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Les dons, phénomène anthropologique au coeur des élections au Burkina Faso: une analyse des comportements électoraux dans la ville de Ouagadougou

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par Oumarou Kologo
Université de Ouagadougou - DEA de sciences politiques 2007
  

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§2- L'instrumentalisation des leaders d'opinion

Les leaders d'opinion sont des catégories de personnes très écoutées, respectées et parfois craintes. En ce sens elles sont influentes dans leurs milieux et participent ainsi à des prises de décisions. Dans toutes les sociétés humaines, il existe des personnes auxquelles les communautés vouent respect et révérence à cause de leurs statuts sociaux ou des actes de bravoure qu'elles auraient posés. La ville de Ouagadougou malgré la modernisation n'échappe pas à cette réalité. Pour les sociologues urbanistes, les sociétés modernes sont caractérisées par un ``continuum rural urbain''. La ville intègre le village et parallèlement, le village se retrouve en ville. Il y a donc des survivances de comportements du village dans la ville et vice versa. Ainsi retrouve-t-on des leaders d'opinion au village comme en ville. Les partis politiques n'interviennent pas toujours directement auprès des électeurs. Ils ont besoin d'intermédiaires. Ces derniers peuvent être des leaders d'opinion. Ces derniers sont généralement des hommes qui connaissent bien le terrain pour assurer une meilleure mobilisation des électeurs et une bonne transmission des messages des partis.

Dans la ville de Ouagadougou, les leaders d'opinions qu'on appelle aussi personnes ressources se composent de leaders et de dignitaires coutumiers et religieux, de responsables de jeunesse, de femmes et de personnes âgées, des responsables d'associations ou d'ONG, de responsables syndicaux, des anciens ministres, députés et maires sortants, des artistes, sportifs et de professeurs d'université. Il y a cependant ceux qui sont considérés comme des leaders d'opinion à cause de leurs richesses (entrepreneurs, grands commerçants). Ils ont un certain prestige dans leurs quartiers si bien qu'ils peuvent drainer un grand nombre d'électeurs vers le parti pour lequel ils s'engagent. Ce sont dans une certaine mesure des personnes qui jouissent d'une image positive, d'une certaine crédibilité et d'une capacité de mobilisation des autres autour d'eux. Ces hommes d'affaires ont de très bonnes relations avec les milieux politiques et intercèdent souvent pour l'aménagement de leurs quartiers ou contribuent eux-mêmes à ces aménagements (bitumage d'une voie, construction de radiers et digues, d'égouts etc.)

« Gagner la confiance des leaders d'opinion, c'est avant tout, se positionner par rapport aux autres. La rencontre avec les leaders montre un bon début des campagnes car ce sont eux qui peuvent vous faire gagner ou perdre »108(*). Cette réalité explique bien l'attitude de la tête de liste des candidats de l'UNIR/MS au secteur 3 (Dapoya) de Ouagadougou. Il a entrepris sans considération partisane de rencontrer les personnes ressources, les leaders d'opinions de son secteur, pour se faire connaître et présenter sa candidature. Il a été reçu par le chef de Dapoya109(*). La rencontre des personnes ressources entre donc dans la stratégie des hommes politiques pour s'assurer une victoire.

Une autre catégorie de leaders bien connue dans la ville de Ouagadougou concerne les responsables syndicaux et les dirigeants d'associations et d'organismes non gouvernementaux (ONG). Les associations qui jouent souvent des rôles qui profitent aux populations des quartiers où elles sont implantées ont aussi de bons rapports dans leurs milieux. Ces relations et influences construites dans leurs actions quotidiennes sont exploitées pendant les campagnes au profit de certains partis politiques.

Les dignitaires religieux et les coutumiers, les grands entrepreneurs, les anciens ministres, les anciens députés et enfin les anciens maires obtiennent de la part des populations des quartiers ouagalais une certaine admiration. Ils forment une catégorie importante des leaders en raison de leur capital relationnel très important. En effet, les anciens ministres, députés et maires, après des années de services au sommet de l'Etat, ont gardé le plus souvent plusieurs réseaux de relations qu'ils exploitent pour aider les habitants de leurs quartiers. Pour ces raisons, ils sont des hommes incontournables pour assurer une mobilisation des populations. Les dignitaires religieux comme les chefs coutumiers dans les différents quartiers entretiennent des rapports avec des agents de l'administration, des hommes politiques et surtout les habitants de leurs secteurs ou quartiers. Bon nombre de leaders de jeunes, de femmes et de personnes âgées ainsi que les présidents d'associations sont des membres de confessions religieuses et dans ce cas, ils sont encadrés sur le plan religieux par les dignitaires. Ils peuvent très difficilement se départir des directives que leur donnent ces dignitaires. Ils subissent un processus de socialisation qui les conduit à agir dans le sens des principes religieux. L'influence des dignitaires religieux et des chefs coutumiers sur le comportement des électeurs peut être relativisée au regard de la prédominance du modernisme en ville. Cette prédominance ne peut supprimer totalement la survivance des valeurs primaires110(*) qui ont été inculquée à l'individu dans la société. Il est en outre évident qu'elle ne favorise pas non plus un effet direct de l'action des dignitaires sur l'électeur citadin.

Les leaders d'opinions exploitent leurs réseaux relationnels pour donner un coup de pouce aux partis pour lesquels ils se sont engagés à apporter leur soutien. On peut pourtant se demander si ces leaders se donnent corps et âme. En outre, sont-ils conscients des conséquences de leurs agissements? Pour les responsables des jeunes, des femmes, les raisons généralement avancées pour justifier leur implication dans la mobilisation des électeurs sont, entre autres,  la recherche d'un mieux être, la recherche de position stratégique pour espérer une cooptation du parti soutenu si par chance celui-ci venait à être élu. On note que les gains immédiats et futurs suscitent leur engagement.

Chez les personnes âgées, la raison principale semble être la confiance faite au parti, les actions déjà posées par le parti dont elles ont été bénéficiaires. Certains d'entre eux expliquent leur engagement à apporter leur appui au parti pour des raisons familiales (le responsable serait né dans le quartier, ses parents y sont toujours installés ou il y est lui-même installé etc.).

Pour les anciens ministres, députés et maires, il faut noter qu'ils sont en général membres de partis politiques. Dès la fin de leur mandat (député et maire) ou de leur fonction (ministre), ils gardent toujours de relations non négligeables avec le noyau central de leurs partis. Ainsi, ils peuvent rester des conseillers ou de consultants des partis dans les milieux où ils se trouvent. C'est en substance ce que conclut Z.R. dans ces propos : «Plusieurs partis vivent aujourd'hui  grâce aux relations construites par leurs anciens responsables. Les financements et les appuis divers de certains entrepreneurs sont obtenus sur la base des relations»111(*). Il arrive cependant que certains anciens responsables (ministres, députés et maires) ne digèrent pas leur éjection de leur milieu politique. Cette situation est exploitée par les autres partis qui en profitent pour les coopter. Ainsi, ils chercheraient à travers leur engagement aux cotés d'autres partis de se réintroduire sur la scène politique, en d'autres termes de monnayer leurs expériences mais aussi de se venger d'avoir été éjectés.

Leur volonté affichée de gravir les échelons politiques, d'obtenir un poste ou de se frayer un chemin pour de quelconques avantages fait qu'ils deviennent des instruments dans les mains des partis politiques. De ce qui précède, certains leaders auraient consciemment accepté d'être instrumentalisés pour atteindre des objectifs le plus souvent inavoués, tandis que d'autres seraient inconsciemment réintroduits sur la scène politique.

L'article 5 du code électoral prévoit la présence des autorités religieuses au sein de la CENI. Il s'agit de trois membres des communautés religieuses,  en raison de l'existence dans la société burkinabè des trois principales religions dont le catholicisme, l'islam et le protestantisme. Bagoro notait qu'on peut craindre leur récupération politique. Tout au moins, doit-on douter que dans le tréfonds des intentions apparentes de transparence et d'honnêteté du processus électoral qui expliquent leur sollicitation, ne se cachent des visées réelles d'inféodation politique de ces autorités religieuses112(*). Ainsi, la CENI a été présidée successivement depuis 1998 par le pasteur Samuel Yaméogo, le pasteur Friedman Compaoré avant l'actuel président, Moussa Michel Tapsoba. Cette entrée effective des religieux dans le jeu politique n'a cessé de susciter des interrogations. Comment expliquer que certains dignitaires religieux qui  avaient initialement refusé toute implication dans l'univers politique, considéré comme impur, corrompu et grevé par le péché  se lancent maintenant sur ce terrain ?

La participation des leaders religieux et des coutumiers dans la vie politique au Burkina est souvent perçue comme une question de contribution citoyenne à la construction démocratique. Pétris de moralité appréciable et soucieux du bien-être social des populations, ces leaders coutumiers et religieux sont des canaux incontournables pour donner une certaine probité à la pratique électorale.

Nonobstant leur honnêteté, leur qualité morale reconnue par les populations, ces leaders seraient de plus en plus instrumentalisés par les partis politiques pour mobiliser leur électorat. En effet, on constate que dans les meetings et autres réunions de campagnes, ces hommes sont placés aux premières loges, entourés par les hommes politiques. Sachant que leur présence dans ces rencontres attire et galvanise les populations à s'y intéresser, les placer devant les foules mobilisées constitue dans une certaine mesure une stratégie de conquête des électeurs encore indécis.

Les prières adressées chaque jour à l'approche des échéances électorales dans les églises et les mosquées pour que les élections se déroulent dans la paix et le calme dénotent de l'intérêt que les religieux accordent aux questions politiques. Des prêches concernant le civisme, le religieux et la politique, les raisons du vote, du respect des autorités administratives reviennent de façon récurrente dans les églises et les mosquées. Toutes ces pratiques contribuent à forger les électeurs religieux et à les orienter ainsi dans les choix électoraux. Certains leaders religieux n'hésitent pas à s'afficher publiquement. Ce fut le cas de Monseigneur Compaoré dont la position sur la possibilité de la candidature de Blaise Compaoré au scrutin présidentiel de 2005 a soulevé des critiques dans la presse. Il disait en substance que « sans Blaise, personne ne peut gouverner ce pays ». Ces propos de L'évêque de la capitale furent retentissants et ne sont sans doute pas restés sans effet sur l'électorat catholique.

Dans le même sens, certains artistes affichent publiquement leur position lors des meetings. Pour ce qui concerne leur participation aux animations des meetings, « on peut aisément comprendre que la quête d'un mieux être puisse les y conduire. Nombreux sont les artistes qui n'arrivent pas à joindre les deux bouts, alors quand une telle occasion se présente, ils ne peuvent refuser de participer et engranger quelques jetons»113(*). La pauvreté dans laquelle croupissent nos artistes explique donc leur engagement aux côtés de certains partis lors des campagnes. Somme toute, l'animation fait partie de leur travail et c'est naturellement dans cette activité qu'ils se sentent utiles. On ne peut leur reprocher de jouer leur rôle mais il faut reconnaître que ce rôle contribue à façonner les comportements de certains électeurs qui sont leur « fans ». Un exemple que nous avons relevé dans notre étude concerne Georges Ouédraogo, un des grands et anciens artistes du pays. Il aurait déclaré sur les antennes des radios de la place qu'il voterait le CDP aux présidentielles de 2005114(*). Il n'est certes pas le seul à s'afficher publiquement, car comme le souligne B.S. « certains artistes sont connus pour leur opposition indéfectible au pouvoir. Ces artistes ne vont pas à tous les meetings même quand les propositions sont meilleures »115(*). Ce faisant, ils influent aussi sur les comportements de leurs fans.

Les intellectuels surtout les universitaires ne sont pas en reste. Certains d'entre eux ont souvent pris part à des débats publics à la télévision ou dans des émissions radios. Leurs positions aussi banales qu'elles puissent paraître ont des impacts inestimables. En effet, ces hommes qui connaissent bien les questions politiques proposent des analyses approfondies sur certaines questions et donnent leurs points de vue par rapport à celles-ci. Leurs étudiants et anciens étudiants attendent le plus souvent impatiemment de telles positions pour pouvoir se décider. Par exemple, un étudiant rencontré disait ceci: «Pour certaines questions politiques,  moi j'attends de voir ce que diront mes professeurs avant de me jeter à l'eau. Je pense qu'ils sont mieux nantis pour donner une bonne orientation aux populations116(*) ».

Les leaders d'opinion sont des gens assez courtisés à cause de leur influence dans leurs milieux. Qu'ils se soient eux-mêmes décidés d'apporter leur soutien à un parti pour atteindre des objectifs qui sont les leurs ou qu'ils y soient conduits pour apporter leur contribution au débat démocratique (cas des professeurs d'université), ces hommes consciemment ou non participent à la formation des électeurs et à l'orientation de leurs choix. Ils contribuent ainsi à ancrer dans les habitudes des électeurs le vote de solidarité. Les partis qui savent les placer avant ou exploiter leurs propos se frayeraient aisément le chemin de la réussite politique.

* 108 O.Z, juriste de formation, est élève professionnel à l'ENAREF et fut pour les dernières élections directeur de Campagne d'un candidat malheureux de MPS/PF aux législatives à Ouagagdougou.

* 109 Voir L'Opinion, n0436 du 15 au 21 février 2006.

* 110 Les valeurs primaires sont celles acquises par l'individu dès les premiers moments de sa socialisation. Elles sont prioritaires pour lui car constituent le soubassement sur lequel devraient s'inscrire ou se développer les autres valeurs secondairement intégrées.

* 111 Z.R. est le président du parti RFI/PJB, parti membre de la coalition CFD/B. Il fut candidat malheureux (liste de Ouagadougou) aux législatives de 2007

* 112B. Bagoro, op. cit. p67

* 113 Focus group secteur 27.

* 114 idem

* 115 B.S. est un musicien burkinabè. Il fait parti des initiateurs de la musique Rapp au Burkinabè.

* 116 Entretien focus du scteur 29.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus