

    I.1 Justification d'une médecine à part 128

    I.2. Comment atteindre le corps des femmes ? 129

    II. HOMME/ FEMME : DIFFERENCES 132

    II.2. Un système de reproduction différent. 132

    II.2. Une physis, facteur de la dichotomie du monde grec. 134

    III. ESQUISSE DE DEFINITION D'UNE PARTHENOS. 136

    III.1 Ce qu'en dit la société. 136

    III.2. Les sources médicales 139

    CHAPITRE III 143

    METTRE SOUS LE JOUG 143

    I. LE SANG DOMESTIQUE PAR LE MARIAGE. 144

    II. MEDECINE ET SOCIETE 150

    CINQUIEME PARTIE 156

    UN ETRE GOUVERNE PAR UN ORGANE, L'UTERUS 156

    CHAPITRE I 158

    L'UTERUS 158

    I. ANATOMIE DE L'UTERUS. 159

    II. L'UTERUS ET SES DIVAGATIONS. 165

    II.1. Le corps des femmes et les Hippocratiques 165

    II.2. Un utérus mobile 168

    II.3. Remèdes 169

    II. L'UTERUS, RESPONSABLE DE TOUS LES MAUX 172

    CHAPITRE II 176

    LE PIVOTEMENT DU SACRE 176

    I. LE SANG : DANGER ET REMEDE 178

    1.1 Par les hommes 178

    I.2. De par leur nature 180

    II. DES MALADIES EN RAPPORT AVEC LA NATURE DES FEMMES. 185

    II.1. La pendaison 185

    II.2. La maladie sacrée 187

    CONCLUSION 200

    * 1 Hippocrate, De la maladie des jeunes filles, traduction de Jacques Jouanna.

    * 2 Lesley Ann Dean-Jones, Women's Bodies en Classical Greek Science, Oxford, Clarendon Press, 2001, p 6.

    * 3 Ibid.

    * 4 W.H.S.Jones, Hippocrate, tome I, London, The Loeb Classical Library, 1952.

    * 5 Famille des deux fils d'Asclépios, qui, avant d'être divinisé, fut un homme initié par le centaure Chiron à l'art de la médecine. Pour avoir trouvé le secret de l'immortalité, il fut foudroyé avant de devenir le dieu de la médecine supplantant ainsi Apollon.

    * 6 W.H.S. Jones, op. cit.

    * 7 Corpus : Recueil concernant une même matière.

    * 8 Jacques Jouanna, Hippocrate, Paris, Fayard, p 85.

    * 9 W.H.S. Jones, , op. cit., tome 4.

    * 10 Jacques Jouanna, , op. cit., p 87.

    * 11 W.H.S. Jones, Hippocrate, , op. cit., tome 4.

    * 12 Jacques Jouanna, Hippocrate, op cit.,p 87.

    * 13 Ibid.

    * 14 Ibid.

    * 15 Langage ionien : langue d'une école de philosophes et de physiciens grecs (VIème-Vème siècle) principalement représentés par Anaxagore, Thalès, Anaximandre et Héraclite.

    * 16 W.H.S. Jones, Hippocrate, op. cit., tome 4.

    * 17 WHS Jones, Hippocrate, Tome I, London, The Loeb Classical Library, 1952.

    * 18 Jacques Jouanna, Hippocrate, Paris, Fayard,1992, p 97-98.

    * 19 Ibid., p 104.

    * 20 Jacques Jouanna, op. cit., p 85.

    * 21 Jacques Jouanna, l'Art de la médecine, Paris, Flammarion, 1999, p 16.

    * 22 Aristote : (384-322). Philosophe grec, fils du médecin Nicomaque, disciple de Platon, précepteur d'Alexandre le Grand.

    * 23 Aristote, Histoire des animaux, III, 3, 512b12-513a7.

    * 24 Jacques Jouanna, op. cit. p 17.

    * 25 Aristote, Histoire des animaux, III, 3, 512b12-513a7.

    * 26Jacques Jouanna, op. cit., p 17.

    * 27 Jacques Jouanna, Hippocrate, Paris, Fayard 1992, p 105.

    * 28 Cnide : ville d'Asie Mineure située en face de l'île de Cos.

    * 29 Jacques Jouanna, op. cit., p 100.

    * 30 Ibid. p 101.

    * 31 La famille des Asclépiades se scinda en trois branches: la branche de Cos, de Cnide, et de Rhodes qui s'éteint très vite.

    * 32 Jacques Jouanna, op. cit., p 102.

    * 33 Ibid.

    * 34 W.H.S. Jones, op. cit. tome 4.

    * 35 Jacques Jouanna, op cit., p 102.

    * 36 Ictère : coloration jaune de la peau et des muqueuses.

    * 37 Phtisies : tuberculose pulmonaire.

    * 38 Jacques Jouanna, op cit., p 102.

    * 39 Ibid. p 98.

    * 40 Ibid.

    * 41 Ibid, p 99.

    * 42 Jacques Jouanna, op. cit., p 100.

    * 43 Ibid.

    * 44 Ibid., p 101.

    * 45 Ibid.

    * 46 Ibid., p 103.

    * 47 Erotien vécut au 1er siècle après Jésus-Christ.

    * 48 Jacques Jouanna, op. cit., p 103.

    * 49 Jacques Jouanna, op. cit., p 104.

    * 50 Ibid.

    * 51 Ibid.

    * 52 Ibid.

    * 53 Ibid.

    * 54 W.H.S. Jones, op. cit., tome 1.

    * 55 Anaximandre: 610-547 avant JC, philosophe grec de l'école ionienne.

    * 56 W.H.S. Jones, op. cit., tome 1.

    * 57 Jeune homme Durant la vieillesse de Pythagore dans W.H.S. Jones, op. cit., tome 1.

    * 58 W.H.S. Jones, op. cit., tome 1.

    * 59 Ibid.

    * 60 W.H.S. Jones, op. cit., Hippocrate tome 2, London, The Loeb Classical Library, 1952.

    * 61 Ibid.

    * 62 Ibid.

    * 63 Ibid.

    * 64 Ibid.

    * 65 Jacques Jouanna, , L'Art de la medecine, Paris, Fayard, 1999, p 27.

    * 66 W.H.S. Jones, op. cit., tome 2.

    * 67 Philosophes monistes : philosophe considérant que l'être humain est composé d'une seule substance.

    * 68 Jacques Jouanna, Hippocrate, Paris, Fayard, 1992, p 86.

    * 69 W.H.S. Jones, op. cit. tome 2.

    * 70 Physiologoi : philosophe présocratique qui enquêtait sur la nature.

    * 71 G.E.R. Lloyd, Magie,raison et expérience, Paris, Flammarion, 1990, 488p.

    * 72 G.E.R. Lloyd, Une histoire de la science grecque, édition La découverte, 1990, p 71.

    * 73 Milésiens : habitant de Milet, ville d'Asie Mineure, considérée comme la plus grande métropole grecque à partir du VIIIème siècle avant JC. On y trouve une école philosophique dont firent partie Thalès et Anaximandre. Elle déclina avec les invasions perses du Vème siècle.

    * 74 Jacques Jouanna, L'Art de la médecine, Paris, Flammarion,1999, p 35.

    * 75 Jacques Jouanna, Hippocrate, Paris, Fayard, 1992, p 99-100.

    * 76 Jacques Jouanna,, L'art de la médecine, Paris, Flammarion, 1999, p 50.

    * 77 Jacques Jouanna, Hippocrate, Paris, Fayard, 1992, p 104.

    * 78 Ibid.

    * 79 G.E.R. Lloyd,op. cit.

    * 80 Jacques Jouanna, Hippocrate, Paris, Fayard, 1992, p 145.

    * 81 Homère, Iliade, Paris, Gallimard, 1986.

    * 82 Jacques Jouanna, Hippocrate, Paris, Fayard, 1992, p 146.

    * 83 Ibid.

    * 84 Eschyle, Suppliantes, v.263, Euménides,v.62 Agamemnon, v.1623.

    * 85 Jacques Jouanna, Hippocrate, Paris, Fayard, 1992 p 147.

    * 86 Jacques Jouanna, Hippocrate, Paris, Fayard, 1992 p 149.

    * 87 Ibid. p 154.

    * 88 Ibid.

    * 89 Ibid. p 155.

    * 90 Ibid.

    * 91 Ibid., p 158.

    * 92 Ibid., p 153.

    * 93 Ph Mudry et Jacky Pijeaud, Les écoles médicales à Rome, Genève, 1991.

    * 94 Cette école s'est établie à partir des travaux d'Hippocrate. Elle se base sur l'idée qu'une bonne santé n'est acquise que dans l'équilibre des humeurs (sang, bile noire et jaune, phlegme).En outre, elle ne sépare pas les maladies du corps de celles de l'esprit.

    * 95 L'école empirique s'oppose à la précédente et considère que l'expérience prime sur la recherche des causes. Cette expérience est acquise soit par l'expérience directe du médecin soit par la transmission d'écrits.

    * 96 Le représentant le plus éminent de l'école méthodique est le grand gynécologue Soranos d'Ephèse (I-IIème siècle après Jésus-Christ), qui prend souvent position contre certaines affirmations du Corpus en ce domaine.

    * 97 Cicéron, Lettres à Atticus, XVI, 15, 5 ; De la nature des dieux, III, 38, 91 ; De l'orateur, III, 33,132. Sénèque, Lettres, 95,20.

    * 98 Il a commenté :Aphorismes, Fractures, Articulations, Pronostic, Régime des maladies aiguës, Plaies, Blessures de tête, Epidémies I-II-III-IV, Humeurs, Aliment, Prorrhétique, Nature de l'homme, Officine du médecin, Airs, Eaux, Lieux, Serment.

    * 99 Jacques Jouanna, « Rhétorique et médecine », Revue des études grecques,1984, p 32.

    * 100 Jacques Jouanna, « Notice », p X, La maladie sacrée, Paris, les Belles Lettres,2003, 161p.

    * 101 Ibid.

    * 102 Jacques Jouanna, « Rhétorique et médecine », Revue des études grecques,1984, p33.

    * 103 Jacques Jouanna, op. cit., pp 41-42.

    * 104 la traduction des deux extraits est celle de Jacques Jouanna.

    * 105 PLATON, Phèdre.

    * 106 Jacques Jouanna, La Maladie Sacrée, Paris,Les Belles Lettres, 2003, p XII.

    * 107 Ibid., p XXXIX.

    * 108 Ibid.

    * 109 GER Lloyd, op. cit.

    * 110 Jacques Jouanna, op. cit., p XIII.

    * 111 G.E.R. Lloyd, op cit.

    * 112 Ibid.

    * 113 Jacques Jouanna, op. cit. p XLVI.

    * 114 Ibid.

    * 115 G.E.R. Lloyd, op. cit.

    * 116 G.E.R. Lloyd, op. cit.

    * 117 Ibid.

    * 118 Ibid.

    * 119 Oswei Temkin, «The Doctrine Of Epilepsy In The Hippocratic Writing», Bulletin of the Institute of the History of Medicine, 1933, pp 277-322.

    * 120 Jacques Jouanna, op. cit. p LXII.

    * 121 G.E.R. Lloyd, op. cit.

    * 122 Ibid.

    * 123 Jacques Jouanna, op. cit., p VIII.

    * 124 Période hellénistique : période de l'histoire grecques qui suit l'époque classique et qui s'étend de 281 à 146, date à laquelle, Rome, étend sa domination sur la Grèce.

    * 125 Néron : empereur romain de 54 à 68 après Jésus-Christ.

    * 126 Galien : médecin du deuxième siècle après Jésus-Christ.

    * 127 Jacques Jouanna, op. cit., p IX.

    * 128 Caelius Aurelianus : médecin du Vème siècle après Jésus-Christ.

    * 129 G.E.R. Lloyd, op. cit.,.

    * 130 Robert Joly, le niveau de la science hippocratique, Paris, Les Belles Lettres, 1966.

    * 131 O.Regenbogen, Symbola Hippocratea, Diss. Berlin, 1914, p 36-42.

    * 132 Jacques Jouanna, op. cit., p XIX.

    * 133 Ibid, p XX.

    * 134 Emile Littré, Traduction du corpus hippocratique, Livre VIII, p 464. source disponible sur le site internet de la Bibliothèque inter universitaire de médecine.

    * 135 Jacques Jouanna, Hippocrate, Paris, Fayard, p 101-102.

    * 136 Hippocrate, Maladies des jeunes filles, Livre VIII, p 469, traduction d'Emile Littré.

    * 137 Jacques Jouanna, op. cit., p 75.

    * 138 Hippocrate, op. cit., Livre VIII, p 467.

    * 139 Ibid., p 467.

    * 140 Ibid., p 469.

    * 141 Ibid., p 471.

    * 142 Lesley Ann Dean-Jones, op. cit. p 11.

    * 143 Ibid.

    * 144 Ibid., p 12.

    * 145 Ibid.

    * 146 Ibid.

    * 147 René Taton, La science antique et médiévale, « La science dans le monde gréco-romain », Paris, PUF, 1957.

    * 148 Ibid.

    * 149 Histoire de la pensée médicale en Occident, sous la direction de Mirko.D.Grmek, « la naissance de l'art médical » pp 25-66, tome 1, Antiquité et Moyen Âge, Paris, Seuil,1995, 382p.

    * 150 Jacques Jouanna, L'Art de la médecine, Paris, Flammarion, 1999, 362p.

    * 151 René Taton, op. cit. note 131.

    * 152 Jacques Jouanna, , op. cit., L'Art de la médecine, p 8.

    * 153 René Taton, op. cit.

    * 154 Voir le débat, dans la partie sur la maladie sacrée concernant l'unité de l'auteur du traité.

    * 155 Jacques Jouanna, « Hippocrate de Cos » pp 13-42, Hippocrate, Paris, Fayard, 1992.

    * 156 Ibid., p 13.

    * 157 Ibid., p 15.

    * 158 Platon : (428-348), philosophe grec, disciple de Socrate.

    * 159 Socrate : (470-399), philosophe grec. Accusé d'impiété et de corruption de la jeunesse, il est condamné à mort par le tribunal populaire d'Athènes, l'héliée.

    * 160 sophiste ayant donné des conférences à Athènes.

    * 161 Jacques Jouanna, op. cit. p 16.

    * 162 Ibid., p 18.

    * 163 Aristophane (445-380), poète comique.

    * 164 Aristote (384-322), philosophe grec, fils du médecin Nicomaque.

    * 165 Famille des deux fils d'Asclépios, Podalire et Machaon ainsi que leurs descendants qui prétendaient descendre en ligne directe d'Asclépios qui, avant d'être divinisé, fut un homme initié par le centaure Chiron à l'art de la médecine. Pour avoir trouver le secret de l'immortalité, il fut foudroyé avant de devenir le dieu de la médecine supplantant ainsi Apollon.

    * 166 A la suite d'une querelle entre trois déesses, Aphrodite, Athéna et Héra, Paris s'éprit d'Hélène, reine de Sparte, et provoqua la guerre entre les troupes d'Agamemnon et celle de la ville de Troie dont Paris était l'un des princes. La cité de Troie tomba après dix ans de guerre mais bien des hommes de l'armée d'Agamemnon rencontrèrent des difficultés pour rejoindre leur patrie.

    * 167 Cos est une île près du continent asiatique. Cnide est une presqu'île en face de Cos.

    * 168 Galien : (131-201), médecin grec, anatomiste et thérapeute.

    * 169 Jacques Jouanna, op. cit. p 25.

    * 170 Du côté de son père, Hippocrate descend d'une famille célèbre tant par son savoir médical que par les services rendus aux cités grecques. Du côté maternelle, Hippocrate serait un descendant d'Héraclès dans Jacques Jouanna, op. cit., p 32.

    * 171 Ibid., p 33.

    * 172 Ile située sur la côte thrace en face de l'île de Thasos.

    * 173 Jacques Jouanna, op. cit., p 40.

    * 174 Ibid., p 46.

    * 175 Ibid., p 45.

    * 176 Ibid., p 47.

    * 177 Les Epidémies sont constituées de sept livres dont les plus anciens datent de 410 avant Jésus-Christ et les plus récents des années 358-348 avant Jésus-Christ.

    * 178 Jacques Jouanna, op. cit. p 49.

    * 179 Ibid., p 50-54.

    * 180 Phydias et Polyclète sont considérés comme les plus grands sculpteurs de l'Antiquité.

    * 181 Jacques Jouanna, L'art de la médecine, Paris, Flammarion, 1999, p 12.

    * 182Alliance de plusieurs cités grecques autour d'Athènes suite à une scission entre les partisans de Sparte, défavorable à une guerre de conquête contre les Perses, et ceux d'Athènes qui souhaitent continuer la lutte. Chaque allié jure assistance aux autres en cas d'attaque militaire. La ligue est également une alliance politique dont le centre théorique est le sanctuaire de Délos où se tiennent les réunion des alliés et où est déposé le trésor. En effet, afin de financer cette ligue chaque cité doit payer un tribut à Athènes qui, en tant que première puissance maritime, prend la tête de la ligue.Toutefois, les cités se plaignent d'Athènes qui exerce une politique colonialiste et des révoltes auront lieu et seront (Thasos) réprimées très durement.

    * 183 Jacques Jouanna,, Hippocrate, Paris, Fayard, 1992, p 58.

    * 184 Ibid., p 59.

    * 185 Pour chaque défunt l'anniversaire de la naissance est l'occasion d'une célébration familiale. Ce qui, dans le cas d'Hippocrate, est remarquable, c'est que cette célébration fut publique.

    * 186 Jacques Jouanna, op. cit., p 68.

    * 187 Histoire de la pensée médicale en Occident, op.cit.

    * 188 Ibid.

    * 189 Ibid.

    * 190 Jacques Jouanna, op. cit. p 73.

    * 191 Ibid., p 74.

    * 192 Ibid.

    * 193 Histoire de la pensée médicale en Occident, op.cit.

    * 194 Syennésis était originaire de Chypre, situé à l'est de Cos.

    * 195 Histoire de la pensée médicale en Occident, loc. cit.

    * 196René Taton, loc. cit.

    * 197 Histoire de la pensée médicale en Occident, loc. cit.

    * 198René Taton, loc. cit.

    * 199 René Taton, loc. cit.

    * 200 Histoire de la pensée médicale en Occident, loc. cit.

    * 201 Ibid.

    * 202 Ibid.

    * 203 Ibid.

    * 204 Ibid.

    * 205 Ibid.

    * 206 René Taton, loc. cit.

    * 207 L'expérience des vases communicants prétend éclairer l'existence de l'équilibre vital entre les humeurs.

    * 208 Maladie III, dernière division.

    * 209 Empirisme : méthode que se fondent uniquement sur l'expérience.

    * 210 Jacques Jouanna,, Hippocrate, op. cit. p 80.

    * 211 Ibid.

    * 212 Ibid.

    * 213 personnage nommé par la cité à la charge de médecin de la cité.

    * 214 René Taton, loc. cit.

    * 215 René Taton, loc. cit.

    * 216 Jacques Jouanna, Hippocrate, pp 84-85.

    * 217 Histoire de la pensée médicale en Occident, op. cit.

    * 218 technè : terme qui recouvre les notions d'art et de science, indissociable à cette période.

    * 219 Jacques Jouanna, l'Art de la médecine, p 39.

    * 220 Sophiste : philosophe qui enseignait l'art de l'éloquence et les moyens de défendre n'importe quelle thèse par le raisonnement ou des artifices rhétoriques

    * 221 Jacques Jouanna,, l'Art de la médecine, p 39.

    * 222 Technai : ouvrages définissant les règles de l'art

    * 223 Jacques Jouanna, op. cit., p 43.

    * 224 Ibid.

    * 225 Julie Laskarsis : the Art is Long: On the Sacred Disease and the Scientific Tradition, ,Los Angeles, Université de Californie 1999, 171p.

    * 226 Ibid., p44.

    * 227 Ibid.

    * 228 Ibid.

    * 229 Epidémies, I, 5.

    * 230 Jacques Jouanna, l'Art de la médecine, p 53.

    * 231 Ibid, p 54.

    * 232 Méthode consistant à attacher le malade à une échelle qu'on hisse sur le sommet d'une maison ou d'une tour puis qu'on laisse brutalement retomber à la verticale dans l'idée que le choc redressera la colonne vertébrale.

    * 233 Jacques Jouanna, Hippocrate, op. cit., p 135.

    * 234 G.E.R. Lloyd, Une histoire de la science grecque, Paris, édition Seuil la découverte, 1990, p 67.

    * 235 G.E.R. Lloyd, Magie,raison et expérience, Paris, Flammarion, 1990, 488p.

    * 236 GER Lloyd, Une histoire de la science grecque, Paris, édition Seuil la découverte, 1990.

    * 237 Ibid.

    * 238 Jacques Jouanna, Hippocrate, p 260.

    * 239 GER Lloyd, Magie,raison et expérience, Paris, Flammarion, 1990, 488p.

    * 240 Jacques Jouanna, La maladie sacrée, Paris, Les Belles Lettres, p XXVI.

    * 241 Jacques Jouanna, l'Art de la médecine, Paris, Flammarion, 1999, p 31.

    * 242 Ibid, p 30.

    * 243 Jacques Jouanna, La maladie sacrée, p XXXIX.

    * 244 G.E.R. Lloyd, loc. cit.

    * 245 Jacques Jouanna, La maladie sacrée, p XXXIV.

    * 246 Eric Robertson, Dodds, Les grecs et l'irrationnel, Paris, Flammarion, 1985, 316p.

    * 247 G.E.R. Lloyd, loc. cit.

    * 248 Jacques Jouanna, La maladie sacrée, PXXI.

    * 249 G.E.R. Lloyd, loc. cit.

    * 250 Ibid.

    * 251 G.E.R. Lloyd, loc. cit.

    * 252 Aristophane, Ploutos, v727 à 741.

    * 253 Aristophane, Ploutos.

    * 254 G.E.R. Lloyd, loc. cit.

    * 255 Ibid.

    * 256 Traduction d'Emile Littré.

    * 257 André BERNAND, Sorciers grecs, Paris, Fayard, 1991, 513p.

    * 258 Ibid.

    * 259 Une h?bris est un crime impardonnable de démesure.

    * 260 Phèdre tombe amoureuse de son beau fils, Hyppolite et le pousse, involontairement au suicide, Médée, pour punir son mari de son infidélité, tue ses deux fils, tandis qu'OEdipe, sans le savoir, épouse sa mère et tue son père.

    * 261 André BERNAND, loc. cit.

    * 262 Julie Laskarsis, the art is long: on the sacred desease and the scientific tradition, Université de Californie, Los Angeles, 1999, 171p.

    * 263 G.E.R. Lloyd, loc. cit.

    * 264 G.E.R. Lloyd, loc. cit.

    * 265 Ibid.

    * 266 Xénophane : (570-470) philosophe grec.

    * 267 Anthropomorphisme : représentation d'un dieu sous l'apparence humaine.

    * 268 Héraclite : (540-480), philosophe grec.

    * 269 G.E.R. Lloyd, loc. cit.

    * 270 G.E.R. Lloyd, loc. cit.

    * 271 Hérodote.

    * 272 Mèdes et Perses.

    * 273 Selon le traité Airs, Eaux, Lieux, si les peuples asiatiques sont plus doux, c'est à cause du climat de leur pays, de leurs coutumes et de leurs institutions : ils sont gouvernés par des despotes qui manque de courage et d'énergie.

    * 274 Selon G.E.R. Lloyd dans son libre précédemment cité, cette idée serait récurrente chez Aristophane.

    * 275 Ostracisme : à Athènes au Vème siècle, procédure d'exclusion temporaire à l'égard d'un citoyen jugé dangereux pour la démocratie.

    * 276 Thalès : (fin VII-deb VIème siècle), mathématicien et philosophe grec de l'école ionienne.

    * 277 Anaximandre :(610-547), philosophe grec de l'école ionienne.

    * 278 Solon (640-558), législateur et poète athénien.

    * 279 Pisistrate :(600-527) tyran d'Athènes.

    * 280 Clisthène : (VIème siècle avant JC) homme politique athénien.

    * 281 Aristophane : (445-380) poète comique grec.

    * 282 Platon : (428-348) philosophe grec, disciple de Socrate.

    * 283 G.E.R. Lloyd, Magie, raison et expérience, Paris, Flammarion, 1990, 448p.

    * 284 Alain Tranoy, « La parthenos, mythes et réalités », Revadosanté, 2001, n°2, site internet.

    * 285 Hésiode, Théogonie divine, Folio classique, 2004, p 63.

    * 286 Jean Pierre Vernant, L'univers, les dieux, les hommes, 510-512.

    * 287 Hésiode, Des travaux et des jours, Folio classique, 2004, 90-93.

    * 288 Jean Pierre Vernant, op. cit. p 65.

    * 289 Hésiode, Théogonie divine, 510-512.

    * 290 Ibid., p 542-545.

    * 291 Pour avoir rendu le feu aux humains, Zeus le cloue entre le ciel et la terre, à mi hauteur d'une montagne, d'une colonne, où il enchaîne et le ligote. Prométhée sert de nourriture à l'oiseau de Zeus, à l'aigle porteur de sa foudre. Tous les jours, cet aigle dévore le foie totalement et celui-ci repousse dans la nuit. Prométhée sera délivré par Héraclès avec l'assentiment de Zeus.

    * 292 Nicole Loraux, Les enfants d'Athéna, Paris, Edition du Seuil, 1990, p 75-117.

    * 293 Hésiode, Des travaux et des jours, 83-88.

    * 294 Hésiode, Théogonie, 590-591.

    * 295 Nicole Loraux, op. cit. p 77.

    * 296 Ibid., p 78.

    * 297 Hésiode, Des travaux et des jours, 66-68.

    * 298 Jean-Pierre Vernant, « le monde des humains », L'univers, les dieux, les hommes, p 79.

    * 299 Euripide, Hippolyte porte-couronnes, 616-619.

    * 300 Pierre BRULE, La vie quotidienne des femmes grecques, Paris, Hachette, 2001, p 53.

    * 301 Hésiode, Théogonie, 572.

    * 302 Hésiode, Des travaux et des jours, 65-66.

    * 303 Hésiode, Théogonie, 590-591

    * 304 Nicole Loraux, op cit., p 90.

    * 305 Ibid., p 91.

    * 306 Pierre Brulé, op. cit., p46.

    * 307 Sémonide, Iambe des femmes.

    * 308 Pierre Brulé, op. cit., p 49.

    * 309 Nicole Loraux, op. cit. p 101.

    * 310 Pindare, Olympiques, XI, 18 et suivantes.

    * 311 Nicole Loraux, op. cit. p 105.

    * 312 Ibid., p 106.

    * 313 Pierre Brulé, op. cit., p 54.

    * 314 Helen King, op. cit., p 23.

    * 315 Lesley-Ann Dean-Jones, Women's Bodies in Classical Greek Science, Oxford University Press, 1994, p 110.

    * 316 Ibid, p 114.

    * 317 Ibid, p 10.

    * 318 Ibid, p 26.

    * 319 Hippocrate : Du foetus de 7 mois, 4.

    * 320 Aline Rousselle, A.E.S. « Observation féminine et idéologie masculine : le corps de la femme d'après les médecins grecs », 1980, p 1091.

    * 321 Hippocrate, Des chairs, XIX.

    * 322 Lydie Bodiou, Histoire du sang des femmes grecques :filles, femmes, mères. Thèse de Doctorat.

    * 323 Ibid,.

    * 324 Hippocrate, Maladie des femmes, Tome VIII, 1,21.

    * 325 Lydie Bodiou, op. cit.

    * 326 Aline Rousselle, A.E.S.C., « Observation féminine et idéologie masculine : le corps de la femme d'après les médecins grecs » p 1089-1115, 1980.

    * 327 Ibid,.p 1092.

    * 328 Hippocrate, Maladies des jeunes filles, traduction d'Emile Littré.

    * 329 Voir première partie, présentation des sources, la collection hippocratique.

    * 330 Hippocrate, tome VIII, p 127, trad. Emile Littré, Paris, Baillière, 1839-1881.

    * 331 Platon, Timée.

    * 332 Etienne Trillat, Histoire de l'hystérie, Seghers, 1986, p 13.

    * 333 Ibid. p13.

    * 334 Lydie Bodiou, op. cit. p 222.

    * 335 Pierre Brulé, op.cit., p 98.

    * 336 Lesley-Ann Dean-Jones, op. cit., p 46.

    * 337 Hippocrate, Maladies des femmes, I.2.

    * 338 Ibid.

    * 339 Ibid.

    * 340 Ibid., p 58.

    * 341 Louise Bruit-Zaidmann, le temps des jeunes filles, revue Clio, site Internet.

    * 342 Nicole Loraux, les enfants d'Athéna, « sur la race des femmes et quelques-unes de ses tribus », p 75-117, Paris, Edition du Seuil, 1990, 303 pages.

    * 343 Giulia Sissa, A.E.S.C., « une virginité sans hymen : le corps féminin en Grèce ancienne », 1984, p 1119-1139.

    * 344 Xénophon, Economique, VII, 4.

    * 345 Pierre Brulé, op. cit. p 79.

    * 346 D.W. Amundsen and C.J. Diers, «the Age of Menarche in Classical Greece and Rome» Human Biology, Wayne State University Press, USA, 1969, pages 125-132.

    * 347 Hippocrate, Pregnitions coaques, 5, XXX, 502.

    * 348 Emiel Eyben: «Antiquity's View of puberty» Latomus, 1972, pages 677-697.

    * 349 Aristote.

    * 350 Helen King, Hippocrate's Woman : reading the Female Body in Ancient Greece, London, Routledge, 1998,p 23.

    * 351 Ibid.

    * 352 Ibid., p54.

    * 353Emiel Eyben : «Antiquity's View of puberty» Latomus, 1972, pages 677-697.

    * 354 Hippocrate, Maladies de jeunes filles, Tome.VIII, 466.

    * 355 Ibid., Tome VIII,468.

    * 356 Ibid., Tome VIII, 470.

    * 357 Ibid.,Tome VIII, 468.

    * 358 G.Sissa, op. cit., p 1133-1134.

    * 359 Soranos, 1, 16-17.

    * 360 G. Sissa, op. cit., p 1131.

    * 361 Hippocrate, Maladies des femmes, Tome VIII. I.20.

    * 362 Hippocrate, Superfétation, Tome VIII, 16, 1-2.

    * 363 Hippocrate, Maladies des femmes, Tome VIII, 16, 1-2.

    * 364 Hippocrate,Femmes stériles, 246, Tome VII, 458.

    * 365 GA, 727a 26-30

    * 366 HA, 582a 16-29

    * 367 A.M. Verilhac, Cl Vial, Le mariage grec du VIè à l'époque d'Auguste, Suppl. BCH, 1998, 214-218.

    * 368 Hippocrate, Epidémies, Tome V, 300, 1-2.

    * 369 Nicole Loraux, op. cit., p 79.

    * 370 Alain Tranoy, op, cit.

    * 371 Pierre Brulé, op, cit., p 79.

    * 372 Xénophon, Economique.

    * 373 Pierre Brulé, « Des tambourins pour Artémis », site internet Clio.

    * 374 Helen King, op. cit. p 27.

    * 375 Lesley Ann Dean-Jones, op, cit. p 74.

    * 376 Ibid., p 75.

    * 377 Dans cous de Licence SUED, par Pierre Brulé. Année universitaire 2003-2004.

    * 378 Ibid., p 76.

    * 379 Génération, 4, (L. VII, 476)

    * 380 Helen King, op. cit., p 27.

    * 381 Ibid., p 33.

    * 382 Hippocrate, Maladies des femmes, Tome VIII, 348.

    * 383 Hippocrate, Maladies des femmes, Tome VIII, 96.

    * 384 Hippocrate, Ancienne Médecine, Tome I, 626, 1-634,17.

    * 385 Hippocrate,Maladies des femmes, Tome VIII, 322.

    * 386 Nicole Loraux, Façons tragique de tuer une femme, Hachette, 1985, p 97-98.

    * 387 Hippocrate, Epidémies, Tome VI.5.2.

    * 388 Lydie Bodiou, Histoire du sang des femmes grecques : filles, femmes, mères.

    * 389 Lesley Ann Dean-Jones, op. cit. p 65.

    * 390 Hippocrate, Ancienne médecine.

    * 391 Hippocrate, Nature de l'enfant, Tome VII, 498, 14-15.

    * 392 Lydie Bodiou, Histoire du sang des femmes grecques :filles, femmes, mères.

    * 393Hippocrate, Superfétation, Tome VIII, 476, 3.

    * 394 Lydie Bodiou, Histoire du sang des femmes grecques :filles, femmes, mères.

    * 395 Hippocrate, Nature de l'enfant, Tome VII, 540, 1-16.

    * 396 Helen King, op. cit. p 35.

    * 397 Ibid., p 76.

    * 398 Emile Trillat, Histoire de l'hystérie, p15.

    * 399 Emile Littré, Tome VIII, p 15.

    * 400 Hippocrate, Maladies des femmes, Tome VIII, p33-34.

    * 401 Lesley Ann Dean-Jones, op. cit., p 42.

    * 402 Lydie Bodiou, Histoire du sang des femmes grecques : filles, femmes, mères.

    * 403 Lesley Ann Dean-Jones, op. cit., p 158.

    * 404 Lydie Bodiou, loc. cit.

    * 405 Hippocrate, De l'excision du foetus,Tome VIII, 516.

    * 406 Hippocrate, Maladie des femmes, Tome VIII, 388-392.

    * 407 Hippocrate, Maladie des femmes,Tome VIII, 266.

    * 408 Hippocrate Maladies des femmes, Tome VIII,10, 16-19.

    * 409 Lydie Bodiou, op. cit.

    * 410 L. Brisson, « Le corps animal comme signe de la valeur d'une âme chez Platon », dans L'animal dans l'Antiquité, Edition B. Cassin, J.L. Labarrière, Vrin, 1997, 227-246.

    * 411 Hippocrate Maladies des femmes, Tome VIII, 322, 8-14.

    * 412 Helen King, op. cit. p 73.

    * 413 Hippocrate, Maladies des femmes, Tome VIII, 366, 6-20.

    * 414 Hippocrate, Nature de la femme, Tome VII, 314, 21 ; 332,6-7.

    * 415 Lydie Bodiou, loc. cit.

    * 416 Helen King, op. cit., p 71.

    * 417 Ibid.

    * 418 Hippocrate, Epidémies, 1.8.

    * 419 Lesley Ann Dean-Jones, op. cit., p 140.

    * 420 Ibid.

    * 421 Helen King, Hippocrate's Woman : reading the Female Body in Ancient Greece, London, Routledge, 1998,p 26.

    * 422 Ibid., p33.

    * 423 Ibid.

    * 424 Hippocrate, Génération, 4.

    * 425 Lesley Ann Dean-Jones, op. cit., p 26.

    * 426 Ibid., p 69.

    * 427 Etienne Trillat, op. cit., p 13.

    * 428 Helen King, op. cit., p 208.

    * 429 Ibid, p 206, il s'agit de Woodruff qui s'appuie sur les théories de Veith, à qui Aline Rousselle reproche de lire les auteurs antiques avec nos conceptions contemporaines.

    * 430 Ibid, p 207.

    * 431 Hippocrate, Maladie Sacrée, Livre VI.

    * 432 Helen King, op. cit., p207.

    * 433 Ibid., p 127.

    * 434 Xenophon, Economique.

    * 435 Maladie des jeunes filles

    * 436 Hésiode, Théogonie, 535.

    * 437 Homère, Iliade, 10, 293.

    * 438 Homère, Odyssée, 3, 382-84 et 430-63.

    * 439 Hippocrate Génération, 4, Tome VII, 476.

    * 440 Hippocrate, Maladies des jeunes filles, Tome VIII, 14, 6-7.

    * 441 Hippocrate, Maladies des femmes, Tome VIII, 14, 6-7.

    * 442 Hippocrate, Génération, TomeVII, 472, 19-26.

    * 443 Hippocrate, Nature de l'enfant, Tome VIII, 494, 18-24.

    * 444 Ibid. Tome VII, 494, 13-15.

    * 445 Amundsen, D.W. and Diers, C.J., « The age of Menarche in Classical Greece and Rome» Human Biology, Wayne State University Press, USA, 1969, pages 125-132.

    * 446 Nicole Loraux, Les expériences de Tirésias : le féminin et l'homme grec, Paris, Gallimard, 1994, p 130.

    * 447 Hippocrate, Maladies des jeunes filles, Tome VIII, 466-467.

    * 448 Hippocrate, Maladies des femmes, Tome VIII, 360.

    * 449 Lydie Bodiou, Histoire du sang des femmes grecques :filles, femmes, mères.

    * 450 Veith I, Histoire de l'hystérie, Seghers, 1973.

    * 451 Hippocrate, Maladies des femmes, Tome VIII, 326.

    * 452 Oswei TEMKIN, op. cit., p 50.

    * 453 Ibid., p51.

    * 454 Ibid.

    * 455 Ibid.

    * 456 Ibid., p 52.

    * 457 Ibid.

    * 458 Ibid.

    * 459 Ibid., p 52.

    * 460 Ibid.

    * 461 Ibid., p 53.

    * 462 Ibid., p 53.

    * 463 Ibid., p 54.

    * 464 Ibid.

    * 465 Galien, Introductio seu medicus, c. 13, vol 14, p 739.

    * 466 Oswei Temkin, op. cit., p 55.

    * 467 Ibid.

    * 468 Ibid., p 56.

    * 469 Ibid.

    * 470 Lesley Ann Dean-Jones, op. cit. p 50.

    * 471 Oswei Temkin, op. cit., p 29.

    * 472 Hippocrate, De la maladie sacrée, 1, p 23 et 359, traduction d'Emile Littré.

    * 473 Oswei Temkin, op. cit., p 28-31.

    * 474 Ibid., p 32.

    * 475 Ibid.

    * 476 Hippocrate, Airs, Eaux, Lieux, 1.

    * 477 Hippocrate, De la maladie sacrée, Livre VI.8.

    * 478 Hippocrate, De la maladie sacrée, Livre VI.9.

    * 479 Oswei Temkin, op. cit., p 32.

    * 480 Ibid., p 35.

    * 481 Ibid., p 39.

    * 482 Ibid., p 43.

    * 483 Hippocrate, De la maladie sacrée, Livre VI.1, p 363.

    * 484 Ibid., Livre VI. 7, p 373.

    * 485 Ibid., p 34.

    * 486 Ibid., p 65.

    * 487 Ibid., p 67.

    * 488 Ibid., p 44.

    * 489 Ibid., p 45.

    * 490 Ibid.

    * 491 Ibid.

    * 492 Ibid.

    * 493 Ibid., p 46.

    * 494 Ibid.

    * 495 Ibid.

    * 496 Ibid.

    * 497 Ibid., p 50.

    * 498 Barjavel, L'ultime secret.






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